neutrino - Patrick
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Patrick Bouchet NEUTRINO 1 2 Texte des pyramides, 1004 Saqqarah. « Que je vive ou que je meure, je suis Osiris. Je pénètre en toi et je réapparais à travers toi ; je dépéris en toi et je croîs en toi... Les dieux vivent en moi parce que je vis et je croîs dans le blé qui les soutient. Je couvre la terre ; que je vive ou que je meure, je suis l’Orge, on ne me détruit pas. J’ai pénétré l’Ordre... Je suis devenu le Maître de l’Ordre, j’émerge dans l’Ordre. » 3 4 1 Stephan Bringel habitait à Saint-Paul-Trois-Châteaux, une petite ville du Sud de la France, depuis déjà quelques années. Il y menait une vie paisible en compagnie de son épouse Carole, infirmière en Avignon, et de leur fille. Ses journées étaient bien réglées. Le matin, il préparait seul sa petite Élodie, car Carole était de garde à l’hôpital. Ensuite, il la déposait à l’école à 8 heures précises puis filait rapidement à son travail. Vers 8 heures 15, il franchissait la porte de l’entreprise. Il saluait les employés puis allait en toute hâte s’enfermer dans son bureau et plongeait le nez dans ses dossiers jusqu’à la fin de la journée. Lorsque sa montre affichait 18 heures, il se hâtait de récupérer sa fille chez la nourrice, et enfin, il préparait le dîner. Comme bon nombre de ses congénères, il espérait continuer ainsi jusqu’à sa retraite une vie parfaitement organisée et sans imprévu. Mais voilà qu’un jour, tout bascula. À la suite du départ en retraite de monsieur Horme, un nouveau directeur fut nommé par la direction générale de Lyon. Avant l’arrivée de ce dernier, Stephan s’occupait de gérer l’entreprise, et par conséquent, c’est lui qui aurait dû devenir le directeur de l’agence locale, mais voilà que le P.-D.G. avait nommé un nouveau directeur : l’abject Haton. 5 Depuis maintenant six mois, le nouveau venu remaniait l’entreprise à sa convenance et se comportait comme un tyran. Il méprisait et insultait les employés. Il était le chef, et tout le monde lui devait le respect. Le nouveau directeur avait même embauché son ancien chargé d’affaires, et destitué Stephan de son poste. Tous les lundis et vendredis matin, accompagné par Bremond, son tyrannique chargé d’affaires, l’infâme Haton exigeait une réunion pour faire le point sur l’avancement des divers chantiers : « Alors monsieur Bringel, où en sommes-nous dans les travaux d’éclairage ? Ça avance ? Il ruminait en fronçant les sourcils. Haton était un petit homme dégarni, au regard vif et perçant. Tel un vautour, il était prêt à dépecer chaque proie qui lui passait sous le nez. Le sourcil saillant, il toisait Stephan. - Euh… Nous avons mal évalué le temps de pose de chaque élément. Il faut placer les fixations, mettre le luminaire et raccorder, ça prend plus de temps que prévu. Nous n’aurons pas terminé les niveaux à la fin du mois. - C’est la faute de ces maudits intérimaires si le travail n’avance pas. Nous avons choisi des nuls. Rien dans la tête, et encore moins dans les bras. De la viande avariée ! rétorqua François Bremond d’un ton sec et cassant. Cet homme éprouvait un plaisir particulier à humilier les gens et à les rabaisser à un point dépassant l’ultime limite de l’acceptable. Si certaines personnes sur Terre possédaient les attributs du démon, il en faisait partie. Il était résigné à éliminer tous ceux qui pouvaient lui barrer la route. - Il fallait les virer dès le début si c’est des bons à rien ! Vous êtes vraiment un incapable, Bringel ! Nous 6 ne manquons pas d’intérimaires. Nous allons perdre de l’argent si nous ne terminons pas le niveau. Et vous savez aussi bien que moi que l’exploitant choisira une autre entreprise prestataire si nous ne terminons pas dans les temps ! gronda le directeur. - Nous ne pouvons pas aller plus vite, nous sommes déjà limites avec les agents de la radioprotection, les intérimaires se plaignent de ne pas avoir de masques de protection et de dépasser les doses journalières, lança Stephan. - Foutaises, c’est n’importe quoi ! Encore cet imbécile de Patrick. Il n’a qu’à pas rester collé au générateur de vapeur. Il a pris combien ? - 2 mSv… Et ce n’est que la deuxième semaine. La limite, c’est 1,5 par mois. - Bon… bien… On ne renouvellera pas son contrat sur la centrale, c’est plus simple. Vu qu’on ne doit pas prendre plus de 4,5 sur trois mois, ça ira. - Mais… il a aussi une dose élevée de cobalt. - Quelle idée de prendre des jeunes qui sortent de la fac. Si cet incompétent qui gère la boîte d’intérim nous avait dit qu’il avait un mastère en électricité… - François et Bringel, sur le chantier cet après-midi. Bougez-moi ces fainéants. Ren-ta-bi-li-té ! Foutez-vous ça dans le crâne ! » hurla le directeur en claquant la porte, sous les yeux médusés des employés. Haton méprisait Stephan car il disait que c’était par piston qu’il avait obtenu son poste. Après le bac, Stephan était entré à l’EEAI en tant que technicien puis, rapidement, il était passé chef du bureau d’études, et enfin chargé d’affaires. Mais voilà, il ne possédait que le bac pour tout diplôme ! Haton, lui, était centralien, et son ami, Francis Bremond, ingénieur Supélec. Dès leur arrivée, ils avaient joué de mille stratagèmes auprès de la maison mère de Lyon pour mettre ce prétentieux au 7 placard et ils avaient réussi. Stephan était redevenu un simple technicien d’études en électricité et accessoirement, assistant chargé d’affaires. Haton l’envoyait régulièrement en déplacement dans le Nord de la France, à Gravelines, pour le faire craquer. Pourtant, durant la dernière décennie, Stephan en avait vu de jeunes requins, prêts à tout pour lui voler sa place ! Mais aujourd’hui, les règles du jeu avaient changé. La machine diabolique était en marche ; tel un train lancé à grande vitesse, le bolide fou filait à vive allure. Du jour au lendemain, tout pouvait basculer au sein de l’entreprise. Les chargés d’affaires pouvaient démissionner en conservant les listes de clients, coulant ainsi leur entreprise, comme le faisait sans scrupule François Bremond. Treize heures. Bremond ouvrit sans frapper la porte du bureau du chef de chantier. « Gérald, vous devez terminer le chantier à la fin du mois. Débrouillez-vous comme vous voulez, il doit être terminé ! - Il nous faudrait une personne de plus, monsieur Bremond. - Soit ! Vous pourrez aller sur le chantier en tant que chef de travaux car la semaine prochaine, un nouveau chef de chantier nous rejoindra. Gérald Jurlin, 30 ans passés, 1 mètre 80, les yeux bleus, légèrement dégarni, regardait le chargé d’affaires, interloqué. Il venait lui aussi d’être assigné à son nouveau poste. Il y a tout juste un an, alors qu’il était embauché en CDD chez EDF, la société EEAI lui avait proposé un CDI pour obtenir les contrats d’électricité du bâtiment réacteur. Depuis six mois il remplaçait l’ancien chef de chantier parti en retraite, et on venait de lui attribuer un nouveau statut : chargé de travaux. 8 En résumé, il serait moins payé que les intérimaires, et avec une charge de travail supplémentaire. Quelle belle récompense ! - Mais qui va dessiner les plans ? bredouilla Gérald. - Vous, bien sûr ! rétorqua aussi sec Bremond. - Mais… - Bon, allons sur le chantier ! » Le chargé d’affaires poussa violemment la porte des vestiaires, sous les yeux médusés des ouvriers : « Ce n’est pas possible. Il est déjà 13 heures 10, et vous n’êtes pas encore changés ? Bougez-vous ! Jean, un vieil intérimaire, de taille moyenne, les cheveux poivre et sel, faillit renverser son café. Il avait parcouru le monde pour divers chantiers, et à la cinquantaine, il avait décidé de travailler dans le secteur du nucléaire afin d’augmenter sa future retraite. - Jean, tu te dépêches ! Nous ne te payons pas pour boire le café, bon sang ! - Oui, c’est bon, j’y vais. Ce que l’on peut dire sur la race des intérimaires, si malgré le fait qu’on puisse les nommer « les esclaves modernes », c’est qu’ils ne possèdent pas de véritable patron. Ils vont là où le vent les porte et sont en quelque sorte intouchables. Mais le côté négatif, c’est qu’ils ont droit aux sales boulots et à toutes sortes de petits chefs improvisés. - Allez, passe le badge, Jeannot ! Dépêche-toi, tu vas te faire engueuler », lança Manolo tout en enfilant la tenue blanche pour pénétrer en zone contrôlée, dans le bâtiment réacteur. Manolo, encore un intérimaire, tout comme Philippe et Patrick. Il était un peu la star du chantier car depuis une quinzaine d’années, il partait en vacances quelques mois, 9 en Thaïlande. C’est ainsi qu’il était devenu le guide touristique de ses meilleurs amis prêts à découvrir tous les plaisirs de ce magnifique pays… Jean et Manolo s’engouffrèrent par la grande porte, en direction du bâtiment réacteur, tandis que les chefs étaient encore en slip et n’avaient pas encore passé la tenue blanche de rigueur. Du coin de l’œil, Gérald détaillait le corps blanc et difforme de son chef. Bedonnant, le cheveu rare et le corps adipeux, Bremond n’avait aucune prestance. Il contrastait d’ailleurs avec Stephan qui était un beau garçon, brun aux yeux bleus et à l’allure athlétique. « Il faut se dépêcher, après je dois passer voir le client ! grogna une fois de plus l’insupportable Bremond. Ils se dirigèrent rapidement vers le vieil ascenseur afin d’atteindre le niveau huit mètres. - Il faudra qu’un jour ils investissent dans de nouveaux ascenseurs. Ceux-là ont bientôt quarante ans, observa Gérald. Après avoir échangé leur badge avec le gardien contre une carte numérotée, ils pénétrèrent enfin dans l’enceinte bétonnée : le bâtiment réacteur. Le nombre de places étant limité à une centaine de personnes, chacun possédait un identifiant. Munis de la carte numérotée, du dosimètre électronique et du film dosimétrique, ils arrivèrent enfin sur le chantier. - Cette fois, nous avons eu droit au bigleux, la dernière fois c’était le nain, et celle d’avant le manchot ! Ils les prennent où les gardiens, dans un cirque ? s’exclama Bremond en ruminant. 10 Stephan ne répondit pas mais si ses yeux avaient été des pistolets, son collègue aurait été tué sur-le-champ. - Bon, il est où Jean ? Il devrait être à ce niveau avec le chargé de travaux ! Qu’est-ce qu’il fait encore ? Il se promène ? Il vociférait, les yeux exorbités. - Il est dans les GV, lança Patrick, qui se trouvait derrière un gros tuyau. - Et toi, tu te promènes aussi ? Pourquoi tu n’as pas d’outils dans les mains ? Tu crois qu’ils vont se monter seuls, ces luminaires ! - Je dois aller chercher les sacs, les agents de la radioprotection viennent de nous engueuler parce qu’on perçait sans protection. En plus, les murs sont pourris, quand on perce, il y a tout qui se barre. Quand je pense qu’on dit que ça pourrait résister à un avion… Un deltaplane plutôt ! Et je vous signale qu’on n’a toujours pas les masques ni les aspirateurs, et qu’on respire la poussière, répondit Patrick, l’air détaché. - Mais il n’y a pas d’alpha ici, tu ne crains rien. Allez, bouge-toi ! hurla de nouveau Bremond. L’intérimaire déguerpit sans demander son reste. Quand les chefs étaient là, il valait mieux se cacher pour être tranquille. Dans son coin, Stephan souriait. C’est lui qui avait fait embaucher Patrick, un ami de Gérald. Certes, ce n’était pas un foudre de guerre, mais pour un garçon qui n’avait jamais touché un outil de sa vie, il savait utiliser le perforateur et le marteau convenablement. - Celui-là, la prochaine fois il est viré s’il ne se bouge pas plus ! lança le chargé d’affaires, hors de lui. - Mais, il fait son travail ! bredouilla Gérald, agacé. - Je m’en fous, c’est un bon à rien, et de la viande, rien de plus. Et c’est moi le chef, non ? Bon allez, je vois 11 qu’ici rien n’a avancé, on va passer au niveau vingt mètres. » Sur les hauteurs du bâtiment réacteur, les ouvriers devaient installer des projecteurs de mille watts. Bremond avait formellement interdit tout intérimaire sur cette partie de la centrale. « Je ne veux pas voir d’intérimaire là-haut, que fait Philippe tout seul ? Il n’y a pas de chargé de travaux, ici ? Ils sont où, Jean-Roger et Kimi ? vociférat-il à nouveau. - Nous faisons ce qu’on nous dit de faire, lança Manolo en toisant le chef, immobile. - Vous êtes vraiment un imbécile, Gérald, vous savez bien qu’il ne faut pas d’intérimaires ! Allez me chercher l’équipe qui est à moins trois mètres cinquante. Philippe, descends de là, et vite. Philippe était un des cinq intérimaires du chantier. Trente-six ans, l’allure plutôt athlétique, cheveux courts. Il travaillait toujours au même rythme et parlait peu. Ses collègues de boulot l’avaient surnommé « le muet ». - Ce n’est pas possible, ils ont tous un problème, ces intérimaires, marmonna Bremond. - Il fait son travail, c’est le principal, répondit Stephan, énervé. - Nous ne sommes pas un centre social. Nous ne pourrions pas trouver des types qui travaillent rapidement, pour pas cher, et convenablement ? - Il faut voir avec les Turcs, rétorqua Stephan, agacé par la méchanceté du chargé d’affaires. Gérald arriva, essoufflé, le casque de travers. - J’ai envoyé Jean placer le matériel et les outils dans le local. Ceux du bas vont arriver. 12 - Il est bon qu’à ranger. Et en plus, il se plaint que l’ancienne boîte a dit de lui qu’il n’était pas motivé. Tu m’étonnes. Tout à coup, le niveau entier se trouva plongé dans l’obscurité. - Qu’est-ce qu’ils ont fait encore, ces incapables ? Philippe arriva, la lampe torche à la main, l’air sot, et bredouilla : - En raccordant, j’ai fait toucher les fils… - Vous ne devez pas raccorder les câbles électriques sous tension, c’est interdit ! brailla Bremond. - C’est de votre faute, à force de les faire aller toujours plus vite, un jour, vous aurez un mort sur la conscience, rétorqua Stephan. - Foutaises, c’est des nuls, voilà tout. Dépêche-toi Philippe, va remettre le disjoncteur. Quelle bande de bons à rien ! » Vers 16 heures, toute l’équipe se retrouva devant le coffre, à huit mètres, pour faire le point sur l’avancement des travaux. Et bien sûr, comme toujours, Jean manquait à l’appel. « Il est passé où Jean ? Ne me dites pas qu’il range encore le matériel ! Gérald, allez voir s’il est toujours à onze mètres. Lorsque Gérald arriva à l’étage, l’intérimaire était tranquillement assis sous une bâche, en train de compter des boulons. - Oh, qu’est-ce que tu fais ? Tu devais juste ranger. - C’est ce que je fais, répondit Jean en levant les bras au ciel. - Ça fait trois heures que tu es là. Tu te fous de moi ? - Mais je range les boulons et les écrous, ça me prend beaucoup de temps ! 13 - Balance-moi tout ça, c’est des boulons dont on ne se sert plus ! Jean s’exécuta en bougonnant et en regardant Gérald du coin de l’œil. - Vous ne nous ménagez pas, vous, les jeunes ! lançat-il, agacé. - Si tu écoutais, toi, aussi… Allez, dépêche-toi, Bremond hurle en bas. De retour aux vestiaires, les ouvriers eurent droit au sermon de l’abominable chargé d’affaires. Fier et immobile, Bremond se tenait face à sa dizaine de bonshommes, tel Zeus sur le mont Olympe. Il savait que les types le regardaient et il gonfla son torse en criant et en postillonnant sur ce bon vieux Jeannot : - Et toi, tu crois que le travail va se faire tout seul, tu as fait quoi aujourd’hui ? Vous êtes tous des bons à rien. Quant à toi Philippe, si je te prends en train de faire sauter une nouvelle fois l’alimentation, tu dégages ! Il criait à n’en plus finir, se sentant presque de nature divine face à la jolie jeune femme qui venait d’arriver pour nettoyer les vestiaires. Paul, que l’on surnommait « le Corse », le dernier des cinq intérimaires, se leva et se planta devant Bremond. - Espèce de merde, t’as vu comment t’es taillé ! Je suis corse, et tu crois que tu vas me faire peur, mangemerde ? Je te plastique ta voiture quand je veux, alors ferme ta grande gueule pauvre enculé, et mon contrat tu peux te l’enfiler là où je pense. Les ouvriers baissèrent la tête en voyant Bremond changer de couleur, passant du blanc au rouge écarlate. Le Corse, musclé et de taille moyenne, brun et les yeux d’un vert perçant, se tenait immobile face à son supérieur qui le menaça. - Qui es-tu pour me parler ainsi ? Je suis ton chef ! Je te vire sur-le-champ, minable. 14 - Viens, on va s’expliquer dehors ! hurla Paul en frappant sur l’armoire qui se gondola sous la violence de l’impact. Les yeux injectés de sang, hors de lui, il toisait Bremond qui subitement changea de ton. Personne n’osait approcher le Corse, il était à bout de nerfs. Le chargé d’affaires comprit que s’il ouvrait la bouche une fois de plus, c’en était fini pour lui. Il lança un regard de désespoir au reste de la bande mais personne n’intervint. Paul donna un coup de pied à travers la porte en bois qui se fendit en deux : il pétait les plombs. Trois gardiens qui arrivaient à ce moment-là essayèrent de le maîtriser, mais il réussit à se débarrasser d’eux. Tel un chien enragé, il se jeta sur Bremond, l’emmena au sol en lui assenant deux directs du gauche et un bon coup de coude sur l’arcade qui s’ouvrit sous la violence du choc. Patrick, comprenant qu’il devenait incontrôlable, sauta sur lui et effectua un mate-lao (un étranglement en triangle). Mais il n’arriva pas tout de suite à l’arrêter car Paul était sorti de ses gonds. Aidé des gardiens, il réussit malgré tout à le maîtriser. Quelques minutes plus tard, l’intérimaire était calmé mais Bremond restait encore à terre, un bandage sur le front. - Ça ne va pas se passer comme ça, espèce de voyou. Je vais porter plainte et te faire virer du site. C’est fini pour toi le nucléaire. Voyant que Paul s’était calmé, il beuglait pour reprendre la face. Le Corse, reprenant ses esprits, comprit qu’il était allé trop loin. Ses amis qui l’entouraient essayaient de lui remonter le moral : - Ça devait arriver, lança Manolo, fataliste. - Eh oui, c’était inévitable. On ne peut pas traiter les gens comme des moins que rien ! Un jour ou l’autre, on 15 a le retour de manivelle », rétorqua Patrick, énervé par le discours de l’abject Bremond. Le lendemain, le Corse était renvoyé. Bremond, peu fier de la correction qu’il avait reçue, n’ébruita pas l’histoire et ne porta pas plainte. Stephan supportait de moins en moins ses nouveaux chefs qui ne cessaient de lui imposer une terrible pression. Ils voulaient se débarrasser de lui et l’envoyaient régulièrement en déplacement. D’abord à Gravelines, puis à Blaye, et enfin à Saint-Alban ; la France ne manquait pas de sites nucléaires. 16 2 Quatre mois venaient de s’écouler, la mission de Stephan à la centrale de Gravelines s’achevait. Il était enfin de retour dans le Sud pour un nouveau chantier. Mais depuis quelque temps, Carole était devenue très distante. Elle se comportait comme si Stephan était un étranger et il ne la reconnaissait plus ! Elle avait beaucoup changé ces derniers mois. Que lui arrivait-il ? Lorsqu’il travaillait dans le Nord, elle était sortie régulièrement le week-end, avec ses collègues de travail. Ensemble, auparavant ils dînaient tous deux au restaurant, jouaient au bowling et sortaient même en discothèque. Au fil des semaines, leurs relations s’étaient profondément dégradées, au point que les discussions se terminaient toujours par une dispute. De plus, chaque jour il devait subir l’odieux Bremond et le tyrannique Haton. Grâce aux antidépresseurs, il tenait bon, mais pour combien de temps encore ? Ce jour-là, Stephan claqua la porte d’entrée après une nouvelle dispute. « Puisque c’est comme ça, je ne rentre pas ce soir, je vais dormir à l’hôtel ! » hurla-t-il en quittant sa demeure. 17 Dans la ville de Saint-Paul, il errait comme une âme en peine en maudissant ses chefs. Il se surprit même à souhaiter la mort de ses bourreaux qui prenaient un malin plaisir à briser sa vie. La soif de vengeance nourrissait cette haine qui jour après jour consumait son cœur. Un an seulement auparavant, à la suite du départ de monsieur Horme, c’est lui qui dirigeait l’entreprise. Avec sa femme, il vivait un bonheur parfait : il sortait régulièrement au restaurant avec elle, parcourait les magasins le samedi matin… Ils étaient très amoureux, et leur couple voguait sur une magnifique mer d’amour. À aucun moment il n’aurait imaginé cette triste déchéance. Aujourd’hui, il ne représentait plus rien dans son entreprise et son couple était un désastre. Au bord du gouffre, il décida d’appeler son collègue de travail : « Gérald, excuse-moi de t’appeler si tard, mais ça ne va vraiment pas fort, et je ne sais pas trop où aller. Tu veux venir prendre un verre à Saint-Paul ? - Viens plutôt chez moi à Bourg, enfin, chez mes parents… Il y a Patrick et d’autres potes qui doivent passer, nous allons manger au restaurant. - Ah… OK, j’arrive alors ! Ça me changera les idées ! » Lorsqu’il arriva sur les hauteurs de Bourg-SaintAndéol, Gérald, son père et Patrick discutaient sur la terrasse. « Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Ça n’a pas l’air d’être la grande forme, tu fais une de ces têtes ! - Je viens de me disputer avec Carole, et au boulot c’est l’enfer. 18 Tandis que Gérald écoutait ses déboires, son père lui servit un verre de rhum. - Allez, bois un coup, ça ira mieux ! Assis en bout de table, Stephan buvait en écoutant les vieilles histoires de Gérald. - Hobby one, Exo, Mustang, Bob, Zibus… C’est quoi ces surnoms ? Gérald et Patrick éclatèrent de rire devant le visage étonné de leur collègue. - Lorsque nous étions plus jeunes, nous faisions de la C.B. Nous avions donc un pseudo, moi c’était Hobby one et Patrick, Exo ! - Quand je pense que jusqu’à 22 ans, je ne sortais pas, et que la seule fois où je suis allé en boîte, j’ai rencontré Carole… Ma vie n’a jamais été très passionnante… Patrick secoua la tête, dépité. Quelle triste jeunesse il devait avoir eue, ce pauvre garçon ! Puis il lança à Gérald : - Tu étais le seul à ne pas prendre de drogue, pourtant avec ta tronche, tout le monde te prenait pour un dealer. - N’importe quoi, qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? rétorqua Gérald, étonné, les yeux grands ouverts. - On dirait un cinglé, lança Patrick, hilare. - T’as vu ta tronche à toi ? Celui-là, je te promets… Quel comique ! Tu te souviens de la première fois que Fossoyeur a eu son permis ? - Oui, trop fort… Il s’est retrouvé le guide de toute une file de voitures, en direction des docks de Marseille pour une rave sauvage. - Ce n’est pas ce soir-là que Mustang devait se calmer sur le produit ? ajouta Gérald en éclatant de rire. - Si, mais il a fini avec un acide et deux ecsta dans le gosier. Stephan écoutait ces histoires rocambolesques, stupéfait. Il regrettait d’avoir vécu une jeunesse si calme. 19 À la même époque, il passait ses week-ends enfermé dans sa chambre, avec son ordinateur pour seul ami. - Et la soirée où Ludovic, complètement ivre, a planté un culot de bouteille dans le crâne d’un pote à K-nar, c’était vraiment un truc de fou ! s’exclama Gérald. - Ce n’est pas pire que la soirée d’anniversaire de sa cousine, au Diamond. Elle lui avait fait promettre de ne pas se battre, tu te souviens ? Ah, pour ne pas se battre, il ne s’est pas battu, mais il a quand même fini aux urgences ! - Il a fait quoi pour finir aux urgences, cette fois-là ? demanda Stephan, stupéfait, en avalant son troisième verre de rhum. - Après avoir arraché toutes les capsules des bouteilles de bière avec ses dents, il avait décidé de casser un verre à la main… - Et ça n’a pas marché… - Bien sûr que si, mais une fois le verre cassé, il a décidé de le briser dans le sens inverse. Le verre était déjà en plusieurs morceaux, des bouts tranchants dépassaient, et l’un d’eux a entaillé son majeur. - Il est complètement barjot ! - Le mot est faible, et je ne te raconte pas le matin quand je suis passé les récupérer aux urgences… Zibus draguait l’infirmière en braillant au toubib que ce n’était pas un marrant, et Ludovic badigeonnait les murs de Bétadine. - J’espère qu’il ne sort pas avec nous ce soir, lança Stéphan, inquiet. - Sois tranquille, il travaille au Canada ! Après une histoire en Suisse, il a quitté le pays. - Il avait fait quoi ? - Il était cuisinier, et son patron ne voulait pas le payer. Lorsqu’il a réclamé son salaire, l’homme s’est enfermé à double tour. Ludovic a explosé la baie vitrée à 20 coups de poing, s’entaillant gravement tous les tendons de la main, puis il a tout cassé à l’intérieur. Le patron a eu droit au tire-bouchon planté dans la mâchoire. - C’est terrible ! Il est fou… Soudain, un bolide klaxonna. Cinq énergumènes jaillirent de la pénombre. Parmi eux, il y avait le Corse, son frère Mustang, Zibus l’informaticien de Marcoule, Yann, et Bob. - Nous bougeons sur Avignon ! Nous allons manger chez Georges puis nous terminons la soirée au Baos : il y a une soirée infirmière ! lança l’informaticien en titubant, les yeux injectés de sang. - C’est parti, il est déjà 9 heures et demie. Il faut se dépêcher, il ne va pas nous attendre le Georges », rétorqua Gérald. Les deux voitures roulaient à tombeau ouvert en direction d’Avignon. Yann, le conducteur du premier véhicule, sortit une étrange mixture de la boîte à gants. Stephan s’inquiéta lorsqu’il déposa la drogue sur un plateau qu’il fit circuler. « Vas-y, ce n’est qu’un petit mélange, ne t’inquiète pas, dit Mustang en souriant. - Bon, juste un peu alors. Yann ouvrit de nouveau la boîte à gants et en sortit un sachet de cannabis. Mustang attrapa le produit magique, colla trois feuilles et roula un filtre en carton. Une minute plus tard, il arborait la cigarette diabolique, un sourire en coin, narguant les occupants du véhicule. Le bolide était complètement enfumé et les joints tournaient entre chacun des occupants. Stephan, sous les effets de l’étrange mixture, se trouvait au paradis. Un bonheur indescriptible l’envahissait, il devenait le maître du monde. 21 Soudain, la voiture s’arrêta. Ils étaient arrivés au parking des Halles, à quelques mètres du restaurant. Mais qui était ce fameux Georges dont tout le monde parlait ? Dans un dernier instant de lucidité, il imagina un homme bedonnant, proposant une cuisine bien grasse, son restaurant perdu au détour d’une ruelle bien sale. Mais la surprise fut de taille lorsqu’une fois passé un pub branché, la joyeuse équipe arriva devant un joli petit restaurant asiatique, le Sih Lang. Les yeux écarquillés, Stephan détailla l’établissement à la propreté remarquable et au rare raffinement. Le fameux Georges, qui était aussi le patron, arborait ses nouvelles dents. Il venait de se faire opérer lors de son dernier voyage au Vietnam. - Ah, vous êtes de retour ! Ça fait plus d’un mois qu’on ne vous avait pas vus, les Gardois. Alors, toujours la même table au fond de la salle ? demanda Georges dans un grand sourire et en tapant sur l’épaule de Bob qui n’arrivait plus à tenir debout. - Ouaip, lança Zibus, le regard trouble. - Nous faisons notre petite tournée, expliqua Mustang en brandissant la cigarette magique. Georges conduisit la joyeuse bande au fond de la salle, dans une petite pièce à l’ambiance feutrée. Des étoffes chinoises rouges et noires ornaient les murs et une lumière tamisée éclairait la pièce. - Voilà, vous serez bien ici. Des infirmières ont réservé la grande table, juste derrière vous. Vous devez avoir un sacré flair ! - Yessss, ajouta Zibus en ricanant bêtement. - Nous ne sommes pas les derniers ? demanda Stephan, étonné. - Nous fermons vers 2 heures du matin, et les habitués le savent, répondit fièrement Georges en levant le menton. 22 Alors que tout le monde savourait le cocktail maison, Gérald interrogea Stephan : - Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu penses à Carole ? - Je crois qu’elle a rencontré quelqu’un. - Non... Ce n’est pas possible ! - Je l’ai surprise au téléphone hier soir, et elle semblait gênée. Je suis persuadé qu’elle me cache des choses. Elle veut plus de liberté, sortir le week-end, faire la fête. Déjà que l’on ne se voit pas souvent ! Elle va me quitter, je le sens. - La garce ! T’inquiète pas, ce soir nous allons faire la fête, ça te changera les idées. Au même moment, cinq superbes créatures traversèrent la pièce et s’assirent à la table voisine. - Eh les gars, c’est les infirmières, chuchota Bob. - Trop bonnes les belettes, de la balle ! rétorqua Zibus. - Merde, arrête de hurler, je crois qu’elles ont entendu, répliqua Patrick. Zibus se leva et passa à l’attaque. Un verre de vin à la main, il chancela, ivre et drogué, jusqu’à la table des jeunes femmes. Il faillit renverser son verre sur une grande brune aux yeux bleus. Stephan n’osait pas regarder la scène car il pensait que l’informaticien allait se faire jeter. - Ça va mal se finir cette histoire, Georges va nous foutre dehors, bredouilla Stephan en observant Zibus qui postillonnait sur les jeunes filles. - Tu ne le connais pas ! répliqua le Corse, hilare, en secouant Yann qui était complètement soûl. - Regarde-le en pleine action, lança Bob qui récupéra la cigarette magique de Mustang. - Putain, tu fais chier ! cria Gérald en direction de Mustang. Tu as foutu du cannabis dans ta clope, bordel de merde, ça pue. 23 Mustang et Bob éclatèrent de rire, les yeux injectés de sang et les paupières mi-closes. Zibus revint en zigzagant : - Eh les mecs, c’est dans la poche. Les belettes viennent avec nous au Baos. Stephan faillit s’étouffer en avalant son rouleau de printemps : il avait réussi, le bougre ! Bob se retourna et lui lança un clin d’œil : - Alors, qui c’est qui avait raison ? Ce n’est pas le plus fort, Zibus ? Stephan, exaspéré, secoua la tête. L’informaticien avait réussi à embobiner les filles, ivre, drogué et en leur bavant dessus. Tandis que ses amis lançaient des sourires complices aux jeunes infirmières, Gérald continuait sa discussion avec Stephan : - Sinon, pour les deux autres salauds, nous allons nous occuper d’eux. - Tu veux faire quoi ? C’est le directeur et le chargé d’affaires. C’est fini, ils vont me pourrir la vie. - Ne t’inquiète pas, Neutrino n’a aucune limite ! lançat-il en adressant un clin d’œil à Patrick. - Neutrino… C’est quoi Neutrino ? - Nous en rediscuterons. Ce soir, c’est la fête ! » hurla Gérald. Deux heures trente. L’équipe arrivait enfin au Baos, accompagnée des ravissantes infirmières. Bob et Yann, ivres, oscillaient devant l’entrée de la boîte de nuit en chantant des chansons paillardes et les videurs refusèrent de les laisser entrer. Une des jeunes infirmières sortit du groupe et s’approcha d’un des deux colosses : 24 « C’est mes cousins. Sois sympa, Franck, laisse-les passer. L’homme eut un temps de réflexion. - Bon allez, entrez tous ! C’est bien parce que c’est toi, Déborah, lâcha l’homme en bombant le torse. À l’intérieur de la discothèque, les sept collègues se dispersèrent aux quatre coins de la piste de danse. Comme une araignée qui tisse sa toile, ils cherchaient des proies. Gérald resta avec Stephan et Déborah. Zibus partit avec Tania, une superbe rousse aux yeux bleus. Bob, Mustang, Patrick et Yann restèrent assis au bar. Quant au Corse, il demeurait immobile en haut de l’escalier et surveillait la foule. - Il fait quoi le Corse ? demanda Stephan, une heure plus tard. - Il surveille. Mais ne t’inquiète pas, c’est normal. Dès qu’on arrive en boîte, il se place à un endroit stratégique puis il attend. - Il attend quoi ? - Une bagarre, ou n’importe quel événement qui pourrait survenir. Déborah éclata de rire et faillit renverser son verre de whisky. - Ils sont fous tes collègues ! lança-t-elle à Stephan. Stephan ne répondit pas. Il observait le Corse, immobile, en haut de l’escalier. Son comportement l’intriguait. Il semblait ailleurs, hors des lieux, comme si quelque chose l’inquiétait. Lorsque Gérald servit un whisky à Déborah, il aperçut subitement un détail qui le troubla. À la base du poignet, il remarqua le même tatouage que celui de Patrick : une croix égyptienne, entourée de huit raies et quatre bulles. Que signifiait ce mystérieux tatouage ? Quel étrange symbole ! - Dis-moi Gérald, c’est quoi ce tatouage que tu as sur le poignet ? 25 - Ce tatouage… Hem… C’est une longue histoire ! Si tu intègres notre groupe, tu connaîtras la vérité. - Quel tatouage ? De quoi parlez-vous ? demanda Déborah, curieuse. Gérald n’eut pas le temps de répondre. Cindy, une des infirmières, arriva, la main sur la bouche, et fila directement aux toilettes. Tania et Zibus surgirent derrière elle en courant tandis que Bob suivait la troupe, hilare. - Bob s’est planté dans les cigarettes ! lança Zibus en pouffant. - Comment ça, trompé dans les cigarettes ? cria Déborah, furieuse. - En fait, sur la dizaine qu’il lui restait dans son paquet, il y en avait une un peu spéciale… Une cigarette magique, à base d’un mélange maison. - Quoiiii ! Mais vous êtes tous cinglés dans cette bande ! hurla Déborah. Afin de ne pas subir les foudres de la jeune femme, Zibus, Bob et Patrick s’éclipsèrent discrètement. Gérald et Stephan se retrouvaient seuls, hébétés. Déborah courut rapidement en direction des toilettes, suivie par la belle et grande Tania, complètement affolée. - C’est pas possible, ils peuvent pas rester calmes cinq minutes ? Ils sont incontrôlables ! Heureusement, cette fois Paul est calme. J’espère qu’il ne va pas péter les plombs comme avec Bremond, gronda Stephan. - Ne t’inquiète pas, il s’emporte seulement lorsqu’on manque de respect aux membres de Neutrino. Tout à l’heure, je t’ai parlé de notre groupe. Il faut savoir que dans la vie de tous les jours, chacun de nous mène une double existence. Voilà pourquoi, le week-end, on décompresse. - Les membres de Neutrino ? Une double existence ? Je ne comprends rien ! 26 - Je ne peux pas t’expliquer ici, mais avec l’accord des guides, tu pourras participer aux séances. - Mais vous faites quoi exactement dans ce groupe ? Vous vendez de la drogue ? Gérald éclata de rire. - Bien sûr que non ! C’est même l’inverse. Disons que nous avons un certain idéal. Nous essayons d’aider les gens. - Comme Emmaüs ou la Croix-Rouge, une association humanitaire ? - Euh, ben c’est très compliqué, et secret. Passe chez moi mercredi, on en rediscutera. Stephan dévisageait son collègue de travail avec de grands yeux ronds. Gérald plaisantait-il ? Se pourrait-il que ces énergumènes fassent partie d’une société secrète ? Tout à coup, Zibus passa à quelques mètres de lui, poursuivant la belle Tania. Un peu plus loin, Bob s’affalait sur un fauteuil, complètement ivre. Quant à Yann, qui n’avait pas ouvert la bouche de la soirée, il dormait, la tête posée sur le comptoir. Non… ce n’était pas possible ! Gérald plaisantait, cette bande de soûlards ne pouvait pas faire partie d’une quelconque organisation secrète. - Tiens, assieds-toi ici, et ne va plus avec les autres tarés ! lança Déborah qui venait de revenir en compagnie de Cindy. La pauvre fille était blême et mal en point. Sa copine lui tapotait la main tout en maudissant Bob et Zibus. Stephan s’approcha pour leur tenir compagnie, pendant que Gérald surveillait ses acolytes. - Heureusement que tu n’es pas comme les autres fêlés, toi. Ça fait longtemps que tu connais ces énergumènes ? Ils n’ont pas un problème dans leurs têtes ? Regarde l’autre, ça fait deux heures qu’il fixe la 27 piste en haut de l’escalier… Je ne parle même pas de celui qui dort sur le comptoir, avec son pote complètement défoncé. Et ce pauvre Zibus… On dirait qu’il a un reniflard à femelle, il mate tout ce qui bouge. Et la pauvre Tania qui reste collée à lui ! C’est lamentable. - Il ne faut pas le prendre comme ça, ils se lâchent un peu. C’est des types super cools. - Super défoncés, oui… Regarde Cindy ! Qu’est-ce qu’il y avait dans cette cigarette ? Hein ma chérie, ils sont fous ces mecs », rétorqua-t-elle en serrant sa copine contre elle. Une heure plus tard, Cindy reprenait ses esprits et voulait rentrer chez elle. Péniblement, elle se mit debout et récupéra son sac au vestiaire. « Nous rentrons mais Tania reste avec vous. Stephan, surveille-la s’il te plaît, je ne fais pas confiance aux autres, supplia Déborah. - Ne t’inquiète pas, elle est en sécurité avec moi. - Merci ! Je ne sais pas si nous nous reverrons. Bonne fin de soirée. Une fois que les infirmières eurent quitté la discothèque, Stephan décida de retrouver le reste de la bande. Il aperçut d’abord le Corse, toujours assis sur les marches. Un peu plus loin, Zibus, vautré dans les fauteuils avec Tania, l’embrassait avec fougue. Sa langue semblait un long tentacule qui s’enfouissait avec vigueur dans la bouche de la magnifique rousse. Alors que sa main remontait la minijupe tout en caressant ses fesses, l’autre massait avec vigueur sa poitrine. Lorsqu’il tourna la tête, il vit Gérald, Bob et Patrick qui essayaient de relever Yann, ivre mort. 28 - Vous avez vu Mustang ? demanda Stephan en s’approchant de ses collègues. - Il est aux toilettes avec un type. Nous ramenons Yann à la voiture, et après on décolle, il est bientôt 5 heures, répondit Patrick, essoufflé. - Je vais le chercher. Stephan remarqua que Yann et Bob portaient eux aussi cet étrange tatouage. Toujours cette mystérieuse croix égyptienne. Il frémit. Et si Gérald avait dit la vérité ? Feraient-ils réellement partie d’une espèce de confrérie ou d’une société secrète ? Il se souvint de la secte du temple solaire, du Ku Klux Klan et des Davidiens… Ses jambes chancelèrent et ses mains devinrent moites. Inquiet, il poussa la porte des toilettes. Mustang se tenait immobile devant l’entrée. Il était de taille moyenne et avait de l’embonpoint ; les cheveux rasés et les yeux vitreux, il discutait avec un homme aussi défoncé que lui. - Tu sais, la poudre c’est une affaire biochimique. - Ah bon, répondit l’homme qui semblait ne rien comprendre. - Il ne faut pas en abuser. La prise de psychostimulant augmente considérablement la dopamine qui est un puissant neurotransmetteur. Ça entraîne un changement adaptatif d’état des neurones pour limiter l’effet de la substance absorbée. Malheureusement, ce phénomène entraîne une diminution des effets de la drogue ainsi que de ses effets euphorisants… Le consommateur sera donc obligé d’augmenter les prises. Stephan écoutait Mustang expliquer les effets des stupéfiants comme un biochimiste. Il était stupéfait ! Les amis de Gérald étaient étranges. Ils comportaient tous quelque chose d’insolite. 29 Soudain, il s’aperçut que Mustang avait le même tatouage. Son cœur se mit à battre la chamade. Il frémit à nouveau. - Ça ne va pas Stephan ? Tu es livide, lança Mustang. - Euh… si… Je venais te chercher, nous partons », répondit-il en bégayant. Les deux voitures quittaient le Baos et se garaient face à l’entrée du parking du palais des Papes. Mustang décida de distribuer les dernières cigarettes magiques de son cru. « Allez-y, mes amis ! C’est les dernières de la soirée. Zibus, enlacé avec sa belle, ne se préoccupait pas des autres. Inquiet, Gérald lui demanda : - Nous en faisons quoi de ta copine ? Il faut qu’on rentre, maintenant. - Quelle question stupide, elle vient avec nous ! Je la ramènerai demain… - Ouais, demain ! murmura Bob, défoncé. - Pff, vous êtes désespérants. Ne restons pas là, nous allons nous faire contrôler par la police, il y a des caméras », intima le Corse. Six heures du matin. Après avoir ramené tout le monde, Gérald discutait avec Stephan : « Je ne sais pas si c’est une bonne idée de rentrer chez toi dans cet état. Tu veux rester à la maison ? - J’ai envie de parler à Carole… - Tu as bu ! Attends plutôt demain. - Non, je n’ai presque pas pris d’alcool. - Et la drogue ? Stephan réfléchit quelques secondes. - Tu as raison, en plus je sens le cannabis ! Si elle me voit dans cet état, elle va me faire une crise. 30 - Allez, rentrons. Demain est un autre jour. Après avoir installé Stephan dans la chambre d’amis, Gérald s’affala sur son lit et sombra dans un profond sommeil. Le lendemain, Stephan se réveilla avec une terrible migraine. Dans la cuisine, Gérald préparait un plat de pâtes à la bolognaise. - Mes parents sont partis à la montagne, je suis seul pour le week-end. - Ils sont sympas de te laisser la maison. - Je n’ai pas envie de m’embêter avec une nana, et je préfère vivre en famille. Mes parents sont plutôt conciliants. - Tu as bien raison. Profite de ta liberté, regarde où ça m’a mené ! Quelle ordure ce Bremond… Quant à Haton, il est encore plus vicieux. Un vrai serpent ! C’est à cause d’eux si notre couple bat de l’aile. Et tu sais qu’ils s’acharnent sur Stéphanie ? - La secrétaire ? - Oui, et en plus, elle vient de divorcer. Haton doit le sentir, cet enfoiré, car il la harcèle continuellement. - Quel bâtard ! Que le brasier des enfers le consume vivant ! Si Neutrino pouvait décréter le niveau 1… dit Gérald en serrant le poing. - Neutrino ? Le niveau 1 ? Que veux-tu dire ? - Rien, laisse tomber. Je t’expliquerai un autre jour. - Et ce mystérieux tatouage que vous avez sur le poignet, tu peux m’expliquer ? L’œil de Gérald pétillait, il avait envie de parler mais il ne pouvait pas en dire plus. - Il faut d’abord que je parle à Tibère, Maât et Osiris. Ils doivent se réunir avant d’autoriser la venue d’un nouveau membre. - Mais, c’est quoi au juste ? De quoi veux-tu parler ? Qui sont ces gens ? Que faites-vous vraiment ? Tu 31 m’inquiètes, Gérald. Tu me promets que tu ne vends pas de la drogue ? - Bien sûr que non, c’est bien au-dessus de tout ça, tu ne peux même pas imaginer ! Dans notre monde, il y a de nombreux groupes d’individus. Il y a ceux qui veulent le pouvoir, ceux qui suivent la meute comme la majorité, puis… il y a un autre groupe, des passionnés qui agissent sans rien attendre en retour, des idéalistes, des personnes qui travaillent dans l’ombre des autres. - Et que font ces individus ? - Nous rediscuterons mercredi, je dois d’abord en parler à Tibère. Excuse-moi, mais je ne peux pas t’en dire plus. Tu devrais rentrer chez toi et discuter avec ta femme. - Tu as raison, je vais tout tenter pour sauver notre couple. Et nous poursuivrons cette conversation un autre jour, car j’ai vraiment envie d’en savoir plus. Au fait, je commence un nouveau chantier à Marcoule avec les intérimaires. - Philippe, Manolo, Jeannot, Patrick… Je te souhaite bonne chance avec eux ! Allez, rentre vite. » Lorsque Stephan arriva chez lui, la maison était vide. Carole avait emporté toutes ses affaires et déposé un mot sur la table du salon : Stephan, je crois que ce n’est pas la peine d’insister. Notre couple n’est plus ce qu’il était et je ne peux te mentir plus longtemps : j’ai une relation avec Francis. Je suis désolée que ça se finisse ainsi, mais je n’osais pas te le dire en face. Je prendrai contact avec toi par l’intermédiaire de notre avocat. Pour Élodie, tu pourras la voir quand tu veux. Je m’installe à Saint-Rémy-deProvence avec Francis. Ne cherche pas à me revoir, c’est terminé, et je ne changerai pas d’avis. Adieu Stephan ! 32 Abasourdi, les yeux écarquillés, il lisait cette terrible lettre. Sa vie venait de s’effondrer en une fraction de seconde. Des larmes inondèrent ses yeux et il éclata en sanglots. Avec rage, il déchira la lettre en mille morceaux, souhaitant la mort d’Haton, de Bremond, et même de Francis. Pourquoi la vie se montrait-elle si cruelle ? Qu’avait-il fait pour mériter ça ? Il erra dans la maison vide, le cœur déchiré, totalement désespéré. S’il avait eu Francis sous la main à ce moment-là, il lui aurait défoncé la tête. D’un coup de poing, il fracassa la porte de la cuisine. Hors de lui, il s’acharna sur le mobilier, les verres, les assiettes… Après avoir tout cassé dans le salon, il s’effondra sur le lit et termina la bouteille de whisky. Vers 4 heures du matin, il se réveilla en souhaitant que tout cela ne soit qu’un mauvais cauchemar, mais hélas non. Qu’allait-il devenir sans sa femme et sa fille ? Un mal-être l’envahit. De plus, dans trois heures, il devait être sur le chantier. Il n’allait jamais tenir le coup ! Décidé à ne pas sombrer, il avala deux antidépresseurs et partit se doucher. 33 3 Désespéré, Stephan arriva sur le chantier en repensant à la lettre de sa femme. Il avait envie de pleurer toutes les larmes de son corps : sa petite Élodie lui manquait tant. De plus, une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, Michel Vairon était de retour à Marcoule. Il aurait préféré travailler à la centrale avec Gérald. Malheureusement, Bremond l’envoyait à Bagnols-surCèze pour s’occuper du tirage des câbles électriques. Haton voulait le faire craquer en lui attribuant les chantiers les plus difficiles. La cerise sur le gâteau, c’était Michel Vairon. En effet, personne ne voulait travailler avec cet homme coléreux qui hurlait tout le temps. C’était un individu de petite taille, au regard vif, avec une mèche de cheveux rabattue sur le côté pour cacher une calvitie naissante. « Putain, ce n’est pas possible, il a oublié son badge ! Quel gland ! - De qui parles-tu, Michel ? demanda Stephan, étonné, tout en essayant tant bien que mal de cacher son chagrin. - À ton avis ! De Patrick, bien évidemment ! Bremond ne voulait pas le reprendre, mais vu qu’il n’y avait pas d’autres intérimaires disponibles, il n’a pas pu faire autrement. - Ah, il revient… 34 - Putain ! Bouge-toi, bordel de merde ! Mais ce n’est pas possible, tu es vraiment un nul. Patrick tapa sur l’épaule de Gérald en lui faisant un clin d’œil et lança un sourire à Michel, pour le provoquer, tout en se dirigeant vers les vestiaires. - Ça te fait rire, hein ? C’est incroyable ! Tu t’en fous complètement de ce que je peux dire, t’es qu’un intérimaire… Ben, je m’en fous moi aussi, brailla Michel rouge de colère, en jetant son casque. Des ouvriers, un peu plus loin, observaient Michel qui trépignait sur place, vociférant des insultes. - Ce n’est pas possible ! Qui m’a foutu des mecs pareils ! Regarde, ils arrivent tous, et il manque encore Jean ! Il passe un temps fou dans les vestiaires à se changer, et après, il boit son café. J’en peux plus, je crois que je vais craquer. Chaque fois qu’on travaille avec eux, c’est le même bordel. Jean arrivait tranquillement, précédé de Manolo et de Philippe. Comme à chaque fois, Michel hurlait, mais personne ne l’écoutait, alors il criait encore plus fort. Stephan semblait ailleurs. Affecté par le départ de Carole, il ne cessait de penser à elle. Un profond sentiment de solitude l’envahissait. Des centaines d’images lui revenaient en mémoire : la rencontre avec sa dulcinée, leur mariage, la naissance d’Élodie… Son cœur se mit à battre violemment dans sa poitrine, ses mains devinrent moites et il se mit à suffoquer. - Ça ne va pas Stephan ? demanda Manolo, inquiet. - Je n’ai pas trop dormi hier soir, je vais aller prendre un café. Dès qu’il fut parti, Michel dit à Manolo : - Tu parles, c’est bien les types des bureaux d’études, toujours fatigués. Des bons à rien ! Jean secouait la tête en écoutant les critiques de Michel. Il était méconnaissable devant ses supérieurs, le 35 chef de chantier. Mielleux, il était capable de les brosser dans le sens du poil. Une fois le dos tourné, il leur taillait une belle veste et les chefs étaient habillés pour l’hiver. - Pourquoi tu fais cette tronche, toi ? On ne te paye pas pour boire le café, d’abord ! Allez, sortez-moi le touret, et bougez-vous le cul, on va pas coucher ici. - Mais… nous n’avons rien pour soulever le touret. - Tu te fous de moi ? Sortez les rails ! Allez, grouillezvous. Une fois le touret sorti du camion, les hommes déroulèrent le câble. Ils devaient ouvrir des trémies et passer par des bouches d’évacuation spécifiques. Le travail s’annonçait plus difficile que prévu. Jean dégoulinait de sueur et haletait. Manolo et Patrick durent lui demander de se reposer quelques minutes. Quant à Philippe, il n’avait pas l’air de trop forcer ! Michel, qui assistait à la scène, se mit en rage. - Oh, vous vous foutez de moi, ce n’est pas possible ! Vous le faites exprès ? Vous ne voyez pas que vous avez fait un nœud dans le câble ? Arrêtez de tirer ! Stop ! hurla-t-il en se précipitant pour dénouer le câble. Michel comprit qu’il n’était pas au bout de ses peines. Il décida donc d’utiliser son 4x4. Il fixa le câble à une corde qu’il attacha au véhicule. - Allons-y doucement, et une fois arrivés dans le virage, nous continuons à la main. Les intérimaires suivaient le câble tandis que Michel conduisait son véhicule. Jean pouvait se la couler douce, tout comme Philippe qui n’avait pas ouvert la bouche de la matinée. Quant à Patrick, il était en grande discussion avec Manolo, à propos des coutumes thaïlandaises. - Oh, vous vous foutez de moi, vous le suivez ce putain de câble ? » hurla Michel, les yeux exorbités. 36 Deux heures plus tard, le câble était arrivé à l’armoire électrique. Michel décida donc de réitérer la même opération avec la fibre optique. « Bon, nous recommençons, et faites gaffe, elle est fragile la fibre optique. Une fois le câble solidement attaché, il commença à faire avancer très lentement son véhicule. Stephan, qui venait d’arriver, observait la scène. - Attention au virage, aidez le câble à… Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’un bruit retentit. Michel sortit en toute hâte pour vérifier l’état de la fibre optique. - Les cons ! Les cons ! Il criait, fou de rage. - Non, vous n’avez pas… Ne me dites pas que vous avez cassé la fibre ? Non, ce n’est pas possible… se lamenta Stephan. Jean baissa la tête pour ne pas répondre et Philippe se dissimula derrière le véhicule. Michel était décomposé, il se tenait la tête en criant. - Non… Merde ! Merde ! Il va falloir en commander une autre, et nous devions terminer pour la fin de la semaine… Personne ne répondit, l’ambiance était pesante. Même Michel ne savait plus que dire. Comment allait-il expliquer à Haton qu’ils avaient coupé la fibre optique en tirant le câble avec son 4x4. Stephan releva la tête et lança : - Continuez à tirer les câbles, je vais voir Haton. Nous verrons bien ce qu’il va dire. » Alors qu’il poussait la porte du bureau du directeur, la secrétaire sortit en larmes. 37 « Vous êtes une bonne à rien, une incapable ! Je comprends que votre mari soit parti, hurlait-il avec mépris. Son regard était plein de haine. Acerbe, il ne savait pas prononcer une seule parole aimable. Dès qu’il vit Stephan, sa langue de vipère frétilla comme pour cracher son venin. - Bonjour monsieur Haton, lança difficilement Stephan. - Qu’est-ce qu’il y a, Bringel ? Que me vaut votre visite ? Vous ne deviez pas être sur le terrain aujourd’hui ? - Bien… nous avons eu un problème avec la fibre optique. - Quoiiii ! hurla-t-il en tapant le poing sur la table. - En tirant dessus, elle a cassé… - Vous vous moquez de moi ? Je vous laisse un chantier avec seulement des câbles à tirer, et vous trouvez le moyen de me le saboter ? Vous savez ce que ça va nous coûter ? Ça ne va pas se passer comme ça. Vous allez entendre parler de moi ! Filez vite sur le chantier, j’appelle le client pour arranger l’affaire. Bande d’incapables. » Il hurlait, le visage déformé par la colère. À Marcoule, tout le monde scrutait une trémie, traversée par plusieurs câbles électriques. Consternés, les ouvriers regardaient à travers le trou. Stephan comprit qu’il y avait un nouveau souci. « Ne me dites pas qu’il y a encore un problème ? - Là, c’est fini, nous sommes cuits… lança Michel, désespéré. - Quoi ? Mais parlez donc ! avança Stephan, la voix tremblante. 38 - Jean, en positionnant le rouleau en dehors de la trémie, pour dérouler le câble, a écrasé les autres, et il a entaillé un petit câble qui a provoqué un court-circuit. Stephan avait le visage décomposé ; il devait retourner voir Haton. - Nous sommes maudits. On nous a jeté un sort. Jean, t’es qu’un nul ! brailla Michel. - Ce n’est pas la peine de gueuler, ce qui est fait est fait. On a voulu aller trop vite, et voilà, rétorqua Stephan, énervé. - Je te signale que ça va nous retomber dessus, cette histoire. Ils s’en foutent eux, ils vont rien avoir. Nous on peut se faire virer pour faute grave, rétorqua aussi sec Michel. - Je sais mais c’est comme ça, c’est la loi des séries. - Tu parles, la loi des cons, ajouta Michel en regardant Jean. - Ben, ce n’est pas ma faute. J’ai fait mon boulot. Pas la peine de se mettre dans de tels états. - Je te signale que c’est l’alimentation informatique que tu viens de couper. Ce qui veut dire qu’une partie des ordinateurs du bâtiment ne va plus fonctionner. Tu veux leur expliquer ça, aux types ? Tu ne pouvais pas faire attention ? Un homme en costume-cravate et portant de fines lunettes rouges arriva en courant sur le chantier, complètement affolé. Stephan tenta en vain de lui expliquer qu’il y avait eu un problème, qu’un intérimaire avait coupé un câble par inadvertance, qu’il serait vite réparé. Mais l’homme ne voulut rien savoir et tourna les talons en répondant qu’il allait appeler le directeur. Dix minutes plus tard, le téléphone portable de Stephan sonnait. Haton hurlait et injuriait toute l’équipe, maudissant tout particulièrement Jeannot. Michel était dépité, il ne savait plus que faire. 39 - On arrête tout, le client ne veut plus nous voir ici pour le moment. Michel, tu emmènes les intérimaires sur l’autre chantier, vous allez finir l’installation électrique. Moi, je retourne aux bureaux pour arranger l’affaire. Je vous tiens au courant. » 40 4 La nuit commençait à tomber sur les hauteurs de Bourg-Saint-Andéol. Et après une journée très mouvementée, Stephan avait rendez-vous avec Gérald, qui devait lui dévoiler la vérité sur ce mystérieux groupe nommé Neutrino. Après avoir garé sa voiture sous un vieux chêne, il inspira une grande bouffée d’air et frappa à la porte, hésitant. Gérald l’accueillit avec un large sourire. « Salut Stephan ! Alors, il paraît que tu as eu des soucis avec les câbles aujourd’hui. - Tu es déjà au courant ? Je vois que les murs ont des oreilles… - Tu sais bien que j’ai mes sources… Bon, tu es prêt ? J’ai discuté avec Tibère et Osiris. Ils nous attendent vers 9 heures, à Vaison-la-Romaine. - Mais nous allons faire quoi là-bas ? - Arrête de stresser et viens avec moi. Tu verras bien une fois sur place. » Le véhicule pénétra à l’intérieur d’une immense propriété éclairée par de nombreux halogènes. Stephan était stupéfait : la bâtisse était immense, entourée de plusieurs fontaines et d’un splendide jardin. Une pergola 41 menait à un pont chinois surplombant un étang et jalonné de pas japonais. « C’est magnifique, n’est-ce pas ? - Ouah ! Quel luxe ! Mais qui sont donc Tibère et Osiris ? - Tibère est un historien renommé. Il est le dernier descendant d’une riche famille suisse. Tu vas voir, il est formidable. Quant à Osiris… hem, il se présentera luimême. Immobile devant l’entrée de la maison, un solide gaillard d’une soixantaine d’années attendait ses invités. - Bonjour monsieur Bringel, c’est avec impatience que nous attendions votre arrivée. Gérald m’a beaucoup parlé de vous. Suivez-moi, je vous prie. Il guida ses hôtes dans une immense salle décorée par de vieilles statues à l’effigie de dieux égyptiens ; au centre, il y avait une immense colonne sur laquelle étaient gravés des hiéroglyphes. Tibère donna une accolade à son ami et tapa sur l’épaule de Stephan qui aperçut encore le fameux tatouage sur son poignet. - Alors monsieur Bringel, Gérald m’a dit que vous souhaitiez en savoir plus sur Neutrino ? - Euh, bien… je suis de nature curieuse mais… Il ne savait plus que répondre, sa voix tremblait. - Ne vous inquiétez pas, nous sommes des gens plutôt sympathiques, et notre société n’a pour but que d’agir dans l’intérêt commun de la nation. Désirez-vous continuer ? - Bien sûr… Maintenant que je suis là ! - Avant de pénétrer dans le sanctuaire, vous devrez accomplir tout un cérémonial qui remonte à de vieilles traditions égyptiennes. N’ayez surtout aucune crainte car tout ceci est purement symbolique. - Je vous fais confiance. - Allons-y ! 42 Tibère traversa la salle et ouvrit une porte qui communiquait avec une pièce beaucoup plus petite. À l’intérieur de celle-ci, se trouvait une grande armoire. - Nous allons devoir passer par là. Stephan tourna la tête de tous côtés mais n’aperçut aucune autre porte. C’est alors que son guide ouvrit l’armoire et fit coulisser une porte secrète. Un air frais effleura le visage de Stephan qui resta bouche bée. - Avant de continuer, nous devons nous purifier, ensuite nous vêtirons la tenue du cérémonial. Immobile, les yeux écarquillés, le cœur battant à se rompre, Stephan se tut. Anxieux, il ne savait plus comment réagir. Devait-il suivre le guide ? Gérald lui tapa sur l’épaule pour le rassurer. Tibère s’absenta quelques secondes et réapparut, deux tenues blanches à la main. L’air solennel, il les distribua à ses invités puis désigna les douches. Tandis qu’il se lavait, des milliers de questions venaient à l’esprit de Stephan. Allait-il s’en sortir vivant ? S’agissait-il d’une secte satanique ? Le Ku Klux Klan… Jusqu’où pouvait donc mener ce mystérieux passage secret ? Une fois purifié, il essaya de dominer sa peur, et surtout de la cacher. Après avoir enfilé sa tunique, il se dirigea timidement vers l’entrée du tunnel. - Maintenant, nous allons traverser le couloir, chacun à notre tour. Bonne chance monsieur Bringel, annonça Tibère. Le vieil historien s’engouffra le premier dans le passage secret, et quelques secondes plus tard, Gérald suivit à son tour. Un frisson traversa Stephan des pieds à la tête. Était-il devenu fou ? Lorsqu’il se retrouva seul, le doute l’envahit. Il crut que son cœur allait exploser tant il battait fort. Finalement, il se décida à y aller. Plongé dans l’obscurité, il avançait à tâtons, la peur au ventre. Quelques secondes plus tard, sa main heurta un mur : il 43 était bloqué ! Angoissé, il voulut rebrousser chemin mais heureusement il aperçut une lumière. Rassuré, il tira le rideau qui dissimulait une nouvelle pièce. Face à lui, une dizaine d’individus vêtus d’une tunique blanche l’attendaient. Parmi eux se trouvaient Tibère, Patrick, Gérald, Zibus, Bob, Yann, Mustang et même le Corse. Plus trois autres personnes, dont une qui s’avança vers lui. - Bienvenue parmi nous Stephan. - Euh… merci, mais qui êtes-vous ? - On me surnomme Osiris, et je suis un des guides de Neutrino. Gérald demanda à Stephan de s’agenouiller. Le guide s’avança et lui posa son sceptre en or sur la tête, puis prononça : - Grâce au Kâ tout-puissant, tu as rejoint la lumière. Tu étais mort, mais à présent tu es ressuscité. Stephan, tu fais maintenant partie de Neutrino. Osiris releva le nouveau membre et ajouta : - Nous sommes les gardiens d’une tradition remontant à l’Égypte ancienne, et qui a vu le jour après le règne d’Akhenaton. À la suite du blasphème d’Amon, un pharaon, dont le nom ne fut jamais divulgué, décida de créer une armée secrète. Sa vocation était de surveiller les hommes nuisibles aux dieux, au pharaon lui-même, et à la population. Ces soldats travaillaient dans l’ombre et protégeaient la société sans que personne ne le sache. Une fois qu’un individu entrait dans cette armée, il devenait un frère pour tous les autres membres qui étaient prêts à risquer sa vie pour lui. Stephan, les yeux écarquillés, écoutait sans broncher. - Neutrino fut créé dans les années quatre-vingts, à la suite de l’assassinat de mon frère, gérant d’une discothèque au nord de Nice. La mafia locale ne réussissant pas à le soumettre, elle décida tout 44 simplement de l’éliminer. Son décès me bouleversa à un tel point que je décidai de me venger… Nous connaissions ceux qui avaient commis cet horrible crime mais ils étaient intouchables. Ils avaient la mainmise sur de nombreux établissements de la Côte d’Azur et connaissaient bien les juges. Désespéré, je décidai de faire appel à une bande de mercenaires qui élimina le chef de la mafia. Une fois vengé, je devais reprendre mon travail mais le destin en décida autrement. Lors d’un congrès, je rencontrai Tibère qui me parla de cette armée égyptienne. L’idée germa dans mon esprit, et Neutrino vit le jour ! Mais tout cela était écrit… - Ah bon ! Pourquoi donc ? demanda Stephan, étonné. - Je ne peux pas tout te dévoiler pour l’instant car tu me prendrais pour un illuminé. Disons, pour faire simple, que certains membres possèdent des dons particuliers plutôt troublants. - Et que faites-vous exactement ? - Au sein du groupe, nous avons tous des fonctions bien définies. Nous infiltrons différents milieux : politiques, médicaux, militaires, scientifiques… Nous nous immergeons dans chaque entreprise pour mieux la surveiller, reprit Osiris. - Mais dans quel but ? - Surveiller, contrôler, et venir en aide à ceux qui en ont besoin. Lorsqu’un individu s’écarte du droit chemin, nous intervenons. - Que faites-vous ? Tibère reprit la conversation tandis que les autres membres écoutaient, silencieux. - Tout dépend du niveau atteint. S’il est passible du niveau 1, c'est-à-dire qu’il a commis des crimes, des sévices avec une extrême violence, ou bien s’il représente un réel danger pour la société, alors nous décidons de l’éliminer. 45 Stephan frémit. - Mais n’aie aucune crainte, ça arrive très rarement ! Il existe aussi un niveau 2 : vols, viols, agressions, harcèlement… Nous agissons au cas par cas pour résoudre l’affaire. D’ailleurs, ton directeur est dans notre collimateur depuis quelques mois. - Ah bon ! - Bien sûr, certains de nos membres travaillent avec toi, ne l’oublie pas ! Zibus et Patrick, qui ont piraté le système informatique d’Haton, ont découvert des transactions douteuses sur les comptes bancaires de son épouse qui est gérante d’une discothèque. Il n’est pas net, et je pense que la maison mère de ton entreprise cache des choses. Les paroles d’Osiris laissèrent Stephan pensif. Cette histoire semblait invraisemblable. Zibus et Patrick étaient donc chargés d’infiltrer son entreprise. - Vous êtes nombreux à Neutrino ? demanda Stephan, perplexe. - En vérité, personne ne le sait vraiment, car une entité peut se créer, sans en demander la permission. Je sais que nous sommes disséminés un peu partout en France car nous communiquons régulièrement entre membres. Parfois, un individu nous contacte et nous demande un service. Voilà ! Tu sais tout maintenant. Tu vas pouvoir passer à la dernière étape du rituel initiatique. Osiris écarta les bras et brandit son sceptre. Stephan, surpris, ressentit une étrange sensation, comme si un courant parcourait l’ensemble de son corps. Paralysé, il ne pouvait plus bouger. - Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Osiris et Tibère éclatèrent de rire. - C’est l’énergie vitale qui pénètre tes cellules. À présent tu es un membre actif de Neutrino et la séance 46 est terminée. Suis-nous, il y a une autre surprise pour toi ! Stephan suivit les membres dans le grand salon : un repas était servi en son honneur. Ému, il remercia tout le monde. Tandis que ses amis savouraient les toasts au caviar, Tibère expliqua à Stephan que l’intronisation rappelait le mythe osirien. Dans la légende, Osiris revenait à la vie pour donner naissance à Horus. La traversée du couloir représentait le passage de la mort à la vie, l’état d’ignorance à celui de vérité. D’après Tibère, l’Égypte aurait influencé de nombreuses religions. Il pensait même que l’Ancien Testament aurait été crypté par le peuple égyptien pour perpétuer ses croyances. L’œil brillant, il ajouta : - Ne trouves-tu pas étonnant que l’histoire de Moïse comporte des similitudes troublantes avec celle d’Horus, le dieu faucon ? D’ailleurs, même Freud, dans Moise et le monothéisme, évoque l’idée d’une codification de la pensée égyptienne, même s’il en donne une autre signification. Quant au livre des morts tibétain, le Bardo Thodol, il ressemble étonnamment au livre des morts égyptien. - Je ne sais que vous répondre car je ne suis ni philosophe ni croyant. Vous étudiez les religions ? - Bien sûr… Mais aussi la sophrologie, l’hypnose, la méditation et même la psychologie. Neutrino est une école de vie. Osiris, qui se trouvait à côté de Stephan, ajouta : - Ce sont les religions qui guident le monde, nous devons par conséquent les étudier. - En tout cas vous n’en appliquez pas les principes. Le niveau 1 va à l’encontre de l’idéologie chrétienne par exemple. 47 - Qu’est-ce que le bien et le mal, après tout ? Tu as raison de refuser le niveau 1, néanmoins nous pensons qu’il n’y a parfois pas d’autres solutions. Pour protéger nos semblables, la mort devient l’unique solution ! Nous croyons en une énergie supérieure que l’on nomme Kâ en égyptien, Ki en japonais, Chi en chinois, magnétisme en Europe… La mort n’est qu’une étape, un passage d’un état à un autre. L’énergie transite ainsi dans l’univers de corps en corps. - C’est une lutte sans fin, reconnaissez-le. - Nous préférons éliminer un individu nuisible plutôt que de savoir que celui-ci fera souffrir d’autres personnes. Stephan baissa la tête. Osiris n’avait pas tort. En effet, si quelqu’un faisait souffrir sa petite Élodie, il le tuerait de ses propres mains. - Ne fais pas cette tête, personne ne t’obligera à passer à l’acte, nous avons des membres qui s’en occupent. - Sans indiscrétion, qui exécute le niveau 1 ? - Le Corse et Patrick. - Le Corse et Patrick… Ce n’est pas possible ! M’auriez-vous contacté si je n’avais pas essayé d’en savoir plus sur Neutrino ? - Peut-être ! Nous surveillons les centrales nucléaires de la région car ce sont des sites à haut risque. Par conséquent, peut-être qu’un jour ou l’autre nous t’aurions contacté. D’ailleurs, les trois autres personnes qui sont en bout de table occupent des postes stratégiques dans les centrales. Henry travaille sur le site de Cruas, Denis à Tricastin et Pierre à Marcoule. Il y a sept autres membres qui ne pouvaient pas venir ici ce soir, mais tu les rencontreras lors des prochaines réunions ou pendant les conférences, ajouta Tibère. 48 - Vous allez certainement penser que je suis curieux, mais comment avez-vous rencontré mes collègues de travail ? Gérald se leva et prit la parole. - Comme tu as déjà pu le constater, nous faisons souvent la fête et nous abusons des drogues. Ça va à l’encontre de la philosophie de Neutrino, mais nous sommes des membres un peu particuliers. Nous avons connu Tibère et Osiris au retour d’une soirée bien arrosée, près de Vaison-la-Romaine. Yann s’était endormi au volant et il a percuté un platane de plein fouet. Tibère et Osiris, qui arrivaient en voiture, nous ont aidés à sortir du véhicule. C’était il y a une dizaine d’années… Nous avons gardé contact, et c’est ainsi que nous avons intégré Neutrino. Osiris nous laisse régler les missions les plus dangereuses. Nous sommes chargés de l’exécution du niveau 1. Stephan blêmit, il avait envie de vomir en imaginant Gérald assassiner froidement des voyous. - Toi aussi… tu es un tueur ? - Non, je m’occupe de la première phase du niveau 1 avec Bob, Mustang et Zibus. Nous faisons seulement de la surveillance. Quant à l’exécution, ça concerne uniquement Patrick et le Corse. Stephan chancela ; pendant un court instant il ne se sentit pas bien. - Ça ne va pas ? demanda Tibère en s’approchant. - C’est le fait d’imaginer mes collègues tuer des gens… - N’y pense plus ! Oublions tout ça, et buvons le champagne. » Stephan ne dit plus un mot jusqu’à la fin de la soirée. Troublé, il repensait à tout ce que lui avaient appris Tibère et Osiris. Que d’informations en une seule soirée ! 49 Vers 1 heure du matin, Stephan et Gérald prirent congé. Tibère et Osiris les raccompagnèrent à leur véhicule. « J’espère que tu n’as pas eu trop d’informations d’un seul coup. Repose-toi bien, la nuit porte conseil, mon ami, lança Osiris. - Nous espérons te revoir très bientôt, ajouta Tibère en lui donnant une dernière accolade. - Vous aurez l’occasion de me revoir prochainement, et encore merci pour votre accueil. » Les guides de Neutrino regardaient la voiture quitter le jardin. Osiris inspira fortement et demanda à son ami : « Tu ressens son Kâ ? - Oui, il y a une puissante énergie qui sommeille en lui. - Tu sais à quoi je pense ? - À la légende ? - Oui, et ça m’effraie… - Oublie cette histoire, Thot n’a rien dit de précis de toute manière. - Tu as raison, je m’inquiète toujours pour rien. - Allez, rentrons, les autres doivent nous attendre. » 50 5 Stephan ouvrit les yeux en repensant au rituel initiatique. Les révélations d’Osiris étaient à couper le souffle : Patrick et le Corse, des exécuteurs… L’infiltration des membres de Neutrino dans l’industrie, la politique, la médecine… Et cette mystérieuse énergie qu’ils appelaient Kâ. Il l’avait ressentie fourmiller dans chacune de ses cellules. Osiris possédait-il réellement des pouvoirs mystiques ? Les guides semblaient sortir tout droit d’une série télévisée. Stephan en oubliait presque le départ de sa femme et de sa petite Élodie ! En contemplant la photo de sa fille posée sur la table de chevet, il eut un pincement au cœur, et une larme coula le long de sa joue. Il aurait donné tout ce qu’il possédait de plus cher au monde pour retrouver sa famille. Alors qu’il arrivait sur le site de Marcoule, Stephan se rappela les paroles d’Osiris au sujet d’Haton. Cette crapule effectuerait des transactions malhonnêtes ? Dans quel trafic trempait-il ? Des sommes énormes étaient investies pour les travaux dans les centrales nucléaires, son directeur en profitait-il ? D’après ses collègues de travail, il menait un train de vie au-dessus de ses moyens. Toutes les entreprises qu’il avait dirigées précédemment avaient fait faillite. Stephan ragea en 51 pensant que les salaires des employés n’avaient presque pas augmenté ces dernières années. La vie de Stephan s’écroulait comme un château de cartes. Des doutes l’envahirent subitement, il pensait à ces nombreuses sectes qui endoctrinent les individus égarés. Toujours ces horribles images de Waco, où les membres se donnèrent la mort tragiquement, tout comme ceux du Temple Solaire. Néanmoins, il gardait confiance en ses collègues : Patrick et Gérald ne l’auraient jamais entraîné dans une secte. Au loin, un individu s’agitait énergiquement en levant les bras au ciel, un petit homme surexcité l’appelait. C’était Michel, et il semblait nerveux. « Tu sais quoi ? Le type d’hier, il est venu s’excuser, ce matin ! Incroyable, un peu plus il s’agenouillait devant moi, ils sont complètement cinglés dans ces bureaux. Et je garde le meilleur pour la fin ; en vingtcinq ans de carrière, je n’ai jamais vu ça : quelqu’un a changé le câble. Tu y crois toi ! Ils l’ont retiré sans rien dire à personne. Ils ont même consigné le chantier et refait le câblage, c’est stupéfiant ! Stephan esquissa un sourire. La machine Neutrino était en marche ; comme l’avait promis Osiris, il n’était plus seul. Tout à coup, le ciel lui parut plus bleu, l’herbe plus verte, et l’oxygène s’engouffra dans ses poumons comme dans ceux d’un nouveau-né. Tel le phénix, Stephan revenait à la vie ! Hier, il avait ressenti cette même sensation en traversant le couloir. Une fois sorti de la pénombre, la vérité lui était enfin dévoilée. - Avec les gars, finissez de tirer les câbles, je dois aller voir quelqu’un sur le site, ajouta Stephan, troublé. En chemin, il rencontra Patrick qui lui donna une accolade. 52 - Tu sais, le câble... - Je suis déjà au courant. Pierre s’est occupé de l’affaire. N’oublie pas qu’il dirige le secteur électricité et mécanique de Marcoule, dit Patrick en coupant la parole à Stephan. - Ah… je ne sais pas quoi répondre. C’est stupéfiant ! Neutrino est vraiment bien implanté. - Tu as fait serment de fidélité aux membres de Neutrino. Par conséquent, si un jour quelqu’un a besoin de tes services, tu devras faire pareil. Nous avons pour principe de nous occuper des problèmes des autres membres avant les nôtres. - Zibus est-il sur le site aujourd’hui ? Je voudrais m’entretenir avec lui. - Oui, il est dans les locaux informatiques. Si tu veux on peut se rejoindre ce soir chez Tibère. Il faut qu’on réfléchisse sur ce que tu comptes faire au sein du groupe. - Vers quelle heure ? - Vingt et une heures. - À ce soir, alors ! » Dans le bâtiment informatique, Stephan cherchait la porte du service de programmation. Zibus travaillait sur le site de Marcoule depuis une bonne dizaine d’années. Passionné d’informatique, il passait ses journées à développer des applications pour les chercheurs du C.E.A. qui travaillaient sur la gestion des déchets radioactifs. Puis, en parallèle, il infiltrait les réseaux et surveillait les personnes suspectées par Neutrino. C’est ainsi qu’il avait eu accès aux comptes d’Haton et qu’il avait décrypté ses codes bancaires car le directeur les consultait régulièrement de son bureau. Néanmoins, Zibus n’avait pas le profil de l’emploi : grand et les cheveux coupés courts, lorsqu’il arrivait en coupé 53 Mercedes, il ressemblait plus au jeune cadre dynamique qu’à l’informaticien introverti. « Salut Zibus, pas trop fatigué ? - La patate ! J’ai passé une soirée torride avec Tania. Tiens regarde, je suis en train d’élaborer un programme qui calcule la capacité d’un câble en fonction du champ magnétique. - Ah bon… Tu fais comment ? - C’est simple, je connecte le PC à des sondes placées autour du câble. Ensuite, avec le programme, j’effectue un maillage du champ magnétique à l’aide d’un calcul matriciel. - Trop fort ! On ne le dirait pas en te voyant mais tu es plutôt doué. Je suis passé pour savoir ce que tu sais sur mon directeur. Tu crois qu’il trempe dans une sale histoire ? - Je ne crois pas, j’en suis persuadé. - Explique-moi tout. Je ne voudrais pas qu’il ruine l’entreprise et qu’il profite des employés. - J’ai eu accès à ses comptes et j’ai décrypté les mots de passe. Observe les transactions… Tu vois ? - Ça ne prouve rien ! C’est des petites sommes. - Attends, tu vas comprendre. Tu sais où elles vont ? - Euh, non. - Il envoie régulièrement de l’argent sur les comptes de sa femme. Et tu sais ce qu’elle fait comme boulot ? - Encore moins ! - Elle est gérante d’une discothèque à côté de Marseille, le Lady Blue. - Je suis d’accord, mais ça prouve rien. - N’oublie pas que nous avons des membres à Marseille. J’ai contacté Richard qui infiltre le milieu de la nuit. Il pense qu’un réseau de prostitution serait lié au Lady Blue. D’ailleurs, d’après ses indics, des filles de l’Est transitent dans des conditions précaires jusque dans 54 le Sud mais il ne sait pas où. Et il envoie aussi de l’argent sur un compte en Espagne. - Haton, un proxénète, tu te moques de moi ? Et tu veux faire quoi ? - Un petit tour au Lady Blue, lança Zibus, hilare. Stephan ne cernait pas le caractère de son collègue. Par moments, il était d’un sérieux inquiétant puis, subitement, il pétait les plombs. - Bon d’accord, on s’occupe d’Haton. Et pour Bremond ? Je te signale qu’il est très proche du directeur. Il participe certainement à ses trafics. - Je surveille ton directeur. Pour Bremond, à toi d’infiltrer son milieu, sa vie et ses habitudes. D’ailleurs, je crois que Patrick doit te former pour les infiltrations. - Ah, d’accord… Mais que dois-je faire exactement ? - Je ne sais pas, tu verras avec Patrick. Il applique souvent le système B. - C’est quoi le système B ? - Tu agis en fonction du moment car rien ne peut être programmé à l’avance. Osiris a décrété le niveau 2 pour Haton et Bremond. - Le niveau 2 ? On doit faire quoi au niveau 2 ? - De la surveillance rapprochée. Nous ne lâchons plus l’individu. Nous infiltrons son milieu et nous cherchons la faille. Une fois que nous l’avons trouvée, on intervient. - On intervient ? - Oui, bien évidemment, sans se faire repérer. Il faut simplement lui mettre la pression. Souvent, ça suffit et le type se calme. Mais parfois, quand nous ne pouvons rien faire de plus, nous contactons les amis d’Osiris. - Et c’est qui, ses amis, ils font quoi ? - Des commissaires, des avocats, des juges… - Ah carrément ! Vous travaillez avec la police aussi ? 55 - Bien sûr, puisque des membres en font partie. Lorsqu’ils sont bloqués dans une enquête, ou qu’ils ne peuvent pas agir, alors nous prenons le relais. - C’est de la pure folie cette histoire ! Je n’aurais jamais imaginé devenir membre d’une organisation comme la vôtre. Soudain, Stephan s’aperçut qu’il était déjà 10 heures. - Mince, je dois partir, le chef de chantier m’attend. Ce soir, je vais chez Tibère. - Oui, moi aussi. On se retrouve tous chez lui vers 21 heures, à ce soir. » Michel faisait le chiffrage du prochain chantier lorsque Bremond débarqua dans le bureau, en colère. « C’est quoi cette histoire encore, il paraît qu’on a changé le câble sans m’en parler ? - Oui, dans la journée de mardi, acquiesça Michel en baissant d’un ton. - C’est quoi ce bordel ? En plus, les chefs de Marcoule n’en parlent à personne. J’y comprends rien, rumina Bremond. - C’est vraiment un mystère. - Jean est encore sur le chantier. J’avais dit que je ne voulais plus le voir ce bon à rien, giclez-le ! - Ils doivent être cinq sur le chantier, et il n’y a pas d’autres intérimaires. Nous sommes obligés de le garder. - Vivement qu’on embauche les Polonais ou les Roumains, eux au moins, ils travaillent vite, et pour pas cher ! Et Bringel, il est où encore celui-là, il devrait être sur le chantier, ajouta Bremond d’un ton arrogant. - Derrière vous, lança Stephan qui venait d’arriver à pas de loup. 56 - Ah… vous êtes là… répondit Bremond, décontenancé. - Vous pensiez que j’étais parti à la plage ? rétorqua aussitôt Stephan, énervé. - Un peu de respect, je vous prie ! N’oubliez pas que je suis votre supérieur. C’est moi qui dicte les ordres sur ce chantier ! Michel, qui avait l’habitude de toujours crier et donner des ordres, semblait cette fois aussi doux qu’un agneau. - Euh… Je vais sur le chantier avec les autres, monsieur Bremond, bredouilla Michel. - Oui, c’est ça, allez-y ! Vous avez compris Bringel ? Je ne veux plus que vous me manquiez de respect. Si vous tenez à votre poste, faites profil bas ! Stephan serra le poing, il avait envie de donner une bonne correction à cet impertinent. Quel odieux personnage ! Il baissa la tête, serra les dents avec rage et répondit : - Bien monsieur Bremond, je suis désolé de m’être emporté. C’est la fatigue car en ce moment… - Ce n’est pas mes affaires. Ici, nous avons chacun un rôle déterminé. Je donne les ordres, vous m’assistez, et les intérimaires exécutent ! C’est simple, non ? Les autres, on ne leur demande pas de réfléchir ! Déjà qu’ils ont du mal à tirer un câble ! Suivez-moi, nous allons les rejoindre. Tandis que Stephan marchait à côté de Bremond, de violentes images traversaient son cerveau. Il se voyait décréter le niveau 1, ordonnant au Corse de passer à l’action. Comme dans ces films américains où, après avoir reçu l’ordre de son supérieur dans son oreillette, le sniper arme sa carabine et la détonation résonne alors sur le toit de l’immeuble. Le film se déroulait ainsi : Bremond arrive en berline et traverse le pont qui le mène à la centrale de Tricastin. 57 Le Corse est embusqué au détour d’un chemin. L’ordre retentit : « Exécute-le ». Bremond arrive face à lui, le Corse ajuste son tir, fixe le condamné qui ne sait pas encore que son heure est proche. Un bruit sourd claque dans l’air, réveillant un lièvre qui dormait à quelques mètres de là. L’ogive traverse le pare-brise et se loge au beau milieu du crâne de Bremond d’où jaillit une gerbe de sang qui éclabousse les sièges arrière de la voiture. Le bolide fou fait plusieurs tonneaux et termine sa course, en flammes, dans un fossé. Le Corse se lève, démonte l’arme qu’il place dans un sac à dos, et enfourche sa moto. Quelques mètres plus loin, il passe devant le véhicule du tyran qui se consume dans un gigantesque brasier. - Il est où Jean, encore ? hurla Bremond, faisant sursauter Stephan. - Aux toilettes, répondit Michel - Voilà ce que c’est de prendre des vieux, le chantier n’avance pas ! La correction du Corse n’avait pas suffi. Bremond continuait à harceler les ouvriers, et Stephan ne le supportait plus. - Il fait son travail, c’est suffisant, ajouta Stephan, agacé. - Il coupe même les câbles, le vieux, répliqua Bremond en postillonnant sur Michel. Bremond fit le tour du chantier puis disparut sans saluer les ouvriers. - J’en ai assez vu pour aujourd’hui. S’il y a un problème, vous savez où me trouver. » Bremond était répugnant et odieux, à l’image d’Haton. Il ne perdait rien pour attendre, Stephan lui ferait payer son arrogance. Il infiltrerait son milieu, entrerait dans son intimité et le blesserait avec ce qu’il possédait de plus précieux. Lorsque quelqu’un veut votre peau, vous 58 n’avez aucune chance de vous en sortir. Nul ne peut rester constamment sur ses gardes, et Bremond allait l’apprendre à ses dépens. Neutrino surveillait déjà le directeur, et s’il exploitait des jeunes filles, il aurait bientôt des comptes à rendre au groupe. Pour le moment, Stephan devait s’occuper de Bremond. Patrick et lui allaient réfléchir à un plan machiavélique. Il devait savoir par tous les moyens s’il trafiquait avec Haton, et quel rôle il jouait. Stephan ne voulait pas que ces ordures coulent l’entreprise que monsieur Horme avait dirigée pendant plus de trente ans. Si Haton et Bremond s’écartaient du droit chemin, ils subiraient les foudres de Neutrino. 59 6 Le soleil venait de se coucher, Stephan arrivait devant le portail qui menait à la propriété de Tibère. Sur chacune des portes, on pouvait voir un blason en fer forgé représentant la croix égyptienne. Il allait sortir de son véhicule pour sonner au carillon, lorsqu’une lumière clignota, et la porte s’ouvrit automatiquement. Dans la grande allée éclairée par une multitude de minuscules lumières encastrées à même le sol, une dizaine de voitures stationnaient déjà. Tibère sortit en saluant le nouveau membre. « Je suis content de te revoir parmi nous ! L’autre soir, tu avais l’air plutôt troublé. J’ai eu peur que tu ne reviennes pas. - Non, ne vous inquiétez pas ! Comme on dit, la nuit porte conseil. J’ai décidé de mener à bien la mission qui m’a été confiée. Je vois que tout le monde est déjà là. - Eh oui, Maât donne une conférence ce soir. - Ah bon ! Je ne savais pas. Maât, je ne le connais pas encore. - Nous allons te le présenter, c’est lui qui organise les missions avec Osiris. Parfois il donne des conférences, car chaque semaine nous avons un thème défini. Aujourd’hui par exemple, c’est la mythologie égyptienne. La semaine prochaine, un membre parisien vient donner des cours de sophrologie et d’hypnose. 60 - C’est génial ! Gérald ne m’avait rien dit. - Nous ne pouvons pas tout te dévoiler le premier jour, ajouta Tibère en souriant. - Quel est le thème de la conférence ? - Nous allons aborder le mythe osirien, qui revêt une grande importance dans notre société. - Le mythe osirien… Tibère traversa la salle de séjour, puis au lieu de tourner à droite en direction du passage secret, il emprunta un couloir à gauche qui débouchait sur une nouvelle porte. - Que représentent ces inscriptions ? demanda Stephan, subjugué, en touchant le bois sculpté de la vieille porte en bois. Un des hiéroglyphes représentait un œil, un Égyptien agenouillé, et un siège. - Lis la citation et tu comprendras. À haute voix, Stephan lut l’inscription suivante : Osiris, tu es parti, mais tu es revenu ; tu t'endormis, mais tu as été réveillé ; tu mourus, mais tu vis de nouveau. - C’est un des textes inscrits sur les pyramides de Saqqarah. Ce hiéroglyphe représente Osiris, le dieu des morts et de l’accession à la vie éternelle. C’est le protecteur et le juge des défunts, il est l’emblème de Neutrino. Alors que Stephan restait immobile et bouche bée devant l’inscription, Tibère poussa la porte d’où jaillit une intense lumière. Le nouveau membre fut émerveillé face à la nouvelle pièce qui ressemblait à une salle hypostyle. Sur le côté, plusieurs colonnes étaient décorées par de nombreux hiéroglyphes. En contrebas, on pouvait voir de longs bancs en granit, et au milieu, une estrade. Ses amis étaient déjà tous assis et prêts à écouter le discours d’un vieil homme. Derrière lui, 61 sculpté sur un vieux mur de pierres, se dressait le symbole de la croix égyptienne, l’ankh, qui représentait la vie éternelle et communiquait une certaine force vitale à celui qui le possédait. - Prends place, dit Tibère, solennel. Stephan s’assit sans un mot à côté de Gérald et Zibus. L’homme en tenue blanche commença son discours. - Nous te saluons Stephan ! J’espère que tu apprécieras cette première séance. Nous n’avons pas encore été présentés. Mon prénom est Charles, mais tout le monde m’appelle Maât. Sais-tu qui était cette déesse dans la mythologie égyptienne ? Stephan secoua timidement la tête et le vieil homme répondit : - Elle représentait l’ordre cosmique, l’équilibre et la justice. Elle était la fille du dieu solaire Râ, et la compagne de Thot. Le premier devoir du pharaon consistait à faire respecter la loi de Maât. Le jour du Jugement, le mort voyait son âme pesée. Sur un des plateaux de la balance était déposée la plume de Maât, et sur l’autre plateau on plaçait le cœur du défunt. Pour que son Kâ atteigne l’autre monde, son cœur devait être aussi léger que la plume. Tibère s’approcha de Stephan et ajouta : - Il faut d’abord que nous t’expliquions pourquoi nous utilisons les noms des dieux égyptiens et cette mystérieuse symbolique. Dans un premier temps, nous avons tout simplement jugé que la mythologie permettait à l’individu de rêver, de s’évader, tout en gardant à l’esprit la notion d’équilibre et de justice. À une époque où nous perdons tout repère et où plus personne ne respecte son prochain, la loi de Maât permettrait de marquer à jamais un inconscient collectif souillé par le crime. Puis nous nous sommes aperçus que certains 62 membres possédaient les vertus du dieu dont ils portaient le nom. C’est étrange, tu ne trouves pas ? Stephan hocha la tête en signe d’approbation. - Ce fut vraiment le premier mot qui nous vint à l’esprit lorsque nous réalisâmes donc qu’un lien unissait le membre à son dieu. Néanmoins, avec le temps, nous nous sommes aperçus que l’énergie était inaltérable, et par conséquent, que la force vitale traversait le temps et l’espace… Je sais, cela semble dément mais c’est ainsi, certains de nos membres possèdent de réels pouvoirs ! Les Égyptiens avaient conscience de ces forces qui régissent l’univers. Voyant que Stephan restait perplexe, Maât s’avança, et reprit la parole. - Revenons au thème de ce soir : le mythe osirien. Osiris était le fils de Nout et de Geb. Il avait un frère qui s’appelait Seth, et deux sœurs, Nephtys et Isis. Cette dernière devint plus tard sa femme. Le récit que je vais vous raconter est l’un des plus anciens que nous connaissons, il nous vient de Plutarque. Après son union avec Isis, Osiris accéda au trône. Mais Seth, qui était un dieu jaloux, voulut prendre sa place par tous les moyens. Maât s’arrêta pour distribuer des fiches sur lesquelles on pouvait voir des représentations d’Isis, d’Osiris et de Seth. Puis il éteignit la lumière, alluma le projecteur et projeta de nombreuses représentations des dieux. - Seth convia donc son frère à un grand festin. Machiavélique, il avait fait construire un superbe coffre aux dimensions d’Osiris. Au milieu du repas, il annonça qu’il en ferait présent à celui qui le remplirait en s’allongeant dedans. Tous les participants essayèrent mais aucun ne correspondait aux mensurations. Au moment où Osiris s’y installa, on referma le couvercle, et le coffre fut jeté dans les eaux du Nil. Lorsque Isis 63 apprit le sort de son pauvre mari, elle partit à sa recherche à travers le pays en interrogeant tous ceux qu’elle rencontrait sur son chemin. Grâce à la révélation divine, elle retrouva Osiris à Byblos, au pied d’un tamaris. Stephan, sous le charme de cette fabuleuse légende, buvait les paroles du vieil homme. - Malheureusement, après avoir ramené le corps de son époux en Égypte, Seth retrouva Osiris et le découpa en quatorze morceaux qu’il éparpilla à travers le pays, reprit Maât. Tandis que son ami racontait la légende, Osiris affichait une carte détaillant les diverses régions d’Égypte. Tout en continuant son discours, Maât pointait son laser sur l’écran et détaillait des hiéroglyphes. - Isis retrouva les douze morceaux, mais il manquait le cœur et le phallus. Elle reconstitua le corps et fabriqua un pénis avec de la glaise. Grâce à ses pouvoirs, elle redonna vie à Osiris et s’accoupla avec lui. Voilà comment naquit Horus, le dieu faucon. Par la suite, Osiris fut embaumé et obtint la vie éternelle ! Il devint le juge des âmes. » Maât affichait de nouvelles photos qui symbolisaient Osiris. L’une d’elles représentait une grande colonne, la même que celle qui se trouvait au centre de la grande salle : le pilier Djed. Enfin, il évoqua l’idée de la renaissance et de la vie éternelle, thèmes récurrents chez Neutrino. Puis, pour clore le débat, il aborda l’épopée d’Horus luttant contre le terrible Seth pour venger son père. Vers minuit, alors que la conférence venait de se terminer, Zibus s’approcha de Stephan. 64 « As-tu réfléchi à ce que tu souhaiterais étudier ? Nous devons participer à une séance par semaine lorsque nous en avons la possibilité. Osiris conseille à chacun des membres d’approfondir ses connaissances. - Je ne sais pas. Que me proposez-vous ? - C’est varié, tu peux apprendre la théologie, l’hypnose, la sophrologie, le yoga, les mathématiques, la physique, l’histoire… Ou encore le tir, les arts martiaux… - Les arts martiaux, le tir… Pourquoi pas ! Peut-être que ça me défoulera et que ça me permettra de trouver un certain équilibre. Et toi, tu fais quoi ? - J’étudie l’hypnose, et je donne des cours d’informatique. Tu peux commencer les cours de tir avec le Corse, dès demain. Quant aux arts martiaux, tu peux aller avec Patrick, il pratique lui aussi l’aïkido et le combat libre. - Et c’est où tout ça ? - Pour les arts martiaux, tu devras te rendre au dojo d’Amon, c’est-à-dire à Marseille. Les autres cours sont enseignés soit chez Tibère, soit dans les autres centres de Neutrino. Tout dépendra des matières que tu souhaites étudier. - Génial, j’ai hâte de commencer, je sens que ça va me plaire. » Le lendemain, vers 20 heures, Stephan frappa à la porte du Corse qui vivait avec son frère en pleine campagne ardéchoise. En caleçon, torse nu, il sortit rapidement, une lampe serre-tête autour du front. « Bonjour Paul, je viens pour les séances de tir ! Mustang apparut lui aussi, une cigarette à la bouche. - Qu’est-ce qu’il se passe ? Un souci ? 65 - C’est Stephan qui vient pour apprendre le maniement des armes. - Ah bon ! Arrête Steph, tu ne vois pas que c’est un malade avec les armes ! Tu sais pourquoi il a une lampe sur la tête ? - Euh… non… - Explique-lui, Paul ! Dis-lui pourquoi tu as cette lampe sur la tête. - Je remontais ma 444 Marlin. J’ai toujours peur que quelqu’un m’observe, alors je descends au sous-sol, et vu qu’il fait sombre… Mustang éclata de rire. - Tu vois, je te l’ai dit, c’est un malade. - L’écoute pas, il ferait mieux de suivre les conseils de Maât, et arrêter de fumer. - Il a raison ton frère, tu fumes trop, ajouta Stephan. Exaspéré, Mustang claqua la porte et disparut dans un gros nuage de fumée. - Laisse-le, il ne changera jamais. Viens avec moi, je vais te montrer mes carabines. Le Corse ouvrit une trappe qui se trouvait sous le tapis de sa chambre et Stephan le suivit jusqu’au sous-sol. Lorsqu’il alluma la lumière, ce fut la caverne d’Ali Baba version militaire. Il y avait un stock de fusils, de carabines, de pistolets et même de grenades. - Voici toutes mes armes. Grâce à Tibère, je suis équipé de ce qui se fait de mieux. Regarde ma collection snipping : Sig Sauer 556, élite FR-F1, Barrett M82, Mac Millan… Mais de tous, voici mon préféré : le “Accuracy International AW Super Magnum en calibre .338 Lapua Magnum (8,6 X 70 mm)”, il a une portée de plus d’un kilomètre. - C’est impressionnant, je ne savais pas que l’on pouvait toucher une cible à une telle distance. Le Corse éclata de rire et rétorqua : 66 - Une cible ! Dis… un homme, tout simplement ! En Afghanistan, un sniper a réussi, au moyen d'un fusil Mac Millan .50 Cal. Tactical, à tuer un type à une distance de 2 450 mètres. Stephan blêmit et soupira, puis il toucha chaque arme. - Où as-tu appris tout ça ? - J’étais tireur d’élite dans les commandos de marines. - Mais… tu as souvent usé de ton arme pour Neutrino ? - Parfois… - Ça ne te dérange pas de tuer des êtres humains ? - Chaque fois que j’ai pressé la détente, c’était comme si je libérais l’humanité d’un mal incurable. Les hommes que j’ai éliminés étaient des violeurs d’enfants, des assassins sanguinaires, des chefs de mafia. Je n’ai jamais eu un seul regret. - Je ne sais pas quoi te répondre car je suis plutôt pacifiste ! Je pense que la violence engendre la violence. - Regarde les bouddhistes, t’as vu où les a menés la non-violence ? Si nous avions été au Tibet, nous aurions saigné jusqu’à la mort ces tueurs d’enfants. - En effet, peut-être que dans certains cas, le crime est une nécessité. - Arrêtons de philosopher. Suis-moi, je vais te faire essayer le Mac Millan à visée nocturne. » Dehors, la nuit venait tout juste de tomber. Un vent frais soufflait sur les plaines. Le Corse installa le fusil sur un trépied et partit placer la cible à une cinquantaine de mètres. « Tiens, mets cette lunette à vision nocturne et allume la torche infrarouge. - Mais, on ne va pas faire trop de bruit ? - T’inquiète pas, les voisins sont loin. 67 Une fois que Stephan eut mis la lunette et allumé sa torche infrarouge, il vit comme en plein jour. - C’est fabuleux, je vois tout. C’est génial ! Le Corse s’allongea sur le ventre à même le sol. Il ajusta la visée et appuya sur la détente. Le bruit de la balle claqua dans l’air. Il respira calmement, ajusta le trépied et recommença ainsi cinq fois de suite. - Alors, résultat ? - Tout dans le mille, répondit Stephan, stupéfait. - Vas-y, allonge-toi. Je vais te montrer comment faire. Stephan ôta sa lunette et s’allongea sur le ventre. - Pour l’instant, ne cherche pas le centre. Concentretoi uniquement sur le groupement. Tout d’abord, place tes bras comme les miens, inspire, puis bloque ta respiration. Une fois que tu es bien centré : shoote ! Surtout ne reste pas trop longtemps en visée sinon tes membres vont se tétaniser. Pense à faire le vide dans ton esprit et décontracte-toi. Inspire calmement, pense à chacun de tes mouvements. Allez, à toi maintenant. Stephan se concentra, inspira calmement, ajusta le tir et pressa la détente. Deux minutes plus tard, les résultats étaient plus qu’honorables. - Tu as groupé en haut de la cible, à onze heures. C’est bien pour un premier tir. Recommence ! Il essaya plusieurs fois, jusqu’à ce qu’il atteigne enfin le centre. Une heure plus tard, Stephan admirait ses cartons. - C’est formidable, je ne pensais pas obtenir un tel score. - Tu vois que ce n’est pas difficile, mais n’oublie pas qu’un vrai sniper tire à plusieurs centaines de mètres. Nous n’étions qu’à cinquante mètres ! La semaine prochaine, nous irons essayer un revolver Manhurin 357 magnum. C’est l’heure, il faut qu’on bouge ! - On va où ? 68 - Patrick ne t’a rien dit ? - Euh non… - Ah… Bien... Tous les trois jours, nous effectuons un circuit de surveillance. - Un circuit de surveillance ? C'est-à-dire ? - Avec vingt autres membres de la section d’Avignon, on se partage le secteur. - Mais… pour faire quoi ? - De la surveillance, bien sûr. - Mais, il y a la police et la gendarmerie ! - Tu parles… Ils ont trop de contraintes et de paperasse. N’oublie pas que nous n’existons pas, nous sommes l’underground ! Nous pouvons faire ce que nous voulons. - Et si ça tourne mal, si on blesse quelqu’un, si on se fait arrêter… - C’est déjà arrivé ! - Et alors ? Comment ça se passe ? - Le préfet fait partie du groupe Neutrino d’Avignon, tout comme quelques commissaires de la région. Nous sommes couverts, et nous avons les pleins pouvoirs. Te souviens-tu de l’homme qui a poignardé trois personnes au festival d’Avignon, l’année dernière ? - Oui, ils ne l’ont jamais retrouvé. Je me souviens de l’affaire, c’est même passé au journal de 20 heures ! Les deux parents sont décédés à l’hôpital, laissant une fillette orpheline, traumatisée à vie. - C’est sûr qu’ils ne risquent pas de le retrouver… Il sert d’engrais à un acacia à présent. Il est utile au moins ! - Tu… - Non, c’est Patrick... Enfin, sur le coup, il a un peu merdé. Quoique parfois, je me demande s’il n’a pas fait exprès. C’est rare qu’il rate sa cible… - Que veux-tu dire ? 69 - Il a bien visé le crâne mais ça n’a pas suffi ! J’ai dû finir le travail au wakizashi. Le type hurlait en tenant une partie de son crâne dans les mains. T’aurais vu Patrick, il n’a même pas cherché à finir le travail. Il le toisait avec une telle haine… Soi-disant qu’il avait raté son tir à cause d’un coup de doigt… - C’est horrible ! C’est quoi un wakizashi ? - Un sabre japonais de petite taille. Mais ne t’inquiète pas, j’ai appris à tuer proprement, et j’ai abrégé ses souffrances rapidement. Si tu veux, je t’apprendrai comment trancher d’après les techniques de coupe des samouraïs. Au Japon, dans l’ancien temps, les forgerons testaient les lames en tranchant des corps de prisonniers. On appelle ça le tameshigiri. Le record était de sept corps tranchés à la suite. Grâce aux prisonniers, les maîtres établirent des techniques de coupe pour chaque partie du corps, suivant les niveaux de difficulté. Les notes sont répertoriées dans un livre, le Tameshigiri Densho. Bon, j’ai assez parlé, il est presque 22 heures. Nous devons partir ! » Patrick au volant de la voiture, le Corse côté passager et Stephan à l’arrière, tous trois surveillaient les ruelles d’Avignon. « C’est calme, ce soir, observa Patrick, étonné. - Va faire un tour aux Halles, c’est entre 23 heures et 1 heure que ça chauffe. Il arrêta la voiture à côté d’un bar cubain. Discrètement, il ouvrit la boîte à gants et en sortit un Sig P226 calibre 40 SW, quinze coups, muni d’un silencieux. Le Corse plaça son wakizashi et une matraque télescopique dans un étui qu’il plaqua contre son dos. Ensuite, il tendit un tanto – un couteau japonais – à Stephan qui frémit. 70 - C’est obligé ? - Tu as fait serment de protéger les membres, non ? - Oui, mais pas toute la population… - N’oublie pas qu’ici même, des membres de Neutrino dînent, s’amusent ou peut-être travaillent. Donc, c’est à nous de les surveiller ! Et puis, il y a aussi des femmes et des enfants. Tu ne veux pas les défendre ? - Bon, allons-y. Ils remontèrent la rue pour enfin aboutir devant le parking. À hauteur des machines à paiement, une jeune femme était en train de se faire harceler par une bande de loubards. - Vas-y, t’es bonne toi, viens avec nous ! On va te faire la totale ma cochonne, beuglait un type complètement soûl. Un passant qui venait de croiser les voyous détala comme un lièvre. La demoiselle se dépêcha de payer et s’enfuit rapidement dans les escaliers en espérant semer les cinq lascars. - On bouge, dit le Corse. Immédiatement, les trois compères passèrent à l’action et suivirent discrètement les voyous. - Fais gaffe à la caméra de surveillance, enfile cette cagoule, intima Patrick au nouveau membre. Au troisième étage du parking, les cinq hommes se trouvaient déjà à l’intérieur du véhicule de la jeune femme. Ils lui caressaient la poitrine et lui demandaient de l’argent. - On intervient ! hurla le Corse. Lorsque les lascars virent les trois hommes cagoulés, ils sortirent de la voiture rapidement. L’un d’eux brandit un rasoir, et un de ses complices, un gros poignard. - Alors les mecs, on veut faire les malins ! brailla un autre type baraqué, une matraque à la main. 71 Le Corse sortit son wakisashi et bondit sur l’homme en lui tailladant le bras. Le lascar hurla de douleur et lâcha son arme. Un autre voulut donner un coup de rasoir à Patrick, ce dernier esquiva le coup et attrapa le poignet de son agresseur en effectuant un kote gaeshi. Le bras cassa à cause du mouvement de torsion. Stephan asséna un bon crochet du droit à un des jeunes voyous qui tomba inanimé, sa tête heurta violement le capot du véhicule. Un nouveau type attaqua le Corse qui bloqua le coup et lui fit une clé de genou. Alors que le dernier des voyous s’enfuyait, Patrick lui sauta dessus et effectua un étranglement nommé mata leao en ju-jitsu brésilien. Les cinq crapules agonisaient sur le sol en demandant de l’aide. Leur victime les regardait, horrifiée. - Vite, dans l’ascenseur, il faut évacuer les lieux avant l’arrivée des gardiens ! hurla le Corse. Sous le choc, la jeune femme, paniquée, observait ses agresseurs à terre qui hurlaient de douleur. - Descendez vite à l’étage inférieur, il y a les agents de sécurité, intima le Corse à la fille. Elle obéit et disparut aussitôt. Les membres de Neutrino sautèrent dans l’ascenseur et arrivèrent au rezde-chaussée. - Enlève ta cagoule et baisse la tête pour pas que l’on voie ton visage, dit Patrick à Stephan. Une fois dehors, ils coururent à la voiture et démarrèrent rapidement. - Pour ta première sortie, c’était plutôt mouvementé, dit le Corse en se recoiffant. Stephan, blême, ne répondit pas. Il était encore sous le choc. - Respire, ça va aller. Lorsqu’il eut repris ses esprits, il s’exclama : - C’est terrible, il y avait du sang partout… Et cette odeur de fer ! J’ai envie de vomir. 72 - J’ai juste entaillé son avant-bras. Je ne pense pas qu’il ait des séquelles. N’oublie pas qu’on a sauvé la fille, c’est le plus important. - Oui mais bon… - Nous sommes comme les neutrinos, nul ne peut nous arrêter. - C’est vrai ça, je ne me suis jamais posé la question. Pourquoi avoir choisi ce nom au juste ? Ça veux dire quoi Neutrino ? - Tu ne sais pas ce qu’est un neutrino ? demanda Patrick, étonné. - Ben non… Désolé. - C’est une particule subatomique électriquement neutre qui demeure encore un grand mystère pour les scientifiques. Il semblerait qu’elle soit de masse quasi nulle, et capable de passer la matière à la vitesse de la lumière ; dix exposant douze neutrinos traversent notre corps à la seconde ! Ce sont les particules les plus nombreuses de l’univers mais elles sont quasi indétectables. - C’est impressionnant… Merci pour l’information. Regarde, mes mains tremblent toutes seules, observa Stephan, affolé. - Nous te ramenons chez toi, tu as eu assez d’émotions pour aujourd’hui », conclut Patrick. 73 7 Dans les bureaux, à Marcoule, Stephan discutait avec Gérald. « Le nouveau chef de chantier vient d’arriver à Cruas, c’est pour cette raison que je me retrouve ici. - Tu vas faire quoi ? demanda Stephan. - Remplacer Michel qui est en vacances pour un mois, et ensuite, sûrement partir en déplacement. - Tu ne peux pas te faire pistonner par Neutrino ? - Je ne peux pas car nous surveillons un type sur EDF, et je dois participer aux arrêts de tranche. Mais après, je change de boîte ! répondit Gérald en faisant un clin d’œil à Stephan. - Pourquoi Patrick reste-t-il en intérim ? - Il a été désigné pour infiltrer le milieu ouvrier des diverses entreprises de la région. N’oublie pas qu’il est spécialisé dans l’électricité, l’électronique et les télécoms. C’est lui qui dépose les mouchards et pirate les ordinateurs. Ainsi, à distance, Zibus n’a plus qu’à vérifier les dossiers suspects. - Ah d’accord, je comprends mieux maintenant. - C’est lui qui a refait l’installation électrique et le réseau informatique d’Haton. Il a dissimulé un micro émetteur dans son bureau, et placé un trojan dans son ordinateur. - C’est quoi un trojan ? 74 - Un cheval de Troie ! Un programme informatique qui se masque dans un programme sain. Une fois installé, le pirate peut introduire le poste à distance. - Vous êtes sacrément doués ! - Nous contrôlons les postes informatiques des plus hauts responsables. Sinon, pour changer de sujet, vendredi, avec le Corse, comment c’était ? - Ne m’en parle pas, on s’est retrouvés dans une bagarre. - C’est normal, ça arrive souvent avec eux. - Ils n’ont pas peur que ça finisse mal ? - Ils suivent un entraînement rigoureux, tu verras par toi-même. C’est incroyable le courage et la volonté qu’ils ont. - Pourquoi dois-je faire cette surveillance ? - Tu as décidé de pratiquer le tir et les arts martiaux, par conséquent, tu te retrouves dans la section surveillance. - C’est terriblement angoissant ! Et si jamais je craque ? - Tu peux quitter Neutrino quand tu le souhaites, mais tu ne dois rien dévoiler de son fonctionnement interne. - N’importe quand ? - Bien sûr, Manolo faisait partie du groupe avant, lui aussi. - Ah bon, et pourquoi il a arrêté ? - Il préférait voyager en Thaïlande. Tu sais, c’est un solitaire qui aime profiter des plaisirs de la vie. Parfois il nous aide pour certaines affaires. Ça fait presque trente ans qu’il travaille en tant qu’intérimaire dans la région, donc il connaît toutes les installations électriques et les points stratégiques. - Et Jeannot aussi ? - Il a fait partie du groupe quand il était plus jeune, puis il a arrêté. 75 - Pourtant, il ne répond jamais lorsqu’on l’insulte ! Il n’est pas très guerrier. - Nous évitons toujours les conflits, même si parfois nous passons pour des imbéciles. Personne ne se méfie d’un idiot ! Le Corse a fait une erreur la dernière fois, mais c’est son tempérament impulsif. - Faire l’idiot… C’est vrai, tu as bien raison. Je n’aurais jamais imaginé que tu puisses faire partie d’un tel réseau, répondit Stephan en éclatant de rire. Soudain Bremond ouvrit la porte du bureau comme une furie. - Vous vous foutez de moi ? Les intérimaires attendent dehors pendant que vous plaisantez, un café à la main. C’est inadmissible, Bringel et Jurlin, vous n’êtes même pas capables de suivre le chantier ! Je vais faire un rapport à Haton, ça va chauffer ! Foutez-moi le camp d’ici, bande de nuls. - Mais… je vous ai appelé au bureau pour savoir si je restais sur le chantier, personne n’a répondu, rétorqua Stephan en prenant un air stupide comme savait si bien le faire Gérald. - C’est normal, la secrétaire a fait une tentative de suicide, hier soir. Sa mère nous a appelés tout à l’heure. - Mon dieu, et elle va bien ? - Ce n’est pas notre problème, nous ne sommes pas psychiatres ! Allez, bougez-vous. Dans le couloir, les deux amis maudissaient Bremond. S’il avait pu établir le niveau 1, Stephan n’aurait certainement pas hésité à l’exécuter. - Il faut qu’on prenne des nouvelles de Stéphanie… J’espère qu’elle va mieux et qu’elle ne refera pas une tentative de suicide. Haton et Bremond sont de vraies ordures ! rumina Gérald avec rage. - Demain, après le boulot, je passerai à l’hôpital. Je te tiens au courant de son état de santé. J’ai bien réfléchi 76 pour Bremond, et la seule chose qui puisse peut-être le déstabiliser, c’est sa femme. - Tu penses ? répondit Gérald, perplexe. - Je sais que de son bureau, il l’appelle régulièrement. - Et quel est ton plan ? - Nous pourrions proposer à une call-girl de l’aborder. Peut-être que des photos compromettantes avec une charmante créature, envoyées sous pli postal à sa femme, suffiraient à semer une belle discorde entre eux. Bremond serait déstabilisé et nous aurions le champ libre pour la suite de l’enquête tandis qu’il essaierait de sauver son couple. - Je sais où trouver la fille qui exécutera la mission. - Ah bon ? - Virginie Bernard gère la section Neutrino d’Avignon. La plupart de ses membres infiltrent le milieu médical mais elle a quelques filles qui s’occupent de ce genre d’affaires. J’ai travaillé avec un de ses agents, la belle Laetitia. On la surnomme Sekhmet. Une grande blonde aux yeux verts. C’est un sacré numéro ! - Tranquille, la vie ! - Ce n’était pas une partie de plaisir. À l’époque, Sekhmet était mannequin et nous surveillions son agence. Le directeur droguait certaines filles avec du GHB et abusait sexuellement des mineures. Un vrai tyran, de la trempe d’Haton. Tu n’as jamais entendu parler de l’agence Saphirom ? - Bien sûr que si, c’était il y a six ans, le directeur a été ass… Non ! C’était encore vous ? - Il avait violenté plusieurs filles, dont une qui garde de graves séquelles encore aujourd’hui. - Je me souviens de cette affaire comme si c’était hier. Les enquêteurs avaient soupçonné un gang asiatique, car le directeur de l’agence avait été tailladé avec un sabre japonais. 77 - Paul était passé par là. - Vous êtes partout, c’est incroyable - Partout… Comme les neutrinos… Je vais rejoindre les intérimaires, nous devons installer un chemin de dalles. Va avec Patrick sur le chantier extérieur, il y a l’armoire électrique à câbler. On se verra plus tard pour discuter de la mission. » Dehors, les trois intérimaires attendaient patiemment leur chef, adossés contre un touret. Qui aurait pu imaginer que ces hommes faisaient partie d’une société secrète ? Personne ne se méfie jamais assez d’un intérimaire. Jean et Manolo suivirent Gérald en direction du site de Marcoule. Patrick et Stephan partirent sur le chantier extérieur. « Zibus m’a dit que je devais surveiller Bremond avec toi, annonça Patrick. - Il paraît que tu es spécialisé dans l’infiltration, en plus de l’exécution du niveau 1 ? J’espère que tu pourras me former. - En quelques jours je peux connaître les habitudes d’une personne. Lorsque je traque un type, je ne fais plus qu’un avec lui. Nous laissons tous des indices derrière nous. Si tu pirates l’ordinateur de ta cible, c’est le bingo assuré. Quand on surfe sur le Web, on laisse des traces, et le hacker n’a plus qu’à vérifier les cookies, les pages web visitées… Je peux aussi le suivre jour et nuit. Parfois, il faut attendre des heures entières, et observer sa proie. - Tu observes quoi ? - Lui, sa famille, ses amis… Je le guette de l’immeuble d’en face, sous un pont, dans un fourré… Il faut toujours être prêt à agir. Lorsqu’il n’y a plus personne dans la 78 maison, je rentre discrètement par mes propres moyens, puis j’installe un micro émetteur dans son salon, une caméra miniature sans fil dans son bureau. Mais je peux aussi fouiller ses poubelles, le suivre à la salle de sport, au supermarché, et même parfois questionner ses voisins. - Les surveillances durent longtemps ? - Ma plus longue traque a duré un an ! C’était pour un gang des quartiers nord de Marseille. Je travaillais en collaboration avec la section Neutrino de la cité phocéenne. Nous devions surveiller l’ensemble du groupe mais un des chefs nous a démasqués, et ce fut une belle boucherie : trois morts ! - Tout à l’heure Gérald m’a parlé de Virginie Bernard. Tu la connais ? - Tout le monde la connaît ! C’est un des piliers du groupe. La section Neutrino de Vaison, dont le guide spirituel est Osiris, est assimilée à la Basse-Égypte, quant aux sections d’Avignon et de Marseille, elles représentent la Haute-Égypte. D’ailleurs, chaque année avec Isis nous célébrons la crue annuelle du Nil, qui coïncide avec l’apparition de l’étoile Sothis, appelée généralement Sirius. Cette crue était indispensable à la fertilité des terres, d’où l’importance du culte en Égypte. - Quel est le rapport avec Isis ? - Isis est la déesse mère protectrice, la mère universelle, assimilée à Sothis qui incarne la fertilité, et le complément du dieu Osiris. C’est aussi la grande magicienne, capable de soigner les gens, de donner la vie ou de provoquer la mort. - Virginie Bernard doit être une grande dame. - En effet, tout le monde la respecte. - Nous devons contacter Isis pour un de ses agents. Tu connais Laetitia ? 79 - Sekhmet… C’est une fille très professionnelle, et super charmante, qui réussit chacune de ses missions. Nous n’avons pas de souci à nous faire si elle travaille avec nous. - Dès ce soir, je commence à suivre Bremond. Tu viens avec moi ? - Aucun problème, j’apporterai le matériel d’infiltration. - Tu sais pour Stéphanie ? - Non, qu’est-ce qu’elle a ? - Elle a fait une tentative de suicide, hier. - Oh, non ! Elle est super sympa cette nana, c’est elle qui s’occupe de mes pointages. Haton lui file sans arrêt du boulot. La semaine dernière, elle se plaignait qu’il ne cessait de lui gueuler dessus. - Je ressens une haine viscérale pour cette ordure. Il me dégoûte. Arrêtons de parler d’eux, nous devons finir de câbler cette armoire électrique. Nous en rediscuterons ce soir. » Il était 19 heures lorsque la voiture de Stephan se gara à l’entrée d’un quartier bourgeois, à la sortie de Montélimar. Une quinzaine de somptueuses maisons étaient disséminées autour d’un superbe golf éclairé par des projecteurs. « En voilà un qui se la coule douce ! T’as vu un peu le coin, grogna Stephan. Discrètement, ils remontèrent à pied la longue allée de pins qui longeait les habitations et arrivèrent enfin devant une superbe villa. - Voilà, nous sommes chez Bremond. On se met en cache dans le local technique, personne ne nous verra làdedans, chuchota Stephan 80 La demeure du chargé d’affaires se situait à une trentaine de mètres d’un local technique. Tout en enfilant ses gants noirs, Patrick sortit minutieusement un mystérieux objet et toute une série d’outils. - C’est un pick gun, et mes instruments de crochetage pour serrure. Avec ce type de matériel, j’ouvrirai rapidement le local. Le pick gun crée un transfert d’énergie entre la goupille et la contre goupille. Avec les vibrations, la goupille reste en bas, et la contre goupille monte. Un vide se crée, alors rapidement avec le crochet, j’ouvre la serrure. - Et si ça ne fonctionne pas ? - J’utilise mes crochets palpeurs mais ça demande une plus grande connaissance des serrures. Il faut y aller à tâtons. Pour réussir un bon crochetage, tu dois d’abord apprendre la mécanique des serrures et ses défauts. Pour ouvrir rapidement un verrou, tu dois trouver la goupille qui bloque le plus. Je vais te donner un rapide cours d’initiation. Derrière l’allée de pins, à l’abri des regards indiscrets, Patrick s’exécuta. - Ton verrou est composé d’un stator, la partie fixe, et d’un rotor, la partie mobile. À l’intérieur, tu as un ressort qui maintient en place deux types de goupilles, l’active et la passive. La clé agit sur la goupille active en montant la goupille passive qui, lorsqu’elle atteint un certain niveau, débloque le rotor, et ouvre la porte. Tu peux avoir une serrure à cinq goupilles, mais bien souvent, seulement une ou deux bloquent vraiment la serrure car il existe un certain jeu mécanique. Regarde, je vais te montrer sans utiliser le pick gun, ça sera un peu plus long. Patrick inséra minutieusement son crochet palpeur et, à tâtons, effectua du bout des doigts de légères pressions. 81 À l’aide d’un autre outil, il exécuta une légère rotation du cylindre. - Ne fais plus de bruit, j’écoute le cliquetis et je vérifie la pression de chaque goupille. Ça demande beaucoup de concentration. J’essaie de déterminer celles qui sont correctement positionnées. Il faut uniquement ressentir le déplacement du bout du crochet, et non celui de sa poignée. Ensuite, tu dois déterminer la force de rotation minimale nécessaire à appliquer au rotor avec l’outil entraîneur. Tout en positionnant correctement, avec le crochet palpeur, les goupilles restantes. Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit. Stephan était stupéfait de la dextérité de son collègue. - Je te montrerai en détail chez moi, j’ai toute une série de serrures pour t’entraîner. Maintenant, dépêchonsnous, préparons le matériel. Stephan sortit de sa sacoche un bloc-notes, un appareil photo numérique et une paire de jumelles nocturnes. - Note leur heure d’arrivée, leurs déplacements, et la première chose qu’ils font dès qu’ils sont dans la maison, ajouta Patrick. Stephan scrutait la demeure de Bremond aux jumelles. - Dix-neuf heures trente, toujours personne. - Patience, il faut attendre », rétorqua Patrick, solennel. Quelques minutes plus tard, deux véhicules pénétrèrent dans la propriété. Deux ombres entrèrent dans la demeure. « C’est Haton ! Il est avec Bremond. - Qu’est-ce qu’ils manigancent, ces deux lascars ? ajouta Patrick, perplexe. Stephan ajusta la visée nocturne et zooma jusqu’à la fenêtre du salon. 82 - Nous avons de la chance qu’ils n’aient pas tiré les rideaux. Regarde, Haton ouvre une mallette et donne des dossiers à Bremond. Merde ! Il lui file du pognon ! Dommage qu’on n’ait pas encore installé d’émetteur ! Haton passe un appel téléphonique, il a l’air furieux. Nous devrions retourner à la voiture au cas où ils fileraient. Rapidement, Patrick rangea le matériel dans sa sacoche et referma la porte. Discrètement, toujours cachés par l’allée de pins, ils filèrent en direction de leur véhicule. Par précaution, Stephan déplaça la voiture une ruelle plus loin. - J’espère qu’ils vont bouger, ajouta Patrick. Patiemment, ils scrutaient le bout de la rue lorsqu’ils virent le véhicule de Bremond sortir de la résidence. - Vas-y, suis-les discrètement en laissant une bonne distance. » Stephan démarra la voiture et s’engouffra dans la ruelle. Le véhicule de son supérieur se trouvait juste un peu plus loin. Ça faisait déjà trente minutes qu’ils suivaient le bolide sur l’autoroute, en direction d’Avignon. Stephan perdait patience : « Ils vont où ces abrutis ! Ce n’est pas possible ! - Patience, ne t’énerve pas, lui conseilla Patrick. Vingt minutes plus tard, la voiture pénétra à l’intérieur d’une immense propriété qui menait jusqu’à un château, sur les hauteurs des Angles. Stephan, stupéfait, gardait ses distances. - Gare-toi ici, nous sommes bien placés pour les surveiller, dit Patrick - Nous faisons quoi maintenant ? 83 - On attend. Nous ne pouvons rien faire de plus car nous risquerions de nous faire repérer. - Je me demande ce qu’ils trafiquent, tous les deux. - Je ne sais pas, mais je ne sens pas le truc en tout cas. Surveillons-les. Derrière un fourré, à une centaine de mètres de la gigantesque bâtisse, Stephan sortit les jumelles nocturnes. Quelques minutes plus tard, deux nouvelles berlines arrivèrent. Les yeux rivés sur l’objectif, il vit quatre superbes filles sortir du premier véhicule. Le conducteur était un grand type baraqué, à l’allure peu rassurante, certainement un garde du corps. Trois autres personnes, en costume-cravate, sortirent du deuxième véhicule. - Mince… c’est… bafouilla Stephan. - C’est ? - L’un des trois types, il me semble que c’est le président de l’EEAI… Qu’est-ce qu’il fout ici ? Alors que les invités pénétraient à l’intérieur du château, Stephan restait bouche bée. - Tu es certain que c’est lui ? - Oui, il est tellement antipathique qu’on ne peut pas se tromper. - T’as vu les femmes ? demanda Patrick. - Elles ressemblent à des filles de l’Est. - Tu crois que c’est des call-girls ? - Peut-être ! Quand je pense que ce type de personne dirige des entreprises… - Nous allons attendre, ensuite nous suivrons la voiture des filles. Nous devons savoir d’où elles viennent - Bonne idée ! » Depuis plus de trois heures, les membres de Neutrino surveillaient le château. Stephan commençait à perdre patience. Soudain, les filles sortirent, à demi-dévêtues. 84 « Ils partent, on les suit ! Le véhicule prenait la direction d’Avignon. Le conducteur roulait très doucement et respectait étonnamment le code de la route. - Regarde comme il respecte la vitesse, comme il met les clignotants, constata Stephan, étonné. - Garde tes distances, on va se faire repérer. À présent, la berline roulait sur l’autoroute en direction de Marseille. - Tu penses à la même chose que moi ? - Je crois bien que oui ! Attendons tout de même d’arriver sur place pour avoir confirmation. - Dès ce soir, je contacte les autres membres. Nous aurons sûrement besoin de Sekhmet pour appâter le poisson, suggéra Patrick, inquiet. - Il y a trop de gens haut placés mêlés à cette affaire, et Marseille doit être la plaque tournante. Nous devrions nous méfier. Nous pouvons oublier notre idée de départ avec la femme de Bremond et nous recentrer sur Haton. » Une heure venait de s’écouler, et comme s’en doutaient les membres de Neutrino, la voiture se garait sur le parking du Lady Blue. À distance, stupéfaits, ils observaient : « C’était certain ! Ça me fait frémir toute cette histoire. Comment un type comme Haton, qui a un titre d’ingénieur d’une prestigieuse école, peut-il se retrouver mêlé à un tel trafic ? Je ne comprendrai jamais le genre humain… Prends des photos des filles et des gardes du corps, ordonna Patrick. - Regarde, elles sont mineures, et ne sont sûrement pas françaises ! - Zoome sur les deux dernières, tu as vu ? 85 - Elles ont des marques sur le cou et les bras ! Les ordures, ils les frappent ! Regarde, la plus jeune est en larmes. Le type vient de l’attraper violement par le cou. L’enfoiré, si je le chope, lui. Stephan serra le volant de toutes ses forces et frappa le tableau de bord violemment. - Arrête, tu vas nous faire repérer, garde ton calme. - Je vais leur casser la gueule ! - Ça ne changera rien, on va plutôt s’occuper de toute la bande. Tu ne penses pas que c’est mieux, non ? - Tu as raison, excuse-moi. - Respire et calme-toi ! Allez, démarre la voiture. On rentre. Pendant quelques longues minutes, personne n’ouvrit la bouche. Puis subitement, Stephan cria : - Les ordures, les enfoirés ! Ça change nos plans ! C’est trop dangereux pour Sekhmet, nous ne pouvons pas la laisser y aller toute seule. - Ne t’inquiète pas pour elle. À présent, nous avons Bremond et Haton dans le même panier. Il faudrait l’infiltrer parmi les prostituées. - Tu es malade, ils vont la frapper ! - Arrête de paniquer, je te dis que Sekhmet a été préparée à tout ça. Elle a fait bien pire… - Ah bon ? - Ce que je ne t’ai pas dit, c’est qu’elle a éliminé le boss du gang de Marseille. - C’est vrai ? Tu plaisantes ? - Elle a couché avec lui, et après lui avoir fait boire du cyanure, elle l’a regardé crever comme un chien. Ensuite, elle a foutu le feu à la baraque. - C’est l’ange de la mort cette fille. - C’est à cause de son tempérament, et aussi de sa force psychique qu’Isis l’a surnommée Sekhmet la puissante ! 86 - Encore votre mythologie… - Ce n’est pas un hasard si elle a reçu le nom de cette déesse guerrière, cela signifie qu’elle a maîtrisé l’énergie vitale, le Kâ de la déesse lionne. Osiris, Isis et Maât ne donnent pas le nom d’un dieu à n’importe qui ! Tout comme le tatouage sacré de Neutrino. - Sekhmet la puissante… Qui était cette déesse au juste ? - C’est la femme à tête de lion portant le disque solaire. C’est la déesse guerrière exécutant la vengeance du tout-puissant Râ, le dieu solaire créateur de l’univers. - Quelle vengeance devait-elle accomplir ? - Râ l’envoya lutter contre ses ennemies. Sekhmet engendrait la chaleur et les maladies, elle représentait la fureur destructrice du soleil. - Tu crois qu’elle pourrait neutraliser Haton ? - Je ne crois pas, j’en suis sûr ! Tu sais, elle est très mystérieuse, et avec Isis, elle pratique une espèce de magie alchimique très étrange. - Elle a pas l’air si sympathique que ça cette fille… - N’oublie pas que Râ décida d’arrêter le massacre et fit boire un breuvage à Sekhmet, qui se transforma alors en Bastet, la déesse bienfaisante. - Tu veux dire qu’elle a plusieurs personnalités ? - En effet, elle peut être douce comme un ange, mais contre les ennemis de Neutrino, elle se montre féroce comme une guerrière. - Je pense que c’est la personne qu’il nous faut pour pénétrer au Lady Blue. - Tu penses qu’il vaut mieux qu’elle infiltre directement le Lady ? demanda Patrick. - Oui, oublions Bremond pour le moment. Nous aurons plus de chance si elle se fait remarquer dans la discothèque. - Quand ils vont la voir, ils ne vont pas s’en remettre ! 87 - Par contre, dans la semaine, nous allons devoir faire un petit tour dans ce mystérieux château. Je me demande d’ailleurs s’il n’appartient pas à Haton. Après le boulot, il va sur Avignon. Peut-être que… - Ce château serait celui d’Haton ? Merde alors ! - Comme tu dis. - En tout cas, demain nous rendrons visite à Stéphanie, puis direction Avignon. - Je vais enfin pouvoir rencontrer la grande Isis ! » 88 8 Les amis de la secrétaire lui rendirent visite à l’hôpital. Le regard sombre, elle leur confia qu’Haton lui faisait des avances depuis qu’il avait été nommé directeur. Bien évidemment, elle les avait toujours repoussées. En sanglots, elle ajouta que pour se venger, il la harcelait chaque jour. Jamais un seul mot gentil, uniquement des insultes. Lorsqu’elle se sépara de son mari, c’en fut trop, et elle sombra dans une grave dépression. Elle demanda à Haton quelques jours de repos mais il refusa en lui hurlant qu’elle ne travaillait pas dans un centre social. Elle n’arrivait plus à faire face, et un soir, lasse de cette triste existence, elle décida de mettre fin à ses jours en ingérant des produits toxiques. Le lendemain, sa mère la retrouva, gisant à terre, inanimée. Une fois sortie d’affaire, elle promit à ses parents de ne plus jamais recommencer une telle bêtise. Plus personne ne la rabaisserait, ni Haton, ni Bremond. Ses amis claquèrent la porte de sa chambre, énervés. Ils maudissaient Haton, Bremond et toute son équipe de voyous. Stephan repensait aux marques de ces pauvres filles et à leurs ecchymoses. Lorsque Osiris et Maât apprirent la nouvelle, ils décrétèrent le plan d’urgence. Ils contactèrent immédiatement Virginie Bernard, la grande Isis, pour lui demander l’aide de Sekhmet la puissante. 89 Les membres de Neutrino avaient rendez-vous avec Isis. Elle habitait un grand appartement à côté du palais des Papes, d’où on pouvait admirer le pont d’Avignon et la tour Philippe le Bel. En pénétrant dans sa demeure, Stephan ressentit un sentiment troublant. La haine qui le submergeait avait disparu. Une mystérieuse aura semblait se répandre en ces lieux. Isis était magnifique : grande, pourvue d’une longue chevelure rousse et de grands yeux bleu azur. Ses cheveux étaient maintenus par un diadème sur lequel trônait le cobra royal protecteur, l’uræus. Stephan fut très troublé par sa beauté énigmatique. De nombreuses statues de dieux égyptiens ornaient l’appartement qui ressemblait à un temple. D’après Patrick, Isis vouait un culte particulier à l’énergie vitale, le Kâ. Deux obélisques miniatures, au fond de la pièce, laissèrent Stephan songeur. Un hiéroglyphe doré était placé entre les deux obélisques, il représentait deux bras ouverts. Patrick expliqua à Stephan qu’il symbolisait le Kâ. « Ôtez vos chaussures messieurs, et lavez-vous les mains, je vous prie, demanda Isis. Troublés, les membres s’exécutèrent. - Suivez-moi, je vous prie. Après s’être purifiés, ils suivirent Isis. - Nous allons faire une prière en hommage à Râ, le dieu soleil, le maître de la conscience des hommes, et le tout-puissant d’Héliopolis. Puisse-t-il guider chacune de nos pensées obscurcies par la haine. Asseyez-vous autour du pilier central, mes amis. Le pilier Djed représente Osiris : la stabilité et l’harmonie de l’univers. Il évoque aussi sa résurrection et le lien qui relie la Terre au monde de l’au-delà. Dans l’ancienne Égypte, il servait de talisman. 90 Isis brandit l’ankh d’une main et le sceptre Ouas de l’autre, et dit : - L’ankh, l’Ouas et le pilier Djed représentent les trois symboles sacrés : la vie éternelle, la force et la stabilité. À présent, que leur énergie nous permette d’acquérir le Kâ tout-puissant du grand Râ. Stephan ressentit un fluide s’écouler dans ses bras et remonter tout le long de sa colonne vertébrale. Une chaleur intense l’envahit et une lumière chatoyante apparut au-dessus de la grande Isis. Quelques secondes plus tard, les membres de Neutrino clignaient des yeux comme s’ils venaient de se réveiller. - Quelle étrange sensation, avoua Stephan, surpris. - La première fois, c’est étrange et angoissant, rétorqua Patrick. Stephan regardait Isis, stupéfait. Avait-elle réellement des pouvoirs magiques ? Osiris avait évoqué certains pouvoirs mystiques que possédaient les membres. Ne s’agissait-il pas simplement de suggestion, comme en hypnose ? Pensif, il écouta Isis parler. - Mes chers amis, si nous sommes réunis ce soir, c’est parce que Osiris souhaite la présence des membres d’Avignon pour cette nouvelle mission. Il m’a parlé de votre intention d’infiltrer le Lady Blue. D’après vos sources, cette discothèque serait la plaque tournante d’un terrible réseau de prostitution. Qu’attendez-vous des membres Neutrino d’Avignon, Stephan ? - Nous souhaiterions que Sekhmet se fasse remarquer au Lady Blue. Très certainement, Haton et sa compagne louent les charmes de filles mineures à de riches industriels qui les frappent et abusent d’elles. Le carillon de la porte d’entrée retentit. - Ce doit être Sekhmet, lança la grande Isis. Elle se leva et ouvrit la porte. C’est alors qu’un ange apparut. Une grande fille au teint clair et aux jolis yeux 91 vert émeraude en amande, vêtue de blanc, jaillit de la pénombre. Stephan resta bouche bée devant cette grâce envoûtante. C’était donc elle la fameuse Sekhmet ? Au premier abord, elle semblait plutôt chétive et réservée. Hésitante, elle salua tout le monde dans un grand sourire. - Nous parlions justement de toi, reprit Isis. - Eh bien, me voilà ! Une nouvelle mission ? - Oui, dans le style de celle du gang de Marseille. Sekhmet eut un léger rictus et ses yeux scintillèrent. - Encore d’ignobles personnages qui refourguent de la drogue aux jeunes ? - Non, cette fois c’est un réseau de prostitution. Il semblerait que beaucoup de monde soit impliqué. - C’est avec plaisir que je vous fais don de mes services, mes amis, lança Sekhmet avec aplomb. Stephan était subjugué, cette fille plutôt fragile parlait avec une telle éloquence ! Elle semblait sûre d’elle, ce qui contrastait avec son apparence. - Mais, ça ne risque pas d’être trop dangereux pour toi ? Ils frappent ces pauvres filles, insista Stephan. - Me trouves-tu fragile ? - Euh… Enfin… Face à ce genre de personnes… Je pensais que tu serais… un peu plus musclée ! Sekhmet sourit aux paroles de Stephan. - Il ne faut pas se fier aux apparences. Les muscles ne sont pas source de victoire. La ruse, la rapidité et la précision gagnent toujours. Stephan eut un rictus à son tour et ajouta : - Je sais bien, mais je pense néanmoins que nous devrions réfléchir au moyen de te protéger une fois que tu… Il n’eut pas le temps de finir sa phrase, la belle Sekhmet déboucla sa ceinture et fit jaillir une lame. Elle la fit tournoyer dans les airs, et d’un mouvement de 92 poignet, elle trancha en trois morceaux une bougie posée sur la table, à quelques centimètres de la tête de Stephan. Il resta pétrifié et ne sut que répondre. - Voilà, je crois que tu as eu ta réponse. La dernière fois que ma lame est sortie de ma boucle, c’était pour percer l’artère fémorale d’un violeur d’enfant ! Il s’est ensuite consumé dans la peur et la douleur, au beau milieu d’un immense brasier, dit la belle Sekhmet avec froideur. - Excuse-moi… Je ne voulais pas t’offenser, bredouilla timidement Stephan. - Tu ne m’offenses pas, je voulais simplement te faire comprendre que je peux être une guerrière sanguinaire sans aucun état d’âme. Quant aux hommes dont tu parles, ils pourront abuser de moi tant qu’ils le souhaitent, et aussi m’infliger des sévices. Mais, le jour où Laetitia laissera place à Sekhmet la puissante, alors, ce jour-là, un immense brasier les fera périr dans une souffrance que seule la mort pourra apaiser. - Je crois que tu comprends maintenant qui est Sekhmet, ajouta Isis. - Nous commençons l’infiltration ce week-end. Pas de problème pour toi, Sekhmet ? - Aucun ! » Les membres de Neutrino se dirigèrent dans le salon et établirent leur stratagème diabolique. Stephan, qui venait d’être intégré au groupe en tant que coordinateur de mission, menait avec une extrême rigueur les principaux points à respecter. Le Corse et Bob seraient chargés de surveiller les alentours. Yann et Mustang attendraient dans les voitures à l’extérieur en cas de problème. Stephan et Gérald feraient un repérage des lieux, des clients et des employés. Patrick, quant à lui, s’occuperait de placer des traceurs sur les voitures des voyous et 93 installerait des micros émetteurs espions dans les locaux. Sekhmet devrait se faire remarquer au Lady Blue pour attirer l’attention d’Haton ou de ses sbires. « Il faudra filmer les types lorsque Sekhmet aura réussi son intégration. Tu as une idée, Patrick ? demanda Stephan. - Nous avons inséré une caméra miniature sans fil à l’intérieur d’un paquet de cigarettes. Nous pouvons la placer n’importe où, et elle a une portée de cent mètres. Nous pouvons également ajouter une autre caméra miniature type bouton de chemise. De la voiture, nous récupérons et enregistrons les images. Mustang est un spécialiste des transmissions vidéo. - Impeccable, nous aurons ces ordures en pleine action. Nous pourrons alors les transmettre à qui de droit. C’est OK pour tout le monde ? Les membres de Neutrino hochèrent la tête en guise d’approbation. - Nous commençons quand ? demanda Sekhmet. - Samedi à 21 heures. Nous passerons te chercher. Ça te va ? - Aucun problème. Pour décompresser, les membres décidèrent d’ouvrir une bouteille de champagne. Isis, souriante, déboucha la bouteille sous l’œil amusé de la belle Sekhmet et servit une coupe à chacun. Mustang et Bob en profitèrent pour sortir sur la terrasse fumer un cigare, alors que Yann terminait une bouteille de rhum. La machine Neutrino était en marche, rien ne pourrait l’arrêter. - À Neutrino ! lança Isis. - À Neutrino », reprirent en cœur les membres. 94 9 Stephan restait à l’agence de Saint-Paul-TroisChâteaux toute la journée pour dessiner les plans du prochain chantier, il en profita pour surveiller Bremond. Malheureusement, Patrick n’avait pas encore installé de micro émetteur dans son bureau, il utilisait donc un micro transmural pour amplifier le son. Les chefs se montraient très méfiants, et malgré l’écoute régulière de la ligne téléphonique du directeur, seuls ses comptes bancaires l’avaient trahi. Comment contactait-il ses complices ? Peut-être de la même façon qu’Osiris et Isis, qui communiquaient par mails cryptés et changeaient régulièrement de cybercafé pour éviter d’être localisés. Parfois, ils utilisaient même une boîte vocale avec des téléphones spécifiques. Les écouteurs sur les oreilles, dès que le téléphone de Bremond sonnait, Stephan plaquait le sensor contre le mur. Il avait appris que Bremond devait rencontrer le soir même, au club d’échecs d’Avignon, un dénommé Rouel. Peut-être une nouvelle piste… Au même moment, après avoir anesthésié le doberman qui surveillait la propriété, le Corse et Mustang sautaient par-dessus la clôture du château. 95 « Nous avons combien de temps ? demanda Mustang, inquiet. - À peu près trois heures… Ça nous laisse assez de temps pour visiter le château et installer les micros. - Et pour l’alarme ? Tu vas réussir ? - Avec le fichier des installateurs, normalement je n’ai plus qu’à rechercher le bon modèle et vérifier les connexions avec le plan. Après, ce n’est plus qu’un jeu d’enfant. Surveille bien ton émetteur, Bob nous envoie un signal si quelqu’un arrive. - OK ! Le Corse sortit son pick gun et ouvrit la porte en quelques secondes. Il scruta la pièce et courut neutraliser l’alarme. Rapidement, il ouvrit le boîtier. - C’est une Cobra 7 zones ! Détaillant dans son listing le schéma électronique du modèle Cobra, il connecta son programmateur sur la carte interne de l’alarme. - On initialise, dit-il en appuyant sur le bouton de l’appareil qui reprogramma la puce interne de l’alarme. Reset ! C’est bon, ça a marché… Mustang, occupe-toi des micros émetteurs, moi je place les caméras miniatures. Le Corse fit rapidement le tour de la demeure pour trouver les endroits stratégiques où cacher les caméras miniatures. Après avoir visité le rez-de-chaussée qui se composait de la grande pièce de l’entrée, d’un immense salon et d’une cuisine, il fonça au premier étage sans y trouver son bonheur. Il y avait un bureau et cinq grandes chambres à coucher. - Toujours rien ! Déterminé à découvrir des éléments qui attesteraient du passage des filles, il monta au deuxième étage. Il examina minutieusement une grande bibliothèque, de 96 nouvelles chambres à coucher, des douches et des toilettes. - C’est rageant… Tout a l’air normal dans ce château, rumina le Corse. Mustang, qui venait de le rejoindre, demanda : - Tu as visité la pièce au fond du couloir ? - Non, pas encore, j’y vais. Finis d’installer les micros. Il poussa violemment la dernière porte de la demeure. Dans l’obscurité, il ne trouvait pas l’interrupteur. Tout à coup, son doigt effleura un bouton et des lampes halogènes éclairèrent la pièce. Bouche bée, le Corse découvrit une grande cage en acier qui scintillait de mille éclats. Des crochets et des chaînes étaient fixés aux murs. Un peu plus loin, on pouvait voir une caméra placée sur un trépied. - Mustang, viens voir ! hurla-t-il. Son frère accourut. - Quoi, qu’est-ce qui se passe ? - Regarde. - Merde… Les salauds ! C’est ici qu’ils attachent les filles. T’as vu, il y a même des fouets, les ordures ! Ils filment en plus. - Aide-moi, je vais installer la caméra derrière le meuble, à côté de la cage. Voilà, d’ici nous aurons une vue parfaite. Vas-y, grouille-toi, prends des photos, que nous ayons un plan du château. Ensuite, photographie chaque pièce. Avant de partir, je cache une dernière caméra dans l’entrée. » Quelques minutes plus tard, les deux frères couraient dans le jardin. Lorsque Bob les aperçut, il démarra la voiture et ouvrit rapidement les portières. 97 « Vite, roule, qu’on ne se fasse pas repérer ! Mustang, allume le matériel, il faut tester les caméras et les micros. - Voilà, ça passe nickel. Regarde Bob, tu vois la cage ? - Les enfoirés… Ils font quoi avec ça ? Merde, il y a même une caméra. - À ton avis ? Tu crois qu’ils enferment le chien ? rétorqua Mustang. Quelques mètres plus loin, l’image se brouilla. - Nous ne sommes plus dans le champ d’émission de la caméra, la portée est seulement de cent mètres », constata le Corse, déçu. Comme tous les mercredis, de 20 heures à 22 heures, François Bremond se rendait à son club d’échecs. Il franchissait la porte d’entrée comme un monarque, saluait chaque membre du groupe et s’installait à la table du fond, une coupe de champagne à la main. Ensuite, il toisait l’assemblée comme pour dire : « Voilà, je suis présent, nous pouvons commencer. » Bien évidemment, il n’avait pas choisi son club au hasard, on pouvait en effet y croiser tous les notables d’Avignon. Parmi eux se trouvait une de ses vieilles connaissances, un ingénieur chimiste, Antoine Rouel. De petite taille, les cheveux coupés court et le visage pincé, il ressemblait à une musaraigne. Bremond restait toujours au milieu de son cercle d’amis et se mélangeait rarement aux autres. Alors qu’ils venaient tout juste de terminer leur partie, un jeune homme s’approcha ; il était grand et baraqué, les cheveux très courts, le visage carré et l’œil vif. « Bonjour messieurs, je me présente : Bob Martinez. Je suis un nouvel adhérent. Les deux acolytes dévisagèrent le jeune nouveau d’un regard sombre et méfiant. 98 - Vous êtes d’Avignon ? demanda Bremond en levant le menton. - Non, je me trouve dans votre magnifique région pour des raisons professionnelles. Je suis ingénieur qualité, sécurité et environnement, à mon compte. Les entreprises me contactent régulièrement pour établir le document unique de prévention des risques. Vous connaissez, je suppose ? Bob tentait d’infiltrer le cercle d’amis de Bremond. Étant un bon joueur d’échecs, il avait été choisi parmi les membres de Neutrino. Muni d’une caméra miniature et d’un micro espion, il tentait de s’intégrer au groupe. Dans la voiture, Stephan et Mustang écoutaient la conversation. - C’est un document obligatoire dans chaque entreprise depuis 2001. Nous travaillons dans le milieu industriel. Je suis chargé d’affaires et mon ami est ingénieur chimiste. Voulez-vous faire une partie ? demanda Bremond. - Avec plaisir ! Bremond était un bon joueur, mais Bob était meilleur que lui. Pour amadouer sa proie, Bob calculait des coups qui permettaient à son adversaire de jouer. - Vous vous débrouillez bien, je vois que vous êtes un bon joueur ! - J’ai participé à des tournois à la faculté, répondit Bob. - Vous avez de bons restes, ajouta Bremond, stupéfait. Stephan et Mustang n’en revenaient pas. Bremond était d’une telle amabilité. Bob avait réussi son intégration. En seulement quarante minutes, il discutait avec Bremond comme deux vieux amis. - Que faites-vous de beau dans le coin, le soir ? 99 - Je sors un peu dans les bars à la mode, mais c’est quand même calme par ici. Surtout pour un célibataire comme moi, lança Bob, le regard malicieux. - Vous êtes célibataire, ajouta Bremond, pensif. - Célibataire… reprit Rouel. - Eh oui ! Pas évident de trouver son âme sœur en faisant des déplacements. Mais de toute façon, je suis plutôt joueur… enfin, libertin… - Libertin… répéta Rouel. Après une heure de jeu, Bob s’était plutôt bien intégré au groupe. Il savait par habitude qu’il ne fallait pas insister à la première rencontre, et il devait quitter ses nouveaux compagnons - Échec et mat, désolé. Veux-tu refaire une partie ? demanda Bremond. - Ç’aurait été avec plaisir, mais je me lève tôt demain, on m’attend sur Lyon… - Nous allons prendre un verre au Lys. Tu veux venir ? demanda Bremond, l’œil pétillant. Bob comprit qu’il ne fallait pas rater l’occasion et décida de changer les règles. C’était l’occasion à ne pas louper, Bremond avait mordu à l’hameçon. - Le Lys… c’est un bar ? - Un endroit plutôt sélect dans le centre d’Avignon. - Le Lys… Ah oui ! Ce n’est pas un club libertin ? Bremond sourit. - Oui, c’est un club libertin. Le gérant est un vieil ami. Veux-tu venir avec nous ? Nous prendrons simplement un verre ! Puis il y a des jolies filles, tu pourras te rincer l’œil ! - Je vais encore me coucher tard mais si vous me prenez par les sentiments… - On y va alors ? - Bien sûr, répondit Bob. 100 Stephan et Mustang étaient garés à quelques mètres du club d’échecs. Lorsque Bremond ouvrit la porte, ils s’enfoncèrent dans leurs sièges pour ne pas être aperçus. Bob pénétra dans la berline de Bremond. La voiture démarra et prit la direction du centre-ville. - On les suit ! s’exclama Stephan. Le véhicule remonta la rue de la République, passa en face du restaurant de Georges et se gara sur le parking des Halles. Stephan arrêta sa voiture dans une ruelle et coupa le moteur. - On fait quoi ? demanda Mustang. - Nous restons à distance, il ne faut pas se faire repérer. Je branche mes oreillettes. - Ça fonctionne ? - Impeccable, j’entends Bremond ! Il parle du Lys. Allons-y, ils arrivent ! Bob sortait de l’ascenseur en compagnie de Bremond et Rouel. Le torse bombé, le tyrannique chargé d’affaires marchait rapidement. Cinq cents mètres plus loin, il s’arrêta net. - Voilà, nous y sommes ! La journée, le Lys était un pub sélect, et le soir, il devenait une boîte de nuit libertine. L’insigne en forme de lys clignotait dans la rue. Bob avait toujours rêvé d’y pénétrer. Malheureusement, ce n’était pas un endroit où l’on entrait facilement. Une fois à l’intérieur, il fut sous le charme. De magnifiques créatures fréquentaient l’établissement, en tenue plutôt coquine. Il y avait même une cage où des filles dansaient, complètement nues. L’une d’elles lança un clin d’œil malicieux à Bob. - Tu viens de charmer Jade. Tu veux que je te la présente ? demanda Bremond. - Euh… pourquoi pas ! - Jade, viens voir ! Le monsieur veut discuter avec toi. 101 La charmante demoiselle descendit de l’estrade et s’approcha. C’était une plantureuse brune aux yeux bleus et aux formes généreuses. - Tu sais que tu es mignon toi… C’est quoi ton petit nom ? - Euh… Bob ! - Bob ! Hum, tu m’offres un verre, mon chéri ? - Euh… tu veux boire quoi ? - On prend une bouteille de champagne ? - Une bouteille ? Oui, si tu veux ! - Il faut qu’on discute avec le patron. Tu nous attends ici ? On revient, dit Bremond. Jade attrapa Bob par la main et l’amena jusqu’à une table libre. - Nous serons plus tranquilles ici, tu es de la région ? - Oui et non, je suis régulièrement en déplacement. Je suis ingénieur sécurité… - Ouah ! Tu diriges des types chargés de la surveillance ? C’est génial, t’es un chef alors ! - Pas tout à fait, c'est-à-dire que… oui, enfin c’est presque ça. - Tu dois avoir une grande maison et une grosse voiture ? demanda Jade en collant sa généreuse poitrine contre Bob. - Une immense villa, et une voiture qui coûte beaucoup d’argent, ajouta Bob, l’œil pétillant. À quelques mètres d’eux, dans une rue derrière le club privé, Stephan écoutait, stupéfait. - Il a craqué ! Ça y est, il a disjoncté ! - Qu’est-ce qu’il fait ? - Il est en train de draguer une gogo danseuse, il lui raconte qu’il a une immense villa. - Tu m’étonnes, il ne perd pas de temps, Bobby ! T’inquiète, il va gérer l’affaire. - J’espère bien. 102 Rouel et Bremond revinrent à la table alors que Jade se faisait de plus en plus câline. - On ne perd pas de temps, Bob ! remarqua Bremond. - Une autre bouteille de champagne, Kelly ! lança Rouel. - Tu peux nous laisser un petit moment, Jade, je dois discuter avec Bob. La jeune femme se leva, tourna les talons, vexée, et lança un regard furieux. - Tu perds ton temps avec cette fille, elle va te faire dépenser ton pognon sans que tu puisses profiter de ses charmes. Par contre, je peux te présenter de ravissantes créatures, importées directement de Russie… Tu es intéressé ? - Des jolies Russes ? Pourquoi pas ! Et elles sont où ? - Pour l’instant, c’est un secret ! Es-tu prêt à débourser mille euros la nuit ? Tu auras ce qui se fait de mieux ! - Pourquoi pas… Si la fille en vaut le coup ! Rouel et Bremond se lancèrent un regard complice. Ils appâtaient le client. - En fait, voilà comment ça se déroule. Nous connaissons une personne qui se charge des filles, et avec Antoine, nous ramenons le client. Plus il y a de personnes intéressées, plus la marchandise est variée. - Puis, au passage, vous empochez un petit pactole ! - C’est normal, non ? Nous prenons des risques. - Comment trouvez-vous les clients ? - D’habitude, c’est le bouche à oreille, nous restons dans le même cercle d’amis. Aujourd’hui, c’est le hasard qui t’a conduit jusqu’à nous. Dans ce cas-là, nous essayons de tester la personne. - Je pense que je l’ai plutôt bien réussi, ce test. - Oh oui ! Un célibataire libertin qui s’intéresse aux jeunes femmes… Et j’ai bien vu que tu n’étais pas farouche avec les demoiselles. Jade était ton test 103 d’entrée. Laisse-moi ton numéro de portable, je te contacterai pour t’avertir des prochaines soirées. Nous devons rentrer, travail oblige. - Oui, bien sûr ! Tenez, le voilà. Je peux avoir le vôtre ? - C’est moi qui te contacterai. Bremond et Rouel saluèrent une dernière fois Bob à la sortie du Lys. Une fois qu’ils eurent disparu, Stephan et Mustang s’approchèrent à pas de loup. - Alors, qu’en pensez-vous ? C’est qui le meilleur ? - Franchement, chapeau bas, tu es le plus fort ! rétorqua Stephan. - Le poisson a mordu à l’hameçon, nous pénétrons dans la tanière de la bête à présent. Je suis persuadé que le gérant du Lys est dans le coup lui aussi, ajouta Mustang. - C’est évident, je l’ai vu lui distribuer des billets alors que je discutais avec Jade, affirma Bob. - Nous rentrons, il se fait tard. Nous en savons assez pour aujourd’hui, conclut Stephan. À l’avant du véhicule, ses amis n’y croyaient toujours pas. Bob avait bluffé tout le monde. - Les autres ne vont pas en croire leurs oreilles quand ils vont écouter l’enregistrement ! Tu as été parfait, dit Stephan. - C’est un spécialiste de l’infiltration, Bobby ! Il serait capable de se faire passer pour le président du Gabon ! lança Mustang en riant. - Hé hé ! On se fume un petit pétard ? reprit Bob qui redevenait lui-même. - Pff… ça n’aura pas duré longtemps ! Chassez le naturel, il revient au galop ! » 104 10 Stephan, Bob et Zibus voyageaient en première classe dans le TGV Avignon-Marseille. Sur les conseils d’Osiris, ils rendaient visite à Anubis qui s’occupait de l’infiltration des membres de Neutrino à Marseille. Il devait leur présenter de nouveaux agents chargés d’infiltrer le Lady Blue. « Anubis… Amon… Râ… Quelles sont leurs fonctions au sein de Neutrino ? demanda Stephan. - Amon et Râ supervisent les missions des agents de Neutrino, et Amon est le cousin d’Osiris. Dans les années quatre-vingts, alors que ce dernier revenait du Japon avec Râ, Osiris lui proposa de créer une section sur Marseille pour surveiller la ville alors à la solde de la mafia locale. Amon accepta et proposa à son vieil ami Anubis de rejoindre Neutrino. Ce dernier donna son accord car il considérait Amon comme son propre frère. À l’époque, il s’occupait de jeunes délinquants et traînait toujours dans les quartiers réputés dangereux. Anubis avait assisté à la mort de plusieurs de ses jeunes protégés qui faisaient partie des gangs de Marseille. D’après Osiris, il vivrait dans les quartiers nord uniquement pour surveiller les jeunes et leur éviter de plonger dans l’enfer de la drogue. Des rumeurs disent qu’il aurait vengé plusieurs personnes assassinées lâchement… 105 - Voilà pourquoi il fut surnommé ainsi ! Anubis était l’homme à la tête de chacal, c’est lui qui guidait les morts vers le royaume éternel. Il était le gardien de la nécropole de Memphis, ajouta Bob. - Il doit avoir un sacré tempérament ! Bob et Zibus éclatèrent de rire. - Pourquoi vous riez ? Qu’est-ce que j’ai dit de marrant ? - Il y a une chose que tu ne sais pas… Anubis est l’élève d’Amon, qui fut lui-même un élève d’un grand maître japonais pratiquant les arts martiaux et descendant d’une vieille famille de samouraïs, les Yamamoto. Amon est spécialiste du maniement des sabres japonais. C’est un maître de iai-do, de ken-jutsu et d’aiki-jutsu. Donc quand tu dis qu’il doit avoir du tempérament, tu as bien raison. - Un mélange de mythologie égyptienne et de philosophie japonaise… Ça doit donner un sacré mélange ! - Nous effectuons régulièrement des stages d’aïkido et de ju-jitsu chez Amon. Il possède un magnifique dojo sur les hauteurs de Marseille. Lorsque Amon a décidé de faire partie de Neutrino, il en a respecté le cérémonial sans pour autant laisser de côté la philosophie japonaise ; il pratique toujours le zen. - C’est sympa ! J’aurais droit à des cours ? Blague à part, tu penses que ses agents nous aideront ? Il nous faudrait une autre fille pour épauler Sekhmet, je ne suis pas rassuré de la savoir seule… même si j’ai vu ce dont elle est capable. - Anubis a une redoutable élève : Bastet ! Elle est aussi efficace que Sekhmet mais beaucoup plus féline. - Bastet ? J’ai une statuette en forme de chat qui s’appelle ainsi. C’est une déesse protectrice ! s’exclama Stephan. 106 - En effet, c’est la fille de Râ, et la femme de Ptah. La déesse de la joie et de la chaleur du soleil, protectrice du pharaon, reprit Zibus. - Elle va nous porter chance cette fille ! - J’espère bien. - Osiris m’a parlé d’Amémet, ajouta Bob - Elle sera là ? - Qui est Amémet ? demanda Stephan, curieux. - Une jeune femme issue de la banlieue qui a été élevée par Anubis. À l’âge de 11 ans, elle a tué un voyou qui voulait la violer, en lui plantant un couteau en plein cœur. - Elle porte bien son nom, car Amémet signifie la dévoreuse. Face à Osiris et Anubis, lorsque le défunt est jugé par le tribunal et que son cœur est plus lourd que la plume de Maât, alors Amémet le dévore. Elle est la gardienne du royaume des morts, répliqua Bob. - Nous aurons trois filles pour infiltrer le Lady Blue ! - Et pas n’importe lesquelles : Sekhmet, Bastet et Amémet ! J’ai vu Sekhmet à l’œuvre, et je peux te dire, elle est féroce et sanguinaire ! Alors si en plus, il y a Bastet et Amémet… dit Zibus en soufflant. - Nous arrivons à la gare de Saint-Charles ! » s’exclama Bob. Les trois collègues attendaient le bus qui devait les conduire à Saint-Jérôme. Des individus au visage patibulaire les détaillaient. Stephan, peu rassuré, demanda à Zibus : « C’est pas un coupe-gorge ce quartier ? - Nous sommes à la Rose. Ici, ça ne craint pas trop. - Saint-Jérôme, c’est pire ? - Faut voir… 107 Lorsque le bus arriva, un homme trapu, le visage balafré, jaillit de nulle part et insulta le chauffeur. - Espèce de bâtard, t’as pas vu que tout à l’heure je courais derrière ton car ? Fils de chien ! Descends, espèce de merde ! Le chauffeur, d’un calme olympien, toisa l’individu et répondit : - Ne bouge pas de là, je fais ma tournée et je reviens dans quinze minutes. On va s’expliquer ! Le bus démarra et l’homme resta bouche bée. - Ça se passe souvent comme ça ? demanda Stephan, les yeux écarquillés. - La dernière fois, des gamins avaient arrêté le bus et l’empêchaient de redémarrer. Le chauffeur a dû sortir pour les engueuler. - C’est la folie… Quel merdier ! C’est la jungle ici ! - Il suffirait d’instaurer les mêmes règles que celles du dojo, ça les calmerait, conclut Bob. - C’est quoi les règles ? - Lever à 5 heures 30, douche froide, puis trente minutes de zen. Ensuite, on passe l’aspirateur, et on commence les échauffements. À partir de ce moment-là, plus personne n’ouvre la bouche. Une heure d’entraînement, puis tout le monte file au travail. - Ils font ça régulièrement ? - Tous les jours de la semaine ! - Personnellement, lorsqu’il y a des stages, je ne tiens pas la semaine car ce sont des entraînements de huit heures de cours intensifs chaque jour, avoua Bob. Le bus s’arrêta devant la faculté de Saint-Jérôme. D’immenses immeubles entouraient le quartier. Au milieu des tours, les visiteurs se sentaient pris au piège, étouffés par le béton et l’acier. Une ambiance pesante régnait en ces lieux et Stephan se sentait devenir poussière face à la multitude. 108 - Voilà, nous y sommes ! Anubis habite un appartement à quelques pas d’ici, dit Zibus. Après une courte marche, les membres de Neutrino arrivèrent devant la résidence de l’homme à la tête de chacal. Zibus cherchait la sonnette de son appartement. - Alors, il est où… Ah, voilà, Henry Rolhen ! Ou plutôt, Anubis ! Quelques secondes plus tard, Anubis apparut. De taille moyenne et de carrure plutôt robuste, hirsute et le sourire aux lèvres, il salua chaleureusement la troupe. - Alors, c’est toi la nouvelle recrue d’Osiris ? Bienvenue parmi nous, j’espère que Marseille va te plaire. Suivez-moi, mes amis. L’appartement d’Anubis était pour le moins étonnant. La première pièce était consacrée à la partie martiale et à la philosophie zen. Il y avait même un autel où brûlait de l’encens, et un katana posé sur un socle. Au-dessus, on pouvait voir une photo de Morihei Ueshiba, le créateur de l’aïkido, art martial que pratiquait Anubis, art influencé par le daito-ryu, l’art de combat des samouraïs du clan Yamamoto. L’aïkido peut être traduit comme la voix de la concordance des énergies. Sous un cadre, Stephan put lire un passage du livre secret des samouraïs, le Hagakure : J’ai découvert que la voie du samouraï réside dans la mort. Lors d'une crise, quand il existe autant de chances de vie que de mort, il faut choisir immédiatement la mort. Il n'y a là rien de difficile ; il faut simplement s'armer de courage et agir. Certains disent que mourir sans avoir achevé sa mission, c'est mourir en vain. Ce raisonnement que tiennent les marchands gonflés d'orgueil qui sévissent à Osaka n'est qu'un calcul fallacieux, qu'une imitation caricaturale de l'éthique des samouraïs. Faire un choix judicieux dans une situation où les chances de vivre ou de mourir s'équilibrent est quasiment 109 impossible. Nous préférons tous vivre et il est tout à fait naturel que l'être humain se trouve toujours de bonnes raisons pour continuer à vivre. Celui qui choisit de vivre tout en ayant failli à sa mission encourra le mépris et sera à la fois un lâche et un raté. Celui qui meurt après avoir échoué, meurt d’une mort fanatique, qui peut sembler inutile. Mais il ne sera, par contre, pas déshonoré. Telle est en fait la voie du samouraï. Pour être un parfait samouraï, il faut se préparer à la mort matin et soir et même toute la journée. Quand un samouraï est constamment prêt à mourir, il a acquis la maîtrise de la voie et il peut sans relâche consacrer sa vie entière à son Seigneur. Anubis guida ses invités jusqu’à une allée miniature ornée de sphinx à tête de bélier. Les membres passèrent entre deux pylônes constitués de petites pierres taillées, sur lesquelles étaient gravés des hiéroglyphes. L’allée débouchait sur un sanctuaire miniature où se trouvait une statue d’homme à la tête de bélier. - Voici l’autel dédié au culte d’Amon, annonça Anubis. - C’est magnifique, ça a dû vous prendre des heures et des heures de travail pour réaliser un tel prodige ! Ça représente quoi ? - C’est l’entrée du temple de Karnak, le plus grand centre religieux d’Égypte, situé près de Thèbes. L’allée des sphinx à tête de bélier, qui mène au temple, s’appelle le dromos, et elle est dédiée au dieu Amon. Nous organisons toutes nos réunions ici, en compagnie de Amon et Râ. C’est dans ce temple reconstitué à l’identique de celui de Karnak que nous prenons les plus grandes décisions. À l’endroit où tu te trouves, nous 110 avons initié Bastet et Amémet, face à la statue du grand Amon ! Qui croirait qu’à l’intérieur de ce grand appartement perdu au milieu des quartiers Nord de Marseille, se trouve une telle œuvre d’art ! J’ai passé plus d’un an à sa réalisation. Admiratif, Stephan contemplait l’œuvre. Chaque statue était sculptée dans de la stéatite, une pierre très tendre. Anubis s’absenta quelques secondes et revint avec une statuette dans les mains, identique à la grande statue d’Amon. - Tiens, un cadeau. Stephan, ému, refusa. - Prends-la, ça me fait plaisir de te l’offrir. J’ai vu que tu admirais son double. Cette statuette est pour toi. Stephan prit l’objet délicatement entre ses mains. Du bout du doigt, il effleura les cornes de l’homme à tête de bélier. - C’est magnifique, quelle précision ! Merci beaucoup, je suis très touché. - Tu pourras la mettre à côté de la statuette de Bastet, ajouta Zibus en gloussant. Au même moment le téléphone retentit. C’était Amon. - Nous devons rejoindre Amon et Râ au dojo. Bastet et Amémet viennent d’arriver. » Les membres de Neutrino longeaient une route étroite et sinueuse bordée de pins parasols. En contrebas, des touristes profitaient de ce havre de paix, allongés dans l’herbe, le regard perdu dans les nuages. La villa d’Amon se situait à une dizaine de minutes de Marseille. Sous un grand saule, un homme de taille moyenne, l’œil vif et la cinquantaine avancée, accompagné de 111 deux jeunes femmes, attendait patiemment. Dès qu’il vit Anubis, il s’avança : « Bob et Zibus, mes amis ! Je suis heureux de vous revoir, depuis le temps ! Bonjour Stephan, enchanté de faire ta connaissance. Tu es ici chez toi. Je te présente Bastet et Amémet, quant à moi, on me surnomme Râ. Suivez-moi, nous allons rejoindre Amon, il vous attend. Stephan avait le sentiment d’être en communion avec la nature. Le mistral effleurait sa peau comme un voile se déposant délicatement sur son visage. L’odeur de la terre et celle de la végétation se mêlaient harmonieusement pour créer un parfum sauvage, et les rayons de soleil le réchauffaient. Le domaine était paradisiaque. À l’intérieur du dojo, Amon s’entraînait avec son katana, comme si l’arme était le prolongement de son corps. Avec des déplacements rapides et précis, il pourfendait l’air en produisant un étrange sifflement. Après avoir avancé de trois ou quatre pas, il sortait la lame de son fourreau, ou plutôt le fourreau se dégageait de la lame, il poussait un garde imaginaire et piquait un ennemi invisible. Ensuite, il effectuait le chiburi, le nettoyage de la lame, censé égoutter le sang de l’adversaire. Dans un coin, Râ murmura : - Le iai-do est l’art de dégainer et de trancher. Amon effectue un kata de l’école Muso Shinden Ryu. Observons-le. - Le but est-il simplement de trancher un adversaire imaginaire ? demanda Stéphane, stupéfait. - Non, ça permet aussi de mieux se connaître car nous recherchons la parfaite harmonie du corps et de l’esprit. Le iai-do est la voix de l’unité de l’être. Le kata terminé, Amon s’approcha, souriant : 112 - Mes amis Zibus et Bob ! Comment allez-vous ? Ça fait déjà quelques mois que l’on ne s’est pas vus. Racontez-moi un peu ce qui vous amène. Tout en discutant, Amon emmena tout le monde dans un grand salon au style japonais. - Sur les conseils d’Osiris, il y a quelques jours, nous avons contacté Richard pour obtenir des renseignements sur une discothèque, le Lady Blue. Il a confirmé nos soupçons car il pense que le Lady trempe dans une affaire de trafic de jeunes femmes venues de l’Est. Récemment, nous avons eu la preuve que nos soupçons sont fondés. Sur un enregistrement numérique, Bob discutait avec Bremond et Rouel, les bras droits d’Haton, lui-même le mari de la patronne de la discothèque, déclara Zibus. Amon, 70 ans mais rapide comme un félin, de taille moyenne, les cheveux blancs et le regard rempli de sagesse, écouta attentivement l’enregistrement. Il dégageait une telle sérénité que tous ceux qui l’approchaient se sentaient en sécurité. Une aura bénéfique flottait autour de lui. - C’est inadmissible de traiter des jeunes femmes ainsi, nous devons agir, dit Amon, le ton grave. Bastet et Amémet n’avaient pas encore parlé mais elles dégageaient, elles aussi, une grande sérénité. Les deux femmes étaient très différentes l’une de l’autre, ce qui attira l’attention de Stephan. Bastet était longiligne, blonde aux yeux bleus, la peau d’un blanc laiteux. Amémet, elle, était plutôt petite mais musclée, avec de longs cheveux noirs, des yeux bleus, et mate de peau. Cette dernière perdit son calme olympien en écoutant l’enregistrement numérique. - Quelle langue de vipère ! Le démon habite ces hommes. Qui a le droit de traiter des femmes de la sorte ? Nous ne sommes pas de la marchandise ! Que le 113 serpent Apophis les traîne jusqu’au Douât, ces charognards ! Sinon, c’est moi qui les décapiterai après avoir arraché leur cœur, rugit-elle. - Calme-toi ! Garde ton sang-froid, rien ne sert de s’énerver, intima Anubis à sa jeune protégée. - Anubis a raison, ne nous énervons pas et réfléchissons posément. Stephan, quel est ton plan ? demanda Amon d’une voix apaisante. - Nous avons décidé de surveiller le Lady Blue ce week-end. Richard connaît beaucoup de monde ici, serait-il possible d’avoir son aide ? - Assurément, ajouta Amon. - Serait-il aussi possible d’avoir un logement sur Marseille pour héberger les membres ? - Bien évidemment ! Je peux accueillir une dizaine de personnes. Vous êtes ici chez vous. - Au nom des groupes Neutrino de Vaison et Avignon, nous vous remercions, répondit Zibus. - Nous restons jusqu’à dimanche. Le Corse, Yann, Gérald, Mustang et Sekhmet doivent nous rejoindre. Sekhmet fera un repérage du Lady et tentera d’intégrer le harem d’Haton. Nous espérons, si c’est possible, avoir l’aide de vos protégées, ajouta Stephan. - Je suis des vôtres, rétorqua aussi sec Amémet, les poings serrés. - Moi aussi, assura Bastet d’une voix douce et chaude. - Pensez-vous qu’il puisse louer les charmes de jeunes Françaises ? Ne préfère-t-il pas des jeunes Russes qui ne coûtent pas cher ? s’enquit Râ. - Il a plusieurs types de call-girls… Les jeunes femmes qu’ils filment et violentent sont des filles de l’Est. Les autres semblent françaises et étrangères. Ils choisissent simplement de belles filles qu’ils exploitent. - L’ordure ! rumina Amémet, rageuse. 114 - Nous pensions introduire Sekhmet, Bastet et Amémet au Lady Blue, pour l’appâter. Elles devront adopter une attitude libertine pour attirer l’attention. - Ne t’inquiète pas, ils vont se souvenir de nous, lança Amémet, l’œil pétillant. - Je ne veux pas que vous preniez des risques inutiles, les filles. C’est une mission plutôt dangereuse, et ces hommes n’ont pas l’air de plaisanter. Des gardes du corps surveillent et protègent les filles. Alors, au moindre souci, nous arrêtons la mission. - Nous sommes libres ce week-end et nous serons de la partie avec Bastet ! » rétorqua Amémet, les yeux brillants de colère. 115 11 Les néons du Lady Blue illuminaient la rue de milliers d’éclats flamboyants, et les passants ne pouvaient pas rater l’établissement lorsqu’ils passaient devant. Sur la façade, des badauds admiraient des posters géants de pin-up des années cinquante dans des positions plutôt coquines. De nombreux Marseillais connaissaient cette discothèque à la réputation sulfureuse. Une faune particulière venait uniquement pour y découvrir les plaisirs de la chair. Après une enquête poussée, Richard avait découvert de nouveaux indices importants pour le déroulement de la mission. Grâce à ses indicateurs, il avait obtenu des informations capitales sur la femme et le fils du directeur. L’épouse d’Haton, Clara Bergan, avait travaillé dur toute sa vie pour se faire une place dorée dans le monde de la nuit. À l’âge de 18 ans, elle était déjà serveuse au Lady Blue, et au fil des années, elle avait su s’imposer dans ce milieu d’hommes. Pour son quarantième anniversaire, son mari lui donna la somme nécessaire pour acheter le dancing. En contrepartie, elle dut fermer les yeux sur les agissements répréhensibles de son conjoint à l’intérieur même de la discothèque. Haton était un homme sans aucun scrupule, et lorsque sa femme devint la gérante de l’établissement, il put enfin 116 réaliser tous ses fantasmes. Mais la pauvre Clara n’était pas au bout de ses peines : au fil des années, son fils devint pire que son père. Ne supportant plus de voir sa progéniture se droguer et fréquenter la mafia marseillaise, elle décida de ne plus s’occuper du Lady Blue. C’est donc Haton qui gérait l’établissement. Haken venait tout juste d’avoir 25 ans mais il trafiquait déjà avec les plus dangereux criminels de la région. Tandis que son géniteur préférait louer les charmes de jeunes demoiselles, lui écoulait ses stocks de cocaïne dans le milieu de la nuit. Grand, les cheveux bruns, le visage étroit, de minuscules yeux noirs, il ressemblait à une fouine. Depuis l’âge de 13 ans, Haken fréquentait l’établissement et traînait avec les filles de joie. À 14 ans, il avait eu son premier rapport sexuel avec une dénommée Veronika, et à 15 ans, il avait pris sa première ligne de cocaïne. Ces dernières années, il était devenu le bras droit de son père, et quiconque voulait traiter avec le grand Haton devait passer par son fils. D’ailleurs, même la mafia espagnole s’était associée avec le jeune homme car le Lady Blue était devenu la plus grosse plaque tournante de Marseille. Assis confortablement dans le coin VIP avec son complice Set, Haken fut soudain subjugué par trois ravissantes créatures. Les redoutables déesses venaient de pénétrer dans l’établissement. Sekhmet, Bastet et Amémet s’assirent au bar et commandèrent une tequila sunrise. Le jeune homme ne pouvait s’empêcher d’admirer les anges de la nuit. Ces filles possédaient un tel pouvoir d’attraction qu’elles auraient damné un saint. 117 Le DJ monta le volume de la musique au maximum. Sekhmet se leva et sauta dans la grande cage en acier. Au rythme de la techno, elle se déhanchait sous les stroboscopes. Sa longue chevelure blonde flottait dans la nuit et ses grands yeux verts pétillaient. D’un brusque mouvement de poignet, elle entrouvrit son haut noir. Sous le charme, les jeunes gens qui l’entouraient scrutaient sa généreuse poitrine. Bastet et Amémet, qui venaient de la rejoindre, ondulaient leur corps sous le regard des jeunes badauds. Haken, qui était aux aguets, s’approcha discrètement de la petite brune aux yeux bleus et à la peau terre de Sienne, et posa ses mains sur ses hanches. « Bonsoir ma belle ! Tu sais que tu es ravissante toi… lui susurra-t-il au creux de l’oreille. - Salut beau gosse ! - Tu prends un verre ? Je suis assis au carré VIP ! - Pourquoi pas… mais je ne suis pas seule, deux copines m’accompagnent. - Elles n’ont qu’à venir, je suis avec un collègue moi aussi ! La sulfureuse brune appela Bastet et lança un clin d’œil à Sekhmet. Après les présentations, les jeunes femmes suivirent Haken jusqu’à sa table. Au bar, Stephan, Patrick, Zibus et le Corse surveillaient leurs complices. - C’est vraiment un requin ce type, ragea Stephan. - En tout cas, chapeau les filles, en moins de dix minutes elles ont alpagué le renard, ajouta Zibus. - Tu crois que Gérald va réussir à entrer dans la salle privée ? - Je ne pense pas, mais l’important c’est qu’il effectue un repérage des lieux. Bob et Mustang me signalent qu’ils viennent d’installer une balise GPS sur le véhicule du fils d’Haton. Nous pourrons le suivre à distance. 118 - Tu penses que nous allons découvrir de nouveaux indices ? - Certainement ! De toute manière, les filles sont équipées d’émetteurs et de caméras miniatures. - Je n’aurais jamais imaginé que ton directeur ait un fils pire que lui ! déclara le Corse. - D’après Richard, il trafiquerait même avec la mafia espagnole… - Vous voyez le grand type baraqué, avec une balafre sur le visage ? lança Stephan. - Oui, pourquoi ? répondit le Corse. - Il se nomme Set, c’est son principal associé. En Espagne, il a purgé cinq ans de prison pour trafic de drogue. Il a aussi été poursuivi pour meurtre, mais les autorités n’ont jamais retrouvé les corps de ses victimes. Au même moment, Sekhmet usait de ses charmes pour séduire Set. Douée de pouvoirs mystiques, quiconque croisait le regard de la déesse lionne était envoûté instantanément. - Quel est donc ce tatouage que tu as sur l’épaule ? - C’est l’uræus, le cobra royal. - Un serpent… Comme moi alors ! rétorqua Set en riant. - Un serpent avec des pouvoirs magiques. Il chasse le mal, ajouta Sekhmet en décroisant les jambes. - Il ne doit pas avoir beaucoup de pouvoirs ce serpent, car je suis un vrai démon ! - Un démon… Et moi que suis-je ? demanda Haken. - Toi, tu es Lucifer en personne. Le fils d’Haton tapa dans le dos de son collègue. - Bon les filles, que voulez-vous faire ce soir ? demanda Haken avec un sourire malicieux. - Faire la fête toute la nuit ! » hurla Amémet. Au premier étage, Gérald essayait de pénétrer dans la salle réservée aux couples libertins. Il espérait réussir à 119 se faufiler parmi un groupe de jeunes gens et à s’incruster entre deux charmantes demoiselles. Le videur, qui n’était pas dupe, s’aperçut de son stratagème. « Tu fais partie du groupe, toi ? Gérald sursauta et bredouilla. - Euh… non. Pourquoi ? - C’est uniquement réservé aux couples ! Tu es venu tout seul ? - Oui… Ma compagne n’est pas sortie ce soir, elle était souffrante, nous sommes entre collègues. - Désolé mais tu ne peux pas entrer alors. Reviens avec elle la prochaine fois ! - Bon… Gérald descendit rapidement les escaliers pour ne pas se faire repérer par Haton qui traînait certainement dans les locaux. Où devait-il chercher pour trouver le bureau du directeur ? Il retourna sur la piste de danse, mais, hormis les toilettes, il ne trouva pas d’autres issues. Puis, au bout de quelques minutes de recherche, près de l’entrée principale, au fond du couloir, il aperçut une porte en chêne massif où pendait un écriteau : Direction ! Il venait de découvrir la tanière du diable. Gérald espérait que le directeur sorte de son bureau pour y pénétrer à son tour. Mais trente minutes plus tard, la porte était toujours close. Il mit son oreillette et appuya sur le bouton d’appel du micro dissimulé à l’intérieur de sa chemise. - Mustang, est-ce qu’Haton est dans le coin ? Vous l’avez vu ? - Négatif, rien n’a bougé ! Il n’est peut-être pas ici ce soir. D’après Richard, c’est Jack, le portier, qui parfois s’occupe du club quand il ne vient pas. - Je ne vais pas tenter de pénétrer dans son bureau, c’est trop risqué, et il y a peut-être quelqu’un à l’intérieur. Je vais plutôt entrer dans les vestiaires du 120 personnel pour y déposer un micro et une caméra. Normalement, ils travaillent tous à cette heure-ci. Je pose mon paquet de cigarettes sur le meuble, à côté de la porte. La caméra numéro trois est dissimulée à l’intérieur. Surveille bien le moniteur, tu me préviens si quelqu’un arrive. - C’est parfait, je reçois le signal vidéo. Gérald pénétra furtivement dans le local. Par chance, personne ne se trouvait à l’intérieur. Le cœur battant à se rompre, les mains moites, il éclaira la salle et détailla l’ensemble de la pièce. À gauche : des chaises et un réfrigérateur. À droite : portemanteaux, vestes, écharpes et sacs à main. Face à lui, une étagère remplie de bouteilles d’alcool. Son cœur frappait violemment contre sa poitrine, l’angoisse l’envahissait. Où pouvait-il donc dissimuler la caméra numéro deux ? Après quelques secondes d’hésitation, il l’intercala entre les deux plaques en bois d’un meuble. Gérald allait quitter la pièce lorsqu’une idée lui traversa l’esprit. - Qu’est-ce que tu fais ! hurla Mustang à travers l’oreillette. - Je viens d’avoir une idée. Il fouilla chaque veste suspendue aux portemanteaux et recopia les noms du personnel de la discothèque en vérifiant les cartes d’identité. - Qu’est-ce que tu fais ? Grouille-toi ! - Je récupère des noms, ça peut servir… Soudain, Gérald entendit des bruits de pas résonner dans le couloir. Il courut jusqu’à la porte et fit semblant de s’être trompé de pièce. - C’est pas possible, ils sont où ces chiottes ! C’est quoi ce bordel, grommela-t-il en claquant la porte. - Que faites-vous ici, monsieur ? C’est un local réservé au personnel, il est strictement interdit d’y pénétrer, gronda une jeune femme. 121 Gérald prit un air stupide et soupira : - Je croyais que c’était les toilettes… - Vous voyez bien qu’il y a marqué Staff ! s’exclamat-elle. - Je ne comprends pas l’anglais, puis le portier m’a dit : “tu vas tout droit !” - Il voulait dire tout droit mais à l’intérieur de la discothèque. Les toilettes se situent à côté de la piste ! Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas la première fois qu’on se trompe. Passez une bonne soirée, monsieur ! - Vous aussi, bonne soirée. La voix de Mustang grésilla dans l’oreillette. - T’as failli tout faire merder, fais gaffe, bordel ! - Je te signale que tu ne m’as pas prévenu, fais ton boulot ! - J’étais en train de discuter avec toi, et je n’ai pas fait attention. - Tu vois quelque chose avec la caméra numéro deux ? - Attends, je la sélectionne sur le panneau de commande ! Hum… Hummm… Ta copine qui vient de rentrer… elle se change ! - Arrête de mater et surveille. - La poitrine qu’elle a ! C’est une bombe cette nana ! - Arrête tes conneries, on va finir par se faire gauler. Lorsque Gérald rejoignit ses collègues, les trois déesses quittaient l’établissement en compagnie du terrible Set et de l’infâme Haken. - Vous ne pensez pas que ça risque d’être dangereux ? Nous les poussons dans la gueule du loup ! s’exclama-til. - Ne t’inquiète pas, grâce à la balise GPS, nous les suivrons discrètement, et s’il y a un problème, nous intervenons ! - On intervient… on intervient ! Si c’est pour que ça se termine dans un bain de sang comme la dernière fois… 122 - C’était différent, un des membres de la mafia nous avait démasqués ! Nous étions donc obligés de tous les éliminer, répondit le Corse. - Mouais… Trois morts, je te signale. - On décolle sinon nous allons les perdre », ordonna Zibus. Mustang roulait à vive allure sur l’autoroute A9 en direction d’Avignon. Pendant que le Corse vérifiait son arme, Patrick évaluait la position de la balise GPS. « Ça fonctionne bien ce type de matos, c’est un bon investissement ! Gérald activa les micros émetteurs dissimulés sur les vestes des filles pour écouter la conversation. - Il n’a vraiment rien dans le citron le fils d’Haton. Quel bouffon ! Il drague Amémet, et il a l’air sacrément intéressé. Quant à Set, il semble préférer Sekhmet. Le plan fonctionne à merveille, ils sont tombés en plein dans le panneau. - Ils ne vont pas être déçus, quand l’heure sera venue, les déesses ne vont pas les rater. - J’espère qu’elles ne vont pas s’emporter, ajouta Stephan. - Avec Amémet, nous pouvons nous attendre au pire. Et ce n’est pas Sekhmet qui va la calmer ! - Merde… Nous n’aurions peut-être pas dû… - Nous avons un plan, on poursuit », dit Zibus. La voiture venait de quitter l’autoroute en direction d’Avignon. « Nous n’avions pas besoin d’installer la balise GPS, car à mon avis, ils vont directement au château, affirma Mustang. - Ou peut-être au Lys… reprit Patrick. 123 Mais Mustang ne s’était pas trompé : quelques minutes plus tard, la voiture s’engouffrait dans une route de campagne, sur les hauteurs des Angles. Le sourire aux lèvres, le frère du Corse s’écria : - Bingo, ils vont bien au château ! Arrêtons-nous ici, nous ne pouvons pas aller plus loin de toute façon sinon nous allons nous faire repérer. J’active le monitoring, nous sommes en plein dans le champ de réception des caméras. Il appuya sur les boutons de la table de commande, et quatre images apparurent sur l’écran de son ordinateur portable. - Il n’y a personne dans le château, tout est éteint ! Pour l’instant, je désactive les micros des filles pour ne pas perturber les autres signaux. J’enregistre l’émission vidéo, nous aurons les visages de Set et d’Haton en direct live. Dans l’autre véhicule, Yann et le Corse venaient de mettre leurs visions nocturnes. Grâce à la lampe infrarouge, ils balayaient le secteur. Le Corse sortit de la voiture discrètement, rampa jusqu’à un buisson, puis sans faire de bruit, il se hissa à la cime d’un arbre. L’oreillette de Patrick grésilla à nouveau. - Si une voiture arrive, je vous préviens, lança-t-il, perché en haut de l’arbre. Les filles pénétraient dans le château aux bras des lascars. - Ouah, c’est magnifique ! Nous sommes chez qui ? s’écria Amémet. - Chez mon père ! Suivez-moi, je vais vous faire découvrir les lieux, dit Haken en bombant le torse. Il leur montra tout d’abord les chambres : lits à baldaquin, meubles du XVIIIe siècle, rideaux en soie… - Et vous avez vu les décorations des portes, c’est de l’or ! Et il y a une dizaine de chambres comme celle-ci. 124 Et les tableaux, c’est l’œuvre d’artistes du XVIIIe siècle ! Le pas léger, le menton relevé, Haken les guida jusqu’au deuxième étage. Il poussa une porte en chêne massif et s’exclama en levant les sourcils : - La bibliothèque ! Nous attachons une grande importance à la culture, dans notre famille. Il y a plus de dix mille ouvrages. Les jolies déesses suivaient le jeune homme pompeux avec lassitude. Amémet était une excellente comédienne et faisait mine d’être ébahie. Haken, sous le charme, l’attrapa par les hanches et la poussa dans la salle de bains. - Regarde, il y a même un jacuzzi. Tu veux faire des folies ? Bastet essaya de changer de sujet pour calmer les ardeurs du fils d’Haton. - Vous faites quoi dans la vie, Haken ? Haken dévorait la jeune femme du regard et n’écoutait pas les questions de Bastet. - Hum… Et toi Set ? demanda-t-elle en se trémoussant. - Je suis dans le bizness, en Espagne. - Tu es riche toi aussi ? Set gonfla le torse, releva le menton et répondit : - Je gagne beaucoup d’argent, et j’ai un gros domaine près de Barcelone. Je bosse dans… la chimie… s’exclama-t-il d’une voix rauque et puissante. - Et toi Haken ? Que fais-tu exactement ? Dévoile-toi un peu ! insista Sekhmet, le regard pétillant. Cette fois le jeune homme se retourna. - La même chose que Set, et parfois, je loue les charmes de jolies demoiselles. - Tu loues ? Que veux-tu dire ? 125 - N’oublie pas que le Lady Blue est une boîte libertine. Nous avons quelques call-girls ! Et parfois nous réalisons des films. - Tu produis des films, c’est super ! ajouta Amémet en faisant un clin d’œil à la belle Sekhmet. - Oui, enfin, des films un peu particuliers… Des films érotiques… - Grand coquin ! Tu me filmeras ? Regarde, ne suis-je pas magnifique, moi aussi ? s’exclama Amémet en tournant sur elle-même. Stephan, qui écoutait la conversation, n’en croyait pas ses oreilles. - Qu’est-ce qu’elle raconte, mais elle est devenue complètement folle ! - Elle doit avoir un plan, dit Zibus. - J’espère bien ! » Haken avait l’œil qui pétillait, il pensait que les filles étaient sous son charme. « Voulez-vous voir la pièce où se déroulent les séances ? - Ouiiii ! hurla Amémet. Il arpenta le couloir, poussa une grande porte et éclaira la pièce. Les filles observèrent, stupéfaites, la cage en acier et les chaînes. - Mais vous les attachez aussi ? - Les riches industriels qui louent les charmes de nos filles ont de nombreux fantasmes, dont un en particulier, qui est de les attacher à la cage. - Ça doit être très excitant, j’aimerais essayer. Passemoi les menottes ! cria Amémet. - Tu veux être filmée et attachée ? Amémet lui lança un regard de braise. Elle jeta ses habits à travers la salle et se déshabilla complètement. 126 Elle ondulait son corps dans un rythme endiablé. Sa longue crinière brune flottait dans les airs comme des vagues rebelles, et ses yeux bleu lagon pétillaient de mille éclats. Les deux crapules, sous le charme, contemplaient cette divine créature aux courbes parfaites. La taille fine, de magnifiques jambes, un fessier bien ferme, un petit ventre plat, et de superbes seins. - Prends la caméra, intima-t-elle en s’accrochant aux chaînes en acier, et rugissant comme une tigresse. Haken attrapa la caméra et filma Amémet dans toutes les positions possibles. - Tu me montreras les vidéos que tu as déjà faites ? demanda-t-elle d’un regard malicieux. - Euh… les types sont violents parfois, ça risque de te choquer. - Tu crois que je suis émotive ? Tu veux que je te montre ce que je sais faire avec un fouet ? », rugit Amémet. Mustang fixait l’écran de son ordinateur portable et admirait les charmes de la belle brune. Stephan, anxieux, craignait le dérapage. « Elle veut certainement dérober les vidéos, dit Mustang. - Pourvu qu’elle reste calme, je ne veux pas que ça se termine dans un bain de sang, s’inquiéta Stephan. - Calme-toi un peu, c’est des professionnelles de l’infiltration. Tu n’as pas besoin de t’inquiéter ! » Tandis qu’Amémet ensorcelait le fils d’Haton, Sekhmet et Bastet s’approchèrent de son complice. Mutines, elles commencèrent à le caresser tendrement. Bastet frottait sa généreuse poitrine contre son torse 127 musclé, pendant que sa copine l’embrassait dans le cou en effleurant sa peau. « Tu n’as pas un peu de produit ? demanda Sekhmet. - Quel genre de produit ? répondit Set, stupéfait. - Ne fais pas l’idiot… Tu vois ce que je veux dire ! Un peu de cocaïne, bien sûr. Il essayait de ne pas succomber au chant des sirènes, comme Ulysse approchant l’île de Circé. - C’est possible… Vous en voulez ? - Oui mon beau Set ! Envoie la poudre magique ! - Haken, on leur fait goûter la marchandise ? - Fais ce que tu veux, rétorqua aussitôt le fils d’Haton, occupé à filmer sa belle. - Tu en as beaucoup ? demanda Sekhmet en se cambrant. - Une pleine valise… Pour dire la vérité, c’est mon bizness, conclut Set. - Tu nous as menti petit coquin ! Tu n’es pas chimiste, lança Bastet. - Vas-y, montre-nous la marchandise ! Set se dirigea vers un vieux meuble en chêne, ouvrit une porte qui dissimulait un coffre-fort, et composa le code secret. Bastet, restée à l’écart, l’épiait. - Voici de la belle poudre colombienne. Il ouvrit un des sachets et aligna trois longs traits de poudre blanche, sur une table, à côté de la cage. Haken continuait de filmer le show de la belle Amémet, qui se déhanchait comme une danseuse orientale. Lorsque Set tourna le dos pour ranger la drogue à l’intérieur du coffre-fort, les filles dispersèrent la poudre en soufflant dessus. Set se retourna, stupéfait. - Déjà ! Vous êtes de sacrées gourmandes. - Il n’y a rien à boire, ici ? rumina Sekhmet. 128 Haken posa sa caméra, ouvrit la porte du bar et brandit deux bouteilles de whisky. - Tu es génial mon chéri, c’est toi le plus fort, clama Amémet, féline, en l’enlaçant. Sekhmet s’empara des bouteilles et servit deux verres de whisky aux trafiquants, tout en ouvrant la boule en or qui était sur sa bague. Discrètement, elle mélangea une étrange poudre dans le verre de ses victimes. Le GHB, ou plus communément appelé “la drogue des violeurs”, une fois dissous dans l’alcool, reste incolore et inodore. À forte dose, il a des vertus sédatives. Quelques minutes après avoir absorbé la mixture, une intense chaleur envahit les deux hommes. Leur tête se mit à tourner, et leur vision devint floue. - Je me sens bizarre, j’ai chaud… lança Haken. - Moi, c’est pareil, je… je… ajouta Set qui sombra dans un profond sommeil. - Set, Set… Ils s’évanouirent tous les deux. Les membres de Neutrino pouvaient passer à l’action. Amémet, qui remettait sa tenue en cuir, demanda : - Tu n’en as pas trop mis, j’espère ? Il ne faut pas qu’ils découvrent que nous les avons drogués. - Tu me prends pour une débutante ? Pendant que ses copines se disputaient, Bastet courut vers le coffre et composa le code à cinq chiffres. - Tu as vu le code ? demanda Sekhmet, stupéfaite. La jeune femme lança un clin d’œil à son amie et ouvrit le coffre-fort. À l’intérieur, il y avait les sachets de cocaïne, les listes des noms des hommes d’affaires et les vidéos érotiques. Elle sortit un appareil photo numérique miniature et photographia la liste des complices d’Haton. Amémet s’empara des vidéos, dévala l’escalier à vive allure et courut à moitié nue dans le jardin. 129 Heureusement, le doberman était enfermé dans l’enclos. Quand il vit la jeune femme courir, il aboya à la mort. La dévoreuse lui jeta un regard terrifiant et aussitôt le molosse cessa d’aboyer. Stephan sortit de la voiture à ce moment-là et s’approcha du portail. Amémet lui donna les DVD en criant : - Grouille-toi, faites une copie des vidéos, j’attends ici ! » Mustang plaça les disques dans le lecteur de son ordinateur portable et copia toutes les vidéos. Une quinzaine de minutes plus tard, Stephan les redonnait à la belle brune. Les deux acolytes étaient toujours endormis sur leur siège, la tête basculée en arrière, les bras ballants. Par moments, Set se réveillait ; les yeux mi-clos, il tournait la tête à droite puis à gauche, murmurait des mots incompréhensibles, et s’effondrait à nouveau, inconscient. Tel un poulpe mort, ses bras pendaient comme de longs tentacules inertes. Cette énorme carcasse qui, quelques minutes plus tôt semblait inébranlable, se trouvait à présent aussi inoffensive qu’un ver de terre. « Regardez-moi ça ! Si ce n’est pas pathétique un tel spectacle ! Des voyous, vivant du crime et de la drogue, mis hors d’état de nuire par trois filles et quelques milligrammes de GHB, soupira la belle Sekhmet. - Comme le dit souvent Amon, il faut toujours être sur ses gardes. La vie est un éternel combat, ajouta Amémet, triomphante. - Nous devons passer le château au peigne fin. Les effets de la drogue s’estompent au bout de trois heures. Sekhmet, tu restes à cet étage, et toi Amémet, descends 130 au premier. Quant à moi, je vérifie le rez-de-chaussée, intima Bastet, la féline. Elle dévala l’escalier, toujours aux aguets, prête à bondir à la moindre occasion. - Stephan, nous allons fouiller le château, surveillez bien l’entrée principale. Nous ne souhaitons pas être surprises par Haton et ses acolytes, dit Bastet à travers le micro émetteur. - N’ayez aucun souci, Richard vient de m’avertir que le directeur entre dans la discothèque avec deux autres types, peut-être Rouel et Bremond. La jeune femme commença par fouiller le salon. Minutieusement, elle soulevait chaque objet et observait chaque détail suspect, à la recherche de nouveaux indices. Mais au bout d’une heure, elle n’avait rien découvert de plus. Bastet marcha jusqu’à l’entrée principale, ôta son collier en or et attrapa l’amulette représentant la croix de vie – l’ankh, le symbole de la vie éternelle qui ouvrait la porte de l’éternité –, qu’elle plaça dans sa main gauche. Dans la main droite, elle plaça l’Oudjat (l’œil d’Horus), qui rappelait le combat du fils d’Osiris contre le terrible Seth. (Pendant la bataille qui les opposait, Seth arracha l’œil d’Horus, qu’il jeta en six morceaux dans le Nil. Heureusement, Thot lui en reconstitua un nouveau, et l’œil d’Horus devint le symbole de la victoire sur le mal). Stephan observait la scène grâce à la caméra vidéo miniature installée quelques jours plus tôt par le Corse. - Qu’est-ce qu’elle fait ? C’est quoi cette mise en scène ? demanda Stephan, éberlué. - Elle chasse les énergies négatives et purifie le château en libérant son Kâ ! Bastet est la déesse protectrice, elle possède de nombreux pouvoirs mystiques. 131 - Des pouvoirs ? C’est n’importe quoi ! Vous y croyez vraiment ? - Bien sûr, elle est même capable de soigner des mourants, reprit Zibus. - Mouais… moi je suis comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois ! - Observe-la, tu verras ce dont elle est capable. Immobile, les bras écartés, Bastet méditait. Soudain, elle ouvrit la bouche, ferma les yeux, et des myriades de minuscules particules jaillirent de nulle part. À l’intérieur du véhicule, Stephan n’en revenait pas. Une aura brillante entourait la jeune femme. Les amulettes se mirent à scintiller, puis tout à coup, l’image se brouilla. Quelques secondes plus tard, tout redevint normal mais Bastet avait disparu. - C’est incroyable… Vous avez vu ? Elle a disparu ! bredouilla Stephan, les yeux écarquillés. - Bastet maîtrise la puissance du Kâ. Ne te pose pas de questions, c’est comme ça. Nous ne sommes pas capables de comprendre ce miracle, dit Zibus. - Mais comment elle fait ça, elle a un truc ? - Attends de voir ce dont est capable Sekhmet, tu seras encore plus étonné. - Sekhmet a aussi des pouvoirs ? - Les trois déesses possèdent chacune de mystérieux dons transmis par le Kâ des dieux. » Après avoir minutieusement fouillé chaque recoin du château, Amémet s’attaquait à la dernière pièce : le bureau. Énervée, elle maudissait le directeur car elle ne trouvait pas de nouveaux indices. « Tu as découvert quelque chose, Sekhmet ? hurla-telle à sa copine qui se trouvait à l’étage supérieur. 132 La déesse lionne descendit l’escalier et arriva comme une furie dans le bureau. - Regarde ! dit-elle en jetant un tas de photos et de dossiers. La belle brune attrapa les documents à pleines mains et les feuilleta. - C’est quoi tout ça ? - Les photos des jeunes femmes qu’exploite Haton. Il y en a au moins une trentaine. Elles étaient dissimulées à l’intérieur d’une pochette dans le coffre. - Ukraine, Lituanie, Roumanie, Hongrie… mais… elles viennent de tous les pays ! s’exclama Amémet, furieuse. - Bastet ! Viens vite photographier les dossiers ! cria Sekhmet. Sekhmet montra les photos et la liste des filles à la déesse protectrice. - Tiens, regarde, et photographie l’ensemble des notes. - Il exploite toutes ces filles ? Il n’a vraiment aucune morale. Quelle charogne ! - Si je ne me retenais pas, j’irais éliminer les deux brutes qui sont là-haut ! » rumina Sekhmet. Set se réveillait difficilement. Il plissa les yeux, se frotta le crâne et secoua la tête en grommelant. « Mince alors… J’ai encore abusé de l’alcool. J’ai une terrible migraine. Vous avez l’air en pleine forme les filles ! Haken, réveille-toi, il faut les ramener ! Haken ? Owww… Tu te lèves ? Le jeune homme ouvrit un œil, tenta vainement de parler, se leva et retomba aussitôt dans son siège, inconscient. 133 - Il faut le mettre dans son lit, nous n’arriverons pas à le réveiller, décréta Set. Ensuite, je vous ramène à la discothèque récupérer votre véhicule. - Et sa voiture ? Comment il va faire pour retourner à Marseille ? demanda Bastet. - Je repasserai le chercher demain on doit retourner à Marseille pour terminer une affaire. » 134 12 Assis autour d’une grande table, dans le salon d’Amon, les membres de Neutrino analysaient les indices récoltés la veille. Les guides détaillaient minutieusement la liste des jeunes femmes dont Haton louait les charmes aux riches industriels. « Voici les photographies des filles, dit Sekhmet en distribuant les clichés fraîchement imprimés. - Et là, c’est les vidéos que nous avons copiées hier soir, ajouta Mustang en les montrant à Amon. Face au moniteur, les guides de Neutrino regardaient l’enregistrement, abasourdis. - C’est horrible ce qu’ils font subir à ces pauvres filles. Ils les frappent, abusent d’elles, les soûlent, puis les attachent à une cage, ragea Anubis. Mustang démarra une nouvelle vidéo et dit : - Cette fois-ci, il y a Set, Haken et Rouel ! Ils prennent de la cocaïne et forcent les filles à en prendre aussi. Sur une autre vidéo, il y avait même le PDG d’EEAI et un homme d’affaires réputé, allongés nus sur un grand lit à baldaquin, avec deux filles vêtues d’un vêtement en latex noir. Le PDG cravachait les jeunes Russes, attachées par d’épaisses chaînes en acier. Elles hurlaient de douleur. - Suffit ! J’en ai assez vu pour aujourd’hui, déclara Amon, le regard sombre. 135 - Nous avons aussi une liste de ses clients, avec le type de filles qu’ils préfèrent, ajouta Amémet pour conclure. Amon fit défiler cette longue liste sur l’écran de l’ordinateur. - Vous avez fait un excellent travail. Dès demain, je contacte le commissaire Armand qui attendait avec impatience les preuves qui lui permettraient de commencer son enquête. Lors de notre dernière réunion avec Osiris, nous avons décidé de collaborer avec la police pour éviter les dérapages que nous avons connus ces dernières années. D’ailleurs, très bientôt, nous allons organiser une réunion avec les nouveaux membres qui font partie de la police. Récoltez encore quelques indices sur l’organisation, puis on arrête tout ! Dès que la mission sera terminée, pensez à enlever les micros émetteurs et les caméras miniatures, dit Amon. - Set doit m’appeler pour m’inviter à une de leurs soirées, lança Sekhmet, triomphante. - Faites bien attention, nous avons mis les pieds dans un dangereux réseau mafieux. Essayez d’en savoir un peu plus sur les filles. Où elles logent, ce qu’elles font dans la journée, et s’il n’y a pas un trafic avec l’Espagne. Nous devons aussi surveiller Haken et Set, car d’après Richard, ils alimentent en cocaïne toutes les boîtes de nuit de la région. - Nous nous occupons de Set et d’Haken, dit Sekhmet en serrant les poings. - Quant à moi, je pense que le Lys est de mèche… Je dois y retourner avec Bremond, il doit me contacter, ajouta Bob. - Mustang, s’il te plaît, laisse-moi les vidéos et la liste des complices d’Haton. Je les transmettrai au commissaire, dit Amon. 136 - Dès que l’affaire sera bouclée, je vous enverrai les nouvelles vidéos. Ils vont comprendre qu’on ne se frotte pas à Neutrino sans y laisser des plumes. - À présent, suivez-moi ! Nous allons nous entraîner au dojo. Nous devons nous détendre un peu », suggéra Amon. Assis sur le tatami en position de méditation, les membres écoutaient Amon. « Fermez les yeux et gardez le dos bien droit. Inspirez calmement et profondément. Faites le vide dans votre esprit, laissez défiler les images perturbatrices, et prenez conscience de votre corps. Ressentez ce bien-être qui vous traverse à chaque inspiration, ressentez l’air qui pénètre dans vos poumons, puis qui sort par vos narines. Visualisez l’oxygène qui pénètre en vous, comme une lumière dorée qui entre et sort de votre corps. À chaque inspiration, vous vous sentez de plus en plus en harmonie avec le monde », dit Amon d’une voix calme et apaisante. Stephan ouvrit les yeux tout en s’étirant. Il se leva lentement et effectua les assouplissements que montrait Râ. Ce dernier était extrêmement rigoureux car il perpétuait les vieilles traditions transmises par les grands maîtres de daito-ryu. Il exigeait une parfaite exécution des mouvements, tout en insistant sur l’importance de l’énergie. « Les Égyptiens la nommaient Kâ, les Japonais la nomment Ki. Dans chacun des mouvements que je vous enseigne, vous devez ressentir cette énergie. Vous pouvez percevoir celle-ci : en lavant une voiture, en balayant, en courant… Le Ki est en vous, découvrez-le, 137 alors vous découvrirez l’harmonie ! L’important dans la vie, c’est d’atteindre la sérénité et l’harmonie. Je vais vous apprendre le premier principe de l’aïkido : Ikkyo ! Stephan, avance d’un pas et porte-moi un coup au visage. Stephan se mit face à Râ et glissa d’un pas en avant, cherchant à atteindre le visage de son adversaire. Alors qu’il allait déployer son bras, Râ se décala, avança rapidement, plaqua la main gauche de Stephan sous son coude, et sa main droite attrapa fermement le poignet du jeune homme. Avec une incroyable puissance, ce dernier se trouva plaqué au sol par un mouvement circulaire. - À vous maintenant, exécutez ce blocage, et pensez à tout ce que je vous ai dit précédemmen. » Au même moment, Richard observait l’entrée du Lady Blue. De l’autre côté du parking, derrière une longue rangée d’arbres, il surveillait le gardien. Mais d’une fenêtre de la discothèque, un homme l’épiait lui aussi. Depuis la veille, il avait repéré Richard. Inquiet, il appela son patron qui le week-end se reposait avec son épouse dans sa résidence secondaire à Cassis. « Nous avons un problème patron, il y a un type dans une vieille bagnole qui surveille la discothèque depuis hier soir. Qu’est-ce que je fais ? - Ne t’énerve pas, et n’interviens surtout pas ; note les numéros de sa plaque d’immatriculation et prends des photos de lui. J’arrive ! » Haton arrivait à la discothèque au moment où Richard partait. Les deux hommes se croisèrent sans le savoir. « Il vient de partir à l’instant patron. - File-moi le numéro de sa plaque, je vais appeler un collègue, il me trouvera l’adresse de ce type. 138 Jack transmit les numéros de la plaque d’immatriculation. Haton composa immédiatement un numéro de téléphone et discuta avec un type à la voix rauque et puissante, puis raccrocha. - Il faut attendre ! Mon collègue se renseigne. Dès qu’il a du nouveau, il appelle. Comment tu as fait pour repérer le type ? - En fait, le premier à l’avoir vu, c’est Fred. En surveillant le parking, il s’est aperçu de ce type dans la vieille bagnole qui stationnait depuis quelques heures. Il a eu beaucoup de chance de le remarquer car c’est en faisant pisser son chien qu’il a repéré la caisse cachée derrière l’allée d’arbres. La conversation fut interrompue par la sonnerie du téléphone. La voix rauque et puissante de l’interlocuteur grésillait dans le combiné téléphonique. - Je suis désolé mais le numéro que tu m’as donné correspond à une voiture qui a été volée l’année dernière. Tu veux l’adresse du propriétaire ? - Non, merci. Je te rappelle si j’ai du nouveau, à bientôt. Haton, le regard sombre, fixa Jack. Inquiet, il tapait son index sur le rebord de la table. - Ou bien c’est une fausse alerte, ou bien nous avons un gros problème ! Le numéro de la plaque d’immatriculation correspond à celui d’une voiture volée. - Merde… Ça m’inquiète cette histoire. Il ne faudrait pas que ce soit les Russes… - Non, nous n’avons plus de soucis avec eux ! C’est peut-être un type qui venait refourguer de la came. - Votre fils n’a pas eu de problèmes avec les Espagnols, ces temps-ci ? - Non, avec Set, il n’y a aucun souci à se faire. Et avec les filles ? 139 - Tout va bien ! Pas de problèmes particuliers. - T’es certain ? - Oui ! Elles sont suffisamment surveillées… - C’est peut-être une fausse alerte. - Peut-être, reprit Jack. Un gars qui trafique dans le coin. - En tout cas, surveille bien ! Je retourne à Cassis. » Jack, perplexe, réfléchissait. Il se remémorait cette fusillade où l’ancien portier avait reçu une balle en plein milieu du front. La mafia russe avait voulu faire peur à Haton mais l’altercation avait mal fini. Jack frémit, il espérait que cet homme n’était pas un exécuteur russe. Les membres de Neutrino, épuisés par leur entraînement, étaient assis autour de la table du salon. Sekhmet discutait avec Stephan. Une certaine complicité naissait entre eux. La belle blonde aux yeux verts avait beaucoup de charme, ce qui ne laissait pas le jeune homme indifférent. Lorsqu’il était avec elle, il en oubliait même sa rupture avec Carole. À côté d’eux, Zibus éprouvait beaucoup plus de difficultés avec la brune rebelle. Amémet était une fille mystérieuse et au tempérament bien trempé. Depuis quelques mois, il essayait par tous les moyens de la charmer mais elle refusait ses avances. Elle connaissait la réputation de l’informaticien. Zibus était un dragueur invétéré qui connaissait parfaitement la gent féminine, il était capable de faire succomber beaucoup de demoiselles mais pas la petite protégée d’Anubis. Richard, qui venait tout juste d’arriver, rendait compte de sa surveillance aux guides de Neutrino. Amon, satisfait, nota chacune de ses remarques dans un calepin qu’il plaça dans une pochette intitulée Lady Blue. 140 « Parfait, tu as fait du bon boulot. Nous allons continuer de le surveiller, nous devons tout savoir sur lui. Et Clara Bergan, elle ne vient plus au dancing ? demanda Amon sous le regard attentif de Râ. - Négatif, elle sert uniquement de prête-nom. Aux yeux de la loi, c’est elle qui détient la discothèque. Pendant ce temps, Haton peut diriger son entreprise et trouver de nouveaux clients parmi les riches industriels. En plus, il n’apparaît nulle part comme directeur du Lady Blue, alors que bien évidemment, c’est lui qui le gère. - Et son fils ? - Une ordure de première qui refourgue sa marchandise dans toutes les boîtes de la région avec son complice Set. Il faut se méfier de ces deux-là, mes indics m’ont dit qu’ils étaient très dangereux. Haken glorifie son père, c’est une idole pour lui. - Tu crois qu’ils ont du sang sur les mains ? - Pour Haken, je ne sais pas mais pour Set, c’est certain. De source sûre il a éliminé les chefs de la mafia à Barcelone, et en a pris la direction. Depuis, il est de mèche avec le fils d’Haton. - Méfie-toi bien d’eux. Je ne sais pas pourquoi mais lorsque je prononce leurs noms, mon Kâ vibre intensément. - N’aie aucune crainte, je fais ça depuis longtemps, et personne n’a encore réussi à me démasquer. - Il suffit d’une fois… » Richard éclata de rire en tapant sur l’épaule de son vieil ami pour le rassurer. Le Corse, son frère, Yann et Bob fumaient chacun un gros cigare tout en buvant un verre de rhum. Assis sur un 141 banc, ils profitaient de ce moment de détente pour se reposer. Mustang demanda à Bob : « Tu l’as déjà vue avec un mec, Bastet ? - Jamais ! - Tu crois qu’elle préfère les filles ? - T’as fini de dire n’importe quoi ! Elle préfère rester seule, c’est tout. - Quel dommage, c’est vraiment une belle fille. - Arrête de faire ton sentimental, ça ne te va pas du tout. - Tu verras, le jour où tu vas craquer pour une fille. - Ça ne risque pas de m’arriver ! Pourquoi veux-tu que je tombe amoureux d’une nana alors qu’il y en a tellement à découvrir. - Nous en reparlerons lorsque tu auras le coup de foudre. » Allongée sous un sycomore, entre Patrick et Gérald, Bastet contemplait le magnifique ciel bleu azur, nostalgique. Elle repensait à toutes ces missions accomplies avec ses amies. Quel était le sens de tout ça ? Neutrino pouvait faire tomber Haton mais d’autres tyrans prendraient sa place : la lutte était sans fin. Soudain, Amon se leva, et d’une voix calme et détendue, il réunit tous les membres autour de lui, puis annonça : « Cette semaine sera chargée, car dans les jours à venir, le commissaire devra commencer son enquête. Dès que la police sera sur le coup, nous arrêterons la mission. Je ne veux pas que vous preniez de risques inutiles, soyez très vigilants ! - Je continue la surveillance, s’il y a du changement, je préviens Stephan ! s’exclama Richard. 142 - Parfait ! Demain, je vais surveiller Haton et Bremond. J’espère en apprendre un maximum sur le fonctionnement de son réseau de prostitution. De son côté, Bob s’occupera d’infiltrer le Lys. Nous devons déterminer quels sont ses liens avec Haton, ajouta Stephan. - Dès que Set m’appelle, je préviens Amémet et Bastet, et nous passons à l’action nous aussi, dit Sekhmet. - Bonne chance à tous ! Que le puissant Kâ vous protège. » lança Amon en levant les bras au ciel. 143 13 Haton pénétra dans la salle de réunion comme une furie, sans saluer les employés, et d’un ton froid et hautain, il demanda à Stephan : « Les chantiers à Marcoule, ça avance ? Les lèvres pincées, les sourcils froncés et les bras croisés, le directeur le toisait. Comme un prédateur sauvage, il était prêt à lui bondir dessus à la moindre occasion. - Ça suit son cours, nous aurons fini dans une quinzaine de jours, je pense. - Vous pensez… mais vous n’êtes pas payé pour penser ! hurla Haton, les yeux exorbités. - Mais, je… Stephan essayait vainement de se justifier, tandis que les autres employés, terrifiés par l’abominable directeur, n’osaient pas ouvrir la bouche. Haton lui coupa la parole en lui postillonnant au visage. - Pauvre idiot ! Ne pensez plus, agissez ! J’ai du mal à croire qu’à la suite du départ de Horme, vous dirigiez l’entreprise. Heureusement que je suis arrivé, sinon la boîte aurait fait faillite. À la fin du mois, les chantiers doivent être terminés. En ce qui concerne Jean, je ne veux plus le voir sur les prochains chantiers, il est trop vieux, trop lent, et nous coûte de l’argent. 144 - Nous comptons sur lui pour le prochain arrêt de tranche, nous devons absolument le garder, rétorqua Stephan. Le directeur se leva avec rage, regarda tout le monde et brailla : - Bon, que cela soit clair : je suis le directeur, par conséquent, c’est moi qui donne les ordres. Personne ne doit penser ou agir à ma place ! C’est bien compris ? Vous me devez respect et obéissance. Si ça vous pose un problème, Bringel, vous dégagez. C’est clair ? - Très clair monsieur, dit Stephan en baissant la tête pour montrer sa soumission au grand Haton. - Les Polonais sont en train d’inonder le marché. Et vos intérimaires, hors de prix, ils vont bientôt gicler ! » conclut l’infâme directeur en tapant du poing sur la table. Stephan dévisageait Haton : il était aussi hideux qu’ignoble. Malgré son costume noir taillé par un couturier renommé, malgré ses chevalières en or, il était répugnant. Petit, gras, dégarni et avec une tête de soupion, il ressemblait à une monstrueuse créature sortie du néant. En l’observant, Stephan revoyait ces pauvres filles qu’il maltraitait et dont il abusait sexuellement. Les vidéos lui revenaient en mémoire : le PDG abusant de l’une de ces malheureuses, attachée dans des positions indécentes… Serrant son poing sous la table, il avait envie de bondir, de l’étrangler, et de le voir agoniser lentement, les yeux dans les yeux. Le haut de la hiérarchie était aussi pourri qu’un vieux morceau de viande grouillant de vers. La vermine détenait le pouvoir ! Depuis des millions d’années, rien n’avait changé, le plus fort dominait les plus faibles. Pendant un court instant, Stephan perdit la foi en 145 Neutrino. Il pensa que leurs efforts étaient vains, et que d’autres criminels bien plus redoutables remplaceraient l’ignoble Haton. Mais il se ressaisit et reprit confiance en pensant que de nouveaux membres reprendraient le flambeau pour se battre contre les futures vermines. La lutte serait éternelle ! Aussi longtemps que des gens comme Haton et Bremond existeraient, Neutrino lutterait. Comme à son habitude, le directeur claqua la porte violemment et ne salua personne. Bremond s’approcha de Stephan avec l’allure d’une fouine, le sourire aux lèvres, et d’un air narquois, il déclara : « Je vous avais prévenus que votre arrogance vous porterait tort. Vous n’avez pas tenu compte de mes conseils… Estimez-vous heureux que monsieur Haton ne vous vire pas ! » Stephan ferma les yeux, repensa aux séances de Râ et inspira profondément. La mission, il fallait penser à la mission, et ne pas commettre l’irréparable. Quelques minutes plus tard, à bout de nerfs, Stephan tapait du pied pour évacuer sa colère. Il écrasa avec rage une vielle cannette de bière qui lui servait de pot à crayons et la jeta à travers la pièce. Son rythme cardiaque s’accéléra, le sang inonda son cerveau, et un voile noir passa devant ses yeux. Il repensa aux séances de méditation. Instantanément, sa respiration ralentit et ses pensées négatives disparurent. Stephan pensait à sa mission : sauver les pauvres filles qu’exploitait Haton en démantelant le réseau. Aussitôt, il sortit ses écouteurs et plaqua le sensor contre le mur. Patrick lui avait conçu un petit montage astucieux qui permettait de travailler et 146 d’écouter les conversations téléphoniques en même temps. Ainsi, Stephan pouvait surveiller ses tortionnaires, en espérant qu’ils dévoilent de nouveaux indices. Le bureau d’Haton se trouvait à l’étage supérieur. Patrick avait installé un micro émetteur à l’intérieur de son téléphone, donc discrètement, Stephan pouvait surveiller ses conversations. Néanmoins, le directeur était discret et ne laissait rien filtrer. Ainsi, quand Stephan se trouvait dans son bureau, il écoutait uniquement les conversations de Bremond. Malheureusement, ce lundi matin, le bras droit d’Haton n’appelait personne. Stephan s’impatientait : quand cet odieux personnage laisserait-il échapper de nouvelles informations ? Il était stupéfait par la discrétion de ses supérieurs. Ni Bremond ni Haton ne laissaient transparaître cette étonnante complicité qui les liaient hors du travail. Qui aurait pu imaginer que ces énergumènes fassent partie d’un important réseau de prostitution ? Perdu dans ses pensées, Stephan oublia sa mission. Il se trouva transporté à une époque où l’amour inondait son cœur. Main dans la main avec la belle Carole, allongé au bord d’un ruisseau, l’oreille collée contre le ventre de la future maman. Une larme s’échappa et coula le long de sa joue. Les yeux humides, il regardait la vieille photo de famille posée sur son bureau. De nouvelles images envahirent son cerveau meurtri : le jour de Noël en famille, l’anniversaire d’Élodie, les promenades dans les bois de Saint-Paul… Que la vie est cruelle ! Du jour au lendemain, tout peut basculer très vite. Heureusement, ce week-end, Stephan espérait que Carole lui laisse la garde de sa petite Élodie. Lorsqu’il s’était confié à la belle Sekhmet, elle lui avait proposé 147 son aide pour s’occuper de sa fille. C’est vrai qu’il gérait mal sa nouvelle vie de célibataire. La vaisselle s’accumulait, le linge traînait dans la salle de bains, et la maison avait besoin d’un sérieux nettoyage. Un coup de main ne serait pas superflu… Puis… Ah, la déesse lionne ! Ses grands yeux vert émeraude, son visage d’ange. Ne serait-ce pas une merveilleuse occasion de passer un peu de temps avec elle ? Soudain, il sursauta. Bremond discutait avec Bob. Stephan jubilait, l’ennemi mordait à l’hameçon. Les mains tremblantes, il ajusta ses écouteurs, remonta le capteur pour mieux entendre et retint sa respiration durant quelques secondes. Bremond donnait rendez-vous à Bob, au Lys, mercredi à 21 heures, en lui expliquant qu’après ils se rendraient ensemble à une soirée prévue dans un château. Lorsque Bremond raccrocha, Stephan reçut un SMS de Bob : “contact B. OK, mercredi Lys, 21 H.” L’après-midi, Stephan se rendit à Marcoule pour vérifier l’état d’avancement du chantier. Lorsqu’il ouvrit la porte du bureau du chef, il trouva Gérald, la tête écrasée contre son classeur, en train de ronfler. D’un coup sec, il frappa du poing sur la table pour le réveiller. « Mmmm… qu’est-ce qu’il y a ? Ah… c’est toi ! soupira Gérald en bâillant. - Je vois que ça bosse dur ici ! Tu as de la chance que ce ne soit que moi, car si ç’avait été Bremond… - Mmmm… répliqua Gérald en s’étirant. - Ils sont où les intérimaires ? - Je ne sais pas ! Ils prennent un café, certainement. - C’est pas toi le chef de chantier de remplacement ? - Ben si ! Mais c’est Kimi le chargé de travaux. Donc… je peux me reposer tranquillement. Et puis il y a Jean-Roger qui vient d’arriver pour nous aider. - Jean-Roger… le syndicaliste ? 148 - Il n’y a qu’un seul Jean-Roger : le grand costaud, moustachu. - J’espère qu’il ne va pas foutre le bordel. La dernière fois qu’il est venu à Marcoule, c’était pour envoyer Haton aux prud’hommes. - De toute manière, ils l’ont viré du bureau d’études, et maintenant, ils le font travailler sur les chantiers. Il n’a plus rien à perdre. - C’est bien ce qui m’inquiète, d’ailleurs. Et depuis, il le leur rend bien. Ah, j’allais oublier ! Haton veut virer Jeannot. Il en a parlé ce matin à la réunion. - Mince, pauvre Jeannot ! Il va être dégoûté… - Sinon une bonne nouvelle : Bremond a contacté Bob. Il y a une grosse soirée au château qui se prépare, ce mercredi. - Super ! Ça bouge bien en ce moment, nous allons finir par les serrer, ces ordures. Tu peux venir ce weekend ? - Normalement, je m’occupe de ma fille. Donc ce n’est pas certain. - Ta fille… Petit malin… Tu ne dois pas voir Sekhmet plutôt ? - Pourquoi tu dis ça ? - Arrête ! J’ai bien vu comment vous vous regardiez, hier. Elle t’a même proposé de t’aider, lorsque tu lui as dit que tu risquais de garder ta fille ce week-end. - T’es vraiment un fouineur, toi ! Une vraie commère ! - J’espère que tu auras plus de chance que Zibus… Au même moment, Jean entrouvrit la porte et pointa le bout de son nez. - Euh… Ils sont où les autres ? demanda-t-il, les yeux écarquillés. - Qu’est-ce que tu fous là, toi ? Tu ne devrais pas être sur le chantier ? demanda Gérald, étonné. 149 - Bien… je suis allé boire un café, et j’ai mis plus de temps que prévu. Quand je suis revenu, il n’y avait plus personne… - Ce n’est pas possible, un vrai gamin ! Ils ne tirent plus le câble ? - Ben non… - Allons voir », suggéra Stephan. Lorsqu’ils arrivèrent sur le chantier, Jean-Roger et Kimi se disputaient. « Je te dis que ce n’est pas ici qu’il doit passer, celuilà. Tu es vraiment borné ! criait Kimi. - C’est bien par là, regarde les plans ! hurlait JeanRoger. Gérald apaisa les esprits en montrant par quelle trémie devait passer le câble électrique. Ils avaient tort tous les deux. - Ben voilà, tu racontes n’importe quoi, grogna JeanRoger, de mauvaise foi. - Je veux plus travailler avec lui, répliqua Kimi, agacé. - Les gars, si vous vous disputez encore, Haton va vous envoyer à Blaye ! Alors faites un effort. Vous étiez où tout à l’heure, Jeannot vous a cherchés partout ! - À l’intérieur du local électrique, répondit Kimi, étonné. Gérald se retourna, fronça les sourcils et dit, en colère : - Tu te fous de moi Jeannot ? Tu ne pouvais pas rentrer dans le local ? - Ben, je ne savais pas… bredouilla Jean en levant les bras au ciel. - Celui-là, il faudra bientôt lui couper sa viande ! gronda Gérald. 150 - Jeannot… Haton ne veut pas te reprendre pour les autres chantiers. Et mercredi, tout doit être terminé, ajouta Stephan en baissant les yeux. - Ah bravo ! Nous nous dépêchons pour finir le câblage, et en remerciement, il me vire… Mon contrat finit vendredi, je te signale. - Il doit te garder jusqu’à vendredi, c’est la loi. S’il ne le fait pas, on l’attaque l’enfoiré, vociféra Jean-Roger en brandissant le poing vers l’avant. - Moi, je m’en fous, à la fin du mois, je m’arrache en Thaïlande ! s’exclama Manolo. - Manolo, n’en rajoute pas s’il te plaît ! C’est déjà assez compliqué, répliqua Gérald, exaspéré. - Quoi ? Si quelqu’un veut me rejoindre, il n’y a pas de problème. J’aurai une bicoque au bord de la plage. - Tu pars fin octobre ? demanda Stephan, pensif. - Oui, fin octobre ! Si le cœur t’en dit… - Nous en rediscuterons. - Bon les gars, nous ne sommes pas encore en vacances. Bougez-vous ! Jean, s’il te plaît, va m’installer les contacteurs dans le local électrique, gronda Kimi. Alors que Gérald et Stephan faisaient le tour du chantier, une explosion retentit. Jean sortit du local en criant. - Vite, un extincteur ! Il y a le feu dans l’armoire électrique. À l’intérieur du local, désespéré, Gérald s’approcha de l’armoire électrique en feu tandis que Stephan cherchait l’extincteur. Trépignant devant l’entrée, Jean s’égosillait en appelant le reste de l’équipe. Kimi, Jean-Roger et Manolo, qui travaillaient à quelques mètres de là, arrivèrent à la rescousse. - Il n’y a pas d’extincteur ici, récupérez-en un dans le bâtiment 52 ! cria Stephan, sortant du local au milieu d’un gros nuage de fumée. 151 Malheureusement, le temps qu’ils reviennent, l’armoire électrique avait complètement brûlé. Par chance, il n’y avait que celle-là de détruite, les autres étaient sauvées. Après avoir arrêté le feu, Gérald regarda le désastre en se lamentant. - Merde… Oh non, c’est un cauchemar. Jean, bordel ! T’es un vrai gland ! hurla-t-il. - Ben, j’y suis pour rien ! Ce n’est pas ma faute si vous achetez du matériel de mauvaise qualité. - Nous n’aurons jamais fini mercredi, se désespéra Kimi. - Il faut prévenir Haton, suggéra Stephan. - Je n’appelle pas, répliqua Gérald, secouant les mains en signe de refus. - Moi non plus, ajouta Kimi. - Pff, les gars, merde ! Je vais encore me faire avoiner. Jean, tu abuses, j’en ai assez de passer pour un guignol ! Sans parler des chefs de Marcoule, ils vont débarquer en gueulant. Ça recommence, soupira Stephan. - Toute façon, il me vire mercredi… murmura Jean, l’air détaché. - Tu ne l’aurais pas un peu trafiqué, ce contacteur ? demanda discrètement Manolo. - Chut… répondit Jean en faisant un clin d’œil. Jean-Roger observait les intérimaires en souriant. Il avait compris que Jeannot voulait se venger et retardait le chantier. Ainsi, il resterait quelques jours de plus. - C’est bon, je me sacrifie une fois de plus. Je remonte à la boîte ! À plus tard, je vous tiens au courant, souhaitez- moi bonne chance », lâcha Stephan, dépité. 152 14 Les membres de Neutrino étaient réunis chez Tibère pour commémorer le mythe osirien d’après les anciennes traditions égyptiennes. Au premier étage, l’historien avait fait construire la réplique miniature du temple d’Abydos dédié au culte du dieu Osiris. Dans la pénombre, Stephan, assis sur un large banc en granit, juste à côté des trois jolies déesses, attendait impatiemment le début de la séance. Derrière lui, une cinquantaine de membres assistaient eux aussi à la cérémonie. Face à l’autel éclairé par des lampes à huile, Osiris était allongé, immobile et majestueux, à l’intérieur de l’embarcation sacrée, ornée d’or et de pierres précieuses incrustées dans le bois : la barque Neshmet. Les bras croisés, le visage recouvert d’un magnifique masque doré, il serrait entre ses mains le fouet Nekhakha et le sceptre Heqa. À côté de lui, sur un guéridon en cuivre, il y avait la couronne rouge de la Basse-Égypte (Deshret) et la couronne blanche de la Haute-Égypte (Hedjet), qui symbolisaient le pacte de fraternité entre les membres de Vaison et d’Avignon. Maât, solennel, posa les mains sur les deux couronnes, comme pour veiller à l’équilibre des deux terres. Soudain, cinq individus masqués, vêtus de longues tuniques en lin, s’approchèrent et soulevèrent l’embarcation. Face à eux, il y avait une autre personne, 153 vêtue uniquement d’une espèce de robe noire et blanche, et le visage dissimulé derrière un masque d’ibis. Stephan ne le connaissait pas encore. C’était le mystérieux Thot, le dieu lunaire dans la mythologie égyptienne. En tête du cortège, il guidait la barque sacrée que les hommes masqués posèrent quelques mètres plus loin, en longeant un long couloir, dans une espèce de bassin rappelant le lac sacré d’Abydos. « La scène évoque le passage d’Osiris entre les deux mondes, chuchota Sekhmet dans le creux de l’oreille de Stephan. Thot éteignit les lampes à huile, et la grande Isis apparut, portant une tunique ample et brillante. Stephan, stupéfait, l’observait se déplacer à travers la pièce comme un feu follet. Un silence inquiétant régnait dans la salle. Isis tendit les bras face à l’embarcation en brandissant la croix de vie. Tout à coup, un étrange phénomène se produisit, et une sorte d’ectoplasme ou de lymphe translucide sembla sortir du corps d’Osiris. Une lumière blanche et aveuglante scintilla dans l’obscurité. Au même moment, un souffle froid effleura la nuque de Stephan qui frémit. Paniqué, il se retourna mais ne vit que les grands yeux écarquillés d’un des membres de Neutrino. - Isis transmet son énergie vitale, son puissant Kâ, annonça Bastet. Stephan ressentit une douce chaleur envahir son corps lorsque Isis prononça des incantations en levant les bras au ciel. Puis Osiris se leva miraculeusement, entouré d’une magnifique aura dorée. Dans la stupéfaction générale de l’assemblée, Thot avait disparu, et Osiris était ressuscité. - C’est ahurissant, bredouilla Stephan en faisant les yeux doux à Sekhmet. 154 Maât alluma la lumière et Tibère apparut en pleine béatitude, entre Isis et Osiris. Face à l’assemblée, il prononça un discours : - Mes chers amis, je vous remercie d’être tous présents pour la cérémonie annuelle du grand Osiris. Ressentez son Kâ tout-puissant qui vibre en ces lieux, et n’oubliez jamais que l’énergie est source de vie. Elle demeure éternelle et traverse les âges sans être altérée ! Oubliez tout ce que vous avez appris, et essayez de ressentir les vibrations les plus subtiles qui vous enveloppent. Le peuple égyptien vouait un culte au soleil. Nous aussi nous croyons en la puissante énergie qu’il dégage. Cependant, avec le temps, nous avons appris à percevoir de nouvelles vibrations… Voilà pourquoi nous avons appelé notre société : Neutrino. Le flux de neutrinos solaires – des particules élémentaires – est très important mais laisse peu de traces de son passage. Nous sommes comme cette particule : invisibles mais dotés d’une certaine énergie. Encore merci pour votre présence ! Avant de passer à table, je dois vous présenter un nouveau membre. Stephan, avance-toi s’il te plaît. Intimidé, le jeune homme s’approcha de l’autel, salua les membres et retourna rapidement s’asseoir sur le banc, sous les yeux amusés de Sekhmet. L’assemblée applaudissait le nouveau venu. Tibère reprit la parole et s’adressa à Stephan. - Nous effectuons chaque année le rituel sacré de la résurrection du grand Osiris. Cette cérémonie, qui est avant tout symbolique, permet de réunir les membres d’Avignon avec ceux de Vaison-la-Romaine, qui sont comme nos propres frères. À son tour Osiris prit le micro et se tourna vers Isis. - Pour clore la cérémonie, je tiens à remercier la grande Isis, qui depuis plusieurs années maintenant est présente à mes côtés, pour le meilleur et pour le pire. Un 155 grand merci aussi à Sekhmet, qui, avec l’aide de Bastet et d’Amémet, a permis de faire aboutir la mission. Bien évidemment, une pensée pour Amon et Râ qui ne peuvent être présents aujourd’hui car ils sont chez Anubis pour perpétuer le culte d’Amon. Encore merci à vous tous mes amis. Un repas sera servi au rez-dechaussée, dans l’hypostyle. Stephan s’approcha de Sekhmet et demanda, stupéfait : - Comment elle fait, Isis, pour dégager cette mystérieuse énergie ? - Tu n’as jamais ressenti le Kâ ? - Euh… Non ! - Le Kâ, c’est la vie. Il circule dans nos veines, nos organes, et chacune de nos cellules. Depuis des milliers d’années l’homme utilise son Kâ ; soit pour se régénérer, soit pour soigner, ou même pour communiquer. - Ah bon ! - Tu n’es jamais allé chez un acupuncteur ? - Si, pourquoi ? - Tu crois qu’il fait quoi lorsqu’il plante ses aiguilles ? - Je ne sais pas… Sekhmet sourit et secoua la tête en s’exclamant : - Tu es trop marrant ! Il utilise les méridiens pour te soigner. - C’est quoi un méridien ? - Un canal où circule l’énergie, que les Chinois appellent chi. L’aiguille permet de rétablir ou d’harmoniser celle-ci. - Le chi… répliqua-t-il, dubitatif. - Donne-moi tes mains, tu vas comprendre. Stephan, éberlué, tendit ses mains, et Sekhmet plaça les siennes au-dessus. Une chaleur brûla ses doigts, irradia l’ensemble de ses bras, puis remonta tout le long de sa colonne vertébrale. Sa tête tourna, ses oreilles 156 bourdonnèrent, et un sentiment de bien-être l’envahit. Puis subitement sa vue se troubla, et le visage de Sekhmet se transforma en celui d’une lionne rugissante entourée d’une magnifique aura dorée. Terrifié, il voulut se dégager, mais il ne pouvait plus bouger, il était paralysé. La belle déesse approcha ses lèvres contre les siennes. - Eh, mais tu m’as fait quoi ? cria-t-il, paniqué. - Tu as beaucoup de choses à apprendre encore… Une fois que tu auras la maîtrise du Kâ, alors peut-être que tu comprendras. - Tu m’apprendras ? C’est fabuleux de maîtriser une telle puissance ! - Bien sûr, répondit Sekhmet en lui touchant le bout du nez. Ses amis, qui observaient la scène à distance, s’approchèrent. - Ce n’est pas bien d’utiliser ses dons pour abuser d’un charmant jeune homme, dit Bastet avec un sourire complice. - Et toi, tu ne veux pas essayer avec moi ? demanda Zibus à la sublime Amémet. - Non, non… Tu es trop coquin toi ! répondit la belle brune aux yeux bleus. Stephan et Sekhmet se regardaient avec un sourire complice. La belle blonde ne répondit même pas à la remarque de son amie. Stephan, sous le charme, la dévorait du regard. Une étrange alchimie l’envoûtait. - Tu viens chez moi ce week-end ? Je te présenterai ma fille. - Tu veux que je fasse le ménage et la cuisine ? Avoue ! rétorqua la belle, ironique. - Mais non… N’importe quoi ! Nous irons nous promener… 157 - Je plaisante ! C’est avec plaisir que je viendrai à Saint-Paul si nous ne surveillons pas Set et Haken. - Si jamais nous ne retournons pas chez Haton, je t’appelle. Sinon, ça sera pour une prochaine fois ! - Ça va, on ne vous dérange pas trop ? râla Amémet, jalouse. - Laisse-les tranquilles, tu ne vois pas que tu les déranges ? intima Bastet. Mustang et Bob s’approchèrent des filles dans un nuage de fumée, un gros cigare à la bouche et un verre de vodka à la main. - Un havane, Amémet ? proposa le frère du Corse en lui lançant un clin d’œil. - Ou alors, un verre de vodka, ma douce brune sensuelle ? ajouta Bob, titubant au milieu de l’hypostyle sous le regard amusé d’Osiris qui connaissait bien l’énergumène. - Allez, vodka et havane, soyons folle ! Tandis que Sekhmet garnissait son assiette de saumon fumé, Gérald en profita pour discuter avec Stephan. - Il a gueulé Haton ? - J’ai complètement oublié de te rappeler, excuse-moi ! En fait, je pense qu’il devait préparer la soirée car il n’a même pas écouté ce que je lui disais. Il discutait avec quelqu’un au téléphone. - Tu lui as dit que l’armoire avait cramé ? - Oui, et il m’a braillé : “Débrouillez-vous, tout doit être fini mercredi. Je ne veux rien savoir !” Puis il a tourné la tête et a repris sa conversation. - Il est vraiment taré ce mec. Nous avons un problème avec les batteries des caméras : elles sont complètement déchargées ! Le Corse surveillait sa demeure, cet aprèsmidi, lorsqu’il a perdu le signal. Ça pose un gros problème pour mercredi. Tu penses que nous devons les changer ? 158 - Non, il ne faudrait pas qu’on se fasse surprendre. La mission est bientôt finie. Nous équiperons Bob avec une caméra bouton. - Et s’il se déshabille ? - On lui laisse en réserve un paquet de cigarettes équipé d’une caméra. - Cette fois, nous jouons nos dernières cartes, il nous faut absolument tout le monde sur la vidéo. Et nous devons aussi trouver des preuves qui accableraient le gérant du Lys. - Il faut tous les faire tomber ! Sekhmet, qui savourait son saumon fumé, s’approcha discrètement. - Et toi, toujours pas de nouvelles de Set ? demanda Gérald en fronçant les sourcils. - Aucune ! Il nous a peut-être oubliées… - Je ne pense pas, c’est sous-estimer tes charmes sauvages, lâcha Stephan. - Sauvages… - Oui, ton charme félin ! Un mélange animal et majestueux. - Animal et majestueux… », répéta Sekhmet, dubitative. Osiris, Isis, Maât et Tibère dînaient dans un coin de la salle, éclairés par une vieille lampe à huile. Isis semblait préoccupée. « Ça ne va pas Isis ? Ton Kâ vibre étrangement, tu as des soucis ? demanda Osiris, inquiet. Perplexe, elle regardait ses compagnons de ses grands yeux bleus. - Dis-nous ce qui ne va pas. - Hier soir, j’ai fait un rêve très étrange. Nous étions tous chez Amon, et nous nous promenions dans son 159 jardin. Soudain, le soleil a disparu, un voile noir a recouvert le ciel, et le serpent Apophis a jailli d’un gigantesque trou noir, pour tous nous éliminer. Au milieu de ce spectacle d’horreur, un enfant à la tête de faucon est descendu des cieux, entouré d’un splendide astre lumineux. Il a levé la main droite en brandissant l’ankh, et nous a tous ressuscités… - C’est un rêve, pourquoi tu t’inquiètes ? ajouta Osiris, surpris. - Mon Kâ vibre intensément ces derniers temps, tu m’en as même fait la remarque. C’est un mauvais présage. - Tu es peut-être fatiguée ? Tu devrais te reposer. - Je me trompe rarement, dit Isis, le regard sombre et la voix tremblante. - Restons sur nos gardes, on ne sait jamais. Devonsnous en parler aux membres ? demanda Tibère en se frottant le crâne. - Il ne faut pas les inquiéter. Attendons un peu, peutêtre que j’aurai de nouvelles visions. - C’est un jour sacré, oublions nos soucis et reposonsnous », suggéra Maât avec flegme. Stephan, Sekhmet et Gérald observaient les guides, inquiets. « Isis semble préoccupée. Elle n’a pas l’air dans son assiette. Ça ne lui ressemble pas ! remarqua Gérald. - Son Kâ vibre intensément, ce n’est pas normal, s’étonna Sekhmet. - Elle est peut-être simplement fatiguée. La cérémonie est éprouvante et demande une grosse dépense d’énergie, lâcha Gérald, songeur. - Je ne pense pas… C’est autre chose ! 160 - Et l’homme à la tête d’oiseau qui guidait la barque sacrée, il est passé où celui-là ? C’est la première fois que je le vois, demanda subitement Stephan. - Ce n’est pas n’importe quel oiseau d’abord, c’est un ibis. C’est le masque que portait Thot sur les peintures égyptiennes. Thot est le dieu de l’écriture et du langage, et le patron des scribes. Le seigneur du temps ! C’est lui qui assistait à la pesée du cœur pendant le Jugement dernier, répondit Gérald. - Pourquoi est-ce que personne ne m’a parlé de lui ? - Parce que nous ne le connaissons pas vraiment. Il vient uniquement pour célébrer le culte d’Osiris et disparaît aussitôt ! Je sais que parfois, il rencontre les guides mais ce n’est qu’en de très rares occasions. - Mais il vient d’où ? - C’est un mystère… Il a contacté Osiris au tout début de la création de Neutrino, à une époque où il était dans l’incertitude la plus totale sur l’évolution du groupe. Le plus étonnant, c’est qu’Osiris n’en avait parlé à personne… Thot lui a dit que Neutrino devait être créé pour perpétuer les croyances égyptiennes, puis il a fait de surprenantes révélations. - On nage en plein délire ! Et c’était quoi ces révélations ? - Personne ne le sait. Osiris n’a jamais voulu les dévoiler. - Et c’est Osiris qui l’a surnommé Thot ? - Non, c’est lui ! Il a déclaré : “Les humains m’appellent Hermès Trismégiste, le trois fois grand ! L’éternel de ce monde.” - Je ne comprends pas, s’il dit qu’il se nomme Hermès Trismégiste, pourquoi l’appelle-t-on Thot ? - Hermès Trismégiste est l’équivalent du dieu égyptien Thot ! Les hermétistes lui attribuent le traité Corpus Herméticum et la Table d’émeraude, ainsi que d’autres 161 ouvrages tel que l’Asclépius. Néanmoins, les érudits ont toujours pensé qu’il n’existait pas, que ce n’était qu’une légende. Cependant, d’anciens manuscrits égyptiens relatent la présence d’un homme mystérieux à la tête d’ibis qui apparaissait à des périodes de troubles, de guerres et de cataclysmes. - Mais l’Égypte n’est pas le centre du monde. Réveillez-vous ! Il faut arrêter de croire que des êtres surnaturels naissent dans ce pays ! s’exclama Stephan, agacé. - L’Égypte est la terre des hermétistes : “Ignores-tu donc, Asclépius, que l’Égypte est la copie du ciel, ou, pour mieux dire, le lieu où se transfèrent et se projettent ici-bas toutes les opérations qui gouvernent et mettent en œuvre les forces célestes ? Bien plus, s’il faut le dire, notre Terre est le temple du monde entier”, rétorqua Sekhmet. - C’est des légendes tout ça ! Personne ne peut traverser les âges éternellement. Peut-être que certains possèdent des dons mystérieux mais je ne pense pas qu’il y ait une quelconque puissance surnaturelle énergétique. Enfin… peut-être que je me trompe ! - Tu as tort, j’ai assisté à des événements étonnants. Certains êtres humains possèdent un tel degré de développement spirituel qu’ils peuvent réaliser des miracles. Le père d’Isis était un grand hermétiste. Et le but des alchimistes ou des hermétistes n’était pas de transformer le plomb en or, comme le disaient de vieilles légendes parlant de la pierre philosophale, mais plutôt d’atteindre des niveaux spirituels supérieurs. C'est-à-dire de purifier son âme pour maîtriser l’énergie céleste ! Le Corpus Hermeticum, la Table d’émeraude, ou encore le Kybalion, transmettent aux hommes l’ultime savoir. Osiris a même retrouvé un texte arabe très ancien qui raconte l’histoire d’un homme mi-dieu mi-humain qui 162 revenait à des époques de troubles. Il apportait la sagesse dans le cœur des plus récalcitrants et disparaissait en leur laissant un message d’espoir. Stephan observait Sekhmet, décontenancé. Il est vrai qu’il avait pu observer, ces derniers jours, d’étonnants rituels magiques. Bastet, Sekhmet et Isis étaient capables de réaliser des miracles, mais de là à gober l’histoire d’un homme qui depuis des millénaires transmigrerait pour guider l’humanité… - En plus, cette année, Thot est venu régulièrement chez Osiris, d’après Isis. C’est un mauvais présage ! ajouta Sekhmet. - Pourquoi ? D’habitude il ne vient que pour le culte d’Osiris ? - Oui, uniquement pour le rituel de résurrection du guide. - Tu penses sincèrement que quelque chose va se produire ? - C’est certain… - Je ne crois pas à toutes ces légendes. Peut-être que vous avez de mystérieux pouvoirs mais ça s’arrête là ! Tu m’as parlé de manuscrits, vous étudiez aussi les textes anciens ? - Bien sûr, comment crois-tu que nous ayons appris tout ce que nous savons ? Certains d’entre nous étudient les hiéroglyphes, le grec, le latin, l’hébreu et même l’araméen. Crois-moi, même si notre science est pointue, nous avons perdu notre sagesse. Les Anciens possédaient une connaissance qui dépassait largement la nôtre au point de vue de la spiritualité et de la maîtrise de ces énergies subtiles. - Tu crois que les hommes ont perdu leurs repères ? - Oui, et l’humanité s’égare. Nous entrons dans une période difficile ! - Elle s’égare ? 163 - L’homme construit des machines stupéfiantes à la pointe de la technologie, cependant, il ne se connaît toujours pas ! Pire, il régresse. Observe tes supérieurs, tu verras qu’ils ne sont pas plus évolués qu’une bande de jeunes adolescents. L’avidité et le pouvoir dominent le monde depuis la nuit des temps. Avant, il y avait des monarques égocentriques et mégalomanes qui se disputaient des territoires en semant la terreur. Et aujourd’hui ? Crois-tu que nous ayons beaucoup changé ? Cette cupidité demeure dans nos gènes comme un virus, même si les hommes dans nos sociétés civilisées ne massacrent plus leurs congénères à coups de hache, ils utilisent néanmoins de nouvelles méthodes tout aussi redoutables et beaucoup plus perverses. À y réfléchir de plus près, entre massacrer un homme pour obtenir le pouvoir ou le détruire à petit feu, au fil des années, pour obtenir un poste au sommet de la hiérarchie, quelle est la méthode la plus perverse ? Ainsi, de nos jours, ces sadiques ont le plaisir d’observer leur proie dépérir lentement, comme un chat qui s’amuse avec la souris avant de la dévorer vivante, et qui se délecte ensuite de ce triste plaisir. - Je ne comprends pas le message que tu veux me faire passer… - Étudie les textes sacrés, les manuscrits anciens, et apprends à te connaître, alors tu comprendras ! - Reverrai-je Thot ? - Seul lui le sait, ajouta Sekhmet. - Tu sais tellement de choses, ne doutes-tu jamais ? - L’homme demeure perpétuellement dans le doute. Si je ne doutais pas, je serais comme Thot. - C’est-à-dire ? - Une source d’énergie, et mon corps ne serait plus une barrière. 164 - J’avoue que tout cela me dépasse. Peut-être qu’avec le temps, je comprendrai ton discours. Il se fait tard, je dois rentrer. On se voit ce week-end, alors ? - S’il n’y a pas de missions, je viendrai faire un petit tour à Saint-Paul », rétorqua Sekhmet, radieuse, en déposant un doux baiser sur son front. Dans sa voiture, tout en conduisant, Stephan repensait à la cérémonie. La présence de Thot et l’état alarmant d’Isis… tout cela n’était pas un bon présage. Il n’arrivait pas à faire disparaître cette angoisse qui lui collait à la peau. Il augmenta le volume de la radio pour chasser les terribles pensées qui l’assaillaient. Subitement, le visage de la belle Sekhmet traversa son esprit. Il avait envie de la serrer très fort contre lui, et de l’embrasser langoureusement. Lorsqu’ils étaient ensemble, il se sentait en paix. La belle blonde aux yeux vert émeraude réchauffait son cœur malade. 165 15 Sekhmet se leva de bonne humeur. Elle se sentait si légère en pensant à Stephan. En ouvrant les volets de sa chambre, elle respira à pleins poumons l’air frais de ce doux matin d’octobre. Le soleil venait de se lever et le paysage prenait une teinte jaune orangé. Les herbes et les feuilles perdaient leur couleur vert Véronèse, l’automne s’installait lentement. Tandis qu’un merle tentait d’attraper un morceau de nourriture, un vieux chat sauvage l’observait, camouflé derrière un buisson, prêt à bondir. La déesse lionne fixa le félin intensément, et ce dernier détala à toute allure à travers le jardin, terrifié. De sa fenêtre, elle pouvait contempler le fort SaintAndré, perché en haut de la colline. En montant au deuxième étage, elle pouvait même admirer la tour Philippe le Bel et le palais des Papes. Sekhmet habitait Villeneuve-lès-Avignon depuis son plus jeune âge. À la mort de ses parents, elle était restée dans l’ancienne maison familiale par nostalgie. L’été, ses amis venaient prendre le thé, à l’ombre du grand platane, assis sur de gros blocs de pierre. Tous lui enviaient ce lieu paradisiaque où, en plein centre-ville, elle possédait un magnifique jardin à côté du marché provençal. Le samedi, elle chinait au milieu des brocanteurs, à la recherche de vieux meubles à restaurer, et le jeudi matin, 166 elle achetait les produits régionaux aux paysans du coin pour préparer ses étranges mixtures. La vie de la belle blonde ressemblait à celle d’une princesse car ses parents lui avaient laissé un gros héritage qui la mettait à l’abri du besoin pour les années à venir. Vers 9 heures, alors qu’elle buvait un café en écoutant les informations, elle connecta sa deuxième puce de téléphone cellulaire qui lui permettait de rester anonyme. La puce n’était associée à aucun nom, et elle la rechargeait avec une banale carte téléphonique, achetée à n’importe quel buraliste. Sekhmet sursauta. Set lui avait laissé un message. Il invitait les trois amies à la soirée d’Haton. Un frisson la parcourut des pieds à la tête. Paniquée, elle appela aussitôt Isis, Bastet et Amémet. Une fois qu’elle eut mis tout le monde au courant, elle contacta Stephan, le cœur battant la chamade. Lorsqu’il sut qu’elle était invitée, il frémit. « Je ne pourrai pas être à l’intérieur du château, mais je te surveillerai de l’extérieur. Si par malheur il y en a un seul qui pose la main sur toi, je ne réponds pas de ma réaction, rumina Stephan, en colère. - Arrête, je sais me défendre, ne sois pas sot ! Calmetoi ! Tu risques de faire foirer la mission. - Ça m’énerve… Je ne sais pas pourquoi ! Je crois que… - Je sais… Moi aussi… Ça me fait peur, mais c’est tellement agréable. Tu me manques… - Vivement que cette mission se termine et qu’Haton et ses complices aillent au diable. - Neutrino est toute ma vie. Osiris et Isis sont la seule famille qui me reste. Je tenterai tout pour eux car ils ont été présents dans les moments les plus difficiles. 167 - Cette nuit, nous jouons nos dernières cartes. Après, Amon transmet l’affaire à son ami commissaire. Nous devons coincer tout le monde ! Pourvu que tout se déroule sans problème et que nous puissions sauver ces pauvres filles. - N’aie aucune crainte, tout va se dérouler comme prévu. Ce n’est pas notre première affaire. - Bonne chance pour ce soir, et n’oublie pas que nous sommes là… Bisous ma princesse. » Vingt et une heures. Bob Martinez, les cheveux laqués, un havane à la bouche et vêtu d’un magnifique costume noir, ouvrait la porte du Lys. Bremond et Rouel l’attendaient à une table au fond de la salle. Face à eux, la sublime Jade ondulait son corps dans un rythme endiablé. « Prêt pour une soirée de folie ? demanda Bremond, les yeux brillants. - Comme toujours ! - As-tu l’argent ? Je dois donner sa commission au patron du Lys. Maintenant que nous sommes en bizness, je peux te dévoiler qu’une partie des filles couchent ici et que nous lui reversons un salaire. - Voilà les billets, il y a le compte ! Les filles sont ici ? Mais… dans des appartements privés ? - Bien évidemment ! Le patron du Lys possède tout l’immeuble. Il héberge une dizaine de filles venues de l’Est, de sublimes demoiselles au corps parfait. C’est un de nos collaborateurs qui se charge de la sélection. Il habite en Espagne et va jusqu’à l’autre bout du monde pour dénicher les perles rares. Avec mon associé, nous avons décidé de travailler avec les Espagnols. Au moindre problème, nous filons là-bas, vers Barcelone. Il ne faut pas mettre tous les œufs dans le même panier. 168 Puis par expérience, je peux te dire qu’il faut savoir tout abandonner quand le moment est venu. Dans la voiture, assis entre le Corse et Patrick, Stephan contenait sa colère en écoutant les propos de Bremond. - Quelle ordure ce type. Vous avez entendu comment ils exploitent ces pauvres filles. S’il touche un seul cheveu de Sekhmet, je le décapite ! - Calme-toi, nous devons rester tranquilles, ne t’énerve pas », intima Patrick, imperturbable. Jade se déhanchait autour de Bob, comme un serpent démoniaque. Déchaînée, elle posa sa jambe sur son épaule en retirant son bas. « Tu en veux encore mon chéri ? Glisse un billet entre mes seins, et tu découvriras le paradis, proposa Jade, docile. Bob plaça un billet de cinquante euros au creux de l’opulente poitrine de la belle danseuse qui retira sa robe de cuir. Vêtue uniquement d’un soutien-gorge et d’un string rouge vif, elle se frottait contre Bob. C’est le gérant du Lys qui avait découvert la sulfureuse brune au fond de la Toscane, alors qu’elle avait à peine 16 ans. Dix ans plus tard, la jeune adolescente était devenue cette superbe femme plantureuse, la mascotte du Lys. Ses longues jambes interminables, sa crinière brune et ses grands yeux en amande : elle avait ce charme italien qui enlève toute lucidité aux hommes. Son petit accent était la touche finale à cette œuvre du Créateur. Nombreux sont ceux qui ont succombé à cette beauté ! Tel le Sphinx protégeant les pyramides, elle était la gardienne du Lys. 169 Elle ôta son soutien-gorge et promena ses seins sur le visage de Bob. Ensuite, elle laissa glisser son string le long de ses jambes. - Tu veux qu’on prenne une chambre ? demanda-t-elle avec un regard de braise. Bremond se leva aussitôt et lui dit : - Laisse-nous à présent, nous devons parler affaires ! Rageuse, elle partit se déhancher dans la cage en jetant un terrible regard à Bremond. - Quel tempérament celle-là ! Elle est pénible quand elle réagit comme ça. De toute manière, ce n’est qu’une allumeuse, elle ne va jamais plus loin. - Ah bon, pourquoi donc ? - Tout simplement parce que c’est la préférée du patron, et il se réserve le choix de ses partenaires. Bob blêmit. Inquiet, il jeta un coup d’œil furtif en direction du bar. Heureusement, le directeur s’occupait d’un couple qui venait d’arriver. Rouel éclata de rire et ajouta : - Ne fais pas cette tête, ils sont échangistes. Tu n’as rien à craindre. Elle arrondit ses fins de mois en faisant quelques numéros de striptease. - Kelly, dépêche-toi, apporte le champagne, tu as encore oublié de nous servir, intima Bremond à une belle blonde. Immédiatement, la superbe créature courut chercher la bouteille. - Voilà monsieur Bremond. Excusez-moi, j’avais complètement oublié de vous l’apporter… - Kelly, tu oublies les bonnes habitudes, fais attention. Tu sais qu’il y a beaucoup de filles qui aimeraient avoir ta place… - Oui je sais, pardonnez-moi monsieur Bremond ! Je n’oublierai plus. - Bien ! Laisse-nous à présent. 170 - Je pense que Bob a le droit de rencontrer nos petites protégées maintenant, non ? suggéra Rouel. - Bob, ça te dirait de voir les filles et de choisir celle avec qui tu passeras la soirée ? - Euh… Oui, bien sûr ! - Buvons nos coupes de champagne, et direction l’île de Circé. Attention au chant des sirènes mes chers collègues ! » reprit Rouel, très excité. Tandis que Jade poursuivait son show devant de nouveaux clients séduits par les charmes de la belle Italienne, Bob, Rouel et Bremond terminaient la bouteille de champagne. L’œil brillant et la tête lourde, Rouel appela le patron. « Angelo, tu peux dire à Kelly de nous apporter une autre bouteille de champagne, s’il te plaît ? - Je mets la mienne ! Kelly, dépêche-toi, viens ici ! J’ai besoin de toi pour le service ! hurla Angelo, en colère. La jeune blonde se trémoussa devant son patron comme pour se faire excuser son retard. Souriante, elle lança naïvement : - Encore un client qui ne voulait plus me lâcher, tu sais comment ils sont. Ah la la… - C’est ça, arrête ton cinéma, et amène-moi ça là-bas, vite, rumina Angelo. - Mais je ne vous mens pas, protesta-t-elle. - Kelly, tais-toi ! - Mais… je… - Kelly, on ne te demande pas de parler ! Tu montres ton cul et tu prends la commande des clients, ça suffit amplement. Apporte-nous cette putain de bouteille de champagne, merde ! vociféra Bremond. 171 La jolie serveuse baissa la tête comme une petite fille qu’on venait de gronder, et déposa la bouteille sur la table sans ouvrir la bouche. Honteuse, elle partit rapidement s’occuper des autres clients. - Heureusement qu’elle use de ses talents avec Angelo, sinon ça fait un moment qu’elle aurait giclé celle-là ! - Elle aussi ? dit Bob, stupéfait. - Tu crois quoi ? C’est le patron, il fait ce qu’il veut ! Stephan serrait les poings en faisant des bonds sur son siège. Au bord de la crise de nerfs, ulcéré, il avait envie de donner une bonne correction à ces monstrueux individus. - Arrête de t’énerver, maîtrise-toi, gronda Patrick, agacé par le comportement de Stephan. - C’est inadmissible, tu entends leurs propos ? Ils parlent de ces filles comme de la nourriture. - Laisse faire, la roue tourne, et lorsque le moment sera venu, ils le payeront très cher, ajouta le Corse calmement. - Ces hommes ne méritent pas de vivre ! rétorqua Stephan. - Tiens, c’est nouveau ! Je croyais que tu étais contre le crime ? s’exclama le Corse, étonné. - J’ai changé d’avis. Ils traitent les filles comme de la viande. Ils les frappent, les droguent, abusent d’elles et les cloîtrent dans un vieil immeuble d’Avignon. Ils ont pleinement conscience de leur tyrannie, par conséquent, ils méritent la peine capitale. La loi du talion : œil pour œil, dent pour dent ! - Osiris a décidé que la peine capitale ne serait plus appliquée. Ces derniers temps, il est très proche du préfet et des commissaires… Avec Maât et Amon, lors de la dernière réunion, ils ont finalement décidé à l’unanimité que le niveau 1 ne serait ordonné qu’en dernier recours ! » annonça Zibus. 172 Ivre, Rouel se leva et tituba à travers la salle en criant à Angelo : « Alors, tu nous ouvres la porte magique ! Nous voulons voir les jolies Hongroises. - Tais-toi un peu, ne parle pas si fort, les clients vont entendre. Bremond, agacé, attrapa Rouel par le col de sa chemise. - Tu es devenu fou ? Calme-toi, tu vas nous faire remarquer. - Nous y allons ou on couche ici ? ajouta-t-il, les yeux globuleux et la respiration saccadée. Bremond fit un geste de la main et Bob se leva aussitôt. Discrètement, ce dernier suivit les trois hommes dans un long couloir éclairé par un vieux lustre des années soixante. - C’est plutôt sombre… - Pour la discrétion, signala Angelo. L’Italien déverrouilla une porte blindée qui débouchait sur un long couloir. - Voici l’Éden, ouvre grand les yeux car tu vas découvrir les merveilles de ce monde, annonça Rouel en pleine extase. - Tu veux voir toutes les filles ? demanda Bremond en relevant les sourcils. Bob acquiesça, et Angelo ouvrit les portes de chaque studio, où résidaient les jeunes femmes. Elles logeaient par groupes de deux, dans des pièces plutôt rudimentaires. - Alors ? Elles te plaisent les poupées ? Deux jeunes Ukrainiennes, l’une blonde, l’autre brune, allongées sur des petits lits en bois, se reposaient en écoutant de la musique. Elles ressemblaient à ces jeunes mannequins anorexiques que l’on peut admirer dans les 173 magazines de mode. Une très grande tristesse pouvait se lire sur leur visage d’ange. - Très jolies… - Tu veux voir les autres ? - Allez… Angelo claqua la porte et ouvrit le deuxième studio. - Voici les Hongroises, elles sont sublimes. Admire leur corps parfait ! Ce sont mes préférées ! - De vraies déesses, répliqua Bob sous le charme. - Szeréna, souris un peu, et arrête de faire cette tête de chien battu. Et toi Irina, tu te dépêches ? C’est quoi cette tenue ? La belle Irina laissa glisser sa serviette le long de son corps et se retrouva nue devant ses tortionnaires. - Ce soir, c’est une soirée très importante, il y aura nos plus gros clients, alors habille-toi sexy. Elle baissa la tête et s’exécuta aussitôt. Szeréna, quant à elle, semblait ailleurs et avait l’air très fatigué. Rouel et Bremond dévisageaient les pauvres filles comme du bétail. Habituées, elles n’y prêtaient même plus attention. - Szeréna n’a pas l’air bien, remarqua Bob. - Un petit coup de pompe, ça passera ! - Elle est très mince… Vous croyez qu’elle mange assez ? - Bien sûr, elles ont droit à du thon, des carottes, de la salade… Puis, tu sais, elles n’ont pas besoin de beaucoup manger, les clients n’aiment pas les filles enrobées. Bob, ému par le regard si sombre de la jeune femme, décida de la choisir. - Je veux Szeréna pour la soirée, lança Bob, décidé. En entendant son prénom, la belle Hongroise releva la tête. Ses yeux étaient d’un magnifique vert émeraude, et sa chevelure blonde platine flottait le long de son dos. 174 - Allez, debout, dépêche-toi, intima Bremond en lui tapant sur les fesses. Szeréna obéit et se leva instantanément. Elle ressemblait elle aussi à ces mannequins que l’on peut observer lors des défilés de haute couture. Grande et longiligne, face à elle Bremond ressemblait à un vilain crapaud. - Voilà, elle est à toi pour la nuit, amuse-toi bien. Il est déjà 22 heures, nous devons nous rendre au château de notre hôte. Dépêchons-nous, tu découvriras les autres princesses la prochaine fois ! » 175 16 Set avait donné rendez-vous à Sekhmet et ses amies au château d’Haton. Il les attendait avec impatience devant le portail de l’entrée principale en compagnie d’Haken. Elles arrivèrent à 21 heures précises. « Pile à l’heure, les filles ! Je vous félicite pour cette ponctualité ! s’exclama Set. - Je gare la voiture à l’intérieur ou je la laisse dehors ? demanda Sekhmet d’une voix chaude et suave. - Un de mes hommes va s’en occuper. Jess ! Viens par ici, dépêche-toi ! hurla le fils d’Haton en secouant le bras. Un grand type blond, les muscles saillants et le visage patibulaire, arriva en courant. - Gare la voiture ! intima Haken. Les jeunes femmes sortirent du véhicule avec beaucoup de grâce et suivirent Haken en direction du château. - Tu ne nous as toujours rien dit, c’est quoi cette soirée ? demanda Amémet, curieuse. - Tu verras… rétorqua Set en souriant. - C’est une soirée privée ? lança Sekhmet en jetant sa longue chevelure blonde en arrière. - Vous êtes curieuses les filles, ce sera une surprise, ajouta Haken, amusé. 176 Haton était devant l’entrée du château, un verre de whisky à la main, et discutait avec un type à l’allure étrange. Lorsque Sekhmet l’aperçut, son sang se glaça. - Voici mon père ! Papa, je te présente mes copines dont je t’ai parlé hier. Enchanté de faire votre connaissance mesdemoiselles, lança Haton en inspectant les filles de haut en bas comme du bétail. Le directeur s’avança et salua les splendides déesses. Elles eurent toutes les trois la même réaction de dégoût en lui serrant la main. Tout en lui semblait mauvais. - Mon fils ne m’avait pas menti, vous êtes vraiment magnifiques ! Sekhmet détaillait Haton. Vu de près, il était encore plus horrible que sur les vidéos. Petit, gros, le visage allongé, il était hideux. Heureusement pour lui, son fils devait avoir hérité de sa mère car il était grand et mince. Cependant, il avait le même visage allongé de son père : la gueule caractéristique de la famille Haton. - Rejoignez les invités, un buffet est servi dans le salon. Je vous rejoindrai plus tard, j’ai une affaire à finir. - Nous serons peut-être à l’étage », rétorqua son fils avec un regard de fouine. Son père ne répondit pas mais esquissa simplement un sourire qui en disait long. Dans le salon, une vingtaine d’invités savouraient des toasts au caviar, une coupe de champagne à la main. Aux bras des hommes d’affaires fortunés, il y avait de jeunes femmes au teint clair, avec de longs cheveux blond platine. « Il y a tout le gratin de la région, lança Haken en désignant les convives. 177 - Ils sont tous millionnaires ? reprit Sekhmet en rentrant dans son jeu. Haken sourit à nouveau. - Oui, ce sont eux qui possèdent les plus grosses entreprises de la région. Et même du Sud de la France… - Leurs épouses sont magnifiques, ajouta Amémet, le regard perçant. - Euh… ce ne sont pas vraiment leurs compagnes. C’est… Comment dire ? Des dames de compagnie ! Ils ont tellement de responsabilités, il faut qu’ils décompressent. - Je comprends, ça doit être si dur… - Ah, enfin une femme qui a l’esprit ouvert ! s’exclama Set. - Ce sont des call-girls, pour employer le mot exact, reprit Bastet qui n’avait pas encore ouvert la bouche de la soirée. - Call-girls… Pas vraiment, je ne sais pas trop quel terme précis on pourrait employer. - Call-girls, tout simplement ! affirma Bastet. - Alors nous avons aussi des show-girls, puisque certaines ne font que des shows érotiques dans la cage ! répliqua Set en riant à pleins poumons. - Bon, vous buvez quoi les filles ? - Champagne ! » reprirent en chœur les trois déesses. Tandis que Set et Haken discutaient avec Amémet et Bastet, la déesse lionne dirigeait discrètement sa caméra miniature dissimulée sous sa veste, en direction des invités. Pivotant d’un demi-tour, elle filmait les mains baladeuses des riches industriels qui glissaient le long des jupes. Dociles, les jeunes femmes cambraient leur buste. Soumises, elles ne refusaient aucune caresse et entrouvraient même leur décolleté. 178 À une centaine de mètres du château, camouflés derrière un bosquet, les membres de Neutrino surveillaient l’entrée principale. Mustang, à l’avant du véhicule, l’ordinateur portable sur ses genoux, réceptionnait le signal que lui transmettait Sekhmet. En temps réel, il compressait la vidéo, et Zibus la renvoyait directement à Amon. « Tu n’as pas peur qu’un haker, ou n’importe qui, puisse retrouver celui qui transmet les données ? demanda Stephan. - Ils ne pourront pas voir mon adresse IP. J’utilise un logiciel dont j’ai moi-même développé l’algorithme, et qui me permet de découper le signal en plusieurs paquets, tout en passant par plusieurs proxys. - Cette semaine, les hommes d’Armand prennent la relève. Avec tout ce qu’on va leur fournir comme preuves, Haton n’est pas près de sortir de prison ! dit Mustang. - Je viens de lui transmettre la vidéo que Bob a filmée au Lys. Notre cher Angelo recevra une petite visite de la police très bientôt. Quant à Haton, il devra oublier son célèbre Lady Blue… conclut Zibus. Stephan observait le moniteur tout en écoutant la conversation de Sekhmet. Tel un lion en cage, il était prêt à bondir sur sa proie si quelqu’un touchait sa protégée. - Si jamais ça se passe mal, j’interviens ! ragea-t-il en serrant la crosse de son Sig Sauer P 226. - Tu ne feras rien du tout, elles se débrouillent seules, gronda le Corse qui balayait les alentours avec sa visée nocturne. - Tu ne comprends rien toi ! À part tes armes et le combat, il n’y a rien d’autre dans ta vie, rétorqua Stephan, agacé. 179 - Il y a Neutrino, et c’est déjà beaucoup. Grâce à nous, de jeunes adolescents ne tombent pas dans l’enfer de la drogue et des jeunes filles évitent la prostitution. Stephan baissa la tête et comprit qu’il était allé trop loin. - Excuse-moi, je parle comme un imbécile. - Ce n’est pas grave, tout le monde peut craquer. Nous avons tous nos moments de faiblesse. » Bob arrivait enfin au château en compagnie de la belle Szeréna, tandis que Rouel serrait contre lui Irina, vêtue d’une tenue très sexy. Elle portait un haut noir moulant qui laissait entrevoir sa généreuse poitrine, une minijupe en cuir et des cuissardes. Les deux Hongroises n’avaient pas du tout le même comportement. Irina s’accommodait plutôt bien de ce rôle de garce soumise tandis que Szeréna semblait profondément triste. Son regard trahissait un immense chagrin. Bremond, un cigare à la bouche, marchait en tête de file. Lorsqu’il pénétra dans la salle de réception, il salua chaque invité par son prénom. Haton s’approcha des nouveaux venus. « Bob Martinez, je présume ? - Oui, lui-même ! - Enchanté, Bremond m’a déjà parlé de vous ! J’espère que vous allez passer une agréable soirée en compagnie de nos charmantes créatures. - Je vous remercie de m’inviter dans un tel palace. - Vous êtes ici comme chez vous, le château est à votre disposition. Je suis désolé, mais je ne peux pas rester plus longtemps. Je dois rejoindre ma femme à Marseille. Nous aurons l’occasion de nous revoir. Bonne soirée ! - Merci monsieur Haton, bonne soirée à vous aussi. 180 Le directeur tourna les talons et disparut dans la pièce voisine. Haton pouvait être le pire des prédateurs face à ses adversaires mais devant ses associés, il devenait un autre homme. Son faciès méprisant et ses yeux de vipère s’adoucissaient. Au moment opportun, il savait user d’un charisme insoupçonné, au point que même ses collaborateurs les plus proches ne le reconnaissaient plus. - Si nous passions aux choses sérieuses ? lâcha Rouel, impatient. - Ce soir pas de bêtises, tu n’abuses pas des filles du Lady, je ne veux plus de violence. - Tu me connais. - Oui, c’est d’ailleurs pour ça que je te préviens. - Les Russes du Lady Blue représentent la basse classe, de simples passe-temps, rien de plus ! Ce n’est pas comme les filles du Lys… Regarde ma belle Irina, une vraie princesse hongroise ! Bob écoutait Rouel, abasourdi. Il y avait donc plusieurs catégories de filles… Celles du Lys devaient être certainement des call-girls, quant à celles du Lady Blue, elles assouvissaient les fantasmes les plus bestiaux. Dans quelles conditions ces abominables tyrans retenaient-ils ces pauvres filles prisonnières ? Haton avait créé au fil des années, en toute illégalité, un système bien rodé et très lucratif. Hésitant, Bob demanda : - Une dernière question… Les Russes du Lady Blue sont-elles parmi les invités ? - Bien sûr que non, elles attendent sagement aux étages que leurs fougueux étalons viennent les dompter, répondit Rouel, sarcastique. - Mais pourquoi donc ? 181 - Les plus jolies filles sont ici, aux bras des invités. Les autres servent simplement à assouvir les fantasmes primaires. - Quel genre de fantasmes ? - Hum… Sado-masochisme, bondage… Ils les attachent, et parfois les violentent un peu… - Les violentent un peu ? s’exclama Bob, terrifié. - Juste quelques bleus, quelques ecchymoses, rien de bien méchant ! Tu sais, si elles étaient restées en Russie, leur vie aurait été bien plus difficile. À Marseille, elles n’ont peut-être pas une vie bien agréable, mais elles ont un toit et de la nourriture. Si tu le souhaites, au deuxième étage, nous te ferons découvrir la cage. Bob accepta puis ajusta la caméra vidéo miniature, et répondit : - Je suis de nature curieuse. Puis-je simplement être spectateur ? - Voyeur… Bien évidemment mon ami, ajouta Rouel en lui lançant un clin d’œil complice. - Vous montez à l’étage ? demanda Bremond. - Allons-y ! » rétorqua Rouel. Bob les suivit, laissant les autres invités dans le grand salon, mais toujours en prenant soin de filmer chaque visage lorsqu’il en avait la possibilité. À l’étage supérieur, il visita les pièces où chacun pouvait s’isoler en toute intimité. « Voilà ta chambre, annonça Bremond. - Quel luxe ! C’est magnifique. - Il faut bien ça pour nos invités. - Viens avec moi quelques instants, je vais te faire visiter la salle des fantasmes… ajouta Rouel. - Moi, je vous laisse… 182 Bremond attrapa la main d’Irina et disparut dans la chambre voisine, laissant Szeréna toute seule. Au dernier étage, Rouel poussa une lourde porte en bois. Un homme, habillé en latex noir des pieds à la tête et muni d’une cravache, se trouvait au milieu de la grande cage en acier. Trois filles, solidement attachées contre les barreaux, hurlaient de douleur à chaque punition. - Svetlana, vilaine fille, pourquoi as-tu été méchante aujourd’hui ? criait l’homme en lui assenant un bon coup sur les fesses. - Mmmm, Mmmm… hurlait la fille, mais un bandeau sur sa bouche étouffait ses cris. À la vue des deux hommes, le bourreau se redressa et ôta son masque en latex. Excité, il arracha les vêtements des pauvres filles qui se retrouvèrent complètement nues. Leurs fesses, leurs jambes, leurs bras étaient marqués par la violence des coups. Elles éprouvaient beaucoup de difficulté à se tenir debout. Rouel ferma la porte et l’homme, qui venait de se dénuder à son tour, sourit à nouveau. Les mains tremblantes, Bob ajusta sa veste pour filmer la scène. À l’intérieur de la voiture, Stephan sursauta en visualisant la vidéo en temps réel, sur le deuxième moniteur. - Merde, l’enfoiré ! Ce sale petit enfant de putain ! hurla Stephan, hors de lui. Zibus et Mustang, qui s’occupaient de traiter le signal vidéo de Sekhmet, s’arrêtèrent net et scrutèrent l’écran de leur collègue. - Qu’y a-t-il encore ? Pourquoi tu hurles comme ça ? demanda Zibus, paniqué. - L’homme… - Quoi, qu’est-ce qu’il a ? 183 - C’est le même que la dernière fois, vous ne vous rappelez pas ? - Euh… Non, pas vraiment ! Qui est-ce ? - Le PDG d’EEAI… - Le big boss de ta boîte ? demanda Mustang, les yeux écarquillés. - Oui, lui en personne ! Zibus sourit et se frotta les mains. - Parfait, quelle aubaine ! Envoie-moi ton acquisition, je vais retravailler le signal vidéo et le balancer à Amon. - C’est quand même fabuleux la technologie. Il y a vingt ans, nous n’aurions jamais pu réaliser un tel exploit, s’étonna Stephan. - Mouais… Le revers de la médaille, c’est que maintenant, fini l’anonymat ! Partout où nous allons, nous sommes tracés : Internet, les banques, nos achats… Sans parler des caméras vidéos en ville, et des futurs appareils de biométrie. Je vous le dis sincèrement, ça va se retourner contre nous, ragea le Corse qui venait de passer la tête à travers la fenêtre du véhicule. Stephan frappa son siège du revers de la main. - Il va me le payer, l’ordure ! Le PDG, sous le regard des spectateurs, cambra Svetlana et la pénétra sauvagement. Un son étouffé sortit de sa bouche, et une larme glissa le long de sa joue. Le seul plaisir qu’il prenait vraiment, c’est lorsqu’il lui assenait des coups de cravache. La pauvre Russe, soumise, se laissait frapper sans rien dire. Après avoir assouvi ses fantasmes, il poussa le vice à son paroxysme en obligeant Svetlana à infliger des sévices, telle une tortionnaire, à ses propres collègues. Bob ne supportait plus de voir un tel spectacle. Il était prêt à bondir sur cet infâme individu pour lui ôter sa cravache et lui en mettre un bon coup derrière les oreilles, mais il savait que la vidéo lui serait d’une plus grande utilité. 184 Après avoir assouvi son dernier fantasme, le bourreau, épuisé par la séance de sexe intensif et bestial, s’affala sur le sofa, mais en ayant pris soin auparavant de détacher ses victimes. Les jeunes filles titubaient en se frottant les fesses. Les poignets marqués par les menottes, elles s’afféraient autour de cet infâme personnage. Svetlana lui servit une coupe de champagne tandis que les deux autres massaient le PDG qui savourait un bon cigare. Rouel lança un clin d’œil et l’autre répondit simplement en levant le pouce. - Tu as aimé la séance ? demanda-t-il, satisfait, à Bob. - Oui… Plutôt instructive ! Rouel éclata de rire une fois de plus et claqua la porte en ajoutant : - À nous de nous amuser maintenant ! Szeréna, ce n’est pas une furieuse au lit. Si le cœur t’en dit, tu peux toujours nous rejoindre avec Irina. - Euh… Non, merci, ça ira… Une fille ça me suffit largement. Rouel laissa Bob en compagnie de Szeréna et se dépêcha de rejoindre son acolyte dans la chambre voisine. Timidement, Bob ferma la porte et se trouva face à la splendide Hongroise. Ses yeux vert émeraude l’hypnotisaient. Comment expliquer à la jeune femme qu’il n’attendait rien d’elle ? Devait-il lui dire qu’il était ici pour la délivrer ? Immobile, face à elle, il n’osait pas ouvrir la bouche. Szeréna commença à se dévêtir. Confus, il lui cria : - Non… n’enlève pas tes vêtements ! Je ne suis pas là pour ça, bredouilla Bob, embarrassé. - Que veux-tu faire à moi ? Tu veux faire chose bizarre ? demanda Szeréna dans un français laborieux. 185 - Non plus, je veux simplement t’aider en te sortant de cet enfer, mais tu ne dois rien répéter. Tu me le promets ? Bob décida de tout dévoiler à la jeune Hongroise. - Tu veux aider moi ? Je retrouver famille ? - Tu souhaites revoir ta famille ? - Oui, moi triste… Loin de famille, et Angelo très méchant ! - Ne t’inquiète pas, bientôt tu seras libre. La belle Hongroise retrouva le sourire et l’embrassa tendrement sur la joue. - Tu ne dois parler à personne de ce que je viens de te dire, et surtout pas à tes copines, tu me le jures ? - Oui, je te le promettre, rien dire ! - Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre mais je vais te sortir de là. - Szeréna patiente ! » s’exclama la jeune femme avec un visage radieux. Au même moment, dans une chambre voisine, allongé sur un grand lit à baldaquin, Haken effleurait le visage d’Amémet tout en observant Set qui serrait les filles dans ses bras musclés. Le fils d’Haton se leva et s’exclama : « Eh… les filles, si vous nous faisiez un show ? - Un show… Quel genre de show ? demanda Amémet d’un regard malicieux. - Un peu érotique… dénudé, une danse au rythme endiablé. J’aimerais voir ton corps onduler autour de moi… - Érotique, dénudé… Tu ne vas pas être déçu ! ajoutat-elle en enlevant son haut moulant et en le jetant à travers la pièce. - Encore ! hurla Set, surexcité. 186 Amémet dégrafa sa minijupe qui glissa le long de ses jambes, et se débarrassa rapidement de ses longues bottes noires. D’un mouvement souple, elle déplia la jambe droite tout en faisant glisser son bas, puis fit de même avec la jambe gauche. En quelques secondes, elle se retrouva en petite tenue et frotta sa poitrine contre le torse d’Haken qui nageait en pleine extase. Ses yeux bleus pétillaient, et sa crinière brune ondulait au rythme de ses déhanchements. Magnétisé par cette danse endiablée, Set en oubliait Sekhmet et Bastet. Bouche bée, les yeux écarquillés, il hurlait : - Hummm, vas-y, encore ! Oui… Vas-y, bouge ! Amémet caressait sa poitrine en se déhanchant. Les deux complices ne la lâchaient plus du regard, ils étaient hypnotisés. - Vous en redemandez ? - Oui, encore, encore ! répondirent en chœur les deux hommes. - D’accord, mais à une condition : vous devez me fournir de quoi passer une excellente soirée. Haken se redressa. À genoux sur le lit, il baissa son pantalon jusqu’au bas des cuisses. Dans un large sourire, il écarta les bras en lançant : - Voilà, amuse-toi ! Amémet le repoussa vigoureusement. - Non… Tu n’as rien compris ! Ce n’est pas du tout ce que je veux. Set… Tu le sais, toi, ce qui me ferait plaisir, hein ? Set esquissa un sourire et ouvrit aussitôt la grande armoire en chêne. Il enfouit ses mains à l’intérieur et sortit une grosse mallette noire qu’il déposa sur le lit. Entre les liasses de billets, se trouvaient des petits sachets en plastique. - C’est ça que tu veux, n’est-ce pas ? 187 Amémet lança un regard approbateur et hocha la tête. Set inspira un coup sec, déchira un des sachets, attrapa le plateau d’argent sur la table de chevet et y déposa la poudre blanche en l’offrant à la magnifique brune. Le paquet de cigarettes, posé sur le bureau, transmettait les images dont Zibus faisait l’acquisition. Les membres de Neutrino étaient satisfaits car ils avaient réussi leur mission. Seul Stephan avait le regard sombre en observant sa protégée aux bras de ces crapules. - Les enfoirés, quelle bande d’ordures ! dit Stephan, s’arrêtant net, sans terminer sa phrase. Bouche bée, il avança la tête en direction de l’ordinateur, et son nez toucha presque l’écran. Tétanisé, il ne parlait plus. La bouche grande ouverte, les yeux fixes, il ressemblait à une statue grecque. - Ça ne va pas ? Qu’est-ce qu’il t’arrive Steph ? demanda Zibus, inquiet, en lui tapant sur l’épaule. - Là, regarde… c’est… - Mais parle donc, qu’est-ce qui t’a mis dans cet état ? - Thot… On aurait dit Thot, dans le coin de la pièce, à côté de l’armoire… - Thot ? reprit Mustang, étonné. - Oui, je suis persuadé que c’était lui, le masque en forme d’ibis ! Il s’est volatilisé sous mes yeux ! Incroyable ! Mustang, perplexe, se frottait le crâne. Zibus, quant à lui, paraissait moins étonné. - Thot est un personnage énigmatique que personne ne connaît vraiment. J’ai souvent essayé d’en discuter avec Tibère et Osiris, mais ils n’en savaient guère plus. Ils m’ont simplement répondu : “Thot est l’éternel, le maître du temps, et le scribe du monde ! Le grand magicien !” - Je veux bien, mais comment a-t-il fait pour se retrouver dans le château ? Comment est-il entré dans la 188 chambre sans que personne ne puisse l’apercevoir ? Et surtout, pourquoi se trouve-t-il ici ? - Tout ce que je peux de répondre, c’est qu’il y a quelques années, Thot est venu à la rencontre d’Osiris pour le guider, et il savait beaucoup de choses sur Neutrino. Il lui a donné de précieux conseils ainsi que des détails sur l’avenir. Osiris nous a toujours dit : “Thot est le scribe de l’éternel.” Mais en restant toujours discret, et sans rien dévoiler. - Le scribe de l’éternel… reprit Stephan, songeur. - Oui, d’après Osiris, il maîtriserait le temps ! Il serait les yeux et les oreilles de ce monde… - C’est de la mythologie tout ça. Nous sommes dans la réalité ! Arrête de débloquer ! Osiris et Isis sont enfermés dans leur monde féerique. - Et les pouvoirs de Sekhmet et d’Isis ? C’est de la mythologie aussi ? Décontenancé, Stephan ne répondit pas. Il se gratta la tête, inspira et ajouta : - Le monde est un mystère ! » Tandis que Haken et Set contemplaient les splendides déesses, Amémet souffla discrètement sur la drogue qui disparut sous le lit. Les deux hommes ne s’aperçurent pas du subterfuge et lui demandèrent alors de poursuivre ses déhanchements torrides, pensant que la poudre faisait déjà son effet. Derrière eux, Sekhmet leva le pouce pour donner le signal. Elles devaient neutraliser ces lascars. Cette fois, les jeunes femmes n’avaient nullement besoin de leur mixture pour endormir les deux hommes. En effet, les déesses décidèrent de les neutraliser en même temps et de disparaître rapidement sans laisser de trace. Leur mission était terminée. 189 Sekhmet écarta les bras en direction de Set et d’Haken puis posa ses mains sur leur front. La lumière de la chambre scintilla et ses yeux vert émeraude brillèrent de mille éclats. Un son strident sortit de sa bouche et son corps tout entier devint luminescent. La puissance de son Kâ était redoutable. Les deux hommes s’écroulèrent à terre, inanimés. « On déguerpit avant de se faire surprendre ! hurla Bastet. Elle entrouvrit la porte de la chambre et scruta le couloir. - La voie est libre, nous pouvons y aller. Les trois déesses se dépêchèrent et traversèrent le couloir rapidement. Dans le hall d’entrée, elles saluèrent les invités qui étaient en train de monter aux étages supérieurs. Discrètement, elles ouvrirent la porte principale et se retrouvèrent dans le jardin. Mais une fois dehors, les deux gardes aperçurent les filles. Le grand blond à la mine patibulaire s’approcha : - Le fils de monsieur Haton n’est pas avec vous ? demanda-t-il, surpris. - Euh… non, il reste ici ce soir, avec Set, en très bonne compagnie d’ailleurs, répondit aussitôt Bastet. - Ah bon… Il ne nous a pas prévenus, c’est étrange. Je vais l’appeler, attendez-moi ici. Comprenant qu’elles risquaient d’être démasquées, Sekhmet pointa ses bras en direction des deux hommes qui la regardèrent, interloqués. Une espèce d’ectoplasme sembla sortir de son corps et les deux gardes s’écroulèrent instantanément. Les trois jeunes femmes détalèrent rapidement à travers le jardin pour ne pas se faire surprendre et sautèrent dans leur véhicule. - Nous avons eu très chaud ! dit Amémet, en sueur. 190 - Les autres nous attendent un peu plus bas, derrière le bosquet. Dépêche-toi avant que quelqu’un ne découvre les gardes ! intima Bastet. Sekhmet arrêta le véhicule à une centaine de mètres du château, juste à côté de Stephan. - Vous avez reçu le signal ? demanda Bastet. - Oui, parfait ! Nous avons déjà tout transmis à Amon. Vous n’avez pas croisé Thot ? - Thot ? Il était dans le château ? rétorqua Bastet. - Oui, et dans votre chambre en plus ! Bastet, étonnée, écarquilla les yeux. - Quoi ? Dans la chambre ? Ce n’est pas possible, je n’ai même pas ressenti son Kâ ! - Dans notre chambre ! répéta Amémet, stupéfaite. - À côté de l’armoire, précisa Stephan. - Je ne veux pas vous presser mais si nous poursuivions la conversation ailleurs ? Il ne faudrait pas qu’on nous repère. Je passe devant, nous allons chez moi », dit Sekhmet. Patrick suivait le véhicule de Sekhmet, tandis que le Corse, la main posée sur la crosse de son Désert Eagle 50 AE, était prêt à intervenir en cas de problème. « Merde, c’est quoi ce putain de calibre que tu as dissimulé sous ta veste ? demanda son frère, dépité. - Un modèle israélien, un des plus puissants de la planète. Pour tirer avec, il faut le tenir à deux mains. Avec ça, je dégomme un type planqué derrière n’importe quoi. L’inspecteur Harry n’a qu’à bien se tenir avec son 44 Magnum ! - Mouais, mais le temps que tu tires, le type sera déjà loin. T’as vu comme il est massif ton flingue ? Et je suis persuadé que le poids de détente doit être d’au moins un kilo ! 191 Le Corse sortit aussitôt un nouveau pistolet, beaucoup moins imposant. - Si j’ai besoin d’être précis, j’utilise ce pistolet de compétition, le DES 69 de chez Unic. Le poids de détente est d’une centaine de grammes, et je tire du 22. Aucun recul, une précision parfaite, et une cadence de tir irréprochable. - C’est bon, t’es irrécupérable, se désespéra Mustang en secouant la tête. - Quoi, qu’est-ce que j’ai dit encore ? - Rien, laisse tomber. Au même moment, le téléphone portable de Stephan vibra. - C’est Bob, il vient de me laisser un message. - Ah, parfait ! J’espère qu’il n’a pas eu de soucis avec cet abruti de Bremond, grogna le Corse. - Merde ! - Qu’est-ce qu’il y a ? Un problème ? - Apparemment, oui… Un gros… Il dit : “Changement de programme, je ne reviens pas seul ! On se retrouve où ?” Patrick, énervé, tapa du poing sur le siège. - Le con, il va tout faire foirer. Il a certainement embarqué Szeréna, cet imbécile ! On lui avait bien dit de ne surtout pas changer les plans. - Il n’a pas fait ça, ce n’est pas possible ! ajouta le Corse, agacé. - Restons calmes, je lui dis de nous rejoindre chez Sekhmet, annonça Stephan. À l’intérieur du véhicule, la tension montait de plus en plus. Angelo chercherait certainement à retrouver la jeune Hongroise. De plus, avec la mystérieuse disparition des trois déesses, Haton se poserait certainement des questions. - Merde, Merde… Mais quel con ! vociféra le Corse. 192 - Bon ça va, ferme-la un peu, tu nous soûles ! On ne va pas en parler pendant des années, c’est fait, et voilà ! » gronda Mustang. Vers 2 heures du matin, Bob arriva chez Sekhmet. Les membres de Neutrino discutaient autour de la table du salon à propos de la mystérieuse apparition de Thot, lorsqu’il ouvrit la porte en compagnie de la magnifique Szeréna. « Je sais ce que vous allez me dire mais je ne pouvais pas la laisser repartir avec ces brutes ! Admirez sa beauté, et cette douceur ! Il y a de quoi craquer, non ? Bremond et Rouel s’amusaient avec Irina. Les deux gardes du corps gisaient à terre, inanimés. Il n’y avait plus personne pour me barrer la route. Ce n’était pas un signe du destin ? - Tu parles… Un sacré signe du destin, rétorqua Patrick. - Pauvre idiot, tu vas nous faire repérer ! Tu ne pouvais pas nous demander notre avis ? cria Amémet en tapant du poing sur la table. Szeréna, terrifiée par les cris stridents de la sulfureuse brune, se blottit dans les bras de Bob. - Arrête de hurler comme une folle, tu ne vois pas que tu lui fais peur ? Calme-toi un peu, s’il te plaît, ordonna Bob en toisant la dévoreuse. Pendant un court instant, personne n’ouvrit la bouche. - Nous faisons quoi de la fille maintenant ? répliqua Stephan. - Tu peux nous héberger quelque temps ? J’ai peur qu’ils ne découvrent mon adresse, demanda Bob en s’adressant à Sekhmet. 193 - Bien sûr, il n’y pas de problème. La maison est suffisamment grande pour loger tout le monde. D’ailleurs, vous êtes tous invités à passer la nuit ici. Amémet leva les yeux au ciel en tapant dans ses mains. - C’est ça, donnez-lui la médaille du courage, aussi ! - Amémet, tais-toi ! ordonna Bob, furieux. Vexée, elle tourna les talons et disparut dans la pièce voisine, poursuivie par Zibus. - Ah, ces deux-là, quels phénomènes ! s’exclama Bastet. - Nous sommes tous épuisés, nous devrions aller dormir. Nous rediscuterons de tout ça demain à tête reposée. Suivez-moi, je vais vous montrer vos chambres », dit Sekhmet. Une fois que les invités furent tous couchés, Sekhmet entraîna Stephan dans sa chambre. Elle se dénuda et se glissa sous les draps. Le cœur battant la chamade, Stephan la rejoignit et la serra contre lui. Blottie dans les bras de son Adonis, Sekhmet s’abandonnait à lui. Ils pouvaient enfin passer leur première nuit d’amour, sans se soucier de la mission. La nuit allait être très longue… 194 17 Haton arrivait au Lady Blue d’excellente humeur. La soirée avait eu un réel succès, et les riches industriels lui proposaient d’en organiser une nouvelle dans les semaines à venir. Chaque mois, de nouveaux membres venaient remplir son carnet d’adresses. Cependant, sa bonne humeur n’allait pas durer bien longtemps. Lorsqu’il franchit la porte de la discothèque, Jack l’interpella, complètement affolé. « Monsieur, il faut que je vous parle de toute urgence ! - Un problème ? - Oui, un gros ! - Allons dans mon bureau, nous serons plus tranquilles pour discuter. D’un pas pressé, le directeur ouvrit la porte et la referma bruyamment. - Il est revenu… Il est ici ! - Qui donc ? De qui me parles-tu ? - Le type avec la vieille bagnole, il est planqué de l’autre côté de la route et il nous surveille. - Encore lui ! Mais qui est donc ce parasite qui ose venir m’importuner ! grogna Haton en se frottant le crâne et en fronçant les sourcils. - Peut-être les Espagnols qui veulent se venger ? 195 - Certainement pas, nous n’avons plus de problèmes avec eux. Depuis que nous travaillons avec Set, ils n’osent plus se frotter à nous… - Ou peut-être Carlos Negaone, le directeur du Newton Bar. - Set s’est occupé de lui, il ne risque plus de nous importuner à présent. - Il est… - On dira qu’il est parti en vacances pour un long moment. - Je ne savais pas… - J’appelle immédiatement Haken pour qu’il s’occupe de ce problème. Toi, pour l’instant, continue de surveiller le type, et si jamais il part, suis-le discrètement. Tu m’informes du moindre changement. Compris ? - D’accord, monsieur Haton. » La sonnerie du téléphone portable réveilla Haken qui sursauta. La tête lourde, les membres engourdis, il se redressa difficilement. Il était étalé sur le lit, encore dans les vapes. « Mais… qu’est-ce qu’il m’est arrivé ? Set… Owww… Set, réveille-toi ! hurla-t-il en le secouant. Haken écouta le message que son père venait de lui laisser sur son répondeur tandis que son complice, les yeux vitreux, se levait péniblement en s’appuyant sur le rebord du lit. - Ouah, ça tourne ! J’ai l’impression d’avoir dormi des heures. Nous avons dû abuser de la drogue. Je me souviens juste des déhanchements d’Amémet, puis c’est le trou noir. Et les filles, elles ne sont plus là ? 196 - Non… Disparues ! Je ne comprends rien. Nous réglerons cette histoire plus tard, mon père vient de me laisser un message. Il faut partir de toute urgence. - Un problème ? - Oui, l’individu qui surveillait la discothèque, il y a quelques jours : il est revenu ! Nous devons retourner immédiatement à Marseille. - Et les filles ? - Sûrement qu’en voyant notre état elles ont préféré nous laisser dormir. Nous les appellerons plus tard. Dépêche-toi, mon père est peut-être en danger ! Les deux gardes du corps venaient de se relever eux aussi. Ils étaient courbaturés et ne comprenaient pas pourquoi ils étaient allongés à même le sol. Hébétés, ils s’observaient mutuellement. Haken ouvrit la porte principale à ce moment-là. En les voyant complètement déboussolés et le regard dans le vide, il hurla : - Vous faites quoi devant l’entrée avec vos tronches d’abrutis ? Les trois filles qui étaient avec nous, elles sont parties il y a combien de temps ? - Euh… ben… euh… Set, avec rage, les attrapa par le col de chemise en les secouant. - Parlez, ou je vous étrangle ! Les gardes du corps n’osaient pas avouer qu’ils avaient dormi et qu’ils ne se souvenaient plus de rien. Terrifiés par le terrible Set, le grand blond baraqué répondit en bafouillant : - Nous avons entendu du bruit derrière le château… donc nous sommes allés voir. Peut-être qu’elles sont parties à ce moment-là. - C’est incroyable ! Je vous paye une fortune, et vous n’êtes même pas capables de surveiller cette demeure. Je devrais vous virer ! 197 - Mais patron… - Tais-toi crétin, ne réponds pas au patron, ordonna Set en lui donnant une claque sur la nuque. L’homme baissa la tête et recula en attendant les ordres. - Nous retournons à Marseille, surveillez l’entrée cette fois. Et si un problème survient, contactez-moi ! - Bien patron… - Bougez-vous ! hurla Set. Tandis qu’ils roulaient à vive allure sur l’autoroute, Haken appela son père pour avoir plus d’informations. - J’ai bien reçu ton message, nous arriverons dans trente minutes. Il surveille toujours la discothèque ? - Oui, et Jack m’avertit s’il décolle. Quand tu arriveras, essaie d’avoir l’air normal et viens immédiatement dans mon bureau. - N’aie aucune crainte, je vais vite régler cette affaire. - Je n’en doute pas. À plus de deux cents kilomètres à l’heure, le bolide fonçait sur l’autoroute à travers le brouillard. Le mistral faisait vibrer le véhicule mais rien ne pouvait l’arrêter. Lorsqu’ils arrivèrent sur le parking du Lady Blue, Haken scruta les alentours comme un vautour qui guette sa proie. - Il est où cet enfoiré ? grogna-t-il en tapant du poing sur le volant. Il ouvrit la boîte à gants et récupéra un pistolet automatique muni d’un silencieux. - Tu crois que c’est utile ? demanda Set en fronçant les sourcils. - Si le lascar nous pose problème, je l’élimine. - Range cette arme, c’est moi qui m’occuperai de lui. L’œil d’Haken scintilla, et il rétorqua : - Je ne te laisserai pas ce plaisir, c’est moi le chef ! Fred, le gardien du parking, s’approcha discrètement. 198 - Ne regardez pas derrière moi, sinon il va comprendre que nous l’observons. Le type est à une cinquantaine de mètres, à côté de la boulangerie Kariay, dans une vieille bagnole grise. - Je m’occupe de lui. - Attends, ton père ne veut pas qu’on le suive, plutôt ? - Si, mais… - Je te conseille de passer voir ton père, sinon il sera furieux, rétorqua Fred. - Tu as raison. Continue la surveillance, on revient. » Assis dans un large fauteuil en cuir, Haton fumait tranquillement son cigare en écoutant un vieux disque de jazz. « Ah, tu es déjà là ! Occupez-vous du gars. Dès qu’il part, suivez-le ! Je veux tout savoir sur lui. - J’ai une meilleure idée, annonça son fils. - Quelle est donc cette idée ? - En passant par derrière, nous allons le surprendre. Une fois neutralisé, on prend sa caisse et on l’amène chez Set pour lui faire cracher le morceau. - Hum… Tu sais bien que je ne veux plus de meurtres inutiles. - Papa, fais-moi confiance. Haton, perplexe, baissa la tête et se frotta le crâne. - Et toi Set, qu’en penses-tu ? - Il n’a pas tort… Nous devrions lui faire subir un interrogatoire musclé ! Chez moi, c’est bien isolé, nous pourrions agir en toute discrétion… - Ne vaudrait-il pas mieux le suivre ? - Ça prendra trop de temps. Sous la torture, il parlera vite, affirma Set. - Vous êtes sûrs de ce que vous faites ? - Certains, rétorqua Haken. 199 - Nous avons l’habitude, ajouta Set en redressant le torse. - Bon… d’accord ! Cette fois, je vous laisse mener l’affaire mais ne me décevez pas. - Nous avons affronté la mafia espagnole, alors, un Marseillais dans une vieille bagnole… - Il faut se méfier des apparences, les plus dangereux ne sont pas toujours ceux qu’on croit. - Nous sommes les plus dangereux, papa. Nul ne s’opposera à toi, tu es le seul et l’unique, le grand Haton ! Set, allons-y ! » Haken et Set franchirent le jardin d’une propriété privée, enjambèrent une rambarde et parvinrent enfin à la boulangerie. La rue Joliot était déserte à cette heureci, seul un vieux chat de gouttière, perché sur un toit, les observait. Le mistral soufflait de plus belle et la température avait fortement chuté. Haken frottait ses mains l’une contre l’autre pour se réchauffer. « Regarde, c’est lui : il surveille le Lady ! - L’ordure, mumura Set. - Passe du côté passager pendant que j’essaie de le maîtriser. Ensuite, on le traîne sur la banquette arrière. - Et si les portières sont verrouillées ? - Je casse la vitre avec mon flingue. Ne t’occupe pas de ça, tu m’aides juste à le foutre à l’arrière. Allez, on bouge ! Les deux hommes traversèrent la rue en courant. Richard surveillait la discothèque et il ne s’aperçut de rien. Tel un félin, Haken ouvrit la portière sans faire le moindre bruit, bondit sur Richard et lui assena un violent coup de poing. Il s’effondra, inanimé, le visage en sang. Aussitôt, Set l’attrapa par les bras et l’allongea brutalement sur la banquette arrière. 200 - Reste à coté de lui et surveille-le. S’il se réveille durant le trajet, assomme-le. Haken démarra le véhicule et traversa Marseille, en direction de Sénas. Là-bas, située en pleine campagne, la villa de Set permettrait de mener un interrogatoire musclé en toute tranquillité. - Tu te souviens de Joshua ? Nous l’avons fait avouer en combien de temps ? - Une heure, je crois… répondit Haken en souriant. - Il a bien tenu quand même. - Ouais, pourtant il avait les deux genoux brisés, et une oreille coupée. - Et le bain de pieds à l’acide chlorhydrique ! - J’espère que ce sera rapide, je suis épuisé. - Et après, on en fait quoi ? - Nous vérifions s’il ne nous a pas menti, puis on l’élimine. Personne n’a le droit de bafouer l’autorité de mon père. Il payera très cher son erreur ! » Richard se réveilla dans l’obscurité, solidement ligoté sur une chaise en bois. Malgré un bon mal de crâne, il essaya de tourner la tête pour observer la pièce. Une douleur aiguë l’empêchait de bouger le cou. Par dépit, il essaya de dénouer les nœuds qui le retenaient contre son gré ; en vain. Il était prisonnier ! Son cœur se mit à battre violemment contre sa poitrine et sa respiration s’accéléra. Pourquoi était-il retenu prisonnier ? Qu’allait-il lui arriver ? Se sentant perdu, il fit une dernière tentative pour se détacher mais ses liens étaient beaucoup trop serrés : ce fut un nouvel échec. Paniqué, il hurla à pleins poumons : « Qui êtes-vous ? Pourquoi suis-je ici ? Répondezmoi ! 201 Pas de réponse, seulement le souffle du mistral qui faisait vibrer une porte. Richard retint sa respiration pour écouter les bruits autour de lui, mais il n’entendit rien de plus que le vent qui redoublait de puissance. - Bande d’enfoirés ! » Personne ne répondait… L’angoisse montait en lui comme un feu ravageur. Il tentait vainement de se calmer en respirant lentement mais la peur lui collait à la peau. Des milliers d’images l’assaillaient. Il pensait à sa femme et à sa fille : les reverrait-il un jour ? Dans la pièce voisine, Haken et Set prenaient le petit déjeuner. « Nous devrions y aller, tu ne crois pas ? - Laissons-le mijoter. Laissons l’angoisse l’envahir au plus profond de ses entrailles. C’est terrible de rester ainsi dans l’incertitude, sans savoir ce que le sort nous réserve. - Tu es encore plus démoniaque que moi ! rétorqua Set, amusé. - Appelle les filles pour savoir où elles sont. Set composa le numéro de Sekhmet. - Le répondeur… - Laisse tomber, on verra plus tard, elles m’énervent celles-là. - Elles auraient pu nous prévenir, quand même, ces garces… ragea Set. - C’est des femmes… tu sais bien comment elles sont ! - Toutes les mêmes. Calmement, Haken termina son café et lança : - Allez, on va s’occuper de lui ! » 202 Le froid engourdissait les pieds et les mains de Richard. Son cou et sa tête le faisaient horriblement souffrir. Le stress lui avait déclenché un important mal de ventre et il se tordait de douleur sur son siège. « Détachez-moi ! Merde… Oh ! Bande d’enfoirés ! Tout à coup, la porte s’ouvrit et un homme alluma les néons. Aveuglé par la lumière, Richard cligna des yeux. Deux ombres s’approchèrent de lui. - Tu vas la fermer, ta gueule ! cria Set en lui assenant une bonne gifle. - Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ? - Tais-toi, rétorqua Haken en lui fracturant le nez avec la paume de la main. La douleur était insupportable. Le froid avait rendu chaque partie de son corps extrêmement sensible. Richard hurla tant il souffrait. - Arrêtez, par pitié, que me voulez-vous ? - Ce que nous voulons, sombre idiot ? C’est plutôt à toi que je pose cette question. Pourquoi surveillais-tu la discothèque ? - Je ne comprends pas… Je ne surveillais personne. - Tu ne surveillais personne ? reprit Set. Haken s’absenta quelques secondes et revint avec un gourdin dans les mains. - Je repose une dernière fois ma question : pourquoi surveillais-tu le Lady Blue, cette nuit ? - Mais je vous le répète, je ne surveillais personne. Je me préparais à partir en voyage. - Tu partais en voyage… - Oui, c’est une terrible erreur ! Vous vous méprenez sur mon compte. - Que faisais-tu devant le Lady Blue cette nuit ? répéta Set. 203 - Mais vous ne comprenez rien ou quoi ? Je me préparais à partir pour Nice, pour y rejoindre des membres de ma famille. Aussitôt, Haken assena un violent coup sur le genou de Richard. La douleur fut si intense qu’il réussit à faire basculer la chaise. Set le redressa en reposant la même question. - Que faisais-tu devant le Lady Blue ? - Ahhh ! J’ai mal… - Que faisais-tu devant le Lady Blue ? - Je vous le répète, je partais en voyage ! Haken recula d’un pas pour prendre son élan. L’énorme bâton tourna dans l’air et termina sa course sur le genou gauche de Richard. Haletant, il n’arrivait plus à parler. Un râle résonnait dans la pièce. - On devrait y aller plus doucement, il est mal en point, dit Set. - Bon, écoute-moi bien, ça ne sert à rien de résister car tu finiras tôt ou tard par tout avouer. Alors évite ce supplice. - Ahhh ! Je… Ahhh ! Je partais en vacances… - Tu es vraiment lent à comprendre, nous allons devoir passer aux choses sérieuses ! Haken se retourna et posa son énorme gourdin contre la porte. Il s’avança vers l’étagère et attrapa un sécateur. - Tu ne veux toujours pas nous dire la vérité ? cria-t-il, menaçant, avec un regard sanguinaire. - Mais… Furieux, il saisit la main de Richard brutalement, dégagea son index qu’il plaça entre les lames tranchantes du sécateur. - Donc tu m’assures que tu partais en vacances ? C’est bien ce que tu me dis ? - Oui… Ah ! J’ai mal, lâchez mon doigt ! 204 Un craquement d’os résonna à travers la pièce et le sang gicla sur sa veste. Haken avait entaillé une bonne partie du doigt et la douleur était tellement insupportable que Richard hurlait à la mort. Le fils d’Haton se délectait de le voir se tordre de douleur. Comprenant que l’interrogatoire n’irait pas plus loin, il s’avança vers lui et l’assomma. La chaise vacilla, puis bascula sur le côté. La tête de Richard heurta violemment le sol. Il s’effondra, inanimé. - Merde… Il nous résiste ! vociféra Set. - On continuera l’interrogatoire plus tard, soigne son doigt, qu’il ne nous lâche pas avant d’avoir craché le morceau. » Les deux bourreaux discutaient, un verre de scotch à la main. Après une nuit blanche, Haken éprouvait beaucoup de difficulté à garder les yeux ouverts. Sa vision se troublait et ses gestes se faisaient moins précis. La tête lourde, il réfléchissait à l’élaboration d’un nouveau stratagème. « Il est solide le lascar. D’autres à sa place auraient déjà avoué. Si nous continuons ainsi, nous allons finir par le tuer. Nous devrions tenter un coup de bluff ! rumina Haken avec rage. - C’est-à-dire ? - Nous pourrions lui faire croire que s’il ne lâche pas le morceau, nous nous occuperons de ses proches ! - Et… s’il n’a pas de famille ? - Tu le fais exprès, rassure-moi ! - Pourquoi ? - Nous jouons nos dernières cartes ! Si ça fonctionne, nous l’abîmerons moins. - Tu es vraiment très malin… - C’est moi le chef, ne l’oublie pas. » 205 Richard clignait des yeux, aveuglé par un rayon de soleil qui traversait l’orifice de la vieille porte en bois. Il ne pouvait plus bouger sa main à cause de sa blessure, et un œdème s’était formé sur son genou. Lorsqu’il essayait de bouger les jambes, une douleur insupportable irradiait son corps tout entier. Haken et Set pénétrèrent dans la salle de torture. « Déjà réveillé ? Tu es un solide gaillard ! Richard ne répondit pas, son visage était déformé par la douleur. - Tu n’as pas l’air très en forme quand même. Alors, tu nous dis tout, ou bien on continue ? - Mais… Ahhh… Je vous l’ai dit, vous vous méprenez… À bout de nerfs, Haken frappa à nouveau Richard du revers de la main. - Écoute-moi bien maintenant, je ne le répéterai pas une deuxième fois : nous savons où se trouve ta famille. Si tu ne nous livres pas tes complices, nous éliminerons tes proches, les uns après les autres. - Non, par pitié ! Je vous en supplie… Ils n’ont rien fait. - Tu avoues ? Durant un court instant, il n’y eut plus un seul bruit dans la pièce. - Bon… D’accord… Que voulez-vous savoir ? - Où est-ce qu’on peut trouver ton chef ? - Qu’allez-vous lui faire si je vous le dis ? - Tu n’as pas à savoir ! Où habite ton chef ? Réponds ! - Marseille… - Pourquoi surveillais-tu la discothèque ? - C’est une longue histoire… Nous appartenons à une ancienne société secrète qui a pour mission de protéger la population. Je devais simplement surveiller le Lady Blue ! Rien de plus. 206 Les deux tortionnaires éclatèrent de rire malgré la fatigue. - Une société secrète ! Tu te moques de nous ? - Non, je vous le jure… Laissez ma famille en dehors de cette histoire. - Tu penses réellement que ta société secrète peut quelque chose contre nous, misérable cafard ? - Ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas. Neutrino est bien plus puissant que ce que vous pensez. Vous ne pouvez rien contre Amon ! Si quelqu’un lève la main sur lui, il subira les foudres de la déesse lionne. Set se retourna vers Haken et murmura : - Laisse tomber, il est cinglé… Encore un drogué. - Amon… C’est ton chef ? - Il n’y a pas de chef, Amon est un de nos guides. - Et vous êtes nombreux dans cette société ? Malgré la douleur, un rictus apparut sur le visage de Richard. - Je crois qu’il délire, s’inquiéta Set. Résolu à son triste sort, Richard continua à les mettre en garde. - Je ne délire pas ! Vous pensez être puissants, mais face à Neutrino, vous ne pouvez rien. Nous sommes partout. Dans l’administration, la police, les hôpitaux… Nous surveillons tout le monde. Peut-être qu’Amon sait déjà que vous me retenez prisonnier. Le visage d’Haken s’assombrit. Inquiet, il se gratta le front. - Tu vas rester ici ce week-end, Set te surveillera. Je dois m’occuper d’une affaire en Espagne. Nous irons rendre une petite visite à ton chef, lundi. Pour l’instant, je vais aller me reposer. Si jamais tu nous as menti, ta famille payera pour tes mensonges. - Je surveille ce malade en attendant ton retour ? demanda Set en désignant Richard. 207 - Nous ne pouvons pas faire autrement, nous avons un arrivage à Barcelone. Soigne-le, qu’il soit en état pour nous mener jusqu’à son chef. » La porte se referma violemment. Ses tortionnaires laissèrent Richard dans le froid et l’obscurité, tétanisé par la douleur et sans savoir ce que le sort lui réservait. 208 18 Sekhmet avait passé le week-end avec son Adonis et sa fille. Après leur dernière mission, les deux amoureux avaient décidé de faire une pause bien méritée et de profiter l’un de l’autre. La déesse lionne sentait son instinct maternel l’envahir, Élodie était si attendrissante. Dans un proche avenir, elle espérait même fonder un foyer et se voyait devenir maman. Son cœur battait au rythme de celui de Stephan. Elle espérait que ces instants de bonheur ne s’arrêteraient jamais. Lorsqu’ils durent se séparer ce lundi matin, elle le supplia de venir à Villeneuve-lès-Avignon le soir même. La belle blonde ne pouvait plus se passer de lui. Quelques minutes plus tard, Stephan buvait un café dans le bureau de Marcoule et racontait les dernières péripéties à Gérald qui n’avait pas pu participer à la mission car il était déjà sur une nouvelle affaire. Un commercial en informatique était impliqué dans un important trafic de drogue, et depuis quelques semaines il surveillait ce trafiquant. Voilà comment, en relation avec Bès, le guide de la section à Valence, il coordonnait les investigations. Gérald écoutait avec un vif intérêt le dénouement de l’histoire. 209 « Tout s’est déroulé parfaitement, hormis le fait que Bob ait décidé de ramener la jeune Hongroise sans nous en faire part, pour la délivrer de ses tyrans. - J’espère qu’ils ne remonteront pas jusqu’à Neutrino. Heureusement, Bob est malin, il file toujours des adresses bidons. Néanmoins, il a intérêt à ne plus traîner vers Avignon. - Osiris et Isis sont chez Amon en ce moment même pour faire le point sur la mission. En début d’après-midi, ils doivent rencontrer le commissaire Armand. - Depuis que le commissaire est devenu un membre actif de Neutrino, Osiris et Amon ne décrètent le niveau 1 qu’en de très rares exceptions ! Ce qui n’est pas plus mal d’ailleurs, car ces dernières années, nous avons fait couler beaucoup trop de sang. - Certains hommes sont irrécupérables, de vrais poisons pour l’humanité. D’ailleurs, le niveau 1 était souvent légitime. D’après Sekhmet, les hommes assassinés étaient d’infâmes individus, prêts à tuer tous ceux qui leur barraient la route. Je pense notamment au directeur de cette prestigieuse agence de mannequins qui abusait des jeunes filles et qui avait commis de nombreux crimes crapuleux, remarqua Stephan. - Tu as raison, même si cela semble inhumain, certains individus sont un réel danger pour la société et ils doivent être éliminés. - Armand va donner un nouveau souffle à Neutrino ! - En plus, grâce à lui, nous pouvons intervenir en toute sécurité puisque certains membres de la police et de la gendarmerie, d’Avignon et de Marseille, ont déjà intégré Neutrino. - Depuis combien de temps le commissaire Armand fait-il partie de Neutrino ? - Armand connaissait les agissements de Neutrino depuis plusieurs années déjà, mais il fermait les yeux. 210 Puis il y a un mois, un jeune inspecteur a été abattu par un voyou qu’il avait arrêté quelques jours plus tôt. Le commissaire hésitait à franchir le pas mais cet assassinat l’a décidé. Démotivé et se sentant abandonné par la jungle politique gouvernant l’État, il s’est décidé à rejoindre l’underground en intégrant Neutrino. - Et c’est ainsi qu’il a persuadé Osiris et Amon de modérer le niveau 1. - Tu comprends vite toi, ajouta Gérald. - Je suis heureux que cette affaire se termine. - Tu vas pouvoir profiter de la belle Sekhmet… - Pourquoi dis-tu ça ? - J’ai eu Zibus au téléphone. Il m’a dit que tu avais une certaine complicité avec la belle blonde. D’ailleurs, il paraît que tu as passé le week-end avec elle… - Ah celui-là, je te jure ! Il ne rate jamais une occasion de se taire. - Tu penses vraiment être capable d’oublier ta femme ? Stephan éclata de rire et avoua : - Je suis bien obligé ! C’est ainsi… Et puis, on ne peut pas dire qu’elle cherche vraiment à me revoir. Francis semble la combler. - L’ingrate, rumina Gérald. - Il faut voir le côté positif, j’ai rencontré Sekhmet ! C’est une fille formidable. - Tu m’étonnes, ancien mannequin en plus… Au même moment, Patrick rentra dans le bureau. - Alors les gars, vous n’avez pas oublié les intérimaires ? - Mince ! Il est déjà 8 heures 30 ! s’exclama Gérald en se levant brusquement. - Tu es à Marcoule toute la semaine ? s’étonna Stephan. 211 - Oui, et la semaine prochaine, je vous quitte. Une nouvelle mission m’attend à Valence. Changement de programme. Et toi, tu resteras ici ? - Euh… non. Nous avons décidé de prendre des vacances avec Sekhmet, annonça Stephan, le regard pétillant. - Petit malin ! Tu ne perds pas de temps. - Eh, les gars ! Nous discuterons de tout ça plus tard si ça ne vous dérange pas, les autres attendent », grogna Patrick. Dehors, les intérimaires attendaient les chefs avec impatience car le mistral redoublait de puissance et le froid s’engouffrait dans leurs habits. « Prenez votre temps… dit Jean en colère. - Nous vous avions complètement oubliés, désolé ! Le lundi matin, c’est toujours difficile, répondit Gérald. - Nous ne sommes pas tes esclaves ! N’oublie pas qu’en ce moment, vous avez beaucoup de difficultés pour trouver des électriciens industriels avec les habilitations nucléaires. - Excuse-moi Jeannot, tu as raison. Pour information, nous devons terminer cette semaine l’éclairage du bâtiment 52. Et puis, n’oublie pas que grâce à moi, Bremond est d’accord pour que tu restes quelques jours de plus… - Ça ne va pas être simple au milieu des plaquistes, des carreleurs, du plombier… ajouta Stephan. - Moi je m’en fous, dans dix jours, je serai en Thaïlande ! annonça Manolo, souriant. Il y eut un long silence, puis Stephan demanda : - Dans quelques jours j’espère prendre des vacances avec une copine. Nous pourrions peut-être te rejoindre si ça ne te dérange pas ? 212 - Bien évidemment, ça fait déjà plusieurs fois que je te le propose ! Un ami me laisse une maison au bord de la plage. Ceux qui veulent venir seront accueillis avec plaisir. - C’est sympa, tu peux réserver deux places alors ! » Quelques minutes plus tard, les intérimaires s’affairaient au milieu des carreleurs et des tuyauteurs. Patrick poussait l’échafaudage, tout en évitant les pots de peinture et les sacs de ciment. « Quel chantier de merde, regarde ce bordel ! ragea Patrick. - Vivement les vacances, ajouta Manolo. Alors que des ouvriers installaient un faux plafond et que le tuyauteur posait les canalisations, Patrick essayait de faufiler son échafaudage. - Oh ! Tu ne vois pas que la roue de ton engin est posée sur mon carrelage ? hurla un gros barbu hirsute, une spatule à la main. - Excuse-moi, mais avec tout ce monde, je n’ai pas fait attention. Pour pouvoir continuer, Patrick devait démonter son échafaudage sinon il ne passait pas sous le plafond. - Bordel ! Je n’ai même pas l’habilitation spécifique pour le démonter, cet engin ! - On s’en fout, tu sais bien comment ça se passe, rétorqua Gérald. - Ouais, c’est comme avec les harnais de sécurité et les échelles… Il faut toujours aller plus vite : on s’en fout de la sécurité. - Remarque, tu n’as pas tort. Nous pourchassons des proxénètes mais nous sommes les premiers à exploiter les ouvriers et les intérimaires. 213 - Regarde autour de toi, tu as vu dans quelle galère ils travaillent ? Ils subissent chaque jour un harcèlement moral, ils doivent bosser toujours plus vite. Et leur pouvoir d’achat qui diminue. C’est déplorable ! - Tout ça changera. Ce n’est qu’une histoire de temps. L’homme est fait pour lutter. La bataille est sans fin mais avec une certaine morale, nous y parviendrons. Neutrino remettra sur le droit chemin les individus qui s’égarent. » Au milieu du chantier, dans la saleté et la poussière, les ouvriers déjeunaient. Assis sur un tas de briques, entre Manolo et Jeannot, Patrick savourait son sandwich. Il repensait à la soirée de mercredi et se réjouissait à l’idée qu’Haton et Bremond seraient bientôt derrière les barreaux : EEAI aurait alors de nouveaux chefs ! Les jeunes Russes seraient libérées et les proxénètes mis en prison. Le commissaire Armand reprendrait l’affaire et Patrick commencerait une nouvelle mission sur Valence, coordonnée par Gérald. Apaisé, il observait ses amis en pensant que Neutrino serait toujours là pour les plus faibles. En croquant dans son sandwich, une sensation de bonheur indescriptible l’envahissait. La machine Neutrino était en marche, et rien ne pourrait l’arrêter. 214 19 Richard avait passé le week-end à la cave, attaché à la chaise. Des escarres se formaient sur son corps et ses membres étaient endoloris. Set coupa ses liens avec un couteau aiguisé comme une lame de rasoir. Son mouvement fut tellement brutal qu’il entailla le poignet du malheureux. « Ahhh, vous m’avez coupé ! - Tais-toi vermine, arrête de te plaindre et lève-toi ! cria Haken. - Mais je ne peux pas marcher, vous m’avez bousillé les genoux ! Par pitié, détachez-moi. Set, agacé, lui assena une gifle sur la nuque. - Ferme-la, compris ? - Debout ! ordonna Haken. Péniblement, Richard se redressa en s’aidant du dossier de la chaise, le visage déformé par la douleur. - Lâche ce siège ! hurla Haken en lui redonnant une nouvelle claque encore plus forte que la précédente. Sous la violence du coup, Richard s’effondra. Sa tête heurta le sol et rebondit comme une balle de tennis. Pendant quelques secondes, il ne bougea plus. - Debout ! intima de nouveau Haken. Richard, qui commençait à tourner de l’œil, essaya de surmonter la souffrance qui le tétanisait. La douleur devenait insupportable. 215 - Tu te dépêches, ou c’est moi qui te relève à coups de pied ? grogna Set en l’attrapant par les cheveux. Pour surmonter la douleur, Richard se rappela les séances de méditation que lui enseignait Râ. Il fit le vide dans sa tête, et subitement se sentit très loin de ces tyrans sanguinaires. Il se concentrait uniquement sur sa respiration, de minuscules particules dorées pénétraient par ses narines et descendaient le long de sa trachée pour finir leur course dans ses poumons. Cette énergie traversait chacune de ses cellules et lui donna la force de se relever. Puisant dans ses dernières ressources, il réussit enfin à rester debout et traversa la pièce en titubant. Haken, stupéfait, le regardait avec de grands yeux écarquillés. - Tu me surprends ! Je ne pensais pas que tu aurais pu marcher avec les genoux dans un tel état, avoua-t-il, surpris. - Où allons-nous ? demanda Richard en le toisant. - Nous allons rendre une petite visite à ton patron. - Vous me promettez de laisser ma femme et mes enfants en paix, si je vous y conduis ? - Je n’ai qu’une parole. - Allons-y alors, de toute façon, vous ne savez pas où vous mettez les pieds. La puissance de Neutrino est immense, et vous n’en viendrez jamais à bout. - Arrête de délirer, tu penses sincèrement que ta société secrète est en mesure de rivaliser avec nous ? - Quand vous subirez les foudres d’Amon, alors vous repenserez à ce que je viens de vous dire. Mais malheureusement, il sera trop tard. Set se précipita sur Richard en levant le poing. - Arrête, tu ne vois pas qu’il divague ! gronda Haken en lui maintenant le bras. Set foudroya Richard du regard. - Je ne le sens pas ce type, rumina-t-il. 216 - Bon, allons-y à présent ! Nous allons rencontrer le grand Amon », rétorqua Haken en souriant. Haken se gara à une centaine de mètres de la propriété d’Amon, sous un vieux pin. Perplexe, il scrutait les alentours. Perdu au beau milieu de la nature, le lieu, proche de la mer, était idyllique. Une légère brise soufflait à travers la vitre du véhicule. Set arma son 44 Magnum et colla le canon contre la tempe de Richard. « Nous sommes bien devant la villa de ton chef ? demanda Haken en le dévisageant. - Oui ! affirma Richard. - J’espère que tu ne nous mens pas. Si jamais tu as raconté des histoires, je m’occuperai personnellement de chacun des membres de ta famille ! Et crois-moi, ils passeront un sale moment. Ils sortirent de la voiture. Richard, entouré par ses deux ravisseurs, guidait le tandem démoniaque. Haken enfila une paire de gants en cuir pour ne pas laisser d’empreintes. Ses yeux noir charbon détaillaient la villa. Le regard sévère et imperturbable, il installa un silencieux sur son pistolet automatique. Set se plaça derrière Richard et colla le canon de son arme contre sa nuque. La cruauté de ses bourreaux semblait sans limites. Des milliers d’images traversaient le cerveau de Richard. Que devait-il faire ? À la moindre tentative d’évasion, il serait abattu comme une bête et mettrait en péril sa famille. Pendant un court instant, il eut envie de hurler pour prévenir ses amis de l’arrivée de ces dangereux psychopathes mais sa gorge se noua et ses mains se mirent à trembler. 217 Ses genoux et son doigt le faisaient horriblement souffrir. Il serra les dents et essaya péniblement de tenir jusqu’à la porte d’entrée. Chacun de ses pas était un supplice, et à force de se mordre les lèvres, il finit par les entailler profondément. - Plus vite, ordonna Set qui le poussa avec le canon de son arme. Des gouttes de sueur coulaient le long du front de Richard, il commençait à suffoquer, la peur l’envahissait. - Sonne et demande à Amon d’ouvrir la porte. À la moindre tentative d’évasion, j’abats tout le monde, ordonna Haken en le menaçant avec son pistolet. Richard exécuta les ordres sans broncher. Quelques secondes plus tard, la voix d’Amon grésilla dans le haut-parleur. - Qui est là ? - C’est Richard, je viens pour faire le point. - Ah, c’est toi ! Tu tombes bien, Osiris et Isis partaient rejoindre Armand. Je t’ouvre, rejoins-nous dans le salon. Les yeux d’Haken brillaient, Richard ne lui avait pas menti. - Passe devant, nous restons à l’arrière, et ne fais pas l’imbécile. Amon ouvrit le portail automatique et les hommes pénétrèrent dans le jardin. Une cinquantaine de mètres séparaient la villa de l’entrée extérieure. À pas de loup, ils suivirent Richard en le mettant en joue. Après avoir longé un petit muret, ils arrivèrent enfin dans une grande véranda. - Nous sommes à côté du salon, soupira Richard, honteux. - Ferme-la et guide-nous jusqu’à ton chef, gronda Set. Péniblement, Richard fit coulisser la porte d’entrée et traversa un long couloir. Les voix des guides de 218 Neutrino résonnaient, ils se trouvaient juste à quelques mètres de lui. Pendant quelques secondes, Haken écouta leur conversation pour déterminer le nombre de personnes présentes dans le salon. Il comptabilisa quatre voix différentes. - On y va, murmura Haken. Il attrapa Richard par les cheveux et le traîna jusque dans la pièce voisine. - Que personne ne bouge sinon je descends votre collègue ! hurla Haken en lui collant son arme sur le front. Les guides furent décontenancés lorsque le fils d’Haton surgit dans le salon. Isis resta bouche bée à la vue de Richard, le visage en sang. Amon et Râ regardaient avec de grands yeux écarquillés ces individus qui les tenaient en joue. - Calmez-vous messieurs, ce doit être un terrible malentendu, répondit Osiris en s’avançant vers les voyous. - Recule ou j’abats ton sbire, rétorqua le fils d’Haton avec rage. Osiris n’écouta pas les menaces et continua d’avancer. Haken pointa son arme dans sa direction et hurla : - Je ne le répéterai pas une troisième fois, recule ! - Mais… lâchez Richard, il n’a rien fait… Un bruit sourd claqua dans la pièce. Haken venait de presser la détente de son arme. La balle frôla l’oreille droite d’Osiris et se logea dans le mur. Comprenant que l’individu ne plaisantait pas, il recula. - La prochaine fois, je vise la tête ! - Que voulez-vous ? demanda Amon calmement. - Ce que l’on veut ? Vous vous moquez de moi ? C’est plutôt à moi de vous demander ce que vous nous voulez, misérables cafards ! Le nom d’Haton ne vous dit rien ? 219 - Vous devez vous tromper de personnes, nous ne connaissons pas ce monsieur Haton. - Arrêtez de mentir, votre sbire a tout avoué. Il n’avait pas le choix sinon nous éliminions sa famille. Le visage d’Osiris s’assombrit, il comprit alors que la partie était perdue d’avance. Que dire à ces criminels ? Devait-il tout avouer ? - Puisque vous savez déjà tout, nous n’avons rien à ajouter, rétorqua Osiris pour analyser la réaction des deux individus. Haken se mit dans une rage noire, il ne supportait pas qu’on lui tienne tête. Pour intimider Osiris, il plaqua Richard à terre. Lorsque ses genoux touchèrent le sol, la douleur fut si intense qu’il hurla à la mort. Haken n’en pouvait plus, les cris et le comportement d’Osiris le rendirent complètement fou. Il disjoncta ! Son regard devint celui de la mort, il serra les dents et pointa son pistolet sur la tempe de Richard. - Tais-toi ! hurla-t-il avec rage. Richard se roula en boule en se débattant. La douleur était insupportable. Isis, qui n’en pouvait plus d’assister à un tel spectacle, s’avança en écartant les bras. Une intense lueur jaillit au creux de ses mains et forma une boule d’énergie qui ne cessait de grossir. Un son rauque sortit de sa bouche alors qu’elle continuait à avancer. Elle voulait soulager Richard. Pris de panique en assistant à cette étrange scène, Set arma son revolver et tira à plusieurs reprises sur Isis. Osiris, pour protéger la prêtresse, se plaça devant elle. Il reçut les balles de plein fouet. La violence de l’impact le fit reculer de plusieurs mètres. Il s’effondra à terre, mortellement touché. Immédiatement, ses trois amis, en état de choc, s’agenouillèrent autour de lui. Isis, en larmes, lui tenait la main tout en regardant son corps sans vie. 220 - Non ! Osiris ! Ce n’est pas possible. - Reculez ou je tire ! cria Haken, ne sachant plus que faire. Personne n’écouta ses menaces. Les guides spirituels guidaient la force vitale, le puissant Kâ d’Osiris, en direction de l’Amentha. - Je le répète une dernière fois, reculez ou je tire ! Malgré les avertissements, ils restèrent à la même place et ne bougèrent pas d’un pouce. Les paumes tournées en direction du ciel, ils guidaient l’énergie qui sortait du corps d’Osiris. Une lymphe translucide flottait dans l’air. - Tant pis pour vous ! hurla Haken. Le fils d’Haton tira plusieurs coups de feu pour les éliminer. Mais subitement, une ombre jaillit de nulle part. Un mystérieux voile noir flottait dans la pièce. Abasourdi, Set se frotta les yeux puis regarda autour de lui pour voir l’impact des balles. L’ombre avait protégé les membres de Neutrino. Haken frémit et recula de plusieurs mètres, pris de panique. Un homme avec un masque en forme d’oiseau le fixait. - Mais… Qui es-tu ? bafouilla-t-il en observant l’ombre prendre forme humaine. - Qui je suis ? Bonne question Haken. - Comment connais-tu mon prénom ? cria le jeune homme, terrorisé. L’homme, vêtu d’une longue tunique noire et blanche et dissimulé sous une capuche, l’observait. Haken ne voyait pas son visage, mais deux lumières scintillantes, à la place des yeux, semblaient le fixer. - Pour répondre à ta première question, certains m’appellent Hermès, d’autres Thot, ou parfois même “le scribe de l’éternel”. Mais à vrai dire, je n’ai pas de nom car je ne suis qu’une source d’énergie. Mon enveloppe 221 charnelle n’est que la représentation de ton esprit. Une simple illusion. - Je le descends ? demanda Set, la respiration saccadée et les mains tremblantes. Haken ne répondit pas. Set tira les dernières balles qui restaient dans son barillet mais elles n’eurent aucun effet sur le mystérieux individu. - Ne comprenez-vous donc pas ? Vous ne pouvez rien contre moi, ni contre Neutrino d’ailleurs. Vous faites seulement partie du chaos qui bouleverse l’univers. Vous êtes la force énergétique opposée et nécessaire à l’équilibre du monde. Depuis l’origine, un équilibre doit subsister, et depuis la nuit des temps, une bataille sans fin demeure entre le Kâ positif et le Kâ négatif. Haken frémit. Quelle était donc cette secte satanique ? Était-ce une simple illusion d’optique ? - On dégage, ils sont complètement secoués, lança-t-il à Set, le visage décomposé. Les deux complices, affolés, arpentèrent le salon en direction de la sortie sans se préoccuper de l’homme au masque d’oiseau. Ils coururent dans le jardin sans que personne ne les suive. Une fois à l’intérieur de leur véhicule, les deux hommes se regardèrent, terrorisés. - Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Set en haletant, le visage livide. - C’est une histoire de fou, il faut qu’on prévienne mon père de toute urgence ! Ils vont certainement se venger », rétorqua Haken en essayant de reprendre son souffle. La voiture démarra en trombe et disparut dans un énorme nuage de poussière, laissant derrière elle un homme sans vie. 222 Une nouvelle fois, Osiris quittait le monde des vivants pour rejoindre celui des dieux, et bientôt le nouvel Horus allait renaître. Comme Thot l’avait dit aux guides, l’univers est régi par les cycles énergétiques. Des êtres migrent de corps en corps à des époques bien précises. Thot est présent depuis la nuit des temps pour préparer ces événements importants. Les adorateurs du grand Aton, un dieu unique et orgueilleux, vengeur et puissant, existaient bien avant notre ère. La bataille entre le Kâ positif et le Kâ négatif est sans fin. Le clergé d’Amon lutterait sans relâche pour équilibrer les forces énergétiques de notre monde afin qu’il ne tombe pas sous la domination des forces obscures. 223 20 Stephan discutait avec Bob et Sekhmet lorsque le téléphone sonna. « Tu ne réponds pas ? demanda-t-il, étonné. - Oh, ils rappelleront plus tard si c’est important, soupira la déesse lionne. - Dis-moi Bob, pour Szeréna, tu vas faire comment ? Tu vas devoir trouver rapidement une solution car elle ne pourra pas se cacher éternellement, interrogea Stephan. - À vrai dire, je n’y ai pas encore réfléchi mais maintenant que l’affaire est terminée, nous allons peutêtre partir en vacances. Pour le moment, elle est en sécurité chez ma sœur. Elle se remet tout doucement des sévices que lui ont fait subir Haton et ses complices. Elle est encore un peu fatiguée mais elle reprend des forces. Nous lui redonnons une alimentation équilibrée. Stephan lança un regard complice à sa dulcinée tout en lui effleurant la main tendrement. Il espérait lui aussi partir en voyage, au bord de la mer. - Tu ne crains pas qu’elle ait des problèmes avec la justice ? Si elle se fait contrôler, elle sera renvoyée dans son pays. - Amon doit contacter le commissaire Armand pour qu’il s’occupe de ses papiers. Il a des amis à la 224 préfecture, et ce ne sera pas difficile d’obtenir les signatures. Et puis je dois aussi t’avouer que s’il faut que nous nous marions pour qu’elle puisse rester en France, je n’hésiterai pas un seul instant. Stupéfait, Stephan fixait Bob, les yeux écarquillés. - Tu plaisantes ou tu es sérieux ? - Quel mal y a-t-il à tomber amoureux ? - Mais tu ne la connais que depuis cinq jours. - Et le coup de foudre alors ? Ça existe ! Sekhmet secoua la tête. - Il a craqué ! Oh Bob, reviens à la réalité. Nous ne sommes pas dans un remake de la Belle au bois dormant et tu n’es pas le prince charmant. La jeune femme fut coupée par la sonnerie du téléphone. - Je vais répondre cette fois, c’est peut-être important. Sekhmet décrocha le téléphone, agacée. - Allo… Personne ne répondit. - Allo, qui est-ce ? La respiration de l’inconnu faisait grésiller le hautparleur. - Oh ? Vous répondez ou je raccroche ! - C’est moi Sekhmet, excuse-moi, mais j’ai une très mauvaise nouvelle à t’annoncer… Je ne sais pas comment te le dire. C’était Amon ! Le cœur de la belle blonde se mit à taper violemment contre sa poitrine et sa respiration s’accéléra. - Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Stephan, affolé. - Dites-moi tout, rétorqua Sekhmet, inquiète. - Osiris… Il est… - Il est quoi ? - Il… il est… mort. 225 - Mort ? hurla la jeune femme, déboussolée. - Qui est mort ? demandèrent en même temps Stephan et Bob. - Nonnnnn ! Non… Ce n’est pas possible… Mais comment est-ce arrivé ? - Nous étions dans le salon pour préparer les documents à remettre au commissaire Armand. Soudain, deux individus ont surgi en menaçant Richard avec une arme. Ils le détenaient prisonnier depuis mercredi soir, et il était dans un sale état. Isis a voulu le soigner grâce à la puissance de son Kâ mais lorsqu’elle s’est approchée, ils ont paniqué et tiré plusieurs coups de feu. Osiris a voulu la protéger, et il a reçu les balles. Sekhmet venait d’activer le haut-parleur. Ses amis écoutaient la conversation, bouleversés. - Il est vraiment mort ? ajouta Bob. Personne ne répondit. - Qui étaient ces hommes ? demanda Sekhmet en sanglots, dans un élan de lucidité. - Le fils d’Haton, et Set, son complice. Ils ont surpris Richard lorsqu’il surveillait le Lady Blue. Ils l’ont kidnappé puis torturé, en menaçant d’éliminer toute sa famille s’il ne donnait pas le nom de ses commanditaires. - Les ordures, je vais m’occuper de ces sales enfoirés si vous m’en donnez la permission. Ils subiront la vengeance de la déesse lionne. - Sekhmet… dit Amon d’une voix grave. - Oui ? - Je ne devrais pas te le demander mais… nous venons de décréter le niveau 1. Tu as la permission d’éliminer ceux qui ont participé au meurtre d’Osiris. Nous savons que tu es la seule, avec Amémet, à pouvoir réussir la mission sans prendre de risques. La dévoreuse t’attendra 226 au Lady Blue vers 21 heures. Haken doit déjà s’y trouver pour protéger son père d’éventuelles représailles. - Voulez-vous que je dise au Corse de venir surveiller votre demeure ? Vous êtes peut-être en danger ? - Ne t’inquiète pas pour nous, ce qui doit arriver arrivera ! C’est la destinée. Pars, et détruis le mal à la racine. - C’est comme si c’était fait ! La déesse lionne retrouva son regard sanguinaire. Ceux qui avaient voulu éliminer les guides le payeraient de leur vie. Haken, qui idolâtrait son père, le grand Haton, par sa soif de pouvoir, avait décidé d’élimer Amon. Il allait subir la vengeance des membres de Neutrino. Sekhmet, en furie, se préparait à livrer une guerre sans pitié. - Ils sont morts, déclara-t-elle froidement en raccrochant. Bob se tenait la tête entre les mains. Osiris était comme un père pour les membres de Neutrino. Il ne pouvait pas être mort. - Tu ne vas pas y aller toute seule ? Je viens avec toi ! Et si nous appelions le Corse ? - Non, reste ici, je dois accomplir ma mission. La jeune femme se leva, courut jusqu’à sa chambre, ouvrit l’armoire et enfila son ensemble en cuir. Elle prit ensuite sa ceinture tranchante et deux pistolets. - Sekhmet, tu as perdu la raison ! S’il te plaît, écoutemoi et reste ici ! supplia Stephan. - C’est mon destin ! Je dois y aller à présent. Lorsque j’aurai terminé, je t’appellerai, promis. - Attends, nous ne pouvons pas rester ici ! Nous venons avec toi. 227 - C’est à Amémet et moi qu’Amon a confié la tâche d’éliminer ces ordures. Si tu m’aimes, laisse-moi agir comme je le souhaite. - Mais… Stephan n’eut pas le temps de terminer sa phrase, Sekhmet claqua la porte. Bouche bée, les deux amis se regardèrent, médusés. - Mais elle est complètement folle ! Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Stephan, paniqué. - Nous allons avec elle. Dans le jardin, Stephan l’interpella en hurlant, mais elle pénétra rapidement dans son bolide et démarra en faisant crisser les pneus. - Merde… Bordel ! Elle vient de crever les pneus de ma caisse, rumina Bob. - Ça va nous retarder ! Ce n’est pas possible. Oh, mince, c’est une catastrophe. » Sekhmet arrivait au Lady Blue, survoltée. L’ange blond redevenait la tueuse sanguinaire qui faisait couler le sang partout sur son passage. Elle bondit hors de la voiture, comme une lionne enragée, les yeux brillants de colère. Amémet l’attendait, les cheveux au vent. Derrière elle, allongé à même le sol entre deux véhicules, gisait à terre un homme inanimé. Les déesses guerrières étaient prêtes à passer à l’acte. « J’ai neutralisé le gardien du parking. Il ne nous posera plus de problèmes. Ils vont payer très cher le meurtre d’Osiris, rumina Amémet en serrant le poing. - On passe à l’action ? - C’est parti ! Aucune pitié, le sang doit couler à flots ! La loi du talion : œil pour œil, dent pour dent. 228 - Deutéronome 19-21 : “Ton œil sera sans pitié : vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied” ! s’exclama Sekhmet. Face à l’entrée de la discothèque, les deux femmes toisaient Jack. - Haken est-il ici ? cria Sekhmet. - Il est dans le bureau de son père, je vais le prévenir de votre arrivée. Jack allait appuyer sur l’interphone qui le reliait directement au bureau d’Haton lorsque Sekhmet l’arrêta. - Nous allons lui faire la surprise. - Je suis désolé mais vous ne pouvez pas entrer dans le bureau du patron sans qu’il ne soit prévenu. Nous avons des ordres. Sekhmet, à bout de nerfs, frappa violemment le portier à la gorge, il tomba à genoux en hurlant de douleur. Amémet shoota sur son crâne comme sur un ballon de football pour le faire taire. La tête de Jack heurta violemment le mur. L’impact fut si puissant qu’il laissa une énorme tache de sang. - Il n’avait qu’à obéir ! Deux énormes videurs, qui venaient d’assister à la scène, portèrent immédiatement secours à leur collègue. Sekhmet dégrafa sa ceinture et la fit tournoyer dans les airs. La lame qui jaillit hors de la boucle scintillait dans la pénombre. - Reculez, sinon vous allez le regretter ! hurla la lionne en les foudroyant du regard. Les deux colosses ne l’écoutèrent pas et voulurent la maîtriser. Agile comme un félin, elle saisit le bout de sa lame et la projeta dans la jambe d’un des deux videurs qui s’effondra à terre. D’un coup sec et précis, elle tira sur la ceinture et l’arracha du quadriceps en emportant des lambeaux de peau. Une fois la lame récupérée, elle 229 l’enfonça profondément dans les pectoraux du deuxième lascar. Amémet observait le combat, admirative. - De la part d’Amon et de Râ, rugit Sekhmet en portant un dernier coup de couteau à son adversaire. - Maintenant, au tour du directeur et de ses complices, gronda Amémet. Les deux jeunes femmes se précipitèrent dans la discothèque. Le personnel n’était pas encore arrivé, et toutes les salles étaient vides. Sekhmet arpenta le couloir et ouvrit violemment la porte du bureau d’Haton. Autour du directeur, il y avait son fils, Set, Bremond et Rouel. Amémet sortit son arme en les menaçant. - Mais que faites-vous ici ? Pourquoi êtes-vous armées ? demanda Haken, affolé. Set n’eut pas le temps de sortir son revolver. Bremond et Rouel, les yeux écarquillés, regardaient les deux jeunes femmes sans comprendre ce qui se passait. - Ce que l’on fait ici, misérable cafard, tu vas vite le comprendre ! hurla Sekhmet tout en vissant son silencieux sur le canon de son pistolet. - Haken, tu connais ces filles ? gronda Haton qui n’avait pas encore réalisé la gravité de la situation. - Bien évidemment, ce sont nos copines. - La ferme, ou je bute tout le monde ! cria Amémet. - Des copines… Crétin ! Nous faisons partie de Neutrino ! Vous avez assassiné Osiris, notre guide spirituel, et vous allez payer, ajouta Sekhmet en visant Haton. Haken blêmit, il venait de comprendre que les filles avaient infiltré leur réseau. Il avait été berné ! Son père, d’habitude si arrogant, demanda d’une voix tremblante : 230 - Que voulez-vous faire de nous ? Je n’y suis pour rien ! Votre chef est mort à cause de Set. Punissez-le, mais laissez-nous vivre. J’ai beaucoup d’argent, et je peux vous acheter tout ce dont vous rêvez. Set lança un terrible regard au directeur. - Traître ! C’est votre fils, puis c’est vous qui nous avez dit de les neutraliser ! rétorqua-t-il, fou de rage. - Vous êtes tous complices, alors la ferme ! brailla Sekhmet. - Pitié, je n’ai absolument rien fait, laissez-moi partir, gémit Rouel en la suppliant. - Tu n’as rien fait ! Et les filles dont tu abusais et que tu violais ? Tu veux que l’on en parle des jeunes femmes du Lys ? - Mais… Je… - La ferme j’ai dit, le premier qui l’ouvre maintenant, je l’abats comme un chien. Levez-vous à présent, et alignez-vous en face de moi, dos au mur. - Pitié, je n’ai rien fait ! Un bruit sourd retentit dans la pièce et Rouel s’effondra. - Ahhh ! Ahhhh ! hurla-t-il en se tenant le genou en sang. Sekhmet s’approcha de lui et l’assomma à grands coups de crosse. Le sang gicla sur la moquette. - Je l’avais prévenu. Il a de la chance, je n’ai pas visé la tête. Je le répète une dernière fois : on ne parle que si je l’ordonne. On commence par vous, monsieur le directeur. Y a-t-il d’autres filles retenues prisonnières ailleurs qu’au Lys et au Lady Blue ? - Non, uniquement ici, et en Avignon. - C’est la vérité ? gronda-t-elle. - Je vous le promets ! Pourquoi vous mentirais-je ? - Et la drogue ? Qui écoule les stocks ? 231 - C’est Set et moi uniquement. Mon père est en dehors de tout ça, intervint Haken en baissant la tête. - Je n’y suis pour rien ! Par pitié, laissez-moi vivre ! cria Bremond, terrifié. Amémet fit un bond et lui asséna un coup de pied. - Vous êtes tous complices ! Sekhmet s’amusait comme un chat qui joue avec une souris avant de la dépecer vivante. - On en finit ? demanda Amémet en posant le canon de son arme contre le crâne d’Haton. Sekhmet cligna de l’œil et pressa la détente de son pistolet. Aucun des voyous n’eut le temps de réagir. La balle atteignit Haken en plein milieu du front, le tuant sur le coup. Son père n’eut pas le temps de crier ; à son tour, Amemet lui explosa le crâne à bout portant. Le sang gicla sur le visage de Bremond qui, terrifié, s’évanouit. La déesse lionne changea la direction du canon et mit en joue le terrible Set. Il comprit qu’il n’aurait aucune chance de s’en sortir vivant. - Attendez, ne tirez pas ! Je peux vous montrer des papiers qui peuvent vous servir de preuves, hurla-t-il. - C’est quoi ces papiers ? rugit Sekhmet. Set fit semblant de se diriger vers le bureau. - Ne bouge plus et dis-nous tout ! Set s’avança jusqu’à la fenêtre et, en désespoir de cause, il se jeta dans le vide en brisant la vitre. Il fit une chute de plusieurs mètres avant de toucher violemment le sol. Amémet se précipita à la fenêtre mais l’homme s’était déjà relevé et courait sur le parking. Elle tira plusieurs coups de feu qui le frôlèrent. Il disparut de l’autre côté de la rue. - Il nous a échappé ! 232 - Nous le retrouverons. L’essentiel, c’est d’avoir éliminé son chef ! s’exclama Sekhmet en observant Haton le crâne en sang, allongé contre son fils, la bouche ouverte et les yeux révulsés. - Les charognes… - Et pour Bremond et Rouel ? Sekhmet inspira un coup sec et s’avança vers les deux hommes évanouis. Elle redressa la tête de Bremond et plaqua son pistolet contre son front. - Adieu ordure ! murmura-t-elle. Au même moment, la porte s’ouvrit et Bastet apparut en compagnie de Stephan et Bob. La déesse protectrice était vêtue d’une longue robe blanche. Lorsqu’elle écarta les bras, son aura enveloppa la pièce entière. L’ankh qu’elle portait autour du cou se mit à briller de mille éclats. - Arrête ! Amon et Râ ont agi sous le coup de la colère en te demandant d’éliminer ces voyous, et ils le regrettent. Calme-toi et oublie ta soif de vengeance, cria Bastet. - Laisse-les vivre, Bremond et Rouel ne sont pas des assassins, ajouta Stephan. - Mais Osiris est mort, ils doivent payer ! - Tu ne peux pas éliminer tout le monde. Allez, range cette arme et viens avec nous. Amon nous attend ! Bastet ferma les yeux et prononça une formule magique qui apaisa aussitôt Sekhmet. La déesse sanguinaire retrouva son visage angélique. - Tu as raison, je ne peux pas éliminer des innocents… Stephan s’avança et prit la belle blonde dans ses bras. - Viens, nous ne devons pas rester ici, la police va arriver. - La pièce est insonorisée, je ne pense pas que quelqu’un ait entendu les coups de feu, remarqua Bob. 233 - De toute manière, Armand nous couvre, lâcha Amémet. Bob entrouvrit la porte. - La voie est libre, nous pouvons sortir. Les membres de Neutrino franchirent rapidement le long couloir qui les séparait de la sortie. - Les videurs ne sont plus là ! Ils sont passés où ? - Je me suis occupée d’eux, ainsi que de l’homme qui gisait entre les deux véhicules, annonça Bastet. - Personne ne t’a vue ? - Je maîtrise le Kâ, ne l’oublie pas ! Je peux passer inaperçue lorsque je le souhaite. - Que faisons-nous à présent ? demanda Sekhmet en serrant très fort la main de Stephan. - Nous devons rejoindre les guides. Isis prépare la cérémonie. La prophétie se réalise, l’âme d’Osiris doit être guidée vers le royaume des morts. Avant qu’il ne nous quitte définitivement, le grand Horus doit être révélé. - Horus ? demanda Sekhmet, stupéfaite. - Isis nous attend. Vous allez bientôt découvrir la prophétie. » 234 21 Les membres de Neutrino étaient tous réunis autour du grand Osiris, dans la villa de Tibère, à Vaison-laRomaine. Le visage sombre et les yeux humides, ils se recueillaient une dernière fois devant leur guide spirituel. Osiris, le visage serein, les bras croisés, le sceptre Neheh et le fouet Heqa dans les mains, était allongé dans un cercueil fabriqué avec du bois de sycomore. Isis, les paumes dirigées vers le ciel, lisait à haute voix un texte écrit en hiéroglyphes et inscrit sur un vieux bloc de granit. Tel était l’Hymne à Osiris dans l’Égypte ancienne : Mis sur le trône de son père, Loué par son père Geb, Aimé de sa mère Nout, Puissant quand il tue les rebelles, Dont le bras fort fait tomber ses ennemis, Vainqueur de ceux qui font le mal, Écrasant les rebelles d'un cœur ferme… Sa sœur est sa gardienne, Tenant ses ennemis à l'écart, Elle arrête les fauteurs de troubles, Par le simple pouvoir de la parole. 235 Celle dont la langue est habile, Dont le discours jamais ne faillit, Puissante Isis, protectrice de son frère ! Qui partit à sa recherche, infatigable, Qui erra dans le pays, pleurant, Qui jamais ne se reposa jusqu'à ce qu'elle le trouve. Le mettant à l'abri dans son plumage, Lui faisant de l'air avec ses ailes, Elle se réjouit et se joignit à lui, Lui rendant son souffle vital, Pour devenir réceptacle de sa semence et porter son héritier. Une fois le texte sacré prononcé, Isis prépara le dernier voyage de son ancien amant tel qu’il était enseigné dans le livre des morts égyptien. Ce rituel ancestral l’aiderait à franchir les diverses étapes que devait subir le défunt. À la suite de ce périple, son âme arriverait enfin au Douât : le monde des dieux ! Mais avant qu’il ne quitte définitivement son enveloppe charnelle, elle devait auparavant utiliser le Kâ d’Osiris, sa force vitale, pour insuffler le souffle de vie au nouvel Horus. Face à eux, Thot brandissait l’ankh, la croix de vie. Il aidait Isis à guider l’énergie vitale vers l’élu. Un souffle chaud traversa la pièce et une lymphe translucide enveloppa chacun des membres. Thot posa la croix et déclara : « Vous vous demandez certainement qui va prendre place aux côtés de Maât et Tibère pour diriger Neutrino ? Comme je l’ai déjà dit précédemment, le cycle se poursuit, et rien n’est le fruit du hasard. Horus est déjà parmi nous mais pour qu’il puisse retrouver ses pouvoirs ancestraux, il doit recevoir le souffle éternel. 236 Le nouveau millénaire vient de débuter, et l’énergie de l’Égypte ancienne lui insufflera la connaissance universelle. Je sais que c’est difficile à comprendre mais c’est ainsi : l’énergie vitale demeure éternelle. Isis prononça de nouvelles incantations tandis que Maât, Tibère, Amon, Râ et Anubis priaient pour le départ du Ba d’Osiris. Chez les Égyptiens, le Ba représentait l’âme du mort. Stephan, qui était un profane en la matière, observait la cérémonie, les yeux écarquillés. Pour la première fois de sa vie, il assistait à un rituel funéraire. Bob, qui avait déjà participé à de mystérieuses séances de magie, était toujours resté hermétique au pouvoir d’Isis. Quant à Zibus, Gérald, Patrick, Mustang et le Corse, ils ne s’étaient jamais vraiment posé la question. Pour eux, Isis possédait certains dons, tout comme Sekhmet et Bastet, et ils l’acceptaient. Mais à présent, les paroles de Thot les effrayaient ! Ce concept d’énergie ancestrale, de pouvoirs occultes et de transmission de savoir les dépassaient complètement. Ils perdaient leurs repères ! Tout à coup, alors qu’ils écoutaient attentivement les formules magiques prononcées par Isis, un étrange phénomène se produisit : le corps d’Osiris devint d’un blanc pur et brillant. Un éclair jaillit au milieu de la pièce, aveuglant tout le monde. Thot s’avança en direction de Stephan en écartant les bras. - Horus, le dieu faucon, tu es né de l’union du Kâ d’Isis et d’Osiris. Tu es le réunificateur des deux terres ! Aujourd’hui, tu reviens pour guider l’humanité vers la vérité. Reçois le souffle éternel qui te redonnera les pleins pouvoirs. Thot posa ses mains sur les épaules de Stephan qui se sentit traversé par un puissant courant électrique. Il avait 237 l’impression que chacune des cellules de son corps se restructurait. Sa tête se mit à tourner, ses paupières devinrent si lourdes qu’il dut les fermer. La voix d’Isis se faisait de plus en plus distante. En rêve, Stephan se voyait à l’intérieur d’une immense pyramide dans laquelle il observait des hommes en tunique blanche, arborant des masques en or et effectuant une cérémonie initiatique. L’un d’eux s’approcha de lui et parla dans une langue inconnue. Ensuite, il se figea et brandit un bâton. Puis Stephan perdit pied à nouveau, et des milliers d’images traversèrent son cerveau. Quelques secondes plus tard, il retrouvait ses esprits. - Ça va Stephan ? Comment te sens-tu ? Tu es tout pâle, s’enquit la belle Sekhmet, paniquée. - Oui, oui… C’est bizarre, je me sens léger, très léger… J’ai la tête qui tourne. - Ce n’est rien. À présent, tu es le nouvel Horus ! ajouta Isis. - Le nouvel Horus… Mais c’est quoi cette histoire de fou ! Et Thot, où est-il passé ? demanda Stephan en regardant de tous les côtés. - Il est parti. La cérémonie est finie et la prophétie s’est réalisée. Maintenant tu es le nouveau guide de Neutrino. - Mais… Je… Ce n’est pas possible ! Comment je vais faire… Je ne peux pas. - C’est ainsi, tu apprendras ! Nul ne peut lutter contre sa destinée. Stephan se tourna vers Sekhmet, abasourdi. - Je n’y arriverai jamais. Comment pourrais-je diriger une telle organisation ? Seul Osiris en était capable ! 238 - Thot t’a transmis la force nécessaire. Fais-lui confiance ! Dès aujourd’hui, tu deviens notre guide. Tu seras le pilier qui soutient l’édifice. - Ne t’inquiète pas, Maât et Tibère seront toujours présents pour te guider. Tu n’es pas seul, Neutrino est une grande famille, ajouta Isis pour le rassurer. Au même moment, la grande porte s’ouvrit et le commissaire Armand apparut. - Excusez-moi du retard… Je suis désolé d’arriver à la fin de la séance mais l’enquête a pris plus de temps que prévu. Félicitations Stephan, je suis persuadé que tu sauras reprendre le flambeau. Nous te faisons tous confiance. - Euh, bonjour mais… vous me connaissez ? Amon et Râ s’avancèrent pour accueillir leur ami. - Bien évidemment qu’il te connaît, nous lui avons déjà parlé de toi ! Thot nous avait déjà dit que tu serais le futur Horus. - Donc vous saviez qu’Osiris allait mourir ? - Bien sûr que non, Thot n’avait encore rien dit. Lors de notre dernière rencontre, il avait simplement annoncé que c’est toi qui reprendrais la direction du groupe de Vaison-la-Romaine. Nous ne pensions pas que cela se produirait ainsi… - Je souhaiterais tellement qu’il soit encore parmi nous ! » s’exclama Isis en laissant échapper une larme. L’assemblée se recueillit une dernière fois autour d’Osiris pour lui témoigner sa profonde compassion. Isis s’avança et lui effleura la main tendrement tout en l’embrassant sur le front. Ce que ne savaient pas les jeunes membres, c’est que par le passé, Osiris et Isis avaient eu une idylle qui avait duré plusieurs années mais à cause de leurs responsabilités, ils avaient dû se 239 séparer. Néanmoins, ils se témoignaient l’un envers l’autre une profonde tendresse. Lorsque la cérémonie fut terminée, ils se réunirent tous dans l’hypostyle pour discuter de l’affaire Lady Blue. « Ne vous inquiétez pas, il ne reste plus aucune trace de votre passage dans la discothèque. Set est le principal suspect pour l’assassinat d’Haton, et il est activement recherché par la police ! C’est comme si vous n’aviez jamais mis les pieds au Lady Blue. Le chef de la police scientifique est une vieille connaissance… Il va d’ailleurs intégrer, très bientôt, la section Neutrino de Marseille. Par la suite, il espère faire initier certains de ses techniciens. Bremond et Rouel sont actuellement en garde à vue. Ils ne se souviennent plus de rien ! Ils seront poursuivis pour proxénétisme aggravé, comme Angelo, le gérant du Lys. Dans la voiture de Rouel, nous avons retrouvé une valise contenant plusieurs sachets de cocaïne, ainsi que des liasses de billets. Depuis une semaine nous épluchons les dossiers que vous nous avez transmis, et croyez-moi, avec toutes ces preuves, ils resteront un bon moment sous les verrous. Vous avez fait du bon travail mes amis. Grâce à vous, l’enquête sera vite bouclée ! Je dois quand même vous avouer que j’ai longtemps hésité à rejoindre le groupe puis, à la suite du décès d’un de mes inspecteurs, j’ai décidé de franchir le pas. Ensemble, nous accomplirons des miracles. - Et les filles ? Que vont-elles devenir ? demanda Zibus. Le commissaire Armand baissa la tête. 240 - La plupart n’étant pas françaises, elles devront retourner dans leur pays d’origine ! Je suis désolé… - Et Szeréna ? s’inquiéta Bob. - J’en ai déjà touché un mot à un vieil ami. Pour l’instant, évitez de vous faire remarquer mais je pense qu’il n’y aura pas de souci. - Merci beaucoup commissaire, ajouta-t-il, rassuré. - Nous retrouverons cette ordure de Set, et s’il le faut, nous irons le chercher à l’autre bout du monde, ragea Stephan en serrant les poings. - Calme-toi mon chéri, lui susurra Sekhmet en lui caressant la main. - À présent, je dois rentrer, Carole amène Élodie ce soir ! Tu viens avec moi ? Sekhmet hocha la tête en lui faisant les yeux doux. Anubis s’approcha de Stephan. - Attends, nous n’avons pas encore terminé la séance. Suis-moi ! Stephan suivit l’homme à la tête de chacal au bout de la salle. - Assieds-toi. Il s’exécuta sans broncher. - Maintenant que tu es devenu notre guide, il te reste une dernière étape à accomplir. - Laquelle ? Anubis sourit et lui montra son poignet. - Le tatouage sacré ! L’emblème de Neutrino. - Tu m’as fait peur ! » s’exclama Stephan, rassuré. Anubis sortit son matériel et se mit à l’œuvre. Une heure plus tard, Stephan arbora le tatouage sacré de Neutrino, ses amis applaudirent. 241 « Voilà, maintenant tu fais vraiment partie des nôtres, ajouta Anubis. - Comme c’est mignon ! s’émerveilla Amémet en contemplant le tatouage. - Allez, filez ! Maintenant que nous avons terminé la mission, profitez de vos quelques jours de congé, dit Amon en désignant Sekhmet et Stephan. - Merci à tous ! » lança le nouvel Horus, ému, en quittant la salle main dans la main avec sa dulcinée. Une semaine plus tard, Stephan et Sekhmet embarquaient pour le vol 575, en destination de la Thaïlande, en compagnie de Bob et Szeréna. Dans l’avion, le nouvel Horus lisait une lettre de sa fille. « Carole est d’accord pour me laisser Élodie tous les week-ends, et même le mercredi soir. C’est merveilleux ! - Oui mon chéri, tout se termine bien, dit la belle Sekhmet en posant la tête sur son épaule. Philippe, Manolo et Jeannot étaient eux aussi du voyage. Les trois intérimaires partaient en vacances avant d’être embauchés par le nouveau directeur qui remplaçait Haton. Ils comptaient bien faire la fête tous les jours. - Il est cool le nouveau boss ! cria Jeannot au fond de l’appareil. - Ouais, un super chef ! » ajouta Manolo en levant le poing. Stephan se retourna et fit un clin d’œil. C’était lui le nouveau directeur. 242 Cet ouvrage est disponible dans la boutique : http://www.lulu.com/ Site Web de l’auteur : http://patrick.bouchet1.free.fr/ Contact : [email protected] 243