Quand le théâtre se rend conte
Transcription
Quand le théâtre se rend conte
SERVICE ÉDUCATIF DE LA SCENE NATIONALE DE CHÂLONS EN CHAMPAGNE DOSSIER PÉDAGOGIQUE A DESTINATION DES ENSEIGNANTS Quand le théâtre se rend conte Eléments autour du cycle "contes" La Comète – Service Éducatif 1 Dossier Pédagogique Sommaire p. 03 – À voir dans ce cycle p. 04 – LE GOLEM p. 05 – LE ROI NU p. 06 – LE PROJET ANDERSEN p. 07 – LA JEUNE FILLE, LE DIABLE ET LE MOULIN L’EAU DE LA VIE p.08 – LE NOM SUR LE BOUT DE LA LANGUE p. 09 – Conte et théâtralité par Pascal Vey 1. La rencontre 2. La violence et ses illustrations p.11 3. Une question de genre p. 12 - Pour aller plus loin… 4. Les personnages. p. 14 5. Le merveilleux est loin de l’être p. 15 6.Conclusions provisoires. p. 16 7. Analyse structuraliste du conte. p. 18 Morphologie du conte p. 24 Tableaux simplifiés p. 27 - Bibliographie Conception et réalisation : Joséfa Gallardo Nadia Hmouche Pascal Vey Service éducatif de la Comète, Scène Nationale de Châlons en Champagne La Comète – Service Éducatif 2 Dossier Pédagogique A voir dans ce cycle Le Golem De Paul Wegener Le Projet Andersen De Robert Lepage Le roi nu De Evguéni Schwartz L’eau de la vie La jeune fille, le diable et le moulin D’Olivier Py Le nom sur le bout de la langue De Pascal Quignard La Comète – Service Éducatif 3 Dossier Pédagogique Les données du Spectacle LE GOLEM CINÉ-CONCERT Réalisation : Paul Wegener – 1920 Film muet N&B Accompagnement musical: Ami Flammer, violon Mardi 18 octobre – 20h30 En 1915, Gustav Meyrink, grand maître de la littérature fantastique, exhuma la légende du Golem, métaphore de la destruction de l’ancien quartier juif de Prague au XVIe siècle .Le Grand rabbin et astrologue Loew est inquiet pour l'avenir de sa communauté. Il façonne un colosse d'argile, le Golem, auquel il donne la vie par magie en inscrivant sur son front EMETH (« vérité » en hébreu). Supprimer le E suffisait à faire disparaître le Golem (METH : « mort » en hébreu). Mais la créature, concurrente de l’œuvre de Dieu, devient vite maléfique, provoque les pires catastrophes et son créateur en l’anéantissant meurt étouffé par sa masse. Véritable rareté du cinéma fantastique allemand, ce film adapte la célèbre légende qui inspira le livre de Meyrink. Par la grâce des lignes mélodiques et de l’étendue du registre propre au violon, Ami Flammer insuffle à son tour une nouvelle vie au Golem ; loin de la musique d’ambiance propre au genre du cinéma-concert à l’ancienne, il improvise, en totale immersion dans l’image, donnant aux personnages une incroyable présence. La Comète – Service Éducatif 4 LE ROI NU D’Evguéni Schwartz dans une nouvelle traduction d’André Markowicz Mise en scène : Laurent Pelly Jeudi 20 et vendredi 21 octobre – 20h30 Henriette, princesse ingénue, tombe amoureuse d’un porcher débrouillard nommé Henri. Le roi, son père, l’a promise au souverain du pays voisin, un despote aussi bête que méchant. Heureusement, le porcher et son compère se déguisent en tisserands pour proposer au roi une étoffe merveilleuse, invisible aux yeux des imbéciles et des traîtres. Inspiré de trois contes de Grimm (Le garçon porcher, La princesse au petit pois, et Le costume neuf de l’empereur) Le roi nu, d’Evguéni Schwartz emprunte aux fables une singulière aventure, celle d’un peuple qui s’interroge face au ridicule de son roi pour finalement prendre son destin en main. Ce qui lui valut la censure stalinienne ! Laurent Pelly traite la pièce avec la rigueur et le rythme sans faille d’une partition de musique. Il n’est pas un tableau, pas un dialogue qui ne dévoilent une surprise, des allusions emboîtées comme des poupées russes. Dans un décor ingénieux plein de chausse-trappes, entre surréalisme, musichall et cabaret, l’absurde et le burlesque sont rois. Fête des yeux et de l’esprit, Le roi nu est un spectacle enchanteur pour toute la famille. La Comète – Service Éducatif 5 LE PROJET D’ANDERSEN De Robert Lepage Vendredi 18 samedi 19 novembre – 20h30 Les œuvres du metteur en scène québécois Robert Lepage sont internationalement saluées comme les plus inventives et le plus poétiques de notre temps. Ses spectacles visionnaires bouleversent les codes de la mise en scène par l’utilisation de nouvelles technologies. Le projet Andersen est une féerie moderne. Répondant à une commande de l’Opéra Garnier, un auteur québécois s’installe à Paris afin de créer le livret d’une œuvre lyrique pour enfants tirée d’un récit d’Andersen. Son séjour provoque de surprenantes rencontres, avec le directeur de l’Opéra, un jeune concierge maghrébin passionné de graffitis, et enfin un chien qui semble être le guide du récit. Robert Lepage a choisi de s’intéresser aux aspects les moins connus d’Andersen. A tout ce qui, sans voyeurisme mais avec humour sans détour permet de comprendre l’œuvre dans toute sa complexité et sa beauté farouche, bien au-delà de l’imagerie enfantine. Une plongée fantasmagorique dans l’intime qui nous dévoile l’extrême lucidité d’Andersen sur le genre humain. La Comète – Service Éducatif 6 LA JEUNE FILLE, LE DIABLE ET LE MOULIN L’EAU DE LA VIE D’Olivier Py D’après les Contes de Grimm Les 2 et 3 mars – 14h30 et 20h30 Si les contes de Grimm nous fascinent encore incroyablement, c’est sans doute parce que, dans les décors convenus du merveilleux, ils murmurent des vérités inébranlables. Le désir, la guerre, la mort, l’absence de Dieu, la soif de connaissance, la beauté y sont interrogés le plus simplement du monde. Les enfants ont sans doute confiance en cette étrange poésie qui ose leur dire ce qu’ils n’osent demander. La puissance de la convention, les péripéties spirituelles des héros, l’enjeu vital des combats en font aussi une parfaite initiation au mystère théâtral. Ces deux contes de Grimm sont joués en alternance par la même équipe de comédiensmusiciens et avec les mêmes armes. La Jeune Fille, le diable et le moulin Cette histoire inquiétante s’ouvre dans le lieu de l’obscur et du refoulé : la forêt. Le père y converse avec un homme (dont il ne sait pas encore qu’il est le Diable) sur les misères de la condition humaine. L’inconnu lui propose un pari stupide. Il obtiendra tout de la Fortune s’il promet de lui donner dans trois ans ce qui se trouve aujourd’hui derrière son moulin. « Qu’y a-t- il derrière mon moulin si ce n’est un vieux pommier ? ». Il accepte ; les choses s’engagent en dépit d’un terrible pressentiment. En effet, à l’heure du pacte, sa jeune fille lavait le linge derrière le moulin. Tout s’accomplit, la richesse avec le désarroi. Trois ans plus tard, le Diable vient réclamer son dû. Le père doit couper les mains de sa fille dont la pureté éloigne le Malin, et voilà la malheureuse errant à travers champs, mutilée, dans le début de l’hiver... L'Eau de la vie Il était une fois un roi très malade et personne ne pensait qu'il puisse s'en sortir vivant. Le roi avait trois fils et ils se mirent tous les trois en quête du seul remède qui pouvait sauver leur père : l'eau de la vie. Seul le cadet avait le cœur pur et voulait sincèrement sauver son père. Mais les deux autres ne désiraient que s'attirer les faveurs de leur géniteur pour hériter du royaume. Avancer les yeux bandés, dompter un lion redoutable, survivre au naufrage, déjouer la calomnie, autant d'ordalies pour une seule arme : la confiance. Croire que tout est bien même lorsque la fortune semble jouer contre vous, telle est la grande force de notre héros. Car ce cœur pur n'a pas seulement contre lui ses deux frères, l'un ambitieux et l'autre calculateur, il a contre lui toute la malignité de la nature, tout le découragement propre à la condition humaine et pour finir toute la cruauté d'un monde désenchanté. La Comète – Service Éducatif 7 LE NOM SUR LE BOUT DE LA LANGUE De Pascal Quignard Mise en scène : Marie Vialle Les 16, 17, 18 et 19 mai – 20h30 Trois contes de Pascal Quignard : Fête des chants du marais, Paradis, Le nom sur le bout de la langue. Musiques : Sarabande de la 5e suite de Bach, Le Chant des oiseaux adapté par Pablo Casals. "J’admire le travail de Marie Vialle. J’ai associé trois contes pour elle. Ces trois contes n’en forment à vrai dire qu’un seul puisqu’ils concernent tous les trois l’origine de la voix. Dans la Fête des Chants du Marais la mue fait perdre au jeune garçon la voix. L’arrivée de la sexualité chez tous les garçons est mêlée de voix perdue et d’un terrible dépit. À jamais un monde avant nous, perdu en nous, chante en nous. Le deuxième conte, Paradis, est consacré au coït et au cri qui le trahit. Comme nous sommes tous les fruits de la volupté sexuelle, cette joie crie dans chaque corps. Dans le conte du nom sur le bout de la langue enfin le nom propre se perd dans l’effroi. Comme dans la mort. Nous ne sommes pas une espèce qui « possède » le langage. Nous l’acquérons tant bien que mal à partir de l’âge de dix-huit mois jusqu’à l’âge de sept ans. Nous le perdons dans l’angoisse et plus encore en vieillissant. Le langage ne nous définit pas : il défaille en nous." Pascal Quignard "Quand j’ai lu Le nom sur le bout de la langue, je m’y suis crue. être sans cesse à la recherche de quelque chose d’impalpable et de perdu. Retenir indéfiniment les mots et les oublier sans cesse. Se sentir nue et fragile. Affronter une immense vague de peur qui vient se briser sur moi et dans le même temps m’enrouler autour. C’est avec ces questions que je rentre dans les histoires de Pascal Quignard. Je veux être au plus près du dénuement et du silence. Partir de presque rien : un tabouret, mon violoncelle et la lumière. Je joue du violoncelle, je joue la comédie, je joue tout court, je suis heureuse, j’ai raccroché les wagons. Mon violoncelle m’entraîne dans un autre monde auquel je n’ai pas accès avec des mots." Marie Vialle La Comète – Service Éducatif 8 Dossier Pédagogique Conte et théâtralité Synthèse réalisée par Pascal Vey "Un récit idéal commence par une situation stable qu'une force quelconque vient perturber. Il en résulte un état de déséquilibre ; par l'action d'une force dirigée en sens inverse, l'équilibre est rétabli ; le second équilibre est bien semblable au premier, mais les deux ne sont jamais identiques. Il y a par conséquent deux types d'épisodes dans un récit : ceux qui décrivent un état (d'équilibre ou de déséquilibre) et ceux qui décrivent le passage d'un état à l'autre." Tzvetan Todorov 1. La rencontre. On voit assez bien pourquoi le conte et le théâtre se sont rencontrés aussi fructueusement. On se dit que le monde merveilleux souvent à l’œuvre dans le récit du conte trouve dans les conventions de la représentation théâtrale un équivalent assez fidèle pour permettre la transposition commode du conte en spectacle vivant. Mais, à y regarder de plus près, les processus qui interviennent dans ce cadre si délicat de l’adaptation sont si complexes que l’on peut craindre de conclure bien hâtivement et de passer à côté de l’essentiel. Le cycle « conte » de la saison 2005-2006 de la Scène Nationale de Châlons nous invite à prendre le temps de la déclinaison et de l’approfondissement. Il faut donc y regarder de plus près. Le conte merveilleux a ceci de remarquable qu’il se présente comme un pacte de lecture radical où le lecteur, qu’il soit enfant ou adulte ne changeant rien à l’affaire, doit pour pouvoir « entrer » dans l’histoire, accepter d’emblée des repères radicalement différents de ceux du monde réel ou du moins réaliste auquel la littérature fait très fréquemment écho. Ainsi, un conte merveilleux nous abstrait d’un monde dans lequel nous nous reconnaissons une place pour nous plonger dans un autre espace-temps aux règles inédites, profondément étranges. A la différence du conte fantastique, le conte merveilleux va faire de cette étrangeté une norme dans laquelle le lecteur va entrer très vite, sans renâcler ou s’étonner. Au contraire, le monde merveilleux nécessite un accord plein et entier, quasi- immédiat, du lecteur… sans quoi, il n’accroche pas, se désintéresse d’une histoire invraisemblable, sans queue ni tête. Récemment, le regard dubitatif et hostile de quelques adultes sur le Seigneur des Anneaux 1 dit bien la limite de leur capacité à admettre d’autre références, un autre univers aux règles différentes, à l’étrangeté manifeste devenue tout à coup norme par la force immédiate de l’image cinématographique. Alors que le succès planétaire et quasi unanime d’Harry Potter révèle quant à lui une capacité d’absorption plus grande. Pourquoi ? Parce le jeune Harry Potter vit autant dans un monde merveilleux que dans le nôtre dont il s’échappe au plus vite, certes, comme Alice avant d’entrer dans le Pays des Merveilles ou Cendrillon avant de rencontrer une marraine-fée et un prince charmant. On le voit bien, le merveilleux fonctionne d’autant mieux qu’il établit une barrière entre normalité et merveilleux, barrière signalée pour mieux être transgressée et ainsi pouvoir s’affranchir des règles de notre monde afin de vivre dans un ailleurs qui ressemble, malgré ses dangers, à une fuite radicale. Les lecteurs ou spectateurs hostiles à l’heroïc fantasy de Tolkien le sont aussi souvent à la Science-Fiction (et pas à l’Anticipation beaucoup plus facilement acceptée) car aucune 1 J.R.R. Tolkien. La Comète – Service Éducatif 9 transition n’est ména gée, aucun « sas » ne permet une plongée jubilatoire dans un ailleurs en claire rupture avec le monde « normal ». Le théâtre et son rituel de la représentation, l’entrée dans la salle, la présence du public dans lequel on se fond petit à petit, ménage à sa manière cette transition. Les traditionnels trois coups, le lever du rideau, la lente mise au noir de la salle sont autant de signes avant-coureurs qui conditionnent l’entrée du spectateur dans le monde conventionnellement autre de l’espace scénique. Tous ces signes dramatiques sonnent comme autant de variantes de l’incipit du conte merveilleux : « Il était une fois » qui signale l’entrée dans un autre univers où l’on se doit d’abolir nos références pour tout accepter. Jusqu'ici, on sent bien la similarité des processus, on perçoit bien l’analogie qui a conduit les contes à passer plutôt aisément au théâtre. 2. La violence et ses illustrations. D’un point de vue structurel, on sait depuis le travail de Propp et de Todorov que le conte obéit à une structure normalisée forte, qui se présente comme une structure complexe (voir tableau annexe) où la narration, qui passe, quoiqu’il en soit, par des étapes repérables et identifiées, classifiées même par Propp, se fraye un chemin original dans une arborescence de possibles très nombreux. Ce schéma narratif, dont on sait bien qu’il n’est qu’une grille de référence permettant d’établir des écarts signifiants et non pas un carcan contraignant, a montré assez son efficience pédagogique lorsqu’on le simplifie en quelques étapes-clés (voir tableau annexe) pour le recommander chaudement au collège comme au lycée. Son utilisation permet de donner à la lecture du conte une distance analytique qui révèle d’autant mieux, après une première lecture au 1er degré, l’efficacité du conte merveilleux pour gagner l’empathie du lecteur, pour faire naître ces processus d’identification où, comme chez Andersen2, on pleurera sur la mort d’un morceau de plomb et d’un bout de papier, soudainement érigés par la magie du pacte de lecture propre au merveilleux, en Roméo et Juliette de la malle aux jouets. Dès que l’on prend la peine de remplir les cases de ces schémas, loin de caricaturer le conte et sa trame narrative, on voit surgir un monde jonché d’embûches, d’épreuves cruelles, de personnages méchants, un monde de noirceur infinie, violent où, pêle- mêle, on notera moquerie, anthropophagie, harcèlement, humiliation, impudeur, meurtres, suicides comme autant de péripéties ramassées en quelques pages. Une telle violence, aux limites - parfois dépassées - de l’acceptable si on la projette dans notre réalité, où elle deviendrait glauque, viciée, intolérable, reste pourtant, à l’analyse, le moteur de l’intérêt du conte, ce qui fait que le pacte de lecture tient, que l’on, pleure à la fin, que l’empathie tient bon. Lire à haute voix tel conte d’Andersen ou de Grimm et recueillir juste après les réactions des adultes et des enfants présents conduit presque toujours à une empathie innocente et naïve très respectable puis au rire gêné lorsqu’on la pointe du doigt. Qu’est-ce à dire ? Sans doute qu’entrer dans l’ailleurs du conte, qu’accepter le pacte merveilleux est un moyen de s’apitoyer cathartiquement sur des tabous sociaux, de s’en débarrasser donc, et à bon compte, puisque la clôture des contes vaut bien l’incipit : « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » qui expédie en une phrase un bonheur très normal et donc sans intérêt. Aucun doute, le conte n’est pas un outil à peindre en rose ou bleu le réel mais au contraire à en exhiber – mais dans une autre dimension – la dure noirceur, l’infinie violence, la toujours imaginative cruauté à produire du malheur. 2 L’intrépide soldat de plomb. La Comète – Service Éducatif 10 3. Une question de genres. Le théâtre, qui depuis les origines les plus anciennes, s’appuie sur les mythes héroïques et les célébrations dionysiaques les plus transgressives, s’évertue à resserrer les liens d’une polis à normaliser et moraliser pour la rendre pérenne, ne pouvait longtemps passer à côté d’un corpus aussi dense et aussi proche de ses préoccupations originelles. Certes, le théâtre est allé puiser, au 17ème siècle et pour ce qui concerne la tragédie, directement aux sources fondamentales des mythes grecs ou romains, voire chrétiens et n’avait donc pas besoin de puiser dans le corpus des contes qui pourtant se développait déjà avec force et succès. Cela avait occasionné une forme d’écriture tragique très stricte, à la noble hauteur des sujets traités. La comédie se permet – elle ! - d’être plus licencieuse du fait de la trivialité des sujets traités. Néanmoins, Perrault (1628-1703), les frères Grimm (1785/1786 – 1859/1863), deux tout petits siècles plus tard, mais aussi La Fontaine ont tous décliné à leur manière cette définition du Dictionnaire de l’Académie Française de 1694 selon laquelle le conte est une « narration, [un] récit de quelque adventure, soit vraye, soit fabuleuse, soit sérieuse, soit plaisante. Il est plus ordinaire pour les fabuleuses et les plaisantes.[…] Le vulgaire appelle, conte au vieux loup. conte de vieille. conte de ma mère l’oye. conte de la cigogne, à la cigogne. conte de peau d’asne. conte à dormir debout. conte jaune, bleu, violet. conte borgne, Des fables ridicules telles que sont celles dont les vieilles gens entretiennent et amusent les enfants.[…] On appelle encore, contes, Tous les entretiens et discours impertinents et desraisonnables ». Ils avaient tous en tous cas comme précepte de base d’écrire un texte foncièrement tourné vers l’oralité. On trouve souvent chez les auteurs de conte des tournures familières, des répétitions, des redondances, des éléments de parataxe, des libertés d’accord, de concordance, etc. qu’un Vaugelas3 censeur et édificateur de la norme poétique condamnait vertement : « Je ne parle point ici des fautes qui se commettent contre la pureté et la netteté du style. Ce sont des choses toutes distinctes de ce qu’on appelle négligence. Il y en a de plusieurs sortes. Voici celles que j’ai remarquées. La principale est quand on répète deux fois dans une même page une même phrase sans qu’il soit nécessaire, car quand il est nécessaire, comme il arrive quelquefois, tant s’en faut que ce soit une faute que c’en serait une de ne le faire pas, outre que la nature des choses nécessaires est telle, comme a remarqué excellemment Cicéron, qu’elles sont toujours accompagnées d’ornement. Mais quand il n’est pas besoin, c’est une très grande négligence de répéter une phrase deux fois dans une même page et de dire deux fois, par exemple, sans en pouvoir venir à bout. Que si la phrase est plus noble, la faute est encore plus grande, parce qu’étant plus éclatante elle se fait mieux remarquer. La seconde sorte de négligence c’est de répéter deux fois un même mot spécieux dans une même page sans qu’il en soit besoin, car il faut toujours excepter cela. Si le mot est simple et commun, il n’en faut pas faire scrupule, pour peu qu’il soit éloigné du premier ; pourvu néanmoins qu’il ne commence pas deux périodes, car alors c’est une vraie négligence, comme par exemple si l’on met deux fois cependant dans une même page, au commencement de deux périodes. » Mais le conte, en dehors de ces marques claires d’oralité qui favorisent la transposition théâtrale, développe dans la construction des personnages une forme de symbolique qui les rapproche fortement de figures proches de celles de la Commedia dell’arte. En somme, dans le conte, l'action dramatique est communiquée par un récit qui repose sur une structure archétypique : la structure fait sens par elle- même indépendamment de tel ou tel acteur. ("Sémantique structurale" de Greimas ) 3 Des négligences dans le style La Comète – Service Éducatif 11 Dossier Pédagogique Pour aller plus loin… 4. Les personnages. Ici, les personnages se réduisent à leur fonction dramatique c'est-à-dire que leur existence ne déborde pas leur utilité pour l'avancée de l’intrigue ; cette réduction du personnage à sa valeur d'action (Greimas la nomme "actant") donne au conte une facture d'apparence simple, très rentable du point de vue de la pédagogie du récit. En cela, on le voit bien, le personnage du conte et le personnage théâtral partagent beaucoup de similitudes. Le phénomène de reproduction d’élé ments physiques sur des personnages est courant dans les contes : il s’agit de participation au merveilleux, d’éléments qui rendent les personnages hors du commun, irréalistes, « magiques » même. Il peut s’agir d’évoquer des éléments cosmiques (ciel, astres…), climatiques (pluie, soleil…), végétaux (fleurs, arbres…), ou encore divers matériaux qui peuvent, par leur présence insistante devenir des éléments caractéristiques, essentiels pour le personnage, voire un moyen de dénomination et de « réalisation » de l’animé à travers ces éléments inanimés. En cela les personnages de conte peuvent tirer leur forme vers celle des caractères théâtraux dont la dimension archétypale est plus prégnante qu’une prétendue profondeur psychologique à laquelle un psychologisme de bas étage tente parfois de faire croire. Dans le conte, les quatre premières possibilités (cosmiques, climatiques, animales, végétales) sont évoquées généralement de manière très poétique et participent toutes d’un style précieux, fleuri même : elles se trouvent, en effet, toutes dans les contes en vers de Perrault, qui est encore très influencé par la préciosité à cette époque, ainsi que dans ceux de Mme d’Aulnoy, dont le style est toujours assez affecté, à l’image de toutes les conteuses de la fin du XVIIème siècle et ce jusqu’au début du XVIIIème siècle. On retrouve cette tendance dans nombre d’œuvres baroques du théâtre européen comme chez Shakespeare, Calderon et même Corneille en France. Cependant, la cinquième possibilité (les éléments divers, plus courants, du quotidien en général), renvoie véritablement cette fois à l’univers du conte traditionnel, de transmission orale. Ils sont en effet concentrés dans quelques contes, souvent repris par Perrault, par exemple, au folklore. Il s’agit chez la plupart d’entre eux d’une correspondance matériel / humain à valeur morale comme aussi dans l’ensemble des contes qui cherchent à démontrer que la beauté morale, la vertu et l’intelligence n’ont rien à voir avec la beauté physique. La monstruosité physique ou morale des personnages du théâtre européen du 17ème siècle est en cela un biais de rapprochement passionnant. Dans la majorité des contes, c’est un élément matériel (vestimentaire, physique, un objet fréquemment utilisé…) qui donne son nom au personnage ; c’est aussi parfois l’entourage le plus souvent hostile ou démuni, qui dénomme ce personnage par un surnom. On est ici tout près des personnages de théâtre de Molière, des pantomimes propres au théâtre italien comme à ses origines grecques antiques. Cependant, au théâtre, ce sera plutôt la figure morale qui dénommera le personnage qui restera néanmoins un type. Par exemple, dans Le petit Poucet, c’est un caractère du physique général qui crée le nom : « il n’était guère plus gros que le pouce, ce qui fit qu’on l’appela le petit Poucet ». La Comète – Service Éducatif 12 Dans Cendrillon, avec les expressions « s’asseoir dans les cendres », « on l’appelait (…) Cucendron », « la cadette (…) l’appelait Cendrillon », nous constatons que c’est l’objet caractéristique de l’endroit habituel où se tient la jeune fille qui lui donne son nom, sa dénomination par et pour autrui. Le conteur la nomme toujours Cendrillon, mais dans la bouche de ses sœurs (dans un dialogue au discours direct) c’est le nom de « Cucendron » qui est utilisé, révélant qu’il s’agit du véritable nom usité entre les personnages et que l’auteur cherche à adoucir le mépris lié au nom plus négatif, ou bien à se conformer à l’esprit des salons où le vulgaire est proscrit. La sœur la plus malhonnête traite l’héroïne de Cucendron. Comme Michel Serres l’a proposé facétieusement, Cendrillon serait « un immense jeu de mots » 4 : les termes latins désignant les lieux où se tient Cendrillon, les tâches qu’elle accomplit dans la maison, les objets magiques utilisés par sa marraine comportent tous la même syllabe « cu » de Cucendron. Voici ce qu’il nous dit dans son article : Cendrillon est un premier surnom, donné par la cadette des demi-sœurs à une demoiselle qui demeure anonyme pendant tout le récit ; l’aînée, fort malhonnête, l’appelait, révérence parler, Cucendron, pour ce que, sa tâche finie, elle avait accoutumé de s’asseoir au coin de l’âtre. Cucendron est le sobriquet du sobriquet, l’ignominie de l’ignominie (…). Le transport va du surnom au surnom, pour qui n’a point de nom, du sobriquet local au sobriquet postural. Méchantes langues, mauvaises fées, les deux sœurs acculent la belle à la crémaillère, et l’affublent du toponyme. L’appellation consacre la métamorphose ; mieux, sans doute, elle la produit. La baguette désigne, le mot magique nomme, d’où la transmutation. Cendrillon est humiliée, ravalée, jusqu’à terre ; ceci, dans l’acte et la nomination : ainsi je t’appelle, ainsi tu es. Or, je te réduis, par métonymie, au bas quartier de la maison et du corps : tu deviens les deux, indistinctement. Accroupie dans l’excrément. Métamorphose : métaphore ou métonymie (…). Et si la métamorphose n’était que jeu de mots, calembour, à peu près phonétique ?(…) Cendrillon, Cucendron, c’est la clef de l’anamorphose. Parti de là, souffrez que le latin me serve de cache-misère, de modestie, non, plutôt de révélateur (…). Que fait la belle ainsi nommée ? Elle nettoie la vaisselle - cucuma, cucumella, cucumula - ; frotte les montées – cochlea ou cuchlea - , les chambres de ces dames – cubiculum, cubare, cubile, cubitus - ; leur sert de valet – cubicularius - ; couche tout au haut des étages – cenaculum est une pièce où l’on accède par une montée - , dans un réduit sans miroir – speculum - : et sachez que la grande Javotte en a un si long qu’on s’y peut voir des pieds jusqu’à la tête. Reste à la pauvrette la cheminée, l’âtre, le foyer – focus -. D’or est tout ce que touche le roi Midas. Le mot envahit les choses. Il faut se délivrer de ce premier enchantement. Partir de ses prémisses, de la forme banale où le monde est saisi. Exeunt (au bal) les mauvaises langues, survient la bonne marraine, qui reprend l’affaire où elle fut laissée. Prenez une citrouille – cucurbita, hélas ! – pratiquez-y un trou, on ne commande à la nature qu’en lui obéissant, et voici un carrosse – currus -, véhicule à courir – cucurri, de curro – ou à prendre la fuite – curriculum -, l’heure brève Michel Serres, Les métaphores de la cendre ou l’introduction à la féerie expérimentale, Critique, Novembre 1967, n°246. 4 La Comète – Service Éducatif 13 passée. Courez au bal, belle humiliée, dansez maintenant, c’est la fête, et prenez un galant – cuculus – comme vos sœurs. Elles en trouveront, les cupides envieuses, mais vous aurez le fils du roi: souillon, vous devenez princesse des princesses… Et le prince vous offre oranges et citrons, des pommes d’or, chacun le sait – citrium, c’est concombre, comme cucurbita, et citrouille ignoble devient pomme d’amour. Prenez garde, pourtant ! Revenez sur le minuit, au premier cri du coq – cucurrio -, où le rêve passe : vous n’avez pas encore tout à fait quitté la cendre, la terre et la prosternation. Premier bilan qui varie, comme on voit, sur le thème qu’on sait. Bel attachement au deuxième stade : assis dans la crotte, on ne s’en lève pas si vite.(…)Approchez, je vous prie, la souricière – mustricula - ; l’expérience va requérir quelque virtuosité supérieure, une baguette – culticula ? – plus savante.(…) Donnons fouette cocher, le carrosse s’ébranle. Pardon, il y manque des chevaux ; non, ils piaffent déjà, délivrés écumant de la souricière : mus-culus, ou mus-equus, voyez combien vos sœurs m’y ont aidé. Voyez encor comme ils sont gris – cinereus - : leur robe même est votre nom, si leur nature est l’autre nom. La ratière est vide ? Que non pas ! Elle reste laqueus, le bel à-peu-près pour laquais – mais laqueus veut dire lambrissé, parqueté, cela vous fera souvenir des chambres de vos sœurs, où vous fûtes laissée. Elle reste pedica, et vous savez bien que laquais, c’est pedisecus : vous devinez ici ce que je cache, et ce qui reste d’ignominie.(…) Cendrillon, c’est un mot, un immense jeu sur un mot. Les objets s’y regroupent avec une cohérence quasi mathématique, forment un réseau où circule un son unitaire. La variation française est, à son tour, une variation modulant sur un thème « à condition de voir qu’elle est un thème ». La thèse n’est pas invraisemblable. Non seulement Perrault était excellent latiniste et amateur de plaisanteries grasses, comme en témoigne L’Énéide burlesque qu’il composa dans sa jeunesse avec son frère Claude ; le « jeu » parfois grivois, avec les contes traditionnels est un élément essentiel de ses Contes. Mais de plus, Perrault rejoindrait là, sans le savoir, une certaine tradition orale puisque les contes grecs surnomment souvent l’héroïne Athopouta, Athopoutaki, Stathopouta, « fille », »putain », « sexe des cendres », Achilopoutoura, « vagin des cendres ». Cendrillon donc s’ident ifierait à sa mère morte, de qui elle tient toutes ses vertus puisqu’elle reste attachée au foyer de son père et que son sexe est souillé de cendres, « les cendres évoquant à la fois le deuil et l’ardeur étouffée ». 5. le meveilleux est loin de l'être. Tous ces éléments finissent par établir avec efficacité que le conte n’est pas si près de l’apparence angélique que lui a donné sa spécialisation tardive vers le public enfantin et son appropriation par Walt Disney. Il a plus à faire avec une tragédie grecque, un drame bourgeois à la Furetière ou une pièce élisabéthaine qu’avec une bluette enfantine. Car, malgré tout cela, les personnages des contes ont une « pseudo- identité » comme tout personnage pris dans une narration, que le récit fusse dramatique n’y changerait rien. Mais le reflet de ces personnages est possible de manière presque «magique » dans les contes, à travers des éléments matériels, et notamment grâce aux motifs des portraits et miroirs qui répètent l’identité du personnage jusqu’à devenir presque une nouvelle entité indépendante. Le regard d’autrui est aussi de ce point de vue extrêmement fort. Que l’on pense au regard que l’on porte sur le Roi nu, au prince charmant et sa pantoufle de vair de Cendrillon qui sait voir au-delà des apparences, etc. En effet, les portraits sont généralement à l’origine d’actions, d’événements du conte par les sentiments qu’ils suscitent sur d’autres personnages : la représentation picturale devient un alter ego du personnage représenté, et même peut devenir autonome. Le miroir, quant à lui, crée une relation plus intime avec le personnage dédoublé, puisque celui-ci « rencontre » son double. Ceci est particulièrement vrai dans la littérature russe de conte, chez Schwartz ou Gogol en particulier. La Comète – Service Éducatif 14 Ainsi les portraits interviennent en premier dans la narration et possèdent la même valeur que les personnages eux- mêmes, et la même fonction dans l’action. Pensons à L’Illusion comique par exemple où cela est particulièrement probant. Le motif du miroir ou de la fenêtre ouverte sur un ailleurs mis en abyme présente une forte symbolique. Il reflète la vérité, la sincérité, le contenu du cœur et de la conscience. Ce rôle est souvent utilisé dans les contes initiatiques et dans le théâtre. La vérité révélée par la fenêtre ouverte sur l’ailleurs peut évidemment être d’un ordre supérieur. Il est dès lors symbolique de la sagesse et de la connaissance. 6. Conclusions provisoires. Dans les contes que nous proposons au public, le motif du reflet, de la fenêtre ouvrant sur soi comme sur le monde est un élément crucial qui permet le dédoublement des personnages. Il s’agit dans les différents cas d’un révélateur du « moi profond », révélant la vanité, la vérité (à travers le physique), ou la réalité horrifique, ou encore un reflet de l’époque (ainsi dans la jeune fille, le diable et le moulin, dans Le Roi nu). Ainsi le portrait, la quête de l’apparence et le miroir sont les éléments matériels du dédoublement possible des personnages de contes de fées. Ces derniers accèdent à la reconnaissance de leur être à travers ces motifs, ou nous révèlent leur intérieur grâce au reflet extérieur. Le théâtre est donc bien le vecteur idéal d’une approche moderne du conte, de son infinie cruauté mise en images d’enfance, d’innocence particulièrement efficace dans le processus initiatique et cathartique toujours présent dans le spectacle vivant. La Comète – Service Éducatif 15 Dossier Pédagogique L’analyse structuraliste du conte Pour aller plus loin… Wladimir Propp est un savant russe qui, en 1928, dans son ouvrage Morphologie du conte, fut le premier à proposer une analyse scientifique des contes merveilleux. Sa méthode, dite «structurale», est applicable, avec certains réajustements, à l’ensemble des contes du monde. Le premier mérite de Propp est de récuser l’analyse et surtout la classification des contes selon leur sujet (/thème) ou leurs personnages. Pour remplacer cette dernière, il met en avant la notion de «fonction» qu’il définit comme suit : «Par fonction, nous entendons l’action du personnage, définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue». En cela il n’est pas loin d’une définition du personnage théâtral d’André PETITJEAN : « Le personnage théâtral est une entité à double manifestation possible, sous la forme d'un être « virtuel » à l'intérieur du texte dramatique et d'un être « concrétisé » au moment de son incarnation scénique par le comédien. Le personnage de théâtre possède les propriétés, intentionnelle, ontologique et anthropologique, inhérentes à toute fiction. » Et Propp de montrer trois choses : 1. Les invariants des contes (= ce qui ne change pas) sont les fonctions. 2. Les variables (= ce qui change) sont les sujets (/thèmes) ou les personnages. 3. Les fonctions sont en nombre limité quels que soient les contes envisagés. La notion de fonction est un acquis indéniable de la narratologie moderne. Ainsi Propp identifie 31 fonctions dans les contes, celles-ci s’enchaînant entre elles du début à la fin. Deux remarques toutefois : les contes ou l’on trouve la totalité de ces fonctions sont rares ; les 8 premières fonctions sont dites «facultatives». En fait, la plupart des contes commencent directement avec la Fonction A telle qu’elle est définie par la méthode de Propp à savoir la fonction MANQUE. Cette dernière semble être le moteur de la narration dans les contes car c’est à partir d’elle que s’enclenche le récit. On peut donner parmi, d’autres nombreux exemples de «Manque» la famine dans le pays, la mort du père, l’insatisfaction existentielle du héros quant à sa situation etc… Voici les principales fonctions suivantes : ? Fonction «Mandatement du héros» : quelqu’un demande au héros de trouver une solution au manque, il le mandate. En cas de famine, c’est le père qui peut inciter son fils aîné à partir à la chasse ou en cas de décès du père, c’est la mère qui peut demander à son fils d’aller à la ville ou dans un autre pays pour gagner de l’argent. ? Fonction « Début de l’action réparatrice » : le héros prend sa décision, il se résout, par exemple, à partir. ? Fonction « Départ du héros » : le héros quitte le domicile familial. ? Fonction « Mise à l’épreuve du héros » : le héros rencontre un diable ou un géant sur sa route. La Comète – Service Éducatif 16 ? ? ? ? ? ? ? Fonction « Affrontement de l’épreuve » : le héros se bat avec son adversaire lequel est appelé l’opposant dans la théorie de Propp. Fonction « Réception de l’objet magique » : le héros reçoit, par exemple, une épée magique ou un talisman des mains d’un personnage appelé adjuvant (= qui aide). Fonction « Voyage du héros » : le héros fait un long périple, traverse de nombreux pays. Fonction « Combat du héros » : le héros affronte un nouvel opposant, cette fois-ci son principal adversaire. Fonction « Héros marqué » : le héros est «marqué» et s’empare d’une partie de son adversaire (ses bras ou sa tête, par exemple). Fonction « Victoire » : le héros terrasse son adversaire. Fonction « Réparation du manque » : le héros regagne le domicile familial et répare le manque initial. Par exemple, l’or qu’il ramène permet à sa famille de vivre à l’aise. On trouve encore onze autres fonctions mais tout comme les 8 premières, elles sont facultatives. Le noyau du conte fonctionne donc autour des 12 fonctions que l’on vient de décrire. ON RETROUVE CES FONCTIONS DANS TOUS LES CONTES et l’on comprend pourquoi Propp récuse la classification des contes par thème ou d’après les personnages. En effet, ces fonctions sont valables quelles que soient le thème particulier du conte (histoire de sorcier, histoire érotique, histoire humoristique etc…) et quels que soient les personnages (le héros peut être un enfant, un homme, une jeune fille, un prince, un bandit etc…). Nous vous donnons ci-dessous pour information la présentation exhaustive du système structural (ou morphologie) du conte selon W. Propp. Ainsi que des schémas plus simples beaucoup mieux adaptés à un usage pédagogique direct. La Comète – Service Éducatif 17 MORPHOLOGIE DU CONTE TABLEAUX DES ABRÉVIATIONS DE W. PROPP Partie préparatoire ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? A A1 A2 AII A3 A4 A5 A6 A7 AVII A8 A9 A10 A11 A12 A13 A14 Situation initiale Eloignement des Parents Mort des Parents Eloignement des enfants Interdiction Ordre Transgression de l’interdiction Exécution de l’ordre L’agresseur interroge le héros Le héros interroge l’agresseur Interrogation par une tierce personne, au autres cas semblables L’agresseur reçoit l’information sur le héros Le héros reçoit l’information sur l’agresseur Autre cas Tentatives de persuasion de l’agresseur avec l’intention de tromper sa victime Utilisation de moyens magiques par l’agresseur Autres formes de tromperie Le héros réagit à la proposition de l’agresseur Le héros se soumet mécaniquement à l’action magique Le héros se soumet ou réagit mécaniquement à la tromperie de l’agresseur Méfait préalable au cours du pacte trompeur Méfait Enlèvement d’un être humain Enlèvement d’un auxiliaire ou d’un objet magique Séparation forcée d’avec l’auxiliaire Vol ou destruction des semences Vol de la lumière du jour Autres formes de vol Mutilation, aveuglement Disparition provoquée Oubli de la fiancée Information exigée ou extorquée ; la victime est emmenée Expulsion Abandon sur l’eau Ensorcellement, transformation Substitution Ordre de tuer Meurtre La Comète – Service Éducatif 18 A15 Emprisonnement A16 Menace de mariage forcé AXV Menace de mariage forcé entre parents I A17 Cannibalisme ou menace de cannibalisme AXV Cannibalisme ou menace de cannibalisme entre parents II A18 Vampirisme (maladie) A19 Déclaration de guerre 0 A Formes liées à le chute d’Ivan poussé au fond d’un précipice (méfait de la seconde séquence) a a1 a2 a3 a4 a5 a6 Manque D’une fiancée, d’un être humain D’un auxiliaire, d’un objet magique D’une curiosité De l’œuf à la mort (à l’amour) D’argent, de nourriture Sous d’autre formes B B1 B2 B3 B4 B5 B6 B7 Médiation, moment de liaison Appel Envoi du héros Autorisation de partir donnée au héros Annonce du méfait sous diverses formes Le héros est emmené Le héros épargne ou laisser partir un animal ou une personne Chant plaintif C Début de l’opposition à l’agresseur ? Départ du héros D D1 D2 D3 D4 0 4 D D5 D6 d6 D7 Première fonction du donateur Mise à l’épreuve Salutation, questions Demande de service à rendre après la mort Un prisonnier demande qu’on le libère La même chose, avec un emprisonnement préalable Demande de grâce Demande de partage entre personnages qui se disputent Dispute sans demande de partage formulée Autres demandes La Comète – Service Éducatif 19 0 D7 La même chose, le demandeur étant mis préalablement dans une situation d’impuissance d7 Le donateur est dans une situation d’impuissance mais ne formule aucune demande ; possibilité de rendre un service 8 D Tentative d’anéantir le héros 9 D Bataille avec un donateur hostile 10 D Proposition d’un objet magique en échange d’autre chose E E1 E2 E3 E4 E5 E6 EVI E7 E8 E9 E10 Réaction du héros Epreuve réussie Réponse affable Service rendu au mort Libération du prisonnier La grâce est accordée Partage entre les querelleurs Le héros trompe ceux qui se querellaient Divers autres services rendus, demandes remplies, actions pieuses accomplies La tentative de destruction est détournée, etc. Victoire sur le donateur hostile Tromperie au cours de l’échange F F1 f1 F2 F3 F4 F3 4 F5 F6 FVI F7 F8 F9 f9 F6 9 Un objet magique est mis à la disposition du héros L’objet est transmis Don ayant une valeur matérielle Le lieu où se trouve l’objet magique est indiqué L’objet magique est fabriqué Il se vend, s’achète On le fabrique sur commande Le héros le trouve Il apparaît spontanément Il sort de terre L’objet magique se boit ou se mange L’objet magique est volé par le héros L’auxiliaire magique offre ses services, se met à la disposition du héros La même chose sans formule d’appel (" le temps viendra où je serai utile ", etc.) Rencontre de l’auxiliaire, qui propose ses services G G1 G2 G3 G4 G5 G6 Transfert jusqu’au lieu fixé Vol dans les airs Transport à cheval, portage On conduit le héros On lui indique le chemin Le héros utilise des moyens de communication immobiles Des traces sanglantes indiquent le chemin La Comète – Service Éducatif 20 H H1 H2 H3 H4 Combat contre le méchant Combat en plein champ Compétition Jeu aux cartes Pesée I I1 I2 I3 Marque imposée au héros Marque imposée sur le corps Don d’un anneau ou d’un mouchoir Autres formes de marque J J1 0 2 J Victoire sur l’agresseur Victoire au cours du combat Victoire sous une forme négative (le faux héros n’accepte pas le combat, il se cache, et le héros remporte la victoire). Victoire ou supériorité dans la compétition Gain aux cartes Supériorité pendant la pesée L’agresseur est tué sans combat Expulsion de l’agresseur J2 J3 J4 J5 J6 K K1 KI K2 K3 K4 K5 K6 K7 K8 K9 KIX K10 KF Réparation du méfait ou du manque Prise immédiate utilisant la force ou la ruse La même chose, un personnage obligeant l’autre à effectuer la prise La prise est effectuée par plusieurs auxiliaires à la fois Prise de certains objets avec l’aide d’un appât. La réparation du méfait est le résultat immédiat des actions précédentes Le méfait est réparé instantanément grâce à l’utilisation de l’objet magique Il est porté remède à la pauvreté grâce à l’utilisation de l’objet magique Chasse Rupture de l’ensorcellement Résurrection La même chose avec recherche préalable de l’eau vivante Libération Réparation sous une des formes de F, c’est à dire : KF1 – l’objet de la quête est transmis ; KF2 – l’endroit où se trouve l’objet de la quête est indiqué, etc. ? Retour du héros La Comète – Service Éducatif 21 Pr Pr1 Pr2 Pr3 Pr4 Pr5 Pr6 Pr7 Le héros est poursuivi Vol dans les airs Le coupable doit être livré Poursuite avec une série de transformations en divers animaux Poursuite avec transformation en objets attrayants Tentative d’avaler le héros Tentative de supprimer le héros Tentative d’abattre un arbre en en rongeant le tronc Rs Rs1 Rs2 Rs3 Rs4 Rs5 Rs6 Rs7 Rs8 Rs9 Rs10 Le héros est secouru Fuite rapide Le héros jette un peigne, etc. Fuite avec transformation en église, etc. Fuite au cours de laquelle le héros se cache Le héros se cache chez des forgerons Série de transformations en animaux, en plantes, et en pierres Le héros résiste à la tentation des objets attrayants Le héros échappe à la tentative de l’avaler Le héros échappe à la tentative de le tuer Saut sur un autre arbre O Arrivée incognito L Prétentions mensongères du faux héros M Tâche difficile N 0 N Accomplissement de la tâche Accomplissement dans un délai fixé Q Reconnaissance du héros Ex le faux hé ros est démasqué La Comète – Service Éducatif 22 T T1 T2 T3 T4 Transfiguration Nouvelle apparence corporelle Construction d’un palais Nouveaux vêtements Formes humoristiques et rationalisées U Châtiment du faux héros ou de l’agresseur W0 0 W0 W0 w1 w2 w3 Mariage et montée sur le trône Mariage Montée sur le trône Promesse de mariage Mariage renouvelé Rétribution en argent (à la place de la main de la princesse) et autres formes d’enrichissement au dénouement. Y Formes obscures ou empruntées < Séparation devant un poteau indicateur S Transmission d’un objet signalisateur Mot. Motivations § Liaisons Pos. Résultat positif de la fonction Nég. Résultat négatif de la fonction Contr. Résultat opposé à la signification de la fonction La Comète – Service Éducatif 23 Tableaux simplifiés en vue d’un usage pédagogique Le Schéma narratif merveilleux ÉTAT INITIAL Caractérisé par une situation d’emblée en rupture avec le monde réel par l’intrusion du PREMIÈRE FORCE DE TRANSFORMATION Voir schéma classique INTRIGUE Voir schéma classique : la magie, le surnaturel y joue un rôle accru. SECONDE - ultime ! FORCE DE TRANSFORMATION ÉTAT FINAL Stabilité recouvrée ou nouvelle Impression de clôture. La Comète – Service Éducatif 24 Le Schéma actantiel DESTINATEUR DESTINATAIRE ADJUVANTS HÉROS OBJET Quête du héros OPPOSANTS La Comète – Service Éducatif 25 Le Schéma narratif classique. ÉTAT INITIAL Stabilité – Cadre spatio-temporel –personnages centraux PREMIÈRE FORCE DE TRANSFORMATION Déclenchement de l’intrigue par un événement perturbateur fort rompant l’état initial, contraignant au mouvement INTRIGUE Déroulement des épisodes (péripéties) selon la lo gique événementielle ou par le biais parfois de coups de théâtre. Logique de quête du héros. Épreuves initiatiques. SECONDE - ultime ! - FORCE DE TRANSFORMATION Dénouement de l’intrigue par un élément perturbateur décisif et souvent inattendu ÉTAT FINAL Stabilité recouvrée ou nouvelle Impression de clôture. La Comète – Service Éducatif 26 Dossier Pédagogique Bibliographie On pourra se référer de manière profitable aux sites internet suivants : http://www.chez.com/feeclochette/theorie.htm http://www.cafe.umontreal.ca/genres/n-conte.html Et aux ouvrages suivants : Morphologie du conte de Vladimir Propp, Points SEUIL Psychanalyse des contes de fées de Bruno Bettelheim, Points SEUIL Contes de Hans Christian Andersen, Régis Boyer Introduction à la littérature fantastique de Tzvetan Todorov, Points SEUIL Des dieux et des hommes : Étude de mythologie lithuanienne de Algirdas Julien Greimas, PUF Sémantique Structurale de Algirdas Julien Greimas, PUF Sémiotique figurative et sémiotique plastique de A.-J. Greimas, PUF Maupassant, la sémiotique du texte de Greimas, SEUIL Contes des Mille et Une nuits (recueil de contes arabes). G. F. Straparola (1480?-1557?, écrivain italien), les Facétieuses nuits. Charles Perrault (1628-1703), Contes de ma mère l'Oye. Hoffmann (1776-1822, écrivain allemand), Contes. Charles Nodier (1780-1844), Contes. J.& W. Grimm (1785-1863 pour Jacob et 1786-1859 pour Wilhelm, écrivains allemands), les Contes. Honoré de Balzac (1799-1850), Contes drolatiques. H.C. Andersen (1805-1875, écrivain danois), Contes. A.N. Afanassiev (???), Contes russes. Alphonse Daudet (1840-1897), Contes du lundi. La Comète – Service Éducatif 27