La Fontaine.commentaires

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La Fontaine.commentaires
La Fontaine, Fables - Grille de lecture générale
L’auteur
Fabuliste et moraliste du XVIIe, au cœur du Classicisme qui se définit notamment par ses règles d’écriture, la
volonté de plaire, la recherche d’une certaine stylisation et de la simplicité, le retour à l’Antiquité, à ses mythes,
ses grandes figures héroïques et à ses philosophies.
Les constantes
Toute fable de La Fontaine est un apologue : court récit fictif comportant une leçon, une morale.
a) Il s’agit donc toujours d’étudier comment l’auteur rend son récit vivant et plaisant ( un récit bien construit
(schéma narratif), temps des verbes (passé simple, imparfait, présent de narration, de vérité générale),
discours direct, indirect, indirect libre, hétérométrie, enjambements, rejets
b) d’analyser comment sont présentés les personnages et ce qu’ils représentent
c) de voir comment la morale est amenée (explicite, implicite)
Quelle que soit la question la fable que vous devrez expliquer, vous retrouverez plus ou moins sur les mêmes
axes de lecture : soit 1 - l’art du récit ; 2 – les personnages et la morale
Exemples : 1 - Le Loup et le chien
Un loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli , qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers ,
Sire loup l'eût fait volontiers;
Mais il fallait livrer bataille,
Et la mâtin était de taille
A se défendre hardiment.
Le loup donc, l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
«Il ne tiendra qu'à vous, beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui répartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien:
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi? rien d'assuré; point de franche lippée ;
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez moi, vous aurez un bien meilleur destin.»
Le loup reprit: «Que me faudra-t-il faire?
-Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens
Portants bâtons et mendiants;
Flatter ceux du logis, à son maître complaire:
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons:
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse.»
Le loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse
Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé.
"Qu'est-ce là? lui dit-il. - Rien. - Quoi? rien? -Peu de chose.
Mais encor? - Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
- Attaché? dit le loup: vous ne courez donc pas
Où vous voulez? - Pas toujours; mais qu'importe? Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.
Livre I, Fable 5
La Fontaine (1621-1695)
Introduction :
Pour convaincre ou persuader, un auteur peut faire le choix de l’essai, du dialogue ou de l’apologue. L’apologue
est un texte bref, narratif qui comporte une morale explicite ou implicite. Ainsi, la parabole, le conte
philosophique et la fable sont-ils des apologues. La Fontaine, célèbre fabuliste du XVIIe siècle, écrit à propos
de ses textes : «En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire »" (VI, 1) : cette phrase pourrait s’appliquer à
toutes ses fables tant il est vrai que sous une forme divertissante, la fable cherche à délivrer une morale, un
jugement sur les travers humains ou la société. Inspirée du poème d’Ésope, écrivain grec de l’antiquité,
« L’Âne domestique et l’Âne sauvage » et de Phèdre, auteur latin du Ier siècle après J.-C., « Le chien et le
loup », la fable que nous allons étudier, « Le Loup et le Chien », met en scène la rencontre entre ces deux
animaux. Dans un récit alerte, à la morale implicite, La Fontaine fait preuve de son talent de fabuliste. Nous
nous intéresserons dans un premier temps à l’art du récit et, dans un second à l’opposition entre les deux
protagonistes.
I – L’art du récit
a) un récit structuré : le schéma narratif
- situation initiale : v.1 et 2 : un loup famélique
- élément modificateur : v. 3-9 : rencontre avec le chien
- péripéties : 1 v. 10 à 31 : dialogue : le chien convainc le loup de le suivre afin de vivre bien – 2 – v.32 à 40 :
le loup comprend que la liberté est le prix du confort
- situation finale : v. 41 : le loup préfère la liberté
 un récit rapide, vif où les personnages sont campés en peu de mots et en opposition « Un loup n’avait que
les os et la peau » ; « un dogue aussi puissant que beau ». C’est aussi un récit surprenant : le loup
habituellement plus fort que le chien, est ici obligé de faire profil bas : « l’aborde humblement » et se laisse
convaincre par les arguments du chien. Encore plus surprenante, la sensibilité du loup qui pleure « de
tendresse » ! image inhabituelle de l’animal considéré habituellement comme un prédateur cruel . Le suspens
est maintenu puisque ce n’est que chemin faisant, alors que le lecteur croit en la résignation du chien que celuici change d’avis, lors d’une succession de phrases interrogatives. Enfin, la conclusion est lapidaire, tient en un
vers « maître Loup s’enfuit et court encore »
b) alternance du récit et du dialogue
La vivacité du récit tient aussi dans l’alternance récit-dialogue.Le narrateur, à partir du vers 13 est peu présent.
La fable prend l’allure d’une petite scène, le discours direct détient la plus grande part, donnant d’ailleurs
l’avantage au chien dans la plus grande partie du dialogue.
Le narrateur introduit l’action : description du loup, puis du chien, pensées du loup, discours indirect ; puis
amène le renversement de situation : v. 32 « Chemin faisant, il vit le cou du chien pelé » et enfin, annonce la
fin « Cela dit, maître loup s’enfuit et court encore » où temps du récit « s’enfuit » et présent de l’écriture se
succèdent.
 un récit où le discours direct l’emporte lui donnant ainsi vivacité et rythme.
c) la versification joue un rôle dans la vivacité du récit :des rimes croisées (v. 1 à 4) sont suivies de rimes
plates (v. 5 à 17), puis de rimes embrassées (v. 18 à 28), puis reviennent des rimes croisées (v. 29 à 39) et la
fable se termine par des rimes plates.
D’autre part, les vers ne sont pas d’égale longueur : aux vers 3 et 4 qui décrivent le bel aspect du chien
succèdent des octosyllabes énonçant les pensées du loup, octosyllabes au rythme rapide. Enfin aux vers 33 à
37 au rythme haché par les questions succèdent les alexandrins des deux derniers vers.
 Se déploie donc à travers cette fable le talent de conteur de La Fontaine, talent ici mis en œuvre pour nous
camper deux personnages et deux conceptions du bonheur.
II – Deux personnages opposés
a) le chien
- un animal bien portant et imposant : les termes le désignant insiste sur l’apparence redoutable du chien : il
s’agit d’un « dogue », d’un « mâtin » ; l’un et l’autre terme désignent des chiens de force redoutable.
L’énumération des adjectifs des vers 4 et 5 renforce cet effet ; « aussi puissant que beau /Gras, poli », ainsi
que l’adverbe « hardiment » au vers 9.
- un personnage satisfait : il se décrit positivement face au loup « aussi gras que moi » ; présente un tableau
positif de sa condition : à cet effet, le vocabulaire est appréciatif comme le montre le superlatif : « bien meilleur
destin ». La description de ses tâches met en évidence leur faible ampleur face aux récompenses : d’un côté,
on a l’expression « presque rien » suivie de 3 infinitifs : « donner », « flatter », « complaire », de l’autre une
énumération de termes hyperboliques : « force reliefs de toutes les façons », « mainte caresse ».
- un personnage bien installé dans son monde : il méprise ceux qui sont différents : suite de qualificatifs
péjoratifs « misérables/ Cancres, hères, pauvres diables » pour désigner les proches du loup. Il apprécie le
confort du sien ou il suffit de peu pour être nourri. Il oppose la condition du loup : « Car quoi ? rien d’assuré ;
point de franche lippée / Tout à la pointe de l’épée » à la sienne : il n’a « presque rien » à faire.Il accepte ce
qu’on lui impose, sans scrupules : « Donner la chasse aux gens / Portant bâtons et mendiants », c’est-à-dire
les vagabonds, les pauvres. Il accepte l’hypocrisie due à sa servitude : « flatter ceux du logis, à son maître
complaire » : la constriction en chiasme des deux verbes les met en évidence : l’un en début de vers, l’autre à
la fin. Enfin, on devine que le confort matériel l’emporte sur tout autre puisque l’animal évoque d’abord la
nourriture : « force reliefs », « os de poulet, os de pigeon » avant de mentionner les « mainte caresse »
- enfin c’est un animal sûr de lui, sûr de sa supériorité : c’est lui qui parle le plus. Le discours du loup est réduit
à peu de chose : deux vers de discours indirect aux vers 11 et 12, une courte question au vers 22, au discours
direct « Que me faudra-t-il faire ? ». D’autre part, le chien n’hésite pas à donner des conseils : les impératifs,
mode de l’injonction, sont présents dans son discours: « quittez », « suivez-moi » ; placés en début de vers, ils
sont ainsi mis en relief. Enfin, son assurance est marquée par l’emploi de l’alexandrin, vers ample, noble v. 19,
23, 25.
b) le loup
- un animal famélique : 2 vers initiaux pour le camper rapidement : état et cause
- un animal aux instincts carnassiers : v. 5
- un animal émotif : v.30-31: rapidité « déjà»
- un être lucide : v. 10-13  hypocrisie ?
- celui qu gagne : derniers mots du dialogue. Jeu des questions-réponses : rapidité du rythme : questions
brèves qui s’enchaînent les unes aux autres. Lucidité à nouveau : pousse le chien à avouer la réalité : chien
moins prolixe qu’auparavant.  gagne dans le duel verbal.
- épris de liberté : ton péremptoire : « il importe si bien.. » , « je ne veux », « en aucune sorte », « trésor ».
 la longue argumentation du chien n’aura servi à rien
c) la morale :
- implicite : mise en scène par le duel des personnages : le loup préfère la liberté
- personnification : l’un et l’autre animal représente des types humains : ceux qui préfèrent le confort au prix
de compromis // ceux qui préfèrent la liberté au détriment de leur confort.
- dans le contexte historique : critique des courtisans
- l’adhésion du narrateur à la conception du loup : c’est lui qui commence et termine la fable : 2 vers pour
montrer son état et la cause de celui-ci // 1 vers de conclusion + victoire de la liberté : temps verbal qui
prolonge jusqu ‘au temps de la lecture.
Conclusion
- un apologue
- l’art de La Fontaine
- rôle de la littérature dans le débat d’idées.
2 - Les animaux malades de la peste
Un mal qui répand la terreur,
Mal que le ciel en sa fureur
Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.
Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés:
On n'en voyait point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie;
Nul mets n'excitait leur envie,
Ni loups ni renards n'épiaient
La douce et l'innocente proie;
Les tourterelles se fuyaient:
Plus d'amour, partant plus de joie.
Le lion tint conseil, et dit: «Mes chers amis,
Je crois que le Ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune;
Que le plus coupable de nous
Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements:
Ne nous flattons donc point, voyons sans indulgence
L'état de notre conscience
Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.
Que m'avaient-ils fait? Nulle offense;
Même il m'est arrivé quelquefois de manger
Le berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut: mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi:
Car on doit souhaiter, selon toute justice,
Que le plus coupable périsse.
- Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce.
Est-ce un pêché? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur;
Et quant au berger, l'on peut dire
Qu'il était digne de tous maux,
Etant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.»
Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances
Les moins pardonnables offenses:
Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.
L'âne vint à son tour, et dit: «J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,
La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,
Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.
Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.»
A ces mots on cria haro sur le baudet.
Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.
Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
I – Des personnages typés
1) le lion
a- une certaine modestie
discernable dans les vers 15 "mes chers amis", 6 "je crois", 22 "on"
b – mais un roi conscient de son pouvoir passage de l'octosyllabe à l'alexandrin v 19 à 21
exhortation : v 19-20
impératif : v 23
références à l'histoire, à la religion : v 16-17-19 ;20
c - une confession hypocrite
s'accuse lui-même : stratégie pour minimiser ses fautes
hésitation feinte : "berger" en rejet au v29
2 concessions au sacrifice consenti : "s'il le faut" , "mais je pense..."
v 30-31
 un roi manipulateur, autoritaire (ton oratoire v 32-33)
2) le renard :
a - image du courtisan
b - la ruse
3) l'âne
a- hésitant
b - honnête
apostrophe initiale "Sire"
hyperboles "trop bon roi", "trop de délicatesse"
euphémisme "croquer"
atténuation des crimes : dévalorisation des victimes "canailles, sotte espèce" ;
homme : "digne de tous les maux"
renversement : le crime devient "honneur"
art du discours : plaidoirie vivante : exclamations, interrogations, rythme vif
flatte le roi mais ne s'accuse pas
c - naïf
rythme des vers 49-50
un fait lointain "j'ai souvenance"
recherche des cause : "quelque diable", l'occasion..."
aveu "je tondis" / "je n'en avais nul droit"
aveu d'un crime qui n'en est pas un
4) le loup
a- violent
b - manipulateur
violence des propos : injures "ce maudit animal, / Ce pelé, ce galeux"
"prouva par sa harangue"
5) les autres animaux : interviennent brièvement : v 48-53 / 55 / 59-62
a – une foule anonyme
"on" v 44, 55, 62
b – et lâche
termes dépréciatifs : "flatteurs" v 43
comportement : v44-46
II – Un récit construit théâtralement
1 ) le prologue
1 – ouverture oratoire,
répétition du mot "mal" en début des vers 1 et 2
dramatique
allitération en "r" : v1 à 7 et "terreur" et fureur" en fin de vers 1 et 2
"peste" seulement au v 4
2 – les effets du fléau
2 – le procès
a – succession des
interventions
b – des interventions
significatives
c – un récit vif
champ lexical de la religion mêlé à celui du malheur : "ciel", "punir", "crimes",
"fureur" , "terreur","Achéron" ... et "guerre" placé en fin de vers.
 le Dieu de la colère
universalité du malheur : chiasme du vers 7
multiples négations et lexique de la privation
imparfait duratif
négation finale
un récit théâtral
- ouverture du conseil
- plaidoirie du renard
 acte 1
- témoignage de l'âne
 acte 2
- réquisitoire du loup
verdict
 acte 3
le lion : intervention la plus longue
l'âne : coincé entre le renard et le loup
rapidité de l'épilogue : hiatus "on cria haro", assonances "o", "a"
dénouement elliptique "on le lui fit bien voir"
différents discours : direct, indirect, indirect libre
diversité des tons selon les personnages
diversité de la longueur des vers
3 – la morale
deux vers / oppositions : "puissants" / "misérables" ; "blancs "/ "noirs"
formulation rapide et expressive
une morale pessimiste (cf. "Le Loup et l'agneau"