Le marché du logement : un indicateur de l`évolution des territoires

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Le marché du logement : un indicateur de l`évolution des territoires
Le marché du logement : un indicateur de l’évolution des
territoires insulaires.
Analyse à partir de trois exemples : Bréhat, Ouessant et Yeu
Clotilde Buhot
Laboratoire Géomer - LETG-UBO
[email protected]
Résumé
Comment l’augmentation des prix de l’immobilier observée à l’échelle nationale se répercute-t-elle
dans les îles du Ponant ? A travers les exemples de Bréhat, Ouessant et Yeu, nous avons tenté à
définir les causes et les conséquences de cette crise du logement sur des espaces géographiquement
limités ; le marché du logement pouvant être analysé de façon originale par le recours aux extraits des
actes de mutation foncière à titre onéreux. Il en ressort que le poids des résidents secondaires
(personnes non domiciliées dans l’île) est considérable puisqu’ils assurent à eux seuls au moins 70%
des acquisitions. Ajoutons que ces derniers bénéficient d’un pouvoir d’achat très supérieur aux
insulaires (ils contribuent alors à tirer l’ensemble des prix vers le haut) ce qui facilite et renforce leur
omniprésence dans l’île. Il apparaît cependant que les résidents secondaires sont localisés
préférentiellement dans les périphéries, tandis que dans les bourgs se trouvent concentrés les activités
économiques, les services et la population insulaire. On peut en fait établir une corrélation entre la
répartition géographique des résidents secondaires et les prix les plus élevés.
Introduction
Les îles constituent incontestablement des territoires originaux, convoités et chargés d’imaginaire qui
attirent les continentaux en quête d’évasion, de dépaysement. Les îles bretonnes ne font pas exception
à la règle ; dispersées au nord, à l’ouest et au sud de la région, elles sont facilement accessibles pour
les touristes qui s’y pressent à la belle saison. A l’opposé, un séjour prolongé (en février par exemple)
dans l’une des trois îles de la Mer d’Iroise révèle l’autre visage de ces « coins de paradis » et les
complications commencent dès le départ pour l’île : que ce soit pour Molène, Ouessant ou Sein, il n’y
a qu’un départ le matin et il faut compter par exemple 1h30 de bateau pour aller à Ouessant depuis Le
Conquet et 2h30 depuis Brest, ce qui ne laisse aux excursionnistes qu’environ 5h00 sur place, pour un
retour dans la soirée. À l’arrivée, difficile de ne pas remarquer le calme ambiant, qui témoigne d’une
activité assez réduite. Le faible nombre de bateaux de pêche amarrés dans le port vient confirmer
cette impression. En fait, on comprend au nombre de cars, taxis et loueurs de vélos installés près de
l’embarcadère que le tourisme est devenu la principale source de revenus des habitants. D’ailleurs si
pendant la période estivale tous les commerces sont ouverts, la plupart d’entre eux sont fermés entre
octobre et mars. Quelques recherches documentaires confirment cette impression : la population n’a
cessé de diminuer depuis le milieu du XXème siècle et les retraités sont désormais plus nombreux
que les actifs, ce qui explique d’ailleurs que l’essentiel des revenus des insulaires provient davantage
des pensions et des retraites que des salaires.
Dès lors, les prix de l’immobilier pratiqués, dont se font l’écho les guides locaux et les élus,
surprennent et l’on demeure parfois sceptique devant les vitrines des agents immobiliers et les petites
annonces de la presse locale ou nationale. La « flambée des prix » que connaîtraient les îles de
l’Ouest de la France depuis près de 10 ans provoquerait même l’impossibilité pour les jeunes
insulaires d’accéder à la propriété.
1
Les résidents secondaires seraient-ils en cause ou ces espaces connaîtraient-ils plus simplement les
symptômes de la crise du logement observée à l’échelle nationale ? « Le thème du logement
abordable [...] sera au centre des débats ces prochaines années » annonçait O. PIRON [1] au milieu
des années 1990 et F. ASCHER constatait que « ce sont moins les types de logements et de ville
produits qui sont en cause que leur inaccessibilité pour une partie croissante de la population [2] ». La
hausse des prix de l’immobilier constatée depuis la fin des années 1990 accrédite la position de ces
deux auteurs. Mises en exergue lors des premières Assises Nationales du logement le 1er mars 2004,
les difficultés d’accession à la propriété sont réelles et se doublent d’une inadéquation entre l’offre et
la demande dans le parc locatif. Interroger le marché et les institutions qui permettent l’accès à
l’habitat est indispensable à la compréhension des mécanismes à l’œuvre. Mais on se heurte ici à un
paradoxe : alors que la question du logement est primordiale et que des données existent à l’échelle
nationale, elles sont rarement collectées et publiées à un échelon plus fin, excepté au niveau des
grandes agglomérations (avec les Observatoires de l’Habitat). La plus grande partie du territoire se
trouve ainsi à l’écart des analyses portant sur l’immobilier alors que s’y développent là aussi des
phénomènes d’exclusion à l’image de ce qui se passe avec les Anglais qui investissent dans le SudOuest ou en Bretagne. En marge de cet exemple fortement médiatisé, nombreuses sont les petites
communes touristiques confrontées au manque de logements et démunies face à l’absence de données
fiables sur la question.
Ne disposant pas d’éléments objectifs pour ce genre d’analyse, il apparaît dès lors difficile de faire le
tri entre les avis émis par les élus et les insulaires et les gros titres de la presse locale ou nationale, qui
tout en dénonçant cette surenchère y participe activement (fig.1). De même, afin de quantifier les
effets du marché du logement sur de petites communes et de manière à répondre à une demandes
pouvoirs publics concernant la difficulté des insulaires à intervenir sur le marché immobilier, il nous
était indispensable de collecter des données pertinentes [3]. Nous avons choisi de développer ici le
cas de trois communes insulaires : Bréhat, Ouessant et Yeu.
Tab.1 : Bréhat, Ouessant et Yeu en quelques chiffres
Îles
Superficie Population
(département)
(ha)
(hbs)
Bréhat (22)
Ouessant (29)
Yeu (85)
309
1 558
2 332
421
932
4 788
Distance du
Nombre de
Temps de
Proportion de
continent - port
logements
traversée
résidences
embarquement
(min)
secondaires (%)
(km)
2,5
10
718
72
24
90
876
40
18
60
5 062
56
L’objectif est donc de réaliser une étude du marché du logement dans de petites communes tout en en
définissant précisément les impacts sociaux, économiques et spatiaux générés sur le territoire. Audelà du marché du logement, c’est à la question de l’île en tant qu’objet géographique spécifique que
nous souhaitons apporter notre contribution. Nous allons tenter de déterminer l’originalité du marché
dans les espaces insulaires : en quoi ceux-ci constituent-ils des cas particuliers par rapport à la
situation enregistrée à l’échelle nationale ? Ou en sont-ils le simple reflet ?
2
Fig.1 : Les manchettes des journaux participent-elles à l’information ou à la spéculation ?
Les extraits d’actes de mutation foncière à titre onéreux : une
méthode fiable et riche d’informations
Différentes sources sont disponibles pour analyser le marché du logement, mais aucune n’est
totalement exempte d’inconvénients.
Pour commencer, les annonces immobilières sont souvent utilisées comme point de départ en raison
de leur facilité d’accès : exposition dans les vitrines de professionnels de l’immobilier, dans la presse
ou sur internet, leurs défauts sont toutefois très nombreux.
Tout d’abord, elles ne présentent qu’une image partielle du marché, consulter l’ensemble des
professionnels ou des médias impliqués sur le continent étant difficile. Prenons l’exemple de Bréhat :
en plus des six agences immobilières et des deux notaires de Paimpol, qui ont tous en vitrine au
moins un bien immobilier en vente sur l’île, il faut compter les professionnels installés à St Brieuc, à
Rennes ou à Paris... De même, concernant les médias et autres moyens de diffusion des petites
annonces : Le Nouvel Observateur et les magazines spécialisés [4] ou encore les sites internet
généralistes [5] ou davantage axés sur les îles [6]. À ceux-là s’ajoutent des intervenants locaux : on
compte un seul notaire à l’île d’Yeu, deux à Belle-Île, et deux venant de Port-Louis (Morbihan)
assurent une permanence quelques jours par mois sur Groix. Par contre, on répertorie trois agences
immobilières à Belle-Île, deux à Yeu, deux à Groix et deux à l’Île-aux-Moines, dont l’une possède un
bureau sur l’île d’Arz. En marge des traditionnels notaires et agents immobiliers, les particuliers ont
aussi un rôle non négligeable : le "bouche-à-oreille" est une pratique courante, notamment sur les plus
petites îles. Pour Bréhat, les professionnels installés à Paimpol considèrent que 80 à 90% des
transactions se négocient entre particuliers.
Le deuxième inconvénient du recours aux annonces immobilières est qu’elles ne traduisent
finalement qu’une intention de vendre : en répertoriant celles présentes sur le site
www.bordemer.com, nous avons constaté que certaines étaient retirées de la vente sans avoir été
vendues.
3
Enfin troisième défaut : les prix annoncés ne sont pas toujours ceux auxquels se négocie finalement la
transaction. Nous avons ainsi constaté pour une maison située à Ouessant une baisse de prix
significative (-20%) intervenue en l’espace de six mois, bien avant que ne s’engage la négociation
entre les deux parties, qui peut ici aussi contribuer à une diminution du prix initial - généralement
d’environ 15%.
De même Perval-MIN, société détenue par le Notariat et chargée de recueillir et analyser les données
transmises par les notaires, ne peut pas non plus se prévaloir de l’exhaustivité concernant le marché
du logement. Ce système, basé sur le volontariat des notaires, n’enregistre encore que 50 à 60% des
transactions réellement signées à l’échelle nationale. Concernant les biens immobiliers vendus dans
les îles, la représentativité est en-deçà comme l’atteste l’exemple suivant. Après avoir eu
connaissance d’une communication datant de mars 2002, réalisée par le Conseil Régional des
Notaires de Rennes [7] et portant sur les marchés immobiliers des littoraux bretons, nous avons
contacté le service statistique de Perval-MIN afin d’évaluer la représentativité des chiffres relatifs aux
îles bretonnes. Il est apparut que faute de transactions recensées en 2001, le recours à une, voire deux
années antérieures, a été de mise, ce qui n’a de toute façon pas permis de dresser des moyennes
acceptables, l’échantillon comptant trop souvent moins de quatre transactions.
La consultation d’un travail réalisé par BRIGAND L. et al. (1986) sur les îles de Batz, Groix et
Ouessant [8] nous a alors fait prendre conscience de l’intérêt que pouvaient représenter des données
issues directement des Services Fiscaux. Mandatée par les maires, nous avons demandé et obtenu
l’autorisation de consulter les Extraits d’actes de mutation foncière à titre onéreux (EAMFTO). Ce
type de document est un condensé de l’acte lui-même et comprend le plus souvent entre trois et cinq
pages. Il décrit la transaction immobilière (nature du bien vendu, acquéreur(s), vendeur(s), prix,
référence cadastrale) et se distingue d’un extrait d’acte de mutation foncière à titre gratuit qui
enregistre lui les donations, successions et partages. Ces copies d’actes notariés présentent en effet
l’intérêt d’être une source de première main, objective et particulièrement riche, mais elles présentent
l’inconvénient majeur de nécessiter un dépouillement fastidieux : la consultation doit impérativement
se faire sur place, la saisie est manuelle, les documents sont conservés sous forme papier [9] et ne
sont pas non plus formalisés ; ce qui explique en partie la rareté du recours à ce type de documents.
Les informations contenues dans les EAMFTO nous apportent 4 types d’indicateurs fondamentaux. À
caractère social tout d’abord avec des informations relatives aux acteurs du marché : leur nombre, leur
profession, leur lieu de domicile, leur date et lieu de naissance ; ce que le fichier ŒIL [10]
(Observatoire des Évolutions Immobilières Locales) ne permet pas. Informations sur le montant des
transactions ensuite : le prix indiqué est réellement celui sur lequel s’est entendue chacune des deux
parties en présence et demeure par conséquent incontestable. De plus, par le biais de la référence
cadastrale, les EAMFTO produisent une donnée spatialisée, ce qui rendra possible une cartographie
extrêmement précise. Enfin, l’observation étant réalisée sur plusieurs années consécutives, il est alors
possible d’établir des évolutions ou de dégager des tendances.
Toutefois, en raison de la poursuite de fortes fluctuations du marché enregistrées à l‘échelle nationale
depuis 2001 et des réactions suscitées lors des présentations de nos premiers résultats devant les élus,
une réactualisation des données s’avérait indispensable. Les DDSF nous ont renouvelé l’autorisation
de consulter les EAMFTO pour les années 2002 et 2003. Notre communication repose donc sur un
peu plus de 1 000 transactions de logements enregistrées entre 1995 et 2003 sur 3 communes
insulaires.
Parmi les mutations à titre onéreux n’ont été traitées que les ventes et les adjudications qui constituent
le marché réel de gré à gré. L’intérêt majeur de recourir à la consultation des EAMFTO résulte de la
conjonction de leur très grande fiabilité et de leur quasi-exhaustivité. Effectivement, source de loin la
plus complète, voire « la seule à même de rendre compte de la réalité du marché [...] [11] », la
fiabilité des EAMFTO - directement rédigés par les notaires et destinée à l’Administration Fiscale est indiscutable. Certes une marge d’erreurs existe : celle de nos propres relevés d’abord (erreurs qui
ont pu se glisser lors de nos saisies), ensuite parce que certains extraits ont pu être archivés chez les
4
inspecteurs de Fiscalité Immobilière et sont donc perdus. Ponctuellement, l’imprécision de certains
termes utilisés ou leur absence constitue parfois un obstacle. Ainsi, le "statut" de l’ancien et du
nouveau propriétaire n’est pas mentionné, il nous aurait permis de savoir par exemple si l’acheteur est
un primo-accédant ou déjà propriétaire d’un autre bien. Parallèlement, il n’existe pas non plus
d’indication sur la destination futur du logement vendu : occupation personnelle, location, prêt.
Concernant la description du bien, ni le niveau de confort, ni les matériaux de construction ou la
superficie habitable ne sont indiqués. Enfin, l’absence de formalisation dans la rédaction des extraits
d’actes explique bien souvent l’imprécision de certains éléments [12].
Résultats
Le nombre annuel de ventes varie de 12 logements à Bréhat à 90 à Yeu, ce qui compte tenu de leur
nombre dans le parc existant établit une moyenne de 1,4 à 1,8% de logements vendus chaque année.
Le marché du logement introduit une nouvelle catégorie de population
Les résultats présentés ici sont relatifs aux acteurs du marché. Celui-ci se partage entre les personnes
physiques et les personnes morales. Les premières réalisent environ les 9/10e des acquisitions de
logements, le poids des secondes est donc inversement proportionnel : à Yeu et Bréhat, elles
interviennent à hauteur de 1/10e des achats. À l’opposé, à Ouessant leur poids est très faible (2%), ce
qui s’explique par le nombre peu important de sociétés - et notamment de SCI (sociétés civiles
immobilières), qui sont les principaux acquéreurs dans cette catégorie.
Largement majoritaires, les particuliers se divisent entre résidents d’un côté et non-résidents de
l’autre. Les deux termes correspondent aux déclarations recueillies dans les extraits d’actes : le
qualificatif résidents désigne les personnes ayant déclaré être domiciliées sur l’île (et correspond
approximativement aux insulaires) et celui de non-résidents qualifie au contraire les personnes qui ont
stipulé habiter dans une commune différente (nous les appellerons également résidents secondaires).
Première constatation : le marché se fait essentiellement au profit des non-résidents, ils signent 70%
des transactions à Ouessant, 77% à Bréhat et 80% à Yeu ; autant dire que les insulaires interviennent
peu (tab.2).
Tab.2 : Un marché qui échappe aux locaux (1995-2003)
ACQUISITIONS
PERSONNES PHYSIQUES
Particuliers résidents
Particuliers non-résidents
PERSONNES MORALES
VENTES
PERSONNES PHYSIQUES
Particuliers résidents
Particuliers non-résidents
PERSONNES MORALES
Bréhat
Ouessant
Yeu
89
12
77
11
98
28
70
2
89
19
70
11
95
20
75
5
98
29
69
2
93
40
53
7
Les extraits d’actes nous permettent également de connaître le lieu de domicile principal des résidents
secondaires. Ainsi, nous avons pu mettre en évidence la prépondérance des habitants de l’Île-deFrance : à eux seuls, ils ont acquis plus de 4 logements sur 10 à Bréhat et près du tiers à Yeu entre
5
1995 et 2003. À l’inverse, les Finistériens arrivent en tête à Ouessant où ils acquièrent davantage de
logements que les Ouessantins eux-mêmes (35% contre 28%).
Pour les ventes de logements, les résidents secondaires arrivent en première position sur les trois îles
(tab.2). Concernant la provenance des vendeurs, les Franciliens ont encore une fois un poids
indéniable : à eux seuls, ils vendent 4 maisons sur 10 à Bréhat et 1/3 des vendeurs résidents
secondaires sont des habitants de la région parisienne. Par contre, à Ouessant, les principaux vendeurs
sont les non-résidents domiciliés dans le Finistère.
Afin de simplifier, nous avons considéré les non-résidents comme des résidents secondaires et les
résidents comme des insulaires. Ainsi, si les liens familiaux semblent persister à Ouessant à la fois
parmi les résidents secondaires qui achètent et ceux qui vendent, ce n’est pas le cas à Bréhat et Yeu.
Un exemple : moins de 5% des résidents secondaires achetant un pied-à-terre sur Yeu sont d’origine
insulaire, alors que c’est le cas de 30% d’entre eux à Ouessant. De même, concernant les vendeurs
non-résidents : seulement 11% d’entre eux ont une origine bréhatine, tandis qu’à Ouessant, ce taux est
de 60%. Les racines familiales comptent visiblement davantage à Ouessant que sur les deux autres
îles.
Le marché se fait donc aujourd’hui essentiellement entre résidents secondaires : ils sont d’ailleurs
devenus les principaux propriétaires des logements sur les trois îles (tab.1). Notons que depuis 1999,
date du dernier recensement, le cap des 50% de résidences secondaires a, selon toute vraisemblance,
été franchit à Ouessant. Cette importance croissante nous incite à tenter de mieux les cerner afin de
comprendre pourquoi ces nouveaux propriétaires ont les moyens de suivre la tendance du marché.
L’âge est un facteur d’autant plus limitant sur une île que les prestations de santé ne sont que
rarement fournies (seule l’île d’Yeu compte un hôpital) ; les habitants d’Ouessant et de Bréhat
doivent se rendre sur le continent pour consulter un spécialiste. Ainsi les 2/3e des Ouessantins qui
vendent un logement sont âgés de plus 60 ans. Ce qui s’explique par la conjonction de la retraite et
bien souvent du décès du dernier parent ; l’héritage est parfois revendu assez rapidement.
Toutefois, quand on observe de plus près le profil des acheteurs, on s’aperçoit qu’insulaires et
résidents secondaires ont un profil socio-professionnel très différent. Or ce dernier constitue un
excellent indicateur du pouvoir d’achat ainsi que du niveau éducatif ou culturel des individus (et ce
malgré certaines imprécisions inhérentes à ce type de classement). Nous avons ainsi déterminé que
plus des 2/3e des non-résidents sur Bréhat et près de la moitié sur Yeu appartiennent à la catégorie
des cadres, professions libérales et professions intellectuelles supérieures, alors que chez les
insulaires cette catégorie ne représente jamais plus de 10% des acheteurs. En comparant les
professions des résidents secondaires à celles des insulaires ayant acquis un logement sur l’île d’Yeu,
de fortes disparités apparaissent (tab.3).
Tab.3 : Diversité des profils des résidents / aux non-résidents
Catégories socioprofessionnelles
Agriculteurs, marins-pêcheurs ...
Artisans, commerçants, chefs
d’entreprise...
Cadres, professions libérales...
Professions intermédiaires
Employés
Ouvriers
Retraités
Inactifs
?
% nombre d’acquéreurs
résidents
12,7
% nombre d’acquéreurs nonrésidents
0,4
20,0
9,8
5,5
14,5
16,4
5,5
10,9
0,0
14,5
49,2
15,0
2,4
0,4
9,3
3,7
9,8
6
Ce profil socioprofessionnel nous renseigne aussi sur les moyens financiers de ces nouveaux
propriétaires dont les métiers leur permettent de disposer d’un pouvoir d’achat plus important que
celui des locaux, les résidents secondaires sont aujourd’hui souvent les seuls capables d’intervenir
financièrement. Ce qui dans un premier temps se traduit par une segmentation du marché : les nonrésidents s’accaparant véritablement les logements les plus chers. À Bréhat, 38% des transactions
signées par les résidents secondaires ont dépassé 200 000€ contre 6% seulement de celles réalisées
par les insulaires, pour les biens de plus de 300 000€, la proportion est de 18% pour les premiers et
elle est nulle pour les seconds. Même constat à Yeu : 21% des logements acquis par les résidents
secondaires ont franchit le cap des 200 000€ contre 8% pour les insulaires, concernant les biens
supérieurs à 300 000€, la proportion est de 5,4% pour les premiers et de 0,6% pour les seconds.
On observe ainsi que le marché du logement dans les îles échappe de plus en plus aux habitants
permanents (faible proportion des achats et des ventes) en raison de leur trop faible pouvoir d’achat
par rapport à celui des résidents secondaires.
Flambée des prix et différenciation spatiale
L’acquisition des données sur la période 1995-2003 nous autorise à la fois à établir des comparaisons
du prix des logements sur les trois îles, et à calculer les évolutions de prix, ces dernières confirment
une très forte augmentation des prix des logements.
Ainsi sur neuf années consécutives, le prix moyen d’un logement a augmenté de 84% à Yeu (passant
de 116 012€ en 1995 à 217 946€ en 2003) et de 108% à Bréhat (passant de 154 966€ à 321 872€).
C’est à Ouessant que l’évolution est la plus forte : +111%, toutefois c’est aussi là que les prix étaient
les moins élevés : en 2003 un logement sur l’île se monnayait 97 157€ en moyenne, contre environ 46
000€ neuf ans plus tôt.
Mais il est plus parlant de s’arrêter sur l’augmentation du prix par palier. Comme le détaille le tableau
ci-dessous, la proportion des logements vendus plus de 150 000 € a considérablement augmenté entre
1995 et 2003 : quatre logements sur cinq à Bréhat en 2003 se sont vendus à un prix supérieur à 150
000€, contre à peine quatre sur dix, neuf ans auparavant. Désormais, cette proportion (4/10)
s’applique aux logements négociés plus de 300 000€. Même à Ouessant, où la valeur des logements
n’était pas très élevée - aucune vente n’a atteint 150 000€ en 1995 - un quart des biens vendus a
franchit ce cap en 2003.
Tab.4 : Des logements de plus en plus chers
Bréhat
1995
2003
Ouessant 1995
2003
Yeu
1995
2003
Proportion de logements > 150 000€
38
80
0
25
23
63
Proportion de logements > 300 000€
21
40
0
0
2
17
La variation quantitative des prix des logements (l’écart est de 1/20 entre les 10 logements les moins
chers et les 10 plus chers à Yeu pour l’année 2003) se traduit également spatialement par des
oppositions nettes comme à Yeu ou plus modérées à l’exemple de Bréhat.
Grâce à l’utilisation conjointe des références cadastrales relevées dans les EAMFTO et des plans
cadastraux, nous avons réalisé des cartes de répartition des ventes par section cadastrale.
Sur l’île vendéenne, on observe tout d’abord la rareté des ventes dans la partie sud, zone très peu
urbanisée car faisant l’objet de protections réglementaires (fig.2).
7
Fig.2 : Répartition spatiale des prix des logements islais : une forte dichotomie NW/SE...
Mais ce qui frappe surtout, c’est l’opposition très nette entre le NW et le SE. Dans la partie NW se
concentrent les logements vendus à un prix inférieur à la moyenne : c’est le cas à Port-Joinville (cheflieu de l’île) et dans sa périphérie proche (un rayon maximum de 2,5km). C’est dans cette zone que se
concentrent les activités économiques (port, commerces...) et l’essentiel des services (mairie,
écoles...). À l’opposé, les logements les plus chers se concentrent au SE de Yeu. Le bourg de SaintSauveur, plus petit et surtout plus « pittoresque » que Port-Joinville attire davantage les résidents
secondaires ; de même que l’ensemble de la pointe SE de l’île, dotée de nombreuses plages de sables.
La comparaison entre les figures 2 et 3 souligne une corrélation entre la participation des résidents
secondaires dans les acquisitions de logements et le prix de ces derniers. Ainsi, lorsqu’ils achètent
plus de 70% des logements, comme c’est le cas au SE de l’île, les prix sont supérieurs à la moyenne.
À l’inverse, plus le poids des insulaires s’accroît et moins les logements sont chers : c’est notamment
le cas dans le secteur de la Citadelle : les prix sont inférieurs de 50% à la moyenne et les insulaires
réalisent plus de la moitié des acquisitions dans ce secteur.
8
Fig.3 : ... Qui s’explique par la forte participation des résidents secondaires
La corrélation est moins évidente à Bréhat et ceci pour deux raisons : la première s’explique par un
plus petit nombre de sections cadastrales qu’à Yeu (mais il est vrai que nous ne sommes pas à la
même échelle) ; ce qui tend à uniformiser ou, du moins, à réduire les écarts de prix. La seconde raison
résulte d’une moindre concentration des résidents secondaires dans un secteur précis de l’île (fig.4).
Se portant acquéreurs de près de 80% des logements, ils ne privilégient pas véritablement un secteur
particulier, d’autant que l’habitat est relativement dispersé sur l’île costarmoricaine.
En tous les cas, les prix les moins élevés s’observent dans le bourg (zone concentrant les commerces
et les services) et dans une moindre mesure dans la partie occidentale de l’île sud (fig.5). A l’inverse,
les zones les plus cotées sont le SE (Guerzido) et l’Ouest de l’île nord. L’explication tient pour la
première à une position d’abri par rapport aux vents d’Ouest, mais également, et peut-être davantage,
aux nombreuses maisons de style édifiées par les précédentes générations de résidents secondaires,
c’est d’ailleurs dans ce secteur que l’on trouve la seule véritable plage de l’île. Pour la seconde, ce
qui attire les résidents secondaires, c’est à la fois le côté sauvage de l’île nord (paysage de landes que
l’on retrouve dans la partie septentrionale de l’île nord - Kervarabès - désormais protégée) allié à la
possibilité d’acquérir une grande propriété construite en granit, jouxtant souvent un vaste jardin
enclos.
C’est dans les bourgs que les prix sont les moins élevés. Or, dans la mesure où ils concentrent
l’essentiel des activités : commerces et services principalement ; on pourrait s’attendre à ce que ces
centres de la vie insulaire connaissent une augmentation des prix de l’immobilier supérieure à celle
observée dans leur périphérie.
Les résidents secondaires, qui se trouvent être les principaux acteurs du marché du logement, sont à
l’origine de cette particularité géographique. Celle-ci s’affirme et traduit le renforcement de
l’opposition entre les deux facettes des territoires insulaires : à la fois convoités à des fins de loisirs et
déprimés économiquement.
9
Afin de freiner le déclin démographique qui touche les îles depuis plus d’un demi-siècle et de
conserver une population jeune, active et avec des enfants, les municipalités ont favorisé et
encouragé, depuis la fin des années 1980, la construction de logements HLM.
Fig.4 : Des résidents secondaires en surnombre, excepté dans le bourg
10
Fig.5 : Concentration des prix les moins élevés dans le bourg et la partie occidentale de l’île sud –
Bréhat
Le parc locatif social, seule alternative face au comportement du marché
L’accession à la propriété devenant de plus en plus problématique pour les habitants permanents des
îles de Bréhat, Ouessant et Yeu, ils se tournent alors vers leur seule alternative pour continuer à vivre
et travailler sur l’île : la location.
À l’échelle nationale, le parc locatif privé devient inaccessible pour certains ménages, en raison de
loyers trop élevés qui ne correspondent plus aux ressources ; de nombreux propriétaires refusent
parfois de louer tant les garanties financières et juridiques ne sont pas assurées. Dans les communes
insulaires, le constat est identique mais la cause est tout autre : une maison louée à l’année à des
résidents permanents est beaucoup moins rentable que la location quelques semaines par an à des
touristes. Sur les trois îles, les propriétaires ont fait leur compte. Acquérir une maison à 200 000 ou
300 000€ pour la louer 400€/mois (loyer maximum correspondant aux revenus des insulaires) n’est
pas très intéressant, sachant que la location pendant les deux mois d’été rapporte près de deux fois
plus à la semaine et que son propriétaire pourra alors en jouir le reste de l’année. Étant donnée leur
rareté, il est difficile de trouver un logement dans le parc locatif privé : la mairie d’Ouessant par
exemple ne reconnaît que 3 locations de ce type sur l’île, où habite 1,3% de la population ouessantine
(pour mémoire, en France le parc locatif privé loge 21% des ménages).
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Devant la difficulté des insulaires à trouver un logement y compris dans le parc locatif privé,
l’intervention des élus et l’implication de la commune devenaient primordiales. La première solution
préconisée fut le recours au parc locatif social, avec toutefois une spécificité îlienne : ce sont les
municipalités qui sont venues démarcher les offices HLM et non l’inverse. Pour que celles-ci
acceptent d’intervenir sur les îles, les municipalités ont la plupart du temps cédé gratuitement les
terrains aux offices, tout en finançant les travaux de VRD (et parfois même en apportant une
contribution financière pour chaque logement construit).
Les premières opérations ont débuté à la fin des années 1980 et se poursuivent toujours aujourd’hui.
Les logements HLM, essentiellement localisés dans les bourgs des communes, ne représentent qu’une
faible fraction du parc des logements (1,3% à Ouessant, 1,5% à Yeu et 2,5% à Bréhat), mais en
ramenant ce pourcentage aux seules résidences principales, leur proportion monte à près de 4% à Yeu
et 10% à Bréhat. Le parc locatif social, encore insuffisant au regard des besoins actuels, loge ainsi 2%
des ménages ouessantins, 5% de ménages islais et 6% de ménages bréhatins (contre 17,2% à l’échelle
nationale).
Malheureusement, les communes ne disposent plus aujourd’hui de terrains constructibles,
susceptibles d’accueillir les nouveaux logements HLM nécessaires. La préemption reste alors la seule
alternative pour se constituer de nouvelles réserves foncières, mais les municipalités se heurtent
désormais à des prix qui, ici aussi, ont considérablement augmenté ces neuf dernières années. En
conséquence de quoi, le budget communal ne permet que très rarement ce type d’intervention.
Conclusion
Le recours aux extraits d’actes de mutation foncière à titre onéreux nous a permis d’analyser avec
précision le marché du logement sur trois communes insulaires. L’augmentation du prix des
logements est indéniable et en grande partie imputable aux résidents secondaires. Leur capacité
financière, bien supérieure à celle des insulaires, leur permet d’acquérir ainsi l’essentiel des biens.
Ce phénomène associé à un contexte économique difficile explique le déclin continu du nombre
d’habitants permanents, qui partent trouver un emploi sur le continent. Ceux qui choisissent de rester
ont du mal à trouver une place dans des HLM qui font cruellement défaut et dont le développement
est bloqué en raison de la flambée du prix des terrains constructibles, parallèle à celle des logements.
Par ailleurs, une rapide comparaison avec les communes littorales continentales voisines [13] permet
de constater que les logements à Bréhat et Yeu sont, en moyenne, plus chers que chez leurs voisines,
pourtant elles aussi très touristiques, alors qu’à Ouessant les prix sont inférieurs à ceux enregistrés sur
la côte des Abers.
Si les îles ne sont pas les seules à subir une crise du logement - la mise en place d’un établissement
public foncier régional en Bretagne, actuellement à l’étude, ne témoigne-t-elle pas de la
généralisation de ce problème ? -, l’insularité agit comme un catalyseur. Comme l’écrit F. PÉRON
(1996) « les îles évoluent par un effet de loupe grossissant, elles amplifient les traits et marquent plus
nettement les ruptures » [14].
Que peut-on en conclure ? Une vision pessimiste laisserait présager des îles majoritairement peuplées
d’habitants permanents locataires, et où les résidents secondaires, devenus les principaux
propriétaires, ne viendraient que quelques semaines par an. Il faut d’ailleurs souligner que dans
d’autres îles du Ponant, le maire est (ou a déjà été) un locataire.
Quoiqu’il en soit, l’accession à la propriété conditionne le droit de vote pour les résidents secondaires.
Aux vues des proportions qu’ils atteignent déjà sur les listes électorales, il est à parier que leur poids
devancera bientôt celui des habitants permanents (c’est déjà le cas sur certaines îles). Quelles priorités
seront celles d’un conseil municipal majoritairement constitué de résidents secondaires ?
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Bibliographie
ASCHER F., 1995, Le logement en questions, l’habitat dans les années 1990, continuité et rupture,
Éditions de l’Aube, La Tour d’Aigues, 324p.
BRIGAND L., 2002, Les îles du Ponant. Histoires et géographie des îles et archipels de la Manche et
de l’Atlantique, Éditions Palantines, Plomelin, 480p.
BRIGAND L., LE DÉMÉZET M., FICHAUT B., 1986, Les changements écologiques, économiques
et sociologiques dans les îles du Ponant : le cas de Batz, Ouessant et Groix, Institut de
Géoarchitecture, UBO, Brest, 200p.
BUHOT C., 2004, Analyse du marché foncier et immobilier dans les îles du Ponant (1995-2001),
Association des îles du Ponant, 53p.
BUHOT C., 2003, État du foncier dans les îles bretonnes, Rapport Ministère de l’Équipement (DRE),
15p.
DRIANT J.C., 1995, Les marchés locaux du logement, Presses de l’école nationale des Ponts et
Chaussées, Paris, 223p.
PÉRON F., 1996, "La mer comme valorisation d’un territoire, l’île productrice de mythes et nouveau
géo-symbole", in La Maritimité aujourd’hui, L’Harmattan, Paris, pp. 79-91.
PIRON O., 1995, "Aujourd’hui la question de l’habitat", in ASCHER F., Le logement en questions,
l’habitat dans les années 1990, continuité et rupture, Éditions de l’Aube, La Tour d’Aigues, pp. 308319.
Notes
[1] PIRON O., 1995, "Aujourd’hui la question de l’habitat", in ASCHER F., Le logement en
questions, l’habitat dans les années 1990, continuité et rupture, p. 308.
[2] ASCHER, 1995, "La question du logement", Op. Cit., p.7.
[3] Deux rapports ont été réalisés à la suite de deux commandes : la première passée par l’Association
des Îles du Ponant (Analyse du marché foncier et immobilier dans les îles du Ponant (1995-2001),
2004, 53p.) et la seconde émanant de la Direction Régionale de l’Equipement de Bretagne (État du
foncier dans les îles bretonnes, Rapport Ministère de l’Équipement (DRE), 2003, 15p.)
[4] Tels que Demeures de Charmes, De Particulier à Particulier ou Résidences Secondaires.
[5] Comme www.orpi.com.
[6] A l’image de www.bordemer.com ou www.immob-iles.com.
[7] Lors de sa réunion annuelle.
[8] BRIGAND L., LE DÉMÉZET M., FICHAUT B., 1986, Les changements écologiques,
économiques et sociologiques dans les îles du Ponant : le cas de Batz, Ouessant et Groix, 200p.
[9] Depuis avril 2004, les EAMFTO sont systématiquement scannés et gérés par la Banque Nationale
de Données Patrimoniales (BNDP).
[10] ŒIL est une base de données interne à l’Administration Fiscale qui a pour objectif d’établir un
système de références de prix pour des caractéristiques précises (surface, qualité architecturale,
nombre de pièces, localisation...).
[11] DRIANT J.C., 1995, Les marchés locaux du logement, pp. 204-206.
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[12] « Les extraits d’actes sont une production notariale, le mode rédactionnel, la richesse et la
précision apportées, sont variables d’un rédacteur à l’autre (et donc d’un extrait à un autre). Certaines
caractéristiques peuvent être absentes (profession, description du bien) ou approximatives :
enseignant pourra désigner aussi bien une institutrice qu’un professeur de l’enseignement supérieur »,
in DRIANT J.C., 1995, Op. Cit., p. 205.
[13] Comparaison rendue possible avec les données communiquées par les Chambres des Notaires.
[14] PÉRON F., 1996, "La mer comme valorisation d’un territoire, l’île productrice de mythes et
nouveau géo-symbole", pp. 79-91.
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