Je suis content d`introduire ce premier Forum pour l`Innovation

Transcription

Je suis content d`introduire ce premier Forum pour l`Innovation
Le journal international Interview Francophone (www.intrviewfrancophone.net) a décidé de publier en intégralité le discours fondateur en
ouverture du Premier Forum pour l’innovation ouverte, Grandes entreprises, ETI, PME et Start-up fédérées autour de l’Alliance pour
l’innovation ouverte par Philippe Lemoine, Président du forum d’Action Modernités et Président de la Fondation internet nouvelle
génération
FORUM INNOVATION OUVERTE
Paris, 18 . XII . 2015
--------
Je suis content d'introduire ce premier Forum pour l'Innovation Ouverte initié par Bercy. Dans un passé lointain,
j'ai été chercheur, en informatique et en sciences sociales. Mais l'essentiel de ma carrière s'est fait dans des
responsabilités d'action, au sein d'entreprises et d'administrations. Aussi mon propos ne sera-t-il pas académique
et je me garderai bien d'entrer dans le débat sur les différentes revendications en paternité de l'expression
"Innovation Ouverte" et sur ses différentes origines, au delà de la promotion qu'en a fait depuis le début des
années 2000 le Center for Open Innovation de l'Université de Berkley (dirigé par Henry Chesbrough).
Mon intervention se focalisera simplement sur l'importance que revêt selon moi ce phénomène de l'innovation
ouverte et sur l'importance qui s'attache à sa reconnaissance par les pouvoirs publics et par les politiques de
recherche et d'innovation. Avant d'aborder ces deux points, je voudrais toutefois souligner à quel point il me
semble s'agir aujourd'hui d'un sujet central pour Bercy car il relie le potentiel de transformations sociétales du
numérique, tel que l'appréhende le projet de loi numérique et le potentiel de croissance qu'il induit, tel que
l'appréhende le projet de loi sur les Nouvelles Opportunités Economiques. [Ce n'est d'ailleurs pas sans lien avec
le fait que nous aurons le plaisir ce matin d'entendre et Axelle Lemaire et Emmanuel Macron.]
I. L'IMPORTANCE DE L'IO
L'innovation ouverte est à la fois un enjeu de compétitivité, un marqueur de transformation et un combat
culturel.
Un enjeu de compétitivité, d'abord. Selon l'Unesco, il y avait en 2009 7,1 mio chercheurs dans le monde, contre
5,8 cinq ans plus tôt, en raison de la forte croissance de la population de chercheurs dans les pays émergents,
notamment en Asie. Aujourd'hui on estime mondialement à 10 millions le nombre de personnes qui travaillent
dans la recherche. Le fait de travailler en autarcie est devenu une absurdité et le syndrome du "not invented
here" est un danger mortel. Il faut s'ouvrir aux autres, faire de la veille sur Internet, développer les coopérations
entreprises-universités, collaborer avec des sous-traitants et des start-ups, instituer de vrais écosystèmes
d'innovation. Pour développer ces nouvelles relations, un système international d'identification des chercheurs a
d'ailleurs vu le jour et l'Open Researchers and Contributors ID a déjà diffusé 1,77 millions d'identifiants
uniques. Au delà du monde de la recherche, le crowdsourcing se développe dans la créativité pure et dans la
science citoyenne.
Un marqueur de transformation, ensuite. Avec l'IO, il ne s'agit pas seulement de nombre de cerveaux, mais de
transformation dans les lieux d'innovation et dans les relations dans le travail intellectuel à plusieurs. Le rapport
Décembre 2015
Le journal international Interview Francophone (www.intrviewfrancophone.net) a décidé de publier en intégralité le discours fondateur en
ouverture du Premier Forum pour l’innovation ouverte, Grandes entreprises, ETI, PME et Start-up fédérées autour de l’Alliance pour
l’innovation ouverte par Philippe Lemoine, Président du forum d’Action Modernités et Président de la Fondation internet nouvelle
génération
que j'avais remis l'année dernière au gouvernement indiquait que nous étions entrés dans une nouvelle phase de
la révolution des technologies d'information. Issus de l'électronique grand public, les termes "numérique" et
"digital" veulent dire que ce sont les personnes qui font désormais la course en tête. Pas seulement parce que,
depuis la fin des années 2000 et la mise sur le marché de smart phones et de tablettes, les particuliers se sont
équipés massivement. Mais aussi parce que les personnes innovent dans les usages, dans les façons de
s'informer, de communiquer, de travailler, de produire, d'échanger, de commercer, de concevoir la propriété et le
partage des biens. Ce n'est pas M.Uber qui a inventé l'auto-partage ou M.AirBandB qui a inventé le partage
d'appartements, ce sont les personnes! Partout dans le monde, les entreprises courent derrière ces innovations
pour les capter et les transformer en sources de création de valeur. Pour les entreprises, il s'agit d'un changement
considérable: l'innovation n'est plus une affaire de spécialistes ou même une affaire de task-forces, c'est une
affaire d'écoute, de co-conception, de conversation, de collecte et de traitement de masses de données, de
convergence d'actions entre grandes entreprises, start-ups et société civile.
C'est là que l'innovation ouverte revêt également une dimension de combat culturel. La phase précédente
d'informatisation avait vu l'émergence du "free", celle-ci voit le triomphe de l'"open". Le free avait montré que
le travail collaboratif était souvent plus efficient que le travail intellectuel parcellisé et taylorisé, dans l'écriture
des logiciels ou la collecte de savoirs par des wikis. L'open étend cette approche au fonctionnement des
entreprises et des institutions. L'intervention non hiérarchique des salariés ou de designers extérieurs conduit à
une utilisation souvent plus imaginative des bases de données, à une conception plus simple et plus ciblée des
applications, à un accroissement de la fréquentation et de l'interactivité des sites, à des gains évidents de la
valeur ajoutée informationnelle. Pour autant, les grandes entreprises traditionnelles ne s'engagent pas si
facilement que cela dans ces nouvelles approches. D'une part, l'innovation ouverte passe par une forme de
lâcher-prise qui va à rebours des principes de maîtrise qui ont tant été valorisés durant 30 ans de doctrine de
"shareholder value" où les marchés financiers et les consultants en stratégie et en communication incitaient
l'entreprise à ne pas se disperser en dehors de son core-business, à rester dans son territoire de marque, à
n'innover que dans le droit fil de son ADN et de son code génétique. D'autre part, elle suppose une démarche
itérative par essais-erreurs qui suppose de l'humilité et une acceptation de la valeur relative de sa propre
intelligence par rapport à ce que peut apporter l'intelligence collective.
Durant les ateliers de co-construction de mon rapport, BlablaCar nous avait donné un petit auto-collant où était
écrite leur phrase-fétiche: "Done is better than perfect". On pourrait penser que cette façon de voir est un peu
cavalière par rapport aux utilisateurs et au marché. Comment? On délivrerait des produits et des services qui ne
viseraient pas d'être parfaits? Mais nous n'avons pas été formés comme cela! En fait, il s'agit d'une démarche
humble et respectueuse si on se met réellement à l'écoute de la V1 d'un produit, qu'on intègre les réactions des
uns et des autres pour la V2 ou la V3, voire même qu'on associe les personnes extérieures à la conception et à
l'écriture de ces nouvelles versions. Mais il y dans cette acceptation du rôle de la multitude et de l'ouverture une
transformation radicale qu'il faut encourager.
Décembre 2015
Le journal international Interview Francophone (www.intrviewfrancophone.net) a décidé de publier en intégralité le discours fondateur en
ouverture du Premier Forum pour l’innovation ouverte, Grandes entreprises, ETI, PME et Start-up fédérées autour de l’Alliance pour
l’innovation ouverte par Philippe Lemoine, Président du forum d’Action Modernités et Président de la Fondation internet nouvelle
génération
II. PLACER L'INNOVATION OUVERTE AU CŒUR DES POLITIQUES D'INNOVATION ET DE
RECHERCHE.
Nulle part dans le monde, l'approche "open" ne se développe spontanément, comme une simple doctrine de
management. Aux États-unis, c'est la pression qu'exercent les personnes et la société civile sur les entreprises
qui est largement le moteur de l'évolution sur des sujets comme l'open innovation mais aussi comme l'open data
ou comme le Byod, le "bring your own device". Dans l'open data, ce sont des personnes, des associations, des
mouvements citoyens, des start-ups qui ont dit aux villes, aux administrations, aux institutions et aux grandes
entreprises publiques: mettez vos données sur la table et laissez-nous faire, nous allons en extraire beaucoup
plus de valeur que vous ne savez le faire. Dans le Byod, ce sont les salariés qui disent aux entreprises et aux
institutions: on comprend vos préoccupations de sécurité mais cela dépasse les bornes! Avec les outils que vous
nous donnez au boulot, ils sont tellement filtrés et tellement bridés que nous sommes 10 fois moins efficaces au
travail que chez nous! Laissez-nous utiliser nos propres outils dans les lieux de travail et nous serons bien plus
performants!
L'open innovation, c'est pareil. C'est une histoire de rapport de forces et non une simple histoire de
raisonnement. Il faut lire le Manifeste américain des Makers, celui qui promeut le concept de fablabs. En
substance, il dit ceci: "Entreprises, vous êtes incapables de produire les innovations qui seraient possibles
aujourd'hui. Vous n'assumez pas le plein emploi des personnes et des capitaux. Aussi, continuez de produire de
façon traditionnelle! Tout ce que l'on vous demande c'est d'équiper toutes vos machines d'interfaces en format
API et de vous organiser pour avoir terminé tous les jours à 17h. À cette heure-là, vous laissez le mouvement
citoyen occuper vos usines et l'innovation que vous ne savez pas faire, nous la ferons à votre place!". Pure
provocation, bien sûr... Mais cette pression extérieure, les grandes entreprises américaines la ressentent et elle
n'est pas pour rien dans la mise en mouvement des grandes corporations américaines vers l'innovation ouverte.
En France, cette pression de l'extérieur n'existe pas de la même manière. Il y a trois ans, je me souviens d'avoir
animé un groupe de travail sur l'IO dans un groupement de grandes entreprises. Cela avait été toute une bataille
de faire comprendre l'intérêt de promouvoir les coopérations entre grandes entreprises et petites structures
innovantes, mais on avait fini par y arriver dans le rapport final! Et quelle n'a pas été ma surprise d'entendre le
Président de ce groupement présenter le rapport à la presse, en expliquant que ces coopérations seraient le
moyen pour les petites entreprises d'apprendre les méthodologies de l'innovation de la part des grandes
entreprises...
Aussi est-il capital de mener une action forte de promotion de l'innovation ouverte. On parle beaucoup
actuellement en France des dangers de l'uberisation, c'est à dire du danger que des plateformes d'intermédiation
font courir à des artisans, à des PME ou à des professions d'indépendants en mobilisant le travail, les voitures ou
les appartements des particuliers pour leur faire concurrence. Mais il y a plus grave, c'est le danger de
surtraitance, c'est à dire le danger pour les grandes entreprises de l'industrie, des transports, de l'énergie, de la
Décembre 2015
Le journal international Interview Francophone (www.intrviewfrancophone.net) a décidé de publier en intégralité le discours fondateur en
ouverture du Premier Forum pour l’innovation ouverte, Grandes entreprises, ETI, PME et Start-up fédérées autour de l’Alliance pour
l’innovation ouverte par Philippe Lemoine, Président du forum d’Action Modernités et Président de la Fondation internet nouvelle
génération
finance, de voir des acteurs de l'intermédiation se glisser entre eux et leur marché final, en proposant des
formules fluides et attractives d'agrégation de service qui s'appuient sur les ressources et les compétences de la
grande entreprise, mais en la faisant travailler aux conditions de prix et de marge imposées par les plateformes
d'intermédiation. Dans mon rapport de l'an dernier, je chiffrais ce risque de captation de marge et de
détournement de rentabilité à 60 milliards pour les résultats des entreprises françaises, soit la moitié des profits
du CAC 40.
Cette action est maintenant engagée. Plusieurs grands groupes français ont défini des stratégies ambitieuses de
transformation numérique dans lesquelles l'innovation ouverte tient une place centrale. Il y a des équipes, des
lieux spécialisés, des hackatons, des programmes de financement de start-ups et de développement des
commandes et des premières références. Il y a aussi toute une évolution culturelle qui amène à des situations de
responsabilité des personnes plus jeunes et plus réceptives à ces approches. Je le vois au sein de la FING: il y a
encore peu de temps, un gouffre séparait la façon de parler, de s'habiller, de réfléchir les deux côtés de la table
quand nous organisions des rencontres entre grandes entreprises et start-ups. Ce n'est plus vrai aujourd'hui et on
pourrait parfois presque les confondre..
Cette transformation des entreprises est souvent bien accompagnée au niveau local. Plusieurs grandes
métropoles, des départements, des régions animent avec succès des clubs, des cercles d'innovation ouverte ou
elles favorisent la rencontre entre acteurs de l'écosystème local. L'heure est en fait venue de relayer et
d'amplifier ces initiatives au niveau national. C'est au niveau national que se situent en effet un certain nombre
de leviers essentiels pour orchestrer le développement de l'innovation ouverte, qu'il s'agisse de fiscalité, de
formation, de commande publique, de droit des données et de protection de l'innovation. C'est aussi à ce niveau
que s'ancrent un certain nombre de traits culturels français qu'il s'agit de faire évoluer, comme par exemple la
passion pour le modèle colbertiste d'innovation ou comme la mesure de l'état de progression des politiques de
recherche et d'innovation avec le seul instrument d'une comptabilisation du nombre des brevets. On a encore vu
récemment tous les blocages que suscitait la notion de bien commun dans le domaine des connaissances...
C'est finalement l'enjeu de l'Alliance qui est scellée aujourd'hui que de donner ce coup d'accélération à
l'innovation ouverte dont notre pays a besoin!
Philippe Lemoine
Décembre 2015