L`observatoire des jésuites de Marseille sous la - ASTRO

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L`observatoire des jésuites de Marseille sous la - ASTRO
L’observatoire des jésuites
de Marseille sous la direction
du père Esprit Pezenas
(1728-1763)
guy boistel
Le père Esprit Pezenas (1692-1776) : éléments biographiques
Si le nom du père Pezenas est assez familier aux historiens de la Marine,
il reste néanmoins méconnu. Bien que nous ayons donné par ailleurs
quelques nouveaux éléments biographiques, il peut être utile de rappeler
ici les principaux faits marquants dans la vie et l’œuvre de cet astronome
jésuite1.
1. Pour une esquisse biographique plus détaillée et des références complètes, voir : Boistel
G., 2002, « Les longitudes en mer au xviiie siècle sous le regard critique du père Pezenas »,
dans V. Jullien dir., Le calcul des longitudes, un enjeu pour les mathématiques, l’astronomie, la mesure du
temps et la navigation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 101-121 ; Boistel G., 2001,
« Documents inédits des pères jésuites R. J. Boscovich et Esprit Pezenas sur les longitudes
en mer », Revue d’histoire des sciences, n° 54/3, p. 383-397 ; ainsi que ma thèse, Boistel G.,
2001, L’astronomie nautique en France au xviiie siècle : tables de la Lune et longitudes en mer, thèse de
doctorat en histoire des sciences et des techniques, centre François Viète, université de
Nantes (thèse récompensée par le prix André-Jacques Vovard de l’Académie de marine
pour l’année 2002 et disponible auprès de l’Atelier national de reproduction des thèses de
Lille-3), troisième partie notamment. Voir aussi la notice « Pezenas, Esprit », de J. Taton,
dans C. Gillispie dir., 1970-1980, Dictionary of Scientific Biography, New York., Scribner’s
sons, vol. 10, p. 571-572, ainsi que celle de J.-B. Delambre (1821), dans Michaud dir., 1861,
Biographie universelle ancienne et moderne, Paris, A. Thoisnier, vol. 32, p. 663-664.
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OBSERVATOIRES ET PATRIMOINE A S T RO N O M I QU E
Figure 1. Le grand télescope de Short (1755), © James Caplan.
Originaire d’Avignon, ayant suivi le cursus normal de tout novice
jésuite, le père Esprit Pezenas (1692-1776) fut en 1728 nommé professeur
royal d’hydrographie à Marseille. Son aîné, le père Antoine-François
Laval (1664-1728), avait été muté à Toulon en 1718, pour y enseigner
les mathématiques et l’hydrographie aux gardes-marine. Le père Thioly
l’avait remplacé pour une courte durée ; il mourut lors de la grande peste
qui ravagea la Provence entre 1720 et 1721. L’observatoire était donc en
état de quasi-abandon depuis plusieurs années lorsque Pezenas en prit
possession.
Dès son arrivée, et jusqu’à la dispersion des jésuites, qui eut lieu en
Provence en 17632, Pezenas assura les fonctions de directeur de l’observa2. Egret J., 1950, « Le procès des jésuites devant les Parlements de France », Revue historique,
t. 104, p. 1-27.
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toire de Marseille, fondé par son prédécesseur et les jésuites de la maison
de Sainte-Croix en 1699, et de maître d’hydrographie auprès des officiers
du corps réal des Galères3. Désireux de rester en poste à l’observatoire des
jésuites à Marseille au moment de la suppression du corps des Galères
et son rattachement au corps de la Marine en 1748 par le ministre Maurepas, Pezenas entreprit au cours de l’année 1749 un voyage à Paris, au
cours duquel il rencontra notamment l’inspecteur général de la Marine
Duhamel du Monceau, le nouveau ministre Antoine-Louis Rouillé, les
académiciens et astronomes Charles-Marie de La Condamine, l’abbé
Nicolas-Louis de Lacaille, Joseph-Nicolas Delisle. Les contacts furent
fructueux puisque le père Pezenas fut nommé très officiellement correspondant de Delisle (le 28 janvier 1750) pour l’Académie royale des sciences. Cette reconnaissance est davantage affirmée avec la nomination de
Pezenas comme académicien libre lors de la première séance de l’Académie de marine à Brest en juillet 1752, académie créée par Antoine-Louis
Rouillé et quelques marins brestois4.
Ce voyage méconnu de Pezenas à Paris et les lettres de correspondance de la prestigieuse Académie royale obtenues en 1750 marquent
le début des années glorieuses pour l’observatoire de Marseille, devenu
observatoire de la marine5. Pezenas obtient du département de la marine
des fonds importants destinés à la réhabilitation de l’observatoire et à
son équipement progressif en instruments d’observation de qualité et
très coûteux. En l’espace de quelques années seulement, le père Pezenas va faire de cet observatoire l’un des mieux équipés d’Europe : deux
télescopes de type grégorien, un télescope de type Cassegrain construits
par James Short à Londres, deux micromètres-héliomètres de John Dollond.
3. Voir par exemple P. de Vrégille, 1906, L’observatoire de Sainte-Croix à Marseille (1702-1763),
Paris, Victor Retaux.
4. Voir Taillemite E., 2002, « L’Académie de marine : une histoire tourmentée », dans
Chronique d’histoire maritime, vol. 48, p. 37-43, ainsi que la brochure éditée pour le 250e anniversaire
de l’Académie de marine (1752-2002), Paris, Académie de marine et Marine nationale, 2002.
5. Lors de la liquidation des biens des jésuites de Provence, l’« Observatoire royal de la
Marine » fut l’objet de tractations entre les créanciers des jésuites, dans les années 17651766. Le roi racheta une partie des bâtiments (le reste fut acheté par les pères de la
Miséricorde) et l’observatoire fut confié à Guillaume Saint-Jacques de Silvabelle dès
le 19 mars 1763. L’affaire traîna jusqu’en 1777 (Archives de l’observatoire de Marseille
[AOM], dossier Silvabelle, 132J, 174).
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Cette étude se propose de faire le point sur les recherches en cours et
les principaux résultats obtenus concernant l’équipement de l’observatoire de Marseille entre les années 1750 et 1763, résultats qui contredisent
en grande partie ce que la tradition historique a retenu6.
État des sources et des recherches en cours
Les principales recherches ont consisté, jusqu’à présent, à recenser les
manuscrits, la correspondance (envoyée ou reçue) et les papiers personnels du père Pezenas. Si les recherches sont toujours en cours, il a été néanmoins possible de dresser un premier inventaire inédit des manuscrits et
de la correspondance du père Pezenas7. Les fonds les plus importants sont
localisés aux Archives nationales (fonds Marine), à la bibliothèque de
l’observatoire de Paris et au musée de l’observatoire de Marseille.
1. On trouve au centre historique des archives nationales (Paris,
CHAN), les documents relatifs à la vie, à la carrière du père Pezenas en
tant que professeur d’hydrographie auprès des officiers du corps des galères de Marseille, et à ses relations avec le secrétariat d’État à la Marine
à Paris, sont dispersés dans divers dossiers du fonds Marine (Maison du
roi O1.684 ; papiers personnels sous-séries C2.55 et 61 ; et C7.245 ; correspondance du ministre avec les ports du Levant B2 et B3 ; mémoires
d’astronomie nautique, sous-séries 3 jj 10, 13 et 16 ; mémoires et projets,
sous-séries G91, G92, G93, G96, G98 notamment). L’essentiel de la correspondance avec les ministres de la Marine successifs se trouve dans les
dossiers Marine G91 et G92. Ce dernier dossier comporte notamment la
correspondance de son successeur Guillaume Saint-Jacques de Silvabelle
(1722-1801) à la tête de l’observatoire. Notons qu’une grande partie de la
correspondance avec l’astronome Delisle est conservée dans la sous-série
6. Voir notamment le baron F. X. de Zach, 1814, L’attraction des montagnes […] suivie de la
description géométrique de la Ville de Marseille et de son territoire […], Avignon, Seguin l’aîné, t. II
(nombreux détails et témoignages historiques sur l’astronomie en Provence et à Marseille
en particulier au cours du xviiie siècle, parmi lesquels il est difficile de discerner ce qui
relève des témoignages recueillis par Zach et de son invention ou de ses interprétations).
7. Voir mon « Inventaire chronologique des œuvres imprimées et manuscrites du père
Esprit Pezenas (1692-1776), jésuite, astronome et hydrographe marseillais », Revue d’histoire
des sciences, n° 56/1, 2003, p. 221-245. Cet inventaire non exhaustif recense environ
600 pièces, dont environ 400 lettres (reçues et envoyées), une quarantaine de mémoires
manuscrits.
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mémoires et papiers d’hydrographie 2 jj 66-69. La plus grande partie de
ce fonds ne semble pas avoir été exploitée jusqu’à présent.
2. La bibliothèque de l’observatoire de Paris (BOP) : la bibliothèque
conserve des copies des registres manuscrits des observations astronomiques et météorologiques effectuées à Marseille, copies établies par le père
Pezenas et son assistant le père Louis Lagrange à la demande de Delisle
(C 2.16). On y trouve aussi des lettres échangées entre le père Pezenas et
divers pères jésuites et astronomes provençaux (A 4.2 ; ms. Seguin 1058
III). Les registres d’observations du père Pezenas contiennent aussi quelques mémoires scientifiques particulièrement intéressants pour évaluer
l’évolution de ses connaissances scientifiques et de ses projets d’équipement en instruments d’observation.
Ce fonds constitue la base documentaire des notices rédigées par l’astronome Guillaume Bigourdan sur l’observatoire de Marseille au début
du xxe siècle8.
3. Les archives de l’observatoire de Marseille conservent des papiers
personnels du père Pezenas (sous la cote 132J, 213). Il s’agit vraisemblablement d’une partie des papiers transmis par le père Pezenas à sa nièce
et légataire universelle, Mme de Bagnoly9. Ce fonds déborde du cadre
purement scientifique et institutionnel. Il donne un aperçu précieux sur
quelques affaires privées, ainsi que sur le réseau de relations du père
Pezenas. Ces documents furent très certainement consultés par l’abbé
d’Aoust lorsqu’il rédigea sa notice sur le père Pezenas en 187010.
Divers fonds locaux ont aussi été explorés tels que ceux de la Société
royale des sciences de Montpellier (archives départementales de l’Hérault
D.128, 129, 204), de la correspondance du grand voyageur et homme des
Lumières Jean-François Séguier (1703-1784) (bibliothèque Carré d’art à
Nîmes, ms. 135-150, 248-249), du service historique de la Marine à Toulon (correspondance de l’intendant de la Marine avec le ministre, série
1 A1), etc.
8. Voir notamment Bigourdan G., 1923, L’observatoire de Sainte-Croix à Marseille, de l’origine à
la suppression des jésuites en 1762, mémoire hors volume, congrès AFAS (Association française
pour l’avancement des sciences) de Bordeaux, Paris, AFAS.
9. Lettre de Mme de Bagnoly du 9 août 1779, AOM, 132J, 213. C’est en septembre 1774
que le père Pezenas fait don de tous ses biens à sa nièce (Anne Déchargé de la Brachetière,
mariée à Joseph-François de Bagnoly le 1er septembre 1763), ainsi que d’une rente au
capital de 800 livres.
10. Abbé B. d’Aoust, 1870, « Étude sur le père Pezenas, astronome marseillais », Mémoires
de l’Académie des sciences, lettres et beaux-arts de Marseille, série 2, vol. 20, p. 1-15.
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Ces recherches ont permis d’éclaircir considérablement divers aspects
de l’œuvre scientifique du père Pezenas. L’inventaire de ces fonds d’archives autorise notamment une révision des conditions dans lesquelles
l’observatoire de Marseille acquit sa réputation dans la seconde moitié
du xviiie siècle.
Quelques considérations sur les instruments
de l’observatoire des jésuites (1750-1763)
Le petit musée de l’observatoire de Marseille conserve actuellement deux
télescopes, l’un grégorien, de 6 pieds de foyer, l’autre de type Cassegrain,
les deux ayant été construits au milieu des années 1750. Le premier a la
réputation d’avoir été offert à l’observatoire par le roi (il porte l’inscription « Instrument appartenant à la Marine du Roy », voir plus loin sur
cette affaire) en témoignage de sa reconnaissance (voir la figure 1). Il était
intéressant de faire le point – en bousculant peut-être la tradition historique – sur les conditions dans lesquelles ces télescopes sont arrivés à l’observatoire des jésuites, et plus généralement d’examiner les instruments
les plus remarquables qui équipèrent cet observatoire.
Feu Derek Howse avait, en 1986, publié un inventaire de l’équipement
de l’observatoire de Marseille11. Ne retenant que quatre instruments, cette
liste s’avérait nettement insuffisante et, surtout, ignorait celle établie par
Guillaume Bigourdan à partir des archives conservées à l’observatoire
de Paris12. À partir de divers inventaires établis de la main même du père
Pezenas13 et de notes extraites de la correspondance de Pezenas et de son
assistant, le père Louis Lagrange (1711-1783), avec Delisle, il a été possible
d’établir une histoire de l’équipement de l’observatoire en instruments
d’observation, de compléter et préciser la liste donnée par Bigourdan. Il
n’est pas question de reprendre ici l’inventaire complet de tous les instruments de l’observatoire de Marseille, étude qui sera publiée ailleurs14,
11. Howse D., 1986, « The Greenwich List of Observatories », Journal for the History of
Astronomy, vol. �����
XVII/4, p. 13 (pour l’observatoire de Marseille).
12. Bigourdan G., 1923, op. cit., p. 12-14.
13. « État des instruments », BOP, C 2.16, pièce 103, pièce 31, p. 1-7. Brouillon d’une lettre
de Pezenas au ministre Antoine-Louis Rouillé du 2 août 1751, CHAN, Marine, 3 jj 10, 37.
Diverses pièces conservées dans les papiers du père Pezenas, AOM, 132j, 213.
14. Étude en cours, par G. Boistel et J. Caplan, Inventaire des instruments de l’observatoire des
jésuites de Marseille sous la direction du père Pezenas (1728-1763).
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mais de donner un aperçu sur le résultat de ces recherches menées par
James Caplan et moi-même.
Les horloges
L’observatoire ne semble pas avoir été muni d’horloges de qualité exceptionnelle. À son arrivée à Marseille en 1728, Pezenas avait trouvé une
vieille horloge laissée par le père Laval, jugée médiocre et qui fut peutêtre cédée plus tard à un Marseillais nommé Desportes. En 1736, Pezenas
obtient des fonds du département de la Marine et se procure, pour 500
livres, une « excellente » pendule à balancier compensé muni d’un thermomètre de Julien Le Roy. Peu après, à la suite de la visite de Cassini et
de Maraldi à Marseille en 1738 – pour les opérations de vérification de la
méridienne de France –, Pezenas acquiert, pour la somme de 240 livres,
une horloge construite par Sam Harris de Londres. Cette pendule est
jugée « fort bonne » et de qualité semblable à celle de Le Roy. À la fin des
années 1740, Pezenas se procure une petite horloge comptant les secondes et utilisée lors des observations lorsque l’observateur est seul. Aucune
de ces horloges ne semble avoir été conservée à l’observatoire après le
départ du père Pezenas en 1763.
Les quarts de cercle
Le père Pezenas fit une consommation qui pourra paraître excessive de
quarts de cercle, instrument type de l’arsenal de l’astronome au xviiie siècle. Chacun de ses instruments a une histoire singulière que voici.
Le père Laval avait laissé à Marseille un mauvais quart de cercle de
trois pieds de rayon, construit par Jean II Lefebvre en 169815, que le père
Pezenas transforma peu après en quart de cercle mural. Fixé sur un mur
de deux pieds et demi d’épaisseur et aligné sur le méridien, cet instrument
avait été équipé par Pezenas d’une lunette et d’un microscope pour la
lecture des divisions. Mais les mesures effectuées étaient entachées d’erreurs, qui nous sont connues par une lettre de l’astronome Pierre-Charles
Le Monnier (1715-1799) à James Bradley (1693-1762) datant du mois de
juillet 175216. Pour cette raison, cet instrument n’est plus utilisé par les
astronomes jésuites à partir de 1753.
15. Selon le père Pezenas, ce quart de cercle avait coûté 2 500 livres et avait été offert par
le roi au père Laval, sans doute lors de la fondation de l’observatoire.
16. Lettre de Le Monnier à Bradley, du 15 [26] juillet 1752, dans S. P. Rigaud éd., Miscellaneous
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En 1731, soulignant le dénuement dans lequel il doit enseigner aux élèves et officiers de l’Étendard réal des Galères, Pezenas obtient du ministre de la Marine une gratification lui permettant de passer commande
auprès de Langlois d’un nouveau quart de cercle de deux pieds et demi
de rayon, pour un montant de 1 500 livres17. Après avoir été vérifié par
Jacques Cassini, cet instrument est livré au père Pezenas en mars 1732.
Les observations effectuées à l’aide de cet instrument – latitudes d’Apt,
d’Avignon, observations d’éclipses de Lune, etc. – ont été publiées dans
les Mémoires de Trévoux18.
Au cours de l’année 1740, Pezenas et le jeune abbé Nicolas-Louis de
Lacaille (1713-1762) se rendent, à la demande de Cassini de Thury, sur
la montagne Sainte-Victoire, afin d’y effectuer des relèvements pour les
opérations de vérification de la méridienne de France19. Dans des circonstances qui ne sont pas connues, le quart de cercle tombe et est gravement
abîmé. Il sera mis hors service en 1753.
Malgré l’achat de divers accessoires pour ce quart de cercle de Langlois
(micromètres filaires et lunettes), le mauvais état des deux instruments
rend nécessaire l’acquisition d’un nouvel instrument pour l’observation
des passages des astres au méridien et des hauteurs correspondantes.
Après avoir essuyé un refus pour un projet délirant d’un quart de cercle
de 16 pieds de rayon (sic), Pezenas obtient de Rouillé et de Cassini un
autre quart de cercle de Langlois de deux pieds et demi de rayon pour la
somme de 1 500 livres20. Plus tard, vers 1764, Pezenas vendra cet instrument à l’astronome toulousain Garipuy pour la somme de 50 louis.
Comme il a été signalé plus haut, au début des années 1750, Pezenas,
fort de sa reconnaissance académique, obtient des fonds et des rembourWorks and Correspondance of James Bradley, New York, Johnson Reprints, 1972, p. 472, au sujet
des observations effectuées en Europe pour la parallaxe de la Lune et de diverses planètes,
en simultané avec les observations de Lalande à Berlin et de Lacaille au cap de BonneEspérance.
17. Lettres du père Pezenas au ministre, des 26 mars et du 1er juin 1731, CHAN, Marine,
G92, fol. 29 et 31.
18. Mémoires pour l’histoire des sciences & des beaux arts (dits Mémoires de Trévoux), avril 1731,
p. 696-701 et juillet 1731, p. 1261-1268 notamment. Voir aussi les recueils d’observations
effectuées à l’observatoire de Marseille, BOP, A 2.5, A 7.8, B 5.3, C 2.16.
19. Bigourdan G., 1920, « Sur quelques anciennes stations astronomiques du sud-ouest de
la France entre les Alpes et le Rhône », Comptes rendus du congrès des sociétés savantes, Strasbourg
(1920), Paris, Imprimerie nationale, p. 34.
20. Lettres de Pezenas à Delisle, BOP, B 1.6, fol. 148, 167 et 219.
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sements de ses avances du ministère de la Marine, pour la réhabilitation
et l’équipement de son observatoire : consolidation et stabilisation des
planchers, tours astronomiques et/ou coupoles21, machine parallactique,
machine pour observer les hauteurs correspondantes, instruments et
accessoires divers (lunettes, microscopes, micromètres filaires)22. Soutenu
et encouragé, Pezenas peut se lancer dans sa quête d’un équipement plus
ambitieux : des « télescopes de réflexion » anglais à miroir parabolique.
Les télescopes à miroir parabolique
Peu après son retour à Marseille à la fin de l’année 1749, le père Pezenas
semble avoir formé le projet de s’équiper en instruments d’observation
à la pointe de l’innovation technique, plus performants que ses malheureux quarts de cercle. Des notes diverses en témoignent : à cette époque,
Pezenas comparait les équipements de divers observatoires d’Europe et
dressait la liste des instruments lui manquant23. En l’espace de quelques
années, Pezenas va équiper son observatoire avec de nouveaux télescopes à miroirs paraboliques, munis de micromètres-héliomètres à verres
coupés de Dollond24. Les télescopes et les accessoires sont commandés à
James Short, le seul capable à l’époque, selon le père Pezenas, de fabriquer
des miroirs paraboliques en bronze et de bonne qualité25. Commandé en
1751, le premier télescope, de type grégorien, est reçu en juin 1752 ; sa
distance focale est de 2 pieds et ses oculaires autorisent des grossissements
de 55 à 200 fois. Il a coûté 480 livres26. En novembre, le père Lagrange
décrit à Delisle les premières observations merveilleuses des bandes de
21. Le mot coupole figure dans la correspondance du père Pezenas, en particulier dans
une lettre écrite d’Avignon, destinée à l’intendant de la Marine à Toulon et datée du
31 décembre 1764, précisant les comptes de l’observatoire dans le cadre de la liquidation
des biens des jésuites (AOM, 132J, 213).
22. Le 18 août 1751, Pezenas écrit à Delisle qu’il a dépensé 3 000 livres (1 000 écus) pour ces
réparations et aménagements de l’observatoire (BOP, B 1.6, fol. 148).
23. Note manuscrite en fin d’un cahier d’observation : « État des instruments qui manquent
à l’observatoire de la Marine », s. d., AOM, 132j, 213, dossier travaux.
24. Voir Fauque D., 1983, « Les origines de l’héliomètre », Revue d’histoire des sciences, n° 36/2,
p. 153-171. Voir aussi Fauque D., 1983, Naissance et évolutions de l’héliomètre, 1748-1824, thèse de
doctorat de 3e cycle, Paris, EHESS.
25. Pezenas, « Mémoire sur la construction ordinaire des télescopes de réflexion », AOM,
132j, 213. Voir
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L’Estrange Turner G., 1969, « James Short, FRS and his contributions to
the construction of reflecting telescopes », Notes and Records of the Royal Society of London,
n° 24/1, p. 91-108.
26. Lettre de Pezenas à Delisle du 20 septembre 1751, BOP, B 1.6, 167. Lettre de Pezenas
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OBSERVATOIRES ET PATRIMOINE A S T RO N O M I QU E
Jupiter effectuées à Marseille pendant l’été 1752 avec cet instrument. Ce
télescope fut reconnu en 1764 comme appartenant au père Pezenas, qui
l’emporta avec lui en Avignon en 176627.
L’excitation de la nouveauté emportant Pezenas, la même année, en
1752, il commande à James Short un nouveau télescope de 24 pouces
anglais de foyer. Ce nouveau télescope de type Cassegrain, rare à l’époque28, permettant des grossissements de 90 à 300 fois, sera reçu par les
astronomes jésuites en mai ou juin 1755. Le père Lagrange en fera une
description assez longue au curieux Delisle, la complétant par une comparaison de ce type de télescope avec les types newtonien et grégorien29.
Ce télescope est très certainement celui conservé actuellement à l’observatoire de Marseille30 (voir la figure 3). D’après divers comptes établis
par le père Pezenas, Georges Whatley, négociant londonien pour James
Short, et l’intendant de la Marine à Toulon31, ce télescope faisait partie
d’une commande plus importante qui comptait aussi deux micromètreshéliomètres de Dollond (dont l’un au moins est conservé actuellement au
musée de l’observatoire), ainsi qu’un autre télescope de type grégorien de
6 pieds anglais de foyer. L’acquisition de ce dernier télescope, permettant
des grossissements de 800 fois, semble avoir été envisagée très tôt, sans
doute dès la fin de l’année 175232(voir la figure 1).
à Delisle du 16 juin 1752, BOP, B 1.6, 219. Lettre du père Louis Lagrange à Delisle, du
17 novembre 1752, BOP, B 1.7, 18. Lettre de Pezenas à M. Amoreux (de la Société royale
des sciences de Montpellier), du 22 novembre [1752], bibliothèque municipale d’Avignon,
coll. Requien, 1re série, 7712.
27. Voir les multiples lettres échangées entre Pezenas et le ministre de la Marine entre 1764
et 1766, CARAN, Marine, G92. Voir aussi Henrat P., 1990, Innovations techniques dans la
Marine. 1641-1817 […] Inventaire analytique, Paris, Archives nationales, série G92, p. 65-70.
28. Voir Baranne A., Launay F., 1997, « Cassegrain : un célèbre inconnu de l’astronomie
instrumentale », Journal of Optics, n° 28, p. 158-172 ; et Launay F., 2001, « L’invention du
télescope, 1608-1672 », Revue du Palais de la découverte, n° 285, p. 28-38.
29. Lettres du père Lagrange à Delisle du 25 juin et 9 juillet 1755, CHAN, Marine, 2 jj 68,
122a et 124a.
30. Le télescope actuel porte le numéro de série 35/1004=24 : il est le 35e de sa série, le
1 004e instrument de la série totale, et sa distance focale est de 24 inches. G. L’E Turner,
consulté à ce sujet par J. Caplan, a indiqué que cet instrument avait été fabriqué vers 1755.
31. Ces diverses pièces sont conservées dans les papiers et la correspondance du père
Pezenas (AOM, 132j, 213, et CARAN, Marine, G92, C7.245).
32. Lettre de Pezenas à M. Amoreux, du 22 novembre 1752, bibliothèque municipale
d’Avignon, coll. Requien, 1re série, 7712.
L’OBSERVATOIRE DES JÉSUITES D E M A R S E I L L E
Figure 2. Le barillet du grand télescope de Short (1755), © James Caplan.
Figure 3. Le petit télescope Cassegrain de Short (1755), © James Caplan.
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OBSERVATOIRES ET PATRIMOINE A S T RO N O M I QU E
Dans son histoire de l’Académie de marine, Alfred Doneaud Du Plan
avait déjà mentionné l’existence de plaintes du secrétaire de l’académie
brestoise auprès du ministre de la Marine au sujet de la restitution de ce
télescope par le père Pezenas33. En retenant que le roi, dans sa grande
générosité, avait doté l’observatoire et offert au père Pezenas ce grand
télescope, la tradition historique, inspirée par les récits du baron de Zach,
s’est trompée. Voici en fait ce qui s’est passé.
Nommé académicien libre de la toute nouvelle Académie de marine
brestoise, Pezenas semble avoir bénéficié d’un certain flou du règlement
de l’Académie et de la gestion des fonds destinés au fonctionnement de
cette institution. Le 12 juin 1756, le nouveau secrétaire d’État à la Marine,
Jean-Baptiste Machault d’Arnouville34, donne son accord au père Pezenas, pour la commande d’un grand télescope de 6 pieds de foyer et de
30 cm d’ouverture auprès de James Short et son paiement sur les fonds
de l’Académie de marine. Cet accord est donné sans en référer au secrétaire de l’Académie. La France entre alors dans la guerre de Sept Ans,
les membres de l’Académie brestoise commencent à se disperser et les
séances de l’Académie à se raréfier. Les comptes mêmes de l’Académie
ne sont plus aussi rigoureusement tenus si l’on en juge par leur état35. Cet
accord passe donc complètement inaperçu auprès du secrétaire et des
membres de l’Académie de marine. De son côté, ayant reçu de Machault
la promesse de remboursement de la somme colossale de 7 300 livres
qu’il avait avancée36, le père Pezenas s’acquitte de la facture au mois
d’avril de l’année 175737. Quand, en 1763-1764, lors de la liquidation des
33. Doneaud Du Plan A., 1879, « Histoire de l’Académie royale de marine de 1752 à 1765 »,
Revue maritime et coloniale, vol. 60, p. 404.
34. Secrétaire d’État du 31 juillet 1754 au 31 janvier 1757. Dès son arrivée, Machault
d’Arnouville se montre très favorable à la nouvelle académie et lui octroie 18 000 livres
pour son fonctionnement (Doneaud Du Plan A., 1878, ibid., vol. 59, p. 302).
35. Service historique de la Marine à Vincennes (SHM), « Registres des dépenses et
recettes de l’Académie royale de marine (1752-1769) », fonds de l’Académie royale de
marine (ARM), vol. 100.
36. Le problème de l’origine des fonds personnels dont disposait le père Pezenas n’est toujours
pas résolu. Les sommes que le père Pezenas aurait pu retirer de son engagement (malheureux)
dans une association pour le tracé et l’exploitation financière du canal de Provence dans les
années 1736-1743 (détournement des eaux de la Durance pour l’alimentation en eau de la
ville de Marseille) ne peuvent expliquer comment il put avancer la somme extraordinaire
de 7 300 livres pour le télescope. Voir le père E. Soullier, 1899, Les jésuites à Marseille aux xviie
et xviiie siècles, Avignon-Marseille, Seguin-Verdot, chap. 15, p. 167-178.
37. État des comptes produit par le père Pezenas faisant suite à une lettre de Georges
L’OBSERVATOIRE DES JÉSUITES D E M A R S E I L L E
39
biens des jésuites, les comptes du père Pezenas seront examinés par l’intendant de la Marine à Toulon et le commissaire général du port de Marseille Defraigne, ce paiement sera finalement reconnu valide. Le père
Pezenas obtiendra du ministre Choiseul le remboursement des avances
faites pour l’achat et le transport de ce télescope, soit 6 676 livres. En
attendant, la facture du grand télescope de Short est présentée au secrétaire de l’Académie de marine, Bigot de Morogues, le 28 novembre 1760,
par M. Georville pour le compte de la Marine. Le même jour, Morogues,
très en colère, en réfère au nouveau ministre Nicolas-René Berryer38. Le
12 décembre, Bigot de Morogues précise au ministre que les fonds actuels
de l’Académie ne lui permettent pas de couvrir la facture de 7 300 livres
pour un télescope que le père Pezenas « a fait faire pour son usage personnel »39. La requête de Bigot de Morogues restera sans réponse, Berryer ne
se montrant guère favorable à l’Académie brestoise40. Entre 1762 et 1764,
Morogues et le chef d’escadre de Roquefeuil s’adressent plusieurs fois au
successeur de Berryer, le duc de Choiseul. Dénonçant « l’irrégularité de
la conduite du père Pezenas », fustigeant l’attitude de Berryer, ils plaident
pour le soutien et l’aide du nouveau ministre et réclament la restitution
du télescope pour les besoins de l’Académie de marine41. Toutes ces nouvelles requêtes subiront le même sort que la précédente et seront classées
sans suite42.
Mais alors, d’où provient l’inscription « Instrument appartenant à la
Whatley de Londres (négociant pour le compte de James Short) à J.-B. Deydier, transmise à
l’intendant de la Marine à Toulon (Charles-Marie Hurson) et datée du 20 novembre 1764,
ADBR, 132j, 213.
38. Ministre de la Marine du 1er novembre 1758 au 3 octobre 1761. Disgracié, il sera
remplacé par Étienne-François de Choiseul, duc de Stainville, connu sous le nom de duc
de Choiseul, ministre du 4 ou 14 octobre 1761 au 6 avril 1766.
39. SHM Vincennes, fonds de l’ARM, vol. 87, fol. 11.
40. Sur les relations de l’ARM et le ministre Berryer, voir Doneaud Du Plan A., 1879,
« Histoire de l’Académie… », Revue maritime et coloniale, vol. 60, p. 403 et suiv.
41. SHM Vincennes, fonds de l’ARM, vol. 87, fol. 11v-12r. Voir aussi CHAN Marine, G93,
fol. 24.
42. Durant les années 1762 à 1766, la correspondance conservée entre Pezenas et Choiseul
nous montre les hésitations de ce dernier quant au règlement de cette affaire. Contre les
décisions prises par le parlement de Provence, Choiseul, sur ordre du roi, décide tout
d’abord le maintien de l’astronome jésuite en poste avant de décider finalement de son
retrait du service au 1er février 1764, sans doute pour calmer les esprits (CHAN, C2.55,
fol. 264).
40
OBSERVATOIRES ET PATRIMOINE A S T RO N O M I QU E
Marine du Roy » figurant actuellement sur le barillet du télescope (voir
figure 2) ? Dans une lettre du 31 décembre 1764, confirmant le détail
de ses comptes pour la restitution de ses effets et de ses avances pour
l’équipement de l’observatoire, Pezenas précise, vraisemblablement à
l’intendant de la Marine à Toulon, que c’est par « méchanceté » que
Defraigne et Silvabelle ont fait graver le mot Marine sur cet instrument43,
espérant ainsi sans doute éviter sa « disparition ». Si l’on en croit Pezenas,
l’indication précisant que le télescope appartenait à la Marine du roi ne
daterait que des années 1763-1764, et ne serait qu’une des séquelles de la
querelle qui l’oppose à son ancien élève et presque disciple Silvabelle, au
moment de la dispersion des jésuites de Provence et de la succession à la
tête de l’observatoire.
Le programme scientifique des astronomes
jésuites marseillais entre 1750 et 1762
L’équipement sans cesse croissant de l’observatoire de Marseille permet
au père Pezenas et à ses assistants – les pères Louis Lagrange, Jean-Baptiste Blanchard, Rodolphe Corréard (ainsi que quelques membres des
maisons des jésuites de Sainte-Croix et du collège de Belsunce, les pères
Jean-François Féraud, Antoine Rivoire, Jean-Joseph Carantène ou Quarantaine) – de développer un programme personnel de recherches scientifiques. Ce programme se décline en quelques sujets bien définis :
– l’optique instrumentale ;
– les tables de la Lune et le diamètre angulaire de la Lune ;
– l’observation des taches du Soleil et la rotation du Soleil ;
– l’observation des comètes.
Il faut ajouter à ces thèmes dominants les travaux plus personnels du
père Pezenas concernant les traductions d’ouvrages mathématiques de
langue anglaise. Sa production sur les longitudes en mer est davantage
liée à la période avignonnaise des dernières années de sa vie, entre 1764
et 1776, et ne sera pas traitée ici44.
Voyons rapidement comment ces divers sujets sont développés à l’observatoire de Marseille.
43. Lettre de Pezenas [à l’intendant de la Marine à Toulon], d’Avignon, le 31 décembre 1764,
AOM, 132j, 213.
44. Voir ma thèse de doctorat (Boistel G., 2001), partie III en particulier, ainsi que les
articles cités en note 1.
L’OBSERVATOIRE DES JÉSUITES D E M A R S E I L L E
41
Les traductions d’ouvrages mathématiques de langue anglaise
Sans faire preuve d’une très grande originalité, les travaux scientifiques
du père Pezenas – auquel il faudrait associer dans une certaine mesure
son principal assistant, le père Louis Lagrange, et le lexicographe jésuite
Jean-François Féraud (1725-1807)45 – couvrent les principaux thèmes de
recherches du milieu du xviiie siècle. Le père Pezenas est un astronome
parfaitement à jour des connaissances et de l’état des avancées des sciences mathématiques et des mathématiques mixtes de son époque. Avec ses
traductions, il occupe une place importante dans la diffusion des sciences
anglaises en France au xviiie siècle. En attendant une étude plus approfondie sur ce sujet, il est possible de donner quelques indications sur cet
aspect sans doute le plus important de l’œuvre scientifique et littéraire de
notre astronome jésuite.
La première traduction publiée est le Traité des fluxions de Colin
MacLaurin (Londres, 1742), publié en 1749 à Paris par le grand imprimeur libraire Claude-Antoine Jombert. Le manuscrit de cet ouvrage a été
déposé en 1748 et approuvé par le censeur Montcarville le 18 juillet 1748.
Dans la préface de cet ouvrage, Pezenas nous indique qu’il a déjà traduit
plusieurs ouvrages mathématiques, tels que le Commentaire de Stewart avec
la Quadrature des courbes de Newton, et sur l’analyse du même auteur par les séries
infinies, ainsi que la Démonstration de quelques unes des principales Propositions du
premier Livre des Principes de Newton de M. Clarke, tous les manuscrits ayant
été déposés chez Jombert. Le voyage du père Pezenas à Paris, en 1749,
semble décisif sur cet aspect de son œuvre : rencontres et discussions avec
Jombert, diffusion de ses premières traductions auprès des membres de
l’Académie royale des sciences46. Par ailleurs, son réseau de relations lui
permet d’obtenir très rapidement des ouvrages anglais. Ainsi, en 1750,
Pezenas fait publier sa traduction des Éléments d’algèbre par Colin MacLaurin,
paru à Londres en 1748. Plusieurs autres ouvrages seront publiés dans les
années 1750 : le Cours de physique expérimentale de Désaguliers (Paris, 1751, Jombert et Rollin), le Nouveau dictionnaire des Arts et des Sciences de Thomas Dyche
(Avignon, 1753, Girard) réalisé avec l’aide du père Féraud, Le microscope
45. Stefanini J., 1969, Un provençaliste marseillais, l’abbé Féraud (1725-1807), Gap, Ophrys.
46. Sans citer ses références, l’abbé d’Aoust prétend que d’Alembert aurait couru après
le père Pezenas, quittant Paris pour Marseille à la fin de 1749, pour lui remettre un
exemplaire de ses Recherches sur la précession des équinoxes (Paris, David, 1749) tout juste sorti
de l’imprimerie.
42
OBSERVATOIRES ET PATRIMOINE A S T RO N O M I QU E
mis à la portée de tout le monde de Henry Baker (Paris, 1754, Jombert), le Guide
des jeunes mathématiciens de John Ward (Paris, 1756, Jombert). Ces traductions
sont très certainement le résultat d’un travail d’équipe, sans qu’il soit
possible, pour le moment, de préciser les contributions de chacun. Il est
encore assez difficile de savoir comment ces ouvrages ont été reçus par
les lecteurs et les contemporains du père Pezenas. Ce n’est pas le cas des
deux ouvrages publiés dans les années 1767-1768. Les Principes de la montre
de M. John Harrison (Paris, 1767, Jombert, Desaint et Saillant, ou Avignon,
1767, Girard, Seguin et Aubert) permirent aux savants et marins français de prendre connaissance des détails de fonctionnement de la célèbre
montre marine primée par le Bureau britannique des longitudes en 1765,
dans le cadre du Longitude Act promulgué par la reine Anne Stuart en
171447. L’intérêt de cet ouvrage réside aussi dans le compte rendu que
dresse Pezenas des discussions qui eurent lieu entre l’astronome royal et
commissaire du Board of Longitudes Nevil Maskelyne et John Harrison,
opposants et rivaux farouches. Ces notes sont précieuses pour retracer
une histoire des recherches concernant le développement de la méthode
des distances lunaires pour la détermination des longitudes en mer à
cette époque48. Peu après, Pezenas fit paraître le Cours Complet d’Optique
de Robert Smith (Avignon, 1767, Girard, Seguin et Aubert), revu et augmenté d’additions nombreuses concernant l’optique instrumentale, qui
constituent le véritable intérêt de cet ouvrage. Il faut noter que cette
traduction était depuis longtemps réalisée, puisque l’abbé Lacaille en
possédait une copie une dizaine d’années auparavant, si l’on en croit une
lettre que le père Pezenas adressa à Langlois le 28 mai 175549.
L’optique instrumentale
C’est certainement l’une des principales contributions du père Pezenas
et du père Lagrange à l’activité astronomique française des années 17501760. Nous avons fait remarquer précédemment comment l’abbé
Lacaille disposait d’une première version de la traduction par Pezenas
du traité d’optique de Smith en 1755. La correspondance de Delisle
47. L’histoire est bien connue et les références nombreuses. Voir, par exemple, l’ouvrage
collectif, Andrewes W. dir., 1996, The Quest for Longitude, Cambridge, Harvard University
(Historical Scientific Instruments).
48. Voir ma thèse (Boistel G., 2001), partie III.
49. Lettre de Pezenas à Langlois, de Marseille, le 28 mai 1755, CHAN, Marine, 2 jj 68, 114b.
L’OBSERVATOIRE DES JÉSUITES D E M A R S E I L L E
43
avec les jésuites marseillais est parsemée de considérations portant sur
les améliorations successives de l’instrumentation optique50, de comparaisons des divers types de télescopes, et de manifestations de curiosité
et d’intérêt de Lacaille pour les travaux des jésuites de Marseille. Les
Mémoires de mathématiques et de physique rédigés à l’observatoire de Marseille (Avignon, 1755, 1758, Girard) sont précieux surtout par les quelques mémoires rédigés par les pères Pezenas, Lagrange et Blanchard portant sur les
instruments nautiques, la description de leurs télescopes anglais et des
micromètres-héliomètres de Dollond. Une grande partie des manuscrits
du père Pezenas conservés à l’observatoire de Paris ou à l’observatoire
de Marseille comportent de multiples notes de calculs optiques (calculs
et évaluations de la distance focale, grossissements, équivalence avec les
lunettes) qui donnent une idée sur l’évolution de l’optique pratique au
milieu du xviiie siècle.
Les tables de la Lune et le diamètre angulaire de la Lune
Ce sujet semble être resté le domaine privilégié du père Lagrange si
l’on en croit la correspondance échangée avec Delisle tout au long des
années 1750. Delisle avait souhaité disposer d’observations de la parallaxe
de la Lune effectuées en simultané avec celles de Lalande à Berlin et de
Lacaille au cap de Bonne-Espérance au cours de l’année 1752. Lagrange
entreprit les observations de la position de la Lune et de sa parallaxe
d’après les tables astronomiques de Halley. Il observa aussi régulièrement
le diamètre angulaire lunaire pour le confronter aux valeurs des tables. Il
poursuivit volontairement ces observations quand l’observatoire disposa
après 1755 des micromètres-héliomètres de Dollond.
Les taches solaires et la rotation du Soleil
L’arrivée de télescopes anglais performants à l’observatoire de Marseille
a relancé un type d’observation classique pour les jésuites du début du
xviiie siècle : l’observation des taches du Soleil. Pezenas semble avoir été
particulièrement intéressé par les suites plus théoriques de ces observations, à savoir la détermination de la période de rotation du Soleil à partir
50. Voir par exemple les « Recherches sur l’octant de M. Hadley », mémoire du père
Pezenas daté du 12 septembre 1754, 22 feuillets (SHM Vincennes, fonds de l’ARM,
Mémoires manuscrits de l’Académie de Marine, t. I, 1752-1765, dossier 105, mémoire 16).
44
OBSERVATOIRES ET PATRIMOINE A S T RO N O M I QU E
de trois observations. Peut être faudrait-il d’ailleurs chercher l’origine de
cette méthode dans les préoccupations théoriques portant sur la détermination des orbites des comètes à l’aide de trois observations comme c’est
assez courant depuis le début du xviiie siècle. Le mémoire sur la « Nouvelle théorie des taches du Soleil » sera publié tardivement, en 1774, dans
le sixième volume des Mémoires […] des sçavans étrangers. Le manuscrit avait
été présenté à l’Académie royale des sciences en 1766, examiné par Delisle
et Pingré le 20 août 176651. C’est une version tronquée qui est publiée en
1774. Le manuscrit complet de ce mémoire est conservé dans les archives
de la Société royale des sciences de Montpellier52 ; il comporte, comme
souvent dans les ouvrages du père Pezenas, une longue et passionnante
introduction historique sur le problème.
Observations et calculs des trajectoires des comètes
Les télescopes anglais de l’observatoire et notamment le « grand Short »
sont activement employés à l’observation de comètes. L’attente en 17571758 du retour de la comète de Halley (effectif au début de l’année 1759)
constitue un moment phare dans l’histoire scientifique de l’observatoire des jésuites de Marseille. La correspondance du père Pezenas avec
Étienne de Ratte, secrétaire perpétuel de la Société royale des sciences de
Montpellier, est très suivie sur le sujet des comètes entre les années 1757
et 1764. Notons que dans son mémoire « Observations sur la comète de
1760 », soumis à l’Académie des sciences le 22 avril 1762, les commissaires, Clairaut et Lalande, soulignent comment Pezenas avait corrigé, avec
raison, une erreur commise par Euler dans une formule permettant de
calculer l’orbite d’une comète dans son De Cometa (Berlin, 1744). Pezenas poursuivit ses recherches tout au long des années 1760 et au début
des années 1770. Elles sont omniprésentes par exemple dans la correspondance échangée avec le maître de Lalande, le père jésuite lyonnais
Laurent Béraud53. Précisons que Pezenas réfléchit en astronome à des
méthodes basées sur un échantillon d’observations permettant de trou51. Procès-verbaux de l’Académie royale des sciences, 20 août 1766, fol. 278v-280v. Delisle et
Pingré précisent que si la solution fournie par Pezenas est précise et méthodique, elle n’est
pourtant pas aussi nouvelle que ce dernier le prétend.
52. Archives départementales de l’Hérault, archives civiles, série D, 128, fol. 261-269,
s. l. n. d.
53. Bibliothèque municipale de Lyon, ms. 1516.
L’OBSERVATOIRE DES JÉSUITES D E M A R S E I L L E
45
ver rapidement et sûrement les éléments de l’orbite d’une comète. Il n’est
pas dans ses préoccupations d’effectuer des recherches théoriques sur le
problème des trois corps.
Le père Pezenas et l’observatoire de sa maison des jésuites
Ce survol de l’histoire de l’observatoire de Marseille au milieu du
xviiie siècle montre la nécessité de poursuivre les recherches entreprises
en vue d’une étude approfondie sur l’œuvre et la vie du père Pezenas,
sur son réseau de relations avec divers savants des académies françaises.
Il nous interroge sur les conditions d’existence de ce pôle d’astronomes
jésuites particulièrement actifs à Marseille et réunis autour du père Pezenas54, personnalité décidément charismatique, aux compétences variées
et larges. On commence maintenant à mieux comprendre comment et
pourquoi l’observatoire de Marseille acquit une grande réputation dans
la seconde moitié du xviiie siècle, sous les actions personnelles et décisives
du père Pezenas. Cette réputation perdura bien après le départ du père
Pezenas sans qu’elle soit toujours bien justifiée.
54. Des recherches récentes s’orientent sur la présence régulière de jésuites étrangers
(polonais, espagnols) à l’observatoire de Marseille pour se former soit aux traductions
d’ouvrages, soit aux observations astronomiques.