Défauts d`action de l`hormone de croissance
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Défauts d`action de l`hormone de croissance
Défauts d’action de l’hormone de croissance : phénotypes cliniques, biologiques et moléculaires Irène Netchine, Salah Azzi, Yves Le Bouc Explorations Fonctionnelles Endocriniennes Hôpital Armand Trousseau 26, avenue du Dr Arnold-Netter 75012 Paris e-mail : irene.netchine@trs. aphp.fr et INSERM U.938 Faculté Pierre et Marie Curie 4, place Jussieu 75005 Paris 20 IGFNetchine.indd 20 L a croissance d’un individu nécessite l’action de très nombreux facteurs : génétiques, environnementaux, facteurs de croissance et hormones, notamment celles de l’axe somatotrope : GHRHGH-GHR-IGF-I-IGF-1R. L’effecteur final de l’axe somatotrope qu’est l’IGF-I est fortement régulé par la GH mais également par la nutrition. Les retards de croissance de cause indéterminée sont fréquents et peuvent débuter dès la vie in utero. Au cours de ces dernières années, des anomalies génétiques ont été décrites pour des patients sans déficit en hormone de croissance mais dont les taux d’IGF-I sont soit abaissés (ne s’expliquant pas uniquement par une insuffisance d’apports nutritionnels), soit normaux ou élevés en faveur d’un IGF-I bio-inactif ou d’une résistance à l’IGF-I. Ces défauts moléculaires peuvent se situer au niveau du récepteur de l’hormone de croissance (RGH) ou de sa voie de signalisation (STAT5b, SHP-2) mais peuvent également intéresser le gène IGF1, celui de son récepteur IGF-1R ou bien celui codant l’Acid-Labile-Subunit (IGF-ALS). Ces anomalies moléculaires ont des répercussions cliniques (en particulier concernant la croissance fœtale et cérébrale, l’existence d’une surdité ou d’un déficit immunitaire), et hormonales (taux circulants de GH, GHBP, IGF-I, IGFBP-3 et ALS) qui peuvent être proches mais qu’une analyse phénotypique fine, clinique et biologique, permet de distinguer (Tableau 1). L’identification de ces rares anomalies moléculaires a permis de progresser dans la compréhension du mécanisme moléculaire de la pathologie de la croissance mais a également des conséquences en terme de prise en charge thérapeutique car ces différentes anomalies génétiques ont des répercussions différentes sur la sensibilité à la GH ou à l’IGF-I recombinants. A ce jour cependant, la majorité des retards de croissance sans déficit en hormone de croissance n’ont pas encore d’anomalie moléculaire identifiée. Contrôle de la sécrétion en IGF-I et « hypothèses somatomédines » Le système des IGF (insulin-like growth factor) comprend deux facteurs de croissance (IGF-I et IGF-II), six protéines de liaison (IGFBP) et deux récepteurs des IGF. La transduction du signal d’IGF-I et d’IGF-II se fait par le récepteur de type 1 (IGF-1R) qui est un récepteur tyrosine kinase, de la même famille que le récepteur de l’insuline. Le récepteur des IGF de type 2, IGF2R (ou récepteur cation indépendant du Mannose 6 phosphate) lie uniquement IGF-II et permet entre autre la clairance d’IGF-II (Figure 1). Le Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-série - Mai 2011 • 17/05/11 14:33 Tableau 1. Caractéristiques cliniques, biochimiques et hormonales identifiées en cas d’anomalies des gènes GHR, STAT5b, IGF1, IGF-ALS & IGF-1R. Anomalies GHR Anomalies STAT5b IGF1 (délétion des exons 3 & 4) IGF1 mutation ponctuelle V44M (domaine A) IGF1 mutation ponctuelle (domaine C) Anomalies IGF-ALS Anomalies IGF-1R Poids de naissance N ou NB N ou NB D D D D D ou NB Taille de naissance NB ou D NB D D D D D ou NB NB NB D D D ? D D D D D D D D parfois ? Oui Oui Oui Non D le plus souvent Appétit dans l’enfance N N ou abaissé N ? abaissé N abaissé Développement psychomoteur N N Retard important Retard important Retard modéré N N ou retard variable Déficit immunitaire Non Le plus souvent Non Non Non Non Non Surdité Non Non Oui Oui Non Non Non augmenté augmenté augmenté augmenté NH N N ou augmenté Taux sériques de GHBP Abaissé ou rarement N N ou augmenté N N N N Taux sériques d’IGF-I Très abaissé Très abaissé Non détectable Très augmenté Variables selon les trousses de dosage Très abaissé Elevé ou N Taux sériques d’IGFBP-3 Très abaissé Très abaissé N NH N ou augmenté Très abaissé Elevé ou N Taux sériques d’ALS Très abaissé Très abaissé NH NH NH Indétectable ou bas Elevé ou N N N augmenté augmenté normale Normale ou augmenté ? Non efficace Non efficace Non efficace Non testé Efficace à forte dose Efficacité variable Indiqué ? Efficace mais testé tardivement Non testé En cours d’évaluation Non testé Périmètre crânien de naissance Croissance post-natale Microcéphalie Taux sériques de GH Taux sériques Insuline Hypoglycémies Traitement par GH recombinant Traitement par IGF-I recombinant Oui N, signifie normal, NB signifie normal bas, NH signifie normal haut, D signifie déficit. rôle du système des IGF dans le contrôle de la croissance pré- et post-natal a été largement démontré dans des modèles murins (Figure 2) [1]. Ainsi, l’invalidation d’Igf1 ou d’Igf2 chez la souris induit un retard de croissance fœtal (60 % du poids normal). La particularité de ces deux modèles est qu’en période postnatale, les souris Igf1 -/- aggravent leur retard de croissance (30 % du poids normal) alors que les souris Igf2 -/- ou Igf2p-/+ conservent leur retard de croissance avec le même pourcentage (60 % du poids normal des souris sauvages adultes). Ces résultats montrent l’importance du rôle des deux IGFs au cours de la vie fœtale et souligne le rôle de l’IGF-I en période post-natale. Il faut noter que Igf2 est soumis à l’empreinte parentale et que seul l’allèle d’Igf2 d’origine paternelle est exprimé. A la différence de l’humain, l’expression d’Igf2 Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-série - Mai 2011 • IGFNetchine.indd 21 en post-natal chez la souris est éteinte dans tous les tissus sauf dans le cerveau. L’invalidation du gène Igf-1r donne un retard de croissance plus sévère (45 % du poids normal) alors que l’invalidation du gène Igf-2r donne une croissance excessive secondaire à l’augmentation de la biodisponibilité d’IGF-II. Les expériences de double invalidation de gènes du système des IGF ont permis entre autre de démontrer que le signal 21 17/05/11 14:33 Défauts d’action de l’hormone de croissance : phénotypes cliniques, biologiques et moléculaires Growth Hormone + IGF-I IGFBP-1 to -6 1 2 + + 4 5 6 3 ALS IGF-II IGF-I IGF2R M6PciR IGF1R Cellular actions Figure 1. Représentation schématique des différents composants du système Insuline-like growth factor (IGF). Naissance Post-natal 60% 60% 30% 30% IGF1 -/- 100% IGF2 p- 60% 60% 60% Double invalidation IGF1 -/- 45% 45% IGF-1R -/IGF1 -/- 30% 30% IGF2 pIGF-1R -/IGF2R m- Létalité à la naissance 45% 45% IGF-1R -/- 30% 30% IGF2 p- 130% 130% Figure 2. Mise en évidence du rôle du système des IGF par des modèles d’invalidation des principaux composants du système des IGF. Les gènes Igf2 et Igf-2r sont soumis à empreinte parentale. d’IGF-I passe exclusivement via IGF-1R alors que celui d’IGF-II passerait également (~15 %) par un autre récepteur probablement l’isoforme A du récepteur de l’insuline. Les somatomédines (ancienne dénomination pour médiation de l’action de l’hormone somatotrope) ou IGF sont des polypeptides comportant respectivement 70 (IGF-I) et 67 (IGF-II) acides aminés. Leur structure présente 45 % d’homologie avec celle de l’insuline. La production d’IGF-I est contrôlée en période post-natale par l’hormone de croissance (GH), mais aussi par la nutrition et l’insuline. La synthèse et la libé22 IGFNetchine.indd 22 ration de GH sont elles-mêmes contrôlées par le GHRH (stimulateur) et la somatostatine (inhibiteur) hypothalamiques qui intègrent les informations centrales et périphériques (glycémie, amino-acidémie, sommeil, stress…). La GH et l’IGF-I exercent un rétrocontrôle négatif au niveau hypothalamique. La GH est également stimulée par la Ghréline produite par l’estomac et par les stéroïdes sexuels, expliquant, lors de la puberté le pic de sécrétion de GH et d’IGF-I, contemporain de l’accélération de la vitesse de croissance [2, 3] (Figure 3). La quasi-totalité (99 %) des IGFs circulants est liée aux IGFBP qui en complexant les IGFs, en assurent le stockage et le transport d’une part et, d’autre part, modulent leurs effets au niveau des tissus cibles [4]. La demi-vie des IGFs dépend de la concentration en IGFBP et de leur répartition en différents complexes. L’IGFBP-3 est l’IGFBP majoritaire au niveau sanguin. L’IGF-I lié à l’IGFBP-3 et à ALS constitue le grand complexe de 150 kDa, forme majeure de stockage des IGFs au niveau sanguin (80 à 90 % des IGFs dont la demi-vie est augmentée à environ 12-14h au lieu de 10 min pour l’IGF-I libre). Les IGFs liés aux IGFBP sans l’ALS forment des petits complexes de 40 kDa (10 à 20 % des IGFs leur assurant une demi-vie de 30 min) [3] (Figure 4). L’IGF-I, durant la vie post-natale, est principalement synthétisé par le foie qui assure la quasi totalité de la concentration sérique (action endocrine). Il est aussi synthétisé au niveau de nombreux tissus foetaux et adultes pour agir localement (action auto-paracrine). Durant la vie postnatale, l’IGF-I comme l’IGFBP-3 et l’ALS sont dépendants de la GH). Les hypothèses concernant le rôle de l’IGF-I sérique circulant (action endocrine) sur la croissance ont évolué au cours du temps. Il a d’abord été suggéré que les effets de la GH sur la croissance postnatale étaient médiés principalement par l’action de l’IGF-I hépatique. Puis il a été montré que l’IGF-I est produit non seulement par le foie mais également par la plupart des tissus et que la GH intervenait non seulement sur la production hépatique de l’IGF-I mais également sur la production locale des autres tissus ; les effets de la GH sur la croissance post-natale ne dépendraient pas donc uniquement de l’IGF-I d‘origine hépatique. Des études semblaient alors indiquer, du moins chez la souris, que l’IGFI hépatique n’était pas primordial pour une croissance post-natale normale. En effet, une souris transgénique ayant une invalidation de l’Igf1 uniquement au niveau hépatique [souris LID (Liver Igf1 Deficiency)] présente une croissance pratiquement normale ce qui remet en cause le rôle quasi-exclusif de l’IGF-I d’origine hépatique pour la croissance post-natale [5]. Très récemment, des Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-série - Mai 2011 • 17/05/11 14:33 + Stéroïdes Sexuels – Hypothalamus + + GHRH – SRIH Ghreline + – GH Effets indirects de la GH dépendant d’IGF-I Nutrition IGFBP-3 IGF-ALS Effets directs de la GH indépendants d’IGF-I GHR IGF-I IGF-II IGF-1R IGF-2R IGF-I IGF-II Tissus cibles Figure 3. Représentation schématique de l’axe somatotrope et de ses principales régulations. Paramètres de l’axe somatotrope _ 1) Rétrocontrôle négatif d’IGF-I sur la sécrétion de GHRH/GH 2) IGF-I Libre a une très courte demie-vie GHRH SRIF + GHBP – GH + secrétion pulsatile + GH-R dimère IGF I FOIE BP1, BP2.....BP3 3) IGF-I mais également IGFBP-3 et ALS sont GH dépendants Ghreline + ALS Impossi ble d'a che r l'image. Votre ordinate ur manque peut- Impossi ble d'a a che h r l'image. mag ma age. age. g Votre otre re re ordinate r inate nate urr manque peut- IGF I 1% 1/2 vie: 10 ’ BP1 BP2 BP3 petit complexe 10% à 20% ’ 1/2 vie: 30 ’ ALS + BP3 + IGF I SANG grand complexe > 80% 1/2 vie: 12 à 15H Figure 4. Composants du système IGF dépendants de la sécrétion en GH et complexe primaire, secondaire et ternaire des IGFs. Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-série - Mai 2011 • IGFNetchine.indd 23 travaux de la même équipe modulent ces résultats, en effet une souris transgénique surexprimant Igf1 dans le foie (ce qui se traduit par des taux sériques élevés) mais sans expression d’Igf1 dans les autres tissus (transgénèse d’Igf1 dans le foie d’une souris Igf1-/-) présente une croissance normale. Cependant si en l’absence d’IGF-I tissulaire, l’IGF-I endocrine est suffisant pour permettre une croissance linéaire normale chez la souris, il ne suffit pas pour le développement normal de certains organes tels que les ovaires [6]. Détermination de la concentration plasmatique d’IGF-I dans les retards de croissance sans déficit en GH, le concept de déficit primaire en IGF-I existe-t-il ? L’IGF-I plasmatique apparait être de façon consensuelle un paramètre essentiel et bien meilleur que l’IGF-I libre, l’IGFBP-3 ou l’ALS, pour le diagnostic, le suivi et la prise en charge des désordres de l’axe somatotrope. Cependant malgré l’utilisation très répandue de ce dosage, il existe encore de nombreuses difficultés pour obtenir des valeurs fiables. En effet il existe de nombreuses variations de tout ordre qui entourent sa détermination [7, 8]. Il existe tout d’abord de grandes variations entre les résultats des différents dosages qu’ils soient « maison » ou « kits » industriels. Ceci est du à la conception même de chaque dosage : RIA, IRMA ou ELISA, utilisant soit des anticorps polyclonaux soit monoclonaux et surtout du au type d’extraction des IGFBP pour éviter leurs interférences dans la liaison des IGFs aux anticorps (chromatographie d’exclusion en milieu acide, précipitation acide-éthanol, ultrafiltration, blocage par IGF-II). Enfin si les kits sont étalonnés avec le Standart Internationnal IGF-I- WHO IRR 87/518, sa pureté a été mise en question et la calibration devrait être réalisée avec le nouveau IRR (02/254). D’autres différences ont été notées en fonction de la manière de réaliser le 23 17/05/11 14:33 Défauts d’action de l’hormone de croissance : phénotypes cliniques, biologiques et moléculaires prélèvement et de le conserver. Il a été montré des valeurs légèrement supérieures (10 %) quand il s’agissait de sérum par rapport à du plasma sur EDTA. Si l’IGF-I semble être relativement stable lors de la congélation, il est conseillé de ne pas dépasser 12 mois de stockage (à moins de conserver à -80°C) et d’éviter les congélations -décongélations successives. Les autres contraintes proviennent du fait que les concentrations d’IGF-I varient en fonction de l’âge : peu élevées lors des premières années de vie, elles s’élèvent progressivement au cours de l’enfance pour présenter un pic lors de la puberté. Ce pic est plus précoce d’un an chez la fille et légèrement supérieur à celui des garçons. Ceci nécessite donc des références pour chaque type de dosage en tenant compte de l’âge, du sexe et du stade pubertaire permettant de pouvoir donner un résultat non seulement en en ng/ml mais aussi en SDS [7, 9-13]. Le problème spécifique des valeurs d’IGF-I est qu’elles sont, pour un âge donné, très variables d’un individu à un autre avec des plages de valeurs très étendues. Ceci nécessite d’établir les valeurs normales sur un très grand nombre d’enfants et de réaliser des références pour des tranches d’âge très resserrées. Enfin ces valeurs ne suivent pas une distribution gaussienne : les valeurs au-dessus de la médiane s’étalent sur une gamme beaucoup plus large que celles situées en dessous de la médiane. Or les valeurs sont habituellement malheureusement exprimées en SDS sans tenir compte de cette distribution distordue et donnent ainsi des valeurs fausses en surestimant les valeurs hautes et sous estimant fortement les valeurs basses. Ceci est donc délétère pour le diagnostic des retards de croissance, notamment pour ceux qui sont susceptibles de bénéficier d’un traitement par IGF-I biosynyhétique. Pour y remédier il faudrait donc établir les normes, comme l’a fait Brabant et al [11] à l’aide d’un traitement mathématique des données ce qui n’est réalisable qu’avec un nombre considérable de déterminations d’IGF-I couvrant les différentes catégories d’âge. Des analyses à grande échelle de ce type devraient 24 IGFNetchine.indd 24 être mises en place pour pouvoir, avec un kit donné, rendre correctement la valeur d’IGF-I en SDS permettant ainsi de ne pas sous estimer les valeurs basses ou de surestimer les valeurs hautes et éviterait ainsi d’être délétère dans l’établissement du diagnostic des retards de croissance, notamment pour ceux qui sont susceptibles de bénéficier d’un traitement par IGF-I biosynyhétique ou de pouvoir mieux adapter un traitement GH afin de ne pas dépasser les seuils consensuels de >+2 SDS . Enfin les valeurs d’IGF-I doivent bien sur être interprétées en fonction de la situation physiopathologique de l’enfant et notamment de son état nutritionnel puisque l’on connait l’impact négatif d’une dénutrition sur la biosynthèse hépatique d’IGF-I [14]. L’indice de masse corporelle (IMC) doit être également pris en compte puisque les forts IMC comme les faibles sont associés à une forte diminution des valeurs d’IGFI. Des diminutions du taux d’IGF-I sont également décrites lors de situations inflammatoires du fait de l’impact des cytokines sur la signalisation post GHR. Des variations inter-ethniques ont été décrites et doivent dans certains conditions être prises en compte mais surtout il important de savoir qu’il existe des variations intra individu d’une période à l’autre ayant été décrites allant de 10 % jusqu’à 30 %. Ce n’est qu’avec ces précautions que le dosage d’IGF-I peut prendre toute sa valeur diagnostique. Si dans les déficits en GH ou dans les anomalies de son récepteur les concentrations d’IGF-I sont d’une aide très précieuse, on manque de données dans les déficits staturaux sans déficit en GH. Il est indispensable de mettre en place des études à grande échelle pour étudier dans des populations de déficits staturaux sans déficit GH, les relations phénotype-génotype en y incluant les valeurs d’IGF-I pour déterminer la fréquence d’éventuels déficits primaires sévères ou pas en IGF-I. Pour l’instant, la fréquence de ces anomalies semble peu importante, mais les outils utilisés n’étaient peut être pas suffisamment adaptés pour définir cette fréquence. Les analyses de certains cas ponctuels déjà publiés, montrent bien l’intérêt à la fois d’utiliser des Kits fiables d’IGF-I et d’y associer ensuite des analyses d’IGFBP-3, d’ALS et de GHBP pour aider à localiser le niveau de l’atteinte moléculaire qui n’est peut être pas si rare que cela Insensibilité à l’hormone de croissance : du phénotype au génotype Anomalies du récepteur de l’hormone de croissance En 1966, Laron et al [15] ont évoqué pour la première fois le concept d’insensibilité à la GH (GHI) chez 3 enfants présentant des hypoglycémies et des signes cliniques de déficit en GH mais associés à des taux anormalement élevés de GH plasmatiques. Depuis, plus de 250 patients similaires ont été décrits dans la littérature. Le gène du GHR s’étend sur au moins 85 kb et contient 9 exons codants. Chez l’homme, il est situé sur le chromosome 5. La protéine correspondante de 620 acides aminés, membre de la superfamille des récepteurs aux cytokines, est composée de trois principaux domaines : un domaine extracellulaire (exons 2 à 7) capable de lier la GH et contenant une région juxtamembranaire impliquée dans l’homodimérisation du GHR, un seul domaine transmembranaire hydrophobe (exon 8) et un important domaine cytoplasmique (exons 9 et 10) impliqué dans la transduction du signal. La liaison de la GH induit la dimérisation du récepteur, qui se trouve à l’état basal prédimérisé et le rend fonctionnel. Cette liaison permet l’activation et la phosphorylation du récepteur GHR et une cascade de phosphorylations incluant notamment les protéines JAK2. L’une des cibles majeures des protéines JAK est la famille des facteurs de transcription STAT (signal transducer and activator of transcription). La voie des STAT (7 STAT identifiées, STAT5a et STAT5b jouant un rôle majeur dans cette signalisation) est considérée comme la voie principale de signalisation médiant les effets sur la croissance de la GH. En effet, les protéines STATs sont des facteurs de transcription qui Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-série - Mai 2011 • 17/05/11 14:33 GH GHR Membrane cellulaire SOCS - P P JAK2 Gab-1 SHP-2 Grb-2 P STAT5b IRS-1,2 IGF-I IGFBP-3 ALS SOCS Cascade PI3K/ Akt SOS-1 Ras Cascade MAPK Figure 5. Représentation schématique du récepteur de l’hormone de croissance et de sa signalisation. Après la liaison de la GH au GHR prédimérisé il y a induction de sa dimérisation puis phosphorylation de JAK2 puis celle de STAT5b qui ensuite se dimérise pour être transloqué dans le noyau et induire la transcription d’IGF1 IGFBP-3, IGF-ALS mais aussi des SOCS (suppresor of cytokine signaling) avec le rétrocontrôle court sur les phosphorylation du GHR et de JAK2. PTPN11 code pour SHP-2 (SH2 domain containing protein-tyrosine phosphatase 2) qui possède une activité de Tyrosine phosphatase. Dans le syndrome de Noonan, 50 % des patients présentent des mutations activatrices de PTPN11. régulent la transcription de nombreux gènes dont l’IGF1 [16]. D’autres voies secondaires de transduction du signal du GHR, la voie des phosphoinositide-3 kinases (PI3K) et la voie des Ras/mitogen-activated protein kinases (Ras/MAPK) (Figure 5). L’analyse d’une partie de la séquence peptidique de la protéine de liaison de la GH (GH Binding Protein ou GHBP) a permis de montrer que cette protéine soluble dérive du domaine extracellulaire du GHR. Selon les espèces, la GHBP est engendrée par protéolyse ou épissage alternatif du GHR [17]. En liant 30 à 50 % de la GH circulante, la GHBP augmente modérément la demi-vie de cette hormone. Le récepteur de l’hormone de croissance est le premier membre de la superfamille des récepteurs aux cytokines à avoir été impliqué dans une pathologie génétique. Il s’agit d’un syndrome de résistance à l’hormone de croissance (syndrome de Laron), maladie autosomique récessive rare caractérisée par un nanisme sévère dont le phénotype clinique est similaire à celui des déficits profonds et isolés en GH. L’hormone de croissance et son action par l’intermédiaire de son récepteur n’ayant pas un rôle majeur pour la croissance fœtale et le développement cérébral, les patients ayant un défaut moléculaire du GHR ont un poids de naissance normal, une taille de naissance normale ou légèrement inférieure à la moyenne et un périmètre crânien normal. Comme les enfants ayant un déficit complet en GH, ces patients sont exposés au risque de présenter des hypoglycémies. Sur le plan biologique, leurs taux sériques de GH élevés contrastent avec des taux d’IGF-I, d’IGFBP-3 et d’ALS effondrés (Tableau 1). L’implication du gène du récepteur de la GH dans ce syndrome a tout d’abord été démontrée par analyse de liaison génétique [18]. L’évaluation de la GHBP plasmatique est un élément important pour la classification des retards de croissance avec GH élevée. Les patients porteurs d’un syndrome de Laron sont le plus souvent caractérisés par l’absence de détection de GHBP plasmatique traduisant un défaut moléculaire du domaine extra-membranaire du GHR [19]. Cependant, dans certains types de mutations altérant la dimérisa- Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-série - Mai 2011 • IGFNetchine.indd 25 tion du GHR sans pour autant modifier la liaison de la GH au GHR, la GHBP est normale. Les défauts moléculaires mis en évidence chez ces patients regroupent des délétions, des mutations nonsens, des mutations décalant le cadre de lecture, des mutations d’épissage et de nombreuses mutations faux-sens [20, 21]. En cas de mutation hétérozygote, il n’existe habituellement pas de répercussion clinique importante. Cependant, certaines mutations exercent un effet dominant négatif et présentent ainsi une expression phénotypique de résistance à l’hormone de croissance [22]. En cas de mutation du récepteur de la GH, le traitement par la GH étant inefficace un traitement par IGF-I recombinant peut être proposé. Anomalies de STAT5b En 2003, le premier défaut moléculaire de STAT5b (mutation homozygote) a été identifié chez une jeune fille de 16,5 ans, issue d’une union entre apparentés, présentant un retard statural postnatal sévère (-7,5 SDS) et un tableau biologique de résistance à la GH associé à un déficit immunitaire. Sept mutations homozygotes de STAT5b sont maintenant décrites. Les patients avec défaut moléculaire de STAT5b présentent des taux de GH élevés, une prolactine parfois élevée ; une GHBP normale et des taux d’IGF-I, IGFBP-3 et d’ALS abaissés n’augmentant pas après injection de GH. Le retard de croissance postnatal majeur contraste avec un poids de naissance normal et une taille de naissance dans les limites de la normale. La puberté peut être tardive. L’association avec un déficit immunitaire est très fréquente mais n’est pas systématique : essentiellement pathologies respiratoires chroniques, infections récidivantes mais aussi arthrites juvéniles, diarrhées chroniques, eczémas sévères, varicelle hémorragique et herpès (Table1) ; pour revue voir [21, 23]. Anomalies du gène PTPN11 Une diminution de la valeur sérique d’IGF-I est souvent observée dans les syndromes de Noonan [24]. Dans une 25 17/05/11 14:33 Défauts d’action de l’hormone de croissance : phénotypes cliniques, biologiques et moléculaires grande majorité des cas, une mutation activatrice de la phosphatase SHP2 (codée par PTPN11) inhiberait la cascade de phosphorylation de la signalisation de nombreux facteurs de croissance dont celui du récepteur de la GH (Figure 5). Anomalies du gène IGF Trois anomalies moléculaires homozygotes du gène IGF1 (12q 22-24.1) sont maintenant décrites (Table1) [25, 26]. Les deux premiers cas de déficit génétique en IGF-I sont secondaires soit à une large délétion des exons 3 et 4 [27], soit à une mutation homozygote (IGF-I V44M) [28]. Dans ces deux cas, le retard important de la croissance fœtale est associé à un retard de croissance postnatal, un retard mental sévère, une surdité de perception, un retard pubertaire et une adiposité marquée. Les taux de GH sont élevés, l’IGF-I est indétectable [27] ou au contraire très augmenté dans le cas de l’IGF-I bio-inactif [29] ; dans ces deux cas, l’IGFBP-3, l’ALS et l’IGF-II sont normaux ou augmentés et les taux d’insuline sont également élevés. Nous avons identifié un nouveau défaut moléculaire d’IGF1 chez un patient issu d’une union entre apparentés, dont le retard de croissance intrautérin sévère associé à une microcéphalie s’aggrave pendant la période post-natale. Son taux d’IGF-I varie selon la trousse de dosage (et donc des épitopes reconnus par les anticorps utilisés) d’une valeur effondrée à un taux normal, voire élevé sous traitement GH. Contrairement aux deux patients précédemment décrits avec un défaut moléculaire d’IGF1, ce patient n’a pas de surdité et ne présente qu’un retard modéré des acquisitions. Sa vitesse de croissance s’accélère lorsqu’il est traité par GH à la dose de 0,4 mg/kg/semaine mais stagne lorsqu’il est traité à la dose de 0,2 mg/kg/ semaine. Le défaut moléculaire identifié à l’état homozygote est une mutation faux sens qui, après traduction, transforme une arginine en position 36 extrêmement conservée au cours de l’évolution en une glutamine dans le domaine C (très antigénique) de la protéine IGF-I mature. La protéine recombinante, 26 IGFNetchine.indd 26 produite dans un système baculovirus, présente une affinité normale pour IGFBP-3. En revanche, l’affinité pour le récepteur IGF-1R est modérément diminuée (d’un facteur 2 environ), ce qui se traduit par une diminution de son activation (mesurée par phosphorylation d’IRS1). Il s’agit du premier défaut partiel d’activité d’IGF-I décrit chez l’homme [25]. Ceci laisse présager d’une plus grande fréquence d’anomalies modérées d’IGF-I dans la population de retard statural et nécessite une analyse fine du phénotype clinique et l’utilisation de différents kits de dosage d’IGF-I associée aux dosages d’IGFBP-3 et d’ALS. Cette observation illustre le rôle majeur d’IGF-I dans la croissance cérébrale chez l’homme et laisse supposer que des défauts moléculaires entraînant une diminution même modeste de l’activité d’IGF-I peuvent être à l’origine d’anomalies phénotypiques marquées de la croissance staturale et cérébrale. Tout récemment, une mutation de IGF1 a été identifiée au sein d’une famille où les deux individus porteurs de cette mutation uniquement à l’état hétérozygote ont un retard de croissance à début intra-utérin pour l’un d’entre eux, une microcéphalie et des taux abaissés d’IGF-I. Ils ne présentent pas de surdité et uniquement l’un d’entre eux à un retard des acquisitions [30]. En fonction du type de défaut moléculaire d’IGF1 identifié, un traitement par IGF-I recombinant ou bien un traitement par GH peut être proposé dans des défauts partiels. Anomalies de gène IGF-ALS Une mutation homozygote du gène l’IGF-ALS qui code pour l’ALS a été décrite en 2004 pour un patient dont le retard de croissance staturale post-natal modéré était associé à un retard pubertaire. Les taux d’IGF-I et d’IGFBP-3 effondrés n’augmentant pas après injection d’hormone de croissance, sont associés à des taux d’ALS indétectables et donc à l’absence de formation du complexe ternaire. La taille finale était normale [31]. Depuis, 21 patients porteurs de mutations soit homozygotes, soit hétérozygotes composites d’IGF-ALS ont été décrits (Tableau 1) [32, 33]. Le retard pubertaire est très fréquent mais pas constant. Le fait que, malgré des taux circulants d’IGF-I effondrés, la croissance staturale soit quasiment normale est en faveur d’un rôle important de l’IGF-I tissulaire pour la croissance chez l’homme comme cela avait été montré dans les modèles murins. Résistance à l’IGF-I Les patients présentant une résistance à l’IGF-I ont un retard de croissance intra-utérin de sévérité variable associé habituellement à des taux sériques d’IGF-I élevés. Les autres signes fréquents sont un déficit intellectuel de degré variable, une microcéphalie et une dysmorphie (racine et pointe du nez larges, philtrum lisse, lèvre supérieure mince et lèvre inférieure proéminente, doigts courts, clinodactylie, mamelons écartés et pectus excavatum). La prévalence est inconnue. La résistance à IGF-I peut être secondaire à différentes anomalies génétiques : un chromosome 15 en anneau, des délétions distales hétérozygotes 15q impliquant le gène IGF-1R (15q26.3) ou des mutations du gène IGF-1R. Le déficit intellectuel est sévère chez les patients présentant un chromosome 15 en anneau. Chez les patients présentant des délétions de 15q, le degré du déficit intellectuel dépend de la taille de la délétion et des fonctions des autres gènes emportés par la délétion. Une insensibilité partielle à IGF-I, due à une haplo insuffisance d’IGF-1R, a été rapportée chez un patient présentant une petite délétion hétérozygote emportant une copie du gène IGF-1R, un RCIU et un retard de croissance post-natal persistant mais répondant bien au traitement par GH et présentant par ailleurs un développement intellectuel normal [34]. La même équipe rapporte l’identification de délétions d’IGF-1R pour 2 % des patients nés petits pour l’âge gestationnel [35]. A ce jour, des mutations d’IGF-1R ont été identifiées chez neuf patients dont le retard variable de croissance fœtale et post-natale peut s’associer à un déficit intellectuel et une microcéphalie de sévérité variable sans surdité associée. Médecine Clinique endocrinologie & diabète • Hors-série - Mai 2011 • 17/05/11 14:33 Pour tous ces patients, sauf un, les mutations sont hétérozygotes et transmises selon un mode autosomique dominant [36]. Le diagnostic de résistance à l’IGFI repose sur le caryotype qui permet de détecter un chromosome 15 en anneau, de petites délétions impliquant IGF-1R et sur l’étude des 21 exons du gène pour la recherche de mutations. Le diagnostic différentiel doit inclure un IGF-I bioinactif. Des taux élevés d’IGF-I orienteront le diagnostic mais il faut noter que les taux sériques d’IGF-I peuvent varier dans le temps, pour un même patient, pouvant même être diminués en cas de malnutrition. Le traitement par GH peut permettre une accélération de la vitesse de croissance pour certains de ces patients mais peut également être sans aucune efficacité. Conclusion Un certain nombre de défauts moléculaires du gène codant le récepteur de l’hormone de croissance, sa signalisation (STAT5b) ou des gènes IGF1, IGF-ALS ou IGF-1R sont maintenant décrits. Ces données ont permis de progresser dans la compréhension de la pathologie du contrôle de la croissance mais ont également des conséquences en terme de prise en charge thérapeutique car ces différentes anomalies génétiques ont des répercussions différentes sur la sensibilité à la GH ou à l’IGF-I recombinants. Références 1. Efstratiadis A, Int J Dev Biol 1998 ; 42:955. 2. Jones JI & Clemmons DR, Endocr Rev 1995 ; 16:3. 3. Le Bouc Y et al, Bull Acad Natl Med 2003 ; 187:1225 ; discussion 1244. 4. Gourmelen M et al, Nucl Med Biol 1994 ; 21: 297. 5. Le Roith D et al, Trends Endocrinol Metab 2001 ; 12:48. 6. 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