Ajustement facultatif du sex-ratio et maladaptation
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Ajustement facultatif du sex-ratio et maladaptation
Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Evolutive Université de Montpellier Ajustement facultatif du sex-ratio et maladaptation Laure OLAZCUAGA Master Biodiversité Ecologie Evolution Master 2 - Parcours DARWIN-BEE UE : Mémoire Bibliographique – 2015/2016 Introduction : Comprendre les différentes stratégies d’allocation des ressources est une problématique centrale en biologie évolutive. En effet, l’allocation de l’énergie régit toute la diversité du monde vivant. Les histoires de vie peuvent être définies comme une configuration individuelle d’allocation de temps et d’énergie à différentes activités fondamentales au cours de la vie. La stratégie que va prendre un organisme peut être considérée comme une combinaison de décisions qui vont impacter sa valeur sélective (espérance de la contribution relative aux générations ultérieures d’une classe phénotypique, génotypique ou allélique [1]). Chaque organisme doit donc optimiser la combinaison de traits d’histoire de vie (traits ayant une influence démographique dans le cycle de vie, pouvant être vus comme différents investissements dans la survie, la croissance, la reproduction, etc.) qui lui permettront de maximiser la transmission de ses gènes, relativement aux autres organismes. Cependant, toutes les combinaisons de traits d’histoire de vie ne sont pas possibles. Les organismes ont une quantité de ressources limitée qu’ils doivent allouer à leurs différentes fonctions. Lorsqu’un organisme alloue une certaine quantité de ressources à une fonction, cela limite de facto la quantité de ressources qu’il peut allouer à une autre fonction. La stratégie optimale d’allocation résulte donc des différents compromis et de leurs conséquences sur la valeur sélective. Il existe de nombreux compromis évolutifs qui concernent particulièrement la reproduction. Il existe, par exemple, un compromis entre la survie et la reproduction ou entre la « quantité » et la « qualité » des descendants. Chez les espèces sexuées, un des compromis reproductifs le plus étudié (et le plus facilement observable) est celui de l’allocation mâlefemelle : pour un nombre donné de descendants, vaut-il mieux faire plus de mâles ? Plus de femelles ? Quelle est la stratégie évolutivement optimale ? Cette question est fondamentale mais se décline selon le détail du système de reproduction de l’espèce considérée [2]. Il y a de très nombreuses variantes (diécie, hermaphrodisme, gynodiécie, androdiécie, etc.) mais globalement l’évolution de l’allocation relative dans la fonction mâle et la fonction femelle peut être assimilée à l’évolution du sex-ratio [3] qui peut être calculé par le nombre de mâles sur le nombre de femelles dans une population à sexe séparé. L’anisogamie des gamètes laisse penser qu’un mâle produisant des gamètes en plus grande quantité qu’une femelle, suffit pour féconder plusieurs femelles. On pourrait donc supposer que pour optimiser leur valeur sélective, les individus investiraient surtout en gamètes femelles. Or les sex-ratios des populations naturelles à l’équilibre ne reflètent pas 1 cette tendance. Durant près d’un siècle, le développement de nombreuses démonstrations et théories a permis d’expliquer les patrons naturels. De nombreux chercheurs, comme Fisher [4], Hamilton [5] ou Charnov [6] ont notamment contribué à cette explication. Ils ont fait de l’évolution du sex-ratio un domaine clé de la biologie évolutive. La théorie du sex-ratio est actuellement une des grandes « réussites » de la biologie évolutive car les observations empiriques s’ajustent particulièrement bien aux prédictions théoriques [7]. I. Théorie du sex-ratio Darwin est le premier à émettre l’hypothèse en 1871 que le sex-ratio peut être sujet à la sélection naturelle [8]. Cependant, il faut attendre Fisher pour approfondir cette idée. Il développe la théorie génétique de la sélection naturelle [4] dans laquelle il affirme que le sexratio est sous sélection fréquence-dépendante. La sélection naturelle favoriserait un sex-ratio primaire (proportion de mâles juste après la fécondation) qui permettrait d’égaliser les dépenses totales des parents entre les deux sexes. Dans une population où la proportion d’un sexe est inférieure à 0.5, les individus produisant majoritairement ce sexe seront avantagés et auront une valeur reproductive (contribution génétique aux générations suivantes) plus élevée. Les gènes permettant de produire plus de ce sexe augmenteront donc en fréquence dans la population. Cet avantage sera perdu lorsque la proportion deviendra égale ou supérieure à 0.5. Actuellement, il est donc admis que le sex-ratio (i.e. la stratégie d’allocation pour produire des descendants soit mâles soit femelles) évolue par ce mécanisme de sélection fréquence-dépendante jusqu’à atteindre cet équilibre « évolutivement stable » de 0.5. En d’autres termes, si tous les individus d’une population produisent un sex-ratio de 0.5, alors aucun mutant produisant un sex-ratio différent de 0.5 ne peut envahir la population. Il est important de noter que l’hypothèse de Fisher n’est pas synonyme d’un sex-ratio équilibré à 1:1 dans toutes les situations [9,10], mais seulement si les coûts à produire un sexe sont les mêmes que ceux à produire l’autre sexe. Si les coûts de production d’une femelle sont les mêmes que ceux de la production d’un mâle, alors la valeur d’équilibre du sex-ratio devrait être de 0.5 (i.e. la proportion de mâles égale à celle des femelles) à la fin de la période des soins parentaux [11,12]. Dans le cas plus général, la sélection naturelle favorise un investissement parental global également réparti entre les sexes [12–14]. Si, par exemple, la survie est différente entre les sexes durant la période d’investissement parental, la sélection naturelle devrait favoriser les génotypes qui surproduisent le sexe qui survit le moins. 2 Par contre, le sex-ratio évolutivement stable est indépendant d’une survie différentielle après les soins parentaux [13,15,16]. Une mortalité plus importante pour un sexe après la fin de la période d’investissement parental sera compensée par une augmentation proportionnelle de la valeur reproductive des individus survivants de ce sexe [17] ; donc la valeur reproductive moyenne ne changera pas. La théorie de Fisher a été initialement conçue pour des populations ayant des générations discrètes. Par la suite, ces prédictions ont pu être généralisées aux situations impliquant des générations chevauchantes dans le cas où la mortalité est continue et stable, et où la distribution d’âges est stable [15,18]. Pourtant, de nombreuses observations ont mis en évidence des déviations de ce sex-ratio à l’équilibre [5]. Pour comprendre les distorsions de sex-ratio observées dans la nature, il faut commencer par s'intéresser aux modalités d'hérédité. Si un élément génétique (par exemple un gène) est transmis par un seul sexe, alors il peut augmenter sa transmission en favorisant l’augmentation de la proportion de ce sexe dans la population. Ces éléments, appelés distorteurs de sex-ratio, sont très diversifiés allant du chromosome égoïste, au gène à hérédité uniparentale situé sur une organelle (mitochondrie, plaste) ou à l’endosymbiote parasite intracellulaire [19,20]. Cependant, dans de nombreux cas les déviations des prédictions de Fisher peuvent être adaptatives pour l’individu. Un organisme peut réaliser un ajustement facultatif du sex-ratio de sa descendance afin de maximiser sa valeur sélective. II. Situations favorisant l’ajustement facultatif du sex-ratio Un organisme peut ajuster le sex-ratio de sa descendance de manière plastique afin de s’adapter au mieux à son environnement [21]. Ce mécanisme apporte donc un avantage sélectif par rapport à ceux qui ne le font pas. Toutes les espèces n’ont pas cette capacité. Certaines situations écologiques ou certains prérequis génétiques vont favoriser la mise en place d’un tel ajustement facultatif. A. Situations écologiques favorisant l’ajustement facultatif du sex-ratio Selon les conditions dans lesquelles se trouve un parent, en général la mère, il pourra, ou non, ajuster le sex-ratio de sa descendance. Pour que cet ajustement soit évolutivement « intéressant », il faut que la mère puisse évaluer la valeur reproductive future de ses descendants, basée sur des informations particulières qui sont variables selon les contextes. La prise en compte de telles informations permet de prédire une modification de la stratégie évolutivement stable vers un ajustement facultatif. De nombreuses situations apportent des informations à une mère sur les conditions de sa descendance. 3 Dans le cas d’un système à générations chevauchantes, si la distribution d’âges est instable ou si une mortalité différentielle entre mâles et femelles perturbe temporairement le sex-ratio, alors le sex-ratio de la population des parents aura un impact sur celui de la population des descendants [14]. Une partie de la population parentale va continuer à se reproduire dans la population des descendants (générations chevauchantes) et la mère aura des informations sur la valeur reproductive de sa descendance. Elle pourra donc ajuster le sexratio de sa descendance en surproduisant le sexe minoritaire, en fonction du sex-ratio populationnel. Cette hypothèse, dite d’ajustement facultatif ou d’homéostasie, est observée dans des situations caractérisées de cycliques et des modèles de perturbations [14]. Dans un autre cas, l’hypothèse de Trivers–Willard prédit un ajustement du sex-ratio optimal selon la condition des femelles dans les populations polygynes [21]. Dans ces populations, la variance de la valeur reproductive des mâles est plus élevée que celle des femelles (les quelques mâles de bonne qualité monopolisent la reproduction, tandis que la plupart des femelles se reproduisent). Si la condition de la femelle influe sur la qualité de son descendant, une femelle de bonne condition peut avoir un « intérêt évolutif » à produire un mâle de bonne qualité puisque celui-ci aura en moyenne une valeur reproductive plus élevée qu’une femelle [22,23]. Si cette femelle n’est pas dans des conditions relativement meilleures que les autres femelles, elle aura tendance à favoriser la production de femelles au lieu de produire des mâles de mauvaise qualité qui auront une valeur reproductive faible. Cette hypothèse peut être étendue à chaque situation où les conditions maternelles donnent une information sur la valeur reproductive de ses descendants mâles par rapport aux femelles. Finalement, le cas d’ajustement le plus étudié a lieu dans les populations structurées spatialement où seules les femelles dispersent. Une seule femelle, dite « fondatrice », va pondre dans un habitat. La reproduction va donc se dérouler entre les descendants de cette femelle. Cette dernière peut donc avoir une connaissance préalable sur la valeur reproductive de ses descendants pour l’accès aux partenaires sexuels. Cette théorie de compétition locale pour l’accès aux partenaires ou « Local Mate Competition » (LMC) a été synthétisée par Hamilton [5]. Il postule que si les fils sont en compétition pour l’accès aux partenaires sexuels, la fondatrice aura tout intérêt à ajuster le sex-ratio de sa descendance en produisant plus de femelles pour augmenter le nombre d’accouplements par fils et diminuer la compétition entre fils. Ce biais sera d’autant plus fort que le nombre de fondatrices par habitat est faible (moins elles sont nombreuses, plus le niveau de compétition subit par leurs fils est fort). La LMC est un cas particulier de compétition locale pour les ressources ou « Local Resource Competition » (LRC). De manière générale, le sexe qui disperse ne subit pas de 4 compétition pour les ressources avec des individus apparentés, contrairement à ceux qui restent sur l’habitat. Dans ce cas, l’ajustement vers le sexe qui disperse est aussi favorisé [24]. Pour conclure, tous les contextes écologiques où la mère a des informations sur le niveau de compétition (affectant la survie ou la reproduction) que va subir sa descendance, vont favoriser un ajustement facultatif du sex-ratio. B. Conditions génétiques propices à l’ajustement facultatif du sex-ratio Le mécanisme de détermination du sexe est un facteur important qui peut influer sur l’évolution de l’ajustement facultatif du sex-ratio. Certains insectes comme les fourmis, les guêpes ou les abeilles, ont une détermination du sexe haplodiploïde. Une femelle (2n) est formée par la fécondation d’un œuf, contrairement à un mâle (n) qui est le produit d’un œuf non fécondé [25,26]. Les femelles fondatrices possèdent des spermathèques et peuvent donc choisir de féconder un œuf ou non. Ce système permet aux femelles d’avoir un contrôle précis du sex-ratio de leur descendance. Un déterminisme du sexe haplodiploïde est donc un système particulièrement favorable à l’ajustement facultatif du sex-ratio [6,27]. Chez certains vertébrés, le sexe est déterminé de manière génétique par le biais de chromosomes sexuels. Pour les oiseaux, la femelle est hétérogamétique (ZW) et le mâle homogamétique (ZZ), contrairement aux mammifères où le mâle est hétérogamétique (XY) et la femelle homogamétique (XX). Selon la théorie mendélienne, le sexe hétérogamétique devrait produire en même proportion des gamètes possédant chacun un type de chromosome sexuel. Théoriquement, le sex-ratio de la descendance est donc contraint à 0.5 par le déterminisme génétique [9]. Pourtant, l’ajustement est possible [28] dans les deux cas [29]. Pour les espèces où le mâle est hétérogamétique, le gamète mâle est déterminant pour le sexe des descendants. L’ajustement du sex-ratio par la femelle nécessite de sacrifier des gamètes mâles ou, de manière assez coûteuse, des embryons [30,31]. Différents mécanismes existent, allant de la survie différentielle des spermatozoïdes X ou Y dans les voies génitales femelles, à la survie différentielle des descendants mâles et femelles avant la fin des soins parentaux. Pour les espèces où la femelle est hétérogamétique, l’ajustement par la femelle est facilité car c’est le gamète femelle qui détermine le sexe des descendants. Elle peut donc directement orienter la production de fils ou filles sans avorter des embryons ou éliminer des descendants. Ceci a été mis en évidence chez différentes espèces aviaires où le mécanisme hypothétique principal serait qu’un des chromosomes sexuels (Z ou W) se retrouve préférentiellement dans le premier globule polaire lors de la méiose [32–34]. 5 Certaines études ont comparé l’effet de différents mécanismes de détermination du sexe sur l’occurrence d’un ajustement facultatif du sex-ratio. Comme nous l’avons dit, l’ajustement serait facilité chez les espèces haplodiploïdes et plutôt contraint chez les espèces ayant une détermination chromosomique du sexe. Cependant, les groupes d’espèces invertébrés à déterminisme chromosomique n’ont pas montré moins d’ajustement que les groupes d’espèces invertébrés haplodiploïdes [35]. III. Ajustement facultatif du sex-ratio et contraintes évolutives Comme évoqué ci-dessus, l’ajustement facultatif du sex-ratio peut être un mécanisme coûteux pour l’organisme [31], par exemple lorsque des descendants sont sacrifiés précocement. Ces coûts sont compensés par les bénéfices qu’ils apportent en termes de valeur sélective. Néanmoins, comme pour tout trait adaptatif, les mécanismes d’ajustement facultatif du sex-ratio peuvent s’avérer maladaptatifs dans certaines circonstances. L’ajustement facultatif du sex-ratio repose nécessairement in fine sur un mécanisme proximal, un « signal » et un traitement de ce signal par l’organisme, qui détermine le sens et l’intensité de l’ajustement du sex-ratio. Une des limites fréquente des organismes à bien s’ajuster à leur environnement est leur capacité à traiter les informations pertinentes de l’environnement [28,36]. C’est un problème général pour l’ajustement de tous traits plastiques [37] et les ajustements non adaptatifs peuvent être la conséquence d’une mauvaise perception de l’environnement. Dans le cas de l’ajustement du sex-ratio, ce type de problème devrait survenir fréquemment. Pour l’étudier, il serait particulièrement intéressant de s’intéresser aux variations de sex-ratio non expliquées par la théorie, même si les exemples demeurent, de manière surprenante, très rares [38]. Il existe néanmoins certains cas particulièrement intéressants dans cette perspective, aussi bien à l’échelle intra- qu’inter-spécifique. A. Intra-spécifique : exemple Pour commencer, les indices que vont percevoir les organismes sur la composition de leur population peuvent être inexactes. Par exemple, les fourmis du genre Formica sont spécialisées dans l’élevage de femelles ou de mâles selon le nombre de pères de la colonie. Si la colonie est formée à partir de plusieurs pères, les ouvrières favorisent l’investissement dans les mâles alors que si elle est formée à partir d’un seul père, les ouvrières favorisent les femelles [39]. La stratégie d’ajustement que vont favoriser ces individus a pour but de maximiser la fitness inclusive. Les ouvrières vont donc modifier le sex-ratio de la population en fonction de leur perception du nombre de pères de la colonie. Pour l’évaluer, elles utilisent probablement les profils d'hydrocarbures cuticulaires des autres individus de la colonie. Une 6 corrélation a été mise en évidence entre le biais de sex-ratio dans la colonie et la différence entre les profils de carbohydrates cuticulaires des mâles [40]. En d’autres termes, si plusieurs mâles ont un profil de carbohydrates cuticulaires proche, les ouvrières ne semblent pas les distinguer. Cela aura pour conséquence un mauvais ajustement du sex-ratio de la population. B. Inter-spécifique : exemples La disponibilité des ressources, la dynamique des autres espèces et l’interaction entre les deux peuvent influencer l’ajustement du sex-ratio et l’avantage sélectif qu’il confère. Une mauvaise perception de cet environnement peut entrainer un mauvais ajustement du sex-ratio. Dans une situation de LMC, la présence de plusieurs fondatrices dans le même habitat diminue la compétition entre frères pour l’accès aux partenaires sexuels et donc diminue le biais vers les femelles [5]. Néanmoins, la présence d’une cofondatrice hétérospécifique ne devrait pas augmenter le niveau de compétition locale entre les mâles pour l’accès à la reproduction de l’espèce focale. Deux espèces de Nasonia (guêpe parasitoïde) apparentées ont été étudiées dans un contexte de LMC [41]. Les auteurs ont testé l’effet de la présence d’une cofondatrice con- ou hétéro-spécifique sur l’ajustement du sex-ratio. Dans les deux cas, la femelle focale a ajusté son sex-ratio comme si la cofondatrice était conspécifique (surinvestissement dans les mâles par rapport à la situation où la fondatrice est seule). La femelle focale ne distinguait donc pas les individus de sa propre espèce de ceux d’une autre espèce phylogénétiquement proche, rendant son ajustement désavantageux. Cependant, ces résultats sont à prendre avec précaution. La présence d’une cofondatrice d’une autre espèce peut tout de même affecter la compétitivité des descendants pour les ressources (LRC). Contrairement à la LMC, la LRC affecte les individus quelle que soit l’espèce à laquelle ils appartiennent [2]. La mise en évidence d’une mauvaise perception de l’environnement entrainant une maladaptation est donc à pondérer par cet éventuel biais. Un autre exemple est celui de l’ajustement du sex-ratio chez le branchiopode Artemia franciscana. Le sex-ratio de cette espèce devrait correspondre à la valeur de sex-ratio d’une stratégie évolutivement stable prédite par Fisher [42,43], mais la possibilité de cette espèce à ajuster de façon facultative le sex-ratio de sa descendance en fonction du sex-ratio de la population a récemment été mise en évidence [44]. Cette capacité à ajuster le sex ratio permet d’expliquer l’observation d’un sex-ratio biaisé vers les mâles dans des populations d’A. franciscana qui sont en présence d’une autre espèce d’artémie parthénogénétique : Artemia parthenogenetica, composée presque exclusivement de femelles. Ce biais serait dû à une absence de distinction entre les femelles d’A. franciscana et celles d’A. parthenogenetica 7 [44]. Le trait d’ajustement devient donc maladaptatif dans cette situation où la perception du niveau de compétition que vont subir les descendants est inexacte. L’ajustement facultatif du sex-ratio réalisé par un individu peut donc être affecté par l’acquisition de mauvaises informations sur les conditions du milieu et notamment la composition de la communauté dans laquelle il interagit. Il pourrait donc en principe être fréquemment maladaptatif dès lors que l’environnement focal diffère de l’environnement où a évolué le mécanisme d’ajustement. Pourtant, très peu d’exemples documentés illustrent ce problème et le place dans un contexte phylogénétique, phylogéographique et écologique clair. Conclusion : La théorie du sex-ratio avec les prédictions de Fisher d’une stratégie évolutivement stable à un sex-ratio de 0.5 est en accord avec les données observées dans la nature. Cependant, certaines espèces s’éloignent de la valeur prédite par la stratégie évolutivement stable en la modifiant de manière plastique quand un parent a des informations sur le niveau de compétition que vont subir ses descendants. Cet ajustement sera donc favorisé dans certaines conditions écologiques, mais également favorisé par les mécanismes génétiques de détermination du sexe. Néanmoins, comme cet ajustement dépend de l’information, les contraintes informationnelles que subissent certains organismes peuvent entrainer la modification de leur sex-ratio de manière maladaptative. Comment évoluent des espèces qui sont confrontées à ce genre de contraintes informationnelles ? Etudier la distribution d’un trait d’ajustement maladaptatif au sein d’un groupe monophylétique caractérisé par des situations écologiques contrastées permettrait de mettre en évidence ces contraintes. La théorie évolutive rend compte de l’adaptation. Cependant, cette même théorie prédit également la maladaptation dans certaines circonstances, par exemple, lorsque l’environnement varie. En effet, un élément essentiel de la théorie est que l’évolution procède, à chaque génération, par sélection du plus apte, mais sans « prévoir » les conditions futures. De ce fait les « designs imparfaits » sont des preuves presque plus convaincantes de l’action de la sélection naturelle que l’observation de traits parfaitement optimisés [45]. Un des exemples fameux est le trajet improbable du nerf laryngé chez la girafe (voir par exemple la démonstration de Dawkins [46]). Dans ce contexte, la théorie du sex-ratio est présentée le plus souvent comme étant un des plus grand succès de la biologie évolutive [47]. Cependant, de manière très frappante, presqu’aucun exemple de maladaptation est bien documenté pour ce type de traits. Une situation vraiment définie d’extraordinaire, pour reprendre le fameux titre de l’article d’Hamilton [5], qu’il conviendrait de beaucoup mieux examiner. 8 Bibliographie 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. Thomas F, Lefèvre T, M. R. Biologie évolutive. De Boeck supérieur; 2010. West SA. Sex allocation. Princeton University Press; 2009. Hardy I. Sex ratios : concepts and research methods. School of Biosciences, University of Nottingham, United Kingdom; 2002. Fisher RA. The genetical theory of natural selection. The Clarendon Press; 1930. Hamilton WD. Extraordinary sex ratios. Science. 1967;156: 477–488. Charnov EL. The theory of sex allocation. 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