A quoi sert vraiment l`impôt ?
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A quoi sert vraiment l`impôt ?
DOSSIER FISCALITÉ A quoi sert vraiment l’impôt ? HERVÉ LEHÉRISSEL* L La fiscalité, en France comme ailleurs – et sans doute plus qu’ailleurs – est devenue un instrument à tout faire. Sa finalité originelle, financer la dépense publique, est perdue de vue parce que la décision budgétaire, en suivant sa propre logique politique, tend à s’affranchir de la contrainte fiscale. Sa fonction de régulation de l’activité est illusoire dans les pays à fort déficit public. Son rôle incitatif est rarement efficace et parfois ambigu, par exemple en matière de protection de l’environnement. L’interventionnisme fiscal n’est pas condamnable en soi, ni nécessairement voué à l’échec, mais exige prudence et transparence. L Sociétal N° 33 3e trimestre 'impôt a-t-il pour finalité unique le financement des dépenses publiques, ou doit-il également contribuer à la réalisation d'autres objectifs ? Ce débat traditionnel paraît s'être éteint. Face aux tenants de la neutralité de l'impôt, l'interventionnisme fiscal s’est imposé comme une évidence : la fiscalité est là, non seulement pour 2001 * Avocat, associé de Andersen Legal. 50 financer les dépenses publiques, mais aussi pour contribuer à la régulation de l'économie, procéder à une redistribution sociale, encourager les comportements écologiques... Cette évolution est certainement liée au dépérissement des autres outils de régulation traditionnels des Etats, du fait de la construction européenne et de la mondialisation : la fiscalité devient l'outil privilégié d'intervention. Toutes ces finalités sont-elles légitimes ? Sont-elles de même niveau ? Sont-elles compatibles ou concurrentes ? RÉHABILITER LA FINALITÉ BUDGÉTAIRE L 'impôt est avant tout destiné à financer les dépenses publiques. C'est la seule justification que lui donnent les textes constitutionnels, à commencer par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Article 13 - Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés. Article 14 - Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. » Aujourd’hui, pourtant, cette évidence semble bien oubliée. En A QUOI SERT VRAIMENT L’IMPÔT ? premier lieu, la pratique durable, aujourd'hui, réhabiliter la finalité dans différents pays et notamment budgétaire de l'impôt. en France, de déficits colossaux des finances publiques a réduit la LE DÉCLIN DE LA portée du rôle budgétaire de NEUTRALITÉ FISCALE l'impôt. Elle a puissamment ès lors qu'une dépense supcontribué à affranchir la décision plémentaire est à financer, budgétaire de la prise en compte le choix des modalités du prélèvedes contraintes fiscales. En effet, ment correspondant devrait être dès lors qu'elle peut être financée opéré d'abord en fonction de son par le déficit, la dépense n'a plus impact économique. L'impôt se de lien mécanique avec l'impôt. nourrissant de l'économie, un TréElle peut être arbitrée en foncsor public normalement soucieux, tion du jugement porté sur sa non seulement de ses responsabiseule utilité publique supposée, et lités, mais simplement de sa richesse non en comparant cette utilité future, devrait veiller à réduire avec la destruction de richesse autant que possible l'impact privée (et donc la « désutilité ») négatif inévitable que représente l'impôt. du prélèvement sur C'est seulement a En Europe, et l'activité. posteriori, du fait des notamment en France, limites internes et exla régulation Or, le poids de cette ternes que rencontre considération dans le déficit public, que la conjoncturelle par la la décision fiscale relation entre dépense fiscalité est restée un est en nette régreset impôt se trouve pur discours – le sion. De très grands rétablie, les recettes progrès avaient été fiscales devant être niveau des impôts accomplis au milieu ajustées à la dépense, résultant uniquement du XXe siècle avec c'est-à-dire augmendes limites de notamment l'introtées. l’acceptable par la duction de la taxe sur la valeur ajouC e t t e d é m a r c h e société civile. tée, qui a mis un quelque peu primitive terme aux distorsions éconoretarde l'émergence de politiques miques considérables résultant publiques de qualité, qui devraient des impôts sur la consommation intégrer la contrainte de compéen cascade pratiqués antérieuretitivité du pays et utiliser les ment. Mais, depuis une vingtaine progrès des techniques d’aide à d'années (en France du moins), mila décision pour mesurer et nimiser les inconvénients éconocomparer systématiquement miques de l'impôt n'apparaît plus l'utilité de la dépense et la comme une priorité. Ainsi ont pu désutilité de son financement. se développer des formes de préL'indépendance complète de la lèvement entraînant une destrucrecette et de la dépense était au tion de richesse sans commune départ un principe de droit budmesure avec le produit fiscal obgétaire, conçu pour éviter les tenu. L'expérience de l'impôt sur la gaspillages (la nécessité de la fortune est à cet égard instructive, dépense publique doit être de même que la pratique de taux établie indépendamment des marginaux très élevés d'imposition capacités du pays à la financer). Ce des revenus. principe a été retourné par une trop longue pratique du laxisme Plus récemment, la restriction budgétaire : il est devenu, en se progressive de l'avoir fiscal au vulgarisant, une source de détriment des seules sociétés a confusion intellectuelle et de illustré cette dérive. Cette mesure moindre efficacité. Il faut donc, D met un terme à la neutralité de l'impôt au regard des différents types de structures que peuvent adopter les entreprises (surcroît d'imposition pour les chaînes longues de détention). Corrélativement, l'avoir fiscal est maintenu intact pour les particuliers, alors que les contraintes de neutralité et de logique fiscale sont ici moins lourdes. LES FINALITÉS ÉCONOMIQUES : UN BILAN TRÈS INÉGAL I l paraît certes légitime que l'Etat mette la fiscalité au service de la régulation de l'économie. Mais tout interventionnisme doit être jugé sur son bilan. Or, dans ce domaine, la sophistication excessive des intentions semble avoir perverti le sens pratique. Tout d’abord, le mythe de la régulation conjoncturelle globale par la fiscalité occupe inutilement le terrain des idées. Pour qu'un commencement d'expérimentation ait lieu, il faudrait qu'un gouvernement décide de baisser les impôts en bas de cycle, ou d'ajuster leur augmentation en haut de cycle, en fonction des besoins de régulation conjoncturelle. L'expérience en cours aux Etats-Unis sera intéressante à cet égard. En Europe, en revanche, cette régulation conjoncturelle est restée un pur discours – notamment en France, où le niveau des dépenses publiques résulte uniquement de l'utilité publique supposée de la dépense (quand ce n'est pas, plus simplement, des dernières promesses électorales), et celui des impôts des limites de l'acceptable par la société civile. De plus, là encore, la pratique de déficits publics élevés vide largement de contenu la notion de régulation conjoncturelle par l’impôt, puisqu'une telle régulation pourrait tout simplement résulter du pilotage du déficit. Sociétal N° 33 3e trimestre 2001 51 DOSSIER FISCALITÉ ont procédé à des ajustements Quant aux incitations fiscales structurels plutôt qu'à des mesures ponctuelles, liées à tel ou tel comincitatives ciblées. portement, diverses expériences montrent qu’elles peuvent réussir lorsque l'avantage est significatif LA REDISTRIBUTION EST(défiscalisation des investisseELLE UNE FIN EN SOI ? ments outre-mer en 1986, régime a finalité sociale de l'impôt a des quirats en 1995). Elles montrent pris une importance croissante aussi que ces succès font peur, au fil des années : la redistribution et conduisent généralement à apparaît aujourd'hui comme l'alpha remettre en cause des dispositifs et l'oméga de toute politique jugés trop avantageux. L'idéal fiscale. Elle tend même, dans le implicite de nos politiques dediscours des politiques et des meure, en définitive, la mesure médias, a devenir la finalité princifiscale incitative ciselée pour être pale de l'impôt. Corrélativement, inefficace. Les techniques optimales la simulation destinée à mesurer à cet égard sont les suivantes : une l'impact de la meincitation à objet très sure projetée selon large, un effet limité Dans la redistribution les catégories soet variable dans le ciales est devenue temps, et un plafon- fiscale telle que nous l'ingrédient princinement en valeur la pratiquons, la pal, voire unique, de absolue de l’avantage performance est la décision fiscale. accordé. De telles Est bonne la memesures permettent mesurée par le volume sure qui favorise d'alimenter les dis- prélevé sur les les catégories socours électoraux, « plus favorisés », ciales modestes. On sans priver le Trésor et non par le volume comprend que cette de ressources. vision engendre une redistribué aux extrême perplexité Il y a cependant des « moins favorisés ». lorsqu'on met en exceptions. Ainsi, la chantier des ajustepolitique fiscale menée ments structurels tels que la par les gouvernements successifs en baisse de taux marginaux jugés faveur du développement du excessifs… capital-risque (SCR1 et FCPR2 ) a doté notre pays d'un des régimes les plus incitatifs au monde, même La redistribution sociale est-elle s'il est parfois excessivement une finalité normale de l'impôt ? Il complexe. Les pouvoirs publics est permis d'en douter. Tout ont ainsi contribué à corriger d'abord, au plan des principes, une une faiblesse traditionnelle de la telle conception constitue une France. sorte d'attentat intellectuel aux droits fondamentaux du contriMais cet exemple montre aussi les buable. Le principe d'égalité devant limites de la mesure incitative l'impôt peut s'incarner dans des ciblée. Elle a permis un frémisseacceptions diverses (égalité des ment certain du capital-risque en prélèvements, égalité des sacrifices France, mais le dispositif, pour être justifiant la progressivité...), mais plus efficace, nécessiterait notamsuppose que l'objet de l'impôt soit ment une amélioration structurelle de financer des actions utiles à la de l'environnement réglementaire collectivité, et pas uniquement et fiscal français. La comparaison d'appauvrir les uns pour enrichir des expériences nationales montre les autres. Le fondement même du que les pays qui ont tiré le plus de consentement à l'impôt se trouve bénéfices économiques de leurs intellectuellement détruit si la politiques fiscales sont ceux qui finalité même de l'impôt est de L 1 Sociétés de capital-risque. 2 Fonds communs de placement à risque. Sociétal N° 33 3e trimestre 2001 52 corriger la position sociale du contribuable. Certes, ces contradictions ne sont plus ressenties aujourd'hui, tant est forte l'adhésion aux concepts de la redistribution. Elles n'en contribuent pas moins, de manière souterraine, à détruire les fondements mêmes de l'impôt. Par ailleurs, la redistribution fiscale telle que nous la pratiquons obscurcit sa propre finalité. Elle tend à mesurer la performance sociale d'une politique en fonction du volume prélevé sur les « plus favorisés », et non en fonction du volume redistribué aux « moins favorisés » (la France est en haut du classement pour le prélèvement, mais non pour la redistribution aux plus pauvres, qui est plus importante aux Etats Unis) – sans parler de l'effet durable sur les comportements, qui n'est ni mesuré ni étudié. Or une politique sociale devrait se juger sur les bénéfices concrets procurés aux « moins favorisés », et non sur le volume redistribué. En France, en réalité, la finalité sociale de l'impôt en cache une autre. Si les prélèvements sur les plus riches sont sans cesse accrus sans amener d'amélioration véritable de la situation des plus pauvres, ce ne peut être par perpétuel accident. Si la finalité sociale est aussi omniprésente, est-ce à cause de ses mérites propres, ou pour sa capacité à faire reculer les limites de l'acceptabilité des prélèvements ? Sortir de ce piège intellectuel n’implique pas qu’on renonce à améliorer la situation des plus démunis, bien au contraire. C'est en remettant leur situation au cœur de la décision, au lieu de l'idéal de la « redistribution en soi », que la France pourra progresser à la fois dans l'efficacité de ses politiques sociales et dans la maîtrise de ses prélèvements. A QUOI SERT VRAIMENT L’IMPÔT ? LA FISCALITÉ ÉCOLOGIQUE : UNE VOCATION AMBIGUË L a véritable nouveauté, dans le domaine de l’interventionnisme fiscal, est l’apparition de la finalité écologique, avec notamment la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) et la taxe sur l'énergie, pour l'instant avortée en raison de la censure du Conseil constitutionnel. Là encore, on ne voit pas d'objection fondamentale à mettre l'impôt au service de finalités écologiques. C'est même une véritable cure de jouvence, pour cette très vieille discipline qu'est la fiscalité, que d'avoir enfin trouvé une assiette « condamnable », que l'on peut donc taxer, non sur le mode du mal nécessaire, mais sur celui du bien en soi. Sur le plan technique, en revanche, la finalité écologique conduit la fiscalité à s'intéresser de nouveau à des assiettes physiques, complexes à mesurer et à contrôler, et qu'elle avait peu à peu abandonnées par souci d'efficacité. Mais la principale innovation de ce nouveau type de fiscalité est son caractère en principe « biodégradable ». Dissuasif par nature, l'impôt écologique doit, s'il réussit, voir son assiette régresser à mesure de l'adoption de comportements et de techniques moins polluantes. L’idée est, a priori, vertueuse et séduisante. Hélas, ses premières réalisations suscitent de forts doutes sur sa cohérence, voire sur sa finalité véritable. Tout d'abord, la théorie dite du « double dividende », chère aux promoteurs de l'impôt écologique, conduit à affecter les ressources ainsi collectées, non pas à des actions en faveur de l'environnement, mais au financement par le budget général d'autres actions, en faveur de l'emploi. Le résultat est paradoxal : l'écotaxe a d'abord abouti à supprimer des crédits disponibles pour l'environnement, puisque la TGAP s'est substituée en partie à des taxes perçues antérieurement. D'autre part, cette non-affectation est en contradiction flagrante avec le caractère biodégradable de l'écotaxe : si elle finance des actions nécessaires indépendamment du degré de pollution, que se passerat-il lorsque les recettes déclineront du fait de l'adoption de meilleurs comportements environnementaux ? Faudra-t-il supprimer les actions financées, même si elles demeurent nécessaires, ou inventer des recettes de substitution ? Ainsi, la théorie du « double dividende » porte un coup sévère au caractère novateur, vertueux et séduisant de l'écotaxe. D'autre part, comme l'a relevé (et sanctionné) le Conseil constitutionnel, une tendance apparaît, dans la mise en œuvre, à choisir des assiettes en réalité sans rapport avec la pollution, ou du moins qui ne varient pas en fonction du caractère plus ou moins polluant des comportements et techniques. Le projet de taxe sur l'énergie, annulé en décembre dernier, ne permettrait en aucune manière aux contribuables d'alléger la charge fiscale en polluant moins, et n’établit même aucune distinction entre les sources d'énergie en fonction de la pollution qu’elles engendrent. Le rapprochement de ces deux « maladies infantiles » de l'écotaxe fait naître un doute. Si l'on affecte la recette à des dépenses permanentes, et non à l'environnement, tout en s'efforçant de retenir des assiettes indépendantes des comportements polluants, ne serait-ce pas parce que le but ultime recherché est autre que la réduction de la pollution ? La finalité écologique serait-elle, elle aussi, une ruse destinée à reculer les limites d'acceptabilité des prélèvements par la société civile, à la faveur de l'adhésion spontanée des citoyens à l'objectif de défense de l'environnement ? IMPÔT OPTIMAL OU IMPÔT PUNITIF ? T oute réflexion sur la « bonne » fiscalité doit donc soigneusement distinguer deux questions : quelle est la finalité de l’impôt en tant que telle ? Et quel est le mode de taxation optimal du point de vue de l’intérêt collectif ? La seule véritable finalité de l'impôt demeure le financement des dépenses publiques. Seule la nécessité de couvrir ces dépenses peut justifier, sur le plan moral, que la collectivité impose aux citoyens le sacrifice d'une partie de la richesse qu'ils produisent ; et, en termes de gestion collective, que le pays accepte les désutilités économiques lourdes que représente l'impôt. Contester ou relativiser la finalité budgétaire de l'impôt c'est, au fond, faire de l'impôt une fin en soi, une sorte d'acte sacrificiel. Certes, nul ne revendique ouvertement cette approche, mais elle est bel et bien présente, telle une image subliminale, dans de nombreux discours et commentaires. L'impôt ne doit pas être la continuation, par des moyens plus pacifiques, d’une guerre, perdue sur le terrain de l’affrontement politique, contre l'ordre social des sociétés libres. Exprimer des réticences de principe à la limitation du fardeau fiscal, indépendamment de tout besoin budgétaire précis, c’est révéler une conception guerrière et fort peu démocratique des relations entre société civile et société politique. En revanche, dans la mise en œuvre du prélèvement public, les gouvernements ne sauraient s'interdire de rechercher un optimum collectif. Ils doivent, d'abord, rechercher la neutralité fiscale, en minimisant les Sociétal N° 33 3e trimestre 2001 53 FISCALITÉ DOSSIER dégâts économiques de l'impôt. C'est à la fois l'intérêt du pays (pour préserver la création de richesses) et celui de l'Etat (pour sauvegarder ses recettes futures). La France, on l’a vu, a encore des progrès à faire dans ce domaine. VERS UNE DÉONTOLOGIE DE L'INTERVENTIONNISME Q uant aux inter ventions fiscales positives (qu'elles soient économiques, sociales ou écologiques), elles ne soulèvent pas d’objection de principe. Mais elles supposent l'observation d'une certaine déontologie. Tout d'abord, une exigence d'humilité. La société et l'économie sont complexes et mouvantes. Les démarches mécanistes, qui mettent la fiscalité au service d'objectifs théoriques simples, mais ignorent le contexte et les comportements d'adaptation, aboutissent le plus souvent à des résultats fort éloignés de ceux qu’ils visaient. La recherche d’une gestion publique de qualité et d'un interventionnisme « vertueux » devrait être le chantier prioritaire des responsables publics. Elle suppose la capacité de modéliser, puis de mesurer le résultat de l’action. Le rituel rapport au Parlement sur les dépenses fiscales appartient à la préhistoire d’une évolution qui reste à accomplir. Les cotisations sociales sont-elles des impôts ? Les cotisations sociales ont d’abord été les contreparties d’une assurance ou d’une prestation. Mais leur évolution au cours des dernières décennies leur donne de plus en plus le caractère d’impôts supplémentaires sur les revenus du travail. Cotisations sociales et impôts constituent deux catégories juridiques assez largement distinctes, même si le cas de la CSG jette le trouble sur la netteté de la frontière. Les impôts et taxes sont perçus par le fisc et le Trésor public, selon des règles données pour leur établissement et leur recouvrement. Les cotisations sociales sont prélevées par les Urssaf et les Assedic selon d’autres règles. Sociétal N° 33 3e trimestre 2001 54 Les cotisations sociales et les impôts ont cependant un caractère commun, celui d’être obligatoires. Dès lors que quelqu’un poursuit une activité et en retire un revenu, il n’échappe, sauf à se mettre en opposition à la loi et à encourir des sanctions, ni au paiement de cotisations sociales sur ce revenu d’activité ni au paiement de l’impôt sur le revenu. Le caractère obligatoire des cotisations sociales suffit-il à les ranger, du point de vue économique, dans la même catégorie que les impôts ? Une cotisation sociale sur les salaires ou les revenus d’activités non salariées a-t-elle les mêmes effets économiques qu’un impôt sur le revenu du travail ? On ne peut répondre à cette question sans prendre en compte les contreparties auxquelles les cotisations donnent droit. Si le fait d’acquitter une cotisation sociale donnait accès à une assurance que le travailleur aurait souscrite de toutes façons, ou à des prestations d’une valeur équivalente à celle de la cotisation, l’ensemble constitué de la cotisation et de sa contrepartie n’aurait pas d’effet économique : en réponse à l’imposition de la cotisation, assortie de sa contrepartie, le travailleur diminuera simplement sa consommation libre d’assurance ou diminuera sa consommation libre du produit objet de la prestation. La cotisation ne devrait ainsi pas être considérée comme équivalente à un impôt. L’obligation d’assurance existe pour protéger la société de l’imprévoyance de certains ou de la situation d’aléa moral dont d’autres pourraient être tentés de profiter : par exemple, ne pas s’assurer contre le risque d’être en vie et sans ressources au vieil âge, en pensant pouvoir compter la compassion de la société ou l’assistance de l’Etat. En 2001, force est de constater que les cotisations sociales en vigueur en France ne répondent pas à A QUOI SERT VRAIMENT L’IMPÔT ? Deuxième exigence, la transparence des objectifs. C'est une condition fondamentale d'efficacité, car l'incitation fiscale s'adresse à des êtres doués d'intelligence et non à des choses. Les comportements d'adaptation et d'optimisation, dans une société libre, auront toujours raison des mesures fiscales empreintes d'arrièrepensées. La transparence est d'ailleurs, dans le domaine fiscal, une sorte de clé universelle : après tout, aucune finalité imaginable de l'impôt ne peut être a priori exclue. Les hommes sont libres et peuvent décider comme ils l’entendent des objectifs qu'ils lui assignent. cette description et ne sont, pour l’essentiel, ni plus ni moins que des impôts sur le revenu du travail. Ceci ressort de l’analyse des quatre grands « risques » qu’elles sont censées couvrir : maladie, famille, chômage et retraite. Les cotisations à l’« assurance » maladie ne donnent pas réellement accès à une assurance, puisque celleci est désormais systématiquement octroyée aux résidents, sans condition de cotisation et à des conditions de remboursement souvent plus avantageuses pour les non-cotisants (couverture maladie universelle). Les cotisations maladie sont par ailleurs proportionnelles (et même progressives compte tenu des ristournes sur les bas salaires), alors que les prestations n’ont pas de lien avec le revenu. C’est donc bien à un impôt que l’on a affaire. Les cotisations « famille », proportionnelles au revenu d’activité (progressives au bas de l’échelle des salaires), financent des prestations qui n’augmentent pas avec ce revenu. Au contraire, une partie de plus en plus importante, et aujourd’hui prépondérante, des prestations familiales sont attribuées sous conditions de ressources. On peut donc ranger les cotisations « famille » dans la catégorie économique des impôts sur le revenu du travail. L’analyse des cotisations « chômage » et « retraite » est un peu plus délicate et son résultat plus nuancé. Les indemnités versées par le régime d’assurance chômage progressent en effet avec le salaire soumis à cotisation. Mais elles comportent aussi une partie fixe substantielle. Surtout, les cotisations ne tiennent pas compte de la probabilité d’être au chômage, laquelle décroît sensiblement en fonction du niveau de qualification et donc largement de la position dans l’échelle des revenus. La formule de calcul est donc très éloignée de celle que donnerait le calcul d’une prime d’assurance. Les cotisations « chômage » sont donc largement des impôts. Encore faut-il que ces objectifs soient réels et sincères, et ne servent pas seulement à dissimuler les efforts d'une « sphère publique » anonyme pour accroître son emprise sur la s o c i é t é e t l e vo l u m e d e s richesses qu'elle prélève sur le travail des citoyens. l complémentaires, sont a priori les plus proches de la prime d’assurance, rendue obligatoire simplement pour que les impécunieux ou les égoïstes ne se retrouvent pas à la charge de la collectivité dans leur vieil âge. Les pensions servies dépendent en effet positivement des cotisations payées pendant la durée de vie active, et de manière plus claire encore pour les régimes complémentaires fonctionnant par points. Il existe toutefois une redistribution non négligeable, en raison de l’existence de pensions minimales, ou de réversions sous conditions de ressources, et plus encore du fait que les règles de liquidation sont loin de respecter les conditions de neutralité actuarielle. Surtout, les droits acquis sont verrouillés dans un système dont on est sûr que le rendement futur sera au mieux médiocre, compte tenu des perspectives démographiques françaises, et qui sera soumis d’autre part à un aléa important, venant de l’incertitude sur les modes qui seront retenus dans le futur pour traiter les déficits des régimes. La « valeur » des droits à pension acquis en contrepartie des cotisations n’est ainsi pas connectée de manière étroite aux cotisations, qui constituent une forme d’hybride entre l’assurance obligatoire et l’impôt pur et simple. Au terme de cette brève analyse, on se rend compte que la question de l’assimilation des cotisations sociales à des impôts, sur le plan économique, n’a pas de réponse théorique et absolue, mais dépend des situations d’espèce. Il y a quarante ans, en France, les cotisations étaient calculées sur un salaire plafonné, leur versement conditionnait l’accès aux prestations, et celles-ci n’étaient pas distribuées sous conditions de ressources. La notion de prime d’assurance obligatoire avait une certaine validité, comme celle de salaire indirect. Aujourd’hui, les cotisations sont largement des impôts supplémentaires sur le revenu du travail, et tout particulièrement sur le travail qualifié. Sociétal N° 33 3e Les cotisations « retraite », qu’il s’agisse de la retraite de la Sécurité Sociale ou des régimes Didier MAILLARD trimestre 2001 55