Apprendre avec le numérique ?

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Apprendre avec le numérique ?
Apprendre avec le numérique ?
Les élèves utilisent mieux que nous le numérique car ce sont des "digital natives". On apprend
mieux avec le numérique car il motive. Et puis il s'adapte mieux aux besoins des élèves .On a
tous entendu ces affirmations. Mais qu'en est-il en vrai ? Dans "Apprendre avec le
numérique" (Retz), Franck Amadieu et André Tricot, tous deux membres du laboratoire Cognition
Langues Langages Ergonomie du CNRS, passent au crible de la recherche 11 propositions
populaires. Et ça fait mal. Car ils démontrent qu'il s'agit de mythes modernes. Faut-il pour autant
jeter le numérique à la poubelle des outils éducatifs inutiles ? Les auteurs ne le pensent pas. Ils
s'en expliquent.
A quelques jours de la publication d'un plan numérique de 800 millions
d'euros, il faut oser remettre en cause l'efficacité du numérique dans
l'enseignement. C'est ce que font André Tricot, professeur en
psychologie et Franck Amadieu, maitre de conférence, dans un petit
livre publié par Retz."Ce petit ouvrage défend un point de vue très
simple : les mythes liés au numérique ont fait beaucoup de mal à la
crédibilité des nouvelles technologies pour l'apprentissage". Ainsi
l'ouvrage analyse 11 mythes numériques qu'il analyse en s'appuyant
sur les travaux scientifiques. Le numérique motive les élèves ? Parfois
oui. Mais c'est sans rapport avec son efficacité. Le numérique permet
un apprentissage plus actif ? Tout dépend du scénario.
Vrais empêcheurs de ronronner béatement, les auteurs nous remettent
les pieds sur terre. "Les outils ne sont que des outils. Quand on leur
assigne cette place alors les outils numériques ont un potentiel
formidable". Car l'ouvrage n'est pas une oeuvre de technophobes. Les
deux auteurs travaillent depuis des années sur les usages éducatifs du
numérique. C'est cette connaissance qui les amène à baliser le terrain
du numérique à l'école. Et à interroger du coup encore une fois les
politiques.
Franck Amadieu, André Tricot, Apprendre avec le numérique. Mythes et rélités, Retz, 2014,
ISBN 978-2-7256-3320-6
André Tricot : Faire confiance
l'utilisation du numérique
aux
enseignants
sur
Le numérique est-il utile ou non pour apprendre ? André Tricot répond à nos questions sur son
ouvrage "Apprendre avec le numérique". Y compris quand nous l'interrogeons sur le plan
numérique de François Hollande...
Vous vous attaquez dans ce livre à 11 mythes sur le numérique. Par exemple celui des Digital
Natives.
Derrière cette affirmation des Digital Natives, il y a une littérature
fondée sur aucune donnée empirique. L'article de Prensky relève de
l'opinion. Surtout on confond le fait que les personnes qui utilisent un
ordinateur apprennent à effectuer des tâches spécifiques avec l'idée
que cela donne des qualités spécifiques individuelles. Par exemple on
sait que ceux qui jouent beaucoup aux échecs deviennent bons au jeu
d'échec. Cela ne les rend pas plus intelligents.
Autre affirmation, le numérique motiverait les élèves. Qu'en
pensez-vous ?
Les résultats corroborent davantage cette affirmation. Assez souvent, mais pas
systématiquement, c'est le cas. Le problème c'est que ce n'est pas parce qu'on est plus motivé
qu'on apprend de façon plus efficace. Motiver l'élève est une condition nécessaire mais pas
suffisante. Ce qui est important c'est la qualité du scénario pédagogique de l'enseignant. L'élève
n'est pas toujours le meilleur évaluateur de la pertinence d'un outil pour apprendre.
Dernière affirmation : le numérique permet d'adapter l'enseignement aux élèves. Vous
dites ?
Je travaille précisément cette question, celle des tuteurs intelligents, depuis des années. Et c'est
décevant. Il y a bien une capacité des systèmes numériques à diagnostiquer les erreurs des
élèves et à s'y adapter. Mais les résultats sont modestes. Cela reste fruste.
Finalement ne demande-t-on pas au numérique de régler tous les problèmes de l'Ecole ?
Je le crois. On lui prête des vertus miraculeuses. Mais le numérique n'est qu'un outil. N'attendons
pas de lui plus que ce qu'il est. Par contre, quand on a compris cela, on peut avoir des attentes
rationnelles.
Une question n'est pas abordée dans le livre et je m'en étonne. C'est la question sociale. Le
numérique augmente-t-il ou diminue-t-il les inégalités scolaires liées aux inégalités sociales ?
C'est une question que nous ne soulevons pas car là on n'est pas dans le mythe. Je suis
convaincu que l'Ecole doit compenser les inégalités numériques. Effectivement quand on a un
ordinateur à la maison on apprend à réaliser certaines tâches. Si on n'en a pas, on crée un coût
social. Les enquêtes semblent montrer que ce facteur perd de l'importance. Mais du coup ceux qui
sont exclus du numérique sont encore plus à part.
L'ouvrage n'aborde pas la question de la culture numérique. L'école peut-elle se passer du
numérique et de l'apprentissage de cette culture ?
L'école doit faire acquérir cette culture numérique. Par exemple il faut faire acquérir aux élèves
les capacités à évaluer l'information qu'ils n'acquièrent pas simplement en utilisant tous les jours
l'ordinateur. Etre un usager ne suffit pas. Il y a bien des compétences numériques à acquérir. Et
l'école sert justement à apprendre ce que le seul fait de grandir ne permet pas d'apprendre.
N'a-t-on pas des études qui montrent qu'on peut apprendre mieux avec le numérique ?
Bien sûr que oui. Il y a des apprentissages plus efficaces avec le numérique. Mais à chaque fois il
faut être précis. C'est tel apprentissage avec tels élèves dans tel contexte. On sait par exemple
que les images animées ou les simulateurs permettent une compréhension meilleure. Mais à
condition de permettre aux élèves d'apprendre d'abord des connaissances sur les systèmes qu'ils
ont à apprendre. Il y a des bénéfices mais ils sont spécifiques.
Cette semaine le président de la République va annoncer un plan numérique doté de 800
millions d'euros visant à généraliser l'usage des tablettes à l'école et au collège. Vous en
pensez quoi ?
C'est important d'avoir une politique de moyens. Mais ce n'est qu'une politique de moyens. En soi
ça ne règle aucun problème. Ca ne prend de la valeur que si on a des idées précises sur ce qu'on
va en faire. Il ne faut pas en attendre des miracles. Il faut d'abord faire confiance aux
enseignants sur l'utilisation qu'ils peuvent faire de ces moyens. Et il faut investir dans leur
formation et des travaux sur l'évaluation des plus values spécifiques apportées par les outils
numériques. Au final ce sont les enseignants sur le terrain qui sont les meilleurs juges à
condition qu'ils soient formés. Débarrassés de l'idée angélique du numérique miracle ou de l'idée
réactionnaire du diable numérique, il faut essayer d'être rationnel avec le numérique.
Propos recueillis par François Jarraud