Multisectorialité et multidirectionnalité dans la lutte contre le
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Multisectorialité et multidirectionnalité dans la lutte contre le
MULTISECTORIALITE ET MULTIDIRECTIONNALITE DANS LA LUTTE CONTRE LE VIH-SIDA EN COTE D’IVOIRE Aby Sangaré Institut de Linguistique Appliquée Université de Cocody- Abidjan (Côte d’Ivoire) [email protected] INTRODUCTION Aujourd’hui, il ne fait plus de doute que le chemin de la victoire sur le VIH-SIDA passe nécessairement par l’information et la communication. A ce sujet le Ministre Christine Nebout Adjobi, chargée du Ministère de la Lutte contre le SIDA disait lors de la cérémonie d'inauguration du Centre National de Documentation et d'Information sur le VIH-SIDA le15 septembre 2010 : « L'information et la communication de masse sont devenues des armes efficaces du développement. C’est pourquoi devant le problème que constitue le VIH/SIDA en Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier, les NTIC qui permettent de toucher un grand nombre de personnes constituent des armes décisives et offrent de grandes opportunités de lutte contre l’infection et la maladie ». Puis ensuite: « (…) comment pouvons-nous réduire, et la prévalence du VIH/SIDA, et le nombre de nouvelles infections dans notre pays, si le plus grand nombre de nos concitoyens n'ont pas accès à l'information juste et vraie (…)? »1. Le professeur Bonfoh Bassirou, chercheur au Centre Suisse de Recherches Scientifiques (CSRS) en Côte d'Ivoire ne dit pas autre chose lorsqu’il déclare à Inter Press Service (IPS) Afrique fin 2007: « L'engagement des gouvernements africains contre la pandémie est certes exemplaire, mais ils n'atteindront pas leurs objectifs, à long terme, tant qu'il existera cette disparité dans les moyens de communication entre la ville et le village »2. Ainsi donc, comme le dit ce slogan, en nouchi, utilisé pour la lutte contre le VIH-SIDA, « Quand t’es yêrê, t’es cool » ; ce qui signifie : « Quand tu es informé, tu es serein ». Dans le domaine de la lutte contre le VIH-SIDA quand peut-on dire que quelqu’un est yêrê ? Pour celui qui est déjà infecté, « être yêrê » c’est avoir les informations qu’il faut pour mieux gérer son statut. Pour celui qui ne l’est pas, c’est connaître le VIH-SIDA afin de mieux le contrer et s’en prémunir. Comme on le constate, pour « être yêrê » il faut qu’il y ait communication. De quelle communication s’agit-il ? Voyons d’abord ce qu’on peut entendre par communication. I- LA COMMUNICATION ? I-1- Une définition succincte On entend par communication le processus de transmission d’un message mis en forme selon ²un code (ou vecteur), parlant de quelque chose qui en constitue le référent, et circulant d’un (ou des) émetteur(s) vers un (ou des) récepteur(s) via un canal. C’est aussi l'ensemble des 1 2 Code de champ modifié Cf http://www.mlsida.gouv.ci/index.php/chiffres-du-sida/roktabs/330-mot-du-ministre. Cf http://ipsinternational.org/fr/_note.asp?idnews=3800 Code de champ modifié 1 moyens et des techniques permettant la diffusion d'un message auprès d'une audience plus ou moins vaste et hétérogène. Ceci pour souligner la complexité de ce qui nous réunit ici aujourd’hui. Selon que l’accent est mis sur l’un ou l’autre de ces éléments on aura un type particulier de communication. De plus, en fonction de la nature du code employé, la communication sera verbale ou non verbale d’une part, visuelle, auditive ou tactile, d’autre part. I-2- Les principaux types de communication3 1) La communication inter personnelle : basée sur l’échange qui consiste en un entretien face à face, c’est un échange d’informations entre deux individus qui peuvent se voir et s’entendre (Entretien, assistance, conseil). Dans ce cadre simplifié, pour communiquer, l'émetteur et le récepteur doivent disposer d'un code commun. L'absence de code commun pourrait être à la base d’un échec de la communication, chacun pouvant supposer que l'autre comprend son code, sans que cela soit le cas. Elle est surtout utilisée par les soignants et les conseillers. 2) La communication de groupe : basée sur la transmission d'information à l’endroit d'une certaine catégorie de personnes, elle s’intéresse à un grand public directement, sans utilisation de mass-média (c’est le type assemblée générale). Elle utilise généralement des diapositives des films, des albums de photos, des vidéos, etc. Elle est la plupart du temps pratiquée par les vulgarisateurs, les enseignants, les animateurs, etc. Même si elle tient un peu compte de la spécificité du groupe, elle met plus l’accent sur le contenu à communiquer. Utilisée par exemple par les associations de personnes infectées. 3) La communication de masse : c’est le type de communication qui s’étend à un grand public. S'adressant à un public vaste et indifférencié, elle est surtout utilisée dans le cadre de grandes campagnes de sensibilisation. Elle met en scène un émetteur (ou un ensemble d'émetteurs liés entre eux) et de nombreux récepteurs et elle utilise les mass-médias. Seul le contenu à communiquer compte réellement. Utilisée par exemple par les gouvernements pour les campagnes nationales. 4) La communication traditionnelle ou communautaire : le plus souvent, les communautés constituées disposent de systèmes, d'outils et de réseaux habituels de communication. Ils sont conçus et gérés directement par eux pour répondre à leurs besoins d'information, d'éducation, de divertissement, de débat, de gestion des conflits locaux. Les règles de la communication traditionnelle ou communautaire varient beaucoup selon le contexte historique et culturel dans lequel se situent ces communautés. Les moyens les plus couramment utilisés sont les assemblées villageoises, le théâtre et les représentations de marionnettes, les chansons, les proverbes, les devinettes, les récits, les contes, les visites inter-villageoises, etc. Généralement, ce type de communication favorise l'adoption d'idées ou de techniques nouvelles, ou au contraire s'oppose à leur introduction en les freinant. Elle vise l’échange d’informations et se fonde sur la participation active et consciente des différents membres de la communauté. Utilisée par exemple par les ONG. 5) La communication institutionnelle : la communication institutionnelle est celle qui a lieu principalement dans les réunions, les séminaires, les journées d'études, de réflexion ou d'information,... 3 Cf http://www.intellego.fr/soutien-scolaire-Universite/aide-scolaire-Communication/b%29-Definition-de-lacommunication-interpersonnelle-Formation-gratuite-en-ligne-sur-la-communication-interpersonnelle/25045 Code de champ modifié 2 organisés au niveau national, régional ou au niveau de projets. Elle vise à mieux faire connaître une structure ou son produit par la persuasion. Utilisée par exemple par la marque de préservatif Prudence. II- LA COMMUNICATION SUR LE VIH-SIDA EN COTE D’IVOIRE II-1- Synopsis de la démarche ivoirienne en matière de choix communicatifs Depuis la découverte des premiers cas de SIDA en 1985 en Côte d'Ivoire, le nombre de malades n'a pas cessé d'augmenter. La prévalence du VIH-SIDA a connu une progression rapide dans le pays, faisant ainsi de la Côte d'Ivoire le pays le plus touché de l'Afrique de l'Ouest avec une séroprévalence moyenne de 10% en 2001, et à partir de 1998, le VIH-SIDA est devenu la première cause de décès chez les adultes de sexe masculin et la deuxième cause de décès chez les femmes ( Aujourd’hui, les femmes, les prostituées, les jeunes et les migrants sont les populations les plus vulnérables). Ceci a agit comme un électrochoc sur les autorités et la société civile, provoquant ainsi un changement dans la gestion du problème. Pour gérer autrement le problème, on a décidé de communiquer. En effet, si au début de l’épidémie, alors que partout ailleurs dans le monde des voix s’élevaient pour tirer sur la sonnette d’alarme, le Ministre de la Santé d’alors avait décrété que le SIDA n’existait pas dans le pays, et que le Gouvernement accordait très peu d’importance à la prévention, à partir de 1998 on décida d’informer la population. Ainsi, les premières campagnes virent le jour et elles fonctionnaient sur la base de la communication de masse. Les problèmes avec ces premières campagnes, c’est qu’elles se sont orientées vers le choix de messages alarmants, avec des images effrayantes, dont l’objectif était de faire peur aux populations afin de les amener à changer de comportement. Elles n’eurent pas l’impact escompté car le taux de prévalence ne baissait pas. Cette situation amena les acteurs impliqués dans le combat à expérimenter les autres formes de communication. Aujourd’hui on peut dire que tous les types de communication sont exploités et que chaque intervenant en fonction de sa spécificité et de sa cible s’oriente vers une option. II-2- De la globalisation à la multisectorialité En 1987, la Côte d'Ivoire a institué un Comité National de Lutte contre le SIDA. Ses activités étaient essentiellement axées sur la surveillance épidémiologique, l'information, l'éducation et la communication pour la promotion de l'utilisation des préservatifs. Mais spatialement, celles-ci étaient circonscrites aux grands centres urbains. En effet, malgré la radio et la télévision qui portaient les messages à travers le pays, l’impact était limité à cause du fait que certains, pour des raisons d’ordre professionnel ou de conditions de vie, n’ont pas accès aux messages radiodiffusés. L’engagement du Gouvernement ivoirien dans la lutte se renforce en 2001 avec la création du Ministère de la Lutte contre le Sida. Celui-ci a pour tâche de planifier, orienter, coordonner, suivre et évaluer les programmes de lutte contre le Sida. Il assure également la mobilisation des fonds et des expertises en faveur des différents acteurs de la lutte. La décentralisation et la multisectorialité deviennent les stratégies majeures. La première permet au Ministère de se faire relayer à travers le pays par des comités ou des associations de lutte contre le VIH-SIDA. C’est donc l’extension géographique des interventions du ministère. La seconde, elle, nécessite l‘implication de tous les acteurs et secteurs socio-économiques. Au-delà d’une simple collaboration avec le Ministère de la Lutte contre le SIDA, elle exige une implication des autres secteurs en tant qu’acteurs à part entière dans la lutte. La multisectorialité trouve sa justification dans le fait que la pandémie pose des problèmes d’ordre humain, économique et social et que la portée de ces problèmes déborde largement le champs d’action du Ministère de la Lutte contre le Sida et même du Ministère de la Santé. 3 Le résultat de cette orientation est qu’il existe en Côte d’Ivoire, plus de cinq cent (500) ONG et associations qui font de la lutte contre le SIDA leur activité principale. Ces organisations exercent la plupart de leurs activités grâce aux concours financiers de certains «partenaires bilatéraux et multilatéraux ». Selon le Ministre Christine Nebout Adjobi leur action est en train de payer. Parce qu’à la fin de 2008 l'ONUSIDA déclarait que le taux de prévalence pour la Côte d’Ivoire était passé de 4,7% à 3,9% et qu’à la fin de 2009, ce pourcentage est encore descendu à 3,4%4. Cependant, selon le rapport national 2010 du Ministère de la Lutte contre le Sida, « malgré une riposte nationale multisectorielle le sida reste un problème de santé publique en Côte d’ Ivoire ». D’après l’article de Ilboudo A. Lebel (2008), si la Côte d’Ivoire demeure un des pays les plus touchés de la sous-région Ouest-Africaine, c’est parce qu’une partie importante des sommes allouées aux différentes structures est affectée à leurs dépenses de fonctionnement plutôt qu’à la lutte proprement dite. Il ya peut-être du vrai dans ce point de vue. Mais à mon avis, le manque de multidirectionnalité réelle est un facteur non négligeable. Car sans elle, on continuera à marginaliser des pans entiers de la population or comme le dit le slogan du Ministère de la Lutte contre le Sida : « Le sida, une affaire de tous ». II-3-Une sous utilisation des langues nationales comme preuve du manque de multidirectionnalité Très peu de projets exploitent la richesse du patrimoine linguistique ivoirien, même si ce n’est pas l’unique raison, cela s’explique en grande partie par une sous-estimation des ressources communicationnelles des langues nationales dont les linguistes, tels « frappés de la malédiction de Sisyphe » (Tourneux : 2008) n’ont de cesse de clamer l’existence et les avantages. Généralement les non spécialistes pensent que les langues africaines ne disposent pas de ressources suffisantes pour parler de certaines choses. Cette situation de laissées pour compte des langues maternelles est d’autant plus paradoxale que tous les organismes internationaux, dont certains financent régulièrement les campagnes de lutte contre le VIH-SIDA, se positionnent comme des défenseurs de la cause des langues nationales. Ainsi en 2001 l’Union Africaine a créé l’Académie Africaine des Langues (ACALAN) dont l’objectif fondamental est la promotion des langues africaines et Sozinho Francisco M., Secrétaire Exécutif de cette structure, disait le 11 mars 2010 à Dakar : « On ne peut pas prétendre au développement et à l’intégration du continent sans la prise en compte des langues nationales. » Au plan international, on peut dire que la prise de conscience de la nécessité de promouvoir l’utilisation de ces langues dans des secteurs modernes de communication remonte au milieu du XXe siècle, période à laquelle il a été fait mention des droits linguistiques dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU. Cette prise de conscience a culminé en 1996 avec la signature à Barcelone (Espagne) de la Déclaration universelle des droits linguistiques qui stipule en son article 7 alinéa 1 : « Toutes les langues sont l’expression d’une identité collective et d’une manière distincte de percevoir et de décrire la réalité ; de ce fait, elles doivent pouvoir bénéficier des conditions requises pour leur développement dans tous les domaines ». 4 Cf le site du Ministère de la lute contre le Sida: http://www.mlsida.gouv.ci/index.php/chiffres-dusida/roktabs/330-mot-du-ministre 4 III- MULTIDIRECTIONNALITE ET LUTTE CONTRE LE VIH-SIDA EN COTE D’IVOIRE III-1- Que faut-il entendre par multidirectionnalité ? Replacés dans la perspective de l’acte de communication, on peut dire que si avec la multisectorialité on met l’accent sur le pôle émetteur en diversifiant les acteurs, avec la multidirectionnalité on met l’accent sur le pôle récepteur en tenant compte des particularités de la cible. Ainsi, si la première permet à chaque acteur d’aborder les aspects de la lutte qui lui sont spécifiques, la seconde, elle, permet de prendre en compte les variations d’ordre individuel, socioculturel, socioprofessionnel, etc. afin d’adapter les messages, les conseils et les interactions III-2- Multidirectionnalité et langues dans la lutte contre le VIH-SIDA en Côte d’Ivoire La réorientation de la méthodologie de lutte vers la multisectorialité, même si elle a donné de bons résultats, laisse en suspens un certain nombre de problèmes dont le moindre n’est pas le choix du médium de communication. En effet, en matière de VIH-SIDA en Côte d’Ivoire, comme cela a déjà été souligné, la communication se fait essentiellement en français sans que l’on tienne réellement compte de la situation linguistique et socioculturelle du pays. Tout se passe comme si la Côte d’Ivoire était un pays monolingue avec le français comme seule langue ou, à tout le moins, comme langue majoritairement parlée par l’ensemble de la population. Or le taux d’analphabétisme y est assez élevé et une parfaite maîtrise du français se limite à une minorité d’individus formés, le reste de la population ne la maîtrisant que peu ou prou et se contentant de versions plus ou moins acclimatées. La lutte contre le VIH-SIDA repose en quelque sorte sur un renforcement des capacités des populations et le chemin le plus court passe par les langues qu’elles maîtrisent le plus et qui sont généralement leurs langues maternelles. En effet, il est acquis que la langue maternelle d’un individu, en tant que moyen prioritairement utilisé pour ses différentes communications, constitue le medium le plus efficace pour lui inculquer le savoir, le savoir faire et le savoir être et le savoir devenir. C’est par la langue que les parents éduquent leurs enfants, c’est par la langue que les membres de la société interagissent les uns avec les autres, c’est aussi par la langue que le maître transmet sa science à ses élèves. J’entends par maître toute personne disposant d’un savoir à transmettre et élève toute personne en situation d’apprentissage (ainsi, cela peut- être un instituteur, un mécanicien, un guérisseur, un agriculteur, etc. et même un pair formateur). D’un autre point de vue, c’est dans sa langue maternelle que l’individu se sent bien et c’est grâce à elle qu’il peut exprimer ses réalités quotidiennes et communiquer ses différentes expériences. Elle est de ce fait le plus puissant vecteur identitaire. La preuve en est qu’un individu se sent spontanément plus proches de celui qui parle la même langue que lui, et qu’il considère comme un étranger celui qui parle une autre langue. De la même manière, il peut minimiser, ou même ne pas se sentir concerné par un message transmis dans une langue qu’il maîtrise imparfaitement. Comme le VIH-SIDA touche à l’homme dans tout ce qu’il a de plus intime, il est nécessaire de tenir compte dans les campagnes du fait que la langue d’un individu ne peut pas remplacer celle d’un autre dans sa fonction identitaire, surtout s’il la maîtrise imparfaitement. Concernant justement les rapports d’un individu à sa langue Seydou Badian Kouyaté, Docteur en Médecine, homme de culture et écrivain malien a dit lors du colloque international Langues, Culture et traduction, tenu à Alger en avril 2001 : « (…) Par la langue nous avons ce que le passé nous a laissé comme message et ce que le présent compose pour nous. C’est la langue qui nous lie, et c’est elle qui 5 fonde notre identité. Elle est un élément essentiel et sans la langue il n’y a pas de culture. La langue nous aide à tout interpréter. » Quant à Joseph Ki-Zerbo (2004 : 81) il ne disait pas autre chose lorsqu’il déclara : « Le problème des langues est fondamental parce qu’il touche à l’identité des peuples. Et l’identité est nécessaire pour le développement comme la démocratie». III-3-La richesse linguistique ivoirienne, un handicap pour la multidirectionnalité ? La Côte d’Ivoire ne constitue ni une entité géographique, ni une entité culturelle. Sa situation géographique en a fait une zone d’affluence où se côtoient des peuples d’origine variée venus du Nord (peuples Mandés et Voltaïques), de l’Ouest (peuples krou) et de l’est (peuples Akan), elle présente un paysage linguistique diversifié où se côtoient une multiplicité de langues. Sur le plan du nombre cependant, même si les problèmes de délimitation, liés au fait qu’il n’existe pas de critère infaillible (ni linguistique, ni sociologique, ni géographique, ni historique) permettant d’avancer un chiffre exact5, les linguistes sont arrivés à la conclusion que toutes les langues de Côte d’Ivoire appartiennent à la famille Niger-Congo et se répartissent entre les quatre grands groupes que sont le groupe gour, le groupe krou, le groupe kwa et le groupe mandé. Ainsi, derrière l’apparente diversité se profile des affinités. De plus, en tenant compte de certains aspects tels que les proximités géographique et culturelle entre les peuples, la véhicularité des langues, il est possible de faire des choix qui permettent aux populations d’inculturer et de s’approprier les concepts et les moyens de prévention et de lutte. III-4- L’illusion de la connivence culturelle comme un obstacle à une vraie recherche terminologique Dans la situation actuelle des langues ivoiriennes, un travail de recherche est indispensable si l’on veut les exploiter dans la lutte contre le VIH-SIDA. En effet, dans la mesure où un tel usage implique que l’on désigne des choses nouvelles, il faut absolument donner les moyens à la langue de le faire. Cela nécessite que l’on construise un lexique. C’est pour cette raison qu’en 2004, le Réseau des Professionnels des Médias, des Arts et des Sports pour la lutte contre le Sida en Côte d’Ivoire (une des associations de lutte contre le VIH-SIDA) a décidé d’élaborer des lexiques VIH/SIDA en langues nationales. Mais le problème c’est qu’au lieu de confier la gestion du travail à des spécialistes, ses membres ont décidé de s’en charger euxmêmes, or, comme le dit Yannick Jaffré (2008 : 8) : « (l’) approche de groupes humains particuliers, de leurs langues, de leurs pratiques techniques économiques et sociales, et de leurs modes d’organisation, ne peut aucunement se limiter à une sorte de connivence culturelle. Autrement dit, il ne suffit pas de dire “ j’y suis né ” ou “ je comprends suffisamment de mots pour me débrouiller (…) ». La justesse de ce point de vue apparaîtra lorsqu’après avoir lancé un concours (supervisé par un sociologue) pour ces lexiques dont il ne savait pas comment traiter les résultats, le Repmasci a dû se tourner au dernier moment vers des linguistes. Ainsi, le raisonnement selon lequel il suffit de savoir parler une langue pour en faire une bonne analyse peut être une difficulté pour la multidirectionnalité envers les langues. 5 Le chiffre de 60 langues se fonde sur des critères qui sont plus ethniques que linguistiques. 6 IV-LE CAS SPECIFIQUE DES SOURDS IV-1- La notion de « communauté » appliquée aux sourds Selon le recensement général de la population ivoirienne de 1998, il y avait 50989 sourds en Côte d’Ivoire. En 2006, la Société Ivoirienne d’Oto-rhino-laryngologiste (SIORL) estimait le taux de prévalence de la surdité au niveau des naissances à 13,8%. On peut donc naturellement penser que ce nombre est largement dépassé aujourd’hui, surtout si l’on y ajoute les victimes de la guerre. Les sourds constituent une communauté dans la mesure où la plupart des personnes sourdes ne se considèrent pas comme des malades, mais plutôt comme appartenant à une communauté. C’est pour cette raison qu’ils distinguent la communauté des sourds et la communauté des entendants. Ce sentiment est renforcé par le fait qu’à cause de leur handicap ils disposent de leur propre système qui joue, entre eux, le même rôle que la langue vocale entre les entendants. La différence entre les deux systèmes réside uniquement dans le fait que la langue parlée par les entendants est un système audio-oral tandis que celle utilisée par les sourds, à laquelle on donne le nom de « langue des signes », est un système visuel-gestuel. Actuellement en Côte d’Ivoire, la langue des signes n’est pas suffisamment promue et elle est peu connue du grand public. Cela a comme conséquence l’isolement de bon nombre de sourds. Comme ils ne peuvent pas communiquer avec le reste de la population, ils se trouvent souvent isolés. En plus, manquant d’informations sur les rouages de la société, ils ignorent parfois jusqu’à leurs propres potentialités et se sous-estiment. L’un des problèmes des sourds vient du fait que le monde moderne est constitué autour du bruit. Il fonctionne d’une manière telle que les citoyens de chaque pays vivent en permanence dans un environnement sonore où ils acquièrent presqu’à leur insu l’essentiel des informations sur la façon dont vit et évolue la société. Les sourds sont un peu en marge de ce flux d’informations que les entendants absorbent de manière passive et ils doivent faire beaucoup d’efforts pour aller les chercher. Une des conséquences en est que beaucoup d’entre eux ne connaissent pas bien leurs droits et devoirs et que cela peut constituer un frein à leur intégration. IV-2- Intégrer la langue des signes ou échouer dans la lutte En Côte d’Ivoire, si l’on en croit Yédê Adama SANAGO (un des leaders des sourds), il n’y a pas réellement d’action spécifique envers cette communauté et de plus en plus de sourds meurent du sida faute d’accès à l’information. En effet, ils n’ont pas accès aux informations transmises par la radio, pas plus qu’à celles de la télévision lorsqu’elles sont sans sous titre. De plus, il semble qu’à cela s’ajoutent des difficultés pour beaucoup de personnes sourdes à lire les articles de journaux ou les textes des affiches. Si l’on ajoute à cela une forte proportion d’illettrisme à cause, non seulement du manque de structures de prise en charge, mais aussi du refus des parents d’accepter le statut de leurs enfants, peu de sourds sont scolarisés. 7 Comme les laisser en marge de la lutte risque de compromettre, non seulement les efforts visant à combattre le VIH-SIDA, mais aussi les changements de comportement au sein de la société dans son ensemble, au nom de la multidirectionnalité on doit intégrer la langue des signes comme moyen de communication dans les campagnes de lutte. Comme ils ont besoin de programmes spécifiques qui tiennent compte de leur handicap, pour mieux faire passer l’information auprès d’eux, il faut une part importante de visuel. Pour toutes ces raisons, il faut promouvoir la langue des signes et il faut aussi penser à l’enrichir, comme on doit le faire pour les autres langues ivoiriennes, en effectuant des recherches afin de créer un ensemble de néologismes spécifiques au VIH-SIDA. Ainsi, même si on ne peut pas dire aujourd’hui que la multidirectionnalité, est complètement absente de la lutte contre le VIH-SIDA en Côte d’Ivoire, à cause de la prise en compte particulière de certaines parties de la population, il faudrait veiller à en tenir compte aussi dans la communication en accordant une place aux langues nationales ainsi qu’à la langue des signes. Mais cela nécessite au préalable une réelle coopération entre les différentes structures créées et un travail terminologique de fond qui tienne compte des savoirs endogènes. 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