Dorgeles

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Dorgeles
Descriptif des lectures et activités / Année 2009-2010 / Première ES
Séquence n°
Intitulé : 1914-1918 : Mourir pour la Patrie ?
Objets dʼétude,
Le roman et ses personnages : visions de lʼhomme et du monde ;
perspectives et orientations le récit de guerre ; le premier conflit mondial et lʼexpérience de la
violence collective portée à son paroxysme.
principales
Roland Dorgelès, Les Croix de bois, 1919.
Titre
Incipit.
Auteur
Oeuvre
Intégrale
Chapitre IX “Mourir pour la patrie”.
Extraits
Fin du chapitre XI “Victoire”.
Lectures
analytiques
Etudes
dʼensemble
Groupement
de textes
Titres
Auteurs
Lectures
analytiques
La construction de lʼoeuvre : un “monument aux
morts” ; la culpabilité du survivant ; la place du conflit
dans la littérature.
“La Chanson de Craonne”, anonyme, 1917.
Extrait du Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand
Céline, 1932, “la mort de Barousse”.
Extraits
Lectures cursives /
activités proposées à la
classe par le professeur /
documents
complémentaires.
Lecture cursive de La Chambre des officiers de Marc Dugain,
1999. Lecture et audition de chants patriotiques : “Le Chant des
Girondins” ou “Mourir pour la Patrie”, 1847 ; “Vous nʼaurez pas
lʼAlsace et la Lorraine”, 1871. Lecture et audition du poème “Le
Clairon”, du nationaliste Paul Déroulède. Découverte du travail de
Jacques Tardi, par lʼintermédiaire du documentaire Putain de
guerre ! Tardi et Verney sur les champs dʼhorreur. Lecture dʼun
extrait de Paths of glory de Stanley Kubrick, 1957, “lʼassaut de la
côte 110” et “lʼexécution”. Extrait des Thibault de Roger Martin du
Gard, 1936.
M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe
1
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I
FRERES DʼARMES
Les fleurs, à cette saison de lʼannée, étaient déjà rares ; pourtant on en avait trouvé pour décorer
tous les fusils du renfort et, la clique en tête, entre deux haies muettes de curieux, le bataillon,
fleuri comme un grand cimetière, avait traversé la ville à la débandade.
Avec des chants, des larmes, des rires, des querelles dʼivrognes, des adieux déchirants, ils
sʼétaient embarqués. Ils avaient roulé toute la nuit, avaient mangé leurs sardines et vidé les bidons
à la lueur dʼune misérable bougie, puis, las de brailler, ils sʼétaient endormis, tassés les uns contre
les autres, tête sur épaule, jambes mêlées.
Le jour les avait réveillés. Penchés aux portières, ils cherchèrent dans les villages, dʼoù
montaient les fumées du petit matin, les traces des derniers combats. On se hélait de wagon à
wagon.
- Tu parles dʼune guerre, même pas un clocher de démoli !
Puis, les maisons ouvrirent les yeux, les chemins sʼanimèrent, et retrouvant de la voix pour hurler
des galanteries, ils jetèrent leurs fleurs fanées aux femmes qui attendaient, sur le môle des gares,
le retour improbable de leurs maris partis. Aux haltes, ils se vidaient et faisaient le plein des
bidons. Et vers dix heures, ils débarquaient enfin à Dormans, hébétés et moulus.
Roland Dorgelès, Les Croix de bois, chapitre I, “Frères dʼarmes”, 1919.
IX
MOURIR POUR LA PATRIE
NON, cʼest affreux, la musique ne devrait pas jouer ça…
Lʼhomme sʼest effondré en tas, retenu au poteau, par ses poings liés. Le mouchoir, en bandeau,
lui fait comme une couronne. Livide, lʼaumônier1 dit une prière, les yeux fermés pour ne plus voir.
Jamais, même aux pires heures, on nʼa senti la Mort présente comme aujourdʼhui. On la devine,
on la flaire, comme un chien qui va hurler. Cʼest un soldat, ce tas bleu2 ? Il doit être encore chaud.
Oh ! être obligé de voir ça, et garder, pour toujours dans sa mémoire, son cri de bête, ce cri
atroce où lʼon sentait la peur, lʼhorreur, la prière, tout ce que peut hurler un homme qui
brusquement voit la mort là, devant lui. La Mort : un petit pieu de bois et huit hommes blêmes,
lʼarme au pied.
Ce long cri sʼest enfoncé dans notre cœur à tous, comme un clou. Et soudain, dans ce râle
affreux, quʼécoutait tout un régiment horrifié, on a compris des mots, une supplication dʼagonie :
« Demandez pardon pour moi … Demandez pardon au colonel … »
Il sʼest jeté par terre, pour mourir moins vite, et on lʼa traîné au poteau par les bras, inerte,
hurlant. Jusquʼau bout il a crié. On entendait : « Mes petits enfants… Mon colonel… » Son sanglot
déchirait ce silence dʼépouvante et les soldats tremblants nʼavaient plus quʼune idée : « Oh ! vite…
vite… que ça finisse. Quʼon tire, quʼon ne lʼentende plus !… »
1
Ecclésiastique servant aux Armées.
2
Couleur de lʼuniforme des soldats français.
M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe
2
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Le craquement tragique dʼune salve3. Un autre coup de feu, tout seul : le coup de grâce. Cʼétait
fini…
Il a fallu défiler devant son cadavre, après. La musique sʼétait mise à jouer Mourir pour la Patrie,
et les compagnies déboîtaient lʼune après lʼautre, le pas mou. Berthier serrait les dents, pour quʼon
ne voie pas sa mâchoire trembler. Quand il a commandé : « En avant ! » Vieublé, qui pleurait, à
grands coups de poitrine, comme un gosse, a quitté les rangs en jetant son fusil, puis il est tombé,
pris dʼune crise de nerfs.
En passant devant le poteau, on détournait la tête. Nous nʼosions pas même nous regarder lʼun
lʼautre, blafards, les yeux creux, comme si venions de faire un mauvais coup.
Voilà la porcherie où il a passé sa dernière nuit, si basse quʼil ne pouvait sʼy tenir quʼà genoux. Il
a dû entendre, sur la route, le pas cadencé des compagnies descendant à la prise dʼarmes. Aura-til compris ?
Cʼest dans la salle de bal du Café de la Poste quʼon lʼa jugé hier soir. Il y avait encore les
branches de sapin de notre dernier concert, les guirlandes tricolores en papier, et, sur lʼestrade, la
grande pancarte peinte par les musicos 4 : « Ne pas sʼen faire et laisser dire ».
Un petit caporal, nommé dʼoffice, lʼa défendu, gêné, piteux. Tout seul sur cette scène, les bras
ballants, on aurait dit quʼil allait « en chanter une », et le commissaire du gouvernement a ri,
derrière sa main gantée.
- Tu sais ce quʼil avait fait ?
- Lʼautre nuit, après lʼattaque, on lʼa désigné de patrouille. Comme il avait déjà marché la veille, il
a refusé. Voilà …
- Tu le connaissais ?
- Oui, cʼétait un gars de Cotteville. Il avait deux gosses.
Deux gosses ; grands comme son poteau…
Roland Dorgelès, Les Croix de bois, chapitre IX, “Mourir pour la patrie”, 1919.
Sur la route, on voyait se grouper la musique, et le drapeau, sorti de sa gaine, prendre son rang.
- En avant !... marche !
Le régiment sʼébranla. En tête, la musique jouait la marche du régiment, et, à la reprise
victorieuse des clairons, il me sembla que les dos las se redressaient. Le départ avait été pesant,
mais, déjà, la cadence se faisait plus nette, et les pieds talonnaient la route dʼun rythme régulier.
Cʼétaient des mannequins de boue qui défilaient, godillots de boue, cuissards de boue, capotes de
boue, et les bidons pareils à de gros blocs dʼargile.
Pas un des blessés légers nʼavait quitté les rangs mais ils nʼétaient pas plus blêmes, pas plus
épuisés que les autres. Tous avaient sous le casque les mêmes traits dʼépouvante : un défilé de
revenants.
Les paysans du front ont le cœur endurci et ne sʼémeuvent plus guère après tant dʼhorreurs ;
pourtant, quand ils virent déboucher la première compagnie de ce régiment dʼoutre-tombe, leur
visage changea.
- Oh ! les pauvres gars…
Une femme pleura, puis dʼautres, puis toutes…
3
Décharge dʼarmes à feu.
4
Musiciens (argot militaire).
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3
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Cʼétait un hommage de larmes, tout le long des maisons, et cʼest seulement en les voyant pleurer
que nous comprîmes combien nous avions souffert. Un triste orgueil vint aux plus frustes. Toutes
les têtes se redressèrent, une étrange fierté aux yeux. La musique nous entraînait, à pleins
cuivres, tambour roulant ; les plus fourbus semblaient revivre et on les sentait prêts à crier : « Cʼest
nous qui avons fait lʼattaque !... Cʼest nous qui revenons de là-haut… »
Sur la place, le bataillon de jeunes était rangé, capotes neuves, baïonnette au canon. Quelques
pas en avant, le général à cheval, avec sa suite chamarrée. Pas une voix dans nos rangs, pas un
murmure en face. On nʼentendait, sous la musique fiévreuse, que la cadence mécanique du
régiment en marche. Le regard volontaire de ceux qui défilaient semblait vouloir dominer tous ces
gosses muets qui présentaient les armes.
Le général sʼétait levé sur ses étriers et, dʼun grand geste de théâtre, dʼun beau geste de son
épée nue, il salua notre drapeau troué, il Nous salua… Le régiment, soudain, ne fut plus quʼun être
unique. Une seule fierté : être ceux quʼon salue ! Fiers de notre boue, fiers de notre peine, fiers de
nos morts !...
Les clairons éclatants reprirent et nous entrâmes dans la grand-rue, glorieux, raidis, entre une
haie mouvante de gosses qui marchaient au pas. La jeune fille des Postes, les yeux rouges, la tête
renversée, nous fit bonjour de son mouchoir mouillé, en criant quelque chose quʼun sanglot
étrangla.
Alors, Sulphart tout pâle ne put se retenir :
- Cʼest nous autres qui avons pris le village ! lui cria-t-il dʼune voix forte. Cʼest nous !
Et de toutes les têtes tournées, de tous les yeux brillants, de toutes les lèvres, le même cri
dʼorgueil semblait jaillir : « Cʼest nous ! Cʼest nous ! »
La musique sonore nous saoulait, semblant nous emporter dans un dimanche en fête ; on
avançait, lʼardeur aux reins, opposant à ces larmes notre orgueil de mâles vainqueurs.
Allons, il y aura toujours des guerres, toujours, toujours…
Roland Dorgelès, Les Croix de bois, chapitre XI, “Victoire”, 1919.
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“Mourir pour la patrie”, ou “Le choeur des Girondins” : Chanson écrite par Alexandre Varney en
1847 à l'occasion de la représentation d'un drame théâtral intitulé Le Chevalier de Maison-Rouge,
écrit par Alexandre Dumas et Auguste Maquet.
Par la voix du canon d'alarme,
La France appelle ses enfants.
Allons, dit le soldat, aux armes !
C'est ma mère, je la défends.
Mourir pour la Patrie, (bis)
C'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie ! (bis)
Nous, amis, qui loin des batailles
Succombons dans l'obscurité,
Vouons du moins nos funérailles
A la France, à la liberté.
Mourir pour la Patrie, (bis)
C'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie ! (bis)
Frères, pour une cause sainte,
Quand chacun de nous est martyr,
Ne proférons pas une plainte,
La France un jour, doit nous bénir.
Mourir pour la Patrie, (bis)
C'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie ! (bis)
Du créateur de la nature,
Bénissons encore la bonté,
Nous plaindre serait une injure :
Nous mourons pour la liberté.
Mourir pour la Patrie, (bis)
C'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie ! (bis)
Les deux vers du refrain : " Mourir pour la patrie. C'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie...",
ont été empruntés à Roland à Roncevaux, chant composé à Strasbourg en 1792 par Rouget de
Lisle.
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“Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine”, paroles de Gaston Villemer et Henri Nazet, musique de
Ben Tayoux (1871).
France à bientôt ! Car la sainte espérance
Emplit nos coeurs en te disant : adieu,
En attendant l'heure de délivrance,
Pour l'avenir... Nous allons prier Dieu.
Nos monuments où flotte leur bannière
Semblent porter le deuil de ton drapeau.
France entends-tu la dernière prière
De tes enfants couchés dans leur tombeau ?
(Refrain)
Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine,
Et, malgré vous, nous resterons français.
Vous avez pu germaniser la plaine,
Mais notre coeur vous ne l'aurez jamais.
Eh quoi ! Nos fils quitteraient leur chaumière
Et s'en iraient grossir vos régiments !
Pour égorger la France, notre mère,
Vous armeriez le bras de ses enfants !
Ah ! Vous pouvez leur confier des armes,
C'est contre vous qu'elles leur serviront,
Le jour où, las de voir couler nos larmes,
Pour nous venger leurs bras se lèveront.
Ah ! Jusqu'au jour où, drapeau tricolore,
Tu flotteras sur nos murs exilés,
Frères, étouffons la haine qui dévore
Et fait bondir nos coeurs inconsolés.
Mais le grand jour où la France meurtrie
Reformera ses nouveaux bataillons,
Au cri sauveur jeté par la patrie,
Hommes, enfants, femmes, nous répondrons.
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L'air est pur, la route est large,
Le Clairon sonne la charge,
Les Zouaves vont chantant,
Et là-haut sur la colline,
Dans la forêt qui domine,
Le Prussien les attend - Variante : "On les guette, on les attend."
Le Clairon est un vieux brave,
Et lorsque la lutte est grave,
C'est un rude compagnon ;
Il a vu mainte bataille
Et porte plus d'une entaille,
Depuis les pieds jusqu'au front.
C'est lui qui guide la fête
Jamais sa fière trompette
N'eut un accent plus vainqueur;
Et de son souffle de flamme,
L'espérance vient à l'âme,
Le courage monte au cœur.
On grimpe, on court, on arrive,
Et la fusillade est vive,
Et les Prussiens sont adroits - Variante : "Et les autres sont adroits."
Quand enfin le cri se jette:
" En marche! A la baïonnette !"
Et l'on entre sous le bois.
A la première décharge,
Le Clairon sonnant la charge
Tombe frappé sans recours;
Mais, par un effort suprême,
Menant le combat quand même,
Le Clairon sonne toujours.
Et cependant le sang coule,
Mais sa main, qui le refoule,
Suspend un instant la mort,
Et de sa note affolée
Précipitant la mêlée,
Le vieux Clairon sonne encore.
Il est là, couché sur l'herbe,
Dédaignant, blessé superbe,
Tout espoir et tout secours;
Et sur sa lèvre sanglante,
Gardant sa trompette ardente,
Il sonne, il sonne toujours.
Puis, dans la forêt pressée,
Voyant la charge lancée,
Et les Zouaves bondir,
Alors le clairon s'arrête,
Sa dernière tâche est faite,
Il achève de mourir.
Paul Déroulède, “Le Clairon”, Chants du soldat, 1872
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La Chanson de Craonne (Anonyme, 1917).
Le plateau de Craonne, dans lʼAisne, a été le théâtre de violents combats lors des différentes batailles du
Chemin des Dames (1917 et 1918). Cette chanson, symbole de lʼépuisement physique et moral des
combattants, a été composée par un auteur anonyme, sur lʼair dʼune chanson populaire à la mode. Les
autorités militaires ont offert en vain une récompense à qui dévoilerait lʼidentité de son auteur. Elle est
devenue lʼhymne des mutins de 1917 et a été longtemps interdite en France.
Quand au bout d' huit jours le r'pos terminé
On va reprend' les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile5.
Mais c'est bien fini, on en a assez,
Personn' ne veut plus marcher.
Et le cœur bien gros, comm' dans un sanglot,
On dit adieu aux civelots6.
Mais sans tambour et sans trompette
On s'en va là-bas en baissant la tête.
Refrain.
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes.
C'est bien fini, c'est pour toujours
De cette guerre infâme.
C'est à Craonne, sur le plateau
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous somm' tous des condamnés,
Nous somm' les sacrifiés.
Huit jours de tranchée, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l'espérance
Que ce soir viendra la r'lève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain dans la nuit et le silence,
On voit quelqu'un qui s'avance :
C'est un officier de chasseurs à pied7,
Qui vient pour nous remplacer.
Doucement dans l'ombre, sous la pluie qui tombe,
Nos pauv' remplaçants vont chercher leurs tombes.
(Variante : Les petits chasseurs vont …).
(Au refrain).
5
Défaite (argot militaire).
6
Civils (idem).
7
Unité dʼinfanterie.
M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe
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Descriptif des lectures et activités / Année 2009-2010 / Première ES
C'est malheureux d' voir sur les grands boul'vards
Tous ces gros qui font la foire,
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous c'est pas la même chose.
Au lieu de s' cacher, tous ces embusqués 8
F'raient mieux d' monter aux tranchées,
Pour défend' leurs biens, car nous on n'a rien,
Nous aut' les pauv' purotins 9.
Et les camarades sont étendus là
Pour défend' les biens de ces messieurs-là.
(Sur l'air du refrain).
Ceux qu'ont l' pognon, ceux-là r'viendront,
Car c'est pour eux qu'on crève,
Mais c'est fini, nous les trouffions 10,
On va se mettre en grève.
Ce s'ra vot' tour, messieurs les gros 11
De monter sur l' plateau :
Si vous voulez encor' la guerre,
Payez-la d' votre peau.
8
Personnes qui échappent volontairement à la mobilisation et aux combats (argot militaire).
9
Malheureux (idem).
10
Soldats (idem).
11
Bourgeois.
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Nos Allemands accroupis au fin bout de la route venaient justement de changer dʼinstrument12. Cʼest à la
mitrailleuse quʼils poursuivaient à présent leurs sottises ; ils en craquaient comme de gros paquets
dʼallumettes et tout autour de nous venaient voler des essaims de balles rageuses, pointilleuses comme des
guêpes.
Lʼhomme arriva tout de même à sortir de sa bouche quelque chose dʼarticulé :
-
12
Le maréchal des logis13 Barousse vient dʼêtre tué, mon colonel, quʼil dit tout dʼun trait.
Et alors ?
Il a été tué en allant chercher le fourgon à pain sur la route des Etrapes, mon colonel !
Et alors ?
Il a été éclaté par un obus !
Et alors, nom de Dieu !
Et voilà ! Mon colonel …
Cʼest tout Oui, cʼest tout, mon colonel.
Et le pain ? demanda le colonel.
Les soldats allemands ont tout dʼabord tenté dʼatteindre leurs cibles en tirant au fusil.
13
Sous-officier de cavalerie. Grade correspondant à celui de sergent dans lʼinfanterie.
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Descriptif des lectures et activités / Année 2009-2010 / Première ES
Ce fut la fin de ce dialogue parce que je me souviens bien quʼil a eu le temps de dire tout juste : « Et le
pain ? » Et puis ce fut tout. Après ça, rien que du feu et puis du bruit avec. Mais alors un de ces bruits
comme on ne croirait jamais quʼil en existe. On en a eu tellement plein les yeux, les oreilles, le nez, la
bouche, tout de suite, du bruit, que je croyais bien que cʼétait fini que jʼétais devenu du feu et du bruit moimême.
Et puis non, le feu est parti, le bruit est resté longtemps dans ma tête, et puis les bras et les jambes qui
tremblaient comme si quelquʼun vous les secouait de par-derrière. Ils avaient lʼair de me quitter, et puis ils
me sont restés quand même mes membres. Dans la fumée qui piqua les yeux encore pendant longtemps,
lʼodeur pointue de la poudre et du soufre nous restait comme pour tuer les punaises et les puces de la terre
entière.
Tout de suite après ça, jʼai pensé au maréchal des logis Barousse qui venait dʼéclater comme lʼautre nous
lʼavait appris. Cʼétait une bonne nouvelle. Tant mieux ! que je pensais tout de suite ainsi : « Cʼest une bien
grande charogne en moins dans le régiment ! » Il avait voulu me faire passer au Conseil14 pour une boîte de
conserves. « Chacun sa guerre ! » que je me dis. De ce côté-là, faut en convenir, de temps en temps, elle
avait lʼair de servir à quelque chose la guerre ! Jʼen connaissais bien encore trois ou quatre dans le
régiment, de sacrées ordures que jʼaurais aidé bien volontiers à trouver un obus comme Barousse.
14
Tribunal militaire chargé de juger les soldats auteurs de délits ou de crimes.
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Descriptif des lectures et activités / Année 2009-2010 / Première ES
Quant au colonel, lui, je ne lui voulais pas de mal. Lui pourtant aussi il était mort. Je ne le vis plus, tout
dʼabord. Cʼest quʼil avait été déporté sur le talus, allongé sur le flanc par lʼexplosion et projeté jusque dans
les bras du cavalier à pied, le messager, fini lui aussi. Ils sʼembrassaient tous les deux pour le moment et
pour toujours, mais le cavalier nʼavait plus sa tête, rien quʼune ouverture au-dessus du cou, avec du sang
dedans qui mijotait en glouglous comme de la confiture dans la marmite. Le colonel avait son ventre ouvert,
il en faisait une sale grimace. Ça avait dû lui faire du mal ce coup-là au moment où cʼétait arrivé. Tant pis
pour lui ! Sʼil était parti dès les premières balles, ça ne lui serait pas arrivé.
Toutes ces viandes saignaient énormément ensemble.
Des obus éclataient encore à la droite et à la gauche de la scène.
Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline, 1932.
M. Duhornay / Lycée Jehan-Ango / Dieppe
12
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Ecrivain français né en 1881 et disparu en 1958, Roger Martin du Gard a composé une fresque
romanesque de neuf volumes, Les Thibault, qui évoque par lʼintermédiaire dʼune destinée familiale
lʼhistoire de la crise politique et sociale avant la guerre de 1914-1918.
A la veille de la mobilisation (obligation faite à tout citoyen en âge de porter les armes de
combattre dans les rangs de lʼarmée pour « servir son pays), en 1914, deux frères, Antoine et
Jacques Thibault, échangent leur point de vue à propos de la conduite quʼils vont tenir face à la
guerre. Antoine est un médecin reconnu et Jacques, son cadet, un révolutionnaire pacifiste.
« - […] En un pareil moment, refuser de servir, cʼest faire passer son intérêt personnel avant
lʼintérêt général. »
- « Avant lʼintérêt national ! » riposta Jacques. « Lʼintérêt général, lʼintérêt des masses, cʼest
manifestement la paix, et non la guerre ! »
Antoine fit un geste évasif, qui semblait vouloir écarter de la conversation toute controverse15
théorique. Mais Jacques insista :
- « Lʼintérêt général, cʼest moi qui le sers, - par mon refus ! Et je sens bien, - je sens dʼune façon
indubitable16, - que ce qui se refuse en moi, aujourdʼhui, cʼest le meilleur ! »
Antoine retint un mouvement dʼimpatience :
- « Réfléchis, voyons … Quel résultat pratique peux-tu espérer de ce refus ? Aucun !… Quand tout
un pays mobilise, quand lʼimmense majorité – comme ce serait le cas – accepte lʼobligation de la
défense nationale, quoi de plus vain, de plus voué à lʼéchec, quʼun acte isolé
dʼinsubordination17 ? »
Le ton restait si volontairement mesuré, si affectueux, que Jacques en fut touché. Très calme, il
regarda son frère, et esquissa même un sourire amical.
- « Pourquoi revenir là-dessus, mon vieux ? Tu sais bien ce que je pense … Je nʼaccepterai jamais
quʼun gouvernement puisse me forcer à prendre part à une entreprise que je considère comme un
crime, comme une trahison de la vérité, de la justice, de la solidarité humaine …
[…]
Antoine le considéra un instant en silence. Il ne désespérait pas encore.
- « Les faits sont là, et nous pressent », reprit-il. « Demain, la gravité des événements, - des
événements qui ne dépendent plus de personne, - peut obliger lʼEtat à disposer de nous. Crois-tu
vraiment que ce soit lʼheure, pour nous, dʼexaminer si les contraintes que nous impose notre pays
sont en accord avec nos opinions personnelles ? Non ! Les responsables décident, les
responsables commandent … Dans mon service, quand jʼordonne dʼurgence un traitement que je
juge opportun, je nʼadmets pas quʼon le discute… »
Il leva gauchement la main vers son front, et posa une seconde ses doigts sur ses paupières,
avant de continuer, avec effort :
- « Réfléchis, mon petit… Il ne sʼagit pas dʼapprouver la guerre, - crois-tu que je lʼapprouve ?- il
sʼagit de la subir. Avec révolte, si cʼest notre tempérament ; mais une révolte intérieure, et que le
sentiment du devoir sache museler18 . Marchander notre concours19, au moment du danger, ce
serait trahir la communauté… Oui, cʼest là que serait la vraie trahison, le crime envers les autres,
le manque de solidarité… Je ne prétends pas nous interdire le droit de discuter les décisions que
le gouvernement va prendre. Mais plus tard. Après avoir obéi. »
Jacques ébaucha un nouveau sourire :
- « Et moi, vois-tu, je prétends quʼun individu est libre de se désintéresser totalement des
prétentions nationales au nom desquelles les Etats se font la guerre. Je nie à lʼEtat le droit de
violenter, pour quelque motif que ce soit, les hommes dans leur conscience… Je répugne à
15
Débat contradictoire.
16
Quʼon ne peut mettre en doute.
17
Refus dʼobéissance.
18
Au sens figuré : faire taire.
19
Participation.
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Descriptif des lectures et activités / Année 2009-2010 / Première ES
employer toujours ces grands mots. Pourtant, cʼest bien ça : cʼest ma conscience qui parle plus
haut, en moi, que tous les raisonnements opportunistes comme les tiens. Et cʼest elle, aussi, qui
parle plus haut que vos lois… La seule façon dʼempêcher que la violence règle le sort du monde,
cʼest dʼabord de se refuser, soi, à toute violence ! Jʼestime que le refus de tuer est un signe
dʼélévation morale, qui a droit au respect. Si vos codes et vos juges ne le respectent pas, cʼest tant
pis pour eux : tôt ou tard, ils auront un compte à rendre… »
- « Soit, soit… », fit Antoine, agacé de voir lʼentretien dévier de nouveau vers les idées générales.
Et, croisant les bras : « Mais, pratiquement, quoi ? »
Il sʼavança vers son frère, et, dans un de ces mouvements spontanés qui étaient si rares entre
eux, il lui saisit tendrement les épaules de ses deux mains :
- « Réponds-moi, mon petit… On mobilise demain : quʼest-ce que tu vas faire ? »
Jacques se dégagea, sans impatience, mais fermement :
- « Je continuerai à lutter contre la guerre ! Jusquʼau bout ! Par tous les moyens ! Tous !… Y
compris, - sʼil le faut…- le sabotage révolutionnaire ! » Il avait baissé la voix, malgré lui. Il sʼarrêta,
oppressé : « Je dis ça… Je ne sais pas », reprit-il, après une courte pause. « Mais, une chose est
sûre, Antoine, absolument sûre : moi, soldat ? Jamais ! »
Roger Martin du Gard, Les Thibault IV, LʼEté 1914, 1936.
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