séquence poésie corrigé dissert poésie 1e

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séquence poésie corrigé dissert poésie 1e
Le poète Eugène Guillevic parle souvent dans son œuvre de la « douceur des
mots » (« Douceur » in Terre à bonheur, 1952) et affirme, dans son
recueil Terraqué que les mots peuvent apaiser le monde, puisqu’avec eux, écrit-il :
« Nous liquiderons la peur /De la nuit/ Nous ferons du jour plus tendre ».
Croyez-vous comme lui, que le langage poétique puisse avoir quelque pouvoir sur le
monde et la vie ? Vous répondrez dans un développement argumenté et étayé par
des exemples.
Paul Valéry, souvent considéré comme le chef de file d’une poésie travaillée et
professionnelle, sûre de sa valeur et de son existence, avait pourtant déclaré dans sa leçon
inaugurale au collège de France en 1937 que l’œuvre (poétique) était un « objet [qui] n’a
aucune prise sur nous ». Il voulait alors surtout justifier l’absolue maîtrise du sujet sur son
objet mais enlevait aussi à ce dernier de facto toute possibilité d’agir.
Faut-il comprendre que la poésie ne peut rien ? Quelle ne prétend à rien et qu’elle n’a rien à
réclamer ?
Comment alors expliquer que tout un groupe de poètes autour d’Eluard ait brandi contre
Benjamin Péret quelques années plus tard une poésie dotée de devoirs, de missions, et
même, de puissance (L’honneur des poètes, en réponse au Déshonneur des poètes) ? Avec
Eluard on accède en effet, quelques années après Valéry, à un spectaculaire retournement
de situation : la poésie pourrait non seulement distraire, orner, mais aussi, surtout, batailler
et agir sur le monde et la vie, notamment pour « liquider », comme l’écrit Guillevic grand
ami et admirateur d’Eluard, « la peur de la nuit ».
Voyons alors que la poésie, évidemment ne se pose en concurrente du réel, où le
combat serait perdu d’avance, mais qu’elle peut intervenir sur la vie et la pratique du poète ;
enfin il sera temps de démontrer que la poésie qui ne peut rien a priori et demeure une
force de l’esprit, peut se révéler comme le disait Césaire, dans le temps et l’espace large du
monde, une « arme miraculeuse ».
Certes, croire que la poésie change radicalement le monde est utopique.
La poésie n’empêche ni les massacres ni les désastres La célébration du genre
poétique par JP Sartre (romancier et dramaturge mais en aucun cas poète) selon laquelle le
poème bonifierait et transformerait le monde (le poème rendrait, écrit-il, « l’éternité d’un
instant ») reste une utopie, une belle utopie. Derrière les prétentions ou les déclarations
d’intention de la poésie demeure le réel avec toute sa force brutale. La poésie ne prémunit
pas des drames et des injustices, comme en feront les frais divers poètes résistants comme
Garcia Lorca (retrouvé, torturé, assassiné par les Franquistes) ni ne garde de la mort (comme
en témoignent les suicides, assez répandus chez les poètes : Celan, Gherasim Luca, Cesare
Pavese…). LA poésie du poète peut ne pas ignorer d’être lucide d’ailleurs, comme on peut le
voir à la lecture des titres des recueils de Pavese : la mort viendra et elle aura tes yeux ou
encore, le métier de vivre. Ces deux recueils annoncent d’emblée leur ton pessimiste si ce
n’est fataliste et radical. La difficulté de la vie ne se laisse pas adoucir par quelques vers et
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quelques tropes sur une page. La page reste, avec ces poètes, inférieures à la vie et ce serait
même un impardonnable péché d’hybris ou bien une terrible erreur de jugement que
d’ignorer la difficulté existentielle derrière la facilité créatrice.
La poésie reste de la poésie. Elle ne consiste qu’en des mots, difficilement audibles
dans une société en pleine mutation, consumériste et elle n’échappe pas à l’incertitude que
connaît toute énonciation La poésie a non seulement face à elle la masse de la vie humaine
avec laquelle elle ne saurait rivaliser, mais elle doit aussi composer avec l’histoire. Elle reste
un art relativement fixe et inadapté aux mutations, même déconnectée par rapport à une
société en évolution. Ainsi, au cadre familier et immuable du sonnet, Bosquet oppose dans
son très amer recueil Sonnets pour une fin de siècle une foule d’objets triviaux (des meubles,
par exemple). Le poème ne résout rien, mais surtout, ne peut rien. Il n’a pas sa place dans le
monde réel et ses nécessités, comme le constate un des personnages de Camus dans sa
pièce « Les Possédés » : « Il faut aller au plus pressé. Le plus pressé, c’est d’abord que tout le
monde mange. Les livres, les salons, les théâtres, plus tard, plus tard…Une paire de bottes
vaut mieux que Shakespeare. »
Pour autant, la poésie a la faculté de changer tout du moins le poète, dans sa vie
comme dans sa pratique (c’est-à-dire dans son rapport à son objet). La poésie, selon Ponge,
ne devait surtout pas consister en un « ronron » ou une mécanique. Chargée d’une mission
autrement plus noble, elle avait la tâche rien de moins que donner à chaque homme une
« raison d’être heureux ». La question est alors, que faire de ce mieux ou bien-être ? Le
garder ? Le partager ? S’en servir comme d’un lien renouvelé avec le monde environnant ?
En tous les cas, la poésie, dans ce cas, a bien une valeur et de là, un devoir, de là, un pouvoir.
La poésie peut revêtir une fonction thérapeutique de l’expression de soi, une des
fonctions de tout art selon Aristote dans sa Poétique: On pense aux recueils–résiliences tels
que Les Contemplations écrit pour surmonter « l’abîme, le tombeau » qui se tient désormais
en gouffre central dans la vie de Victor Hugo à partir de l’année 1843. Le poète Jacques
Roubaud trouvera à son tour avec Quelque chose de noir un moyen de se laver de la douleur,
puisque son recueil publié en 1986 est le lieu d’expression et de résolution du double deuil
(le suicide de son frère, la mort de sa jeune épouse) qui le frappe. Si tout art peut se charger
de ce travail curatif, pourquoi la poésie est-elle si souvent mise à contribution ? Sans doute
parce que sa déstructuration relative, son jeu très agile avec des images combinées entre
elle permet d’explorer des zones de soi qu’une structure romanesque ou dramatique ne
permettraient pas d’expérimenter. Ainsi, le vide qui entoure les quelques mots des pages de
Jacques Roubaud font se correspondre d’autant plus efficacement le vide intérieur et le vide
textuel. Parce que de la même façon chez Hugo le démantèlement de l’alexandrin (d’abord
inscrit dans une esthétique romantique provocatrice de jeunesse) prend sens avec
l’éclatement du rythme intime de la vie du poète qu’a été la mort de l’enfant, éclatement
qui trouve donc sa manifestation idéale dans le dodécasyllabe malmené des Contemplations.
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Au-delà du rôle profondément intime qu’elle peut jouer, la poésie agit également sur le
métier, sur la fonction du pète. Elle redonne de la dignité à sa fonction de poète et à son
monde réel le plus trivial et concret. Elle réhabilite. Elle purifie aussi, comme le soulignait
Mallarmé qui voyait en elle un moyen de « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ».
En incarnant une certaine perfection, elle se permet d’avoir des incidences sur un monde
auquel elle n’est pas insensible. La poésie de Ponge refusant elle l’impudeur des
« effusions », veut prendre « le parti pris des choses » (1942). Mais s’il veut faire du « monde
muet [sa] seule patrie », c’est pour mieux relier les hommes entre eux. Les objets
redécouverts doivent alors fédérer des hommes qui se redécouvriront aussi par cette
occasion. Le lecteur est invité à rentrer « de plain-pied », à « circuler librement » dans ce
monde reconstitué et redevenu fréquentable car rendu à sa nature profonde par les mots de
la description adéquate. Ce lien fait de respect et de reconnaissance réciproque entre objet
et sujet doit permettre au poète de revenir à l’essence de tout, les choses, les objets et luimême. Le poète pourra alors, ce travail de reconquête accompli, de nouveau « tirer parti de
l’éternité d’une olive » (René Char, Fureur et mystère). Toute une tradition de poètes de
l’objet et du minéral (Ponge, Guillevic) ainsi que de poètes du quotidien (Georges Perros dont le recueil principal porte le titre évocateur de La vie ordinaire-, Jacques Réda) va faire
de la poésie un artisan efficace au sein du réel. A défaut de changer le monde, la poésie va
effectivement dans ce cas, l’apprivoiser ou comme le dirait Guillevic, l’adoucir.
Croire que la poésie ne change rien au monde serait irresponsable et illusoire. Le fait
est que la poésie a changé quelque chose du monde, déjà.
La poésie a déjà eu un impact historique dans des cas isolés mais marquants : on sait le rôle
actif joué par la poésie d’Eluard dans la fédération des forces alliées et le soutien moral
apporté, chacun ayant en tête l’anecdote du parachutage par la Royal Air Force du poème
« liberté » en 1943, à un tournant décisif de la seconde guerre mondiale alors que les Alliés
étaient en pleine reconquête territoriale. De la même façon, la poésie a su jouer de sa
tradition oratoire et sa capacité à marteler le verbe, à prophétiser aussi au moyen de divers
effets rhétoriques tant rythmiques que lexicaux, se faisant l’égale d’imprécations dans la
bouche des porte-paroles de la Négritude : Senghor, Césaire et surtout Léon-Gontran
Damas. Chez ce dernier particulièrement, dans à sa fulgurance, son efficacité, délestée des
obligations formelles (les paragraphes, la syntaxe à respecter…), misant tout sur la surprise
dans la brièveté ou bien sur les sonorités, la poésie devenue outil politique peut se
confondre avec l’art du slogan.
Elle reste en outre insoupçonnable (ou « insoupçonnée » dirait René Char, voir le recueil
éponyme), et donc d’autant plus apte à séduire sans avoir l’air de convaincre. Cocteau ne
dira-t-il pas en tête de son recueil Clair-Obscur que la poésie est une « langue à part, que les
poètes peuvent parler sans crainte d’être entendus » (1954) ? Pas étonnant dès lors que
durant l’Occupation, entre 1940 et 1944 les Résistants aient été le plus souvent des poètes.
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Leur langue « bizarre », fantasque, n’a pas éveillé les soupçons des autorités et la poésie est
devenue le passeur, la contrebandière idéale d’idées subversives, au service de la Liberté.
Elle a alors assumé son rôle de résistante (parfois de martyr) et a œuvré à ré-héroïser un
monde déchu ou menacé. La poésie de combat est ce redonne au monde une prétention
héroïque. Elle permet en plein amoindrissement, grâce aux images, aux tours rhétoriques,
de se ré-emparer d’un patrimoine, dont la virtuosité échappe à l’oppresseur, en assumant
une double dimension politique et épique, comme dans les recueils d’Aragon les Yeux d’Elsa
ou plus encore, la Diane française (au titre à la fois mythologique, guerrier et patriotique).
Dans ce cas-là, dans le cas du poème engagé, Guillevic a raison de considérer en préalable
que « puisque le mot c’est du sang » (« Rites », in Exécutoire), cette poésie-là, très active,
très puissante, comporte un risque, et vaut aussi pour arrêt de mort, tout en faisant vivre
l’idéal du poète.
Que la poésie puisse agir sur la vie et le monde semble insoutenable si l’on admet la
dimension prosaïque de la vie humaine (la poésie ne sert ni à manger ni à marcher ni à
survivre en temps de guerre) mais l’assertion contraire est tout aussi indéfendable : ignorer
sa place dans l’homme, dans le poète, dans l’Histoire relève d’un profond négationnisme,
justement parce que l’homme n’est pas cet animal purement physique et mécanique. Pour
faire « presque partir la peur » en reprenant les termes de Guillevic dans Exécutoire ou bien
pour donner du sens à un combat. D’ailleurs il est indicatif que les chefs politiques et
militaires les plus autoritaires s’en prennent souvent en premier aux poètes, pas si
inoffensifs que cela, donc, comme Hugo le rappelle dans son poème « Un grand sabre serait
d’utilité publique » (in Toute la lyre, 1873). Une poésie même capable parfois de mettre en
danger celui qui la créé donne là la preuve de son pouvoir, un pouvoir à la fois ridiculement
mineur et monstrueusement majeur, c’est-à-dire un presque rien qui compte pour
longtemps, ce que René Char résume en désignant la poésie par ses « traces ». (La parole en
archipel, 1962).
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