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PTO – vol 18 – n°3 Le « test par CDD » comme frein au fonctionnement des entreprises. The “test by CDD” as a bride for companies. Alexandre Pascual & Boris Vallée Université Bordeaux Segalen, Laboratoire de Psychologie EA 4139, 3 ter, place de la Victoire, 33076 Bordeaux cedex, France, [email protected] Résumé En France, certains employeurs, afin de tester les candidats, utilisent le contrat à durée déterminée (CDD) comme période d’essai préalable à l’embauche sur un contrat à durée indéterminée (CDI). L’étude présentée se propose de comparer les entreprises ayant recours à cette pratique et celles n’y recourrant pas. Plus précisément, il s’agira d’apprécier le niveau de difficultés de recrutement ainsi que le degré d’erreur fondamentale d’attributions des employeurs en fonction des deux types d’entreprises. Les résultats indiquent que les entreprises ayant recours au « test par CDD » ont davantage de difficultés de recrutement et font davantage l’erreur fondamentale d’attribution pour expliquer ces échecs. Abstract In France, in order to evaluate job applicants, some employers use short term contract before recruiting on a long term contract. The present study aims to compare companies having this practice and others. More precisely, we will appreciate the level of recruitment difficulties and the degree of fundamental error of attribution according companies. Results indicate that companies having “test by CDD” have more recruitment difficulties and more fundamental error of attribution to explain these failures. Mots clés : recrutement, erreur fondamentale d’attribution, précarité de l’emploi Keywords : recruitment, fundamental error of attribution, job insecurity 291 Alexandre Pascual & Boris Vallée / PTO – vol 18 – n°3 1. Origine et fonctions du contrat à durée déterminée (CDD) Créé par Raymond Barre en 1979 suite à la montée du chômage du milieu des années 70, le CDD devait alléger, entre autres, les contraintes statutaires de l’emploi dans le secteur privé afin de contribuer à réduire le chômage. Ainsi, dans les pays industrialisés, le marché du travail a connu de profondes mutations au cours des 20 dernières années. La mondialisation et les avancées technologiques ont engendré la recherche de plus de flexibilité et le développement de nouvelles formes d’emploi (dont le CDD), au détriment des CDI. Concernant le CDD, la législation en prévoit un usage relativement restreint. En effet, d’après l’Article L122-1 du Code du Travail, « Le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise. (…), il ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire ». L’Article L122-1-1 précise les cas dans lesquels le recours au CDD est possible : - remplacement d’un salarié absent ou en attente de l’arrivée d’un salarié en CDI ; - accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise ; - emplois à caractère saisonnier ou dans les secteurs où le CDD est d’usage (ex : hôtellerie, restauration, centres de loisirs…) ; - remplacement d’un chef d’entreprise artisanale industrielle ou commerciale ; - remplacement d’un chef d’exploitation agricole ou d’entreprise. 2. Un contrat précaire Pour mieux comprendre ce qui est en jeu dans ce type de contrat, on peut s’arrêter sur le terme utilisé pour le qualifier : précaire. Il s’agit d’un vieux mot qui vient du latin juridique en usage au XVième siècle qui désigne quelque chose obtenu par la prière, quelque chose qui est octroyé et ne s’exerce que grâce à une concession. Dans ce cadre, le travail n’est plus un droit, il est une permission révocable par celui qui l’a accordée. Il ne confère plus un statut qui permet l’accès à une vie digne et autonome. Depuis les années 80, le recours aux CDD s’est largement développé, malgré une législation stricte. Or, Fougère (2003) montre que le taux de transition vers le chômage est bien moins élevé pour les CDI que pour les emplois précaires. L’étude des transitions annuelles sur le marché du travail indique que les CDD sont souvent synonymes d’insécurité de l’emploi, puisque la probabilité de se retrouver au chômage est cinq fois plus élevée pour les salariés en CDD que pour les salariés en CDI. En effet, parallèlement à la recrudescence des emplois autres qu’en CDI, le sentiment d’insécurité s’est largement répandu au sein des salariés (Deloffre & Rioux, 2004). Cette augmentation des contrats précaires est susceptible de développer une dualité du marché du travail : d’un côté les salariés en CDI, de l’autre les salariés en emploi temporaire qui ne pourraient sortir de leur situation 292 Alexandre Pascual & Boris Vallée / PTO – vol 18 – n°3 précaire. A ce titre, Galtier et Gautié (2002) confirment que si l’augmentation des contrats temporaires durant les 15 dernières années n’a pas modifié la norme globale du travail qui reste le CDI (officialisée par la loi du 16 juillet 1982), elle a accentué la segmentation du marché du travail : d’un côté les «inclus» (insiders) qui ont des emplois stables, et de l’autre les « exclus» (outsiders) qui alternent emploi précaire et chômage. 3. Le test du CDD comme politique de recrutement Si les CDD sont initialement prévus comme un mode d’ajustement de la main d’œuvre aux aléas économiques, ils constituent également aujourd’hui un mode de recrutement : le passage quasi-obligatoire par un CDD à l’entrée dans l’entreprise est une sorte de période d’essai allongée et peut être un marchepied vers un emploi stable. Il est à noter que ce cas de figure ne correspond à aucune des conditions requises par le code du travail que nous avons évoqué plus haut, ce qui place les entreprises recourant à cette politique de recrutement dans une certaine illégalité. En effet, mis à part dans les secteurs où le CDD est « d’usage », le recours à ce type de contrat devrait donc être relativement limité et ne pas être utilisé comme période d’essai. Cependant, à partir de l’enquête Acemo flexibilité concernant plus de 5000 entreprises de plus de 10 salariés, Bunel (2006) mentionne que 34% des entreprises déclarent utiliser les CDD comme période d’essai préalable à une embauche en CDI. Selon l’auteur, cette pratique serait de plus en plus utilisée et acceptée. Ceci étant, le recours à un contrat précaire tel que le CDD dans le but d’embaucher le candidat ultérieurement en CDI nous semble impliquer deux éléments importants : - En se servant du CDD comme une période d’essai plus longue, l’employeur manifeste davantage une intention d’évaluation de l’employabilité du salarié qu’une intention d’œuvrer pour optimiser l’intégration de ce nouveau venu dans l’entreprise. - En recourant au CDD, l’employeur place délibérément le nouveau salarié dans une situation de précarité dont on peut penser qu’elle aura des conséquences sur l’intégration d’un nouveau venu et donc sur l’entreprise. En effet, nous avons vu que cette précarisation plaçait le candidat dans une position « d’outsider » avec toutes les conséquences que cela suppose. Ainsi, le CERC (2005) souligne que de nombreux salariés en CDD éprouvent des difficultés à accéder à des crédits bancaires ou au logement, du fait de leur statut, car les banques et les loueurs cherchent à se couvrir du risque de non remboursement ou d’impayés en cas de chômage à la fin du contrat de travail. De plus, Cheng et Chan (2008) par le biais d’une méta-analyse de 133 recherches comprenant 172 échantillons indépendants ont entre autre repéré une relation négative entre l’insécurité de l’emploi et la productivité, mais également une relation positive entre l’insécurité de 293 Alexandre Pascual & Boris Vallée / PTO – vol 18 – n°3 l’emploi et l’intention de le quitter (plus forte parmi les employés ayant un contrat de courte durée par rapport à ceux ayant un contrat à plus longue durée). Enfin, ces auteurs relevèrent également un effet négatif de l’insécurité sur la santé. A ce titre, Cohidon et Santin (2007) ont observé que le pourcentage de dépressivité était plus important pour les salariés en CDD que ceux en CDI. Ces considérations étant faites, les employeurs recourant au test par le CDD semblent donc négliger certaines conséquences a) du contexte dans lequel ils placent le « candidat au CDI » et b) du rôle qu’ils attribuent à ce nouvel arrivant. Or, depuis une trentaine d’années, la psychologie sociale nous a amenés à considérer les conséquences de la négligence de contexte et de rôle par l’erreur fondamentale d’attribution (Ross, 1977). 4. L’ « erreur fondamentale d’attribution » « Résultat le plus robuste et reproductible de la psychologie sociale » (Jones, 1990, p.138), « l’erreur fondamentale d’attribution est la tendance à sous-estimer le rôle des déterminants situationnels et de surestimer le degré auquel les actions sociales et leurs conséquences reflètent les dispositions des acteurs » (Ross, Amabile & Steinmetz, 1977, page 491)1. En d’autres termes, nous serions assujettis à une certaine forme de myopie à l’égard de facteurs situationnels susceptibles d’intervenir dans la détermination des comportements. Différentes interprétations (Gilibert, 1998) ont été avancées afin d’expliquer l’erreur fondamentale d’attribution que celles-ci soient cognitives (Heider, 1958 ; Quattrone, 1982 ; Trope, 1986 ; Gilbert, 1989 ; Gilbert, Pelham, & Krull, 1988), motivationnelles (Vonk, 1999), ou encore cognitivo-affectives (Forgas, 1998). Le recours « préférentiel » aux explications internes (ici en matière d’attribution causale) renverrait également, dans nos sociétés démocratiques et libérales à une norme sociale de jugement : la norme d’internalité (Beauvois, 1994 ; Dubois, 1994 ; 2003). Cette norme, consiste en une valorisation des explications qui accentuent le poids causal de l’acteur comme facteur causal, et ce, au détriment des explications qui soutiendraient l’intervention de facteurs externes. Nous ne relaterons pas ici l’ensemble des travaux attestant de la présence de la norme d’internalité. Ce que nous retiendrons pour notre propos renvoie plutôt aux conditions de l’origine de cette norme. Au travers des propos 1 Cette « erreur » correspond à ce que d’autres chercheurs appellent le « biais de sur attribution » (Quattrone, 1982), de « dispositionnisme naïf » (Ross & Nisbett, 1991) ou encore de « correspondance » (Gilbert & Malone, 1995). 294 Alexandre Pascual & Boris Vallée / PTO – vol 18 – n°3 de Ischeiser2 (1943), nous possédons une vision déjà partielle de l’origine de cette norme ancrée dans les représentations individualistes préexistantes dans nos sociétés. Pour lui « nous avons tous tendance – conditionnés (…) par l’idéologie de notre société – à interpréter dans notre vie quotidienne le comportement d’autrui en invoquant des qualités personnelles spécifiques plutôt que des situations spécifiques. Tout notre cadre conceptuel de « mérite » et de « faute », de « succès » et d’ « échec », de « responsabilité » et d’ « irresponsabilité », tel qu’on l’accepte dans la vie de tous les jours est basé sur le présupposé de la détermination personnelle du comportement et s’oppose à la détermination sociale ou situationnelle du comportement » (p.151, cité par Yserbyt et Schadron, 1996, p.78). On peut donc considérer que cet auteur avait déjà repéré cette « erreur fondamentale », dont Ross fait état plus de 30 ans après3. Cependant, si cette hypothèse par « imprégnation » de l’idéologie individualiste (Moscovici, 1982, cité par Dubois, 1994) possède une forme de pertinence, ce n’est pas celle privilégiée à proprement parler par les tenants de l’approche socionormative. La valeur des explications internes trouverait son origine dans les exigences du fonctionnement social. En désignant l’acteur comme étant la cause des événements et non l’environnement, les explications internes permettraient l’exercice du pouvoir dans les sociétés libérales. Agents de pouvoir et ayant à leur disposition la possibilité d’évaluer au travers du contrat proposé le candidat à une embauche, les employeurs risqueraient de favoriser selon nous l’erreur fondamentale d’attribution lorsqu’ils sont invités à expliquer les difficultés de recrutement. 5. Problématique Il est admis que tout un chacun a tendance à recourir à l’erreur fondamentale d’attribution (Ross, Amabile, & Steinmetz, 1977) et il est peu probable que les chefs d’entreprises dérogent à la règle surtout lorsqu’ils mettent en place des pratiques évaluatives concernant le recrutement des salariés. En effet, tout contrat de travail est caractérisé par une « période d’essai » et ce terme renvoie plus volontiers dans l’esprit des employeurs à l’idée d’essayer un individu afin de voir s’il est compétent plutôt qu’à essayer de mettre en oeuvre des facteurs situationnels qui pourraient faciliter le recrutement d’un individu. Ainsi, influencés par l’erreur fondamentale, il est fort probable que les employeurs aient tendance à expliquer un échec de recrutement par les aspects dispositionnels d’un candidat plutôt que par le contexte dans lequel ce même candidat est placé. Selon nous, cette tendance est susceptible d’être accentuée par certaines politiques de recrutement tel que le 2 Voir Rudmin, Trimpop, Kryl et Boski (1987) pour une présentation biographique et bibliographique de cet auteur mystérieux et fascinant mais visiblement (trop) peu cité. Voir également Gilbert (1998). 3 Remarquons également que le terme d’erreur fondamentale a été aussi utilisé par des philosophes comme Nietzsche (éd. Française, 1968) (rapporté par Gangloff, 1997). 295 Alexandre Pascual & Boris Vallée / PTO – vol 18 – n°3 recours au CDD visant à tester le salarié avant une embauche en CDI. Sur cette base, nous pouvons donc envisager que cette pratique ait plusieurs conséquences sur les difficultés d’intégration d’un nouveau salarié et donc sur le fonctionnement de l’entreprise : - de par l’erreur fondamentale d’attribution (Ross, 1977), l’employeur sera moins enclin à prendre en compte le contexte de l’entreprise pour faciliter l’intégration d’un nouveau « collaborateur », considérant que par le CDD c’est au candidat de faire ses preuves (indépendamment du contexte), - le nouveau salarié ne sera pas considéré comme membre à part entière de l’entreprise, c’est un « outsider » par comparaison aux « insider » en CDI (Galtier & Gautié, 2002), - le nouveau salarié bénéficiant d’un emploi précaire, cela peut impliquer des difficultés d’accès à la formation, aux couvertures de santé complémentaire, au logement, aux crédits bancaires, aux loisirs, etc. (CERC, 2005), - l’insécurité de l’emploi peut également jouer sur la santé du salarié et donc sur sa productivité (Cheng & Chan 2008 ; Cohidon & Santin, 2007). Afin de mieux cerner la pratique du test par le CDD, nous nous proposons donc de rendre compte de la relation entretenue par cette politique sur l’erreur fondamentale d’attribution d’une part, et sur les problèmes de recrutement d’autre part. A notre connaissance, ces questions n’ont jamais été posées alors que, comme le souligne Bunel (2006), le CDD utilisé comme période d’essai est une pratique de plus en plus fréquente dans les entreprises. Nous formulerons donc les deux hypothèses principales suivantes : 1 - Les employeurs qui utilisent le CDD comme une période d’essai préalable à une embauche en CDI seraient ceux qui mobilisent le plus l’erreur fondamentale d’attribution pour expliquer les difficultés de recrutement. 2 – Le recours à cette politique de recrutement serait inefficace pour résoudre les problèmes de recrutement des entreprises. 6. Méthodologie 6.1. Participants 207 chefs d’entreprises de secteurs d’activité variés4 et de toutes tailles5 disséminés sur 57 villes du territoire français. 4 Agricole 5%, Industriel 15%, BTP 5%, commerce, négoce, distribution 20%, hôtellerie, restauration 17%, transport 5%, service aux entreprises (hors nettoyage) 7%, service aux entreprises en nettoyage 14%, santé et action sociale 4%, services collectifs 4%, autres 3%. 296 Alexandre Pascual & Boris Vallée / PTO – vol 18 – n°3 6.2. Procédure Des organismes proposant aux entreprises un service d’aide à l’intégration de nouveaux salariés (Castra & Valls, 2007) ont réalisé des entretiens téléphoniques (d’environ ¾ d’heure) auprès d’employeurs ayant bénéficié de ce service. Cette enquête avait trois objets : 1) identifier les difficultés que rencontrent les employeurs dans leurs recrutements, 2) évaluer leur perception du service qui leur avait été proposé (points positifs et négatifs) et 3) répertorier les attentes des employeurs vis-à-vis du service en vue de l’améliorer. Ce sont les questions relatives au premier point qui serviront de support à notre problématique. Ces entretiens reposaient sur des questions fermées et ouvertes. Toutefois, pour les questions ouvertes, les enquêteurs avaient à leur disposition un panel de réponses issues d’une pré-enquête (réalisée sur une trentaine d’entreprises) qu’ils cochaient en fonction des discours des employeurs. En procédant ainsi, aucune réponse n’était induite par les enquêteurs. A partir de cette base de données, dans un premier temps, nous avons identifié les entreprises ayant recours au CDD pour tester un salarié sur la base d’une question fermée et d’une question ouverte. Ainsi, les entreprises ayant répondu par l’affirmative à la question « avez-vous déjà embauché en CDD ? » et ayant répondu « cela permet de tester le salarié » à la question « Selon vous, quel est l’intérêt d’embaucher en CDD ? » ont été comptabilisées comme entreprises dont la politique de recrutement passait par le « test du CDD » (soit 25% de l’échantillon, indépendamment de la taille ou du secteur d’activité). Les autres entreprises ont été considérées comme plus éloignées d’une telle politique. Cette variable, qui concerne une pratique d’entreprise, constituera notre variable indépendante. Deux variables dépendantes seront également prises en compte : 1) le degré de difficultés que l’employeur rencontre dans ses recrutements6 et 2) les explications qu’il donne pour rendre compte de ces difficultés. - La première variable dépendante a été opérationnalisée par la question fermée « rencontrez-vous des difficultés dans vos recrutements ? » avec trois modalités de réponses : rarement, de temps en temps, régulièrement7. 5 Moins de 10 salariés 24%, 10 à 49 salariés 43%, 50 à 99 salariés 17%, 100 salariés et plus 16%. 6 Le recrutement englobe ici les différentes étapes qui vont de la recherche de candidature à l'accueil du nouvel embauché dans l'entreprise. 7 54% des employeurs ont déclaré avoir régulièrement des difficultés de recrutement, 26% de temps en temps, 20% rarement. Les difficultés de recrutement semblent donc être un problème majeur des entreprises interrogées. Ce résultat corrobore les observations nationales de l’enquête BMO 2008 du CREDOC selon laquelle 51,1% des employeurs déclarent avoir des difficultés de recrutement. http://info.assedic.fr/unistatis/travail/documents/BMO2008_France.pdf 297 Alexandre Pascual & Boris Vallée / PTO – vol 18 – n°3 - La deuxième a été construite en référence à la question ouverte : « selon vous quelles en sont les causes ? ». Huit causes distinctes (repérées lors de la préenquête) ont été mentionnées par les employeurs. Nous avons ensuite demandé à des professionnels de l’insertion de catégoriser les arguments relevant des dispositions des candidats et ceux relevant du contexte d’entreprise. Un fort consensus entre ces juges a permis de repérer 4 éléments relevant des candidats8 et 4 relevant de l’entreprise9. Ainsi, nous avons construit une variable continue d’erreur fondamentale d’attribution (EFA) en faisant la soustraction : nombre d’arguments liés aux candidats – nombre d’arguments liés à l’entreprise. Par conséquent, plus le score d’EFA est élevé, plus l’employeur explique ses difficultés de recrutement par les caractéristiques dispositionnelles des candidats et inversement. Théoriquement, les scores peuvent varier entre –4 et +4, dans les faits, ils oscillent entre –2 et +3 en suivant une loi normale. 7. Résultats Dans un premier temps, concernant notre première hypothèse, nous avons dans le tableau 1 ci-après, procédé à une comparaison des scores moyens d’EFA des employeurs en fonction de leur politique de recrutement. Tableau 1 : Scores d’erreur fondamentale d’attribution des employeurs en fonction de leur politique de recrutement Politique de recrutement Pas de test par le CDD Test par le CDD Scores moyens d’EFA 0,41 0,76 0,99 0,80 Conformément à notre première hypothèse, les employeurs testant par le CDD sont ceux qui manifestent le plus d’erreur fondamentale d’attribution pour rendre compte des problèmes de recrutements rencontrés par l’entreprise (F(1, 205)=5.08, p=.03). Ce résultat valide notre première hypothèse. De plus, il est à noter qu’indépendamment de la politique de recrutement, les entreprises ont des scores moyens d’EFA positifs. Ceci indique leur propension à l’erreur fondamentale d’attribution. En effet, sur l’échantillon total, les employeurs ont donné en moyenne près de deux fois plus d’arguments relatifs aux candidats que d’arguments relatifs au contexte d’entreprise10. 8 Les demandeurs d’emploi ne veulent pas travailler (manque de candidats), candidats pas assez compétents, candidats pas motivés, démission des candidats (turn over). 9 Peu de temps disponible à l’entreprise pour bien recruter, site géographique de l’entreprise peu accessible, salaires peu attractifs, postes peu attractifs. 10 Test de Wilcoxon pour échantillons appariés : Z=6,07 ; p<.000 298 Alexandre Pascual & Boris Vallée / PTO – vol 18 – n°3 Dans un deuxième temps, pour rendre compte de notre deuxième hypothèse, le tableau 2 ci-après nous renseigne sur les difficultés de recrutement des employeurs en fonction de leur politique d’embauche. Tableau 2 : Difficultés de recrutement en fonction de la politique de recrutement de l’entreprise Politique de recrutement Pas de test par CDD Test par CDD Totaux % en ligne Fréquence des difficultés de recrutement Totaux rarement de temps en temps régulièrement 32 47 78 157 20% 30% 50% 10 6 34 50 20% 12% 68% 42 53 112 207 Une analyse log-linéaire réalisée sur la base du tableau 2 indique que le test par le CDD est concomitant avec un fort taux de difficultés de recrutement (²(2, 207)=6.98, p=.03), ce qui confirme notre deuxième hypothèse. Ainsi, notre variable indépendante (politique de recrutement) étant liée à nos deux variables dépendantes (scores d’EFA et difficultés de recrutement), nous avons réalisé une analyse complémentaire afin de vérifier un éventuel lien entre les deux variables dépendantes. Cette analyse indique qu’il n’y a pas de corrélation significative entre ces deux variables (r=.09, p=.19). 8. Discussion L’objectif de cette étude était de comparer les entreprises ayant recours à une politique de recrutement telle que le recours au CDD comme période d’essai préalable à un CDI et les autres entreprises. La validation de nos deux hypothèses principales nous a renseignés sur le fait que cette politique était liée à une plus forte propension à l’erreur fondamentale d’attribution d’une part, et à des problèmes plus réguliers dans les recrutements d’autre part. En considérant le test par le CDD comme une pratique des employeurs, l’erreur fondamentale comme une posture des employeurs, et les difficultés de recrutement comme un élément du contexte de l’entreprise, la figure 1 ci-dessous synthétise les résultats que nous avons obtenus. 299 Alexandre Pascual & Boris Vallée / PTO – vol 18 – n°3 Figure 1 : Récapitulatif les liaisons entre les différentes variables de l’étude Pratique Test par le CDD Posture Erreur fondamentale d’attribution Contexte ------------/ /------------ Difficultés régulières dans les recrutements Ceci étant, de par son aspect descriptif et corrélationnel, même si cette étude ne nous permet pas de dégager des relations de cause à effet entre nos variables, elle amène néanmoins quelques constats. En effet, les entreprises recourant au test par CDD ayant des scores d’EFA plus élevés que les autres entreprises, cette pratique peut être un repère pour identifier les entreprises qui négligent le contexte dans lequel évoluent ses salariés (notamment les nouveaux arrivants). Un tel repère peut être utile au praticien intervenant en entreprise. D’autre part, bien que ne sachant pas si se sont les difficultés de recrutement qui amènent au test par CDD ou l’inverse, il n’en reste pas moins que cette pratique est préjudiciable aux entreprises (en plus d’être illégale). 9. Conclusion Au même titre que l’expérience de Ross, Amabile & Steinmetz (1977) dans laquelle des observateurs expliquaient les erreurs du « questionné » (comparativement au « questionneur » rendu omniscient par le contexte) par un manque de culture, les employeurs expliquent un échec de recrutement par un manque de motivation ou de compétence du candidat sans prendre en compte le contexte. Cependant, cette erreur fondamentale d’attribution n’est pas directement liée à la fréquence des difficultés de recrutement. Néanmoins, les employeurs manifestant une politique de recrutement basée sur le « test par CDD » sont les plus assujettis à ce biais et rencontrent davantage de difficultés de recrutement. Ainsi, hormis son illégalité, cette pratique apparaît contreproductive pour les entreprises. Ces résultats sont importants au regard des observations de Bunel (2006) selon lequel cette politique de recrutement aurait tendance à se développer. Si l’on peut reprocher l’opérationnalisation des variables de cette étude (données issues d’une enquête dont l’objet initial n’était pas explicitement le test par CDD), nos résultats restent en accord avec les positions de certains chercheurs. 300 Alexandre Pascual & Boris Vallée / PTO – vol 18 – n°3 En effet, Comme le suggèrent certains psychologues sociaux (Castra & Valls, 2007 ; Roques, 2008) et économistes (Salognon, 2007), les employeurs auraient tout intérêt à davantage prendre en compte les facteurs situationnels afin de gérer leurs problèmes de recrutement. Dans cette optique, Salognon (2007) souligne qu’en France le retour au travail est considéré comme essentiellement dépendant du degré d’« employabilité » des candidats. Dans cette optique, l’exclusion professionnelle est donc largement considérée comme la conséquence d’une responsabilité personnelle. Or, ce modèle a l’inconvénient de négliger la responsabilité collective des entreprises dans l’exclusion professionnelle. Ainsi cet auteur préconise un changement de pratique des employeurs qui prendrait davantage en compte le contexte de l’entreprise et la mobilisation de ses ressources pour faciliter l’intégration professionnelle des candidats. En conséquence, le recours au CDD comme période d’essai préalable à l’embauche en CDI, hormis son illégalité et son inefficacité, serait une pratique à éviter de par une précarisation et une évaluation systématique du candidat indépendante du contexte. Références Beauvois, J.L. (1994). Traité de la servitude libérale. Paris : Dunod. Bohle, P., Quinlan, M., & Mayhew, C. (2001). The health and safety effects of job insecurity: an evaluation of the evidence. Economic and Labour Relations Review, 12, n°1, 32-60. Bunel, M. (2006). L’utilisation des modes de flexibilité par les établissements français. Travail et Emploi, 106, 7-24. Castra, D., & Valls, F. (2007). L'insertion Malgré tout - L'Intervention sur l'Offre et la Demande - 25 ans d'expérience. 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