hommage : mort cinder de breccia vu par silvestre

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hommage : mort cinder de breccia vu par silvestre
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hommage : mort cinder de breccia vu par
silvestre
commenté par Antonio Altarriba
En janvier 2010, le musée de la bande dessinée présentait l’exposition Cent pour Cent : à l’invitation
de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, une centaine d’auteurs du monde
entier rendaient hommage, par une planche inédite, à une planche originale choisie dans les
collections du musée d’Angoulême. Silvestre avait porté son regard sur une planche du Mort Cinder
d’Alberto Breccia. Son hommage est commenté par Antonio Altarriba.
traduction
Mais nous n’allâmes pas loin…
— Mort… Arrête…
— Oui… Je les ai vus, ils sont derrière les arbres…
Derrière chaque arbre, se cachait un des « yeux de plomb »…
— Ils vont nous encercler.
— Oui… Et ceux-ci sont armés… Ils ont sans doute l’ordre de nous capturer à n’importe quel prix…
— Attaque-les, Ezra… Occupe-toi de ceux qui viennent de ce côté… Ils vont se diriger vers toi et
moi, je les prendrai à revers…
— Allons-y, Ezra… Vas-y !
Résolu, je chargeai, le bâton prêt à frapper…
S’il fallait désigner un Breccia espagnol, ce serait Federico del Barrio [1]. Ce créateur inquiet,
expérimentateur aux talents multiples, partage la règle d’exigence du grand maître argentin. C’est
peut-être pour cela qu’il signe sa version de l’une des œuvres les plus denses et les plus noires de
l’histoire de la bande dessinée mondiale du nom de Silvestre. Ainsi tout acquiert une rigueur, une
certaine netteté. Le lettrage n’est plus manuscrit et les cartouches sortent du cadre de la case. Mort
Cinder porte ici un chapeau et a perdu de sa dureté. Ezra, en revanche, continue d’être le vivant
portrait de Breccia. Federico s’est-il peint ici en compagnon de Breccia, dans cette lutte contre les «
yeux de plomb », contre ceux qui ne savent pas voir ? Il a choisi le dépouillement, et Breccia,
souvent expressionniste, subit ici une cure d’amaigrissement d’expression minimaliste. Mais peut-être,
plus simplement, comme il s’agit d’une scène dans les bois, tout ici se doit-il d’être « si(y)lvestre ».
la planche d’alberto breccia
Épisode paru en 1962 dans la revue argentine Misterix ; album, éditions Serg, 1974, rééd. Glénat
1983, Vertige Graphic 1999.
texte identique
Que font ces « yeux de plomb » dissimulés dans les bois, confondus, presque fondus avec les arbres ?
Leurs orbites vides ne regardent pas mais voient. Ezra et Mort se préparent à leur faire face. Ils sont
nombreux et armés de couteaux. Les héros n’ont, eux, que quelques bâtons pour se défendre. Mort
incite Ezra, vieux et maladroit, à attaquer le premier. Il sera là et interviendra ensuite. Ezra a
confiance, il sait que Mort veille et qu’il est immortel. La planche s’achève sur une vignette dans
laquelle le vieillard, autoportrait de Breccia, s’avance au premier plan, brandissant son arme.
Bâtons, forêt, hommes cachés sur fond de nuit… La scène offre des clairs-obscurs, des textures qui
mêlent vêtements et écorces, chapeaux et cimes d’arbres, humain et végétal. Un espace idéal
pour l’expérimentation que Breccia investit en un savant contraste noir et blanc de grattages et
d’éclaboussures. La chevelure de Mort brille au milieu de la nuit. Nous sommes face à l’oeuvre
majeure d’Oesterheld-Breccia.
Antonio Altarriba
Notes
[1] Silvestre (Federico del Barrio, dit), né en 1957, Espagne
Federico del Barrio est l’un des auteurs essentiels du renouveau de la bande dessinée espagnole
des années 1980. Il participe aux expériences novatrices des revues Madriz (1984) ou Medios
Revueltos (1988). Son registre graphique très varié est toujours d’une grande plasticité. Il est
l’auteur de classiques de la nouvelle bande dessinée comme La orilla (1985) ou El artefacto
perverso (1994). Il signe sous le nom de Silvestre ses œuvres d’expression minimaliste.