rie des jeux en politique, TWISTING C(R)ASH a dé
Transcription
rie des jeux en politique, TWISTING C(R)ASH a dé
UN SCÉNARIO DU RENVERSEMENT Partageant la fascination récente pour la théorie des jeux en politique, TWISTING C(R)ASH a décidé de fixer ses propres règles de jeu. Pour perturber l’image de l’artiste conceptuel confronté au chaos de la société, les artistes suisses et grecs de l’exposition se sont vu proposer, en guise de scénario, l’hypothèse d’une réalité « inversée » : En Suisse, le système bancaire s’effondre, des partis politiques sans scrupules coupent tous les ponts avec l’Europe tandis que la Grèce devient une banlieue aisée du continent européen. Au niveau politique, le modèle suisse de démocratie directe est adopté par le parlement et le système politique grecs. Une vraie catastrophe ? Le fait est qu’on peut trouver des signes de ce renversement dans l’actualité, à l’image de la sur-politisation actuelle de la société grecque, avec ses élections à répétition et son récent referendum. La réalité a parfois tendance à dépasser la fiction. Nous avons beau nous dire qu’un tel scénario n’est pas plausible, nous sommes bien obligés de reconnaître les signes d’une lente et dévastatrice « fin de partie », sans possibilité de crier « pouce ! ». Ce scénario offre pourtant un joker : c’est une manière de considérer l’interdépendance - peut-être hypothétique - de ces deux cas d’espèce du Continent européen que sont la Suisse et la Grèce. Autrement dit, ce scénario est un moyen de mettre en rapport la Suisse - modèle de la pédagogie des Lumières, championne de la coexistence, dépositaire des flux économiques mais élément de discontinuité dans l’UE et la structure de la zone euro - et la Grèce, destination touristique devenue récemment un haut lieu du tourisme urbain et alternatif, véritable banlieue ruinée truffée de monuments antiques mais entrée par contre assez tôt dans l’UE et dans la zone euro. Dans une certaine mesure, ce lien est le reflet de la constellation européenne actuelle et de son inachèvement, mais il met surtout en lumière l’Europe et ses fantasmes, ses identités, les perceptions stéréotypées de ses paradis et de ses enfers. QUI TRIOMPHE ? Aujourd’hui, la Grèce comme la Suisse - ces deux îles de l’Empire européen en apparence contradictoires - voient l’émergence de nouvelles formes d’extrémisme ; les deux pays ayant assisté l’un comme l’autre à l’apparition de partis et de mouvements d’extrême-droite. Dans la vie sociale et politique de la Grèce, cette hégémonie de la Droite se manifeste de deux façons. Premièreme nt, par la présence de partis d’extrême-droite, de personnalités politiques et d’une rhétorique chauviniste dans toutes les récentes coalitions gouvernementales (même dans un gouvernement formé par la Gauche radicale). Deuxièmement, par le recours fondamental à un idéal d’« autarcie nationale ou d’« alternative locale » en jouant avec la mythologie de la « Nation résistante ». Ces deux procédés impliquent une référence à « l’Histoire triomphante de la Nation » comme principale stratégie pour expliquer le présent et justifier les malheurs actuels. La remythologisation constante de la Nation n’est pas l’apanage de la Grèce. En Suisse, le passé est souvent une pomme de discorde. Pour preuve, une récente publication de l’historien Thomas Maissen remettant en question les sources historiques des héros de la mythologie suisse a provoqué de nombreuses réactions de la part d’hommes politiques de droite, qui ont traité l’auteur de menteur et d’anti-patriote. Dans son livre, Thomas Maissen a montré que de nombreuses histoires fondatrices de la Nation suisse, généralement considérées comme basées sur des faits, ne sont que le produit d’une transformation arbitraire reposant sur des sources et des références historiques plus que vagues. Or, les hommes politiques aussi bien de gauche que de droite font fréquemment référence à ces mythes dans leurs discours de la Fête nationale. La glorification du passé rejoint l’opportunisme du présent : le parti d’extrême-droite suisse SVP/UDC vient de lancer un clip électoral dans lequel ses membres se positionnent comme des hommes politiques cool, aux allures de rockstar, prêts à se moquer de leurs propres faiblesses. On pourrait se dire qu’ils ont fini par se remettre en question, mais ce clip à la réalisation parfaite n’est bien sûr qu’une stratégie élaborée de marketing. TWISTING C(R)ASH veut s’attaquer à ces phénomènes de syncrétisme et de cynisme politique en mettant en lumière ces zones d’ombre et de doute, entre radicalité et conformisme - comme une cartographie de nos incertitudes. Ce twist (ou retournement) est avant tout une remise en question qui, sans être uniforme, touche à la fois à l’idéologie de la « Nation souffrante » et à la question de « l’Identité européenne ». Il ressemble aussi, ce retournement, à la vrille que décrit un objet avant de s’écraser au sol, comme les mouvements récents du système monétaire. WWW.TWISTINGCRASH.ORG 10A 6 8 9 10C 3 1 2 10B 4 12 11 7 1 NIKOS ARVANITIS, Exotic is elsewhere: anthropological garden Pavilion with middle class curiosities, 2015, installation et performance lors du vernissage. Nikos Arvanitis a construit un parc anthropologique avec des objets de la classe moyenne, des suggestions d’habillement proposées par des marques bon marché très connues. Cette classe moyenne internationale qui habite le parc de N. Arvanitis montre, d’une façon déconcertante, ce qui est supposé être neutre, ouvert à tous, confortable et décontracté. 2 SOFIA BEMPEZA, Refraction of History: Miracles and Rituals, 2015, documents, vidéos et livret Le travail de Sofia Bempeza revisite le cinéma nationaliste tel qu’il fut pratiqué au début du XXe siècle en Grèce et en Suisse pour comparer et évaluer l’appareil cinématographique servant à décrire les rituels de la guerre. S. Bempeza montre comment le documentaire devient un instrument politique d’agitation patriotique. Son travail de collecte des films a été plutôt épique. les archives grecques restant souvent inaccessibles. Le travail de l’artiste se concentre sur le film « Le Miracle grec » (1922), un film commandé par le ministère grec des Affaires Etrangères, avec une propagande expansionniste sous la forme de compilation documentaire, ainsi que sur le documentaire historique commandé par le Département militaire suisse « L’Armée suisse » (1918). 3 NATASA BIZA But the gap between estimate and price paid suggests there are still more we don’t know, 2015, installation, vidéos et impressions kappa Natasa Biza s’intéresse à la production de valeur. Elle a fait une recherche sur la relation entre la CroixRouge suisse et le ministère grec de la Santé. La Croix-Rouge suisse a donné des fioles de sang pour le traitement de la thalassémie. Le traitement du sang est la partie la plus chère du processus thérapeutique. N. Biza fait plusieurs analogies entre l’argent - dans le sens de monnaie - et le métal « argent ». Le traitement de l’argent est également un processus onéreux, et la valeur de ce métal est très proche de celle d’une fiole de sang. 4 FYTA (FIL IEROPOULOS ET FOIVOS DOUSOS), nEUROlogy, 2015, installation et performance FYTA se réinventent en psychoanalystes-cardinaux qui extorquent violemment la vérité à leurs sujets sans défense. L’espace qu’ils créent est quelque chose entre l’atelier secret d’un think tank et la clinique de rééducation d’Orange mécanique. Cet « analyseland » questionne les stéréotypes d’un fascisme latent dans la culture de masse et la représentation visuelle de l’Europe. 5 FLORENCE JUNG, Jung41, 2015, performance Florence Jung installe un bar clandestin dans l’espace d’exposition. Ceux qui découvrent le bar peuvent y acheter de la bière grecque « Mythos ». Avec une manière de travailler qui lui est propre, F. Jung propose, dans jung41, de vérifier une rumeur - le spectateur doit trouver si le mythe est réel ou non. Mythos veut dire légende en grec. Mais en français, un mythomane est un menteur compulsif. Le travail de F. Jung présente un regard déformant les perceptions stéréotypées de l’austérité grecque : de l’extérieur, on pourrait penser qu’il n’y a plus aucun divertissement, ou que tous les divertissements ont été privatisés pour des raisons d’économie. 6 SAN KELLER, Midcareer Selfportrait in Athens I & Midcareer Selfportrait in Athens II, 2015, double projection, avec son, 10’55’’ et 5’29’’ San Keller filme des artisans dans le quartier de Monastiraki, au centre d’Athènes. Ceci dit, l’aspect ethnographique et les particularismes sont secondaires. Son récit en diptyque remet en question la description nostalgique de formes de travail en voie de disparition - la chorégraphie des mains d’un tailleur devient l’instrument narratif principal. L’histoire de ce tailleur se transforme en élégie du doute et de l’émancipation. Réalisation : San Keller | Caméra et montage : Nina Stafanka | Lumière, son, traduction (tournage) : Costas Goulas | Musique : Dimitri de Perrot | Tailleur : Thanos Charalabopoulos | Forgeron : Emmanuel Liofagos | Jeune tailleur : Panos Boras | Prod : Vana Kostayola | Traduction (préparation) : Nikos Arvanitis | Recherches sur les artisans : Giannis Misouridis 7 JÉRÔME LEUBA, b#111 sightseeing, 2015 Avec une mise en scène presque indétectable, Jérôme Leuba propose une relation à distance entre deux points. Deux positions séparées mais intimement connectées. J. Leuba opère une subtile transgression de l’espace institutionnel qui a pour conséquence de réactiver notre compréhension de la chose publique. Le geste minimal de Jérôme Leuba met en lumière le fait que toute revendication artistique d’une politique de solidarité, d’engagement social ou de réseau international possède une « autre face ». 8 GABRIELA LÖFFEL, The Case, 2015, 2-canaux installation vidéo HD, 34’ Dans le documentaire haletant de Gabriela Löffel, le plaignant et le défendeur sont enfermés dans une éloquente bataille de rhétorique. Pour enfermer le spectateur sur le champ de bataille, G. Löffel utilise des scènes qu’elle a tournées lors de la « compétition de plaidoirie en droit de l’OMC » de l’Association européenne des étudiants en droit (ELSA Moot Court Competition). Pour la première fois dans sa pratique d’artiste, elle a recours à des scènes tournées « en direct » depuis le champ de l’action. Mais les règles du jeu qu’elle filme sont assez particulières : il s’agit de rivaliser d’habileté sur une affaire inventée. De plus, à la grande surprise du spectateur, les diplômés d’Écoles de droit (les jeunes juristes) changent de camp à chaque tour du concours. Cette reconstitution révèle avec un certain cynisme le fait qu’un bien a parfois moins d’importance que la capacité à bien le défendre. Diverses définitions de termes du lexique juridique accompagnent le récit final. Le style, l’habileté rhétorique, la position semblent plus importants que l’objet du litige en lui-même : ici, la privatisation d’une source d’eau appartenant à l’Etat. 9 DELPHINE REIST, Motif, 2015, cimaise, bouteilles de vin, dimensions variables Le Motif de Delphine Reist est un mur monumental qui bloque la vision à l’intérieur de l’espace d’exposition. Il ouvre de nouvelles voies dans cet espace, tout en explorant les différentes définitions et notions associées au mot « crash ». Les gouttes de vin et les bouteilles éclatées par des coups de feu (D. Reist a utilisé son fusil) produisent des motifs répétitifs de papier peint - un rythme fortuit qui rappelle le procédé utilisé. Ce procédé, cette installation peuvent être perçus sous plusieurs angles. Le mur peut faire penser à une forteresse, une protection autour d’une propriété, le décor d’une fête de rue, la limite sacrificielle d’une orgie ou un mécanisme divisant différentes formes de vies - privilégiées et déshéritées. Cette grande variété de perceptions empêche de réduire l’installation à une fonction particulière, et pose la question des diverses significations sociales et politiques du « mur ». 10 NICOLAS SAVARY ET TILO STEIREIF 10A, titres de droite à gauche : TV | Pomme | Cabine | Lobby | Meeting point | Sécurité | Forces armées de la série Streichelzoo - Session parlementaire délocalisée, Flims, 2006, tirages analogiques couleur, 30x40 cm 10B : Le choix du peuple, 2015, Editions GwinZegal 10C : Happy Birthday Schweiz, récitation interminable, 2015, installation sonore, 30’ Dans « Happy Birthday Schweiz », Nicolas Savary et Tilo Steireif construisent un véritable collage textuel en mêlant différents discours du Premier Août (Fête nationale suisse). Ils recomposent ainsi un unique discours à partir d’extraits tirés de nombreux autres, sans révéler pour autant leurs sources. Le résultat est si déconcertant qu’il est difficile de définir l’appartenance politique du locuteur. N. Savary et T. Steireif photographient également les sessions parlementaires à Flims, proposant une série de photographies sur les coulisses de la politique, ses décors et ses acteurs dans des attitudes inhabituellement décontractées et informelles. 11 LINA THEODOROU, Senex / Save the Pensioner, 2015, installation Lina Theodorou présente le jeu de société « Sauvez le Retraité ». Ce jeu met en application le plan SENEX proposé par dix-huit entreprises pharmaceutiques suisses pour aider les personnes âgées à rester productives et aptes à travailler. Le jeu apprend à des joueurs de tous âges, sur un mode divertissant et interactif, à éviter à leurs parents âgés des problèmes de santé indésirables, à les garder dans une humeur calme et satisfaite, à les protéger des accidents, des voleurs, du fisc etc. 12 POKA-YIO, Futur Perfect, 2015, projection vidéo Poka-Yio pioche dans sa pratique de coach personnel pour révéler et souligner comment des jeunes (la vingtaine et la trentaine) fantasment le futur. Le paysage urbain soigneusement choisi et les angles cinématographiques singuliers donnent une touche existentielle aux confessions des gens interviewés. ÉVÉNEMENTS PENDANT L’EXPOSITION TABLE RONDE (en anglais), sa 3.10.2015, 18h « Scènes artistiques grecques et suisses à l’heure continentale » CASINO LOYAL, les 4, 13 et 20.10.2015 Jeux de société, bar, musique, lecture, discussions * Di 4.10.2015, 11-18h * Ma 13.10.2015, 18-22h. 19h : projection du film « Die schweizerische Armee / L’Armée suisse », de Robert Rosenthal (1918), avec une introduction de Sofia Bempeza. * Ma 20.10.2015, 18-22h 19h : lecture de Claude Thébert (Théâtre du Sentier, Genève) avec un choix de textes autour de la crise européenne. TABLE RONDE (en anglais), ma 27.10.2015, 18h « Artiste - Citoyen » Cette exposition a reçu le soutien de la Ville de Genève, la République et Canton de Genève, la Loterie Romande, la Fondation Ernst Göhner, la Fondation Leenaards, une Fondation privée genevoise, la HEAD (Haute Ecole d’Art et de Design). Remerciements à : AMEG, Halle Nord, Maison Baron, Piano Nobile, Zabriskie Point Commissariat : Madeleine Amsler, Séverin Guelpa, Vana Kostayola, Kostis Stafylakis Coordination : Jeanne Quattropani | Technique : Jérémy Chevalier | Constructions : Harold Bouvard Traductions : Maud Mabillard, Corinne Mc Kay Relectures : Christiane Thébert WWW.TWISTINGCRASH.ORG