neutrino - Patrick

Transcription

neutrino - Patrick
Patrick Bouchet
NEUTRINO
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Texte des pyramides, 1004 Saqqarah.
« Que je vive ou que je meure, je suis Osiris. Je pénètre
en toi et je réapparais à travers toi ; je dépéris en toi et
je croîs en toi... Les dieux vivent en moi parce que je vis
et je croîs dans le blé qui les soutient. Je couvre la
terre ; que je vive ou que je meure, je suis l’Orge, on ne
me détruit pas. J’ai pénétré l’Ordre... Je suis devenu le
Maître de l’Ordre, j’émerge dans l’Ordre. »
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Stephan Bringel habitait à Saint-Paul-Trois-Châteaux,
une petite ville du Sud de la France, depuis déjà
quelques années. Il y menait une vie paisible en
compagnie de son épouse Carole, infirmière en Avignon,
et de leur fille. Ses journées étaient bien réglées. Le
matin, il préparait seul sa petite Élodie, car Carole était
de garde à l’hôpital. Ensuite, il la déposait à l’école à 8
heures précises puis filait rapidement à son travail. Vers
8 heures 15, il franchissait la porte de l’entreprise. Il
saluait les employés puis allait en toute hâte s’enfermer
dans son bureau et plongeait le nez dans ses dossiers
jusqu’à la fin de la journée. Lorsque sa montre affichait
18 heures, il se hâtait de récupérer sa fille chez la
nourrice, et enfin, il préparait le dîner.
Comme bon nombre de ses congénères, il espérait
continuer ainsi jusqu’à sa retraite une vie parfaitement
organisée et sans imprévu. Mais voilà qu’un jour, tout
bascula. À la suite du départ en retraite de monsieur
Horme, un nouveau directeur fut nommé par la direction
générale de Lyon. Avant l’arrivée de ce dernier, Stephan
s’occupait de gérer l’entreprise, et par conséquent, c’est
lui qui aurait dû devenir le directeur de l’agence locale,
mais voilà que le P.-D.G. avait nommé un nouveau
directeur : l’abject Haton.
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Depuis maintenant six mois, le nouveau venu
remaniait l’entreprise à sa convenance et se comportait
comme un tyran. Il méprisait et insultait les employés. Il
était le chef, et tout le monde lui devait le respect. Le
nouveau directeur avait même embauché son ancien
chargé d’affaires, et destitué Stephan de son poste.
Tous les lundis et vendredis matin, accompagné par
Bremond, son tyrannique chargé d’affaires, l’infâme
Haton exigeait une réunion pour faire le point sur
l’avancement des divers chantiers :
« Alors monsieur Bringel, où en sommes-nous dans les
travaux d’éclairage ? Ça avance ?
Il ruminait en fronçant les sourcils.
Haton était un petit homme dégarni, au regard vif et
perçant. Tel un vautour, il était prêt à dépecer chaque
proie qui lui passait sous le nez. Le sourcil saillant, il
toisait Stephan.
- Euh… Nous avons mal évalué le temps de pose de
chaque élément. Il faut placer les fixations, mettre le
luminaire et raccorder, ça prend plus de temps que
prévu. Nous n’aurons pas terminé les niveaux à la fin du
mois.
- C’est la faute de ces maudits intérimaires si le travail
n’avance pas. Nous avons choisi des nuls. Rien dans la
tête, et encore moins dans les bras. De la viande
avariée ! rétorqua François Bremond d’un ton sec et
cassant.
Cet homme éprouvait un plaisir particulier à humilier
les gens et à les rabaisser à un point dépassant l’ultime
limite de l’acceptable. Si certaines personnes sur Terre
possédaient les attributs du démon, il en faisait partie. Il
était résigné à éliminer tous ceux qui pouvaient lui barrer
la route.
- Il fallait les virer dès le début si c’est des bons à
rien ! Vous êtes vraiment un incapable, Bringel ! Nous
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ne manquons pas d’intérimaires. Nous allons perdre de
l’argent si nous ne terminons pas le niveau. Et vous
savez aussi bien que moi que l’exploitant choisira une
autre entreprise prestataire si nous ne terminons pas dans
les temps ! gronda le directeur.
- Nous ne pouvons pas aller plus vite, nous sommes
déjà limites avec les agents de la radioprotection, les
intérimaires se plaignent de ne pas avoir de masques de
protection et de dépasser les doses journalières, lança
Stephan.
- Foutaises, c’est n’importe quoi ! Encore cet imbécile
de Patrick. Il n’a qu’à pas rester collé au générateur de
vapeur. Il a pris combien ?
- 2 mSv… Et ce n’est que la deuxième semaine. La
limite, c’est 1,5 par mois.
- Bon… bien… On ne renouvellera pas son contrat sur
la centrale, c’est plus simple. Vu qu’on ne doit pas
prendre plus de 4,5 sur trois mois, ça ira.
- Mais… il a aussi une dose élevée de cobalt.
- Quelle idée de prendre des jeunes qui sortent de la
fac. Si cet incompétent qui gère la boîte d’intérim nous
avait dit qu’il avait un mastère en électricité…
- François et Bringel, sur le chantier cet après-midi.
Bougez-moi ces fainéants. Ren-ta-bi-li-té ! Foutez-vous
ça dans le crâne ! » hurla le directeur en claquant la
porte, sous les yeux médusés des employés.
Haton méprisait Stephan car il disait que c’était par
piston qu’il avait obtenu son poste. Après le bac,
Stephan était entré à l’EEAI en tant que technicien puis,
rapidement, il était passé chef du bureau d’études, et
enfin chargé d’affaires. Mais voilà, il ne possédait que le
bac pour tout diplôme ! Haton, lui, était centralien, et
son ami, Francis Bremond, ingénieur Supélec. Dès leur
arrivée, ils avaient joué de mille stratagèmes auprès de la
maison mère de Lyon pour mettre ce prétentieux au
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placard et ils avaient réussi. Stephan était redevenu un
simple technicien d’études en électricité et
accessoirement, assistant chargé d’affaires. Haton
l’envoyait régulièrement en déplacement dans le Nord de
la France, à Gravelines, pour le faire craquer.
Pourtant, durant la dernière décennie, Stephan en avait
vu de jeunes requins, prêts à tout pour lui voler sa
place ! Mais aujourd’hui, les règles du jeu avaient
changé. La machine diabolique était en marche ; tel un
train lancé à grande vitesse, le bolide fou filait à vive
allure. Du jour au lendemain, tout pouvait basculer au
sein de l’entreprise. Les chargés d’affaires pouvaient
démissionner en conservant les listes de clients, coulant
ainsi leur entreprise, comme le faisait sans scrupule
François Bremond.
Treize heures. Bremond ouvrit sans frapper la porte du
bureau du chef de chantier.
« Gérald, vous devez terminer le chantier à la fin du
mois. Débrouillez-vous comme vous voulez, il doit être
terminé !
- Il nous faudrait une personne de plus, monsieur
Bremond.
- Soit ! Vous pourrez aller sur le chantier en tant que
chef de travaux car la semaine prochaine, un nouveau
chef de chantier nous rejoindra.
Gérald Jurlin, 30 ans passés, 1 mètre 80, les yeux
bleus, légèrement dégarni, regardait le chargé d’affaires,
interloqué. Il venait lui aussi d’être assigné à son
nouveau poste. Il y a tout juste un an, alors qu’il était
embauché en CDD chez EDF, la société EEAI lui avait
proposé un CDI pour obtenir les contrats d’électricité du
bâtiment réacteur. Depuis six mois il remplaçait l’ancien
chef de chantier parti en retraite, et on venait de lui
attribuer un nouveau statut : chargé de travaux.
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En résumé, il serait moins payé que les intérimaires, et
avec une charge de travail supplémentaire. Quelle belle
récompense !
- Mais qui va dessiner les plans ? bredouilla Gérald.
- Vous, bien sûr ! rétorqua aussi sec Bremond.
- Mais…
- Bon, allons sur le chantier ! »
Le chargé d’affaires poussa violemment la porte des
vestiaires, sous les yeux médusés des ouvriers :
« Ce n’est pas possible. Il est déjà 13 heures 10, et
vous n’êtes pas encore changés ? Bougez-vous !
Jean, un vieil intérimaire, de taille moyenne, les
cheveux poivre et sel, faillit renverser son café. Il avait
parcouru le monde pour divers chantiers, et à la
cinquantaine, il avait décidé de travailler dans le secteur
du nucléaire afin d’augmenter sa future retraite.
- Jean, tu te dépêches ! Nous ne te payons pas pour
boire le café, bon sang !
- Oui, c’est bon, j’y vais.
Ce que l’on peut dire sur la race des intérimaires, si
malgré le fait qu’on puisse les nommer « les esclaves
modernes », c’est qu’ils ne possèdent pas de véritable
patron. Ils vont là où le vent les porte et sont en quelque
sorte intouchables. Mais le côté négatif, c’est qu’ils ont
droit aux sales boulots et à toutes sortes de petits chefs
improvisés.
- Allez, passe le badge, Jeannot ! Dépêche-toi, tu vas
te faire engueuler », lança Manolo tout en enfilant la
tenue blanche pour pénétrer en zone contrôlée, dans le
bâtiment réacteur.
Manolo, encore un intérimaire, tout comme Philippe et
Patrick. Il était un peu la star du chantier car depuis une
quinzaine d’années, il partait en vacances quelques mois,
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en Thaïlande. C’est ainsi qu’il était devenu le guide
touristique de ses meilleurs amis prêts à découvrir tous
les plaisirs de ce magnifique pays…
Jean et Manolo s’engouffrèrent par la grande porte, en
direction du bâtiment réacteur, tandis que les chefs
étaient encore en slip et n’avaient pas encore passé la
tenue blanche de rigueur. Du coin de l’œil, Gérald
détaillait le corps blanc et difforme de son chef.
Bedonnant, le cheveu rare et le corps adipeux, Bremond
n’avait aucune prestance. Il contrastait d’ailleurs avec
Stephan qui était un beau garçon, brun aux yeux bleus et
à l’allure athlétique.
« Il faut se dépêcher, après je dois passer voir le
client ! grogna une fois de plus l’insupportable
Bremond.
Ils se dirigèrent rapidement vers le vieil ascenseur afin
d’atteindre le niveau huit mètres.
- Il faudra qu’un jour ils investissent dans de nouveaux
ascenseurs. Ceux-là ont bientôt quarante ans, observa
Gérald.
Après avoir échangé leur badge avec le gardien contre
une carte numérotée, ils pénétrèrent enfin dans
l’enceinte bétonnée : le bâtiment réacteur. Le nombre de
places étant limité à une centaine de personnes, chacun
possédait un identifiant.
Munis de la carte numérotée, du dosimètre
électronique et du film dosimétrique, ils arrivèrent enfin
sur le chantier.
- Cette fois, nous avons eu droit au bigleux, la dernière
fois c’était le nain, et celle d’avant le manchot ! Ils les
prennent où les gardiens, dans un cirque ? s’exclama
Bremond en ruminant.
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Stephan ne répondit pas mais si ses yeux avaient été
des pistolets, son collègue aurait été tué sur-le-champ.
- Bon, il est où Jean ? Il devrait être à ce niveau avec
le chargé de travaux ! Qu’est-ce qu’il fait encore ? Il se
promène ?
Il vociférait, les yeux exorbités.
- Il est dans les GV, lança Patrick, qui se trouvait
derrière un gros tuyau.
- Et toi, tu te promènes aussi ? Pourquoi tu n’as pas
d’outils dans les mains ? Tu crois qu’ils vont se monter
seuls, ces luminaires !
- Je dois aller chercher les sacs, les agents de la
radioprotection viennent de nous engueuler parce qu’on
perçait sans protection. En plus, les murs sont pourris,
quand on perce, il y a tout qui se barre. Quand je pense
qu’on dit que ça pourrait résister à un avion… Un
deltaplane plutôt ! Et je vous signale qu’on n’a toujours
pas les masques ni les aspirateurs, et qu’on respire la
poussière, répondit Patrick, l’air détaché.
- Mais il n’y a pas d’alpha ici, tu ne crains rien. Allez,
bouge-toi ! hurla de nouveau Bremond.
L’intérimaire déguerpit sans demander son reste.
Quand les chefs étaient là, il valait mieux se cacher pour
être tranquille. Dans son coin, Stephan souriait. C’est lui
qui avait fait embaucher Patrick, un ami de Gérald.
Certes, ce n’était pas un foudre de guerre, mais pour un
garçon qui n’avait jamais touché un outil de sa vie, il
savait utiliser le perforateur et le marteau
convenablement.
- Celui-là, la prochaine fois il est viré s’il ne se bouge
pas plus ! lança le chargé d’affaires, hors de lui.
- Mais, il fait son travail ! bredouilla Gérald, agacé.
- Je m’en fous, c’est un bon à rien, et de la viande, rien
de plus. Et c’est moi le chef, non ? Bon allez, je vois
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qu’ici rien n’a avancé, on va passer au niveau vingt
mètres. »
Sur les hauteurs du bâtiment réacteur, les ouvriers
devaient installer des projecteurs de mille watts.
Bremond avait formellement interdit tout intérimaire sur
cette partie de la centrale.
« Je ne veux pas voir d’intérimaire là-haut, que fait
Philippe tout seul ? Il n’y a pas de chargé de
travaux, ici ? Ils sont où, Jean-Roger et Kimi ? vociférat-il à nouveau.
- Nous faisons ce qu’on nous dit de faire, lança
Manolo en toisant le chef, immobile.
- Vous êtes vraiment un imbécile, Gérald, vous savez
bien qu’il ne faut pas d’intérimaires ! Allez me chercher
l’équipe qui est à moins trois mètres cinquante. Philippe,
descends de là, et vite.
Philippe était un des cinq intérimaires du chantier.
Trente-six ans, l’allure plutôt athlétique, cheveux courts.
Il travaillait toujours au même rythme et parlait peu. Ses
collègues de boulot l’avaient surnommé « le muet ».
- Ce n’est pas possible, ils ont tous un problème, ces
intérimaires, marmonna Bremond.
- Il fait son travail, c’est le principal, répondit Stephan,
énervé.
- Nous ne sommes pas un centre social. Nous ne
pourrions pas trouver des types qui travaillent
rapidement, pour pas cher, et convenablement ?
- Il faut voir avec les Turcs, rétorqua Stephan, agacé
par la méchanceté du chargé d’affaires.
Gérald arriva, essoufflé, le casque de travers.
- J’ai envoyé Jean placer le matériel et les outils dans
le local. Ceux du bas vont arriver.
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- Il est bon qu’à ranger. Et en plus, il se plaint que
l’ancienne boîte a dit de lui qu’il n’était pas motivé. Tu
m’étonnes.
Tout à coup, le niveau entier se trouva plongé dans
l’obscurité.
- Qu’est-ce qu’ils ont fait encore, ces incapables ?
Philippe arriva, la lampe torche à la main, l’air sot, et
bredouilla :
- En raccordant, j’ai fait toucher les fils…
- Vous ne devez pas raccorder les câbles électriques
sous tension, c’est interdit ! brailla Bremond.
- C’est de votre faute, à force de les faire aller toujours
plus vite, un jour, vous aurez un mort sur la conscience,
rétorqua Stephan.
- Foutaises, c’est des nuls, voilà tout. Dépêche-toi
Philippe, va remettre le disjoncteur. Quelle bande de
bons à rien ! »
Vers 16 heures, toute l’équipe se retrouva devant le
coffre, à huit mètres, pour faire le point sur l’avancement
des travaux. Et bien sûr, comme toujours, Jean manquait
à l’appel.
« Il est passé où Jean ? Ne me dites pas qu’il range
encore le matériel ! Gérald, allez voir s’il est toujours à
onze mètres.
Lorsque Gérald arriva à l’étage, l’intérimaire était
tranquillement assis sous une bâche, en train de compter
des boulons.
- Oh, qu’est-ce que tu fais ? Tu devais juste ranger.
- C’est ce que je fais, répondit Jean en levant les bras
au ciel.
- Ça fait trois heures que tu es là. Tu te fous de moi ?
- Mais je range les boulons et les écrous, ça me prend
beaucoup de temps !
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- Balance-moi tout ça, c’est des boulons dont on ne se
sert plus !
Jean s’exécuta en bougonnant et en regardant Gérald
du coin de l’œil.
- Vous ne nous ménagez pas, vous, les jeunes ! lançat-il, agacé.
- Si tu écoutais, toi, aussi… Allez, dépêche-toi,
Bremond hurle en bas.
De retour aux vestiaires, les ouvriers eurent droit au
sermon de l’abominable chargé d’affaires. Fier et
immobile, Bremond se tenait face à sa dizaine de
bonshommes, tel Zeus sur le mont Olympe. Il savait que
les types le regardaient et il gonfla son torse en criant et
en postillonnant sur ce bon vieux Jeannot :
- Et toi, tu crois que le travail va se faire tout seul, tu
as fait quoi aujourd’hui ? Vous êtes tous des bons à rien.
Quant à toi Philippe, si je te prends en train de faire
sauter une nouvelle fois l’alimentation, tu dégages !
Il criait à n’en plus finir, se sentant presque de nature
divine face à la jolie jeune femme qui venait d’arriver
pour nettoyer les vestiaires.
Paul, que l’on surnommait « le Corse », le dernier des
cinq intérimaires, se leva et se planta devant Bremond.
- Espèce de merde, t’as vu comment t’es taillé ! Je suis
corse, et tu crois que tu vas me faire peur, mangemerde ? Je te plastique ta voiture quand je veux, alors
ferme ta grande gueule pauvre enculé, et mon contrat tu
peux te l’enfiler là où je pense.
Les ouvriers baissèrent la tête en voyant Bremond
changer de couleur, passant du blanc au rouge écarlate.
Le Corse, musclé et de taille moyenne, brun et les yeux
d’un vert perçant, se tenait immobile face à son
supérieur qui le menaça.
- Qui es-tu pour me parler ainsi ? Je suis ton chef ! Je
te vire sur-le-champ, minable.
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- Viens, on va s’expliquer dehors ! hurla Paul en
frappant sur l’armoire qui se gondola sous la violence de
l’impact.
Les yeux injectés de sang, hors de lui, il toisait
Bremond qui subitement changea de ton. Personne
n’osait approcher le Corse, il était à bout de nerfs. Le
chargé d’affaires comprit que s’il ouvrait la bouche une
fois de plus, c’en était fini pour lui. Il lança un regard de
désespoir au reste de la bande mais personne n’intervint.
Paul donna un coup de pied à travers la porte en bois qui
se fendit en deux : il pétait les plombs. Trois gardiens
qui arrivaient à ce moment-là essayèrent de le maîtriser,
mais il réussit à se débarrasser d’eux. Tel un chien
enragé, il se jeta sur Bremond, l’emmena au sol en lui
assenant deux directs du gauche et un bon coup de coude
sur l’arcade qui s’ouvrit sous la violence du choc.
Patrick, comprenant qu’il devenait incontrôlable, sauta
sur lui et effectua un mate-lao (un étranglement en
triangle). Mais il n’arriva pas tout de suite à l’arrêter car
Paul était sorti de ses gonds. Aidé des gardiens, il réussit
malgré tout à le maîtriser.
Quelques minutes plus tard, l’intérimaire était calmé
mais Bremond restait encore à terre, un bandage sur le
front.
- Ça ne va pas se passer comme ça, espèce de voyou.
Je vais porter plainte et te faire virer du site. C’est fini
pour toi le nucléaire.
Voyant que Paul s’était calmé, il beuglait pour
reprendre la face.
Le Corse, reprenant ses esprits, comprit qu’il était allé
trop loin. Ses amis qui l’entouraient essayaient de lui
remonter le moral :
- Ça devait arriver, lança Manolo, fataliste.
- Eh oui, c’était inévitable. On ne peut pas traiter les
gens comme des moins que rien ! Un jour ou l’autre, on
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a le retour de manivelle », rétorqua Patrick, énervé par le
discours de l’abject Bremond.
Le lendemain, le Corse était renvoyé. Bremond, peu
fier de la correction qu’il avait reçue, n’ébruita pas
l’histoire et ne porta pas plainte.
Stephan supportait de moins en moins ses nouveaux
chefs qui ne cessaient de lui imposer une terrible
pression. Ils voulaient se débarrasser de lui et
l’envoyaient régulièrement en déplacement. D’abord à
Gravelines, puis à Blaye, et enfin à Saint-Alban ; la
France ne manquait pas de sites nucléaires.
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Quatre mois venaient de s’écouler, la mission de
Stephan à la centrale de Gravelines s’achevait. Il était
enfin de retour dans le Sud pour un nouveau chantier.
Mais depuis quelque temps, Carole était devenue très
distante. Elle se comportait comme si Stephan était un
étranger et il ne la reconnaissait plus ! Elle avait
beaucoup changé ces derniers mois. Que lui arrivait-il ?
Lorsqu’il travaillait dans le Nord, elle était sortie
régulièrement le week-end, avec ses collègues de travail.
Ensemble, auparavant ils dînaient tous deux au
restaurant, jouaient au bowling et sortaient même en
discothèque.
Au fil des semaines, leurs relations s’étaient
profondément dégradées, au point que les discussions se
terminaient toujours par une dispute. De plus, chaque
jour il devait subir l’odieux Bremond et le tyrannique
Haton.
Grâce aux antidépresseurs, il tenait bon, mais pour
combien de temps encore ?
Ce jour-là, Stephan claqua la porte d’entrée après une
nouvelle dispute.
« Puisque c’est comme ça, je ne rentre pas ce soir, je
vais dormir à l’hôtel ! » hurla-t-il en quittant sa demeure.
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Dans la ville de Saint-Paul, il errait comme une âme
en peine en maudissant ses chefs. Il se surprit même à
souhaiter la mort de ses bourreaux qui prenaient un
malin plaisir à briser sa vie. La soif de vengeance
nourrissait cette haine qui jour après jour consumait son
cœur.
Un an seulement auparavant, à la suite du départ de
monsieur Horme, c’est lui qui dirigeait l’entreprise.
Avec sa femme, il vivait un bonheur parfait : il sortait
régulièrement au restaurant avec elle, parcourait les
magasins le samedi matin… Ils étaient très amoureux, et
leur couple voguait sur une magnifique mer d’amour. À
aucun moment il n’aurait imaginé cette triste déchéance.
Aujourd’hui, il ne représentait plus rien dans son
entreprise et son couple était un désastre.
Au bord du gouffre, il décida d’appeler son collègue
de travail :
« Gérald, excuse-moi de t’appeler si tard, mais ça ne
va vraiment pas fort, et je ne sais pas trop où aller. Tu
veux venir prendre un verre à Saint-Paul ?
- Viens plutôt chez moi à Bourg, enfin, chez mes
parents… Il y a Patrick et d’autres potes qui doivent
passer, nous allons manger au restaurant.
- Ah… OK, j’arrive alors ! Ça me changera les
idées ! »
Lorsqu’il arriva sur les hauteurs de Bourg-SaintAndéol, Gérald, son père et Patrick discutaient sur la
terrasse.
« Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Ça n’a pas l’air d’être la
grande forme, tu fais une de ces têtes !
- Je viens de me disputer avec Carole, et au boulot
c’est l’enfer.
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Tandis que Gérald écoutait ses déboires, son père lui
servit un verre de rhum.
- Allez, bois un coup, ça ira mieux !
Assis en bout de table, Stephan buvait en écoutant les
vieilles histoires de Gérald.
- Hobby one, Exo, Mustang, Bob, Zibus… C’est quoi
ces surnoms ?
Gérald et Patrick éclatèrent de rire devant le visage
étonné de leur collègue.
- Lorsque nous étions plus jeunes, nous faisions de la
C.B. Nous avions donc un pseudo, moi c’était Hobby
one et Patrick, Exo !
- Quand je pense que jusqu’à 22 ans, je ne sortais pas,
et que la seule fois où je suis allé en boîte, j’ai rencontré
Carole… Ma vie n’a jamais été très passionnante…
Patrick secoua la tête, dépité. Quelle triste jeunesse il
devait avoir eue, ce pauvre garçon ! Puis il lança à
Gérald :
- Tu étais le seul à ne pas prendre de drogue, pourtant
avec ta tronche, tout le monde te prenait pour un dealer.
- N’importe quoi, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ?
rétorqua Gérald, étonné, les yeux grands ouverts.
- On dirait un cinglé, lança Patrick, hilare.
- T’as vu ta tronche à toi ? Celui-là, je te promets…
Quel comique ! Tu te souviens de la première fois que
Fossoyeur a eu son permis ?
- Oui, trop fort… Il s’est retrouvé le guide de toute une
file de voitures, en direction des docks de Marseille pour
une rave sauvage.
- Ce n’est pas ce soir-là que Mustang devait se calmer
sur le produit ? ajouta Gérald en éclatant de rire.
- Si, mais il a fini avec un acide et deux ecsta dans le
gosier.
Stephan écoutait ces histoires rocambolesques,
stupéfait. Il regrettait d’avoir vécu une jeunesse si calme.
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À la même époque, il passait ses week-ends enfermé
dans sa chambre, avec son ordinateur pour seul ami.
- Et la soirée où Ludovic, complètement ivre, a planté
un culot de bouteille dans le crâne d’un pote à K-nar,
c’était vraiment un truc de fou ! s’exclama Gérald.
- Ce n’est pas pire que la soirée d’anniversaire de sa
cousine, au Diamond. Elle lui avait fait promettre de ne
pas se battre, tu te souviens ? Ah, pour ne pas se battre,
il ne s’est pas battu, mais il a quand même fini aux
urgences !
- Il a fait quoi pour finir aux urgences, cette fois-là ?
demanda Stephan, stupéfait, en avalant son troisième
verre de rhum.
- Après avoir arraché toutes les capsules des bouteilles
de bière avec ses dents, il avait décidé de casser un verre
à la main…
- Et ça n’a pas marché…
- Bien sûr que si, mais une fois le verre cassé, il a
décidé de le briser dans le sens inverse. Le verre était
déjà en plusieurs morceaux, des bouts tranchants
dépassaient, et l’un d’eux a entaillé son majeur.
- Il est complètement barjot !
- Le mot est faible, et je ne te raconte pas le matin
quand je suis passé les récupérer aux urgences… Zibus
draguait l’infirmière en braillant au toubib que ce n’était
pas un marrant, et Ludovic badigeonnait les murs de
Bétadine.
- J’espère qu’il ne sort pas avec nous ce soir, lança
Stéphan, inquiet.
- Sois tranquille, il travaille au Canada ! Après une
histoire en Suisse, il a quitté le pays.
- Il avait fait quoi ?
- Il était cuisinier, et son patron ne voulait pas le
payer. Lorsqu’il a réclamé son salaire, l’homme s’est
enfermé à double tour. Ludovic a explosé la baie vitrée à
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coups de poing, s’entaillant gravement tous les tendons
de la main, puis il a tout cassé à l’intérieur. Le patron a
eu droit au tire-bouchon planté dans la mâchoire.
- C’est terrible ! Il est fou…
Soudain, un bolide klaxonna. Cinq énergumènes
jaillirent de la pénombre. Parmi eux, il y avait le Corse,
son frère Mustang, Zibus l’informaticien de Marcoule,
Yann, et Bob.
- Nous bougeons sur Avignon ! Nous allons manger
chez Georges puis nous terminons la soirée au Baos : il y
a une soirée infirmière ! lança l’informaticien en
titubant, les yeux injectés de sang.
- C’est parti, il est déjà 9 heures et demie. Il faut se
dépêcher, il ne va pas nous attendre le Georges »,
rétorqua Gérald.
Les deux voitures roulaient à tombeau ouvert en
direction d’Avignon. Yann, le conducteur du premier
véhicule, sortit une étrange mixture de la boîte à gants.
Stephan s’inquiéta lorsqu’il déposa la drogue sur un
plateau qu’il fit circuler.
« Vas-y, ce n’est qu’un petit mélange, ne t’inquiète
pas, dit Mustang en souriant.
- Bon, juste un peu alors.
Yann ouvrit de nouveau la boîte à gants et en sortit un
sachet de cannabis. Mustang attrapa le produit magique,
colla trois feuilles et roula un filtre en carton. Une
minute plus tard, il arborait la cigarette diabolique, un
sourire en coin, narguant les occupants du véhicule. Le
bolide était complètement enfumé et les joints tournaient
entre chacun des occupants. Stephan, sous les effets de
l’étrange mixture, se trouvait au paradis. Un bonheur
indescriptible l’envahissait, il devenait le maître du
monde.
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Soudain, la voiture s’arrêta. Ils étaient arrivés au
parking des Halles, à quelques mètres du restaurant.
Mais qui était ce fameux Georges dont tout le monde
parlait ? Dans un dernier instant de lucidité, il imagina
un homme bedonnant, proposant une cuisine bien grasse,
son restaurant perdu au détour d’une ruelle bien sale.
Mais la surprise fut de taille lorsqu’une fois passé un
pub branché, la joyeuse équipe arriva devant un joli petit
restaurant asiatique, le Sih Lang.
Les yeux écarquillés, Stephan détailla l’établissement
à la propreté remarquable et au rare raffinement. Le
fameux Georges, qui était aussi le patron, arborait ses
nouvelles dents. Il venait de se faire opérer lors de son
dernier voyage au Vietnam.
- Ah, vous êtes de retour ! Ça fait plus d’un mois
qu’on ne vous avait pas vus, les Gardois. Alors, toujours
la même table au fond de la salle ? demanda Georges
dans un grand sourire et en tapant sur l’épaule de Bob
qui n’arrivait plus à tenir debout.
- Ouaip, lança Zibus, le regard trouble.
- Nous faisons notre petite tournée, expliqua Mustang
en brandissant la cigarette magique.
Georges conduisit la joyeuse bande au fond de la salle,
dans une petite pièce à l’ambiance feutrée. Des étoffes
chinoises rouges et noires ornaient les murs et une
lumière tamisée éclairait la pièce.
- Voilà, vous serez bien ici. Des infirmières ont
réservé la grande table, juste derrière vous. Vous devez
avoir un sacré flair !
- Yessss, ajouta Zibus en ricanant bêtement.
- Nous ne sommes pas les derniers ? demanda Stephan,
étonné.
- Nous fermons vers 2 heures du matin, et les habitués
le savent, répondit fièrement Georges en levant le
menton.
22
Alors que tout le monde savourait le cocktail maison,
Gérald interrogea Stephan :
- Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu penses à Carole ?
- Je crois qu’elle a rencontré quelqu’un.
- Non... Ce n’est pas possible !
- Je l’ai surprise au téléphone hier soir, et elle semblait
gênée. Je suis persuadé qu’elle me cache des choses.
Elle veut plus de liberté, sortir le week-end, faire la fête.
Déjà que l’on ne se voit pas souvent ! Elle va me quitter,
je le sens.
- La garce ! T’inquiète pas, ce soir nous allons faire la
fête, ça te changera les idées.
Au même moment, cinq superbes créatures
traversèrent la pièce et s’assirent à la table voisine.
- Eh les gars, c’est les infirmières, chuchota Bob.
- Trop bonnes les belettes, de la balle ! rétorqua Zibus.
- Merde, arrête de hurler, je crois qu’elles ont entendu,
répliqua Patrick.
Zibus se leva et passa à l’attaque. Un verre de vin à la
main, il chancela, ivre et drogué, jusqu’à la table des
jeunes femmes. Il faillit renverser son verre sur une
grande brune aux yeux bleus. Stephan n’osait pas
regarder la scène car il pensait que l’informaticien allait
se faire jeter.
- Ça va mal se finir cette histoire, Georges va nous
foutre dehors, bredouilla Stephan en observant Zibus qui
postillonnait sur les jeunes filles.
- Tu ne le connais pas ! répliqua le Corse, hilare, en
secouant Yann qui était complètement soûl.
- Regarde-le en pleine action, lança Bob qui récupéra
la cigarette magique de Mustang.
- Putain, tu fais chier ! cria Gérald en direction de
Mustang. Tu as foutu du cannabis dans ta clope, bordel
de merde, ça pue.
23
Mustang et Bob éclatèrent de rire, les yeux injectés de
sang et les paupières mi-closes.
Zibus revint en zigzagant :
- Eh les mecs, c’est dans la poche. Les belettes
viennent avec nous au Baos.
Stephan faillit s’étouffer en avalant son rouleau de
printemps : il avait réussi, le bougre ! Bob se retourna et
lui lança un clin d’œil :
- Alors, qui c’est qui avait raison ? Ce n’est pas le plus
fort, Zibus ?
Stephan, exaspéré, secoua la tête. L’informaticien
avait réussi à embobiner les filles, ivre, drogué et en leur
bavant dessus.
Tandis que ses amis lançaient des sourires complices
aux jeunes infirmières, Gérald continuait sa discussion
avec Stephan :
- Sinon, pour les deux autres salauds, nous allons nous
occuper d’eux.
- Tu veux faire quoi ? C’est le directeur et le chargé
d’affaires. C’est fini, ils vont me pourrir la vie.
- Ne t’inquiète pas, Neutrino n’a aucune limite ! lançat-il en adressant un clin d’œil à Patrick.
- Neutrino… C’est quoi Neutrino ?
- Nous en rediscuterons. Ce soir, c’est la fête ! » hurla
Gérald.
Deux heures trente. L’équipe arrivait enfin au Baos,
accompagnée des ravissantes infirmières. Bob et Yann,
ivres, oscillaient devant l’entrée de la boîte de nuit en
chantant des chansons paillardes et les videurs refusèrent
de les laisser entrer.
Une des jeunes infirmières sortit du groupe et
s’approcha d’un des deux colosses :
24
« C’est mes cousins. Sois sympa, Franck, laisse-les
passer.
L’homme eut un temps de réflexion.
- Bon allez, entrez tous ! C’est bien parce que c’est toi,
Déborah, lâcha l’homme en bombant le torse.
À l’intérieur de la discothèque, les sept collègues se
dispersèrent aux quatre coins de la piste de danse.
Comme une araignée qui tisse sa toile, ils cherchaient
des proies. Gérald resta avec Stephan et Déborah. Zibus
partit avec Tania, une superbe rousse aux yeux bleus.
Bob, Mustang, Patrick et Yann restèrent assis au bar.
Quant au Corse, il demeurait immobile en haut de
l’escalier et surveillait la foule.
- Il fait quoi le Corse ? demanda Stephan, une heure
plus tard.
- Il surveille. Mais ne t’inquiète pas, c’est normal. Dès
qu’on arrive en boîte, il se place à un endroit stratégique
puis il attend.
- Il attend quoi ?
- Une bagarre, ou n’importe quel événement qui
pourrait survenir.
Déborah éclata de rire et faillit renverser son verre de
whisky.
- Ils sont fous tes collègues ! lança-t-elle à Stephan.
Stephan ne répondit pas. Il observait le Corse,
immobile, en haut de l’escalier. Son comportement
l’intriguait. Il semblait ailleurs, hors des lieux, comme si
quelque chose l’inquiétait. Lorsque Gérald servit un
whisky à Déborah, il aperçut subitement un détail qui le
troubla. À la base du poignet, il remarqua le même
tatouage que celui de Patrick : une croix égyptienne,
entourée de huit raies et quatre bulles. Que signifiait ce
mystérieux tatouage ? Quel étrange symbole !
- Dis-moi Gérald, c’est quoi ce tatouage que tu as sur
le poignet ?
25
- Ce tatouage… Hem… C’est une longue histoire ! Si
tu intègres notre groupe, tu connaîtras la vérité.
- Quel tatouage ? De quoi parlez-vous ? demanda
Déborah, curieuse.
Gérald n’eut pas le temps de répondre. Cindy, une des
infirmières, arriva, la main sur la bouche, et fila
directement aux toilettes. Tania et Zibus surgirent
derrière elle en courant tandis que Bob suivait la troupe,
hilare.
- Bob s’est planté dans les cigarettes ! lança Zibus en
pouffant.
- Comment ça, trompé dans les cigarettes ? cria
Déborah, furieuse.
- En fait, sur la dizaine qu’il lui restait dans son
paquet, il y en avait une un peu spéciale… Une cigarette
magique, à base d’un mélange maison.
- Quoiiii ! Mais vous êtes tous cinglés dans cette
bande ! hurla Déborah.
Afin de ne pas subir les foudres de la jeune femme,
Zibus, Bob et Patrick s’éclipsèrent discrètement. Gérald
et Stephan se retrouvaient seuls, hébétés. Déborah courut
rapidement en direction des toilettes, suivie par la belle
et grande Tania, complètement affolée.
- C’est pas possible, ils peuvent pas rester calmes cinq
minutes ? Ils sont incontrôlables ! Heureusement, cette
fois Paul est calme. J’espère qu’il ne va pas péter les
plombs comme avec Bremond, gronda Stephan.
- Ne t’inquiète pas, il s’emporte seulement lorsqu’on
manque de respect aux membres de Neutrino. Tout à
l’heure, je t’ai parlé de notre groupe. Il faut savoir que
dans la vie de tous les jours, chacun de nous mène une
double existence. Voilà pourquoi, le week-end, on
décompresse.
- Les membres de Neutrino ? Une double existence ?
Je ne comprends rien !
26
- Je ne peux pas t’expliquer ici, mais avec l’accord des
guides, tu pourras participer aux séances.
- Mais vous faites quoi exactement dans ce groupe ?
Vous vendez de la drogue ?
Gérald éclata de rire.
- Bien sûr que non ! C’est même l’inverse. Disons que
nous avons un certain idéal. Nous essayons d’aider les
gens.
- Comme Emmaüs ou la Croix-Rouge, une association
humanitaire ?
- Euh, ben c’est très compliqué, et secret. Passe chez
moi mercredi, on en rediscutera.
Stephan dévisageait son collègue de travail avec de
grands yeux ronds. Gérald plaisantait-il ? Se pourrait-il
que ces énergumènes fassent partie d’une société
secrète ?
Tout à coup, Zibus passa à quelques mètres de lui,
poursuivant la belle Tania. Un peu plus loin, Bob
s’affalait sur un fauteuil, complètement ivre. Quant à
Yann, qui n’avait pas ouvert la bouche de la soirée, il
dormait, la tête posée sur le comptoir. Non… ce n’était
pas possible ! Gérald plaisantait, cette bande de soûlards
ne pouvait pas faire partie d’une quelconque
organisation secrète.
- Tiens, assieds-toi ici, et ne va plus avec les autres
tarés ! lança Déborah qui venait de revenir en compagnie
de Cindy.
La pauvre fille était blême et mal en point. Sa copine
lui tapotait la main tout en maudissant Bob et Zibus.
Stephan s’approcha pour leur tenir compagnie, pendant
que Gérald surveillait ses acolytes.
- Heureusement que tu n’es pas comme les autres
fêlés, toi. Ça fait longtemps que tu connais ces
énergumènes ? Ils n’ont pas un problème dans leurs
têtes ? Regarde l’autre, ça fait deux heures qu’il fixe la
27
piste en haut de l’escalier… Je ne parle même pas de
celui qui dort sur le comptoir, avec son pote
complètement défoncé. Et ce pauvre Zibus… On dirait
qu’il a un reniflard à femelle, il mate tout ce qui bouge.
Et la pauvre Tania qui reste collée à lui ! C’est
lamentable.
- Il ne faut pas le prendre comme ça, ils se lâchent un
peu. C’est des types super cools.
- Super défoncés, oui… Regarde Cindy ! Qu’est-ce
qu’il y avait dans cette cigarette ? Hein ma chérie, ils
sont fous ces mecs », rétorqua-t-elle en serrant sa copine
contre elle.
Une heure plus tard, Cindy reprenait ses esprits et
voulait rentrer chez elle. Péniblement, elle se mit debout
et récupéra son sac au vestiaire.
« Nous rentrons mais Tania reste avec vous. Stephan,
surveille-la s’il te plaît, je ne fais pas confiance aux
autres, supplia Déborah.
- Ne t’inquiète pas, elle est en sécurité avec moi.
- Merci ! Je ne sais pas si nous nous reverrons. Bonne
fin de soirée.
Une fois que les infirmières eurent quitté la
discothèque, Stephan décida de retrouver le reste de la
bande. Il aperçut d’abord le Corse, toujours assis sur les
marches. Un peu plus loin, Zibus, vautré dans les
fauteuils avec Tania, l’embrassait avec fougue. Sa
langue semblait un long tentacule qui s’enfouissait avec
vigueur dans la bouche de la magnifique rousse. Alors
que sa main remontait la minijupe tout en caressant ses
fesses, l’autre massait avec vigueur sa poitrine.
Lorsqu’il tourna la tête, il vit Gérald, Bob et Patrick
qui essayaient de relever Yann, ivre mort.
28
- Vous avez vu Mustang ? demanda Stephan en
s’approchant de ses collègues.
- Il est aux toilettes avec un type. Nous ramenons
Yann à la voiture, et après on décolle, il est bientôt 5
heures, répondit Patrick, essoufflé.
- Je vais le chercher.
Stephan remarqua que Yann et Bob portaient eux aussi
cet étrange tatouage. Toujours cette mystérieuse croix
égyptienne. Il frémit. Et si Gérald avait dit la vérité ?
Feraient-ils réellement partie d’une espèce de confrérie
ou d’une société secrète ? Il se souvint de la secte du
temple solaire, du Ku Klux Klan et des Davidiens… Ses
jambes chancelèrent et ses mains devinrent moites.
Inquiet, il poussa la porte des toilettes. Mustang se tenait
immobile devant l’entrée. Il était de taille moyenne et
avait de l’embonpoint ; les cheveux rasés et les yeux
vitreux, il discutait avec un homme aussi défoncé que
lui.
- Tu sais, la poudre c’est une affaire biochimique.
- Ah bon, répondit l’homme qui semblait ne rien
comprendre.
- Il ne faut pas en abuser. La prise de psychostimulant
augmente considérablement la dopamine qui est un
puissant neurotransmetteur. Ça entraîne un changement
adaptatif d’état des neurones pour limiter l’effet de la
substance absorbée. Malheureusement, ce phénomène
entraîne une diminution des effets de la drogue ainsi que
de ses effets euphorisants… Le consommateur sera donc
obligé d’augmenter les prises.
Stephan écoutait Mustang expliquer les effets des
stupéfiants comme un biochimiste. Il était stupéfait ! Les
amis de Gérald étaient étranges. Ils comportaient tous
quelque chose d’insolite.
29
Soudain, il s’aperçut que Mustang avait le même
tatouage. Son cœur se mit à battre la chamade. Il frémit à
nouveau.
- Ça ne va pas Stephan ? Tu es livide, lança Mustang.
- Euh… si… Je venais te chercher, nous partons »,
répondit-il en bégayant.
Les deux voitures quittaient le Baos et se garaient face
à l’entrée du parking du palais des Papes. Mustang
décida de distribuer les dernières cigarettes magiques de
son cru.
« Allez-y, mes amis ! C’est les dernières de la soirée.
Zibus, enlacé avec sa belle, ne se préoccupait pas des
autres. Inquiet, Gérald lui demanda :
- Nous en faisons quoi de ta copine ? Il faut qu’on
rentre, maintenant.
- Quelle question stupide, elle vient avec nous ! Je la
ramènerai demain…
- Ouais, demain ! murmura Bob, défoncé.
- Pff, vous êtes désespérants. Ne restons pas là, nous
allons nous faire contrôler par la police, il y a des
caméras », intima le Corse.
Six heures du matin. Après avoir ramené tout le
monde, Gérald discutait avec Stephan :
« Je ne sais pas si c’est une bonne idée de rentrer chez
toi dans cet état. Tu veux rester à la maison ?
- J’ai envie de parler à Carole…
- Tu as bu ! Attends plutôt demain.
- Non, je n’ai presque pas pris d’alcool.
- Et la drogue ?
Stephan réfléchit quelques secondes.
- Tu as raison, en plus je sens le cannabis ! Si elle me
voit dans cet état, elle va me faire une crise.
30
- Allez, rentrons. Demain est un autre jour.
Après avoir installé Stephan dans la chambre d’amis,
Gérald s’affala sur son lit et sombra dans un profond
sommeil.
Le lendemain, Stephan se réveilla avec une terrible
migraine. Dans la cuisine, Gérald préparait un plat de
pâtes à la bolognaise.
- Mes parents sont partis à la montagne, je suis seul
pour le week-end.
- Ils sont sympas de te laisser la maison.
- Je n’ai pas envie de m’embêter avec une nana, et je
préfère vivre en famille. Mes parents sont plutôt
conciliants.
- Tu as bien raison. Profite de ta liberté, regarde où ça
m’a mené ! Quelle ordure ce Bremond… Quant à Haton,
il est encore plus vicieux. Un vrai serpent ! C’est à cause
d’eux si notre couple bat de l’aile. Et tu sais qu’ils
s’acharnent sur Stéphanie ?
- La secrétaire ?
- Oui, et en plus, elle vient de divorcer. Haton doit le
sentir, cet enfoiré, car il la harcèle continuellement.
- Quel bâtard ! Que le brasier des enfers le consume
vivant ! Si Neutrino pouvait décréter le niveau 1… dit
Gérald en serrant le poing.
- Neutrino ? Le niveau 1 ? Que veux-tu dire ?
- Rien, laisse tomber. Je t’expliquerai un autre jour.
- Et ce mystérieux tatouage que vous avez sur le
poignet, tu peux m’expliquer ?
L’œil de Gérald pétillait, il avait envie de parler mais
il ne pouvait pas en dire plus.
- Il faut d’abord que je parle à Tibère, Maât et Osiris.
Ils doivent se réunir avant d’autoriser la venue d’un
nouveau membre.
- Mais, c’est quoi au juste ? De quoi veux-tu parler ?
Qui sont ces gens ? Que faites-vous vraiment ? Tu
31
m’inquiètes, Gérald. Tu me promets que tu ne vends pas
de la drogue ?
- Bien sûr que non, c’est bien au-dessus de tout ça, tu
ne peux même pas imaginer ! Dans notre monde, il y a
de nombreux groupes d’individus. Il y a ceux qui veulent
le pouvoir, ceux qui suivent la meute comme la majorité,
puis… il y a un autre groupe, des passionnés qui agissent
sans rien attendre en retour, des idéalistes, des personnes
qui travaillent dans l’ombre des autres.
- Et que font ces individus ?
- Nous rediscuterons mercredi, je dois d’abord en
parler à Tibère. Excuse-moi, mais je ne peux pas t’en
dire plus. Tu devrais rentrer chez toi et discuter avec ta
femme.
- Tu as raison, je vais tout tenter pour sauver notre
couple. Et nous poursuivrons cette conversation un autre
jour, car j’ai vraiment envie d’en savoir plus. Au fait, je
commence un nouveau chantier à Marcoule avec les
intérimaires.
- Philippe, Manolo, Jeannot, Patrick… Je te souhaite
bonne chance avec eux ! Allez, rentre vite. »
Lorsque Stephan arriva chez lui, la maison était vide.
Carole avait emporté toutes ses affaires et déposé un mot
sur la table du salon :
Stephan, je crois que ce n’est pas la peine d’insister.
Notre couple n’est plus ce qu’il était et je ne peux te
mentir plus longtemps : j’ai une relation avec Francis.
Je suis désolée que ça se finisse ainsi, mais je n’osais
pas te le dire en face. Je prendrai contact avec toi par
l’intermédiaire de notre avocat. Pour Élodie, tu pourras
la voir quand tu veux. Je m’installe à Saint-Rémy-deProvence avec Francis. Ne cherche pas à me revoir,
c’est terminé, et je ne changerai pas d’avis. Adieu
Stephan !
32
Abasourdi, les yeux écarquillés, il lisait cette terrible
lettre. Sa vie venait de s’effondrer en une fraction de
seconde. Des larmes inondèrent ses yeux et il éclata en
sanglots. Avec rage, il déchira la lettre en mille
morceaux, souhaitant la mort d’Haton, de Bremond, et
même de Francis. Pourquoi la vie se montrait-elle si
cruelle ? Qu’avait-il fait pour mériter ça ?
Il erra dans la maison vide, le cœur déchiré, totalement
désespéré. S’il avait eu Francis sous la main à ce
moment-là, il lui aurait défoncé la tête. D’un coup de
poing, il fracassa la porte de la cuisine. Hors de lui, il
s’acharna sur le mobilier, les verres, les assiettes…
Après avoir tout cassé dans le salon, il s’effondra sur le
lit et termina la bouteille de whisky.
Vers 4 heures du matin, il se réveilla en souhaitant que
tout cela ne soit qu’un mauvais cauchemar, mais hélas
non. Qu’allait-il devenir sans sa femme et sa fille ? Un
mal-être l’envahit. De plus, dans trois heures, il devait
être sur le chantier. Il n’allait jamais tenir le coup !
Décidé à ne pas sombrer, il avala deux antidépresseurs et
partit se doucher.
33
3
Désespéré, Stephan arriva sur le chantier en repensant
à la lettre de sa femme. Il avait envie de pleurer toutes
les larmes de son corps : sa petite Élodie lui manquait
tant. De plus, une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais
seule, Michel Vairon était de retour à Marcoule. Il aurait
préféré travailler à la centrale avec Gérald.
Malheureusement, Bremond l’envoyait à Bagnols-surCèze pour s’occuper du tirage des câbles électriques.
Haton voulait le faire craquer en lui attribuant les
chantiers les plus difficiles. La cerise sur le gâteau,
c’était Michel Vairon. En effet, personne ne voulait
travailler avec cet homme coléreux qui hurlait tout le
temps. C’était un individu de petite taille, au regard vif,
avec une mèche de cheveux rabattue sur le côté pour
cacher une calvitie naissante.
« Putain, ce n’est pas possible, il a oublié son badge !
Quel gland !
- De qui parles-tu, Michel ? demanda Stephan, étonné,
tout en essayant tant bien que mal de cacher son chagrin.
- À ton avis ! De Patrick, bien évidemment ! Bremond
ne voulait pas le reprendre, mais vu qu’il n’y avait pas
d’autres intérimaires disponibles, il n’a pas pu faire
autrement.
- Ah, il revient…
34
- Putain ! Bouge-toi, bordel de merde ! Mais ce n’est
pas possible, tu es vraiment un nul.
Patrick tapa sur l’épaule de Gérald en lui faisant un
clin d’œil et lança un sourire à Michel, pour le
provoquer, tout en se dirigeant vers les vestiaires.
- Ça te fait rire, hein ? C’est incroyable ! Tu t’en fous
complètement de ce que je peux dire, t’es qu’un
intérimaire… Ben, je m’en fous moi aussi, brailla
Michel rouge de colère, en jetant son casque.
Des ouvriers, un peu plus loin, observaient Michel qui
trépignait sur place, vociférant des insultes.
- Ce n’est pas possible ! Qui m’a foutu des mecs
pareils ! Regarde, ils arrivent tous, et il manque encore
Jean ! Il passe un temps fou dans les vestiaires à se
changer, et après, il boit son café. J’en peux plus, je
crois que je vais craquer. Chaque fois qu’on travaille
avec eux, c’est le même bordel.
Jean arrivait tranquillement, précédé de Manolo et de
Philippe. Comme à chaque fois, Michel hurlait, mais
personne ne l’écoutait, alors il criait encore plus fort.
Stephan semblait ailleurs. Affecté par le départ de
Carole, il ne cessait de penser à elle. Un profond
sentiment de solitude l’envahissait. Des centaines
d’images lui revenaient en mémoire : la rencontre avec
sa dulcinée, leur mariage, la naissance d’Élodie… Son
cœur se mit à battre violemment dans sa poitrine, ses
mains devinrent moites et il se mit à suffoquer.
- Ça ne va pas Stephan ? demanda Manolo, inquiet.
- Je n’ai pas trop dormi hier soir, je vais aller prendre
un café.
Dès qu’il fut parti, Michel dit à Manolo :
- Tu parles, c’est bien les types des bureaux d’études,
toujours fatigués. Des bons à rien !
Jean secouait la tête en écoutant les critiques de
Michel. Il était méconnaissable devant ses supérieurs, le
35
chef de chantier. Mielleux, il était capable de les brosser
dans le sens du poil. Une fois le dos tourné, il leur
taillait une belle veste et les chefs étaient habillés pour
l’hiver.
- Pourquoi tu fais cette tronche, toi ? On ne te paye pas
pour boire le café, d’abord ! Allez, sortez-moi le touret,
et bougez-vous le cul, on va pas coucher ici.
- Mais… nous n’avons rien pour soulever le touret.
- Tu te fous de moi ? Sortez les rails ! Allez, grouillezvous.
Une fois le touret sorti du camion, les hommes
déroulèrent le câble. Ils devaient ouvrir des trémies et
passer par des bouches d’évacuation spécifiques. Le
travail s’annonçait plus difficile que prévu. Jean
dégoulinait de sueur et haletait. Manolo et Patrick durent
lui demander de se reposer quelques minutes. Quant à
Philippe, il n’avait pas l’air de trop forcer ! Michel, qui
assistait à la scène, se mit en rage.
- Oh, vous vous foutez de moi, ce n’est pas possible !
Vous le faites exprès ? Vous ne voyez pas que vous avez
fait un nœud dans le câble ? Arrêtez de tirer ! Stop !
hurla-t-il en se précipitant pour dénouer le câble.
Michel comprit qu’il n’était pas au bout de ses peines.
Il décida donc d’utiliser son 4x4. Il fixa le câble à une
corde qu’il attacha au véhicule.
- Allons-y doucement, et une fois arrivés dans le
virage, nous continuons à la main.
Les intérimaires suivaient le câble tandis que Michel
conduisait son véhicule. Jean pouvait se la couler douce,
tout comme Philippe qui n’avait pas ouvert la bouche de
la matinée. Quant à Patrick, il était en grande discussion
avec Manolo, à propos des coutumes thaïlandaises.
- Oh, vous vous foutez de moi, vous le suivez ce
putain de câble ? » hurla Michel, les yeux exorbités.
36
Deux heures plus tard, le câble était arrivé à l’armoire
électrique. Michel décida donc de réitérer la même
opération avec la fibre optique.
« Bon, nous recommençons, et faites gaffe, elle est
fragile la fibre optique.
Une fois le câble solidement attaché, il commença à
faire avancer très lentement son véhicule. Stephan, qui
venait d’arriver, observait la scène.
- Attention au virage, aidez le câble à…
Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’un bruit
retentit. Michel sortit en toute hâte pour vérifier l’état de
la fibre optique.
- Les cons ! Les cons !
Il criait, fou de rage.
- Non, vous n’avez pas… Ne me dites pas que vous
avez cassé la fibre ? Non, ce n’est pas possible… se
lamenta Stephan.
Jean baissa la tête pour ne pas répondre et Philippe se
dissimula derrière le véhicule. Michel était décomposé,
il se tenait la tête en criant.
- Non… Merde ! Merde ! Il va falloir en commander
une autre, et nous devions terminer pour la fin de la
semaine…
Personne ne répondit, l’ambiance était pesante. Même
Michel ne savait plus que dire. Comment allait-il
expliquer à Haton qu’ils avaient coupé la fibre optique
en tirant le câble avec son 4x4.
Stephan releva la tête et lança :
- Continuez à tirer les câbles, je vais voir Haton. Nous
verrons bien ce qu’il va dire. »
Alors qu’il poussait la porte du bureau du directeur, la
secrétaire sortit en larmes.
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« Vous êtes une bonne à rien, une incapable ! Je
comprends que votre mari soit parti, hurlait-il avec
mépris.
Son regard était plein de haine. Acerbe, il ne savait pas
prononcer une seule parole aimable. Dès qu’il vit
Stephan, sa langue de vipère frétilla comme pour cracher
son venin.
- Bonjour monsieur Haton, lança difficilement
Stephan.
- Qu’est-ce qu’il y a, Bringel ? Que me vaut votre
visite ? Vous ne deviez pas être sur le terrain
aujourd’hui ?
- Bien… nous avons eu un problème avec la fibre
optique.
- Quoiiii ! hurla-t-il en tapant le poing sur la table.
- En tirant dessus, elle a cassé…
- Vous vous moquez de moi ? Je vous laisse un
chantier avec seulement des câbles à tirer, et vous
trouvez le moyen de me le saboter ? Vous savez ce que
ça va nous coûter ? Ça ne va pas se passer comme ça.
Vous allez entendre parler de moi ! Filez vite sur le
chantier, j’appelle le client pour arranger l’affaire.
Bande d’incapables. »
Il hurlait, le visage déformé par la colère.
À Marcoule, tout le monde scrutait une trémie,
traversée par plusieurs câbles électriques. Consternés,
les ouvriers regardaient à travers le trou. Stephan
comprit qu’il y avait un nouveau souci.
« Ne me dites pas qu’il y a encore un problème ?
- Là, c’est fini, nous sommes cuits… lança Michel,
désespéré.
- Quoi ? Mais parlez donc ! avança Stephan, la voix
tremblante.
38
- Jean, en positionnant le rouleau en dehors de la
trémie, pour dérouler le câble, a écrasé les autres, et il a
entaillé un petit câble qui a provoqué un court-circuit.
Stephan avait le visage décomposé ; il devait
retourner voir Haton.
- Nous sommes maudits. On nous a jeté un sort. Jean,
t’es qu’un nul ! brailla Michel.
- Ce n’est pas la peine de gueuler, ce qui est fait est
fait. On a voulu aller trop vite, et voilà, rétorqua
Stephan, énervé.
- Je te signale que ça va nous retomber dessus, cette
histoire. Ils s’en foutent eux, ils vont rien avoir. Nous on
peut se faire virer pour faute grave, rétorqua aussi sec
Michel.
- Je sais mais c’est comme ça, c’est la loi des séries.
- Tu parles, la loi des cons, ajouta Michel en regardant
Jean.
- Ben, ce n’est pas ma faute. J’ai fait mon boulot. Pas
la peine de se mettre dans de tels états.
- Je te signale que c’est l’alimentation informatique
que tu viens de couper. Ce qui veut dire qu’une partie
des ordinateurs du bâtiment ne va plus fonctionner. Tu
veux leur expliquer ça, aux types ? Tu ne pouvais pas
faire attention ?
Un homme en costume-cravate et portant de fines
lunettes rouges arriva en courant sur le chantier,
complètement affolé. Stephan tenta en vain de lui
expliquer qu’il y avait eu un problème, qu’un intérimaire
avait coupé un câble par inadvertance, qu’il serait vite
réparé. Mais l’homme ne voulut rien savoir et tourna les
talons en répondant qu’il allait appeler le directeur.
Dix minutes plus tard, le téléphone portable de
Stephan sonnait. Haton hurlait et injuriait toute l’équipe,
maudissant tout particulièrement Jeannot. Michel était
dépité, il ne savait plus que faire.
39
- On arrête tout, le client ne veut plus nous voir ici
pour le moment. Michel, tu emmènes les intérimaires sur
l’autre chantier, vous allez finir l’installation électrique.
Moi, je retourne aux bureaux pour arranger l’affaire. Je
vous tiens au courant. »
40
4
La nuit commençait à tomber sur les hauteurs de
Bourg-Saint-Andéol. Et après une journée très
mouvementée, Stephan avait rendez-vous avec Gérald,
qui devait lui dévoiler la vérité sur ce mystérieux groupe
nommé Neutrino. Après avoir garé sa voiture sous un
vieux chêne, il inspira une grande bouffée d’air et frappa
à la porte, hésitant.
Gérald l’accueillit avec un large sourire.
« Salut Stephan ! Alors, il paraît que tu as eu des
soucis avec les câbles aujourd’hui.
- Tu es déjà au courant ? Je vois que les murs ont des
oreilles…
- Tu sais bien que j’ai mes sources… Bon, tu es prêt ?
J’ai discuté avec Tibère et Osiris. Ils nous attendent vers
9 heures, à Vaison-la-Romaine.
- Mais nous allons faire quoi là-bas ?
- Arrête de stresser et viens avec moi. Tu verras bien
une fois sur place. »
Le véhicule pénétra à l’intérieur d’une immense
propriété éclairée par de nombreux halogènes. Stephan
était stupéfait : la bâtisse était immense, entourée de
plusieurs fontaines et d’un splendide jardin. Une pergola
41
menait à un pont chinois surplombant un étang et
jalonné de pas japonais.
« C’est magnifique, n’est-ce pas ?
- Ouah ! Quel luxe ! Mais qui sont donc Tibère et
Osiris ?
- Tibère est un historien renommé. Il est le dernier
descendant d’une riche famille suisse. Tu vas voir, il est
formidable. Quant à Osiris… hem, il se présentera luimême.
Immobile devant l’entrée de la maison, un solide
gaillard d’une soixantaine d’années attendait ses invités.
- Bonjour monsieur Bringel, c’est avec impatience que
nous attendions votre arrivée. Gérald m’a beaucoup
parlé de vous. Suivez-moi, je vous prie.
Il guida ses hôtes dans une immense salle décorée par
de vieilles statues à l’effigie de dieux égyptiens ; au
centre, il y avait une immense colonne sur laquelle
étaient gravés des hiéroglyphes. Tibère donna une
accolade à son ami et tapa sur l’épaule de Stephan qui
aperçut encore le fameux tatouage sur son poignet.
- Alors monsieur Bringel, Gérald m’a dit que vous
souhaitiez en savoir plus sur Neutrino ?
- Euh, bien… je suis de nature curieuse mais…
Il ne savait plus que répondre, sa voix tremblait.
- Ne vous inquiétez pas, nous sommes des gens plutôt
sympathiques, et notre société n’a pour but que d’agir
dans l’intérêt commun de la nation. Désirez-vous
continuer ?
- Bien sûr… Maintenant que je suis là !
- Avant de pénétrer dans le sanctuaire, vous devrez
accomplir tout un cérémonial qui remonte à de vieilles
traditions égyptiennes. N’ayez surtout aucune crainte car
tout ceci est purement symbolique.
- Je vous fais confiance.
- Allons-y !
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Tibère traversa la salle et ouvrit une porte qui
communiquait avec une pièce beaucoup plus petite. À
l’intérieur de celle-ci, se trouvait une grande armoire.
- Nous allons devoir passer par là.
Stephan tourna la tête de tous côtés mais n’aperçut
aucune autre porte. C’est alors que son guide ouvrit
l’armoire et fit coulisser une porte secrète. Un air frais
effleura le visage de Stephan qui resta bouche bée.
- Avant de continuer, nous devons nous purifier,
ensuite nous vêtirons la tenue du cérémonial.
Immobile, les yeux écarquillés, le cœur battant à se
rompre, Stephan se tut. Anxieux, il ne savait plus
comment réagir. Devait-il suivre le guide ? Gérald lui
tapa sur l’épaule pour le rassurer.
Tibère s’absenta quelques secondes et réapparut, deux
tenues blanches à la main. L’air solennel, il les distribua
à ses invités puis désigna les douches.
Tandis qu’il se lavait, des milliers de questions
venaient à l’esprit de Stephan. Allait-il s’en sortir
vivant ? S’agissait-il d’une secte satanique ? Le Ku Klux
Klan… Jusqu’où pouvait donc mener ce mystérieux
passage secret ? Une fois purifié, il essaya de dominer sa
peur, et surtout de la cacher. Après avoir enfilé sa
tunique, il se dirigea timidement vers l’entrée du tunnel.
- Maintenant, nous allons traverser le couloir, chacun à
notre tour. Bonne chance monsieur Bringel, annonça
Tibère.
Le vieil historien s’engouffra le premier dans le
passage secret, et quelques secondes plus tard, Gérald
suivit à son tour. Un frisson traversa Stephan des pieds à
la tête. Était-il devenu fou ? Lorsqu’il se retrouva seul, le
doute l’envahit. Il crut que son cœur allait exploser tant
il battait fort. Finalement, il se décida à y aller. Plongé
dans l’obscurité, il avançait à tâtons, la peur au ventre.
Quelques secondes plus tard, sa main heurta un mur : il
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était bloqué ! Angoissé, il voulut rebrousser chemin mais
heureusement il aperçut une lumière. Rassuré, il tira le
rideau qui dissimulait une nouvelle pièce. Face à lui, une
dizaine d’individus vêtus d’une tunique blanche
l’attendaient. Parmi eux se trouvaient Tibère, Patrick,
Gérald, Zibus, Bob, Yann, Mustang et même le Corse.
Plus trois autres personnes, dont une qui s’avança vers
lui.
- Bienvenue parmi nous Stephan.
- Euh… merci, mais qui êtes-vous ?
- On me surnomme Osiris, et je suis un des guides de
Neutrino.
Gérald demanda à Stephan de s’agenouiller. Le guide
s’avança et lui posa son sceptre en or sur la tête, puis
prononça :
- Grâce au Kâ tout-puissant, tu as rejoint la lumière.
Tu étais mort, mais à présent tu es ressuscité. Stephan, tu
fais maintenant partie de Neutrino.
Osiris releva le nouveau membre et ajouta :
- Nous sommes les gardiens d’une tradition remontant
à l’Égypte ancienne, et qui a vu le jour après le règne
d’Akhenaton. À la suite du blasphème d’Amon, un
pharaon, dont le nom ne fut jamais divulgué, décida de
créer une armée secrète. Sa vocation était de surveiller
les hommes nuisibles aux dieux, au pharaon lui-même,
et à la population. Ces soldats travaillaient dans l’ombre
et protégeaient la société sans que personne ne le sache.
Une fois qu’un individu entrait dans cette armée, il
devenait un frère pour tous les autres membres qui
étaient prêts à risquer sa vie pour lui.
Stephan, les yeux écarquillés, écoutait sans broncher.
- Neutrino fut créé dans les années quatre-vingts, à la
suite de l’assassinat de mon frère, gérant d’une
discothèque au nord de Nice. La mafia locale ne
réussissant pas à le soumettre, elle décida tout
44
simplement de l’éliminer. Son décès me bouleversa à un
tel point que je décidai de me venger… Nous
connaissions ceux qui avaient commis cet horrible crime
mais ils étaient intouchables. Ils avaient la mainmise sur
de nombreux établissements de la Côte d’Azur et
connaissaient bien les juges. Désespéré, je décidai de
faire appel à une bande de mercenaires qui élimina le
chef de la mafia. Une fois vengé, je devais reprendre
mon travail mais le destin en décida autrement. Lors
d’un congrès, je rencontrai Tibère qui me parla de cette
armée égyptienne. L’idée germa dans mon esprit, et
Neutrino vit le jour ! Mais tout cela était écrit…
- Ah bon ! Pourquoi donc ? demanda Stephan, étonné.
- Je ne peux pas tout te dévoiler pour l’instant car tu
me prendrais pour un illuminé. Disons, pour faire
simple, que certains membres possèdent des dons
particuliers plutôt troublants.
- Et que faites-vous exactement ?
- Au sein du groupe, nous avons tous des fonctions
bien définies. Nous infiltrons différents milieux :
politiques, médicaux, militaires, scientifiques… Nous
nous immergeons dans chaque entreprise pour mieux la
surveiller, reprit Osiris.
- Mais dans quel but ?
- Surveiller, contrôler, et venir en aide à ceux qui en
ont besoin. Lorsqu’un individu s’écarte du droit chemin,
nous intervenons.
- Que faites-vous ?
Tibère reprit la conversation tandis que les autres
membres écoutaient, silencieux.
- Tout dépend du niveau atteint. S’il est passible du
niveau 1, c'est-à-dire qu’il a commis des crimes, des
sévices avec une extrême violence, ou bien s’il
représente un réel danger pour la société, alors nous
décidons de l’éliminer.
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Stephan frémit.
- Mais n’aie aucune crainte, ça arrive très rarement ! Il
existe aussi un niveau 2 : vols, viols, agressions,
harcèlement… Nous agissons au cas par cas pour
résoudre l’affaire. D’ailleurs, ton directeur est dans notre
collimateur depuis quelques mois.
- Ah bon !
- Bien sûr, certains de nos membres travaillent avec
toi, ne l’oublie pas ! Zibus et Patrick, qui ont piraté le
système informatique d’Haton, ont découvert des
transactions douteuses sur les comptes bancaires de son
épouse qui est gérante d’une discothèque. Il n’est pas
net, et je pense que la maison mère de ton entreprise
cache des choses.
Les paroles d’Osiris laissèrent Stephan pensif. Cette
histoire semblait invraisemblable. Zibus et Patrick
étaient donc chargés d’infiltrer son entreprise.
- Vous êtes nombreux à Neutrino ? demanda Stephan,
perplexe.
- En vérité, personne ne le sait vraiment, car une entité
peut se créer, sans en demander la permission. Je sais
que nous sommes disséminés un peu partout en France
car nous communiquons régulièrement entre membres.
Parfois, un individu nous contacte et nous demande un
service. Voilà ! Tu sais tout maintenant. Tu vas pouvoir
passer à la dernière étape du rituel initiatique.
Osiris écarta les bras et brandit son sceptre. Stephan,
surpris, ressentit une étrange sensation, comme si un
courant parcourait l’ensemble de son corps. Paralysé, il
ne pouvait plus bouger.
- Qu’est-ce qu’il m’arrive ?
Osiris et Tibère éclatèrent de rire.
- C’est l’énergie vitale qui pénètre tes cellules. À
présent tu es un membre actif de Neutrino et la séance
46
est terminée. Suis-nous, il y a une autre surprise pour
toi !
Stephan suivit les membres dans le grand salon : un
repas était servi en son honneur. Ému, il remercia tout le
monde.
Tandis que ses amis savouraient les toasts au caviar,
Tibère expliqua à Stephan que l’intronisation rappelait le
mythe osirien. Dans la légende, Osiris revenait à la vie
pour donner naissance à Horus. La traversée du couloir
représentait le passage de la mort à la vie, l’état
d’ignorance à celui de vérité. D’après Tibère, l’Égypte
aurait influencé de nombreuses religions. Il pensait
même que l’Ancien Testament aurait été crypté par le
peuple égyptien pour perpétuer ses croyances.
L’œil brillant, il ajouta :
- Ne trouves-tu pas étonnant que l’histoire de Moïse
comporte des similitudes troublantes avec celle d’Horus,
le dieu faucon ? D’ailleurs, même Freud, dans Moise et
le monothéisme, évoque l’idée d’une codification de la
pensée égyptienne, même s’il en donne une autre
signification. Quant au livre des morts tibétain, le Bardo
Thodol, il ressemble étonnamment au livre des morts
égyptien.
- Je ne sais que vous répondre car je ne suis ni
philosophe ni croyant. Vous étudiez les religions ?
- Bien sûr… Mais aussi la sophrologie, l’hypnose, la
méditation et même la psychologie. Neutrino est une
école de vie.
Osiris, qui se trouvait à côté de Stephan, ajouta :
- Ce sont les religions qui guident le monde, nous
devons par conséquent les étudier.
- En tout cas vous n’en appliquez pas les principes. Le
niveau 1 va à l’encontre de l’idéologie chrétienne par
exemple.
47
- Qu’est-ce que le bien et le mal, après tout ? Tu as
raison de refuser le niveau 1, néanmoins nous pensons
qu’il n’y a parfois pas d’autres solutions. Pour protéger
nos semblables, la mort devient l’unique solution ! Nous
croyons en une énergie supérieure que l’on nomme Kâ
en égyptien, Ki en japonais, Chi en chinois, magnétisme
en Europe… La mort n’est qu’une étape, un passage
d’un état à un autre. L’énergie transite ainsi dans
l’univers de corps en corps.
- C’est une lutte sans fin, reconnaissez-le.
- Nous préférons éliminer un individu nuisible plutôt
que de savoir que celui-ci fera souffrir d’autres
personnes.
Stephan baissa la tête. Osiris n’avait pas tort. En effet,
si quelqu’un faisait souffrir sa petite Élodie, il le tuerait
de ses propres mains.
- Ne fais pas cette tête, personne ne t’obligera à passer
à l’acte, nous avons des membres qui s’en occupent.
- Sans indiscrétion, qui exécute le niveau 1 ?
- Le Corse et Patrick.
- Le Corse et Patrick… Ce n’est pas possible !
M’auriez-vous contacté si je n’avais pas essayé d’en
savoir plus sur Neutrino ?
- Peut-être ! Nous surveillons les centrales nucléaires
de la région car ce sont des sites à haut risque. Par
conséquent, peut-être qu’un jour ou l’autre nous
t’aurions contacté. D’ailleurs, les trois autres personnes
qui sont en bout de table occupent des postes
stratégiques dans les centrales. Henry travaille sur le site
de Cruas, Denis à Tricastin et Pierre à Marcoule. Il y a
sept autres membres qui ne pouvaient pas venir ici ce
soir, mais tu les rencontreras lors des prochaines
réunions ou pendant les conférences, ajouta Tibère.
48
- Vous allez certainement penser que je suis curieux,
mais comment avez-vous rencontré mes collègues de
travail ?
Gérald se leva et prit la parole.
- Comme tu as déjà pu le constater, nous faisons
souvent la fête et nous abusons des drogues. Ça va à
l’encontre de la philosophie de Neutrino, mais nous
sommes des membres un peu particuliers. Nous avons
connu Tibère et Osiris au retour d’une soirée bien
arrosée, près de Vaison-la-Romaine. Yann s’était
endormi au volant et il a percuté un platane de plein
fouet. Tibère et Osiris, qui arrivaient en voiture, nous ont
aidés à sortir du véhicule. C’était il y a une dizaine
d’années… Nous avons gardé contact, et c’est ainsi que
nous avons intégré Neutrino. Osiris nous laisse régler les
missions les plus dangereuses. Nous sommes chargés de
l’exécution du niveau 1.
Stephan blêmit, il avait envie de vomir en imaginant
Gérald assassiner froidement des voyous.
- Toi aussi… tu es un tueur ?
- Non, je m’occupe de la première phase du niveau 1
avec Bob, Mustang et Zibus. Nous faisons seulement de
la surveillance. Quant à l’exécution, ça concerne
uniquement Patrick et le Corse.
Stephan chancela ; pendant un court instant il ne se
sentit pas bien.
- Ça ne va pas ? demanda Tibère en s’approchant.
- C’est le fait d’imaginer mes collègues tuer des
gens…
- N’y pense plus ! Oublions tout ça, et buvons le
champagne. »
Stephan ne dit plus un mot jusqu’à la fin de la soirée.
Troublé, il repensait à tout ce que lui avaient appris
Tibère et Osiris. Que d’informations en une seule
soirée !
49
Vers 1 heure du matin, Stephan et Gérald prirent
congé. Tibère et Osiris les raccompagnèrent à leur
véhicule.
« J’espère que tu n’as pas eu trop d’informations d’un
seul coup. Repose-toi bien, la nuit porte conseil, mon
ami, lança Osiris.
- Nous espérons te revoir très bientôt, ajouta Tibère en
lui donnant une dernière accolade.
- Vous aurez l’occasion de me revoir prochainement,
et encore merci pour votre accueil. »
Les guides de Neutrino regardaient la voiture quitter le
jardin. Osiris inspira fortement et demanda à son ami :
« Tu ressens son Kâ ?
- Oui, il y a une puissante énergie qui sommeille en
lui.
- Tu sais à quoi je pense ?
- À la légende ?
- Oui, et ça m’effraie…
- Oublie cette histoire, Thot n’a rien dit de précis de
toute manière.
- Tu as raison, je m’inquiète toujours pour rien.
- Allez, rentrons, les autres doivent nous attendre. »
50
5
Stephan ouvrit les yeux en repensant au rituel
initiatique. Les révélations d’Osiris étaient à couper le
souffle : Patrick et le Corse, des exécuteurs…
L’infiltration des membres de Neutrino dans l’industrie,
la politique, la médecine… Et cette mystérieuse énergie
qu’ils appelaient Kâ. Il l’avait ressentie fourmiller dans
chacune de ses cellules. Osiris possédait-il réellement
des pouvoirs mystiques ? Les guides semblaient sortir
tout droit d’une série télévisée. Stephan en oubliait
presque le départ de sa femme et de sa petite Élodie ! En
contemplant la photo de sa fille posée sur la table de
chevet, il eut un pincement au cœur, et une larme coula
le long de sa joue. Il aurait donné tout ce qu’il possédait
de plus cher au monde pour retrouver sa famille.
Alors qu’il arrivait sur le site de Marcoule, Stephan se
rappela les paroles d’Osiris au sujet d’Haton. Cette
crapule effectuerait des transactions malhonnêtes ? Dans
quel trafic trempait-il ? Des sommes énormes étaient
investies pour les travaux dans les centrales nucléaires,
son directeur en profitait-il ? D’après ses collègues de
travail, il menait un train de vie au-dessus de ses
moyens. Toutes les entreprises qu’il avait dirigées
précédemment avaient fait faillite. Stephan ragea en
51
pensant que les salaires des employés n’avaient presque
pas augmenté ces dernières années.
La vie de Stephan s’écroulait comme un château de
cartes. Des doutes l’envahirent subitement, il pensait à
ces nombreuses sectes qui endoctrinent les individus
égarés. Toujours ces horribles images de Waco, où les
membres se donnèrent la mort tragiquement, tout comme
ceux du Temple Solaire. Néanmoins, il gardait confiance
en ses collègues : Patrick et Gérald ne l’auraient jamais
entraîné dans une secte.
Au loin, un individu s’agitait énergiquement en levant
les bras au ciel, un petit homme surexcité l’appelait.
C’était Michel, et il semblait nerveux.
« Tu sais quoi ? Le type d’hier, il est venu s’excuser,
ce matin ! Incroyable, un peu plus il s’agenouillait
devant moi, ils sont complètement cinglés dans ces
bureaux. Et je garde le meilleur pour la fin ; en vingtcinq ans de carrière, je n’ai jamais vu ça : quelqu’un a
changé le câble. Tu y crois toi ! Ils l’ont retiré sans rien
dire à personne. Ils ont même consigné le chantier et
refait le câblage, c’est stupéfiant !
Stephan esquissa un sourire. La machine Neutrino était
en marche ; comme l’avait promis Osiris, il n’était plus
seul. Tout à coup, le ciel lui parut plus bleu, l’herbe plus
verte, et l’oxygène s’engouffra dans ses poumons
comme dans ceux d’un nouveau-né. Tel le phénix,
Stephan revenait à la vie ! Hier, il avait ressenti cette
même sensation en traversant le couloir. Une fois sorti
de la pénombre, la vérité lui était enfin dévoilée.
- Avec les gars, finissez de tirer les câbles, je dois aller
voir quelqu’un sur le site, ajouta Stephan, troublé.
En chemin, il rencontra Patrick qui lui donna une
accolade.
52
- Tu sais, le câble...
- Je suis déjà au courant. Pierre s’est occupé de
l’affaire. N’oublie pas qu’il dirige le secteur électricité et
mécanique de Marcoule, dit Patrick en coupant la parole
à Stephan.
- Ah… je ne sais pas quoi répondre. C’est stupéfiant !
Neutrino est vraiment bien implanté.
- Tu as fait serment de fidélité aux membres de
Neutrino. Par conséquent, si un jour quelqu’un a besoin
de tes services, tu devras faire pareil. Nous avons pour
principe de nous occuper des problèmes des autres
membres avant les nôtres.
- Zibus est-il sur le site aujourd’hui ? Je voudrais
m’entretenir avec lui.
- Oui, il est dans les locaux informatiques. Si tu veux
on peut se rejoindre ce soir chez Tibère. Il faut qu’on
réfléchisse sur ce que tu comptes faire au sein du groupe.
- Vers quelle heure ?
- Vingt et une heures.
- À ce soir, alors ! »
Dans le bâtiment informatique, Stephan cherchait la
porte du service de programmation. Zibus travaillait sur
le site de Marcoule depuis une bonne dizaine d’années.
Passionné d’informatique, il passait ses journées à
développer des applications pour les chercheurs du
C.E.A. qui travaillaient sur la gestion des déchets
radioactifs. Puis, en parallèle, il infiltrait les réseaux et
surveillait les personnes suspectées par Neutrino. C’est
ainsi qu’il avait eu accès aux comptes d’Haton et qu’il
avait décrypté ses codes bancaires car le directeur les
consultait régulièrement de son bureau. Néanmoins,
Zibus n’avait pas le profil de l’emploi : grand et les
cheveux coupés courts, lorsqu’il arrivait en coupé
53
Mercedes, il ressemblait plus au jeune cadre dynamique
qu’à l’informaticien introverti.
« Salut Zibus, pas trop fatigué ?
- La patate ! J’ai passé une soirée torride avec Tania.
Tiens regarde, je suis en train d’élaborer un programme
qui calcule la capacité d’un câble en fonction du champ
magnétique.
- Ah bon… Tu fais comment ?
- C’est simple, je connecte le PC à des sondes placées
autour du câble. Ensuite, avec le programme, j’effectue
un maillage du champ magnétique à l’aide d’un calcul
matriciel.
- Trop fort ! On ne le dirait pas en te voyant mais tu es
plutôt doué. Je suis passé pour savoir ce que tu sais sur
mon directeur. Tu crois qu’il trempe dans une sale
histoire ?
- Je ne crois pas, j’en suis persuadé.
- Explique-moi tout. Je ne voudrais pas qu’il ruine
l’entreprise et qu’il profite des employés.
- J’ai eu accès à ses comptes et j’ai décrypté les mots
de passe. Observe les transactions… Tu vois ?
- Ça ne prouve rien ! C’est des petites sommes.
- Attends, tu vas comprendre. Tu sais où elles vont ?
- Euh, non.
- Il envoie régulièrement de l’argent sur les comptes
de sa femme. Et tu sais ce qu’elle fait comme boulot ?
- Encore moins !
- Elle est gérante d’une discothèque à côté de
Marseille, le Lady Blue.
- Je suis d’accord, mais ça prouve rien.
- N’oublie pas que nous avons des membres à
Marseille. J’ai contacté Richard qui infiltre le milieu de
la nuit. Il pense qu’un réseau de prostitution serait lié au
Lady Blue. D’ailleurs, d’après ses indics, des filles de
l’Est transitent dans des conditions précaires jusque dans
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le Sud mais il ne sait pas où. Et il envoie aussi de
l’argent sur un compte en Espagne.
- Haton, un proxénète, tu te moques de moi ? Et tu
veux faire quoi ?
- Un petit tour au Lady Blue, lança Zibus, hilare.
Stephan ne cernait pas le caractère de son collègue.
Par moments, il était d’un sérieux inquiétant puis,
subitement, il pétait les plombs.
- Bon d’accord, on s’occupe d’Haton. Et pour
Bremond ? Je te signale qu’il est très proche du
directeur. Il participe certainement à ses trafics.
- Je surveille ton directeur. Pour Bremond, à toi
d’infiltrer son milieu, sa vie et ses habitudes. D’ailleurs,
je crois que Patrick doit te former pour les infiltrations.
- Ah, d’accord… Mais que dois-je faire exactement ?
- Je ne sais pas, tu verras avec Patrick. Il applique
souvent le système B.
- C’est quoi le système B ?
- Tu agis en fonction du moment car rien ne peut être
programmé à l’avance. Osiris a décrété le niveau 2 pour
Haton et Bremond.
- Le niveau 2 ? On doit faire quoi au niveau 2 ?
- De la surveillance rapprochée. Nous ne lâchons plus
l’individu. Nous infiltrons son milieu et nous cherchons
la faille. Une fois que nous l’avons trouvée, on
intervient.
- On intervient ?
- Oui, bien évidemment, sans se faire repérer. Il faut
simplement lui mettre la pression. Souvent, ça suffit et le
type se calme. Mais parfois, quand nous ne pouvons rien
faire de plus, nous contactons les amis d’Osiris.
- Et c’est qui, ses amis, ils font quoi ?
- Des commissaires, des avocats, des juges…
- Ah carrément ! Vous travaillez avec la police aussi ?
55
- Bien sûr, puisque des membres en font partie.
Lorsqu’ils sont bloqués dans une enquête, ou qu’ils ne
peuvent pas agir, alors nous prenons le relais.
- C’est de la pure folie cette histoire ! Je n’aurais
jamais imaginé devenir membre d’une organisation
comme la vôtre.
Soudain, Stephan s’aperçut qu’il était déjà 10 heures.
- Mince, je dois partir, le chef de chantier m’attend. Ce
soir, je vais chez Tibère.
- Oui, moi aussi. On se retrouve tous chez lui vers 21
heures, à ce soir. »
Michel faisait le chiffrage du prochain chantier lorsque
Bremond débarqua dans le bureau, en colère.
« C’est quoi cette histoire encore, il paraît qu’on a
changé le câble sans m’en parler ?
- Oui, dans la journée de mardi, acquiesça Michel en
baissant d’un ton.
- C’est quoi ce bordel ? En plus, les chefs de Marcoule
n’en parlent à personne. J’y comprends rien, rumina
Bremond.
- C’est vraiment un mystère.
- Jean est encore sur le chantier. J’avais dit que je ne
voulais plus le voir ce bon à rien, giclez-le !
- Ils doivent être cinq sur le chantier, et il n’y a pas
d’autres intérimaires. Nous sommes obligés de le
garder.
- Vivement qu’on embauche les Polonais ou les
Roumains, eux au moins, ils travaillent vite, et pour pas
cher ! Et Bringel, il est où encore celui-là, il devrait être
sur le chantier, ajouta Bremond d’un ton arrogant.
- Derrière vous, lança Stephan qui venait d’arriver à
pas de loup.
56
- Ah… vous êtes là… répondit Bremond,
décontenancé.
- Vous pensiez que j’étais parti à la plage ? rétorqua
aussitôt Stephan, énervé.
- Un peu de respect, je vous prie ! N’oubliez pas que je
suis votre supérieur. C’est moi qui dicte les ordres sur ce
chantier !
Michel, qui avait l’habitude de toujours crier et donner
des ordres, semblait cette fois aussi doux qu’un agneau.
- Euh… Je vais sur le chantier avec les autres,
monsieur Bremond, bredouilla Michel.
- Oui, c’est ça, allez-y ! Vous avez compris Bringel ?
Je ne veux plus que vous me manquiez de respect. Si
vous tenez à votre poste, faites profil bas !
Stephan serra le poing, il avait envie de donner une
bonne correction à cet impertinent. Quel odieux
personnage ! Il baissa la tête, serra les dents avec rage et
répondit :
- Bien monsieur Bremond, je suis désolé de m’être
emporté. C’est la fatigue car en ce moment…
- Ce n’est pas mes affaires. Ici, nous avons chacun un
rôle déterminé. Je donne les ordres, vous m’assistez, et
les intérimaires exécutent ! C’est simple, non ? Les
autres, on ne leur demande pas de réfléchir ! Déjà qu’ils
ont du mal à tirer un câble ! Suivez-moi, nous allons les
rejoindre.
Tandis que Stephan marchait à côté de Bremond, de
violentes images traversaient son cerveau. Il se voyait
décréter le niveau 1, ordonnant au Corse de passer à
l’action. Comme dans ces films américains où, après
avoir reçu l’ordre de son supérieur dans son oreillette, le
sniper arme sa carabine et la détonation résonne alors sur
le toit de l’immeuble.
Le film se déroulait ainsi : Bremond arrive en berline
et traverse le pont qui le mène à la centrale de Tricastin.
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Le Corse est embusqué au détour d’un chemin. L’ordre
retentit : « Exécute-le ». Bremond arrive face à lui, le
Corse ajuste son tir, fixe le condamné qui ne sait pas
encore que son heure est proche. Un bruit sourd claque
dans l’air, réveillant un lièvre qui dormait à quelques
mètres de là. L’ogive traverse le pare-brise et se loge au
beau milieu du crâne de Bremond d’où jaillit une gerbe
de sang qui éclabousse les sièges arrière de la voiture. Le
bolide fou fait plusieurs tonneaux et termine sa course,
en flammes, dans un fossé. Le Corse se lève, démonte
l’arme qu’il place dans un sac à dos, et enfourche sa
moto. Quelques mètres plus loin, il passe devant le
véhicule du tyran qui se consume dans un gigantesque
brasier.
- Il est où Jean, encore ? hurla Bremond, faisant
sursauter Stephan.
- Aux toilettes, répondit Michel
- Voilà ce que c’est de prendre des vieux, le chantier
n’avance pas !
La correction du Corse n’avait pas suffi. Bremond
continuait à harceler les ouvriers, et Stephan ne le
supportait plus.
- Il fait son travail, c’est suffisant, ajouta Stephan,
agacé.
- Il coupe même les câbles, le vieux, répliqua Bremond
en postillonnant sur Michel.
Bremond fit le tour du chantier puis disparut sans
saluer les ouvriers.
- J’en ai assez vu pour aujourd’hui. S’il y a un
problème, vous savez où me trouver. »
Bremond était répugnant et odieux, à l’image d’Haton.
Il ne perdait rien pour attendre, Stephan lui ferait payer
son arrogance. Il infiltrerait son milieu, entrerait dans
son intimité et le blesserait avec ce qu’il possédait de
plus précieux. Lorsque quelqu’un veut votre peau, vous
58
n’avez aucune chance de vous en sortir. Nul ne peut
rester constamment sur ses gardes, et Bremond allait
l’apprendre à ses dépens.
Neutrino surveillait déjà le directeur, et s’il exploitait
des jeunes filles, il aurait bientôt des comptes à rendre
au groupe. Pour le moment, Stephan devait s’occuper de
Bremond. Patrick et lui allaient réfléchir à un plan
machiavélique. Il devait savoir par tous les moyens s’il
trafiquait avec Haton, et quel rôle il jouait. Stephan ne
voulait pas que ces ordures coulent l’entreprise que
monsieur Horme avait dirigée pendant plus de trente ans.
Si Haton et Bremond s’écartaient du droit chemin, ils
subiraient les foudres de Neutrino.
59
6
Le soleil venait de se coucher, Stephan arrivait devant
le portail qui menait à la propriété de Tibère. Sur
chacune des portes, on pouvait voir un blason en fer
forgé représentant la croix égyptienne. Il allait sortir de
son véhicule pour sonner au carillon, lorsqu’une lumière
clignota, et la porte s’ouvrit automatiquement. Dans la
grande allée éclairée par une multitude de minuscules
lumières encastrées à même le sol, une dizaine de
voitures stationnaient déjà. Tibère sortit en saluant le
nouveau membre.
« Je suis content de te revoir parmi nous ! L’autre soir,
tu avais l’air plutôt troublé. J’ai eu peur que tu ne
reviennes pas.
- Non, ne vous inquiétez pas ! Comme on dit, la nuit
porte conseil. J’ai décidé de mener à bien la mission qui
m’a été confiée. Je vois que tout le monde est déjà là.
- Eh oui, Maât donne une conférence ce soir.
- Ah bon ! Je ne savais pas. Maât, je ne le connais pas
encore.
- Nous allons te le présenter, c’est lui qui organise les
missions avec Osiris. Parfois il donne des conférences,
car chaque semaine nous avons un thème défini.
Aujourd’hui par exemple, c’est la mythologie
égyptienne. La semaine prochaine, un membre parisien
vient donner des cours de sophrologie et d’hypnose.
60
- C’est génial ! Gérald ne m’avait rien dit.
- Nous ne pouvons pas tout te dévoiler le premier jour,
ajouta Tibère en souriant.
- Quel est le thème de la conférence ?
- Nous allons aborder le mythe osirien, qui revêt une
grande importance dans notre société.
- Le mythe osirien…
Tibère traversa la salle de séjour, puis au lieu de
tourner à droite en direction du passage secret, il
emprunta un couloir à gauche qui débouchait sur une
nouvelle porte.
- Que représentent ces inscriptions ? demanda
Stephan, subjugué, en touchant le bois sculpté de la
vieille porte en bois.
Un des hiéroglyphes représentait un œil, un Égyptien
agenouillé, et un siège.
- Lis la citation et tu comprendras.
À haute voix, Stephan lut l’inscription suivante :
Osiris, tu es parti, mais tu es revenu ; tu t'endormis,
mais tu as été réveillé ; tu mourus, mais tu vis de
nouveau.
- C’est un des textes inscrits sur les pyramides de
Saqqarah. Ce hiéroglyphe représente Osiris, le dieu des
morts et de l’accession à la vie éternelle. C’est le
protecteur et le juge des défunts, il est l’emblème de
Neutrino.
Alors que Stephan restait immobile et bouche bée
devant l’inscription, Tibère poussa la porte d’où jaillit
une intense lumière. Le nouveau membre fut émerveillé
face à la nouvelle pièce qui ressemblait à une salle
hypostyle. Sur le côté, plusieurs colonnes étaient
décorées par de nombreux hiéroglyphes. En contrebas,
on pouvait voir de longs bancs en granit, et au milieu,
une estrade. Ses amis étaient déjà tous assis et prêts à
écouter le discours d’un vieil homme. Derrière lui,
61
sculpté sur un vieux mur de pierres, se dressait le
symbole de la croix égyptienne, l’ankh, qui représentait
la vie éternelle et communiquait une certaine force vitale
à celui qui le possédait.
- Prends place, dit Tibère, solennel.
Stephan s’assit sans un mot à côté de Gérald et Zibus.
L’homme en tenue blanche commença son discours.
- Nous te saluons Stephan ! J’espère que tu apprécieras
cette première séance. Nous n’avons pas encore été
présentés. Mon prénom est Charles, mais tout le monde
m’appelle Maât. Sais-tu qui était cette déesse dans la
mythologie égyptienne ?
Stephan secoua timidement la tête et le vieil homme
répondit :
- Elle représentait l’ordre cosmique, l’équilibre et la
justice. Elle était la fille du dieu solaire Râ, et la
compagne de Thot. Le premier devoir du pharaon
consistait à faire respecter la loi de Maât. Le jour du
Jugement, le mort voyait son âme pesée. Sur un des
plateaux de la balance était déposée la plume de Maât, et
sur l’autre plateau on plaçait le cœur du défunt. Pour que
son Kâ atteigne l’autre monde, son cœur devait être aussi
léger que la plume.
Tibère s’approcha de Stephan et ajouta :
- Il faut d’abord que nous t’expliquions pourquoi nous
utilisons les noms des dieux égyptiens et cette
mystérieuse symbolique. Dans un premier temps, nous
avons tout simplement jugé que la mythologie permettait
à l’individu de rêver, de s’évader, tout en gardant à
l’esprit la notion d’équilibre et de justice. À une époque
où nous perdons tout repère et où plus personne ne
respecte son prochain, la loi de Maât permettrait de
marquer à jamais un inconscient collectif souillé par le
crime. Puis nous nous sommes aperçus que certains
62
membres possédaient les vertus du dieu dont ils portaient
le nom. C’est étrange, tu ne trouves pas ?
Stephan hocha la tête en signe d’approbation.
- Ce fut vraiment le premier mot qui nous vint à
l’esprit lorsque nous réalisâmes donc qu’un lien unissait
le membre à son dieu. Néanmoins, avec le temps, nous
nous sommes aperçus que l’énergie était inaltérable, et
par conséquent, que la force vitale traversait le temps et
l’espace… Je sais, cela semble dément mais c’est ainsi,
certains de nos membres possèdent de réels pouvoirs !
Les Égyptiens avaient conscience de ces forces qui
régissent l’univers.
Voyant que Stephan restait perplexe, Maât s’avança, et
reprit la parole.
- Revenons au thème de ce soir : le mythe osirien.
Osiris était le fils de Nout et de Geb. Il avait un frère qui
s’appelait Seth, et deux sœurs, Nephtys et Isis. Cette
dernière devint plus tard sa femme. Le récit que je vais
vous raconter est l’un des plus anciens que nous
connaissons, il nous vient de Plutarque. Après son union
avec Isis, Osiris accéda au trône. Mais Seth, qui était un
dieu jaloux, voulut prendre sa place par tous les moyens.
Maât s’arrêta pour distribuer des fiches sur
lesquelles on pouvait voir des représentations d’Isis,
d’Osiris et de Seth. Puis il éteignit la lumière, alluma le
projecteur et projeta de nombreuses représentations des
dieux.
- Seth convia donc son frère à un grand festin.
Machiavélique, il avait fait construire un superbe coffre
aux dimensions d’Osiris. Au milieu du repas, il annonça
qu’il en ferait présent à celui qui le remplirait en
s’allongeant dedans. Tous les participants essayèrent
mais aucun ne correspondait aux mensurations. Au
moment où Osiris s’y installa, on referma le couvercle,
et le coffre fut jeté dans les eaux du Nil. Lorsque Isis
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apprit le sort de son pauvre mari, elle partit à sa
recherche à travers le pays en interrogeant tous ceux
qu’elle rencontrait sur son chemin. Grâce à la révélation
divine, elle retrouva Osiris à Byblos, au pied d’un
tamaris.
Stephan, sous le charme de cette fabuleuse légende,
buvait les paroles du vieil homme.
- Malheureusement, après avoir ramené le corps de son
époux en Égypte, Seth retrouva Osiris et le découpa en
quatorze morceaux qu’il éparpilla à travers le pays,
reprit Maât.
Tandis que son ami racontait la légende, Osiris
affichait une carte détaillant les diverses régions
d’Égypte. Tout en continuant son discours, Maât pointait
son laser sur l’écran et détaillait des hiéroglyphes.
- Isis retrouva les douze morceaux, mais il manquait le
cœur et le phallus. Elle reconstitua le corps et fabriqua
un pénis avec de la glaise. Grâce à ses pouvoirs, elle
redonna vie à Osiris et s’accoupla avec lui. Voilà
comment naquit Horus, le dieu faucon. Par la suite,
Osiris fut embaumé et obtint la vie éternelle ! Il devint le
juge des âmes. »
Maât affichait de nouvelles photos qui symbolisaient
Osiris. L’une d’elles représentait une grande colonne, la
même que celle qui se trouvait au centre de la grande
salle : le pilier Djed. Enfin, il évoqua l’idée de la
renaissance et de la vie éternelle, thèmes récurrents chez
Neutrino. Puis, pour clore le débat, il aborda l’épopée
d’Horus luttant contre le terrible Seth pour venger son
père.
Vers minuit, alors que la conférence venait de se
terminer, Zibus s’approcha de Stephan.
64
« As-tu réfléchi à ce que tu souhaiterais étudier ? Nous
devons participer à une séance par semaine lorsque nous
en avons la possibilité. Osiris conseille à chacun des
membres d’approfondir ses connaissances.
- Je ne sais pas. Que me proposez-vous ?
- C’est varié, tu peux apprendre la théologie,
l’hypnose, la sophrologie, le yoga, les mathématiques, la
physique, l’histoire… Ou encore le tir, les arts
martiaux…
- Les arts martiaux, le tir… Pourquoi pas ! Peut-être
que ça me défoulera et que ça me permettra de trouver
un certain équilibre. Et toi, tu fais quoi ?
- J’étudie l’hypnose, et je donne des cours
d’informatique. Tu peux commencer les cours de tir avec
le Corse, dès demain. Quant aux arts martiaux, tu peux
aller avec Patrick, il pratique lui aussi l’aïkido et le
combat libre.
- Et c’est où tout ça ?
- Pour les arts martiaux, tu devras te rendre au dojo
d’Amon, c’est-à-dire à Marseille. Les autres cours sont
enseignés soit chez Tibère, soit dans les autres centres de
Neutrino. Tout dépendra des matières que tu souhaites
étudier.
- Génial, j’ai hâte de commencer, je sens que ça va me
plaire. »
Le lendemain, vers 20 heures, Stephan frappa à la
porte du Corse qui vivait avec son frère en pleine
campagne ardéchoise. En caleçon, torse nu, il sortit
rapidement, une lampe serre-tête autour du front.
« Bonjour Paul, je viens pour les séances de tir !
Mustang apparut lui aussi, une cigarette à la bouche.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? Un souci ?
65
- C’est Stephan qui vient pour apprendre le maniement
des armes.
- Ah bon ! Arrête Steph, tu ne vois pas que c’est un
malade avec les armes ! Tu sais pourquoi il a une lampe
sur la tête ?
- Euh… non…
- Explique-lui, Paul ! Dis-lui pourquoi tu as cette
lampe sur la tête.
- Je remontais ma 444 Marlin. J’ai toujours peur que
quelqu’un m’observe, alors je descends au sous-sol, et
vu qu’il fait sombre…
Mustang éclata de rire.
- Tu vois, je te l’ai dit, c’est un malade.
- L’écoute pas, il ferait mieux de suivre les conseils de
Maât, et arrêter de fumer.
- Il a raison ton frère, tu fumes trop, ajouta Stephan.
Exaspéré, Mustang claqua la porte et disparut dans un
gros nuage de fumée.
- Laisse-le, il ne changera jamais. Viens avec moi, je
vais te montrer mes carabines.
Le Corse ouvrit une trappe qui se trouvait sous le tapis
de sa chambre et Stephan le suivit jusqu’au sous-sol.
Lorsqu’il alluma la lumière, ce fut la caverne d’Ali Baba
version militaire. Il y avait un stock de fusils, de
carabines, de pistolets et même de grenades.
- Voici toutes mes armes. Grâce à Tibère, je suis
équipé de ce qui se fait de mieux. Regarde ma collection
snipping : Sig Sauer 556, élite FR-F1, Barrett M82, Mac
Millan… Mais de tous, voici mon préféré : le “Accuracy
International AW Super Magnum en calibre .338 Lapua
Magnum (8,6 X 70 mm)”, il a une portée de plus d’un
kilomètre.
- C’est impressionnant, je ne savais pas que l’on
pouvait toucher une cible à une telle distance.
Le Corse éclata de rire et rétorqua :
66
- Une cible ! Dis… un homme, tout simplement ! En
Afghanistan, un sniper a réussi, au moyen d'un fusil Mac
Millan .50 Cal. Tactical, à tuer un type à une distance de
2 450 mètres.
Stephan blêmit et soupira, puis il toucha chaque arme.
- Où as-tu appris tout ça ?
- J’étais tireur d’élite dans les commandos de marines.
- Mais… tu as souvent usé de ton arme pour
Neutrino ?
- Parfois…
- Ça ne te dérange pas de tuer des êtres humains ?
- Chaque fois que j’ai pressé la détente, c’était comme
si je libérais l’humanité d’un mal incurable. Les hommes
que j’ai éliminés étaient des violeurs d’enfants, des
assassins sanguinaires, des chefs de mafia. Je n’ai jamais
eu un seul regret.
- Je ne sais pas quoi te répondre car je suis plutôt
pacifiste ! Je pense que la violence engendre la violence.
- Regarde les bouddhistes, t’as vu où les a menés la
non-violence ? Si nous avions été au Tibet, nous aurions
saigné jusqu’à la mort ces tueurs d’enfants.
- En effet, peut-être que dans certains cas, le crime est
une nécessité.
- Arrêtons de philosopher. Suis-moi, je vais te faire
essayer le Mac Millan à visée nocturne. »
Dehors, la nuit venait tout juste de tomber. Un vent
frais soufflait sur les plaines. Le Corse installa le fusil
sur un trépied et partit placer la cible à une cinquantaine
de mètres.
« Tiens, mets cette lunette à vision nocturne et allume
la torche infrarouge.
- Mais, on ne va pas faire trop de bruit ?
- T’inquiète pas, les voisins sont loin.
67
Une fois que Stephan eut mis la lunette et allumé sa
torche infrarouge, il vit comme en plein jour.
- C’est fabuleux, je vois tout. C’est génial !
Le Corse s’allongea sur le ventre à même le sol. Il
ajusta la visée et appuya sur la détente. Le bruit de la
balle claqua dans l’air. Il respira calmement, ajusta le
trépied et recommença ainsi cinq fois de suite.
- Alors, résultat ?
- Tout dans le mille, répondit Stephan, stupéfait.
- Vas-y, allonge-toi. Je vais te montrer comment faire.
Stephan ôta sa lunette et s’allongea sur le ventre.
- Pour l’instant, ne cherche pas le centre. Concentretoi uniquement sur le groupement. Tout d’abord, place
tes bras comme les miens, inspire, puis bloque ta
respiration. Une fois que tu es bien centré : shoote !
Surtout ne reste pas trop longtemps en visée sinon tes
membres vont se tétaniser. Pense à faire le vide dans ton
esprit et décontracte-toi. Inspire calmement, pense à
chacun de tes mouvements. Allez, à toi maintenant.
Stephan se concentra, inspira calmement, ajusta le tir
et pressa la détente. Deux minutes plus tard, les résultats
étaient plus qu’honorables.
- Tu as groupé en haut de la cible, à onze heures. C’est
bien pour un premier tir. Recommence !
Il essaya plusieurs fois, jusqu’à ce qu’il atteigne enfin
le centre. Une heure plus tard, Stephan admirait ses
cartons.
- C’est formidable, je ne pensais pas obtenir un tel
score.
- Tu vois que ce n’est pas difficile, mais n’oublie pas
qu’un vrai sniper tire à plusieurs centaines de mètres.
Nous n’étions qu’à cinquante mètres ! La semaine
prochaine, nous irons essayer un revolver Manhurin
357 magnum. C’est l’heure, il faut qu’on bouge !
- On va où ?
68
- Patrick ne t’a rien dit ?
- Euh non…
- Ah… Bien... Tous les trois jours, nous effectuons un
circuit de surveillance.
- Un circuit de surveillance ? C'est-à-dire ?
- Avec vingt autres membres de la section d’Avignon,
on se partage le secteur.
- Mais… pour faire quoi ?
- De la surveillance, bien sûr.
- Mais, il y a la police et la gendarmerie !
- Tu parles… Ils ont trop de contraintes et de
paperasse. N’oublie pas que nous n’existons pas,
nous sommes l’underground ! Nous pouvons faire ce que
nous voulons.
- Et si ça tourne mal, si on blesse quelqu’un, si on se
fait arrêter…
- C’est déjà arrivé !
- Et alors ? Comment ça se passe ?
- Le préfet fait partie du groupe Neutrino d’Avignon,
tout comme quelques commissaires de la région. Nous
sommes couverts, et nous avons les pleins pouvoirs. Te
souviens-tu de l’homme qui a poignardé trois personnes
au festival d’Avignon, l’année dernière ?
- Oui, ils ne l’ont jamais retrouvé. Je me souviens de
l’affaire, c’est même passé au journal de 20 heures ! Les
deux parents sont décédés à l’hôpital, laissant une fillette
orpheline, traumatisée à vie.
- C’est sûr qu’ils ne risquent pas de le retrouver… Il
sert d’engrais à un acacia à présent. Il est utile au
moins !
- Tu…
- Non, c’est Patrick... Enfin, sur le coup, il a un peu
merdé. Quoique parfois, je me demande s’il n’a pas fait
exprès. C’est rare qu’il rate sa cible…
- Que veux-tu dire ?
69
- Il a bien visé le crâne mais ça n’a pas suffi ! J’ai dû
finir le travail au wakizashi. Le type hurlait en tenant
une partie de son crâne dans les mains. T’aurais vu
Patrick, il n’a même pas cherché à finir le travail. Il le
toisait avec une telle haine… Soi-disant qu’il avait raté
son tir à cause d’un coup de doigt…
- C’est horrible ! C’est quoi un wakizashi ?
- Un sabre japonais de petite taille. Mais ne t’inquiète
pas, j’ai appris à tuer proprement, et j’ai abrégé ses
souffrances rapidement. Si tu veux, je t’apprendrai
comment trancher d’après les techniques de coupe des
samouraïs. Au Japon, dans l’ancien temps, les forgerons
testaient les lames en tranchant des corps de prisonniers.
On appelle ça le tameshigiri. Le record était de sept
corps tranchés à la suite. Grâce aux prisonniers, les
maîtres établirent des techniques de coupe pour chaque
partie du corps, suivant les niveaux de difficulté. Les
notes sont répertoriées dans un livre, le Tameshigiri
Densho. Bon, j’ai assez parlé, il est presque 22 heures.
Nous devons partir ! »
Patrick au volant de la voiture, le Corse côté passager
et Stephan à l’arrière, tous trois surveillaient les ruelles
d’Avignon.
« C’est calme, ce soir, observa Patrick, étonné.
- Va faire un tour aux Halles, c’est entre 23 heures et 1
heure que ça chauffe.
Il arrêta la voiture à côté d’un bar cubain.
Discrètement, il ouvrit la boîte à gants et en sortit un Sig
P226 calibre 40 SW, quinze coups, muni d’un
silencieux. Le Corse plaça son wakizashi et une
matraque télescopique dans un étui qu’il plaqua contre
son dos. Ensuite, il tendit un tanto – un couteau japonais
– à Stephan qui frémit.
70
- C’est obligé ?
- Tu as fait serment de protéger les membres, non ?
- Oui, mais pas toute la population…
- N’oublie pas qu’ici même, des membres de Neutrino
dînent, s’amusent ou peut-être travaillent. Donc, c’est à
nous de les surveiller ! Et puis, il y a aussi des femmes et
des enfants. Tu ne veux pas les défendre ?
- Bon, allons-y.
Ils remontèrent la rue pour enfin aboutir devant le
parking. À hauteur des machines à paiement, une jeune
femme était en train de se faire harceler par une bande
de loubards.
- Vas-y, t’es bonne toi, viens avec nous ! On va te
faire la totale ma cochonne, beuglait un type
complètement soûl.
Un passant qui venait de croiser les voyous détala
comme un lièvre. La demoiselle se dépêcha de payer et
s’enfuit rapidement dans les escaliers en espérant semer
les cinq lascars.
- On bouge, dit le Corse.
Immédiatement, les trois compères passèrent à l’action
et suivirent discrètement les voyous.
- Fais gaffe à la caméra de surveillance, enfile cette
cagoule, intima Patrick au nouveau membre.
Au troisième étage du parking, les cinq hommes se
trouvaient déjà à l’intérieur du véhicule de la jeune
femme. Ils lui caressaient la poitrine et lui demandaient
de l’argent.
- On intervient ! hurla le Corse.
Lorsque les lascars virent les trois hommes cagoulés,
ils sortirent de la voiture rapidement. L’un d’eux brandit
un rasoir, et un de ses complices, un gros poignard.
- Alors les mecs, on veut faire les malins ! brailla un
autre type baraqué, une matraque à la main.
71
Le Corse sortit son wakisashi et bondit sur l’homme en
lui tailladant le bras. Le lascar hurla de douleur et lâcha
son arme. Un autre voulut donner un coup de rasoir à
Patrick, ce dernier esquiva le coup et attrapa le poignet
de son agresseur en effectuant un kote gaeshi. Le bras
cassa à cause du mouvement de torsion. Stephan asséna
un bon crochet du droit à un des jeunes voyous qui
tomba inanimé, sa tête heurta violement le capot du
véhicule. Un nouveau type attaqua le Corse qui bloqua le
coup et lui fit une clé de genou. Alors que le dernier des
voyous s’enfuyait, Patrick lui sauta dessus et effectua un
étranglement nommé mata leao en ju-jitsu brésilien.
Les cinq crapules agonisaient sur le sol en demandant
de l’aide. Leur victime les regardait, horrifiée.
- Vite, dans l’ascenseur, il faut évacuer les lieux avant
l’arrivée des gardiens ! hurla le Corse.
Sous le choc, la jeune femme, paniquée, observait ses
agresseurs à terre qui hurlaient de douleur.
- Descendez vite à l’étage inférieur, il y a les agents de
sécurité, intima le Corse à la fille.
Elle obéit et disparut aussitôt. Les membres de
Neutrino sautèrent dans l’ascenseur et arrivèrent au rezde-chaussée.
- Enlève ta cagoule et baisse la tête pour pas que l’on
voie ton visage, dit Patrick à Stephan.
Une fois dehors, ils coururent à la voiture et
démarrèrent rapidement.
- Pour ta première sortie, c’était plutôt mouvementé,
dit le Corse en se recoiffant.
Stephan, blême, ne répondit pas. Il était encore sous le
choc.
- Respire, ça va aller.
Lorsqu’il eut repris ses esprits, il s’exclama :
- C’est terrible, il y avait du sang partout… Et cette
odeur de fer ! J’ai envie de vomir.
72
- J’ai juste entaillé son avant-bras. Je ne pense pas
qu’il ait des séquelles. N’oublie pas qu’on a sauvé la
fille, c’est le plus important.
- Oui mais bon…
- Nous sommes comme les neutrinos, nul ne peut nous
arrêter.
- C’est vrai ça, je ne me suis jamais posé la question.
Pourquoi avoir choisi ce nom au juste ? Ça veux dire
quoi Neutrino ?
- Tu ne sais pas ce qu’est un neutrino ? demanda
Patrick, étonné.
- Ben non… Désolé.
- C’est une particule subatomique électriquement
neutre qui demeure encore un grand mystère pour les
scientifiques. Il semblerait qu’elle soit de masse quasi
nulle, et capable de passer la matière à la vitesse de la
lumière ; dix exposant douze neutrinos traversent notre
corps à la seconde ! Ce sont les particules les plus
nombreuses de l’univers mais elles sont quasi
indétectables.
- C’est impressionnant… Merci pour l’information.
Regarde, mes mains tremblent toutes seules, observa
Stephan, affolé.
- Nous te ramenons chez toi, tu as eu assez d’émotions
pour aujourd’hui », conclut Patrick.
73
7
Dans les bureaux, à Marcoule, Stephan discutait avec
Gérald.
« Le nouveau chef de chantier vient d’arriver à Cruas,
c’est pour cette raison que je me retrouve ici.
- Tu vas faire quoi ? demanda Stephan.
- Remplacer Michel qui est en vacances pour un mois,
et ensuite, sûrement partir en déplacement.
- Tu ne peux pas te faire pistonner par Neutrino ?
- Je ne peux pas car nous surveillons un type sur EDF,
et je dois participer aux arrêts de tranche. Mais après, je
change de boîte ! répondit Gérald en faisant un clin
d’œil à Stephan.
- Pourquoi Patrick reste-t-il en intérim ?
- Il a été désigné pour infiltrer le milieu ouvrier des
diverses entreprises de la région. N’oublie pas qu’il est
spécialisé dans l’électricité, l’électronique et les
télécoms. C’est lui qui dépose les mouchards et pirate
les ordinateurs. Ainsi, à distance, Zibus n’a plus qu’à
vérifier les dossiers suspects.
- Ah d’accord, je comprends mieux maintenant.
- C’est lui qui a refait l’installation électrique et le
réseau informatique d’Haton. Il a dissimulé un micro
émetteur dans son bureau, et placé un trojan dans son
ordinateur.
- C’est quoi un trojan ?
74
- Un cheval de Troie ! Un programme informatique
qui se masque dans un programme sain. Une fois
installé, le pirate peut introduire le poste à distance.
- Vous êtes sacrément doués !
- Nous contrôlons les postes informatiques des plus
hauts responsables. Sinon, pour changer de sujet,
vendredi, avec le Corse, comment c’était ?
- Ne m’en parle pas, on s’est retrouvés dans une
bagarre.
- C’est normal, ça arrive souvent avec eux.
- Ils n’ont pas peur que ça finisse mal ?
- Ils suivent un entraînement rigoureux, tu verras par
toi-même. C’est incroyable le courage et la volonté
qu’ils ont.
- Pourquoi dois-je faire cette surveillance ?
- Tu as décidé de pratiquer le tir et les arts martiaux,
par conséquent, tu te retrouves dans la section
surveillance.
- C’est terriblement angoissant ! Et si jamais je
craque ?
- Tu peux quitter Neutrino quand tu le souhaites, mais
tu ne dois rien dévoiler de son fonctionnement interne.
- N’importe quand ?
- Bien sûr, Manolo faisait partie du groupe avant, lui
aussi.
- Ah bon, et pourquoi il a arrêté ?
- Il préférait voyager en Thaïlande. Tu sais, c’est un
solitaire qui aime profiter des plaisirs de la vie. Parfois il
nous aide pour certaines affaires. Ça fait presque trente
ans qu’il travaille en tant qu’intérimaire dans la région,
donc il connaît toutes les installations électriques et les
points stratégiques.
- Et Jeannot aussi ?
- Il a fait partie du groupe quand il était plus jeune,
puis il a arrêté.
75
- Pourtant, il ne répond jamais lorsqu’on l’insulte ! Il
n’est pas très guerrier.
- Nous évitons toujours les conflits, même si parfois
nous passons pour des imbéciles. Personne ne se méfie
d’un idiot ! Le Corse a fait une erreur la dernière fois,
mais c’est son tempérament impulsif.
- Faire l’idiot… C’est vrai, tu as bien raison. Je
n’aurais jamais imaginé que tu puisses faire partie d’un
tel réseau, répondit Stephan en éclatant de rire.
Soudain Bremond ouvrit la porte du bureau comme
une furie.
- Vous vous foutez de moi ? Les intérimaires attendent
dehors pendant que vous plaisantez, un café à la main.
C’est inadmissible, Bringel et Jurlin, vous n’êtes même
pas capables de suivre le chantier ! Je vais faire un
rapport à Haton, ça va chauffer ! Foutez-moi le camp
d’ici, bande de nuls.
- Mais… je vous ai appelé au bureau pour savoir si je
restais sur le chantier, personne n’a répondu, rétorqua
Stephan en prenant un air stupide comme savait si bien
le faire Gérald.
- C’est normal, la secrétaire a fait une tentative de
suicide, hier soir. Sa mère nous a appelés tout à l’heure.
- Mon dieu, et elle va bien ?
- Ce n’est pas notre problème, nous ne sommes pas
psychiatres ! Allez, bougez-vous.
Dans le couloir, les deux amis maudissaient Bremond.
S’il avait pu établir le niveau 1, Stephan n’aurait
certainement pas hésité à l’exécuter.
- Il faut qu’on prenne des nouvelles de Stéphanie…
J’espère qu’elle va mieux et qu’elle ne refera pas une
tentative de suicide. Haton et Bremond sont de vraies
ordures ! rumina Gérald avec rage.
- Demain, après le boulot, je passerai à l’hôpital. Je te
tiens au courant de son état de santé. J’ai bien réfléchi
76
pour Bremond, et la seule chose qui puisse peut-être le
déstabiliser, c’est sa femme.
- Tu penses ? répondit Gérald, perplexe.
- Je sais que de son bureau, il l’appelle régulièrement.
- Et quel est ton plan ?
- Nous pourrions proposer à une call-girl de l’aborder.
Peut-être que des photos compromettantes avec une
charmante créature, envoyées sous pli postal à sa femme,
suffiraient à semer une belle discorde entre eux.
Bremond serait déstabilisé et nous aurions le champ libre
pour la suite de l’enquête tandis qu’il essaierait de
sauver son couple.
- Je sais où trouver la fille qui exécutera la mission.
- Ah bon ?
- Virginie Bernard gère la section Neutrino d’Avignon.
La plupart de ses membres infiltrent le milieu médical
mais elle a quelques filles qui s’occupent de ce genre
d’affaires. J’ai travaillé avec un de ses agents, la belle
Laetitia. On la surnomme Sekhmet. Une grande blonde
aux yeux verts. C’est un sacré numéro !
- Tranquille, la vie !
- Ce n’était pas une partie de plaisir. À l’époque,
Sekhmet était mannequin et nous surveillions son
agence. Le directeur droguait certaines filles avec du
GHB et abusait sexuellement des mineures. Un vrai
tyran, de la trempe d’Haton. Tu n’as jamais entendu
parler de l’agence Saphirom ?
- Bien sûr que si, c’était il y a six ans, le directeur a été
ass… Non ! C’était encore vous ?
- Il avait violenté plusieurs filles, dont une qui garde
de graves séquelles encore aujourd’hui.
- Je me souviens de cette affaire comme si c’était hier.
Les enquêteurs avaient soupçonné un gang asiatique, car
le directeur de l’agence avait été tailladé avec un sabre
japonais.
77
- Paul était passé par là.
- Vous êtes partout, c’est incroyable
- Partout… Comme les neutrinos… Je vais rejoindre
les intérimaires, nous devons installer un chemin de
dalles. Va avec Patrick sur le chantier extérieur, il y a
l’armoire électrique à câbler. On se verra plus tard pour
discuter de la mission. »
Dehors, les trois intérimaires attendaient patiemment
leur chef, adossés contre un touret. Qui aurait pu
imaginer que ces hommes faisaient partie d’une société
secrète ? Personne ne se méfie jamais assez d’un
intérimaire.
Jean et Manolo suivirent Gérald en direction du site de
Marcoule. Patrick et Stephan partirent sur le chantier
extérieur.
« Zibus m’a dit que je devais surveiller Bremond avec
toi, annonça Patrick.
- Il paraît que tu es spécialisé dans l’infiltration, en
plus de l’exécution du niveau 1 ? J’espère que tu pourras
me former.
- En quelques jours je peux connaître les habitudes
d’une personne. Lorsque je traque un type, je ne fais
plus qu’un avec lui. Nous laissons tous des indices
derrière nous. Si tu pirates l’ordinateur de ta cible, c’est
le bingo assuré. Quand on surfe sur le Web, on laisse des
traces, et le hacker n’a plus qu’à vérifier les cookies, les
pages web visitées… Je peux aussi le suivre jour et nuit.
Parfois, il faut attendre des heures entières, et observer
sa proie.
- Tu observes quoi ?
- Lui, sa famille, ses amis… Je le guette de l’immeuble
d’en face, sous un pont, dans un fourré… Il faut toujours
être prêt à agir. Lorsqu’il n’y a plus personne dans la
78
maison, je rentre discrètement par mes propres moyens,
puis j’installe un micro émetteur dans son salon, une
caméra miniature sans fil dans son bureau. Mais je peux
aussi fouiller ses poubelles, le suivre à la salle de sport,
au supermarché, et même parfois questionner ses
voisins.
- Les surveillances durent longtemps ?
- Ma plus longue traque a duré un an ! C’était pour un
gang des quartiers nord de Marseille. Je travaillais en
collaboration avec la section Neutrino de la cité
phocéenne. Nous devions surveiller l’ensemble du
groupe mais un des chefs nous a démasqués, et ce fut
une belle boucherie : trois morts !
- Tout à l’heure Gérald m’a parlé de Virginie Bernard.
Tu la connais ?
- Tout le monde la connaît ! C’est un des piliers du
groupe. La section Neutrino de Vaison, dont le guide
spirituel est Osiris, est assimilée à la Basse-Égypte,
quant aux sections d’Avignon et de Marseille, elles
représentent la Haute-Égypte. D’ailleurs, chaque année
avec Isis nous célébrons la crue annuelle du Nil, qui
coïncide avec l’apparition de l’étoile Sothis, appelée
généralement Sirius. Cette crue était indispensable à la
fertilité des terres, d’où l’importance du culte en Égypte.
- Quel est le rapport avec Isis ?
- Isis est la déesse mère protectrice, la mère
universelle, assimilée à Sothis qui incarne la fertilité, et
le complément du dieu Osiris. C’est aussi la grande
magicienne, capable de soigner les gens, de donner la
vie ou de provoquer la mort.
- Virginie Bernard doit être une grande dame.
- En effet, tout le monde la respecte.
- Nous devons contacter Isis pour un de ses agents. Tu
connais Laetitia ?
79
- Sekhmet… C’est une fille très professionnelle, et
super charmante, qui réussit chacune de ses missions.
Nous n’avons pas de souci à nous faire si elle travaille
avec nous.
- Dès ce soir, je commence à suivre Bremond. Tu
viens avec moi ?
- Aucun problème, j’apporterai le matériel
d’infiltration.
- Tu sais pour Stéphanie ?
- Non, qu’est-ce qu’elle a ?
- Elle a fait une tentative de suicide, hier.
- Oh, non ! Elle est super sympa cette nana, c’est elle
qui s’occupe de mes pointages. Haton lui file sans arrêt
du boulot. La semaine dernière, elle se plaignait qu’il ne
cessait de lui gueuler dessus.
- Je ressens une haine viscérale pour cette ordure. Il
me dégoûte. Arrêtons de parler d’eux, nous devons finir
de câbler cette armoire électrique. Nous en rediscuterons
ce soir. »
Il était 19 heures lorsque la voiture de Stephan se gara
à l’entrée d’un quartier bourgeois, à la sortie de
Montélimar. Une quinzaine de somptueuses maisons
étaient disséminées autour d’un superbe golf éclairé par
des projecteurs.
« En voilà un qui se la coule douce ! T’as vu un peu le
coin, grogna Stephan.
Discrètement, ils remontèrent à pied la longue allée de
pins qui longeait les habitations et arrivèrent enfin
devant une superbe villa.
- Voilà, nous sommes chez Bremond. On se met en
cache dans le local technique, personne ne nous verra làdedans, chuchota Stephan
80
La demeure du chargé d’affaires se situait à une
trentaine de mètres d’un local technique. Tout en
enfilant ses gants noirs, Patrick sortit minutieusement un
mystérieux objet et toute une série d’outils.
- C’est un pick gun, et mes instruments de crochetage
pour serrure. Avec ce type de matériel, j’ouvrirai
rapidement le local. Le pick gun crée un transfert
d’énergie entre la goupille et la contre goupille. Avec les
vibrations, la goupille reste en bas, et la contre goupille
monte. Un vide se crée, alors rapidement avec le crochet,
j’ouvre la serrure.
- Et si ça ne fonctionne pas ?
- J’utilise mes crochets palpeurs mais ça demande une
plus grande connaissance des serrures. Il faut y aller à
tâtons. Pour réussir un bon crochetage, tu dois d’abord
apprendre la mécanique des serrures et ses défauts. Pour
ouvrir rapidement un verrou, tu dois trouver la goupille
qui bloque le plus. Je vais te donner un rapide cours
d’initiation.
Derrière l’allée de pins, à l’abri des regards indiscrets,
Patrick s’exécuta.
- Ton verrou est composé d’un stator, la partie fixe, et
d’un rotor, la partie mobile. À l’intérieur, tu as un ressort
qui maintient en place deux types de goupilles, l’active
et la passive. La clé agit sur la goupille active en
montant la goupille passive qui, lorsqu’elle atteint un
certain niveau, débloque le rotor, et ouvre la porte. Tu
peux avoir une serrure à cinq goupilles, mais bien
souvent, seulement une ou deux bloquent vraiment la
serrure car il existe un certain jeu mécanique. Regarde,
je vais te montrer sans utiliser le pick gun, ça sera un
peu plus long.
Patrick inséra minutieusement son crochet palpeur et,
à tâtons, effectua du bout des doigts de légères pressions.
81
À l’aide d’un autre outil, il exécuta une légère rotation
du cylindre.
- Ne fais plus de bruit, j’écoute le cliquetis et je vérifie
la pression de chaque goupille. Ça demande beaucoup de
concentration. J’essaie de déterminer celles qui sont
correctement positionnées. Il faut uniquement ressentir
le déplacement du bout du crochet, et non celui de sa
poignée. Ensuite, tu dois déterminer la force de rotation
minimale nécessaire à appliquer au rotor avec l’outil
entraîneur. Tout en positionnant correctement, avec le
crochet palpeur, les goupilles restantes.
Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit. Stephan
était stupéfait de la dextérité de son collègue.
- Je te montrerai en détail chez moi, j’ai toute une série
de serrures pour t’entraîner. Maintenant, dépêchonsnous, préparons le matériel.
Stephan sortit de sa sacoche un bloc-notes, un appareil
photo numérique et une paire de jumelles nocturnes.
- Note leur heure d’arrivée, leurs déplacements, et la
première chose qu’ils font dès qu’ils sont dans la
maison, ajouta Patrick.
Stephan scrutait la demeure de Bremond aux jumelles.
- Dix-neuf heures trente, toujours personne.
- Patience, il faut attendre », rétorqua Patrick,
solennel.
Quelques minutes plus tard, deux véhicules
pénétrèrent dans la propriété. Deux ombres entrèrent
dans la demeure.
« C’est Haton ! Il est avec Bremond.
- Qu’est-ce qu’ils manigancent, ces deux lascars ?
ajouta Patrick, perplexe.
Stephan ajusta la visée nocturne et zooma jusqu’à la
fenêtre du salon.
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- Nous avons de la chance qu’ils n’aient pas tiré les
rideaux. Regarde, Haton ouvre une mallette et donne des
dossiers à Bremond. Merde ! Il lui file du pognon !
Dommage qu’on n’ait pas encore installé d’émetteur !
Haton passe un appel téléphonique, il a l’air furieux.
Nous devrions retourner à la voiture au cas où ils
fileraient.
Rapidement, Patrick rangea le matériel dans sa
sacoche et referma la porte. Discrètement, toujours
cachés par l’allée de pins, ils filèrent en direction de leur
véhicule. Par précaution, Stephan déplaça la voiture une
ruelle plus loin.
- J’espère qu’ils vont bouger, ajouta Patrick.
Patiemment, ils scrutaient le bout de la rue lorsqu’ils
virent le véhicule de Bremond sortir de la résidence.
- Vas-y, suis-les discrètement en laissant une bonne
distance. »
Stephan démarra la voiture et s’engouffra dans la
ruelle. Le véhicule de son supérieur se trouvait juste un
peu plus loin.
Ça faisait déjà trente minutes qu’ils suivaient le bolide
sur l’autoroute, en direction d’Avignon. Stephan perdait
patience :
« Ils vont où ces abrutis ! Ce n’est pas possible !
- Patience, ne t’énerve pas, lui conseilla Patrick.
Vingt minutes plus tard, la voiture pénétra à l’intérieur
d’une immense propriété qui menait jusqu’à un château,
sur les hauteurs des Angles. Stephan, stupéfait, gardait
ses distances.
- Gare-toi ici, nous sommes bien placés pour les
surveiller, dit Patrick
- Nous faisons quoi maintenant ?
83
- On attend. Nous ne pouvons rien faire de plus car
nous risquerions de nous faire repérer.
- Je me demande ce qu’ils trafiquent, tous les deux.
- Je ne sais pas, mais je ne sens pas le truc en tout cas.
Surveillons-les.
Derrière un fourré, à une centaine de mètres de la
gigantesque bâtisse, Stephan sortit les jumelles
nocturnes.
Quelques minutes plus tard, deux nouvelles berlines
arrivèrent. Les yeux rivés sur l’objectif, il vit quatre
superbes filles sortir du premier véhicule. Le conducteur
était un grand type baraqué, à l’allure peu rassurante,
certainement un garde du corps. Trois autres personnes,
en costume-cravate, sortirent du deuxième véhicule.
- Mince… c’est… bafouilla Stephan.
- C’est ?
- L’un des trois types, il me semble que c’est le
président de l’EEAI… Qu’est-ce qu’il fout ici ?
Alors que les invités pénétraient à l’intérieur du
château, Stephan restait bouche bée.
- Tu es certain que c’est lui ?
- Oui, il est tellement antipathique qu’on ne peut pas
se tromper.
- T’as vu les femmes ? demanda Patrick.
- Elles ressemblent à des filles de l’Est.
- Tu crois que c’est des call-girls ?
- Peut-être ! Quand je pense que ce type de personne
dirige des entreprises…
- Nous allons attendre, ensuite nous suivrons la voiture
des filles. Nous devons savoir d’où elles viennent
- Bonne idée ! »
Depuis plus de trois heures, les membres de Neutrino
surveillaient le château. Stephan commençait à perdre
patience. Soudain, les filles sortirent, à demi-dévêtues.
84
« Ils partent, on les suit !
Le véhicule prenait la direction d’Avignon. Le
conducteur roulait très doucement et respectait
étonnamment le code de la route.
- Regarde comme il respecte la vitesse, comme il met
les clignotants, constata Stephan, étonné.
- Garde tes distances, on va se faire repérer.
À présent, la berline roulait sur l’autoroute en
direction de Marseille.
- Tu penses à la même chose que moi ?
- Je crois bien que oui ! Attendons tout de même
d’arriver sur place pour avoir confirmation.
- Dès ce soir, je contacte les autres membres. Nous
aurons sûrement besoin de Sekhmet pour appâter le
poisson, suggéra Patrick, inquiet.
- Il y a trop de gens haut placés mêlés à cette affaire, et
Marseille doit être la plaque tournante. Nous devrions
nous méfier. Nous pouvons oublier notre idée de départ
avec la femme de Bremond et nous recentrer sur
Haton. »
Une heure venait de s’écouler, et comme s’en
doutaient les membres de Neutrino, la voiture se garait
sur le parking du Lady Blue. À distance, stupéfaits, ils
observaient :
« C’était certain ! Ça me fait frémir toute cette
histoire. Comment un type comme Haton, qui a un titre
d’ingénieur d’une prestigieuse école, peut-il se retrouver
mêlé à un tel trafic ? Je ne comprendrai jamais le genre
humain… Prends des photos des filles et des gardes du
corps, ordonna Patrick.
- Regarde, elles sont mineures, et ne sont sûrement pas
françaises !
- Zoome sur les deux dernières, tu as vu ?
85
- Elles ont des marques sur le cou et les bras ! Les
ordures, ils les frappent ! Regarde, la plus jeune est en
larmes. Le type vient de l’attraper violement par le cou.
L’enfoiré, si je le chope, lui.
Stephan serra le volant de toutes ses forces et frappa le
tableau de bord violemment.
- Arrête, tu vas nous faire repérer, garde ton calme.
- Je vais leur casser la gueule !
- Ça ne changera rien, on va plutôt s’occuper de toute
la bande. Tu ne penses pas que c’est mieux, non ?
- Tu as raison, excuse-moi.
- Respire et calme-toi ! Allez, démarre la voiture. On
rentre.
Pendant quelques longues minutes, personne n’ouvrit
la bouche. Puis subitement, Stephan cria :
- Les ordures, les enfoirés ! Ça change nos plans !
C’est trop dangereux pour Sekhmet, nous ne pouvons
pas la laisser y aller toute seule.
- Ne t’inquiète pas pour elle. À présent, nous avons
Bremond et Haton dans le même panier. Il faudrait
l’infiltrer parmi les prostituées.
- Tu es malade, ils vont la frapper !
- Arrête de paniquer, je te dis que Sekhmet a été
préparée à tout ça. Elle a fait bien pire…
- Ah bon ?
- Ce que je ne t’ai pas dit, c’est qu’elle a éliminé le
boss du gang de Marseille.
- C’est vrai ? Tu plaisantes ?
- Elle a couché avec lui, et après lui avoir fait boire du
cyanure, elle l’a regardé crever comme un chien.
Ensuite, elle a foutu le feu à la baraque.
- C’est l’ange de la mort cette fille.
- C’est à cause de son tempérament, et aussi de sa
force psychique qu’Isis l’a surnommée Sekhmet la
puissante !
86
- Encore votre mythologie…
- Ce n’est pas un hasard si elle a reçu le nom de cette
déesse guerrière, cela signifie qu’elle a maîtrisé l’énergie
vitale, le Kâ de la déesse lionne. Osiris, Isis et Maât ne
donnent pas le nom d’un dieu à n’importe qui ! Tout
comme le tatouage sacré de Neutrino.
- Sekhmet la puissante… Qui était cette déesse au
juste ?
- C’est la femme à tête de lion portant le disque
solaire. C’est la déesse guerrière exécutant la vengeance
du tout-puissant Râ, le dieu solaire créateur de l’univers.
- Quelle vengeance devait-elle accomplir ?
- Râ l’envoya lutter contre ses ennemies. Sekhmet
engendrait la chaleur et les maladies, elle représentait la
fureur destructrice du soleil.
- Tu crois qu’elle pourrait neutraliser Haton ?
- Je ne crois pas, j’en suis sûr ! Tu sais, elle est très
mystérieuse, et avec Isis, elle pratique une espèce de
magie alchimique très étrange.
- Elle a pas l’air si sympathique que ça cette fille…
- N’oublie pas que Râ décida d’arrêter le massacre et
fit boire un breuvage à Sekhmet, qui se transforma alors
en Bastet, la déesse bienfaisante.
- Tu veux dire qu’elle a plusieurs personnalités ?
- En effet, elle peut être douce comme un ange, mais
contre les ennemis de Neutrino, elle se montre féroce
comme une guerrière.
- Je pense que c’est la personne qu’il nous faut pour
pénétrer au Lady Blue.
- Tu penses qu’il vaut mieux qu’elle infiltre
directement le Lady ? demanda Patrick.
- Oui, oublions Bremond pour le moment. Nous aurons
plus de chance si elle se fait remarquer dans la
discothèque.
- Quand ils vont la voir, ils ne vont pas s’en remettre !
87
- Par contre, dans la semaine, nous allons devoir faire
un petit tour dans ce mystérieux château. Je me demande
d’ailleurs s’il n’appartient pas à Haton. Après le boulot,
il va sur Avignon. Peut-être que…
- Ce château serait celui d’Haton ? Merde alors !
- Comme tu dis.
- En tout cas, demain nous rendrons visite à Stéphanie,
puis direction Avignon.
- Je vais enfin pouvoir rencontrer la grande Isis ! »
88
8
Les amis de la secrétaire lui rendirent visite à l’hôpital.
Le regard sombre, elle leur confia qu’Haton lui faisait
des avances depuis qu’il avait été nommé directeur. Bien
évidemment, elle les avait toujours repoussées. En
sanglots, elle ajouta que pour se venger, il la harcelait
chaque jour. Jamais un seul mot gentil, uniquement des
insultes. Lorsqu’elle se sépara de son mari, c’en fut trop,
et elle sombra dans une grave dépression. Elle demanda
à Haton quelques jours de repos mais il refusa en lui
hurlant qu’elle ne travaillait pas dans un centre social.
Elle n’arrivait plus à faire face, et un soir, lasse de cette
triste existence, elle décida de mettre fin à ses jours en
ingérant des produits toxiques. Le lendemain, sa mère la
retrouva, gisant à terre, inanimée. Une fois sortie
d’affaire, elle promit à ses parents de ne plus jamais
recommencer une telle bêtise. Plus personne ne la
rabaisserait, ni Haton, ni Bremond.
Ses amis claquèrent la porte de sa chambre, énervés.
Ils maudissaient Haton, Bremond et toute son équipe de
voyous. Stephan repensait aux marques de ces pauvres
filles et à leurs ecchymoses. Lorsque Osiris et Maât
apprirent la nouvelle, ils décrétèrent le plan d’urgence.
Ils contactèrent immédiatement Virginie Bernard, la
grande Isis, pour lui demander l’aide de Sekhmet la
puissante.
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Les membres de Neutrino avaient rendez-vous avec
Isis. Elle habitait un grand appartement à côté du palais
des Papes, d’où on pouvait admirer le pont d’Avignon et
la tour Philippe le Bel. En pénétrant dans sa demeure,
Stephan ressentit un sentiment troublant. La haine qui le
submergeait avait disparu. Une mystérieuse aura
semblait se répandre en ces lieux. Isis était magnifique :
grande, pourvue d’une longue chevelure rousse et de
grands yeux bleu azur. Ses cheveux étaient maintenus
par un diadème sur lequel trônait le cobra royal
protecteur, l’uræus. Stephan fut très troublé par sa
beauté énigmatique.
De nombreuses statues de dieux égyptiens ornaient
l’appartement qui ressemblait à un temple. D’après
Patrick, Isis vouait un culte particulier à l’énergie vitale,
le Kâ. Deux obélisques miniatures, au fond de la pièce,
laissèrent Stephan songeur. Un hiéroglyphe doré était
placé entre les deux obélisques, il représentait deux bras
ouverts. Patrick expliqua à Stephan qu’il symbolisait le
Kâ.
« Ôtez vos chaussures messieurs, et lavez-vous les
mains, je vous prie, demanda Isis.
Troublés, les membres s’exécutèrent.
- Suivez-moi, je vous prie.
Après s’être purifiés, ils suivirent Isis.
- Nous allons faire une prière en hommage à Râ, le
dieu soleil, le maître de la conscience des hommes, et le
tout-puissant d’Héliopolis. Puisse-t-il guider chacune de
nos pensées obscurcies par la haine. Asseyez-vous
autour du pilier central, mes amis.
Le pilier Djed représente Osiris : la stabilité et
l’harmonie de l’univers. Il évoque aussi sa résurrection
et le lien qui relie la Terre au monde de l’au-delà. Dans
l’ancienne Égypte, il servait de talisman.
90
Isis brandit l’ankh d’une main et le sceptre Ouas de
l’autre, et dit :
- L’ankh, l’Ouas et le pilier Djed représentent les trois
symboles sacrés : la vie éternelle, la force et la stabilité.
À présent, que leur énergie nous permette d’acquérir le
Kâ tout-puissant du grand Râ.
Stephan ressentit un fluide s’écouler dans ses bras et
remonter tout le long de sa colonne vertébrale. Une
chaleur intense l’envahit et une lumière chatoyante
apparut au-dessus de la grande Isis. Quelques secondes
plus tard, les membres de Neutrino clignaient des yeux
comme s’ils venaient de se réveiller.
- Quelle étrange sensation, avoua Stephan, surpris.
- La première fois, c’est étrange et angoissant,
rétorqua Patrick.
Stephan regardait Isis, stupéfait. Avait-elle réellement
des pouvoirs magiques ? Osiris avait évoqué certains
pouvoirs mystiques que possédaient les membres. Ne
s’agissait-il pas simplement de suggestion, comme en
hypnose ? Pensif, il écouta Isis parler.
- Mes chers amis, si nous sommes réunis ce soir, c’est
parce que Osiris souhaite la présence des membres
d’Avignon pour cette nouvelle mission. Il m’a parlé de
votre intention d’infiltrer le Lady Blue. D’après vos
sources, cette discothèque serait la plaque tournante d’un
terrible réseau de prostitution. Qu’attendez-vous des
membres Neutrino d’Avignon, Stephan ?
- Nous souhaiterions que Sekhmet se fasse remarquer
au Lady Blue. Très certainement, Haton et sa compagne
louent les charmes de filles mineures à de riches
industriels qui les frappent et abusent d’elles.
Le carillon de la porte d’entrée retentit.
- Ce doit être Sekhmet, lança la grande Isis.
Elle se leva et ouvrit la porte. C’est alors qu’un ange
apparut. Une grande fille au teint clair et aux jolis yeux
91
vert émeraude en amande, vêtue de blanc, jaillit de la
pénombre. Stephan resta bouche bée devant cette grâce
envoûtante. C’était donc elle la fameuse Sekhmet ? Au
premier abord, elle semblait plutôt chétive et réservée.
Hésitante, elle salua tout le monde dans un grand
sourire.
- Nous parlions justement de toi, reprit Isis.
- Eh bien, me voilà ! Une nouvelle mission ?
- Oui, dans le style de celle du gang de Marseille.
Sekhmet eut un léger rictus et ses yeux scintillèrent.
- Encore d’ignobles personnages qui refourguent de la
drogue aux jeunes ?
- Non, cette fois c’est un réseau de prostitution. Il
semblerait que beaucoup de monde soit impliqué.
- C’est avec plaisir que je vous fais don de mes
services, mes amis, lança Sekhmet avec aplomb.
Stephan était subjugué, cette fille plutôt fragile parlait
avec une telle éloquence ! Elle semblait sûre d’elle, ce
qui contrastait avec son apparence.
- Mais, ça ne risque pas d’être trop dangereux pour
toi ? Ils frappent ces pauvres filles, insista Stephan.
- Me trouves-tu fragile ?
- Euh… Enfin… Face à ce genre de personnes… Je
pensais que tu serais… un peu plus musclée !
Sekhmet sourit aux paroles de Stephan.
- Il ne faut pas se fier aux apparences. Les muscles ne
sont pas source de victoire. La ruse, la rapidité et la
précision gagnent toujours.
Stephan eut un rictus à son tour et ajouta :
- Je sais bien, mais je pense néanmoins que nous
devrions réfléchir au moyen de te protéger une fois que
tu…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, la belle
Sekhmet déboucla sa ceinture et fit jaillir une lame. Elle
la fit tournoyer dans les airs, et d’un mouvement de
92
poignet, elle trancha en trois morceaux une bougie posée
sur la table, à quelques centimètres de la tête de Stephan.
Il resta pétrifié et ne sut que répondre.
- Voilà, je crois que tu as eu ta réponse. La dernière
fois que ma lame est sortie de ma boucle, c’était pour
percer l’artère fémorale d’un violeur d’enfant ! Il s’est
ensuite consumé dans la peur et la douleur, au beau
milieu d’un immense brasier, dit la belle Sekhmet avec
froideur.
- Excuse-moi… Je ne voulais pas t’offenser, bredouilla
timidement Stephan.
- Tu ne m’offenses pas, je voulais simplement te faire
comprendre que je peux être une guerrière sanguinaire
sans aucun état d’âme. Quant aux hommes dont tu
parles, ils pourront abuser de moi tant qu’ils le
souhaitent, et aussi m’infliger des sévices. Mais, le jour
où Laetitia laissera place à Sekhmet la puissante, alors,
ce jour-là, un immense brasier les fera périr dans une
souffrance que seule la mort pourra apaiser.
- Je crois que tu comprends maintenant qui est
Sekhmet, ajouta Isis.
- Nous commençons l’infiltration ce week-end. Pas de
problème pour toi, Sekhmet ?
- Aucun ! »
Les membres de Neutrino se dirigèrent dans le salon et
établirent leur stratagème diabolique. Stephan, qui venait
d’être intégré au groupe en tant que coordinateur de
mission, menait avec une extrême rigueur les principaux
points à respecter. Le Corse et Bob seraient chargés de
surveiller les alentours. Yann et Mustang attendraient
dans les voitures à l’extérieur en cas de problème.
Stephan et Gérald feraient un repérage des lieux, des
clients et des employés. Patrick, quant à lui, s’occuperait
de placer des traceurs sur les voitures des voyous et
93
installerait des micros émetteurs espions dans les locaux.
Sekhmet devrait se faire remarquer au Lady Blue pour
attirer l’attention d’Haton ou de ses sbires.
« Il faudra filmer les types lorsque Sekhmet aura
réussi son intégration. Tu as une idée, Patrick ? demanda
Stephan.
- Nous avons inséré une caméra miniature sans fil à
l’intérieur d’un paquet de cigarettes. Nous pouvons la
placer n’importe où, et elle a une portée de cent mètres.
Nous pouvons également ajouter une autre caméra
miniature type bouton de chemise. De la voiture, nous
récupérons et enregistrons les images. Mustang est un
spécialiste des transmissions vidéo.
- Impeccable, nous aurons ces ordures en pleine
action. Nous pourrons alors les transmettre à qui de
droit. C’est OK pour tout le monde ?
Les membres de Neutrino hochèrent la tête en guise
d’approbation.
- Nous commençons quand ? demanda Sekhmet.
- Samedi à 21 heures. Nous passerons te chercher. Ça
te va ?
- Aucun problème.
Pour décompresser, les membres décidèrent d’ouvrir
une bouteille de champagne. Isis, souriante, déboucha la
bouteille sous l’œil amusé de la belle Sekhmet et servit
une coupe à chacun. Mustang et Bob en profitèrent pour
sortir sur la terrasse fumer un cigare, alors que Yann
terminait une bouteille de rhum.
La machine Neutrino était en marche, rien ne pourrait
l’arrêter.
- À Neutrino ! lança Isis.
- À Neutrino », reprirent en cœur les membres.
94
9
Stephan restait à l’agence de Saint-Paul-TroisChâteaux toute la journée pour dessiner les plans du
prochain chantier, il en profita pour surveiller Bremond.
Malheureusement, Patrick n’avait pas encore installé de
micro émetteur dans son bureau, il utilisait donc un
micro transmural pour amplifier le son. Les chefs se
montraient très méfiants, et malgré l’écoute régulière de
la ligne téléphonique du directeur, seuls ses comptes
bancaires l’avaient trahi. Comment contactait-il ses
complices ? Peut-être de la même façon qu’Osiris et Isis,
qui communiquaient par mails cryptés et changeaient
régulièrement de cybercafé pour éviter d’être localisés.
Parfois, ils utilisaient même une boîte vocale avec des
téléphones spécifiques.
Les écouteurs sur les oreilles, dès que le téléphone de
Bremond sonnait, Stephan plaquait le sensor contre le
mur. Il avait appris que Bremond devait rencontrer le
soir même, au club d’échecs d’Avignon, un dénommé
Rouel. Peut-être une nouvelle piste…
Au même moment, après avoir anesthésié le doberman
qui surveillait la propriété, le Corse et Mustang sautaient
par-dessus la clôture du château.
95
« Nous avons combien de temps ? demanda Mustang,
inquiet.
- À peu près trois heures… Ça nous laisse assez de
temps pour visiter le château et installer les micros.
- Et pour l’alarme ? Tu vas réussir ?
- Avec le fichier des installateurs, normalement je n’ai
plus qu’à rechercher le bon modèle et vérifier les
connexions avec le plan. Après, ce n’est plus qu’un jeu
d’enfant. Surveille bien ton émetteur, Bob nous envoie
un signal si quelqu’un arrive.
- OK !
Le Corse sortit son pick gun et ouvrit la porte en
quelques secondes. Il scruta la pièce et courut neutraliser
l’alarme. Rapidement, il ouvrit le boîtier.
- C’est une Cobra 7 zones !
Détaillant dans son listing le schéma électronique du
modèle Cobra, il connecta son programmateur sur la
carte interne de l’alarme.
- On initialise, dit-il en appuyant sur le bouton de
l’appareil qui reprogramma la puce interne de l’alarme.
Reset ! C’est bon, ça a marché… Mustang, occupe-toi
des micros émetteurs, moi je place les caméras
miniatures.
Le Corse fit rapidement le tour de la demeure pour
trouver les endroits stratégiques où cacher les caméras
miniatures. Après avoir visité le rez-de-chaussée qui se
composait de la grande pièce de l’entrée, d’un immense
salon et d’une cuisine, il fonça au premier étage sans y
trouver son bonheur. Il y avait un bureau et cinq grandes
chambres à coucher.
- Toujours rien !
Déterminé à découvrir des éléments qui attesteraient
du passage des filles, il monta au deuxième étage. Il
examina minutieusement une grande bibliothèque, de
96
nouvelles chambres à coucher, des douches et des
toilettes.
- C’est rageant… Tout a l’air normal dans ce château,
rumina le Corse.
Mustang, qui venait de le rejoindre, demanda :
- Tu as visité la pièce au fond du couloir ?
- Non, pas encore, j’y vais. Finis d’installer les micros.
Il poussa violemment la dernière porte de la demeure.
Dans l’obscurité, il ne trouvait pas l’interrupteur. Tout à
coup, son doigt effleura un bouton et des lampes
halogènes éclairèrent la pièce. Bouche bée, le Corse
découvrit une grande cage en acier qui scintillait de
mille éclats. Des crochets et des chaînes étaient fixés aux
murs. Un peu plus loin, on pouvait voir une caméra
placée sur un trépied.
- Mustang, viens voir ! hurla-t-il.
Son frère accourut.
- Quoi, qu’est-ce qui se passe ?
- Regarde.
- Merde… Les salauds ! C’est ici qu’ils attachent les
filles. T’as vu, il y a même des fouets, les ordures ! Ils
filment en plus.
- Aide-moi, je vais installer la caméra derrière le
meuble, à côté de la cage. Voilà, d’ici nous aurons une
vue parfaite. Vas-y, grouille-toi, prends des photos, que
nous ayons un plan du château. Ensuite, photographie
chaque pièce. Avant de partir, je cache une dernière
caméra dans l’entrée. »
Quelques minutes plus tard, les deux frères couraient
dans le jardin. Lorsque Bob les aperçut, il démarra la
voiture et ouvrit rapidement les portières.
97
« Vite, roule, qu’on ne se fasse pas repérer ! Mustang,
allume le matériel, il faut tester les caméras et les
micros.
- Voilà, ça passe nickel. Regarde Bob, tu vois la cage ?
- Les enfoirés… Ils font quoi avec ça ? Merde, il y a
même une caméra.
- À ton avis ? Tu crois qu’ils enferment le chien ?
rétorqua Mustang.
Quelques mètres plus loin, l’image se brouilla.
- Nous ne sommes plus dans le champ d’émission de la
caméra, la portée est seulement de cent mètres »,
constata le Corse, déçu.
Comme tous les mercredis, de 20 heures à 22 heures,
François Bremond se rendait à son club d’échecs. Il
franchissait la porte d’entrée comme un monarque,
saluait chaque membre du groupe et s’installait à la table
du fond, une coupe de champagne à la main. Ensuite, il
toisait l’assemblée comme pour dire : « Voilà, je suis
présent, nous pouvons commencer. »
Bien évidemment, il n’avait pas choisi son club au
hasard, on pouvait en effet y croiser tous les notables
d’Avignon. Parmi eux se trouvait une de ses vieilles
connaissances, un ingénieur chimiste, Antoine Rouel. De
petite taille, les cheveux coupés court et le visage pincé,
il ressemblait à une musaraigne. Bremond restait
toujours au milieu de son cercle d’amis et se mélangeait
rarement aux autres.
Alors qu’ils venaient tout juste de terminer leur partie,
un jeune homme s’approcha ; il était grand et baraqué,
les cheveux très courts, le visage carré et l’œil vif.
« Bonjour messieurs, je me présente : Bob Martinez.
Je suis un nouvel adhérent.
Les deux acolytes dévisagèrent le jeune nouveau d’un
regard sombre et méfiant.
98
- Vous êtes d’Avignon ? demanda Bremond en levant
le menton.
- Non, je me trouve dans votre magnifique région pour
des raisons professionnelles. Je suis ingénieur qualité,
sécurité et environnement, à mon compte. Les
entreprises me contactent régulièrement pour établir le
document unique de prévention des risques. Vous
connaissez, je suppose ?
Bob tentait d’infiltrer le cercle d’amis de Bremond.
Étant un bon joueur d’échecs, il avait été choisi parmi
les membres de Neutrino. Muni d’une caméra miniature
et d’un micro espion, il tentait de s’intégrer au groupe.
Dans la voiture, Stephan et Mustang écoutaient la
conversation.
- C’est un document obligatoire dans chaque entreprise
depuis 2001. Nous travaillons dans le milieu industriel.
Je suis chargé d’affaires et mon ami est ingénieur
chimiste. Voulez-vous faire une partie ? demanda
Bremond.
- Avec plaisir !
Bremond était un bon joueur, mais Bob était meilleur
que lui. Pour amadouer sa proie, Bob calculait des coups
qui permettaient à son adversaire de jouer.
- Vous vous débrouillez bien, je vois que vous êtes un
bon joueur !
- J’ai participé à des tournois à la faculté, répondit
Bob.
- Vous avez de bons restes, ajouta Bremond, stupéfait.
Stephan et Mustang n’en revenaient pas. Bremond
était d’une telle amabilité. Bob avait réussi son
intégration. En seulement quarante minutes, il discutait
avec Bremond comme deux vieux amis.
- Que faites-vous de beau dans le coin, le soir ?
99
- Je sors un peu dans les bars à la mode, mais c’est
quand même calme par ici. Surtout pour un célibataire
comme moi, lança Bob, le regard malicieux.
- Vous êtes célibataire, ajouta Bremond, pensif.
- Célibataire… reprit Rouel.
- Eh oui ! Pas évident de trouver son âme sœur en
faisant des déplacements. Mais de toute façon, je suis
plutôt joueur… enfin, libertin…
- Libertin… répéta Rouel.
Après une heure de jeu, Bob s’était plutôt bien intégré
au groupe. Il savait par habitude qu’il ne fallait pas
insister à la première rencontre, et il devait quitter ses
nouveaux compagnons
- Échec et mat, désolé. Veux-tu refaire une partie ?
demanda Bremond.
- Ç’aurait été avec plaisir, mais je me lève tôt demain,
on m’attend sur Lyon…
- Nous allons prendre un verre au Lys. Tu veux venir ?
demanda Bremond, l’œil pétillant.
Bob comprit qu’il ne fallait pas rater l’occasion et
décida de changer les règles. C’était l’occasion à ne pas
louper, Bremond avait mordu à l’hameçon.
- Le Lys… c’est un bar ?
- Un endroit plutôt sélect dans le centre d’Avignon.
- Le Lys… Ah oui ! Ce n’est pas un club libertin ?
Bremond sourit.
- Oui, c’est un club libertin. Le gérant est un vieil ami.
Veux-tu venir avec nous ? Nous prendrons simplement
un verre ! Puis il y a des jolies filles, tu pourras te rincer
l’œil !
- Je vais encore me coucher tard mais si vous me
prenez par les sentiments…
- On y va alors ?
- Bien sûr, répondit Bob.
100
Stephan et Mustang étaient garés à quelques mètres du
club d’échecs. Lorsque Bremond ouvrit la porte, ils
s’enfoncèrent dans leurs sièges pour ne pas être aperçus.
Bob pénétra dans la berline de Bremond. La voiture
démarra et prit la direction du centre-ville.
- On les suit ! s’exclama Stephan.
Le véhicule remonta la rue de la République, passa en
face du restaurant de Georges et se gara sur le parking
des Halles. Stephan arrêta sa voiture dans une ruelle et
coupa le moteur.
- On fait quoi ? demanda Mustang.
- Nous restons à distance, il ne faut pas se faire
repérer. Je branche mes oreillettes.
- Ça fonctionne ?
- Impeccable, j’entends Bremond ! Il parle du Lys.
Allons-y, ils arrivent !
Bob sortait de l’ascenseur en compagnie de Bremond
et Rouel. Le torse bombé, le tyrannique chargé d’affaires
marchait rapidement. Cinq cents mètres plus loin, il
s’arrêta net.
- Voilà, nous y sommes !
La journée, le Lys était un pub sélect, et le soir, il
devenait une boîte de nuit libertine. L’insigne en forme
de lys clignotait dans la rue. Bob avait toujours rêvé d’y
pénétrer. Malheureusement, ce n’était pas un endroit où
l’on entrait facilement.
Une fois à l’intérieur, il fut sous le charme. De
magnifiques créatures fréquentaient l’établissement, en
tenue plutôt coquine. Il y avait même une cage où des
filles dansaient, complètement nues. L’une d’elles lança
un clin d’œil malicieux à Bob.
- Tu viens de charmer Jade. Tu veux que je te la
présente ? demanda Bremond.
- Euh… pourquoi pas !
- Jade, viens voir ! Le monsieur veut discuter avec toi.
101
La charmante demoiselle descendit de l’estrade et
s’approcha. C’était une plantureuse brune aux yeux
bleus et aux formes généreuses.
- Tu sais que tu es mignon toi… C’est quoi ton petit
nom ?
- Euh… Bob !
- Bob ! Hum, tu m’offres un verre, mon chéri ?
- Euh… tu veux boire quoi ?
- On prend une bouteille de champagne ?
- Une bouteille ? Oui, si tu veux !
- Il faut qu’on discute avec le patron. Tu nous attends
ici ? On revient, dit Bremond.
Jade attrapa Bob par la main et l’amena jusqu’à une
table libre.
- Nous serons plus tranquilles ici, tu es de la région ?
- Oui et non, je suis régulièrement en déplacement. Je
suis ingénieur sécurité…
- Ouah ! Tu diriges des types chargés de la
surveillance ? C’est génial, t’es un chef alors !
- Pas tout à fait, c'est-à-dire que… oui, enfin c’est
presque ça.
- Tu dois avoir une grande maison et une grosse
voiture ? demanda Jade en collant sa généreuse poitrine
contre Bob.
- Une immense villa, et une voiture qui coûte
beaucoup d’argent, ajouta Bob, l’œil pétillant.
À quelques mètres d’eux, dans une rue derrière le club
privé, Stephan écoutait, stupéfait.
- Il a craqué ! Ça y est, il a disjoncté !
- Qu’est-ce qu’il fait ?
- Il est en train de draguer une gogo danseuse, il lui
raconte qu’il a une immense villa.
- Tu m’étonnes, il ne perd pas de temps, Bobby !
T’inquiète, il va gérer l’affaire.
- J’espère bien.
102
Rouel et Bremond revinrent à la table alors que Jade se
faisait de plus en plus câline.
- On ne perd pas de temps, Bob ! remarqua Bremond.
- Une autre bouteille de champagne, Kelly ! lança
Rouel.
- Tu peux nous laisser un petit moment, Jade, je dois
discuter avec Bob.
La jeune femme se leva, tourna les talons, vexée, et
lança un regard furieux.
- Tu perds ton temps avec cette fille, elle va te faire
dépenser ton pognon sans que tu puisses profiter de ses
charmes. Par contre, je peux te présenter de ravissantes
créatures, importées directement de Russie… Tu es
intéressé ?
- Des jolies Russes ? Pourquoi pas ! Et elles sont où ?
- Pour l’instant, c’est un secret ! Es-tu prêt à débourser
mille euros la nuit ? Tu auras ce qui se fait de mieux !
- Pourquoi pas… Si la fille en vaut le coup !
Rouel et Bremond se lancèrent un regard complice. Ils
appâtaient le client.
- En fait, voilà comment ça se déroule. Nous
connaissons une personne qui se charge des filles, et
avec Antoine, nous ramenons le client. Plus il y a de
personnes intéressées, plus la marchandise est variée.
- Puis, au passage, vous empochez un petit pactole !
- C’est normal, non ? Nous prenons des risques.
- Comment trouvez-vous les clients ?
- D’habitude, c’est le bouche à oreille, nous restons
dans le même cercle d’amis. Aujourd’hui, c’est le hasard
qui t’a conduit jusqu’à nous. Dans ce cas-là, nous
essayons de tester la personne.
- Je pense que je l’ai plutôt bien réussi, ce test.
- Oh oui ! Un célibataire libertin qui s’intéresse aux
jeunes femmes… Et j’ai bien vu que tu n’étais pas
farouche avec les demoiselles. Jade était ton test
103
d’entrée. Laisse-moi ton numéro de portable, je te
contacterai pour t’avertir des prochaines soirées. Nous
devons rentrer, travail oblige.
- Oui, bien sûr ! Tenez, le voilà. Je peux avoir le
vôtre ?
- C’est moi qui te contacterai.
Bremond et Rouel saluèrent une dernière fois Bob à la
sortie du Lys. Une fois qu’ils eurent disparu, Stephan et
Mustang s’approchèrent à pas de loup.
- Alors, qu’en pensez-vous ? C’est qui le meilleur ?
- Franchement, chapeau bas, tu es le plus fort !
rétorqua Stephan.
- Le poisson a mordu à l’hameçon, nous pénétrons
dans la tanière de la bête à présent. Je suis persuadé que
le gérant du Lys est dans le coup lui aussi, ajouta
Mustang.
- C’est évident, je l’ai vu lui distribuer des billets alors
que je discutais avec Jade, affirma Bob.
- Nous rentrons, il se fait tard. Nous en savons assez
pour aujourd’hui, conclut Stephan.
À l’avant du véhicule, ses amis n’y croyaient toujours
pas. Bob avait bluffé tout le monde.
- Les autres ne vont pas en croire leurs oreilles quand
ils vont écouter l’enregistrement ! Tu as été parfait, dit
Stephan.
- C’est un spécialiste de l’infiltration, Bobby ! Il serait
capable de se faire passer pour le président du Gabon !
lança Mustang en riant.
- Hé hé ! On se fume un petit pétard ? reprit Bob qui
redevenait lui-même.
- Pff… ça n’aura pas duré longtemps ! Chassez le
naturel, il revient au galop ! »
104
10
Stephan, Bob et Zibus voyageaient en première classe
dans le TGV Avignon-Marseille. Sur les conseils
d’Osiris, ils rendaient visite à Anubis qui s’occupait de
l’infiltration des membres de Neutrino à Marseille. Il
devait leur présenter de nouveaux agents chargés
d’infiltrer le Lady Blue.
« Anubis… Amon… Râ… Quelles sont leurs fonctions
au sein de Neutrino ? demanda Stephan.
- Amon et Râ supervisent les missions des agents de
Neutrino, et Amon est le cousin d’Osiris. Dans les
années quatre-vingts, alors que ce dernier revenait du
Japon avec Râ, Osiris lui proposa de créer une section
sur Marseille pour surveiller la ville alors à la solde de la
mafia locale. Amon accepta et proposa à son vieil ami
Anubis de rejoindre Neutrino. Ce dernier donna son
accord car il considérait Amon comme son propre frère.
À l’époque, il s’occupait de jeunes délinquants et traînait
toujours dans les quartiers réputés dangereux. Anubis
avait assisté à la mort de plusieurs de ses jeunes protégés
qui faisaient partie des gangs de Marseille. D’après
Osiris, il vivrait dans les quartiers nord uniquement pour
surveiller les jeunes et leur éviter de plonger dans l’enfer
de la drogue. Des rumeurs disent qu’il aurait vengé
plusieurs personnes assassinées lâchement…
105
- Voilà pourquoi il fut surnommé ainsi ! Anubis était
l’homme à la tête de chacal, c’est lui qui guidait les
morts vers le royaume éternel. Il était le gardien de la
nécropole de Memphis, ajouta Bob.
- Il doit avoir un sacré tempérament !
Bob et Zibus éclatèrent de rire.
- Pourquoi vous riez ? Qu’est-ce que j’ai dit de
marrant ?
- Il y a une chose que tu ne sais pas… Anubis est
l’élève d’Amon, qui fut lui-même un élève d’un grand
maître japonais pratiquant les arts martiaux et
descendant d’une vieille famille de samouraïs, les
Yamamoto. Amon est spécialiste du maniement des
sabres japonais. C’est un maître de iai-do, de ken-jutsu
et d’aiki-jutsu. Donc quand tu dis qu’il doit avoir du
tempérament, tu as bien raison.
- Un mélange de mythologie égyptienne et de
philosophie japonaise… Ça doit donner un sacré
mélange !
- Nous effectuons régulièrement des stages d’aïkido et
de ju-jitsu chez Amon. Il possède un magnifique dojo
sur les hauteurs de Marseille. Lorsque Amon a décidé de
faire partie de Neutrino, il en a respecté le cérémonial
sans pour autant laisser de côté la philosophie japonaise ;
il pratique toujours le zen.
- C’est sympa ! J’aurais droit à des cours ? Blague à
part, tu penses que ses agents nous aideront ? Il nous
faudrait une autre fille pour épauler Sekhmet, je ne suis
pas rassuré de la savoir seule… même si j’ai vu ce dont
elle est capable.
- Anubis a une redoutable élève : Bastet ! Elle est aussi
efficace que Sekhmet mais beaucoup plus féline.
- Bastet ? J’ai une statuette en forme de chat qui
s’appelle ainsi. C’est une déesse protectrice ! s’exclama
Stephan.
106
- En effet, c’est la fille de Râ, et la femme de Ptah. La
déesse de la joie et de la chaleur du soleil, protectrice du
pharaon, reprit Zibus.
- Elle va nous porter chance cette fille !
- J’espère bien.
- Osiris m’a parlé d’Amémet, ajouta Bob
- Elle sera là ?
- Qui est Amémet ? demanda Stephan, curieux.
- Une jeune femme issue de la banlieue qui a été
élevée par Anubis. À l’âge de 11 ans, elle a tué un voyou
qui voulait la violer, en lui plantant un couteau en plein
cœur.
- Elle porte bien son nom, car Amémet signifie la
dévoreuse. Face à Osiris et Anubis, lorsque le défunt est
jugé par le tribunal et que son cœur est plus lourd que la
plume de Maât, alors Amémet le dévore. Elle est la
gardienne du royaume des morts, répliqua Bob.
- Nous aurons trois filles pour infiltrer le Lady Blue !
- Et pas n’importe lesquelles : Sekhmet, Bastet et
Amémet ! J’ai vu Sekhmet à l’œuvre, et je peux te dire,
elle est féroce et sanguinaire ! Alors si en plus, il y a
Bastet et Amémet… dit Zibus en soufflant.
- Nous arrivons à la gare de Saint-Charles ! »
s’exclama Bob.
Les trois collègues attendaient le bus qui devait les
conduire à Saint-Jérôme. Des individus au visage
patibulaire les détaillaient. Stephan, peu rassuré,
demanda à Zibus :
« C’est pas un coupe-gorge ce quartier ?
- Nous sommes à la Rose. Ici, ça ne craint pas trop.
- Saint-Jérôme, c’est pire ?
- Faut voir…
107
Lorsque le bus arriva, un homme trapu, le visage
balafré, jaillit de nulle part et insulta le chauffeur.
- Espèce de bâtard, t’as pas vu que tout à l’heure je
courais derrière ton car ? Fils de chien ! Descends,
espèce de merde !
Le chauffeur, d’un calme olympien, toisa l’individu et
répondit :
- Ne bouge pas de là, je fais ma tournée et je reviens
dans quinze minutes. On va s’expliquer !
Le bus démarra et l’homme resta bouche bée.
- Ça se passe souvent comme ça ? demanda Stephan,
les yeux écarquillés.
- La dernière fois, des gamins avaient arrêté le bus et
l’empêchaient de redémarrer. Le chauffeur a dû sortir
pour les engueuler.
- C’est la folie… Quel merdier ! C’est la jungle ici !
- Il suffirait d’instaurer les mêmes règles que celles du
dojo, ça les calmerait, conclut Bob.
- C’est quoi les règles ?
- Lever à 5 heures 30, douche froide, puis trente
minutes de zen. Ensuite, on passe l’aspirateur, et on
commence les échauffements. À partir de ce moment-là,
plus personne n’ouvre la bouche. Une heure
d’entraînement, puis tout le monte file au travail.
- Ils font ça régulièrement ?
- Tous les jours de la semaine !
- Personnellement, lorsqu’il y a des stages, je ne tiens
pas la semaine car ce sont des entraînements de huit
heures de cours intensifs chaque jour, avoua Bob.
Le bus s’arrêta devant la faculté de Saint-Jérôme.
D’immenses immeubles entouraient le quartier. Au
milieu des tours, les visiteurs se sentaient pris au piège,
étouffés par le béton et l’acier. Une ambiance pesante
régnait en ces lieux et Stephan se sentait devenir
poussière face à la multitude.
108
- Voilà, nous y sommes ! Anubis habite un
appartement à quelques pas d’ici, dit Zibus.
Après une courte marche, les membres de Neutrino
arrivèrent devant la résidence de l’homme à la tête de
chacal. Zibus cherchait la sonnette de son appartement.
- Alors, il est où… Ah, voilà, Henry Rolhen ! Ou
plutôt, Anubis !
Quelques secondes plus tard, Anubis apparut. De taille
moyenne et de carrure plutôt robuste, hirsute et le
sourire aux lèvres, il salua chaleureusement la troupe.
- Alors, c’est toi la nouvelle recrue d’Osiris ?
Bienvenue parmi nous, j’espère que Marseille va te
plaire. Suivez-moi, mes amis.
L’appartement d’Anubis était pour le moins étonnant.
La première pièce était consacrée à la partie martiale et à
la philosophie zen. Il y avait même un autel où brûlait de
l’encens, et un katana posé sur un socle. Au-dessus, on
pouvait voir une photo de Morihei Ueshiba, le créateur
de l’aïkido, art martial que pratiquait Anubis, art
influencé par le daito-ryu, l’art de combat des samouraïs
du clan Yamamoto. L’aïkido peut être traduit comme la
voix de la concordance des énergies.
Sous un cadre, Stephan put lire un passage du livre
secret des samouraïs, le Hagakure :
J’ai découvert que la voie du samouraï réside dans la
mort. Lors d'une crise, quand il existe autant de chances
de vie que de mort, il faut choisir immédiatement la mort.
Il n'y a là rien de difficile ; il faut simplement s'armer de
courage et agir. Certains disent que mourir sans avoir
achevé sa mission, c'est mourir en vain. Ce raisonnement
que tiennent les marchands gonflés d'orgueil qui sévissent
à Osaka n'est qu'un calcul fallacieux, qu'une imitation
caricaturale de l'éthique des samouraïs.
Faire un choix judicieux dans une situation où les
chances de vivre ou de mourir s'équilibrent est quasiment
109
impossible. Nous préférons tous vivre et il est tout à fait
naturel que l'être humain se trouve toujours de bonnes
raisons pour continuer à vivre. Celui qui choisit de vivre
tout en ayant failli à sa mission encourra le mépris et sera
à la fois un lâche et un raté.
Celui qui meurt après avoir échoué, meurt d’une mort
fanatique, qui peut sembler inutile. Mais il ne sera, par
contre, pas déshonoré. Telle est en fait la voie du
samouraï.
Pour être un parfait samouraï, il faut se préparer à la
mort matin et soir et même toute la journée.
Quand un samouraï est constamment prêt à mourir, il a
acquis la maîtrise de la voie et il peut sans relâche
consacrer sa vie entière à son Seigneur.
Anubis guida ses invités jusqu’à une allée miniature
ornée de sphinx à tête de bélier. Les membres passèrent
entre deux pylônes constitués de petites pierres taillées,
sur lesquelles étaient gravés des hiéroglyphes. L’allée
débouchait sur un sanctuaire miniature où se trouvait une
statue d’homme à la tête de bélier.
- Voici l’autel dédié au culte d’Amon, annonça
Anubis.
- C’est magnifique, ça a dû vous prendre des heures et
des heures de travail pour réaliser un tel prodige ! Ça
représente quoi ?
- C’est l’entrée du temple de Karnak, le plus grand
centre religieux d’Égypte, situé près de Thèbes. L’allée
des sphinx à tête de bélier, qui mène au temple, s’appelle
le dromos, et elle est dédiée au dieu Amon. Nous
organisons toutes nos réunions ici, en compagnie de
Amon et Râ. C’est dans ce temple reconstitué à
l’identique de celui de Karnak que nous prenons les plus
grandes décisions. À l’endroit où tu te trouves, nous
110
avons initié Bastet et Amémet, face à la statue du grand
Amon ! Qui croirait qu’à l’intérieur de ce grand
appartement perdu au milieu des quartiers Nord de
Marseille, se trouve une telle œuvre d’art ! J’ai
passé plus d’un an à sa réalisation.
Admiratif, Stephan contemplait l’œuvre. Chaque
statue était sculptée dans de la stéatite, une pierre très
tendre.
Anubis s’absenta quelques secondes et revint avec une
statuette dans les mains, identique à la grande statue
d’Amon.
- Tiens, un cadeau.
Stephan, ému, refusa.
- Prends-la, ça me fait plaisir de te l’offrir. J’ai vu que
tu admirais son double. Cette statuette est pour toi.
Stephan prit l’objet délicatement entre ses mains. Du
bout du doigt, il effleura les cornes de l’homme à tête de
bélier.
- C’est magnifique, quelle précision ! Merci beaucoup,
je suis très touché.
- Tu pourras la mettre à côté de la statuette de Bastet,
ajouta Zibus en gloussant.
Au même moment le téléphone retentit. C’était Amon.
- Nous devons rejoindre Amon et Râ au dojo. Bastet et
Amémet viennent d’arriver. »
Les membres de Neutrino longeaient une route étroite
et sinueuse bordée de pins parasols. En contrebas, des
touristes profitaient de ce havre de paix, allongés dans
l’herbe, le regard perdu dans les nuages. La villa
d’Amon se situait à une dizaine de minutes de Marseille.
Sous un grand saule, un homme de taille moyenne,
l’œil vif et la cinquantaine avancée, accompagné de
111
deux jeunes femmes, attendait patiemment. Dès qu’il vit
Anubis, il s’avança :
« Bob et Zibus, mes amis ! Je suis heureux de vous
revoir, depuis le temps ! Bonjour Stephan, enchanté de
faire ta connaissance. Tu es ici chez toi. Je te présente
Bastet et Amémet, quant à moi, on me surnomme Râ.
Suivez-moi, nous allons rejoindre Amon, il vous attend.
Stephan avait le sentiment d’être en communion avec
la nature. Le mistral effleurait sa peau comme un voile
se déposant délicatement sur son visage. L’odeur de la
terre et celle de la végétation se mêlaient
harmonieusement pour créer un parfum sauvage, et les
rayons de soleil le réchauffaient. Le domaine était
paradisiaque.
À l’intérieur du dojo, Amon s’entraînait avec son
katana, comme si l’arme était le prolongement de son
corps. Avec des déplacements rapides et précis, il
pourfendait l’air en produisant un étrange sifflement.
Après avoir avancé de trois ou quatre pas, il sortait la
lame de son fourreau, ou plutôt le fourreau se dégageait
de la lame, il poussait un garde imaginaire et piquait un
ennemi invisible. Ensuite, il effectuait le chiburi, le
nettoyage de la lame, censé égoutter le sang de
l’adversaire.
Dans un coin, Râ murmura :
- Le iai-do est l’art de dégainer et de trancher. Amon
effectue un kata de l’école Muso Shinden Ryu.
Observons-le.
- Le but est-il simplement de trancher un adversaire
imaginaire ? demanda Stéphane, stupéfait.
- Non, ça permet aussi de mieux se connaître car nous
recherchons la parfaite harmonie du corps et de l’esprit.
Le iai-do est la voix de l’unité de l’être.
Le kata terminé, Amon s’approcha, souriant :
112
- Mes amis Zibus et Bob ! Comment allez-vous ? Ça
fait déjà quelques mois que l’on ne s’est pas vus.
Racontez-moi un peu ce qui vous amène.
Tout en discutant, Amon emmena tout le monde dans
un grand salon au style japonais.
- Sur les conseils d’Osiris, il y a quelques jours, nous
avons contacté Richard pour obtenir des renseignements
sur une discothèque, le Lady Blue. Il a confirmé nos
soupçons car il pense que le Lady trempe dans une
affaire de trafic de jeunes femmes venues de l’Est.
Récemment, nous avons eu la preuve que nos soupçons
sont fondés. Sur un enregistrement numérique, Bob
discutait avec Bremond et Rouel, les bras droits d’Haton,
lui-même le mari de la patronne de la discothèque,
déclara Zibus.
Amon, 70 ans mais rapide comme un félin, de taille
moyenne, les cheveux blancs et le regard rempli de
sagesse, écouta attentivement l’enregistrement. Il
dégageait une telle sérénité que tous ceux qui
l’approchaient se sentaient en sécurité. Une aura
bénéfique flottait autour de lui.
- C’est inadmissible de traiter des jeunes femmes ainsi,
nous devons agir, dit Amon, le ton grave.
Bastet et Amémet n’avaient pas encore parlé mais
elles dégageaient, elles aussi, une grande sérénité. Les
deux femmes étaient très différentes l’une de l’autre, ce
qui attira l’attention de Stephan. Bastet était longiligne,
blonde aux yeux bleus, la peau d’un blanc laiteux.
Amémet, elle, était plutôt petite mais musclée, avec de
longs cheveux noirs, des yeux bleus, et mate de peau.
Cette dernière perdit son calme olympien en écoutant
l’enregistrement numérique.
- Quelle langue de vipère ! Le démon habite ces
hommes. Qui a le droit de traiter des femmes de la
sorte ? Nous ne sommes pas de la marchandise ! Que le
113
serpent Apophis les traîne jusqu’au Douât, ces
charognards ! Sinon, c’est moi qui les décapiterai après
avoir arraché leur cœur, rugit-elle.
- Calme-toi ! Garde ton sang-froid, rien ne sert de
s’énerver, intima Anubis à sa jeune protégée.
- Anubis a raison, ne nous énervons pas et
réfléchissons posément. Stephan, quel est ton plan ?
demanda Amon d’une voix apaisante.
- Nous avons décidé de surveiller le Lady Blue ce
week-end. Richard connaît beaucoup de monde ici,
serait-il possible d’avoir son aide ?
- Assurément, ajouta Amon.
- Serait-il aussi possible d’avoir un logement sur
Marseille pour héberger les membres ?
- Bien évidemment ! Je peux accueillir une dizaine de
personnes. Vous êtes ici chez vous.
- Au nom des groupes Neutrino de Vaison et Avignon,
nous vous remercions, répondit Zibus.
- Nous restons jusqu’à dimanche. Le Corse, Yann,
Gérald, Mustang et Sekhmet doivent nous rejoindre.
Sekhmet fera un repérage du Lady et tentera d’intégrer le
harem d’Haton. Nous espérons, si c’est possible, avoir
l’aide de vos protégées, ajouta Stephan.
- Je suis des vôtres, rétorqua aussi sec Amémet, les
poings serrés.
- Moi aussi, assura Bastet d’une voix douce et chaude.
- Pensez-vous qu’il puisse louer les charmes de jeunes
Françaises ? Ne préfère-t-il pas des jeunes Russes qui ne
coûtent pas cher ? s’enquit Râ.
- Il a plusieurs types de call-girls… Les jeunes femmes
qu’ils filment et violentent sont des filles de l’Est. Les
autres semblent françaises et étrangères. Ils choisissent
simplement de belles filles qu’ils exploitent.
- L’ordure ! rumina Amémet, rageuse.
114
- Nous pensions introduire Sekhmet, Bastet et Amémet
au Lady Blue, pour l’appâter. Elles devront adopter une
attitude libertine pour attirer l’attention.
- Ne t’inquiète pas, ils vont se souvenir de nous, lança
Amémet, l’œil pétillant.
- Je ne veux pas que vous preniez des risques inutiles,
les filles. C’est une mission plutôt dangereuse, et ces
hommes n’ont pas l’air de plaisanter. Des gardes du
corps surveillent et protègent les filles. Alors, au
moindre souci, nous arrêtons la mission.
- Nous sommes libres ce week-end et nous serons de la
partie avec Bastet ! » rétorqua Amémet, les yeux
brillants de colère.
115
11
Les néons du Lady Blue illuminaient la rue de milliers
d’éclats flamboyants, et les passants ne pouvaient pas
rater l’établissement lorsqu’ils passaient devant. Sur la
façade, des badauds admiraient des posters géants de
pin-up des années cinquante dans des positions plutôt
coquines. De nombreux Marseillais connaissaient cette
discothèque à la réputation sulfureuse. Une faune
particulière venait uniquement pour y découvrir les
plaisirs de la chair.
Après une enquête poussée, Richard avait découvert de
nouveaux indices importants pour le déroulement de la
mission. Grâce à ses indicateurs, il avait obtenu des
informations capitales sur la femme et le fils du
directeur.
L’épouse d’Haton, Clara Bergan, avait travaillé dur
toute sa vie pour se faire une place dorée dans le monde
de la nuit. À l’âge de 18 ans, elle était déjà serveuse au
Lady Blue, et au fil des années, elle avait su s’imposer
dans ce milieu d’hommes. Pour son quarantième
anniversaire, son mari lui donna la somme nécessaire
pour acheter le dancing. En contrepartie, elle dut fermer
les yeux sur les agissements répréhensibles de son
conjoint à l’intérieur même de la discothèque. Haton
était un homme sans aucun scrupule, et lorsque sa
femme devint la gérante de l’établissement, il put enfin
116
réaliser tous ses fantasmes. Mais la pauvre Clara n’était
pas au bout de ses peines : au fil des années, son fils
devint pire que son père. Ne supportant plus de voir sa
progéniture se droguer et fréquenter la mafia
marseillaise, elle décida de ne plus s’occuper du Lady
Blue. C’est donc Haton qui gérait l’établissement.
Haken venait tout juste d’avoir 25 ans mais il
trafiquait déjà avec les plus dangereux criminels de la
région. Tandis que son géniteur préférait louer les
charmes de jeunes demoiselles, lui écoulait ses stocks de
cocaïne dans le milieu de la nuit.
Grand, les cheveux bruns, le visage étroit, de
minuscules yeux noirs, il ressemblait à une fouine.
Depuis l’âge de 13 ans, Haken fréquentait
l’établissement et traînait avec les filles de joie. À 14
ans, il avait eu son premier rapport sexuel avec une
dénommée Veronika, et à 15 ans, il avait pris sa
première ligne de cocaïne.
Ces dernières années, il était devenu le bras droit de
son père, et quiconque voulait traiter avec le grand
Haton devait passer par son fils. D’ailleurs, même la
mafia espagnole s’était associée avec le jeune homme
car le Lady Blue était devenu la plus grosse plaque
tournante de Marseille.
Assis confortablement dans le coin VIP avec son
complice Set, Haken fut soudain subjugué par trois
ravissantes créatures. Les redoutables déesses venaient
de pénétrer dans l’établissement. Sekhmet, Bastet et
Amémet s’assirent au bar et commandèrent une tequila
sunrise. Le jeune homme ne pouvait s’empêcher
d’admirer les anges de la nuit. Ces filles possédaient un
tel pouvoir d’attraction qu’elles auraient damné un saint.
117
Le DJ monta le volume de la musique au maximum.
Sekhmet se leva et sauta dans la grande cage en acier.
Au rythme de la techno, elle se déhanchait sous les
stroboscopes. Sa longue chevelure blonde flottait dans la
nuit et ses grands yeux verts pétillaient. D’un brusque
mouvement de poignet, elle entrouvrit son haut noir.
Sous le charme, les jeunes gens qui l’entouraient
scrutaient sa généreuse poitrine. Bastet et Amémet, qui
venaient de la rejoindre, ondulaient leur corps sous le
regard des jeunes badauds.
Haken, qui était aux aguets, s’approcha discrètement
de la petite brune aux yeux bleus et à la peau terre de
Sienne, et posa ses mains sur ses hanches.
« Bonsoir ma belle ! Tu sais que tu es ravissante toi…
lui susurra-t-il au creux de l’oreille.
- Salut beau gosse !
- Tu prends un verre ? Je suis assis au carré VIP !
- Pourquoi pas… mais je ne suis pas seule, deux
copines m’accompagnent.
- Elles n’ont qu’à venir, je suis avec un collègue moi
aussi !
La sulfureuse brune appela Bastet et lança un clin
d’œil à Sekhmet. Après les présentations, les jeunes
femmes suivirent Haken jusqu’à sa table.
Au bar, Stephan, Patrick, Zibus et le Corse
surveillaient leurs complices.
- C’est vraiment un requin ce type, ragea Stephan.
- En tout cas, chapeau les filles, en moins de dix
minutes elles ont alpagué le renard, ajouta Zibus.
- Tu crois que Gérald va réussir à entrer dans la salle
privée ?
- Je ne pense pas, mais l’important c’est qu’il effectue
un repérage des lieux. Bob et Mustang me signalent
qu’ils viennent d’installer une balise GPS sur le véhicule
du fils d’Haton. Nous pourrons le suivre à distance.
118
- Tu penses que nous allons découvrir de nouveaux
indices ?
- Certainement ! De toute manière, les filles sont
équipées d’émetteurs et de caméras miniatures.
- Je n’aurais jamais imaginé que ton directeur ait un
fils pire que lui ! déclara le Corse.
- D’après Richard, il trafiquerait même avec la mafia
espagnole…
- Vous voyez le grand type baraqué, avec une balafre
sur le visage ? lança Stephan.
- Oui, pourquoi ? répondit le Corse.
- Il se nomme Set, c’est son principal associé. En
Espagne, il a purgé cinq ans de prison pour trafic de
drogue. Il a aussi été poursuivi pour meurtre, mais les
autorités n’ont jamais retrouvé les corps de ses victimes.
Au même moment, Sekhmet usait de ses charmes pour
séduire Set. Douée de pouvoirs mystiques, quiconque
croisait le regard de la déesse lionne était envoûté
instantanément.
- Quel est donc ce tatouage que tu as sur l’épaule ?
- C’est l’uræus, le cobra royal.
- Un serpent… Comme moi alors ! rétorqua Set en
riant.
- Un serpent avec des pouvoirs magiques. Il chasse le
mal, ajouta Sekhmet en décroisant les jambes.
- Il ne doit pas avoir beaucoup de pouvoirs ce serpent,
car je suis un vrai démon !
- Un démon… Et moi que suis-je ? demanda Haken.
- Toi, tu es Lucifer en personne.
Le fils d’Haton tapa dans le dos de son collègue.
- Bon les filles, que voulez-vous faire ce soir ?
demanda Haken avec un sourire malicieux.
- Faire la fête toute la nuit ! » hurla Amémet.
Au premier étage, Gérald essayait de pénétrer dans la
salle réservée aux couples libertins. Il espérait réussir à
119
se faufiler parmi un groupe de jeunes gens et à
s’incruster entre deux charmantes demoiselles. Le
videur, qui n’était pas dupe, s’aperçut de son stratagème.
« Tu fais partie du groupe, toi ?
Gérald sursauta et bredouilla.
- Euh… non. Pourquoi ?
- C’est uniquement réservé aux couples ! Tu es venu
tout seul ?
- Oui… Ma compagne n’est pas sortie ce soir, elle
était souffrante, nous sommes entre collègues.
- Désolé mais tu ne peux pas entrer alors. Reviens
avec elle la prochaine fois !
- Bon…
Gérald descendit rapidement les escaliers pour ne pas
se faire repérer par Haton qui traînait certainement dans
les locaux. Où devait-il chercher pour trouver le bureau
du directeur ? Il retourna sur la piste de danse, mais,
hormis les toilettes, il ne trouva pas d’autres issues. Puis,
au bout de quelques minutes de recherche, près de
l’entrée principale, au fond du couloir, il aperçut une
porte en chêne massif où pendait un écriteau :
Direction ! Il venait de découvrir la tanière du diable.
Gérald espérait que le directeur sorte de son bureau pour
y pénétrer à son tour. Mais trente minutes plus tard, la
porte était toujours close.
Il mit son oreillette et appuya sur le bouton d’appel du
micro dissimulé à l’intérieur de sa chemise.
- Mustang, est-ce qu’Haton est dans le coin ? Vous
l’avez vu ?
- Négatif, rien n’a bougé ! Il n’est peut-être pas ici ce
soir. D’après Richard, c’est Jack, le portier, qui parfois
s’occupe du club quand il ne vient pas.
- Je ne vais pas tenter de pénétrer dans son bureau,
c’est trop risqué, et il y a peut-être quelqu’un à
l’intérieur. Je vais plutôt entrer dans les vestiaires du
120
personnel pour y déposer un micro et une caméra.
Normalement, ils travaillent tous à cette heure-ci. Je
pose mon paquet de cigarettes sur le meuble, à côté de la
porte. La caméra numéro trois est dissimulée à
l’intérieur. Surveille bien le moniteur, tu me préviens si
quelqu’un arrive.
- C’est parfait, je reçois le signal vidéo.
Gérald pénétra furtivement dans le local. Par chance,
personne ne se trouvait à l’intérieur. Le cœur battant à se
rompre, les mains moites, il éclaira la salle et détailla
l’ensemble de la pièce. À gauche : des chaises et un
réfrigérateur. À droite : portemanteaux, vestes, écharpes
et sacs à main. Face à lui, une étagère remplie de
bouteilles d’alcool. Son cœur frappait violemment contre
sa poitrine, l’angoisse l’envahissait. Où pouvait-il donc
dissimuler la caméra numéro deux ? Après quelques
secondes d’hésitation, il l’intercala entre les deux
plaques en bois d’un meuble. Gérald allait quitter la
pièce lorsqu’une idée lui traversa l’esprit.
- Qu’est-ce que tu fais ! hurla Mustang à travers
l’oreillette.
- Je viens d’avoir une idée.
Il fouilla chaque veste suspendue aux portemanteaux
et recopia les noms du personnel de la discothèque en
vérifiant les cartes d’identité.
- Qu’est-ce que tu fais ? Grouille-toi !
- Je récupère des noms, ça peut servir…
Soudain, Gérald entendit des bruits de pas résonner
dans le couloir. Il courut jusqu’à la porte et fit semblant
de s’être trompé de pièce.
- C’est pas possible, ils sont où ces chiottes ! C’est
quoi ce bordel, grommela-t-il en claquant la porte.
- Que faites-vous ici, monsieur ? C’est un local réservé
au personnel, il est strictement interdit d’y pénétrer,
gronda une jeune femme.
121
Gérald prit un air stupide et soupira :
- Je croyais que c’était les toilettes…
- Vous voyez bien qu’il y a marqué Staff ! s’exclamat-elle.
- Je ne comprends pas l’anglais, puis le portier m’a
dit : “tu vas tout droit !”
- Il voulait dire tout droit mais à l’intérieur de la
discothèque. Les toilettes se situent à côté de la piste !
Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas la première fois
qu’on se trompe. Passez une bonne soirée, monsieur !
- Vous aussi, bonne soirée.
La voix de Mustang grésilla dans l’oreillette.
- T’as failli tout faire merder, fais gaffe, bordel !
- Je te signale que tu ne m’as pas prévenu, fais ton
boulot !
- J’étais en train de discuter avec toi, et je n’ai pas fait
attention.
- Tu vois quelque chose avec la caméra numéro deux ?
- Attends, je la sélectionne sur le panneau de
commande ! Hum… Hummm… Ta copine qui vient de
rentrer… elle se change !
- Arrête de mater et surveille.
- La poitrine qu’elle a ! C’est une bombe cette nana !
- Arrête tes conneries, on va finir par se faire gauler.
Lorsque Gérald rejoignit ses collègues, les trois
déesses quittaient l’établissement en compagnie du
terrible Set et de l’infâme Haken.
- Vous ne pensez pas que ça risque d’être dangereux ?
Nous les poussons dans la gueule du loup ! s’exclama-til.
- Ne t’inquiète pas, grâce à la balise GPS, nous les
suivrons discrètement, et s’il y a un problème, nous
intervenons !
- On intervient… on intervient ! Si c’est pour que ça se
termine dans un bain de sang comme la dernière fois…
122
- C’était différent, un des membres de la mafia nous
avait démasqués ! Nous étions donc obligés de tous les
éliminer, répondit le Corse.
- Mouais… Trois morts, je te signale.
- On décolle sinon nous allons les perdre », ordonna
Zibus.
Mustang roulait à vive allure sur l’autoroute A9 en
direction d’Avignon. Pendant que le Corse vérifiait son
arme, Patrick évaluait la position de la balise GPS.
« Ça fonctionne bien ce type de matos, c’est un bon
investissement !
Gérald activa les micros émetteurs dissimulés sur les
vestes des filles pour écouter la conversation.
- Il n’a vraiment rien dans le citron le fils d’Haton.
Quel bouffon ! Il drague Amémet, et il a l’air sacrément
intéressé. Quant à Set, il semble préférer Sekhmet. Le
plan fonctionne à merveille, ils sont tombés en plein
dans le panneau.
- Ils ne vont pas être déçus, quand l’heure sera venue,
les déesses ne vont pas les rater.
- J’espère qu’elles ne vont pas s’emporter, ajouta
Stephan.
- Avec Amémet, nous pouvons nous attendre au pire.
Et ce n’est pas Sekhmet qui va la calmer !
- Merde… Nous n’aurions peut-être pas dû…
- Nous avons un plan, on poursuit », dit Zibus.
La voiture venait de quitter l’autoroute en direction
d’Avignon.
« Nous n’avions pas besoin d’installer la balise GPS,
car à mon avis, ils vont directement au château, affirma
Mustang.
- Ou peut-être au Lys… reprit Patrick.
123
Mais Mustang ne s’était pas trompé : quelques minutes
plus tard, la voiture s’engouffrait dans une route de
campagne, sur les hauteurs des Angles. Le sourire aux
lèvres, le frère du Corse s’écria :
- Bingo, ils vont bien au château ! Arrêtons-nous ici,
nous ne pouvons pas aller plus loin de toute façon sinon
nous allons nous faire repérer. J’active le monitoring,
nous sommes en plein dans le champ de réception des
caméras.
Il appuya sur les boutons de la table de commande, et
quatre images apparurent sur l’écran de son ordinateur
portable.
- Il n’y a personne dans le château, tout est éteint !
Pour l’instant, je désactive les micros des filles pour ne
pas perturber les autres signaux. J’enregistre l’émission
vidéo, nous aurons les visages de Set et d’Haton en
direct live.
Dans l’autre véhicule, Yann et le Corse venaient de
mettre leurs visions nocturnes. Grâce à la lampe
infrarouge, ils balayaient le secteur. Le Corse sortit de la
voiture discrètement, rampa jusqu’à un buisson, puis
sans faire de bruit, il se hissa à la cime d’un arbre.
L’oreillette de Patrick grésilla à nouveau.
- Si une voiture arrive, je vous préviens, lança-t-il,
perché en haut de l’arbre.
Les filles pénétraient dans le château aux bras des
lascars.
- Ouah, c’est magnifique ! Nous sommes chez qui ?
s’écria Amémet.
- Chez mon père ! Suivez-moi, je vais vous faire
découvrir les lieux, dit Haken en bombant le torse.
Il leur montra tout d’abord les chambres : lits à
baldaquin, meubles du XVIIIe siècle, rideaux en soie…
- Et vous avez vu les décorations des portes, c’est de
l’or ! Et il y a une dizaine de chambres comme celle-ci.
124
Et les tableaux, c’est l’œuvre d’artistes du XVIIIe
siècle !
Le pas léger, le menton relevé, Haken les guida
jusqu’au deuxième étage. Il poussa une porte en chêne
massif et s’exclama en levant les sourcils :
- La bibliothèque ! Nous attachons une grande
importance à la culture, dans notre famille. Il y a plus de
dix mille ouvrages.
Les jolies déesses suivaient le jeune homme pompeux
avec lassitude. Amémet était une excellente comédienne
et faisait mine d’être ébahie. Haken, sous le charme,
l’attrapa par les hanches et la poussa dans la salle de
bains.
- Regarde, il y a même un jacuzzi. Tu veux faire des
folies ?
Bastet essaya de changer de sujet pour calmer les
ardeurs du fils d’Haton.
- Vous faites quoi dans la vie, Haken ?
Haken dévorait la jeune femme du regard et n’écoutait
pas les questions de Bastet.
- Hum… Et toi Set ? demanda-t-elle en se
trémoussant.
- Je suis dans le bizness, en Espagne.
- Tu es riche toi aussi ?
Set gonfla le torse, releva le menton et répondit :
- Je gagne beaucoup d’argent, et j’ai un gros domaine
près de Barcelone. Je bosse dans… la chimie…
s’exclama-t-il d’une voix rauque et puissante.
- Et toi Haken ? Que fais-tu exactement ? Dévoile-toi
un peu ! insista Sekhmet, le regard pétillant.
Cette fois le jeune homme se retourna.
- La même chose que Set, et parfois, je loue les
charmes de jolies demoiselles.
- Tu loues ? Que veux-tu dire ?
125
- N’oublie pas que le Lady Blue est une boîte libertine.
Nous avons quelques call-girls ! Et parfois nous
réalisons des films.
- Tu produis des films, c’est super ! ajouta Amémet en
faisant un clin d’œil à la belle Sekhmet.
- Oui, enfin, des films un peu particuliers… Des films
érotiques…
- Grand coquin ! Tu me filmeras ? Regarde, ne suis-je
pas magnifique, moi aussi ? s’exclama Amémet en
tournant sur elle-même.
Stephan, qui écoutait la conversation, n’en croyait pas
ses oreilles.
- Qu’est-ce qu’elle raconte, mais elle est devenue
complètement folle !
- Elle doit avoir un plan, dit Zibus.
- J’espère bien ! »
Haken avait l’œil qui pétillait, il pensait que les filles
étaient sous son charme.
« Voulez-vous voir la pièce où se déroulent les
séances ?
- Ouiiii ! hurla Amémet.
Il arpenta le couloir, poussa une grande porte et éclaira
la pièce. Les filles observèrent, stupéfaites, la cage en
acier et les chaînes.
- Mais vous les attachez aussi ?
- Les riches industriels qui louent les charmes de nos
filles ont de nombreux fantasmes, dont un en
particulier, qui est de les attacher à la cage.
- Ça doit être très excitant, j’aimerais essayer. Passemoi les menottes ! cria Amémet.
- Tu veux être filmée et attachée ?
Amémet lui lança un regard de braise. Elle jeta ses
habits à travers la salle et se déshabilla complètement.
126
Elle ondulait son corps dans un rythme endiablé. Sa
longue crinière brune flottait dans les airs comme des
vagues rebelles, et ses yeux bleu lagon pétillaient de
mille éclats. Les deux crapules, sous le charme,
contemplaient cette divine créature aux courbes
parfaites. La taille fine, de magnifiques jambes, un
fessier bien ferme, un petit ventre plat, et de superbes
seins.
- Prends la caméra, intima-t-elle en s’accrochant aux
chaînes en acier, et rugissant comme une tigresse.
Haken attrapa la caméra et filma Amémet dans toutes
les positions possibles.
- Tu me montreras les vidéos que tu as déjà faites ?
demanda-t-elle d’un regard malicieux.
- Euh… les types sont violents parfois, ça risque de te
choquer.
- Tu crois que je suis émotive ? Tu veux que je te
montre ce que je sais faire avec un fouet ? », rugit
Amémet.
Mustang fixait l’écran de son ordinateur portable et
admirait les charmes de la belle brune. Stephan, anxieux,
craignait le dérapage.
« Elle veut certainement dérober les vidéos, dit
Mustang.
- Pourvu qu’elle reste calme, je ne veux pas que ça se
termine dans un bain de sang, s’inquiéta Stephan.
- Calme-toi un peu, c’est des professionnelles de
l’infiltration. Tu n’as pas besoin de t’inquiéter ! »
Tandis qu’Amémet ensorcelait le fils d’Haton,
Sekhmet et Bastet s’approchèrent de son complice.
Mutines, elles commencèrent à le caresser tendrement.
Bastet frottait sa généreuse poitrine contre son torse
127
musclé, pendant que sa copine l’embrassait dans le cou
en effleurant sa peau.
« Tu n’as pas un peu de produit ? demanda Sekhmet.
- Quel genre de produit ? répondit Set, stupéfait.
- Ne fais pas l’idiot… Tu vois ce que je veux dire ! Un
peu de cocaïne, bien sûr.
Il essayait de ne pas succomber au chant des sirènes,
comme Ulysse approchant l’île de Circé.
- C’est possible… Vous en voulez ?
- Oui mon beau Set ! Envoie la poudre magique !
- Haken, on leur fait goûter la marchandise ?
- Fais ce que tu veux, rétorqua aussitôt le fils d’Haton,
occupé à filmer sa belle.
- Tu en as beaucoup ? demanda Sekhmet en se
cambrant.
- Une pleine valise… Pour dire la vérité, c’est mon
bizness, conclut Set.
- Tu nous as menti petit coquin ! Tu n’es pas chimiste,
lança Bastet.
- Vas-y, montre-nous la marchandise !
Set se dirigea vers un vieux meuble en chêne, ouvrit
une porte qui dissimulait un coffre-fort, et composa le
code secret. Bastet, restée à l’écart, l’épiait.
- Voici de la belle poudre colombienne.
Il ouvrit un des sachets et aligna trois longs traits de
poudre blanche, sur une table, à côté de la cage. Haken
continuait de filmer le show de la belle Amémet, qui se
déhanchait comme une danseuse orientale. Lorsque Set
tourna le dos pour ranger la drogue à l’intérieur du
coffre-fort, les filles dispersèrent la poudre en soufflant
dessus.
Set se retourna, stupéfait.
- Déjà ! Vous êtes de sacrées gourmandes.
- Il n’y a rien à boire, ici ? rumina Sekhmet.
128
Haken posa sa caméra, ouvrit la porte du bar et brandit
deux bouteilles de whisky.
- Tu es génial mon chéri, c’est toi le plus fort, clama
Amémet, féline, en l’enlaçant.
Sekhmet s’empara des bouteilles et servit deux verres
de whisky aux trafiquants, tout en ouvrant la boule en or
qui était sur sa bague. Discrètement, elle mélangea une
étrange poudre dans le verre de ses victimes. Le GHB,
ou plus communément appelé “la drogue des violeurs”,
une fois dissous dans l’alcool, reste incolore et inodore.
À forte dose, il a des vertus sédatives.
Quelques minutes après avoir absorbé la mixture, une
intense chaleur envahit les deux hommes. Leur tête se
mit à tourner, et leur vision devint floue.
- Je me sens bizarre, j’ai chaud… lança Haken.
- Moi, c’est pareil, je… je… ajouta Set qui sombra
dans un profond sommeil.
- Set, Set…
Ils s’évanouirent tous les deux. Les membres de
Neutrino pouvaient passer à l’action. Amémet, qui
remettait sa tenue en cuir, demanda :
- Tu n’en as pas trop mis, j’espère ? Il ne faut pas
qu’ils découvrent que nous les avons drogués.
- Tu me prends pour une débutante ?
Pendant que ses copines se disputaient, Bastet courut
vers le coffre et composa le code à cinq chiffres.
- Tu as vu le code ? demanda Sekhmet, stupéfaite.
La jeune femme lança un clin d’œil à son amie et
ouvrit le coffre-fort. À l’intérieur, il y avait les sachets
de cocaïne, les listes des noms des hommes d’affaires et
les vidéos érotiques. Elle sortit un appareil photo
numérique miniature et photographia la liste des
complices d’Haton.
Amémet s’empara des vidéos, dévala l’escalier à vive
allure et courut à moitié nue dans le jardin.
129
Heureusement, le doberman était enfermé dans l’enclos.
Quand il vit la jeune femme courir, il aboya à la mort.
La dévoreuse lui jeta un regard terrifiant et aussitôt le
molosse cessa d’aboyer. Stephan sortit de la voiture à ce
moment-là et s’approcha du portail. Amémet lui donna
les DVD en criant :
- Grouille-toi, faites une copie des vidéos, j’attends
ici ! »
Mustang plaça les disques dans le lecteur de son
ordinateur portable et copia toutes les vidéos.
Une quinzaine de minutes plus tard, Stephan les
redonnait à la belle brune.
Les deux acolytes étaient toujours endormis sur leur
siège, la tête basculée en arrière, les bras ballants. Par
moments, Set se réveillait ; les yeux mi-clos, il tournait
la tête à droite puis à gauche, murmurait des mots
incompréhensibles, et s’effondrait à nouveau,
inconscient. Tel un poulpe mort, ses bras pendaient
comme de longs tentacules inertes. Cette énorme
carcasse qui, quelques minutes plus tôt semblait
inébranlable, se trouvait à présent aussi inoffensive
qu’un ver de terre.
« Regardez-moi ça ! Si ce n’est pas pathétique un tel
spectacle ! Des voyous, vivant du crime et de la drogue,
mis hors d’état de nuire par trois filles et quelques
milligrammes de GHB, soupira la belle Sekhmet.
- Comme le dit souvent Amon, il faut toujours être sur
ses gardes. La vie est un éternel combat, ajouta Amémet,
triomphante.
- Nous devons passer le château au peigne fin. Les
effets de la drogue s’estompent au bout de trois heures.
Sekhmet, tu restes à cet étage, et toi Amémet, descends
130
au premier. Quant à moi, je vérifie le rez-de-chaussée,
intima Bastet, la féline.
Elle dévala l’escalier, toujours aux aguets, prête à
bondir à la moindre occasion.
- Stephan, nous allons fouiller le château, surveillez
bien l’entrée principale. Nous ne souhaitons pas être
surprises par Haton et ses acolytes, dit Bastet à travers le
micro émetteur.
- N’ayez aucun souci, Richard vient de m’avertir que
le directeur entre dans la discothèque avec deux autres
types, peut-être Rouel et Bremond.
La jeune femme commença par fouiller le salon.
Minutieusement, elle soulevait chaque objet et observait
chaque détail suspect, à la recherche de nouveaux
indices. Mais au bout d’une heure, elle n’avait rien
découvert de plus.
Bastet marcha jusqu’à l’entrée principale, ôta son
collier en or et attrapa l’amulette représentant la croix de
vie – l’ankh, le symbole de la vie éternelle qui ouvrait la
porte de l’éternité –, qu’elle plaça dans sa main gauche.
Dans la main droite, elle plaça l’Oudjat (l’œil d’Horus),
qui rappelait le combat du fils d’Osiris contre le terrible
Seth. (Pendant la bataille qui les opposait, Seth arracha
l’œil d’Horus, qu’il jeta en six morceaux dans le Nil.
Heureusement, Thot lui en reconstitua un nouveau, et
l’œil d’Horus devint le symbole de la victoire sur le
mal).
Stephan observait la scène grâce à la caméra vidéo
miniature installée quelques jours plus tôt par le Corse.
- Qu’est-ce qu’elle fait ? C’est quoi cette mise en
scène ? demanda Stephan, éberlué.
- Elle chasse les énergies négatives et purifie le
château en libérant son Kâ ! Bastet est la déesse
protectrice, elle possède de nombreux pouvoirs
mystiques.
131
- Des pouvoirs ? C’est n’importe quoi ! Vous y croyez
vraiment ?
- Bien sûr, elle est même capable de soigner des
mourants, reprit Zibus.
- Mouais… moi je suis comme saint Thomas, je ne
crois que ce que je vois !
- Observe-la, tu verras ce dont elle est capable.
Immobile, les bras écartés, Bastet méditait. Soudain,
elle ouvrit la bouche, ferma les yeux, et des myriades de
minuscules particules jaillirent de nulle part. À
l’intérieur du véhicule, Stephan n’en revenait pas. Une
aura brillante entourait la jeune femme. Les amulettes se
mirent à scintiller, puis tout à coup, l’image se brouilla.
Quelques secondes plus tard, tout redevint normal mais
Bastet avait disparu.
- C’est incroyable… Vous avez vu ? Elle a disparu !
bredouilla Stephan, les yeux écarquillés.
- Bastet maîtrise la puissance du Kâ. Ne te pose pas de
questions, c’est comme ça. Nous ne sommes pas
capables de comprendre ce miracle, dit Zibus.
- Mais comment elle fait ça, elle a un truc ?
- Attends de voir ce dont est capable Sekhmet, tu seras
encore plus étonné.
- Sekhmet a aussi des pouvoirs ?
- Les trois déesses possèdent chacune de mystérieux
dons transmis par le Kâ des dieux. »
Après avoir minutieusement fouillé chaque recoin du
château, Amémet s’attaquait à la dernière pièce : le
bureau. Énervée, elle maudissait le directeur car elle ne
trouvait pas de nouveaux indices.
« Tu as découvert quelque chose, Sekhmet ? hurla-telle à sa copine qui se trouvait à l’étage supérieur.
132
La déesse lionne descendit l’escalier et arriva comme
une furie dans le bureau.
- Regarde ! dit-elle en jetant un tas de photos et de
dossiers.
La belle brune attrapa les documents à pleines mains
et les feuilleta.
- C’est quoi tout ça ?
- Les photos des jeunes femmes qu’exploite Haton. Il
y en a au moins une trentaine. Elles étaient dissimulées à
l’intérieur d’une pochette dans le coffre.
- Ukraine, Lituanie, Roumanie, Hongrie… mais…
elles viennent de tous les pays ! s’exclama Amémet,
furieuse.
- Bastet ! Viens vite photographier les dossiers ! cria
Sekhmet.
Sekhmet montra les photos et la liste des filles à la
déesse protectrice.
- Tiens, regarde, et photographie l’ensemble des notes.
- Il exploite toutes ces filles ? Il n’a vraiment aucune
morale. Quelle charogne !
- Si je ne me retenais pas, j’irais éliminer les deux
brutes qui sont là-haut ! » rumina Sekhmet.
Set se réveillait difficilement. Il plissa les yeux, se
frotta le crâne et secoua la tête en grommelant.
« Mince alors… J’ai encore abusé de l’alcool. J’ai une
terrible migraine. Vous avez l’air en pleine forme les
filles ! Haken, réveille-toi, il faut les ramener ! Haken ?
Owww… Tu te lèves ?
Le jeune homme ouvrit un œil, tenta vainement de
parler, se leva et retomba aussitôt dans son siège,
inconscient.
133
- Il faut le mettre dans son lit, nous n’arriverons pas à
le réveiller, décréta Set. Ensuite, je vous ramène à la
discothèque récupérer votre véhicule.
- Et sa voiture ? Comment il va faire pour retourner à
Marseille ? demanda Bastet.
- Je repasserai le chercher demain on doit retourner à
Marseille pour terminer une affaire. »
134
12
Assis autour d’une grande table, dans le salon
d’Amon, les membres de Neutrino analysaient les
indices récoltés la veille. Les guides détaillaient
minutieusement la liste des jeunes femmes dont Haton
louait les charmes aux riches industriels.
« Voici les photographies des filles, dit Sekhmet en
distribuant les clichés fraîchement imprimés.
- Et là, c’est les vidéos que nous avons copiées hier
soir, ajouta Mustang en les montrant à Amon.
Face au moniteur, les guides de Neutrino regardaient
l’enregistrement, abasourdis.
- C’est horrible ce qu’ils font subir à ces pauvres filles.
Ils les frappent, abusent d’elles, les soûlent, puis les
attachent à une cage, ragea Anubis.
Mustang démarra une nouvelle vidéo et dit :
- Cette fois-ci, il y a Set, Haken et Rouel ! Ils prennent
de la cocaïne et forcent les filles à en prendre aussi.
Sur une autre vidéo, il y avait même le PDG d’EEAI et
un homme d’affaires réputé, allongés nus sur un grand lit
à baldaquin, avec deux filles vêtues d’un vêtement en
latex noir. Le PDG cravachait les jeunes Russes,
attachées par d’épaisses chaînes en acier. Elles hurlaient
de douleur.
- Suffit ! J’en ai assez vu pour aujourd’hui, déclara
Amon, le regard sombre.
135
- Nous avons aussi une liste de ses clients, avec le type
de filles qu’ils préfèrent, ajouta Amémet pour conclure.
Amon fit défiler cette longue liste sur l’écran de
l’ordinateur.
- Vous avez fait un excellent travail. Dès demain, je
contacte le commissaire Armand qui attendait avec
impatience les preuves qui lui permettraient de
commencer son enquête. Lors de notre dernière réunion
avec Osiris, nous avons décidé de collaborer avec la
police pour éviter les dérapages que nous avons connus
ces dernières années. D’ailleurs, très bientôt, nous allons
organiser une réunion avec les nouveaux membres qui
font partie de la police. Récoltez encore quelques indices
sur l’organisation, puis on arrête tout ! Dès que la
mission sera terminée, pensez à enlever les micros
émetteurs et les caméras miniatures, dit Amon.
- Set doit m’appeler pour m’inviter à une de leurs
soirées, lança Sekhmet, triomphante.
- Faites bien attention, nous avons mis les pieds dans
un dangereux réseau mafieux. Essayez d’en savoir un
peu plus sur les filles. Où elles logent, ce qu’elles font
dans la journée, et s’il n’y a pas un trafic avec
l’Espagne. Nous devons aussi surveiller Haken et Set,
car d’après Richard, ils alimentent en cocaïne toutes les
boîtes de nuit de la région.
- Nous nous occupons de Set et d’Haken, dit Sekhmet
en serrant les poings.
- Quant à moi, je pense que le Lys est de mèche… Je
dois y retourner avec Bremond, il doit me contacter,
ajouta Bob.
- Mustang, s’il te plaît, laisse-moi les vidéos et la liste
des complices d’Haton. Je les transmettrai au
commissaire, dit Amon.
136
- Dès que l’affaire sera bouclée, je vous enverrai les
nouvelles vidéos. Ils vont comprendre qu’on ne se frotte
pas à Neutrino sans y laisser des plumes.
- À présent, suivez-moi ! Nous allons nous entraîner
au dojo. Nous devons nous détendre un peu », suggéra
Amon.
Assis sur le tatami en position de méditation, les
membres écoutaient Amon.
« Fermez les yeux et gardez le dos bien droit. Inspirez
calmement et profondément. Faites le vide dans votre
esprit, laissez défiler les images perturbatrices, et prenez
conscience de votre corps. Ressentez ce bien-être qui
vous traverse à chaque inspiration, ressentez l’air qui
pénètre dans vos poumons, puis qui sort par vos narines.
Visualisez l’oxygène qui pénètre en vous, comme une
lumière dorée qui entre et sort de votre corps. À chaque
inspiration, vous vous sentez de plus en plus en
harmonie avec le monde », dit Amon d’une voix calme
et apaisante.
Stephan ouvrit les yeux tout en s’étirant. Il se leva
lentement et effectua les assouplissements que montrait
Râ. Ce dernier était extrêmement rigoureux car il
perpétuait les vieilles traditions transmises par les grands
maîtres de daito-ryu. Il exigeait une parfaite exécution
des mouvements, tout en insistant sur l’importance de
l’énergie.
« Les Égyptiens la nommaient Kâ, les Japonais la
nomment Ki. Dans chacun des mouvements que je vous
enseigne, vous devez ressentir cette énergie. Vous
pouvez percevoir celle-ci : en lavant une voiture, en
balayant, en courant… Le Ki est en vous, découvrez-le,
137
alors vous découvrirez l’harmonie ! L’important dans la
vie, c’est d’atteindre la sérénité et l’harmonie. Je vais
vous apprendre le premier principe de l’aïkido : Ikkyo !
Stephan, avance d’un pas et porte-moi un coup au
visage.
Stephan se mit face à Râ et glissa d’un pas en avant,
cherchant à atteindre le visage de son adversaire. Alors
qu’il allait déployer son bras, Râ se décala, avança
rapidement, plaqua la main gauche de Stephan sous son
coude, et sa main droite attrapa fermement le poignet du
jeune homme. Avec une incroyable puissance, ce dernier
se trouva plaqué au sol par un mouvement circulaire.
- À vous maintenant, exécutez ce blocage, et pensez à
tout ce que je vous ai dit précédemmen. »
Au même moment, Richard observait l’entrée du Lady
Blue. De l’autre côté du parking, derrière une longue
rangée d’arbres, il surveillait le gardien. Mais d’une
fenêtre de la discothèque, un homme l’épiait lui aussi.
Depuis la veille, il avait repéré Richard. Inquiet, il
appela son patron qui le week-end se reposait avec son
épouse dans sa résidence secondaire à Cassis.
« Nous avons un problème patron, il y a un type dans
une vieille bagnole qui surveille la discothèque depuis
hier soir. Qu’est-ce que je fais ?
- Ne t’énerve pas, et n’interviens surtout pas ; note les
numéros de sa plaque d’immatriculation et prends des
photos de lui. J’arrive ! »
Haton arrivait à la discothèque au moment où Richard
partait. Les deux hommes se croisèrent sans le savoir.
« Il vient de partir à l’instant patron.
- File-moi le numéro de sa plaque, je vais appeler un
collègue, il me trouvera l’adresse de ce type.
138
Jack transmit les numéros de la plaque
d’immatriculation. Haton composa immédiatement un
numéro de téléphone et discuta avec un type à la voix
rauque et puissante, puis raccrocha.
- Il faut attendre ! Mon collègue se renseigne. Dès
qu’il a du nouveau, il appelle. Comment tu as fait pour
repérer le type ?
- En fait, le premier à l’avoir vu, c’est Fred. En
surveillant le parking, il s’est aperçu de ce type dans la
vieille bagnole qui stationnait depuis quelques heures. Il
a eu beaucoup de chance de le remarquer car c’est en
faisant pisser son chien qu’il a repéré la caisse cachée
derrière l’allée d’arbres.
La conversation fut interrompue par la sonnerie du
téléphone. La voix rauque et puissante de l’interlocuteur
grésillait dans le combiné téléphonique.
- Je suis désolé mais le numéro que tu m’as donné
correspond à une voiture qui a été volée l’année
dernière. Tu veux l’adresse du propriétaire ?
- Non, merci. Je te rappelle si j’ai du nouveau, à
bientôt.
Haton, le regard sombre, fixa Jack. Inquiet, il tapait
son index sur le rebord de la table.
- Ou bien c’est une fausse alerte, ou bien nous avons
un gros problème ! Le numéro de la plaque
d’immatriculation correspond à celui d’une voiture
volée.
- Merde… Ça m’inquiète cette histoire. Il ne faudrait
pas que ce soit les Russes…
- Non, nous n’avons plus de soucis avec eux ! C’est
peut-être un type qui venait refourguer de la came.
- Votre fils n’a pas eu de problèmes avec les
Espagnols, ces temps-ci ?
- Non, avec Set, il n’y a aucun souci à se faire. Et avec
les filles ?
139
- Tout va bien ! Pas de problèmes particuliers.
- T’es certain ?
- Oui ! Elles sont suffisamment surveillées…
- C’est peut-être une fausse alerte.
- Peut-être, reprit Jack. Un gars qui trafique dans le
coin.
- En tout cas, surveille bien ! Je retourne à Cassis. »
Jack, perplexe, réfléchissait. Il se remémorait cette
fusillade où l’ancien portier avait reçu une balle en plein
milieu du front. La mafia russe avait voulu faire peur à
Haton mais l’altercation avait mal fini. Jack frémit, il
espérait que cet homme n’était pas un exécuteur russe.
Les membres de Neutrino, épuisés par leur
entraînement, étaient assis autour de la table du salon.
Sekhmet discutait avec Stephan. Une certaine complicité
naissait entre eux. La belle blonde aux yeux verts avait
beaucoup de charme, ce qui ne laissait pas le jeune
homme indifférent. Lorsqu’il était avec elle, il en
oubliait même sa rupture avec Carole.
À côté d’eux, Zibus éprouvait beaucoup plus de
difficultés avec la brune rebelle. Amémet était une fille
mystérieuse et au tempérament bien trempé. Depuis
quelques mois, il essayait par tous les moyens de la
charmer mais elle refusait ses avances. Elle connaissait
la réputation de l’informaticien. Zibus était un dragueur
invétéré qui connaissait parfaitement la gent féminine, il
était capable de faire succomber beaucoup de
demoiselles mais pas la petite protégée d’Anubis.
Richard, qui venait tout juste d’arriver, rendait compte
de sa surveillance aux guides de Neutrino. Amon,
satisfait, nota chacune de ses remarques dans un calepin
qu’il plaça dans une pochette intitulée Lady Blue.
140
« Parfait, tu as fait du bon boulot. Nous allons
continuer de le surveiller, nous devons tout savoir sur
lui. Et Clara Bergan, elle ne vient plus au dancing ?
demanda Amon sous le regard attentif de Râ.
- Négatif, elle sert uniquement de prête-nom. Aux
yeux de la loi, c’est elle qui détient la discothèque.
Pendant ce temps, Haton peut diriger son entreprise et
trouver de nouveaux clients parmi les riches industriels.
En plus, il n’apparaît nulle part comme directeur du
Lady Blue, alors que bien évidemment, c’est lui qui le
gère.
- Et son fils ?
- Une ordure de première qui refourgue sa
marchandise dans toutes les boîtes de la région avec son
complice Set. Il faut se méfier de ces deux-là, mes indics
m’ont dit qu’ils étaient très dangereux. Haken glorifie
son père, c’est une idole pour lui.
- Tu crois qu’ils ont du sang sur les mains ?
- Pour Haken, je ne sais pas mais pour Set, c’est
certain. De source sûre il a éliminé les chefs de la mafia
à Barcelone, et en a pris la direction. Depuis, il est de
mèche avec le fils d’Haton.
- Méfie-toi bien d’eux. Je ne sais pas pourquoi mais
lorsque je prononce leurs noms, mon Kâ vibre
intensément.
- N’aie aucune crainte, je fais ça depuis longtemps, et
personne n’a encore réussi à me démasquer.
- Il suffit d’une fois… »
Richard éclata de rire en tapant sur l’épaule de son
vieil ami pour le rassurer.
Le Corse, son frère, Yann et Bob fumaient chacun un
gros cigare tout en buvant un verre de rhum. Assis sur un
141
banc, ils profitaient de ce moment de détente pour se
reposer.
Mustang demanda à Bob :
« Tu l’as déjà vue avec un mec, Bastet ?
- Jamais !
- Tu crois qu’elle préfère les filles ?
- T’as fini de dire n’importe quoi ! Elle préfère rester
seule, c’est tout.
- Quel dommage, c’est vraiment une belle fille.
- Arrête de faire ton sentimental, ça ne te va pas du
tout.
- Tu verras, le jour où tu vas craquer pour une fille.
- Ça ne risque pas de m’arriver ! Pourquoi veux-tu que
je tombe amoureux d’une nana alors qu’il y en a
tellement à découvrir.
- Nous en reparlerons lorsque tu auras le coup de
foudre. »
Allongée sous un sycomore, entre Patrick et Gérald,
Bastet contemplait le magnifique ciel bleu azur,
nostalgique. Elle repensait à toutes ces missions
accomplies avec ses amies. Quel était le sens de tout ça ?
Neutrino pouvait faire tomber Haton mais d’autres
tyrans prendraient sa place : la lutte était sans fin.
Soudain, Amon se leva, et d’une voix calme et
détendue, il réunit tous les membres autour de lui, puis
annonça :
« Cette semaine sera chargée, car dans les jours à
venir, le commissaire devra commencer son enquête.
Dès que la police sera sur le coup, nous arrêterons la
mission. Je ne veux pas que vous preniez de risques
inutiles, soyez très vigilants !
- Je continue la surveillance, s’il y a du changement, je
préviens Stephan ! s’exclama Richard.
142
- Parfait ! Demain, je vais surveiller Haton et
Bremond. J’espère en apprendre un maximum sur le
fonctionnement de son réseau de prostitution. De son
côté, Bob s’occupera d’infiltrer le Lys. Nous devons
déterminer quels sont ses liens avec Haton, ajouta
Stephan.
- Dès que Set m’appelle, je préviens Amémet et
Bastet, et nous passons à l’action nous aussi, dit
Sekhmet.
- Bonne chance à tous ! Que le puissant Kâ vous
protège. » lança Amon en levant les bras au ciel.
143
13
Haton pénétra dans la salle de réunion comme une
furie, sans saluer les employés, et d’un ton froid et
hautain, il demanda à Stephan :
« Les chantiers à Marcoule, ça avance ?
Les lèvres pincées, les sourcils froncés et les bras
croisés, le directeur le toisait. Comme un prédateur
sauvage, il était prêt à lui bondir dessus à la moindre
occasion.
- Ça suit son cours, nous aurons fini dans une
quinzaine de jours, je pense.
- Vous pensez… mais vous n’êtes pas payé pour
penser ! hurla Haton, les yeux exorbités.
- Mais, je…
Stephan essayait vainement de se justifier, tandis que
les autres employés, terrifiés par l’abominable directeur,
n’osaient pas ouvrir la bouche. Haton lui coupa la parole
en lui postillonnant au visage.
- Pauvre idiot ! Ne pensez plus, agissez ! J’ai du mal à
croire qu’à la suite du départ de Horme, vous dirigiez
l’entreprise. Heureusement que je suis arrivé, sinon la
boîte aurait fait faillite. À la fin du mois, les chantiers
doivent être terminés. En ce qui concerne Jean, je ne
veux plus le voir sur les prochains chantiers, il est trop
vieux, trop lent, et nous coûte de l’argent.
144
- Nous comptons sur lui pour le prochain arrêt de
tranche, nous devons absolument le garder, rétorqua
Stephan.
Le directeur se leva avec rage, regarda tout le monde
et brailla :
- Bon, que cela soit clair : je suis le directeur, par
conséquent, c’est moi qui donne les ordres. Personne ne
doit penser ou agir à ma place ! C’est bien compris ?
Vous me devez respect et obéissance. Si ça vous pose un
problème, Bringel, vous dégagez. C’est clair ?
- Très clair monsieur, dit Stephan en baissant la tête
pour montrer sa soumission au grand Haton.
- Les Polonais sont en train d’inonder le marché. Et
vos intérimaires, hors de prix, ils vont bientôt gicler ! »
conclut l’infâme directeur en tapant du poing sur la
table.
Stephan dévisageait Haton : il était aussi hideux
qu’ignoble. Malgré son costume noir taillé par un
couturier renommé, malgré ses chevalières en or, il était
répugnant. Petit, gras, dégarni et avec une tête de
soupion, il ressemblait à une monstrueuse créature sortie
du néant.
En l’observant, Stephan revoyait ces pauvres filles
qu’il maltraitait et dont il abusait sexuellement. Les
vidéos lui revenaient en mémoire : le PDG abusant de
l’une de ces malheureuses, attachée dans des positions
indécentes…
Serrant son poing sous la table, il avait envie de
bondir, de l’étrangler, et de le voir agoniser lentement,
les yeux dans les yeux.
Le haut de la hiérarchie était aussi pourri qu’un vieux
morceau de viande grouillant de vers. La vermine
détenait le pouvoir ! Depuis des millions d’années, rien
n’avait changé, le plus fort dominait les plus faibles.
Pendant un court instant, Stephan perdit la foi en
145
Neutrino. Il pensa que leurs efforts étaient vains, et que
d’autres criminels bien plus redoutables remplaceraient
l’ignoble Haton. Mais il se ressaisit et reprit confiance
en pensant que de nouveaux membres reprendraient le
flambeau pour se battre contre les futures vermines. La
lutte serait éternelle ! Aussi longtemps que des gens
comme Haton et Bremond existeraient, Neutrino
lutterait.
Comme à son habitude, le directeur claqua la porte
violemment et ne salua personne. Bremond s’approcha
de Stephan avec l’allure d’une fouine, le sourire aux
lèvres, et d’un air narquois, il déclara :
« Je vous avais prévenus que votre arrogance vous
porterait tort. Vous n’avez pas tenu compte de mes
conseils… Estimez-vous heureux que monsieur Haton ne
vous vire pas ! »
Stephan ferma les yeux, repensa aux séances de Râ et
inspira profondément. La mission, il fallait penser à la
mission, et ne pas commettre l’irréparable.
Quelques minutes plus tard, à bout de nerfs, Stephan
tapait du pied pour évacuer sa colère. Il écrasa avec rage
une vielle cannette de bière qui lui servait de pot à
crayons et la jeta à travers la pièce. Son rythme
cardiaque s’accéléra, le sang inonda son cerveau, et un
voile noir passa devant ses yeux. Il repensa aux séances
de méditation. Instantanément, sa respiration ralentit et
ses pensées négatives disparurent. Stephan pensait à sa
mission : sauver les pauvres filles qu’exploitait Haton en
démantelant le réseau. Aussitôt, il sortit ses écouteurs et
plaqua le sensor contre le mur. Patrick lui avait conçu un
petit montage astucieux qui permettait de travailler et
146
d’écouter les conversations téléphoniques en même
temps. Ainsi, Stephan pouvait surveiller ses
tortionnaires, en espérant qu’ils dévoilent de nouveaux
indices.
Le bureau d’Haton se trouvait à l’étage supérieur.
Patrick avait installé un micro émetteur à l’intérieur de
son téléphone, donc discrètement, Stephan pouvait
surveiller ses conversations. Néanmoins, le directeur
était discret et ne laissait rien filtrer. Ainsi, quand
Stephan se trouvait dans son bureau, il écoutait
uniquement les conversations de Bremond.
Malheureusement, ce lundi matin, le bras droit
d’Haton n’appelait personne. Stephan s’impatientait :
quand cet odieux personnage laisserait-il échapper de
nouvelles informations ? Il était stupéfait par la
discrétion de ses supérieurs. Ni Bremond ni Haton ne
laissaient transparaître cette étonnante complicité qui les
liaient hors du travail. Qui aurait pu imaginer que ces
énergumènes fassent partie d’un important réseau de
prostitution ?
Perdu dans ses pensées, Stephan oublia sa mission. Il
se trouva transporté à une époque où l’amour inondait
son cœur. Main dans la main avec la belle Carole,
allongé au bord d’un ruisseau, l’oreille collée contre le
ventre de la future maman. Une larme s’échappa et coula
le long de sa joue. Les yeux humides, il regardait la
vieille photo de famille posée sur son bureau. De
nouvelles images envahirent son cerveau meurtri : le
jour de Noël en famille, l’anniversaire d’Élodie, les
promenades dans les bois de Saint-Paul… Que la vie est
cruelle ! Du jour au lendemain, tout peut basculer très
vite.
Heureusement, ce week-end, Stephan espérait que
Carole lui laisse la garde de sa petite Élodie. Lorsqu’il
s’était confié à la belle Sekhmet, elle lui avait proposé
147
son aide pour s’occuper de sa fille. C’est vrai qu’il gérait
mal sa nouvelle vie de célibataire. La vaisselle
s’accumulait, le linge traînait dans la salle de bains, et la
maison avait besoin d’un sérieux nettoyage. Un coup de
main ne serait pas superflu… Puis… Ah, la déesse
lionne ! Ses grands yeux vert émeraude, son visage
d’ange. Ne serait-ce pas une merveilleuse occasion de
passer un peu de temps avec elle ?
Soudain, il sursauta. Bremond discutait avec Bob.
Stephan jubilait, l’ennemi mordait à l’hameçon. Les
mains tremblantes, il ajusta ses écouteurs, remonta le
capteur pour mieux entendre et retint sa respiration
durant quelques secondes. Bremond donnait rendez-vous
à Bob, au Lys, mercredi à 21 heures, en lui expliquant
qu’après ils se rendraient ensemble à une soirée prévue
dans un château. Lorsque Bremond raccrocha, Stephan
reçut un SMS de Bob : “contact B. OK, mercredi Lys, 21
H.”
L’après-midi, Stephan se rendit à Marcoule pour
vérifier l’état d’avancement du chantier. Lorsqu’il ouvrit
la porte du bureau du chef, il trouva Gérald, la tête
écrasée contre son classeur, en train de ronfler. D’un
coup sec, il frappa du poing sur la table pour le réveiller.
« Mmmm… qu’est-ce qu’il y a ? Ah… c’est toi !
soupira Gérald en bâillant.
- Je vois que ça bosse dur ici ! Tu as de la chance que
ce ne soit que moi, car si ç’avait été Bremond…
- Mmmm… répliqua Gérald en s’étirant.
- Ils sont où les intérimaires ?
- Je ne sais pas ! Ils prennent un café, certainement.
- C’est pas toi le chef de chantier de remplacement ?
- Ben si ! Mais c’est Kimi le chargé de travaux.
Donc… je peux me reposer tranquillement. Et puis il y a
Jean-Roger qui vient d’arriver pour nous aider.
- Jean-Roger… le syndicaliste ?
148
- Il n’y a qu’un seul Jean-Roger : le grand costaud,
moustachu.
- J’espère qu’il ne va pas foutre le bordel. La dernière
fois qu’il est venu à Marcoule, c’était pour envoyer
Haton aux prud’hommes.
- De toute manière, ils l’ont viré du bureau d’études, et
maintenant, ils le font travailler sur les chantiers. Il n’a
plus rien à perdre.
- C’est bien ce qui m’inquiète, d’ailleurs. Et depuis, il
le leur rend bien. Ah, j’allais oublier ! Haton veut virer
Jeannot. Il en a parlé ce matin à la réunion.
- Mince, pauvre Jeannot ! Il va être dégoûté…
- Sinon une bonne nouvelle : Bremond a contacté Bob.
Il y a une grosse soirée au château qui se prépare, ce
mercredi.
- Super ! Ça bouge bien en ce moment, nous allons
finir par les serrer, ces ordures. Tu peux venir ce weekend ?
- Normalement, je m’occupe de ma fille. Donc ce n’est
pas certain.
- Ta fille… Petit malin… Tu ne dois pas voir Sekhmet
plutôt ?
- Pourquoi tu dis ça ?
- Arrête ! J’ai bien vu comment vous vous regardiez,
hier. Elle t’a même proposé de t’aider, lorsque tu lui as
dit que tu risquais de garder ta fille ce week-end.
- T’es vraiment un fouineur, toi ! Une vraie commère !
- J’espère que tu auras plus de chance que Zibus…
Au même moment, Jean entrouvrit la porte et pointa le
bout de son nez.
- Euh… Ils sont où les autres ? demanda-t-il, les yeux
écarquillés.
- Qu’est-ce que tu fous là, toi ? Tu ne devrais pas être
sur le chantier ? demanda Gérald, étonné.
149
- Bien… je suis allé boire un café, et j’ai mis plus de
temps que prévu. Quand je suis revenu, il n’y avait plus
personne…
- Ce n’est pas possible, un vrai gamin ! Ils ne tirent
plus le câble ?
- Ben non…
- Allons voir », suggéra Stephan.
Lorsqu’ils arrivèrent sur le chantier, Jean-Roger et
Kimi se disputaient.
« Je te dis que ce n’est pas ici qu’il doit passer, celuilà. Tu es vraiment borné ! criait Kimi.
- C’est bien par là, regarde les plans ! hurlait JeanRoger.
Gérald apaisa les esprits en montrant par quelle trémie
devait passer le câble électrique. Ils avaient tort tous les
deux.
- Ben voilà, tu racontes n’importe quoi, grogna JeanRoger, de mauvaise foi.
- Je veux plus travailler avec lui, répliqua Kimi, agacé.
- Les gars, si vous vous disputez encore, Haton va
vous envoyer à Blaye ! Alors faites un effort. Vous étiez
où tout à l’heure, Jeannot vous a cherchés partout !
- À l’intérieur du local électrique, répondit Kimi,
étonné.
Gérald se retourna, fronça les sourcils et dit, en
colère :
- Tu te fous de moi Jeannot ? Tu ne pouvais pas rentrer
dans le local ?
- Ben, je ne savais pas… bredouilla Jean en levant les
bras au ciel.
- Celui-là, il faudra bientôt lui couper sa viande !
gronda Gérald.
150
- Jeannot… Haton ne veut pas te reprendre pour les
autres chantiers. Et mercredi, tout doit être terminé,
ajouta Stephan en baissant les yeux.
- Ah bravo ! Nous nous dépêchons pour finir le
câblage, et en remerciement, il me vire… Mon contrat
finit vendredi, je te signale.
- Il doit te garder jusqu’à vendredi, c’est la loi. S’il ne
le fait pas, on l’attaque l’enfoiré, vociféra Jean-Roger en
brandissant le poing vers l’avant.
- Moi, je m’en fous, à la fin du mois, je m’arrache en
Thaïlande ! s’exclama Manolo.
- Manolo, n’en rajoute pas s’il te plaît ! C’est déjà
assez compliqué, répliqua Gérald, exaspéré.
- Quoi ? Si quelqu’un veut me rejoindre, il n’y a pas
de problème. J’aurai une bicoque au bord de la plage.
- Tu pars fin octobre ? demanda Stephan, pensif.
- Oui, fin octobre ! Si le cœur t’en dit…
- Nous en rediscuterons.
- Bon les gars, nous ne sommes pas encore en
vacances. Bougez-vous ! Jean, s’il te plaît, va m’installer
les contacteurs dans le local électrique, gronda Kimi.
Alors que Gérald et Stephan faisaient le tour du
chantier, une explosion retentit. Jean sortit du local en
criant.
- Vite, un extincteur ! Il y a le feu dans l’armoire
électrique.
À l’intérieur du local, désespéré, Gérald s’approcha de
l’armoire électrique en feu tandis que Stephan cherchait
l’extincteur. Trépignant devant l’entrée, Jean s’égosillait
en appelant le reste de l’équipe. Kimi, Jean-Roger et
Manolo, qui travaillaient à quelques mètres de là,
arrivèrent à la rescousse.
- Il n’y a pas d’extincteur ici, récupérez-en un dans le
bâtiment 52 ! cria Stephan, sortant du local au milieu
d’un gros nuage de fumée.
151
Malheureusement, le temps qu’ils reviennent,
l’armoire électrique avait complètement brûlé. Par
chance, il n’y avait que celle-là de détruite, les autres
étaient sauvées.
Après avoir arrêté le feu, Gérald regarda le désastre en
se lamentant.
- Merde… Oh non, c’est un cauchemar. Jean, bordel !
T’es un vrai gland ! hurla-t-il.
- Ben, j’y suis pour rien ! Ce n’est pas ma faute si vous
achetez du matériel de mauvaise qualité.
- Nous n’aurons jamais fini mercredi, se désespéra
Kimi.
- Il faut prévenir Haton, suggéra Stephan.
- Je n’appelle pas, répliqua Gérald, secouant les mains
en signe de refus.
- Moi non plus, ajouta Kimi.
- Pff, les gars, merde ! Je vais encore me faire avoiner.
Jean, tu abuses, j’en ai assez de passer pour un guignol !
Sans parler des chefs de Marcoule, ils vont débarquer en
gueulant. Ça recommence, soupira Stephan.
- Toute façon, il me vire mercredi… murmura Jean,
l’air détaché.
- Tu ne l’aurais pas un peu trafiqué, ce contacteur ?
demanda discrètement Manolo.
- Chut… répondit Jean en faisant un clin d’œil.
Jean-Roger observait les intérimaires en souriant. Il
avait compris que Jeannot voulait se venger et retardait
le chantier. Ainsi, il resterait quelques jours de plus.
- C’est bon, je me sacrifie une fois de plus. Je remonte
à la boîte ! À plus tard, je vous tiens au courant,
souhaitez- moi bonne chance », lâcha Stephan, dépité.
152
14
Les membres de Neutrino étaient réunis chez Tibère
pour commémorer le mythe osirien d’après les anciennes
traditions égyptiennes. Au premier étage, l’historien
avait fait construire la réplique miniature du temple
d’Abydos dédié au culte du dieu Osiris.
Dans la pénombre, Stephan, assis sur un large banc en
granit, juste à côté des trois jolies déesses, attendait
impatiemment le début de la séance. Derrière lui, une
cinquantaine de membres assistaient eux aussi à la
cérémonie. Face à l’autel éclairé par des lampes à huile,
Osiris était allongé, immobile et majestueux, à l’intérieur
de l’embarcation sacrée, ornée d’or et de pierres
précieuses incrustées dans le bois : la barque Neshmet.
Les bras croisés, le visage recouvert d’un magnifique
masque doré, il serrait entre ses mains le fouet Nekhakha
et le sceptre Heqa. À côté de lui, sur un guéridon en
cuivre, il y avait la couronne rouge de la Basse-Égypte
(Deshret) et la couronne blanche de la Haute-Égypte
(Hedjet), qui symbolisaient le pacte de fraternité entre
les membres de Vaison et d’Avignon.
Maât, solennel, posa les mains sur les deux couronnes,
comme pour veiller à l’équilibre des deux terres.
Soudain, cinq individus masqués, vêtus de longues
tuniques en lin, s’approchèrent et soulevèrent
l’embarcation. Face à eux, il y avait une autre personne,
153
vêtue uniquement d’une espèce de robe noire et blanche,
et le visage dissimulé derrière un masque d’ibis. Stephan
ne le connaissait pas encore. C’était le mystérieux Thot,
le dieu lunaire dans la mythologie égyptienne. En tête du
cortège, il guidait la barque sacrée que les hommes
masqués posèrent quelques mètres plus loin, en longeant
un long couloir, dans une espèce de bassin rappelant le
lac sacré d’Abydos.
« La scène évoque le passage d’Osiris entre les deux
mondes, chuchota Sekhmet dans le creux de l’oreille de
Stephan.
Thot éteignit les lampes à huile, et la grande Isis
apparut, portant une tunique ample et brillante. Stephan,
stupéfait, l’observait se déplacer à travers la pièce
comme un feu follet. Un silence inquiétant régnait dans
la salle. Isis tendit les bras face à l’embarcation en
brandissant la croix de vie. Tout à coup, un étrange
phénomène se produisit, et une sorte d’ectoplasme ou de
lymphe translucide sembla sortir du corps d’Osiris. Une
lumière blanche et aveuglante scintilla dans l’obscurité.
Au même moment, un souffle froid effleura la nuque de
Stephan qui frémit. Paniqué, il se retourna mais ne vit
que les grands yeux écarquillés d’un des membres de
Neutrino.
- Isis transmet son énergie vitale, son puissant Kâ,
annonça Bastet.
Stephan ressentit une douce chaleur envahir son corps
lorsque Isis prononça des incantations en levant les bras
au ciel. Puis Osiris se leva miraculeusement, entouré
d’une magnifique aura dorée. Dans la stupéfaction
générale de l’assemblée, Thot avait disparu, et Osiris
était ressuscité.
- C’est ahurissant, bredouilla Stephan en faisant les
yeux doux à Sekhmet.
154
Maât alluma la lumière et Tibère apparut en pleine
béatitude, entre Isis et Osiris. Face à l’assemblée, il
prononça un discours :
- Mes chers amis, je vous remercie d’être tous présents
pour la cérémonie annuelle du grand Osiris. Ressentez
son Kâ tout-puissant qui vibre en ces lieux, et n’oubliez
jamais que l’énergie est source de vie. Elle demeure
éternelle et traverse les âges sans être altérée ! Oubliez
tout ce que vous avez appris, et essayez de ressentir les
vibrations les plus subtiles qui vous enveloppent. Le
peuple égyptien vouait un culte au soleil. Nous aussi
nous croyons en la puissante énergie qu’il dégage.
Cependant, avec le temps, nous avons appris à percevoir
de nouvelles vibrations… Voilà pourquoi nous avons
appelé notre société : Neutrino. Le flux de neutrinos
solaires – des particules élémentaires – est très important
mais laisse peu de traces de son passage. Nous sommes
comme cette particule : invisibles mais dotés d’une
certaine énergie. Encore merci pour votre présence !
Avant de passer à table, je dois vous présenter un
nouveau membre. Stephan, avance-toi s’il te plaît.
Intimidé, le jeune homme s’approcha de l’autel, salua
les membres et retourna rapidement s’asseoir sur le
banc, sous les yeux amusés de Sekhmet. L’assemblée
applaudissait le nouveau venu.
Tibère reprit la parole et s’adressa à Stephan.
- Nous effectuons chaque année le rituel sacré de la
résurrection du grand Osiris. Cette cérémonie, qui est
avant tout symbolique, permet de réunir les membres
d’Avignon avec ceux de Vaison-la-Romaine, qui sont
comme nos propres frères.
À son tour Osiris prit le micro et se tourna vers Isis.
- Pour clore la cérémonie, je tiens à remercier la
grande Isis, qui depuis plusieurs années maintenant est
présente à mes côtés, pour le meilleur et pour le pire. Un
155
grand merci aussi à Sekhmet, qui, avec l’aide de Bastet
et d’Amémet, a permis de faire aboutir la mission. Bien
évidemment, une pensée pour Amon et Râ qui ne
peuvent être présents aujourd’hui car ils sont chez
Anubis pour perpétuer le culte d’Amon. Encore merci à
vous tous mes amis. Un repas sera servi au rez-dechaussée, dans l’hypostyle.
Stephan s’approcha de Sekhmet et demanda,
stupéfait :
- Comment elle fait, Isis, pour dégager cette
mystérieuse énergie ?
- Tu n’as jamais ressenti le Kâ ?
- Euh… Non !
- Le Kâ, c’est la vie. Il circule dans nos veines, nos
organes, et chacune de nos cellules. Depuis des milliers
d’années l’homme utilise son Kâ ; soit pour se régénérer,
soit pour soigner, ou même pour communiquer.
- Ah bon !
- Tu n’es jamais allé chez un acupuncteur ?
- Si, pourquoi ?
- Tu crois qu’il fait quoi lorsqu’il plante ses aiguilles ?
- Je ne sais pas…
Sekhmet sourit et secoua la tête en s’exclamant :
- Tu es trop marrant ! Il utilise les méridiens pour te
soigner.
- C’est quoi un méridien ?
- Un canal où circule l’énergie, que les Chinois
appellent chi. L’aiguille permet de rétablir ou
d’harmoniser celle-ci.
- Le chi… répliqua-t-il, dubitatif.
- Donne-moi tes mains, tu vas comprendre.
Stephan, éberlué, tendit ses mains, et Sekhmet plaça
les siennes au-dessus. Une chaleur brûla ses doigts,
irradia l’ensemble de ses bras, puis remonta tout le long
de sa colonne vertébrale. Sa tête tourna, ses oreilles
156
bourdonnèrent, et un sentiment de bien-être l’envahit.
Puis subitement sa vue se troubla, et le visage de
Sekhmet se transforma en celui d’une lionne rugissante
entourée d’une magnifique aura dorée. Terrifié, il voulut
se dégager, mais il ne pouvait plus bouger, il était
paralysé. La belle déesse approcha ses lèvres contre les
siennes.
- Eh, mais tu m’as fait quoi ? cria-t-il, paniqué.
- Tu as beaucoup de choses à apprendre encore… Une
fois que tu auras la maîtrise du Kâ, alors peut-être que tu
comprendras.
- Tu m’apprendras ? C’est fabuleux de maîtriser une
telle puissance !
- Bien sûr, répondit Sekhmet en lui touchant le bout du
nez.
Ses amis, qui observaient la scène à distance,
s’approchèrent.
- Ce n’est pas bien d’utiliser ses dons pour abuser d’un
charmant jeune homme, dit Bastet avec un sourire
complice.
- Et toi, tu ne veux pas essayer avec moi ? demanda
Zibus à la sublime Amémet.
- Non, non… Tu es trop coquin toi ! répondit la belle
brune aux yeux bleus.
Stephan et Sekhmet se regardaient avec un sourire
complice. La belle blonde ne répondit même pas à la
remarque de son amie. Stephan, sous le charme, la
dévorait du regard. Une étrange alchimie l’envoûtait.
- Tu viens chez moi ce week-end ? Je te présenterai ma
fille.
- Tu veux que je fasse le ménage et la cuisine ?
Avoue ! rétorqua la belle, ironique.
- Mais non… N’importe quoi ! Nous irons nous
promener…
157
- Je plaisante ! C’est avec plaisir que je viendrai à
Saint-Paul si nous ne surveillons pas Set et Haken.
- Si jamais nous ne retournons pas chez Haton, je
t’appelle. Sinon, ça sera pour une prochaine fois !
- Ça va, on ne vous dérange pas trop ? râla Amémet,
jalouse.
- Laisse-les tranquilles, tu ne vois pas que tu les
déranges ? intima Bastet.
Mustang et Bob s’approchèrent des filles dans un
nuage de fumée, un gros cigare à la bouche et un verre
de vodka à la main.
- Un havane, Amémet ? proposa le frère du Corse en
lui lançant un clin d’œil.
- Ou alors, un verre de vodka, ma douce brune
sensuelle ? ajouta Bob, titubant au milieu de l’hypostyle
sous le regard amusé d’Osiris qui connaissait bien
l’énergumène.
- Allez, vodka et havane, soyons folle !
Tandis que Sekhmet garnissait son assiette de saumon
fumé, Gérald en profita pour discuter avec Stephan.
- Il a gueulé Haton ?
- J’ai complètement oublié de te rappeler, excuse-moi !
En fait, je pense qu’il devait préparer la soirée car il n’a
même pas écouté ce que je lui disais. Il discutait avec
quelqu’un au téléphone.
- Tu lui as dit que l’armoire avait cramé ?
- Oui, et il m’a braillé : “Débrouillez-vous, tout doit
être fini mercredi. Je ne veux rien savoir !” Puis il a
tourné la tête et a repris sa conversation.
- Il est vraiment taré ce mec. Nous avons un problème
avec les batteries des caméras : elles sont complètement
déchargées ! Le Corse surveillait sa demeure, cet aprèsmidi, lorsqu’il a perdu le signal. Ça pose un gros
problème pour mercredi. Tu penses que nous devons les
changer ?
158
- Non, il ne faudrait pas qu’on se fasse surprendre. La
mission est bientôt finie. Nous équiperons Bob avec une
caméra bouton.
- Et s’il se déshabille ?
- On lui laisse en réserve un paquet de cigarettes
équipé d’une caméra.
- Cette fois, nous jouons nos dernières cartes, il nous
faut absolument tout le monde sur la vidéo. Et nous
devons aussi trouver des preuves qui accableraient le
gérant du Lys.
- Il faut tous les faire tomber !
Sekhmet, qui savourait son saumon fumé, s’approcha
discrètement.
- Et toi, toujours pas de nouvelles de Set ? demanda
Gérald en fronçant les sourcils.
- Aucune ! Il nous a peut-être oubliées…
- Je ne pense pas, c’est sous-estimer tes charmes
sauvages, lâcha Stephan.
- Sauvages…
- Oui, ton charme félin ! Un mélange animal et
majestueux.
- Animal et majestueux… », répéta Sekhmet,
dubitative.
Osiris, Isis, Maât et Tibère dînaient dans un coin de la
salle, éclairés par une vieille lampe à huile. Isis semblait
préoccupée.
« Ça ne va pas Isis ? Ton Kâ vibre étrangement, tu as
des soucis ? demanda Osiris, inquiet.
Perplexe, elle regardait ses compagnons de ses grands
yeux bleus.
- Dis-nous ce qui ne va pas.
- Hier soir, j’ai fait un rêve très étrange. Nous étions
tous chez Amon, et nous nous promenions dans son
159
jardin. Soudain, le soleil a disparu, un voile noir a
recouvert le ciel, et le serpent Apophis a jailli d’un
gigantesque trou noir, pour tous nous éliminer. Au
milieu de ce spectacle d’horreur, un enfant à la tête de
faucon est descendu des cieux, entouré d’un splendide
astre lumineux. Il a levé la main droite en brandissant
l’ankh, et nous a tous ressuscités…
- C’est un rêve, pourquoi tu t’inquiètes ? ajouta Osiris,
surpris.
- Mon Kâ vibre intensément ces derniers temps, tu
m’en as même fait la remarque. C’est un mauvais
présage.
- Tu es peut-être fatiguée ? Tu devrais te reposer.
- Je me trompe rarement, dit Isis, le regard sombre et
la voix tremblante.
- Restons sur nos gardes, on ne sait jamais. Devonsnous en parler aux membres ? demanda Tibère en se
frottant le crâne.
- Il ne faut pas les inquiéter. Attendons un peu, peutêtre que j’aurai de nouvelles visions.
- C’est un jour sacré, oublions nos soucis et reposonsnous », suggéra Maât avec flegme.
Stephan, Sekhmet et Gérald observaient les guides,
inquiets.
« Isis semble préoccupée. Elle n’a pas l’air dans son
assiette. Ça ne lui ressemble pas ! remarqua Gérald.
- Son Kâ vibre intensément, ce n’est pas normal,
s’étonna Sekhmet.
- Elle est peut-être simplement fatiguée. La cérémonie
est éprouvante et demande une grosse dépense d’énergie,
lâcha Gérald, songeur.
- Je ne pense pas… C’est autre chose !
160
- Et l’homme à la tête d’oiseau qui guidait la barque
sacrée, il est passé où celui-là ? C’est la première fois
que je le vois, demanda subitement Stephan.
- Ce n’est pas n’importe quel oiseau d’abord, c’est un
ibis. C’est le masque que portait Thot sur les peintures
égyptiennes. Thot est le dieu de l’écriture et du langage,
et le patron des scribes. Le seigneur du temps ! C’est lui
qui assistait à la pesée du cœur pendant le Jugement
dernier, répondit Gérald.
- Pourquoi est-ce que personne ne m’a parlé de lui ?
- Parce que nous ne le connaissons pas vraiment. Il
vient uniquement pour célébrer le culte d’Osiris et
disparaît aussitôt ! Je sais que parfois, il rencontre les
guides mais ce n’est qu’en de très rares occasions.
- Mais il vient d’où ?
- C’est un mystère… Il a contacté Osiris au tout début
de la création de Neutrino, à une époque où il était dans
l’incertitude la plus totale sur l’évolution du groupe. Le
plus étonnant, c’est qu’Osiris n’en avait parlé à
personne… Thot lui a dit que Neutrino devait être créé
pour perpétuer les croyances égyptiennes, puis il a fait
de surprenantes révélations.
- On nage en plein délire ! Et c’était quoi ces
révélations ?
- Personne ne le sait. Osiris n’a jamais voulu les
dévoiler.
- Et c’est Osiris qui l’a surnommé Thot ?
- Non, c’est lui ! Il a déclaré : “Les humains
m’appellent Hermès Trismégiste, le trois fois grand !
L’éternel de ce monde.”
- Je ne comprends pas, s’il dit qu’il se nomme Hermès
Trismégiste, pourquoi l’appelle-t-on Thot ?
- Hermès Trismégiste est l’équivalent du dieu égyptien
Thot ! Les hermétistes lui attribuent le traité Corpus
Herméticum et la Table d’émeraude, ainsi que d’autres
161
ouvrages tel que l’Asclépius. Néanmoins, les érudits ont
toujours pensé qu’il n’existait pas, que ce n’était qu’une
légende. Cependant, d’anciens manuscrits égyptiens
relatent la présence d’un homme mystérieux à la tête
d’ibis qui apparaissait à des périodes de troubles, de
guerres et de cataclysmes.
- Mais l’Égypte n’est pas le centre du monde.
Réveillez-vous ! Il faut arrêter de croire que des êtres
surnaturels naissent dans ce pays ! s’exclama Stephan,
agacé.
- L’Égypte est la terre des hermétistes : “Ignores-tu
donc, Asclépius, que l’Égypte est la copie du ciel, ou,
pour mieux dire, le lieu où se transfèrent et se projettent
ici-bas toutes les opérations qui gouvernent et mettent
en œuvre les forces célestes ? Bien plus, s’il faut le dire,
notre Terre est le temple du monde entier”, rétorqua
Sekhmet.
- C’est des légendes tout ça ! Personne ne peut
traverser les âges éternellement. Peut-être que certains
possèdent des dons mystérieux mais je ne pense pas
qu’il y ait une quelconque puissance surnaturelle
énergétique. Enfin… peut-être que je me trompe !
- Tu as tort, j’ai assisté à des événements étonnants.
Certains êtres humains possèdent un tel degré de
développement spirituel qu’ils peuvent réaliser des
miracles. Le père d’Isis était un grand hermétiste. Et le
but des alchimistes ou des hermétistes n’était pas de
transformer le plomb en or, comme le disaient de vieilles
légendes parlant de la pierre philosophale, mais plutôt
d’atteindre des niveaux spirituels supérieurs. C'est-à-dire
de purifier son âme pour maîtriser l’énergie céleste ! Le
Corpus Hermeticum, la Table d’émeraude, ou encore le
Kybalion, transmettent aux hommes l’ultime savoir.
Osiris a même retrouvé un texte arabe très ancien qui
raconte l’histoire d’un homme mi-dieu mi-humain qui
162
revenait à des époques de troubles. Il apportait la sagesse
dans le cœur des plus récalcitrants et disparaissait en
leur laissant un message d’espoir.
Stephan observait Sekhmet, décontenancé. Il est vrai
qu’il avait pu observer, ces derniers jours, d’étonnants
rituels magiques. Bastet, Sekhmet et Isis étaient capables
de réaliser des miracles, mais de là à gober l’histoire
d’un homme qui depuis des millénaires transmigrerait
pour guider l’humanité…
- En plus, cette année, Thot est venu régulièrement
chez Osiris, d’après Isis. C’est un mauvais présage !
ajouta Sekhmet.
- Pourquoi ? D’habitude il ne vient que pour le
culte d’Osiris ?
- Oui, uniquement pour le rituel de résurrection du
guide.
- Tu penses sincèrement que quelque chose va se
produire ?
- C’est certain…
- Je ne crois pas à toutes ces légendes. Peut-être que
vous avez de mystérieux pouvoirs mais ça s’arrête là !
Tu m’as parlé de manuscrits, vous étudiez aussi les
textes anciens ?
- Bien sûr, comment crois-tu que nous ayons appris
tout ce que nous savons ? Certains d’entre nous étudient
les hiéroglyphes, le grec, le latin, l’hébreu et même
l’araméen. Crois-moi, même si notre science est pointue,
nous avons perdu notre sagesse. Les Anciens
possédaient une connaissance qui dépassait largement la
nôtre au point de vue de la spiritualité et de la maîtrise
de ces énergies subtiles.
- Tu crois que les hommes ont perdu leurs repères ?
- Oui, et l’humanité s’égare. Nous entrons dans une
période difficile !
- Elle s’égare ?
163
- L’homme construit des machines stupéfiantes à la
pointe de la technologie, cependant, il ne se connaît
toujours pas ! Pire, il régresse. Observe tes supérieurs, tu
verras qu’ils ne sont pas plus évolués qu’une bande de
jeunes adolescents. L’avidité et le pouvoir dominent le
monde depuis la nuit des temps. Avant, il y avait des
monarques égocentriques et mégalomanes qui se
disputaient des territoires en semant la terreur. Et
aujourd’hui ? Crois-tu que nous ayons beaucoup
changé ? Cette cupidité demeure dans nos gènes comme
un virus, même si les hommes dans nos sociétés
civilisées ne massacrent plus leurs congénères à coups
de hache, ils utilisent néanmoins de nouvelles méthodes
tout aussi redoutables et beaucoup plus perverses. À y
réfléchir de plus près, entre massacrer un homme pour
obtenir le pouvoir ou le détruire à petit feu, au fil des
années, pour obtenir un poste au sommet de la
hiérarchie, quelle est la méthode la plus perverse ? Ainsi,
de nos jours, ces sadiques ont le plaisir d’observer leur
proie dépérir lentement, comme un chat qui s’amuse
avec la souris avant de la dévorer vivante, et qui se
délecte ensuite de ce triste plaisir.
- Je ne comprends pas le message que tu veux me faire
passer…
- Étudie les textes sacrés, les manuscrits anciens, et
apprends à te connaître, alors tu comprendras !
- Reverrai-je Thot ?
- Seul lui le sait, ajouta Sekhmet.
- Tu sais tellement de choses, ne doutes-tu jamais ?
- L’homme demeure perpétuellement dans le doute. Si
je ne doutais pas, je serais comme Thot.
- C’est-à-dire ?
- Une source d’énergie, et mon corps ne serait plus une
barrière.
164
- J’avoue que tout cela me dépasse. Peut-être qu’avec
le temps, je comprendrai ton discours. Il se fait tard, je
dois rentrer. On se voit ce week-end, alors ?
- S’il n’y a pas de missions, je viendrai faire un petit
tour à Saint-Paul », rétorqua Sekhmet, radieuse, en
déposant un doux baiser sur son front.
Dans sa voiture, tout en conduisant, Stephan repensait
à la cérémonie. La présence de Thot et l’état alarmant
d’Isis… tout cela n’était pas un bon présage. Il n’arrivait
pas à faire disparaître cette angoisse qui lui collait à la
peau.
Il augmenta le volume de la radio pour chasser les
terribles pensées qui l’assaillaient. Subitement, le visage
de la belle Sekhmet traversa son esprit. Il avait envie de
la serrer très fort contre lui, et de l’embrasser
langoureusement. Lorsqu’ils étaient ensemble, il se
sentait en paix. La belle blonde aux yeux vert émeraude
réchauffait son cœur malade.
165
15
Sekhmet se leva de bonne humeur. Elle se sentait si
légère en pensant à Stephan. En ouvrant les volets de sa
chambre, elle respira à pleins poumons l’air frais de ce
doux matin d’octobre. Le soleil venait de se lever et le
paysage prenait une teinte jaune orangé. Les herbes et
les feuilles perdaient leur couleur vert Véronèse,
l’automne s’installait lentement. Tandis qu’un merle
tentait d’attraper un morceau de nourriture, un vieux
chat sauvage l’observait, camouflé derrière un buisson,
prêt à bondir. La déesse lionne fixa le félin intensément,
et ce dernier détala à toute allure à travers le jardin,
terrifié.
De sa fenêtre, elle pouvait contempler le fort SaintAndré, perché en haut de la colline. En montant au
deuxième étage, elle pouvait même admirer la tour
Philippe le Bel et le palais des Papes. Sekhmet habitait
Villeneuve-lès-Avignon depuis son plus jeune âge. À la
mort de ses parents, elle était restée dans l’ancienne
maison familiale par nostalgie. L’été, ses amis venaient
prendre le thé, à l’ombre du grand platane, assis sur de
gros blocs de pierre. Tous lui enviaient ce lieu
paradisiaque où, en plein centre-ville, elle possédait un
magnifique jardin à côté du marché provençal.
Le samedi, elle chinait au milieu des brocanteurs, à la
recherche de vieux meubles à restaurer, et le jeudi matin,
166
elle achetait les produits régionaux aux paysans du coin
pour préparer ses étranges mixtures. La vie de la belle
blonde ressemblait à celle d’une princesse car ses
parents lui avaient laissé un gros héritage qui la mettait à
l’abri du besoin pour les années à venir.
Vers 9 heures, alors qu’elle buvait un café en écoutant
les informations, elle connecta sa deuxième puce de
téléphone cellulaire qui lui permettait de rester anonyme.
La puce n’était associée à aucun nom, et elle la
rechargeait avec une banale carte téléphonique, achetée à
n’importe quel buraliste.
Sekhmet sursauta. Set lui avait laissé un message. Il
invitait les trois amies à la soirée d’Haton. Un frisson la
parcourut des pieds à la tête. Paniquée, elle appela
aussitôt Isis, Bastet et Amémet. Une fois qu’elle eut mis
tout le monde au courant, elle contacta Stephan, le cœur
battant la chamade. Lorsqu’il sut qu’elle était invitée, il
frémit.
« Je ne pourrai pas être à l’intérieur du château, mais
je te surveillerai de l’extérieur. Si par malheur il y en a
un seul qui pose la main sur toi, je ne réponds pas de ma
réaction, rumina Stephan, en colère.
- Arrête, je sais me défendre, ne sois pas sot ! Calmetoi ! Tu risques de faire foirer la mission.
- Ça m’énerve… Je ne sais pas pourquoi ! Je crois
que…
- Je sais… Moi aussi… Ça me fait peur, mais c’est
tellement agréable. Tu me manques…
- Vivement que cette mission se termine et qu’Haton et
ses complices aillent au diable.
- Neutrino est toute ma vie. Osiris et Isis sont la seule
famille qui me reste. Je tenterai tout pour eux car ils ont
été présents dans les moments les plus difficiles.
167
- Cette nuit, nous jouons nos dernières cartes. Après,
Amon transmet l’affaire à son ami commissaire. Nous
devons coincer tout le monde ! Pourvu que tout se
déroule sans problème et que nous puissions sauver ces
pauvres filles.
- N’aie aucune crainte, tout va se dérouler comme
prévu. Ce n’est pas notre première affaire.
- Bonne chance pour ce soir, et n’oublie pas que nous
sommes là… Bisous ma princesse. »
Vingt et une heures. Bob Martinez, les cheveux laqués,
un havane à la bouche et vêtu d’un magnifique costume
noir, ouvrait la porte du Lys. Bremond et Rouel
l’attendaient à une table au fond de la salle. Face à eux,
la sublime Jade ondulait son corps dans un rythme
endiablé.
« Prêt pour une soirée de folie ? demanda Bremond,
les yeux brillants.
- Comme toujours !
- As-tu l’argent ? Je dois donner sa commission au
patron du Lys. Maintenant que nous sommes en bizness,
je peux te dévoiler qu’une partie des filles couchent ici
et que nous lui reversons un salaire.
- Voilà les billets, il y a le compte ! Les filles sont ici ?
Mais… dans des appartements privés ?
- Bien évidemment ! Le patron du Lys possède tout
l’immeuble. Il héberge une dizaine de filles venues de
l’Est, de sublimes demoiselles au corps parfait. C’est un
de nos collaborateurs qui se charge de la sélection. Il
habite en Espagne et va jusqu’à l’autre bout du monde
pour dénicher les perles rares. Avec mon associé, nous
avons décidé de travailler avec les Espagnols. Au
moindre problème, nous filons là-bas, vers Barcelone. Il
ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier.
168
Puis par expérience, je peux te dire qu’il faut savoir tout
abandonner quand le moment est venu.
Dans la voiture, assis entre le Corse et Patrick,
Stephan contenait sa colère en écoutant les propos de
Bremond.
- Quelle ordure ce type. Vous avez entendu comment
ils exploitent ces pauvres filles. S’il touche un seul
cheveu de Sekhmet, je le décapite !
- Calme-toi, nous devons rester tranquilles, ne t’énerve
pas », intima Patrick, imperturbable.
Jade se déhanchait autour de Bob, comme un serpent
démoniaque. Déchaînée, elle posa sa jambe sur son
épaule en retirant son bas.
« Tu en veux encore mon chéri ? Glisse un billet entre
mes seins, et tu découvriras le paradis, proposa Jade,
docile.
Bob plaça un billet de cinquante euros au creux de
l’opulente poitrine de la belle danseuse qui retira sa robe
de cuir. Vêtue uniquement d’un soutien-gorge et d’un
string rouge vif, elle se frottait contre Bob.
C’est le gérant du Lys qui avait découvert la sulfureuse
brune au fond de la Toscane, alors qu’elle avait à peine
16 ans. Dix ans plus tard, la jeune adolescente était
devenue cette superbe femme plantureuse, la mascotte
du Lys. Ses longues jambes interminables, sa crinière
brune et ses grands yeux en amande : elle avait ce
charme italien qui enlève toute lucidité aux hommes.
Son petit accent était la touche finale à cette œuvre du
Créateur. Nombreux sont ceux qui ont succombé à cette
beauté ! Tel le Sphinx protégeant les pyramides, elle
était la gardienne du Lys.
169
Elle ôta son soutien-gorge et promena ses seins sur le
visage de Bob. Ensuite, elle laissa glisser son string le
long de ses jambes.
- Tu veux qu’on prenne une chambre ? demanda-t-elle
avec un regard de braise.
Bremond se leva aussitôt et lui dit :
- Laisse-nous à présent, nous devons parler affaires !
Rageuse, elle partit se déhancher dans la cage en jetant
un terrible regard à Bremond.
- Quel tempérament celle-là ! Elle est pénible quand
elle réagit comme ça. De toute manière, ce n’est qu’une
allumeuse, elle ne va jamais plus loin.
- Ah bon, pourquoi donc ?
- Tout simplement parce que c’est la préférée du
patron, et il se réserve le choix de ses partenaires.
Bob blêmit. Inquiet, il jeta un coup d’œil furtif en
direction du bar. Heureusement, le directeur s’occupait
d’un couple qui venait d’arriver. Rouel éclata de rire et
ajouta :
- Ne fais pas cette tête, ils sont échangistes. Tu n’as
rien à craindre. Elle arrondit ses fins de mois en faisant
quelques numéros de striptease.
- Kelly, dépêche-toi, apporte le champagne, tu as
encore oublié de nous servir, intima Bremond à une belle
blonde.
Immédiatement, la superbe créature courut chercher la
bouteille.
- Voilà monsieur Bremond. Excusez-moi, j’avais
complètement oublié de vous l’apporter…
- Kelly, tu oublies les bonnes habitudes, fais attention.
Tu sais qu’il y a beaucoup de filles qui aimeraient avoir
ta place…
- Oui je sais, pardonnez-moi monsieur Bremond ! Je
n’oublierai plus.
- Bien ! Laisse-nous à présent.
170
- Je pense que Bob a le droit de rencontrer nos petites
protégées maintenant, non ? suggéra Rouel.
- Bob, ça te dirait de voir les filles et de choisir celle
avec qui tu passeras la soirée ?
- Euh… Oui, bien sûr !
- Buvons nos coupes de champagne, et direction l’île
de Circé. Attention au chant des sirènes mes chers
collègues ! » reprit Rouel, très excité.
Tandis que Jade poursuivait son show devant de
nouveaux clients séduits par les charmes de la belle
Italienne, Bob, Rouel et Bremond terminaient la
bouteille de champagne. L’œil brillant et la tête lourde,
Rouel appela le patron.
« Angelo, tu peux dire à Kelly de nous apporter une
autre bouteille de champagne, s’il te plaît ?
- Je mets la mienne ! Kelly, dépêche-toi, viens ici !
J’ai besoin de toi pour le service ! hurla Angelo, en
colère.
La jeune blonde se trémoussa devant son patron
comme pour se faire excuser son retard. Souriante, elle
lança naïvement :
- Encore un client qui ne voulait plus me lâcher, tu sais
comment ils sont. Ah la la…
- C’est ça, arrête ton cinéma, et amène-moi ça là-bas,
vite, rumina Angelo.
- Mais je ne vous mens pas, protesta-t-elle.
- Kelly, tais-toi !
- Mais… je…
- Kelly, on ne te demande pas de parler ! Tu montres
ton cul et tu prends la commande des clients, ça suffit
amplement. Apporte-nous cette putain de bouteille de
champagne, merde ! vociféra Bremond.
171
La jolie serveuse baissa la tête comme une petite fille
qu’on venait de gronder, et déposa la bouteille sur la
table sans ouvrir la bouche. Honteuse, elle partit
rapidement s’occuper des autres clients.
- Heureusement qu’elle use de ses talents avec Angelo,
sinon ça fait un moment qu’elle aurait giclé celle-là !
- Elle aussi ? dit Bob, stupéfait.
- Tu crois quoi ? C’est le patron, il fait ce qu’il veut !
Stephan serrait les poings en faisant des bonds sur son
siège. Au bord de la crise de nerfs, ulcéré, il avait envie
de donner une bonne correction à ces monstrueux
individus.
- Arrête de t’énerver, maîtrise-toi, gronda Patrick,
agacé par le comportement de Stephan.
- C’est inadmissible, tu entends leurs propos ? Ils
parlent de ces filles comme de la nourriture.
- Laisse faire, la roue tourne, et lorsque le moment
sera venu, ils le payeront très cher, ajouta le Corse
calmement.
- Ces hommes ne méritent pas de vivre ! rétorqua
Stephan.
- Tiens, c’est nouveau ! Je croyais que tu étais contre
le crime ? s’exclama le Corse, étonné.
- J’ai changé d’avis. Ils traitent les filles comme de la
viande. Ils les frappent, les droguent, abusent d’elles et
les cloîtrent dans un vieil immeuble d’Avignon. Ils ont
pleinement conscience de leur tyrannie, par conséquent,
ils méritent la peine capitale. La loi du talion : œil pour
œil, dent pour dent !
- Osiris a décidé que la peine capitale ne serait plus
appliquée. Ces derniers temps, il est très proche du
préfet et des commissaires… Avec Maât et Amon, lors
de la dernière réunion, ils ont finalement décidé à
l’unanimité que le niveau 1 ne serait ordonné qu’en
dernier recours ! » annonça Zibus.
172
Ivre, Rouel se leva et tituba à travers la salle en criant
à Angelo :
« Alors, tu nous ouvres la porte magique ! Nous
voulons voir les jolies Hongroises.
- Tais-toi un peu, ne parle pas si fort, les clients vont
entendre.
Bremond, agacé, attrapa Rouel par le col de sa
chemise.
- Tu es devenu fou ? Calme-toi, tu vas nous faire
remarquer.
- Nous y allons ou on couche ici ? ajouta-t-il, les yeux
globuleux et la respiration saccadée.
Bremond fit un geste de la main et Bob se leva
aussitôt. Discrètement, ce dernier suivit les trois hommes
dans un long couloir éclairé par un vieux lustre des
années soixante.
- C’est plutôt sombre…
- Pour la discrétion, signala Angelo.
L’Italien déverrouilla une porte blindée qui débouchait
sur un long couloir.
- Voici l’Éden, ouvre grand les yeux car tu vas
découvrir les merveilles de ce monde, annonça Rouel en
pleine extase.
- Tu veux voir toutes les filles ? demanda Bremond en
relevant les sourcils.
Bob acquiesça, et Angelo ouvrit les portes de chaque
studio, où résidaient les jeunes femmes. Elles logeaient
par groupes de deux, dans des pièces plutôt
rudimentaires.
- Alors ? Elles te plaisent les poupées ?
Deux jeunes Ukrainiennes, l’une blonde, l’autre brune,
allongées sur des petits lits en bois, se reposaient en
écoutant de la musique. Elles ressemblaient à ces jeunes
mannequins anorexiques que l’on peut admirer dans les
173
magazines de mode. Une très grande tristesse pouvait se
lire sur leur visage d’ange.
- Très jolies…
- Tu veux voir les autres ?
- Allez…
Angelo claqua la porte et ouvrit le deuxième studio.
- Voici les Hongroises, elles sont sublimes. Admire
leur corps parfait ! Ce sont mes préférées !
- De vraies déesses, répliqua Bob sous le charme.
- Szeréna, souris un peu, et arrête de faire cette tête de
chien battu. Et toi Irina, tu te dépêches ? C’est quoi cette
tenue ?
La belle Irina laissa glisser sa serviette le long de son
corps et se retrouva nue devant ses tortionnaires.
- Ce soir, c’est une soirée très importante, il y aura nos
plus gros clients, alors habille-toi sexy.
Elle baissa la tête et s’exécuta aussitôt. Szeréna, quant
à elle, semblait ailleurs et avait l’air très fatigué.
Rouel et Bremond dévisageaient les pauvres filles
comme du bétail. Habituées, elles n’y prêtaient même
plus attention.
- Szeréna n’a pas l’air bien, remarqua Bob.
- Un petit coup de pompe, ça passera !
- Elle est très mince… Vous croyez qu’elle mange
assez ?
- Bien sûr, elles ont droit à du thon, des carottes, de la
salade… Puis, tu sais, elles n’ont pas besoin de
beaucoup manger, les clients n’aiment pas les filles
enrobées.
Bob, ému par le regard si sombre de la jeune femme,
décida de la choisir.
- Je veux Szeréna pour la soirée, lança Bob, décidé.
En entendant son prénom, la belle Hongroise releva la
tête. Ses yeux étaient d’un magnifique vert émeraude, et
sa chevelure blonde platine flottait le long de son dos.
174
- Allez, debout, dépêche-toi, intima Bremond en lui
tapant sur les fesses.
Szeréna obéit et se leva instantanément. Elle
ressemblait elle aussi à ces mannequins que l’on peut
observer lors des défilés de haute couture. Grande et
longiligne, face à elle Bremond ressemblait à un vilain
crapaud.
- Voilà, elle est à toi pour la nuit, amuse-toi bien. Il est
déjà 22 heures, nous devons nous rendre au château de
notre hôte. Dépêchons-nous, tu découvriras les autres
princesses la prochaine fois ! »
175
16
Set avait donné rendez-vous à Sekhmet et ses amies au
château d’Haton. Il les attendait avec impatience devant
le portail de l’entrée principale en compagnie d’Haken.
Elles arrivèrent à 21 heures précises.
« Pile à l’heure, les filles ! Je vous félicite pour cette
ponctualité ! s’exclama Set.
- Je gare la voiture à l’intérieur ou je la laisse dehors ?
demanda Sekhmet d’une voix chaude et suave.
- Un de mes hommes va s’en occuper. Jess ! Viens par
ici, dépêche-toi ! hurla le fils d’Haton en secouant le
bras.
Un grand type blond, les muscles saillants et le visage
patibulaire, arriva en courant.
- Gare la voiture ! intima Haken.
Les jeunes femmes sortirent du véhicule avec
beaucoup de grâce et suivirent Haken en direction du
château.
- Tu ne nous as toujours rien dit, c’est quoi cette
soirée ? demanda Amémet, curieuse.
- Tu verras… rétorqua Set en souriant.
- C’est une soirée privée ? lança Sekhmet en jetant sa
longue chevelure blonde en arrière.
- Vous êtes curieuses les filles, ce sera une surprise,
ajouta Haken, amusé.
176
Haton était devant l’entrée du château, un verre de
whisky à la main, et discutait avec un type à l’allure
étrange. Lorsque Sekhmet l’aperçut, son sang se glaça.
- Voici mon père ! Papa, je te présente mes copines
dont je t’ai parlé hier.
Enchanté
de
faire
votre
connaissance
mesdemoiselles, lança Haton en inspectant les filles de
haut en bas comme du bétail.
Le directeur s’avança et salua les splendides déesses.
Elles eurent toutes les trois la même réaction de dégoût
en lui serrant la main. Tout en lui semblait mauvais.
- Mon fils ne m’avait pas menti, vous êtes vraiment
magnifiques !
Sekhmet détaillait Haton. Vu de près, il était encore
plus horrible que sur les vidéos. Petit, gros, le visage
allongé, il était hideux. Heureusement pour lui, son fils
devait avoir hérité de sa mère car il était grand et mince.
Cependant, il avait le même visage allongé de son père :
la gueule caractéristique de la famille Haton.
- Rejoignez les invités, un buffet est servi dans le
salon. Je vous rejoindrai plus tard, j’ai une affaire à finir.
- Nous serons peut-être à l’étage », rétorqua son fils
avec un regard de fouine.
Son père ne répondit pas mais esquissa simplement un
sourire qui en disait long.
Dans le salon, une vingtaine d’invités savouraient des
toasts au caviar, une coupe de champagne à la main. Aux
bras des hommes d’affaires fortunés, il y avait de jeunes
femmes au teint clair, avec de longs cheveux blond
platine.
« Il y a tout le gratin de la région, lança Haken en
désignant les convives.
177
- Ils sont tous millionnaires ? reprit Sekhmet en
rentrant dans son jeu.
Haken sourit à nouveau.
- Oui, ce sont eux qui possèdent les plus grosses
entreprises de la région. Et même du Sud de la France…
- Leurs épouses sont magnifiques, ajouta Amémet, le
regard perçant.
- Euh… ce ne sont pas vraiment leurs compagnes.
C’est… Comment dire ? Des dames de compagnie ! Ils
ont tellement de responsabilités, il faut qu’ils
décompressent.
- Je comprends, ça doit être si dur…
- Ah, enfin une femme qui a l’esprit ouvert !
s’exclama Set.
- Ce sont des call-girls, pour employer le mot exact,
reprit Bastet qui n’avait pas encore ouvert la bouche de
la soirée.
- Call-girls… Pas vraiment, je ne sais pas trop quel
terme précis on pourrait employer.
- Call-girls, tout simplement ! affirma Bastet.
- Alors nous avons aussi des show-girls, puisque
certaines ne font que des shows érotiques dans la cage !
répliqua Set en riant à pleins poumons.
- Bon, vous buvez quoi les filles ?
- Champagne ! » reprirent en chœur les trois déesses.
Tandis que Set et Haken discutaient avec Amémet et
Bastet, la déesse lionne dirigeait discrètement sa caméra
miniature dissimulée sous sa veste, en direction des
invités. Pivotant d’un demi-tour, elle filmait les mains
baladeuses des riches industriels qui glissaient le long
des jupes. Dociles, les jeunes femmes cambraient leur
buste. Soumises, elles ne refusaient aucune caresse et
entrouvraient même leur décolleté.
178
À une centaine de mètres du château, camouflés
derrière un bosquet, les membres de Neutrino
surveillaient l’entrée principale. Mustang, à l’avant du
véhicule, l’ordinateur portable sur ses genoux,
réceptionnait le signal que lui transmettait Sekhmet. En
temps réel, il compressait la vidéo, et Zibus la renvoyait
directement à Amon.
« Tu n’as pas peur qu’un haker, ou n’importe qui,
puisse retrouver celui qui transmet les données ?
demanda Stephan.
- Ils ne pourront pas voir mon adresse IP. J’utilise un
logiciel dont j’ai moi-même développé l’algorithme, et
qui me permet de découper le signal en plusieurs
paquets, tout en passant par plusieurs proxys.
- Cette semaine, les hommes d’Armand prennent la
relève. Avec tout ce qu’on va leur fournir comme
preuves, Haton n’est pas près de sortir de prison ! dit
Mustang.
- Je viens de lui transmettre la vidéo que Bob a filmée
au Lys. Notre cher Angelo recevra une petite visite de la
police très bientôt. Quant à Haton, il devra oublier son
célèbre Lady Blue… conclut Zibus.
Stephan observait le moniteur tout en écoutant la
conversation de Sekhmet. Tel un lion en cage, il était
prêt à bondir sur sa proie si quelqu’un touchait sa
protégée.
- Si jamais ça se passe mal, j’interviens ! ragea-t-il en
serrant la crosse de son Sig Sauer P 226.
- Tu ne feras rien du tout, elles se débrouillent seules,
gronda le Corse qui balayait les alentours avec sa visée
nocturne.
- Tu ne comprends rien toi ! À part tes armes et le
combat, il n’y a rien d’autre dans ta vie, rétorqua
Stephan, agacé.
179
- Il y a Neutrino, et c’est déjà beaucoup. Grâce à nous,
de jeunes adolescents ne tombent pas dans l’enfer de la
drogue et des jeunes filles évitent la prostitution.
Stephan baissa la tête et comprit qu’il était allé trop
loin.
- Excuse-moi, je parle comme un imbécile.
- Ce n’est pas grave, tout le monde peut craquer. Nous
avons tous nos moments de faiblesse. »
Bob arrivait enfin au château en compagnie de la belle
Szeréna, tandis que Rouel serrait contre lui Irina, vêtue
d’une tenue très sexy. Elle portait un haut noir moulant
qui laissait entrevoir sa généreuse poitrine, une minijupe
en cuir et des cuissardes. Les deux Hongroises n’avaient
pas du tout le même comportement. Irina s’accommodait
plutôt bien de ce rôle de garce soumise tandis que
Szeréna semblait profondément triste. Son regard
trahissait un immense chagrin.
Bremond, un cigare à la bouche, marchait en tête de
file. Lorsqu’il pénétra dans la salle de réception, il salua
chaque invité par son prénom. Haton s’approcha des
nouveaux venus.
« Bob Martinez, je présume ?
- Oui, lui-même !
- Enchanté, Bremond m’a déjà parlé de vous ! J’espère
que vous allez passer une agréable soirée en compagnie
de nos charmantes créatures.
- Je vous remercie de m’inviter dans un tel palace.
- Vous êtes ici comme chez vous, le château est à votre
disposition. Je suis désolé, mais je ne peux pas rester
plus longtemps. Je dois rejoindre ma femme à Marseille.
Nous aurons l’occasion de nous revoir. Bonne soirée !
- Merci monsieur Haton, bonne soirée à vous aussi.
180
Le directeur tourna les talons et disparut dans la pièce
voisine. Haton pouvait être le pire des prédateurs face à
ses adversaires mais devant ses associés, il devenait un
autre homme. Son faciès méprisant et ses yeux de vipère
s’adoucissaient. Au moment opportun, il savait user d’un
charisme insoupçonné, au point que même ses
collaborateurs les plus proches ne le reconnaissaient
plus.
- Si nous passions aux choses sérieuses ? lâcha Rouel,
impatient.
- Ce soir pas de bêtises, tu n’abuses pas des filles du
Lady, je ne veux plus de violence.
- Tu me connais.
- Oui, c’est d’ailleurs pour ça que je te préviens.
- Les Russes du Lady Blue représentent la basse classe,
de simples passe-temps, rien de plus ! Ce n’est pas
comme les filles du Lys… Regarde ma belle Irina, une
vraie princesse hongroise !
Bob écoutait Rouel, abasourdi. Il y avait donc
plusieurs catégories de filles… Celles du Lys devaient
être certainement des call-girls, quant à celles du Lady
Blue, elles assouvissaient les fantasmes les plus
bestiaux. Dans quelles conditions ces abominables
tyrans retenaient-ils ces pauvres filles prisonnières ?
Haton avait créé au fil des années, en toute illégalité, un
système bien rodé et très lucratif. Hésitant, Bob
demanda :
- Une dernière question… Les Russes du Lady Blue
sont-elles parmi les invités ?
- Bien sûr que non, elles attendent sagement aux
étages que leurs fougueux étalons viennent les dompter,
répondit Rouel, sarcastique.
- Mais pourquoi donc ?
181
- Les plus jolies filles sont ici, aux bras des invités.
Les autres servent simplement à assouvir les fantasmes
primaires.
- Quel genre de fantasmes ?
- Hum… Sado-masochisme, bondage… Ils les
attachent, et parfois les violentent un peu…
- Les violentent un peu ? s’exclama Bob, terrifié.
- Juste quelques bleus, quelques ecchymoses, rien de
bien méchant ! Tu sais, si elles étaient restées en Russie,
leur vie aurait été bien plus difficile. À Marseille, elles
n’ont peut-être pas une vie bien agréable, mais elles ont
un toit et de la nourriture. Si tu le souhaites, au
deuxième étage, nous te ferons découvrir la cage.
Bob accepta puis ajusta la caméra vidéo miniature, et
répondit :
- Je suis de nature curieuse. Puis-je simplement être
spectateur ?
- Voyeur… Bien évidemment mon ami, ajouta Rouel
en lui lançant un clin d’œil complice.
- Vous montez à l’étage ? demanda Bremond.
- Allons-y ! » rétorqua Rouel.
Bob les suivit, laissant les autres invités dans le grand
salon, mais toujours en prenant soin de filmer chaque
visage lorsqu’il en avait la possibilité.
À l’étage supérieur, il visita les pièces où chacun
pouvait s’isoler en toute intimité.
« Voilà ta chambre, annonça Bremond.
- Quel luxe ! C’est magnifique.
- Il faut bien ça pour nos invités.
- Viens avec moi quelques instants, je vais te faire
visiter la salle des fantasmes… ajouta Rouel.
- Moi, je vous laisse…
182
Bremond attrapa la main d’Irina et disparut dans la
chambre voisine, laissant Szeréna toute seule.
Au dernier étage, Rouel poussa une lourde porte en
bois. Un homme, habillé en latex noir des pieds à la tête
et muni d’une cravache, se trouvait au milieu de la
grande cage en acier. Trois filles, solidement attachées
contre les barreaux, hurlaient de douleur à chaque
punition.
- Svetlana, vilaine fille, pourquoi as-tu été méchante
aujourd’hui ? criait l’homme en lui assenant un bon coup
sur les fesses.
- Mmmm, Mmmm… hurlait la fille, mais un bandeau
sur sa bouche étouffait ses cris.
À la vue des deux hommes, le bourreau se redressa et
ôta son masque en latex. Excité, il arracha les vêtements
des pauvres filles qui se retrouvèrent complètement
nues. Leurs fesses, leurs jambes, leurs bras étaient
marqués par la violence des coups. Elles éprouvaient
beaucoup de difficulté à se tenir debout. Rouel ferma la
porte et l’homme, qui venait de se dénuder à son tour,
sourit à nouveau. Les mains tremblantes, Bob ajusta sa
veste pour filmer la scène.
À l’intérieur de la voiture, Stephan sursauta en
visualisant la vidéo en temps réel, sur le deuxième
moniteur.
- Merde, l’enfoiré ! Ce sale petit enfant de putain !
hurla Stephan, hors de lui.
Zibus et Mustang, qui s’occupaient de traiter le signal
vidéo de Sekhmet, s’arrêtèrent net et scrutèrent l’écran
de leur collègue.
- Qu’y a-t-il encore ? Pourquoi tu hurles comme ça ?
demanda Zibus, paniqué.
- L’homme…
- Quoi, qu’est-ce qu’il a ?
183
- C’est le même que la dernière fois, vous ne vous
rappelez pas ?
- Euh… Non, pas vraiment ! Qui est-ce ?
- Le PDG d’EEAI…
- Le big boss de ta boîte ? demanda Mustang, les yeux
écarquillés.
- Oui, lui en personne !
Zibus sourit et se frotta les mains.
- Parfait, quelle aubaine ! Envoie-moi ton acquisition,
je vais retravailler le signal vidéo et le balancer à Amon.
- C’est quand même fabuleux la technologie. Il y a
vingt ans, nous n’aurions jamais pu réaliser un tel
exploit, s’étonna Stephan.
- Mouais… Le revers de la médaille, c’est que
maintenant, fini l’anonymat ! Partout où nous allons,
nous sommes tracés : Internet, les banques, nos achats…
Sans parler des caméras vidéos en ville, et des futurs
appareils de biométrie. Je vous le dis sincèrement, ça va
se retourner contre nous, ragea le Corse qui venait de
passer la tête à travers la fenêtre du véhicule.
Stephan frappa son siège du revers de la main.
- Il va me le payer, l’ordure !
Le PDG, sous le regard des spectateurs, cambra
Svetlana et la pénétra sauvagement. Un son étouffé sortit
de sa bouche, et une larme glissa le long de sa joue. Le
seul plaisir qu’il prenait vraiment, c’est lorsqu’il lui
assenait des coups de cravache. La pauvre Russe,
soumise, se laissait frapper sans rien dire. Après avoir
assouvi ses fantasmes, il poussa le vice à son paroxysme
en obligeant Svetlana à infliger des sévices, telle une
tortionnaire, à ses propres collègues. Bob ne supportait
plus de voir un tel spectacle. Il était prêt à bondir sur cet
infâme individu pour lui ôter sa cravache et lui en mettre
un bon coup derrière les oreilles, mais il savait que la
vidéo lui serait d’une plus grande utilité.
184
Après avoir assouvi son dernier fantasme, le bourreau,
épuisé par la séance de sexe intensif et bestial, s’affala
sur le sofa, mais en ayant pris soin auparavant de
détacher ses victimes. Les jeunes filles titubaient en se
frottant les fesses. Les poignets marqués par les
menottes, elles s’afféraient autour de cet infâme
personnage. Svetlana lui servit une coupe de champagne
tandis que les deux autres massaient le PDG qui
savourait un bon cigare.
Rouel lança un clin d’œil et l’autre répondit
simplement en levant le pouce.
- Tu as aimé la séance ? demanda-t-il, satisfait, à Bob.
- Oui… Plutôt instructive !
Rouel éclata de rire une fois de plus et claqua la porte
en ajoutant :
- À nous de nous amuser maintenant ! Szeréna, ce
n’est pas une furieuse au lit. Si le cœur t’en dit, tu peux
toujours nous rejoindre avec Irina.
- Euh… Non, merci, ça ira… Une fille ça me suffit
largement.
Rouel laissa Bob en compagnie de Szeréna et se
dépêcha de rejoindre son acolyte dans la chambre
voisine. Timidement, Bob ferma la porte et se trouva
face à la splendide Hongroise. Ses yeux vert émeraude
l’hypnotisaient. Comment expliquer à la jeune femme
qu’il n’attendait rien d’elle ? Devait-il lui dire qu’il était
ici pour la délivrer ? Immobile, face à elle, il n’osait pas
ouvrir la bouche. Szeréna commença à se dévêtir.
Confus, il lui cria :
- Non… n’enlève pas tes vêtements ! Je ne suis pas là
pour ça, bredouilla Bob, embarrassé.
- Que veux-tu faire à moi ? Tu veux faire chose
bizarre ? demanda Szeréna dans un français laborieux.
185
- Non plus, je veux simplement t’aider en te sortant de
cet enfer, mais tu ne dois rien répéter. Tu me le
promets ?
Bob décida de tout dévoiler à la jeune Hongroise.
- Tu veux aider moi ? Je retrouver famille ?
- Tu souhaites revoir ta famille ?
- Oui, moi triste… Loin de famille, et Angelo très
méchant !
- Ne t’inquiète pas, bientôt tu seras libre.
La belle Hongroise retrouva le sourire et l’embrassa
tendrement sur la joue.
- Tu ne dois parler à personne de ce que je viens de te
dire, et surtout pas à tes copines, tu me le jures ?
- Oui, je te le promettre, rien dire !
- Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre
mais je vais te sortir de là.
- Szeréna patiente ! » s’exclama la jeune femme avec
un visage radieux.
Au même moment, dans une chambre voisine, allongé
sur un grand lit à baldaquin, Haken effleurait le visage
d’Amémet tout en observant Set qui serrait les filles
dans ses bras musclés.
Le fils d’Haton se leva et s’exclama :
« Eh… les filles, si vous nous faisiez un show ?
- Un show… Quel genre de show ? demanda Amémet
d’un regard malicieux.
- Un peu érotique… dénudé, une danse au rythme
endiablé. J’aimerais voir ton corps onduler autour de
moi…
- Érotique, dénudé… Tu ne vas pas être déçu ! ajoutat-elle en enlevant son haut moulant et en le jetant à
travers la pièce.
- Encore ! hurla Set, surexcité.
186
Amémet dégrafa sa minijupe qui glissa le long de ses
jambes, et se débarrassa rapidement de ses longues
bottes noires. D’un mouvement souple, elle déplia la
jambe droite tout en faisant glisser son bas, puis fit de
même avec la jambe gauche. En quelques secondes, elle
se retrouva en petite tenue et frotta sa poitrine contre le
torse d’Haken qui nageait en pleine extase. Ses yeux
bleus pétillaient, et sa crinière brune ondulait au rythme
de ses déhanchements. Magnétisé par cette danse
endiablée, Set en oubliait Sekhmet et Bastet. Bouche
bée, les yeux écarquillés, il hurlait :
- Hummm, vas-y, encore ! Oui… Vas-y, bouge !
Amémet caressait sa poitrine en se déhanchant. Les
deux complices ne la lâchaient plus du regard, ils étaient
hypnotisés.
- Vous en redemandez ?
- Oui, encore, encore ! répondirent en chœur les deux
hommes.
- D’accord, mais à une condition : vous devez me
fournir de quoi passer une excellente soirée.
Haken se redressa. À genoux sur le lit, il baissa son
pantalon jusqu’au bas des cuisses. Dans un large sourire,
il écarta les bras en lançant :
- Voilà, amuse-toi !
Amémet le repoussa vigoureusement.
- Non… Tu n’as rien compris ! Ce n’est pas du tout ce
que je veux. Set… Tu le sais, toi, ce qui me ferait plaisir,
hein ?
Set esquissa un sourire et ouvrit aussitôt la grande
armoire en chêne. Il enfouit ses mains à l’intérieur et
sortit une grosse mallette noire qu’il déposa sur le lit.
Entre les liasses de billets, se trouvaient des petits
sachets en plastique.
- C’est ça que tu veux, n’est-ce pas ?
187
Amémet lança un regard approbateur et hocha la tête.
Set inspira un coup sec, déchira un des sachets, attrapa le
plateau d’argent sur la table de chevet et y déposa la
poudre blanche en l’offrant à la magnifique brune.
Le paquet de cigarettes, posé sur le bureau,
transmettait les images dont Zibus faisait l’acquisition.
Les membres de Neutrino étaient satisfaits car ils avaient
réussi leur mission. Seul Stephan avait le regard sombre
en observant sa protégée aux bras de ces crapules.
- Les enfoirés, quelle bande d’ordures ! dit Stephan,
s’arrêtant net, sans terminer sa phrase.
Bouche bée, il avança la tête en direction de
l’ordinateur, et son nez toucha presque l’écran. Tétanisé,
il ne parlait plus. La bouche grande ouverte, les yeux
fixes, il ressemblait à une statue grecque.
- Ça ne va pas ? Qu’est-ce qu’il t’arrive Steph ?
demanda Zibus, inquiet, en lui tapant sur l’épaule.
- Là, regarde… c’est…
- Mais parle donc, qu’est-ce qui t’a mis dans cet état ?
- Thot… On aurait dit Thot, dans le coin de la pièce, à
côté de l’armoire…
- Thot ? reprit Mustang, étonné.
- Oui, je suis persuadé que c’était lui, le masque en
forme d’ibis ! Il s’est volatilisé sous mes yeux !
Incroyable !
Mustang, perplexe, se frottait le crâne. Zibus, quant à
lui, paraissait moins étonné.
- Thot est un personnage énigmatique que personne ne
connaît vraiment. J’ai souvent essayé d’en discuter avec
Tibère et Osiris, mais ils n’en savaient guère plus. Ils
m’ont simplement répondu : “Thot est l’éternel, le
maître du temps, et le scribe du monde ! Le grand
magicien !”
- Je veux bien, mais comment a-t-il fait pour se
retrouver dans le château ? Comment est-il entré dans la
188
chambre sans que personne ne puisse l’apercevoir ? Et
surtout, pourquoi se trouve-t-il ici ?
- Tout ce que je peux de répondre, c’est qu’il y a
quelques années, Thot est venu à la rencontre d’Osiris
pour le guider, et il savait beaucoup de choses sur
Neutrino. Il lui a donné de précieux conseils ainsi que
des détails sur l’avenir. Osiris nous a toujours dit : “Thot
est le scribe de l’éternel.” Mais en restant toujours
discret, et sans rien dévoiler.
- Le scribe de l’éternel… reprit Stephan, songeur.
- Oui, d’après Osiris, il maîtriserait le temps ! Il
serait les yeux et les oreilles de ce monde…
- C’est de la mythologie tout ça. Nous sommes dans la
réalité ! Arrête de débloquer ! Osiris et Isis sont
enfermés dans leur monde féerique.
- Et les pouvoirs de Sekhmet et d’Isis ? C’est de la
mythologie aussi ?
Décontenancé, Stephan ne répondit pas. Il se gratta la
tête, inspira et ajouta :
- Le monde est un mystère ! »
Tandis que Haken et Set contemplaient les splendides
déesses, Amémet souffla discrètement sur la drogue qui
disparut sous le lit. Les deux hommes ne s’aperçurent
pas du subterfuge et lui demandèrent alors de poursuivre
ses déhanchements torrides, pensant que la poudre faisait
déjà son effet. Derrière eux, Sekhmet leva le pouce pour
donner le signal. Elles devaient neutraliser ces lascars.
Cette fois, les jeunes femmes n’avaient nullement besoin
de leur mixture pour endormir les deux hommes. En
effet, les déesses décidèrent de les neutraliser en même
temps et de disparaître rapidement sans laisser de trace.
Leur mission était terminée.
189
Sekhmet écarta les bras en direction de Set et d’Haken
puis posa ses mains sur leur front. La lumière de la
chambre scintilla et ses yeux vert émeraude brillèrent de
mille éclats. Un son strident sortit de sa bouche et son
corps tout entier devint luminescent. La puissance de son
Kâ était redoutable. Les deux hommes s’écroulèrent à
terre, inanimés.
« On déguerpit avant de se faire surprendre ! hurla
Bastet.
Elle entrouvrit la porte de la chambre et scruta le
couloir.
- La voie est libre, nous pouvons y aller.
Les trois déesses se dépêchèrent et traversèrent le
couloir rapidement. Dans le hall d’entrée, elles saluèrent
les invités qui étaient en train de monter aux étages
supérieurs. Discrètement, elles ouvrirent la porte
principale et se retrouvèrent dans le jardin. Mais une fois
dehors, les deux gardes aperçurent les filles. Le grand
blond à la mine patibulaire s’approcha :
- Le fils de monsieur Haton n’est pas avec vous ?
demanda-t-il, surpris.
- Euh… non, il reste ici ce soir, avec Set, en très bonne
compagnie d’ailleurs, répondit aussitôt Bastet.
- Ah bon… Il ne nous a pas prévenus, c’est étrange. Je
vais l’appeler, attendez-moi ici.
Comprenant qu’elles risquaient d’être démasquées,
Sekhmet pointa ses bras en direction des deux hommes
qui la regardèrent, interloqués. Une espèce d’ectoplasme
sembla sortir de son corps et les deux gardes
s’écroulèrent instantanément.
Les trois jeunes femmes détalèrent rapidement à
travers le jardin pour ne pas se faire surprendre et
sautèrent dans leur véhicule.
- Nous avons eu très chaud ! dit Amémet, en sueur.
190
- Les autres nous attendent un peu plus bas, derrière le
bosquet. Dépêche-toi avant que quelqu’un ne découvre
les gardes ! intima Bastet.
Sekhmet arrêta le véhicule à une centaine de mètres du
château, juste à côté de Stephan.
- Vous avez reçu le signal ? demanda Bastet.
- Oui, parfait ! Nous avons déjà tout transmis à Amon.
Vous n’avez pas croisé Thot ?
- Thot ? Il était dans le château ? rétorqua Bastet.
- Oui, et dans votre chambre en plus !
Bastet, étonnée, écarquilla les yeux.
- Quoi ? Dans la chambre ? Ce n’est pas possible, je
n’ai même pas ressenti son Kâ !
- Dans notre chambre ! répéta Amémet, stupéfaite.
- À côté de l’armoire, précisa Stephan.
- Je ne veux pas vous presser mais si nous
poursuivions la conversation ailleurs ? Il ne faudrait pas
qu’on nous repère. Je passe devant, nous allons chez
moi », dit Sekhmet.
Patrick suivait le véhicule de Sekhmet, tandis que le
Corse, la main posée sur la crosse de son Désert Eagle
50 AE, était prêt à intervenir en cas de problème.
« Merde, c’est quoi ce putain de calibre que tu as
dissimulé sous ta veste ? demanda son frère, dépité.
- Un modèle israélien, un des plus puissants de la
planète. Pour tirer avec, il faut le tenir à deux mains.
Avec ça, je dégomme un type planqué derrière n’importe
quoi. L’inspecteur Harry n’a qu’à bien se tenir avec son
44 Magnum !
- Mouais, mais le temps que tu tires, le type sera déjà
loin. T’as vu comme il est massif ton flingue ? Et je suis
persuadé que le poids de détente doit être d’au moins un
kilo !
191
Le Corse sortit aussitôt un nouveau pistolet, beaucoup
moins imposant.
- Si j’ai besoin d’être précis, j’utilise ce pistolet de
compétition, le DES 69 de chez Unic. Le poids de
détente est d’une centaine de grammes, et je tire du 22.
Aucun recul, une précision parfaite, et une cadence de tir
irréprochable.
- C’est bon, t’es irrécupérable, se désespéra Mustang
en secouant la tête.
- Quoi, qu’est-ce que j’ai dit encore ?
- Rien, laisse tomber.
Au même moment, le téléphone portable de Stephan
vibra.
- C’est Bob, il vient de me laisser un message.
- Ah, parfait ! J’espère qu’il n’a pas eu de soucis avec
cet abruti de Bremond, grogna le Corse.
- Merde !
- Qu’est-ce qu’il y a ? Un problème ?
- Apparemment, oui… Un gros… Il dit : “Changement
de programme, je ne reviens pas seul ! On se retrouve
où ?”
Patrick, énervé, tapa du poing sur le siège.
- Le con, il va tout faire foirer. Il a certainement
embarqué Szeréna, cet imbécile ! On lui avait bien dit de
ne surtout pas changer les plans.
- Il n’a pas fait ça, ce n’est pas possible ! ajouta le
Corse, agacé.
- Restons calmes, je lui dis de nous rejoindre chez
Sekhmet, annonça Stephan.
À l’intérieur du véhicule, la tension montait de plus en
plus. Angelo chercherait certainement à retrouver la
jeune Hongroise. De plus, avec la mystérieuse
disparition des trois déesses, Haton se poserait
certainement des questions.
- Merde, Merde… Mais quel con ! vociféra le Corse.
192
- Bon ça va, ferme-la un peu, tu nous soûles ! On ne va
pas en parler pendant des années, c’est fait, et voilà ! »
gronda Mustang.
Vers 2 heures du matin, Bob arriva chez Sekhmet. Les
membres de Neutrino discutaient autour de la table du
salon à propos de la mystérieuse apparition de Thot,
lorsqu’il ouvrit la porte en compagnie de la magnifique
Szeréna.
« Je sais ce que vous allez me dire mais je ne pouvais
pas la laisser repartir avec ces brutes ! Admirez sa
beauté, et cette douceur ! Il y a de quoi craquer, non ?
Bremond et Rouel s’amusaient avec Irina. Les deux
gardes du corps gisaient à terre, inanimés. Il n’y avait
plus personne pour me barrer la route. Ce n’était pas un
signe du destin ?
- Tu parles… Un sacré signe du destin, rétorqua
Patrick.
- Pauvre idiot, tu vas nous faire repérer ! Tu ne
pouvais pas nous demander notre avis ? cria Amémet en
tapant du poing sur la table.
Szeréna, terrifiée par les cris stridents de la sulfureuse
brune, se blottit dans les bras de Bob.
- Arrête de hurler comme une folle, tu ne vois pas que
tu lui fais peur ? Calme-toi un peu, s’il te plaît, ordonna
Bob en toisant la dévoreuse.
Pendant un court instant, personne n’ouvrit la bouche.
- Nous faisons quoi de la fille maintenant ? répliqua
Stephan.
- Tu peux nous héberger quelque temps ? J’ai peur
qu’ils ne découvrent mon adresse, demanda Bob en
s’adressant à Sekhmet.
193
- Bien sûr, il n’y pas de problème. La maison est
suffisamment grande pour loger tout le monde.
D’ailleurs, vous êtes tous invités à passer la nuit ici.
Amémet leva les yeux au ciel en tapant dans ses
mains.
- C’est ça, donnez-lui la médaille du courage, aussi !
- Amémet, tais-toi ! ordonna Bob, furieux.
Vexée, elle tourna les talons et disparut dans la pièce
voisine, poursuivie par Zibus.
- Ah, ces deux-là, quels phénomènes ! s’exclama
Bastet.
- Nous sommes tous épuisés, nous devrions aller
dormir. Nous rediscuterons de tout ça demain à tête
reposée. Suivez-moi, je vais vous montrer vos
chambres », dit Sekhmet.
Une fois que les invités furent tous couchés, Sekhmet
entraîna Stephan dans sa chambre. Elle se dénuda et se
glissa sous les draps. Le cœur battant la chamade,
Stephan la rejoignit et la serra contre lui. Blottie dans les
bras de son Adonis, Sekhmet s’abandonnait à lui. Ils
pouvaient enfin passer leur première nuit d’amour, sans
se soucier de la mission. La nuit allait être très longue…
194
17
Haton arrivait au Lady Blue d’excellente humeur. La
soirée avait eu un réel succès, et les riches industriels lui
proposaient d’en organiser une nouvelle dans les
semaines à venir. Chaque mois, de nouveaux membres
venaient remplir son carnet d’adresses. Cependant, sa
bonne humeur n’allait pas durer bien longtemps.
Lorsqu’il franchit la porte de la discothèque, Jack
l’interpella, complètement affolé.
« Monsieur, il faut que je vous parle de toute urgence !
- Un problème ?
- Oui, un gros !
- Allons dans mon bureau, nous serons plus tranquilles
pour discuter.
D’un pas pressé, le directeur ouvrit la porte et la
referma bruyamment.
- Il est revenu… Il est ici !
- Qui donc ? De qui me parles-tu ?
- Le type avec la vieille bagnole, il est planqué de
l’autre côté de la route et il nous surveille.
- Encore lui ! Mais qui est donc ce parasite qui ose
venir m’importuner ! grogna Haton en se frottant le
crâne et en fronçant les sourcils.
- Peut-être les Espagnols qui veulent se venger ?
195
- Certainement pas, nous n’avons plus de problèmes
avec eux. Depuis que nous travaillons avec Set, ils
n’osent plus se frotter à nous…
- Ou peut-être Carlos Negaone, le directeur du Newton
Bar.
- Set s’est occupé de lui, il ne risque plus de nous
importuner à présent.
- Il est…
- On dira qu’il est parti en vacances pour un long
moment.
- Je ne savais pas…
- J’appelle immédiatement Haken pour qu’il s’occupe
de ce problème. Toi, pour l’instant, continue de
surveiller le type, et si jamais il part, suis-le
discrètement. Tu m’informes du moindre changement.
Compris ?
- D’accord, monsieur Haton. »
La sonnerie du téléphone portable réveilla Haken qui
sursauta. La tête lourde, les membres engourdis, il se
redressa difficilement. Il était étalé sur le lit, encore dans
les vapes.
« Mais… qu’est-ce qu’il m’est arrivé ? Set…
Owww… Set, réveille-toi ! hurla-t-il en le secouant.
Haken écouta le message que son père venait de lui
laisser sur son répondeur tandis que son complice, les
yeux vitreux, se levait péniblement en s’appuyant sur le
rebord du lit.
- Ouah, ça tourne ! J’ai l’impression d’avoir dormi des
heures. Nous avons dû abuser de la drogue. Je me
souviens juste des déhanchements d’Amémet, puis c’est
le trou noir. Et les filles, elles ne sont plus là ?
196
- Non… Disparues ! Je ne comprends rien. Nous
réglerons cette histoire plus tard, mon père vient de me
laisser un message. Il faut partir de toute urgence.
- Un problème ?
- Oui, l’individu qui surveillait la discothèque, il y a
quelques jours : il est revenu ! Nous devons retourner
immédiatement à Marseille.
- Et les filles ?
- Sûrement qu’en voyant notre état elles ont préféré
nous laisser dormir. Nous les appellerons plus tard.
Dépêche-toi, mon père est peut-être en danger !
Les deux gardes du corps venaient de se relever eux
aussi. Ils étaient courbaturés et ne comprenaient pas
pourquoi ils étaient allongés à même le sol. Hébétés, ils
s’observaient mutuellement.
Haken ouvrit la porte principale à ce moment-là. En
les voyant complètement déboussolés et le regard dans le
vide, il hurla :
- Vous faites quoi devant l’entrée avec vos tronches
d’abrutis ? Les trois filles qui étaient avec nous, elles
sont parties il y a combien de temps ?
- Euh… ben… euh…
Set, avec rage, les attrapa par le col de chemise en les
secouant.
- Parlez, ou je vous étrangle !
Les gardes du corps n’osaient pas avouer qu’ils
avaient dormi et qu’ils ne se souvenaient plus de rien.
Terrifiés par le terrible Set, le grand blond baraqué
répondit en bafouillant :
- Nous avons entendu du bruit derrière le château…
donc nous sommes allés voir. Peut-être qu’elles sont
parties à ce moment-là.
- C’est incroyable ! Je vous paye une fortune, et vous
n’êtes même pas capables de surveiller cette demeure. Je
devrais vous virer !
197
- Mais patron…
- Tais-toi crétin, ne réponds pas au patron, ordonna Set
en lui donnant une claque sur la nuque.
L’homme baissa la tête et recula en attendant les
ordres.
- Nous retournons à Marseille, surveillez l’entrée cette
fois. Et si un problème survient, contactez-moi !
- Bien patron…
- Bougez-vous ! hurla Set.
Tandis qu’ils roulaient à vive allure sur l’autoroute,
Haken appela son père pour avoir plus d’informations.
- J’ai bien reçu ton message, nous arriverons dans
trente minutes. Il surveille toujours la discothèque ?
- Oui, et Jack m’avertit s’il décolle. Quand tu
arriveras, essaie d’avoir l’air normal et viens
immédiatement dans mon bureau.
- N’aie aucune crainte, je vais vite régler cette affaire.
- Je n’en doute pas.
À plus de deux cents kilomètres à l’heure, le bolide
fonçait sur l’autoroute à travers le brouillard. Le mistral
faisait vibrer le véhicule mais rien ne pouvait l’arrêter.
Lorsqu’ils arrivèrent sur le parking du Lady Blue,
Haken scruta les alentours comme un vautour qui guette
sa proie.
- Il est où cet enfoiré ? grogna-t-il en tapant du poing
sur le volant.
Il ouvrit la boîte à gants et récupéra un pistolet
automatique muni d’un silencieux.
- Tu crois que c’est utile ? demanda Set en fronçant les
sourcils.
- Si le lascar nous pose problème, je l’élimine.
- Range cette arme, c’est moi qui m’occuperai de lui.
L’œil d’Haken scintilla, et il rétorqua :
- Je ne te laisserai pas ce plaisir, c’est moi le chef !
Fred, le gardien du parking, s’approcha discrètement.
198
- Ne regardez pas derrière moi, sinon il va comprendre
que nous l’observons. Le type est à une cinquantaine de
mètres, à côté de la boulangerie Kariay, dans une vieille
bagnole grise.
- Je m’occupe de lui.
- Attends, ton père ne veut pas qu’on le suive, plutôt ?
- Si, mais…
- Je te conseille de passer voir ton père, sinon il sera
furieux, rétorqua Fred.
- Tu as raison. Continue la surveillance, on revient. »
Assis dans un large fauteuil en cuir, Haton fumait
tranquillement son cigare en écoutant un vieux disque de
jazz.
« Ah, tu es déjà là ! Occupez-vous du gars. Dès qu’il
part, suivez-le ! Je veux tout savoir sur lui.
- J’ai une meilleure idée, annonça son fils.
- Quelle est donc cette idée ?
- En passant par derrière, nous allons le surprendre.
Une fois neutralisé, on prend sa caisse et on l’amène
chez Set pour lui faire cracher le morceau.
- Hum… Tu sais bien que je ne veux plus de meurtres
inutiles.
- Papa, fais-moi confiance.
Haton, perplexe, baissa la tête et se frotta le crâne.
- Et toi Set, qu’en penses-tu ?
- Il n’a pas tort… Nous devrions lui faire subir un
interrogatoire musclé ! Chez moi, c’est bien isolé, nous
pourrions agir en toute discrétion…
- Ne vaudrait-il pas mieux le suivre ?
- Ça prendra trop de temps. Sous la torture, il parlera
vite, affirma Set.
- Vous êtes sûrs de ce que vous faites ?
- Certains, rétorqua Haken.
199
- Nous avons l’habitude, ajouta Set en redressant le
torse.
- Bon… d’accord ! Cette fois, je vous laisse mener
l’affaire mais ne me décevez pas.
- Nous avons affronté la mafia espagnole, alors, un
Marseillais dans une vieille bagnole…
- Il faut se méfier des apparences, les plus dangereux
ne sont pas toujours ceux qu’on croit.
- Nous sommes les plus dangereux, papa. Nul ne
s’opposera à toi, tu es le seul et l’unique, le grand
Haton ! Set, allons-y ! »
Haken et Set franchirent le jardin d’une propriété
privée, enjambèrent une rambarde et parvinrent enfin à
la boulangerie. La rue Joliot était déserte à cette heureci, seul un vieux chat de gouttière, perché sur un toit, les
observait. Le mistral soufflait de plus belle et la
température avait fortement chuté. Haken frottait ses
mains l’une contre l’autre pour se réchauffer.
« Regarde, c’est lui : il surveille le Lady !
- L’ordure, mumura Set.
- Passe du côté passager pendant que j’essaie de le
maîtriser. Ensuite, on le traîne sur la banquette arrière.
- Et si les portières sont verrouillées ?
- Je casse la vitre avec mon flingue. Ne t’occupe pas
de ça, tu m’aides juste à le foutre à l’arrière. Allez, on
bouge !
Les deux hommes traversèrent la rue en courant.
Richard surveillait la discothèque et il ne s’aperçut de
rien. Tel un félin, Haken ouvrit la portière sans faire le
moindre bruit, bondit sur Richard et lui assena un violent
coup de poing. Il s’effondra, inanimé, le visage en sang.
Aussitôt, Set l’attrapa par les bras et l’allongea
brutalement sur la banquette arrière.
200
- Reste à coté de lui et surveille-le. S’il se réveille
durant le trajet, assomme-le.
Haken démarra le véhicule et traversa Marseille, en
direction de Sénas. Là-bas, située en pleine campagne, la
villa de Set permettrait de mener un interrogatoire
musclé en toute tranquillité.
- Tu te souviens de Joshua ? Nous l’avons fait avouer
en combien de temps ?
- Une heure, je crois… répondit Haken en souriant.
- Il a bien tenu quand même.
- Ouais, pourtant il avait les deux genoux brisés, et une
oreille coupée.
- Et le bain de pieds à l’acide chlorhydrique !
- J’espère que ce sera rapide, je suis épuisé.
- Et après, on en fait quoi ?
- Nous vérifions s’il ne nous a pas menti, puis on
l’élimine. Personne n’a le droit de bafouer l’autorité de
mon père. Il payera très cher son erreur ! »
Richard se réveilla dans l’obscurité, solidement ligoté
sur une chaise en bois. Malgré un bon mal de crâne, il
essaya de tourner la tête pour observer la pièce. Une
douleur aiguë l’empêchait de bouger le cou. Par dépit, il
essaya de dénouer les nœuds qui le retenaient contre son
gré ; en vain. Il était prisonnier ! Son cœur se mit à
battre violemment contre sa poitrine et sa respiration
s’accéléra. Pourquoi était-il retenu prisonnier ?
Qu’allait-il lui arriver ? Se sentant perdu, il fit une
dernière tentative pour se détacher mais ses liens étaient
beaucoup trop serrés : ce fut un nouvel échec. Paniqué, il
hurla à pleins poumons :
« Qui êtes-vous ? Pourquoi suis-je ici ? Répondezmoi !
201
Pas de réponse, seulement le souffle du mistral qui
faisait vibrer une porte. Richard retint sa respiration pour
écouter les bruits autour de lui, mais il n’entendit rien de
plus que le vent qui redoublait de puissance.
- Bande d’enfoirés ! »
Personne ne répondait… L’angoisse montait en lui
comme un feu ravageur. Il tentait vainement de se
calmer en respirant lentement mais la peur lui collait à la
peau. Des milliers d’images l’assaillaient. Il pensait à sa
femme et à sa fille : les reverrait-il un jour ?
Dans la pièce voisine, Haken et Set prenaient le petit
déjeuner.
« Nous devrions y aller, tu ne crois pas ?
- Laissons-le mijoter. Laissons l’angoisse l’envahir au
plus profond de ses entrailles. C’est terrible de rester
ainsi dans l’incertitude, sans savoir ce que le sort nous
réserve.
- Tu es encore plus démoniaque que moi ! rétorqua
Set, amusé.
- Appelle les filles pour savoir où elles sont.
Set composa le numéro de Sekhmet.
- Le répondeur…
- Laisse tomber, on verra plus tard, elles m’énervent
celles-là.
- Elles auraient pu nous prévenir, quand même, ces
garces… ragea Set.
- C’est des femmes… tu sais bien comment elles sont !
- Toutes les mêmes.
Calmement, Haken termina son café et lança :
- Allez, on va s’occuper de lui ! »
202
Le froid engourdissait les pieds et les mains de
Richard. Son cou et sa tête le faisaient horriblement
souffrir. Le stress lui avait déclenché un important mal
de ventre et il se tordait de douleur sur son siège.
« Détachez-moi ! Merde… Oh ! Bande d’enfoirés !
Tout à coup, la porte s’ouvrit et un homme alluma les
néons. Aveuglé par la lumière, Richard cligna des yeux.
Deux ombres s’approchèrent de lui.
- Tu vas la fermer, ta gueule ! cria Set en lui assenant
une bonne gifle.
- Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?
- Tais-toi, rétorqua Haken en lui fracturant le nez avec
la paume de la main.
La douleur était insupportable. Le froid avait rendu
chaque partie de son corps extrêmement sensible.
Richard hurla tant il souffrait.
- Arrêtez, par pitié, que me voulez-vous ?
- Ce que nous voulons, sombre idiot ? C’est plutôt à
toi que je pose cette question. Pourquoi surveillais-tu la
discothèque ?
- Je ne comprends pas… Je ne surveillais personne.
- Tu ne surveillais personne ? reprit Set.
Haken s’absenta quelques secondes et revint avec un
gourdin dans les mains.
- Je repose une dernière fois ma question : pourquoi
surveillais-tu le Lady Blue, cette nuit ?
- Mais je vous le répète, je ne surveillais personne. Je
me préparais à partir en voyage.
- Tu partais en voyage…
- Oui, c’est une terrible erreur ! Vous vous méprenez
sur mon compte.
- Que faisais-tu devant le Lady Blue cette nuit ? répéta
Set.
203
- Mais vous ne comprenez rien ou quoi ? Je me
préparais à partir pour Nice, pour y rejoindre des
membres de ma famille.
Aussitôt, Haken assena un violent coup sur le genou
de Richard. La douleur fut si intense qu’il réussit à faire
basculer la chaise. Set le redressa en reposant la même
question.
- Que faisais-tu devant le Lady Blue ?
- Ahhh ! J’ai mal…
- Que faisais-tu devant le Lady Blue ?
- Je vous le répète, je partais en voyage !
Haken recula d’un pas pour prendre son élan.
L’énorme bâton tourna dans l’air et termina sa course
sur le genou gauche de Richard.
Haletant, il n’arrivait plus à parler. Un râle résonnait
dans la pièce.
- On devrait y aller plus doucement, il est mal en
point, dit Set.
- Bon, écoute-moi bien, ça ne sert à rien de résister car
tu finiras tôt ou tard par tout avouer. Alors évite ce
supplice.
- Ahhh ! Je… Ahhh ! Je partais en vacances…
- Tu es vraiment lent à comprendre, nous allons devoir
passer aux choses sérieuses !
Haken se retourna et posa son énorme gourdin contre
la porte. Il s’avança vers l’étagère et attrapa un sécateur.
- Tu ne veux toujours pas nous dire la vérité ? cria-t-il,
menaçant, avec un regard sanguinaire.
- Mais…
Furieux, il saisit la main de Richard brutalement,
dégagea son index qu’il plaça entre les lames tranchantes
du sécateur.
- Donc tu m’assures que tu partais en vacances ? C’est
bien ce que tu me dis ?
- Oui… Ah ! J’ai mal, lâchez mon doigt !
204
Un craquement d’os résonna à travers la pièce et le
sang gicla sur sa veste. Haken avait entaillé une bonne
partie du doigt et la douleur était tellement insupportable
que Richard hurlait à la mort. Le fils d’Haton se délectait
de le voir se tordre de douleur. Comprenant que
l’interrogatoire n’irait pas plus loin, il s’avança vers lui
et l’assomma. La chaise vacilla, puis bascula sur le côté.
La tête de Richard heurta violemment le sol. Il
s’effondra, inanimé.
- Merde… Il nous résiste ! vociféra Set.
- On continuera l’interrogatoire plus tard, soigne son
doigt, qu’il ne nous lâche pas avant d’avoir craché le
morceau. »
Les deux bourreaux discutaient, un verre de scotch à la
main. Après une nuit blanche, Haken éprouvait
beaucoup de difficulté à garder les yeux ouverts. Sa
vision se troublait et ses gestes se faisaient moins précis.
La tête lourde, il réfléchissait à l’élaboration d’un
nouveau stratagème.
« Il est solide le lascar. D’autres à sa place auraient
déjà avoué. Si nous continuons ainsi, nous allons finir
par le tuer. Nous devrions tenter un coup de bluff !
rumina Haken avec rage.
- C’est-à-dire ?
- Nous pourrions lui faire croire que s’il ne lâche pas
le morceau, nous nous occuperons de ses proches !
- Et… s’il n’a pas de famille ?
- Tu le fais exprès, rassure-moi !
- Pourquoi ?
- Nous jouons nos dernières cartes ! Si ça fonctionne,
nous l’abîmerons moins.
- Tu es vraiment très malin…
- C’est moi le chef, ne l’oublie pas. »
205
Richard clignait des yeux, aveuglé par un rayon de
soleil qui traversait l’orifice de la vieille porte en bois. Il
ne pouvait plus bouger sa main à cause de sa blessure, et
un œdème s’était formé sur son genou. Lorsqu’il
essayait de bouger les jambes, une douleur insupportable
irradiait son corps tout entier.
Haken et Set pénétrèrent dans la salle de torture.
« Déjà réveillé ? Tu es un solide gaillard !
Richard ne répondit pas, son visage était déformé par
la douleur.
- Tu n’as pas l’air très en forme quand même. Alors, tu
nous dis tout, ou bien on continue ?
- Mais… Ahhh… Je vous l’ai dit, vous vous
méprenez…
À bout de nerfs, Haken frappa à nouveau Richard du
revers de la main.
- Écoute-moi bien maintenant, je ne le répéterai pas
une deuxième fois : nous savons où se trouve ta famille.
Si tu ne nous livres pas tes complices, nous éliminerons
tes proches, les uns après les autres.
- Non, par pitié ! Je vous en supplie… Ils n’ont rien
fait.
- Tu avoues ?
Durant un court instant, il n’y eut plus un seul bruit
dans la pièce.
- Bon… D’accord… Que voulez-vous savoir ?
- Où est-ce qu’on peut trouver ton chef ?
- Qu’allez-vous lui faire si je vous le dis ?
- Tu n’as pas à savoir ! Où habite ton chef ? Réponds !
- Marseille…
- Pourquoi surveillais-tu la discothèque ?
- C’est une longue histoire… Nous appartenons à une
ancienne société secrète qui a pour mission de protéger
la population. Je devais simplement surveiller le Lady
Blue ! Rien de plus.
206
Les deux tortionnaires éclatèrent de rire malgré la
fatigue.
- Une société secrète ! Tu te moques de nous ?
- Non, je vous le jure… Laissez ma famille en dehors
de cette histoire.
- Tu penses réellement que ta société secrète peut
quelque chose contre nous, misérable cafard ?
- Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas.
Neutrino est bien plus puissant que ce que vous pensez.
Vous ne pouvez rien contre Amon ! Si quelqu’un lève la
main sur lui, il subira les foudres de la déesse lionne.
Set se retourna vers Haken et murmura :
- Laisse tomber, il est cinglé… Encore un drogué.
- Amon… C’est ton chef ?
- Il n’y a pas de chef, Amon est un de nos guides.
- Et vous êtes nombreux dans cette société ?
Malgré la douleur, un rictus apparut sur le visage de
Richard.
- Je crois qu’il délire, s’inquiéta Set.
Résolu à son triste sort, Richard continua à les mettre
en garde.
- Je ne délire pas ! Vous pensez être puissants, mais
face à Neutrino, vous ne pouvez rien. Nous sommes
partout. Dans l’administration, la police, les hôpitaux…
Nous surveillons tout le monde. Peut-être qu’Amon sait
déjà que vous me retenez prisonnier.
Le visage d’Haken s’assombrit. Inquiet, il se gratta le
front.
- Tu vas rester ici ce week-end, Set te surveillera. Je
dois m’occuper d’une affaire en Espagne. Nous irons
rendre une petite visite à ton chef, lundi. Pour l’instant,
je vais aller me reposer. Si jamais tu nous as menti, ta
famille payera pour tes mensonges.
- Je surveille ce malade en attendant ton retour ?
demanda Set en désignant Richard.
207
- Nous ne pouvons pas faire autrement, nous avons un
arrivage à Barcelone. Soigne-le, qu’il soit en état pour
nous mener jusqu’à son chef. »
La porte se referma violemment. Ses tortionnaires
laissèrent Richard dans le froid et l’obscurité, tétanisé
par la douleur et sans savoir ce que le sort lui réservait.
208
18
Sekhmet avait passé le week-end avec son Adonis et
sa fille. Après leur dernière mission, les deux amoureux
avaient décidé de faire une pause bien méritée et de
profiter l’un de l’autre. La déesse lionne sentait son
instinct maternel l’envahir, Élodie était si attendrissante.
Dans un proche avenir, elle espérait même fonder un
foyer et se voyait devenir maman. Son cœur battait au
rythme de celui de Stephan. Elle espérait que ces
instants de bonheur ne s’arrêteraient jamais. Lorsqu’ils
durent se séparer ce lundi matin, elle le supplia de venir
à Villeneuve-lès-Avignon le soir même. La belle blonde
ne pouvait plus se passer de lui.
Quelques minutes plus tard, Stephan buvait un café
dans le bureau de Marcoule et racontait les dernières
péripéties à Gérald qui n’avait pas pu participer à la
mission car il était déjà sur une nouvelle affaire. Un
commercial en informatique était impliqué dans un
important trafic de drogue, et depuis quelques semaines
il surveillait ce trafiquant. Voilà comment, en relation
avec Bès, le guide de la section à Valence, il coordonnait
les investigations.
Gérald écoutait avec un vif intérêt le dénouement de
l’histoire.
209
« Tout s’est déroulé parfaitement, hormis le fait que
Bob ait décidé de ramener la jeune Hongroise sans nous
en faire part, pour la délivrer de ses tyrans.
- J’espère qu’ils ne remonteront pas jusqu’à Neutrino.
Heureusement, Bob est malin, il file toujours des
adresses bidons. Néanmoins, il a intérêt à ne plus traîner
vers Avignon.
- Osiris et Isis sont chez Amon en ce moment même
pour faire le point sur la mission. En début d’après-midi,
ils doivent rencontrer le commissaire Armand.
- Depuis que le commissaire est devenu un membre
actif de Neutrino, Osiris et Amon ne décrètent le niveau
1 qu’en de très rares exceptions ! Ce qui n’est pas plus
mal d’ailleurs, car ces dernières années, nous avons fait
couler beaucoup trop de sang.
- Certains hommes sont irrécupérables, de vrais
poisons pour l’humanité. D’ailleurs, le niveau 1 était
souvent légitime. D’après Sekhmet, les hommes
assassinés étaient d’infâmes individus, prêts à tuer tous
ceux qui leur barraient la route. Je pense notamment au
directeur de cette prestigieuse agence de mannequins qui
abusait des jeunes filles et qui avait commis de
nombreux crimes crapuleux, remarqua Stephan.
- Tu as raison, même si cela semble inhumain, certains
individus sont un réel danger pour la société et ils
doivent être éliminés.
- Armand va donner un nouveau souffle à Neutrino !
- En plus, grâce à lui, nous pouvons intervenir en toute
sécurité puisque certains membres de la police et de la
gendarmerie, d’Avignon et de Marseille, ont déjà intégré
Neutrino.
- Depuis combien de temps le commissaire Armand
fait-il partie de Neutrino ?
- Armand connaissait les agissements de Neutrino
depuis plusieurs années déjà, mais il fermait les yeux.
210
Puis il y a un mois, un jeune inspecteur a été abattu par
un voyou qu’il avait arrêté quelques jours plus tôt. Le
commissaire hésitait à franchir le pas mais cet assassinat
l’a décidé. Démotivé et se sentant abandonné par la
jungle politique gouvernant l’État, il s’est décidé à
rejoindre l’underground en intégrant Neutrino.
- Et c’est ainsi qu’il a persuadé Osiris et Amon de
modérer le niveau 1.
- Tu comprends vite toi, ajouta Gérald.
- Je suis heureux que cette affaire se termine.
- Tu vas pouvoir profiter de la belle Sekhmet…
- Pourquoi dis-tu ça ?
- J’ai eu Zibus au téléphone. Il m’a dit que tu avais une
certaine complicité avec la belle blonde. D’ailleurs, il
paraît que tu as passé le week-end avec elle…
- Ah celui-là, je te jure ! Il ne rate jamais une occasion
de se taire.
- Tu penses vraiment être capable d’oublier ta femme ?
Stephan éclata de rire et avoua :
- Je suis bien obligé ! C’est ainsi… Et puis, on ne peut
pas dire qu’elle cherche vraiment à me revoir. Francis
semble la combler.
- L’ingrate, rumina Gérald.
- Il faut voir le côté positif, j’ai rencontré Sekhmet !
C’est une fille formidable.
- Tu m’étonnes, ancien mannequin en plus…
Au même moment, Patrick rentra dans le bureau.
- Alors les gars, vous n’avez pas oublié les
intérimaires ?
- Mince ! Il est déjà 8 heures 30 ! s’exclama Gérald en
se levant brusquement.
- Tu es à Marcoule toute la semaine ? s’étonna
Stephan.
211
- Oui, et la semaine prochaine, je vous quitte. Une
nouvelle mission m’attend à Valence. Changement de
programme. Et toi, tu resteras ici ?
- Euh… non. Nous avons décidé de prendre des
vacances avec Sekhmet, annonça Stephan, le regard
pétillant.
- Petit malin ! Tu ne perds pas de temps.
- Eh, les gars ! Nous discuterons de tout ça plus tard si
ça ne vous dérange pas, les autres attendent », grogna
Patrick.
Dehors, les intérimaires attendaient les chefs avec
impatience car le mistral redoublait de puissance et le
froid s’engouffrait dans leurs habits.
« Prenez votre temps… dit Jean en colère.
- Nous vous avions complètement oubliés, désolé ! Le
lundi matin, c’est toujours difficile, répondit Gérald.
- Nous ne sommes pas tes esclaves ! N’oublie pas
qu’en ce moment, vous avez beaucoup de difficultés
pour trouver des électriciens industriels avec les
habilitations nucléaires.
- Excuse-moi Jeannot, tu as raison. Pour information,
nous devons terminer cette semaine l’éclairage du
bâtiment 52. Et puis, n’oublie pas que grâce à moi,
Bremond est d’accord pour que tu restes quelques jours
de plus…
- Ça ne va pas être simple au milieu des plaquistes, des
carreleurs, du plombier… ajouta Stephan.
- Moi je m’en fous, dans dix jours, je serai en
Thaïlande ! annonça Manolo, souriant.
Il y eut un long silence, puis Stephan demanda :
- Dans quelques jours j’espère prendre des vacances
avec une copine. Nous pourrions peut-être te rejoindre si
ça ne te dérange pas ?
212
- Bien évidemment, ça fait déjà plusieurs fois que je te
le propose ! Un ami me laisse une maison au bord de la
plage. Ceux qui veulent venir seront accueillis avec
plaisir.
- C’est sympa, tu peux réserver deux places alors ! »
Quelques minutes plus tard, les intérimaires
s’affairaient au milieu des carreleurs et des tuyauteurs.
Patrick poussait l’échafaudage, tout en évitant les pots
de peinture et les sacs de ciment.
« Quel chantier de merde, regarde ce bordel ! ragea
Patrick.
- Vivement les vacances, ajouta Manolo.
Alors que des ouvriers installaient un faux plafond et
que le tuyauteur posait les canalisations, Patrick essayait
de faufiler son échafaudage.
- Oh ! Tu ne vois pas que la roue de ton engin est
posée sur mon carrelage ? hurla un gros barbu hirsute,
une spatule à la main.
- Excuse-moi, mais avec tout ce monde, je n’ai pas fait
attention.
Pour pouvoir continuer, Patrick devait démonter son
échafaudage sinon il ne passait pas sous le plafond.
- Bordel ! Je n’ai même pas l’habilitation
spécifique pour le démonter, cet engin !
- On s’en fout, tu sais bien comment ça se passe,
rétorqua Gérald.
- Ouais, c’est comme avec les harnais de sécurité et les
échelles… Il faut toujours aller plus vite : on s’en fout
de la sécurité.
- Remarque, tu n’as pas tort. Nous pourchassons des
proxénètes mais nous sommes les premiers à exploiter
les ouvriers et les intérimaires.
213
- Regarde autour de toi, tu as vu dans quelle galère ils
travaillent ? Ils subissent chaque jour un harcèlement
moral, ils doivent bosser toujours plus vite. Et leur
pouvoir d’achat qui diminue. C’est déplorable !
- Tout ça changera. Ce n’est qu’une histoire de temps.
L’homme est fait pour lutter. La bataille est sans fin
mais avec une certaine morale, nous y parviendrons.
Neutrino remettra sur le droit chemin les individus qui
s’égarent. »
Au milieu du chantier, dans la saleté et la poussière,
les ouvriers déjeunaient. Assis sur un tas de briques,
entre Manolo et Jeannot, Patrick savourait son sandwich.
Il repensait à la soirée de mercredi et se réjouissait à
l’idée qu’Haton et Bremond seraient bientôt derrière les
barreaux : EEAI aurait alors de nouveaux chefs ! Les
jeunes Russes seraient libérées et les proxénètes mis en
prison. Le commissaire Armand reprendrait l’affaire et
Patrick commencerait une nouvelle mission sur Valence,
coordonnée par Gérald. Apaisé, il observait ses amis en
pensant que Neutrino serait toujours là pour les plus
faibles. En croquant dans son sandwich, une sensation de
bonheur indescriptible l’envahissait. La machine
Neutrino était en marche, et rien ne pourrait l’arrêter.
214
19
Richard avait passé le week-end à la cave, attaché à la
chaise. Des escarres se formaient sur son corps et ses
membres étaient endoloris. Set coupa ses liens avec un
couteau aiguisé comme une lame de rasoir. Son
mouvement fut tellement brutal qu’il entailla le poignet
du malheureux.
« Ahhh, vous m’avez coupé !
- Tais-toi vermine, arrête de te plaindre et lève-toi !
cria Haken.
- Mais je ne peux pas marcher, vous m’avez bousillé
les genoux ! Par pitié, détachez-moi.
Set, agacé, lui assena une gifle sur la nuque.
- Ferme-la, compris ?
- Debout ! ordonna Haken.
Péniblement, Richard se redressa en s’aidant du
dossier de la chaise, le visage déformé par la douleur.
- Lâche ce siège ! hurla Haken en lui redonnant une
nouvelle claque encore plus forte que la précédente.
Sous la violence du coup, Richard s’effondra. Sa tête
heurta le sol et rebondit comme une balle de tennis.
Pendant quelques secondes, il ne bougea plus.
- Debout ! intima de nouveau Haken.
Richard, qui commençait à tourner de l’œil, essaya de
surmonter la souffrance qui le tétanisait. La douleur
devenait insupportable.
215
- Tu te dépêches, ou c’est moi qui te relève à coups de
pied ? grogna Set en l’attrapant par les cheveux.
Pour surmonter la douleur, Richard se rappela les
séances de méditation que lui enseignait Râ. Il fit le vide
dans sa tête, et subitement se sentit très loin de ces
tyrans sanguinaires. Il se concentrait uniquement sur sa
respiration, de minuscules particules dorées pénétraient
par ses narines et descendaient le long de sa trachée pour
finir leur course dans ses poumons. Cette énergie
traversait chacune de ses cellules et lui donna la force de
se relever.
Puisant dans ses dernières ressources, il réussit enfin à
rester debout et traversa la pièce en titubant. Haken,
stupéfait, le regardait avec de grands yeux écarquillés.
- Tu me surprends ! Je ne pensais pas que tu aurais pu
marcher avec les genoux dans un tel état, avoua-t-il,
surpris.
- Où allons-nous ? demanda Richard en le toisant.
- Nous allons rendre une petite visite à ton patron.
- Vous me promettez de laisser ma femme et mes
enfants en paix, si je vous y conduis ?
- Je n’ai qu’une parole.
- Allons-y alors, de toute façon, vous ne savez pas où
vous mettez les pieds. La puissance de Neutrino est
immense, et vous n’en viendrez jamais à bout.
- Arrête de délirer, tu penses sincèrement que ta
société secrète est en mesure de rivaliser avec nous ?
- Quand vous subirez les foudres d’Amon, alors vous
repenserez à ce que je viens de vous dire. Mais
malheureusement, il sera trop tard.
Set se précipita sur Richard en levant le poing.
- Arrête, tu ne vois pas qu’il divague ! gronda Haken
en lui maintenant le bras.
Set foudroya Richard du regard.
- Je ne le sens pas ce type, rumina-t-il.
216
- Bon, allons-y à présent ! Nous allons rencontrer le
grand Amon », rétorqua Haken en souriant.
Haken se gara à une centaine de mètres de la propriété
d’Amon, sous un vieux pin. Perplexe, il scrutait les
alentours. Perdu au beau milieu de la nature, le lieu,
proche de la mer, était idyllique. Une légère brise
soufflait à travers la vitre du véhicule.
Set arma son 44 Magnum et colla le canon contre la
tempe de Richard.
« Nous sommes bien devant la villa de ton chef ?
demanda Haken en le dévisageant.
- Oui ! affirma Richard.
- J’espère que tu ne nous mens pas. Si jamais tu as
raconté des histoires, je m’occuperai personnellement de
chacun des membres de ta famille ! Et crois-moi, ils
passeront un sale moment.
Ils sortirent de la voiture. Richard, entouré par ses
deux ravisseurs, guidait le tandem démoniaque. Haken
enfila une paire de gants en cuir pour ne pas laisser
d’empreintes. Ses yeux noir charbon détaillaient la villa.
Le regard sévère et imperturbable, il installa un
silencieux sur son pistolet automatique. Set se plaça
derrière Richard et colla le canon de son arme contre sa
nuque.
La cruauté de ses bourreaux semblait sans limites. Des
milliers d’images traversaient le cerveau de Richard.
Que devait-il faire ? À la moindre tentative d’évasion, il
serait abattu comme une bête et mettrait en péril sa
famille. Pendant un court instant, il eut envie de hurler
pour prévenir ses amis de l’arrivée de ces dangereux
psychopathes mais sa gorge se noua et ses mains se
mirent à trembler.
217
Ses genoux et son doigt le faisaient horriblement
souffrir. Il serra les dents et essaya péniblement de tenir
jusqu’à la porte d’entrée. Chacun de ses pas était un
supplice, et à force de se mordre les lèvres, il finit par
les entailler profondément.
- Plus vite, ordonna Set qui le poussa avec le canon de
son arme.
Des gouttes de sueur coulaient le long du front de
Richard, il commençait à suffoquer, la peur
l’envahissait.
- Sonne et demande à Amon d’ouvrir la porte. À la
moindre tentative d’évasion, j’abats tout le monde,
ordonna Haken en le menaçant avec son pistolet.
Richard exécuta les ordres sans broncher.
Quelques secondes plus tard, la voix d’Amon grésilla
dans le haut-parleur.
- Qui est là ?
- C’est Richard, je viens pour faire le point.
- Ah, c’est toi ! Tu tombes bien, Osiris et Isis partaient
rejoindre Armand. Je t’ouvre, rejoins-nous dans le salon.
Les yeux d’Haken brillaient, Richard ne lui avait pas
menti.
- Passe devant, nous restons à l’arrière, et ne fais pas
l’imbécile.
Amon ouvrit le portail automatique et les hommes
pénétrèrent dans le jardin. Une cinquantaine de mètres
séparaient la villa de l’entrée extérieure. À pas de loup,
ils suivirent Richard en le mettant en joue.
Après avoir longé un petit muret, ils arrivèrent enfin
dans une grande véranda.
- Nous sommes à côté du salon, soupira Richard,
honteux.
- Ferme-la et guide-nous jusqu’à ton chef, gronda Set.
Péniblement, Richard fit coulisser la porte d’entrée et
traversa un long couloir. Les voix des guides de
218
Neutrino résonnaient, ils se trouvaient juste à quelques
mètres de lui.
Pendant quelques secondes, Haken écouta leur
conversation pour déterminer le nombre de personnes
présentes dans le salon. Il comptabilisa quatre voix
différentes.
- On y va, murmura Haken.
Il attrapa Richard par les cheveux et le traîna jusque
dans la pièce voisine.
- Que personne ne bouge sinon je descends votre
collègue ! hurla Haken en lui collant son arme sur le
front.
Les guides furent décontenancés lorsque le fils
d’Haton surgit dans le salon. Isis resta bouche bée à la
vue de Richard, le visage en sang. Amon et
Râ regardaient avec de grands yeux écarquillés ces
individus qui les tenaient en joue.
- Calmez-vous messieurs, ce doit être un terrible
malentendu, répondit Osiris en s’avançant vers les
voyous.
- Recule ou j’abats ton sbire, rétorqua le fils d’Haton
avec rage.
Osiris n’écouta pas les menaces et continua d’avancer.
Haken pointa son arme dans sa direction et hurla :
- Je ne le répéterai pas une troisième fois, recule !
- Mais… lâchez Richard, il n’a rien fait…
Un bruit sourd claqua dans la pièce. Haken venait de
presser la détente de son arme. La balle frôla l’oreille
droite d’Osiris et se logea dans le mur. Comprenant que
l’individu ne plaisantait pas, il recula.
- La prochaine fois, je vise la tête !
- Que voulez-vous ? demanda Amon calmement.
- Ce que l’on veut ? Vous vous moquez de moi ? C’est
plutôt à moi de vous demander ce que vous nous voulez,
misérables cafards ! Le nom d’Haton ne vous dit rien ?
219
- Vous devez vous tromper de personnes, nous ne
connaissons pas ce monsieur Haton.
- Arrêtez de mentir, votre sbire a tout avoué. Il n’avait
pas le choix sinon nous éliminions sa famille.
Le visage d’Osiris s’assombrit, il comprit alors que la
partie était perdue d’avance. Que dire à ces criminels ?
Devait-il tout avouer ?
- Puisque vous savez déjà tout, nous n’avons rien à
ajouter, rétorqua Osiris pour analyser la réaction des
deux individus.
Haken se mit dans une rage noire, il ne supportait pas
qu’on lui tienne tête. Pour intimider Osiris, il plaqua
Richard à terre. Lorsque ses genoux touchèrent le sol, la
douleur fut si intense qu’il hurla à la mort. Haken n’en
pouvait plus, les cris et le comportement d’Osiris le
rendirent complètement fou. Il disjoncta ! Son regard
devint celui de la mort, il serra les dents et pointa son
pistolet sur la tempe de Richard.
- Tais-toi ! hurla-t-il avec rage.
Richard se roula en boule en se débattant. La douleur
était insupportable. Isis, qui n’en pouvait plus d’assister
à un tel spectacle, s’avança en écartant les bras. Une
intense lueur jaillit au creux de ses mains et forma une
boule d’énergie qui ne cessait de grossir. Un son rauque
sortit de sa bouche alors qu’elle continuait à avancer.
Elle voulait soulager Richard. Pris de panique en
assistant à cette étrange scène, Set arma son revolver et
tira à plusieurs reprises sur Isis.
Osiris, pour protéger la prêtresse, se plaça devant elle.
Il reçut les balles de plein fouet. La violence de l’impact
le fit reculer de plusieurs mètres. Il s’effondra à terre,
mortellement touché. Immédiatement, ses trois amis, en
état de choc, s’agenouillèrent autour de lui. Isis, en
larmes, lui tenait la main tout en regardant son corps
sans vie.
220
- Non ! Osiris ! Ce n’est pas possible.
- Reculez ou je tire ! cria Haken, ne sachant plus que
faire.
Personne n’écouta ses menaces. Les guides spirituels
guidaient la force vitale, le puissant Kâ d’Osiris, en
direction de l’Amentha.
- Je le répète une dernière fois, reculez ou je tire !
Malgré les avertissements, ils restèrent à la même
place et ne bougèrent pas d’un pouce. Les paumes
tournées en direction du ciel, ils guidaient l’énergie qui
sortait du corps d’Osiris. Une lymphe translucide flottait
dans l’air.
- Tant pis pour vous ! hurla Haken.
Le fils d’Haton tira plusieurs coups de feu pour les
éliminer. Mais subitement, une ombre jaillit de nulle
part. Un mystérieux voile noir flottait dans la pièce.
Abasourdi, Set se frotta les yeux puis regarda autour de
lui pour voir l’impact des balles. L’ombre avait protégé
les membres de Neutrino. Haken frémit et recula de
plusieurs mètres, pris de panique. Un homme avec un
masque en forme d’oiseau le fixait.
- Mais… Qui es-tu ? bafouilla-t-il en observant
l’ombre prendre forme humaine.
- Qui je suis ? Bonne question Haken.
- Comment connais-tu mon prénom ? cria le jeune
homme, terrorisé.
L’homme, vêtu d’une longue tunique noire et blanche
et dissimulé sous une capuche, l’observait. Haken ne
voyait pas son visage, mais deux lumières scintillantes, à
la place des yeux, semblaient le fixer.
- Pour répondre à ta première question, certains
m’appellent Hermès, d’autres Thot, ou parfois même “le
scribe de l’éternel”. Mais à vrai dire, je n’ai pas de nom
car je ne suis qu’une source d’énergie. Mon enveloppe
221
charnelle n’est que la représentation de ton esprit. Une
simple illusion.
- Je le descends ? demanda Set, la respiration saccadée
et les mains tremblantes.
Haken ne répondit pas. Set tira les dernières balles qui
restaient dans son barillet mais elles n’eurent aucun effet
sur le mystérieux individu.
- Ne comprenez-vous donc pas ? Vous ne pouvez rien
contre moi, ni contre Neutrino d’ailleurs. Vous faites
seulement partie du chaos qui bouleverse l’univers. Vous
êtes la force énergétique opposée et nécessaire à
l’équilibre du monde. Depuis l’origine, un équilibre doit
subsister, et depuis la nuit des temps, une bataille sans
fin demeure entre le Kâ positif et le Kâ négatif.
Haken frémit. Quelle était donc cette secte satanique ?
Était-ce une simple illusion d’optique ?
- On dégage, ils sont complètement secoués, lança-t-il
à Set, le visage décomposé.
Les deux complices, affolés, arpentèrent le salon en
direction de la sortie sans se préoccuper de l’homme au
masque d’oiseau. Ils coururent dans le jardin sans que
personne ne les suive.
Une fois à l’intérieur de leur véhicule, les deux
hommes se regardèrent, terrorisés.
- Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Set en
haletant, le visage livide.
- C’est une histoire de fou, il faut qu’on prévienne
mon père de toute urgence ! Ils vont certainement se
venger », rétorqua Haken en essayant de reprendre son
souffle.
La voiture démarra en trombe et disparut dans un
énorme nuage de poussière, laissant derrière elle un
homme sans vie.
222
Une nouvelle fois, Osiris quittait le monde des vivants
pour rejoindre celui des dieux, et bientôt le nouvel Horus
allait renaître. Comme Thot l’avait dit aux guides,
l’univers est régi par les cycles énergétiques. Des êtres
migrent de corps en corps à des époques bien précises.
Thot est présent depuis la nuit des temps pour préparer
ces événements importants.
Les adorateurs du grand Aton, un dieu unique et
orgueilleux, vengeur et puissant, existaient bien avant
notre ère. La bataille entre le Kâ positif et le Kâ négatif
est sans fin. Le clergé d’Amon lutterait sans relâche pour
équilibrer les forces énergétiques de notre monde afin
qu’il ne tombe pas sous la domination des forces
obscures.
223
20
Stephan discutait avec Bob et Sekhmet lorsque le
téléphone sonna.
« Tu ne réponds pas ? demanda-t-il, étonné.
- Oh, ils rappelleront plus tard si c’est important,
soupira la déesse lionne.
- Dis-moi Bob, pour Szeréna, tu vas faire comment ?
Tu vas devoir trouver rapidement une solution car elle
ne pourra pas se cacher éternellement, interrogea
Stephan.
- À vrai dire, je n’y ai pas encore réfléchi mais
maintenant que l’affaire est terminée, nous allons peutêtre partir en vacances. Pour le moment, elle est en
sécurité chez ma sœur. Elle se remet tout doucement des
sévices que lui ont fait subir Haton et ses complices. Elle
est encore un peu fatiguée mais elle reprend des forces.
Nous lui redonnons une alimentation équilibrée.
Stephan lança un regard complice à sa dulcinée tout en
lui effleurant la main tendrement. Il espérait lui aussi
partir en voyage, au bord de la mer.
- Tu ne crains pas qu’elle ait des problèmes avec la
justice ? Si elle se fait contrôler, elle sera renvoyée dans
son pays.
- Amon doit contacter le commissaire Armand pour
qu’il s’occupe de ses papiers. Il a des amis à la
224
préfecture, et ce ne sera pas difficile d’obtenir les
signatures. Et puis je dois aussi t’avouer que s’il faut que
nous nous marions pour qu’elle puisse rester en France,
je n’hésiterai pas un seul instant.
Stupéfait, Stephan fixait Bob, les yeux écarquillés.
- Tu plaisantes ou tu es sérieux ?
- Quel mal y a-t-il à tomber amoureux ?
- Mais tu ne la connais que depuis cinq jours.
- Et le coup de foudre alors ? Ça existe !
Sekhmet secoua la tête.
- Il a craqué ! Oh Bob, reviens à la réalité. Nous ne
sommes pas dans un remake de la Belle au bois dormant
et tu n’es pas le prince charmant.
La jeune femme fut coupée par la sonnerie du
téléphone.
- Je vais répondre cette fois, c’est peut-être important.
Sekhmet décrocha le téléphone, agacée.
- Allo…
Personne ne répondit.
- Allo, qui est-ce ?
La respiration de l’inconnu faisait grésiller le hautparleur.
- Oh ? Vous répondez ou je raccroche !
- C’est moi Sekhmet, excuse-moi, mais j’ai une très
mauvaise nouvelle à t’annoncer… Je ne sais pas
comment te le dire.
C’était Amon ! Le cœur de la belle blonde se mit à
taper violemment contre sa poitrine et sa respiration
s’accéléra.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Stephan, affolé.
- Dites-moi tout, rétorqua Sekhmet, inquiète.
- Osiris… Il est…
- Il est quoi ?
- Il… il est… mort.
225
- Mort ? hurla la jeune femme, déboussolée.
- Qui est mort ? demandèrent en même temps Stephan
et Bob.
- Nonnnnn ! Non… Ce n’est pas possible… Mais
comment est-ce arrivé ?
- Nous étions dans le salon pour préparer les
documents à remettre au commissaire Armand. Soudain,
deux individus ont surgi en menaçant Richard avec une
arme. Ils le détenaient prisonnier depuis mercredi soir, et
il était dans un sale état. Isis a voulu le soigner grâce à la
puissance de son Kâ mais lorsqu’elle s’est approchée, ils
ont paniqué et tiré plusieurs coups de feu. Osiris a voulu
la protéger, et il a reçu les balles.
Sekhmet venait d’activer le haut-parleur. Ses amis
écoutaient la conversation, bouleversés.
- Il est vraiment mort ? ajouta Bob.
Personne ne répondit.
- Qui étaient ces hommes ? demanda Sekhmet en
sanglots, dans un élan de lucidité.
- Le fils d’Haton, et Set, son complice. Ils ont surpris
Richard lorsqu’il surveillait le Lady Blue. Ils l’ont
kidnappé puis torturé, en menaçant d’éliminer toute sa
famille s’il ne donnait pas le nom de ses
commanditaires.
- Les ordures, je vais m’occuper de ces sales enfoirés
si vous m’en donnez la permission. Ils subiront la
vengeance de la déesse lionne.
- Sekhmet… dit Amon d’une voix grave.
- Oui ?
- Je ne devrais pas te le demander mais… nous venons
de décréter le niveau 1. Tu as la permission d’éliminer
ceux qui ont participé au meurtre d’Osiris. Nous savons
que tu es la seule, avec Amémet, à pouvoir réussir la
mission sans prendre de risques. La dévoreuse t’attendra
226
au Lady Blue vers 21 heures. Haken doit déjà s’y trouver
pour protéger son père d’éventuelles représailles.
- Voulez-vous que je dise au Corse de venir surveiller
votre demeure ? Vous êtes peut-être en danger ?
- Ne t’inquiète pas pour nous, ce qui doit arriver
arrivera ! C’est la destinée. Pars, et détruis le mal à la
racine.
- C’est comme si c’était fait !
La déesse lionne retrouva son regard sanguinaire.
Ceux qui avaient voulu éliminer les guides le payeraient
de leur vie. Haken, qui idolâtrait son père, le grand
Haton, par sa soif de pouvoir, avait décidé d’élimer
Amon. Il allait subir la vengeance des membres de
Neutrino.
Sekhmet, en furie, se préparait à livrer une guerre sans
pitié.
- Ils sont morts, déclara-t-elle froidement en
raccrochant.
Bob se tenait la tête entre les mains. Osiris était
comme un père pour les membres de Neutrino. Il ne
pouvait pas être mort.
- Tu ne vas pas y aller toute seule ? Je viens avec toi !
Et si nous appelions le Corse ?
- Non, reste ici, je dois accomplir ma mission.
La jeune femme se leva, courut jusqu’à sa chambre,
ouvrit l’armoire et enfila son ensemble en cuir. Elle prit
ensuite sa ceinture tranchante et deux pistolets.
- Sekhmet, tu as perdu la raison ! S’il te plaît, écoutemoi et reste ici ! supplia Stephan.
- C’est mon destin ! Je dois y aller à présent. Lorsque
j’aurai terminé, je t’appellerai, promis.
- Attends, nous ne pouvons pas rester ici ! Nous
venons avec toi.
227
- C’est à Amémet et moi qu’Amon a confié la tâche
d’éliminer ces ordures. Si tu m’aimes, laisse-moi agir
comme je le souhaite.
- Mais…
Stephan n’eut pas le temps de terminer sa phrase,
Sekhmet claqua la porte.
Bouche bée, les deux amis se regardèrent, médusés.
- Mais elle est complètement folle ! Qu’est-ce qu’on
fait ? demanda Stephan, paniqué.
- Nous allons avec elle.
Dans le jardin, Stephan l’interpella en hurlant, mais
elle pénétra rapidement dans son bolide et démarra en
faisant crisser les pneus.
- Merde… Bordel ! Elle vient de crever les pneus de
ma caisse, rumina Bob.
- Ça va nous retarder ! Ce n’est pas possible. Oh,
mince, c’est une catastrophe. »
Sekhmet arrivait au Lady Blue, survoltée. L’ange
blond redevenait la tueuse sanguinaire qui faisait couler
le sang partout sur son passage. Elle bondit hors de la
voiture, comme une lionne enragée, les yeux brillants de
colère.
Amémet l’attendait, les cheveux au vent. Derrière elle,
allongé à même le sol entre deux véhicules, gisait à terre
un homme inanimé.
Les déesses guerrières étaient prêtes à passer à l’acte.
« J’ai neutralisé le gardien du parking. Il ne nous
posera plus de problèmes. Ils vont payer très cher le
meurtre d’Osiris, rumina Amémet en serrant le poing.
- On passe à l’action ?
- C’est parti ! Aucune pitié, le sang doit couler à flots !
La loi du talion : œil pour œil, dent pour dent.
228
- Deutéronome 19-21 : “Ton œil sera sans pitié : vie
pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main,
pied pour pied” ! s’exclama Sekhmet.
Face à l’entrée de la discothèque, les deux femmes
toisaient Jack.
- Haken est-il ici ? cria Sekhmet.
- Il est dans le bureau de son père, je vais le prévenir
de votre arrivée.
Jack allait appuyer sur l’interphone qui le reliait
directement au bureau d’Haton lorsque Sekhmet l’arrêta.
- Nous allons lui faire la surprise.
- Je suis désolé mais vous ne pouvez pas entrer dans le
bureau du patron sans qu’il ne soit prévenu. Nous avons
des ordres.
Sekhmet, à bout de nerfs, frappa violemment le portier
à la gorge, il tomba à genoux en hurlant de douleur.
Amémet shoota sur son crâne comme sur un ballon de
football pour le faire taire. La tête de Jack heurta
violemment le mur. L’impact fut si puissant qu’il laissa
une énorme tache de sang.
- Il n’avait qu’à obéir !
Deux énormes videurs, qui venaient d’assister à la
scène, portèrent immédiatement secours à leur collègue.
Sekhmet dégrafa sa ceinture et la fit tournoyer dans les
airs. La lame qui jaillit hors de la boucle scintillait dans
la pénombre.
- Reculez, sinon vous allez le regretter ! hurla la lionne
en les foudroyant du regard.
Les deux colosses ne l’écoutèrent pas et voulurent la
maîtriser. Agile comme un félin, elle saisit le bout de sa
lame et la projeta dans la jambe d’un des deux videurs
qui s’effondra à terre. D’un coup sec et précis, elle tira
sur la ceinture et l’arracha du quadriceps en emportant
des lambeaux de peau. Une fois la lame récupérée, elle
229
l’enfonça profondément dans les pectoraux du deuxième
lascar.
Amémet observait le combat, admirative.
- De la part d’Amon et de Râ, rugit Sekhmet en portant
un dernier coup de couteau à son adversaire.
- Maintenant, au tour du directeur et de ses complices,
gronda Amémet.
Les deux jeunes femmes se précipitèrent dans la
discothèque. Le personnel n’était pas encore arrivé, et
toutes les salles étaient vides. Sekhmet arpenta le couloir
et ouvrit violemment la porte du bureau d’Haton.
Autour du directeur, il y avait son fils, Set, Bremond et
Rouel.
Amémet sortit son arme en les menaçant.
- Mais que faites-vous ici ? Pourquoi êtes-vous
armées ? demanda Haken, affolé.
Set n’eut pas le temps de sortir son revolver. Bremond
et Rouel, les yeux écarquillés, regardaient les deux
jeunes femmes sans comprendre ce qui se passait.
- Ce que l’on fait ici, misérable cafard, tu vas vite le
comprendre ! hurla Sekhmet tout en vissant son
silencieux sur le canon de son pistolet.
- Haken, tu connais ces filles ? gronda Haton qui
n’avait pas encore réalisé la gravité de la situation.
- Bien évidemment, ce sont nos copines.
- La ferme, ou je bute tout le monde ! cria Amémet.
- Des copines… Crétin ! Nous faisons partie de
Neutrino ! Vous avez assassiné Osiris, notre guide
spirituel, et vous allez payer, ajouta Sekhmet en visant
Haton.
Haken blêmit, il venait de comprendre que les filles
avaient infiltré leur réseau. Il avait été berné ! Son père,
d’habitude si arrogant, demanda d’une voix tremblante :
230
- Que voulez-vous faire de nous ? Je n’y suis pour
rien ! Votre chef est mort à cause de Set. Punissez-le,
mais laissez-nous vivre. J’ai beaucoup d’argent, et je
peux vous acheter tout ce dont vous rêvez.
Set lança un terrible regard au directeur.
- Traître ! C’est votre fils, puis c’est vous qui nous
avez dit de les neutraliser ! rétorqua-t-il, fou de rage.
- Vous êtes tous complices, alors la ferme ! brailla
Sekhmet.
- Pitié, je n’ai absolument rien fait, laissez-moi partir,
gémit Rouel en la suppliant.
- Tu n’as rien fait ! Et les filles dont tu abusais et que
tu violais ? Tu veux que l’on en parle des jeunes femmes
du Lys ?
- Mais… Je…
- La ferme j’ai dit, le premier qui l’ouvre maintenant,
je l’abats comme un chien. Levez-vous à présent, et
alignez-vous en face de moi, dos au mur.
- Pitié, je n’ai rien fait !
Un bruit sourd retentit dans la pièce et Rouel
s’effondra.
- Ahhh ! Ahhhh ! hurla-t-il en se tenant le genou en
sang.
Sekhmet s’approcha de lui et l’assomma à grands
coups de crosse. Le sang gicla sur la moquette.
- Je l’avais prévenu. Il a de la chance, je n’ai pas visé
la tête. Je le répète une dernière fois : on ne parle que si
je l’ordonne. On commence par vous, monsieur le
directeur. Y a-t-il d’autres filles retenues prisonnières
ailleurs qu’au Lys et au Lady Blue ?
- Non, uniquement ici, et en Avignon.
- C’est la vérité ? gronda-t-elle.
- Je vous le promets ! Pourquoi vous mentirais-je ?
- Et la drogue ? Qui écoule les stocks ?
231
- C’est Set et moi uniquement. Mon père est en dehors
de tout ça, intervint Haken en baissant la tête.
- Je n’y suis pour rien ! Par pitié, laissez-moi vivre !
cria Bremond, terrifié.
Amémet fit un bond et lui asséna un coup de pied.
- Vous êtes tous complices !
Sekhmet s’amusait comme un chat qui joue avec une
souris avant de la dépecer vivante.
- On en finit ? demanda Amémet en posant le canon de
son arme contre le crâne d’Haton.
Sekhmet cligna de l’œil et pressa la détente de son
pistolet. Aucun des voyous n’eut le temps de réagir. La
balle atteignit Haken en plein milieu du front, le tuant
sur le coup. Son père n’eut pas le temps de crier ; à son
tour, Amemet lui explosa le crâne à bout portant. Le
sang gicla sur le visage de Bremond qui, terrifié,
s’évanouit.
La déesse lionne changea la direction du canon et mit
en joue le terrible Set. Il comprit qu’il n’aurait aucune
chance de s’en sortir vivant.
- Attendez, ne tirez pas ! Je peux vous montrer des
papiers qui peuvent vous servir de preuves, hurla-t-il.
- C’est quoi ces papiers ? rugit Sekhmet.
Set fit semblant de se diriger vers le bureau.
- Ne bouge plus et dis-nous tout !
Set s’avança jusqu’à la fenêtre et, en désespoir de
cause, il se jeta dans le vide en brisant la vitre. Il fit une
chute de plusieurs mètres avant de toucher violemment
le sol. Amémet se précipita à la fenêtre mais l’homme
s’était déjà relevé et courait sur le parking. Elle tira
plusieurs coups de feu qui le frôlèrent. Il disparut de
l’autre côté de la rue.
- Il nous a échappé !
232
- Nous le retrouverons. L’essentiel, c’est d’avoir
éliminé son chef ! s’exclama Sekhmet en observant
Haton le crâne en sang, allongé contre son fils, la bouche
ouverte et les yeux révulsés.
- Les charognes…
- Et pour Bremond et Rouel ?
Sekhmet inspira un coup sec et s’avança vers les deux
hommes évanouis. Elle redressa la tête de Bremond et
plaqua son pistolet contre son front.
- Adieu ordure ! murmura-t-elle.
Au même moment, la porte s’ouvrit et Bastet apparut
en compagnie de Stephan et Bob. La déesse protectrice
était vêtue d’une longue robe blanche. Lorsqu’elle écarta
les bras, son aura enveloppa la pièce entière. L’ankh
qu’elle portait autour du cou se mit à briller de mille
éclats.
- Arrête ! Amon et Râ ont agi sous le coup de la colère
en te demandant d’éliminer ces voyous, et ils le
regrettent. Calme-toi et oublie ta soif de vengeance, cria
Bastet.
- Laisse-les vivre, Bremond et Rouel ne sont pas des
assassins, ajouta Stephan.
- Mais Osiris est mort, ils doivent payer !
- Tu ne peux pas éliminer tout le monde. Allez, range
cette arme et viens avec nous. Amon nous attend !
Bastet ferma les yeux et prononça une formule
magique qui apaisa aussitôt Sekhmet. La déesse
sanguinaire retrouva son visage angélique.
- Tu as raison, je ne peux pas éliminer des innocents…
Stephan s’avança et prit la belle blonde dans ses bras.
- Viens, nous ne devons pas rester ici, la police va
arriver.
- La pièce est insonorisée, je ne pense pas que
quelqu’un ait entendu les coups de feu, remarqua Bob.
233
- De toute manière, Armand nous couvre, lâcha
Amémet.
Bob entrouvrit la porte.
- La voie est libre, nous pouvons sortir.
Les membres de Neutrino franchirent rapidement le
long couloir qui les séparait de la sortie.
- Les videurs ne sont plus là ! Ils sont passés où ?
- Je me suis occupée d’eux, ainsi que de l’homme qui
gisait entre les deux véhicules, annonça Bastet.
- Personne ne t’a vue ?
- Je maîtrise le Kâ, ne l’oublie pas ! Je peux passer
inaperçue lorsque je le souhaite.
- Que faisons-nous à présent ? demanda Sekhmet en
serrant très fort la main de Stephan.
- Nous devons rejoindre les guides. Isis prépare la
cérémonie. La prophétie se réalise, l’âme d’Osiris doit
être guidée vers le royaume des morts. Avant qu’il ne
nous quitte définitivement, le grand Horus doit être
révélé.
- Horus ? demanda Sekhmet, stupéfaite.
- Isis nous attend. Vous allez bientôt découvrir la
prophétie. »
234
21
Les membres de Neutrino étaient tous réunis autour du
grand Osiris, dans la villa de Tibère, à Vaison-laRomaine. Le visage sombre et les yeux humides, ils se
recueillaient une dernière fois devant leur guide
spirituel. Osiris, le visage serein, les bras croisés, le
sceptre Neheh et le fouet Heqa dans les mains, était
allongé dans un cercueil fabriqué avec du bois de
sycomore.
Isis, les paumes dirigées vers le ciel, lisait à haute voix
un texte écrit en hiéroglyphes et inscrit sur un vieux bloc
de granit. Tel était l’Hymne à Osiris dans l’Égypte
ancienne :
Mis sur le trône de son père,
Loué par son père Geb,
Aimé de sa mère Nout,
Puissant quand il tue les rebelles,
Dont le bras fort fait tomber ses ennemis,
Vainqueur de ceux qui font le mal,
Écrasant les rebelles d'un cœur ferme…
Sa sœur est sa gardienne,
Tenant ses ennemis à l'écart,
Elle arrête les fauteurs de troubles,
Par le simple pouvoir de la parole.
235
Celle dont la langue est habile,
Dont le discours jamais ne faillit,
Puissante Isis, protectrice de son frère !
Qui partit à sa recherche, infatigable,
Qui erra dans le pays, pleurant,
Qui jamais ne se reposa jusqu'à ce qu'elle le trouve.
Le mettant à l'abri dans son plumage,
Lui faisant de l'air avec ses ailes,
Elle se réjouit et se joignit à lui,
Lui rendant son souffle vital,
Pour devenir réceptacle de sa semence et porter son
héritier.
Une fois le texte sacré prononcé, Isis prépara le
dernier voyage de son ancien amant tel qu’il était
enseigné dans le livre des morts égyptien. Ce rituel
ancestral l’aiderait à franchir les diverses étapes que
devait subir le défunt. À la suite de ce périple, son âme
arriverait enfin au Douât : le monde des dieux ! Mais
avant qu’il ne quitte définitivement son enveloppe
charnelle, elle devait auparavant utiliser le Kâ d’Osiris,
sa force vitale, pour insuffler le souffle de vie au nouvel
Horus.
Face à eux, Thot brandissait l’ankh, la croix de vie. Il
aidait Isis à guider l’énergie vitale vers l’élu. Un souffle
chaud traversa la pièce et une lymphe translucide
enveloppa chacun des membres. Thot posa la croix et
déclara :
« Vous vous demandez certainement qui va prendre
place aux côtés de Maât et Tibère pour diriger
Neutrino ? Comme je l’ai déjà dit précédemment, le
cycle se poursuit, et rien n’est le fruit du hasard. Horus
est déjà parmi nous mais pour qu’il puisse retrouver ses
pouvoirs ancestraux, il doit recevoir le souffle éternel.
236
Le nouveau millénaire vient de débuter, et l’énergie de
l’Égypte ancienne lui insufflera la connaissance
universelle. Je sais que c’est difficile à comprendre mais
c’est ainsi : l’énergie vitale demeure éternelle.
Isis prononça de nouvelles incantations tandis que
Maât, Tibère, Amon, Râ et Anubis priaient pour le
départ du Ba d’Osiris. Chez les Égyptiens, le Ba
représentait l’âme du mort.
Stephan, qui était un profane en la matière, observait
la cérémonie, les yeux écarquillés. Pour la première fois
de sa vie, il assistait à un rituel funéraire. Bob, qui avait
déjà participé à de mystérieuses séances de magie, était
toujours resté hermétique au pouvoir d’Isis. Quant à
Zibus, Gérald, Patrick, Mustang et le Corse, ils ne
s’étaient jamais vraiment posé la question. Pour eux, Isis
possédait certains dons, tout comme Sekhmet et Bastet,
et ils l’acceptaient. Mais à présent, les paroles de Thot
les effrayaient ! Ce concept d’énergie ancestrale, de
pouvoirs occultes et de transmission de savoir les
dépassaient complètement. Ils perdaient leurs repères !
Tout à coup, alors qu’ils écoutaient attentivement les
formules magiques prononcées par Isis, un étrange
phénomène se produisit : le corps d’Osiris devint d’un
blanc pur et brillant. Un éclair jaillit au milieu de la
pièce, aveuglant tout le monde.
Thot s’avança en direction de Stephan en écartant les
bras.
- Horus, le dieu faucon, tu es né de l’union du Kâ
d’Isis et d’Osiris. Tu es le réunificateur des deux terres !
Aujourd’hui, tu reviens pour guider l’humanité vers la
vérité. Reçois le souffle éternel qui te redonnera les
pleins pouvoirs.
Thot posa ses mains sur les épaules de Stephan qui se
sentit traversé par un puissant courant électrique. Il avait
237
l’impression que chacune des cellules de son corps se
restructurait. Sa tête se mit à tourner, ses paupières
devinrent si lourdes qu’il dut les fermer. La voix d’Isis
se faisait de plus en plus distante.
En rêve, Stephan se voyait à l’intérieur d’une immense
pyramide dans laquelle il observait des hommes en
tunique blanche, arborant des masques en or et
effectuant une cérémonie initiatique. L’un d’eux
s’approcha de lui et parla dans une langue inconnue.
Ensuite, il se figea et brandit un bâton. Puis Stephan
perdit pied à nouveau, et des milliers d’images
traversèrent son cerveau. Quelques secondes plus tard, il
retrouvait ses esprits.
- Ça va Stephan ? Comment te sens-tu ? Tu es tout
pâle, s’enquit la belle Sekhmet, paniquée.
- Oui, oui… C’est bizarre, je me sens léger, très
léger… J’ai la tête qui tourne.
- Ce n’est rien. À présent, tu es le nouvel Horus !
ajouta Isis.
- Le nouvel Horus… Mais c’est quoi cette histoire de
fou ! Et Thot, où est-il passé ? demanda Stephan en
regardant de tous les côtés.
- Il est parti. La cérémonie est finie et la prophétie
s’est réalisée. Maintenant tu es le nouveau guide de
Neutrino.
- Mais… Je… Ce n’est pas possible ! Comment je vais
faire… Je ne peux pas.
- C’est ainsi, tu apprendras ! Nul ne peut lutter contre
sa destinée.
Stephan se tourna vers Sekhmet, abasourdi.
- Je n’y arriverai jamais. Comment pourrais-je diriger
une telle organisation ? Seul Osiris en était capable !
238
- Thot t’a transmis la force nécessaire. Fais-lui
confiance ! Dès aujourd’hui, tu deviens notre guide. Tu
seras le pilier qui soutient l’édifice.
- Ne t’inquiète pas, Maât et Tibère seront toujours
présents pour te guider. Tu n’es pas seul, Neutrino est
une grande famille, ajouta Isis pour le rassurer.
Au même moment, la grande porte s’ouvrit et le
commissaire Armand apparut.
- Excusez-moi du retard… Je suis désolé d’arriver à la
fin de la séance mais l’enquête a pris plus de temps que
prévu. Félicitations Stephan, je suis persuadé que tu
sauras reprendre le flambeau. Nous te faisons tous
confiance.
- Euh, bonjour mais… vous me connaissez ?
Amon et Râ s’avancèrent pour accueillir leur ami.
- Bien évidemment qu’il te connaît, nous lui avons
déjà parlé de toi ! Thot nous avait déjà dit que tu serais
le futur Horus.
- Donc vous saviez qu’Osiris allait mourir ?
- Bien sûr que non, Thot n’avait encore rien dit. Lors
de notre dernière rencontre, il avait simplement annoncé
que c’est toi qui reprendrais la direction du groupe de
Vaison-la-Romaine. Nous ne pensions pas que cela se
produirait ainsi…
- Je souhaiterais tellement qu’il soit encore parmi
nous ! » s’exclama Isis en laissant échapper une larme.
L’assemblée se recueillit une dernière fois autour
d’Osiris pour lui témoigner sa profonde compassion. Isis
s’avança et lui effleura la main tendrement tout en
l’embrassant sur le front. Ce que ne savaient pas les
jeunes membres, c’est que par le passé, Osiris et Isis
avaient eu une idylle qui avait duré plusieurs années
mais à cause de leurs responsabilités, ils avaient dû se
239
séparer. Néanmoins, ils se témoignaient l’un envers
l’autre une profonde tendresse.
Lorsque la cérémonie fut terminée, ils se réunirent
tous dans l’hypostyle pour discuter de l’affaire Lady
Blue.
« Ne vous inquiétez pas, il ne reste plus aucune trace
de votre passage dans la discothèque. Set est le principal
suspect pour l’assassinat d’Haton, et il est activement
recherché par la police ! C’est comme si vous n’aviez
jamais mis les pieds au Lady Blue. Le chef de la police
scientifique est une vieille connaissance… Il va
d’ailleurs intégrer, très bientôt, la section Neutrino de
Marseille. Par la suite, il espère faire initier certains de
ses techniciens. Bremond et Rouel sont actuellement en
garde à vue. Ils ne se souviennent plus de rien ! Ils
seront poursuivis pour proxénétisme aggravé, comme
Angelo, le gérant du Lys. Dans la voiture de Rouel, nous
avons retrouvé une valise contenant plusieurs sachets de
cocaïne, ainsi que des liasses de billets. Depuis une
semaine nous épluchons les dossiers que vous nous avez
transmis, et croyez-moi, avec toutes ces preuves, ils
resteront un bon moment sous les verrous. Vous avez
fait du bon travail mes amis. Grâce à vous, l’enquête
sera vite bouclée ! Je dois quand même vous avouer que
j’ai longtemps hésité à rejoindre le groupe puis, à la
suite du décès d’un de mes inspecteurs, j’ai décidé de
franchir le pas. Ensemble, nous accomplirons des
miracles.
- Et les filles ? Que vont-elles devenir ? demanda
Zibus.
Le commissaire Armand baissa la tête.
240
- La plupart n’étant pas françaises, elles devront
retourner dans leur pays d’origine ! Je suis désolé…
- Et Szeréna ? s’inquiéta Bob.
- J’en ai déjà touché un mot à un vieil ami. Pour
l’instant, évitez de vous faire remarquer mais je pense
qu’il n’y aura pas de souci.
- Merci beaucoup commissaire, ajouta-t-il, rassuré.
- Nous retrouverons cette ordure de Set, et s’il le faut,
nous irons le chercher à l’autre bout du monde, ragea
Stephan en serrant les poings.
- Calme-toi mon chéri, lui susurra Sekhmet en lui
caressant la main.
- À présent, je dois rentrer, Carole amène Élodie ce
soir ! Tu viens avec moi ?
Sekhmet hocha la tête en lui faisant les yeux doux.
Anubis s’approcha de Stephan.
- Attends, nous n’avons pas encore terminé la séance.
Suis-moi !
Stephan suivit l’homme à la tête de chacal au bout de
la salle.
- Assieds-toi.
Il s’exécuta sans broncher.
- Maintenant que tu es devenu notre guide, il te reste
une dernière étape à accomplir.
- Laquelle ?
Anubis sourit et lui montra son poignet.
- Le tatouage sacré ! L’emblème de Neutrino.
- Tu m’as fait peur ! » s’exclama Stephan, rassuré.
Anubis sortit son matériel et se mit à l’œuvre.
Une heure plus tard, Stephan arbora le tatouage sacré
de Neutrino, ses amis applaudirent.
241
« Voilà, maintenant tu fais vraiment partie des nôtres,
ajouta Anubis.
- Comme c’est mignon ! s’émerveilla Amémet en
contemplant le tatouage.
- Allez, filez ! Maintenant que nous avons terminé la
mission, profitez de vos quelques jours de congé, dit
Amon en désignant Sekhmet et Stephan.
- Merci à tous ! » lança le nouvel Horus, ému, en
quittant la salle main dans la main avec sa dulcinée.
Une semaine plus tard, Stephan et Sekhmet
embarquaient pour le vol 575, en destination de la
Thaïlande, en compagnie de Bob et Szeréna. Dans
l’avion, le nouvel Horus lisait une lettre de sa fille.
« Carole est d’accord pour me laisser Élodie tous les
week-ends, et même le mercredi soir. C’est
merveilleux !
- Oui mon chéri, tout se termine bien, dit la belle
Sekhmet en posant la tête sur son épaule.
Philippe, Manolo et Jeannot étaient eux aussi du
voyage. Les trois intérimaires partaient en vacances
avant d’être embauchés par le nouveau directeur qui
remplaçait Haton. Ils comptaient bien faire la fête tous
les jours.
- Il est cool le nouveau boss ! cria Jeannot au fond de
l’appareil.
- Ouais, un super chef ! » ajouta Manolo en levant le
poing.
Stephan se retourna et fit un clin d’œil. C’était lui le
nouveau directeur.
242
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