Jean-François Etcheto (1853
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Jean-François Etcheto (1853
1 Jean-François Etcheto (1853-1889) François Villon Œuvre conçue en 1881. Epreuve en plâtre, pour servir de référence à l’épreuve en bronze, exécutée par la fonderie de Coubertin en 1992. Dépôt de la Conservation des œuvres d'art religieuses et civiles de la Ville de Paris. Premier succès d’un jeune sculpteur. En 1881, Jean-François Etcheto présente au Salon une statue en plâtre de François Villon, poète du e 15 siècle à la vie mouvementée. Il présente la version en bronze au Salon de 1883. Le critique d’art Georges Lafenestre en donne la description dans son livre d’or du Salon de 1881 : « L'écolier parisien, maigre et sec, en chausses collantes et pourpoing décolleté, se tient debout, campé d'un air goguenard sur la jambe gauche, la tête un peu penchée, la jambe droite en avant. De la main gauche il caresse une petite dague pendue à sa ceinture, de la droite, posée sur la hanche, il froisse des papiers et une plume. Derrière lui, à ses pieds, une guitare appuyée à un billot de prison où pend une chaîne. »1 L’œuvre fut un coup d’éclat du jeune sculpteur, dont c’était le premier Salon en 1881. Les critiques furent élogieuses, telle La Gazette des Beaux-Arts, qui souligne la verve de la statue : « Le Villon de M. Etcheto, alerte et vif, est conçu dans les mêmes données. Cette image de l’ancêtre le plus typique du bohémien de Paris, omni-railleur, mais si spirituel et si gai, satisfait l’esprit pleinement et les conditions sculpturales de cet art du libre portrait suffisamment. S’il fallait chercher des origines à l’inspiration de l’artiste, je les indiquerais volontiers dans les fermes et nerveux dessins consacrés par Meissonnier à l’illustration du Lazarillo de Tormès. »2 Jean-François Etcheto obtint une médaille de troisième classe et une bourse de voyage. La Ville de Paris acquit la statue en plâtre pour 1000F et commanda une version en bronze pour 5000F. La statue en bronze fut inaugurée en 1883 square Monge (actuel square Paul Langevin). Elle fut déposée sous l’occupation, en 1942, et fondue ; elle sera remplacée en 1947 par la statue en pierre de François Villon par René Collamarini. La Conservation des œuvres d'art religieuses et civiles (COARC) de la Ville de Paris conserve aujourd’hui l’original en plâtre. Né le 8 mars 1853 à Madrid de parents français, Jean-François Etcheto s’installa avec sa famille à Bayonne à l’âge de 7 ans. Il vint à Paris en 1872 et fréquenta l’atelier de Carpeaux. Il entra en 1875 à l'Ecole des Beaux-Arts, dans l’atelier de François Jouffroy (1806-1882)3. Il exposa au Salon de 1881 à 1886. Atteint de tuberculose presque au début de sa carrière, il dut bientôt cesser toute activité et après deux hivers dans les Pyrénées, mourut à Paris le 11 novembre 18894. Sculpture néo-médiévale ou néo-Renaissance La statue d’Etcheto s’inscrit dans la veine du Chanteur florentin du XVe siècle [1], présenté au Salon de 1865 par Paul Dubois (1829-1905), œuvre qui connut une immense fortune auprès du public et inspira 1 Georges Lafenestre (1837-1919), Le Livre d'or du Salon de peinture et de sculpture : catalogue descriptif des œuvres récompensées et des principales œuvres hors concours, Paris, Librairie des bibliophiles, 1881, p.81 2 J. Buisson, « Le Salon de 1881 (3e article). La sculpture », Gazette des Beaux-Arts, 1881, tome 2, p.226 3 Jouffroy fut également le professeur de Louis-Ernest Barrias, Alexandre Falguière et Antonin Mercié. 4 Voir Stanislas Lami (1858-1944), Dictionnaire des sculpteurs de l'École française au XIXe siècle, Paris, Honoré Champion, 19141921, tome 2, p.293-294 Notice Valérie Montalbetti septembre 2014 2 de nombreux sculpteurs. Cette veine de la sculpture, qu’on pourrait qualifier de troubadour, représente des artistes ou artisans du Moyen-Age ou de la Renaissance, saisis au vif, et se plaît à détailler habillement et accessoires. Cette filiation n’a pas échappé à Eugène Guillaume, lui-même sculpteur, dans son compte rendu du Salon de 1881 : « M. Paul Dubois n’est jamais complètement absent d’une exposition. Et la descendance continue : l’an passé c’était l’Arlequin de M. de Saint-Marceaux ; cette fois, bien qu’à distance respectueuse, c’est le François Villon de M. Etcheto. Nous voudrions que tout le monde en fût d’accord : car n’est-il pas heureusement trouvé, ce François Villon ? Quelle finesse, quelle vie, quel personnage tout d’un jet ! Le voilà le pauvre basochien espiègle, tapageur et même libertin ; il est là, maigre, mourant de faim et méditant quelque bon tour. » 5 Au Salon de 1881, le Villon d’Etcheto voisinait d’ailleurs avec le Ciseleur du XVIe siècle d’Adrien Gaudez (1845-1902). Outre l’œuvre de Paul Dubois, l’œuvre d’Etcheto est également parente de la statue d’un autre poète médiéval, Dante Alighieri [2], exposé au Salon de 1879 par Jean-Paul Aubé (1837-1916). Ce type de sculpture faisait souvent l’objet de réductions en bronze, destinée à l’édition. Le François Villon d’Etcheto est édité par la maison Thiebaut Frères en trois tailles : 75 cm, 53 cm et 37 cm. Le buste de Villon est également édité (23 cm), ou monté en encrier6. Des statuettes en bronze de Villon sont conservées aux musées de Grenoble, Arras, Pau. Un critique du salon de 1881, l’historien d’art Paul Mantz, qui apprécie l’œuvre, note d’ailleurs qu’elle constituerait plutôt un motif de statuette : « C’en est une aussi [sculpture de genre] et très heureuse que le François Villon de M. Etcheto. Il n’y avait là qu’un motif de statuette, mais l’artiste a représenté spirituellement la figure du poète pauvre et batailleur, qui comme un autre Don César, drape sa gueuserie avec son arrogance »7. Même réaction du critique Edmond About au Salon de 1883 : « M. Etcheto s'est fait connaître, il y a deux ou trois ans, par un François Villon très vivant, d'aspect original, médiocrement distingué, mais gentil, que je retrouve avec plaisir sous les espèces du bronze. Il serait mieux, réduit au quart, mais peut-être le remarquerait-on moins. »8 5 Eugène Guillaume (1822-1905), « Le Salon de 1881 », La Revue des Deux Mondes, 1881, tome 45, p.673-674 Catalogue d’édition des bronzes de la maison Thiebaut Frères, 1901, p.12 et 40 7 Paul Mantz (1821-1895), « Salon III », Le Temps, 19 juin 1881, p.2. La locution en italique est extraite de la pièce de Victor Hugo, Ruy Blas, acte I, scène 2. 8 Edmond About (1828-1885), Quinze journées au Salon de peinture et de sculpture, Paris, Librairie des bibliophiles, 1883, p.183-184 : 6 Notice Valérie Montalbetti septembre 2014 3 La première effigie sculptée de François Villon Paul Verlaine, dans le texte « Nuit blanche »9, met en scène une rencontre des ombres d’Alfred de Musset et de François Villon, devant l’Hôtel de ville de Paris, nouvellement reconstruit après son incendie sous la Commune : les deux poètes constatent que ni l’un ni l’autre ne font partie des statues des Grands Hommes. Le François Villon d’Etcheto est apparemment la première représentation sculptée connue du poète. Et de fait, François Villon n’est pas représenté dans les séries sculptées d’hommes illustres, pourtant nombreuses depuis la fin du 18e siècle. Sous Napoléon III, les architectes Visconti puis Lefuel décident d’installer au Palais du Louvre, sur les façades de la Cour Napoléon, des statues monumentales représentant les Hommes illustres des Arts, Lettres, Sciences et les grands hommes d’Etat, tous antérieurs au 19e siècle pour éviter polémiques et réclamations (à la seule exception du sculpteur Houdon, mort en 1828). La série de 86 illustres compte 25 hommes de Lettres, 18 artistes, 11 scientifiques, 9 hommes d’Etat, 8 Hommes d’Eglise et un seul militaire, Vauban. Malgré cette prééminence rare des Lettres et Arts, François Villon n’y figure pas. De même aucune statue du poète ne paraît dans les programmes sculptés de l’Hôtel de Ville. Villon ne figure pas dans la série des 27 hommes qui ont illustré la ville de Paris, ornant les façades après l’agrandissement de l’Hôtel de Ville de 1837 à 1846, par les architectes Godde et Lesueur. Il ne figure pas davantage dans la nouvelle série des hommes illustres (135 statues et médaillons) qui ont le mieux honoré Paris par leurs œuvres et par leurs vertus, sur le nouvel Hôtel de Ville érigé par les architectes Ballu et Deperthes entre 1873 et 1882 sur les décombres du précédent, brûlé sous la Commune en mai 1871. Le texte de Verlaine en prend acte. Le sculpteur Eugène Guillaume imagine que Villon eut été bien étonné d’avoir une statue : « Avec sa gaîté et sa nargue sardonique, avec sa grâce et sa mélancolie, il revit, bien étonné sans doute d’avoir une statue, lui qui, dans une ballade, s’est représenté pendu. »10 L’écrivain et occultiste Joséphin Péladan souligne d’ailleurs l’ironie de statufier un mauvais garçon, ironie qu’aurait goûtée Villon : « Ce charmant sacripant de Villon n'a pas prévu qu'il serait coulé en bronze, pour la nargue des chevaliers du guet et des saintes Hermendad de tous les temps, et qu'il le serait si crânement, si véridiquement que l'a fait M. Etcheto. C'est bien là cet excellent mauvais garçon, qu'en notre temps d'égalité devant la loi on aurait envoyé à la Nouvelle-Calédonie, comme récidiviste incorrigible. Singulière inconséquence du sens moral de tous ceux qui ont Villon dans leur bibliothèque, combien le recevraient à leur table, ce bon bec de Paris, tout aux tavernes et tout aux filles et dont le nom est devenu un verbe synonyme de voleur. Cela prouve que les poètes, les penseurs et les artistes sont au-dessus des lois sociales, et ont droit aux profondes immunités que reconnaissaient les papes aux Buonarotti et aux Cellini. »11 Fortune de la statue de Villon par Etcheto Dans la courte carrière d’Etcheto, la statue de Villon demeure son œuvre-phare, comme l’indiquent les notices nécrologiques ou les articles de dictionnaires. Le journal Le Temps annonce ainsi son décès : « On annonce la mort de François Etcheto, un sculpteur de talent, qui vient de succomber à l'âge de trentesix ans. François Etcheto […] était l'auteur de la statue du poète François Villon, qui se trouve placée dans un parterre du square Monge. »12 9 Paul Verlaine (1844-1896), Mémoires d'un veuf, Paris, L. Vanier, 1886, p.37-40 Eugène Guillaume, in La Revue des Deux Mondes, 1881, op. cit., p.674 11 Joséphin Péladan (1859-1918), L'Art ochlocratique : salons de 1882 & de 1883, Paris, C. Dalou, 1888-91, p.173-74 12 Le Temps, 21 novembre 1889, NP [p.2] 10 Notice Valérie Montalbetti septembre 2014 4 Ainsi que l’avait prédit Joséphin Péladan dans sa critique du Salon de 1883, la statue d’Etcheto serait désormais l’effigie de Villon : « M. Etcheto nous a donné le Villon du Grand Testament ; il a su ne pas tomber dans la truanderie, sans fausser le mauvais escholier, selon le goût académique, et désormais l'image de ce délicieux poète parisien, le premier subjectiviste, comme diraient les Allemands, est fixée à jamais, et la statue de M. Etcheto sera le frontispice obligé de toutes les réimpressions des Ballades et des Rymes.. »13 Vers 1886, paraît L'Album du Chat noir, revue publiée sous la direction de Rodolphe Salis (18511897) et Henri Rivière (1864-1951), vendue dans le célèbre cabaret montmartrois, et dont l’existence fut éphémère. La revue est dédiée « à la mémoire de Maistre François Villon », « comme témoignage de la très grande admiration des Poètes, des Artistes et joyeux esprits de ce temps ». Le premier fascicule s’ouvre avec un dessin d’Uzès reprenant la statue de Villon par Etcheto [3, source Gallica]. En 1909, la statue d’Etcheto orne la couverture de la pièce de théâtre de Charles-Théophile Féret (1858-1928), Maître François Villon [4, source Gallica]. Outre les éditions en bronze, l’œuvre est reproduite sur des cartes postales [5]. Pèlerinage des « villonistes » en 1931 En décembre 1931, deux cérémonies eurent lieu à Paris, en l’honneur de François Villon, pour fêter le cinquième centenaire de sa naissance, qui nous sont relatées par le journaliste Gaétan Sanvoisin14. L’une, le 20 décembre, rue de la Bûcherie, était présidée par Pierre Champion, historien médiéviste et homme politique, qui publia en 1913 une importante étude historique François Villon, sa vie et son temps. Une seconde cérémonie eut lieu le 21 décembre au matin, boulevard Saint-Germain, présidée par Francis Carco, écrivain et poète montmartrois, qui publia en 1926 Le Roman de François Villon, où il réinvente la vie du poète. Le journaliste indique qu’à l’issue de la cérémonie, les participants allèrent fleurir la statue de Villon, square Monge. 13 14 Joséphin Péladan (1859-1918), L'Art ochlocratique : salons de 1882 & de 1883, Paris, C. Dalou, 1888-91, p.174 Gaétan Sanvoisin, « Villon revenu au Quartier latin », Journal des débats politiques et littéraires, 21 décembre 1931, p.1 Notice Valérie Montalbetti septembre 2014