florilege 10

Transcription

florilege 10
N° 10
Supplément du journal LE PHARE n° 51
Avec mes mots
Atelier
d’écriture
de
’ APEX*Ulis
Conte
2013
1
Les
Tribulations
de
la
Famille
Sanlessou
Conte
Ecrit par : Bernard AMAR, Pierre BREGER,
Zoubida BELFADIL, Pierrette BERTHELOT,
Marie-Odile CHARPENET, Mireille DELAFAIX,
Catherine DUFLOS, Bernadette FOURNAL,
Yannick DA SILVA-TOME, Danielle DUFLOS,
Bozena TEODOROWICZ, Danièle VOUILLON,
Charles ZUCCONI.
et l’Animatrice de l’Atelier : Yvette ROUSSEL
2
Pietro
3
Il était une fois dans une tour de la Résidence
des Fées vouée à une imminente démolition, la famille
Sanlessou qui squattait le sixième étage. Monsieur
Sanlessou, chômeur depuis de longs mois, la
cinquantaine, semblait avoir baissé les bras. Sa femme,
épaulée par leur fille Mélanie, treize ans, s’occupait de
tous et avait fort à faire avec leurs quadruplés, des
bébés de deux ans : Camille, Jade, Elodie et Yann.
Manu, quatorze ans, rouquin aux nombreuses taches
de rousseur, très vif, s’était depuis longtemps chargé
de seconder sa maman en mobilisant ses frères et sœurs
chacun dans leur domaine pour aider aux rentrées
financières de la tribu. L’aîné, Elliott, beau blond de
vingt-cinq ans, guitariste dans un groupe de rock,
amoureux secrètement du batteur, passait le chapeau
dans le métro, pour quelques euros qu’il rapportait
fièrement à ses parents. Leur plus grande fille, Léa, dixneuf ans, ayant obtenu un bac pro informatique, avait
été chargée de revendre sur le net tous les objets glanés
dans les appartements et les caves désertées. Les
jumeaux, Jordan et Quentin, seize ans, lycéens peu
assidus, traficotaient dans le cannabis, rapportant
parfois de rondelettes sommes d’argent qui amélioraient
l’ordinaire. Personne ne leur demandait d’où
provenaient ces rentrées inespérées.
Un jour, pour la dernière fois après que tous les recours
furent épuisés, l’huissier présenta un pli avec injonction
de vider les lieux avant la fin de la semaine, l’entreprise
de démolition étant pressentie pour le vendredi suivant.
Branle- bas de combat chez les ‘Sanlessou’....
Manu convoqua toute la famille par SMS en
envoyant leur habituel message de détresse qui avait
l’air anodin comme tous les messages envoyés par
la Résistance en son temps :
Voyage, voyage
En boots, sur la route
Ils tinrent le soir même une réunion de crise. Manu
annonça qu’ils devraient tous participer le vendredi
suivant à leur auto-défense.
Le matin de bonne heure, l’entreprise de démolition
approcha avec une grue, appareillée d’une énorme boule
de béton armé, chargée de casser les murs. L’huissier
et la police vinrent pour vérifier que plus personne ne
se trouvait dans l’immeuble .
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Là, soudain, à tous les étages, aux fenêtres des
appartements, les volets s’ouvrirent et se refermèrent
comme un calendrier de l’Avent, sur des enfants ou
des parents portant des bébés hurleurs car on les
transportaient en courant, changeant de lieux dans un
mouvement perpétuel, montant et descendant dans les
escaliers, cavalant dans les couloirs ... suivis par les
pandores hors d’haleine qui s’écrasaient le nez, de temps
à autre, sur une porte qui s’ouvrait à leur passage par
un hasard malencontreux. Les trois policiers, taillés à la
Sergent Garcia des aventures de Zorro, couraient et
s’époumonaient : « Hors d’ici ! Sortez ! Venez là ! »
Les rires fusaient et le temps passa. La nuit tomba. Les
policiers, épuisés, voulant ressortir de l’immeuble,
s’étalèrent par terre, une fois de plus, les chaussures
scotchées sur la dernière marche de l’escalier par des
Malabars, mâchouillés par toute la famille au long de la
journée et étalés à la spatule par Manu, le petit futé.
C’est en saignant du nez, qu’ils repartirent sous les cris
de joie de toute la famille réunie dans l’appartement
regagné de haute lutte pour une nuit...
Un journaliste, égaré et curieux, qui n’en avait pas perdu
une miette, avait fait quelques clichés postés directement
sur son blog. Il s’était promis de revenir au matin avec
toute une équipe pour continuer à suivre l’histoire.
Au milieu de la nuit ...
... Manu se glissa dehors. Cinéphile en herbe,
il avait l’impression de figurer dans un remake de la
‘Guerre des Boutons’ ou de ‘Jeux interdits’.
L’entreprise de BTP avait laissé sur le parking devant
l’immeuble l’ imposante grue. Armé des tenailles de son
père, l’adolescent frondeur parvint, non sans peine, à
sectionner la chaîne qui retenait l’énorme boule à
‘éclater’ la façade. Enhardi par son succès, il enfonça
un long couteau de cuisine dans les gras pneus de
l’engin. Évidemment, se dit-il, ça ne ferait que retarder
l’intervention des ‘casseurs’ mais c’était toujours du
temps gagné.
Le lendemain, le chef de chantier demanda aux policiers
en faction depuis potron-minet d’ enregistrer sa plainte.
Un inspecteur de police, dépêché sur les lieux, depuis
le fiasco de la veille, s’entretint avec l’huissier de justice
et annonça l’arrivée d’une brigade de gendarmerie pour
faire évacuer la tour dans la soirée.
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Avertis par leur jeune collègue reporter, deux
journalistes de Médiapart observaient la scène du
coin de l’œil ; dans le contexte de crise de l’époque,
il y aurait sûrement matière à débat sur leur site.
Le journaliste contacta Léa et lui proposa
une cabane, un peu aménagée dans la forêt, pour
mettre sa famille à l’abri. Tous se récrièrent car elle
était trop petite. Jordan et Quentin refusèrent cette
solution et rejoignirent des amis. Elliott alla retrouver
son groupe. Mélanie et Léa squattèrent l’appartement
d’une copine retrouvée sur Internet. Les parents et
les bébés furent accueillis pour quelques jours dans
un hôtel payé par une association d’aide aux
personnes en difficulté.
Elliott ne supportait pas cet éclatement familial et
demanda à son groupe de musiciens de lui permettre
d’emprunter le car qui servait aux tournées d’été pour
pouvoir réunir toute la famille et aller chercher un
hébergement et du travail dans une grande ville du
Sud : Toulouse, par exemple. Ses amis acceptèrent.
Il rassembla la famille. Le père, ravi de cette solution,
s’installa au volant. Il retrouvait sa dignité, ses yeux à
nouveau, se remettaient à briller. Il chaussa des ‘Ray
Ban’ offerts par les jumeaux qui les avaient empruntés
la veille dans un supermarché.
Au gré des transformations faites pour le voyage, le
bus devint un objet d’art en haut en couleur digne de
Picasso. Des roses, des verts, des jaunes se succédèrent
sur la carrosserie, dessinant des motifs psychédéliques.
Tout ceci était agrémenté de fils à linge qui allaient d’une
fenêtre à l’autre. Des baluchons transportés par les
enfants s’entassèrent sur le toit du car.
Mélanie installa ses jeunes frères et sœurs sur les
banquettes en attachant leurs sièges de bébés avec les
ceintures de sécurité du car ; Manu d’un coup d’œil
circulaire, fit l’inventaire. La place limitée les obligea à
abandonner le peu qu’ils avaient mais l’espoir d’une
vie d’aventures compensait les petites amertumes. La
place était restreinte mais l’espoir, immense.
Dix heures du matin, le père au volant, jeta un coup
d’œil par-dessus son épaule. Manu lui fit signe que tout
le monde était installé. Le père introduisit la clé dans
le démarreur. Le moteur toussa et s’arrêta. Silence
dans l’habitacle, deuxième essai, le visage du père
s’éclaira d’un sourire triomphant qui laissa apparaître
sa mâchoire édentée, le car démarra. Il engagea une
vitesse et le bus s’ébranla sur le chemin qui les mena
à la nationale vers le Sud.
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Il jeta à sa femme un regard complice qui leur rappela
la belle époque quand il était routier. Il abaissa ses
Ray Ban, releva la tête vers un nouvel horizon. La
route, les paysages, les villes et les clochers défilèrent.
À leur passage, des mains s’agitaient amicalement à la
vue de ce véhicule surprenant.
Après quelques heures, les cris des petits les obligèrent
à s’arrêter sur l’aire boisée des ‘BIENHEUREUX ’.
Manu reprit son rôle d’organisateur, sachant qu’il
disposait de la nourriture que Jordan et Quentin avaient
habilement subtilisée à la dernière station d’essence.
Au dehors, les voyageurs qui comme eux étaient en
escale, échangeaient des propos sur l’actualité…
« Tu es sûr que ton hamburger est bien à la viande de bœuf ?
– Occupe-toi de ton cheval ! ».
A l’intérieur du car, chacun savoura le frugal repas avant
de rejoindre sa place et de repartir. Le car avala le
bitume… La famille chanta :
Voyage, voyage,
en boots sur la route, en sandale sur le
canal, en pédalo au fil de l’eau,
voyage, voyage
Puis les paroles s’étranglèrent, le moteur brouta…
le car stoppa brutalement, ce fut la panne !
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Toulouse... le car était en panne. Manu se
promenait au bord du canal du Midi.
Il marchait le long du quai à la nuit tombante, il se
demandait où la famille allait dormir. Une nuit de plus
dans le car ? Sans chauffage ? On était tout de même
au mois de mars ... Oh ! Il trébucha sur un portefeuille,
l’ouvrit et découvrit une liasse de billets. Le garder ?
Non, un frisson le secoua. Chapardeur, il l’était, oui,
par nécessité, mais pas voleur. Décontenancé, il regarda
autour de lui et vit un homme, la soixantaine, coiffé d’une
casquette de capitaine. Manu eut soudain la conviction
que ce portefeuille lui appartenait. Aussitôt, il se mit à
courir, le rattrapa et lui cria :
– Vous n’auriez pas perdu quelque chose ?
Le vieux marinier tâta sa poche arrière :
– Oui, j’ai perdu mon portefeuille, tu l’as trouvé ?
– Oui.
– Et qu’est-ce que t’as vu ?
– J’ai vu de l’argent. Beaucoup.
– Tu y as pas touché ? dit le vieux, un peu agressif.
– Non, puisque je m’apprête à vous le rendre, dit
Manu, vexé.
– T’es bien honnête, c’est pas courant à notre époque !
Je vais te donner un billet pour ça. T’habite où ?
– Actuellement ? dans un car en panne.
– Et tes parents ?
– Ils y sont avec tous mes frères et soeurs.
– Combien êtes-vous ? demanda le capitaine.
– Douze ! cria Manu.
– Douze ! Où allez -vous comme ça ?
– On a été expulsés, on cherche du travail et un toit,
répondit Manu mélancolique.
– Ah ! j’ai une idée. Si vous pouviez me donner un
coup de mains pour déménager mon entrepôt, je
pourrais vous emmener tous près de Sète sur ma
péniche, je descends le Canal du Midi. On y sera dans
quelques jours. Là, vous pourrez peut-être trouver de
petits boulots sur le port ...
Tout en devisant, ils se dirigèrent vers le lieu où le car
stationnait. Ils discutèrent avec toute la famille de la
solution envisagée. Elliott téléphona à ses amis pour
qu’ils puissent venir récupérer le bus. Il leur promit de
les dédommager lorsqu’il aurait gagné de l’argent. Le
vieux marinier emmena tout le monde à la péniche
chargé comme des mules avec les bébés et tous leurs
bagages. Une fois arrivés, il proposa que la maman et
Mélanie s’occupent de préparer un repas pour tous et
il invita tous les autres bras disponibles à aller
commencer le déménagement de l’entrepôt. Ils partirent
avec des diables...
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Ils découvrirent alors une sorte de caverne d’Ali
Baba. Les jumeaux eurent tout de suite la puce à l’oreille
en subodorant l’origine de tout ce mobilier : statues
emmaillottées, commodes et armoires anciennes, lustres,
miroirs, coffrets bien fermés, porcelaine dans des
cartons, crucifix et ciboires d’églises, tableaux, etc.
Le déménagement s’effectua rapidement grâce à cette
main-d’oeuvre inespérée et avant minuit, tout fut bouclé,
chargé dans les cales de la péniche.
Une gigantesque ‘pasta à la carbonara ‘ attendait tout
le groupe exténué.
« Mais d’où sortez-vous toute cette marchandise ?
Vous êtes antiquaire ? demanda Manu le petit fûté.
− On peut dire cela, répliqua le marinier, j’ai des
associés et un ami qui revend à Sète, la clientèle
étrangère est très friande d’objets anciens... je pense à
revendre aussi sur Internet...
− Je pourrais vous aider, intervint Léa, l’informatique, c’est
ma partie ...
Voyage, voyage
en boots sur la route
Voyage, voyage...»
coupèrent les jumeaux soupçonneux.
Il était tard, tous s’intallèrent pour un repos bien mérité.
Pendant toute la semaine, le voyage se déroula
agréablement... Chacun se trouva des activités. Le père
s’intéressa beaucoup à la conduite de la péniche. Le
Capitaine, très fier, l’initia de jour en jour, après avoir
longuement discuté avec lui de son métier de routier.
L’intérêt était à son comble lors des passages des
nombreuses écluses rencontrées.
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Après observations et conseils, le père fut invité à
guider la péniche pour un de ces passages : ce fut un
peu hésitant et laborieux. Toute la maisonnée fut
prévenue de ne rien mettre sur le gaz. Tous vinrent sur
le pont pour regarder. Il fallait se tenir à distance des
remous, attendre le remplissage du sas, ne pénéter
qu’au signal donné par l’éclusier, ne pas forcer, garder
les amarres tendues tout en donnant du mou de temps
en temps. À la sortie, ne lâcher les amarres qu’à la fin
du cycle d’éclusage et repartir à petite vitesse sous les
hourras de la famille entonnant son chant de guerre qui
variait au gré de l’humeur et s’agrémentait parfois de
nouvelles paroles :
Voyage, voyage...
En boots sur la route,
En pédalo au fil de l’eau,
En escarpins sur le chemin,
En péniche on est bien...
Voyage, voyage...
Le capitaine était toujours étonné de ces manifestations
de solidarité familiale.
La mère, quant à elle, passait ses temps de loisirs à
observer la nature rencontrée. Elle emprunta le vieil
appareil photos du capitaine et photographiait les
arbres : cèdres, érables, pins, qui ombrageaient
agréablement la rive de leurs branches garnies de petites
feuilles vertes d’un printemps précoce dans le sud. Elle
regardait les oiseaux, les poissons qu’elle apercevait
parfois en observant l’eau attentivement.
Sur le pont, les adultes avaient confectionné une sorte
de grand parc à jeux sécurisé pour les bébés avec un
antique filet de pêche et de grosses bouées réformées.
Un sac de sable blond renversé sur le pont servait de
plage. Là, ils pouvaient courir, se baigner dans leur
petite baignoire en plastique, s’ébattre sans crainte de
tomber à l’eau et c’était un joyeux spectacle de partager
leur vitalité et leurs rires. Le soir, bien fatigués de leurs
jeux, ils s’endormaient comme des anges dans leurs
couchettes et les adultes pouvaient se reposer.
À la halte du soir, pas très loin de Béziers, les
jeunes rêvaient.....
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Elliott sortit sa guitare et se mit à composer un air
doux. Quentin, Léa, Mélamie et Manu cherchaient
des paroles en harmonie avec les sons mélodieux :
Du Pont des Demoiselles
À l’étang de Tau
Au fil de l’eau,
Le paysage
Prend l’allure
d’un tableau.
Dans les rêves
Des pêcheurs,
Des lavandières
imaginaires
Dansent
Dans les bras
Du canal
Si enlaçant
et protecteur
Le canal du Midi
Tout en contraste
Et en lumière
Tous regardaient le coucher du soleil et se
laissaient aller à penser que leur vie s’était bien
améliorée depuis la rencontre avec le vieux
marinier... bien qu’une curiosité les tenaillaient
concernant la cale avant de la péniche où le vieux
marinier leur avait interdit d’aller ‘fourrer leur nez’
d’un ton assez menaçant... pour que Manu et les
jumeaux soient alertés.
Discrètement, le Capitaine se rapprocha de Léa pour
parler informatique :
« J’ai un ordinateur dans ma cabine, dit-il.
– Ah, bon ! vous avez un ordinateur ?
Il acquiesça d’un hochement de tête.
– Super, je vais pouvoir créer un blog pour tout ce que
vous avez à vendre, dit Léa.
– Oui, très bonne idée, mais, chut, vous ne le dites à
personne, on leur fera la surprise plus tard...
– Vous êtes sûr ? Oui, vous avez raison, qu’est ce
qu’ils vont être surpris ! Ils vont enfin voir de quoi je
suis capable. J’avais raison de bosser quand tout le
monde me disait « à quoi ça sert » ?
– Bon, passe ce soir dans ma cabine quand tout le
monde sera couché. »
Il eut un sourire étrange, un peu forcé qui fit passer
un léger frisson dans le dos de Léa.
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Le repas du soir se passa dans la joie et
l’inquiétude d’une nouvelle aventure car ils devaient
accoster le lendemain au bord de l’Étang de Tau qui
est grand comme une petite mer intérieure.
Après le coucher des petits, les jeunes et leurs
parents allèrent sur le pont où Elliot composa un air
de guitare et une nouvelle chanson :
Petite mer, je t’aimerai
Par tous les temps,
Pour tes envols de flamants roses
Pour tes senteurs d’iode et de garrigue
Pour tes couleurs et pour tes fleurs,
Pour ta Camargue et tes chevaux
fous de liberté
Pour ta beauté
Pour le charme
de tes cimetières marins
Pour Sète
où reposent Brassens et Paul Valéry
Petite mer, je t’aimerai
Tous étaient sous le charme et allèrent se reposer
mais à la fin du repas, Léa avait aperçu le marinier
qui discrètement prélevait quelques restes dans les
différents plats et brisait un morceau de pain en
surveillant par-dessous sous bras que personne ne
l’observait, puis qui s’éclipsait et pénétrait dans la
cale.
Alors que les autres montaient sur le pont, Léa décida
de suivre le Capitaine.
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Il traversa la péniche et arriva dans une zone que Léa
ne connaissait pas. Au même moment, elle entendit des
cris étouffés. Elle se plaqua contre la cloison puis se
cacha derrière un tonneau.
Que faisait-il ? Il regarda derrière lui, puis de chaque
côté, et extirpa une clef du fond d’un recoin et ouvrit
une porte basse.
Le coeur battant, Léa devinait la gravité de la situation.
Il ne resta que quelques minutes, referma la porte, remit
la clé dans la cachette et repartit vers sa cabine pour
attendre Léa. Le sang de la jeune fille se glaça, sa
respiration s’arrêta lorsqu’il repassa devant elle.
Lorsqu’elle n’entendit plus ses pas, elle sortit de sa
cachette et s’approcha du recoin, prit la clé, et rouvrit
la porte. Elle vit une cage à barreaux. Une ombre se
déplaça. Sa terreur passée, Léa s’approcha des
barreaux et passa ses mains pour enlever le bâillon.
C’était une jeune fille qui devait avoir à peu près le
même âge qu’elle.
« Qui es-tu ? dit Léa.
– Moi pris à papa et maman.
– On t’a enlevée ? reprit Léa.
– Moi, trottoir, hommes.
– C’est le marinier ?
– Non, le marinier juste emmène-moi
– Bien, attends-moi je reviens. »
Elle se disait qu’elle allait convoquer le conseil de famille
pour discuter de tout ça...Elle voulut se retourner...
mais elle sentit un couteau sous sa gorge.
Le Capitaine était là. Il lui dit :
« Tu es bien curieuse. Entre là-dedans. Tu seras bien
sage jusqu’à demain matin. Quand nous arriverons, je
livrerai deux ‘paquets‘ au lieu d’un, voilà tout... je dirai
à tes parents que tu as suivi un jeune homme qui t’avait
fait danser l’autre soir à la fête à Béziers où vous étiez
allés avec tes frères... qu’il était venu te chercher à moto
hier au soir et que je t’avais vue partir... qu’il ne fallait
pas s’inquiéter, que tu reviendrais le lendemain. Ah !
Au fait, donne-moi ton portable. »
Après avoir remis des bâillons et des cordes aux pieds
et aux mains des jeunes filles, il referma la grille et la
porte basse et cette fois, emporta la clé de la geôle.
Cependant, Manu avait vu que Léa n’était pas avec
eux pour la soirée chansons et qu’elle n’était ni auprès
des petits, ni dans sa cabine ... il fut intrigué aussi par le
fait que le Capitaine n’était pas venu fumer sa pipe,
comme chaque soir, à la fraîche, sur le pont.
Il le chercha et l’aperçut alors que celui-ci revenait de
la cale vers sa cabine tenant à la main une petite clé.
Manu se cacha rapidement. Le Capitaine ne le vit pas,
il entra chez lui. Manu explora les cales et tout au fond,
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vers l’avant de la péniche, il entendit des bruits
étouffés et des coups assourdis portés contre les
parois. Il repéra la petite porte basse et frappa : les
gémissements redoublèrent. Il eut la conviction que
sa sœur était là, prisonnière.
Discrétement, il remonta pour prévenir les adultes.
Méfiant, il pensa que Léa n’avait sûrement plus de
téléphone et que le Capitaine le lui avait pris, car il n’était
pas sot, ce vieux marinier. Il réveilla ses frères ainsi
que ses parents qui arrivèrent ensommeillés sur le pont
de la péniche. La nouvelle les atteignit comme un coup
de tonnerre. Ils étaient prêts à en découdre.
Manu se leva et prit la parole :
« Attention si nous voulons aller jusqu’au bout du voyage,
il ne faut rien faire cette nuit, il est peut-être armé.
– Nous devons prévenir la Gendarmerie, dit le père, il
n’y a pas d’autre alternative. Je ne veux pas vous mettre
en danger. Allons dans nos cabines pour essayer de
nous reposer. Debout à cinq heures demain et nous
ferons les manoeuvres comme d’habitude, il n’y aura
que quatre heures de navigation avant la fin du voyage.
Pour Léa, je poserai la question au Capitaine demain
matin au petit déjeuner et nous verrons bien sa duplicité.
Attention, pas de réaction intempestive. Nous
attendrons les gendarmes. Exécution ! »
Le Chef de famille avait repris toute sa place. Il prit
son téléphone et appela...
À la pointe des Onglous, sur l’étang de Tau,
but du voyage, la péniche accosta. Pour aller à Sète, il
fallait emprunter la route du Lido. L’ancre fut jetée. La
matinée s’était déroulée comme prévu. Les réponses
aux questions sur l’absence de Léa avaient été
apportées et crues par la famille, semblait-il. Pourtant,
le vieux marinier avait l’air soucieux, son visage était
blême. Point de ‘collègues’ en vue, les camions attendus
n’étaient pas au rendez-vous. Il sortit sur la passerelle
et soudain, trois civils s’engagèrent à l’autre bout de
celle-ci, lui barrant le chemin. Ils sortirent leur carte.
« Gendarmerie ! Nous avons un mandat pour visiter
votre cargaison. »
Les jumeaux qui flânaient sur le pont eurent vite fait
de disparaître, inquiets, pensant qu’on s’intéresserait
peut-être à eux qui étaient recherchés à cause de
leurs petits trafics...
Les gendarmes, après avoir passé les menottes
au capitaine et après avoir salué le père de famille
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qui les avait prévenus dans la nuit, descendirent
inspecter les cales.
Manu les guida vers la petite porte qu’ils enfoncèrent
sans ambage, libérant les deux jeunes filles. La
caverne d’Ali-Baba révéla ses secrets.
Les gendarmes informèrent la famille que ce trafiquant
était recherché et que ses complices avaient été
arrêtés le matin même.
Une fois les gendarmes partis, ils se
retrouvèrent seuls sur le quai. Manu fit un tour d’horizon
et aperçut, niché dans les coteaux, un petit village. Il
entraîna toute la petite troupe en direction du clocher.
En abordant le village, ils eurent une drôle
d’impression : volets et portes fermées. Juste, au loin,
on entendait un volet battre au milieu de la place
centrale. Un chat se léchait la patte au soleil. À l’autre
bout du village un chien hurlait à la mort. Les petits
commencèrent à crier famine.
« Il nous faut trouver à manger...
– Allons à l’église, ils doivent tous être à la messe.
– Oui, ou au bistrot ! »
Arrivés devant l’église, Manu poussa la porte déjà
entrouverte qui grinça sinistrement. Mélanie et lui
entrèrent. Il y eut un silence assourdissant… il faisait
sombre dans cette église.
Petit à petit, la vision de Manu devint plus nette. Il
distingua dans la pénombre une forme noire. Manu
s’approcha. Un visage ridé se retourna vers lui. Deux
petits yeux le fusillèrent du regard. Manu fit un pas en
arrière déclenchant le vol d’une chauve-souris.
« Que faites-vous là ?
– Nous cherchons de quoi manger. Il n’y a que vous
dans le village ?
– Ah, mes enfants, nous ne sommes plus que trois, moi,
Eugène mon mari et puis Dédé l’épicier.
– Et les autres habitants du village ?
– Ils sont tous partis à la ville, il n’y avait plus de travail
ici. L’usine a fermé !
– Ah, et il est où ce Dédé, les enfants ont faim.
– De l’autre côté de la place. »
Manu et Mélanie se dirigèrent vers la maison de Dédé.
Sa boutique faisait bistrot, épicerie, quincaillerie,
boulangerie. Ils achetèrent de quoi se rassasier. Dédé
était ravi de voir du monde. Il les rejoignit avec une bouteille
de vin, une carafe d’eau et des bouteilles de bière.
Le père de famille raconta les péripéties de leur arrivée
et lui demanda s’il y avait de quoi se loger dans le coin.
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Dédé les conduisit jusqu’à une ferme abandonnée à
la sortie du village. Ils découvrirent une habitation
un peu dégradée mais en assez bon état pour que
chacun puisse y trouver son bonheur. Il y avait même
un jardin en friche.
Deux mois plus tard, les fleurs avaient commencé
à pousser, les filles avaient décoré la maison. Un matin,
Dédé s’approcha de la maison en humant le parfum
d’une bonne soupe de légumes. Il pénétra dans le jardin
et aperçut les quelques poules qui couvaient leurs œufs,
les lapins qui grignotaient dans les clapiers. Il rejoignit
le père des enfants dans le potager pour lui donner
quelques conseils.
La famille s’était organisée pour que chacun ait sa place.
La vieille dame de l’église qui était une ancienne
institutrice faisait la classe aux petits dans une salle de
l’école qu’elle avait réouverte. Toute la famille avait
participé au nettoyage des locaux.
Léa faisait la comptabilité de Dédé l’épicier et celle de
sa famille, incluant les recettes de la vente des produits
de la ferme au marché du village d’à côté dont se
chargeaient les jumeaux, ils allaient d’ailleurs proposer
à d’autres fermiers de vendre leurs produits ; le
commerce, ils connaissaient et avaient décidé de rentrer
dans la légalité, finies les bêtises ! Le père avait trouvé
du travail au port et ramenait fièrement sa paye. Léa
continuait des études de comptabilité par correspondance.
Mélanie et Manu étaient inscrits dans un collège où ils
suivaient les cours puis travaillaient avec l’institutrice dans
la deuxième classe de l’école. À la rentrée suivante, ils
iraient en pension dans un collège à Sète.
Dédé et le père allèrent vers la cuisine boire un coup.
La mère préparait, pour le soir, un repas de fête car ils
avaient invité non seulement les trois vieux du village
mais également la nouvelle famille qui s’était installée le
mois d’avant. Elliott avaient invité ses copains musiciens
parisiens. Ils allaient arriver pour animer une soirée et
ils projetaient d’organiser un festival de rock folk-rapt
l’année d’après. Le village reprenait vie !
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Un an plus tard, Elliott, Manu, Léa et les autres
avaient décidé d’organiser une fête au village.
Tout s’annonçait comme une kermesse envoûtante pour
petits et grands. Un spectacle aussi copieux que varié !
Le soleil était de la partie. Toute la famille participait
avec joie à monter de jolis stands, à accrocher des
ballons de toutes les couleurs, à taguer de gais panneaux
indiquant le chemin à suivre.
Tous étaient devenus, grâce aux épreuves
rencontrées et surmontées ensemble, de géniaux
débrouillards du quotidien.
Une foule de jeux vous attendait à bord d’un stand
intitulé ‘Vieille Péniche à Secrets’ bricolée par tous sur
une idée de Manu. L’humour des gamins dans leurs
jeans délavés donnant des sketches émaillés
d’irrésistibles numéros de magie... Ces ados étaient
des inventeurs de sons, de rêves, d’espoir d’une vie
meilleure ! Magiciens en herbe, ils transformaient le
banal en fantastique. Des denrées furent vendues, la
mère, les jumeaux, aidés de l’épicier, et même des
quadruplés de trois ans et demi qui distribuaient les
tickets pour faire la queue, servaient des boissons, des
parts de gâteaux, des chouquettes, des sorbets,
confectionnés par toutes les familles du village. Tous
étaient présents et donnaient de leur personne.
Les villageois des environs qui avaient dûment été invités
étaient là... et on attendait les musiciens venus de Paris.
Tous étaient curieux du spectacle annoncé pour la fin
de l’après-midi : ‘Slam, Rock, Jazz à Gogo’.
La foule riait, dégustait les crêpes préparées et vendues
par Mélanie et Léa, qui étaient agrémentées de
fabuleuses confitures maison.
Vers 17 H , les artistes investirent l’estrade dressée sur
la place. Une performance coup de poing de tous les
musiciens ! Le son de la guitare d’Elliott explosait, faisant
s’envoler un groupe de corbeaux attirés par ce chahut
et les nourritures distribuées. Lui et ses amis
saxophoniste, batteur, guitare basse, firent chanter,
danser et boire jusque tard dans la nuit. Au final, le
saxophoniste souffla un slow sensuel à faire rougir la lune...
Beau bouquet d’applaudissements sous les lampions
bleus, verts, rouges, jaunes !
La soirée fut réussie, conviviale,
amicale... c’était comme un temps suspendu hors
du temps.
Les illustrations du conte
ont été réalisées par :
Pierre Bréger dit Pietro,
Marie-Odile Charpenet,
Bernadette Fournal
et Yannick Da Silva-Tomé
L’illustration de couverture
est l’oeuvre de :
Danielle Duflos
Edité par APEX*Ulis
MPT des Amonts - 91940 Les Ulis
Directeur de publication :
Pierre Belbenoit
ISSN - 2105 - 3340
Reprographié par nos soins (200 ex)