Petite note sur le factitif pronominal
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Petite note sur le factitif pronominal Candace L. Veecock 1. Introduction Face aux énoncés suivants, généralement admis comme des passifs, l’exemple (2) véhicule sensiblement plus d’informations : (1) Paul a été écrasé par une voiture (2) Paul s’est fait écraser par une voiture Si le passif permet de focaliser sur une action que le sujet grammatical subit ou reçoit, en mettant l’agent au second plan, il y a de nombreuses différences entre ces deux formes. Le passif canonique formé avec le participe passé du verbe être est le plus employé. La construction en se faire + infinitif est soumise à plus de contraintes ce qui fait qu’elle est moins employée. 2. Structure et interprétation Les grammaires, dont parmi d’autres Damourette & Pichon (1936) et Dubois (1967), classent souvent se faire + infinitif parmi les constructions passives. En effet, se faire, se laisser, se voir ainsi que s’entendre sont classés comme des « véritables auxiliaires de passivation ». Comme le fait remarquer Gaatone : La construction causative pronominale, de forme se faire INF, est souvent considérée comme l’équivalent d’une phrase passive, du moins dans sa lecture préférentielle, si l’infinitif désigne un événement « désagréable », un « ennui », un « malheur » (1998 : 242). 1 A la base, nous avons donc une structure active. Se faire + infinitif est structurellement une construction causative et réfléchie. De ce fait, il est communément admis que la construction semble privilégier des sujets animés ainsi que l’attribution d’une responsabilité au sujet : l’action recherchée étant naturellement ce que l’homme poursuit. En conséquence, une interprétation « comme un véritable causatif » n’est jamais exclue. (c.f. Gaatone 1983 et 1998 ; Tasmowski-De Ryck & van Oevelen 1987). Le verbe faire garde, selon Bat-Zeev Shyldkrot, « une valeur causative » et implique « de la part du sujet un certain degré de responsabilité » (2005 : 247). Dans cette optique, si le verbe faire « remplit sa fonction normale dans la construction : le sujet désigne l’instigateur volontaire » (Gaatone, 1998 : 242). De surcroît et en dépit de son sémantisme structurellement actif, se faire + infinitif permet une interprétation passive. Comme Gaatone le dit, ce serait « sa lecture préférentielle » à condition que l’infinitif présente un caractère « désagréable ». Encore d’après Muller : « Le verbe se faire permet aussi une orientation passive mais l’effet ‘passif’ est perturbé par l’interprétation plus ou moins ‘volontaire’ suggéré par faire » (2002 : 230). Le faire dans se faire + infinitif est alors problématique car plus dans l’agir que le pâtir. En conséquence le sujet grammatical de cette construction « n’est pas patient au même titre que le sujet d’une construction passive » (Tasmowski-De Ryck & van Oevelen, 1987 : 42). Un résidu du sémantisme de faire reste opératoire ce qui fait que la construction autorise une des interprétations apparemment contradictoires. Notamment, la mobilisation d’une responsabilité imputable au sujet animé est fréquente. On dit que « la construction causative pronominale implique une certaine responsabilité, sinon une activité volontaire, du référent du sujet » (cf. Gaatone, 1998 : 242). Même dans son interprétation passive, et contrairement au passif 2 canonique, le sujet est alors « susceptible de responsabilité » et est « donc animé » (Gaatone, 1998 : 242). Il faut cependant nuancer l’ensemble de ces propos en prenant en considération le degré de passivité de la construction ainsi que les sujets y entrant. D’après Culioli, « [l]’expression ‘se faire + infinitif + par’ n’est pas du tout réservée aux êtres animés, mais elle s’applique à tout : la tasse se fait renverser, le camion se fait laver, la bille se fait pousser, etc. » (1999 : 41). Se faire + infinitif peut effectivement prendre des sujets inanimés mais avec des conditions particulières. Tandis que les exemples de Culioli sont grammaticaux, il est en effet peu probable que quelqu’un les énonce. La double présence d’un sujet inanimé avec le présent simple force d’autres considérations. En premier, la plausibilité se joue en fonction des temps verbaux : au présent simple se faire + infinitif mobilise habituellement une valeur générique et non événementielle. Avec un changement du temps verbal, l’acceptabilité des énoncés basculent : (3) *La tasse s’est fait renverser (4) ? La tasse est en train de se faire renverser (5) ? La tasse va se faire renverser (6) *Le camion s’est fait laver (7) *La bille s’est fait pousser Afin de pouvoir établir un éventuel lien avec le passif en être, il est nécessaire d’analyser se faire + infinitif au passé composé (Veecock, 2008a ; Veecock, 2008b). En conséquence, nous pouvons contourner l’« habillage générique » (Kupferman, 1995 : 75) que se faire + infinitif 3 permet avec d’autres temps de verbes ainsi qu’avec des sujets inanimés. L’habillage générique n’est pas possible au passé composé : (8) Ce verbe peut donc se faire suivre [*s’est fait suivre] d’un complément de lieu (Tasmowski-De Ryck & van Oevelen, 1987 : 48) (9) Ces maladies se font souvent traiter [*s’est fait suivre] à la quinine (Kupferman, 1995 : 69) Ceci n’est pas contredit par Tasmowski-De Ryck & van Oevelen qui défendent que : « […] quand le tour causatif pronominal se trouve au passé composé, le phénomène provoqué est présenté comme réalisé, ce qui est le cas aussi avec un passif » (1987 : 46). Bref, au passé composé, les sujets inanimés sont généralement exclus sauf avec certains verbes de perception (comme entendre, sentir et voir) ainsi que le verbe attendre. 2.1. Intention et responsabilité Tasmowski-De Ryck & van Oevelen défendent l’idée selon laquelle « si la situation ne peut pas être la conséquence d’un comportement ou d’une caractéristique déterminante d[u] S[ujet], le causatif pronominal est inacceptable » (1987 : 46). Dans cette optique et suivant Tesnière, le sujet est l’instigateur de type non intentionnel ce qui fait qu’il n’est pas responsable pour l’événement (1959 : chap. 110, § 9). Il faut toutefois signaler que tous les exemples de se faire + infinitif de Tesnière montrent un trait « désagréable ». Culioli soutient que « la préférence pour ce procédé s’explique en partie par la tendance à attribuer une action ou au moins une intention au sujet de la phrase » (1999 : 41). Ceci semble être confirmé par l’étude de Martin (2002) sur l’acceptabilité des verbes psychologiques après se faire. En effet, les verbes psychologiques qui excluent toute participation de sujet entrent difficilement dans la construction : 4 (10) *Marie s’est fait indigner par Pierre (Martin, 2002 : 212) Blanche-Benveniste (2007) ne tranche pas sur l’intentionnalité et la responsabilité du sujet. L’interprétation active / causative découle d’une « tendance naturelle [qui] est de prendre pour actifs les exemples dans lesquels l’action semble bénéfique au sujet et de prendre pour passifs ceux dont l’action lui est néfaste et pour laquelle il est peu probable qu’il ait mis en œuvre sa volonté » (2007 : 164). Les interprétations active ou passive de se faire + infinitif dépendent des contextes et des « connaissances du monde plus ou moins bien partagées » (2007 : 164). Ce serait le cas pour se faire arrêter qui peut engendrer deux interprétations selon que le sujet se voit attribuer une intention (et une responsabilité) ou non. Notamment, se faire arrêter pour bénéficier d’un congé maladie serait conçu comme un acte intentionnel. Se faire arrêter (par la police) par contre est généralement conçu comme non intentionnel. C’est ainsi que se faire arrêter permet donc une « double orientation » dont dans l’une il y a un « causatif fort » (2007 : 165). Blanche-Benveniste conclut que « [l]e critère de la volonté du sujet n’est pas discriminant pour les emplois de se faire ni avec l’accusatif ni avec le datif » (2007 : 165). 2.2. Rôles thématiques La construction se faire + infinitif agence les rôles thématiques d’une façon radicale. Suivant Langacker (1999), le modèle d’événement typique implique deux rôles archétypes, l’agent et le patient. L’agent est conçu comme l’instigateur et la source d’énergie qui effectue une action physique de manière intentionnelle. Un patient prototypique est de plus souvent un objet qui subit un changement d’état interne. Partant de ce fait, si se faire + infinitif est une 5 construction passive, elle diffère du passif canonique en ce que son sujet est de plus souvent une entité animée. C’est-à-dire, la construction privilégie des patients non prototypiques. Si, par contre, se faire + infinitif est une construction active (car structurellement causative et réfléchie), elle n’a pas d’agent prototypique en position de sujet non plus. Car l’agent instigateur est à la fois patient (ou experiencer, ou bénéficiaire, etc.). En définitive, se faire + infinitif permet de mettre en proéminence (c’est-à-dire voit figurer comme sujet) des entités moins prototypiques comme entres autres un patient animé ou un agent inanimé. Langacker (1999 : 285) parle d’ailleurs de proéminence cognitive et de relevance linguistique. Si nous suivons Langacker (1999 : 293), toute entité ayant un certain degré de saillance cognitive peut figurer comme sujet. Le sujet de se faire + infinitif serait l’entité saillante d’un autre ordre. Il est l’instigateur non prototypique (car plus ou moins intentionnel). En d’autres termes, le sujet est l’élément initial, c’est-à-dire l’origine d’une séquence causative. Mais le sujet est également le patient car en position de pâtir. Au fond, la même entité se voit investir de plusieurs rôles thématiques. 3. Ce que se faire + infinitif permet de transmettre Ce que se faire + infinitif permet de transmettre est en fonction d’au moins six critères : 1) la nature du sujet (animé ou inanimé); 2) la nature de l’infinitif (neutre, positif, négatif ainsi que le nombre d’actants il permet d’instancier) ; 3) le temps verbal employé ; 4) la présence ou non d’un adverbe ; 5) les emplois à la première personne ; et 6) la nature du complément d’agent (s’il est possible d’en ajouter). Tous ces critères se permutent ce qui fait qu’il n’y a 6 pas forcément de hiérarchie de critères. Si nous commençons avec le critère d’animation, par exemple, le sujet animé est clairement privilégié. La nature de l’infinitif vient ensuite pencher la balance vers une interprétation active / causative ou vers une interprétation passive. Si l’infinitif présente un trait « désagréable » (Spang-Hanssen, 1967 ; Gaatone, 1983), l’interprétation préférentielle (surtout avec un sujet animé) est l’équivalent d’un passif. Cependant, nous avons proposé que le sujet animé de se faire + infinitif est toujours en participant agentif en dépit des interprétations que la construction permette. Le sujet est toujours un participant (qu’il soit l’instigateur intentionnel ou non). Par agentif, nous faisons référence au degré de participation d’un animé dans un procès. L’agentivité est une relation complexe qui mobilise des notions périphériques comme responsabilité, volonté, cause et intention (Culioli, 1999 : 100). Une participation du sujet animé dans se faire + infinitif est exigée. Cela inclut au minimum la simple présence physique à l’événement (Bat-Zeev Shyldkrot, 1981 : 397 ; Tasmowski-De Ryck & van Oevelen, 1987). En effet, les personnes absentes ou mortes ne peuvent pas figurer comme les sujets de se faire + infinitif. Lorsque le sujet est inanimé, certains temps verbaux sont immédiatement exclus, l’ajout d’un adverbe d’intention ainsi qu’un complément d’agent est limité voire exclus. Une certaine catégorie de verbes privilégie des sujets inanimés : il s’agit des verbes de perception (principalement voir, entendre et sentir) ainsi que le verbe attendre. Ces verbes s’emploient régulièrement comme l’infinitif après se faire. En plus, ils figurent dans tous les temps verbaux, parfois après un pronom relatif : (11) …le plan qui s’est fait attendre (*par tout le monde) (12) …le bruit qui s’est fait entendre (*par les piétons) 7 (13) *Le bruit s’est fait délibérément entendre A la première personne, l’agentivité du sujet (énonciateur) est plus particulièrement en cause : (14) Je me suis fait couper par une scie (15) Je me suis fait assommer par une branche d’arbre (16) Je me suis fait heurter par un camion (17) Je me suis fait livrer deux pizzas Lorsque le sujet est l’experiencer d’un événement qu’il aurait provoqué lui-même, on remarque l’impossibilité d’ajouter un complément d’agent animé : (18) Je me suis fait vomir (*par moi / *par Paul) (19) Je me suis fait vomir par culpabilité (20) Je me suis fait bronzer (*par moi / *par le soleil) (21) Je me suis fait bronzer par séances UV de trente minutes Ceci peut en effet être un autre type de construction qui s’approche à la fois du réfléchi (de type se laver) et de la construction moyenne. 3.1. Combien d’interprétations? Se faire + infinitif reçoit un traitement parallèle dans le Dictionnaire de l’Académie Française (DAF) en ligne et le Trésor de la Langue Française Informatisé (TLF). L’entrée de se faire 8 suivi d’un infinitif montrent plusieurs interprétations. En premier, un sens « réfléchi direct » pour « une action qu’on entreprend par soi-même et dont on est l’objet » (DAF). Tel est le cas par exemple de se faire maigrir, se faire bronzer, se faire vomir. L’action du sujet (forcément animé) part et aboutit directement sur lui-même. En deuxième, un sens « réfléchi indirect » (comme se faire couler un bain, se faire couper les cheveux, se faire inviter, se faire servir un café). Il s’agit d’être le bénéficiaire d’un service ou d’une action obtenue d’autrui. Ensuite, il y a une interprétation passive pour « une action dont on subit involontairement les effets » (DAF) (comme se faire tuer, se faire renverser, se faire gronder, se faire avoir). Le introduit un sens que le TLF DAF ignore : il s’agit d’une « action qu’on provoque, qu’on suscite délibérément » (comme se faire apprécier, se faire connaitre etc.). Ce type d’action peut s’inscrire dans la durée (par exemple se faire aimer) ou être ponctuel (par exemple se faire attaquer, se faire tuer pour son pays). Enfin, les deux dictionnaires évoquent les expressions familières avec se faire + infinitif (se faire cuire un œuf, etc.) Entre linguistes, mentionnons Labelle (2002) qui défend que malgré une structure causative, se faire + infinitif est une construction passive écartant ainsi toute récupération du sémantisme de faire. Parmi les linguistes qui opposent deux interprétations dont une active / causative et l’autre passive, mentionnons Gaatone (1983) et Tasmowski-De Ryck & van Oevelen (1987). Ces linguistes se distinguent en ce que Gaatone oppose l’activité et la volonté (donc une responsabilité) à la passivité sans volonté (et donc aucune responsabilité). Par contraste, dans l’optique de Tasmowski-De Ryck & van Oevelen (1987), la responsabilité est toujours en jeu en dépit des interprétations possibles. Ensuite, l’analyse expérimentale de Baudet et al. prévoit que la construction « a pour propriété de permettre trois types d'interprétations » (1997 : 251) dont une interprétation causative / intentionnelle, une interprétation causative / non intentionnelle et une interprétation non causative / non 9 intentionnelle. Au contraire, Kupferman bifurque radicalement des autres traitements en proposant que l’expression se faire + infinitif fait référence à deux constructions distinctes qui sont devenues homonymes (dont une causative et réfléchie et l’autre passive). Dans un autre ordre d’idée, Kokutani (2005) propose cinq interprétations. Il s’agit de : 1) dynamique (à la première personne ; le sujet est l’experiencer) ; 2) factitif-bénéficiaire (avec un sens causatif et réfléchi) ; 3) causatif (désagréable) ; 4) passif-fataliste (l’équivalent du passif canonique) ; et 5) spontané (principalement avec des verbes de perception). Ces cinq interprétations sont reliées par la notion de « caractérisation causale » (2005 : 210). Enfin, Blanche-Benveniste examine un certain nombre de « verbes privilégiés » qui entrent dans « la construction en se faire issue d’un datif ». Il s’agit des : 1) verbes de donation (comme donner, livrer, offrir, etc.) ; 2) verbes de communication (comme téléphoner, expliquer, raconter, etc.) ; 3) verbes « à datif ‘partitif » (comme arracher une dent, couper les cheveux,) ; et 4) verbes « datif d’intérêt » (comme laver les vêtements). 3.2. Sur la piste du datif Le terme datif n’est pas sans problèmes. L’héritage du datif en français reste les pronoms lui et leur. Le datif signale le plus souvent une personne intimement impliquée dans un procès mais quelque part en périphérie. Le terme peut signaler plusieurs types de relations. Comme le fait remarquer Lavency (1985 : 47) cité dans Delaunois (1988 : 70, notes) : « le datif d’intérêt ne désigne jamais un acteur immédiat du procès signifié : il signifie la personne ‘en vue de qui se réalise le procès signifié’ ». En particulier, le datif d’intérêt « se ramifie en nuances de possession stable, de disposition momentanée, d’avantage ou de désavantage, d’auteur, de point de vue. » (Delaunois, 1988 : 14). 10 Se faire + infinitif permet alors la thématisation de l’objet indirect qui n’a pas de forme passive comme en anglais : (22) Elle s’est fait voler ses bijoux (23) *Elle a été volée ses bijoux (Gaatone, 1998 : 243). (24) A book was given to Paul by Julie [Un livre a été donné à Paul par Julie] (25) Paul was given a book by Julie [*Paul a été donné un livre par Julie] (26) Paul s’est fait donner un livre par Julie Paul s’est fait donner un livre n’est pas tout à fait l’équivalent de « Paul was given a book » à cause du sémantisme résiduel de faire dans une construction structurellement causative et réfléchie. Un rôle participatif éventuel de Paul ne peut pas être définitivement écarté. De ce fait, l’agentivité de Paul est toujours supposée. 3.3. L’aspect inchoatif : de l’avènement à l’événement Comme le fait remarquer Spang-Hanssen (1967), l’aspect inchoatif dans l’instauration d’une situation est certainement en œuvre par rapport à se faire + infinitif. Nommons ainsi l’avènement (marqué par se faire) l’action précurseur à l’événement (marqué par l’infinitif). Un éventuel schéma participatif du sujet serait ainsi à l’avènement ; l’événement étant réalisé par l’agent implicite et distinct du sujet ou bien explicite car introduit par le complément d’agent. L’avènement serait donc l’action antérieure ou la disposition du sujet antérieure à 11 l’événement décrit par l’infinitif. L’avènement peut aboutir à un événement ou à une suite d’événements prévus par le sujet (c’est le cas par exemple de se faire livrer, se faire bronzer, etc.). Mais l’avènement peut également aboutir à un événement ou à une suite d’événements non prévus par le sujet (ce sont tous les cas de prédicats jugés « négatifs » comme se faire renverser). Une scission du rôle d’agent est alors nécessaire car « faire ce n’est pas tout faire ». Il y a anticipation, déclenchement, le faire en partie, le faire intégralement, déléguer une action, mandater une action, commander une action, interrompre une action, reprise d’une action suspendue et ensuite l’achèvement (Desclés & Guentchéva 1993). A travers un procès sécable en micro-événements, la notion de capacité de contrôle (Desclés & Guentchéva 1993) est incontournable. Le contrôle implique la possibilité de déclencher, interrompre, ou terminer une action. Il n’y a donc pas toujours un seul et unique agent mais, le plus souvent, deux voire plus. Le sujet grammatical participe à l’avènement (c’est-à-dire il est à l’origine d’une action). À part des exemples de type se faire vomir, se faire bronzer, etc., une autre entité (l’agent introduit par le complément d’agent, par exemple) participe nécessairement à l’événement de l’infinitif. Ce serait l’agent véritable que réalise, effectue ou termine l’action que l’instigateur aurait incitée. Certainement à cause du dédoublement d’agents, la construction se faire + infinitif bloque le passif impersonnel (où la récupération d’un agent est bloquée). 4. Conclusion La construction en se faire + infinitif est une construction généralement classée comme « passive ». Elle permet l’attribution de l’agentivité à son sujet animé. Employée au passé composé, elle correspond plus formellement au passif canonique certes avec l’ajout 12 sémantique d’une participation de la part de son sujet animé. C’est bien le verbe faire qui laisse plausible l’attribution de l’agentivité. Le rapprochement d’une responsabilité y est fortement lié. L’interprétation causative et réfléchie découle d’un infinitif neutre ou évalué comme positif. L’interprétation passive que se faire + infinitif autorise est préférentielle si l’infinitif évoque une situation évaluée comme néfaste, inopportune ou « désagréable ». L’agentivité est toujours en cause tant que le sujet est animé. En dehors du passé composé et avec d’autres temps verbaux, se faire + infinitif s’emploie facilement avec des sujets inanimés et dégage ordinairement une valeur générique. L’ensemble de ces observations fait que se faire + infinitif n’est pas un passif insignifiant. Avec un sujet inanimé, les candidats à l’infinitif après se faire sont principalement des verbes de perception et attendre. Candace L. Veecock EA 4195 TELEM Université de Bordeaux, France [email protected] Références bibliographiques BAT-ZEEV Shyldkrot H., « À propos de la forme passive ‘se voir + Vinf’ », Folia Linguistica, 1981, 387-407. BAUDET, S., CORDIER, F., & FRANÇOIS, J., « L’identification des classes de procès en contexte II : étude expérimentale », dans J. François & G. Denhière, G. (Eds.), Sémantique linguistique et psychologie cognitive, Aspects théoriques et expérimentaux, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1997, p. 249-282. BLANCHE-BENVENISTE, C., « Les énoncés à causatifs réfléchis », dans A. 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