la stimulation cognitive du cervelet

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la stimulation cognitive du cervelet
LA
STIMULATION COGNITIVE DU CERVELET
RESUME : LE CERVELET PERMET DE MAINTENIR ET DE MODULER DE FAÇON ADAPTEE LA FORCE D'UN GESTE, LA LONGUEUR
D'UN PAS, LA COURBURE D'UN MOUVEMENT, LA DUREE D'UNE ACTION. LA REEDUCATION FAIT-ELLE LE POIDS FACE A UNE
ATAXIE QUI DESAUTOMATISE OU QUI EMPECHE L’AUTOMATISATION PROGRESSIVE DE TANT DE GESTES SIMPLES ? POUR
CERTAINS, LA REEDUCATION EST NECESSAIRE SANS ETRE REELLEMENT EFFICACE. LA RAISON SOUVENT EVOQUEE EST QUE
L’ATAXIQUE A, BIEN MALGRE LUI, LE PROFIL DU « MAUVAIS ELEVE » : IL VA METTRE ENORMEMENT DE TEMPS POUR APPRENDRE
A CONTROLER CONSCIEMMENT UN GESTE D’UNE PART, IL VA AVOIR ENORMEMENT DE MAL A MAINTENIR CET APPRENTISSAGE
DANS LE TEMPS D’AUTRE PART. SEUL UN ENTRAINEMENT REPETE D’ESSAIS ET DE CORRECTIONS D’ERREURS LORS D’EXERCICES
DOIT PERMETTRE DES GAINS, TRES MAIGRES. L’ARTICLE QUI SUIT CONFIRME CET ETAT DE FAIT ET DEVELOPPE UN POINT DE VUE
SUR LA REEDUCATION QUI CHERCHE A FRANCHIR CET OBSTACLE. IL DEMONTRE QU’UN SIMPLE EXERCICE PHYSIQUE REPETE N’A
PAS D’INCIDENCE SUR L’ETAT NEURONAL CEREBELLEUX, ALORS QU’UN ENTRAINEMENT A DES SITUATIONS DE TYPE
ACROBATIQUE S’ASSOCIE A UNE REARBORISATION AXONALE STABLE DANS LE TEMPS. LE RESULTAT EST EGALEMENT VERIFIE
CHEZ UN MAMMIFERE AGE DONT LE CERVELET A ETE EXPERIMENTALEMENT ATROPHIE PAR ALCOOLISATION MASSIVE. LA
PRATIQUE REEDUCATIVE DEMONTRE EGALEMENT QU’UN REAPPRENTISSAGE PLUS RAPIDE ET PLUS STABLE DANS LE TEMPS NE
PASSE PAS PAR UNE QUANTITE ENORME D’EXERCICES REPETITIFS, MAIS PAR UN REPERTOIRE CHOISI DE SITUATIONS
CONTRAIGNANTES. DES EXEMPLES CONCRETS DANS LE DOMAINE DE LA REEDUCATION DE LA PAROLE SONT ENFIN DEVELOPPES.
Devant cette assemblée*, les Professeurs Pierre Césaro et Alexis Brice ont tour à tour parlé
d’un bégaiement du génome. Ce bégaiement-là est hors de portée de l’orthophonie et de la rééducation en
général. Ils évoquaient les réplications de triplets d’acides aminés observées dans le patrimoine génétique
de patients affectés d’une maladie dégénérative spino-cérébelleuse [1]. Lorsque le nombre de ces mutations
de l’A.D.N. dépasse une valeur critique, le gène en cause ne code plus correctement et suffisamment une
protéine dont la carence entraîne une perturbation grave du fonctionnement de neurones du cervelet. Les
conséquences sont des troubles de l’équilibre, une incoordination du mouvement, une altération de la
parole. L’ataxie de Friedreich est un exemple bien étudié. Dans cette affection, la carence progressive de
frataxine entraîne une oxydation excessive du fer qui entraîne une destruction neuronale. Dans l’esprit de
chacun, une future thérapie génique occupe, virtuellement, le champ du traitement de ces maladies. Une
action est aussi envisagée en aval du codage génétique : il s’agit d’apporter une substance qui supplée aux
fonctions de la protéine manquante. Une telle action est mise en œuvre dans l’ataxie de Friedreich. À côté
de ces recherches les plus avancées, il existe des ataxies pour lesquelles une mutation génétique a été
repérée, mais dont on n’a pas encore une idée précise des conséquences sur la physiologie du neurone.
Pour d’autres ataxies, dégénératives ou non, on n’a relevé aucune mutation dans le patrimoine génétique à
ce jour et l’on ne connaît pas les mécanismes qui aboutissent à la pathologie du neurone. Enfin, pour de
nombreux patients, l’ataxie s’associe à une lésion du cervelet qui n’est pas évolutive et dont l’origine est
une malformation, un retard de développement, un traumatisme cérébral, un accident vasculaire
circulatoire, une intoxication.
Dans le contexte de ces mécanismes neurophysiologiques divers, complexes et encore mal connus qui
sous-tendent la pathologie du cervelet, qu’attendre, aujourd’hui, de la rééducation ?
Un programme d’études en neurosciences apporte des réponses. Il est mené depuis dix ans par l’équipe
de W.T. Greenough à l’Université de l’Etat de l’Illinois et porte sur les changements physiologiques qui
interviennent dans la structure du cervelet à la suite de différentes conditions expérimentales imposées à un
mammifère, en l’occurrence le rat.
QU’APPORTE UN ENTRAINEMENT PHYSIQUE SIMPLE, PRATIQUE REGULIEREMENT ?
En kinésithérapie, en ergothérapie ou en orthophonie, la rééducation se base sur le principe d’exercices
adaptés qui sont répétés de façon régulière. La reprise de ces exercices en dehors du temps des séances
par le patient, avec l’aide éventuelle de son entourage, permet d’obtenir une réelle modification des
aptitudes. Pour le patient comme pour le rééducateur, la rééducation ne cherche pas à traiter la maladie
mais à entretenir un niveau physique et des capacités fonctionnelles optimales. Un patient qui pratique
régulièrement une rééducation peut dire son ressenti d’un mieux-être physique et moral. Lorsqu’il
interrompt occasionnellement cette rééducation et qu’il la reprend par la suite, le patient peut faire le
constat d’un certain niveau de performance physique qu’il a perdu et qu’il doit retrouver. Dans le cas d’un
traumatisme, d’une lésion vasculaire ou d’une intoxication du cervelet, ce travail d’entretien prend place
lorsque la phase de récupération fonctionnelle est considérée comme achevée. Dans le contexte d’une
pathologie qu’on a identifiée comme évolutive, l’objectif d’une tel travail est de permettre au patient de
conserver le plus longtemps possible un niveau fonctionnel considéré comme transitoire, et d’en
accompagner au mieux la dégradation.
Pour évaluer les implications neurophysiologiques d’un tel entretien physique, W.T. Greenough et ses
collaborateurs [2, 3] comparent des coupes de cervelet de deux groupes de rats adultes. Ceux d’un premier
groupe vivent dans des habitats individuels et restent inactifs. Ils sont nourris et manipulés une fois par
* Assemblée générale de l’association française Connaître les Syndromes Cérébelleux, Samedi 27 Avril 2002,
Cramant (Champagne), France.
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jour. Les rats du deuxième groupe sont logés dans les mêmes conditions, mais ils sont astreints à un
exercice physique régulier. Il s’agit de courir sur un tapis roulant ou d’arpenter les barreaux d’une roue
tournante. Les scientifiques observent ensuite des coupes anatomiques du lobule cérébelleux paramédian de
ces animaux, dont on sait qu’il est en activité lors d’un tel exercice physique. On ne relève aucune
différence significative entre les deux groupes d’animaux pour le nombre de synapses par neurone, la taille
de ces synapses et la proportion de mitochondries par neurone dans cette structure du cervelet. Par contre,
on observe dans le groupe de rats soumis à l’exercice physique régulier une densification du réseau
vasculaire. Cette angiogénèse est associée aux besoins métaboliques accrus qu’entraîne l’exercice physique.
Ces résultats confirment l’hypothèse selon laquelle l’usage répété des mêmes circuits neuronaux n’entraîne
pas une modification ou un développement de ceux-ci.
Dans une expérience plus récente [4], ces chercheurs provoquent un syndrome cérébelleux toxique chez
des rats. Pour cela, ils administrent par gastrotomie à des rats, entre leur 4ème et leur 9ème jour de vie, 4,5
grammes d’alcool par kilogramme et par jour. Une telle exposition de nouveau-nés à l’alcool induit une
réduction permanente et significative du nombre de neurones cérébelleux. Sur le plan clinique, les aptitudes
motrices de ces rats sont déficitaires. Des rats témoins reçoivent par gastrotomie une solution nourrissante.
D’autres spécimens sont alimentés directement par leurs mères. Au 10ème jour, tous les rats sont de
nouveau allaités par leurs mères. Après la période de l’allaitement, les rats vivent dans des cages par
groupes de deux ou trois individus. A l’âge de six mois, les rats sont soumis à une dépense physique
identique à celle qui a été décrite précédemment. Les animaux sont évalués avant et après cet exercice
sous l’angle de l’équilibre moteur et de la coordination. Ils doivent cheminer sur des barres parallèles,
franchir une plate-forme en rotation, grimper le long d’une corde. La dépense physique n’améliore pas
l’équilibre et la coordination à ces épreuves des rats qui ont été primitivement alcoolisés. Ce résultat
confirme l’absence de valeur rééducative d’une simple dépense physique.
Des circonstances diverses conduisent à rechercher une rééducation qui développe un entretien
physique standard qui serait fait d’exercices répétés et invariants. Des patients disent leur satisfaction d’un
mieux-être que ce travail leur procure et disent également leur souhait de quelque chose qui irait au-delà.
Pour certains patients, la répétition d’exercices est proscrite. Ainsi, lorsque la lésion du cervelet est associée
à d’autres lésions cérébrales, comme dans les atrophies multi-systémiques de l’adulte où l’atteinte
lésionnelle est par exemple olivo-ponto-cérébelleuse, la simple répétition d’un exercice d’articulation de la
parole ou de lecture orale d’une phrase peut entraîner un vertige, ce qui exclut, de fait, tout travail répétitif.
Lorsque la lésion du cervelet a pour origine une malformation congénitale ou un retard de développement,
la rééducation se situe dans l’accompagnement spécifique des apprentissages moteurs d’un enfant dont le
cervelet est, au même titre que tous les enfants, en cours de développement des années encore après sa
naissance. Un apprentissage didactique et répétitif pour ces enfants est particulièrement difficile, et pour
tout dire inadapté.
QU’ESPERER DE PLUS QU’UN ENTRETIEN PHYSIQUE ?
L’exposition précoce à une expérience complexe semble apporter une protection à une dégradation
motrice et cognitive. L’exposition à une expérience complexe à un âge même avancé peut générer de
nouvelles liaisons synaptiques. Le cerveau a ainsi la capacité de modifier son organisation en réponse à des
demandes comme celles qui résultent d’un apprentissage, cela tout au long de la vie. Ces changements
induits par l’expérience s’accompagnent de changements neurophysiologiques. Quels sont-ils dans le cas du
cervelet ?
Parallèlement aux groupes de rats soumis à un exercice physique intense ou à une inactivité, W.T.
Greenough et ses collaborateurs [2, 3] soumettent un troisième groupe de rats adultes à une condition
d’activité physique plus élaborée. Il s’agit par exemple de franchir dix obstacles de hauteur variable pour
atteindre la nourriture mise à disposition. Ces animaux sont astreints à développer une coordination motrice
poussée quasi acrobatique. Un tel apprentissage moteur simule un entraînement rééducatif. Comme pour
les deux premiers groupes d’animaux, les scientifiques observent ensuite des coupes anatomiques du lobule
cérébelleux paramédian de ces rats, dont on sait qu’il est en activité lors d’un tel apprentissage.
Dans cette structure du cervelet, on observe de façon significative chez ces animaux une augmenta
tion du nombre de synapses [5], une augmentation de la taille des boutons synaptiques, une augmentation
de la taille et de la forme des zones de contact synaptique, une augmentation de la part du volume des
mitochondries dans le volume neuronal total, une augmentation du nombre de fibres synaptiques
parallèles par neurone [2, 3, 6], une augmentation de l’arborisation dendritique [7] et une augmentation de la
taille du milieu intérieur neuronal [8]. Le volume capillaire sanguin a également augmenté, mais dans la
stricte proportion de l’augmentation du volume cellulaire neuronal [2].
La mise en situation d’apprentissage moteur s’accompagne donc d’un développement, d’une arborisation
synaptique entre les neurones du cervelet, arborisation qui n’a pas lieu lors d’un simple entretien physique
ou d’une inactivité. Plusieurs questions peuvent venir à l’esprit sur ce qui me semble maintenant possible de
qualifier de « stimulation cognitive du cervelet ».
L’importance de ces nouvelles liaisons synaptiques est-elle proportionnelle à la durée
de l’apprentissage ?
Au gré de leurs différents protocoles, W.T. Greenough et ses collaborateurs font le constat de cette
arborisation synaptique pour des périodes d’apprentissage moteur de 10 jours [4, 9], 20 jours [10], un mois [2]
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ou plusieurs mois [11]. Dans une expérience spécifiquement orientée sur cette question [9], ils démontrent
l’existence d’une telle arborisation synaptique chez des rats adultes dont certains viennent d’effectuer dix
journées d’apprentissage moteur et dont d’autres ont passé une période de 38 jours soumis à la condition
d’apprentissage moteur. Cette arborisation synaptique n’est pas quantitativement différente dans les deux
groupes.
Dans cette situation, l’importance quantitative de ces nouvelles liaisons synaptiques n’est pas
proportionnelle à la durée de l’apprentissage. On peut faire l’hypothèse que ces liaisons synaptiques
s’élaborent dans les premiers temps de confrontation à la situation. Durant ces premiers temps, le travail
fourni est véritablement un apprentissage. Passés ces premiers temps, l’aptitude est acquise et le travail
fourni se rapporte alors plus à un travail d’entretien.
Ces nouvelles liaisons synaptiques perdurent-elles au moment de l’apprentissage ?
Dans la même expérience [9], W.T. Greenough et ses collaborateurs constituent un troisième groupe de
rats adultes qui sont, eux, soumis à dix jours d’apprentissage suivis d’une période de quatre semaines sans
activité particulière. Cette période de quatre semaines, rapportée à l’espérance de vie de ces rats, est plus
longue que le même terme rapporté à l’échelle de l’espérance de vie humaine. Les animaux sont, ensuite
seulement, soumis à l’observation anatomique. Une arborisation synaptique significative est rapportée. Elle
n’est pas quantitativement différente de celle observée dans le cas des deux autres groupes d’animaux.
Dans ce contexte donc, les nouvelles liaisons synaptiques induites par la situation d’apprentissage
perdurent au temps d’apprentissage. Ces liaisons ne sont pas altérées ou supprimées par une inactivité qui
suit le temps de l’apprentissage. Cela n’est pas sans évoquer à chacun la capacité de faire du vélo ou de
nager qui peut être rémanente après des années passées sans pratiquer ces aptitudes motrices.
Ces nouvelles liaisons synaptiques vont-elles de pair avec une amélioration des
capacités de coordination et d’équilibre testées en dehors du contenu spécifique de
l’apprentissage ?
Dans une expérience déjà citée [4], des rats adultes sont amenés à apprendre à cheminer sur un
parcours composé de dix obstacles élevés. Avant et après 20 jours d’un tel apprentissage, ces animaux sont
testés dans trois tâches sensibles aux déficits d’équilibre et de coordination, mais différentes de la tâche
constituant l’apprentissage. Il s’agit de cheminer sur des barres parallèles, de traverser une roue tournante,
de grimper le long d’épaisses cordes. Les rats augmentent significativement leur niveau de performance aux
trois tests d’équilibre et de coordination après l’apprentissage.
Dans ce contexte, les liaisons synaptiques induites par un apprentissage vont donc de pair avec une
amélioration des capacités de coordination et d’équilibre testées en dehors du contenu spécifique de
l’apprentissage.
Ces nouvelles liaisons synaptiques peuvent-elles concerner des individus âgés ?
Dans l’état actuel de nos connaissances, l’avancée dans l’âge est généralement synonyme de perte
neuronale chez le mammifère. Pour déterminer si l’exposition à une expérience complexe à un âge même
avancé peut malgré cela générer de nouvelles liaisons synaptiques dans le cervelet, W.T. Greenough et ses
collaborateurs [11] étudient les modifications neurophysiologiques cérébelleuses de rats âgés soumis durant 4
mois et demi à un environnement induisant une stimulation sensori-motrice étendue. L’agencement des
lieux de vie de ces animaux réclame de leur part un apprentissage d’aptitudes motrices fines nécessitant
coordination et équilibre. Ces rats sont soumis à une observation neuroanatomique de leur cervelet après
ces 4 mois et demi. Un deuxième groupe de rats de même âge est pris comme témoin : ils sont maintenus
sans activité dans des cages par groupe de deux individus et sont l’objet d’une même observation
neuroanatomique de leur cervelet après 4 mois et demi. Un troisième groupe de rats de même âge
constitue une ligne de base temporelle : ils sont soumis à une observation neuroanatomique du cervelet au
moment où les deux autres groupes entament la période de 4 mois et demi. Ce terme de 4 mois et demi
représente, au regard de l’espérance de vie de ces animaux, une période longue.
A l’observation neuroanatomique, on ne constate pas de diminution significative du nombre de dendrites
principales des neurones cérébelleux entre le premier et le deuxième groupe d’une part, et le troisième
groupe d’autre part. Le vieillissement n’entraîne donc pas de perte de dendrites principales des neurones
cérébelleux. Il y a une diminution significative du nombre de dendrites secondaires des neurones
cérébelleux entre le premier et le deuxième groupe d’une part, et le troisième groupe d’autre part. Le
vieillissement entraîne donc une perte de dendrites secondaires des neurones cérébelleux, c’est la
dégénérescence due au vieillissement. Enfin, les rats du premier groupe ont un nombre de dendrites
secondaires plus important que les rats du deuxième groupe. Cela signifie que de nouvelles liaisons
synaptiques ont été élaborées chez ces rats âgés soumis à un environnement induisant l’apprentissage
d’aptitudes motrices fines nécessitant coordination et équilibre. Ce processus vient pour partie
contrebalancer le processus de sénescence.
Ces nouvelles liaisons synaptiques peuvent-elles
présentent une pathologie cérébelleuse ?
concerner
des
individus
qui
Dans une expérience déjà citée [4], un groupe de rats chez qui on a provoqué un syndrome cérébelleux
toxique par alcoolisation néonatale est soumis, à l’âge de six mois et sur une durée de 20 jours, à un
3
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entraînement rééducatif constitué d’épreuves motrices élaborées, comme apprendre à franchir une suite de
dix obstacles hauts. Ces animaux sont évalués avant et après cet apprentissage sous l’angle de l’équilibre
moteur et de la coordination. Ils doivent cheminer sur des barres parallèles, franchir une plate-forme en
rotation, grimper le long d’une corde. L’entraînement rééducatif de ces rats leur assure ensuite un niveau
optimum de performance à ces épreuves d’équilibre et de coordination, niveau qui devient équivalent à celui
de rats qui n’ont pas été soumis à l’administration d’alcool. Ces rats montrent, lors d’une observation
neuroanatomique effectuée après l’entraînement rééducatif, une augmentation significative, dans le lobule
cérébelleux paramédian, du nombre de synapses, de la taille des boutons synaptiques, de la taille et de la
forme des zones de contact synaptique, du nombre de fibres synaptiques parallèles par cellule de Purkinje,
de la part des mitochondries dans le volume total de la cellule de Purkinje, de la taille de la surface gliale et
du volume capillaire sanguin en proportion de l’augmentation de la taille de la surface gliale.
Cette expérience permet de penser comme possible, dans le contexte particulier d’une stimulation par
apprentissages, une plasticité neuronale dans le cortex cérébelleux chez des individus qui présentent une
atrophie cérébelleuse stable, non-évolutive, non dégénérative. Cela peut correspondre à des pathologies
comme un retard ou une absence de développement du cervelet, une lésion du cervelet par traumatisme
crânien, un accident vasculaire cérébelleux ou une intoxication alcoolique, après exclusion pour chaque cas
particulier d’une dynamique dégénérative.
Une dynamique dégénérative, par définition, ne permet pas de se donner un objectif de rééducation.
Sous le poids du diagnostic et du pronostic, le rééducateur prend soin d’affirmer clairement la modestie de
ses objectifs et rappelle au patient et à son entourage que toute amélioration fonctionnelle ne pourra être
que transitoire, pour ne susciter aucun faux espoir. En réponse à la question d’une dame qui constatait chez
son époux atteint d’une affection cérébelleuse dégénérative une amélioration significative et durable de
l’écriture après rééducation, le professeur Alexis Brice vient de préciser que ces améliorations fonctionnelles
correspondent, selon toute hypothèse, à une réorganisation neuronale par laquelle la commande de la
fonction est transférée à un groupe de neurones encore intègres. Cette réorganisation a-t-elle un effet sur
l’évolution de la maladie, et si oui, dans quelles limites ?
La consultation des publications internationales scientifiques par l’intermédiaire du moteur de recherche
PubMed ne permet pas d’apporter une quelconque réponse à cette question dans le domaine spécifique de
la pathologie dégénérative du cervelet. Dans le cas d’une autre dynamique dégénérative comme la maladie
d’Alzheimer, la faisabilité et l’intérêt d’une telle approche ont été démontrés sur le plan cognitif, mnésique
et moteur [12, 13, 14, 15, 16, 17, 18]. Ce 4 mai 2002, le gouvernement français, conseillé par une commission
médicale, vient d’élargir le champ de compétence des orthophonistes au « maintien et à l'adaptation des
fonctions de communication dans les lésions dégénératives du vieillissement cérébral » [19]. Pour une
affection comme l’ataxie de Friedreich par exemple, où la dysfonction première n’est pas au niveau neuronal
même mais au niveau du codage génétique d’une protéine nécessaire au fonctionnement neuronal,
l’hypothèse d’un effet sur l’évolution de la maladie d’une réorganisation neuronale induite par une
rééducation cognitive est plus complexe à concevoir.
Quelles limites la stimulation cognitive du cervelet a-t-elle ?
W.T. Greenough et ses collaborateurs [20] ont mis en
évidence une limite de ce phénomène de réorganisation
neuronale. Confrontés à un apprentissage moteur déjà décrit
(le franchissement d’une série d’obstacles élevés), des rats
adultes voient leur nombre de liaisons synaptiques augmenter
dans le cortex cérébelleux, mais ne voient pas ce nombre de
liaisons synaptiques augmenter dans des structures
plus
internes du cervelet, les noyaux dentelés, qui sont les
structures en forme de fer à cheval représentées en couleur
foncée sur le dessin ci-contre. Ces noyaux sont les premiers
lieux de projection des neurones du cortex cérébelleux. On
peut faire l’hypothèse que l’apprentissage proposé n’est pas
suffisamment riche et complexe pour nécessiter une nouvelle
organisation de ces aires de projection.
Ce résultat me permet maintenant d’évoquer la question du transfert de ces résultats obtenus chez le
rat à une rééducation menée chez l’homme.
Les principes d’une rééducation spécifique du syndrome cérébelleux
humain.
La parole du patient est une source d’informations. Un patient qui identifie un « avant » et un « après »
l’entrée dans une affection cérébelleuse m’a dit : « Avant, je vivais à 200 à l’heure. Je faisais mille choses à
la fois, sans y faire attention. Aujourd’hui, je ne peux plus. Je suis lent. Tout me coûte. Si je fais plusieurs
choses en même temps, je fais des catastrophes. Je ne peux faire qu’une chose à la fois, et encore, mal. ».
Son entourage corrobore : « Il doit aller moins vite, il doit faire attention, il doit faire une chose à la fois. ».
Tous les patients affectés d’un syndrome cérébelleux n’expriment pas ce vécu dans ces termes. Pour une
part également, ce vécu n’est pas propre aux patients affectés d’une lésion cérébelleuse : il pourrait être
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pour partie celui d’une personne affectée d’un traumatisme ou d’une affection de survenue brutale qui ne
touche pas le cervelet et qui vient handicaper le mode de vie de la personne. Pour une part enfin, ces
paroles décèlent une pression interne forte qui a trait à la fois à la vitesse de réalisation d’une performance
et au poids du regard de l’autre sur la qualité de cette performance : c’est le souci de la rapidité et de la
chose bien faite, qui peuvent d’ailleurs être confondues.
Ce rapport à la vitesse, à la rapidité est complexe et en grande partie inconscient. Paradoxalement, un
patient qui se plaint de sa lenteur dans certaines activités peut être l’objet de la part de son entourage de
remarques qui vont dans un sens contraire : « Tu devrais boire moins vite, tu vas t’étouffer. Prends ton
temps pour t’asseoir. ». Ralentir la vitesse de réalisation de leur activité leur est difficile. D’abord parce que
le cervelet est au centre de la détermination et du contrôle du timing d’une activité. On peut donc
difficilement attendre d’une personne affectée d’une lésion cérébelleuse qu’elle opère un contrôle fin sur ce
timing. Ensuite parce que ralentir foncièrement la vitesse de réalisation d’une activité peut avoir un effet
néfaste. Rouler à vélo en est une illustration : à une vitesse de conduite trop basse, faire du vélo implique
pour toute personne un travail d’équilibre et de coordination beaucoup plus important que lorsqu’on roule à
une vitesse élevée. Ainsi, certains patients disent préférer boire assez vite ou marcher à une vitesse
suffisante pour éviter un accident de parcours. Évidemment, accomplir une activité à une vitesse trop
élevée implique aussi une augmentation des risques d’accident, les fausses-routes de déglutition par
exemple.
De ces observations découle une première piste pour un travail cognitif spécifique aux syndromes
cérébelleux : il s’agit d’apprendre, par l’expérience, à faire moduler sa vitesse de réalisation d’une activité.
L’exemple que je vais prendre est la lecture orale d’un texte.
Selon le sens que l’on souhaite exprimer, la phrase « Un père demande à ses enfants de s’asseoir sur un
banc. » peut être lue « un père demande à ses enfants … de s’asseoir sur un banc » ou « un père…
demande… à ses enfants… de s’asseoir sur un banc » ou « un père demande… à ses enfants… de … s’asseoir
sur un banc ». La structure grammaticale de la phrase est ainsi modelée de façon personnelle par le lecteur
qui se l’approprie. Un patient affecté d’un syndrome cérébelleux peut s’approprier cette même phrase de
différentes façons qui vont être exposées sous la forme d’archétypes. Dans les trois cas, l’appropriation de
la phrase manque de souplesse, d’adaptation, d’articulations.
Pour certains patients, cette lecture est régulière à l’extrême. La phrase est alors lue : « un…pè…re…
de…man…de…à…ses…en…fants…de…s’a…sseoir…sur…un …banc ». La phrase est quasiment ‘scannée’ : c’est
une suite de syllabes qui est déchiffrée et lue à mesure. Chaque syllabe a la même durée. Chaque syllabe
est accentuée, ce qui peut s’accompagner d’une tendance à vocaliser plus que la normale certaines
consonnes. À chaque syllabe, le patient contracte en bloc ses muscles diaphragmatiques et les relâche en
bloc. Les ‘e’ en fin de syllabe sont systématiquement prononcés. Aucune élision propre à la langue orale
n’est réalisée. Aucune contraction de durée de syllabes propres à la langue orale n'est réalisée. Un
allongement de cette durée des syllabes peut être systématique.
Pour d’autres patients, la phrase est déchiffrée quasiment dans son intégralité avant le début de son
énonciation, qui se fait aussi d’un bloc. La même phrase est ainsi lue : « unpèredemandeàsesenfants
des’asseoirsurunbanc ». La respiration est souvent bloquée lors du temps de déchiffrage. L’énonciation de la
phrase se fait sur une seule décontraction des muscles abdominaux et thoraciques. La ponctuation du texte,
lorsqu’elle est prise en compte, structure à elle seule la lecture à voix haute de ce texte. Des élisions et des
contractions propres à la langue orale sont réalisées en quantité plus importante que la normale lorsque la
personne atteint les limites de ses capacités respiratoires, ce qui arrive fréquemment. La vitesse
d’enchaînement des positions articulatoires de parole est élevée. Cela entraîne une altération de la précision
de ces positionnements.
Pour d’autres patients enfin, toute phrase est lue selon un même patron respiratoire et intonatif, quelles
que soient la longueur et la structure grammaticale de la phrase. Le patient effectue alors des élisions, des
allongements, des contractions de syllabes d’une ampleur qui dépasse la norme de la langue orale. La
qualité de l’articulation de sa parole s’en trouve affectée. Pendant ses temps de déchiffrage, il bloque
fréquemment sa respiration.
Pour apprendre à maîtriser cette activité très linéaire qu’est la lecture orale, le patient peut être
confronté à des lectures orales agrémentées d’obstacles, selon des procédures qui ne sont pas sans rappeler
l’esprit des protocoles de W.T. Greenough et de ses collaborateurs.
Il peut s’agir de lire un texte dans lequel un mot ou un groupe de mots a été doublé, triplé ou quadruplé
de façon irrégulière. Une première lecture orale du texte peut se faire avec pour consigne de ne pas lire les
mots supplémentaires. Une deuxième lecture peut se faire avec pour consigne de lire tous les mots écrits.
Ces deux lectures visent à travailler la synchronisation déchiffrage / énonciation et à développer le travail
des muscles impliqués dans les saccades oculaires nécessaires au déchiffrage et le travail des muscles
abdominaux et thoraciques impliqués dans la diction.
Par exemple,
Un un père demande père demande à ses ses ses enfants de s’asseoir sur de s’asseoir sur
un banc banc pour pour pour pour les les prendre en photo. Il recule sans regarder sans
regarder derrière lui et et tombe à la renverse à la renverse dans un carré de de tulipes.
Dans sa chute, il chute, il lâche son appareil-photo qui atterrit au milieu des fleurs des
fleurs.
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Il peut s’agir de lire un texte dans lequel des lettres sont remplacées par d’autres, ceci de façon nonsystématique. Ces transformations ne doivent être ni systématiques ni régulières pour ne pas permettre une
prévisibilité, une routine. Ces substitutions se font sur des critères distinctifs de vibration des cordes vocales
rajoutée comme dans ‘envants’ au lieu de ‘enfants’, ou supprimée comme dans ‘temante’ au lieu de
‘demande’). Ce travail est particulièrement efficace pour les troubles du voisement des consonnes que l’on a
bien étudiés dans l’ataxie de Friedreich [21] et qui existent à minima chez beaucoup d’autres patients. Ces
substitutions peuvent aussi consister en un déplacement du point d’articulation, qui est antériorisé, comme
dans ‘cha’ au lieu de ‘sa’, ou postériorisé, comme dans ‘sute’ au lieu de ‘chute’. Il est d’abord demandé au
patient de ne pas lire les phrases écrites telles quelles mais de lire en corrigeant les mots transformés, et
d’inscrire parallèlement une croix sur une feuille de papier à chaque mot corrigé. Il est aussi demandé au
patient de lire le texte tel qu’il est dactylographié, et cela avec des regroupements de mots progressivement
plus importants. Il s’agit alors d’une véritable gymnastique linguale et vocale qui amène le patient à utiliser
en partie le sens de ce qu’il lit et en partie une commande motrice fine de placements articulatoires, qui,
dans ce contexte extraordinaire, sont réinitialisés pour être plus efficacement exploités dans la parole
normale.
Par exemple,
Un père temante à ches envants de s’asseoir zur un banc pour les brentre en photo. Il
regule sans rekarder derrière lui et dombe à la renferse dans un tarré de culipes. Dans cha
sute, il lâche son appareil-photo qui adderrit au limieu des fleurs.
Il peut s’agir de présenter un texte sur un écran d’ordinateur. Les mots du texte se succèdent centrés
sur l’écran par groupes de taille différente : un premier écran présente les trois premiers mots du texte,
puis un deuxième écran présente les six mots suivants, puis un troisième écran présente les deux mots
suivants, etc… . La vitesse de défilement de ces écrans peut être préétablie selon une cadence régulière ou
irrégulière ou elle pourra être déterminée par la commande manuelle du patient. Le patient doit lire le texte
phrase à phrase. Il doit donc mémoriser les écrans successifs qu’il voit, c’est-à-dire réélaborer mentalement
la structure grammaticale de la phrase.
Cette première approche est complétée par la mise en place d’un outil. Cet outil est un assistant
numérique qui va tutoriser la lecture orale d’un texte, et plus généralement la parole. Cet assistant
numérique permet de réinitialiser le travail du cervelet dans la gestion automatique de la respiration, du
débit, de l’intonation et de l’élaboration grammaticale. Il s’estompe par son intégration progressive.
La rééducation va tout d’abord consister à contraindre la lecture orale du patient, ceci sans aucun lien
avec le sens du texte et sans le sacro-saint respect de la ponctuation. Les mots sont alors considérés
comme des objets avec lesquels il va falloir jongler selon des critères numériques. Cette étape vise à
« domestiquer », d’une part le travail des muscles impliqués dans les saccades oculaires nécessaires au
déchiffrage, et d’autre part le travail des muscles abdominaux et thoraciques impliqués dans la diction et la
coordination pneumo-phonatoire.
Le texte proposé à la lecture est :
Un père demande à ses enfants de s’asseoir sur un banc pour les prendre en photo. Il
recule sans regarder derrière lui et tombe à la renverse dans un carré de tulipes. Dans sa
chute, il lâche son appareil-photo qui atterrit au milieu des fleurs.
Les consignes données sont inscrites en caractères italiques. La lecture par le patient est inscrite en
caractères gras. Les mots d’une lettre avec apostrophe, comme s’asseoir, ne sont pas décomptés.
vous commencez par lire les mots deux par deux… un père … demande à… ses enfants… stop, vous
continuez un à un… de … s’asseoir … sur… stop, vous continuez trois par trois… un banc pour… les
prendre en… photo il recule… stop, vous continuez cinq par cinq… sans regarder derrière lui et
…tombe à la renverse dans … stop, vous continuez un par un …un … carré… de… tulipes… dans…
stop, vous continuez trois par trois… sa chute il … lâche son appareil-photo … qui atterrit au… stop,
vous continuez deux par deux … milieu des … stop, vous continuez un par un … fleurs
Le patient est ainsi conduit à décélérer et accélérer son déchiffrage et son énonciation du texte de façon
arbitraire, comme on peut se servir d’une boîte de vitesse au volant d’une voiture. Cette procédure vient en
quelque sorte réinitialiser le travail du cervelet. À ce titre, une lecture mot à mot permettra au patient
d’apprécier et d’apprendre à maîtriser les différences de longueur syllabique des mots. Pour pouvoir réaliser
cette tâche sur un texte un peu long, il devra adopter une régularité qui l’amène à travailler sur une
homogénéisation du temps des mots de longueur syllabique variable.
Dans un deuxième temps, le patient est convié à lire un texte en respectant cette fois la ponctuation du
texte et en exploitant une certaine latitude dans l’utilisation de cet assistant numérique. Il peut s’agir de lire
ce texte par groupes de un ou deux mots maximums, ce qui peut donner :
« un père … demande … à … ses enfants … de s’asseoir … sur … un banc … pour … les prendre … en
photo… il recule … sans … regarder … derrière lui … et tombe … à … la renverse… dans… un carré … de
tulipes… dans … sa chute… il lâche … son appareil-photo … qui atterrit … au milieu… des fleurs »
A un autre moment, le patient est convié à lire un texte en regroupant le nombre de mots qu’il souhaite.
Il doit simplement, en même temps qu’il lit le texte, dénombrer non pas le nombre de mots qu’il prononce
d’un trait, mais le nombre de groupes de mots par lequel il décompose chaque phrase. Le comptage des
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mots est ainsi intégré à un premier niveau. Il doit énoncer ce nombre juste après avoir énoncé chaque
phrase. Attention, s’il a besoin d’un temps pour recompter le nombre de groupes qu’il vient de faire, c’est
qu’il ne maîtrise pas suffisamment bien la tâche et qu’il doit faire des groupes peut-être plus longs ou mieux
mobiliser son attention.
Cela peut donner :
« un père… demande à ses enfants… de s’asseoir sur un banc… pour les prendre en photo… 4… il recule…
sans regarder derrière lui… et tombe… à la renverse… dans un carré de tulipes… 5… dans sa chute… il lâche
son appareil-photo… qui atterrit au milieu des fleurs… 3»
Ce travail est ensuite exploité lors de la lecture… d’images, qui représentent des plans successifs d’une
histoire. Le patient est amené à construire un récit sur la base de ces images. L’enjeu de cette nouvelle
étape est capital : il ne s’agit plus de s’approprier un matériel verbal qui a été élaboré par autrui, comme
lors de la lecture d’un texte, mais d’élaborer soi-même des phrases avec le support des images. Sur le plan
neurophysiologique, cela implique la participation supplémentaire de zones frontales, comme l’a montré la
technique d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, et probablement de zones cérébelleuses
supplémentaires, dont des études ont mis en évidence la participation aux processus linguistiques
d’élaboration grammaticale.
À cette étape, l’assistant numérique peut être utilisé de différentes façons. Il peut s’agir d’énoncer un
récit en s’exprimant par salves de trois mots au maximum ou au minimum par exemple. Il peut s’agir de
construire chacune de ses phrases en trois salves au minimum ou au maximum. Il peut s’agir d’élaborer son
récit en utilisant un nombre maximal ou minimal de verbes conjugués par phrase, ce qui va influencer la
longueur et le nombre des phrases. Il peut s’agir d’exprimer un nombre minimal ou maximal de phrases par
image ou d’élaborer une phrase par images, puis une phrase pour deux images ou plus. La démarche de
calcul mental s’effectue ainsi à un niveau linguistique de plus en plus intégré qui en permet un estompage à
mesure.
Enfin, ce travail est complété par une situation dans laquelle le langage sert à donner des ordres pour
placer des pions de formes différentes et de couleurs différentes dans une configuration que l’on doit
élaborer, imaginer. C’est l’activité qui mobilise le plus de zones cérébrales différentes.
Une deuxième piste pour un travail cognitif spécifique aux syndromes cérébelleux est la problématique
qui peut se résumer ainsi : faire une ou plusieurs choses à la fois.
La plainte du patient peut être très claire sur ce point : «Avant, je faisais plein de choses en même
temps, de façon totalement automatique. Aujourd’hui, ces automatismes me lâchent. Je dois faire attention
à tout ce que je fais.». Son entourage peut rapporter : « On a l’impression qu’il fait la tête. Lorsqu’il mange
à table avec nous ou lorsque nous nous promenons ensemble, il ne nous adresse pas la parole.».
L’explication principale de cet état de fait est que le cervelet supervise la coordination et la synchronisation
de la mobilisation d’un groupe de muscles qui peut être impliqué dans deux activités menées conjointement,
comme ‘respirer’ et ‘parler’. Dans le cas d’un fonctionnement cérébelleux régulier, la respiration et la parole
se partagent avec harmonie les muscles abdominaux et thoraciques. En l’occurrence, la respiration s’adapte
à ce contexte particulier. Des études récentes [22] ont montré la participation du cervelet à cette dynamique
de modulation. Dans le cas d’une dysfonction cérébelleuse, lorsque la parole entre en jeu, la respiration se
perturbe plus qu’elle ne s’adapte. Ces perturbations peuvent aller jusqu’à des épisodes d’apnée. Il faut
également noter que la concentration sur une activité gestuelle qui n’implique pas, à priori, spécifiquement
le groupe des muscles en jeu dans la respiration, peut à elle seule provoquer des épisodes
d’apnée suivis de phénomènes d’aspiration d’air. Enfin, le simple fait d’avoir en main un objet léger, tel
qu’un sucre, lorsque l’on marche, peut perturber significativement l’équilibre et la coordination de cette
marche. Il s’agit là d’un effet négatif à distance.
Faut-il alors ériger en principe absolu la maxime « une seule chose à la fois », comme pouraient être
tentés de le faire le patient, son entourage ou son rééducateur ? Je ne le crois pas. Continuer à se
parler lors d’un travail de kinésithérapie, d’ergothérapie ou d’orthophonie est par exemple le meilleur
rempart contre la survenue d’épisodes d’apnée ou d’aspiration d’air. Certes, cela perturbe dans un
premier temps la performance du patient. Mais, à moyen terme, ce dernier retrouve un niveau de
performance correct, voire meilleur. Diminuer une focalisation excessive du patient sur son activité peut
ainsi éviter une mise en tension musculaire généralisée. Comme je l’ai évoqué dans un précédent papier
[23]
, cette approche est également plus judicieuse sur le plan de la qualité de l’apprentissage et du
transfert des acquis en dehors du temps de rééducation.
L’entourage des patients peut aussi faire le constat de circonstances paradoxalement favorables.
Ainsi, tel patient, lorsqu’il pousse la poussette de son petit-fils, est plus loquace que lorsqu’il marche
avec son déambulateur. Tel patient, lorsqu’il porte deux sacs d’un certain poids, marche mieux que
lorsqu’il ne porte rien ou lorsqu’il porte quelque chose de léger. Ce travail ou ces charges
supplémentaires semblent en quelque sorte ‘servir’ le patient dans la maîtrise de son équilibre.
Enfin, la perte d’automatismes peut s’associer à l’émergence de nouveaux automatismes non
désirés. Ainsi, lors de la lecture orale d’un texte, un patient va systématiquement marquer chaque
groupe de mots qu’il énonce d’un mouvement de tête en avant, de la main dominante, voire d’un
mouvement du buste. Ces mouvements sont qualifiés de syncinésies. Leur présence est un bon
indicateur d’une faible mobilisation des muscles abdominaux dans le même temps. Il est alors pertinent
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de ne pas simplement demander une vigilance du patient sur ces mouvements involontaires. On peut
plutôt l’amener à tantôt les réaliser volontairement, tantôt les inhiber volontairement en tout ou partie,
de façon à ce qu’il expérimente les corollaires sensori-moteurs de chacune de ces options. C’est peut
être la meilleure façon, pour ces patients, de prendre conscience de la contraction des muscles
abdominaux lors de la parole. Ce travail est fait en lien avec le travail qui a été décrit sur une
appropriation maîtrisée de la lecture.
Ainsi, apprendre à mener correctement, tantôt de front, tantôt séparément, plusieurs activités
semble être un deuxième axe de travail profitable pour ces patients. Les apprentissages conjoints sont
moins coûteux, plus efficaces, intégrés plus facilement car mieux perçus. Le passage d’une réalisation
conjointe à une réalisation séparée construit une prise de conscience du déroulement et de la structure
de chacune de ces activités et en régule la vitesse de réalisation. C’est un apprentissage pragmatique.
Olivier Gilles
20 Mai 2002.
Bibliographie
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Numéro 104 du 4 Mai 2002 page 8339 NOR : MESH0221490D.
[20] Structural stability within the lateral cerebellar nucleus of the rat following complex motor learning. Kleim JA, Pipitone MA,
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[22] Role of the cerebellar nuclei in respiratory modulation. F. Xu, D.T. Frazier. Lexington, Kentucky. The Cerebellum 2002 Jan-Mar; Vol.1
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[23] La rééducation des syndromes cérébelleux. O. Gilles. La Vie de C.S.C. 2001 Mai ; Bulletin d’information n°10 : 21-23.
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