Art of Poetry and Lutrin
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Art of Poetry and Lutrin
Art of Poetry and Lutrin Nicolas Boileau Translated by Sir William Soames and John Ozell ONEWORLD CLASSICS oneworld classics ltd London House 243-253 Lower Mortlake Road Richmond Surrey TW9 2LL United Kingdom www.oneworldclassics.com Art Poétique first published in 1674 Le Lutrin first published in 1674 and 1683 Translation of Art Poétique published in 1715 Translation of Le Lutrin published in 1752 This edition first published by Oneworld Classics Limited in 2008 Edited text, notes and extra material © Oneworld Classics Ltd, 2008 Printed in Great Britain by Intypelibra, Wimbledon isbn: 978-1-84749-050-6 All the material in this volume is reprinted with permission or presumed to be in the public domain. Every effort has been made to ascertain and acknowledge their copyright status, but should there have been any unwitting oversight on our part, we would be happy to rectify the error in subsequent printings. All rights reserved. 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Ô vous donc qui, brûlant d’une ardeur périlleuse, Courez du bel esprit la carrière épineuse, N’allez pas sur des vers sans fruit vous consumer, Ni prendre pour génie un amour de rimer : Craignez d’un vain plaisir les trompeuses amorces, Et consultez longtemps votre esprit et vos forces. La nature, fertile en esprits excellents, Sait entre les auteurs partager les talents : L’un peut tracer en vers une amoureuse flamme ; L’autre d’un trait plaisant aiguiser l’épigramme ; Malherbe d’un héros peut vanter les exploits ; Racan, chanter Philis, les bergers et les bois : Mais souvent un esprit qui se flatte et qui s’aime Méconnaît son génie, et s’ignore soi-même. Ainsi tel autrefois qu’on vit avec Faret Charbonner de ses vers les murs d’un cabaret, S’en va, mal à propos, d’une voix insolente, Chanter du peuple hébreu la fuite triomphante, Et, poursuivant Moïse au travers des déserts, Court avec Pharaon se noyer dans les mers. Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime, Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime : L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ; La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir. Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue, L’esprit à la trouver aisément s’habitue ; Au joug de la raison sans peine elle fléchit, Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit. Mais lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle, Et pour la rattraper le sens court après elle. 1 10 20 30 art of poetry Canto I Rash Author, ’tis a vain presumptuous crime To undertake the sacred art of rhyme; If at thy birth the stars that ruled thy mind Shone adverse, of the unpoetic kind; Thy want of genius soon shall be betrayed, Phoebus prove deaf, and Pegasus a jade. You, whom the Muses’ siren charms invite To tempt an untried sea and dang’rous flight; Forbear in fruitless verse to lose your time, Or take for genius the desire of rhyme: Fear the allurements of a specious bait, And well consider your own force and weight. Nature abounds every kind of wit, And for each author does a talent fit. One may in verse describe an amorous flame, Another sharpen a short epigram: Prior a hero’s mighty acts extol;* Congreve write comedy and pastoral: But authors that themselves too much esteem, Lose their own genius, and mistake their theme; Thus in times past Du Bartas* vainly writ, Allaying sacred truth with trifling wit; Impertinently, and without delight, Described the Israelites’ triumphant flight, And following Moses o’er the sandy plain, Perished with Pharaoh in th’Arabian main. Whate’er you write of pleasant or sublime, Always let sense accompany your rhyme: Vainly they seem two different ways to draw; Rhyme must be made to close with reason’s law. And when to conquer her you bend your force, The mind will triumph in the noble course; To reason’s yoke she quickly will incline, Which, far from hurting, renders her divine: But, if neglected, will as easily stray, And master reason, which she should obey. 1 10 20 30 nicolas boileau Aimez donc la raison : que toujours vos écrits Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix. La plupart, emportés d’une fougue insensée, Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée : Ils croiraient s’abaisser, dans leurs vers monstrueux, S’ils pensaient ce qu’un autre a pu penser comme eux. Évitons ces excès : laissons à l’Italie De tous ces faux brillants l’éclatante folie. Tout doit tendre au bon sens : mais, pour y parvenir, Le chemin est glissant et pénible à tenir ; Pour peu qu’on s’en écarte, aussitôt l’on se noie. La raison pour marcher n’a souvent qu’une voie. Un auteur quelquefois trop plein de son objet Jamais sans l’épuiser n’abandonne un sujet. S’il rencontre un palais, il m’en dépeint la face ; Il me promène après de terrasse en terrasse ; Ici s’offre un perron ; là règne un corridor, Là ce balcon s’enferme en un balustre d’or. Il compte des plafonds les ronds et les ovales ; « Ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales. » Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin, Et je me sauve à peine au travers du jardin. Fuyez de ces auteurs l’abondance stérile, Et ne vous chargez point d’un détail inutile. Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant ; L’esprit rassasié le rejette à l’instant. Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire. Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire. Un vers était trop faible, et vous le rendez dur ; J’évite d’être long, et je deviens obscur ; L’un n’est point trop fardé, mais sa muse est trop nue ; L’autre a peur de ramper, il se perd dans la nue. Voulez-vous du public mériter les amours, Sans cesse en écrivant variez vos discours. Un style trop égal et toujours uniforme En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme On lit peu ces auteurs, nés pour nous ennuyer, Qui toujours sur un ton semblent psalmodier. 40 50 60 70 art of poetry Love reason then: and let whate’er you write Borrow from her its beauty, worth and light. Most writers, mounted on a resty mule, Extravagant and senseless objects choose; They think they err if in their verse they fall On any thought that’s plain, or natural: Fly this excess, and let Italians be Vain authors of false glitt’ring poetry. All ought to aim at sense, but most in vain Strive the hard pass and slipp’ry height to gain: You’re lost if you the right or left prefer: Reason has but one way, and cannot err. Sometimes an author, fond of his own thought, Pursues his object till ’tis overwrought: If he describes a house, he shows the face, And after walks you round from place to place; Here is a vista, there the doors unfold, Balconies here are balustred with gold; Then counts the rounds and ovals in the hall, “The frieze, the festoon and the astragal”. Tired with this tedious pomp, away I run, And skip o’er twenty pages to be gone. Of such descriptions the vain folly see, And shun their barren superfluity. All that is needless carefully avoid, The mind, once satisfied, is quickly cloyed: He cannot write who knows not to give o’er. To mend one fault he makes a hundred more: A verse was weak, you turn it much too strong, And grow obscure, for fear you should be long. Some are not gaudy, but are flat and dry; Not to be low, another soars too high. Would you of everyone deserve the praise? In writing, vary your discourse and phrase; A frozen style, that neither ebbs or flows, Instead of pleasing, makes us gape and doze. Those tedious authors are esteemed by none Who tire us, humming the same heavy tone. 40 50 60 70 nicolas boileau Heureux qui, dans ses vers, sait d’une voix légère Passer du grave au doux, du plaisant au sévère ! Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs, Est souvent chez Barbin entouré d’acheteurs. Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse : Le style le moins noble a pourtant sa noblesse. Au mépris du bon sens, le burlesque effronté Trompa les yeux d’abord, plut par sa nouveauté : On ne vit plus en vers que pointes triviales ; Le Parnasse parla le langage des halles ; La licence à rimer alors n’eut plus de frein ; Apollon travesti devint un Tabarin. Cette contagion infecta les provinces, Du clerc et du bourgeois passa jusques aux princes : Le plus mauvais plaisant eut ses approbateurs ; Et, jusqu’à d’Assoucy, tout trouva des lecteurs. Mais de ce style enfin la cour désabusée Dédaigna de ces vers l’extravagance aisée, Distingua le naïf du plat et du bouffon, Et laissa la province admirer le Typhon. Que ce style jamais ne souille votre ouvrage. Imitons de Marot l’élégant badinage Et laissons le burlesque aux plaisants du pont Neuf. Mais n’allez point aussi, sur les pas de Brébeuf, Même en une Pharsale, entasser sur les rives, « De morts et de mourants cent montagnes plaintives. » Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art, Sublime sans orgueil, agréable sans fard. N’offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire. Ayez pour la cadence une oreille sévère : Que toujours dans vos vers le sens coupant les mots, Suspende l’hémistiche, en marque le repos. Gardez qu’une voyelle à courir trop hâtée Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée. Il est un heureux choix de mots harmonieux. Fuyez des mauvais sons le concours odieux : Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée. 80 90 100 110 art of poetry Happy who in his verse can gently steer From grave to light, from pleasant to severe: His works, wherever found, the world admires, And Curll and Sanger* shall be teased with buyers. In all you write, be neither low nor vile: The meanest theme may have a proper style. The dull burlesque* appeared with impudence, And pleased by novelty, in spite of sense. All, except trivial points, grew out of date; Parnassus spoke the cant of Billingsgate: Boundless and mad, disordered rhyme was seen: Disguised Apollo changed to Harlequin. This plague, which first in country towns began, Cities and kingdoms quickly overran; The lewdest scribblers some admirers found, And our mock-Virgil* was a while renowned: But this low stuff the town at last despised, And scorned the folly that they once had prized; For wit and nature had a just regard, And left the country to admire Ned Ward.* Let not so mean a style your muse debase, But learn from Garth* the true satiric grace: And let burlesque in ballads be employed. Yet noisy bombast carefully avoid, Nor think by loud tempestuous phrase to rise, “Exploded thunder tears th’embowelled skies”.* Nor, with Sylvester, “bridle up the floods, And periwig with snow the bald-pate woods”.* Choose a right key, be grave without constraint, Great without pride, and lovely without paint: Write what your reader may be pleased to hear – And, for the measure, have a careful ear. On easy numbers fix your happy choice; Of jarring sounds avoid the odious noise: The fullest verse and the most laboured sense, Displease us, if the ear once take offence. Our ancient verse (as homely as the times) Was rude, unmeasured, only tagged with rhymes. 80 90 100 110 nicolas boileau Durant les premiers ans du Parnasse français Le caprice tout seul faisait toutes les lois. La rime, au bout des mots assemblés sans mesure, Tenait lieu d’ornements, de nombre et de césure. Villon sut le premier dans ces siècles grossiers, Débrouiller l’art confus de nos vieux romanciers. Marot bientôt après fit fleurir les ballades, Tourna des triolets, rima des mascarades, À des refrains réglés asservit les rondeaux, Et montra pour rimer des chemins tout nouveaux. Ronsard, qui le suivit par une autre méthode, Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode, Et toutefois longtemps eut un heureux destin. Mais sa muse, en français parlant grec et latin, Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque, Tomber de ses grands mots le faste pédantesque. Ce poète orgueilleux, trébuché de si haut, Rendit plus retenus Desportes et Bertaut. Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, Fit sentir dans les vers une juste cadence, D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, Et réduisit la muse aux règles du devoir. Par ce sage écrivain la langue réparée N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée. Les stances avec grâce apprirent à tomber, Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber. Tout reconnut ses lois ; et ce guide fidèle Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle. Marchez donc sur ses pas ; aimez sa pureté, Et de son tour heureux imitez la clarté. Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre, Mon esprit aussitôt commence à se détendre, Et, de vos vains discours prompt à se détacher, Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher. Il est certains esprits dont les sombres pensées Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ; Le jour de la raison ne le saurait percer. Avant donc que d’écrire apprenez à penser. 120 130 140 150 art of poetry Number and cadence, that have since been shown, To those unpolished writers were unknown.* Chaucer* was he who in that darker age By nature’s rules restrained poetic rage; Spenser* did next in pastorals excel, And taught the noble art of writing well: To stricter rules the stanza did confine, And found for poetry a richer mine. Then D’Avenant came, who with a newfound art Changed all, spoilt all, and had his way apart: His haughty muse all others did despise, And thought in triumph to bear off the prize, Till the sharp-sighted critics of the times In their mock Gondibert* exposed his rhymes; The laurels he assumed, they did refuse, And dashed the hopes of his aspiring muse. This headstrong writer, falling from on high, Made following authors take less liberty. Waller* came last, but was the first whose art Just weight and measure did to verse impart, Who of a well-placed word could teach the force, And showed for poetry a nobler course: His happy genius our rough tongue refined, And easy words with pleasing numbers joined; His flowing verses in good method ranged, And to soft harmony harsh discourse changed. His laws, which have with long success been tried, To present authors now may be a guide. Tread boldly in his steps, secure from fear, And be, like him, in your expressions clear. If in your loit’ring verse your sense decays, My patience tires, and my attention strays, And from your vain discourse I turn my mind, Nor search an author difficult to find. There is a kind of writer pleased with sound, Whose fustian head with clouds is compassed round: No reason can disperse ’em with its light; Learn then to think, ere you pretend to write, 120 130 140 150 nicolas boileau Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure. Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. Surtout qu’en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée. En vain vous me frappez d’un son mélodieux, Si le terme est impropre, ou le tour vicieux ; Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme, Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme. Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain. Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse, Et ne vous piquez point d’une folle vitesse ; Un style si rapide, et qui court en rimant, Marque moins trop d’esprit, que peu de jugement. J’aime mieux un ruisseau qui sur la molle arène Dans un pré plein de fleurs lentement se promène, Qu’un torrent débordé qui, d’un cours orageux, Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux. Hâtez-vous lentement ; et, sans perdre courage, Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : Polissez-le sans cesse et le repolissez ; Ajoutez quelquefois, et souvent effacez. C’est peu qu’en un ouvrage où les fautes fourmillent, Des traits d’esprit semés de temps en temps pétillent. Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu ; Que le début, la fin répondent au milieu ; Que d’un art délicat les pièces assorties N’y forment qu’un seul tout de diverses parties : Que jamais du sujet le discours s’écartant N’aille chercher trop loin quelque mot éclatant. Craignez-vous pour vos vers la censure publique ? Soyez-vous à vous-même un sévère critique. L’ignorance toujours est prête à s’admirer. Faites-vous des amis prompts à vous censurer ; Qu’ils soient de vos écrits les confidents sincères, Et de tous vos défauts les zélés adversaires. 10 160 170 180 art of poetry As are our sentiments obscure or clear, So will our diction bright or dull appear; What we conceive, with ease we can express; Words to the notions flow with readiness. Observe the language well in all you write, And swerve not from it in your loftiest flight. The smoothest verse, and the exactest sense Displease us, if bad English give offence: A barb’rous phrase no reader can approve; Nor bombast, noise or affectation love. Without true style, the labours of the muse Can neither profit or delight produce. Take time for thinking, never work in haste – And value not yourself for writing fast. A rapid poem, with such fury writ, Shows want of judgement, not abounding wit, More pleased we are to see a river lead His gentle streams along a flow’ry mead Than from high banks to hear loud torrents roar, With foamy waters on a muddy shore. Gently make haste, of labour not afraid; Consider twenty times of what you’ve said: Polish, repolish, every colour lay, And sometimes add, but oft’ner take away. ’Tis not enough, when swarming faults are writ, That here and there are scattered sparks of wit; Each object must be fixed in the due place, And diff’ring parts have corresponding grace: Till, by a curious art disposed, we find One perfect whole, of all the pieces joined. Keep to your subject close, in all you say, Nor for a sounding sentence lose the way. The public censure for your writings fear, And to yourself be critic most severe. Fantastic wits their darling follies love, But find you faithful friends that will reprove, That on your works may look with careful eyes, And of your faults be zealous enemies: 11 160 170 180 nicolas boileau Dépouillez devant eux l’arrogance d’auteur ; Mais sachez de l’ami discerner le flatteur Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue. Aimez qu’on vous conseille et non pas qu’on vous loue. Un flatteur aussitôt cherche à se récrier : Chaque vers qu’il entend le fait extasier. Tout est charmant, divin : aucun mot ne le blesse ; Il trépigne de joie, il pleure de tendresse ; Il vous comble partout d’éloges fastueux : La vérité n’a point cet air impétueux. Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible, Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible : Il ne pardonne point les endroits négligés, Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés, Il réprime des mots l’ambitieuse emphase ; Ici le sens le choque, et plus loin c’est la phrase. Votre construction semble un peu s’obscurcir ; Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir. C’est ainsi que vous parle un ami véritable. Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable À les protéger tous se croit intéressé, Et d’abord prend en main le droit de l’offensé. De ce vers, direz-vous, l’expression est basse, — Ah ! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce, Répondra-t-il d’abord. — Ce mot me semble froid ; Je le retrancherais. — C’est le plus bel endroit ! — Ce tour ne me plaît pas. — Tout le monde l’admire. Ainsi toujours constant à ne se point dédire, Qu’un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser, C’est un titre chez lui pour ne point l’effacer. Cependant, à l’entendre, il chérit la critique ; Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique, Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter N’est rien qu’un piège adroit pour vous les réciter. Aussitôt il vous quitte ; et, content de sa muse, S’en va chercher ailleurs quelque fat qu’il abuse : Car souvent il en trouve : ainsi qu’en sots auteurs, Notre siècle est fertile en sots admirateurs ; 12 190 200 210 220 art of poetry Lay by an author’s pride, be never vain, Esteem a friend, the flatterer disdain, Who seems to like, but means not what he says: Embrace true counsel, but suspect false praise. A sycophant will everything admire; Each verse, each sentence sets his soul on fire: All is divine! There’s not a word amiss! He shakes with joy, and weeps with tenderness; He burdens you with praise, he stamps, he stares, “’Tis admirable! Exquisite!” he swears. But Truth ne’er puts on those impetuous airs. A faithful friend is careful of your fame, And freely will your heedless errors blame; He cannot pardon a neglected line, But verse to rule and order will confine, Reproves of words the too affected sound; Here the sense shocks, there your expression’s round, Your fancy flags and your discourse grows vain, Your terms improper – make ’em just and plain. Thus ’tis a faithful friend will freedom use; But authors, partial to their darling muse, Think to protect it they’ve a just pretence, And at your friendly counsel take offence. “Said you of this that the expression’s flat?” “Your servant, Sir, you must excuse me that.” He answers you. “This word has here no grace, Pray leave it out.” “That, Sir’s the proper’st place.” “This turn I like not.” ’Tis approved by all. Thus, resolute not from a fault to fall. If there’s a syllable of which you doubt, ’Tis his sure reason not to blot it out. Yet still he says you may his faults confute, And over him your pow’r is absolute: But of his feigned humility take heed; ’Tis a bait laid, to make you hear him read: And when he leaves you, happy in his muse, Restless he runs, some other to abuse, And often finds; for in our scribbling times 13 190 200 210 220 nicolas boileau Et, sans ceux que fournit la ville et la province, Il en est chez le duc, il en est chez le prince. L’ouvrage le plus plat a, chez les courtisans, De tout temps rencontré de zélés partisans ; Et, pour finir enfin par un trait de satire, Un sot trouve toujours un plus sot qui l’admire. 14 230 art of poetry No fool can want a sot to praise his rhymes: The flattest work had ever, ev’n at Court, Met with some zealous ass for its support: And in all times a forward, scribbling fop Has found some greater fool to cry him up. 15 230 nicolas boileau Chant II Telle qu’une bergère, au plus beau jour de fête, De superbes rubis ne charge point sa tête, Et sans mêler à l’or l’éclat des diamants, Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements. Telle, aimable en son air, mais humble dans son style, Doit éclater sans pompe une élégante idylle. Son tour simple et naïf n’a rien de fastueux, Et n’aime point l’orgueil d’un vers présomptueux. Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille, Et jamais de grands mots n’épouvante l’oreille. Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois Jette là de dépit la flûte et le hautbois, Et follement pompeux, dans sa verve indiscrète, Au milieu d’une églogue entonne la trompette. De peur de l’écouter, Pan fuit dans les roseaux, Et les Nymphes, d’effroi, se cachent sous les eaux. Au contraire, cet autre, abject en son langage Fait parler ses bergers comme on parle au village. Ses vers plats et grossiers depouillés d’agrément, Toujours baisent la terre, et rampent tristement : On dirait que Ronsard sur ses « pipeaux rustiques » Vient encor fredonner ses idylles gothiques, Et changer, sans respect de l’oreille et du son, Lycidas en Pierot, et Philis en Toinon. Entre ces deux excès la route est difficile. Suivez, pour la trouver, Théocrite et Virgile : Que leurs tendres écrits, par les Grâces dictés, Ne quittent point vos mains, jour et nuit feuilletés. Seuls, dans leurs doctes vers, ils pourront vous apprendre, Par quel art sans bassesse un auteur peut descendre, Chanter Flore, les champs, Pomone, les vergers ; Au combat de la flûte animer deux bergers, Des plaisirs de l’amour vanter la douce amorce, Changer Narcisse en fleur, couvrir Daphné d’écorce ; Et par quel art encor l’églogue quelquefois Rend dignes d’un consul la campagne et les bois.* 16 1 10 20 30 art of poetry Canto II As on a gaudy day some shepherdess Does not her head with sparkling diamonds dress, But without gold or pearl or costly scents Gathers from neighb’ring fields her ornaments, So, unaffected, is the pastoral strain, Fair without pomp, and elegantly plain. Its humble method nothing has of fierce, And hates the rattling of Lee’s* tragic verse: There, native beauty pleases and excites, And never with harsh sounds the ear affrights. But in this style a rhymer, often spent, In rage throws by his rural instrument And vainly, when disordered thoughts abound, Amidst the eclogue makes the trumpet sound: Pan flies, alarmed, into the neighb’ring woods, And frighted nymphs dive down into the floods. Another, in an abject clownish style, Makes shepherds speak a language base and vile; His stupid writings most profoundly creep, Barren of wit, provocatives of sleep; You’d swear Tom D’Urfey,* in his rustic strains, Was quav’ring to the milkmaids and the swains, Changing, without respect to sound or dress, Strephon and Phyllis into Tom and Bess. ’Twixt these extremes ’tis hard to please the town – Read Virgil, Spenser, poets of renown, And equally avoid the courtier and the clown. Be their soft lines, by ev’ry Grace inspired, Your constant pattern, practised and admired. By them alone you’ll quickly comprehend How poets, without shame, may condescend To sing of gardens, fields, of flow’rs and fruit, To stir up shepherds, and to tune the flute, Of love’s reward to tell the happy hour, Daphne a tree, Narcissus made a flow’r, And by what helps the eclogue* you may raise, 17 1 10 20 30 nicolas boileau Telle est de ce poème et la force et la grâce. D’un ton un peu plus haut, mais pourtant sans audace, La plaintive élégie en longs habits de deuil, Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil. Elle peint des amants la joie et la tristesse ; Flatte, menace, irrite, apaise une maîtresse. Mais, pour bien exprimer ces caprices heureux, C’est peu d’être poète, il faut être amoureux. Je hais ces vains auteurs, dont la muse forcée M’entretient de ses feux, toujours froide et glacée ; Qui s’affligent par art, et fous de sens rassis, S’érigent pour rimer en amoureux transis. Leurs transports les plus doux ne sont que phrases vaines. Ils ne savent jamais que se charger de chaînes, Que bénir leur martyre, adorer leur prison, Et faire quereller le sens et la raison. Ce n’était pas jadis, sur ce ton ridicule Qu’amour dictait les vers que soupirait Tibulle, Ou que, du tendre Ovide animant les doux sons, Il donnait de son art les charmantes leçons. Il faut que le cœur seul parle dans l’élegie. L’ode, avec plus d’éclat, et non moins d’énergie Élevant jusqu’au ciel son vol ambitieux, Entretient dans ses vers commerce avec les dieux. Aux athletès dans Pise elle ouvre la barrière, Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière, Mène Achille sanglant aux bords du Simoïs, Ou fait fléchir l’Escaut sous le joug de Louis. Tantôt comme une abeille ardente à son ouvrage, Elle s’en va de fleurs dépouiller le rivage ; Elle peint les festins, les danses et les ris ; Vante un baiser cueilli sur les lèvres d’Iris, « Qui mollement résiste, et par un doux caprice, « Quelquefois le refuse, afin qu’on le ravisse. » Son style impétueux souvent marche au hasard. Chez elle un beau désordre est un effet de l’art. Loin ces rimeurs craintifs, dont l’esprit flegmatique Garde dans ses fureurs un ordre didactique ; 18 40 50 60 70 art of poetry To make it worthy Halifax’s* praise. This of such writings is the nicest part; He who writes thus will show a master’s art. The elegy requires a nobler flight – Should soar a higher pitch, but keep in sight: In plaintive dirges and a mournful style, With unbound hair weeps at a funeral pile; It paints the lover’s torments and delights, How the nymph flatters, threatens and invites: But if you would these raptures well infuse, You must a mistress have, as well as muse. I hate those lukewarm authors, whose forced fire In a cold style describes a hot desire, Who sigh by rule and, raging in cool blood, Their sluggish muse whip to an amorous mood: Their ecstasies insipidly they feign And always pine, and fondly hug their chain, Adore their prison, and their suff’rings bless, Make sense and reason quarrel as they please. ’Twas not of old in this affected tone That smooth Tibullus made his amorous moan; Nor Ovid when, instructed from above, By Nature’s rules he taught the art of love. You who in elegy would justly write Consult yourself, and let the heart indite. But the bold ode demands a stronger turn, For there the muse must with all Phoebus burn; Mounting to heav’n in her ambitious flight, Amongst the gods and heroes takes delight; Of Pisa’s* wrestlers tells the sinewy force, And sings the dusty conqu’ror’s glorious course; On Danube’s banks victorious Marlborough* seen, And Spanish Iber bows to Britain’s Queen. Sometimes she flies, like an industrious bee, And robs the flow’rs by Nature’s chemistry, Describes the shepherds’ dances, feasts and bliss, And boasts from Phyllis to surprise a kiss, When gently she resists with feigned remorse,* 19 40 50 60 70 nicolas boileau Qui chantant d’un héros les progrès éclatants, Maigres historiens, suivront l’ordre des temps. Ils n’osent un moment perdre un sujet de vue, Pour prendre Dole, il faut que Lille soit rendue, Et que leur vers exact, ainsi que Mézerai, Ait fait déjà tomber les remparts de Courtrai. Apollon de son feu leur fut toujours avare. On dit, à ce propos, qu’un jour ce dieu bizarre Voulant pousser à bout tous les rimeurs français, Inventa du sonnet les rigoureuses lois ; Voulut qu’en deux quatrains de mesure pareille La rime avec deux sons frappât huit fois l’oreille ; Et qu’ensuite six vers artistement rangés Fussent en deux tercets par le sens partagés. Sur tout de ce poème il bannit la licence : Lui-même en mesura le nombre et la cadence ; Défendit qu’un vers faible y pût jamais entrer, Ni qu’un mot déjà mis osât s’y remontrer. Du reste il l’enrichit d’une beauté suprême. Un sonnet sans défauts vaut seul un long poème. Mais en vain mille auteurs y pensent arriver, Et cet heureux phénix est encor à trouver. À peine dans Gombauld, Maynard et Malleville En peut-on supporter deux ou trois entre mille : Le reste aussi peu lu que ceux de Pelletier, N’a fait de chez Sercy qu’un saut chez l’épicier. Pour enfermer son sens dans la borne prescrite La mesure est toujours trop longue ou trop petite. L’épigramme, plus libre, en son tour plus borné, N’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné. Jadis de nos auteurs les pointes ignorées Furent de l’Italie en nos vers attirées. Le vulgaire ébloui de leur faux agrément, À ce nouvel appât courut avidement. La faveur du public excitant leur audace, Leur nombre impétueux inonda le Parnasse. Le madrigal d’abord en fut enveloppé. Le sonnet orgueilleux lui-même en fut frappé. 20 80 90 100 110 art of poetry That what she grants may seem to be by force: Her generous style will oft at random start, And by a brave disorder show her art. Unlike those fearful poets, whose cold rhyme In all their raptures keeps exactest time, Who sing th’illustrious hero’s mighty praise (Learn, novelists!) by terms of weeks and days; Who for a poem do a journal show And tell their tale like Holinshed or Stow;* Who trace their hero through a whole campaign, And mark each circumstance on Blenheim plain. To these Apollo, niggard of his fire, Denies a place in the Pierian choir. The humorous god once took it in his head To plague the scribbling tribe, as some have said, And that he might their lab’ring brains confound For the short sonnet ordered a strict bound: Set rules for the just measure, and the time, The easy running, and alternate rhyme; But, above all, those licences denied Which in these writings the lame sense supplied; Forbad a useless line should find a place, Or a repeated word appear with grace. A faultless sonnet, finished thus, would be Worth tedious volumes of loose poetry. A hundred scribbling authors, without ground Believe they have this only Phoenix found: When yet th’exactest scarce have two or three (Among whole tomes) from faults and censure free. The rest, but little read, regarded less, Are shovelled to the pastry from the press. Closing the sense within the measured time, ’Tis hard to fit the reason to the rhyme. The epigram, with little art composed, Is one good sentence in a distich closed. These points, which by Italians first were prized, Our ancient authors knew not, or despised: To their false pleasures quickly they invite; 21 80 90 100 110