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ISSAnalysis Luis Martinez* novembre 2007 Al-Qaida au Maghreb islamique 1. Mathieu Guidère, « Une filiale algérienne pour Al-Qaida » Le monde diplomatique, novembre 2006. * Dr. Luis Martinez est Chercheur associé à l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’UE. Ainsi, le jeudi 6 septembre 2007, un attentat-suicide visait le cortège du président dans la ville de Batna (22 morts et plus de 100 blessés). Le samedi 8, un autre avait lieu contre la caserne de garde-côtes à Dellys, perpétré par un adolescent de 15 ans ! Le bilan est de 28 morts. Le 11 avril une triple attaque avait provoqué à Alger 30 morts et 220 blessés. Tous ces attentats ont été revendiqués par Al-Qaida Maghreb. A cela s’ajoute le fait que l’intégration du GCIL dans le réseau d’Al-Qaida a pour effet de renforcer la présence des islamistes libyens en Iraq. Ils représentent le deuxième contingent de combattant étrangers après celui des Saoudiens2. Copyright : NEW PRESS/SIPA Le 3 novembre 2007, Ayman Al-Zawahiri, numéro deux d’Al-Qaida, appelait les musulmans du Maghreb à proclamer le Jihad : « Ô nation de l’islam au Maghreb, celle de la résistance et du Jihad, voici que vos enfants s’unissent sous la bannière de l’islam et du Jihad contre les États-Unis, la France et l’Espagne (…) et nettoyer nos terres de leurs esclaves Mouammar Kadhafi, Zine el Abidine Ben Ali, Abdelaziz Bouteflika et Mohammed VI ». Au cours de ces dernières années le réseau d’ Al-Qaida a réussi à élargir son influence auprès des groupes islamistes au Maghreb. En 2006, le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le Jihad), organisation fondée en 1998 par Hassan Hattab, annonçait son ralliement à Al-Qaida. Son émir, Abou Moussab Abdel Wadoud, soulignait les raisons de son ralliement dans une lettre d’allégeance : « Nous avons entière confiance en la foi, la doctrine, la méthode et le mode d’action de ses membres, ainsi qu’en leurs chefs et leaders religieux »1 ; en novembre 2007, c’est au tour du Groupe combattant islamique libyen (GCIL). Abou Laïth al Libi, un « commandant » d’AlQaida en Afghanistan, soulignait dans un communiqué : « Kadhafi est la tyrannie de la Libye, après de longues années, il a soudain découvert que l’Amérique n’est pas un ennemi, et transforme la Libye en une nouvelle base pour les croisés ». En mars 2007, la presse marocaine soulignait qu’Abou El Baraa, un Marocain originaire de Tétouan, venait d’intégrer le Conseil consultatif d’Al-Qaida Maghreb, composé de 16 membres et dont le quartier général se trouverait dans le sud-est algérien. Les conséquences de ce ralliement des groupes islamistes algériens et libyens au réseau d’Al-Qaida sont observables dans la nouvelle stratégie de violence. Pour la première fois en Algérie, la technique de l’attentat-suicide est intégrée dans le dispositif de guerre contre le régime. Rescue workers stand by as a bulldozer clears the rubble of a UN building after twin truck bombings by an affiliate of al-Qaida targeted UN offices and a government building, killing at least 31 people, Algiers. Le ralliement du GSPC et du GCIL au réseau d’ AlQaida s’explique par leur échec respectif de renverser les régimes en Algérie et en Libye. Ces deux organisations ont tenté dans le cadre de guérillas de 2. « Foreign Fighters in Iraq Are Tied To Allied of US », The New York Times, 22 November 2007. european union union européenne European Union Institute for Security Studies mobiliser le « peuple » afin de combattre les pouvoirs en place. Vaincues, elles emblaient, avant les attentats du 11 septembre 2001, complètement anéanties. L’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003 les a fait renaître. Sous l’influence d’Al-Qaida, ces deux organisations bouleversent leur stratégie et décident d’unir leurs forces dans le cadre d‘un Jihad régional. Pour mobiliser de nouvelles recrues, elles inscrivent leur combat à la fois dans un cadre local – la lutte contre les régimes en place – mais aussi international – la guerre contre les États-Unis, la France et l’Espagne. Ces trois pays occidentaux correspondent également à trois « ennemis » historiques susceptibles de mobiliser des recrues décidées à venger les libyens des bombardements américains et des sanctions infligées à la Libye durant les années 1980 et 1990 ; d’encourager des Algériens à faire « payer à la France » sa politique coloniale et de provoquer des vocations de libérateur auprès de Marocains prêts à chasser les espagnols de Ceuta et Mélilla et à se lancer à la reconquête de l’Andalousie. Ainsi la greffe d’Al-Qaida au Maghreb se nourrit de la dynamique d’union des groupes islamistes et permet par contraste de souligner que l’islam est un facteur d’union (Al-Qaida au Maghreb Islamique) alors que le nationalisme est une idéologie de désunion (l’inexistence de l’UMA). La greffe a pris également parce que le GSPC ainsi que le GCIL avaient besoin pour renouveler leur dynamique de combat de médiatiser leur action afin de les faire connaître. La connexion au réseau Al-Qaida leur offre une couverture médiatique planétaire et leur permet de repeupler des maquis qui s’étaient vidés à la fin des années 1990. À la recherche d’une nouvelle idéologie de lutte, le GSPC de Hassan Hattab trouve dans le « Front islamique mondial pour le Jihad contre les juifs et les croisés », créé par Ben Laden, le second souffle nécessaire au maintien de la guerre contre le régime. Il entreprend, dans un premier temps, une restructuration des groupes armés encore actifs. Il prône une nouvelle définition de l’ennemi qui se limite dorénavant aux seules forces de sécurité, et dénonce les violences contre les civils3. Le GSPC maintient un niveau de violence important mais sans commune mesure avec celui que le couple AIS-GIA avait entretenu entre 1993 et 1997. La politique de « concorde civile » lancée par le président Bouteflika en 1999 ramène vers la société environ 6 000 combattants islamistes. L’espoir d’une véritable réconciliation soulève un vent d’optimisme dans la société et laisse croire que le temps de la violence est enfin passé. Le renouvellement des groupes islamistes armés ne paraît plus assuré, en dépit de la persistance du terreau fertile que constitue la jeunesse désœuvrée. Mais c’est surtout sur le plan idéologique que la guérilla islamiste a perdu sa crédibilité. C’est donc le besoin de restaurer la crédibilité des groupes armés qui induit la volonté d’ouverture du GSPC sur le plan international. C’est dans cette perspective qu’il faut analyser les relations entre ce groupe et Al-Qaida. Car les liens entre les groupes islamistes algériens et des réseaux internationaux semblent assez anciens. Tout au long de la décennie et particulièrement depuis 1998 et la montée en puissance du GSPC, le régime a exploité ces relations afin de souligner l’extranéité des groupes islamistes relativement à la société algérienne ; mais les attentats du 11 septembre 2001 ont, comme ailleurs, constitué une rupture en ce que la guerre au terrorisme déclarée par l’administration Bush rend ce type d’interprétation plus acceptable. En effet, le label Al-Qaida est suffisamment attractif et respecté pour permettre au GSPC de redorer le blason de la guérilla islamiste. Pourtant en 2002, l’idée d’une mesure de concorde nationale au profit du GSPC est pourtant évoquée par le président Bouteflika et divise les groupes armés. Mais l’inscription du GSPC sur la liste des organisations terroristes du département d’État américain rendra finalement inenvisageable la réintégration de ses combattants4. Force est de constater que l’effondrement du régime des Talibans en Afghanistan a provoqué un redéploiement international des « Arabes » qui y étaient établis. Le représentant supposé d’Al-Qaida pour le Maghreb et l’Afrique sahélienne, Emad Abdelouahid Ahmed Alouane, (alias Abou Mohamed, un yéménite), tué le 12 septembre 2002 en Algérie, avait pour mission, selon les autorités algériennes, d’évaluer la situation en Algérie afin d’aider les combattants d’Égypte et d’Afrique du Nord en Afghanistan à s’y établir. Le GSPC avait pourtant affirmé, dans un communiqué du 21 septembre 2001, que son objectif était « le Jihad contre le régime algérien » seulement. Mais en 2006 il annonce son intégration à la nébuleuse Al-Qaida. Ce dernier qualifie le GSPC de « lions de l’Atlas au Maghreb islamique ». Le GSPC divise l’Algérie en quatre régions (Est, Ouest, Centre et Sud) où « gouvernent » des émirs et devient donc le premier groupe islamiste au Maghreb à rallier le réseau d’ Al-Qaida. Il devient aussi la plate-forme pour les islamistes maghrébins qui désirent partir combattre en Irak. Au bord de l’effondrement avant les attentats du 11 septembre 2001, le GSPC devient après les attentats et surtout l’invasion de l’Irak un groupe terroriste « au 3. « Contrairement aux unités opérant sous le sigle GIA, l’organisation n’a pas recours à des attentats ‘aveugles’ en secteur urbain. (...) Le recours à l’action terroriste, provoquant le décès d’un civil, doit être, dans l’esprit des dirigeants du GSPC, à la fois exemplaire et relativement rare » dans « Le GSPC ». Jean-Michel Salgon, Les Cahiers de l’Orient, 2001. 4. Le 27 mars 2002, le Secrétaire d’État américain annonce l’inscription du GSPC sur la liste des organisations terroristes au motif que le GSPC était une « cellule du GIA ». La greffe Al-Qaida au Maghreb European Union Institute for Security Studies 2 porte de l’Europe » qui ne manque pas d’inquiéter en raison de ses liens avec Al-Qaida. En somme, tant que le GSPC avait pour stratégie la lutte contre le régime algérien, il représentait un problème pour l’Algérie. Mais, dès lors que sa stratégie se veut internationale, il devient une menace pour son environnement régional et pour tous les étrangers qui séjournent, visitent ou travaillent au Maghreb. A cela s’ajoute l’usage, inédit jusque-là, des attentatssuicides en Algérie. Après l’attentat sanglant du 11 avril 2007, un communiqué d’Al-Qaida au Maghreb islamique expliquait : « nous disons aux renégats et à leurs maîtres croisés : recevez la nouvelle de la venue des jeunes combattants de l’islam qui aiment la mort et le martyr comme vous aimez la vie de débauche et de délinquant, par Allah, nous ne déposerons nos épées ni ne savourerons la vie, jusqu’à ce que nous libérions chaque pouce de la terre d’islam de tout croisé et de tout renégat et collaborateur (avec l’ennemi) et jusqu’à ce que nos pieds foulent notre Andalousie perdue et notre Jérusalem bafouée ». La prise du pouvoir n’est plus un objectif. Dorénavant, le GSPC aspire à devenir le représentant d’Al-Qaida au Maghreb et à faire du terrorisme son instrument de guerre. Avec moins de 1 000 combattants, le GSPC est contraint de s’ouvrir : il ambitionne donc de servir de plate-forme aux organisations terroristes régionales et surtout de devenir l’intermédiaire incontournable pour l’envoi de combattants en Irak en contrepartie d’une aide logistique d’Al-Qaida dans la région. Dès lors, la violence terroriste du GSPC vise à développer un sentiment de vulnérabilité auprès de la population qui serait la preuve de l’incapacité du régime à restaurer la paix civile. Le ralliement du GSPC à Al-Qaida (officiellement, le 27 janvier 2007, le GSPC change de nom et devient Organisation Al-Qaida au Maghreb islamique) est suivi par celui du Groupe islamique combattant libyen. Du Groupe islamique combattant libyen à Al-Qaida En 1995, émerge le Groupe islamiste combattant libyen (Al Islamiyya al Muqatila bi Libya). Ses membres fondateurs sont : Shaykh Abu Yahyia, Anas Al Libya (Nazih Abdul Hamid Al Raghie), Abu Bakr Al Sharif, Salah Fathi Bin Suleiman (Abu Abdul Rahman Al Hattab). Le GICL compte, entre 1995 et 1998, environ 2 500 membres, dont de nombreux anciens mujahidin d’Afghanistan. Moins connu que son voisin algérien, il est découvert en 1996 par le grand public lors de sa tentative d’assassinat de Muammar Qadhafi et éclipse un peu les autres groupes islamistes libyens. La force du GICL va reposer principalement sur son réseau. Ses ramifications le plongent au contact d’autres groupes islamistes en Afrique du Nord et en Egypte. Le GICL légitime le Jihad contre le régime de Kadhafi en raison de la situation des « musulmans libyens ». Son porte-parole, Abou Bakr el Sharif souligne que : « There is no doubt that the tragic situation which is hurting Libyan society is not hidden from any person with even the least concern for the situation of the Muslim. So the absence of the Islamic regime – which is a guarantor for the achievement of salvation and peace in this world and the next- is what brought us to this situation. Qaddafi, as a ruler who has been forced over the necks of the Muslims in Libya in order to achieve the interests of the enemies of our Nation, has fulfilled the role which has been expected from him to the letter. This role required him to break the rules of Islam and its symbols within the minds of the people and everyday lives…Indeed, Qaddafi began from early on to constrict the spirit of the Muslim Libyan youth inside and outside Libya, and began to kill every person who even thinks of doing some positive and fruitful work to confine his evil and to arrest his corruption. It did not matter to him whether these reformers worked in peace or rose in arms against him ». Pour le GICL, la dérive du régime doit être stoppée car elle corrompt profondément la jeunesse libyenne : « whilst we are convinced that a regime such as Qaddafi’s can present justifications for its actions, however, it went further adding to these practices which create a realisation amongst the youth of the necessity to fight the armed evil with the armed good. Indeed, scaffolds for hanging Muslims have been erected in the parks, university grounds, are various areas since long ago, in order to hang the choicest children of our country. Then elements named revolution committees overtook the mosques, the schools, the colleges, and various organisations, until it became a familiar matter in Libya to see a student giving orders ». Dans cette perspective le Jihad est à même de provoquer une dynamique salvatrice :« the most important achievement of the GICL is the bringing back to life an overlooked requirement and a dead Sunnah. I mean by the fight against the apostates and traitors, it also revived the hope – with the help of Allah – in the spirits which had been overcome with hopelessness and fear which had been created by the regime through entrenched means. For this reason, the popular sentiments of the people have become clear on the side of the GICL and this is exemplified in the offer information with respect to the movements of this regime, or the offer of different types of assistance to the Mujahideen. Furthermore, the GICL has European Union Institute for Security Studies 2 shown the true face of the fight, that it is a creedal fight between truth and falsehood, and these are first steps in the path of correct change »5. Entre 1995 et 1998, le GICL mène des opérations de guérilla contre les forces de sécurité dans la région de Benghazi et provoque une vive réaction de la part du régime qui se caractérise par le bombardement des massifs montagneux du Djebel al Akhdar où se cachaient les militants islamistes. Pour les islamistes, cette réaction de Kadhafi est qualifiée « d’hystérique » par le porte-parole du Groupe islamiste combattant : « Le régime vit une situation d’hystérie dont je doute qu’il en ait déjà connu une de cette ampleur auparavant ; il regroupe toute sa puissance militaire pour essayer d’éradiquer le Groupe islamique combattant. Les Libyens n’ont pas bombardé leur propre pays depuis l’occupation Italienne. Et pourtant nous assistons au bombardement, par l’aviation libyenne, des positions des Moujahidin dans le Djebel El Akhdar, haut lieu de la résistance contre l’occupation italienne. Aujourd’hui cette région est un des nombreux lieux de la résistance du Groupe islamique combattant. Entre temps, Kadhafi tente de dissimuler la réalité de ces affrontements à l’opinion en masquant ses offensives militaires comme étant des raids contre des trafiquants de drogue, etc. A ce jour, il a regroupe environ 10 000 soldats dans la région qui comprennent des troupes serbes issues de l’ex-Yougoslavie »6. Parallèlement à la répression des groupes islamistes, le régime met en place une politique d’épuration dans le secteur du commerce. La fermeture de nombreux petits commerces dans la ville de Benghazi, sous le prétexte de la lutte contre la corruption, est en fait une politique qui vise à tarir les sources du financement du GICL. En 1996, la Jamahiriyya entreprend des mesures de rétorsion contre le développement du commerce informel. Des « comités d’épuration », composés d’officiers subalternes sont chargés de lutter contre la « corruption ». En juillet 1996 une loi sur l’épuration punit de la peine de mort : « toutes les personnes effectuant des opérations de change en violation des règlements de la Banque centrale et, exportant la devise nationale » et celles qui pratiquent « la spéculation sur les produits alimentaires, les vêtements, les habitations et les transports »7. Au cours de cette année, les « comités d’épuration » obligent la fermeture de 1 500 commerces, principalement en Cyrénaïque. Longtemps opposé au commerce privé (car il représente une forme d’exploitation), le 5. Interview de Abu Bakr Al Sharif, porte-parole du GICL. http://www.islam. org.au/articles/15/IN-LIBYA.HT 6. Nida’ul Islam, october-November 1996 7. Voir Eric Gobe, « Chronique Libye », Annuaire de l’Afrique du Nord, 1998 colonel Kadhafi pointe ce secteur à l’opinion libyenne comme étant le responsable de la détérioration du niveau de vie. En fait, les petits commerçants sont suspectés de soutenir le GICL. Ce dernier a une influence sur les petits commerçants, le discours du GICL sur la corruption est bien reçu par la population : « As for the economic front, you can talk without a second thought about the corruption. There is confiscation of people’s money with no justification, and the withholding of the salaries from the employees in the black market which is run by some of Qaddafi’s stooges, and finaly what are called the cleansing committees which on the face appear useful, but beneath the surface employ torture against innocent members of the public. The regime claims that these committees were formed to fight corruption in government, yet in reality they are nothing but new tools to enforce the iron fist and the legal robbery under the veil of correction. In addition to this is the squandering of Muslim wealth in areas which only serve the madness of Qaddafi and his love for fame as per coined phrase ’our good are for others’ »8. Entre 1995 et 1998, la région du Djebel El Akhdar est l’objet d’un quadrillage sécuritaire important. Des barrages routiers sont postés tous les 10 kilomètres, et les forces de sécurité vérifient l’identité de tous les passagers. Les autorités placardent à l’entrée des hôtels et des agences de voyages les portraits de chefs de groupes armés recherchés. A leur photographie était joint un court curriculum sur les personnes en question. Il ressortait de ces informations que l’âge moyen des islamistes recherchés était de trente ans et qu’ils étaient diplômés de l’université. Décrits comme de dangereux criminels au service des sionistes et des impérialistes, ils étaient catalogués comme des « terroristes » du Mouvement islamique des martyrs et du Groupement combattant islamique libyen. C’est dans la région du Djebel el Akhdar qu’évoluent ces organisations islamistes. Les fréquents accrochages qui y ont eu lieu ont provoqué un quadrillage du territoire par les milices révolutionnaires. Bien que des militaires étaient présents sur ses barrages, ils étaient généralement non armés (car suspect de complicité avec les islamistes) et étaient toujours accompagnés de miliciens en tenue de civil armés de pistolets mitrailleurs. En fait l’armée n’a pas été impliquée dans la lutte anti-islamiste, la charge en a incombé aux comités révolutionnaires et à la Garde de la Jamahiriyya. Ce sont d’ailleurs les seules forces de sécurité à susciter une crainte réelle. En 1997, à partir de la frontière égyptienne, on rencontrait quasiment tous les vingt kilomètres un barrage composé d’unités mixtes issues de l’armée, de milices et de policiers. Les villes du littoral étaient considérées 8. Porte-parole du GICL. comme sûres car très bien contrôlées, mais les villes d’El Marj ou El Abyar, dans le Djebel le Akhdar, étaient des lieux d’insécurité pour les agents du régime. Entre 1995 et 1998, le Groupe islamique combattant libyen (GICL) échoue à transformer sa violence en situation insurrectionnelle. Il ne parvient pas à créer une dynamique de contestation légitime qui transcenderait les appartenances tribales et régionales. Bien que sa violence soit demeurée cantonnée principalement en Cyrénaïque, le GICL n’est pas parvenu à créer cet amalgame nécessaire à la disqualification du régime : faire croire que la répression s’inscrit dans la continuité de la violence de la colonisation Italienne. Comment expliquer l’échec de la guérilla islamiste libyenne ? Plusieurs facteurs contribuent à rendre compte de l’échec de sa stratégie. Tout d’abord, le GICL a sous-estimé la capacité de réaction et de défense du régime. A l’instar des mouvements islamistes armés algérien, le GICL a confondu vulnérabilité et faiblesse. La vulnérabilité du régime de Kadhafi sous l’embargo ne signifiait pas pour autant qu’il était dans l’incapacité de réagir. Ensuite, le contexte régional dans lequel le GICL a lancé son Jihad ne manquait pas d’inquiéter la population libyenne. En effet les massacres de civils algériens étaient exploités par le régime libyen dans la perspective de montrer « la folie » des groupes islamistes et le danger de les voir perpétrer ces crimes en Libye. La violence en Algérie constituait donc un repoussoir en Libye. A ces facteurs s’ajoute la faiblesse de l’idéologie du GICL, car les islamistes libyens ne vont pas parvenir à élaborer une idéologie de combat efficace. La critique classique du régime s’est faite autours de thèmes peu mobilisateurs tels que la dénonciation d’un régime « oppresseur », «illégitime » et « corrompu ». Ces thèmes ne constituaient pas un programme critique nouveau. En effet, les mouvements d’oppositions comme le Front national de la Sauvegarde de la Libye les utilisent depuis 1981. En somme, le GICL n’est pas parvenu à imposer une lecture critique nouvelle du régime, une alternative crédible ou une utopie mobilisatrice. La dynamique de mobilisation derrière le GICL est donc restée cantonnée à des registres traditionnels de dénonciation du pouvoir. A l’incapacité de se distinguer des autres courants de l’opposition, si ce n’est par l’usage de la violence, s’ajoute la difficulté de justifier le commencement de l’usage de la violence sur un moment fondateur susceptible de légitimer la violence. Le GICL n’a pas eu l’opportunité de cristalliser la rancœur contre le régime par l’exploitation politique d’une injustice (l’interruption du processus électoral en Algérie) voire d’un sentiment humiliation (la présence des troupes américaines en Arabie Saoudite) ou de révolte comme en Irak après le renversement de Saddam Hussein. Le déclanchement du Jihad en 1995 n’a pas provoqué de dynamique de contestation générale. Aussi la réaction du régime va être fatale à la dissidence armée des islamistes qui va découvrir, à l’instar des autres mouvements de guérilla islamiste, les ressources cachées d’un Etat vulnérable. Comme le GSPC, le GCIL trouve dans le ralliement à l’Organisation Al-Qaida au Maghreb islamique, le second souffle dont il avait besoin. De plus, le rapprochement spectaculaire de la Libye de Kadhafi avec les Etats-Unis lui permet de récupérer à son profit le sentiment anti-américain cultivé par Kadhafi pendant trois décennies… La création de l’organisation Al-Qaida au Maghreb islamique soulève des problèmes majeurs. Tout d’abord, elle rend nécessaire pour les gouvernants au Maghreb le développement d’une coopération régionale et internationale. Face au terrorisme de l’organisation Al-Qaida au Maghreb islamique, la répression estelle encore pertinente ? Un régime autoritaire, doté d’une faible légitimité politique, n’est-il pas handicapé pour lutter contre le terrorisme ? Comment un régime autoritaire peut-il diffuser un sentiment de protection et de sécurité s’il ne bénéficie pas de la pleine reconnaissance politique de ses citoyens ? Pour les régimes algérien et libyen la lutte contre le terrorisme permet, à la différence de la « guerre totale », critiquée par les organisations de défense des droits de l’homme, de favoriser une politique de coopération avec des régimes démocratiques, confrontés à la même menace9. Concrètement, la presse fera état de la remise de deux listes comprenant, dans l’une, les noms de 1 000 membres soupçonnés d’appartenir au GIA et au GSPC opérant en Algérie et, dans l’autre, les noms de 350 algériens ayant transité en Afghanistan et étant susceptibles d’appartenir à Al-Qaida10. De plus l’arrivée d’Al-Qaida au Maghreb permet aux régimes de légitimer la répression passée. Mis en accusation pour violation des droits de l’homme, les dirigeants algériens et libyens trouvent dans les attentats du 11 septembre 2001 la preuve que leur combat était non seulement légitime mais avant-gardiste. Comme le souligne le Général Maïza, avant le 11 septembre : « l’embargo qui a frappé l’Algérie n’a pas permis d’équiper ses unités et ses hommes avec les armes et surtout les équipements de reconnaissance et de vision nocturne leur permettant d’être efficaces ». Ce soutien technique (renseignement, armement etc.) permet de mieux combattre le terro9. Pour certains observateurs, l’implantation d’Al-Qaida au Maghreb est une manipulation des services de sécurité du régime algérien afin de susciter la peur auprès des pays européens et l’inquiétude des Américains quant à leurs intérêts dans la région les obligeant à une coopération sécuritaire. F.Gèze et S. Mellah, « ‘Al-Qaida au Maghreb’, ou la très étrange histoire du GSPC algérien », Algeria-Watch, 22 septembre 2007. 10. Le Quotidien d’Oran, 18 septembre 2001. risme mais non de « l’éradiquer », à l’instar de la guérilla des années 1990. Car comment expliquer que le terrorisme trouve en Algérie, en Libye et, dans une moindre mesure, au Maroc un terreau fertile ? Pour un régime autoritaire la lutte contre le terrorisme apparaît comme beaucoup plus difficile que celle contre une guérilla. Car il a besoin de la confiance de ses citoyens pour empêcher la nidation de groupes dans certains milieux. Or une population qui doute de la légitimité de ses dirigeants est à même d’offrir une faible résistance à des groupes terroristes, voi- re elle peut les comprendre sans les approuver. Or, en Algérie et en Libye, la légitimité des régimes n’est pas acquise. Partout émerge un discours critique qui constitue autant de failles exploitables par des groupes terroristes. Pour vaincre le terrorisme, le régime doit être à même de convaincre ses citoyens de la légitimité de son combat et, pour mener ce combat, il a besoin de la confiance de ces citoyens. Or un régime autoritaire ne dispose ni de la légitimité ni de la confiance… Le succès de la lutte contre le terrorisme en Algérie et en Libye passe sans doute par la démocratisation de ses régimes.