Brisure de symétrie hyperbolique et formation du plan d`organisation
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Brisure de symétrie hyperbolique et formation du plan d`organisation
Texte français d’un article dans les Comptes Rendus Biologies Biologie du développement et de la reproduction Brisure de symétrie hyperbolique et formation du plan d’organisation des vertébrés Vincent Fleurya,*, Olena P. Boryskinab, Alia Al-Kilania. a Laboratoire Matière et Systèmes Complexes, université Paris Diderot. 10, rue Alice Domon et Léonie Duquet 75013 France b Institute of Radiophysics and Electronics NAS of Ukraine, Acad. Proskura str. 12, Kharkov 61085, Ukraine ARTICLE INFO Mots clés : Gastrulation Poulet Extension convergente Écoulement hyperbolique Organogénèse Plan de l’organisation vertébrée * R É S U M É. Cette Note présente un ensemble de preuves expérimentales démontrant que la formation du plan d’organisation de l’embryon de poulet passe par un écoulement de tissu embryonnaire de nature hyperbolique. Il est suggéré que ce phénomène est général pour la formation des tétrapodes. A partir d’une configuration initialement 2D (« coque » ou « plaque » de tissu au sens mécanique), un écoulement visco-élastique de tissu, bidirectionnel dans le sens Antéro-Postérieur et bi-directionnel dans le sens Gauche–Droite forme l’embryon aviaire typique. Cet écoulement présente un point neutre, identifié comme un point de stagnation de l’écoulement. Ce point est rigoureusement situé à l’emplacement du pédicule vitellin présomptif des oiseaux (analogue du nombril des mammifères). Autour du point de stagnation, l’écoulement présente une brisure de symétrie se traduisant par une symétrie miroir Gauche-Droite et Haut-Bas. Cette brisure de symétrie est transmise à tous les stades ultérieurs de développement (principe de Curie), et est visible sur l’animal adulte. Le tissu s’applatissant le long de l’axe AntéroPostérieur de symétrie forme les parties dorsales (axiales) de l’animal. Les parties s’enroulant suivant quatre cadrans répartis autour du point hyperbolique forment les plaques latérales de l’animal, desquelles émanent les membres. En outre l’enroulement de l’axe médian par-dessus le plan moyen initial crée la poche abdominale, le cœur et ses connexions aux organes extra-embryonnaires. Auteur pour correspondance. Courriel : [email protected] Texte français (référé) de V. Fleury et al./ C. R. Biologies 334 (2011) 505-515 VERSION FRANÇAISE. La formation des embryons d’animaux se produit sur une configuration de référence le plus souvent ronde. Cette masse de matière présente une structuration en feuillets cellulaires2. Du point de vue physique, le terme technique est « plaques » s’agissant d’embryons dont la configuration de référence est plate (comme pour le poulet) ou « coques » pour les embryons commençant davantage sphériques (comme les poissons ou les grenouilles). Dans le cas particulier des vertébrés, la formation de l’animal proprement dit consiste en un ensemble de mouvements réputés très complexes, opérant sur cette coque, et la transformant en un animal reconnaissable. On considère en général qu’il convient de suivre tous les mouvements observés à une échelle locale, de façon à interpréter chaque déplacement ou changement de conformation cellulaire au niveau même de la cellule, souvent en termes de chimiotactisme local. Dans une série d’articles, nous avons proposé d’interpréter différemment une partie des mouvements morphogénétiques[1-3]. Dans ce point de vue, une brisure de symétrie globale s’impose à tout le champ morphogénétique, et à toutes les espèces chimiques, et se révèle progressivement dans le pattern animal. Dans le cas des vertébrés, les mouvements morphogénétiques observés au cours de la gastrulation pourraient s’interpréter comme la déformation viscoélastique de la coque, à travers un écoulement qu’on qualifie en physique d’écoulement hyperbolique. Ce type de mouvement n’est pas intuitif, puisque le champ de vecteurs vitesse présente des orientations antagonistes dans un petit volume (la blastula a un diamètre d’environ 5mm lorsqu’ont lieu ces mouvements). Dans cette interprétation, l’organisation dynamique des champs de vecteurs a pour cause profonde les lois de conservation physiques, et non une superposition de champs chimiotactiques définissant des gradients de concentrations suivant divers axes cartésiens. La différence cruciale entre le point de vue chimiotactique et le point de vue physique est la suivante. Si l’on fait l’hypothèse que les cellules remontent des gradients chimiotactiques, on admet implicitement une forme d’autonomie des cellules, qui se déplacent en interprétant un champ scalaire (l’agent chimiotactique). Cependant, cette vision des choses n’est pas complète, puisque des cellules ne peuvent pas exercer des vitesses, mais seulement des forces. Il faut ensuite admettre que la dissipation visqueuse autour de la cellule transforme la force, orientée dans un gradient d’agent chimiotactique3, en une vitesse ; par conséquent, l’hypothèse d’une autonomie de la cellule dans un champ chimiotactique est incohérente, puisque la force visqueuse suppose une interaction avec le milieu. A contrario, la vision visco-élastique du problème de la morphogénèse embryonnaire fait dès le départ l’hypothèse que les cellules ne sont pas complètement autonomes : leur force individuelle s’interprète comme un terme de force volumique, agissant comme terme de source des forces, dans un matériau continu. L’écriture de la loi de Newton donne alors la déformation et le taux de déformation en chaque point. Dans cette description, l’embryon est un objet global, mécanique, et les champs de déformation et de taux de déformation doivent être étudiés partout en continu, car, par nature, la mécanique produit des effets à longue distance, influencés également par les conditions aux limites. En outre, s’agissant d’un objet stratifié (ectoderme, mésoderme, endoderme) comme un embryon, il faut comprendre l’effet réciproque de l’action et de la réaction, sur les champs de déformation observés dans chaque couche. Dans ces couches, les cellules, stratifiées dans la direction perpendiculaire aux couches, peuvent avoir des mouvements antagonistes par l’effet des lois d’équilibre, sans que cela suppose des agents chimiotactiques ayant des effets opposés, à quelques nanomètres de distance en épaisseur. La complexité d’une étude globale des mouvements, a pour avantage de réduire certains aspects globaux à des observations topologiques simples. L’observation topologique simple rapportée ici est que, lorsque démarre l’extension visco-élastique de l’ectoderme (à 1 jour de développement pour un poulet), le mouvement ectodermique est lancé avec une brisure de symétrie hyperbolique, caractérisée par la présence d’un « point de stagnation », qui est un point de vitesse nulle dans le repère de l’œuf initial. Ce point se caractérise par une vitesse nulle dans toutes les directions, dans le repère statique de l’œuf. Il faut noter qu’on ne saurait imposer une vitesse nulle ailleurs, par un changement de référentiel: le champ de force moyen étant nul, l’œuf initial est statique. Dans ce référentiel-là, seul un changement de référentiel vers un point de vitesse nulle est galiléen. Tout autre changement de référentiel vers un point matériel de l’embryon, de vitesse non-nulle, est non-galiléen (en particulier parce que les trajectoires étant courbées, autour d’un point hyperbolique, un point matériel se déplace en traversant un champ de vitesse qui n’est pas constant). Autour de ce point de stagnation, l’écoulement rapproche les tissus dans le sens Gauche-Droite, et les étire dans le sens Antéro-Postérieur. L’écoulement qui construit l’animal est 2 Nous admettons cette structuration en feuillets, sans en discuter la cause (polarité cellulaire, molécules d’adhésion, desmosomes etc.) 3 Effet obtenu par exemple en biaisant les distributions de filopodes membranaires. 2 Texte français (référé) de V. Fleury et al./ C. R. Biologies 334 (2011) 505-515 très lent (les vitesses typiques sont de l’ordre de 1micromètre/Min., la taille de l’animal est de l’ordre de 5 mm, sa densité proche de celle de l’eau, sa viscosité de l’ordre de 100 fois celle de l’eau ; on estime alors le nombre de Reynolds R=ρV/µL<1, qui caractérise les régimes laminaires ; dans nos expériences sur le poulet, la durée totale des mouvements permettant de passer d’un animal plat et ovale à un petit vertébré reconnaissable est de 36 heures, les vitesses de rotation dans les régions tourbillonnaires sont de l’ordre de un tour par jour), aucune autre brisure de symétrie spontanée n’intervient, et la croissance de l’animal transmet cette brisure de symétrie à tous les stades de développement jusqu’à l’adulte. S’agissant d’une brisure de symétrie globale œuvrant dans tout l’embryon, il est vain dans ce cas d’en chercher la cause dans le mouvement ou le changement de conformation des cellules individuelles qui se déplacent dans la blastula. Dit autrement, la présence d’un « point-col » hyperbolique dans l’embryon est une propriété topologique du phénomène, dont la cause n’est pas le comportement individuel des cellules. Des cellules préparées dans une situation initiale présentant un point fixe hyperbolique, engendrent dynamiquement un écoulement tel que celui observé, qui transporte les cellules de la blastula initiale (ronde) et les redistribue sur une forme reconnaissable comme une embryon de vertébré tétrapode. Plus précisément, un écoulement planaire présente une configuration hyperbolique, lorsqu’il est convergent dans une direction, et divergent dans l’autre, autour d’un point de vitesse nulle. Autour de ce point la conservation de la masse s’écrit div(V(x,y))=0, soit ∂xVx(x,y)+ ∂yVy(x,y)=0. À deux dimensions cette équation implique une forme linéarisée de l’écoulement qui est V(x,y)=(-kx, ky) où k est un paramètre quantitatif commandant l’écoulement au premier ordre[3]. Ceci se démontre en écrivant simplement V(x,y)=(k1x, k2y), et comme div(V)= k1+k2=0 on en déduit k1= - k2. Le changement de signe (+) suivant l’axe OY, (-) suivant l’axe (OX), traduit le fait que si l’embryon s’étire suivant (OY), alors nécessairement il se ramasse suivant (OX). De par les lois de conservations de l’hydrodynamique, l’étirement est relié à la contraction. Ainsi, les mouvements dits « d’extension-convergente » en biologie du développement, ne sont pas indépendants, de par les lois fondamentales de la physique. La force produisant ce mouvement est simplement la force cumulée des tractions cellulaires, orientées initialement avec la brisure de symétrie en question. De surcroît, les cellules peuvent s’aligner dans le champ de vitesse qu’elles créent, ce qui renforce spontanément le phénomène. Cependant, le jeune embryon est une plaque qui est repliée vers « le dessous » le long de son axe médian ; les forces morphogénétiques en question doivent donc tenir compte des mouvements dans le mésoderme, les cellules du mésoderme étant en contact avec l’ectoderme (« par en dessous »). Nous montrons dans cette note (Fig. 5) que la migration du mésoderme, son arrêt, la fermeture du premier sillon, et la traction observée sur l’ectoderme, sont correllées à longue portée, comme on attendrait d’un champ physique, par l’effet de l’action et de la réaction. L’invagination du mésoderme a pour effet d’inverser la force de traction de ces cellules qui tirent sur l’ectoderme, dans le sens qui expliquerait l’extension soudaine vers l’arrière. Des hypothèses chimiotactiques devraient, pour rendre compte de ces observations, expliquer des coïncidences extraordinaires, à longue portée, permettant la fermeture d’un pli d’un côté, la formation de nouveaux plis de l’autre, au moment exact où le mésoderme rentre par le premier sillon et remplit la cavité située sous l’ectoderme, ce qui paraît extravagant du point de vue conceptuel, et même impossible du point de vue évolutif. La structure globale du mouvement imprimé à la blastula est immédiatement visible sur un jeune embryon (Figure 1), et également sur un animal adulte comme un chat (Voir Figures Supplémentaires), ce qui suggère que la brisure de symétrie est « up-scalée ». Pour valider ces concepts, nous avons tout d’abord effectué des expériences indépendantes de mesure du comportement du tissu embryonnaire, lorsqu’il est soumis à une contrainte externe, exercée avec un jet d’air (expérience dite de tonométrie à jet d’air, utilisant un instrument nouveau [4]). Ces expériences révèlent que le tissu embryonnaire a un comportement de matériau visco-élastique (Figure 2, et Figures Supplémentaires), visqueux à des temps supérieurs à 5 secondes. Par conséquent, les mouvements cellulaires observés pendant la morphogénèse sont bien des écoulements. Nous avons ensuite mesuré finement les vitesses du tissu embryonnaire, tel qu’observé au microscope. Pour obtenir ces films, nous avons développé un protocole amélioré de visualisation du développement embryonnaire. Dans ce protocole, l’embryon est sorti de l’œuf, puis longuement rincé dans un tampon de PBS (Tampon Phosphaté PBS, Merck). Ce faisant, tout le jaune est éliminé. Ce long rinçage a pour effet de rendre l’embryon pratiquement transparent, et d’éliminer toutes formes de diffusion optique par les gouttes d’acides gras du jaune, qui rendent l’imagerie de l’embryon de poulet très peu piquée. Dans nos films, l’image est suffisamment piquée pour faire un suivi en PIV (Vélocimétrie de particules) de la surface directe de l’embryon, sans aucun marquage. Néanmoins, l’inconvénient de ce rinçage est que la culture de l’embryon dans cette configuration n’est possible que pendant une dizaine d’heures au maximum. Nous avons donc fait les mesures sur différents embryons, sur des temps n’excédant pas 5 heures, en sorte que chaque embryon est dans une situation pratiquement normale de croissance. Ceci est techniquement corroboré par l’apparition successive des somites, qui est en général un critère de développement normal de l’embryon de poulet. 3 Texte français (référé) de V. Fleury et al./ C. R. Biologies 334 (2011) 505-515 Le module Tracker (O. Cardoso, Université ParisDiderot), est utilisé, dans le logiciel ImageJ (W. Rasband, NIH) pour déterminer les champs de vitesses. Les films sont acquis à la loupe binoculaire (Leica FZLIII), en lumière rasante (fond noir), afin de pouvoir imager un grand champ embryonnaire, puisque le but de ce travail est de mettre en évidence le caractère global de l’écoulement. Pour certaines expériences, nous avons installé un système de double imagerie, par-dessus, et par dessous, permettant d’observer les deux côtés de l’embryon (voire le mésoderme, à travers l’endoderme4). En particulier, les films de formation du pli cardiaque et de la poche abdominale sont particulièrement nécessaires en double vue, pour comprendre comment s’effectue la morphogénèse de ces régions. L’ensemble des films est visible en accès libre sur le site : http://www.msc.univ-paris.diderot.fr/~vfleury/portailembryons0.html Concernant la forme de ces écoulements les films analysés plus particulièrement pour cet article donnent les résultats suivants. La Figure 4 montre le champ de vitesse déduit par PIV d’un enregistrement au moment où la chorde commence à s’étendre. On distingue un très net enroulement caudal et cranial, s’éloignant d’un centre qui est un point neutre de mouvement. Le point de stagnation est situé juste devant l’apex du premier sillon. La Figure 3B, qui se rapporte au film Movie 1, montre le champ de vitesses le long de l’axe médian, au voisinage du premier sillon, au moment de sa fermeture, stroboscopé par intervalles de 50 minutes. On observe que le mouvement d’extension est correllé à la fermeture du premier sillon. Au fur et à mesure que se ferme le premier sillon, le mouvement dans la région du sillon est de plus en plus étiré vers l’arrière. La fermeture du sillon s’accompagne d’une traction sur la partie située en avant, celle qui formera le corps de l’embryon, qui s’étire vers l’arrière. En s’étirant, la partie médiane cisaille et enroule le tissu latéral, en formant des vortex situés de part et d’autre de l’axe médian. Lorsqu’on mesure finement les vitesses le long du sillon, et juste en avant du sillon (Movie 1 Figure 4Haut), on constate une évidente corrélation à longue portée, entre la fermeture du sillon, et l’accélération du mouvement de l’ectoderme (Figure 4Bas), qui est étiré vers l’arrière. Par conséquent, l’invagination du tissu à travers le sillon joue un rôle mécanique dans la traction de l’ectoderme vers l’arrière, mais les mouvements des uns et des autres sont indissociables, en raison de la longue portée des interactions. C’est pourquoi nous avons également mesuré le mouvement du mésoderme, en filmant celui-ci à travers l’endoderme (Movie 3, Figure 5), « par en dessous ». Le film révèle que l’écoulement remplit uniformément la cavité située en 4 L’endoderme est beaucoup plus fin que l’ectoderme. dessous de l’ectoderme, et que la fermeture du sillon, et l’extension de l’ectoderme (et donc de la chorde) coïncident avec l’arrêt de la progression du mésoderme, quand il finit de remplir la cavité. On comprend que dans le repère du laboratoire, l’ectoderme et le mésoderme glissent l’un sur l’autre par l’effet de leurs forces de traction. Mais si le mésoderme est empêché d’avancer lorsqu’il a rempli la cavité située sous l’ectoderme, l’effet des tensions sera une accélération antagoniste de l’ectoderme, associée donc d’une part à la femeture du sillon, puis au pli des tissus. Avec le mouvement d’invagination du mésoderme, un point de stagnation se révèle sur l’ectoderme, qui sépare la partie qui se déforme vers l’avant, de celle qui se déforme vers l’arrière. Bien que l’embryon n’ait pas de forme à proprement parler (il est pratiquement plat et ovale), l’écoulement de l’ectoderme présente une structure caractéristique, hyperbolique, au voisinage du point de vitesse nulle. Cette structure hyperbolique du mouvement, va progressivement se révéler dans la forme de l’embryon. Tandis que la chorde devient visible, l’enroulement fait apparaître une structure de plus en plus reconnaissable comme une région pelvienne. L’embryon continuant de se développer, il atteint le stade de 3 paires de somites, où les plis de la neurulation recouvrent la chorde, en s’étendant de façon spectaculaire vers l’avant et vers l’arrière (Figure Supplémentaire 3, Movie 4). Au stade 5 somites le tissu s’applatit le long du corps, tout en s’enroulant de façon très visible dans la région de la plaque latérale qui formera les futures pattes arrières (Figure 6A, Movie 5). On distingue toujours clairement un point de stagnation, qui préfigure la région du pédicule vitellin des poulets, qui est l’analogue du nombril des mammifères. Le tissu poursuit son extension bidirectionnelle au stade 10 somites (Figures 6B et Supplémentaire 4). On observe très clairement que les somites, ne « descendent » pas le long du corps : au contraire, ils sont produits périodiquement dans la région ombilicale et remontent : ils apparaissent effectivement vers la région postérieure5, mais leur mouvement est antérieur, donc ils remontent en rafale, tandis que toute la partie située « au dessus » du point de stagnation dérive vers la direction antérieure à partir du point de vitesse nulle (Figure Supplémentaire 5). Les seuls points fixes du mouvement de morphogénèse, dans le repère où l’embryon dans son ensemble est immobile, est le point de stagnation de l’écoulement, et aussi le centre des recirculations latérales. Néanmoins, comme l’embryon est limité dans son extension par la frontière de la blastula, arrive un moment où le mouvement de l’ectoderme plie la blastula, en sorte que l’axe du corps passe au dessus de la blastula dans la région antérieure, et dans la région postérieure (Movie 6,7,8). En filmant les embryons recto-verso, avec un système de double 5 Sauf pour les 3 premiers. 4 Texte français (référé) de V. Fleury et al./ C. R. Biologies 334 (2011) 505-515 microscopie, on voit parfaitement l’instant ou la poussée des tissus crée un pli en avant de l’axe dorsal, et comment la formation de la tête est indissociable de la formation du coeur. La tête s’enroule vers l’avant, tandis que le pli se contracte vers l’arrière, en devenant progressivement la poche abdominale et les tubes cardiaques situés à l’intérieur, qui se connectent aux annexes extra-embryonnaires par le bord du pli. La contraction de ce pli amène progressivement les plis au niveau du futur nombril (« yolk sac stalk », ou pédicule vitellin aviaire). Ce mouvement est continu, et hormis les non-linéarités physiques liées aux déformations, on ne perçoit pas de discontinuité du phénomène biologique lui-même (par exemple, la contraction de l’arche gastrocardiaque a lieu a vitesse rigoureusement constante[14]). En résumé : nous avons filmé et mis à disposition à peu près tout les stades de développement du poulet, avec une qualité permettant de mesurer les champs de vitesses, entre le stade « blastula » (alors que le premier sillon finit tout juste de s’ouvrir), et jusqu’au stade treize somites, alors que le plan d’organisation d’un vertébré typique est reconnaissable ; ces films couvrent 36 heures du développement. Les données confirment l’existence d’un point de vitesse nulle situé au centre de l’embryon, dans la région ombilicale présomptive. Ce point apparaît devant l’apex du premier sillon. Tandis que le sillon s’étire brutalement vers l’arrière, la chorde apparaît immédiatement dans le sillage de l’étirement bi-directionnel, puis le tissu s’enroule le long des plaques latérales en formant des plis dorsaux et les bourrelets des bourgeons de pattes. Le pattern hyperbolique se propage vers toutes les échelles supérieures, au fil de l’accroissement de l’embryon. Les forces responsables de ce mouvement sont les forces de traction réciproques du mésoderme et de l’ectoderme. L’écoulement hyperbolique crée donc ainsi des conditions physiques différentes dans chaque région, qui s’imposent à toute la morphogénèse, de même que la symétrie gauche-droite s’impose à toute la morphogénèse. L’applatissement le long du dos se traduit par la fermeture des crêtes neurales. Au point de stagnation, les tissus sont tournés à angle droit du corps, et on voit s’y former les artères omphalomésentériques (artères du sac vitellin). L’enroulement latéral, produit naturel des lois de conservations physiques, se traduit par la formation de la région pelvienne et des bourgeons de pattes. Dans la région scapulaire, le passage de la tête par dessus le plan de la blastula complique la vision du phénomène, sans en changer le principe. Tout ceci confirme que l’écoulement crée des conditions physiques locales particulières qui imposent en chaque point du tissu la configuration déduite de l’advection dans le champ de vitesse local, lui-même contraint par la condition initiale globale[3]. En particulier, la symétrie miroir partielle, entre le haut et le bas du corps, qui avait été remarquée par Jeffries Wyman[5] pourrait suffire à expliquer la chiralité inverse des membres supérieurs et inférieurs, par une conséquence du principe de Curie. Ce principe universel stipule que la symétrie des effets est à chercher dans la symétrie des causes. Plus pécisément, dans le cas d’un champ physique étendu satisfaisant des lois générales de conservation, la brisure de symétrie n’est pas inhérente au champ physique, qui peut se développer dynamiquement dans n’importe quelle symétrie ou asymétrie (par exemple, lorsqu’on fléchit une plaque, les lois de flexion ne contiennent aucune brisure de symétrie particulière, c’est la condition initiale qui fixera la direction de flexion). Ainsi, dans les embryons, comme dans tout système matériel usuel, c’est la condition initiale, souvent imposée de façon très modeste, qui impose la symétrie initiale du problème, qui est ensuite passée à toutes les échelles. Dans le cas qui nous occupe, si la morphogénèse embryonnaire est un mouvement lent et continu opérant sur une petite galette de 4mm de diamètre, le mouvement luimême, une fois lancé, continue et révèle les brisures de symétrie initiales, mais il ne peut ni les défaire, ni en faire surgir de nouvelles ex nihilo. S’agissant maintenant du cœur, nous avons montré dans une précédente note que le cœur était formé dans le mouvement de pli situé en avant de l’axe médian[14] qui enroule le mésoderme viscéral, ce qui est confirmé ici. Dans la note[14], nous n’avions pas montré de film du moment exact où plie la partie antérieure de l’endoderme (Movie 6,7), mais seulement la contraction de la poche gastrocardiaque (Movie 8). Ce pli apparaît alors que les plis dorsaux poussent vers l’avant et cisaillent la blastula. C’està-dire que le pli cardiaque est également induit dans le sens de l’écoulement hyperbolique, ensemble avec la poche abdominale. La tête passe par-dessus le plan de la blastula, au niveau de ce pli (Fig. 8A), en enroulant l’endoderme et le mésoderme dans le sens Haut-Bas du côté ventral (poche abdominale) et dans le sens Gauche-Droite du côté dorsal (plis dorsaux se refermant comme une crêpe mexicaine), ce qui crée une situation complexe à l’origine du cœur et de l’abdomen. Par la suite, le cœur et la tête croissent en directions opposées, en raison de la forme sigmoïde de la surface à cet endroit. Au stade 13 somites (Fig. 8B), l’ensemble de l’embryon, notamment quand il est imagé à 45° (Voir Figure Supplémentaire 6) montre clairement la région de l’enroulement hyperbolique (zone des pattes et du dos), et le raccordement automatique du cœur au sac vitellin, exactement au « nombril » ou pédicule vitellin présomptif où les tissus embryonnaires sont connectés à angle droit au sac vitellin. (Voir Figures Supplémentaires) Ainsi, l’ensemble des films montre l’existence d’un « point-col » ou encore « point hyperbolique », présent dès les premières minutes de formation du corps embryonnaire, et qui est constamment présent, et finalement apparent sur l’animal adulte. Ce « point-col » sépare la morphogénèse en quatre cadrans, présentant une double symétrie droitegauche et antéro-postérieure. Le tissu cisaillé sur le côté s’enroule en engendrant la forme enroulée de la plaque latérale et de toute la région pelvienne. Dans la région 5 Texte français (référé) de V. Fleury et al./ C. R. Biologies 334 (2011) 505-515 scapulaire, le passage de la tête par-dessus le plan de la blastula crée en outre le cœur. L’ensemble de ces mouvements présente une continuité imputable aux lois de conservations physiques, l’applatissement étant correllé à l’allongement le long du dos. A deux dimensions, l’existence d’une loi de conservation physique réduit le nombre de paramètres libres, ainsi, la dynamique en apparence 2D, se réduit à un 1 seul degré de liberté, ce qui est très clairement visible dans la fermeture des crêtes neurales qui se ferment à 1D, « comme une fermeture éclair » Mais dans cette situation, qui est celle des figures 6A et B la dynamique pourra s’arrêter plus ou moins tôt, l’embryon aura une structure plus ou moins enroulée au niveau de la région pelvienne, la topologie étant contrainte par la présence initiale du « point hyperbolique » ou « point-col ». Note de fin : ce texte faisait partie intégrante du manuscrit original, publié par Les Comptes Rendus. Il a été référé par des rapporteurs anonymes, qui ont même demandé des révisions. Ce n’est qu’à la toute fin du processus éditorial, après acceptation en bonne et due forme, que l’éditeur a demandé le retrait de la version française, en raison de la longueur excessive de l’article. C’est pourquoi nous considérons la publication en ligne de ce texte comme justifiée. [8] [9] [10] [11] [12] [13] [14] phenomena, and it's definitely not true that you can describe development as occurring from the navel outwards.” Prof. P. Z. Myers, on Pharyngula, http://scienceblogs.com/pharyngula/. P. Curie, « Lorsque certaines causes produisent certains effets, les éléments de symétrie des causes doivent se retrouver dans les effets produits », in Sur la symétrie dans les phénomènes physiques, symétrie d’un champ électrique et d’un champ magnétique, J. Phys. Theor. Appl. 3, (1) (1894) 393-415 C. D. Stern, Gastrulation: from cell to embryo, (edited by), CSH Press, 2004. S. Gilbert, Developmental biology, Sinauer Press, Sunderland Massachussets, 2006. V. Hamburger and H. L. J. Hamilton, Morphol. 88 (1951) 49-92. D. E. Ingberg, Mechanical control of tissue morphogenesis during embryological development, Int. J. Dev. Biol., 50 (2006) 255-266. W. 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