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N° 10 Supplément du journal LE PHARE n° 51 Avec mes mots Atelier d’écriture de ’ APEX*Ulis Conte 2013 1 Les Tribulations de la Famille Sanlessou Conte Ecrit par : Bernard AMAR, Pierre BREGER, Zoubida BELFADIL, Pierrette BERTHELOT, Marie-Odile CHARPENET, Mireille DELAFAIX, Catherine DUFLOS, Bernadette FOURNAL, Yannick DA SILVA-TOME, Danielle DUFLOS, Bozena TEODOROWICZ, Danièle VOUILLON, Charles ZUCCONI. et l’Animatrice de l’Atelier : Yvette ROUSSEL 2 Pietro 3 Il était une fois dans une tour de la Résidence des Fées vouée à une imminente démolition, la famille Sanlessou qui squattait le sixième étage. Monsieur Sanlessou, chômeur depuis de longs mois, la cinquantaine, semblait avoir baissé les bras. Sa femme, épaulée par leur fille Mélanie, treize ans, s’occupait de tous et avait fort à faire avec leurs quadruplés, des bébés de deux ans : Camille, Jade, Elodie et Yann. Manu, quatorze ans, rouquin aux nombreuses taches de rousseur, très vif, s’était depuis longtemps chargé de seconder sa maman en mobilisant ses frères et sœurs chacun dans leur domaine pour aider aux rentrées financières de la tribu. L’aîné, Elliott, beau blond de vingt-cinq ans, guitariste dans un groupe de rock, amoureux secrètement du batteur, passait le chapeau dans le métro, pour quelques euros qu’il rapportait fièrement à ses parents. Leur plus grande fille, Léa, dixneuf ans, ayant obtenu un bac pro informatique, avait été chargée de revendre sur le net tous les objets glanés dans les appartements et les caves désertées. Les jumeaux, Jordan et Quentin, seize ans, lycéens peu assidus, traficotaient dans le cannabis, rapportant parfois de rondelettes sommes d’argent qui amélioraient l’ordinaire. Personne ne leur demandait d’où provenaient ces rentrées inespérées. Un jour, pour la dernière fois après que tous les recours furent épuisés, l’huissier présenta un pli avec injonction de vider les lieux avant la fin de la semaine, l’entreprise de démolition étant pressentie pour le vendredi suivant. Branle- bas de combat chez les ‘Sanlessou’.... Manu convoqua toute la famille par SMS en envoyant leur habituel message de détresse qui avait l’air anodin comme tous les messages envoyés par la Résistance en son temps : Voyage, voyage En boots, sur la route Ils tinrent le soir même une réunion de crise. Manu annonça qu’ils devraient tous participer le vendredi suivant à leur auto-défense. Le matin de bonne heure, l’entreprise de démolition approcha avec une grue, appareillée d’une énorme boule de béton armé, chargée de casser les murs. L’huissier et la police vinrent pour vérifier que plus personne ne se trouvait dans l’immeuble . 4 Là, soudain, à tous les étages, aux fenêtres des appartements, les volets s’ouvrirent et se refermèrent comme un calendrier de l’Avent, sur des enfants ou des parents portant des bébés hurleurs car on les transportaient en courant, changeant de lieux dans un mouvement perpétuel, montant et descendant dans les escaliers, cavalant dans les couloirs ... suivis par les pandores hors d’haleine qui s’écrasaient le nez, de temps à autre, sur une porte qui s’ouvrait à leur passage par un hasard malencontreux. Les trois policiers, taillés à la Sergent Garcia des aventures de Zorro, couraient et s’époumonaient : « Hors d’ici ! Sortez ! Venez là ! » Les rires fusaient et le temps passa. La nuit tomba. Les policiers, épuisés, voulant ressortir de l’immeuble, s’étalèrent par terre, une fois de plus, les chaussures scotchées sur la dernière marche de l’escalier par des Malabars, mâchouillés par toute la famille au long de la journée et étalés à la spatule par Manu, le petit futé. C’est en saignant du nez, qu’ils repartirent sous les cris de joie de toute la famille réunie dans l’appartement regagné de haute lutte pour une nuit... Un journaliste, égaré et curieux, qui n’en avait pas perdu une miette, avait fait quelques clichés postés directement sur son blog. Il s’était promis de revenir au matin avec toute une équipe pour continuer à suivre l’histoire. Au milieu de la nuit ... ... Manu se glissa dehors. Cinéphile en herbe, il avait l’impression de figurer dans un remake de la ‘Guerre des Boutons’ ou de ‘Jeux interdits’. L’entreprise de BTP avait laissé sur le parking devant l’immeuble l’ imposante grue. Armé des tenailles de son père, l’adolescent frondeur parvint, non sans peine, à sectionner la chaîne qui retenait l’énorme boule à ‘éclater’ la façade. Enhardi par son succès, il enfonça un long couteau de cuisine dans les gras pneus de l’engin. Évidemment, se dit-il, ça ne ferait que retarder l’intervention des ‘casseurs’ mais c’était toujours du temps gagné. Le lendemain, le chef de chantier demanda aux policiers en faction depuis potron-minet d’ enregistrer sa plainte. Un inspecteur de police, dépêché sur les lieux, depuis le fiasco de la veille, s’entretint avec l’huissier de justice et annonça l’arrivée d’une brigade de gendarmerie pour faire évacuer la tour dans la soirée. 5 Avertis par leur jeune collègue reporter, deux journalistes de Médiapart observaient la scène du coin de l’œil ; dans le contexte de crise de l’époque, il y aurait sûrement matière à débat sur leur site. Le journaliste contacta Léa et lui proposa une cabane, un peu aménagée dans la forêt, pour mettre sa famille à l’abri. Tous se récrièrent car elle était trop petite. Jordan et Quentin refusèrent cette solution et rejoignirent des amis. Elliott alla retrouver son groupe. Mélanie et Léa squattèrent l’appartement d’une copine retrouvée sur Internet. Les parents et les bébés furent accueillis pour quelques jours dans un hôtel payé par une association d’aide aux personnes en difficulté. Elliott ne supportait pas cet éclatement familial et demanda à son groupe de musiciens de lui permettre d’emprunter le car qui servait aux tournées d’été pour pouvoir réunir toute la famille et aller chercher un hébergement et du travail dans une grande ville du Sud : Toulouse, par exemple. Ses amis acceptèrent. Il rassembla la famille. Le père, ravi de cette solution, s’installa au volant. Il retrouvait sa dignité, ses yeux à nouveau, se remettaient à briller. Il chaussa des ‘Ray Ban’ offerts par les jumeaux qui les avaient empruntés la veille dans un supermarché. Au gré des transformations faites pour le voyage, le bus devint un objet d’art en haut en couleur digne de Picasso. Des roses, des verts, des jaunes se succédèrent sur la carrosserie, dessinant des motifs psychédéliques. Tout ceci était agrémenté de fils à linge qui allaient d’une fenêtre à l’autre. Des baluchons transportés par les enfants s’entassèrent sur le toit du car. Mélanie installa ses jeunes frères et sœurs sur les banquettes en attachant leurs sièges de bébés avec les ceintures de sécurité du car ; Manu d’un coup d’œil circulaire, fit l’inventaire. La place limitée les obligea à abandonner le peu qu’ils avaient mais l’espoir d’une vie d’aventures compensait les petites amertumes. La place était restreinte mais l’espoir, immense. Dix heures du matin, le père au volant, jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Manu lui fit signe que tout le monde était installé. Le père introduisit la clé dans le démarreur. Le moteur toussa et s’arrêta. Silence dans l’habitacle, deuxième essai, le visage du père s’éclaira d’un sourire triomphant qui laissa apparaître sa mâchoire édentée, le car démarra. Il engagea une vitesse et le bus s’ébranla sur le chemin qui les mena à la nationale vers le Sud. 6 Il jeta à sa femme un regard complice qui leur rappela la belle époque quand il était routier. Il abaissa ses Ray Ban, releva la tête vers un nouvel horizon. La route, les paysages, les villes et les clochers défilèrent. À leur passage, des mains s’agitaient amicalement à la vue de ce véhicule surprenant. Après quelques heures, les cris des petits les obligèrent à s’arrêter sur l’aire boisée des ‘BIENHEUREUX ’. Manu reprit son rôle d’organisateur, sachant qu’il disposait de la nourriture que Jordan et Quentin avaient habilement subtilisée à la dernière station d’essence. Au dehors, les voyageurs qui comme eux étaient en escale, échangeaient des propos sur l’actualité… « Tu es sûr que ton hamburger est bien à la viande de bœuf ? – Occupe-toi de ton cheval ! ». A l’intérieur du car, chacun savoura le frugal repas avant de rejoindre sa place et de repartir. Le car avala le bitume… La famille chanta : Voyage, voyage, en boots sur la route, en sandale sur le canal, en pédalo au fil de l’eau, voyage, voyage Puis les paroles s’étranglèrent, le moteur brouta… le car stoppa brutalement, ce fut la panne ! 7 Toulouse... le car était en panne. Manu se promenait au bord du canal du Midi. Il marchait le long du quai à la nuit tombante, il se demandait où la famille allait dormir. Une nuit de plus dans le car ? Sans chauffage ? On était tout de même au mois de mars ... Oh ! Il trébucha sur un portefeuille, l’ouvrit et découvrit une liasse de billets. Le garder ? Non, un frisson le secoua. Chapardeur, il l’était, oui, par nécessité, mais pas voleur. Décontenancé, il regarda autour de lui et vit un homme, la soixantaine, coiffé d’une casquette de capitaine. Manu eut soudain la conviction que ce portefeuille lui appartenait. Aussitôt, il se mit à courir, le rattrapa et lui cria : – Vous n’auriez pas perdu quelque chose ? Le vieux marinier tâta sa poche arrière : – Oui, j’ai perdu mon portefeuille, tu l’as trouvé ? – Oui. – Et qu’est-ce que t’as vu ? – J’ai vu de l’argent. Beaucoup. – Tu y as pas touché ? dit le vieux, un peu agressif. – Non, puisque je m’apprête à vous le rendre, dit Manu, vexé. – T’es bien honnête, c’est pas courant à notre époque ! Je vais te donner un billet pour ça. T’habite où ? – Actuellement ? dans un car en panne. – Et tes parents ? – Ils y sont avec tous mes frères et soeurs. – Combien êtes-vous ? demanda le capitaine. – Douze ! cria Manu. – Douze ! Où allez -vous comme ça ? – On a été expulsés, on cherche du travail et un toit, répondit Manu mélancolique. – Ah ! j’ai une idée. Si vous pouviez me donner un coup de mains pour déménager mon entrepôt, je pourrais vous emmener tous près de Sète sur ma péniche, je descends le Canal du Midi. On y sera dans quelques jours. Là, vous pourrez peut-être trouver de petits boulots sur le port ... Tout en devisant, ils se dirigèrent vers le lieu où le car stationnait. Ils discutèrent avec toute la famille de la solution envisagée. Elliott téléphona à ses amis pour qu’ils puissent venir récupérer le bus. Il leur promit de les dédommager lorsqu’il aurait gagné de l’argent. Le vieux marinier emmena tout le monde à la péniche chargé comme des mules avec les bébés et tous leurs bagages. Une fois arrivés, il proposa que la maman et Mélanie s’occupent de préparer un repas pour tous et il invita tous les autres bras disponibles à aller commencer le déménagement de l’entrepôt. Ils partirent avec des diables... 8 Ils découvrirent alors une sorte de caverne d’Ali Baba. Les jumeaux eurent tout de suite la puce à l’oreille en subodorant l’origine de tout ce mobilier : statues emmaillottées, commodes et armoires anciennes, lustres, miroirs, coffrets bien fermés, porcelaine dans des cartons, crucifix et ciboires d’églises, tableaux, etc. Le déménagement s’effectua rapidement grâce à cette main-d’oeuvre inespérée et avant minuit, tout fut bouclé, chargé dans les cales de la péniche. Une gigantesque ‘pasta à la carbonara ‘ attendait tout le groupe exténué. « Mais d’où sortez-vous toute cette marchandise ? Vous êtes antiquaire ? demanda Manu le petit fûté. − On peut dire cela, répliqua le marinier, j’ai des associés et un ami qui revend à Sète, la clientèle étrangère est très friande d’objets anciens... je pense à revendre aussi sur Internet... − Je pourrais vous aider, intervint Léa, l’informatique, c’est ma partie ... Voyage, voyage en boots sur la route Voyage, voyage...» coupèrent les jumeaux soupçonneux. Il était tard, tous s’intallèrent pour un repos bien mérité. Pendant toute la semaine, le voyage se déroula agréablement... Chacun se trouva des activités. Le père s’intéressa beaucoup à la conduite de la péniche. Le Capitaine, très fier, l’initia de jour en jour, après avoir longuement discuté avec lui de son métier de routier. L’intérêt était à son comble lors des passages des nombreuses écluses rencontrées. 9 Après observations et conseils, le père fut invité à guider la péniche pour un de ces passages : ce fut un peu hésitant et laborieux. Toute la maisonnée fut prévenue de ne rien mettre sur le gaz. Tous vinrent sur le pont pour regarder. Il fallait se tenir à distance des remous, attendre le remplissage du sas, ne pénéter qu’au signal donné par l’éclusier, ne pas forcer, garder les amarres tendues tout en donnant du mou de temps en temps. À la sortie, ne lâcher les amarres qu’à la fin du cycle d’éclusage et repartir à petite vitesse sous les hourras de la famille entonnant son chant de guerre qui variait au gré de l’humeur et s’agrémentait parfois de nouvelles paroles : Voyage, voyage... En boots sur la route, En pédalo au fil de l’eau, En escarpins sur le chemin, En péniche on est bien... Voyage, voyage... Le capitaine était toujours étonné de ces manifestations de solidarité familiale. La mère, quant à elle, passait ses temps de loisirs à observer la nature rencontrée. Elle emprunta le vieil appareil photos du capitaine et photographiait les arbres : cèdres, érables, pins, qui ombrageaient agréablement la rive de leurs branches garnies de petites feuilles vertes d’un printemps précoce dans le sud. Elle regardait les oiseaux, les poissons qu’elle apercevait parfois en observant l’eau attentivement. Sur le pont, les adultes avaient confectionné une sorte de grand parc à jeux sécurisé pour les bébés avec un antique filet de pêche et de grosses bouées réformées. Un sac de sable blond renversé sur le pont servait de plage. Là, ils pouvaient courir, se baigner dans leur petite baignoire en plastique, s’ébattre sans crainte de tomber à l’eau et c’était un joyeux spectacle de partager leur vitalité et leurs rires. Le soir, bien fatigués de leurs jeux, ils s’endormaient comme des anges dans leurs couchettes et les adultes pouvaient se reposer. À la halte du soir, pas très loin de Béziers, les jeunes rêvaient..... 10 Elliott sortit sa guitare et se mit à composer un air doux. Quentin, Léa, Mélamie et Manu cherchaient des paroles en harmonie avec les sons mélodieux : Du Pont des Demoiselles À l’étang de Tau Au fil de l’eau, Le paysage Prend l’allure d’un tableau. Dans les rêves Des pêcheurs, Des lavandières imaginaires Dansent Dans les bras Du canal Si enlaçant et protecteur Le canal du Midi Tout en contraste Et en lumière Tous regardaient le coucher du soleil et se laissaient aller à penser que leur vie s’était bien améliorée depuis la rencontre avec le vieux marinier... bien qu’une curiosité les tenaillaient concernant la cale avant de la péniche où le vieux marinier leur avait interdit d’aller ‘fourrer leur nez’ d’un ton assez menaçant... pour que Manu et les jumeaux soient alertés. Discrètement, le Capitaine se rapprocha de Léa pour parler informatique : « J’ai un ordinateur dans ma cabine, dit-il. – Ah, bon ! vous avez un ordinateur ? Il acquiesça d’un hochement de tête. – Super, je vais pouvoir créer un blog pour tout ce que vous avez à vendre, dit Léa. – Oui, très bonne idée, mais, chut, vous ne le dites à personne, on leur fera la surprise plus tard... – Vous êtes sûr ? Oui, vous avez raison, qu’est ce qu’ils vont être surpris ! Ils vont enfin voir de quoi je suis capable. J’avais raison de bosser quand tout le monde me disait « à quoi ça sert » ? – Bon, passe ce soir dans ma cabine quand tout le monde sera couché. » Il eut un sourire étrange, un peu forcé qui fit passer un léger frisson dans le dos de Léa. 11 Le repas du soir se passa dans la joie et l’inquiétude d’une nouvelle aventure car ils devaient accoster le lendemain au bord de l’Étang de Tau qui est grand comme une petite mer intérieure. Après le coucher des petits, les jeunes et leurs parents allèrent sur le pont où Elliot composa un air de guitare et une nouvelle chanson : Petite mer, je t’aimerai Par tous les temps, Pour tes envols de flamants roses Pour tes senteurs d’iode et de garrigue Pour tes couleurs et pour tes fleurs, Pour ta Camargue et tes chevaux fous de liberté Pour ta beauté Pour le charme de tes cimetières marins Pour Sète où reposent Brassens et Paul Valéry Petite mer, je t’aimerai Tous étaient sous le charme et allèrent se reposer mais à la fin du repas, Léa avait aperçu le marinier qui discrètement prélevait quelques restes dans les différents plats et brisait un morceau de pain en surveillant par-dessous sous bras que personne ne l’observait, puis qui s’éclipsait et pénétrait dans la cale. Alors que les autres montaient sur le pont, Léa décida de suivre le Capitaine. 12 Il traversa la péniche et arriva dans une zone que Léa ne connaissait pas. Au même moment, elle entendit des cris étouffés. Elle se plaqua contre la cloison puis se cacha derrière un tonneau. Que faisait-il ? Il regarda derrière lui, puis de chaque côté, et extirpa une clef du fond d’un recoin et ouvrit une porte basse. Le coeur battant, Léa devinait la gravité de la situation. Il ne resta que quelques minutes, referma la porte, remit la clé dans la cachette et repartit vers sa cabine pour attendre Léa. Le sang de la jeune fille se glaça, sa respiration s’arrêta lorsqu’il repassa devant elle. Lorsqu’elle n’entendit plus ses pas, elle sortit de sa cachette et s’approcha du recoin, prit la clé, et rouvrit la porte. Elle vit une cage à barreaux. Une ombre se déplaça. Sa terreur passée, Léa s’approcha des barreaux et passa ses mains pour enlever le bâillon. C’était une jeune fille qui devait avoir à peu près le même âge qu’elle. « Qui es-tu ? dit Léa. – Moi pris à papa et maman. – On t’a enlevée ? reprit Léa. – Moi, trottoir, hommes. – C’est le marinier ? – Non, le marinier juste emmène-moi – Bien, attends-moi je reviens. » Elle se disait qu’elle allait convoquer le conseil de famille pour discuter de tout ça...Elle voulut se retourner... mais elle sentit un couteau sous sa gorge. Le Capitaine était là. Il lui dit : « Tu es bien curieuse. Entre là-dedans. Tu seras bien sage jusqu’à demain matin. Quand nous arriverons, je livrerai deux ‘paquets‘ au lieu d’un, voilà tout... je dirai à tes parents que tu as suivi un jeune homme qui t’avait fait danser l’autre soir à la fête à Béziers où vous étiez allés avec tes frères... qu’il était venu te chercher à moto hier au soir et que je t’avais vue partir... qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que tu reviendrais le lendemain. Ah ! Au fait, donne-moi ton portable. » Après avoir remis des bâillons et des cordes aux pieds et aux mains des jeunes filles, il referma la grille et la porte basse et cette fois, emporta la clé de la geôle. Cependant, Manu avait vu que Léa n’était pas avec eux pour la soirée chansons et qu’elle n’était ni auprès des petits, ni dans sa cabine ... il fut intrigué aussi par le fait que le Capitaine n’était pas venu fumer sa pipe, comme chaque soir, à la fraîche, sur le pont. Il le chercha et l’aperçut alors que celui-ci revenait de la cale vers sa cabine tenant à la main une petite clé. Manu se cacha rapidement. Le Capitaine ne le vit pas, il entra chez lui. Manu explora les cales et tout au fond, 13 vers l’avant de la péniche, il entendit des bruits étouffés et des coups assourdis portés contre les parois. Il repéra la petite porte basse et frappa : les gémissements redoublèrent. Il eut la conviction que sa sœur était là, prisonnière. Discrétement, il remonta pour prévenir les adultes. Méfiant, il pensa que Léa n’avait sûrement plus de téléphone et que le Capitaine le lui avait pris, car il n’était pas sot, ce vieux marinier. Il réveilla ses frères ainsi que ses parents qui arrivèrent ensommeillés sur le pont de la péniche. La nouvelle les atteignit comme un coup de tonnerre. Ils étaient prêts à en découdre. Manu se leva et prit la parole : « Attention si nous voulons aller jusqu’au bout du voyage, il ne faut rien faire cette nuit, il est peut-être armé. – Nous devons prévenir la Gendarmerie, dit le père, il n’y a pas d’autre alternative. Je ne veux pas vous mettre en danger. Allons dans nos cabines pour essayer de nous reposer. Debout à cinq heures demain et nous ferons les manoeuvres comme d’habitude, il n’y aura que quatre heures de navigation avant la fin du voyage. Pour Léa, je poserai la question au Capitaine demain matin au petit déjeuner et nous verrons bien sa duplicité. Attention, pas de réaction intempestive. Nous attendrons les gendarmes. Exécution ! » Le Chef de famille avait repris toute sa place. Il prit son téléphone et appela... À la pointe des Onglous, sur l’étang de Tau, but du voyage, la péniche accosta. Pour aller à Sète, il fallait emprunter la route du Lido. L’ancre fut jetée. La matinée s’était déroulée comme prévu. Les réponses aux questions sur l’absence de Léa avaient été apportées et crues par la famille, semblait-il. Pourtant, le vieux marinier avait l’air soucieux, son visage était blême. Point de ‘collègues’ en vue, les camions attendus n’étaient pas au rendez-vous. Il sortit sur la passerelle et soudain, trois civils s’engagèrent à l’autre bout de celle-ci, lui barrant le chemin. Ils sortirent leur carte. « Gendarmerie ! Nous avons un mandat pour visiter votre cargaison. » Les jumeaux qui flânaient sur le pont eurent vite fait de disparaître, inquiets, pensant qu’on s’intéresserait peut-être à eux qui étaient recherchés à cause de leurs petits trafics... Les gendarmes, après avoir passé les menottes au capitaine et après avoir salué le père de famille 14 qui les avait prévenus dans la nuit, descendirent inspecter les cales. Manu les guida vers la petite porte qu’ils enfoncèrent sans ambage, libérant les deux jeunes filles. La caverne d’Ali-Baba révéla ses secrets. Les gendarmes informèrent la famille que ce trafiquant était recherché et que ses complices avaient été arrêtés le matin même. Une fois les gendarmes partis, ils se retrouvèrent seuls sur le quai. Manu fit un tour d’horizon et aperçut, niché dans les coteaux, un petit village. Il entraîna toute la petite troupe en direction du clocher. En abordant le village, ils eurent une drôle d’impression : volets et portes fermées. Juste, au loin, on entendait un volet battre au milieu de la place centrale. Un chat se léchait la patte au soleil. À l’autre bout du village un chien hurlait à la mort. Les petits commencèrent à crier famine. « Il nous faut trouver à manger... – Allons à l’église, ils doivent tous être à la messe. – Oui, ou au bistrot ! » Arrivés devant l’église, Manu poussa la porte déjà entrouverte qui grinça sinistrement. Mélanie et lui entrèrent. Il y eut un silence assourdissant… il faisait sombre dans cette église. Petit à petit, la vision de Manu devint plus nette. Il distingua dans la pénombre une forme noire. Manu s’approcha. Un visage ridé se retourna vers lui. Deux petits yeux le fusillèrent du regard. Manu fit un pas en arrière déclenchant le vol d’une chauve-souris. « Que faites-vous là ? – Nous cherchons de quoi manger. Il n’y a que vous dans le village ? – Ah, mes enfants, nous ne sommes plus que trois, moi, Eugène mon mari et puis Dédé l’épicier. – Et les autres habitants du village ? – Ils sont tous partis à la ville, il n’y avait plus de travail ici. L’usine a fermé ! – Ah, et il est où ce Dédé, les enfants ont faim. – De l’autre côté de la place. » Manu et Mélanie se dirigèrent vers la maison de Dédé. Sa boutique faisait bistrot, épicerie, quincaillerie, boulangerie. Ils achetèrent de quoi se rassasier. Dédé était ravi de voir du monde. Il les rejoignit avec une bouteille de vin, une carafe d’eau et des bouteilles de bière. Le père de famille raconta les péripéties de leur arrivée et lui demanda s’il y avait de quoi se loger dans le coin. 15 Dédé les conduisit jusqu’à une ferme abandonnée à la sortie du village. Ils découvrirent une habitation un peu dégradée mais en assez bon état pour que chacun puisse y trouver son bonheur. Il y avait même un jardin en friche. Deux mois plus tard, les fleurs avaient commencé à pousser, les filles avaient décoré la maison. Un matin, Dédé s’approcha de la maison en humant le parfum d’une bonne soupe de légumes. Il pénétra dans le jardin et aperçut les quelques poules qui couvaient leurs œufs, les lapins qui grignotaient dans les clapiers. Il rejoignit le père des enfants dans le potager pour lui donner quelques conseils. La famille s’était organisée pour que chacun ait sa place. La vieille dame de l’église qui était une ancienne institutrice faisait la classe aux petits dans une salle de l’école qu’elle avait réouverte. Toute la famille avait participé au nettoyage des locaux. Léa faisait la comptabilité de Dédé l’épicier et celle de sa famille, incluant les recettes de la vente des produits de la ferme au marché du village d’à côté dont se chargeaient les jumeaux, ils allaient d’ailleurs proposer à d’autres fermiers de vendre leurs produits ; le commerce, ils connaissaient et avaient décidé de rentrer dans la légalité, finies les bêtises ! Le père avait trouvé du travail au port et ramenait fièrement sa paye. Léa continuait des études de comptabilité par correspondance. Mélanie et Manu étaient inscrits dans un collège où ils suivaient les cours puis travaillaient avec l’institutrice dans la deuxième classe de l’école. À la rentrée suivante, ils iraient en pension dans un collège à Sète. Dédé et le père allèrent vers la cuisine boire un coup. La mère préparait, pour le soir, un repas de fête car ils avaient invité non seulement les trois vieux du village mais également la nouvelle famille qui s’était installée le mois d’avant. Elliott avaient invité ses copains musiciens parisiens. Ils allaient arriver pour animer une soirée et ils projetaient d’organiser un festival de rock folk-rapt l’année d’après. Le village reprenait vie ! 16 Un an plus tard, Elliott, Manu, Léa et les autres avaient décidé d’organiser une fête au village. Tout s’annonçait comme une kermesse envoûtante pour petits et grands. Un spectacle aussi copieux que varié ! Le soleil était de la partie. Toute la famille participait avec joie à monter de jolis stands, à accrocher des ballons de toutes les couleurs, à taguer de gais panneaux indiquant le chemin à suivre. Tous étaient devenus, grâce aux épreuves rencontrées et surmontées ensemble, de géniaux débrouillards du quotidien. Une foule de jeux vous attendait à bord d’un stand intitulé ‘Vieille Péniche à Secrets’ bricolée par tous sur une idée de Manu. L’humour des gamins dans leurs jeans délavés donnant des sketches émaillés d’irrésistibles numéros de magie... Ces ados étaient des inventeurs de sons, de rêves, d’espoir d’une vie meilleure ! Magiciens en herbe, ils transformaient le banal en fantastique. Des denrées furent vendues, la mère, les jumeaux, aidés de l’épicier, et même des quadruplés de trois ans et demi qui distribuaient les tickets pour faire la queue, servaient des boissons, des parts de gâteaux, des chouquettes, des sorbets, confectionnés par toutes les familles du village. Tous étaient présents et donnaient de leur personne. Les villageois des environs qui avaient dûment été invités étaient là... et on attendait les musiciens venus de Paris. Tous étaient curieux du spectacle annoncé pour la fin de l’après-midi : ‘Slam, Rock, Jazz à Gogo’. La foule riait, dégustait les crêpes préparées et vendues par Mélanie et Léa, qui étaient agrémentées de fabuleuses confitures maison. Vers 17 H , les artistes investirent l’estrade dressée sur la place. Une performance coup de poing de tous les musiciens ! Le son de la guitare d’Elliott explosait, faisant s’envoler un groupe de corbeaux attirés par ce chahut et les nourritures distribuées. Lui et ses amis saxophoniste, batteur, guitare basse, firent chanter, danser et boire jusque tard dans la nuit. Au final, le saxophoniste souffla un slow sensuel à faire rougir la lune... Beau bouquet d’applaudissements sous les lampions bleus, verts, rouges, jaunes ! La soirée fut réussie, conviviale, amicale... c’était comme un temps suspendu hors du temps. Les illustrations du conte ont été réalisées par : Pierre Bréger dit Pietro, Marie-Odile Charpenet, Bernadette Fournal et Yannick Da Silva-Tomé L’illustration de couverture est l’oeuvre de : Danielle Duflos Edité par APEX*Ulis MPT des Amonts - 91940 Les Ulis Directeur de publication : Pierre Belbenoit ISSN - 2105 - 3340 Reprographié par nos soins (200 ex)