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*Titre : *Journal de l'année (Paris. 1967) *Titre : *Journal de l'année *Éditeur : *Larousse (Paris) *Date d'édition : *1967-2004 *Type : *texte,publication en série imprimée *Langue : * Français *Format : *application/pdf *Identifiant : * ark:/12148/cb34382722t/date </ark:/12148/cb34382722t/date> *Identifiant : *ISSN 04494733 *Source : *Larousse, 2012-129536 *Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34382722t *Provenance : *bnf.fr Le texte affiché comporte un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance obtenu pour ce document est de 100 %. downloadModeText.vue.download 1 sur 417 Cet ouvrage est paru à l’origine aux Editions Larousse en 1999 ; sa numérisation a été réalisée avec le soutien du CNL. Cette édition numérique a été spécialement recomposée par les Editions Larousse dans le cadre d’une collaboration avec la BnF pour la bibliothèque numérique Gallica. downloadModeText.vue.download 2 sur 417 downloadModeText.vue.download 3 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 2 Le nouveau monde de 1998 Si Monica Lewinsky avait lavé sa fameuse petite robe bleue, le bilan international de 1998 aurait été tout autre. Si le FBI n’avait pas trouvé sur ce vêtement des traces, comme l’avait joliment écrit l’agence Tass, de l’intérêt du président américain pour la stagiaire de la MaisonBlanche, Bill Clinton n’aurait sûrement pas subi l’humiliation d’une procédure de révocation par le Congrès et peut-être n’aurait-il pas fait bombarder l’Irak. De janvier, quand le scandale éclata, à décembre, lorsque l’affaire déboucha simultanément sur les raids de Bagdad et sur le vote de la Chambre en faveur de l’impeachment, cette médiocre aventure a éclipsé tout le reste de l’actualité. Comme dans une tragédie classique, la planète n’a plus semblé tourner que sur le rythme des trois unités du « Monicagate ». Au prisme du « Monicagate » Un seul lieu... Washington semble être devenue le centre du monde. Le 21 janvier, le procureur Kenneth Starr révèle que son enquête sur les manipulations financières de Whitewater a soudain bifurqué vers un dossier beaucoup plus croustillant. Faute de pouvoir inculper Bill Clinton pour une faillite immobilière datant de 1978, Kenneth Starr se convainc que le président a commis des « crimes » constitutionnels infiniment plus graves. Pour cacher son aventure avec la jeune Monica, il se serait rendu coupable de parjure et d’obstruction à la justice. Le monde entier est instantanément informé des coups de théâtre qui se bousculent : le 7 juillet, Monica Lewinsky se résigne à témoigner contre la promesse d’une immunité qui lui évitera la prison pour cause de « conspiration » avec le président ; le 17 août, Bill Clinton accepte d’être interrogé par un « grand jury » dans l’espoir d’atténuer l’impact des réponses de la jeune femme, qui n’a rien caché des détails les plus salaces de leur liaison ; le 11 septembre, les 445 pages du rapport, que Kenneth Starr vient de remettre au Congrès, sont diffusées sur Internet, si bien que personne dans le monde ne peut plus ignorer l’usage intime des cigares du président. Un seul fait... Chacune des initiatives de la superpuissance américaine ne s’explique plus que par le « Monicagate ». Lorsque, le 1er février, l’Irak interdit aux experts de l’UNSCOM chargés de démanteler les armes de destruction massive l’accès aux « sites présidentiels », les palais de Saddam Hussein, la provocation du dictateur est manifeste. Mais, Bill Clinton ayant aussitôt menacé de bombarder, la presse américaine en conclut qu’il cherche un prétexte pour redorer son blason. Lorsque, le 19 février, le président américain renonce à frapper, sur les conseils notamment de Jacques Chirac, il est à nouveau critiqué. Les éditorialistes le jugent politiquement trop affaibli pour oser riposter. Le 7 septembre, deux attentats coordonnés contre les ambassades américaines de Nairobi, au Kenya, et de Dar es-Salaam, en Tanzanie, font 257 morts, dont 12 Américains, et 5 000 blessés. La CIA remonte la piste jusqu’à Oussama Ben Laden, le banquier saoudien du terrorisme intégriste réfugié en Afghanistan. Le 20, Bill Clinton ordonne des représailles aériennes contre des cibles précises en Afghanistan et au Soudan. Le président est alors accusé d’avoir frappé au hasard dans le seul but de faire oublier ses ennuis intérieurs. Lorsque, toujours en septembre, Bill Clinton se rend à Moscou pour embrasser Boris Eltsine, ce ne peut pas être, aux yeux des observateurs, par simple souci de renforcer le chef de l’État russe, politiquement et physiquement fort mal en point. L’objectif réel ne peut être que de dissuader l’opposition républicaine d’aller jusqu’au bout de la procédure d’impeachment. La signature, le 23 octobre, de l’accord de Wye Plantation entre Benyamin Netanyahou et Yasser Arafat, doit tout à Bill Clinton. C’est le président qui, après une semaine d’intenses négociations, a réussi à imposer downloadModeText.vue.download 4 sur 417 LE BILAN MONDIAL 3 un arrangement qui relance le processus de paix enlisé depuis dix-neuf mois. Mais ce succès est vite oublié : c’est en vain que, débarquant en Israël, le 13 décembre, Bill Clinton s’efforcera d’obtenir du Premier ministre israélien qu’il tienne sa promesse toute neuve. Encore une fois, l’échec doit être assumé par le président. Le « Monicagate », affirment les experts, a réduit l’Amérique à l’impuissance. Peu importe qu’une semaine plus tard les circonstances politiques obligent Benyamin Netanyahou à révéler la vraie raison du sabotage de Wye Plantation : abandonné par ses propres amis politiques, le Premier ministre israélien est contraint d’annoncer des élections anticipées. Une seule année... Chaque mois apporte un autre rebondissement : le procès de Paula Jones, une ancienne fonctionnaire de l’Arkansas qui réclamait à Bill Clinton des indemnités pour harcèlement sexuel, se solde par un non-lieu, mais le président préfère payer ; Hillary Clinton accuse Kenneth Starr de participer à un complot d’extrême droite contre son mari ; le procureur révèle qu’il détient des messages laissés par le président sur le répondeur de Monica Lewinsky. Succès et tragédies Pourtant, l’histoire du monde en 1998 ne se résume pas à l’unique saga du « Monicagate ». Chaque continent a son lot de succès et de tragédies, qui ne sont imputables en rien aux aventures de Bill Clinton. Par exemple, en Afrique : au Congo, LaurentDésiré Kabila n’a pas le temps de jouir de sa victoire sur Mobutu un an plus tôt. Ses alliés tutsis du Rwanda et de l’Ouganda se font trop encombrants. Mais, lorsqu’il tente de les renvoyer, ces « armées amies » organisent la rébellion dans les provinces orientales du pays. En août, Kabila appelle au secours d’autres voisins : notamment l’Angola et le Zimbabwe, qui ne veulent pas qu’un démembrement de l’immense Congo se fasse à leurs dépens. La rébellion est liquidée, mais il faudra encore un sommet à Paris pour arracher un cessez-le-feu. Sur le continent noir, il y a aussi d’heureux événements. Le 8 juin, le général Sani Abacha, sanglant tyran du Nigeria, décède brutalement, frappé par une crise cardiaque. Son successeur, le chef d’état-major Abdulsalam Abubakar. promet d’instaurer la démocratie. Même constat après l’enquête de l’Assemblée nationale sur le génocide du Rwanda. Elle permet de découvrir des vérités qui, à l’avenir, devraient éviter à la France de tragiques erreurs. La mission d’information créée le 3 mars, sous l’impulsion de Paul Quilès, clôt ses travaux par la remise d’un rapport, en décembre, qui absout Paris de complicité directe dans les massacres. Mais le document souligne que, selon le témoignage de Jean-Christophe Mitterrand, un temps chargé par son père de la cellule africaine de l’Élysée, la France a péché par « ignorance et suffisance ». L’Algérie, elle, continue de souffrir, broyée dans l’engrenage du cycle infernal terrorisme-répres- sion. Le 25 juin, le chanteur Lounès Matoub, qui symbolisait l’identité kabyle, est assassiné par un commando se réclamant de l’intégrisme. Mais beaucoup de ses amis accusent le pouvoir, qui craint les aspirations des Kabyles à l’autonomie. Ils soulignent la coïncidence de l’entrée en vigueur de la loi sur la généralisation de la langue arabe, le 5 juillet, une semaine après l’assassinat de Lounès Matoub. La sauvagerie n’est pas propre au tiers monde. Avant que l’accord de paix ne soit accepté en Ulster, il a fallu deux tragédies. Le 12 juin, trois enfants catholiques sont brûlés vifs quand un groupe de protestants met le feu à leur maison. Le 15 août, la voiture piégée que font sauter des terroristes catholiques fait 28 morts et 220 blessés dans la petite ville d’Omagh. Rien ne va plus en Russie. Le 20 mars, Boris Eltsine révoque son Premier ministre Viktor Tchernomyrdine, le vice-président ministre Anatoli Tchoubaïs et le ministre de l’Intérieur Anatoli Kouliakov. Ayant à peine dépassé la trentaine, le nouveau Premier ministre, Sergueï Kirienko, annonce qu’il va enfin appliquer les réformes économiques souvent proclamées, jamais instaurées. Kirienko ne tient que six mois. Partie d’Asie, en 1997, la crise financière a contaminé la Russie. Le gouvernement se résigne à la dévaluation du rouble, le 17 août. Quatre jours après, le rouble a downloadModeText.vue.download 5 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 4 perdu 29 % de sa nouvelle valeur. Le 23, Eltsine fait revenir Tchernomyrdine. La Douma lui refuse la confiance. Eltsine appelle le ministre des Affaires étrangères Primakov. Mais cet homme qui, serviteur de tous les caciques soviétiques depuis Khrouchtchev, prétend réussir la synthèse de l’économie étatique et du libre jeu du marché, n’avait pas encore convaincu les Russes en décembre. D’autres vedettes passent à la trappe : patron de l’Indonésie depuis trente-trois ans, le général-président Suharto est chassé du pouvoir le 21 mai, victime lui aussi de la crise financière. En Allemagne, Helmut Kohl est battu aux élections le 27 septembre. Après quatre mandats, le héros de la réunification allemande doit céder la place à Gerhard Schröder. La longue parenthèse des démocrates chrétiens se referme. Les sociaux-démocrates, qui reviennent avec les Verts, représentent une nouvelle Allemagne : celle qui, en janvier 2000, deviendra la « République de Berlin ». Mais, dans les dernières semaines de 1998, l’évé- nement majeur tient au fait que le général Pinochet a été rattrapé par ses crimes ; sur mandat d’un petit juge espagnol, l’ancien dictateur chilien, qui était venu se faire opérer à Londres, ne peut plus rentrer chez lui. Madrid veut le juger pour l’assassinat, après le putsch de 1973, de Chiliens qui avaient aussi la nationalité espagnole. La mondialisation s’étend donc également aux droits de l’homme. Mais l’opinion internationale n’est-elle pas en train de pécher par excès de zèle ? Lorsque, dans l’Espagne enfin démocratique, le socialiste Felipe Gonzales gagna sa première élection, il se garda bien de faire le procès posthume de Franco : le risque était trop grand de déclencher une seconde guerre civile. Ne faudrait-il pas laisser aux Chiliens la responsabilité de décider ? Sinon, contrairement au général Pinochet, plus aucun dictateur n’osera rendre le pouvoir au peuple. Par ses excès, le « Monicagate » n’est-il pas en train de démontrer ce qu’est la vraie sagesse en politique ? À propos de Clinton, ou même de Pinochet, mieux vaut écouter les avocats de la rédemption que les procureurs de l’expiation. CHARLES LAMBROSCHINI, DIRECTEUR ADJOINT DE LA RÉDACTION DU Figaro downloadModeText.vue.download 6 sur 417 LE BILAN MONDIAL 5 Le refroidissement franco-allemand Depuis l’avènement de Jacques Chirac, les relations entre les deux poids lourds de l’Union européenne ne sont plus marquées du sentiment d’affection partagé par le chancelier Helmut Kohl et le président François Mitterrand. L’arrivée de Gerhard Schröder va-t-elle changer la donne ? Un certain nombre de mesures prises par la France sous le gouvernement Juppé dès l’été 1995 – telle la reprise provisoire des essais nucléaires ou, plus tard, la réorganisation de l’armée française, qui ont été décidées sans concertation – ont choqué l’opinion publique allemande. D’autant que celles-ci ont été accompagnées du retour de la prose gaullienne qui est souvent vécue outre-Rhin comme un nouveau prurit de nationalisme dont la « Grande Nation » ne se guérit jamais vraiment. L’arrivée de Lionel Jospin aux rênes du gouvernement n’a pas réchauffé les relations. La crise de Bruxelles En effet, le nouveau Premier ministre socialiste n’a pas escompté, dans le « droit d’inventaire de l’héritage Mitterrand », reprendre la chaleur des relations entre les deux anciens compagnons de Verdun. Le principal « couac » depuis 1995 a lieu au printemps 1998 avec la polémique – aux accents parfois rocambolesques – sur la direction de la future Banque européenne basée à Francfort-sur-le-Main. L’obstination française à obtenir la place de direction du symbole de l’Europe du XXIe siècle ravive les sentiments critiques, voire de plus en plus condescendants à rencontre d’un personnel politique plus soucieux de gouverner par des mesures symboliques que sensible aux réalités économiques. La « mascarade » de la nomination Duisenberg-Trichet na fait que raviver l’hostilité envers la France. Au-delà de son caractère anecdotique, cet incident constitue tout de même un mauvais coup pour le chancelier Kohl dans la perspective des élections de septembre. Très en retard dans les sondages depuis plusieurs mois, le leader chrétien-démocrate a besoin de bilans positifs pour lever les inquiétudes de son opinion publique devant le futur effacement du mark face à l’euro. Dans ce contexte, l’affaire Duisenberg-Trichet a été ressentie par l’administration chrétienne-démocrate comme un camouflet, car l’opposition l’accuse de faiblesse devant les exigences de Paris. M. Kohl sera assez touché par cette affaire en congédiant le 25 mai son porteparole Peter Haussmann pour avoir mal géré la crise de Bruxelles. Une situation dont le futur chancelier socialdémocrate, Gerhard Schröder, a su profiter avec adresse. Alors qu’il sait pâtir d’un déficit d’image en matière européenne – notamment dans le domaine des relations franco-allemandes –, il a nommé une Française, Brigitte Sauzay, interprète successive de trois présidents français, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand, au poste d’« ambassadrice pour les relations franco-allemandes ». Le choix d’une Française et d’une non-politique est à lui seul la marque d’une volonté de sortir des sentiers battus la relation fondatrice de l’Europe moderne. S.C. LES DIVORCES FRANCO-ALLEMANDS La construction de l’Europe se fait aussi par l’amour. La multiplication des contacts est une des raisons de l’augmentation des unions matrimoniales, symbole ô combien positif du rapprochement des peuples. Mais, quand l’amour se transforme en séparations plus ou moins bien vécues, les différences juridiques apparaissent au grand jour. Les jurisprudences allemande et française sont très opposées sur la question de la garde des enfants et les jugements ont souvent conduit les parents déboutés à recourir à des enlèvements. L’Europe du divorce est à réformer. En mai, les ministres de la Justice des deux pays ont décidé de détacher un magistrat chargé de suivre les dossiers chauds dont la publicité régulière dans la presse fait tache sur les relations franco-allemandes. downloadModeText.vue.download 7 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 6 Les travaillistes : un an au pouvoir Après dix-huit ans dans l’opposition, Tony Blair devait, ayant obtenu une majorité impressionnante des sièges, mener le Parti travailliste au pouvoir lors des élections législatives du 1er mai 1997. Fort d’une importante majorité, le nouveau gouvernement dispose d’une importante marge de manoeuvre pour mettre en pratique les idées du nouveau travaillisme. Où en est-on un an après ce triomphe ? Àe n juger par les sondages, l’opinion publique accorde un soutien plus important à ce gouvernement qu’à aucun autre depuis l’existence d’études d’opinion. Comment comprendre un tel succès ? Il y a, certes, l’image que projette le nouveau Premier ministre, qui, visiblement, séduit les Britanniques. Mais il y a aussi les réalisations qui, dans l’ensemble, reflètent les promesses de la campagne électorale et qui sont en phase avec les attentes du public. Cependant, la qualité des services publics et, plus particulièrement, la gestion du service de la santé feraient ici exception. « Cool Britannia » Le fondement de l’image et de l’idéologie du nouveau travaillisme est toujours en gestation. Le concept de « Cool Britannia », si cher aux gourous de la communication du nouveau pouvoir, relèverait davantage d’une opération de marketing que d’une réalité sociologique, et la nouvelle pensée politique correspondrait davantage à l’application à la Grande-Bretagne d’une forme de radicalisme progressiste, d’inspiration, en partie, américaine, que d’une nouvelle doctrine travailliste. En même temps on ne peut qu’être impressionné par le bilan d’un an au pouvoir ainsi que par la façon dont Tony Blair a su réagir lors de la mort de Diana et secourir la famille royale à cette occasion. En adoptant une législation qui accorde une Assemblée au pays de Galles et un Parlement à l’Écosse, le gouvernement cherche à rapprocher les citoyens et le pouvoir, mais, en même temps, il bouleverse un ordre constitutionnel vieux de trois cents ans. Quant à l’Irlande du Nord, il a su, en travaillant main dans la main avec Dublin, mener à bien des négociations commencées sous les conservateurs, et aboutir à un accord entériné par une très large majorité en Irlande le 25 juin 1998. En revanche, le gouvernement, respectueux de l’orthodoxie de son prédécesseur, introduit peu de changement en matière fiscale et monétaire, à l’exception de l’autonomie accordée à la Banque d’Angleterre. Sans modifier profondément la politique sociale de son prédécesseur, il a néanmoins apporté des améliorations aux conditions des pauvres et des handicapés et donné une priorité à la formation des jeunes et des chômeurs afin de développer leurs possibilités d’insertion. Pour la durée du travail, les congés et le salaire minimum, il poursuit une stratégie de convergence avec les autres pays de l’Union européenne. Ira-t-il jusqu’à l’adoption de la monnaie unique ? Après un an au pouvoir, on peut seulement répondre que, tout en restant ambigu, le discours des travaillistes est nettement moins hostile que celui des conservateurs. P. B. LE NEW LABOUR Au nom d’un travaillisme renouvelé, Tony Blair a réformé le parti, non seulement dans ses structures, mais aussi dans son programme. Cette volonté d’innover, le charisme et le dynamisme du candidat travailliste au poste de Premier ministre, auxquels il faut ajouter une forte volonté de la part des Britanniques de se débarrasser des conservateurs, expliquent l’ampleur du succès électoral des travaillistes. downloadModeText.vue.download 8 sur 417 LE BILAN MONDIAL 7 La Belgique dans le doute La perte de confiance des Belges en la justice et la police de leur pays, illustrée par le dernier avatar de l’affaire Dutroux, et la « fuite » de souveraineté économique ont contribué à forger l’image d’une année morose. Avec la rocambolesque évasion de Marc Dutroux, le 23 avril, les Belges en sont venus à douter de tout. Que le criminel le plus « célèbre » du pays, l’ennemi public no 1, ait pu tromper, ne fût-ce que quelques heures, la vigilance des forces de l’ordre aura paru d’autant plus stupéfiant que le rapport de la commission d’enquête parlementaire venait de conclure sur les carences de l’administration, police et justice. Et ni la démission du ministre de l’Intérieur, Johan Van de Lanotte, ni celle du ministre de la Justice, Stefaan de Clerck, n’ont totalement évacué les soupçons sur le rôle exact de la puissance publique dans cette affaire. Des voix se sont d’ailleurs élevées pour réclamer le départ de l’ensemble du gouvernement de Jean-Luc Dehaene. Désabusés par l’incompétence ou l’inconscience de la classe politique, les Belges ont eu sans nul doute l’impression de voguer sur un bateau sans pilote après l’affaire de Vilvorde. Le syndrome de Vilvorde Depuis que Renault a fermé son usine de Vilvorde et licencié les 3 200 ouvriers qui y travaillaient, la Belgique n’est plus tout à fait la même. Car s’il y a peu encore elle accueillait sans arrièrepensées ni méfiance aucune les investissements étrangers, l’affaire Vilvorde a conduit à s’interroger sur la vulnérabilité d’une économie dont nombre de fleurons sont tombés, en l’espace d’une vingtaine d’années, dans les mains de groupes étrangers. Ces derniers représentent 16 % des entreprises implantées en Belgique et réalisent 54 % du chiffre d’affaires total. Selon une étude du Bureau fédéral du plan à Bruxelles, 460 000 personnes sont employées par des sociétés contrôlées par des capitaux non belges, soit près de 10 % des 4,7 millions de salariés que compte le pays. La proportion est encore plus élevée dans l’industrie manufacturière, où 46 % des emplois sont le fait d’entreprises étrangères. Face à cette perte de souveraineté, l’État, qui a paru longtemps indifférent – en 1988, le groupe français Suez avait pris le contrôle de la vénérable Société générale de Belgique dans l’indifférence la plus totale –, a fini par réagir en renforçant la législation sur les prises de participation des firmes étrangères. Il reste que cette prudence, bien compréhensible, ne peut constituer à elle seule une stratégie industrielle et, surtout, qu’elle est impuissante à masquer la faible taille ainsi que le manque de puissance de la majorité des entreprises belges. D’ailleurs, les capitaux étrangers peuvent être les bienvenus comme dans le cas des Forges de Clabecq, qui ont été finalement sauvées de la faillite par le groupe italo-suisse Duferco, moyennant, il est vrai, la suppression de la moitié des emplois. P. F. LA BELGIQUE, COLONIE FRANÇAISE Les Français sont désormais les premiers employeurs étrangers en Belgique, loin devant les Américains et les Néerlandais. Axa a acheté la compagnie d’assurance Royale belge et les AGF sont propriétaires d’Assubel. Saint-Gobain détient le verrier Saint-Roch et le Crédit local de France a épousé le Crédit communal de Belgique pour former le groupe franco-belge Dexia. Quant à Air-France, elle a pris une participation importante dans la compagnie aérienne Sabena... avant de la revendre à Swissair. downloadModeText.vue.download 9 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 8 Le retour de Lebed Élu gouverneur de l’immense région de Krasnoïarsk (Sibérie orientale) le 17 mai 1998, Aleksandr Lebed est à nouveau en course pour la prochaine élection présidentielle en Russie, prévue en l’an 2000. La large victoire (56 % des voix contre 40 %) remportée par l’artisan de la paix en Tchétchénie sur son principal adversaire, le gouverneur sortant Valeri Zoubov, un « démocrate » ieltsinien soutenu par l’intelligentsia locale, a, pour de nombreux observateurs, valeur de test : limogé dans des conditions humiliantes par Boris Ieltsine en octobre 1996, le général protestataire dont la popularité s’est maintenue dans les sondages s’impose face à un homme du Kremlin. Ce sont les zones les plus durement touchées par la crise économique et sociale qui ont voté pour lui, tandis que son adversaire l’emportait sur le fil dans la capitale régionale, où sont concentrées les richesses. Dans cette « Russie en miniature » qu’est la région de Krasnoïarsk se dessinent les lignes de force des prochaines épreuves électorales en Russie. Après sa victoire, cependant, A. Lebed a évité de se prononcer sur sa participation à l’élection présidentielle de 2000. Le général affiche des priorités réalistes : « remettre sur pieds » cette région exsangue, ce qui peut prendre « trois à cinq ans ». Sa candidature à la présidentielle dépendra alors, dit-il, du bilan qu’il sera en mesure d’afficher et du soutien de ses administrés. Tel est précisément le « tournant » où l’attendent ses adversaires. Pour eux, l’exercice du pouvoir régional par cet « apprenti Pinochet » sera le moment de vérité où s’avérera l’écart criant entre ses promesses et ses douteuses capacités de gestionnaire, sonnant le glas des ambitions du démagogue qui s’est mis en tête de « sauver la nation ». « Monsieur Propre » Au reste, tout au long de la campagne, les partisans du gouverneur sortant n’ont pas lésiné sur les moyens censés discréditer son rival, dont les meetings attiraient des foules nombreuses dans toute la région : vrais clochards et faux nazis payés pour afficher un enthousiasme bruyant et dérisoire en faveur de la candidature de Lebed devant les caméras de télévision, insinuations antisémites et anti-tchétchènes à propos du soutien décisif accordé par le financier et homme de médias Boris Berezovski (d’origine juive) au général et de l’action de celui-ci au Caucase, etc. Peine perdue : dans le climat de dépression que connaît la région de Krasnoïarsk (comme tant d’autres parties excentrées de la Russie), Lebed a rassemblé sur son nom les votes des affligés et des mécontents – y compris parmi l’électorat communiste. Au fil de sa campagne, le « Monsieur Propre » de la politique russe a fait, lui aussi, flèche de tout bois : outre l’épisode du voyage : éclair de l’acteur français Alain Delon venu apporter un soutien viril à son « ami », on relèvera les promesses d’investissements étrangers, escomptés sur les relations nouées par le général au fil de ses voyages en Allemagne, en France, au Japon et aux États-Unis. A. B. LEBED : LE RETOUR Partisan d’un libéralisme modéré, Lebed a mis en avant le bilan de son action en Tchétchénie et sa détermination à relancer une économie régionale sinistrée en luttant contre la concentration des capitaux dans la capitale russe. Ce programme lui a permis de bénéficier de l’appui d’industriels locaux, plus ou moins liés à la mafia, à commencer par le « roi » de l’aluminium, le populaire Anatoly Bykov, passé de la grande délinquance aux affaires et à la philanthropie (financement d’orphelinats, d’hôpitaux...). Fort de ce soutien des « nouvelles élites », Lebed n’en a pas moins promis de gouverner impartialement, dans l’intérêt de tous. C’est que, dit-il, les gens de Russie n’aspirent qu’à pouvoir « vivre enfin et travailler »... downloadModeText.vue.download 10 sur 417 LE BILAN MONDIAL 9 Les cinquante ans d’Israël Né dans le deuil, l’espérance et la violence, l’État d’Israël a célébré avec discrétion son cinquantenaire. Entouré d’une indéfectible sollicitude occidentale, il est devenu une puissance militaire incontournable, mais n’a que partiellement réussi sa cohésion interne et son intégration régionale. Le gouvernement israélien a affirmé (sa judéité en fixant selon le calendrier hébraïque la date de la célébration du cinquantenaire de la déclaration d’indépendance de l’État (5 iyar 5758), en avance de quinze jours sur une datation civile. Le Premier ministre Netanyahou, bien qu’appartenant à une famille politique opposée à celle du « père fondateur » de la nation israélienne, David Ben Gourion, a évidemment rendu hommage à ce dernier. Il a évoqué aussi le sacrifice de plus de 20 000 militaires israéliens morts en combattant au cours du précédent demi-siècle et s’est félicité, en présence du vice-président des États-Unis Al Gore, invité d’honneur, des hautes capacités des forces de défense. Un bilan contrasté Ces rappels interviennent alors que les promesses de la déclaration d’indépendance sont loin d’être réalisées. Les relations israélo-arabes sont assombries par l’enlisement des négociations israélo-palestiniennes. La déception des chancelleries entraîne le plus sérieux isolement diplomatique qu’ait connu Israël. La société israélienne, elle-même, s’interroge sur la nature d’un sionisme naguère d’inspiration laïque et socialisante qui justifie aujourd’hui, par des arguments religieux, la judaïsation de l’État et la colonisation de territoires palestiniens. Les clivages traditionnels entre les ashkénazes d’origines euro-américaines et les sépharades orientaux en sont aggravés ainsi qu’entre la population juive d’Israël et une minorité arabe forte aujourd’hui de un million d’habitants (sur six). De son côté, le million d’immigrants russes survenus dans les années 90 montre peu d’empressement à s’assimiler. Néanmoins, tant que le problème de la sécurité se posera, la nécessité de la cohésion nationale aura raison des dissensions internes. Or, tant que les relations d’Israël avec son environnement arabe demeureront aussi conflictuelles en ce qui concerne les occupations de territoires (palestiniens, syriens et libanais), le partage de l’eau et la réciprocité des échanges, le problème de la sécurité de l’État juif continuera de se poser, après comme avant la célébration de son cinquantenaire. L.-J. D. DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE DE L’ÉTAT D’ISRAËL (14 MAI 1948). Nous [...] représentant le peuple juif en Palestine et le mouvement sioniste dans tout l’univers [...] proclamons l’établissement en Palestine d’un État juif qui prendra le nom d’Israël [...] L’État d’Israël sera ouvert à l’immigration des juifs de toutes les contrées [...] ; il assurera le développement de ce pays au bénéfice de tous ses habitants [...] ; il défendra la pleine égalité sociale et politique de tous ses citoyens, sans distinction de race, de croyance ou de sexe ; il garantira la pleine liberté de conscience, de religion, d’éducation et de culture [...] et se consacrera lui-même à l’application des principes des Nations unies.[...] Nous faisons encore appel aux Arabes qui habitent l’État d’Israël pour qu’ils [...] jouent leur rôle dans le développement de l’État avec une complète égalité de droits et la représentation qui leur est due dans tous les corps constitués et dans toutes les institutions. [...] Nous offrons la paix et l’amitié à tous les États voisins [...] BEN GOURION downloadModeText.vue.download 11 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 10 Le souffle de la crise asiatique en Amérique latine Les pays d’Amérique latine, pour une fois soudés dans l’adversité, ont protesté, lors du sommet du Groupe de Rio, les 4 et 5 septembre, contre l’indolence des pays industrialisés (le G 7), auxquels ils ont reproché de laisser s’étendre la tourmente financière à des régions qui n’ont aucune responsabilité dans les crises russe et asiatique. Àl a différence des réunions antérieures du Groupe de Rio – tous les pays sudaméricains plus le Mexique et le Panama –, dont les communiqués ne sont habituellement qu’une longue litanie de voeux pieux, le 12e sommet de Panama a relégué au second plan les considérations de politique générale. Il est vrai que tous les participants ont, peu ou prou, senti le souffle venu d’Asie de la crise monétaire, financière et économique menacer un développement qui, pour être contrasté, n’en demeure pas moins fragile. Si le Mercosur, le marché commun sud-américain qui réunit le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et deux États associés, la Bolivie et le Chili, est devenu une réalité écono- mique, politique et commerciale, il reste que les deux pays qui en sont l’ossature – l’Argentine et le Brésil – ont montré leur fragilité au prisme de la crise qui a secoué l’Asie après la dévaluation aux effets domino de la monnaie thaïlandaise en juillet 1997. Ainsi le Brésil a vu sa monnaie, le real, pour le moins bousculée ; et la volonté affichée du président Fernando Cardoso de maintenir son programme de stabilisation n’est pas dénuée de risque d’entraîner le pays dans la récession. Ce qui ne ferait pas les affaires de l’Argentine, dans la mesure où Buenos Aires trouve dans le marché brésilien quelque 30 % de ses exportations. Ébranlées donc par la tempête financière asiatique et par l’effondrement de l’économie russe, les jeunes démocraties latino-américaines doivent faire face à un autre chantier, important aussi, celui de la dette sociale. La dette sociale Commun dénominateur des pratiques économiques de tous les pays de la région, les réformes économiques et les privatisations n’ont pas réussi à faire reculer la pauvreté. Sans doute le continent le plus inégalitaire, l’Amérique latine est loin de s’être installée dans la prospérité – ce que voudraient accréditer les États-Unis – et pourrait bien perdre le fil de la croissance – ce qui serait un effet de la grippe asiatique. P. F. L’EFFET TEQUILA L’effet tequila, consécutif à la dévaluation du peso mexicain en décembre 1994, aurait presque été oublié si le crash asiatique n’était pas venu ébranler des économies dont la solidité structurelle est moins assurée qu’il n’y paraît. À cet égard, le cas du Mexique est emblématique. Les effets conjugués de la chute des cours du pétrole et des turbulences des marchés financiers internationaux ont fini par avoir raison de l’optimisme du gouvernement du président Ernesto Zedillo. Alors que les autorités avaient promis une récupération du pouvoir d’achat en 1998, le ministère des Finances a dû concéder que les deux prochaines années seront placées sous le signe d’une « stricte discipline fiscale ». Au Mexique, comme dans tous les pays d’Amérique latine, le sentiment dominant est celui d’avoir été fort mal récompensé par la communauté internationale pour avoir appliqué des plans d’ajustement particulièrement sévères. downloadModeText.vue.download 12 sur 417 LE BILAN MONDIAL 11 La reprise en Europe : de l’euphorie à l’incertitude Malgré la crise mondiale, l’année 1998 s’est terminée par une croissance moyenne d’environ 2,7 % pour l’Europe. Mais les craintes d’un ralentissement n’étaient pas écartées. Après une décennie gâchée, la reprise économique de 1997-1998 a été accueillie par les Européens comme une formidable promesse. En France, en Allemagne et dans la plupart des pays d’Europe continentale, le chômage a enfin reculé mois après mots. Malgré la crise financière mondiale, l’Europe a réussi à faire redémarrer son moteur « interne » : la consommation et l’investissement. Au moins jusqu’à l’automne, chaque indicateur économique a confirmé la solidité de la reprise. Tous les pays n’ont pas connu la même fortune. La croissance n’a pas dépassé 2 % en Italie ou en Grande-Bretagne, alors qu’elle était supérieure à 3 % aux Pays-Bas, en Espagne ou en France (et qu’elle frisait les 8 % en Irlande !). En moyenne, l’activité de l’ensemble de l’Europe a progressé d’environ 2,7 %. La crise planétaire Petit à petit, pourtant, les nuages se sont accumulés sur cette belle croissance retrouvée. On s’est rendu compte que l’Europe était désormais, dans le monde, la seule zone en phase de croissance. Et qu’elle ne pouvait donc compter que sur ellemême pour éviter que la croissance ne retombe comme un soufflé en 1999. La perspective de la monnaie unique, qui a permis de préserver le système monétaire européen des turbulences financières venues d’Asie, ne peut en effet servir de rempart absolu contre une crise planétaire. Cette dernière affecterait l’Europe par trois canaux : les exportations, la psychologie, la finance. La majorité des exportations extra-européennes partent vers les pays émergents. La crise brutale de ces derniers a donc directement frappé l’économie européenne. Après avoir dépassé 6 % pendant les trois premiers mois de l’année, le rythme de croissance de la production industrielle dans la zone euro a décéléré (+ 4 % en juillet, selon les calculs du CCF). Par ailleurs, la plupart des monnaies du monde entier, à commencer par le dollar, ont reculé par rapport aux monnaies de la zone euro, ce qui ne devrait pas manquer d’affecter les parts de marché européennes. On comprend, dès lors, la contagion du pessimisme « global » aux acteurs économiques européens. En effet, vers la fin de l’année, les chefs d’entreprise sont devenus plus prudents, ce qui risque de se traduire par des décisions d’investissement moins audacieuses. Enfin, la crise internationale n’a pas épargné les comptes des banques européennes, qui ont largement financé les pays émergents. Le risque, c’est qu’elles tentent maintenant de compenser ces pertes sur les marchés étrangers en sélectionnant plus sévèrement, en Europe, les bénéficiaires de leurs prêts. Un tel resserrement du crédit ne manquerait pas de peser sur la croissance. L’année 1999 commencera donc sur un grand point d’interrogation. Mais les raisons d’espérer sont aussi fortes que les raisons de s’inquiéter. P. R. UN ATTERRISSAGE EN DOUCEUR Ceux qui tiennent les leviers de la politique économique ont les moyens d’éviter l’atterrissage en catastrophe. En l’absence de risque d’inflation, la Banque centrale européenne peut baisser ses taux d’environ un point, ce qui donnerait des vitamines à la croissance. Quant aux gouvernements, ils peuvent aussi agir sur la demande intérieure (par une baisse des impôts, par exemple, ou par la mise en oeuvre d’un programme européen de grands travaux). Cela signifierait, bien sûr, une pause dans la réduction des déficits, qui atteignent dans l’Union européenne 1,7 % du PIB (contre 5,3 % en 1992). Le maintien d’une reprise tant attendue est peut-être à ce prix. downloadModeText.vue.download 13 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 12 Afrique du Sud : la réconciliation en question Alors que Nelson Mandela s’apprête à laisser la place à son vice-président, Thabo Mbeki, l’Afrique du Sud est prise de doute. Le gouvernement, pressé par les difficultés économiques, tarde à satisfaire les attentes de la population noire, repoussant d’autant la réconciliation nationale tant espérée. Malgré ces difficultés, le gouvernement a multiplié les tentatives de s’imposer sur la scène continentale, suivant en cela l’idée, chère à Thabo Mbeki, d’une « renaissance africaine » orchestrée par la nouvelle Afrique du Sud. L’année 1998 restera comme une période charnière dans l’histoire de la nouvelle Afrique du Sud. Elle s’est ouverte avec un événement prévu de longue date : le passage de témoin de Nelson Mandela à son dauphin Thabo Mbeki à la présidence du Congrès national africain (ANC), fin décembre 1997. Le président sud-africain avait déjà préparé le terrain en présentant régulièrement le vice-président comme le véritable gestionnaire des affaires du pays. Il n’empêche : le départ annoncé du chef de l’État, après les élections générales prévues pour la mi1999, et son retrait progressif de la scène politique, au cours de l’année, suscitent des inquiétudes. En effet, Thabo Mbeki doit faire face à un défi de taille : succéder à un géant, dont il est loin d’avoir l’aura, et répondre aux attentes d’une population noire qui subit encore largement les séquelles de décennies d’apartheid. Une marge de manoeuvre étroite Il est vrai que la marge de manoeuvre du gouvernement est étroite entre la nécessaire satisfaction de la majorité de son électorat et son respect affiché des dogmes néolibéraux, destiné à rassurer les milieux d’affaires et les investisseurs étrangers. Sur le plan social, le Programme de reconstruction et de développement (RDP), qui doit rétablir la justice sociale et économique, tarde à porter ses fruits. Des progrès notables ont certes été réalisés, notamment en matière d’électrification, de santé, d’accès à l’eau potable et de logement, mais des inégalités criantes persistent. Or, la tâche du pouvoir est d’autant plus difficile que les prévisions de croissance pour 1998 ont été revues à la baisse de 3 à 1 %, dans un pays où environ 30 % de la population active est au chômage. Une situation qui augure mal de l’avenir de la réconciliation nationale. La persistance de fortes inégalités entre les communautés ne contribue pas à effacer les profondes divisions raciales qui traversent la société sud-africaine. Le malaise entourant les travaux de la commission Vérité et Réconciliation (TRC) en est une illustration : chargée de faire la lumière sur le douloureux passé du pays, entre avril 1996 et juillet 1998, celle-ci a entendu des centaines de témoins, victimes et bourreaux, qui ont raconté les moyens sanglants employés pour défendre la suprématie blanche et les actes terroristes de la résistance anti-apartheid. Au fil des séances, la TRC a rempli sa mission première : établir avant tout la vérité historique loin des omissions et des mensonges officiels. Mais, pour beaucoup de Sud-Africains, les révélations traumatiques, en évoquant les atrocités commises dans le passé, ont contribué à empirer les relations entre les communautés. Un climat que n’améliore pas l’insécurité qui règne en Afrique du Sud. C. C. UN DAUPHIN BIEN DIFFÉRENT Thabo Mbeki, successeur désigné du président sud-africain, a passé la plupart des années d’apartheid en exil. Après des études à l’université du Sussex (Angleterre), il est devenu la prindownloadModeText.vue.download 14 sur 417 LE BILAN MONDIAL 13 cipale tête de pont du Congrès national africain à l’étranger. Son profil de diplomate a valu à ce quinquagénaire aux façons très britanniques les faveurs des milieux d’affaires blancs, mais l’a exposé aux critiques de l’aile gauche de la coalition au pouvoir, d’autant plus hostile aux options libérales du gouvernement qu’elles n’ont pas amené la croissance attendue. Or, le futur président sud-africain n’a ni le charisme ni la stature exceptionnelle d’un Mandela. La question est donc de savoir s’il aura l’autorité nécessaire pour mener à bien une indispensable réconciliation nationale. downloadModeText.vue.download 15 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 14 Moyen-Orient : un processus de paix sous perfusion Après vingt mois de suspension, le processus de paix israélopalestinien, laborieusement réamorcé sous l’égide du président Clinton, a donne lieu à la signature, le 24 octobre, d’un mémorandum. Il ouvre la voie, s’il est appliqué, à la négociation du règlement définitif qui, en principe, devrait intervenir avant le 4 mai 1999, mais risque en fait d’être différé de plusieurs années. En entreprenant en février 1997 la création aux portes de Jérusalem d’une nouvelle colonie dénommée Har Homa, le Premier ministre israélien a porté un coup d’arrêt au déroulement d’un processus de paix déjà mal en point. Initié sous sa forme actuelle par la Déclaration d’intention d’Oslo signée à Washington en septembre 1993, ce processus vise à liquider le contentieux israélo-palestinien né des guerres de 1948 et de 1967. Pour mieux y parvenir, les parties conviennent de s’en tenir, dans un premier temps, à des arrangements intérimaires portant, entre autres, sur la création d’une Autorité autonome palestinienne, sur un retrait de l’armée israélienne et sur la réalisation d’infrastructures économiques palestiniennes. Ils remettent à plus tard la négociation d’un accord définitif qui devrait néanmoins ne pas être signé après le 4 mai 1999. Le mémorandum de Wye Plantation Signé à Washington le 24 octobre, le mémorandum de Wye Plantation n’est en fait que l’un de ces accords intérimaires tendant à l’application d’accords également intérimaires antérieurs et dont plusieurs clauses sont demeurées inexécutées. Il est donc convenu de réaliser un deuxième retrait militaire de la Cisjordanie occupée, de mettre en service l’aéroport de Gaza, ainsi que de négocier la création d’un port à Gaza comme celle d’un axe routier hors contrôle israélien entre cette dernière ville et la Cisjordanie. L’innovation la plus surprenante a trait à la prévention et à la répression des actions terroristes, crimes et hostilités, qui sont placées, du côté palestinien, sous le contrôle de la CIA américaine, sans préjudice du droit de regard d’Israël en la matière, en vertu d’un précédent accord de « coordination » policière. Des deux côtés, les oppositions ont dénoncé les concessions faites à la partie adverse. Une partie des 160 000 colons et l’extrême droite israélienne déplorent que l’armée doive évacuer 12,1 % de la Cisjordanie, même si le quart de cette superficie est décrété zone non aedificandi. De nombreux Palestiniens redoutent, quant à eux, que l’Autorité palestinienne ne devienne l’instrument du maintien de l’ordre pour le compte d’Israël. Elle aura fort à faire car de nouveaux attentats anti-israéliens se sont produits en fin d’année. Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou en tire argument pour différer l’application intégrale du mémorandum de Wye Plantation sous l’oeil résigné ou complaisant de l’administration américaine. Tout se passe en effet aux yeux de cette dernière comme si, dans sa conception d’un processus de paix à l’agonie, le processus importait plus que la paix... En entretenant chez les Palestiniens le faible espoir d’un règlement honorable, il permet en tout cas à Israël de réaliser ses objectifs en douceur, sans déclencher de déflagration populaire, certes imprévisible mais aujourd’hui improbable. L.-J. D. WYE PLANTATION ET LE DÉCOUPAGE TERRITORIAL DE LA CISJORDANIE – La zone A (autonomie administrative palestinienne) passe de 3 % à 4 %. – La zone B (affaires civiles aux Palestiniens, supervision israélienne en matière de sécurité générale et de lutte contre le terrorisme) passe de 24 % à 36,1 %. – La zone C (responsabilité exclusive israélienne) passe de 73 % à 50,9 %. downloadModeText.vue.download 16 sur 417 LE BILAN MONDIAL 15 Le FMI en question Les crises économiques et financières en Asie, en Russie et en Amérique latine ont fait au moins une victime : le Fonds monétaire international. Celui-ci n’a pas cessé d’être l’objet de critiques véhémentes : institution opaque, non démocratique, inféodée à l’idéologie ultralibérale, figée dans un mode d’intervention en décalage par rapport aux situations nouvelles. Le FMI aurait cherché à intégrer à marche forcée les pays « émergents » dans le système financier mondial sans tenir compte de leur impréparation structurelle, puis, quand les problèmes sont apparus, il aurait brutalement appliqué des thérapies économiques drastiques qui ont enfoncé encore un peu plus ces pays dans le marasme. Ainsi, les capitaux ont afflué pendant des années vers la Thaïlande, la Corée du Sud, l’Indonésie, alors que les systèmes bancaires de ces nations n’étaient pas assez organisés pour gérer convenablement de telles masses d’argent. Résultat : la spéculation et les investissements hasardeux se sont multipliés jusqu’à ce que le château de cartes s’effondre. À ce moment-là, le FMI a imposé une cure drastique passant par des restrictions monétaires brutales, des politiques fiscales et budgétaires sévères, précipitant de nombreuses entreprises de ces pays vers la faillite et abandonnant les populations dans une misère accrue. Les responsables du FMI ont une réponse à plusieurs niveaux : premièrement, les pays « émergents » ont connu, pendant plus de dix ans, une période faste, dont leurs populations ont bénéficié ; deuxièmement, le Fonds a toujours averti les responsables politiques de la fragilité des systèmes bancaires de ces pays ; troisièmement, il existe, en effet, un décalage de plus en plus fort entre un système financier mondial fondé sur des institutions qui ont souvent près d’un siècle (banques centrales, organismes internationaux) et une circulation des capitaux à l’échelle de la planète qui s’est accélérée avec une vitesse sans précédent. Comme le dit le président du Fonds, Michel Camdessus* : « Nous entrons dans le XXIe siècle, celui de Bill Gates et de George Soros, avec un marché régi comme au temps de Balzac. » Les propositions de réforme du système monétaire international, dont les principes datent de la conférence de Bretton Woods de 1944, abondent. Certains, disciples du monétariste Milton Friedman, préconisent une disparition pure et simple du FMI, laissant au marché le soin de réguler au mieux les mouvements de capitaux. D’autres, comme le Premier ministre britannique Tony Blair*, souhaitent un rapprochement entre le FMI et la Banque mondiale, chargée de financer les projets de développement et de lutte contre la pauvreté, afin de mieux coordonner les politiques financières globales et les politiques concrètes d’aide aux entreprises et aux actions sociales. D’autres enfin, comme les responsables politiques français, militent pour sa transformation en véritable gouvernement économique du monde, doté de pouvoirs et de ressources accrus (ce que les Américains ont toujours refusé). Une telle transformation impliquerait que le Fonds soit flanqué d’un « conseil politique » représentant directement les nations, sur le modèle du Conseil de sécurité de l’ONU. En tout état de cause, la mondialisation accélérée de l’économie implique, à terme, une réforme importante du grand régulateur mondial qu’est le FMI. J. C. ULTRALIBÉRAL OU SOCIALISTE RAMPANT ? Âgé de soixante-cinq ans, à la tête du FMI depuis douze ans (reconduit jusqu’en 2001), Michel Camdessus est un haut fonctionnaire français. Ancien directeur du Trésor et ancien gouverneur de la Banque de France, il a de quoi inquiéter les grands financiers anglo-saxons, qui voient en tout agent de l’État français un collectiviste masqué, alors qu’en France, beaucoup le considèrent cornue un otage des États-Unis. À ces opinions tranchées, il oppose sa « théorie » des trois mains : « La main invisible du marché, la main de la justice (c’est celle de l’État) et la main de la solidarité. Il faut que les trois mains puissent travailler ensemble. » downloadModeText.vue.download 17 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 16 Vers une justice internationale ? Cinquante ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme et la convention sur le Génocide, la communauté internationale se dote d’un tribunal à sa mesure : 160 pays réunis à Rome du 15 juin au 17 juillet, sous l’égide de l’ONU, jettent les fondations d’une Cour criminelle internationale (CCI) chargée de juger les auteurs des crimes les plus graves. La communauté internationale se donnerait-elle enfin les moyens d’exercer une justice universelle, protégeant l’humanité des crimes qui se commettent contre elle ? La Cour criminelle internationale (CCI), qui siégera à La Haye, n’a pourtant pas fait l’unanimité : lors du vote, 21 pays se sont abstenus, 7 ont voté contre – la Chine, les Philippines, l’Inde, le Sri Lanka et la Turquie, mais aussi les États-Unis, réfractaires à toute juridiction universelle, et Israël, en raison d’un paragraphe accusé d’assimiler la colonisation des territoires palestiniens à un crime de guerre. Une opposition d’autant plus regrettable que ce tribunal, cinquante ans après la convention sur le Génocide, vise à institutionnaliser une instance judiciaire telle que celle qui jugea les atrocités nazies à Nuremberg. Les récentes expériences de justice internationale – le TPI pour l’ex-Yougoslavie ou pour le Rwanda – ont trahi les limites de tribunaux tributaires de facteurs régionaux et souligné la nécessité d’en élever les compétences aux dimensions de la planète. La CCI devrait contribuer aux efforts de paix internationaux en ne laissant pas l’impunité aux criminels, mais aussi en exerçant une dissuasion sur les apprentis sorciers du génocide. Mais, faute d’une réelle volonté politique capable d’armer le bras de cette justice internationale, la CCI risque d’être une coquille vide, alourdie par les pesanteurs bureaucratiques de l’ONU et suspectée de partialité, dès lors qu’elle est sous le contrôle des grandes puissances. Une énième institution internationale ? Si la question de l’égalité des nations devant la CCI se pose d’emblée, la création de celle-ci répond néanmoins à une exigence universelle de justice toujours plus pressante, quand ce siècle fait le bilan de ses tragédies, du génocide resté impuni des Arméniens en 1915, au génocide rwandais, en passant par l’holocauste juif et le génocide cambodgien, dont l’auteur, Pol Pot, est décédé en avril de mort naturelle après une parodie de procès dans la jungle, ou encore la situation en Argentine, où l’ex-dictateur Videla est arrêté en juin, huit ans après avoir été pardonné, à celle du Chili, dont l’exdictateur Augusto Pinochet voit sa retraite perturbée par les procédures entamées à Londres en octobre par les justices européennes. La CCI ne doit pas décevoir cette exigence, au risque de passer pour une énième institution dont les professions de foi sont autant de voeux pieux. En attendant, les désaccords qui ont accompagné la naissance de la CCI montrent qu’une justice universelle n’est pas pour demain. G. U. UNE JUSTICE INTERNATIONALE EN QUÊTE DE CONSENSUS Le texte de compromis adopté à Rome attend d’être ratifié par les pays fondateurs. Les réserves apportées aux prérogatives du tribunal de 18 magistrats qui siégera à La Haye devraient garantir à celui-ci l’adhésion du plus grand nombre. Ces réserves concernent les crimes de guerre, lesquels constituent, avec le crime d’agression, le crime contre l’humanité et le crime de génocide, les quatre catégories des « crimes les plus graves ayant une portée internationale ». Pour les crimes de guerre, les États signataires pourront décider, pendant une période de sept ans, de la compétence de la CCI. Et si le procureur international peut ouvrir une enquête, le Conseil de sécurité pourra la bloquer pendant douze mois s’il s’y oppose. downloadModeText.vue.download 18 sur 417 LE BILAN MONDIAL 17 Une Europe social-démocrate ? Une conjonction politique et idéologique comme une conjoncture économique et sociale poussent certains à parler d’une Europe de gauche. En réalité, l’arc rose européen permet d’envisager toutes les nuances d’un réformisme plus ou moins affirmé. Que peut signifier le concept d’« Europe rose » à une époque où les notions mêmes de gauche et de social-démocratie sont pour le moins problématiques, et où la construction de l’Europe en tant que projet politique demeure encore à ses tout débuts ? Pour répondre à cette question, il convient de se placer à trois niveaux : celui de l’évolution de la socialdémocratie européenne, celui du projet européen et celui de la conjoncture économique et politique. Du point de vue idéologique, force est de constater qu’il s’est produit une nette convergence entre les gauches non communistes du Vieux Continent. Il y eut d’abord l’opposition nette des années 50 et 60 entre la social-démocratie pragmatique et non marxiste des pays du Nord et le socialisme marxisant – du moins dans la rhétorique – de l’Europe du Sud. Au cours des années 80, on vit s’opposer à nouveau les gauches nordiques, qui adoptèrent alors une culture d’opposition (pacifisme, moralisme), et les gauches latines au pouvoir, qui pratiquèrent une politique militaire nettement ancrée à l’Ouest (soutien à l’OTAN et aux missiles américains basés en Europe) et un réalisme économique flirtant parfois avec le cynisme (multiplication des « affaires » en Italie, en Espagne et en France). Depuis le milieu des années 90, le rapprochement entre gauches du Nord et gauches du Sud est patent, comme l’acceptation par tous de l’économie de marché en tant que modèle indépassable ; d’où leur présence simultanée au pouvoir. Du point de vue européen, la convergence est nette : Tony Blair, appuyé sur ce point par le patronat britannique, a rompu avec l’obsession insulaire et atlantiste des conservateurs, mais, surtout, il est apparu à tous que la préservation d’un « modèle européen » (protection sociale de qualité, maintien des services publics essentiels, lutte contre le chômage, priorité à la formation, modernisation de l’État) constituait un lien plus fort que des débats théoriques d’un autre âge. Plus encore que les questions de doctrine, la conjoncture économique peut être le véritable ciment d’une « Europe rose ». Les crises de la mondialisation (Asie, Russie, Amérique latine) comme le découplage entre les croissances américaine et européenne ont montré qu’une action économique concertée en Europe pouvait se concevoir en dehors d’une stricte subordination aux états successifs de l’économie dominante américaine. En cette fin des années 90, dans une Union européenne (partiellement) protégée par son embryon de monnaie commune, on commence à dire, à Paris comme à Bonn, à Londres comme à Rome, qu’une relance de la consommation (par des baisses des taux d’intérêt, par des allégements fiscaux, par des programmes sociaux) est : non seulement possible en Europe, mais constitue la clef même du succès. Un développement autonome, voire keynésien, de l’économie européenne, voilà ce qui peut rapprocher socialistes et sociaux-démocrates de Helsinki à Lisbonne. En attendant qu’ils s’opposent sur d’autres échéances et sur d’autres perspectives. J. C. LA GAUCHE AU POUVOIR À L’AUTOMNE 1998 Allemagne : sociaux-démocrates et Verts Autriche : sociaux-démocrates et parti conservateur Belgique : socialistes et démocrates-chrétiens Danemark : sociaux-démocrates et petits partis Finlande : sociaux-démocrates et petits partis France : socialistes, communistes, radicaux et Verts Grèce : socialistes Grande-Bretagne : travaillistes Italie : démocrates de gauche et petits partis du centre droit à l’extrême gauche Luxembourg : sociaux-chrétiens et socialistes Pays-Bas : sociaux-démocrates et petits partis Portugal : socialistes et petits partis Suède : sociaux-démocrates et petits partis downloadModeText.vue.download 19 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 18 Droite-gauche : l’équilibre retrouvé Expression d’une modernité démocratique tardive ou signe d’une instabilité sociale et psychologique grandissante, le fait est là : la France paraît condamnée aux alternances à répétition. Depuis 1981, pas une seule année électorale pour se donner la peine de ressembler à la précédente ! Pour s’en tenir aux épisodes les plus récents, 1993 renverse les socialistes, 1995 renverse les balladuriens, 1997 renverse les chiraquiens. On évoquait sous Louis XIII la journée des Dupes. Depuis lors, le temps s’est dilaté et c’est d’une décennie des dupes qu’il faut désormais parler. L’année 1998 n’échappe pas à la règle, mais à sa manière et à son rythme qui méritent d’être considérés. Tout commence par la continuation de 1997. La gauche progresse aux élections régionales et cantonales, reconquérant quelques régions et un solide paquet de départements. M. Jospin, un instant fragilisé par le mouvement des chômeurs, se remet, selon l’expression consacrée, à caracoler dans les sondages et garde cette cote de confiance des bons élèves qui agace toujours les mirobolants tapageurs du fond de la classe. La faconde et l’optimisme communicatifs de Dominique Strauss-Kahn sont au diapason d’une conjoncture qui donne à chacun le sentiment que la gauche a décidément la première des qualités requises d’un gouvernement : la chance. Le Front national plastronne, le RPR rame à contre-courant pour conserver des militants tentés par le nationalisme véhément de Jean-Marie Le Pen. L’UDF explose sous le poids de ses contradictions idéologiques et stratégiques : Charles Millon rappelle qu’il n’est pas centriste mais de droite et s’engage, ainsi que trois présidents de région, tous UDF, avec le FN dans une partie de poker-menteur ; Alain Madelin se sépare de l’UDF et tente de cultiver, dans son petit jardin, les fleurs incompatibles du libéralisme et du traditionalisme ; François Bayrou s’efforce de faire un grand parti avec un petit centre et découvre, inquiet, qu’on ne peut pas exalter l’identité des siens sans risquer l’affrontement avec les autres. Grande misère des petits partis ! Bref, un observateur qui aurait débarqué à Paris au milieu de l’été n’aurait pu faire qu’un constat sans appel : une gauche qui triomphe, une extrême droite qui pavoise, une droite qui rend l’âme. Le grippage de la méthode Jospin Et pourtant, cinq mois plus tard, si rien n’est inversé, tout est bouleversé. Ça a commencé par le grippage de la méthode Jospin. Ce mélange subtil de savoir-faire et de faire savoir donne à l’automne quelques signes de faiblesse. Tel l’Achille « immobile à grands pas » de Paul Valéry, le gouvernement paraît tout à la fois hésiter sur le chemin des réformes et écraser le Parlement sous un flot de projets excédant sa capacité d’absorption. Deux couacs réveillent le scepticisme latent de l’opinion : le retrait, faute d’un volet financier satisfaisant, du projet de réforme de l’audiovisuel et, surtout, l’échec en première lecture du PACS, tombé par surprise sous le coup d’une exception d’irrecevabilité par manque de mobilisation de la gauche plurielle. L’affaire du PACS, c’est-à-dire du statut légal, social et fiscal de certaines catégories de couples non mariés, dont les homosexuels, est particulièrement révélatrice des nouvelles tribulations du pouvoir. Si le Parlement cafouille, c’est d’abord parce que le gouvernement s’est gardé de prendre directement l’affaire en main. L’art de l’esquive, dans lequel le Premier ministre semblait passer maître, se trouve ainsi brusquement à la fois mis en lumière et mis en accusation. Plus fondamentalement, après l’acceptation maussade du pacte de stabilité, la reforme a minima des lois Pasqua-Debré, la fermeté interminable du ministre de l’Intérieur sur les sans-papiers, l’affaire du PACS révèle downloadModeText.vue.download 20 sur 417 LE BILAN FRANÇAIS 19 une tension de plus en plus vive entre gauche électorale et gauche de conviction : « Lionel, qu’as-tu fait de ta victoire ? » L’effet déstabilisateur de ces tensions est renforcé par la perspective des élections européennes. Lionel Jospin et Jacques Chirac ont perçu la nécessité de modifier un mode de scrutin inefficace et antidémocratique. Ni l’un ni l’autre n’a vraiment su ni voulu convaincre ses amis de soutenir le projet de réforme correspondant. Par un de ces accès de masochisme dont le personnel politique a parfois le secret, les partis de droite et de gauche ont combattu, ignoré ou boudé le projet du gouvernement. Résultat, le maintien de la proportionnelle nationale, scrutin centrifuge par excellence, embarrasse la droite et favorise l’explosion de la gauche plurielle : emmenés par Daniel Cohn-Bendit, les Verts s’enhardissent sur les sans-papiers, le nucléaire ou le PACS, tandis que, à l’extrême gauche, le pacte Laguillier-Krivine dresse le spectre de Trotski devant les héritiers assagis de Staline. Il y a enfin le mauvais vent qui souffle sur l’économie : vent du Pacifique qui atteint tardivement l’Europe de l’Ouest via la Russie. Si tardivement d’ailleurs qu’on ne l’attendait plus vraiment et qu’on s’était habitué, sous les commentaires enjoués de M. Strauss-Kahn, à vivre en France comme dans une sorte de village d’Astérix de la croissance maintenue. Longtemps niés, les signes de ralentissement se font évidents à partir de l’été, fragilisant les hypothèses budgétaires du pouvoir et redonnant crédibilité aux sempiternelles exhortations de l’opposition à la réduction du train de vie de l’État et à la modération de la pression fiscale. Longtemps incapables de gérer les conséquences politiques de leur défaite électorale de 1997, les droites paraissent dans les derniers mois de 1998 relever la tête et sortir peu à peu de leur enfer. Cette remise en forme, elles la doivent d’abord au rétablissement de l’autorité présidentielle, de l’autorité légitime. Après les longs mois d’une éclipse de majesté, Jacques Chirac imprime son style à la cohabitation, un style qu’il veut à la fois débonnaire et déterminé, ferme et souriant, distant de la politique politicienne et proche des citoyens. Par petites touches, presque insensiblement, le général vaincu se mue en opposant de moins en moins inavoué, installé au coeur du pouvoir et bien décidé à ne laisser sa place à personne. Jacques Chirac joue sur les réserves de loyalisme enfouies au coeur de la droite profonde. Les vices de son camp le servent. La désorganisation des droites, leurs querelles internes, leur peu d’appétence pour les procédures démocratiques leur interdisent tout passage de relais organisé du vaincu de 1997 vers un nouveau champion. Trompe-l’oeil destiné à apaiser le besoin d’unité et à éluder l’aspiration démocratique des électeurs, l’Alliance pour la France, née un soir de juin de l’initiative conjointe de Philippe Séguin et de François Léotard, n’est rien d’autre qu’un cartel d’états-majors incapable de mettre en place des procédures démocratiques de sélection d’un candidat. Dans ce chaos ripoliné, le légitimisme présidentiel apparaît comme le seul rempart contre le désordre et la décomposition. En France, c’est le pouvoir qui rend légitime et non la légitimité qui donne le pouvoir. Jacques Chirac le sait, le sent, l’éprouve au quotidien : il a été président pour le pire, il le sera pour le meilleur. « Fortune, infortune, fortune ». Se succédera-t-il à lui-même ? Nul ne peut le dire, mais personne ne doute qu’il sera candidat à sa propre succession. Tout l’y pousse : son tempérament d’éternel bretteur, « ses amis » du RPR et de l’UDF, dont aucun n’est ni en mesure de lui succéder ni en humeur de laisser à un autre le soin de le faire, les parlementaires qui font le gros dos sous l’orage et sentent confusément que toute tentative visant à substituer un homme nouveau au président sortant serait vouée à l’échec et menacerait encore un peu plus des positions électorales fragiles. L’hommage au roi Jacques Malgré ses faiblesses persistantes, le système des partis modérés se réorganise en profondeur sans pour autant remettre en cause la prééminence présidentielle. Bien au contraire. Au RPR, la guerre des présidents – celui de la République contre celui du Parti – se règle par un échange de bons procédés. Humilié en février au Conseil national de son moudownloadModeText.vue.download 21 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 20 vement par l’immense ovation qui accueille le nom de Jacques Chirac et par sa propre impuissance à faire rebaptiser le RPR, Philippe Séguin trouve le salut en mettant genou à terre et en renouvelant au roi Jacques l’hommage qui lui est dû. Loyalisme aussitôt récompensé par un soutien au député des Vosges pour la présidence du RPR, et pour la tête de liste de l’Alliance aux élections européennes. La mansuétude du prince est fille de son autorité retrouvée. Le nouvel ordre partisan des droites passe par la remise en cause du paritarisme RPR/ UDF. Vingt ans de travail politique pour faire de la confédération libérale l’équivalent du RPR sont anéantis au mois de juin par le divorce solennel et dérisoire du couple Bayrou-Madelin. Résultat, le RPR installe sur l’ensemble de l’opposition une hégémonie sans partage, comme au bon vieux temps. Imitant la gauche plurielle, l’opposition de droite s’organise comme une flotte de navires de guerre articulés autour d’un porte-avions amiral, le PS là, le RPR ici. Entre Lionel Jospin et Jacques Chirac, maîtres quasi absolus des deux grands vaisseaux, la symétrie de posture est parfaite. Ultime grand événement politique de 1998 et « divine surprise » pour le camp modéré, l’explosion en vol du Front national. Chacun sentait bien que, en engrangeant régulièrement, durablement, bourgeoisement, pourrait-on dire, des scores de 15 %, en exerçant çà et là des responsabilités locales à la vertu apéritive et en faisant éclore une jeune génération de responsables aux dents longues, le Front national serait tôt ou tard contraint d’organiser sa propre mutation, le vieux parti protestataire faisant place à une force d’alternance capable de sélectionner ses antipathies, de nouer des alliances avec une partie de la droite modérée et, devenu incontournable, de participer à l’exercice d’un pouvoir néoconservateur. Ce qui n’avait guère été perçu, en revanche, c’étaient l’imminence de la déflagration, la violence du choc et la fureur masochiste s’emparant de chacun des camps. Et pourtant l’extrême droite française ne nous avait-elle pas, tout au long de son histoire tumultueuse et vaine, habitués à vivre constamment au bord du gouffre et à montrer une allergie à l’exercice modéré d’un pouvoir raisonnable presque aussi forte qu’à la domination honnie des partis de gauche ? L’erreur de Bruno Mégret aura sans doute été de sous-estimer la dimension suicidaire d’un engagement extrémiste né du refus du monde tel qu’il est et incapable de s’y soumettre, fût-ce pour le diriger. Les conséquences de l’éclatement du Front national sont, à l’évidence, à la fois massives et complexes. Sans doute la gauche y retrouvera-t-elle un petit électorat protestataire qui pourrait doper les scores de l’ultra-gauche et compliquer à la marge la tâche déjà délicate de Lionel Jospin. L’essentiel est toutefois ailleurs. Si le verdict des urnes confirme celui des cadres, M. Mégret disposera d’une petite formation à demi fréquentable que les droites modérées auront d’autant plus de mal à diaboliser que tout sera entrepris par l’élu vitrollais pour en finir avec le politiquement incorrect du fondateur du Front national. Si, en revanche, et comme il est probable, le verdict des urnes infirmait celui des cadres du mouvement et donnait, sur fond de repli général, l’avantage aux amis de M. Le Pen sur ceux de M. Mégret, la droite réaliserait une excellente opération en se retrouvant confrontée d’un côté à une extrême droite électoralement affaiblie et politiquement sans avenir et, de l’autre, à des élus en déshérence dont le salut passera par une reddition sans gloire auprès de ceux qui voudront bien d’eux. Curieux paradoxe qui ferait de Jean-Marie Le Pen, adversaire intransigeant de tout compromis avec la droite classique, le sauveur inattendu du RPR, qu’il combat, et de Jacques Chirac, qu’il abhorre ! Au seuil de 1999, la droite française revient de loin. Ses fragilités demeurent : organisation anarchique, division de ses chefs, désinvolture intellectuelle. Elle n’en a pas moins vu, en 1998, s’éloigner les deux spectres qui se dressaient entre elle et son avenir : celui de l’extrême droite, qui aura résisté à tout sauf à elle-même, et celui de la guerre des chefs, renvoyée à l’après-chiraquisme. Les élections régionales et départementales ayant moins bouleversé qu’égalisé le rapport de force électoral, l’équilibre est désormais presque parfait entre les deux camps : les luttes de demain promettent d’être chaudes. JEAN-LOUIS BOURLANGES, DÉPUTÉ AU PARLEMENT EUROPÉEN downloadModeText.vue.download 22 sur 417 LE BILAN FRANÇAIS 21 Seillière, patron de choc ou négociateur ? Dans son combat résolu contre les 35 heures, Ernest-Antoine Seillière s’est battu jusqu’au bout, sillonnant le pays et les unions patronales pour dénoncer cette aberration économique : « Non, tout le monde ne chausse pas du 35. » « Ernest-Antoine Seillière n’est pas l’homme de ses déclarations. Il est meilleur qu’il n’en a l’air. Être président du patronat dans une démocratie, c’est être vice-Premier ministre : il a un poids considérable. Il faut qu’il continue à jouer ce rôle, qu’il renonce au repli. » Sans doute ce propos ménageant le patron des patrons est-il tactique. Il n’empêche, il est révélateur dans la bouche du secrétaire général de Force ouvrière, Marc Blondel. Car si ce baron, héritier des Wendel – l’une des familles les plus illustres et les plus riches du pays, qui, durant près de trois siècles, forgea la sidérurgie lorraine –, n’est pas un patron de gauche, il ne correspond pas pour autant au profil du « tueur » que réclamait Jean Gandois pour lui succéder à la tête du CNPF, après que ce dernier eut démissionné de la présidence pour s’être « fait avoir » sur la réduction du temps de travail hebdomadaire. Certes, Seillière ne mâche pas ses mots, préfère le parler-vrai et ne cache pas ses sentiments. Mais il est pragmatique et lucide. Contre le moule des 35 heures, donc, il s’en est pris, maladroitement parfois, au Premier ministre, son ancien camarade de promotion à l’ENA, qu’il retrouve, un temps, au Quai d’Orsay, en affirmant la nécessité de le « déstabiliser ». « Un terme de judo, rien de méchant », se justifie-t-il. Jusqu’au bout, il aura été un dénonciateur féroce des 35 heures, ne comprenant pas qu’une démocratie puisse imposer une décision rejetée par la quasi-totalité des chefs d’entreprise, sans entamer pour autant la détermination du gouvernement. Une fois la loi votée et promulguée, lucide quant à sa capacité d’en empêcher l’application, il s’efforcera d’en atténuer les effets en favorisant les négociations branche par branche et en mettant sur le tapis la flexibilité. Convaincu que l’esprit d’entreprise est la source de toute la richesse nationale, il n’entend pas rester silencieux et cautionner des décisions qu’il juge graves pour le pays. Ainsi, qu’on ne compte pas sur lui, en matière de politique familiale et d’assurance maladie, pour défendre un faux paritarisme où l’État décide de tout en lieu et place des partenaires sociaux. Un adversaire que l’on dit redoutable Loin de la caricature d’un patron « de droit divin » un peu perdu dans son siècle que font de lui les Guignols de l’Info, pas vraiment « tueur » comme le souhaitait Gandois, mais pas franchement « souple », Ernest-Antoine Seillière s’affiche à la tête du CNPF comme un adversaire, pragmatique mais redoutable, pour le Premier ministre Lionel Jospin. Tout indique que ce « capitaine » d’industrie, amateur de grands débats publics et de confrontations, devenu, au moment où une gauche plurielle revenait au pouvoir, le patron des patrons, n’est pas un « bleu » de la négociation. B. M. UN HOMME TRÈS ENTOURÉ Cet héritier, dur en affaires, qui a su avec brio faire fructifier le patrimoine familial après la nationalisation de la sidérurgie par Raymond Barre, est aussi un politique au carnet d’adresses impressionnant. S’il ne connaît pas ou peu Martine Aubry, il n’en va pas de même de Jacques Delors. Il le rencontre en 1969, lorsqu’il entre dans le cabinet de Jacques Chaban-Delmas. C’était l’époque de la « nouvelle société », et, depuis, les deux hommes continuent à s’entretenir régulièrement. De son passage à Sciences po, où, pour la petite histoire, cet étudiant de droite est vice-président du bureau des élèves contrôlé par l’Unef, il se lie d’amitié avec l’avocat Tony Dreyfus, qui lui fera rencontrer, dans les années 70, le chantre de la deuxième gauche, Michel Rocard, que, aujourd’hui, il tutoie. downloadModeText.vue.download 23 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 22 La montée de l’extrême gauche Ironie du sort, trente ans après mai 68 et alors qu’une gauche plurielle est installée aux affaires, l’extrême gauche fait une percée spectaculaire à l’occasion des élections régionales. En totalisant, au niveau national, 4,38 % des suffrages, elle fait pour la première fois son entrée dans les conseils régionaux. Avec 20 élus, dont l’éternelle Ariette Laguiller en Île-de-France, Lutte ouvrière (LO) se taille la part du lion face à la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qui n’a que 2 élus. Cette montée en puissance n’est pas vraiment une surprise ; elle est, en réalité, la conséquence de la majorité plurielle allant des socialistes aux communistes en passant par les Verts, mise en place par Lionel Jospin, le 2 juin 1997. Cette FGDS « new look », couvrant un vaste champ de la gauche française, a paradoxalement libéré un espace électoral dans lequel se sont engouffrés tous les tenants d’une gauche plus radicale, qui ne se reconnaissent pas dans celle qui est au pouvoir, ainsi que tous les déçus – ceux qui estiment que cela ne va pas assez vite – de l’action gouvernementale. Elle est aussi, d’une certaine façon, révélatrice d’une crise de l’offre politique et d’un déficit social au sein de la coalition majoritaire. « Nos électeurs ont voulu signifier à la majorité l’insuffisance des mesures prises par le gouvernement pour lutter contre le chômage, notamment », explique Ariette Laguiller, qui n’a eu aucun mal, cette fois, à trouver des candidats pour constituer 69 listes départementales ! Si l’on doit voir dans ce vote un avertissement aux socialistes pour qu’ils se gardent de toute tentation hégémonique et de toute autosatisfaction, les principales victimes de l’émergence de ce pôle critique qui s’installe à la gauche de la gauche plurielle sont, avant tout, les communistes et, dans une moindre mesure, une partie des écologistes libertaires qui, un temps, avaient suivi Dominique Voynet. Quand on analyse les scores de l’extrême gauche, on constate qu’elle obtient ses meilleurs résultats dans les zones où le Parti communiste est traditionnellement fort. Sur la vague des conflits Mais, à côté de ces sympathisants communistes, l’extrême gauche d’Ariette Laguiller – et c’est là un paradoxe, parce qu’elle n’était pas vraiment partie prenante, à la différence de la LCR – a réussi à capter une partie du mouvement des « sans », les sans-papiers, les sans-logis, les sans-emploi. Cela s’explique, sans doute, par l’aura et le capital de sympathie qu’elle a acquis au cours de ses nombreuses candidatures à la présidence de la République (5,2 % des suffrages en 1995) et aussi par le discours ouvriériste qu’elle n’a jamais cessé de tenir depuis maintenant près de trente ans et dont le Parti communiste, aujourd’hui, lui a laissé, non sans risque pour lui, le monopole. Reste à savoir maintenant quelle est l’utilité de ce vote d’extrême gauche. Se limite-t-il à un vote protestataire sans grande conséquence ou exprime-t-il un malaise plus profond dont le gouvernement devra tenir compte ? B. M. LE PARTI COMMUNISTE HARCELÉ La « social-démocratisation » du PC engagée par Robert Hue n’est sans doute pas étrangère à la montée de l’extrême gauche. Ainsi, en SeineSaint-Denis, terre d’élection de deux ministres du gouvernement Jospin, Jean-Claude Gayssot et Marie-George Buffet, les candidats communistes font une contre-performance et Lutte ouvrière fait passer deux des siens. Mais, si les rénovateurs du PC paient cette participation gouvernementale, les orthodoxes ne sont pas moins épargnés. Dans le Nord-Pas-de-Calais, temple de l’orthodoxie communiste, LO fait élire 7 candidats, et, en Picardie, région de l’inflexible downloadModeText.vue.download 24 sur 417 LE BILAN FRANÇAIS 23 Maxime Gremetz, 3 autres. C’est la preuve que la mutation du PC conduite par Robert Hue depuis 1994 déconcerte une partie de sa base, qui ne se retrouve plus dans les prises de position de son dirigeant et préfère aller vers d’autres rivages plus conformes à son idéal. Un constat qui, à l’approche des élections européennes, pourrait inciter la direction communiste à faire de la surenchère afin d’éviter une hémorragie d’une partie de ses électeurs. downloadModeText.vue.download 25 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 24 La lutte contre l’exclusion L’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) a calculé qu’en 1994 environ 5,5 millions de personnes, soit près de 10 % des ménages, vivaient au-dessous du seuil « monétaire » de pauvreté (3 800 F par mois pour une personne seule, ou 6 800 F pour un couple avec un enfant), chiffre global qui n’a pas évolué depuis 1984. Ces chiffres montrent que la pauvreté n’est pas liée uniquement au chômage, car un couple qui dispose d’un seul SMIC vit en deçà du seuil de pauvreté, et la proportion de pauvres parmi les salariés est passée de 3,4 % en 1984 à 4,7 % en 1994. Les véritables exclus ne représentent que 2 % environ des ménages, mais les sans-abri et les personnes vivant en foyer sont mal pris en compte par les statistiques, car les chiffres de l’INSEE sont basés sur une enquête à domicile. Pour l’INSEE, aux critères monétaires s’ajoutent l’absence de biens de consommation de base ou d’usage ordinaire et la perception qu’ont ces personnes de l’écart entre leurs revenus et le minimum nécessaire pour vivre. Une « boîte à outils » Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Soli- darité du gouvernement de Lionel Jospin, a, dès octobre 1997, élaboré un plan triennal ambitieux, présenté le 4 mars 1998 en Conseil des ministres. Selon Martine Aubry, ce doit être une « boîte à outils » permettant de s’adapter aux situations individuelles. Ses objectifs sont de garantir l’accès aux droits fondamentaux, de prévenir les exclusions, de répondre aux situations d’urgence et de mieux agir contre les exclusions. La loi faisant suite à ce plan a été adoptée le 9 juillet. Le chômage étant l’un des facteurs essentiels du développement de la précarité, la loi a notamment pour objectif de mettre en place une démarche de prévention du chômage : appui personnalisé en vue du retour à l’emploi ; renforcement des missions locales et de l’ANPE ; un véritable parcours d’insertion destiné à offrir aux jeunes les plus en difficulté un trajet d’accès à l’emploi (programme TRACE) ; un objectif de 20 % des emplois-jeunes réservés aux quartiers en difficulté. Pour les adultes cumulant les handicaps professionnels et sociaux, le projet prévoit la mise en place de réponses adaptées et un renforcement du secteur de l’insertion par l’activité économique (entreprises d’insertion). Un autre point traite, pour la première fois, les situations d’exclusion en amont, dans toutes leurs dimensions, ce qui constitue un changement d’approche important : aménagement des minima sociaux, permettant notamment le cumul du RMI et de l’allocation spéciale de solidarité ou de parent isolé ; mesures sur le logement social, sur la prévention ou l’aménagement des expulsions, sur les coupures d’eau, de gaz et d’électricité. S’y ajoutent des mesures sur le surendettement et les fonds d’urgence. Cette première loi sera complétée par deux autres : l’une sur l’accès à la Justice et l’amélioration des relations entre l’Administration et le public, l’autre sur l’instauration d’une « couverture maladie universelle ». S. E.-S. LA LUTTE CONTRE L’EXCLUSION EN CHIFFRES Le gouvernement a annoncé que le programme serait doté de 51,4 milliards de francs pour les années 1998 à 2000. Le financement proviendra à la fois de l’État, du Fonds social européen, de la participation des collectivités locales et des organismes de protection sociale, et d’une répartition nouvelle de ressources déjà provisionnées. Les deux tiers de ces sommes sont destinées à l’emploi, plus de 10 % à la santé, près de 10 % à la revalorisation des fonds sociaux, et le reste au logement, à l’éducation et à l’action sociale. Il s’agit de mettre en place un autre traitement de l’urgence, fondé sur la prise en compte de l’endownloadModeText.vue.download 26 sur 417 LE BILAN FRANÇAIS 25 semble des éléments susceptibles de conduire à des situations de détresse grave, sur un traitement personnalisé, au plus près des situations concrètes, afin de conforter ou de restaurer une égalité de traitement entre citoyens. Ainsi, il s’efforce de repenser, de coordonner et d’unifier les mesures existantes, d’en ajouter de nouvelles qui ne fassent pas double emploi avec l’existant, en faisant appel à l’effort de toutes les instances publiques et associatives. downloadModeText.vue.download 27 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 26 La gauche et la famille La déclaration de politique générale de Lionel Jospin, lors de son arrivée au pouvoir en juin 1997, soulignait son souci de mettre en place une politique redistributive des revenus, qui passe, en particulier, par une réforme des prestations sociales, dont les allocations familiales. C’était là prendre un pari difficile, étant donné la complexité des problèmes posés. Dans sa volonté de mettre en place une politique redistributive des revenus, le gouvernement s’est trouvé confronté à une double réalité. D’une part, la transformation des modèles familiaux incite à une réflexion sur la législation de la famille. De l’autre, la logique nataliste et égalitaire qui a prévalu à la fin de la Seconde Guerre mondiale dans la structuration des allocations familiales risque d’être entamée si la réforme en question propose une mise sous condition de ressources de ces allocations. Sur les deux terrains, la droite – soutien traditionnel des « valeurs familiales » – va engager le fer. La première bataille, la plus visible, concerne les allocations familiales. La loi de finances pour 1998 prévoit une mise sous condition de ressources, et des députés et sénateurs UDF et RPR saisissent aussitôt le Conseil constitutionnel, au motif que cette disposition est une violation du principe constitutionnel d’égalité ainsi que du préambule de la Constitution selon lequel « la nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Mais le Conseil constitutionnel valide la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Le décret d’application de la loi de finances organise donc une entrée en vigueur de la mesure dès avril 1998. Ce sont 7,8 % des familles qui seraient alors exclus du bénéfice des allocations : 268 000 familles de deux enfants, 70 000 de trois et 13 000 de quatre, mais cela réduirait de 4,8 milliards de francs sur une année le déficit de la branche « famille », estimé à 11,8 milliards. Un contrat d’union civique Dans le même temps, un débat latent est repris au Parlement sur les conséquences à tirer des transformations de la famille. Ne faut-il pas réformer une législation qui favorise largement les couples mariés, en particulier dans le cas de l’héritage, alors que les couples non mariés, qu’ils soient hétéro- ou homosexuels, sont très lourdement pénalisés ? La déclaration de concubinage, dans le cas des couples hétérosexuels, ne suffit pas à régler le problème. Il est donc envisagé de créer une forme de contrat qui serait passé soit devant le maire, soit devant une autre autorité administrative (le préfet) : d’abord nommé « contrat d’union sociale », il devient ensuite le « pacte civil de solidarité » (PACS). Des propositions de loi autour de ce contrat seront examinées par l’Assemblée nationale à l’automne 1998. Mais, là aussi, la controverse fait rage dans les rangs de certaines associations familiales et des défenseurs de la famille traditionnelle. Devant la multiplicité des problèmes posés, Martine Aubry fait effectuer plusieurs rapports relatifs à la famille. Cette réflexion se situe dans la perspective d’une grande conférence sur la famille, qui se tient le 12 juin 1998. Le débat paraît donc ouvert, mais ses conclusions ne vont pas toutes dans le sens amorcé par le gouvernement. Le rapporteur du volet « famille » du projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l’Assemblée préconise de rétablir les allocations familiales pour tous ; le rapport sur les problèmes quotidiens des familles considère qu’il convient d’étendre la politique familiale à toute : l’action sociale, sans la cibler sur la seule famille ; le rapport sur les changements et le rôle de la famille avance des conclusions en retrait des projets de ce « contrat d’union civique ». Mais c’est surtout le plafonnement des allocations familiales qui fait l’objet de réactions publiques très défavorables, notamment dans les classes moyennes. S. E.-S. downloadModeText.vue.download 28 sur 417 LE BILAN FRANÇAIS 27 UNE VASTE CONCERTATION SUR LA FAMILLE Lionel Jospin choisit donc, dès juin 1998, et contrairement aux voeux de la plus grande partie de sa majorité, de renoncer, dans un premier temps, à la mise sous condition des allocations familiales et d’entreprendre une vaste concertation sur la famille. Il s’agit désormais pour le gouvernement de privilégier une approche globale qui permette à la gauche de se doter d’une véritable politique familiale. downloadModeText.vue.download 29 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 28 La « bataille de Paris » Sur fond de revers électoraux et d’affaires Tiberi, le 6 avril 1998, à l’initiative de l’ancien garde des Sceaux, Jacques Toubon, la majorité municipale parisienne vole en éclats. Réclamant plus de « transparence », plus de « démocratie » afin de « créer les conditions de la victoire en 2001 », le maire du XIIIe arrondissement de la capitale, proche du chef de l’État au même titre que Bernard Pons, qui le suit dans l’aventure, part en guerre contre Jean Tiberi. L’initiative fait long feu. Avec une trentaine d’élus RPR et UDF, le tiers de la majorité municipale, Jacques Toubon crée son propre groupe PARIS (Paris-Audace-Renouveau-InitiativeSolidarité). Objectif des « putschistes », comme les qualifiera l’agressé : déposer ce dernier, qui, empêtré avec sa femme Xavière dans des affaires politico-judiciaires, mène ce fief historique de la chiraquie à l’échec. Quelques semaines plus tard, après un ultimatum de Philippe Séguin, le patron du RPR, et le soutien remarqué de Jacques Chirac à son successeur à l’Hôtel de Ville, les « putschistes » menacés d’exclusion et lâchés par une droite en plein désarroi qui n’a plus les moyens ni le goût de se payer le luxe d’un tel duel fratricide, rentreront dans le rang. Une initiative qui fait long feu Cet armistice fragile ne met pas fin à la guérilla. Mais l’offensive Toubon a échoué, et Jean Tiberi a provisoirement gagné. Placé, par ses fonctions, au coeur du système de financement occulte du RPR, sur lequel la justice enquête et progresse à grands pas, le maire de Paris a démontré qu’il détenait des moyens de pression suffisants pour s’assurer le soutien de la rue de Lille et de l’Élysée. Certes, c’est un maire en sursis, mais un maire qui ne lâchera pas son fauteuil avant 2001, date de la prochaine échéance municipale, à moins, bien sûr, que des investigations judiciaires, notamment sur l’affaire des emplois fictifs, n’en décident autrement et ne viennent bouleverser le calendrier. Il n’empêche, cette trêve imposée aux belligérants ne masque pas les dégâts provoqués par le « blitzkrieg » raté de Jacques Toubon et de ses amis. Ils sont considérables. La majorité municipale, avec à sa tête un maire affaibli, pour ne pas dire discrédité, est désormais profondément et durablement divisée. Elle se cherche un champion pour la prochaine joute électorale : pour l’heure, il est introuvable, même si Édouard Balladur se tient en embuscade. C’était impensable il y a encore peu de temps, mais Paris, ce bastion historique de la chiraquie pendant plus de vingt ans, est, aujourd’hui, le talon d’Achille du RPR. Et la gauche commence à se convaincre que la victoire est à sa portée. N’a-t-elle pas renforcé ses positions en 1995 en décrochant plusieurs mairies d’arrondissement ? N’a-t-elle pas, en 1997, lors de la dissolution ratée par la droite, enfoncé le clou en expédiant siéger à l’Assemblée nationale un nombre significatif de députés de Paris ? Enfin, lors des dernières élections régionales, en mars 1998, ne s’est-elle pas emparée, pour la première fois depuis la création des établissements régionaux, du conseil régional d’Île-de-France, détenu sans discontinuité depuis l’origine par le RPR, alors que le candidat de la droite était un certain Édouard Balladur ? Mieux et plus inquiétant pour la droite, lors de cette dernière consultation, pour la première fois depuis le nouveau statut de 1977 et l’élection d’un maire à Paris, la gauche et la droite sont arrivées en tête dans le même nombre d’arrondissements parisiens. Autrement dit, si des municipales avaient eu lieu ce jour-là, le jeu était ouvert. B. M. downloadModeText.vue.download 30 sur 417 LE BILAN FRANÇAIS 29 PARIS, CITADELLE IMPRENABLE ? On l’a compris, la mairie de Paris n’est plus une citadelle imprenable pour la gauche ; elle est même menacée de perdre son statut de chasse gardée de la chiraquie : d’où l’offensive maladroite et bien mal préparée de Jacques Toubon contre Jean Tiberi, gardien certes contesté du temple, mais détenteur de trop de secrets pour être débarqué de cette façon-là. Alors, sans doute, pour tenter de réconcilier au plus vite les Parisiens avec l’Hôtel de Ville, l’actuelle majorité municipale doit-elle changer ses méthodes et ses leaders. Mais pas en jouant les pyromanes a estimé l’Élysée. Le feu couve suffisamment dans la maison. downloadModeText.vue.download 31 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 30 Réforme de la justice : l’enlisement ? Décembre 1998 : plus d’un an après sa présentation au conseil des ministres, l’ambitieuse réforme de la justice du gouvernement Jospin était en panne. En cette fin d’année, l’Élysée tardait encore à réunir le congrès qui doit voter la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature. Décembre 1996 : juste avant la dissolution de l’Assemblée Nationale, Jacques Chirac donnait le premier coup d’envoi, – tué dans l’oeuf –, de la réforme de la justice. Puis vint le rapport Truche et le lancement, début 1998, de la réforme du gouvernement de Lionel Jospin. Douze mois plus tard, la tentative socialiste avait pris un retard préoccupant. Des cinq projets de lois amorcés depuis le début de l’année, un seul (celui concernant la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature) était quasiment arrivé au terme de la procédure législative. Les textes concernant la présomption d’innocence rencontraient des difficultés jusque dans le camp politique d’Élisabeth Guigou, garde des Sceaux et véritable artisan de la réforme. Reprochant à la ministre de la justice de n’être pas allée assez loin, les députés socialistes préparaient fin décembre un grand nombre d’amendements, destinés notamment à élargir l’interdiction de la détention provisoire et à restreindre le pouvoir des juges d’instruction, pourtant déjà bien amoindri par le projet de loi. S’agissant des projets visant à réformer les rapports entre la chancellerie et les procureurs, les rapports entre gouvernement et députés promettaient d’être encore plus conflictuels. Rappelons que dans leur état actuel, ces textes abolissent toute instruction individuelle (c’est-à-dire émanant du pouvoir exécutif) aux parquets dans les dossiers particuliers. Ils accentuent par ailleurs la hiérarchisation des procureurs – rançon, dit-on, de leur plus grande indépendance. Quoique toujours nommés sur proposition du ministre de la justice, les procureurs généraux ne pourraient en effet entrer en fonction qu’après avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) – la carrière des autres magistrats du parquet échappant en principe au pouvoir politique. Provoquant réticences et oppositions, ces textes ne pouvaient en tout état de cause être adoptés avant le projet de loi portant réforme du CSM. Or, à la fin décembre 1998, l’Élysée tardait toujours à réunir le congrès qui devait entériner définitive- ment un texte pourtant déjà voté dans les mêmes termes par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Or, si la réforme du CSM n’était pas votée en Congrès avant que les autres projets concernant la justice fussent définitivement adoptés par le Parlement, la réunion du congrès serait, compte tenu de l’encombrement du calendrier parlementaire, repoussée à l’an 2000... J. F. P. LE CASSE-TÊTE DES PROJETS EN COURS : Initiée par Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, la réforme de la Justice a pris la forme de cinq projets de lois, tous amorcés au cours de l’année 1998 : 1 – L’accès au droit pour les plus démunis : il devait être examiné le 10 décembre, en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale. 2 – La simplification des procédures pénales : Texte examiné en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale au cours du premier trimestre 1998. 3 – La présomption d’innocence et la détention provisoire : deux textes qui devraient être examinés en première lecture par l’Assemblée Nationale, à la fin du mois de mars 1999. 4 – Les rapports entre la chancellerie et les procureurs : textes devant être examinés en première lecture par l’Assemblée Nationale, au cours du deuxième trimestre 1999. 5 – La réforme du CSM : premier texte voté en termes identiques par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Il est en attente d’une approbation par le Congrès. Le texte adopté devrait faire l’objet d’une loi organique qui réglementera le statut des magistrats. downloadModeText.vue.download 32 sur 417 LE BILAN FRANÇAIS 31 Le Sénat sur la sellette Seconde chambre du Parlement, qu’il constitue avec l’Assemblée nationale, procédant du suffrage universel, doté de pouvoirs législatifs et de pouvoirs de contrôle significatifs, le Sénat assume une mission spécifique, prévue par l’article 24 de la Constitution : représenter les collectivités territoriales de la République et les Français établis hors de France. Cette forme particulière d’expression de la souveraineté nationale explique son mode de recrutement original. Les 321 sénateurs sont élus pour neuf ans au suffrage universel indirect dans des conditions qui diffèrent légèrement selon la collectivité qu’ils représentent. Pour l’essentiel, leur collège électoral (plus de 145 000 « grands électeurs ») est constitué de représentants des conseils municipaux (à plus de 95 %), des conseillers généraux (ou territoriaux dans les TOM), des conseillers régionaux et des députés. Les 12 sénateurs représentant les Français établis hors de France sont élus par les 150 membres élus du Conseil supérieur des Français de l’étranger. Ces derniers sénateurs sont élus au scrutin proportionnel, tout comme leurs 98 collègues des 15 départements métropolitains les plus peuplés. Dans les autres départements métropolitains ainsi que dans les DOM, les TOM, à Mayotte et à SaintPierre-et-Miquelon (soit 211 sièges), l’élection a lieu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Le Sénat est renouvelé par tiers tous les trois ans, les sièges sénatoriaux étant répartis en trois séries sensiblement égales. La série A a été renouvelée en septembre 1998. Des parlementaires de plein exercice Globalement, le Sénat est organisé de manière similaire à l’Assemblée nationale. Bénéficiant de l’autonomie reconnue aux assemblées parlementaires dans les régimes démocratiques, il est dirigé par un bureau de 22 membres composé du président du Sénat, de 6 vice-présidents et de 3 questeurs (tous élus après chaque renouvellement triennal du Sénat) ainsi que de 12 secrétaires nommés de manière à assurer la représentation proportionnelle des groupes politiques. Ces derniers se constituent librement, sous réserve de compter 15 membres au moins, mais nul sénateur ne peut être contraint d’en faire partie (6 groupes actuellement). Aux 6 commissions permanentes prévues par la Constitution s’ajoutent 6 délégations et offices parlementaires ainsi que, le cas échéant, des commissions spéciales et des commissions d’enquête. Enfin, le régime des sessions (ordinaire du 1er octobre au 30 juin ; éventuellement extraordinaire sur convocation du président de la République), fixé par la Constitution, est commun aux deux assemblées. Les sénateurs exercent, dans des conditions de procédure presque identiques à celles qui prévalent à l’Assemblée nationale, les fonctions traditionnelles des parlementaires : voter la loi et contrôler le gouvernement. Les deux différences significatives, et essentielles, qui les distinguent des députés sont prévues par la Constitution. S’agissant du pouvoir législatif, celle-ci réserve à l’Assemblée nationale la faculté, à la demande du gouvernement et après la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de rechercher une solution de compromis, d’adopter seule un texte définitivement si les deux assemblées ne parviennent pas à voter un texte commun (cette procédure ne peut cependant être utilisée ni pour les lois constitutionnelles ni pour les lois organiques relatives au Sénat). Par ailleurs, seuls les députés peuvent renverser le gouvernement en adoptant une motion de censure. Ces deux prérogatives leur confèrent ainsi un pouvoir politique notablement supérieur à celui des sénateurs. G. R. downloadModeText.vue.download 33 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 32 RÉFORMER L’ÉLECTION DU SÉNAT ? Quarante ans après la naissance de la Ve République, l’existence et les pouvoirs du Sénat ne semblent pas susceptibles d’être remis en cause. En revanche, la question de sa représentativité a été posée en 1998 par le Premier ministre, qui souhaite, en élargissant le collège électoral des sénateurs et en renforçant le recours au scrutin proportionnel, assurer une meilleure représentation des centres urbains et garantir davantage la prise en compte des évolutions politiques de nos concitoyens. downloadModeText.vue.download 34 sur 417 LE BILAN FRANÇAIS 33 Millon persiste et signe Millon persiste et signe. La droite a désormais un parti, et le dirigeant en est Charles Millon... En lançant un mouvement qui se veut le « catalyseur » d’un « grand rassemblement populaire de la droite unie », te président de la Région Rhône-Alpes défie l’opposition ; mais celle-ci craint moins cette dissidence que les tentations d’alliances avec le FN qu’elle pourrait susciter dans ses rangs aux municipales, si M. Millon tient jusque-là. Malgré les menaces d’ostracisme de ses anciens amis politiques, Charles Millon persiste et signe, au nom d’une droite qui s’affiche désormais avec une majuscule, et « sans complexe ». Les 7 et 8 novembre, il réunissait à Paris le congrès fondateur de son mouvement, La Droite, lancé au lendemain des élections régionales de mars, qui lui avaient permis de conserver, avec le soutien des voix du Front national, la présidence de la région Rhône-Alpes. Les premiers objectifs fixés par ce mouvement qui revendique 20 000 adhérents ont été atteints, puisque 7 000 personnes avaient répondu à l’appel. Une démonstration de force bien utile pour l’ancien ministre de la Défense ; après avoir fait de la résistance dans son fief de Rhône-Alpes, face à la stratégie d’obstruction des autres élus qui rejetaient en octobre la quasi-totalité de ses rapports, il passe à une offensive d’envergure nationale, pour transformer en force politique son choix du printemps dernier. De paria de l’opposition, le transfuge de l’UDF en deviendrait le sauveur, investi d’une mission nationale visant à « redonner sa fierté » à une droite « inhibée ». Contre cette droite « de gestion » et « de complaisance » qui a abdiqué devant les valeurs de gauche et a vendu son âme à la cohabitation, il prétend incarner une droite « de conviction », se vantant d’avoir « lancé le premier mouvement qui ose s’appeler Droite depuis 1789 » (le Monde, 7/11/98). Et si l’Alliance (RPR-UDF-DL) persiste à le rejeter, il s’imposera à elle en créant un rapport de forces avec ses dirigeants. En disant tout haut ce qu’il pense tout bas, La Droite va-t-elle « réveiller » le peuple de droite ? L’Alliance, qui a freiné l’hémorragie dans ses rangs, ne se sent pas vraiment menacée. M. Millon marche sur les traces de M. de Villiers, et son étatmajor est encore très rhône-alpin ; manquant d’assise nationale, il ne manifeste qu’une ardeur limitée pour les européennes de juin 1999, son principal souci étant de tenir jusqu’aux municipales de 2001. C’est justement cette perspective qui donne des sueurs froides à l’opposition, qui redoute que les accords tacites passés entre le FN et M. Millon, mais aussi Jacques Blanc (Languedoc-Roussillon), Jean-Pierre Soisson (Bourgogne) et Charles Baur (Picardie), ne fassent des émules. Pour conjurer ce scénario, l’opposition va oeuvrer à saper les assises du pouvoir de M. Millon dans son bastion, sans pour autant commettre l’erreur, précise M. Séguin, d’en faire un « martyr ». G. U. MILLON ET LE FN, DES AFFINITÉS ÉLECTIVES... Devant ses partisans à Paris, M. Millon a récusé toute alliance, idéologique ou partisane, avec le FN. Pour preuve, l’expulsion de Bruno Golnisch, venu en curieux, qui sera d’ailleurs contestée par un public avouant certaines sympathies lepénistes. « Les voix ne se sentent pas, elles se comptent », répète-t-il à l’envi, pour justifier son maintien à la présidence de la Région RhôneAlpes qui provoqua un séisme à droite ; mais la « paix civile » (c’est le titre de son livre) dont il se réclame sent le soufre. Car le pragmatisme affiché n’exonère par La Droite de pesants soupçons sur ses rapports avec le FN ; en revendiquant des « choix idéologiques » que la droite « n’ose pas assumer », M. Millon entretient une « ambiguïté » dénoncée par M. Séguin, au moment où l’opposition veut « clarifier ses relations » avec le FN. downloadModeText.vue.download 35 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 34 Le Pen-Mégret : deux têtes pour le FN Sans doute Jean-Marie Le Pen restet-il le président du Front national et conserve-t-il tous les attributs de l’autorité sur son parti. Mais les apparences sont parfois trompeuses, même si le leader n’a pas dit son dernier mot. Depuis les élections régionales, le 15 mars 1998, en dépit des 15,27 % de suffrages obtenus par son mouvement, J.-M. Le Pen a – provisoirement ? – en partie perdu la main au profit de B. Mégret. Dans la rivalité l’opposant à son ambitieux et jeune délégué général qui ne cache plus guère ses ambitions sur l’héritage, le patron du FN, partisan du « ni gauche ni droite » et des formules du style « Chirac, c’est Jospin en pire », quand il n’enfonce pas le clou sur le « détail » ou sur l’« inégalité des races », a dû s’incliner devant le triomphe de la stratégie de la main tendue à la droite républi- caine prônée par son numéro 2 pendant la campagne des régionales. « Casser » la droite Convaincu que le FN ne peut arriver aux affaires sans alliances, et qu’il est donc vital de briser le cordon sanitaire mis en place par les états-majors de l’UDF et du RPR afin de le sortir de sa quarantaine et de l’intégrer dans une recomposition des droites, le « vrai faux » maire de Vitrolles, champion toutes catégories de la « dédiabolisation » du FN, a su imposer sa ligne à une majorité de cadres et d’élus du mouvement lassée par quinze ans de marginalisation, avide de respectabilité et désireuse d’exercer des responsabilités. Une ligne que Bruno Mégret défendait jusqu’à présent sans grand succès contre celle des tenants de la radicalité entraînés par J.-M. Le Pen. Mais, fort de sa victoire à Vitrolles par épouse interposée pour cause d’inéligibilité, de sa montée en puissance et de celle de certains de ses amis au sein de l’appareil lors du congrès du FN, à Strasbourg, et, enfin, de sa prise en main de la campagne des législatives au printemps 1997, le délégué général a su faire triompher ses vues, et plus rapidement qu’il ne le pensait. D’abord, parce que, en dépit de la rivalité Le Pen-Mégret, le patron du FN, par tactique, a opéré ce virage sans grande difficulté, voyant dans cette opération l’occasion de « casser » la droite républicaine. Ensuite, parce que la droite républicaine elle-même, déboussolée par la dissolution ratée du mois de juin 1997, s’est engouffrée dans le piège tendu par Mégret d’un soutien sans participation et sans conditions. Contre l’avis de leurs états-majors, Charles Millon en Rhône-Alpes, Jacques Blanc en Languedoc-Roussillon, Charles Baur en Picardie et Jean-Pierre Soisson en Bourgogne, tous UDF, n’ont pas hésité à accepter la courte échelle des élus du FN pour conserver ou conquérir leur fauteuil de président de Région. Au RPR, JeanFrançois Mancel, ancien secrétaire général et nouvel exclu du mouvement néogaulliste, n’a pas eu plus d’états d’âme pour se maintenir à la tête du conseil général de l’Oise. Mégret est loin du compte et de la réalisation de ses ambitions pour espérer sortir victorieux du bras de fer qui l’oppose à Le Pen. D’autant que, en juin 1999, un obstacle de taille se chargera de faire rebondir le conflit entre les deux hommes : les élections européennes. Europe et proportionnelle, un cocktail explosif qui pourrait bien permettre au président du FN de reprendre la main, même s’il est frappé d’inéligibilité. B. M. LA BATAILLE SUR LE TERRAIN DES ÉLECTIONS À l’occasion des régionales, Bruno Mégret n’a gagné qu’une bataille dans la guerre qui l’oppose à Jean-Marie Le Pen. Ce dernier, en réclamant pour son compte, de façon provocante, la présidence downloadModeText.vue.download 36 sur 417 LE BILAN FRANÇAIS 35 de la Région Paca en guise de renvoi d’ascenseur, a vite tenu à rappeler à ceux qui avaient tendance à l’enterrer – et en particulier Bruno Mégret – qu’il fallait toujours compter sur lui. Et ce d’autant plus que, lors des élections cantonales et, de manière encore plus éclatante, lors de la législative partielle de Toulon, le 4 mai 1998, devant élire le remplaçant du seul élu FN – JeanMarie Le Chevallier – déclaré inéligible par la justice, la stratégie de Mégret a montré ses limites. Une partie de la droite républicaine s’est « fracassée » sur l’écueil des régionales, et Charles Millon s’essaie, avec son mouvement, à une hasardeuse recomposition de l’opposition incluant des électeurs du FN. downloadModeText.vue.download 37 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 36 Les lycéens français veulent de meilleures conditions d’étude Parti de province début octobre, le mouvement lycéen a très vite pris une ampleur nationale. Devant la mobilisation de la jeunesse, le gouvernement reconnaît l’« urgence » d’une réforme des lycées. Dès le 21 octobre, Claude Allègre annonce un plan d’action étayé par une série de mesures à court terme. Le mouvement lycéen n’y résiste pas, mais il a sans doute durablement marqué la jeunesse. Les lycées de France n’ont plus le coeur à l’étude : locaux insuffisants et mal entretenus, peu de professeurs pour des classes surpeuplées et accablées par des programmes trop chargés, les motifs de mécontentement sont désespérément les mêmes chaque année pour des lycéens qui ne supportent plus de voir leurs griefs ignorés. À peine rentrées, les classes sont donc sorties dans la rue, où les lycéens engagent l’épreuve de force avec le gouvernement. Parti de province, ce vent de fronde prend la dimension d’un mouvement organisé et d’envergure nationale, dont la spontanéité n’ôte rien à une détermination puisée dans des années de vaines revendications. Le 15 octobre, un demimillion de jeunes défilent dans les villes de France pour réclamer de meilleures conditions d’étude, prouvant le sérieux de leur mouvement. Et le gouvernement l’a pris d’autant plus au sérieux que les lycéens ont touché un point sensible, cette réforme des lycées voulue par M. Jospin quand il était ministre de l’Éducation et dont Claude Allègre, donnant raison aux lycéens, reconnaît aujourd’hui l’« urgence ». Le 21 octobre, le ministre de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie annonce un « plan d’action immédiat pour l’avenir des lycées ». Les effets de celui-ci seront plus immédiats encore sur le mouvement lycéen : même si les modalités d’application de ce plan d’environ 4,7 milliards de francs, qui sollicite largement les Régions, demandent à être précisées, les promesses du gouvernement, étayées par des mesures concrètes à court terme prévoyant de nouveaux postes d’enseignants et un allégement accéléré des programmes, ont relâché la mobilisation. Le 5 novembre, les lycéens ne sont plus que 30 000 à fouler le pavé des villes de France ; signant la fin du mouvement, le retour des vacances de la Toussaint apparaît comme la véritable rentrée des classes dans des lycées profondément marqués par les luttes d’octobre. Car, si le mouvement semble s’être éteint aussi vite qu’il était né, on aurait tort de n’y voir qu’une poussée de fièvre passagère ; renvoyant l’image de la France de demain, les jeunes manifestants en ont traduit les malaises et les espoirs : l’élément féminin, majoritaire, parlait en faveur de l’égalité des sexes, et les banlieues, très présentes aussi, plaidaient pour l’intégration des communautés immigrées, récusant l’amalgame avec les bandes de casseurs qui ont sévi lors de la première manifestation. Travaux pratiques de civisme, ces manifestations ont confirmé l’émergence d’une conscience lycéenne forte, avec laquelle il faudra compter lors des débats de fond que devrait susciter la réforme annoncée des lycées. G. U. LE PLAN ALLÈGRE L’enveloppe de 4,7 milliards de francs pour les lycées présentée par M. Allègre s’articule autour de deux axes : un emprunt de 4 milliards sur quatre ans consenti à taux zéro aux conseils régionaux, le budget devant financer des mesures complémentaires, comme le renforcement de la présence des adultes dans les lycées. Accueilli avec prudence dans les Régions, ce plan ne saurait occulter un débat de fond sur la reforme des lycées et la conception de l’enseignement sur laquelle ils reposent, nécessitant une refonte des programmes et des manuels scolaires. downloadModeText.vue.download 38 sur 417 LE BILAN FRANÇAIS 37 La gauche plurielle à l’épreuve Après un état de grâce persistant depuis son accession au pouvoir en juin 1997, le temps des épreuves a-t-il sonne pour la gauche « plurielle » ? La perspective des européennes de juin 1999 semble en effet réveiller les querelles fratricides entre les cinq composantes de la majorité plurielle, dont la cohésion pourrait ne pas résister aux ambitions concurrentes au sein du gouvernement dominé parles socialistes. Après un an et demi de pouvoir, la majorité « plurielle » ne semble pas encore en ressentir l’usure. Constituée à la hâte dans la foulée de la dissolution de l’Assemblée nationale d’avril 1997, l’alliance du PS, du PC, des Verts, du Mouvement des citoyens (MDC) et du Parti des radicaux de gauche (PRG) s’est adaptée à la réalité d’un pouvoir qui lui a appris à faire preuve de pragmatisme pour surmonter ses différends. Grâce à des indices économiques rassurants et à une cohabitation plutôt harmonieuse, la majorité plurielle bénéficie d’une cote de popularité au beau fixe et d’un état de grâce persistant depuis juin 1997. Tandis que la droite, déchirée par les régionales de mars 1998, est engagée dans un laborieux processus de recomposition au sein de l’Alliance, la gauche rénovée au pouvoir a préservé sa cohésion ; la discipline gouvernementale a prévalu, malgré les crises parlementaires relayant les mouvements sociaux, des chômeurs aux lycéens en passant par les sans-papiers. Dégagé de la pression électorale jusqu’à 2001, le gouvernement de Lionel Jospin peut envisager l’avenir avec d’autant plus de confiance qu’il a désormais un allié de poids en Allemagne, où le social-démocrate Gerhard Schröder est devenu chancelier en septembre. Des nuages s’annoncent pourtant. Si, après 1981, la gauche puise sa force non plus dans l’union mais dans la pluralité, celle-ci montre ses limites alors qu’approche l’échéance des élections européennes de juin 1999. Désireuses de faire valoir leur poids dans la majorité tout en répondant aux attentes de leur base, ses composantes minoritaires intensifient les pressions sur le gouvernement, multipliant les critiques à l’adresse d’un PS accusé d’hégémonisme. La campagne des européennes n’est pas encore lancée, mais la bataille est ouverte au sein de la gauche plurielle dont certains éléments espèrent un nouvel équilibre des forces. Le projet de budget de 1999 donne ainsi l’occasion les tentations libérales de M. vouloir recentrer sa politique une « stratégie présidentielle option sur l’Élysée en 2002. au PC de dénoncer Jospin, suspecté de en mettant en oeuvre » pour prendre une Le fiasco du PACS, rejeté une première fois le 9 octobre par la droite faute de mobilisation socialiste, trahirait d’ailleurs le peu de cas que fait le PS de ses alliés de gauche. Galvanisés par la coalition entre les sociaux-démocrates et les « Grünen » en Allemagne, les Verts ne manqueront pas de faire entendre leur voix, en contestant au passage la validité du traditionnel axe PS-PC. Une concurrence pas forcément très saine pour la gauche plurielle. G. U. LE PACS OU LES LIMITES DE LA SOLIDARITÉ Le 9 octobre, le projet de loi socialiste visant à créer un Pacte civil de solidarité (PACS) est rejetée par les députés de l’opposition... faute de combattants socialistes. Ces derniers ne s’étaient pas déplacés en nombre pour défendre un texte controversé qui, entre autres, reconnaît des droits aux couples homosexuels, à côté des couples hétérosexuels, mariés ou concubins, et dont ils redoutent l’impact sur l’électorat. Un PACS a été de nouveau examiné au début du mois de novembre à l’Assemblée, mais ce faux pas alimente des soupçons durables ; sans révéler de fracture réelle dans la majorité plurielle, il traduit les limites de la solidarité entre le PS et ses alliés de gauche, qui y voient le signe d’une « politique timorée », tentée par une ouverture au centre. downloadModeText.vue.download 39 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 38 La cohabitation, coexistence pacifique ou veillée d’armes ? La cohabitation entre l’Élysée et Matignon, à l’oeuvre depuis juin 1997, se déroule de façon plutôt harmonieuse, maigre quelques faux pas. Mais les pressions des états-majors politiques de part et d’autres, et les grandes échéances électorales, même lointaines, pourraient bien provoquer des turbulences dans cet exercice partagé du pouvoir. « Nous sommes sur le bon chemin », déclarait Jacques Chirac dans son intervention télévisée du 14 juillet à l’Élysée, en exaltant une « cohabitation constructive ». Le climat est alors à l’euphorie, avec la victoire des Tricolores au Mondial ; mais le constat du chef de l’État, qui décerne plusieurs satisfecit au gouvernement et réserve ses critiques à l’opposition, tend à montrer que les relations sont cordiales, sinon chaleureuses, entre les deux pôles de l’exécutif. Une convivialité dont les Français semblent s’accommoder d’ailleurs fort bien, à en juger par les cotes de popularité de MM. Chirac et Jospin, au coude à coude dans les sondages. Les étatsmajors, dans l’opposition et aussi dans la « gauche plurielle », apprécient moins en revanche cette trop pacifique coexistence entre l’Élysée et Matignon. Engagée dans un laborieux processus de rénovation, la droite se sent exclue de cette « France qui gagne » exaltée par le « président de tous les Français », à qui elle reproche d’oublier parfois qu’il est aussi le chef de file de l’opposition. L’Élysée reste en effet le principal levier de l’opposition face à la majorité plurielle, et il ne se prive d’ailleurs pas de le rappeler, mais en travaillant à la réorganisation de la droite, ce qui provoquera des frictions avec Philippe Séguin. Ce dernier doit agiter la menace de sa démission avant de recevoir, en octobre, le soutien de M. Chirac pour sa candidature à la tête du RPR. Tiraillée entre l’allégeance aux directives de l’Élysée et le besoin de s’affirmer sur un mode plus critique par rapport au gouvernement, la droite à une marge de manoeuvre limitée. Requinquée par sa « victoire » lors de la première discussion sur le PACS, la toute nouvelle Alliance se prend toutefois à espérer une cohabitation plus nerveuse ; l’Élysée semble lui donner raison en quittant sa tranchée pour dénoncer l’hommage rendu, le 7 novembre par M. Jospin, aux mutins de 1917. Mais la cohabitation se cimente une fois encore autour de l’Europe, avec le débat sur la ratification du traité d’Amsterdam, voulue par M. Chirac comme par M. Jospin contre certains de leurs alliés respectifs. L’heure n’est pas à la confrontation dans cette cohabitation qui fait grincer des dents aussi à gauche, où l’on y voit le terrain d’exercice d’une « stratégie présidentielle » de M. Jospin, soupçonné de vouloir recentrer sa politique afin de se ménager un avenir élyséen. Mais M. Jospin devra attendre 2002 pour une revanche électorale face à M. Chirac, « par définition » candidat de l’opposition à sa propre succession, rappelle M. Séguin. En attendant le face-à-face annoncé, la cohabitation aura du mal à sauver les apparences de la paix. G. U. L’EUROPE, GARDIENNE DE LA COHABITATION S’il est un sujet qui semble réunir l’Élysée et Matignon, c’est bien l’Europe, fût-ce au détriment des alliances partisanes. Le vote, en avril, de la résolution sur le passage à l’euro confirme que l’Europe divise aussi bien la majorité plurielle que la droite, où la conversion affichée de M. Séguin à l’intégration européenne ne convainc pas vraiment l’Élysée. Le 1er juillet, le projet de réforme du mode de scrutin européen réunit M. Chirac et M. Jospin, qui doit pourtant le retirer en raison des oppositions à droite comme à gauche. C’est encore à l’unisson qu’en novembre, le président et le Premier ministre appellent l’Assemblée à ratifier le traité d’Amsterdam. downloadModeText.vue.download 40 sur 417 39 Chronologies et analyses downloadModeText.vue.download 41 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 40 JANVIER 1 Burundi Coup de force de rebelles hutus. Près de 2 000 rebelles hutus attaquent un camp militaire situé près de la capitale. Bujumbura. Les autorités, à majorité tutsie, ont alors reçu une aide militaire de la part des forces du Rwanda et de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre). Italie Afflux de réfugiés kurdes. Plusieurs bateaux se suivent dans les ports italiens, avec à leur bord des réfugiés kurdes de Turquie. Tenants d’une politique libérale envers les réfugiés, les autorités de Rome laissent entendre que le droit d’asile pourrait s’appliquer de façon quasi automatique vis-à-vis des Kurdes. Aussitôt, l’Allemagne, principale destination de ces populations en Europe, invite l’Italie à renforcer les contrôles à ses frontières. Russie Chamil Bassaïev Premier ministre de Tchétchénie. Un an après son élection, le président Aslan Maskhadov, considéré comme un « modéré », nomme M. Bassaïev à la tête du gouvernement. Ce dernier, responsable d’un enlèvement collectif de mille personnes lors de la guerre avec la Russie, est présenté comme une des « bêtes noires » de Moscou. Sa nomination semble marquer un durcissement de la politique tchétchène, alors que la République traverse une grave crise économique et que le pays sombre dans l’insécurité. 2 France Nouveau commissaire au Plan. Henri Guaino, en place depuis 1995, économiste proche de Philippe Séguin et de Charles Pasqua, inspirateur du discours de Jacques Chirac sur la « fracture sociale » et réputé hostile au traité de Maastricht, est démis de ses fonctions, malgré le soutien en sa faveur de plusieurs personnalités de gauche. Il est remplacé par Jean-Michel Charpin, économiste à la BNP, proche du Parti socialiste. Kenya Victoire de Daniel Arap Moi. Au pouvoir depuis 1978, M. Moi est élu une nouvelle fois à la tête de l’État. Son élection est contestée par l’opposition, qui dénonce des fraudes massives. Âgé de soixante-quatorze ans, M. Moi a su se maintenir en fonction en profitant des divisions de l’opposition et en jouant sur les clivages tribaux. Il a privilégié son ethnie d’origine, celle des Kalendjins, contre l’ethnie dominante des Kikuyus. 3 Mexique Démission du ministre de l’Intérieur. Le gouvernement annonce le remplacement du ministre de l’Intérieur en place par le ministre de l’Agriculture, Francisco Labastida Ochoa. Ce changement est une conséquence du massacre d’Indiens au Chiapas à la fin du mois de décembre 1997. 4 Israël Démission de David Lévy. Le ministre des Affaires étrangères quitte le gouvernement pour des questions budgétaires, mais aussi en raison du blocage qu’exerce Benyamin Netanyahou sur le processus de paix avec les Palestiniens. Après le départ de M. Lévy, représentant des classes pauvres d’origine séfarade, et privé de l’appui des députés du parti de celui-ci, le Gesher, M. Netanyahou ne dispose désormais plus que d’une majorité de trois voix à la Chambre et se trouve encore davantage lié aux formations d’extrême droite membres de son gouvernement. Lituanie Élection de Valdas Adamkus. Le candidat conservateur l’emporte avec moins de 1 % des voix sur le représentant de la gauche, soutenu par le président de la République néocommuniste Algirdas Brazauskas. Âgé de soixante et downloadModeText.vue.download 42 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 41 onze ans, M. Adamkus a vécu quarante-huit ans aux États-Unis. 5 Musique Nouveau disque d’Alain Bashung. À cinquante ans et après trente ans de carrière, l’un des plus importants chanteurs de rock français sort son dixième album, Fantaisie militaire. La critique salue ce nouvel opus où l’on retrouve l’étrangeté et le sens du calembour propres à l’artiste, mais rendus plus forts par une émotion et une violence concentrées. On remarque également les arrangements musicaux dus aux Valentins et aux cordes de Joseph Rocaille. 7 Algérie Refus de toute commission d’enquête. Alors que les massacres de civils continuent de se multiplier à travers le pays, le gouvernement algérien refuse la proposition américaine d’une commission d’enquête internationale sur ces tueries. Il estime que « l’idée d’une enquête inter nationale associée à l’introduction d’un doute quant à l’identité des auteurs du terrorisme participerait objectivement d’une entreprise de déculpabilisation des terroristes alors même qu’ils assument leurs crimes odieux et les revendiquent ». Dans un premier temps, il rejette également le principe d’une enquête menée par des hauts fonctionnaires européens sous l’égide de l’Union européenne. Finalement, le 19 et le 20, les secrétaires d’État aux Affaires étrangères de Grande-Bretagne, de l’Autriche et du Luxembourg sont reçus officiellement par leur homologue algérien et ont la possibilité de rencontrer brièvement les représentants des partis légaux, les directeurs de journaux ainsi que le Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Les résultats de cette mission demeurent minces. Cinéma Sortie du film américain Titanic. Réalisé par le Canadien James Cameron, avec Leonardo DiCaprio et Kate Winslett dans les principaux rôles, il est le film au budget le plus important de tous les temps (230 millions de dollars). Des moyens technologiques colossaux ont permis la reconstitution de la fameuse catastrophe en images de synthèse. Ce mélodrame de 3 h 20, qui met en scène un des grands mythes du XXe siècle, est une métaphore sur la disparition d’une époque et le basculement vers un monde nouveau. L’accueil du public dépasse toutes les attentes, et, en moins de six mois d’exploitation, il rapporte déjà plus de un milliard de dollars de recettes. Iran Ouverture envers les États-Unis. Mohammed Khatami, le nouveau président élu en 1997, dit vouloir « ouvrir une brèche dans le mur de méfiance » érigé entre Téhéran et Washington depuis 1979, dans un entretien diffusé sur CNN. Il y fait l’éloge de la civilisation américaine et d’Abraham Lincoln et propose d’instaurer un « dialogue raisonnable » entre les deux pays. Il y présente même (indirectement) des excuses pour l’affaire de la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran en 1979 et – point capital pour les Américains – condamne « fermement le terrorisme sous toutes ses formes ». Quelques heures avant l’interview du président iranien, un responsable du département d’État avait fait savoir que les États-Unis envisageaient de « réexaminer » leur politique de sanctions économiques vis-à-vis de l’Iran. Depuis plusieurs mois, Washington s’inquiète de voir des compagnies européennes – notamment le pétrolier français Total – braver l’embargo américain et signer des contrats avantageux avec Téhéran. 9 Échecs Nouveau titre mondial pour Anatoly Karpov. À quarante-six ans, le champion russe remporte à Lausanne sa septième victoire suprême, vingt-trois ans après son premier titre. Il bat l’Indien Viswanathan Anand, vingt-huit ans, au cours des deux dernières parties rapides. Son plus vieux rival, Garry Kasparov, a créé sa propre fédération, refusant le contrôle de la FIDE. Espagne Assassinats par l’ETA. José Ignacio Iruretagoyena, jeune conseiller municipal du Parti populaire dans la région de San SebasdownloadModeText.vue.download 43 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 42 tián, est tué dans un attentat à la voiture piégée. Il est le troisième élu du parti au pouvoir à Madrid à être abattu par les nationalistes basques. Le 30, un quatrième élu du PP, Alberto Jimenez Becerril, est assassiné à son tour avec son épouse. Il s’agit, cette fois, d’un conseiller municipal de Séville. L’organisation terroriste veut montrer ainsi que, malgré la vague de réprobation, elle demeure capable de frapper quand et où elle veut, même en dehors du Pays basque. France Un milliard pour les chômeurs. Afin de contenir le mouvement de protestation des associations de chômeurs et après avoir reçu les organisations de chômeurs, le gouvernement débloque un milliard de francs pour venir en aide aux sans-emploi en situation d’urgence. Même s’ils déclarent que cette somme ne règle pas le problème, associations, syndicats et partis de gauche estiment qu’un « pas important » a été accompli. Dans les jours qui suivent, les autorités font évacuer les sites – ANPE, mairies, centres sociaux – occupés par les chômeurs. (chrono. 21/01) Le mouvement des chômeurs Le mouvement des chômeurs qui s’est exprimé avec force en décembre 1997 et en janvier 1998 fut le premier de ce type. Symboliquement entamée à la veille de Noël, cette « révolte des sacrifiés », qui s’est traduite notamment par l’occupation de nombreuses agences pour l’emploi, en région parisienne et en province, a impliqué un nombre important de personnes et a donné naissance ou tribune à des associations de chômeurs. Le mouvement a connu un important retentissement dans l’opinion publique, mais, surtout, il a révélé un phénomène social longtemps occulté : le caractère structurel et permanent du chômage et les risques importants de destruction des liens sociaux dont il est porteur. Il a mis en évidence l’urgence d’une réforme du système d’indemnisation du chômage. La revendication visait à obtenir une augmentation de 1 500 F des minima sociaux et, secondairement, une allocation spéciale de Noël. Mais, au-delà des demandes chiffrées, il s’agissait d’une véritable remise en cause de l’analyse et du traitement du chômage, trop longtemps considéré comme une situation malheureuse, certes, mais passagère, et dont la prise en charge était devenue inadaptée. Face à une forte baisse des fonds de secours gérés par les ASSEDIC (organismes locaux de gestion du système national d’indemnisation du chômage, l’UNEDIC), les chômeurs demandent que des mesures d’urgence soient prises sans attendre la loi sur la prévention et la lutte contre l’exclusion, annoncée pour le printemps 1998 par le gouvernement. Les hésitations syndicales L’ampleur du mouvement a pris à contre-pied les syndicats, les organismes gestionnaires du chômage aussi bien que le gouvernement, qui n’ont pas su mesurer l’ampleur du problème posé. Le gouvernement avait surtout, jusqu’alors, concentré ses efforts sur la réduction du chômage par des mesures en faveur de l’emploi : conférence sur l’emploi, puis projet de la loi sur les 35 heures. Les syndicats sont, pour leur part, peu préparés à intégrer les chômeurs et à prendre en charge leurs revendications. Ce sont donc surtout des associations, la CGT ainsi que la minorité de la CFDT opposée à Nicole Notat, et sa secrétaire générale qui préside désormais l’UNEDIC, qui ont mené le mouvement. Les hésitations syndicales peuvent être attribuées à la fois à leur fonction traditionnelle de défense des travailleurs ayant un emploi et à leur position dans le fonctionnement des structures d’indemnisation du chômage. Le système encore en vigueur fut mis en place lors des années d’abondance et conçu pour faciliter la transition entre un emploi et un autre, beaucoup plus que pour prendre en charge un très fort chômage qui, loin de se résorber, n’a fait que s’accroître depuis les années 80. Ce chômage ne résulte pas de difficultés économiques – la balance française des paiements enregistre des chiffres positifs –, mais de la transformation rapide des structures de production. Alors qu’une masse sans cesse plus grande de personnes s’appauvrit, sans que ses perspectives d’emploi ne s’améliorent, la richesse de quelques-uns ne cesse d’augmenter, rendant les inégalités encore plus insupportables. Le système obligatoire d’assurance chômage mis en place en 1958 est financé par des cotisations sur salaires, versées par des travailleurs downloadModeText.vue.download 44 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 43 et les employeurs. Il accorde des prestations au prorata d’un salaire de référence, et pour une durée limitée. Sa structure est séparée de celle de la Sécurité sociale, mais il connaît, comme elle, une gestion paritaire par les organisations d’employeurs et les syndicats, au niveau local (ASSEDIC) et national (UNEDIC), avec une faible participation de l’État pour financer des situations transitoires. L’intervention de l’État se concentre sur un régime d’assistance financé sur le budget public, servant des prestations forfaitaires sous conditions de ressources, mais sans limitation de durée. Or, à partir de 1992, les conditions d’indemnisation – aussi bien du régime de l’assurance que de celui de l’assistance financée par l’État (allocation spécifique de solidarité, ASS) – ont été durcies, ce qui a contraint certaines catégories de chômeurs à recourir au RMI. C’est le secteur de l’ASS qui a été la cible première du mouvement des chômeurs, mais c’est en réalité tout le système qui est en question. Plusieurs modifications successives sont intervenues, mais les principes de base sont restés inchangés. Un plan d’urgence Un dispositif d’urgence décentralisé destiné aux personnes en grande difficulté a été créé par le gouvernement le 9 janvier 1998. Ce plan d’urgence fut finalement doté de un milliard de francs. Dans le même temps, Lionel Jospin confiait à Marie-Thérèse Joint-Lambert, inspectrice générale des Affaires sociales, une mission sur « les problèmes soulevés par les mouvements de chômeurs en France fin 1997-début 1998 ». Le rapport de Mme Joint-Lambert constate d’abord que le dispositif en vigueur ne traite qu’imparfaitement les situations d’urgence, que les moyens d’action restent cloisonnés et que le fonctionnement du système demeure opaque. Le rapport conclut à la nécessité de permettre aux dispositifs de mieux répondre aux attentes et surtout de les articuler avec des réformes structurelles. Le problème de la complémentarité entre assurance chômage et assistance est posé depuis longtemps, mais l’orientation actuelle du marché du travail vers une augmentation de la flexibilité d’emploi et une réduction du nombre de postes de travail, c’est-à-dire le caractère désormais structurel du chômage, lui confère un caractère d’urgence. Le régime d’assistance n’est plus en mesure d’assumer une fonction de filet de sécurité, pour faire suite aux allocations provenant de l’assurance. Qui doit prendre en charge ces nouveaux coûts sociaux ? aide sociale généralisée ? entreprises ? une combinaison entre systèmes ? Le rapport Joint-Lambert analyse en détail les données du problème et propose des solutions à moyen terme : revalorisation des minima ; priorité aux jeunes en difficulté ; rapprochement des conditions d’attribution de certains minima : RMI, aide à parent isolé, assurance veuvage ; assouplissement des conditions d’indemnisation permettant une reprise partielle d’activité. Il conclut à la nécessité d’améliorer fortement les conditions de traitement personnalisé des situations d’urgence. Certaines de ces propositions sont déjà en train de trouver des applications, grâce à la loi sur l’exclusion adoptée le 9 juillet. Mais le rapport ne dissimule pas l’importance des problèmes structurels posés à tout système de protection sociale. SABINE ERBÈS-SEGUIN Ailleurs, en Europe Dans certains autres pays de l’Union européenne, l’indemnisation du chômage, assurance et assistance, est soit totalement (Belgique, Pays-Bas), soit en grande partie (Allemagne, Espagne) financée par le budget de l’État, alors qu’en France elle reste, pour l’essentiel, basée sur les cotisations sur salaires. Mais transformer le système, ce serait aussi mettre en cause la gestion paritaire. Faut-il refondre ou simplement harmoniser les minima sociaux, ou faut-il aller vers une allocation universelle, ce qui donnerait une tout autre tonalité à l’ensemble du système de protection sociale ? 12 Biologie Mobilisation contre le clonage des êtres humains. Dix-sept des quarante pays membres du Conseil de l’Europe signent un « protocole additionnel » à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine d’avril 1997, qui avait pour objet de protéger les êtres humains contre toute application abusive des downloadModeText.vue.download 45 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 44 biotechnologies (interdiction des discriminations en fonction du patrimoine héréditaire, interdiction des modifications du génome de la descendance, etc.). Le protocole additionnel vise le clonage des êtres humains, qu’il proscrit sous toutes ses formes. Ce nouvel instrument juridique intervient moins d’un an après l’annonce de la naissance de Dolly, la première brebis clonée, et alors que le scientifique américain Richard Seed a annoncé son intention d’ouvrir une clinique spécialisée dans le clonage d’êtres humains. Grande-Bretagne Reprise des négociations en Ulster. Pilotées par la ministre chargée de l’Irlande du Nord, Mo Mowlam, les négociations sur l’avenir de l’Ulster reprennent à Londres. Elles s’ouvrent dans un contexte difficile après la reprise, ces dernières semaines, des attentats et des assassinats politiques de la part des organisations extrémistes catholiques et protestantes. Les Premiers ministres britannique et irlandais, Tony Blair et Bertie Ahern, présentent un texte destiné à servir de base de négociation et prévoyant l’instauration d’un conseil ministériel entre les exécutifs de Dublin et de Belfast (ce qui donne satisfaction aux nationalistes catholiques modérés) et d’un conseil intergouvernemental des îles, destiné à ancrer l’Ulster dans le Royaume-Uni (ce qui donne satisfaction aux organisations protestantes). Le Sinn Féin de Gerry Adams rejette ce plan, mais M. Blair parvient à convaincre le leader nationaliste catholique de rester à la table des négociations. (chrono. Bagdad relance la crise en interdisant à une équipe de la Commission spéciale de l’ONU chargée de désarmer l’Irak (Unscom) de continuer ses inspections au motif que sa composition est « déséquilibrée », c’est-à-dire à domination américaine. Déjà, en novembre 1997, Saddam Hussein avait contesté ces inspections en expulsant les inspecteurs américains. Une médiation russe avait permis d’étouffer la crise en autorisant le retour des inspecteurs de Washington. Le 14 janvier, une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, votée à l’unanimité, condamne la position du président irakien et somme Bagdad de coopérer sans condition avec les agents de l’Unscom. Le 17, Saddam Hussein menace de limiter à six mois la mission de celle-ci. Paris et Moscou tentent Irak Nouvelles restrictions envers la commission d’enquête. alors de réactiver les négociations afin d’éviter un nouveau conflit armé. (chrono. 23/02) La crise irakienne Sept ans après sa création, la Commission spéciale de l’ONU chargée du désarmement de l’Irak (Unscom) était bien en peine d’évaluer la réalité de la menace militaire irakienne. Seule certitude, non seulement Saddam Hussein a réussi à se maintenir au pouvoir, mais il a défié une nouvelle fois, à travers l’ONU, les États-Unis. Soumis à un blocus rigoureux depuis la fin de la guerre du Golfe, en 1991, l’Irak connaît une situation économique et sanitaire réellement dramatique ; la résolution « pétrole contre nourriture » fait figure d’aumône humiliante ; enfin, la présence de l’Unscom est perçue comme une ingérence quotidienne des États-Unis. Fort de cette réalité, que nul ne songerait à contester, le leader irakien a défié une première fois les Américains en novembre 1997. Faisant alors le pari que Washington ne parviendrait pas à former de nouveau une coalition semblable à celle qui lui avait fait mordre la poussière en 1991, S. Hussein avait réussi à offrir une tribune internationale à son pays réduit à la mendicité pour cause d’intransigeance américaine, tout en rappelant qu’il est le seul homme fort du pays. Un gain en matière de politique intérieure qui n’aura échappé à personne. Instruit par l’épilogue de novembre 1997, S. Hussein a réédité, sans variante d’importance, le scénario au début de l’année 1998. L’affaire s’est réglée, comme en 1997, avec l’intervention du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, et des promesses de part et d’autre : l’ONU en ménageant la souveraineté des Irakiens, ces derniers en acceptant d’ouvrir à l’Unscom les sites dits « présidentiels ». Les choses sont donc rentrées dans l’ordre, le 23 février, avec la signature d’un accord mettant un terme à la crise. Paraphé par Kofi Annan, pour l’ONU, et Tarek Aziz, pour l’Irak, ce texte engage Bagdad à respecter toutes les résolutions des Nations unies – dont le libre accès à l’Unscom de tous les sites militaires ou assimilés – et l’ONU à mettre en oeuvre une procédure particulière dès lors qu’il s’agira d’enquêter sur les sites présidentiels, où des diplomates downloadModeText.vue.download 46 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 45 de haut rang accompagneront désormais les experts de l’Unscom. Un VRP de la misère irakienne À chaque année ne suffit sans doute pas sa crise, puisque les rapports se sont de nouveau tendus à l’été, lorsque le Conseil de sécurité de l’ONU a été saisi des conclusions de l’Agence internationale de l’énergie atomique concernant la situation de l’Irak dans le domaine nucléaire. Des conclusions suffisamment ambiguës pour que les États-Unis et la Grande-Bretagne, favorables au maintien de l’embargo, y trouvent la confirmation de leur politique, et pour que les pays opposés au statu quo se prononcent en faveur de la fermeture du dossier nucléaire, l’un des volets du désarmement auquel doit se plier l’Irak – pour mémoire, la résolution 647 du Conseil de sécurité fait du désarmement partiel du pays la condition de la levée des sanctions économiques auxquelles il est soumis. Sans illusion sur les conclusions du Conseil de sécurité – l’ambassadeur américain à l’ONU n’avait-il pas déclaré « pas de progrès, pas d’action du Conseil de sécurité » –, l’Irak a affirmé le 29 juillet qu’il n’accepterait plus le maintien de l’embargo et déplorait que l’Unscom soit devenu un levier politique hostile, impliqué dans le jeu du maintien de l’embargo. Finalement, Bagdad a choisi de s’en tenir à une « gesticulation » purement rhétorique. Car, quel que soit le degré d’empathie que peut inspirer l’aventurisme diplomatique de S. Hussein, ce dernier n’ignore pas que si l’Irak devait rompre sa coopération avec l’ONU sur le seul programme de désarmement les conséquences immédiates seraient de rendre caduque la résolution « pétrole contre nourriture ». Pour autant qu’elle permet de desserrer un petit peu le lacet de l’embargo, cette résolution offre au président irakien un argument à double détente. Elle lui permet de prendre la communauté internationale à témoin des malheurs de son peuple – et prive par la bande les États-Unis de tout espoir de reconstituer la coalition de 1990 – tout en se posant, vis-à-vis de la population, comme le garant de l’intégrité territoriale : sous perfusion, le pays n’est-il pas plus menacé que menaçant ? D’ailleurs, S. Hussein ne manquera jamais une occasion de se faire le VRP de la misère de l’Irak, un pays acculé à la ruine matérielle, sanitaire et psychologique, dont le PIB serait inférieur à celui de 1950 et où l’espérance de vie aurait reculé de dix ans. Le dilemme américain Au bout du compte, les États-Unis ont transformé la victoire militaire de la coalition onusienne en défaite politique. Ce que vérifie la proposition inverse : S. Hussein a fait de la déroute de ses armées une victoire politique. Les États-Unis se sont en effet enfermés dans l’alternative suivante : soit mener une nouvelle guerre dévastatrice, sans pouvoir préciser en quoi la communauté internationale s’en porterait mieux ; soit ne pas le faire, et risquer de paraître avoir reculé. En réalité, faute de disposer d’une véritable stratégie concernant l’Irak, les États-Unis se sont tenus à une formule : « On ne discute pas avec le diable. » Pour autant, cela ne peut invalider le principe qui veut que, lorsque l’on ne parvient pas à battre un adversaire, il faut discuter avec lui. Mais, en l’espèce, une ouverture, fût-elle limitée, n’est guère envisageable, politique intérieure oblige. Il est vrai que l’embargo mise en place contre le régime Bagdad continue de faire l’objet d’un large consensus aux États-Unis, toutes tendances politiques et toutes institutions confondues. Et à ce jour, les partisans d’une levée progressive des sanctions ont été bien trop peu nombreux à Washington pour espérer peser sur les décideurs, qu’il s’agisse de ceux qui invoquent l’aspect humanitaire ou de ceux qui soulignent les dangers stratégiques d’un isolement prolongé de l’Irak. Toutefois, la crise de janvier 1998 a souligné les contradictions et les faiblesses de la position américaine, la Maison-Blanche ne parvenant plus à sauvegarder le consensus de façade au sein du Conseil de sécurité. Depuis la fin de la guerre du Golfe, dresser le bilan politique, économique et social de l’Irak équivaut à tenir la chronique des relations – tendues – entre Washington et Bagdad et à « pister » les inspecteurs de l’Unscom dans leur mission. De ce point de vue, l’année 1998 n’aura pas dérogé. Au bout du compte, on a eu la confirmation – attendue – que tout séparait les deux protagonistes, hormis une « rigidité » dont la population irakienne continue de payer le prix fort. ÉRIC JONES downloadModeText.vue.download 47 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 46 La fin du double endiguement Si l’ordre instaure dam là zone du Golfe au lendemain de la guerre de 1990 n’a pas été formellement remis en cause, il semble pourtant que la stratégie dite du dual containment a vécu. Définie en 1993, cette stratégie se présente alors comme une rupture avec l’ancienne politique américaine d’équilibre entre l’Iran et l’Irak. Il s’agit de contrecarrer les menaces irakiennes (sur le Koweït) et iraniennes (sur le golfe Persique et le détroit d’Ormuz). Le double endiguement s’appuie sur une présence militaire américaine importante dans le Golfe, afin de dissuader toute agression, ainsi que sur des sanctions économiques : loi d’Amato pour l’Iran, sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU pour l’Irak. Mais, en 1998, Téhéran a fait l’objet d’une « réévaluation stratégique » à Washington. Et si Saddam Hussein est toujours tenu en odeur luciférienne, rien n’empêche l’équipe des États-Unis de jouer au football contre une sélection iranienne. Il est vrai que la politique de la porte fermée s’est révélée plus préjudiciable pour les intérêts américains que pour l’Iran, qui contrôle les routes du pétrole de la mer Caspienne. 14 France Esclandre à l’Assemblée nationale. Le Premier ministre Lionel Jospin provoque un tollé en déclarant à l’Assemblée, à propos du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, que « à l’époque des événements, on est sûr que la gauche était pour l’abolition de l’esclavage. On ne peut pas en dire autant de la droite. On sait que la gauche était dreyfusarde et que la droite était antidreyfusarde... ». Les députés de l’opposition crient leur indignation, et, le lendemain, M. Jospin fait savoir qu’il regrette d’avoir pu blesser certains et que ce n’était pas son intention. 15 Indonésie Acceptation du plan du FMI. Le président Mohamed Suharto signe une « lettre d’intention » avec le Fonds monétaire international prévoyant une révision stricte du budget, le démantèlement de monopoles, l’abandon de projets inutiles et de subventions non justifiées. De nombreux observateurs estiment que ce plan n’est pas suffisant pour tirer le pays de l’ornière. Les problèmes de la considérable dette extérieure privée et de la parité de la roupie par rapport au dollar n’ont pas été abordés à fond. Ne l’ont pas été davantage ceux ayant trait au népotisme ambiant et au contrôle de l’économie nationale par la famille et le clan du président, ce qui fait douter de la véritable volonté du président Suharto d’accepter les prescriptions du FMI. Megawati Sukarnoputri, la figure dominante de l’opposition, estime qu’en tout état de cause le gouvernement « manque de crédibilité ». (chrono. 14/02) Yougoslavie Entrée en fonctions du président du Monténégro. Élu en octobre 1097 contre le candidat proserbe, Milo Djukanovic prend ses fonctions à la tête de cette petite république de 650 000 habitants, au sein de la République fédérale de Yougoslavie. Soutenu par les Américains, il souhaite prendre une plus grande autonomie vis-à-vis de Belgrade, estimant que la politique serbe, responsable de l’embargo commercial frappant la Fédération, entrave le développement du Monténégro. 16 France Plan Internet pour l’Administration. Le gouvernement annonce la mise en chantier d’un programme d’accès généralisé aux administrations sur Internet : tous les grands textes juridiques pourront être consultés sur le Web ; toute administration en contact avec le public devra disposer d’un site ; un effort particulier sera l’ait pour équiper les écoles et favoriser le capital-risque, c’est-à-dire l’apport de fonds aux nouvelles entreprises innovantes. Turquie Dissolution du Parti islamiste. Accuse d’« atteinte à la laïcité de l’État », le parti de la Prospérité (Refah) est dissous par la Cour constitutionnelle. Le leader de la formation, Necmettin Erbakan, Premier ministre sortant, qualifie de « faute terrible » la dissolution d’un parti fort de 4 millions downloadModeText.vue.download 48 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 47 d’adhérents et de 6 millions de voix lors des dernières consultations électorales. Ses militants envisagent, comme ils l’ont déjà fait par le passé, de recréer sous une autre forme un nouveau parti. C’est bientôt chose faite sous le nom de parti de la Vertu (FP). 17 États-Unis Bill Clinton accusé de harcèlement sexuel. Le président américain est confronté pendant six heures, chez son avocat, avec Paula Jones, qui l’accuse de lui avoir fait des propositions explicites en mai 1991, alors qu’il était gouverneur de l’Arkansas et qu’elle était employée par l’administration de cet État. M. Clinton ne se rappelle pas avoir rencontré cette personne et nie absolument lui avoir fait des avances, tandis que celle-ci prétend avoir été convoquée dans une chambre d’hôtel et s’être retrouvée face au gouverneur qui l’attendait, le pantalon baissé. C’est la première fois dans l’histoire des États-Unis qu’un président en exercice est soumis à une telle confrontation. (chrono. 21/01) Les frasques de Clinton Faute d’ennemi, les États-Unis auraient-ils entrepris de se détruire eux-mêmes ? La tournure prise par l’affaire Monica Lewinsky autorise à s’interroger sur la qualité du fonctionnement de la vie politique américaine. Les besoins de la machine médiatique décident-ils de tout ? Assiste-t-on à l’ultime combat des « vigilantes » de l’ordre moral américain ? L’aveu du 17 août 1998 montre une opinion profondément lassée par une affaire sordide, mais qui a pris trop d’importance pour ne pas être tenue pour un moment majeur de l’évolution de la société politique américaine. L’affaire Est-elle juridique ? Est-elle politique ? Une chose est certaine : le sentiment n’a guère sa place dans cette affaire sexuelle, parfaitement insignifiante vue du Vieux Continent. Mais, aux États-Unis, l’effet des médias et de la lutte pour le pouvoir en fait une affaire d’État. Du coup, les Américains n’ont plus besoin de « Da las » et de « Beverly Hills », ils disposent depuis février 1998 de « Capitol Hill ». Rien ne manque. Monica et Bill, affublés d’un « méchant », le juge Starr, et d’une bonne fée, Hillary, femme du président qui, compréhensive sur les faits et ferme sur le droit, assure la défense exemplaire de son époux. Tout se révèle en février lorsque Mlle Lewinsky, ancienne stagiaire à la Maison-Blanche, est découverte par le procureur indépendant Kenneth Starr, qui instruit les charges que l’on pourrait retenir contre le président dans les différentes affaires qui le concernent. Affaire Paula Jones, qui se dit victime de harcèlement sexuel de la part du gouverneur Clinton. Affaire Whitewater, qui, jalonnée de suicides, touche aux activités immobilières des époux Clinton dans l’Arkansas. La « révélation » Lewinsky n’arrive pas vraiment par hasard. La jeune femme s’est confiée à une autre ancienne employée de la Maison-Blanche, Linda Tripp, qui y avait elle-même travaillé quelque temps, avant d’être recasée au Pentagone. Celle-ci s’entretient longuement avec la jeune femme en prenant soin de l’enregistrer, à son insu semblet-il. Cette confession intime bourrée de détails sur les relations sexuelles avec le président lance l’affaire. Aussitôt, Bill Clinton nie publiquement. Mais Kenneth Starr dispose enfin d’une « preuve » : une robe de cocktail imprégnée de la « substance séminale » présidentielle. De ce fait, durant deux mois, les familles américaines ne purent que couper la télévision, ou bien mettre en place des cours d’éducation sexuelle aussi improvisés qu’embarrassés.Il est bien délicat d’expliquer aux jeunes enfants qu’un test ADN peut confondre le président... Et celui-ci, sommé de témoigner devant le grand jury, s’adresse le 17 août à la nation pour présenter ses excuses au peuple américain. Si les faits sont désormais établis, la véritable affaire ne fait que commencer. Le procureur Starr entend bien démontrer que le président est coupable de parjure et d’entrave à l’action de la justice. Il devra présenter au Congrès son rapport, sur la base duquel une procédure d’impeachment pourrait être engagée. La cote de popularité de la gestion présidentielle reste élevée, mais, dans un pays justicier, nul ne peut prévoir jusqu’où les procédures peuvent aller. D’autant plus que d’autres affaires traînent, celle notamment d’un financement occulte du Parti démocrate par des fonds chinois. Dans ce cas, le vice-président Al Gore voit également son avenir politique sérieusement compromis. downloadModeText.vue.download 49 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 48 À ce stade, indépendamment du cours juridique pris par la procédure, le président finira son mandat avec un pouvoir très affaibli. Par l’action des républicains sans doute, qui pourront jouer de l’impeachment, comme d’une épée de Damoclès dont ils n’entendent cependant pas abuser. Car une démission présidentielle donnerait à Albert Gore une occasion unique de se mettre en selle, ce que personne ne semble désirer. À commencer par les leaders du Parti démocrate au Congrès, qui ont su prendre leurs distances. Bill Clinton a déjà perdu la capacité à se choisir un successeur – que ce soit Gore ou un autre. Les enjeux Comme toutes les affaires faites de petits détails sans grand intérêt, ce scandale a une fonction de révélateur. Révélation de l’irrésistible médiatisation de la société américaine. Il est caractéristique qu’en février la presse classique ait paru peu enthousiaste pour déclencher l’affaire. Mais les « tabloïds électroniques » s’en sont immédiatement saisis, créant un mouvement de fond qu’il a fallu suivre. Révélation aussi d’un véritable court-circuit entre la classe politique et la société américaine. Faute de pouvoir faire mieux que Clinton sur le plan économique, les républicains, vainqueurs en novembre 1994, ont voulu porter le combat sur le terrain des valeurs. Mais il s’avère que la société ne répond plus à leur attente. Elle les désavoue en manifestant publiquement son peu d’intérêt pour les frasques au président. La grande leçon de l’affaire est que l’Amérique s’avoue moralement permissive. Elle reconnaît désormais le droit à la vie privée, y compris pour les hommes politiques. On soutiendra donc Clinton contre les attaques au nom d’une société permissive, mais on le condamnera parce qu’il est coupable de parjure médiatique. Ainsi paraît sous le regard du monde une société plus formellement attachée au juridisme que fondamentalement éthique. Un peu éberlué, le monde, en effet, regarde. Les répercussions extérieures sont de trois ordres. C’est, parmi les Alliés, un soutien marqué au président dans l’adversité. La Grande-Bretagne, la France, l’Italie ont manifesté, à l’occasion, leur solidarité. Le second phénomène, inévitable, est que l’affaire Lewinsky est venue interférer avec des situations graves, proches de la crise. En février, l’affrontement avec l’Irak ; en août, lors des attentats contre les ambassades de Nairobi et Dar es-Salaam et de la riposte qui s’ensuivit. La politique extérieure des États-Unis se voit donc soupçonnée de manipulations à usage interne ou, plus simplement, de manque du sens de la responsabilité et de ce leadership dont les ÉtatsUnis revendiquent si volontiers et si fort l’exclusivité. À ceux qui combattent, souffrent et meurent en défendant des idéaux, les États-Unis offrent l’image d’une société plus narcissique que jamais, délaissant le monde pour s’abîmer dans la fascination de ses insondables contradictions. FRANÇOIS GÉRÉ Procureur indépendant et grand jury Pour mieux assurer l’indépendance des pouvoirs, la Constitution américaine autorise le législatif à investir un homme de loi privé du pouvoir d’investigation sur une affaire particulière qui concerne, entre autres, les agissements de l’exécutif. Un juge surveille le déroulement de la procédure, veille à sa conformité et au respect du secret, tandis que le grand jury, dont les membres restent anonymes, siège à huis clos. Aucun élément de l’enquête ne doit être communiqué. Les résultats font l’objet d’un rapport final soumis au Congrès. 18 Sports Premier titre mondial français en natation. La nageuse française d’origine roumaine Roxana Maracineanu remporte la médaille d’or du 200 m dos aux Championnats du monde de Perth, en Australie. C’est la première fois que la France remporte un titre mondial en natation. Avec un total de 5 médailles (dont 4 d’argent et 1 de bronze) la France finit cinquième au palmarès mondial. 20 Tchécoslovaquie. Réélection de Vaclav Havel. Élu pour la première fois en 1989 président de la Tchécoslovaquie, puis, en 1992, président de la République tchèque, M. Havel est réélu au deuxième tour downloadModeText.vue.download 50 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 49 par le Parlement. À soixante et un ans, et malgré de gros problèmes de santé, il demeure un personnage incontournable de la politique tchèque. Écrivain et partisan d’une politique humaniste et « apolitique », il aurait souhaité pouvoir s’effacer mais estime n’avoir pas trouvé de successeur à sa mesure. Le 28, le gouvernement de Josef Tosovsky obtient l’investiture du Parlement grâce à l’appui des sociaux-démocrates que le président Havel avait incités à voter en ce sens. Zimbabwe Émeutes à Harare et en province. Le président Robert Mugabe déploie la troupe pour contrôler les bandes de pillards qui attaquent les magasins dans la capitale et dans plusieurs villes de province. Les manifestants protestent contre les hausses des prix alors que le pays traverse une grave crise économique avec un taux de chômage dépassant 45 %. C’est la première fois depuis l’indépendance, en 1980, qu’il est fait appel à l’armée pour mater des troubles civils. 21 Cuba Voyage pontifical à La Havane. Jean-Paul II se rend dans l’île pour un voyage de six jours. En soi, cette visite du souverain pontife constitue un grand succès diplomatique pour Fidel Castro, de plus en plus isolé depuis la chute du communisme européen et depuis la crise de 1996, quand l’aviation de La Havane avait abattu deux avions d’une organisation d’entraide anticastriste. Au cours de son voyage, le chef de l’Église catholique condamne le capitalisme aveugle et l’embargo américain à rencontre de Cuba. Il condamne également le caractère autoritaire du régime castriste, l’emprisonnement d’opposants politiques et les atteintes à la liberté de conscience. À la suite de cette visite, l’opinion cubaine espère une libéralisation de la vie publique, tandis que l’Église locale, considérablement renforcée, entend désormais occuper un rôle de contre-pouvoir reconnu et incontournable. États-Unis Bill Clinton à nouveau accusé de frasque sexuelle. Le Washington Post révèle qu’une enquête est lancée pour savoir si le président a bien poussé une jeune stagiaire à la Maison-Blanche, Monica Lewinsky, à faire un faux témoignage pour cacher qu’elle avait eu une liaison avec lui. L’opération a été lancée par le procureur spécial Kenneth Starr, qui est chargé d’enquêter sur les diverses affaires auxquelles M. Clinton serait mêlé (affaire Paula Jones, affaire des investissements immobiliers de l’Arkansas, affaire du financement de la campagne de 1996 par des investisseurs étrangers, etc.). Le procureur Starr aurait été averti par une ancienne fonctionnaire de la présidence à qui Mlle Lewinsky aurait fait ses confidences. Sur les conseils du magistrat, cette femme, connue pour ses opinions républicaines, comme le procureur Starr, aurait enregistré à son insu les confessions téléphoniques de la jeune fille. Le scandale pourrait être très gênant pour le président s’il est prouvé qu’il a poussé Mlle Lewinsky à se parjurer, et certains évoquent déjà une possible procédure de destitution. Dans les jours qui suivent, M. Clinton contre-attaque en niant en bloc toutes les accusations portées contre lui. Il est vigoureusement soutenu par son épouse, Hillary Clinton, qui fait observer que tous les accusateurs de son mari appartiennent à la droite du Parti républicain, voire à l’extrême droite, c’est-à-dire à une frange d’opinion viscéralement hostile au couple présidentiel et à ses valeurs culturelles issues des années 60. Un moment ébranlée, l’opinion américaine, consultée par sondages, continue de faire confiance à son président, crédité d’une bonne gestion de l’économie, et semble se faire une raison de sa morale privée. (chrono. 1/04) France Effort en faveur des chômeurs. À la suite de plusieurs semaines d’agitation menée par les mouvements de sans-emploi, le Premier ministre Lionel Jospin annonce un plan en cinq points en faveur des chômeurs : l’allocation de solidarité spécifique (ASS) sera revalorisée pour tenir compte du rattrapage du coût de la vie, ce qui n’avait pas été fait depuis 1994 ; tous les autres minima sociaux seront également indexés sur la hausse des prix ; un effort particulier sera fait en faveur des chômeurs de longue durée ; des formules seront étudiées pour mieux organiser le passage de la situation d’assistance à l’emploi, notamment en rendant possible la compatibilité d’une allocation et d’une rémunéra- tion pour un emploi à temps partiel ; enfin, une loi sur l’exclusion devait être présentée dès le début du printemps. Les associations de chômeurs se décladownloadModeText.vue.download 51 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 50 rent insatisfaites, estimant à 100 francs par personne le rattrapage de l’ASS. Proche-Orient Échec du sommet américano-israélien. Lors de sa rencontre avec le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, le président américain Bill Clinton n’a pu obtenir de celui-ci la moindre concession quant à la remise en route du processus de paix avec les Palestiniens. Le dirigeant israélien s’est en effet contenté de rappeler toutes les exigences de son gouvernement envers l’Autorité palestinienne, exigences dont la satisfaction est présentée comme un préalable nécessaire avant toute réouverture des négociations. Un responsable palestinien résume le sentiment dominant en déclarant que « dès que cela concerne Israël, les États-Unis n’agissent pas comme une grande puissance ». 26 Informatique Absorption de Digital Equipment par Compaq. Le spécialiste des PC Compaq rachète Digital Equipment pour une somme évaluée à 9,6 milliards de dollars (60 milliards de francs environ, soit la plus importante opération jamais réalisée dans le secteur) et devient ainsi le deuxième constructeur informatique au monde, derrière IBM. Longtemps spécialiste des ordinateurs lourds et des mini-ordinateurs. Digital a peiné, à partir des années 80, à prendre le virage des ordinateurs personnels (PC). Son absorption devrait permettre à Compaq d’occuper toutes les gammes de l’informatique, depuis la plus légère jusqu’à la plus lourde. L’objectif de son P-DG, Eckhard Pfeiffer*, est d’atteindre en l’an 2000 un chiffre d’affaires de l’ordre de 50 milliards de dollars. 27 Arts Exposition Arman. La galerie nationale du Jeu de paume propose, du 27 janvier au 12 avril, la première rétrospective parisienne d’Arman. Cet artiste américain d’origine niçoise, membre fondateur du groupe des « nouveaux réalistes » dans les années 60, développe à partir de l’objet quotidien le principe d’accumulation. Des objets entassés en vrac, inclus dans du polyester ou dans du béton, intacts ou brisés, déformés, découpés ou brûlés, sont utilisés comme un véritable matériau pictural. Pour l’artiste, qui utilise également des déchets organiques, l’objet « est une prolongation de l’homme ». Son oeuvre renvoie à la réalité du monde industriel et de la société de consommation. France Perquisition au domicile de Roland Dumas. Les juges d’instruction Eva Joly et Laurence Vichnievsky conduisent une perquisition au domicile de Roland Dumas, président du Conseil constitutionnel, cinquième personnage de l’État. Cette procédure exceptionnelle est menée dans le cadre de l’enquête sur la tentative d’escroquerie au détriment du groupe Thomson-CSF. L’affaire remonte à 1991, quand la France avait accepté de vendre à Taïwan six frégates militaires. Cette vente avait été longtemps bloquée par le gouvernement, qui craignait de compromettre ainsi ses relations avec Pékin. Le groupe Thomson avait alors chargé un ancien dirigeant d’Elf. Alfred Sirven, de mener une opération de « relations publiques » pour tenter de débloquer le dossier auprès des autorités françaises. Celui-ci s’était mis en contact avec Christine Deviers-Joncour, une amie proche de M. Dumas, pour lui demander d’intervenir auprès de ce dernier, alors ministre des Affaires étrangères. Après la conclusion de l’affaire, M. Sirven avait réclamé au groupe Thomson, qui avait refusé, une commission de 150 millions de francs. En novembre 1997, les magistrates faisaient incarcérer Mme DeviersJoncour, celle-ci étant incapable de justifier la provenance sur un compte en Suisse, au nom d’un de ses amis, Gilbert Miara, d’une somme de 59 millions de francs et d’expliquer les conditions d’acquisition, en 1992, de son appartement parisien pour 17 millions de francs. La perquisition chez M. Dumas est finalement décidée quand les juges d’instruction constatent d’importants mouvements de fonds en liquide, à la fin de 1991 et au début de 1992, sur un des comptes de M. Dumas au Crédit Lyonnais. Celuici fait savoir que ces mouvements étaient liés à des ventes par lui d’oeuvres d’art ; d’une façon générale, il conteste tous les soupçons pouvant peser sur sa personne et menace d’attaquer en diffamation les organes de presse qui interprètent les informations données sur cette affaire « au mépris du secret de l’instruction ». En mars, Mme Deviers-Joncour affirme dans downloadModeText.vue.download 52 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 51 la presse que, malgré ses pressions, M. Dumas était resté étranger à la décision d’autoriser la vente des frégates. 28 Allemagne Arrêt de la tolérance de l’Église catholique sur l’IVG. À la suite d’une pression de Jean-Paul II, l’Église ne dispensera plus d’autorisations d’avorter. Les centres de planning familial protestants et non confessionnels continueront à le faire. Les catholiques allemands regrettent cette décision, car, selon eux, 85 % des femmes qui consultaient les centres catholiques renonçaient à l’IVG. Cette décision embarrasse la CDU d’Helmut Kohl, qui ne souhaitait pas relancer le débat sur cette question sensible avant les élections de l’automne. France Inauguration du Stade de France. Le nouveau stade géant (espace modulable entre 20 000 et 105 000 places) de la Plaine-Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, est officiellement inauguré par un match amical de football entre la France et l’Espagne (remporté par la France par 1 à 0). Les organisateurs sont satisfaits, d’autant que l’accès au site par les transports en commun s’est correctement déroulé. France Rebondissements au procès de Maurice Papon. Me Arno Klarsfeld, conseil des Fils et filles des déportés juifs de France, partie civile au procès Papon, fait savoir qu’il existe un lien de parenté entre le président de la cour d’assises, Jean-Louis Castagnède, et des victimes des déportations de Juifs bordelais organisées, fin 1943, par l’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde. Un oncle du magistrat a en effet épousé, pendant la guerre, une jeune femme dont les parents et les soeurs ont été transférés de Bordeaux à Drancy puis à Auschwitz. Le président Castagnède déclare qu’il « tombe des nues » et qu’il est « incapable de confirmer le nom de la femme de son oncle, ayant perdu tout contact avec famille de son père après le décès de celui-ci alors qu’il était enfant ». Face à l’impressionnante tempête que provoque son initiative, notamment auprès des autres avocats de la partie civile, Me Arno Klarsfeld finit par renoncer à demander la récusation du président Castagnède. Japon Démission du ministre des Finances. Hiroshi Mitsuzuka est contraint de quitter son poste à la suite d’un scandale mettant en cause deux hauts fonctionnaires du ministère chargés de la surveillance des banques. Cette nouvelle affaire révèle l’ampleur de la collusion entre les services de l’État et le système bancaire, détenteur d’un stock considérable de mauvaises créances, qui est largement à l’origine du chaos financier japonais. 29 Roumanie Crise politique au sein du gouvernement. Les sociaux-démocrates de l’ancien Premier ministre Petre Roman, associés au gouvernement, décident de quitter ce dernier. Ils estiment en effet que le Premier ministre chrétien-démocrate Victor Ciorbea n’est pas en mesure de mettre en oeuvre un programme de réforme énergique qui serait propre à accélérer le processus de modernisation et de démocratisation dont le pays a, selon eux, le plus grand besoin. Ils continueront cependant de soutenir au Parlement la coalition gouvernementale. (chrono. 30/03) Les mots-clés de l’année Alliance Au premier semestre, l’opposition de droite est en plein désarroi. La cote de Lionel Jospin est au plus haut dans les sondages, les perspectives économiques et sociales sont bonnes et le camp conservateur n’en finit pas de se diviser, surtout après le cauchemar des régionales et le drame des alliances locales avec le FN. Philippe Séguin, président du RPR, cache mal ses dissensions avec Jacques Chirac, et François Léotard, encore président de l’UDF, cherche un moyen de rester en place, alors que tout semble se dérober sous ses pieds. Les deux leaders ont alors l’idée de fédérer l’opposition républicaine en un ensemble unifié, downloadModeText.vue.download 53 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 52 l’Alliance, qui aurait l’avantage de gommer les oppositions entre les deux grandes tendances de la droite, notamment en matière européenne. Les débuts de la nouvelle organisation, lancée le 14 mai, sont difficiles et les sceptiques nombreux. Mais, avec l’automne, la donne change : F. Léotard est parti et P. Séguin a raffermi sa position en se rapprochant du président Chirac. L’Alliance semble en ordre de marche pour les prochaines élections européennes. Bombe Le 11 mai, le gouvernement nationaliste indien de Atal Behari Vajpayee fait procéder à cinq nouveaux essais nucléaires. Moins de trois semaines plus tard, le frère ennemi pakistanais procède à son tour à de tels essais et rentre dans le club – de moins en moins fermé – des puissances nucléaires (États-Unis, Russie, France, GrandeBretagne, Chine, Inde, et d’autres potentiellement, comme Israël). Les États-Unis en tirent deux conséquences : d’une part, leurs services de renseignement n’ont pas été en mesure de les informer à l’avance de ces événements considérables ; d’autre part, le pays le plus puissant du monde n’a plus les moyens d’arrêter la prolifération nucléaire. Inquiétant. Cumul des mandats La modernisation de la vie politique française constitue un des grands thèmes du débat entre majorité et opposition. Jacques Chirac et Lionel Jospin rivalisent sur ce sujet à grands coups de discours. La limitation du cumul des mandats des élus est, avant la parité hommes-femmes ou la réforme des modes de scrutin, la mesure la plus populaire dans l’opinion. Mais pas la plus facile à réaliser, car trop d’intérêts sont en jeu. Le Premier ministre avait déclaré dès sa prise de fonction que « limiter drastiquement le cumul des mandats est une priorité ». Un peu plus d’un an plus tard, le gouvernement présentait un projet de loi interdisant aux parlementaires de détenir également la direction d’un exécutif local (conseil municipal, général, régional). Le Sénat a très vite voté contre un tel projet... au grand soulagement de nombreux parlementaires de gauche. La partie est loin d’être terminée... Effectif (temps de travail) Avec la mise en application de la loi sur les 35 heures, bien des aspects de la vie professionnelle sont « remis à plat » : conventions collec- tives, définition des tâches et temps de travail « effectif », c’est-à-dire effectivement affecté à la production. Les absences pour besoins naturels, les pauses sur les chaînes, la visite à la machine à café, tout devrait être compté, pour être ensuite décompté du temps menant aux 35 heures de référence. Les débats continuent. EPO L’érythropoïétine fut avec la nandrolone et quelques autres produits prohibés la grande vedette du Tour de France 1998. Il est apparu au grand jour ce qui était pour tous les connaisseurs du cyclisme un secret de polichinelle : de nombreux coureurs se sont dopés d’une façon continue et systématique. Après le vélo, d’autres sports ont été à leur tour éclaboussés par l’accusation de dopage : football, rugby, athlétisme, etc. Richard Virenque fut le héros malheureux de cette saga de l’EPO : en dépit du bon sens, il a continué à nier toutes les accusations de dopage qui pesaient contre lui. Résultat : les Guignols de Canal + l’ont immortalisé avec la formule, désormais célèbre, « à l’insu de mon plein gré », et le malheureux sportif a été contraint de mettre un terme à sa carrière. Félon Avec « Brutus », c’est un des qualificatifs les plus utilisés par Jean-Marie Le Pen pour qualifier son ex-numéro 2, Bruno Mégret, depuis leur rupture tonitruante du mois de décembre. Le président du FN aime à utiliser ces termes issus du langage de la chevalerie, typiques d’une certaine rhétorique. L’implosion du FN, qui va devoir probablement présenter deux listes aux européennes de 1999, constitue une divine surprise pour la droite républicaine, qui voit s’éloigner le risque d’être prise en otage par les amis de M. Le Pen, comme cela s’est produit lors des élections régionales de mars. Il n’empêche que les problèmes – chômage, mal des banlieues, xénophobie – qui ont conduit à l’émergence d’un parti d’extrême droite, unique à ce niveau (15 % des voix) au sein des grands pays industrialisés, demeurent. Hedge funds En 1997, on avait beaucoup parlé des fonds de pension, qui gèrent les assurances privées, notamment dans les pays anglo-saxons. Cette année, ce fut le tour des hedge funds, c’est-à-dire des « fonds de couverture », destinés à couvrir leurs souscripteurs des variations des marchés. Ces fonds, le plus souvent anglo-saxons, spéculent sur les monnaies, notamment dans les pays downloadModeText.vue.download 54 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 53 émergents. Leur poids financier est estimé à plus de 1 000 milliards de dollars. Avec la crise des pays émergents d’Asie et d’Amérique latine, ces hedge funds, notamment celui contrôlé par George Soros, ont connu de fortes turbulences. L’un des plus cotés d’entre eux, l’américain Long Term Capital Management, s’est retrouvé au bord de la faillite. Sa chute aurait ébranlé si sérieusement le système financier international que la Banque centrale américaine a dû rameuter quinze grandes banques privées ; pour renflouer LTCM à hauteur de 3,5 milliards de dollars. Les dirigeants du G7 réfléchissent depuis aux meilleurs moyens : de réguler un minimum ces circuits d’argent. Impeachment Il s’agit de la procédure de destitution du président américain. Officiellement engagée contre Bill Clinton, à la suite du scandale Lewinsky (du nom de cette stagiaire à la Maison-Blanche avec qui le président des États-Unis a eu une aventure sexuelle), elle remet en cause le fonctionnement des institutions américaines : les procureurs spéciaux, institués dans les années 70 à la suite de l’affaire du Watergate et chargés d’instruire en tout ; indépendance contre d’éventuels agissements répréhensibles du chef de l’exécutif, n’ontils pas trop de pouvoirs ? D’autant que leur neutralité politique est loin d’être garantie. Un pays aussi puissant que les États-Unis peut-il être bloqué pendant des mois, voire des années, pour de simples peccadilles montées en épingle par des magistrats et des parlementaires que beaucoup considèrent comme motivés uniquement par un ultra-conservatisme ou des arrière-pensées politiciennes ? D’autres estiment, cependant, que les États-Unis sont le pays du droit et, qu’à ce titre, on n’y transige pas avec la loi, même pour des peccadilles. La (ministre, député, préfet, etc.) Une de ces batailles sémantiques que la vie française affectionne. En mars, le Premier ministre fait publier une circulaire visant à ce que « la féminisation des appellations professionnelles entre dans nos moeurs ». Aussitôt, l’Académie française, qui ne pratique guère la parité hommes-femmes dans ses rangs, s’oppose à cette circulaire. Le combat fait alors rage. On rappelle qu’il n’y a jamais eu de problème à dire « la » concierge, mais que les restrictions apparaissent au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie sociale. On atteindra le sommet quand, au député DL Charles-Amédée de Courson, qui s’était fait un plaisir de lui dire « le » ministre, Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, répondit : « Je vous demande de respecter ma féminité et mon sexe. » MEDEF (Mouvement des entreprises de France) C’est le nouveau nom du CNPF. Un an après son arrivée à la tête du syndicat patronal, Ernest Antoine Seillière a voulu montrer qu’une page était tournée, celle d’un patronat trop habitué aux grandes négociations arbitrées par l’État, dont le MEDEF n’acceptera plus à l’avenir aucune subvention. Place désormais à l’entreprise, de plainpied dans la mondialisation et le libéralisme. À noter, le poids grandissant dans l’organisation de Denis Kessler, théoricien d’une conception plus anglo-saxonne de l’entreprise et des relations sociales. Mémé (surnom d’Aimé Jacquet) La victoire des Bleus en Coupe du monde de football, c’est aussi celle de « Mémé », travailleur humble face aux snobs du ballon rond, la revanche des petits face aux industriels du sport, le triomphe de la province confrontée aux sarcasmes hautains du parisianisme. Une victoire d’autant plus cinglante que « Mémé » fut brocardé pendant des mois par l’Équipe, le grand quotidien du sport, qui lui reprochait son manque d’audace et d’ambition. « Mémé », ce sont les valeurs de la France profonde mais efficace, celle du travail et du collectif. Attention tout de même à une certaine résurgence du poujadisme. Nouveau centre Après le New Labour (« nouveau Parti travailliste ») de Tony Blair, le Neue Mitte de Gerhard Schröder s’est imposé dans le lexique politique de l’Europe. Signifie-t-il, comme son équivalent britannique, un sérieux virage à droite de la vieille tradition sociale-démocrate, une rupture en douceur ou, au moins, une mise à distance avec les centrales syndicales et une reconnaissance encore plus affirmée de l’économie de marché ? La campagne du candidat Schröder l’a laissé penser, mais la composition du nouveau gouvernement et le poids pris au sein de celui-ci par Oskar Lafontaine a quelque peu nuancé les choses. Le « nouveau centre » de G. Schröder est une sorte de compromis entre l’approche plus classiquement socialisante de Lionel Jospin (une forme de volontarisme social, économique et downloadModeText.vue.download 55 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 54 européen est revendiquée) et le credo plus individualiste (accent mis sur l’initiative personnelle) des Britanniques. « Nouveau centre », diront certains, une autre façon de désigner la pensée unique. PACS (pacte civil de solidarité) Un des grands psychodrames de l’année parlementaire 1998. Cela commence en octobre, quand la gauche, par étourderie (ou par crainte de froisser son électorat plus âgé), voit le texte repoussé à l’Assemblée nationale, ses députés s’étant abstenus d’assister au débat en si grand nombre que l’opposition s’est retrouvée majoritaire. Pendant tout le mois de novembre on s’interroge sur la vraie portée du texte : un mariage pour les homosexuels ? une remise en cause insidieuse de l’institution de la famille ? En décembre, le texte revient en discussion. Christine Boulin, député DL et grande opposante au projet, monopolise la parole pour retarder l’adoption de la proposition de loi. Quand Lionel Jospin la traite de « marginale », elle fond en larmes, puis se reprend après avoir reçu un magnifique bouquet de fleurs. Il n’empêche, un néologisme est né : désormais, on pourra « pacser ». Particules élémentaires Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq constituent, sans conteste, le roman français de l’année, pour sa qualité littéraire peut-être (encore que beaucoup estiment que Extension du domaine de la lutte, premier roman de l’auteur, était bien supérieur), mais, surtout, pour le parfum de scandale qui a accompagné la sortie du livre. Tout était réuni pour que l’on assiste à une vraie polémique germano-pratine (du quartier Saint-Germain-des-Prés, où siège la plupart des maisons grand’édition) : un auteur énigmatique et grand fumeur de cigarettes, des accusations de fascisme rampant (l’auteur développe des thèses biologiques jugées suspectes) et d’antiféminisme caractérisé, l’exclusion de l’auteur d’un groupuscule littéraire qui avait son siège dans un café du Marais, l’affirmation d’un style dit « minimaliste » (que l’on retrouve chez d’autres auteurs jeunes, comme Virginie Despentes), où les effets de langue sont bannis mais pas les allusions sexuelles les plus crues. Portail Site sur Internet proposant au grand public sur une seule page les informations de la journée, un annuaire de sites, un moteur de recherches (avec des mots-clés), les messages électroniques personnels, etc. C’est le grand enjeu du web pour l’année à venir. Microsoft, Netcape, AOL, Disney, Time Warner sont là pour tenter de rafler la mise. Jusqu’à ce qu’une autre mode arrive, notamment celle des portails thématiques. Car, sur le web, la vérité n’est jamais permanente. Viagra La pilule du bonheur, l’érection sur ordonnance. Invention américaine, le Viagra est arrivé en France à l’automne, au prix de 60 francs la pilule. S’il est, en principe, destiné aux seuls hommes souffrant de troubles de l’érection (un sur dix, paraît-il), le Viagra est devenu une source de fantasmes et de plaisanteries sans fin. Car on ne touche (si l’on peut dire) pas à cette affaire sans déclencher une franche hilarité, qui n’est souvent pas autre chose qu’un réflexe de défense. À noter, d’un point de vue scientifique, que les trois titulaires du prix Nobel de médecine 1998, sont indirectement à l’origine du Viagra. Leurs recherches sur l’oxyde nitrique et sur la dilatation des vaisseaux sanguins ont servi aussi bien au traitement des maladies cardiaques qu’à celui des pannes de la virilité. downloadModeText.vue.download 56 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 55 FÉVRIER 1 Costa Rica Victoire du candidat de l’opposition. Miguel Angel Rodriguez, chef du parti de l’Unité sociale-chrétienne, l’emporte sur le candidat du parti au pouvoir. Sa victoire s’explique plus particulièrement par la crise économique que traverse le pays (3,5 millions d’habitants) depuis le début des années 90, jadis considéré comme la « Suisse » de l’Amérique centrale. Partisan déclaré d’une politique économique libérale, Miguel Angel Rodriguez souffre cependant d’une image de technocrate hautain. Par ailleurs, il lui est reproché d’avoir rencontré, au début de sa campagne électorale, un baron de la drogue mexicain. Tennis Petre Korda et Martina Hingis couronnés à Melbourne. À trente ans, le joueur tchèque parvient à remporter son premier tournoi du grand chelem en battant le Chilien Marcelo Rios. La Suissesse, donnée largement favorite de l’épreuve, conserve donc son titre sans grande difficulté en dominant son adversaire, l’Espagnole Conchita Martinez. 2 Bosnie Nouveau Premier ministre serbe. Miloran Dodik prend ses fonctions comme président de l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine. « Candidat » de la communauté internationale, c’est un modéré, partisan de l’application des accords de Dayton, signés en 1995 pour organiser la paix en Bosnie-Herzégovine. Sa nomination représente une victoire importante pour la présidente serbe Biljana Plasvic et un échec pour le leader ultranationaliste Radovan Karadzic, de plus en plus isolé dans sa « capitale » de Pale. États-Unis Exécution de Karla Faye Tucker. Condamnée à mort en 1984 pour un double meurtre, cette femme de trente-huit ans, ancienne prostituée toxicomane, est exécutée par injection à la prison de Huntsville au Texas, un État où les demandes de grâce sont systématiquement rejetées. Sa mise à mort provoque une grande émotion : elle est la deuxième femme à être exécutée aux ÉtatsUnis depuis le rétablissement de la peine de mort dans cet État en 1976 : elle avait fait parler d’elle pour sa rédemption exceptionnelle, allant jusqu’à épouser l’aumônier de la prison ; un mouvement international s’était développé en sa faveur. Sa mort repose la question de la peine capitale aux États-Unis, où près de 3 400 condamnés à mort attendent l’exécution de leur sentence. 3 Arménie Démission du chef de l’État. Le président Levon Ter-Petrossian est contraint à la démission après que ses principaux ministres et un grand nombre des députés de son parti ont décidé de ne plus le soutenir. Ces défections font suite à l’acceptation par le président du plan de paix par étapes au Haut-Karabakh proposé par l’Organisation pour la paix et la sécurité en Europe (OSCE), coprésidée par les États-Unis, la France et la Russie, et également accepté par l’Azerbaïdjan. Élu pour la première fois en 1991, réélu en 1996, M. Ter-Petrossian s’était fait connaître comme opposant au système communiste et comme partisan de l’indépendance du Haut-Karabakh, cette région réclamée par l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Une guerre avait opposé à ce sujet les deux pays au début des années 90 et fait plus de 20 000 victimes. Face à une opposition grandissante des nationalistes et des communistes, M. Ter-Petrossian avait durci son régime et était accusé de manipulation des résultats électoraux. Une élection présidentielle anticipée est annoncée pour le 16 mars. (chrono. 31/03) 4 France Mort de Haroun Tazieff. Le célèbre vulcanologue meurt à Paris à l’âge de quatre-vingt-trois ans. Né en 1914 d’un médecin russe musulman et d’une chimiste et artiste polonaise, il passe sa jeunesse en Belgique, où il obtient downloadModeText.vue.download 57 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 56 un diplôme d’ingénieur agronome. Mobilisé et blessé pendant la Seconde Guerre mondiale, il rejoint la Résistance tout en passant un diplôme d’ingénieur des mines. Devenu ingénieur agronome au Congo belge, il y observe ses premières éruptions volcaniques. Sa vocation est née : il veut renouveler la science vulcanologique en étudiant les phénomènes éruptifs en cours. Il se fait connaître du grand public en multipliant les expéditions et les films, notamment, en 1959, les Rendez-vous du diable, qui font dire de lui à Jean Cocteau : « Vous êtes le poète du feu. » Devenu expert auprès de l’Unesco, il est nommé en 1968 directeur de recherche au CNRS, ce qui indigne bien des spécialistes qui estiment qu’il n’est pas un véritable scientifique. Pourtant, ses avis sont souvent exacts et, en 1964, il évite une catastrophe au Costa Rica en préconisant des travaux de consolidation au pied d’un volcan. En 1979, cependant, son diagnostic optimiste sur un volcan des États-Unis se solde par la mort de 60 personnes. Proche de la sensibilité écologiste, il est nommé secrétaire d’État aux risques majeurs dans le gouvernement socialiste de 1984. Quelques années plus tard, il se présente sur une liste en Isère aux côtés du RPR Alain Carignon. Souvent critiqué, il demeure une figure très populaire. Maroc Nomination d’un Premier ministre socialiste. Le roi Hassan II nomme à la tête du gouvernement Abderrahmane Youssoufi, soixante-quatorze ans, secrétaire général de l’Union socialiste des forces populaires (USFP). Cette nomination d’un homme de gauche, qui constitue une première dans l’histoire du Maroc, fait suite aux élections de novembre 1997, qui avaient placé l’USFP en tête des formations politiques. Diplômé de faculté de droit et de l’Institut de sciences politiques de Paris, marié à une Française, jouissant d’une réputation d’intégrité, M. Youssoufi est à l’origine, aux côtés de Medhi Ben Barka, de la création en 1959 de l’USFP. Emprisonné un temps par le pouvoir, puis exilé en France, M. Youssoufi préconise cependant, à partir des années 80, la négociation avec le souverain chérifien. Arrivé au pouvoir, sa tâche sera cependant difficile : il ne dispose pas d’une majorité homogène au Parlement, divisé en trois blocs (droite, centre et gauche) d’importance comparable ; par ailleurs, le dossier du Sahara occidental comme celui de la relance économique vont demander rapidement des engagements énergiques. 5 Sierra Leone Offensive nigériane sur Freetown. Les soldats de l’armée nigériane, présents dans le pays au nom de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et arborant l’écusson de la force d’interposition Ecomog, attaquent la capitale avec l’intention de chasser la junte militaire au pouvoir alliée au mouvement rebelle du Front révolutionnaire uni (RUF). Le 12, les soldats de Lagos rentrent dans Freetown. Le Nigeria proclame son intention de rétablir à son poste le président Ahmad Tejan Kabbah, démocratiquement élu en 1996 et renversé le 25 mai 1997. 6 Art Exposition « Visions du Nord ». Jusqu’au 17 mai, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris propose un panorama de l’art Scandinave du XXe siècle. L’exposition est présentée en trois sections : une partie historique intitulée Lumière du monde, Lumière du ciel avec les peintres finlandais Akseli Gallen- Kallela et Hélène Schjerfbeck, les Suédois Fredrik Hill et August Strindberg, et le Norvégien Edvard Munch, figure dominante de l’exposition : une monographie du peintre et sculpteur danois Per Kirkebi ; un dernier volet consacré à une trentaine de jeunes artistes contemporains des pays nordiques. France Assassinat du préfet de Corse. Claude Erignac, préfet de la Région corse, est abattu de deux balles dans le dos alors qu’il se rendait avec son épouse, sans escorte, à un concert à Ajaccio. L’émotion est considérable. L’ensemble de la classe politique condamne cet assassinat qualifié par Jacques Chirac d’« acte barbare d’une extrême gravité et sans précédent ». Une manifestation silencieuse mobilise plusieurs dizaines de milliers de personnes lors de la cérémonie d’hommage officiel à M. Erignac présidée à Ajaccio par le chef de l’État, en présence downloadModeText.vue.download 58 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 57 de tous les dirigeants politiques du pays. Dans les heures et dans les jours qui suivent, des arrestations sont opérées dans les milieux nationalistes. Le revolver retrouvé près de la victime est identifié comme étant celui qui avait été volé lors de l’attaque d’une gendarmerie par un nouveau groupe extrémiste apparu en 1997, Sampieru. Pour sa part, le FLNC-canal historique dément toute implication dans l’affaire. L’enquête s’oriente vers une piste « politico-mafieuse » : le préfet s’était opposé à plusieurs reprises à des opérations de recyclage de capitaux d’origine douteuse dans l’immobilier et les casinos. M. Erignac avait ordonné plusieurs contrôles en matière fiscale et pour des détournements de subventions. Bernard Bonnet est nommé pour succéder à M. Erignac, tandis que l’Assemblée nationale charge une commission d’enquêter sur les dérives fiscales dans l’île. La tourmente Corse « La folie meurtrière, la politique du pire, la dérive mafieuse ont armé le bras de quelques-uns contre ce que représentait le préfet Claude Erignac, c’est-à-dire l’État, dont il était l’incarnation et le symbole. Nous ne le tolérerons pas... nous ne laisserons pas le crime et le non-droit s’installer en Corse ; nous ne laisserons pas attaquer l’État et ses serviteurs. Nous ne laisserons pas se défaire l’unité du pays. » En ce 9 février, ils sont des milliers de Corses massés entre les quais du port d’Ajaccio et la place du monument aux morts. Traumatisés, indignés, honteux, dans un silence pesant, ils écoutent l’hommage du président de la République à Claude Erignac, le préfet de la Région corse, lâchement assassiné à coups de revolver, trois jours auparavant, le 6 février, dans les rues de la ville, alors qu’il venait de garer sa voiture pour se rendre au théâtre. Aux côtés du chef de l’État, le Premier ministre, Lionel Jospin, cinq de ses ministres, mais aussi le président de l’Assemblée nationale et les principaux chefs des partis politiques. Le symbole est puissant, quelles que soient les divergences entre les uns et les autres – elles étaient oubliées ce jour-là ; c’était la République française, une et indivisible, qui se trouvait à Ajaccio pour témoigner de sa détermination à rétablir, dans l’île, l’ordre républicain. Opération « mains propres » L’assassinat du préfet Claude Erignac va marquer un tournant dans la politique du gouvernement. Car cette fois, à la différence des précédents attentats (la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en septembre 1996, et la mairie de Bordeaux, le mois suivant, pour ne citer qu’eux), ce n’est plus un symbole de l’autorité de l’État qui est visé, mais l’État, à travers son premier représentant dans l’île, qui est touché dans son intégrité physique. Plus question d’accepter, comme dans le passé, des zones de non-droit au titre d’une hasardeuse spécificité corse ni de dialoguer avec certains nationalistes pour acheter une hypothétique paix civile. Non, cette fois, insularité ou non, les pouvoirs publics sont déterminés à ce que les lois de la République s’appliquent pour tous, et partout de la même façon. Résultat : parallèlement à l’enquête criminelle sur l’assassinat du préfet Erignac, dont les coupables n’ont toujours pas été retrouvés, il est déclenché dans l’île une opération « mains propres » sans précédent. Des services de l’État aux chambres consulaires, des élus politiques aux promoteurs immobiliers, des RMistes fantômes aux pros de la fraude fiscale et de la subvention, personne n’est épargné. C’est le grand chambardement, la valse des responsables, en commençant par ceux de l’État, et les mises en examen se multiplient. Les enquêtes de l’Inspection générale des finances succèdent à celles des affaires sociales, de l’agriculture, de la justice et de la police. Jamais la Corse n’a connu une telle noria d’« incorruptibles » dans ses aéroports, de hauts fonctionnaires venus éplucher, disséquer et mettre à plat tous les secteurs de la vie économique, politique et sociale de l’île. Une enquête de grande envergure Ainsi, au début du mois de juin une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), forte de huit inspecteurs, débarque dans l’île pour opérer un vaste contrôle des secteurs placés sous l’autorité de la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, Martine Aubry, et du secrétaire d’État à la Santé, Bernard Kouchner. Cette enquête de grande envergure suit de près celle menée par l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale de l’agriculture sur la gestion du Crédit agricole de Corse. En juillet, c’est tout le « gratin » de la magistrature qui se retrouve à Bastia pour un sommet antiterroriste et pour améliorer le fonctionnement de la justice en Corse. Aux côtés de Bernard Legras, le downloadModeText.vue.download 59 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 58 procureur général de Bastia, on retrouve JeanPierre Dintilhac, procureur de Paris, le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière et Irène Stoller, chef de la 14e section du parquet de Paris. Un préfet sans états d’âme À la tête de cette grande lessive, Bernard Bonnet, le successeur de Claude Erignac, un préfet à poigne, sans états d’âme. Sa mission : tout faire pour retrouver les assassins de son prédécesseur, tout faire pour rétablir l’État de droit. Et cette fermeté s’applique d’abord aux services de l’État ; les têtes tombent, de nouvelles arrivent. Le 8 mai, le garde des Sceaux, Élisabeth Guigou, installe le nouveau procureur général près de la cour d’appel de Bastia, et son arrivée coïncide avec celles d’un nouvel avocat général, d’un nouveau directeur régional de la police judiciaire, d’un nouveau commandant de légion de gendarmerie. Au sein du corps préfectoral, le secrétaire général aux Affaires corses, les secrétaires généraux des préfectures de la Corsedu-Sud et de la Haute-Corse ainsi que les souspréfets de Sartène et de Calvi sont appelés vers d’autres cieux ou d’autres fonctions. Le même sort est réservé au trésorier-payeur général, au directeur de l’agriculture et de la forêt, au recteur d’académie... La liste est trop longue à établir, mais déjà suffisamment révélatrice pour illustrer le nouveau visage de l’État en Corse et sa volonté, comme le dit Bernard Bonnet, de créer « l’irréversible ». Et, pour ce faire, avec ces nouveaux hommes, toutes les administrations, tous les services sont mobilisés, réquisitionnés pour soutenir l’action de l’État et traquer toutes les dérives en matière de gestion et de distribution de l’argent public. Pour une restauration de l’ordre républicain Des investigations tous azimuts pour des résultats qui ne se font pas attendre. Personne n’est à l’abri, petit fretin ou gros poisson. Pour escroquerie, détournement de fonds publics, faux et usage de faux, abus de biens sociaux, Michel Valentini, le président de la chambre régionale d’agriculture est mis en examen avec son épouse. Mise en examen aussi pour Émile Mocchi, maire de Propriano, par ailleurs condamné à quatre mois de prison avec sursis pour détournement de fonds publics. Même punition pour Paul Natali, président de la chambre de commerce et d’industrie et ancien président du conseil général de la Haute-Corse, pour des passations de marchés entre le département et son entreprise. La gestion de la Caisse de développement de la Corse (Cadec) est sur la sellette, tout comme celle de la Mutualité sociale agricole (MSA). Pas de pitié non plus pour les promoteurs ou communes qui ne respectent pas les permis de construire. À Poggio-Mezzana, c’est le préfet, ou peu s’en faut, qui, à la tête de 40 bulldozers, part à l’assaut d’un complexe touristique édifié en infraction à la loi littorale ! Pour l’heure, cette opération de restauration de l’ordre républicain en Corse est approuvée par la grande majorité de la population de l’île, encore choquée par la mort du préfet Erignac. Un soutien indispensable pour que la loi de la République remplace celle du silence. Même si les assassins du préfet courent toujours. BERNARD MAZIÈRE Vingt ans de troubles La dérive des institutions en Corse n’est pas un phénomène nouveau. Depuis août 1975 et la tragique fusillade d’Aléria, tous les ministres de l’Intérieur, de Pierre Joxe à Charles Pasqua, en passant par Jean-Louis Debré ou Jean-Pierre Chevènement, ont tenté, pour l’enrayer, un cycle répressionnégociations avec les nationalistes. Sans succès. De multiples rapports de différentes commissions, parlementaires ou non, ont tous conclu à l’urgence de la situation sans plus de résultats. Dans une note confidentielle adressée à François Mitterrand, en 1991, Michel Charasse, ministre du Budget, écrivait : « L’île semble, aujourd’hui, prête à tomber entre les mains d’une sorte de mafia, et, face à un État qui rentre dans sa coquille, nationalisme et mafia ne feront bientôt qu’un. » Six ans plus tard, un rapport de l’Inspection générale des finances, rendu public au cours de l’été 1997, concluait que la Corse « ne vit pas dans un État de droit, ce qui est désastreux pour son développement ». Peu de temps avant d’être nommé ministre de la Fonction publique, au printemps de la même année, Émile Zuccarelli, alors député et maire de Bastia, affirmait publiquement : « Il est clair que, depuis vingt ans, la police et la justice n’ont jamais fonctionné en Corse ». Autant d’avertissements qui sont restés lettres mortes. Attentats et sysdownloadModeText.vue.download 60 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 59 tèmes claniques en déliquescence restaient le lot commun de la Corse. 8 Syrie Destitution du frère du président. Le président syrien Hafez el-Assad destitue son frère Rifaat de son poste de vice-président. Le 15, ce dernier est exclu du parti Baas et accusé de trahison. Une enquête est ouverte sur les origines de sa fortune, l’une des plus importantes du pays. On prête au dirigeant de Damas l’intention de préparer ainsi sa succession au profit de son fils. 9 Géorgie Attentat contre le président. Edouard Chevarnadze échappe à un attentat à Tbilissi alors qu’il rentrait à son domicile. Au cours de l’opération, préparée avec de gros moyens, deux de ses gardes du corps sont tués, ainsi qu’un des assaillants, un Tchétchène de nationalité russe. Le président géorgien avait déjà échappé à un attentat en 1995. Les hypothèses sur les origines de cet attentat sont de deux ordres : soit il aurait été télécommandé depuis Moscou, qui verrait d’un mauvais oeil l’exploitation et le transit du pétrole de la mer Caspienne lui échapper au profit de compagnies occidentales (en déstabilisant l’ensemble de la Transcaucasie. les autorités russes chercheraient à reprendre le contrôle de l’or noir) ; soit il s’agirait de conflits internes au pays, politiques ou régionaux (notamment avec les rebelles opérant en Abkhazie). 10 France Loi sur les 35 heures. L’Assemblée nationale adopte en première lecture la loi sur la limitation hebdomadaire du travail à 35 heures. Malgré des divergences en début de discussion, l’ensemble de la « gauche plurielle » s’est prononcé en faveur du texte défendu par Martine Aubry. Par ce vote, la France, et singulièrement la gauche française, se distingue des autres pays, qui, à l’exception de l’Italie, repoussent le principe d’une limitation généralisée du temps de travail, même si, notamment en Allemagne, des accords de branche vont au-delà de la nouvelle limite française. Le temps de travail moyen sur une vie est de 49 507 heures en France contre 51 642 en Allemagne, 61 343 aux ÉtatsUnis et plus de 71 000 au Japon. Sceptique quant à la volonté, sinon à la possibilité, du patronat français de négocier, Lionel Jospin a décidé d’adopter en ce domaine une démarche nettement volontariste : l’État définit l’objectif (35 heures), le calendrier centre 2000 et 2002) et les moyens (les aides accordées aux entreprises) ; les modalités d’application sont laissées à la négociation entre les entreprises et les syndicats. Face à l’hostilité marquée du CNPF, les organisations syndicales, à l’exception de la CFDT qui a fait des 35 heures un des points centraux de son programme, demeurent pour le moins réservées. D’autant que la loi laisse dans le flou un certain nombre de questions essentielles : le montant du SMIC actuel sera-t-il revu à la baisse ? Jusqu’où ira la « flexibilité » (notamment l’annualisation du temps de travail, c’est-à-dire son calcul non plus sur la semaine mais sur l’année, en fonction du rythme d’activité saisonnier de l’entreprise) exigée par le patronat en échange de l’introduction des 35 heures ? Les aides accordées par l’État aux entreprises pratiquant la baisse du temps de travail seront-elles temporaires ou pérennisées ? 12 Art Exposition « Manet, Monet : la gare Saint-Lazare ». Le musée d’Orsay inaugure cette exposition qui doit durer jusqu’au 17 mai. Manet, Monet, Caillebotte et d’autres artistes de l’époque furent séduits par la nouveauté du quartier de la gare Saint-Lazare et du pont de l’Europe, avec l’architecture métallique et la perspective des voies de chemin de fer qui ne cessaient de s’allonger. Leurs oeuvres d’alors témoignent de cet éblouissement envers la modernité. Le musée présente pour la première fois neuf Gare Saint-Lazare de Monet (sur les onze qu’il a peintes au total) et downloadModeText.vue.download 61 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 60 consacre la deuxième partie de l’exposition à l’atelier de l’artiste de la rue de Saint-Pétersbourg. République démocratique du Congo Arrestation du leader de l’opposition. Le président Laurent-Désiré Kabila, au pouvoir depuis 1997, fait arrêter Étienne Tshisekedi, le numéro un de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Le gouvernement réitère à cette occasion son interdiction des partis politiques, à l’exception du parti gouvernemental, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). 14 Indonésie Émeutes et xénophobie. À quelques semaines de l’élection présidentielle, où le président Mohamed Suharto entend se présenter pour la septième fois, des premières émeutes de la faim ont lieu à travers le pays. On déplore plusieurs morts. Ces émeutes sont causées par la hausse vertigineuse des prix qui renchérit considérablement le coût des denrées de base. On signale également des pillages et des violences exercés à l’encontre de la minorité chinoise qui contrôle le commerce. Plusieurs voix, et notamment une importante organisation musulmane, appellent la population à la tolérance et rappellent que les Chinois d’Indonésie font partie de la communauté nationale. Mais les passions sont exacerbées par l’inquiétude qui prévaut. Depuis la sécheresse et les incendies catastrophiques, et mal gérés, de l’an passé, les Indonésiens craignent une pénurie alimentaire. (chrono. 10/03) 15 Chypre Réélection de Glafcos Cléridès. Âgé de soixante-dix-neuf ans, le président sortant est élu pour un deuxième mandat de cinq ans. Il l’emporte de justesse avec 50,8 % des voix contre 49,2 % à son concurrent, soutenu par la gauche. Cette réélection intervient alors que de nouvelles négociations doivent s’ouvrir avec la partie turque de l’île, qui est coupée en deux depuis 1974. Ces négociations intercommunautaires auront elles-mêmes une influence déterminante sur l’adhésion de Chypre à l’Union européenne (UE). 16 Belgique Rapport sur l’affaire Dutroux. La commission parlementaire d’enquête sur les crimes pédophiles remet son rapport. Si les auteurs de ce document rejettent l’hypothèse de « protections directes » dont auraient bénéficié au niveau des autorités publiques Marc Dutroux et ses complices, ils soulignent, en revanche, les carences de l’Administration, police et justice. Ils écrivent ainsi que les réseaux mis en place par Dutroux « ont bénéficié à divers niveaux d’une protection indirecte engendrée par des phénomènes individuels et collectifs d’estompement de la norme ou de comportements corrupteurs ». 17 Économie internationale Réticences sur l’AMI. Les pays membres de l’OCDE discutent du projet d’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Ce texte prévoit que chaque pays signataire devrait accorder aux investisseurs étrangers les mêmes conditions que pour ses investisseurs nationaux. Ce principe aurait pour conséquence de limiter les pouvoirs des États face aux investisseurs étrangers, notamment face aux multinationales à dominante américaine. Beaucoup craignent que soient ainsi remises en cause de nombreuses dispositions, européennes pour la plupart, en matière de droits sociaux ou de protection de l’environnement. La France, pour sa part, défend le principe de l’« exception culturelle », qui permet de protéger les productions culturelles nationales contre la domination de la culture américaine hollywoodienne. Face à tant d’oppositions, de nombreux observateurs pensent que le texte ne pourra pas être adopté, comme initialement prévu, en avril. (chrono. 28/04) Littérature Mort d’Ernst Jünger. L’écrivain allemand disparaît à cent sept ans à Wilflingen, petite ville de Souabe, où il s’était retiré depuis une quarantaine d’années. Combattant de 14-18, il downloadModeText.vue.download 62 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 61 publie son premier livre, Orages d’acier, en 1920. Ce n’est pas un pamphlet contre la guerre, mais une sorte de récit métaphysique sur la violence. De là commence sa réputation d’écrivain fascisant. Il se lie ensuite d’amitié avec Ernst von Salomon, qui sera considéré plus tard comme un des grands chantres du nazisme. En 1933, Jünger refuse de rentrer à l’Académie de littérature contrôlée par le nouveau régime et il écrit en 1939 son livre le plus célèbre, les Falaises de marbre. D’aucuns y voient un pamphlet contre Hitler, mais lui-même dira le contraire après la guerre. Pendant l’Occupation, il est à Paris, chargé des relations avec les intellectuels français. Après 1945, il est largement rejeté par l’opinion allemande, ce qui ne l’empêche pas de continuer à publier, notamment, à partir de 1980, son journal, qui remonte à 1965. Très apprécié par François Mitterrand qui lui rendra visite chez lui, il assiste, en 1984, à ses côtés et à ceux du chancelier Helmut Kohl*, à une cérémonie à la mémoire des victimes des deux guerres. Il disait de luimême : « Je ne pense pas dialectiquement, donc ni pour ni contre, mais autrement. » France Quatre centième anniversaire de l’édit de Nantes. Jacques Chirac préside le lancement des cérémonies d’anniversaire de la signature, en 1598, de l’édit de Nantes. Par ce texte, le roi Henri IV mettait un terme aux guerres de Religion et reconnaissait au protestantisme une place (limitée) au sein du royaume. À cette occasion, J. Chirac rappelle que « la France est forte quand elle est rassemblée, faible quand elle est divisée et que se dilue l’idée nationale ». 19 Espace Retour du cosmonaute français. Léopold Eyharts se pose au Kazakhstan après un vol de trois semaines à bord de la station orbitale russe Mir. Au cours du vol, le cosmonaute s’est livré à plusieurs expériences scientifiques, dont l’observation de l’évolution d’oeufs de salamandre pondus dans l’espace. Jacques Chirac félicite M. Eyharts en rappelant qu’il est favorable à la poursuite des vols habités, contrairement à Claude Allègre, ministre de l’Éducation et de la Recherche. 20 Chanson 13es Victoires de la musique. Florent Pagny et Zazie sont désignés comme les meilleurs artistes interprètes masculin et féminin de l’année en France. Le meilleur album est celui du groupe de rap marseillais IAM, l’École du micro d’argent, et la meilleure chanson, celle du groupe de rock bordelais Noir Désir, l’Homme pressé. La distinction de la révélation de l’année va à la chanteuse Lara Fabian. Grande-Bretagne Le Sinn Féin exclu des négociations. L’aile politique de l’Armée républicaine irlandaise (IRA) a été exclue pour deux semaines des négociations sur la paix en Ulster, à la suite de deux assassinats commis à Belfast par des membres de l’IRA, en violation du cessez-le-feu que celle-ci avait elle-même décrété. Cette exclusion fragilise un peu plus le processus de paix après le départ, fin janvier, du Parti démocratique de l’Ulster (UDP), branche politique de l’organisation protestante UFF. (chrono. 10/04) 21 France Nominations au Conseil constitutionnel. Trois juristes chevronnés sont nommés au tribunal suprême : Simone Veil, ancienne présidente du Conseil supérieur de la magistrature, ancien garde des Sceaux et ancienne présidente du Parlement européen ; JeanClaude Colliard, professeur agrégé de droit public, ancien directeur du cabinet de François Mitterrand, et Pierre Mazeaud, député RPR, l’un des plus grands spécialistes à l’Assemblée du travail législatif. 22 Sports Fin des jeux Olympiques d’hiver. Après deux semaines, les dix-huitièmes JO d’hiver s’achèvent à Nagano, au Japon. Us ont mobilisé downloadModeText.vue.download 63 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 62 2 450 athlètes venus de 72 pays et 8 000 journalistes. Leur coût s’élève à plus de 100 millions de francs, dont 80 pour les infrastructures olympiques. L’organisation s’est avérée très satisfaisante malgré une météo capricieuse. L’Allemagne termine en tête du palmarès avec 29 médailles, dont 12 d’or, devant la Norvège et la Russie. La France se classe en 13e position avec 8 médailles. 23 Irak Signature d’un accord avec l’ONU. Alors que depuis plusieurs semaines le spectre d’une nouvelle guerre du Golfe semblait être revenu au-devant de l’actualité et que les Américains avaient dépêché dans la région une force de 30 000 hommes, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, signe avec le président irakien, Saddam Hussein, un accord mettant un terme à la crise : selon ce texte, Bagdad s’engage à respecter toutes les résolutions de l’ONU et à accorder à la mission de l’Unscom toutes les facilités nécessaires pour procéder à l’inspection de tous les sites militaires ou assimilés qu’elle jugera utile de visiter. En contrepartie, l’ONU fera respecter, pour le contrôle des sites dits « présidentiels », une procédure particulière selon laquelle les experts de l’Unscom seront accompagnés de diplomates de haut rang nommés par le secrétaire général des Nations unies. Cette victoire diplomatique, saluée dans le monde entier et approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies, est à mettre au crédit de M. Annan. La France a eu également sa part dans l’affaire, car elle a mis en oeuvre ses liens traditionnels avec l’Irak pour bien taire comprendre à son président que la voie négociée était la seule possible pour éviter une catastrophe. L’isolement diplomatique et militaire des États-Unis a également joué : à l’exception de la Grande-Bretagne, aucune nation n’a voulu s’associer à l’opération militaire, tandis que la quasitotalité des pays arabes avaient fait connaître leur désapprobation vis-à-vis des États-Unis. Une partie de l’opinion américaine, notamment chez les élus républicains, demeure très sceptique et ne fait pas confiance au président irakien. (chrono. 3/04) 22 France Reprise des négociations sur la Nouvelle-Calédonie. Dix ans après la signature des accords Matignon, qui ramenèrent le calme dans l’île, les représentants de l’État, du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et du Rassemblement calédonien pour la République (RCPR) se retrouvent à Paris pour évoquer l’avenir du « Caillou ». Roch Wamytan, président du FLNKS souhaite que l’on s’achemine vers la définition, inédite en matière de droit, d’un « État associé avec la France » et s’inquiète de l’arrivée de quelque 15 000 métropolitains dans l’île en moins de dix ans. Jacques Lafleur, chef du RCPR, souhaite pour sa part que l’appartenance de la Nouvelle-Calédonie à la France ne soit en aucun cas remise en cause. Les parties s’accordent sur un programme de négociations. (chrono. 21/04) 25 Albanie Nouvelles tensions. Des dizaines d’arrestations sont opérées au cours d’une manifestation interdite de l’opposition à Tirana. Au cours de la manifestation, l’ancien président de la République Sali Berisha a appelé ses partisans à poursuivre des « protestations massives dans tout le pays » contre le gouvernement du socialiste Fatos Nano* afin d’obtenir la convocation de nouvelles élections. Corée du Sud Intronisation du nouveau président. Kim Dae-jung, président de gauche élu à la fin de 1997, entre officiellement en fonctions. Dans son discours d’investiture, le nouveau chef de l’État insiste sur l’énormité des problèmes qui vont se poser à lui. Il ne cache pas que « l’économie risque de s’effondrer » et que le peuple doit se préparer à « l’augmentation des prix et du chômage », même si le nouveau pouvoir s’efforcera de protéger les « citoyens innocents qui doivent supporter les conséquences des erreurs de ceux downloadModeText.vue.download 64 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 63 qui les dirigent ». Âgé de soixante-quatorze ans, Kim Dae-jung s’est présenté trois fois aux élections présidentielles (en 1971, 1987 et 1997) avant de réussir à la quatrième tentative. Il a été emprisonné plus de six ans, exilé aux États-Unis, deux fois menacé d’assassinat et une fois condamné à mort. Le premier geste du nouveau président aura été de pardonner à ses prédécesseurs. Face à la crise financière, il doit démanteler les énormes conglomérats (chaebols) qui paralysent la modernisation de l’économie. Sa tâche sera d’autant moins facile que les chaebols bénéficient d’importants relais dans la presse et l’opinion, et que le parti favorable au président n’a pas la majorité au Parlement. 27 Russie/Ukraine Rapprochement des deux pays. Les présidents russe et ukrainien, Boris Eltsine* et Leonid Koutchma, signent un accord de coopération économique sur dix ans. Ce texte marque le rapprochement des deux pays, longtemps opposés depuis l’éclatement de l’URSS. Le président Koutchma recherche l’appui russe pour sortir l’Ukraine du marasme économique où elle est enlisée depuis plusieurs années ; il cherche aussi l’appui politique de M. Eltsine contre ses concurrents politiques en vue de l’élection présidentielle de 1999. 28 Cinéma 23e nuit des Césars. Le film On connaît la chanson d’Alain Resnais est le grand vainqueur des trophées annuels du cinéma français. Il reçoit les distinctions du meilleur film, du meilleur acteur (André Dussolier), des meilleurs seconds rôles masculin et féminin (Jean-Pierre Bacri* et Agnès Jaoui), du meilleur scénario original, du meilleur montage et du meilleur son. La meilleure actrice est Ariane Ascaride pour son rôle dans Marius et Jeannette de Robert Guediguian, tandis que le meilleur réalisateur est Luc Besson pour le Cinquième Élément. downloadModeText.vue.download 65 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 64 MARS 1 Allemagne Gerhard Schröder* candidat SPD à la chancellerie. Le leader social-démocrate est réélu facilement ministre-président de Basse-Saxe. À la suite de ce succès, il est désigné comme candidat officiel du SPD pour les élections de l’automne, préféré au président du parti Oskar Lafontaine*. Âgé de cinquante-trois ans, M. Schröder bénéficie d’une forte cote dans l’opinion. Situé au centre gauche, il est parfois présenté comme l’« ami des patrons » ou bien comme un « Tony Blair allemand ». D’autres voient en lui un politicien réaliste, issu de la classe ouvrière, et fortement attaché au monde de l’industrie et au rôle de la puissance publique. Certains, notamment en France, s’inquiètent de ses positions eurosceptiques, même si tous s’accordent pour voir en lui avant tout un pragmatique. Le 16, le SPD publie son programme pour les élections du 27 septembre : même si certaines mesures de gauche (emplois pour les jeunes chômeurs, remise en cause de l’énergie nucléaire, pour aller dans le sens des Verts) sont proposées (le plus souvent sans financements précis), la plupart des réformes envisagées vont dans un sens plutôt libéral (équilibre du budget de l’État, baisse modérée des impôts) et sécuritaire (défense des victimes). Italie Recentrage de l’Alliance nationale. Sous l’impulsion de son président Gianfranco Fini*, l’ancien parti postfasciste rompt définitivement avec son passé pour « devenir le grand parti libéral de masse qui n’a jamais existé en Italie ». Comptant 500 000 militants, 134 parlementaires et 16 % des voix lors des dernières élections, l’Alliance nationale se situe résolument au centre droit. M. Fini cherche également à se démarquer de Silvio Berlusconi*, à qui il fut associé au gouvernement en 1994, en rejetant la thèse de la menace communiste et en reconnaissant que l’Italie n’est pas gouvernée par une coalition marxiste mais par une équipe de centre gauche. 2 Littérature Mort de Lucien Bodard. L’écrivain et journaliste meurt à Paris à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Fils d’un consul de France, né en Chine, il se spécialise dans le grand reportage sur l’Asie. Il rencontre Pierre Lazareff, le célèbre patron de presse, qui fait de lui un des grands reporters de France-Soir. Après avoir publié une chronique en trois volumes sur la guerre d’Indochine, il reçoit en 1973 le prix Interallié pour son roman Monsieur le Consul, une autobiographie sur son enfance. Il est lauréat du prix Goncourt en 1981 pour Anne-Marie, évocation tragique de sa mère. Son style imagé et puissant était à l’image de son physique, énorme et hors du commun. 3 Inde Victoire de la droite hindouiste. À l’issue d’élections étendues sur trois semaines et marquées par de nombreuses violences, le BJP (Bharatiya Janata Party – parti du Peuple indien) est déclaré vainqueur avec 249 sièges (en comptant ceux de ses alliés) sur un total de 543. Il est suivi par le parti du Congrès, crédité de 166 sièges, et par la coalition de gauche Front uni, précédemment au pouvoir, qui passe de 178 à 93 sièges. C’est dans le Sud et l’Est que les gains en sièges du BJP, ont été le plus important. Celui-ci reste un parti plutôt urbain (41 % des citadins et 35 % des ruraux ont porté leurs voix sur lui et ses alliés) et de hautes castes (56 %). En effet, la base de l’électorat nationaliste hindou est avant tout constituée par la classe moyenne urbaine : commerçants, membres des professions libérales, rejoints, plus récemment, par des cadres du privé, des employés, des militaires à la retraite et des fonctionnaires. Le BJP ouvre aussitôt des négociations pour tenter de conquérir le gouvernement alors qu’il ne dispose pas de la majorité absolue au Parlement. Le Premier ministre pressenti, Atal Behari Vajpayee – éphémère chef du gouvernement en 1996 –, tente de gommer les aspects les plus extrémistes du prodownloadModeText.vue.download 66 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 65 gramme de son parti en déclarant, notamment : « La laïcité est dans notre sang. Notre programme n’est pas un programme de haine. » Beaucoup s’interrogent cependant sur la véritable conversion du B]P à la modération et soulignent la contradiction qui semble exister entre M. Vajpayee, authentique modéré, et le président du parti, L. K. Advani, jugé proche du RSS, organisation hindouiste fascisante qui fut à l’origine du BJP. Pendant quelques jours, le parti du Congrès essaie de constituer une coalition avec le Front uni, mais les différences politiques entre les deux formations sont trop fortes, et la tentative échoue. Le 15, le président de la République, K. R. Narayanan, nomme M. Vajpayee, âgé de soixante et onze ans, à la tête du gouvernement, tandis que Sonia Gandhi devient présidente du Congrès. Veuve de l’ancien Premier ministre Rajiv Gandhi, italienne d’origine, restée jusqu’à l’an passé extérieure à la vie politique, Sonia Gandhi avait pris une place remarquée dans la dernière campagne électorale. Sa nomination à la tête du Congrès est interprétée comme une volonté de perpétuer la tradition des Nehru-Gandhi (le premier Premier ministre de l’Inde indépendante était le père d’Indira Gandhi et le grand-père de Rajiv Gandhi). Yougoslavie Violences au Kosovo. Une journée nationale de deuil est déclarée au Kosovo, après la répression subie par les organisations et la population d’origine albanaise. Vingt personnes ont trouvé la mort au cours d’opérations menées par l’armée serbe contre l’armée de libération du Kosovo (UCK), créée en 1996. Province de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), le Kosovo est peuplé à 90 % d’Albanais de souche et de confession musulmane, qui réclament l’autonomie, quand ce n’est pas l’indépendance, face au pouvoir de Belgrade. En 1989, la Serbie a supprimé le statut d’autonomie dont jouissait la province depuis 1974. Aussitôt la communauté internationale s’inquiète de cette recrudescence des violences dans la région car elle y voit un grand risque de contagion. L’Albanie, toute proche, est solidaire de ses nationaux du Kosovo, comme la Macédoine, cette nouvelle république, non reconnue par la Grèce, largement peuplée d’Albanais de souche. À l’inverse, les Serbes ont fait du Kosovo leur berceau historique, depuis la défaite de l’armée serbe en 1389 devant les forces ottomanes. Durant la Seconde Guerre mondiale, les Italiens avaient intégré le Kosovo au sein d’une grande Albanie, sous leur contrôle. Après la mon de Tito, en 1981, Slobodan Milosevic avait assis sa domination politique en faisant du Kosovo une des grandes causes du nationalisme serbe. Le 5 mars, Belgrade va lancer une vaste opération militaire contre l’UCK, et l’on déplorera rapidement plus de 90 morts, notamment dans les populations civiles. Le 9, les six membres du Groupe de contact sur l’ex-Yougoslavie (Allemagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie et Russie) se réunissent à Londres : ils décident d’appliquer un certain nombre de sanctions contre Belgrade (embargo militaire) et nomment l’ancien Premier ministre espagnol, Felipe Gonzalez, comme médiateur. Ils exigent que M. Milosevic accepte de négocier avec les nationalistes du Kosovo. Ces mesures ne semblent pas devoir avoir une grande efficacité, mais la Russie, traditionnelle alliée des Serbes, freine toute velléité d’aller plus loin. Le leader des Albanais du Kosovo, Ibrahim Rugova, pour sa part, re- fuse de négocier avec Belgrade, tant que les autorités serbes le désigneront sous le nom de « représentant de la minorité nationale albanaise ». (chrono. 22/03) La droite nationaliste hindoue au pouvoir en Inde La nomination, le 15 mars, d’Atal Behari Vajpayee au poste de Premier ministre par le président K. R. Narayanam a montré que le Bharatiya Janata Party, dont l’expérience en matière de marchandage politique n’est en rien comparable à celle du parti du Congrès, a réussi à surmonter tous les obstacles sur le chemin du pouvoir. Du 23 février au 7 mars 1998, les Indiens ont été invités à se rendre aux urnes pour désigner leurs représentants. Il s’agissait d’un scrutin anticipé provoqué par le retrait, en novembre 1997, du soutien parlementaire que le parti du Congrès apportait à la coalition gouvernementale du Front uni – un rassemblement hétéroclite allant des communistes aux socialistes du Janata Dal, en passant par une mosaïque de petites formations régionales. Lors des dernières élections législatives, au printemps 1996, aucun parti n’avait pu se prévaloir de la majorité. En retirant son appui au Front uni, le parti du Congrès aura sans doute voulu vérifier une tendance récurrente dans l’histoire downloadModeText.vue.download 67 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 66 des consultations électorales en Inde. Jusqu’à présent, lorsque des élections anticipées ont dû être organisées en raison d’un défaut de majorité parlementaire, elles se sont traduites par une victoire du parti du Congrès : Mme Indira Gandhi en 1980 ou Narasimha Rao en 1991 ont bénéficié de cette étrange alchimie électorale. Mais l’histoire aura décidé de mettre des bâtons dans les roues des spéculateurs électoraux, et le scénario attendu ne s’est pas déroulé selon les voeux de ses promoteurs. De la nécessité du compromis Il est vrai que les électeurs ne pouvaient guère se rassembler derrière la bannière du parti du Congrès usé par les luttes de factions, les affaires de corruption et la crise de direction dont il souffre depuis la disparition de Rajiv Gandhi en 1991. D’ailleurs, aussitôt qu’il a été clair que des élections anticipées allaient se dérouler, des membres du Congrès ont rejoint par dizaines les rangs du parti du Peuple indien (Bharatiya Janata Party, BJP), la principale formation nationaliste hindoue. Non seulement ces nombreux transfuges ont affaibli le Congrès, mais ils ont souligné son image opportuniste. Le résultat de cette stratégie n’a étonné aucun observateur, et la débâcle attendue était au rendez-vous. Déjà premier parti de l’Assemblée en 1996 avec 161 sièges, le BJP a donc repris sa marche en avant en obtenant 178 représentants à l’issue du scrutin de 1998. Faute de disposer d’une majorité parlementaire, la droite indienne a dû en passer par le jeu des compromis avec ses principaux alliés. Aussi, A. B. Vajpayee a dû accepter de diluer quelque peu l’idéologie nationaliste hindoue, en revenant sur trois des principales promesses électorales du BJP : la construction d’un temple sur les décombres de la mosquée d’Ayodhya (détruite en 1992) ; le vote d’un Code civil uniforme destiné essentiellement à abolir la charia comme source de droit personnel pour les musulmans ; l’abrogation de l’article 370 de la Constitution, qui confère à l’État de Jammu-et-Cachemire une autonomie que les nationalistes hindous considèrent comme le terreau du mouvement séparatiste. Le BJP ayant fait de la stabilité le principal argument de sa campagne électorale, la nécessité d’en passer par un compromis avec des alliés ne va pas sans poser un problème de cohérence, voire de cohésion au sein même de la droite hindouiste. En revanche, certains estiment qu’il y a lieu de se féliciter de ce que le BJP ait besoin d’alliés aux voix dissonantes et qu’il ne puisse donc pas appliquer son programme. Quoi qu’il en soit, A. B. Vajpayee a montré qu’il cultivait le pragmatisme avec une certaine efficacité quand il s’est agi de rassurer la frange la plus radicale des cadres du BJP, dont nombre d’entre eux ont été nommés à la tête d’entreprises publiques, d’universités ou d’ambassades. Attendu sur le terrain de la politique économique, le nouveau Premier ministre a montré qu’en la matière il savait, aussi, faire preuve de pragmatisme, s’employant, notamment, à rassurer les investisseurs étrangers, effrayés par le protectionnisme traditionnel des nationalistes hindous. De même, il s’est empressé de faciliter l’entrée en Inde de biens de consommation occidentaux, dont la classe moyenne est de plus en plus avide. Ces premières décisions sont déjà bien loin du programme économique du BJP, qui prévoyait de mettre un terme à la libéralisation des marchés et de freiner les investissements étrangers. Statu quo diplomatique Sur le plan de la politique étrangère, la nouvelle équipe a ponctué son arrivée au pouvoir avec des essais nucléaires, auxquels le Pakistan a rapidement répliqué. En prolongeant par cette démonstration de force la politique de tension qui préside à leurs relations, New Delhi et Islamabad ont donné l’impression d’être revenues à la case départ – le Premier ministre sortant, Inder Kumar Gujral, s’était employé à renouer le dialogue avec le Pakistan. Rappelons que dans son manifeste électoral, le BJP maintient que l’ensemble du Cachemire appartient à l’Inde. Mais, sauf à connaître une situation tendue à l’intérieur, qui l’obligerait à utiliser la question du Cachemire pour détourner une partie de l’attention publique vers un problème de politique extérieure, le BJP devrait, là aussi, s’en tenir à un pragmatisme prudent. Enfin, l’absence de majorité claire a montré, depuis le début des années 80, que les coalitions étaient volatiles et qu’aucun décret de la providence ne garantissait l’immortalité gouvernementale. PHILIPPE DE LA RESLE downloadModeText.vue.download 68 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 67 L’hindutva Ce terme hindi, que l’on pourrait traduire littéralement par « hinduité », désigne le nationalisme culturel hindou et constitue le coeur de l’idéologie du parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party, arrivé au pouvoir en mars 1998. L’hindutva est moins un phénomène religieux ou théocratique qu’un concept nationaliste et culturel. Dans l’esprit des partisans du Bharatiya Janata Party, la réalité de l’hindutva renvoie à une aspiration à l’unité nationale visant à faire coïncider la structure politique et étatique de l’Inde avec une « nation » hindoue qui serait définie en termes culturels. Résistance armée au Kosovo En février, forces serbes et combattants indépendantistes albanais du Kosovo, région du sud de la Serbie peuplée à 90 % d’Albanais, s’engageaient dans des affrontements meurtriers au point de menacer l’équilibre des Balkans. Durant les guerres de Croatie et de Bosnie, on disait volontiers que « la guerre de Yougoslavie a commencé au Kosovo, elle se terminera au Kosovo ». Une sombre prédiction prise au sérieux par les Occidentaux. La mort de Tito a ouvert une crise politique profonde dans la Fédération yougoslave, libérant des ambitions dont la fulgurante ascension de Slobodan Milosevic représente le paradigme absolu. Jeune dirigeant communiste serbe, Milosevic n’a pas ménagé ses efforts pour exploiter cette situation à son avantage. Prétextant que les dysfonctionnements de la Fédération étaient le fruit de l’atomisation du pouvoir entre les différentes républiques, Milosevic a entrepris, sous couvert de sauver la Fédération, de concentrer tous les pouvoirs entre les mains des Serbes. Et, devenu président de la Serbie, il appelait en 1989 ses concitoyens à défendre « leur Jérusalem », le « berceau historique de l’orthodoxie serbe ». Peu après, il supprimait l’autonomie du Kosovo et fermait l’université de Pristina, cheflieu de la province, désormais soumise à un couvre-feu rigoureux. Une alternative combattante Durant la période de la guerre avec la Croatie et la Bosnie, la police serbe a réussi à maintenir un calme apparent au Kosovo, bien que de plus en plus de Kosovars revendiquent pacifiquement l’indépendance. Étrangement, la question du Kosovo allait être absente de la négociation des accords de paix de Dayton, qui ont mis un terme, en décembre 1995, à la guerre dans l’ex-Yougoslavie. Sans doute ce silence pesant de la communauté internationale s’explique-t-il par la stratégie d’Ibrahim Rugova : élu président du Kosovo en 1991 et réélu en 1998, à l’issue de scrutins non reconnus sur le plan international, Rugova s’est toujours montré partisan du dialogue avec Belgrade, convaincu que seule la voie pacifiste était à même de dégager une solution durable. Selon lui, le temps jouant en faveur de l’indépendance, il n’est nul besoin de précipiter les choses, c’està-dire d’utiliser les armes. Mais la radicalisation de la politique de « serbisation » conduite par Belgrade aura mis à mal l’attentisme de celui qui portait jusqu’alors les espoirs des Albanais du Kosovo. L’offensive serbe a débuté dans la vallée de la Drenica, à l’ouest de Pristina, où policiers, militaires et paramilitaires serbes, disposant du soutien d’hélicoptères et appuyés par l’artillerie, ont entrepris de raser des villages censés abriter des combattants indépendantistes albanais. Puis, peu à peu, la pression militaire serbe s’est exercée dans l’ouest de la province, non loin de la frontière avec l’Albanie, afin de couper la route d’approvisionnement en armes. Parallèlement, la population civile a été chassée de la région des combats, lesquels ont poussé sur les routes quelque 20 000 personnes en direction de l’Albanie et du Monténégro – l’autre république qui, avec la Serbie, constitue la Fédération yougoslave. La violence meurtrière mise en oeuvre par les forces serbes au début de 1998 a finalement conduit à accélérer la structuration et l’organisation d’une véritable force de résistance, l’Armée de libération du Kosovo (ALK, ou UCK en albanais). Résolument engagée dans la lutte pour l’indépendance, l’ALK a montré sans ambiguïté qu’elle était une alternative, combattante, à la non-violence de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) de Rugova. downloadModeText.vue.download 69 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 68 L’internationalisation du conflit ? Si Milosevic n’a pas ménagé sa peine pour présenter la crise du Kosovo comme une affaire purement intérieure, les incidences possibles de celle-ci sur les États de la région n’ont pas manqué d’inquiéter les Occidentaux. Il est vrai que le sort des Albanais du Kosovo ne peut pas laisser indifférent l’ex-république yougoslave de Macédoine, peuplée par une forte minorité albanaise. Si la Macédoine, non reconnue par la Grèce et seulement tolérée par la Bulgarie, devait entrer dans une zone de turbulences, c’est tout le fragile équilibre des Balkans qui en pâtirait. Idem pour l’Albanie voisine. Littéralement coupé de ses frères kosovars durant la dictature d’Enver Hodja et jusqu’à la chute du communisme à Tirana, le Pays des Aigles, confronté à d’énormes difficultés économiques, ne peut que se sentir solidaire du destin du Kosovo. Face à la résurrection de la question albanaise, la diplomatie internationale a réactivé le Croupe de contact sur l’exYougoslavie (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Russie, France, Italie), qui s’est saisi du dossier afin d’« éviter que le Kosovo ne devienne une nouvelle Bosnie ». Mais l’action du Groupe de contact se trouve contrainte par les divergences de vue existant entre ses membres. Ainsi, un abîme sépare la Grande-Bretagne, favorable à une intervention militaire musclée de l’OTAN au Kosovo, de la Russie, qui, par solidarité slave, répugne à lâcher la Serbie, son alliée traditionnelle, orthodoxe comme elle. Dans ces conditions, les quelques résolutions envisagées par le Groupe de contact, comme le gel des avoirs serbes à l’étranger, l’embargo sur les armes – qui prêterait à sourire eu égard aux stocks d’armes déjà accumulés par Belgrade – ou l’arrêt des investissements étrangers en Serbie ont paru bien en deçà de la gravité de la crise. Ainsi, à considérer la traduction sur le terrain de cette stratégie déclamatoire – essentiellement donc des sanctions symboliques – et la détermination du président Milosevic, on peut craindre que les hésitations du Groupe de contact ne laissent guère, pour sortir de la crise que des voies militaires. Ce qui ferait du Kosovo le énième avatar de la poudrière balkanique. PHILIPPE FAVERJON L’Armée de libération du Kosovo L’ALK apparaît pour la première fois en 1995 en revendiquant des coups de main contre des policiers serbes, voire l’assassinat de collaborateurs albanais avec le pouvoir de Belgrade. Bien que sa genèse reste toujours mystérieuse, il n’est plus possible de contester son existence ni son caractère albanais – Ibrahim Rugova a longtemps laissé entendre que l’ALK était une création de Belgrade pour justifier l’intervention de la police serbe dans la province. Quant aux effectifs de l’ALK, ils sont passés de quelques centaines d’hommes à plusieurs milliers de combattants : nombreux en effet sont ceux qui ont rejoint ses rangs face à la violence de la police et des paramilitaires serbes à rencontre de civils innocents. Le coût des équipements de cette armée, de plus en plus structurée, est essentiellement assuré par la diaspora kosovar installée en Suisse, en Allemagne et aux États-Unis. 4 France Plan de lutte contre l’exclusion. Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, présente son projet de lutte contre l’exclusion, qui devrait faire l’objet de trois lois votées au Parlement. Les mesures envisagées concernent d’abord l’emploi : chaque jeune en difficulté devrait bénéficier d’un « appui personnalisé » (stages, contrats rémunérés pendant dix-huit mois) ; les adultes au chômage depuis plus de six mois bénéficieront de contrats de qualification. Le projet prévoit également des aides au logement pour les sans-abris (prévention des expulsions, taxe sur les logements vacants), la généralisation de l’accès aux soins médicaux, le traitement du surendettement, la revalorisation des minima sociaux (jusqu’à 29 %) et la possibilité de les cumuler avec des activités professionnelles à temps partiel, l’extension des moyens donnés à l’urgence sociale (SAMU social, guichets d’urgence), l’amélioration de l’accès à la culture, etc. L’ensemble de ce dispositif devrait coûter 50 milliards de francs sur trois ans (30 milliards de crédits nouveaux, dont les financements ne sont pas encore arrêtés). Israël Réélection d’Ezer Weizman. Le président sortant est réélu contre le candidat, présenté par le Likoud, du Premier ministre Benyamin downloadModeText.vue.download 70 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 69 Netanyahou. Âgé de soixante-treize ans, M. Weizman est un ancien chef militaire prestigieux, mais dont les écarts de langage et les changements de trajectoire politique ont parfois choqué. Titulaire d’une charge plus symbolique que réelle, il reste cependant l’une des dernières voix officielles en Israël à défendre le dialogue avec l’Autorité palestinienne, littéralement enlisée depuis l’arrivée au pouvoir du Likoud. 5 Slovaquie Vacance de la présidence. Après le départ du président de la République, Michal Kovac, arrivé en fin de mandat, le Premier ministre Vladimir Meciar, adversaire déclaré de M. Kovac, s’arroge les pouvoirs de celui-ci, alors que l’élection d’un nouveau chef de l’État est repoussée sine die. M. Meciar révoque la moitié des ambassadeurs et casse la décision de M. Kovac de convoquer les électeurs à un référendum sur l’élection du président au suffrage universel. L’opposition crie à la « dictature ». 7 Italie Condamnation d’un ex-capitaine SS. Erich Priebke et son adjoint Karl Hass sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour leur participation au massacre des fosses Ardéatines en mars 1944, où les Allemands fusillèrent, en représailles, 335 otages civils. En 1996, un premier jugement avait acquitté Erich Priebke, ce qui avait provoqué une émotion intense en Italie. 8 Colombie Victoire du Parti libéral. Les élections législatives reconduisent la majorité libérale favorable au président Ernesto Samper. Plusieurs candidats indépendants ont été élus sur la base de programmes stigmatisant la corruption de la vie politique colombienne. Ces élections ont été marquées par de nombreuses violences, les organisations de guérilla ayant appelé au boycott du scrutin. 9 France Condamnation des auteurs de l’Affaire Yann Piat. André Rougeot et Jean-Michel Verne et leur éditeur, Flammarion, devront verser plus de 2 millions de dommages-intérêts. Dans leur livre, ils accusaient, sous des pseudonymes transparents. François Léotard et Jean-Claude Gaudin, alors ministres du gouvernement Balladur, d’avoir été à l’origine du meurtre de la député du Var. 10 Indonésie Réélection du président Suharto. À soixante-seize ans, au pouvoir depuis 1966, Mohamed Suharto est réélu par l’Assemblée consultative pour son septième mandat. Il était le seul candidat. Fidèle du chef de l’État, Yusuf Habibie est désigné comme vice-président. M. Suharto entame sa présidence dans un climat extrêmement tendu. La situation de l’économie nationale est des plus mauvaises – l’Indonésie a été frappée de plein fouet par la crise financière asiatique consécutive à la dévaluation du baht thaïlandais en juillet 1997 – tandis que les organismes financiers internationaux critiquent chaque jour davantage l’incapacité du régime à se réformer. Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement font savoir qu’ils suspendent leurs aides étant donné le refus du gouvernement indonésien de mettre réellement en application le plan de réforme économique pourtant mis au point en janvier avec le FMI. Proche-Orient Reprise de l’Intifada en Cisjordanie. Trois ouvriers palestiniens sont tués près de Hébron par l’armée israélienne, qui croyait avoir affaire à des terroristes. À la suite de cette « bavure », des jeunes Palestiniens reprennent leurs jets de pierres contre les forces de Tsahal, l’armée israélienne. Après plusieurs jours d’affrontements, Yasser Arafat, chef de downloadModeText.vue.download 71 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 70 l’Autorité palestinienne, déclare que « le processus de paix vit presque ses derniers instants » et réclame le déploiement d’une force internationale. 11 Danemark Victoire des sociaux-démocrates. La majorité de gauche, menée par le Premier ministre sortant Poul Nyrup Rasmussen, est reconduite de justesse, avec seulement 1 siège de majorité au Parlement. Une majorité bien étroite si l’on considère que M. Rasmussen a bénéficié d’un bon bilan gouvernemental : chômage réduit à 7 % et budget excédentaire. On note cependant une poussée significative de l’extrême droite (10 % des suffrages), alors que la présence étrangère dans le pays reste faible. Âgé de cinquante-cinq ans, M. Rasmussen est un européen modéré, qui souhaite soumettre le traité d’Amsterdam de 1977 au référendum. Les sondages indiquent que les Danois sont favorables au « oui » à 48 %, contre 32 % pour le « non ». France Exhumation du corps d’Yves Montand. La justice fait exhumer le corps du chanteur, décédé en novembre 1991, afin de prélever un échantillon ADN. Cette procédure fait suite à la demande de reconnaissance en paternité présentée par une jeune femme, Aurore Brossard, qui assure depuis plusieurs années être la fille d’Yves Montand. La famille du chanteur et une partie de l’opinion se déclarent choquées par cette exhumation. 15 France Succès limité de la gauche aux élections régionales. Aux élections régionales, la gauche « plurielle » (Parti socialiste, Parti communiste, Verts, radicaux) l’emporte (en métropole et dans les départements d’outre-mer) avec 36,58 % des suffrages exprimés et 745 sièges devant la droite RPR-UDF, créditée de 35,98 % des voix et de 716 sièges. Le Front national renforce ses positions avec 15,02 % des voix et 275 sièges, tandis qu’on remarque une percée de l’extrême gauche, qui obtient 4,32 % des suffrages et 43 sièges. L’abstention, exceptionnellement élevée, est montée à 42,03 %, contre 31,4 % aux précédentes élections régionales de 1992. La gauche « plurielle » améliore ses positions par rapport à 1992, mais reste en retrait sur ses résultats aux législatives de 1997 (42,10 % au premier tour). Le RPR et l’UDF perdent le contrôle de l’Île-de-France et de Provence-AlpesCôte d’Azur avec les défaites d’Édouard Balladur et de François Léotard. Dès la clôture du scrutin, la droite modérée se retrouve fortement soumise à la pression du Front national : c’est ainsi que dans plusieurs Régions (Aquitaine, Bourgogne, Centre, LanguedocRoussillon, Midi-Pyrénées, Haute-Normandie et Picardie), où l’écart entre la gauche et la droite modérée est très faible, certains élus se déclarent favorables à une alliance avec l’extrême droite pour conserver la présidence de l’exécutif régional, alors que les directions nationales du RPR et de l’UDF considèrent tout rapprochement avec le FN comme une « impasse morale et électorale ». Jean-François Mancel*, ancien secrétaire général du RPR, et président du conseil général de l’Oise, est exclu de ce parti pour avoir déclaré : « À partir du moment où la stratégie de guerre avec le FN a été un échec total, il faudrait être cinglé pour la poursuivre. » Plusieurs observateurs, notamment à gauche, reprochent au gouvernement de ne pas avoir modifié le mode de scrutin de l’élection régionale – proportionnelle intégrale au niveau des départements – conduisant ainsi à des majorités instables et donnant la part belle au parti de Jean-Marie Le Pen. Les partisans de M. Jospin affirment, pour leur part, que celui-ci, arrivé aux affaires en juin 1997, ne pouvait changer la règle électorale à moins d’un an du scrutin, sinon à passer pour un opportuniste. (chrono. 22/03) 16 Religion Publication d’un texte du Vatican sur la Shoah. Comme il s’y était engagé en 1987, Jean-Paul II fait publier un texte de la Commission pour les rapports religieux avec le judaïsme, intitulé : « Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah », et qu’il préface lui-même. L’Église reconnaît que de nombreux catholiques ont pu prendre part à l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, mais ne se reconnaît pas coupable en tant qu’institution. downloadModeText.vue.download 72 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 71 Il est ainsi écrit : « L’Église catholique désire exprimer son profond regret pour les manquements, à toutes les époques, de ses fils et ses filles. Il s’agit d’un acte de repentir. » Le texte fait la distinction entre l’antijudaïsme – rejet de la religion juive –, qui remonte à l’origine du christianisme et dans lequel l’Église reconnaît avoir eu sa part, et l’antisémitisme – rejet racial des Juifs –, invention moderne à laquelle celle-ci s’estime étrangère. Si l’Église admet que l’« enseignement du mépris », c’est-à-dire la critique au nom de la religion du judaïsme, a pu avoir un rôle dans le génocide, elle se refuse, en revanche, à critiquer l’attitude du pape Pie XII, dont le silence pendant les événements tragiques a été maintes fois dénoncé. D’une façon générale, les responsables des communautés juives européennes ou américaines s’estiment déçus par ce texte. Chine Zhu Rongji Premier ministre. Après la réélection de Jiang Zemin à la tête de l’État, Zhu Rongji remplace Li Peng, qui devient président de l’Assemblée nationale. Âgé de cinquante-neuf ans, il est ingénieur de formation. En 1958, il est condamné pour avoir critiqué la politique du « grand bond en avant » et est envoyé à la campagne en rééducation. Douze ans plus tard, il est à nouveau inquiété pour « droitisme » par la Révolution culturelle. Réhabilité en 1978, il poursuit son ascension dans les ministères économiques et devient maire de Shanghai en 1988. À ce poste, il pratique une politique économique très dynamique et parvient à ne pas réprimer dans le sang les manifestations du « printemps de Pékin ». Très travailleur, réputé incorruptible, maîtrisant bien l’anglais, il entend mener son action de chef de gouvernement dans trois directions principales : restructurer les entreprises d’État, réduire la bureaucratie et réformer le système financier. Il reste cependant étroitement contrôlé par le Parti et par Jiang Zemin. Des son intronisation, il prend ainsi bien soin de qualifier le mouvement de 1989 de « contrerévolutionnaire », même si, à l’époque, il avait déclaré : « l’Histoire jugera. » Chine : un premier ministre d’ouverture Salué comme un « Gorbatchev asiatique » par de nombreux observateurs étrangers, l’ancien maire de Shanghai, Zhu Rongji, a été nomme Premier ministre par le président Jiang Zemin. Une nomination de nature à rassurer les milieux d’affaires occidentaux, qui voient en lui un partisan sincère de l’ouverture économique. Longtemps redoutée par les Occidentaux, la succession de Deng Xiaoping, mort en février 1997, s’était finalement opérée sans heurt, et, conformément aux scénarios en cours dans les chancelleries européennes, mais aussi outreAtlantique, Jiang Zemin devait s’imposer à la tête de l’État. Sans grande surprise, donc. En revanche, le nouveau numéro 1 chinois a forcé l’étonnement en parvenant, en moins d’un an, à consolider une prise de pouvoir sur la pérennité de laquelle peu d’observateurs se seraient engagés Le XVe congrès du Parti communiste chinois, qui s’est déroulé à Pékin en septembre 1997, a servi de cadre officiel à cette prise de pouvoir. Il s’est agi de pousser dehors les hommes par trop apparentés à l’ancienne équipe et de promouvoir des proches. Rien que de bien classique. Ainsi, l’ex-amiral Liu Huaqing, ancien secrétaire particulier de Deng Xiaoping, et Qiao Shi, le président de l’Assemblée nationale populaire, rival déclaré du chef de l’État, se sont retrouvés sur la touche. À leur place, Jiang a appelé des fidèles, dont l’ex-maire de Shanghai, Zhu Rongji, qui accède au poste de Premier ministre en mars 1998. Zhu Rongji appartient à cette génération qui pousse au premier plan, après les vétérans révolutionnaires, les ingénieurs de la Chine populaire naissante. Cette formation professionnelle n’est pas indifférente quant aux choix que l’on peut d’ores et déjà prêter au chef du gouvernement, dont l’intérêt qu’il porte à la « chose » économique n’est un mystère pour personne. Alors que son prédécesseur Li Peng était particulièrement attaché à l’industrie et aux entreprises socialistes, Zhu Rongji serait plutôt sensible au maintien des prérogatives économiques de l’État central. Un partisan convaincu des réformes Celui que l’on dit aussi modernisateur – une réputation due à son passage à Shanghai – devrait pousser les feux des réformes, contre l’appareil des cadres, tout en s’opposant à l’atomisation du système en satrapies. Interrogé sur les conséquences que pourrait avoir la crise financière régionale sur la restructuration des entreprises d’État ou l’objectif d’une ouverture du secteur downloadModeText.vue.download 73 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 72 des services financiers, Zhu Rongji s’est montré optimiste, sans être pour autant trop précis. À l’inverse, la question de l’échéance d’une convertibilité du yuan a suscité, de fait, une réponse embarrassée, dont on aura retenu nue la mise en place d’une Banque centrale dotée de réels pouvoirs constituait un indispensable préalable. Néanmoins, le nouveau Premier ministre a fait forte impression sur les milieux d’affaires – ce qui lui a valu l’étrange surnom de « meilleur produit d’exportation de Pékin » – et a rassuré dans les chancelleries occidentales, où l’on préfère toujours un technocrate à un idéologue. D’ailleurs, la composition du cabinet du nouveau Premier ministre n’est-elle pas un gage de conformité aux voeux émis par les principaux partenaires de la Chine ? Ainsi, dans cette équipe plus jeune que celle de son prédécesseur, on n’aura remarqué qu’un seul « vétéran révolutionnaire », le ministre de la Défense Chi Haotian, qui a conservé son poste. Pour le reste, le profil dominant est incontestablement celui du technocrate, dont témoigne la nomination de Sheng Huaren à la tête de la Commission d’État à l’économie et au commerce. Toutefois, un départ a attiré l’attention, celui du ministre des Affaires étrangères, Qiang Qichen. En charge de la diplomatie depuis 1988, ce dernier avait largement contribué à sortir la Chine de l’ostracisme de l’après-Tiananmen (juin 1989). Mais l’audace dont on a crédité Zhu Rongji, dès lors qu’il s’est engagé à mettre en oeuvre toutes les réformes destinées à moderniser l’économie chinoise et à l’intégrer dans les circuits internationaux, pourrait bien s’émousser en raison du vent de folie boursier qui souffle sur la région depuis juillet 1997 et la « dévaluation-domino » du baht thaïlandais. De plus, ne serait-on pas fondé à émettre quelques réserves quant à l’originalité du pilotage tel que Zhu Rongji en a esquissé les grandes lignes ? Annoncée dès sa prise de fonctions, la rationalisation de la production par la constitution de grands groupes industriels rappelle beaucoup les chaebols sud-coréens – dont l’endettement colossal leur vaut d’être virtuellement en faillite. Le futur programme de grands travaux financé par des emprunts d’État, peu différent dans son épure des plans japonais de relance de l’économie, dont c’est peu d’écrire qu’ils n’ont guère produit les effets escomptés, ne nous semble pas de nature à soutenir l’enthousiasme qu’il a suscité dans les milieux d’affaires en Occident. Avec l’arrivée à la tête du gouvernement de Zhu se referme la longue période pendant laquelle Li Peng, identifié par beaucoup à la répression de Tiananmen – qu’il a cautionnée sans état d’âme –, a administré l’État chinois et, le plus souvent, freiné les réformes. En clair, la Chine est parée des plus beaux atours et l’on vante à Washington les progrès en matière de démocratie, la réussite de la transition de Deng Xiaoping à Jiang Zemin ou encore les qualités du nouveau Premier ministre, quand bien même ce dernier s’est rallié à la lecture conservatrice du massacre de Tiananmen. PHILIPPE DE L’ENFERNAT La primauté du chef de l’État Partisan déclaré de l’ouverture économique, Zhu Rongji reste toutefois sous la haute surveillance du chef de l’État auquel il appartient de contrôler l’ouverture politique, qu’il s’agisse des affaires internes ou des relations extérieures, Jiang Zemin a ainsi fait libérer deux opposants historiques, Wei Jingsheng et Wan Dang « pour raisons de santé ». C’est également le président de la République qui a eu la haute main sur la décision de signer le second pacte des Nations unies sur les droits civiques et politiques. Deux gestes dont le gouvernement a rapidement récolté les fruits puisque l’Union européenne, bientôt rejointe par les États-Unis, s’est engagée à ne plus voter de condamnation de la Chine à la Commission des droits de l’homme à Genève. Le réchauffement des relations avec les États-Unis s’est poursuivi avec la visite à Pékin, en juin 1998, du locataire de la Maison-Blanche. Jean-Paul II et la Shoah Pour préparer le « jubilé de l’an 2000 », le pape Jean-Paul II affirme, dès 1994, la nécessité d’une « purification des mémoires ». Cette « purification » a donné lieu, depuis lors, à des déclarations portant sur les croisades, les guerres de Religion, le procès de Galilée, l’Inquisition, les rapports downloadModeText.vue.download 74 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 73 avec le judaïsme et, en mars 1998, à un document pontifical sur la Shoah. Jean-Paul II est particulièrement sensible au drame de la Shoah. D’abord parce qu’il a vécu sa jeunesse à Cracovie, un des centres d’une vie juive polonaise maintenant disparue. Devenu prêtre, il a été le témoin de la traque nazie et s’est engagé dans la Résistance ; nul doute qu’une méditation sur la « souffrance juive » et, au-delà, sur ce que les chrétiens appellent le « mystère d’Israël », fit partie de sa spiritualité. Ensuite, profondément en accord avec le changement d’attitude à l’égard des juifs amorcé avec le concile Vatican II, Jean-Paul II estime qu’il doit le prolonger. L’idée même d’un document du magistère catholique sur la Shoah avait été émise dès le 1er septembre 1987, quand Jean-Paul II avait reçu les dirigeants du Comité international juif pour les consultations interreligieuses (IJCIC). Il aura fallu un peu plus de dix ans pour qu’elle soit concrétisée. Ce document était donc très attendu par les communautés juives du monde entier. Une réflexion sur la Shoah Publié avec une introduction de Jean-Paul II datée du 12 mars 1998, le document « Nous nous souvenons : une réflexion sur la Shoah » est rédigé, à la demande du pape, par la Commission pontificale pour les relations avec le judaïsme. Il est signé par le cardinal australien E. Cassidy, son président, et par Mgr P. Duprey, secrétaire. Il vaut la peine d’en indiquer l’essentiel. L’introduction du pape relie explicitement le document au prochain jubilé dont la « joie [est] basée sur le pardon des péchés et la réconciliation avec Dieu et nos voisins ». Les catholiques doivent donc « purifier leur coeur par le biais du repentir des erreurs et des infidélités passées » et « effectuer un examen d’eux-mêmes sur la responsabilité qu’ils ont eux aussi dans les démons de notre époque ». Il faut permettre « à la mémoire de jouer son nécessaire rôle dans le processus de construction d’un avenir dans lequel l’iniquité inqualifiable de la Shoah ne puisse jamais se répéter ». La première partie traite de « la Shoah et (du) devoir de mémoire ». Elle définit la Shoah comme « une innommable tragédie qui ne pourra jamais être oubliée » et ne peut laisser personne indifférent, l’Église catholique encore moins que n’importe qui, « en raison de ses liens étroits de parenté spirituelle avec le peuple juif et son souvenir des injustices du passé ». La deuxième partie parle de « ce dont nous devons nous souvenir ». Elle insiste sur les ques- tions que pose « l’ampleur du crime ». Plus précisément, elle affirme : le fait que la Shoah ait eu lieu en Europe, « c’est-à-dire dans des pays de longue tradition chrétienne », pose la question de « la relation entre la persécution nazie et les attitudes des chrétiens envers les juifs à travers les siècles ». « Les relations entre juifs et chrétiens » : tel est, précisément, le titre de la troisième partie. La Commission reconnaît que « malgré l’enseignement chrétien de l’amour pour tous », la « mentalité prédominante » dans la société de chrétienté a « pénalisé les minorités ». Un « antijudaïsme » a conduit à « une discrimination généralisée » dont les conséquences ont été des expulsions, des conversions forcées, des pillages et des massacres en temps de crise. Au XIXe siècle, un « nationalisme faux et exacerbé » a répandu en Europe un antijudaïsme « plus sociologique que religieux » et, au XXe siècle, le national-socialisme a utilisé des théories qui « niaient l’unité de la race humaine ». L’Église catholique allemande « répliqua en condamnant le racisme » (suivent plusieurs exemples) et le pape Pie XI fustigea « le racisme nazi » dans son encyclique Mit brennender Sorge en 1937, déclarant l’année suivante : « Spirituellement, nous sommes tous des sémites. » La quatrième partie traite de « l’antisémitisme nazi et la Shoah ». Elle indique que la Shoah est le fruit d’un « régime moderne [...] néo-paganiste ». Son « antisémitisme a des racines en dehors du christianisme ». Mais le texte n’exclut pas la possibilité que « la persécution nazie des juifs » ait été « facilitée » par les « préjugés enracinés » dans des « coeurs chrétiens ». Il déplore la fermeture des frontières à l’émigration juive faite par des gouvernements de pays de tradition chrétienne et le fait que si « beaucoup de chrétiens » (le pape Pie XII est explicitement cité) portèrent secours aux juifs persécutés, tous ne le firent pas. Pour « cette lourde charge de conscience », l’Église catholique lance « un appel à la repentance », « répudie toute persécution » et « condamne absolument toutes les formes de génocide » et « les idéologies racistes qui les suscitent ». La dernière partie du texte appelle à « un futur commun ». Les Juifs sont les « frères aînés » des downloadModeText.vue.download 75 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 74 chrétiens et l’Église catholique doit entretenir « une nouvelle relation avec le peuple juif », fondée sur « un respect mutuel partagé » entre tous ceux qui ont Abraham comme « père commun dans la foi ». Les réactions au document pontifical Ce texte a suscité des réactions réservées des responsables de communautés juives, pour deux raisons principales. D’abord, le document romain se situe quelque peu en retrait des déclarations des évêques allemands et français. Les premiers (janv. 1995) reconnaissaient qu’en dépit « du comportement exemplaire » de certains catholiques, leur communauté ecclésiale avait trop souvent « tourné le dos au destin du peuple juif persécuté ». Les seconds affirmaient (sept. 1997) que, par leur silence, « trop de pasteurs de l’Église ont offensé l’Église elle-même et sa mission [...]. Nous confessons que ce silence fut une faute. » Le texte pontifical a une formulation moins nette, sans doute parce qu’il engage l’Église catholique dans son ensemble. Ensuite, le manque d’explication sur l’attitude de Pie XII pendant la guerre et, notamment, lors des rafles de juifs romains en 1943 (le pape ordonna de cacher les juifs dans les couvents mais ne s’exprima pas publiquement) se trouve critiqué. Des dirigeants juifs souhaiteraient un désaveu, bien difficile à émettre dans la logique propre de l’Église catholique. Au-delà de ces réactions, trois remarques peuvent être faites. La première concerne le rapport entre l’antijudaïsme de type religieux et l’antisémitisme de type racial ; Émile Poulat a souligné que, contrairement à ce que suggère le texte, des catholiques de la fin du XIXe siècle (et notamment le quotidien la Croix, oui se revendiquait alors comme « le journal le plus antisémite de France ») ont effectué le passage de l’un à l’autre. La seconde remarque porte sur le désaccord fondamental qui sépare juifs et catholiques : pour ces derniers, le christianisme est l’accomplissement du judaïsme et l’Église apparaît désormais détentrice des promesses faites dans la Bible au peuple hébreu. L’affaire du carmel d’Auschwitz et la béatification en 1987 d’Edith Stein, juive convertie au catholicisme, morte dans ce camp, montrent que cette divergence est source de difficultés récurrentes. Enfin, troisième remarque, le document est aussi une nouvelle pièce au dossier des rapports conflictuels entre Jean-Paul II et la modernité. Un passage du texte n’a pas été assez commenté : il replace la Shoah dans la liste des génocides et des massacres de ce siècle dont eurent à souffrir les Arméniens, les Ukrainiens des années 1930, les Gitans ainsi que les « millions de victimes de l’idéologie totalitaire en Union soviétique, en Chine, au Cambodge et ailleurs ». En demandant aux catholiques de se repentir et d’examiner « la responsabilité qu’ils ont eux aussi dans les démons de notre époque », le pape entend rendre son Église mieux apte à combattre de tels « démons ». JEAN BAUBÉROT Nostra Aetate À Vatican II, la déclaration Nostra Aetate affirme : « L’Église, attentive à son patrimoine commun avec les juifs et poussée par l’amour spirituel de l’Évangile et non par des considérations politiques, regrette vivement la haine, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme dirigées contre les Juifs en tout temps et de toute source. » Cette reconnaissance du lien entre judaïsme et christianisme, cette condamnation de l’antisémitisme aboutissait à une décision importante : la suppression dans la liturgie pascale de tournures telles que « juifs perfides » et « peuple déicide » qui alimentaient ce que Jules Isaac, le pionnier de l’amitié judéochrétienne, a nommé « l’enseignement du mépris ». Ce passage du mépris à l’estime s’est marqué de plusieurs manières depuis les débuts au pontificat de Jean-Paul II. Il a visité Auschwitz (1979), Mauthausen (1988), Majdanek (1991), manifestant une vive sympathie envers les victimes des camps de concentration. Le 13 avril 1986, il visitait la synagogue de Rome et dénonçait « la haine, les persécutions, les manifestations d’antisémitisme, commises quelle que soit l’époque et par quiconque ». Le « quiconque » avait été souligné car il pouvait inclure des catholiques. Far ailleurs, souhaitant se rendre à Jérusalem, le pape avait franchi un pas significatif dans le conflit complexe du MoyenOrient en établissant, en janvier 1993, des relations diplomatiques avec l’État d’Israël. downloadModeText.vue.download 76 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 75 22 France Confusion postélectorale. Alors que la gauche confirme sa poussée relative au second tour des élections cantonales (obtenant 47,59 % des voix, contre 44,54 % pour la droite républicaine, et gagnant la présidence de dix conseils généraux), la vie politique française est bouleversée par la pression croissante qu’exerce le Front national à l’égard de la droite UDF-RPR. La tension avait atteint son maximum le 20, à l’occasion de l’élection des présidents des conseils régionaux : cinq dirigeants UDF acceptent alors d’être élus avec les voix des conseillers FN, même s’ils assurent qu’ils n’ont passé aucun accord avec le parti d’extrême droite. Il s’agit de Charles Millon en Rhône-Alpes, de Jean-Pierre Soisson en Bourgogne, de Jacques Blanc en LanguedocRoussillon, de Charles Baur en Picardie et de Bernard Harang dans la région Centre. Élu dans ces conditions en Franche-Comté, alors qu’il avait toujours récusé le soutien de l’extrême droite, Jean-François Humbert démissionne immédiatement. L’opposition est forte entre les directions parisiennes, fermes sur leurs engagements républicains, et leurs bases, où de nombreux élus, militants, voire électeurs, préfèrent des ententes locales avec le FN plutôt que de voir la gauche l’emporter. Jean-Marie Le Pen trouble encore un peu plus le jeu en réclamant pour lui la présidence de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et en présentant cette demande comme une contrepartie au soutien accordé par son organisation aux cinq nouveaux présidents UDF. Les élections cantonales du dimanche montrent que la majorité des électeurs de droite n’acceptent pas ces arrangements avec le FN et protestent par leur abstention. Ainsi, dans le canton de Bellay (Ain), ville dont Charles Millon est maire, les électeurs donnent leurs suffrages au candidat PS plutôt qu’au sortant RPR. Le 23, le président de la République, Jacques Chirac, s’exprime solennellement à la télévision pour condamner sans appel toute tractation avec le FN, qu’il qualifie de « parti de nature raciste et xénophobe », et souhaiter une série de réformes politiques (changement de la loi électorale pour les élections régionales, limitation du cumul des mandats, accroissement du rôle des femmes, du recours au référendum, etc.). Le même jour, la présidence des régions Île-de-France et PACA passe à gauche au profit de Jean-Paul Huchon et Michel Vauzelle, tandis qu’en Haute-Normandie et en MidiPyrénées les présidents UDF élus avec les voix FN démissionnent aussitôt. (chrono. 25/03) République fédérale de Yougoslavie Élections au Kosovo. La communauté albanaise (1,8 million de personnes) du Kosovo se rend massivement aux urnes pour élire, d’une façon non officielle parce que non reconnue par les autorités de Belgrade, leur président et leurs députés. L’écrivain indépendantiste Ibrahim Rugova, déjà élu dans ces conditions en 1992, est largement réélu, de même que les candidats de son parti, la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), malgré les appels au boycottage lancés par le parti de l’opposition albanaise et par l’Armée de libération du Kosovo (ALK). Les manifestations et la répression continuent et le pouvoir serbe maintient sa position de fermeté, en dépit des appels à la négociation lancés par la communauté internationale. L’imbroglio des régionales Si, avec 851 listes, dont 797 dans l’Hexagone, l’offre électorale pour les élections régionales du 15 mars 1998 est stable par rapport à celles de 1992, la situation politique est radicalement différente. À l’inverse de la précédente consultation, qui intervenait dans un climat de rejet de la gauche au pouvoir – rejet qui avait profité aux écologistes et au Front national et permis ainsi au RPR et à l’UDF de conserver 20 des 22 Régions métropolitaines –, cette fois, c’est à la droite républicaine de connaître ce désamour. Encore sous le choc de sa très nette défaite aux élections législatives anticipées de juin 1997, divisée par des querelles personnelles et face à une gauche offensive bénéficiant toujours d’une popularité d’« état de grâce », la majorité régionale avait tout à redouter de cette échéance. D’abord, parce que le redressement électoral des socialistes était prévisible après leur score catastrophique de 1992, ensuite, parce que ces derniers s’étaient alliés avec les Verts, enfin parce que ces élections intermédiaires se déroulaient trop peu de temps après l’arrivée de la gauche downloadModeText.vue.download 77 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 76 au pouvoir pur qu’on la juge sur son Bilan alors que les électeurs avaient toujours en tête celui du gouvernement Juppé, qu’ils estimaient « négatif ». Mais ces élections d’enjeu local, aux résultats plus ou moins attendus, auront des conséquences nationales sans précédent. Le scrutin à la proportionnelle ne permettant pas de dégager des majorités stables, lors de l’élection des présidents des exécutifs régionaux, une partie de la droite, en dépit des consignes formelles de ses états-majors, va passer des accords avec le Front national pour conserver ou conquérir certaines régions. Le séisme est assuré pour une droite en mal d identité et de projets. Des majorités introuvables Même si l’union RPR-UDF constitue la règle, en dépit de quelques listes dissidentes, la campagne sera dominée par une gauche offensive, galvanisée par sa victoire inattendue de juin 1997 et les premiers résultats d’un gouvernement qui s’appuie sur la reprise économique. La majorité monopolisera les thèmes du changement, au détriment d’une opposition, peu confiante dans ses structures et dans sa stratégie, qui privilégiera la défense de son bilan régional. Les déclarations de certains leaders locaux du RPR et de l’UDF (Philippe Vasseur dans le Nord ou Jean-François Mancel dans l’Oise), n’excluant pas des alliances avec le FN, jetteront le trouble dans l’électorat. Au soir du 15 mars, avec 58 % de votants, la participation est en recul de 10,7 points sur celle de mars 1992. Une abstention qui s’explique en partie par le fait que ce scrutin intervient à peine dix mois après les élections législatives. À l’issue du vote, seules trois Régions ont des majorités absolues : le Limousin pour la gauche, la Basse-Normandie et les Pays de la Loire pour la droite. Dans dix autres (Aquitaine, Bourgogne, Centre, Île-de-France, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées, Haute-Normandie, Nord-Pas-deCalais, Picardie, Provence-Alpes-Côte d’Azur), la gauche obtient une majorité relative face à l’union RPR-UDF et au FN ; dans six autres (Alsace, Auvergne, Bretagne, Champagne-Ardenne, Lorraine et Poitou-Charentes), l’union UDF-RPR détient la majorité relative ; enfin, dans deux autres (Franche-Comté et Rhône-Alpes), gauche et droite républicaine sont à égalité. Quant aux élections des présidents de Région, elles vont donner lieu à un véritable séisme politique. Les élections des présidents Une partie de la droite républicaine va se fracasser sur l’écueil du Front national. Arbitre du scrutin dans la majorité des Régions de la métropole, le parti de Jean-Marie Le Pen va faire exploser une partie du RPR et de l’UDF et consommer le divorce entre les états-majors parisiens et les leaders locaux de la droite. Si, dans les trois Régions (Limousin, Aquitaine et Nord-Pas-de-Calais) où la gauche a plus de sièges que le total RPR-UDF et FN, et, dans les huit Régions où la droite républicaine obtient la majorité absolue ou relative, il n’y a pas de problèmes pour élire l’exécutif régional, il n’en va pas de même pour les autres Régions. Le 20 mars, jour du scrutin, un « vendredi noir » pour la droite modérée, six présidents de conseil régional UDF se font élire ou réélire grâce aux voix du Front national, en Bourgogne, Centre, Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes, Picardie et Franche-Comté ; si, dans cette dernière Région, le nouvel élu démissionne aussitôt, son exemple n’est pas suivi par les autres et notamment par Charles Millon, l’ancien ministre de la Défense du gouvernement Juppé. Face à cette fronde d’une partie des ténors locaux de l’opposition, le scrutin pour les autres exécutifs sera repoussé de plusieurs jours, afin de faire entendre raison à ceux qui ont ou seraient tentés de pactiser avec le FN. Le 22 mars, lors du second tour des cantonales, l’électorat de droite sanctionnera par son vote ceux qui semblent incapables de résister à la courte échelle du parti lepéniste. Le lendemain, pour renforcer les rappels à l’ordre des états-majors parisiens, le chef de l’État sortira de sa réserve pour exprimer fermement son hostilité à toute alliance avec le FN, un « parti de nature raciste et xénophobe ». Une intervention décisive qui permettra à la droite, après plusieurs jours de totale confusion et parfois d’obstruction, de se ressaisir partiellement en rejetant cette main tendue de l’extrême droite. Des Régions phares, symboliques, reviendront ainsi à la gauche : l’Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Midi-Pyrénées. Au total, les socialistes présideront 8 Régions, le RPR 3 et l’UDF 7. Le piège du Front national Mais le compte n’est pas bon dans 4 Régions, toutes présidées par un UDF ou apparenté : le nouvel exécutif n’a pu être élu qu’avec l’appoint des voix du FN. Il s’agit de la Picardie, avec Charles Baur, de la Bourgogne, avec JeandownloadModeText.vue.download 78 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 77 Pierre Soisson, du Languedoc-Roussillon, avec Jacques Blanc, et de Rhône-Alpes, avec Charles Millon. Tendu par Bruno Mégret, le piège du Front national a parfaitement fonctionné. En offrant sans condition à la droite un « soutien sans participation » et en s’efforçant, pendant la campagne, de présenter le visage d’un parti en quête de respectabilité, il a su la casser, en prendre une partie en otage et briser un tabou qui voulait qu’aucun accord ne soit possible entre la droite parlementaire et le FN. Les dégâts pour l’actuelle opposition sont considérables et durables. Certes, cette « dédiabolisation » du FN n’est le fait que d’une partie de l’opposition. C’est vrai, ces accords ponctuels sont dénoncés par une large majorité de l’élec- torat RPR-UDF, et les sondages le démontrent. Il n’empêche que l’attitude de ces barons locaux, qui n’ont pas hésité à désobéir aux consignes des états-majors parisiens de leur parti et à l’appel à la raison du président de la République, est révélatrice de la profondeur de la crise d’identité que traverse la droite républicaine depuis l’échec de la dissolution en juin 1997. En mal d’identité, en panne de stratégie et ne présentant pas, à l’heure actuelle, aux yeux de l’opinion, une alternative crédible à la politique suivie par le gouvernement de Lionel Jospin, une partie de la droite, déboussolée, a tenté, par opportunisme, de sauver les meubles en s’alliant avec une extrême droite qui, à l’entendre, ne serait plus, aujourd’hui, si infréquentable. Persuadée que, avec un FN raflant 15 % des suffrages, elle est condamnée à une longue, très longue cure d’opposition, certains se sont demandé pourquoi ils ne s’accommoderaient pas d’un parti extrémiste qui peut servir de marchepied pour retrouver, ou plus simplement, conserver le pouvoir ? Une démarche dangereuse, qui oblige RPR et UDF à une nécessaire recomposition – certains parlent de refondation –, afin que l’actuelle opposition retrouve sa place légitime dans le jeu politique en clarifiant sa stratégie. BERNARD MAZIÈRES Les résultats de la consultation La gauche plurielle Sans retrouver le résultat des législatives de 1997, elle progresse de 11,3 points par rapport à 1992. Le dynamisme des luttes d’union a été payant, même si ces élections confirment la situation électorale minoritaire de la gauche (40 % des suffrages exprimés, extrême gauche comprise). Avec près de 400 sièges, le PS est la première formation politique française des conseils régionaux. Il est en position dominante au sein de la gauche dans toutes les régions. Mais l’union et la participation au gouvernement profitent aussi aux communistes et aux Verts et leur permettent d’obtenir des élus dans des régions où, sous leur propre bannière, ils n’auraient eu aucune chance d’en avoir. La droite RPR-UDF Si la droite républicaine est victime de listes dissidentes, notamment contre Édouard Bal- ladur en Île-de-France et contre François Léotard en PACA, elle résiste bien au choc. Avec 36 % des suffrages, si l’on inclut les divers droite, elle ne connaît qu’un recul limité (– 2,6 % par rapport à 1992) et se stabilise par rapport aux législatives de 1997. Mais cette stabilisation est insuffisante pour éviter de se faire devancer en sièges par la gauche dans bon nombre de Régions, notamment des Régions phares, comme celle d’Île-deFrance, détenue par la droite depuis sa création. Le Front national Scrutin à la proportionnelle, sans véritable enjeu national, ces élections permettent au parti de Jean-Marie Le Pen de conforter ses positions dans ses zones d’influence traditionnelles (est et sud-est de la France). Avec 15,3 % des suffrages, il progresse de 1,5 % par rapport à 1992 et retrouve ses scores de la présidentielle de 1995 et des législatives de 1997. En progression de 54 sièges par rapport à la précédente consultation (275 élus, contre 239), il améliore ses résultats en milieu ouvrier, notamment dans les cantons ruraux, et recule dans les grandes agglomérations et les couches moyennes de la société. Plus que jamais, il est en position d’arbitre. Les petites listes Si l’extrême gauche fait une percée spectaculaire, les écologistes autres que les Verts sont les grands vaincus de ce scrutin (2,8 % des suffrages), ainsi que les communistes downloadModeText.vue.download 79 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 78 orthodoxes. Quant au mouvement ChassePêche-Nature-Tradition (2,7 %), il confirme son influence dans un électoral de droite, populaire et rural. 23 États-Unis Voyage de Bill Clinton en Afrique. Le président américain entame un voyage de onze jours sur le continent noir qui le conduit du Ghana au Sénégal en passant par l’Ouganda, le Rwanda et l’Afrique du Sud. Ce voyage, exceptionnel par sa longueur, est présenté par Washington comme le signal d’une « nouvelle renaissance africaine ». Il s’explique par plusieurs raisons : le recul de l’influence française, le retour de la croissance économique en Afrique et la volonté de M. Clinton de plaire à la population noire américaine, très encline, ces dernières années, à revendiquer ses racines africaines. Plusieurs observateurs estiment cependant que Washington n’a rien de concret à proposer, si ce n’est un relais des aides publiques, très faibles, par le commerce privé, ce que M. Clinton résume par la formule « Trade, not aid ». Après avoir officiellement présenté les excuses de l’Amérique pour la période de l’esclavage et regretté l’inertie du monde occidental en 1994 lors du génocide au Rwanda. M. Clinton se fait admonester par Nelson Mandela, le président sud- africain. Celui-ci reproche aux Américains leur politique internationale autoritaire, notamment en matière d’embargo, comme leur absence de politique africaine et réclame une démocratisation de l’Organisation des Nations unies afin que soient mieux prises en compte les aspirations des pays pauvres. Russie Limogeage du gouvernement. Revenu au Kremlin après une semaine d’arrêt-maladie. Boris Eltsine* limoge son gouvernement, dirigé depuis cinq ans par Viktor Tchernomyrdine*. L’équipe gouvernementale reste en place pour assurer l’intérim, à l’exception du Premier ministre, du ministre de l’Intérieur et du vice-Premier ministre, Anatoli Tchoubaïs*. Le jeune ministre de l’Énergie, un libéral proche de Boris Nemstov*, Sergueï Kirienko*, âgé de trente-cinq ans, est chargé de faire des « propositions » pour la composition du nouveau gouvernement. M. Eltsine justifie sa décision en déclarant que le gouvernement en place manquait de dynamisme, que « les gens ne sentent pas d’amélioration » et que « le pays a besoin d’une nouvelle équipe », mais pas d’une nouvelle politique. Le 27, il confirme M. Kirienko dans son nouveau poste et menace le Parlement de dissolution si celui-ci refuse d’accorder sa confiance au nouveau chef du gouvernement. Les observateurs s’interrogent toutefois sur les véritables motivations du président russe : une poussée d’autoritarisme après une nouvelle absence pour maladie, la volonté d’écarter un éventuel concurrent qui lui faisait de l’ombre ou bien celle de préparer Viktor Tchernomyrdine à sa succession, prévue pour 2000 ? Quoi qu’il en soit, le 28, ce dernier, qui ne cache pas son amertume, annonce qu’il est candidat aux prochaines élections présidentielles. (chrono. 25/03) 24 Cinéma 70e cérémonie des Oscars américains. Titanic, de James Cameron*, est le grand vainqueur de la cérémonie avec 11 titres, dont celui du meilleur film et du meilleur metteur en scène. Jack Nicholson* et Helen Hunt* reçoivent l’Oscar du meilleur acteur et de la meilleure actrice. La distinction du meilleur film étranger va à la production hollandaise Character. 25 France Remous à droite. Alors que l’UDF continue d’être agitée par la poussée des élus souhaitant accepter les votes du Front national, François Bayrou, président de Force démocrate, souhaite créer un nouveau parti « du centre et du centre droit » dans « l’espace que l’UDF occupait si mal ». Son initiative, qui a reçu l’appui de Raymond Barre, est aussitôt critiquée par François Léotard et Alain Madelin. La veille, Jean-Pierre Soisson, élu avec les voix FN, démissionnait de la présidence de la Région downloadModeText.vue.download 80 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 79 Bourgogne. Le 27, il est imité par Bernard Harang, président de la Région Centre. 26 France Arrestation du tueur présumé dit de « l’Est parisien ». Guy Georges, un SDF de trente-cinq ans, est arrêté à Paris, après avoir été identifié au moyen d’un test ADN. Il est considéré comme le premier « serial killer » français, soupçonné du viol et du meurtre d’au moins quatre jeunes femmes, plusieurs d’entre elles dans les quartiers est de Paris, notamment autour de la Bastille, où une véritable peur collective s’était installée. La police estime être, grâce aux tests génétiques, certaine du résultat avec un risque d’erreur de 1 pour 1 milliard. Guy Georges avait déjà été arrêté plusieurs fois et condamné à dix ans de prison pour un viol dans un parking, à Nancy. Serbie Entrée au gouvernement des ultranationalistes. Le nouveau gouvernement dirigé par Marko Marjanovic, proche du président de la Fédération yougoslave Slobodan Milosevic, comporte 15 ministres d’extrême droite sur un total de 35. En décembre 1997, le leader ultranationaliste Vojislav Seselj avait talonné le candidat officiel à l’élection présidentielle serbe, annulée une première fois, faute de participation suffisante. En prenant ses fonctions, le chef du gouvernement déclare, faisant ainsi allusion au Kosovo, province de Serbie peuplée majoritairement d’Albanais, qu’il « combattra par tous les moyens légitimes toute tentative de séparatisme ». 29 Ukraine Succès des communistes aux élections législatives. Les communistes et leurs alliés de gauche obtiennent une majorité relative dans la nouvelle Assemblée. Ils précèdent largement les nationalistes modérés du Roukh. Avec 7 % des voix, les écologistes font une entrée remarquée dans l’enceinte du Parlement. Un an avant l’élection présidentielle, ces résultats constituent un désaveu pour le chef de l’État Leonid Koutchma. 30 Automobile Rachat de Rolls-Royce par BMW. La firme allemande rachète pour 3,4 milliards de francs le prestigieux constructeur britannique, connu dans le monde entier pour ses voitures de grand luxe. Également candidate au rachat, l’entreprise Volkswagen se déclare prête à surenchérir. OPEP Réduction de la production de pétrole. Les onze pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) s’engagent à réduire leur production de pétrole jusqu’à la fin de 1998 afin d’enrayer l’effondrement spectaculaire des cours. France Mini-remaniement ministériel. Le fabiusien Claude Bartolone est nommé ministre délégué à la Ville, et la jospiniste Nicole Péry se voit proposer le poste de secrétaire d’État à la Formation. Tous deux travailleront sous l’autorité de Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité. Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, est déchargée de son poste de porteparole du gouvernement. C’est à Daniel Vaillant, ministre des Relations avec le Parlement, que revient la charge d’assurer le compte rendu du Conseil des ministres. Roumanie Démission du gouvernement. En butte depuis plusieurs mois à l’hostilité des sociaux-démocrates de l’ancien Premier ministre Petre Roman – ces derniers avaient choisi de quitter le gouvernement en janvier –, le chrétien-démocrate Victor Ciorbea est finalement contraint à la démission. Il avait été lâché par ses alliés de la minorité magyare, et le Fonds monétaire international avait publiquement exprimé sa défiance envers sa gestion de l’écodownloadModeText.vue.download 81 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 80 nomie roumaine. Il est donc remplacé, le 2 avril, par Radu Vasile, chrétien-démocrate comme lui. Union européenne L’élargissement en question. Ouverture des négociations d’adhésion entre l’Union européenne et les six pays de la première vague (Chypre, Estonie, Hongrie, Pologne, Slovénie, République tchèque). La présence de Chypre est une concession faite à la Grèce, qui a déclenché la colère de la Turquie, pays non retenu dans ce premier élargissement. La Lituanie et la Lettonie regrettent également de ne pas avoir été retenues. 31 Arménie Élection de Robert Kotcharian. Premier ministre sortant, M. Kotcharian est arrivé en tête du second tour avec 60 % des voix. Il défend une position dure sur la question du Haut-Karabakh, cette région disputée à l’Azerbaïdjan. En matière d’économie, R. Kotcharian passe pour un partisan d’une politique libérale. Il remplace donc le président sortant, Levon Ter-Petrossian, poussé à la démission par l’opposition mais aussi par certains de ses amis politiques pour avoir conduit une politique jugée trop conciliante sur la question du Haut-Karabakh. En effet, le « père de l’indépendance » s’était rallié aux propositions du groupe de Minsk, une émanation de l’Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe (OCSE) préconisant une solution de retrait graduel du Haut-Karabakh. Avec l’élection de M. Kotcharian, l’Arménie tourne une page importante de son histoire de l’après-communisme. Serbie Embargo de l’ONU. Alors que les combats font rage au Kosovo, où l’armée de libération cède du terrain face aux troupes de Belgrade, l’Organisation des Nations unies se prononce en faveur de la mise en place d’un embargo sur les armes à l’égard de la Serbie. La résolution 1160 du Conseil de sécurité de l’ONU n’aura que peu d’effets sur la carte militaire au Kosovo. Le président de la Fédération yougoslave (Serbie et Monténégro) Slobodan Milosevic a déjà expérimenté les résolutions onusiennes en Bosnie. Asie du Sud-Est : une crise monétaire, financière et économique sans fin Le 2 juillet 1997, la dévaluation de la monnaie thaïlandaise, le baht, faisait éclater dans quelques pays de l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Philippines, Malaisie, Indonésie et Corée) une crise non seulement monétaire, mais aussi financière et économique. Sur le moment, elle surprit par son imprévisibilité et sa soudaineté. Plus d’un an après, la crise apparaît loin d’être résorbée, tant les économies de la zone sont déstabilisées ; en outre, elle s’est étendue au Japon et à la Chine. Quant aux pays européens et aux États-Unis, ils semblent en avoir limité les conséquences. Pendant les dernières décennies, l’Asie du SudEst était citée comme un modèle de réussite en raison de rythmes de croissance du produit national annuel supérieurs à ceux des économies développées. À cet égard, la Banque mondiale n’avait pas hésite à intituler son rapport de l’année 1992 « Le miracle de l’Asie du Sud-Est : croissance économique et politique publique » et à qualifier les pays de la zone « hautement performants ». La Thaïlande, une réussite exemplaire Grâce aux atouts dont elle disposait (maind’oeuvre abondante, épargne domestique élevée, faible inflation, etc.), la Thaïlande a été classée en tête avec ses records établis entre 1985 et 1995 : croissance très forte (9,8 % par an) grâce à un taux d’investissement très élevé (39,3 % du produit intérieur brut). Comme pour les autres pays de la zone, la réussite procède d’un cercle vertueux : elle repose en effet sur le développement exceptionnel des exportations de produits manufacturés (électroniques pour l’essentiel). Avec un commerce extérieur excédentaire, les capitaux affluaient en quantités telles que l’expansion ultérieure des industries exportatrices s’en trouvait bien entretenue ; récupérant downloadModeText.vue.download 82 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 81 rapidement leur mise initiale de fonds, elles réinvestissaient ces capitaux dans des activités estimées rentables de suite, sans se soucier des risques qui pouvaient éventuellement survenir dans un avenir plus ou moins proche. Banques et entreprises ne voyaient pas pourquoi l’expansion s’arrêterait. Sous l’apparence d’une réussite brillante, l’économie thaïlandaise, comme celle des autres pays de la région, n’en cachait pas moins une fragilité génératrice de risques qui allait les mettre en difficulté. L’origine de cette fragilité doit être attribuée à trois sortes d’excès, liés entre eux, à savoir le surinvestissement, la surcapacité et le surendettement des entreprises. En premier lieu, depuis le début des années 90, le taux d’investissement en Thaïlande n’a cessé d’augmenter pour atteindre, à la fin de 1995, un chiffre de l’ordre de 40 % par an. Compte tenu de ce chiffre inégalé dans le monde, les capacités de production ont progressé à leur tour à un taux proche de 10 % par an, ce qui signifie par ailleurs que des entreprises sont placées en situation de surcapacité. Quant au surendettement, il résulte d’un développement incontrôlé et excessif du crédit aux entreprises. Entre la libéralisation internationale des mouvements de capitaux et un régime de fixité des taux de change des monnaies des pays de la région par rapport au dollar, les entreprises locales préféraient financer leurs investissements par des emprunts en dollars en raison d’un risque de change nul et de taux d’intérêt extérieurs inférieurs à ceux du marché bancaire local. Avec un accès aussi facile au marché international des capitaux, les firmes ont choisi d’investir dans des secteurs d’activité (comme par exemple l’immobilier) où pouvaient être escomptées des rentrées immédiates et importantes de recettes, ce qui permettait de récupérer rapidement et totalement la mise initiale de fonds : l’éventualité de pertes étant ainsi écartée, ces firmes ne se préoccupaient pas trop des risques inhérents à ce type d’opérations. Ce recours systématique au crédit a entraîné une très forte progression de l’endettement intérieur, l’accumulation chez les entreprises et les banques d’une dette extérieure à court terme excessive et dangereuse pour l’économie (de 82 milliards de dollars à la fin de 1993 à 152 milliards à la fin de 1996 pour les 5 pays) et enfin un gonflement explosif des actifs immobiliers et boursiers (la capitalisation boursière est passée, de 1991 à 1996, de 113 % à 315 % du PIB en Malaisie). Les dégringolades monétaires Le 2 juillet 1997, la dévaluation de la monnaie thaïlandaise (le baht) devait révéler brutalement la gravité d’une crise latente depuis 1996. Depuis lors, le ralentissement de l’activité mondiale et la remontée du dollar ont entraîné la baisse des recettes d’exportation. Privées ainsi de moyens financiers, les entreprises vont emprunter en monnaies étrangères ce dont elles avaient besoin pour leur expansion, sans se préoccuper de leur capacité à rembourser, normalement et durablement, les sommes empruntées. Il en est résulté un endettement extérieur croissant. Ce développement incontrôlé du crédit a favorisé en outre la spéculation immobilière à hauteur de 100 milliards de francs : les entreprises immobilières construisent bureaux et logements en pensant qu’ils trouveront facilement des preneurs. À partir du début de 1997, avec la fuite extérieure des capitaux et les réactions des grandes places financières internationales anticipant une baisse du baht, les autorités monétaires sont intervenues massivement pour défendre la monnaie et empêcher les sorties de capitaux ; à cet effet, elles ont relevé les taux d’intérêt intérieurs, ce qui a mis en difficulté les entreprises. Ne pouvant plus emprunter, celles-ci ont réduit leurs activités, parfois presque totalement. Pour redresser la situation, les autorités monétaires sont obligées de dévaluer, le 2 juillet 1997. Ce n’est pas pour autant que l’économie se trouve sur la voie de la relance. Bien au contraire, les réserves de devises s’épuisent, les monnaies ne peuvent plus être défendues face aux sorties de capitaux, les taux de change mis en flottement se déprécient fortement. Du côté des entreprises, entre la réduction des recettes d’exportation et l’impossibilité d’emprunter à cause de l’augmentation des taux d’intérêt, il faut freiner, sinon arrêter l’activité : il est alors impossible d’importer le matériel nécessaire à la production, de payer les fournisseurs et de verser des salaires à la main-d’oeuvre. Avec des faillites en chaîne et l’éclatement des « bulles financières et immobilières », les prix baissent, ce qui empêche à nouveau la reprise. Plus d’un an après, l’économie est toujours installée dans la dépression et il semble que la sortie de crise interviendra beaucoup plus tard, probablement dans un délai de quelques années. downloadModeText.vue.download 83 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 82 La contagion L’intégration croissante du commerce intra-zone depuis la fin des années 80 va amplifier le caractère contagieux de la crise. Les monnaies de la zone autres que le baht vont être dévaluées dans des proportions considérables (de 30 à 40 %). La croissance de l’ensemble de la zone se trouve très ralentie, voire nulle, d’autant que les investisseurs étrangers n’ont pas retrouvé la confiance. Par ailleurs, l’archipel nippon a subi le contrecoup de cette crise à un point tel qu’il est frappé à son tour d’une profonde dépression, et pour en sortir, le pays s’est engagé dans une politique de réformes qui, à l’usage, se révèle particulièrement difficile à mettre en oeuvre. GILBERT RULLIÈRE Le FMI et la crise asiatique La crise financière qui a atteint l’Asie du Sud-Est depuis juillet 1997 a fait connaître le Fonds monétaire international à travers un engagement financier sans précédent : le FMI a prêté à la Thaïlande, à la Corée et à l’Indonésie environ 210 milliards de francs, et ses ressources propres en sont pratiquement épuisées. Cependant, il lui est reproché de ne pas avoir recommandé aux autorités de ces pays d’empêcher l’accumulation massive par les banques et les agents privés d’une dette de plus en plus courte mettant en péril leur économie tout entière. En un mot, le FMI est accusé d’avoir favorisé systématiquement la promotion d’une économie libéralisée au maximum, ouverte sur l’extérieur et avec une intervention de l’État réduite au minimum. downloadModeText.vue.download 84 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 83 AVRIL 1 États-Unis Victoire judiciaire pour Bill Clinton. Le juge fédéral chargé de l’affaire, une républicaine notoire, adversaire de longue date du président américain, décide de classer l’affaire Paula Jones, du nom de cette employée de bureau de l’Arkansas qui accusait M. Clinton de lui avoir fait des avances en 1991. La magistrate estime qu’il « n’existe pas de motifs authentiques pour un procès ». 2 France Condamnation de Maurice Papon. À l’issue de six mois de procès, l’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde durant la Seconde Guerre mondiale est condamné à dix ans de prison et à la privation de ses droits civiques, civils et familiaux pour la même période. Le jury de la cour d’assises de Bordeaux l’a reconnu coupable de complicité dans les arrestations de juifs de l’été 1942 et de janvier 1944. En revanche, la cour n’a pas retenu la complicité d’assassinat, estimant que M. Papon n’a fait que porter son concours à une politique d’extermination décidée par d’autres. En outre, celui-ci est condamné à 4,6 millions de francs au civil, pour les dommages et intérêts et pour les frais de procédure. Il avait cependant organisé son insolvabilité en redistribuant tous ses biens à ses enfants. Ayant aussitôt formé un pourvoi en cassation, M. Papon, qui est âgé de quatre-vingt-sept ans, demeure libre. L’opinion, et particulièrement la communauté juive, s’estime, dans l’ensemble, satisfaite de ce verdict, qui semble faire la part des choses et qui clôt le plus long procès de l’après-guerre. France Jean-Marie Le Pen inéligible pour deux ans. Le président du Front national est condamné à trois mois de prison avec sursis, 23 000 francs d’amende et deux ans d’inéligibilité pour avoir agressé physiquement, le 30 mai 1997, la mairesse PS de Mantes-laVille. Le tribunal correctionnel de Versailles a estimé que le comportement « provocateur et agressif » de M. Le Pen est « manifestement indigne d’un homme politique ». Papon : un procès fleuve Le procès du premier haut fonctionnaire de Vichy a être inculpé pour « complicité de crime contre l’humanité » s’est achevé le 2 avril 1998. Maurice Papon, quatre-vingt-sept ans, ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde, a été condamné à dix ans de réclusion criminelle. La cour n’a pas retenu la complicité d’assassinat. Six mois, c’est le temps qu’il aura fallu à la cour d’assises de Bordeaux pour mener à son terme le procès de Maurice Papon. Une durée quatre fois supérieure à celles des procès Barbie en 1987 et Touvier en 1994. Au deuxième jour, la cour a d’ailleurs ordonné la mise en liberté sous contrôle judiciaire de l’accusé. Raison invoquée : « l’importance de la durée prévisible du procès ». Sage précaution, car deux mois passeront avant que le premier fait constitutif de l’accusation soit abordé. Quatre mois seront ensuite nécessaires pour que soient évoqués les convois qui, de juillet 1942 à mai 1944, partiront de Bordeaux pour l’enfer d’Auschwitz, via Mérignac et Drancy. Au total, donc, six mois de quasi-enlisement au cours desquels alterneront d’interminables auditions de témoins ; les exposés fleuves d’historiens de la France de Vichy ; le long et patient travail d’élucidation du président Jean-Louis Castagnède ; les dizaines de questions à l’accusé, trop souvent redondantes, des 22 avocats des parties civiles ; les doctes et froides réponses de ce dernier, sujet à d’importuns « malaises bronchiques » ; les témoignages, ô combien poignants, des survivants des convois. Sans oublier l’invraisemblable succession de « coups de théâtre », telle la découverte, fin janvier, par Me Arno Klarsfeld, un avocat des parties civiles, d’une parenté entre Jean-Louis Castagnède et trois personnes déportées dans le convoi de décembre 1943 – le dernier événement inopiné ayant été le décès, sept jours avant le verdict de l’épouse de l’accusé. downloadModeText.vue.download 85 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 84 Mais un quasi-enlisement n’est pas tout à fait un enlisement. Le procès a cheminé à tout petits pas, s’égarant souvent dans le sable mouvant de fastidieuses audiences, mais il cheminait toujours. Avec, au bout, le verdict tant attendu. Quelle aide exacte Maurice Papon a-t-il apportée aux autorités allemandes ? Si complicité il y eut, Maurice Papon était-il au courant de la « solution finale » ? – un élément capital qui fonderait la complicité d’assassinat. C’est à ces questions que les jurés ont enfin répondu, le 2 avril 1998 au matin. Après dix-neuf heures de délibéré. Mai 1942 Maurice Papon fait son entrée à la préfecture de Bordeaux. Le jeune homme – il n’a que trentedeux ans – hérite d’une dizaine de services, dont le « bureau des questions juives ». Depuis le 3 octobre 1940, date d’entrée en vigueur en France d’une législation antisémite adoptée sans aucun diktat allemand, c’est cette administration qui est chargée d’inventorier les biens « aryanisés », c’est-à-dire confisqués, des Israélites. À Bordeaux, une employée de préfecture est affectée à temps complet à la mise à jour du « fichier des Juifs ». Il servira de base d’information pour les rafles à venir. En 1942, quatre vagues d’arrestations ont lieu, ordonnées par les Allemands, exécutées par les policiers français. Des centaines de personnes sont embarquées dans les convois pour Drancy. Lors du procès, on exhibera l’ordre, signé de la main de Maurice Papon et daté du 28 août, « de requérir le nombre de gendarmes nécessaire pour escorter le convoi israélite ». Pourquoi ce document ? « Pour régulariser une imputation de dépense », répondra l’ancien haut fonctionnaire. D’autres déportations suivront, mais, dès 1943, la préfecture n’est plus avertie des rafles qui se succèdent jusqu’en mai 1944. Du moins, il n’existe aucune preuve de sa participation. En janvier 1944, la préfecture réagit enfin : elle proteste auprès des Allemands et rédige un compte rendu détaillé d’une opération de convoyage. À qui est destiné le document ? « À l’histoire », répond Maurice Papon. Il est vrai que l’on parle déjà du débarquement... À la Libération, Maurice Papon n’est pas inquiété. Mieux : une longue carrière de haut fonctionnaire, effectuée sous l’aile protectrice des gaullistes, l’attend. C’est donc un ancien ministre qui, en ce matin du jeudi 2 avril 1998, porte la main en cornet sur l’oreille pour entendre le verdict de la cour. À sa gauche, les avocats des parties civiles, parmi lesquels Arno Klarsfeld, Gérard Boulanger, Michel Zaoui et Alain Lévy. Ce dernier a dressé il y a quelques jours un véritable réquisitoire contre l’accusé. Au centre de sa démonstration : le fichier des juifs, « sans lequel les rafles ne pouvaient avoir lieu ». Face à Maurice Papon trônent l’avocat général Marc Robert et le procureur général Henri Desclaux. Retenant la complicité d’assassinat, les représentants du ministère public ont requis vingt ans de réclusion criminelle. Nous sommes loin des plaidoiries des avocats de la défense. Celle de Me Jean-Marc Varaut, étalée sur trois jours, campera un Maurice Papon « responsable sans être coupable », un simple exécutant qui « subissait sa fonction ». Aux premiers jours du procès, l’avocat essayait d’accréditer l’idée que s’il était resté à son poste, c’était pour « saboter » les ordres allemands. La cour s’avance La foule des parties civiles, dont Michel Slitinski et Maurice-David Matisson, les deux hommes qui ont initié la procédure il y a dix-sept ans, retient son souffle. La lecture des 768 questions aux jurés commence. L’accusé est déclaré coupable pour toutes les arrestations et séquestrations de juillet, août et octobre 1942. En retrait par rapport à l’acte d’accusation, la cour ne re- tiendra pas celles de septembre 1942, novembre et décembre 1943 et mai 1944. Si ces actes constituent bien un « crime contre l’humanité », la « complicité d’assassinat » n’est, en revanche, pas retenue par les jurés. La cour condamne Maurice Papon à la peine de dix ans de réclusion criminelle et à la privation des droits civiques pour complicité de crime contre l’humanité. Une demi-heure après la sentence, Maurice Papon quitte le tribunal. Il restera en liberté jusqu’à la décision de la Cour de cassation sur le verdict. JEAN-FRANÇOIS PAILLARD Les réactions au verdict Maître Gérard Boulanger : « On a oublié la complicité d’assassinat. Notre message n’est pas passé. » Maître Michel Zaoui : « Le jugement est sévère pour l’arrestation et la séquestration, ce downloadModeText.vue.download 86 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 85 qui est une manière de compenser l’abandon de l’accusation d’assassinat. » Maurice-David Matisson : « Dix ans, c’est la peine qui me convient [...]. Elle restitue aux juifs leur place dans la nation. » Michel Slitinski : « Tant que Papon n’est pas incarcéré nous ne baisserons pas les bras. » Maître Jean-Marc Varaut : « C’est vous, la presse, la télévision, les responsables de cette condamnation. Vous en êtes les complices ! » Robert Badinter : « Ce procès est une victoire pour la justice française. » 3 Irak Mise en application de l’accord de paix. Les experts internationaux de la mission de l’ONU achèvent sans avoir rencontré d’obstacle particulier la visite des huit « sites présidentiels » qu’ils soupçonnaient receler des armements prohibés par les conventions internationales. C’est à la suite du refus de Bagdad d’autoriser ces visites que s’était déclenchée une nouvelle crise au début de l’année. (chrono. 27/04) 4 Rugby Deuxième grand chelem consécutif pour le XV de France. En écrasant par 50 à 0 le pays de Galles, les rugbymen français remportent leur sixième grand chelem dans le Tournoi des cinq nations, après 1968, 1977, 1981,1987 et 1997. C’est également une victoire pour la méthode d’entraînement mise au point par JeanClaude Skrela et Pierre Villepreux, qui est largement inspirée de celle en vigueur dans les équipes de l’hémisphère Sud. 5 Iran Arrestation du maire de Téhéran. Golamhussein Karbastchi, quarante-cinq ans et maire de la capitale depuis 1989, est inculpé pour « escroquerie et mauvaise gestion » et incarcéré. L’incarcération de ce proche du président Mohamad Khatami est considérée comme un nouvel et grave épisode de l’affrontement opposant la ligne libérale du chef de l’État et la ligne conservatrice du clergé intégriste et du guide de la révolution, l’ayatollah Ali Khamenei. Le 14, une manifestation en faveur du maire incarcéré a lieu dans les aies de Téhéran, tandis que le ministre de l’Intérieur, Abdollah Nouri, est violemment critiqué par les conservateurs. Le 15, M. Karbastchi est libéré, alors même que la cour d’appel de Téhéran avait rejeté sa demande de mise en liberté. Le rapport de force l’a emporté sur le processus judiciaire, largement contrôlé par les conservateurs. 6 Finance Fusion de Travelers et Citicorp. L’assureur et la banque commerciale s’associent pour donner naissance au plus grand groupe financier de la planète. Le nouveau groupe, qui prend pour nom Citigroup, représentera un chiffre d’affaires de plus de 500 milliards de francs ; il gérera les comptes de plus de 100 millions de clients et, avec 60 000 salariés, il sera classé au 11e rang des entreprises mondiales. France Remous à la mairie de Paris. Jacques Toubon, ancien garde des Sceaux, proche de Jacques Chirac, maire RPR du XIIIe arrondisse- ment, annonce qu’il crée au sein de la majorité municipale un groupe dissident d’une trentaine d’élus RPR et UDF, parmi lesquels Bernard Pons et Claude Goasguen. Visé par ce qu’il considère comme une tentative de « putsch » à son endroit, le maire, Jean Tiberi, réplique aussitôt en retirant leurs délégations aux adjoints qui ont suivi M. Toubon ; il affirme qu’il entend rester en place jusqu’au bout de son mandat et qu’il bénéficie du soutien du président de le République, dont il fut le premier adjoint dans la capitale pendant de longues années. Le 8, Jacques Dominati, premier adjoint de M. Tiberi et chef de file de l’UDF à Paris, déclare qu’il ne peut que constater « l’échec de l’actuelle équipe en place et évoque la personnalité d’Édouard Balladur comme susceptible d’apporter une solution à la crise. Celle-ci couvait depuis plusieurs mois, après les reculs répétés de la droite parisienne aux différents scrutins depuis 1995 et à la suite des diverses affaires où le nom de M. Tiberi avait downloadModeText.vue.download 87 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 86 été prononcé (affectation contestée d’appartements HLM aux enfants du maire, faux rapport rémunéré 200 000 francs à l’épouse du maire, inscription d’électeurs fantômes dans la circonscription de ce dernier, gestion controversée de l’office d’HLM de Paris). Japon L’OCDE inquiète de l’état de l’économie nipponne. Dans son rapport de conjoncture semestriel, l’Organisation de coopération et de développement économique estime que « l’économie japonaise est au bord de la récession ». La situation a été rendue plus aiguë par la crise asiatique, mais aussi, selon l’organisme du palais de la Muette, par la mauvaise situation du secteur financier japonais depuis les krachs immobiliers et boursiers du début des années 90. L’OCDE estime que le gouvernement japonais est trop timide dans son effort de réforme économique et prône une relance par la consommation nettement plus affirmée. Le 9, le gouvernement de Ryutaro Hashimoto annonce un nouveau plan de relance comportant de fortes baisses d’impôt afin de relancer la consommation. Théâtre Michel Bouquet meilleur comédien de l’année. Présidée par Dario Fo, prix Nobel de littérature 1997, la 12e cérémonie des Molières a consacré, outre Michel Bouquet pour son rôle dans les Côtelettes de Bertrand Blier, Dominique Blanc comme meilleure comédienne ; les Fourberies de Scapin par la Comédie-Française comme meilleure pièce du répertoire et André le magnifique, création collective, comme meilleure pièce de création. L’ère des mégafusions La devise « big is beautiful » est devenue au cours de l’année 1998 la référence « historique » en matière de concentration ou de restructuration des très grandes entreprises : sous toutes les latitudes ont été annoncées des « mégafusions », ou fusions intervenant entre des groupes de très grandes dimensions centrés sur le même métier, par exemple l’automobile, les télécommunications, la pharmacie, les finances, et plus récemment le pétrole, etc. Quand les fusions réussissent, elles débouchent sur la création d’ensembles géants, souvent d’envergure mondiale. Depuis 1996, les alliances entre les plus grandes entreprises se sont fortement multipliées : ainsi, aux États-Unis, le montant des fusions-acquisitions a égalé au 1er trimestre 1998 un chiffre record de 5 600 milliards de francs, soit presque autant que la totalité des transactions en 1997. Ces formes inédites de concentration que sont les « mégafusions » se distinguent des rachats antérieurs à 1996 par l’importance des sommes mises en jeu (par exemple, les échanges d’actions de plusieurs dizaines de milliards de dollars), par les rapprochements entre groupes de taille à peu près équivalente et exerçant le même métier et enfin par la naissance d’une entité géante souvent d’envergure mondiale. Des noces de papier La multiplication, depuis 1996, des alliances entre les grands groupes résulte tout à la fois de la réaction des dirigeants face à l’aggravation de la concurrence internationale (la mondialisation des échanges et l’ouverture des marchés), de la montée en puissance des actionnaires (surtout institutionnels, comme les « fonds de pension ») et, enfin, de l’embellie boursière (relèvement des cours de l’ordre de 4 fois depuis 1990). Au départ, dirigeants et actionnaires se montrent favorables parce qu’ils attendent de la fusion de substantiels avantages : amélioration de la rentabilité due à la compression des coûts et des prix (grâce à de fortes économies d’échelle, à la mise en oeuvre de synergies, à une meilleure utilisation des ressources financières et, éventuelle- ment, des effectifs de main-d’oeuvre) et, par voie de conséquence, à une revalorisation des cours des titres boursiers (ce qui plaît beaucoup aux actionnaires). Le temps révolu des OPA Dans les années 1980 et jusqu’en 1996, les grands groupes de taille égale ne cherchaient pas tellement à s’allier entre eux, mais plutôt à acquérir séparément un concurrent plus petit soit par une attaque surprise (c’est-à-dire une offre publique d’achat), soit en négociant son rachat en Bourse, en partie ou en totalité. La préférence pour l’une ou l’autre de ces solutions provenait du coût relativement peu élevé de ces downloadModeText.vue.download 88 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 87 opérations du fait que les actions étaient cotées au plus bas. Sans abandonner complètement ces opérations devenues onéreuses en raison du relèvement des cours boursiers, les étatsmajors des grands groupes ont découvert que les fusions pouvaient être facilement financées sans débourser beaucoup d’argent : il suffisait de négocier, souvent dans le secret, un échange d’actions, ou mariage de papier. Avec une telle facilité de financement, les grands groupes prirent très vite conscience que leurs problèmes de croissance externes pouvaient être résolus avec un minimum de frais. Ainsi, les banques, l’automobile, la pharmacie, les télécommunications et même le pétrole ne vont pas hésiter à se lancer dans une course au gigantisme. La course au gigantisme des banques américaines Au début d’avril 1998 a été annoncé le rapprochement de la légendaire Citicorp avec le dynamique groupe de services financiers Travelers, la fusion de Nations Bank et de Bank of America, les troisième et cinquième banques du pays, et celle de BancOne et First Chicago, les huitième et neuvième. Ces opérations donnent naissance à des groupes géants : Citigroup et la nouvelle Bank of America dépassent 550 milliards de francs de capitalisation boursière et emploient plus de 150 000 personnes. Pour les banquiers, ces fusions vont contribuer à faire progresser les profits bancaires et, en plus, accroître la productivité de toute l’économie américaine. Plus précisément, avec Citigroup est créé le premier « supermarché » mondial des services financiers né de la convergence de l’activité bancaire et de l’activité sur titres ; avec Bank of America, il s’agit de la première banque commerciale réellement nationale, « coast to coast ». Cette fusion correspond pour Citigroup à la première tentative pour mettre en place aux États-Unis ce que les présidents respectifs des deux banques appellent « le modèle de la société financière de l’avenir », en mesure de fournir des services bancaires, des cartes de paiement du crédit à la consommation, des produits d’assurance et de retraite, d’exécuter des opérations boursières, mais aussi d’offrir toute une panoplie d’activités de banque classique et de banque d’affaires aux entreprises et aux investisseurs institutionnels à travers le monde entier. Sans le vouloir, elle retrouve le modèle de banque universelle sur lequel ont été fondées les banques européennes. À travers cette fusion, les banques américaines attendent une réduction de leur coût de fonctionnement, en réalisant des économies d’échelle et une rationalisation de leur activité : ainsi, elles entendent se séparer d’activités jugées de peu d’avenir ou d’un intérêt marginal afin de consacrer leur capital disponible dans des métiers pour lesquels elles ont acquis un savoir-faire expérimenté, ce qui devrait donner par ailleurs toute satisfaction à leurs actionnaires. Pour y parvenir, elles s’appuieront sur des outils de gestion (notamment informatiques) de plus en plus performants en se dotant d’ordinateurs et de systèmes d’informations superpuissants et très coûteux, qu’elles seules pourront s’offrir. Elles pourront ainsi suivre tous les avoirs et les besoins des particuliers et des entreprises, proposant aux uns et aux autres des services adaptés puisés dans une large gamme. L’ouverture à la concurrence : les télécommunications C’est une sorte de mouvement perpétuel qui s’est emparé de ce secteur avec un nombre inégalé de records : en l’espace de deux ans, il a été compté une douzaine de regroupements, comme celui entre l’américain AT & T et BC (British Communications), acquisitions en série par le même AT & T, mariages entre compagnies (GTE et Bell Atlantic), etc. C’est le « Telecom Act » adopté aux États-Unis au début de 1996 qui a mis fin au monopole et a ainsi ouvert à la concurrence des marchés jusque-là compartimentés : téléphone local, interurbain, liaisons internationales. Plus précisément, avec cette déréglementation du téléphone longue distance (communications nationales et internationales), des firmes comme AT & T ont été autorisées à proposer des services locaux. Inversement, mais a la condition que leurs marchés aient été au préalable ouverts à la concurrence, les compagnies régionales peuvent offrir des services longue distance. Ce décloisonnement des marchés a favorisé un certain nombre de rapprochements. Par exemple la fusion MCIWorld Com (à travers un échange d’actions d’un montant de 37 milliards de dollars) a abouti à créer un groupe capable d’offrir à la fois du téléphone longue distance, du téléphone local et des services Internet. downloadModeText.vue.download 89 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 88 De même, le rachat par SBC Communications, par échange d’actions pour plus de 60 milliards de dollars, de son compatriote Ameritech a donné naissance au premier opérateur de téléphone local aux États-Unis. À l’issue d’une série de fusions, il ne resterait plus que quatre des sept compagnies régionales issues du démantèlement du monopole d’AT & T en 1984. La recherche de la taille critique : la fusion Daimler-Benz et Chrysler La firme allemande Daimler-Benz et l’américaine Chrysler ont annoncé le 7 mai 1998 une fusion transfrontalière pour former le cinquième constructeur automobile mondial (derrière General Motors, Ford, Toyota et Volkswagen) en nombre d’automobiles vendues. Une action Daimler donnera droit à une action du nouvel ensemble Daimler-Chrysler et une action Chrysler à 0,547 action Daimler-Chrysler. Ce mariage, évalué à 166 milliards de marks (556 milliards de francs), représente, selon Daimler, « la plus importante fusion de toute l’histoire ». Dans un contexte très concurrentiel – notamment en Europe où les surcapacités productives sont évaluées à environ un tiers –, il en est attendu un accroissement des profits résultant de celui des ventes, tant sur les marchés internationaux que sur les marchés traditionnels. GILBERT RULLIÈRE BP-Amoco, Shell-Texaco La montée en puissance des actionnaires, comme dans d’autres secteurs d’activité et, surtout, la chute des cours pétrole, tombés au plus bas en août 1998, ont amené les multinationales à se rapprocher. Ainsi, la compagnie britannique BP et l’américaine Amoco annonçaient leur fusion le 11 août 1998. L’opération a été payée par échange d’actions. Les deux firmes ont ainsi constitué la troisième compagnie mondiale pétrolière après Shell et Axon. De leur côté, Shell et Texaco ont regroupé le 3 septembre 1998 leurs activités raffinage-distribution en Europe. Dans un cas comme dans l’autre, elles attendent de ces fusions un accroissement des ventes à la suite de la réduction des coûts (à travers des économies d’échelle), ce oui doit améliorer la rémunération des actionnaires et la valeur du service rendu aux clients dans un marché extrêmement concurrentiel. 7 France Mort d’Yves Mourousi. Le journaliste meurt d’une crise cardiaque à l’âge de cinquante-cinq ans. Il s’était fait connaître dans les années 70 comme présentateur du journal de 13 heures sur TF1. Doué d’un aplomb incomparable, mondain et noctambule, il n’hésitait pas à faire de l’information un spectacle, dont il était le monsieur Loyal, entouré de toutes les célébrités du moment. Il fut l’un des premiers à présenter le journal en dehors du studio, sur les lieux mêmes de l’événement. Sa popularité atteignit son sommet en 1985 quand il n’hésita pas à interroger d’une façon familière et décontractée le président de la République lui-même, François Mitterrand. Évincé de TF1 en 1988 pour cause d’Audimat insuffisant, il avait alors occupé différents postes dans la presse et à la radio avant d’être chargé d’organiser les festivités du nouveau millénaire pour la Ville de Paris. 8 États-Unis Rébellion des cigarettiers. Les grandes compagnies de tabac déclarent caduc l’accord passé en 1997 au terme duquel elles s’engageaient à verser 368 milliards de dollars pour l’indemnisation des victimes du tabac en échange de l’abandon par celles-ci de toute poursuite à leur encontre. Les cigarettiers protestent ainsi contre un projet de loi remettant en cause leur immunité. France Adoption de la loi sur les étrangers. Le projet de loi sur l’entrée et le séjour des étrangers présenté par le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement, est adopté avec les seules voix du PS, les communistes s’étant abstenus et 5 Verts sur 6 ayant voté contre. Même s’ils reconnaissent un certain nombre d’assouplissements par rapport aux lois Pasqua-Debré (notamment en matière de droit d’asile, de mariages mixtes, de droits sociaux et de downloadModeText.vue.download 90 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 89 titres de séjour), les opposants de gauche au texte de M. Chevènement lui reprochent de donner un pouvoir exorbitant aux préfets et de condamner à l’expulsion les clandestins, notamment célibataires, qui, de bonne foi, se sont fait connaître des autorités mais qui, en fin de compte, n’ont pas correspondu aux critères posés pour obtenir un titre de séjour. France Transfert de la souveraineté monétaire à l’Europe. À l’Assemblée nationale, une majorité de députés composée de la plupart des socialistes, de l’UDF et d’une partie du RPR adopte le changement du statut de la Banque de France. À partir de 1999, alors que l’euro se mettra en place, une importante partie des compétences de celle-ci passera à la Banque centrale européenne (BCE). 9 Arabie saoudite Bousculade mortelle au pèlerinage de La Mecque. 118 pèlerins, en majorité asiatiques, trouvent la mort dans une bousculade lors de la cérémonie de la lapidation des stèles symbolisant Satan. Quatre ans plus tôt. 270 personnes avaient trouvé la mort au même endroit. Plus de 1 400 fidèles avaient péri étouffés en 1990 et 343 brûlés dans un incendie de tentes en 1997. Russie Manifestations pour le paiement des salaires. Près de 14 millions de personnes défilent à travers le pays pour réclamer le paiement de leurs salaires, souvent impayés depuis plusieurs mois. Le gouvernement s’était pourtant engagé, courant 1997, à régler ce problème dans les plus brefs délais. 10 Grande-Bretagne Accord de paix en Ulster. En présence des Premiers ministres britannique et irlandais, Tony Blair et Bertie Ahern, du médiateur américain, George Mitchell, et de la ministre chargée des problèmes irlandais, Mo Mowlam, les représentants des communautés catholique et protestante d’Ulster signent un accord de paix historique, mettant théoriquement fin à une guerre civile de près de trente ans et qui aura causé la mort de plus de 3 200 personnes. Ce texte stipule que le maintien de l’Ulster dans le Royaume-Uni sera déterminé en fonction du souhait de « la majorité de la population » (les protestants, favorables au maintien dans le Royaume-Uni, représentent actuellement 60 % des 1,5 million d’habitants, mais la natalité des catholiques est plus forte). Londres et Dublin s’engagent à modifier leurs Constitutions pour ne plus considérer l’Ulster comme faisant ou devant faire partie d’une façon inéluctable de leur territoire. Des institutions spéciales sont prévues : une assemblée locale (fonctionnant à la majorité des protestants et des catholiques) pour gérer les relations avec Londres, un conseil Nord-Sud pour organiser les rapports avec la république d’Irlande et un conseil irlando-britannique réunissant l’Ulster, l’Écosse, l’Angleterre, le pays de Galles et la république d’Irlande. Le désarmement des milices armées est prévu dans un délai de deux ans. Il reste à D. Trimble, chef des protestants modérés, et à G. Adams, leader du Sinn Féin catholique, de convaincre leur base respective, ce qui ne manquera pas d’être délicat, tant les passions sont exacerbées depuis plusieurs décennies, voire depuis plusieurs siècles. C’est chose faite le 18 avril pour l’UUP, principal parti protestant d’Ulster, et, pour le Sinn Féin, le 10 mai. (chrono. 10/05) Lettonie Amélioration de la situation des russophones. À la suite d’un grave différend avec Moscou, les autorités de Riga acceptent le principe d’une loi permettant aux russophones, soit près d’un tiers de la population, d’acquérir rapidement la nationalité lettonne et de s’intégrer ainsi à la vie nationale. République démocratique du Congo Conflit avec l’ONU. Les Nations unies suspendent la mission d’enquête sur les massacres de réfugiés hutus survenus en 1997 à la suite de l’arrestation, par les autorités de Kinshasa, d’un des enquêteurs. Le 15, le rapporteur spécial de l’ONU fait un constat très sévère sur la situation des droits de l’homme dans l’ex-Zaïre. Il y est écrit, downloadModeText.vue.download 91 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 90 notamment, que « le régime a fait table rase des droits à la vie, à la liberté, à l’intégrité physique ». Déjà en 1997, lors de la marche victorieuse de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo qui devait la conduire jusqu’à Kinshasa, un rapport accablant publié par l’organisation Médecins sans frontières avait dénoncé les exactions commises par les hommes de Kabila : de larges groupes de réfugiés, traqués dans la forêt et alors « découverts » par les soldats de l’Alliance, avaient été massacrés. L’Ulster Après les élections législatives au Royaume-Uni au mois de mai 1997 et en république d’Irlande au mois de juin de la même année, les deux nouveaux Premiers ministres, Tony Blair et Bertie Ahern, devaient reprendre la recherche d’une sortie négociée du conflit nord-irlandais. Leurs prédécesseurs, aussi bien à Londres qu’à Dublin, avaient beaucoup oeuvrer pour faire avancer un dossier qui restait marqué par la nécessité de mettre sur pied de nouvelles formes de relations entre unionistes, nationalistes et républicains à l’intérieur de l’Irlande du Nord, entre l’Irlande du Nord et la république d’Irlande et entre l’île irlandaise et l’île britannique. Depuis 1985, les deux capitales avaient fait des progrès considérables dans l’élaboration d’un compromis, mais, à la veille des élections, plusieurs obstacles subsistaient, empêchant un accord en bonne et due forme. En voici les principaux : la poursuite de la violence politique de la part de l’IRA, qui avait repris la lutte armée en février 1996 après un premier cessez-le-feu en 1994 ; un gouvernement faible à Londres, incapable de s’imposer sur les unionistes nordirlandais, et un refus de la part de ces derniers d’accepter une place pour le Sinn Féin à la table de négociation aussi longtemps que l’IRA n’aurait pas, d’une part, mis fin à sa guerre et, d’autre part, déposé les armes. L’accord du Vendredi saint Les résultats des élections ont profondément modifié la situation. La victoire travailliste qui a donné à Tony Blair une impressionnante majorité à la Chambre des communes et la ferme volonté de ce dernier de faire avancer le dossier nordirlandais ont réglé le problème de l’indécision et de l’hésitation qui prévalaient depuis quelque temps sous les conservateurs. Le succès enregistré par le Sinn Féin lors de la même élection en Irlande du Nord accroît considérablement l’influence de Gerry Adams auprès de l’IRA. En effet, le parti arrive en troisième position après le Parti unioniste et le SDLP (Parti social-démocrate et travailliste) et devance le DUP (Parti unioniste démocratique) du pasteur Paisley. Fort du renforcement de son autorité et satisfait de la volonté de la part du gouvernement britannique d’arriver à une solution, le chef du Sinn Féin parvient, fin juillet, à convaincre l’armée républicaine d’arrêter les hostilités, ce qui lui permet de se joindre aux négociations le 15 septembre 1997. Son arrivée n’entraîne pas le départ du Parti unioniste, qui, tout en insistant sur le nécessaire désarmement de l’IRA, accepte la présence du Parti républicain à la table de négociation. Il en est de même pour les deux petits partis qui sont proches des paramilitaires protestants. Les représentants du SDLP et du parti interconfessionnel de l’Alliance complètent l’équipe de négociateurs nord-irlandais. Seul le DUP refuse de siéger. L’aboutissement sera l’accord du Vendredi saint, le 10 avril 1998. Il aura fallu la volonté de l’IRA de privilégier la voie politique, l’acceptation de la part du Parti unioniste de la nécessité d’un compromis constitutionnel, ce qu’il a toujours refusé de faire jusqu’alors, l’investissement important de Bruxelles, notamment financier, en faveur de la région et des efforts considérables et prolongés de la part de Londres, Dublin et Washington pour qu’un tel accord soit signé. Les interventions des deux Premiers ministres ont été, en fin de parcours, décisives. Au mois de mai, deux référendums, l’un au Nord et l’autre au Sud, ont vu des majorités très importantes se dégager en faveur de l’Accord. Au Nord, la majorité catholique-nationaliste a été bien plus importante que celle dégagée chez les protestantsunionistes. Le 25 juin, on organise une élection en vue de la mise sur pied d’une Assemblée en Irlande du Nord, premier pas vers l’application de l’Accord. De nouveau, une nette majorité s’est prononcée pour des candidats qui s’étaient déclarés en sa faveur. Une paix fragile L’Accord lui-même est un document d’une grande complexité, avec trois grands volets : constitutionnel, institutionnel et réformiste. Les deux États, britannique et irlandais, s’engagent downloadModeText.vue.download 92 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 91 à modifier leurs Constitutions sur le chapitre de leur souveraineté sur l’Irlande du Nord. Dorénavant, ce sont les Irlandais du Nord qui feront collectivement le choix de l’État auquel ils appartiennent. Côté institutions, l’Accord prévoit la création d’une Assemblée nord-irlandaise, élue à la proportionnelle, qui doit choisir en son sein un gouvernement composé d’élus des deux communautés. Le consentement ou l’accord intercommunautaire est donc le principe retenu pour toute future décision de l’exécutif. S’ajoute à l’Assemblée un conseil Nord-Sud doté de pouvoirs consultatifs et, à terme, décisionnels dans des domaines qui seront décidés par Belfast et Dublin. On pense ici à des questions telles que le tourisme et les infrastructures qui, par nature, concernent l’ensemble de l’île. Il est prévu de mettre en place un conseil des îles qui regrouperait occasionnellement, pour consultation, des représentants des Assemblées nord-irlandaise et galloise, du Parlement écossais ainsi que des deux Parlements souverains afin de débattre de questions d’un intérêt commun. Enfin, les signataires ont accepté que des réformes soient appliquées dans des domaines aussi contentieux que la police, les droits de l’homme et la culture. PAUL BRENNAN Les résistances Il serait illusoire de penser que les traces laissées par des divisions entre catholiques et protestants vieilles de quatre cents ans et par un conflit violent vieux de trente ans soient effacées. Il reste toujours une opposition unioniste à l’Accord, qui, bien que minoritaire, est néanmoins puissante. De même, l’ordre d’Orange s’est déclaré opposé à l’Accord. Il reste également des forces armées dissidentes, surtout chez les loyalistes-protestants, qui entendent tout taire pour saboter les chances d’une paix fondée sur la justice. 11 Cambodge Chute du dernier bastion khmer rouge. Anlong Veng, au nord du pays, dernier repaire des Khmers rouges, s’est effondré après la rébellion de la base, fin mars, puis la fuite des derniers chefs en exercice. Les dirigeants de cette ultime révolte souhaitent obtenir pour leur région le statut d’autonomie accordée à d’autres régions anciennement Minières rouges puis ralliées au gouvernement central. (chrono. 15/04) 14 Birmanie L’armée accusée de torture. Un rapport d’Amnesty International fait état de sévices et de tueries répétées de l’armée de Rangoon à l’encontre des membres de l’ethnie minoritaire Shan. 300 000 d’entre eux auraient, par ailleurs, été contraints de quitter leur maison, au cours des deux dernières années. République tchèque Vaclav Havel hospitalisé d’urgence. Le président tchèque, en vacances en Autriche, subit une opération du gros intestin dans un hôpital d’Innsbruck. En décembre 1996, il avait déjà été opéré pour un cancer du poumon. La question du maintien de M. Havel au pouvoir est désormais posée. 15 Cambodge Mort de Pol Pot. L’ancien leader des Khmers rouges est mort d’une crise cardiaque à soixante-treize ans près d’Anlong Veng, le dernier réduit des rebelles communistes, au nord du pays. Dans un premier temps, beaucoup refusent de croire à cette disparition, tant Pol Pot avait de fois annoncé son décès pour mieux échapper à ses poursuivants. Toutefois, dans les jours qui suivent, plusieurs témoins crédibles peuvent voir son cadavre et confirmer la nouvelle. Il n’empêche que la mort de l’ancien « Frère Numéro Un », jugé responsable de la mort de près de 2 millions de Cambodgiens entre 1975 et 1979, arrange beaucoup de monde, et notamment au gouvernement en place à Phnom Penh, dont plusieurs membres sont d’anciens militants du « Kampuchéa démocratique », nom officiel du parti extrémiste. En juillet 1997, Pol Pot avait déjà été condamné à la prison à perpétuité par un tribunal composé de Khmers rouges dissidents qui lui reprodownloadModeText.vue.download 93 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 92 chaient notamment d’avoir commandité l’assassinat d’un de ses opposants à la direction du mouvement. Depuis le début des années 90, les Khmers rouges, alliés au roi Norodom Sihanouk pendant la décennie précédente dans le cadre d’un gouvernement en exil, se sont progressivement marginalises au sein de la société cambodgienne. 17 France Lancement d’un nouveau mouvement politique, « La Droite ». Réélu en mars président de la région Rhône-Alpes avec les voix du Front national et exclu de ce fait de l’UDF, Charles Millon a décidé de répliquer en créant un nouveau mouvement politique, La Droite, en souhaitant faire de sa région le laboratoire politique de la recomposition de l’opposition. Appuyé par Alain Mérieux, élu Rassemblement pour la République (RPR) de Lyon et connu pour être un ami du président Jacques Chirac (qui avait pourtant condamné tout rapprochement avec le Front national), il déclare qu’il a « touché au tabou de l’extrême droite » et qu’il est « urgent d’ouvrir un débat sur le piège qui est en train de se refermer sur la droite libérale ». Son initiative est aussitôt saluée par Bruno Golnisch et Bruno Mégret, les deux principaux dirigeants du Front national. L’alliance ou la relance de la droite ? Bousculés par les électeurs et les élus qui plébiscitent l’union de l’opposition, abandonnés par une partie de leur base électorale désemparée par l’échec de la dissolution et le traumatisme des régionales, Philippe Séguin et François Léotard, patrons contestés du RPR et de l’UDF, tentent de reprendre la main. Le 14 mai, ils annoncent la création d’une organisation commune. L’Alliance, c’est son nom, a pour but, en regroupant tous les courants de la droite républicaine, de reconstruire l’opposition sur des bases nouvelles. Cette initiative a pour ambition de déboucher sur une véritable confédération RPR-UDF et de ne pas se contenter, comme dans le passé, de simples ententes électorales. Le protocole d’accord, signé quelques jours plus tard par les trois formations fondatrices, le RPR, l’UDF et Démocratie libérale d’Alain Madelin, prévoit pour l’Alliance, outre le refus de toute compromission avec l’extrémisme, une présidence tournante, dotée d’un secrétariat et d’une assemblée constituée de représentants des différentes composantes ; l’élection d’un président de l’intergroupe parlementaire à l’Assemblée nationale ; et la rédaction d’un programme de gouvernement commun dans Ta perspective des prochaines élections législatives. Le congrès d’Épinay de la droite ? Saluée, à l’origine, de façon très positive par le peuple de droite, qui voyait dans la création de l’Alliance l’opportunité pour l’opposition d’organiser son congrès d’Épinay (congrès constitutif du PS, en 1971, sous l’impulsion de François Mitterrand), celle-ci sera très décriée. Un mois plus tard, les sondages montrent que l’Alliance n’a pas atteint son objectif et qu’elle n’est crédible que pour le tiers des sympathisants RPR et UDF. Les ambitions personnelles et l’esprit de « boutique » ont été plus forts que la volonté de réunification de l’opposition. Les résultats des élections régionales et les accords passés par certains avec le FN ont ajouté au traumatisme de la dissolution ratée. Le divorce est total entre les états-majors parisiens et leur base électorale. L’UDF est en voie de décomposition, avec, d’un côté, le départ programmé de la confédération d’Alain Madelin, partisan d’un rapprochement de Démocratie libérale avec le RPR, et, de l’autre, le rêve d’un grand centre de François Bayrou. Le RPR n’est pas en meilleure forme, les cartes d’adhérents déchirées arrivent par centaines au siège de la rue de Lille. La révolte gronde, les uns affichant leur sympathie à l’égard de Charles Millon et de son mouvement La Droite, les autres reprochant à leurs directions respectives une opposition sans vigueur, leur manque de stratégie et leurs perpétuelles divisions. Une crise de confiance qui est alimentée, au sein du RPR, par l’affrontement Toubon-Tiberi sur fond d’investigations judiciaires, par les velléités affichées de Charles Pasqua de mener sa propre liste aux élections européennes, et, à l’UDF, par le combat que se livrent Madelin et Bayrou. downloadModeText.vue.download 94 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 93 Le spleen de « Léo » et de Séguin Pour Philippe Séguin et François Léotard, il est donc urgent de reprendre l’initiative : c’est une question de crédibilité, voire de survie politique, d’autant plus que le président du RPR, qui n’arrive toujours pas à établir avec l’Élysée un contact serein, s’est vu « humilié », selon son expression, à l’occasion du débat sur l’euro – alors qu’il prônait un vote contre, le groupe parlementaire RPR s’est finalement abstenu, suivant ainsi la position défendue par Alain Juppé – et que le président de l’UDF, discrédité par son échec électoral lors des régionales en Paca, voit son dernier atout, l’UDF, en phase de désintégration avancée. Résultat : l’Alliance s’impose à eux. Sans être la panacée d’une droite à la dérive, elle répond, d’abord, au désir d’union exprimé par une majorité de l’électorat et par bon nombre d’élus, notamment UDF. Elle satisfait, ensuite, le « locataire » de l’Élysée, qui se félicite de voir dans cette initiative les premières bases d’un parti unique de l’opposition qui pourrait, à la veille des échéances présidentielles, se transformer en parti du président. Enfin, elle permet à ses deux initiateurs de se repositionner. Les difficultés de l’Alliance Très rapidement, l’Alliance va montrer ses limites. Elle bute sur des questions d’organisation et de personnes, et les désaccords s’affichent. Si le choix d’une présidence tournante de la confédération entre les trois leaders des formations fondatrices ne va pas poser de problèmes, d’autant moins qu’il laisse à chacun un droit de veto, il en va tout autrement du choix du président de l’intergroupe de l’Assemblée nationale, qui n’était toujours pas élu à la veille de l’été, comme cela était initialement prévu ; la question achoppe sur son mode de désignation, sur la durée de son mandat et sur ses prérogatives. Pas question pour l’UDF de l’offrir sur un plateau à un RPR numériquement supérieur dans l’hémicycle. Le 27 juin, un mois et demi après l’annonce de la création de l’Alliance, ses leaders se retrouvent à Port-Marly (Yvelines) pour célébrer son avènement. La fête sera triste : le coeur n’y est pas, les supporters non plus – à peine 2 500 militants. Conçue pour rassembler l’opposition, pour la rendre plus cohérente et donc plus crédible aux yeux de l’électorat de droite, elle ne semble pas remplir ses objectifs ni être à la hauteur de ses ambitions. En fait d’unification, l’opposition au contraire semble se balkaniser. L’UDF a éclaté sous la pres- sion de François Bayrou et d’Alain Madelin, ne laissant plus que l’apparence d’une présidence à François Léotard. Charles Millon, après avoir pactisé dans sa région Rhône-Alpes avec le Front national, a créé son propre mouvement, La Droite, et vogue de façon hasardeuse vers d’autres rivages. Côté RPR, Philippe Séguin, en dépit de son engagement dans l’Alliance, veut affirmer l’identité de son parti. Il est contesté, d’un côté, par son propre conseiller politique, Charles Pasqua – qui, au sein de son mouvement, Demain la France, a pris son indépendance et menace de mener sa propre liste aux élections européennes –, de l’autre, par le farouche partisan d’un parti unique de la droite, Édouard Balladur – une conviction qui est ancienne. En réalité, la grande faiblesse de l’Alliance est d’être composée d’autant de petits bastions qu’il y a de présidentiables autoproclamés, aucun d’entre eux n’étant prêt à faire le sacrifice de sa structure, aussi petite soit-elle, tant il est persuadé qu’elle peut servir de tremplin à ses ambitions futures. Et le congrès départemental qui s’est tenu fin juin a montré des dirigeants bien en peine de proposer aux militants une stratégie aux objectifs clairs. BERNARD MAZIÈRES Des enjeux contradictoires La rédaction d’un programme de gouvernement commun pose de redoutables problèmes aux responsables de l’Alliance. « Il n’est pas question d’une fusion, elle serait réductrice de notre diversité, donc de notre efficacité », a prévenu Philippe Séguin, alors que, dans le même temps, la majorité des députés UDF réclamait la constitution d’un groupe parlementaire unique ! Bref, c’est la confusion, d’autant que l’Alliance n’a pas mis fin aux brouhahas internes. Édouard Balladur, candidat officieux à la présidence de l’intergroupe, a jeté le trouble en demandant la réunion d’une commission sur la préférence nationale, thème cher au Front national. Charles Pasqua n’a pas fait mieux en relançant le débat européen et en annonçant la préparation d’une liste avec Philippe de Villiers pour les prochaines élections européennes. Dé plus, la lutte fratricide au sein du RPR parisien entre Jacques Toubon et Jean downloadModeText.vue.download 95 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 94 Tiberi ainsi que le retour, discret mais réel, d’Alain Juppé dans les coulisses du RPR ne sont pas à même de pacifier les esprits – d’autant moins que, à l’automne, et alors que l’Alliance commencera à discuter de ses conventions thématiques, se profile la ratification du traité d’Amsterdam, signé par Jacques Chirac et appliqué par Lionel Jospin. Un traité qui pourrait bien porter le coup de grâce à cette tentative d’union de l’opposition. 18 Afghanistan Accord de cessez-le-feu. L’ambassadeur américain à l’ONU, Bill Richardson, parvient à imposer aux belligérants une trêve. Celleci doit déboucher sur une rencontre, le 27 avril, entre les talibans, milice islamique contrôlant la majeure partie du pays et la capitale, et les oppositions ouzbèke, tadjike et chiite. L’initiative américaine s’explique par la volonté de Washington d’intervenir à nouveau dans la région, alors que s’esquisse un rapprochement avec Téhéran et que les compagnies gazières et pétrolières d’outre-Atlantique s’intéressent de plus en plus au transit des ressources énergétiques d’Asie centrale. Cambodge Condamnation puis grâce du prince Norodom Ranariddh. L’ancien co-Premier ministre, exilé depuis les violentes émeutes qui avaient secoué le Cambodge en 1997, est condamné par contumace à trente-cinq ans de prison pour collusion avec les Khmers rouges et complot contre le Premier ministre Hun Sen. Toutefois, dans le cadre d’un plan de paix proposé par le Japon, il est gracié le 21 par son père le roi Norodom Sihanouk, ce qui devrait lui permettre de participer aux élections de juillet. 19 Amériques Deuxième sommet des Amériques. Les trente-quatre dirigeants des pays américains réunis à Santiago du Chili proclament leur volonté de créer, dans les années à venir, une vaste zone de libre-échange à l’échelle de tout l’hémisphère américain. Les futures négociations pour parvenir à ce résultat s’avèrent cependant difficiles : les États-Unis, sous la pression des syndicats, craignent la concur- rence venue des pays latino-américains et le Congrès a refusé d’accorder au président Bill Clinton la procédure « fast track », qui permet à l’exécutif d’aborder les négociations économiques internationales dans des conditions moins lourdes que celles nécessitant l’accord préalable du Parlement ; par ailleurs, les pays du Sud ont développé ces dernières années leurs relations commerciales avec l’Europe et le Japon, lesquelles, dans certains cas, dépassent nettement celles qu’ils entretiennent avec leur grand voisin du Nord. Autriche Réélection de Thomas Klestil. Le président sortant est réélu dès le premier tour avec une majorité de 63,5 % des voix. Candidat du Parti populaire (conservateur), il a également bénéficié de nombreux suffrages venus de l’électorat socialiste. Le Parti socialiste ainsi que l’extrême droite n’ayant pas présenté de candidats, les concurrents de M. Klestil n’ont fait que des scores modestes. Chine Libération et expulsion du dissident Wang Dang. L’ancien chef de file du « printemps de Pékin », âgé de vingt-neuf ans, est libéré et aussitôt expulsé vers les États-Unis. Cette libération ne saurait cependant être interprétée comme une véritable libéralisation du régime chinois, alors qu’un autre dissident vient d’être condamné à trois ans de prison pour avoir lancé un appel en faveur de la création de syndicats libres. Littérature Mort d’Octavio Paz. L’écrivain mexicain, prix Nobel de littérature 1990, meurt à Mexico à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans. Fils d’une famille très intellectuelle, il fréquente les milieux journalistiques de gauche puis rompt avec les communistes après la signature du traité germano-soviétique de 1939. Il entre dans la carrière diplomatique après la guerre. Nommé à Paris, il fréquente André Breton et les surréalistes, qui l’influencent notablement. Il publie de nombreux ouvrages, alternant recueils de poèmes, essais littéraires et essais politiques. Il se définit lui-même comme un écrivain downloadModeText.vue.download 96 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 95 critique et affirme que « la littérature moderne est et ne peut être que littérature critique ». Dans les années 60, il est nommé ambassadeur du Mexique en Inde, mais cesse sa carrière diplomatique après 1968, quand il rompt avec les autorités auxquelles il reproche violemment leur répression sanglante du mouvement des étudiants en 1968. Parmi ses nombreux ouvrages, on peut citer Pierre de soleil pour la poésie, Marcel Duchamp : l’apparence mise à nu pour la critique et Une planète et quatre ou cinq mondes et Labyrinthe de la solitude pour la réflexion politique et culturelle. 20 Belgique Plus de sanction pour l’usage du cannabis. Sans disparaître pour autant du Code pénal, le délit de consommation et de détention du cannabis ne doit plus être poursuivi par les tribunaux belges. Architecture Renzo Piano, prix Pritzker. L’architecte italien, co-réalisateur du Centre GeorgesPompidou, du musée Menil à Houston et de l’aérogare Kansai au Japon, reçoit, à soixante ans, la prestigieuse distinction, qui fête sa vingtième édition. 21 France Accord en Nouvelle-Calédonie. Les représentants des Kanaks (FNLKS, présidé par Roch Wamytan) et des caldoches (RPCR, présidé par Jacques Lafleur) s’accordent sur un futur statut du territoire du Pacifique. La Nouvelle-Calédonie votera dans un délai de quinze à vingt ans sur son indépendance (les Kanaks, population autochtone, seront alors majoritaires) .D’ici là, le statut de me évoluera : l’identité kanake sera renforcée (consultation obligatoire du « Sénat coutumier » sur les problèmes intéressant la communauté kanake), l’exécutif sera représenté par un gouvernement collégial élu à la proportionnelle par le Congrès du territoire et responsable devant lui, un transfert des compétences sera opéré progressivement (économie, formation, éducation, état civil), les fonctions régaliennes (défense, justice, monnaie, affaires étrangères) restant de la compétence de l’État français jusqu’à l’indépendance. La Nouvelle-Calédonie : un avenir bien cadré En avril 1998, soit dix ans après les événements tragiques d’Ouvéa, qui avaient débouché sur les accords de Matignon, et 153 ans après que l’amiral Febvre-Despointes eut pris possession de la Nouvelle-Calédonie au nom de la France, une page décisive pour l’indépendance de ce lointain territoire français du Pacifique a été tournée avec l’accord conclu entre le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) et le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR). Les parlementaires, députés et sénateurs, devaient approuver, en juillet, le projet de loi de révision constitutionnelle nécessaire à l’application de l’accord de Nouméa, signé le 5 mai par le Premier ministre, Lionel Jospin, le président du FLNKS, Roch Wamytan, et le président du RPCR, Jacques Lafleur. Un succès pour le gouvernement de Lionel Jospin, qui a su, à l’inverse de ses deux prédécesseurs, Édouard Balladur et Alain Juppé, déminer, « en donnant du temps au temps », un dossier qui, sur la question du nickel, notamment, la principale richesse de l’archipel, s’enlisait. En remettant à plus tard – quinze ou vingt ans – le référendum décisif sur l’avenir de la NouvelleCalédonie et en mettant en place un régime juridique inédit prenant quelques libertés avec la loi fondamentale de la République, le Premier ministre a pu mettre d’accord chacune des deux parties, indépendantistes et anti-indépendantistes. Le ; mots tabous d’« indépendance », tant redouté par les caldoches, et d’« autonomie », rejeté par les Kanaks, s’effacent au profit du concept de « citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie ». C’est l’aboutissement d’une longue et difficile négociation, commencée en 1988 sous le gouvernement de Michel Rocard, qui permet de transférer progressivement une large partie de la souveraineté de l’État à la Nouvelle-Calédonie. downloadModeText.vue.download 97 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 96 L’accord de Nouméa Il est, on l’a dit l’aboutissement difficile de négociations démarrées au printemps. Signé entre le Premier ministre et les présidents du FLNKS et du RPCR, il clôt la période intermédiaire ouverte par les accords de Matignon et fixe les conditions de l’avenir institutionnel du « Caillou » pour les quinze ou vingt prochaines années, selon les décisions qui seront prises par le Congrès du territoire. Transférant progressivement une large partie de la souveraineté de l’État à la Nouvelle-Calédonie, il est un chef-d’oeuvre d’équilibre. Dans son préambule, comme le souhaitait le FLNKS, le texte insiste sur les torts faits par la France aux anciens colonisés, sans mésestimer pour autant les aspects positifs. « La colonisation de la Nouvelle-Calédonie s’est inscrite dans un vaste mouvement historique où les pays d’Europe ont imposé leur domination au reste du monde... Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière », est-il écrit. Reconnaissant le « traumatisme durable » et « l’atteinte à la dignité », mais aussi que « la participation des autres communautés à la vie du territoire lui est essentielle », l’accord propose au peuple kanak « une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d’une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun ». Il prévoit un état transitoire d’une vingtaine d’années (une consultation finale devrait être organisée entre 2013 et 2018), pendant lesquelles le « territoire », ou « pays », va bénéficier de compétences de plus en plus larges sur « la voie de la pleine souveraineté ». Les principaux points de raccord Pour mieux prendre en compte l’identité kanake, l’accord reconnaît le droit coutumier sur l’île. Celle-ci bénéficiera de « signes identitaires », tels qu’un nom, un hymne, une devise et un graphisme pour ses billets de banque. Par ailleurs, une mention du nom du pays pourra être apposée sur les documents d’identité comme signe de citoyenneté. Le Sénat coutumier, une assemblée ethnique, sera obligatoirement saisi des projets de loi du pays. L’exécutif local, jusqu’ici représenté par le haut-commissaire de la République, sera exercé par un gouvernement collégial élu par le congrès et responsable devant lui. Les transferts de compétence sont très importants. Dès la mise en oeuvre de l’accord, la réglementation des importations, l’autorisation d’investissements étrangers, les PTT, la formation professionnelle, les programmes scolaires du primaire... sont de la compétence de l’exécutif local. Il gérera par la suite renseignement secondaire, l’état civil et la propriété foncière et partagera avec l’État la diplomatie régionale, le maintien de l’ordre, le régime des étrangers et l’enseignement supérieur. Une consultation finale sera organisée, entre 2013 et 2018, pour le transfert des compétences régaliennes (l’accès à un statut international, la justice, la défense...). Le vote du Congrès à Versailles Il a entériné l’accord, mais en acceptant la révision constitutionnelle afin d’en permettre l’application, les parlementaires ont, dans un désir de consensus et avec la volonté de préserver quelques années encore la coexistence pacifique sur le « Caillou », fait des entorses aux principes juridiques et constitutionnels habituellement en vigueur en France. Ainsi, en introduisant la nouvelle « citoyenneté néo-calédonienne », un pied dans la nation, l’autre à l’extérieur, c’est une conception fédérative de la république qui se fait jour. La conception ethnique du corps électoral ne correspond pas franchement à la loi fondamentale. Seuls les électeurs appartenant au « peuple kanak » sont protégés, alors que d’autres membres du corps électoral sont exclus de la nouvelle citoyenneté et donc du droit de vote, comme les résidents arrivés de métropole depuis moins de dix ans ou les Polynésiens, qui travaillent pourtant dans les mines de nickel de l’île. Enfin, la « préférence néo-calédonienne », qui est instaurée pour le marché du travail, rappelle étrangement le débat sur la « préférence nationale », qui agite, aujourd’hui, une partie de la classe politique métropolitaine. En réalité, en dépit des libertés qu’il prend avec les grands principes de la République, cet accord a l’avantage d’être consensuel et de préserver la sérénité de chacun sur le territoire. Par l’habileté politique de ses rédacteurs, pour ne pas dire par son ambiguïté, il donne à chaque camp des raisons d’espérer dans la nouvelle période qui s’ouvre. Les anti-indépendantistes de J. Lafleur y voient l’occasion pour leur « Caillou » de demeurer au sein de la République dans le cadre de relations rénovées, refondées et approfondies, alors que les indépendantistes du FLNKS lisent le contraire, et estiment que le texte marque le début d’une indépendance inéluctable qui commence à se construire dès aujourd’hui. En downloadModeText.vue.download 98 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 97 ayant des interprétations aussi radicalement différentes, on se demande encore comment un tel accord a pu être signé. Peu importe, il l’est. C’est l’essentiel. Personne n’a perdu la face, et la paix est assurée pour vingt ans. BERNARD MAZIÈRES Les accords de Matignon Signés le 23 juin 1988 par le RPCR et le FLNKS sous l’égide de Michel Rocard, alors Premier ministre, et approuvés par référendum, le 6 novembre, ils rétablissent la paix civile dans le territoire après les événements sanglants d’Ouvéa, qui avaient été un enjeu de la campagne présidentielle entre François Mitterrand et Jacques Chirac. Ils prévoyaient une période transitoire de dix ans débouchant sur un référendum d’autodétermination avant la fin de 1998. Mais, plus l’échéance approchait, plus les deux camps en présence la redoutaient. Les uns, les indépendantistes du FLNKS, parce que l’équilibre démographique et électoral se modifiait en leur défaveur. Les autres, les anti-indépendantistes du RPCR, parce qu’ils craignaient que leur victoire ne remette en question la paix civile acquise si difficilement. Résultat : un accord est trouvé pour que l’avenir de l’île et le destin commun de ses habitants, les Kanaks et les caldoches, soient discutés, sans pour autant se soumettre au vote prévu qui aurait trop ressemblé à un « référendum-couperet ». 22 France Division de la droite sur l’euro. Appelé à voter sur une résolution présentée par le gouvernement sur le passage à l’euro, le RPR se retrouve pris dans une contradiction. Alors que l’UDF et le PS s’apprêtent à voter en faveur du texte (et le Parti communiste contre), le RPR, sous l’impulsion de son président, Philippe Séguin, envisage un vote négatif, faisant observer qu’il s’agit d’abord de s’opposer au gouvernement et non au principe de l’euro, approuvé par référendum en 1992. Alain Juppé fait savoir qu’il refuse de voter contre l’euro et, en fin de compte, le RPR finit par s’abstenir. C’est un succès pour les socialistes qui font apparaître ainsi une nouvelle faille au sein de l’opposition, et un grave revers pour M. Séguin qui semble ne pas tenir son parti, sensible aux positions de Jacques Chirac, dont on sait qu’il n’est guère favorable à M. Séguin. Dans les jours qui suivent, celui-ci déclare dans les médias qu’il pourrait ne pas se représenter à son poste à la tête du mouvement gaulliste. 23 Belgique Évasion et capture de Marc Dutroux. Le pédophile belge, soupçonné de la séquestration et du meurtre de quatre fillettes et adolescentes, à l’origine d’une des plus graves crises morales qu’a traversées le pays, parvient à s’échapper quelques heures avant d’être repris par la gendarmerie. Les circonstances de cette évasion plongent l’opinion dans la consternation : alors qu’il avait été extrait de sa prison pour aller consulter son dossier au palais de justice de Neufchâteau, Dutroux en profite pour désarmer le gardien qui le surveillait dans la pièce où il se trouvait, menacer l’autre gardien à l’extérieur et fuir en s’emparant d’une voiture dans la rue. On s’étonne qu’un prisonnier aussi dangereux et considéré comme l’ennemi public no 1 ait été si peu surveillé et, aussitôt, les soupçons sur le rôle exact de la puissance publique dans cette affaire se réveillent. Dans les heures qui suivent, les ministres de l’Intérieur et de la Justice, Johan Van de Lanotte et Stefaan de Clerck démissionnent, mais l’opinion ne semble pas satisfaite pour autant et des voix se font entendre pour réclamer le départ de l’ensemble du gouvernement de Jean-Luc Dehaene. République fédérale de Yougoslavie Référendum sur le Kosovo. Les Serbes et les Monténégrins (environ 7,2 millions d’électeurs inscrits) votent massivement « non » au principe d’une médiation internationale sur le Kosovo. La consultation avait été initiée par le président downloadModeText.vue.download 99 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 98 de la Fédération, Slobodan Milosevic, qui avait appelé au vote négatif. (chrono. 29/04) 24 Russie Investiture de Sergueï Kirienko. Le candidat de Boris Eltsine à la tête du gouvernement est confirmé à son poste par la Douma (Parlement). Il aura fallu trois votes successifs pour arriver à ce résultat, le Parti communiste, majoritaire, ayant voté contre deux fois, avant de s’abstenir au scrutin final, permettant ainsi au nouveau jeune Premier ministre d’être investi avec les voix de Notre maison la Russie, le parti de Viktor Tchernomyrdine, l’ancien Premier ministre, des ultra-nationalistes et d’une partie des communistes. M. Eltsine est parvenu à ses fins en menaçant les députés d’une dissolution que presque tous craignaient. La semaine suivante, M. Kirienko présente un gouvernement où les principaux portefeuilles demeurent entre les mains de leurs titulaires et où Boris Nemstov, libéral et ami de M. Kirienko, occupe la place de no 2. 26 Guatemala Assassinat d’un évêque. Mgr Juan Gerardi est tué par un inconnu dans son presbytère. Il venait de remettre à Amnesty International un rapport sur les violences pendant la guerre civile et mettant nettement en cause l’armée. Ce crime est généralement attribué aux escadrons de la mort, ces groupes de militaires extrémistes qui n’acceptent pas la signature, en décembre 1996, d’un accord de paix entre le président Alvaro Arzu et la guérilla. Russie Succès d’Alexandre Lebed. Le général prend une option définitive sur la victoire en obtenant 45 % des voix au premier tour des élections au poste de gouverneur de la région de Krasnoïarsk en Sibérie. Ce succès le remet définitivement en selle pour les prochaines élections présidentielles. Allemagne Poussée de l’extrême droite en ex-RDA. Aux élections régionales de Saxe-Anhalt, le parti extrémiste Deutsche Volks-union (DVU) fait une percée remarquée avec 13,2 % des voix et entre au Parlement régional. La CDU, parti du chancelier Helmut Kohl, créditée de 22 % des suffrages, perd plus de 12 points. 27 France Cent cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage. Diverses manifestations marquent l’anniversaire de la signature, le 27 avril 1848, par Victor Schoelcher du décret du gouvernement provisoire portant abolition de l’esclavage. La Grande-Bretagne avait fait de même quinze ans plus tôt, sous l’impulsion de William Wilberforce. Jacques Chirac profite de cette occasion pour vanter le « modèle français d’intégration », tandis que Lionel Jospin s’est rendu le 26 dans le village de Champagney (Haute-Saône) où, en 1789, les habitants furent les premiers à réclamer l’abolition de l’esclavage dans un cahier de doléances remis au roi Louis XVI. La Convention avait, pour la première fois, aboli l’esclavage en 1794, mais celui-ci fut rétabli en 1802 par Napoléon Bonaparte, Premier consul. Irak Maintien des sanctions. Le Conseil de sécurité de l’ONU maintient les sanctions contre Bagdad, estimant que le désarmement irakien n’est pas encore achevé. On note cependant un ton plus conciliant de la part des États-Unis. 28 États-Unis/Union européenne Rejet du NTM. Le projet de traité de libre-échange transatlantique (New Transatlantic Market), lancé unilatéralement par le vice-président britannique de la Commission eurodownloadModeText.vue.download 100 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 99 péenne, ancien ministre de Margaret Thatcher, Leon Brittan, est rejeté par la Commission de Bruxelles. Un tel projet aurait permis une intrusion américaine dans le développement du marché unique européen. Par ailleurs, les discussions sur le projet d’Accord multinational sur l’investissement (AMI), dont on craint qu’il fasse la part trop belle aux multinationales américaines, sont repoussées de six mois. 29 France Mise en examen de Roland Dumas. Alors qu’il se reposait des suites d’une opération dans sa propriété de Saint-Selve, près de Bordeaux, le président du Conseil constitutionnel reçoit la visite officielle des juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky, qui le mettent en examen dans le cadre de l’affaire Elf. En outre, M. Dumas, qui devra acquitter une caution de 5 millions de francs, sera soumis à un contrôle judiciaire lui interdisant tout contact avec les personnes mises en cause dans l’affaire ainsi que certains déplacements à l’étranger, notamment dans tous les « paradis fiscaux ». Plusieurs responsables du RPR et de l’UDF réclament sa démission, mais M. Dumas fait savoir qu’il n’a pas l’intention de quitter son poste. Yougoslavie Sanctions contre Belgrade. Le Groupe de contact (Allemagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Russie) décide de nouvelles sanctions contre la République fédérale de Yougoslavie (qui regroupe la Serbie et le Monténégro) pour obliger celle-ci à ouvrir des négociations sur le Kosovo, une province serbe peuplée majoritairement d’Albanais. Ces sanctions visent le gel des avoirs officiels yougoslaves à l’étranger. 30 Israël Cinquantenaire de la fondation du pays. Le 14 mai 1948 (qui tombe, cette année, le 30 avril, selon le calendrier hébraïque), David Ben Gourion, chef du Conseil national juif, proclame l’indépendance d’Israël. Cinquante ans plus tard, c’est un pays fort, mais divisé (entre partisans et adversaires des accords d’Oslo de septembre 1993 qui ont engagé le processus de paix avec les Palestiniens ; entre laïcs et ultra-religieux ; entre ashkénazes et sépharades, etc.), qui fête l’événement. downloadModeText.vue.download 101 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 100 MAI 1 Espagne Catastrophe écologique en Andalousie. Le déversement de 5 millions de mètres cubes d’eaux très acides provoque des dégâts considérables à la faune et à la flore dans la région du parc naturel de Doñada, en Andalousie du Sud. Des responsables écologistes mettent en cause l’entreprise suédoise Boliden Apirsa et reprochent au gouvernement son laxisme vis-à-vis des industriels. Rwanda Aveu de culpabilité dans le génocide. Devant le Tribunal pénal international, Jean Kambanda, chef du gouvernement en exercice à Kigali lors des événements sanglants de 1994, reconnaît sa culpabilité dans le génocide qui a alors frappé le pays. Échappant de cène manière à un procès, il est cependant le premier responsable politique important à reconnaître la réalité d’un génocide dont on estime qu’il a coûté la vie à plus de 500 000 personnes. 2 Union européenne Naissance officielle de l’euro. Les chefs d’État et de gouvernement de l’UE réunis à Bruxelles entérinent la sélection des onze pays pour l’euro, qui entrera en circulation le 1er janvier 1999. Le Parlement européen de Strasbourg a également approuvé officiellement la naissance de la monnaie européenne. Ces journées historiques ont cependant été dominées par une querelle entre la France et ses partenaires sur le choix de la personnalité pressentie pour diriger la Banque centrale européenne (BCE), située à Francfort. Le candidat de l’Allemagne et des neuf autres pays sélectionnés était le Néerlandais Wim Duisenberg, ancien ministre des Finances et ancien président de la Banque centrale des PaysBas, alors que la France appuyait la candidature de Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France. L’affaire fait l’objet d’âpres marchandages et, finalement, il est convenu que M. Duisenberg sera nomme, mais qu’il cédera son poste à mi-mandat, c’est-à-dire au bout de quatre ans. Ce compromis indispose bien des commentateurs, qui ne se privent pas de faire remarquer que la monnaie européenne commence par une entorse à ses propres règles. L’opinion allemande se déchaîne contre Helmut Kohl, accusé d’avoir cédé au diktat français, ce qui affaiblit encore un peu plus le chancelier, au plus bas dans les sondages, à quelques mois des élections législatives dans son pays. La justification française est de faire remarquer que, d’une part, la France avait déjà accepté que le siège de la Banque centrale soit en Allemagne et que, d’autre part, il n’était pas question de se plier sans discussion au seul choix des directeurs de banques centrales, et singulièrement à celui de Hans Tietmayer, président de la Bundesbank, et qu’il importait que l’opinion des dirigeants politiques l’emporte en dernier recours. Quoi qu’il en soit, la minicrise, qui a un peu plus refroidi les relations franco-allemandes, a au moins posé, de façon cruciale, le problème du rôle des autorités politiques dans la construction économique et financière européenne. Trichet-Duisenberg : deux prétendants pour une banque L’histoire retiendra le 2 mai 1998 comme une des dates capitales pour l’Europe. À Bruxelles, dix ans après l’ouverture du chantier de la monnaie unique, les chefs d’État et de gouvernement des pays de l’Union européenne ont officiellement lancé l’euro. Ils ont sélectionné les onze pays pouvant prendre le « premier wagon » de l’union monétaire ; ils ont décidé de la parité des monnaies ; ils ont, enfin, mis en place la Banque centrale européenne (BCE) et nomme son président, le Néerlandais Wim Duisenberg. L’histoire, en revanche, oubliera sans doute les péripéties ridicules mais éprouvantes qui ont marqué cette journée, « un des moments les plus difficile de la construction européenne », de l’aveu même du chancelier allemand Helmut Kohl. Les Quinze, sous la présidence du Britannique Tony Blair – l’Union européenne est présidée à tour de rôle par chacun des pays pendant un semestre –, ont donné d’eux un triste downloadModeText.vue.download 102 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 101 spectacle, se chamaillant pendant près de onze heures sur le nom de celui qui présiderait la Banque centrale européenne (BCE). Soutenus par l’Allemagne et par la plupart des autres pays, les Pays-Bas poussaient Wim Duisenberg, soixante-deux ans. Doyen des banquiers centraux en Europe, ancien ministre travailliste, Duisenberg présidait alors l’Institut monétaire européen (IME), l’embryon de la BCE. Mais les Français, eux, défendaient leur propre candidat, le gouverneur de la Banque de France JeanClaude Trichet, et n’en démordaient pas. Face au blocage, chacun comprit qu’il fallait couper la poire en deux : M. Duisenberg ne ferait qu’un demi-mandat (quatre ans, jusqu’à l’introduction des billets en euro) avant de céder la place à M. Trichet. Mais il était indispensable d’y mettre les formes : d’une part, parce que, selon la lettre du traité de Maastricht, le mandat du président de la Banque centrale européenne est de huit ans ; d’autre part, parce que l’on était à quelques jours des élections législatives néerlandaises : le gouvernement de Wim Kok ne pouvait perdre la face à Bruxelles. Après onze heures de discussions brouillonnes et tendues, les Quinze ont fini, vers minuit, par trouver une formule boiteuse et hypocrite. Un compromis boiteux et hypocrite Les apparences sont sauves : Wim Duisenberg est nommé pour huit ans. Mais ce dernier, « de lui-même », a indiqué qu’il se retirerait à mi-parcours. M. Duisenberg, qui craignait que, faute d’accord, on finit par chercher un troisième homme de compromis, a accepté d’en passer par un « engagement spontané » plutôt humiliant : dans une ambiance un peu soviétique, il a donc lu une courte adresse aux chefs d’État et de gouvernement : « Compte tenu de mon âge, je ne désire pas aller jusqu’au terme du mandat [...] c’est ma décision et ma décision seule, je l’ai prise de mon plein gré, et non sous pression de quiconque ». La France, de son côté, a obtenu non seulement qu’un Français seconde M. Duisenberg pendant quatre ans – Christian Noyer a été nommé viceprésident –, mais aussi qu’un autre lui succède pour un mandat plein : ce sera en toute logique M. Trichet. Lorsque J. Chirac, devant la presse, a tenté de décrire ce compromis hypocrite, la salle a éclaté de rire. « Ne riez pas ! », a déclaré le Président, phrase qui l’a suivi. Il faut dire que Jacques Chirac, en s’arc-boutant sur la candidature française, est un peu à l’origine de cette pantalonnade du 2 mai. La candidature de Wim Duisenberg L’histoire a commencé près de deux ans auparavant. À Francfort, le 13 mai 1996, les banquiers centraux européens dînent ensemble. Le baron Alexandre Lamfalussy, un Belge qui préside alors l’Institut monétaire européen (IME), annonce qu’il compte écourter son mandat. Chacun sait bien que celui qui le remplacera sera le mieux placé pour prendre la présidence de la future BCE. M. Duisenberg se porte candidat, ce qui paraît à tous très naturel. En effet, Hans Tietmeyer, le puissant patron de la banque centrale allemande, la Bundesbank, le soutient. M. Trichet se tait. L’annonce de ce choix est faite le lendemain, et les banquiers centraux font du même coup comprendre que M. Duisenberg est leur poulain pour la future Banque centrale européenne. Le gouvernement allemand a été mis dans la confidence. Mais en France, Matignon a été tardivement informé par M. Trichet, et Bercy tombe des nues. Jean Arthuis, le ministre des Finances, apprend la nouvelle en écoutant la radio dans sa voiture ! Pour l’Élysée, il ne s’agit rien de moins que d’une tentative lancée par ces technocrates de banquiers centraux d’imposer un candidat aux politiques : « un putsch ». Depuis lors, Jacques Chirac ne décolère pas. Mais lors du sommet de Dublin, en décembre 1996, lorsqu’il s’agit d’approuver formellement la nomination de M. Duisenberg à la tête de l’Institut monétaire européen, le président français ne fait aucun esclandre : tout au plus charge-t-il sa porte-parole de faire savoir que « la nomination du président de l’IME ne préjuge en rien de celle, à venir, du patron de la BCE ». Ce n’est que le 4 novembre 1997, onze mois plus tard, que l’Élysée et Matignon pousseront la candidature de M. Trichet. Mais il sera trop tard, les onze autres pays soutenant le Néerlandais. Un bilan piteux L’intention de la France était clairement louable : refuser que des banquiers centraux, sans légitimité autre que celle que leur confère leur compétence technique, forcent la main des gouvernements, issus du suffrage universel. Mais le bras de fer du 2 mai a abouti au résultat inverse. downloadModeText.vue.download 103 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 102 D’abord, la BCE sera présidée pendant douze ans par un banquier central, ce qui risque d’être considéré par la suite comme une règle non écrite. Ensuite, le directoire de la banque centrale européenne est lui aussi composé quasi exclusivement de banquiers centraux (la seule exception étant le Français Christian Noyer, ancien directeur du Trésor) : aucune personnalité du monde économique, aucun homme politique ne viendront troubler les débats. En cela, la BCE est dès sa naissance la banque centrale la plus « fermée » du monde, ce qui n’est pas sans risques. PASCAL RICHÉ Les ayatollahs de la monnaie L’affreux cafouillage des discussions du 2 mai a apporté de l’eau au moulin des « ayatollahs » de la monnaie : ils auront beau jeu de s’appuyer sur cet épisode pour affirmer que dès que les politiques se mêlent de politique monétaire, ceux-ci défendent des intérêts nationaux, ne respectent pas les règles du jeu, et finassent perpétuellement. Le président de la République a certes bien fait de s’indigner du putsch fomenté par le tandem Tietmeyer-Duisenberg. Mais il fallait bloquer tout de suite la manoeuvre. Et au lieu de pousser Jean-Claude Trichet, il aurait été beaucoup plus cohérent et européen de proposer la nomination d’un politique de bon calibre, sans faire une fixation sur sa nationalité. 3 France Défaite du Front national à Toulon. La candidate du PS, Odette Casanova, l’emporte au deuxième tour avec 33 voix d’avance dans la première circonscription de Toulon, sur la représentante du FN, Cendrine Le Chevallier. Celle-ci remplaçait son époux, Jean-Marie Le Chevallier, maire de la ville, seul député FN élu en 1997 et invalidé depuis pour triple infraction à la législation sur le financement des campagnes électorales. Cette défaite marque un coup d’arrêt à la progression du parti de Jean-Marie Le Pen et aux tentatives de rapprochement entre droite républicaine et extrême droite. 4 Afghanistan Reprise des combats. Après l’échec des négociations, le 3, entre le pouvoir taliban et les différentes factions rebelles, les hostilités reprennent dans la province de Takhar. 6 Automobile Projet de fusion de Daimler-Benz et Chrysler. Les constructeurs allemand et américain annoncent leur projet de fusion, ce qui représenterait la plus importante transaction de ce type jamais réalisée dans l’industrie et ferait du nouveau groupe le cinquième groupe automobile du monde, avec un chiffre d’affaires d’environ 130 milliards de dollars. Chrysler, trop dépendant de sa gamme utilitaire et trop axé sur le marché nord-américain, a intérêt à se rapprocher des gammes plus diversifiées de Daimler-Benz. Même si les deux P-DG, Robert Eaton, pour la firme américaine, et Jürgen Schremp, pour le constructeur allemand, doivent se partager la présidence du nouveau groupe, certains ne manquent pas de s’interroger sur la propension du groupe allemand a prendre le leadership. Espagne Nouvel attentat de l’ETA. Un conseiller municipal de Pampelune, Tomas Caballero, est assassiné par des tueurs présumés de l’ETA. Quelques jours auparavant, la police avait arrê- té six membres de l’organisation terroriste. M. Caballero est le cinquième élu conservateur assassiné en moins d’un an. Pays-Bas Les sociaux-démocrates vainqueurs des élections. Le Parti social-démocrate (PvdA) du Premier ministre sortant Wim Kok remporte 45 sièges sur 150 aux élections législatives. Les chrétiens-démocrates du downloadModeText.vue.download 104 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 103 CDA sont les grands perdants du scrutin, ne comptant plus que 29 sièges. France Changement de direction annoncé à la CGT. Le bureau confédéral du syndicat vote à l’unanimité le remplacement, au début de 1999, de son secrétaire général Louis Viannet par Bernard Thibault. Celui-ci, âgé de trente-neuf ans, secrétaire général des cheminots CGT et membre du comité central du Parti communiste, s’était fait connaître du grand public lors des grèves de la fin de 1995. 7 Italie Coulées de boue mortelles. Plus de 70 personnes sont tuées et 200 portées disparues à la suite d’importantes coulées de boue qui ont frappé le sud de la région de Naples. Cette catastrophe suscite de très violentes polémiques, de nombreuses habitations ayant été édifiées sans permis de construire, au détriment de la plus élémentaire sécurité. Par ailleurs, d’importantes déforestations avaient été effectuées sans tenir compte des risques d’éboulements de terrain. 8 Paraguay Victoire au candidat officiel. Raúl Cubas, candidat du parti Colorado, au pouvoir depuis un demi-siècle, l’emporte sur le candidat de l’Alliance démocratique. Le succès facile de Raúl Cubas s’explique par l’allégeance de celui-ci au général Lino César Oviedo, vainqueur des élections primaires au sein du parti Colorado, mais interdit de candidature à cause de sa condamnation pour tentative de putsch en 1996. Washington s’inquiète du succès d’un dirigeant aussi lié à un général putschiste. Tchad Pacification dans le sud. Les rebelles des Forces armées pour la République fédérale (FARF) signent un accord avec les autorités de N’Djamena prévoyant leur reddition et une amnistie. Les habitants du Sud s’estiment victimes d’une injustice de la part du pouvoir, issu du nord du pays : leur région est fertile et recèle d’importants gisements pétroliers, mais le pouvoir central accapare la plus grande partie des richesses. Pendant sa campagne de 1996, le président Idriss Deby avait promis de remédier à la situation, mais sa politique d’ouverture avait vite fait place à une très sévère répression. Les organisations de défense des droits de l’homme reprochent aux troupes françaises présentes sur place d’entraîner les forces centrales, sans se soucier des conséquences de leur engagement. 10 Grande-Bretagne Accord du Sinn Féin en Ulster. La branche politique de TIRA décide d’approuver à une large majorité les accords de paix du mois d’avril et donc d’appeler à voter « oui » au référendum du 22. Elle approuve également l’abrogation des articles 2 et 3 de la Constitution de la république d’Irlande qui proclament la souveraineté de celle-ci sur l’ensemble de l’île. (chrono. 22/05) République dominicaine Victoire de l’opposition. Le Parti révolutionnaire dominicain (PRD, socialdémocrate) remporte la majorité au Parlement et contrôle la plus grande partie des municipalités. Cette victoire affaiblit le président en place, Leonel Fernandez. 11 France Le CAC 40 à 4 000 points. Pour la première fois, l’indice synthétique de la Bourse de Paris atteint le seuil des 4 000. Dopé par la reprise de la croissance, le bas niveau des taux d’intérêt et les perspectives de concentrations d’entreprises en Europe, il a progressé de 34 % en quatre mois. Inde Reprise des essais nucléaires. Le gouvernement nationaliste du Premier ministre Atal Behari Vajpayee annonce la reprise de ses essais downloadModeText.vue.download 105 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 104 nucléaires souterrains, vingt-quatre ans après l’explosion de sa première bombe atomique. Un des essais concernait un engin thermonucléaire. La grande majorité de l’opinion indienne fait connaître sa satisfaction. Le Pakistan exprime aussitôt son indignation et se déclare déterminé à mener lui aussi une politique d’armement nucléaire. Les grandes capitales désapprouvent l’initiative de New Dehli et le président américain Bill Clinton, qui n’avait pas été prévenu, décide de prendre des sanctions contre l’Inde. Parmi celles-ci, on retiendra l’arrêt de l’aide économique et militaire, l’interdiction de prêts par les banques américaines et l’opposition de Washington aux demandes indiennes de prêt auprès du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Israël Annulation du sommet de Washington. En refusant par avance le plan américain de relance du processus de paix, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou fait capoter le sommet israélo-palestinien prévu dans la capitale des États-Unis. Américains et Palestiniens réclamaient un retrait de 13 % des forces israéliennes de Cisjordanie (alors que les accords d’Oslo prévoyaient 80 %), M. Netanyahou refuse d’aller au-delà de 10 %. Cette intransigeance israélienne constitue une preuve supplémentaire de l’impuissance américaine dans la région. Philippines Joseph Estrada élu à la présidence. Avec 39,8 % des suffrages, il l’emporte sur José De Venecia, candidat du parti au pouvoir. Âgé de soixante et un ans, M. Estrada est un ancien acteur de films populaires. Surnommé le « Reagan philippin », il se lance dans la politique à la fin des années 80. Élu sénateur en 1987, il est ensuite vice-président aux côtés de Fidel Ramos. Partisan d’un énergique pro- gramme de lutte contre la corruption et de relance de la production agricole, le nouveau président, qui se présente comme le « pote des pauvres », inquiète cependant une partie de l’establishment par sa vie dissolue et son caractère fantasque. Télécommunications Fusion SBC Communication et Ameritech. Issues du démantèlement en 1984 d’AT & T, ces deux compagnies deviennent ensemble le premier opérateur américain avec 54 millions d’abonnés dans douze pays. Par son importance, cette fusion représente le deuxième regroupement jamais réalisé dans le monde. Rivalité nucléaire entre l’Inde et le Pakistan Au-delà des fracas nationalistes qu’ils ont suscités – autant au Pakistan qu’en Inde –, les essais nucléaires auxquels ont procédé en mai les deux frères ennemis du sous-continent auront révélé combien l’Asie méridionale et orientale est devenue une zone de tension internationale, où se mêlent et s’affrontent les ambitions stratégiques et économiques des uns et des autres. Les tirs indiens et pakistanais ont rappelé l’instabilité de la zone sous-continentale, et il n’est pas indifférent que le ton soit monté au sujet du Cachemire, enjeu de la première guerre indopakistanaise (octobre 1947-janvier 1949). Il n’est nul besoin de rappeler que la nature même des relations entre les deux pays s’enracine dans une histoire ancienne et qu’elle implique qu’un méfait ne demeure jamais impuni. La chronologie de la démonstration de force nucléaire l’illustre à merveille. L’Inde a frappé, le 11 mai, les trois premiers coups, suivis, le 13 mai, de deux nouveaux essais. Après, semble-t-il, avoir hésité, le Pakistan s’est décidé à répliquer sous la forme de cinq essais d’un coup, le 28 mai, dans le désert du Balouchistan et d’un dernier tir, le 30 mai. En prolongeant par cette démonstration de force la politique de tension qui préside à leurs relations, New Delhi et Islamabad ont donné l’impression d’être revenus à la case départ. Et rien n’indiquait, à la fin de l’année, que l’hostilité quasi ininterrompue qui a marqué cinquante ans d’un voisinage conflictuel fût en passe de se résorber. Des ambitions nucléaires anciennes Aussitôt l’indépendance acquise, l’Inde se dote d’un Commissariat à l’énergie atomique et déve- loppe, au cours des années suivantes, un ambitieux programme nucléaire. Sous Jawaharlal Nehru, il ne s’agit encore que d’un programme civil, c’est-à-dire exclusivement pacifique. Mais la défaite face à la Chine en 1962, d’une part, et l’explosion de la première bombe chinoise en 1964, de l’autre, décident les autorités indiennes downloadModeText.vue.download 106 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 105 de reconsidérer l’option défendue par le père de l’indépendance. Manifestation évidente de cet aggiornamento, le tir souterrain auquel procède l’Inde le 18 mai 1974, certes qualifié de pacifique, mais qui n’en matérialise pas moins une capacité nucléaire potentielle. Pour sa part, le Pakistan se sera lancé à la conquête de l’atome militaire plus tardivement. Comme dans le cas de New Delhi, c’est un revers militaire qui va fournir le ressort. Et quel revers, puisqu’il s’agit de celui de 1971 qui, signant la déroute des troupes pakistanaises contre l’Inde, aboutit à la partition du Pakistan. L’humiliation commande d’aller vite. Dès 1972, en effet, le nouveau Premier ministre Ali Bhutto décide de mettre en place un programme nucléaire secret. Sans rentrer dans le détail des facilités dont a bénéficié Islamabad, on évoquera toutefois les nombreux transferts de technologies illicites – quelques entreprises occidentales n’ont pas été regardantes – et le soutien, au moins indirect, de la Chine. Quelques années plus tard, le Pakistan s’enorgueillit d’avoir rejoint l’Inde au sein des puissances jugées détenir un arsenal nucléaire virtuel. Parallèlement, l’Inde et le Pakistan cherchent à acquérir la maîtrise des lanceurs balistiques : de façon autonome, pour New Delhi ; en achetant des engins chinois, pour Islamabad. Une logique militaire Les cinq tirs indiens de 1998, à la différence de l’essai de 1974, ont été délibérément placés sous le signe d’une véritable logique militaire destinée à mettre en place un arsenal opérationnel. D’une part, on sait qu’un essai a concerné un engin thermonucléaire, de l’autre, il n’a échappé à personne que la diversité des dispositifs testés a mis en évidence une avance technologique décisive sur le Pakistan. Si la rivalité indo-pakistanaise, par Cachemire interposé, a fait un retour remarqué à la une des médias, il reste que les tirs indiens, sous l’angle de la démonstration d’un savoir-faire, ont eu un autre destinataire, la Chine, dont l’activisme régional inquiète d’autant plus New Delhi que son différend frontalier avec Pékin est toujours pendant. Sur le plan diplomatique, l’Inde devrait également tirer avantage des tests nucléaires dans la mesure où elle a retrouvé, certes brutalement, un moyen de sortir de l’impasse où l’avait placée sa volonté de conserver l’option nucléaire ouverte qui a été, jusqu’à présent, la ligne officielle. Dès lors qu’il ne s’agit plus d’une option, les autorités indiennes sont fondées à revendiquer une place dans le club des puissances nucléaires. Du côté pakistanais, on a bien reçu le message technologique. Islamabad ne maîtrisant ni la fusion thermonucléaire ni la production de plutonium, les six tirs ont été dictés, d’une part, par la nécessité de répliquer, de l’autre, par réflexe national. Seule la population a pu croire à une prétendue parité nucléaire entre les deux pays. Sanctions et protestations C’est peu d’écrire que les « jeux » de guerre indo-pakistanais ont eu un retentissement important, provoquant de vives réactions de la part de la communauté internationale. Ainsi, le Pakistan et l’Inde se sont vite retrouvés sous le feu de sanctions émanant des États-Unis, du lapon et de quelques États occidentaux. Pour sa part, l’Union européenne, comme la Russie, se sont contentées de protestations purement formelles. Sans doute n’ignore-t-on pas, à Bruxelles et à Moscou, le caractère peu efficace des sanctions économiques, notamment à l’endroit du géant indien, qui ne manque pas de ressources. Plus vraisemblablement la Communauté européenne forme l’espoir que l’Inde en restera là, après avoir démontré à la Chine qu’elle dispose des moyens de s’opposer à toute tentative sinon hégémonique du moins déstabilisante. Et que le Pakistan se satisfera d’une stratégie nucléaire dite « du faible au fort ». Il serait moins optimiste de conclure que l’émergence en Asie de deux nouvelles puissances nucléaires déclarées obscurcit singulièrement l’avenir de la sécurité régionale et laisse pour le moins désemparée la communauté internationale face au régime de non-prolifération. ÉRIC JONES Les dépenses militaires en Asie L’Asie est la seule région du monde qui a vu les dépenses militaires augmenter depuis la fin de la guerre froide. Elles ont en effet baissé partout ailleurs, en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique du Nord. Ainsi, la part de l’Asie est passée de 10 % des dépenses militaires mondiales en 1985 à 20 % en 1996, ce qui sur dix ans signe une progression de 38 %. Les importations d’armes asiatiques représentent aujourd’hui 48 % du marché mondial, contre 24 % en 1987. Et cinq États de la région – Taïwan, downloadModeText.vue.download 107 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 106 Japon, Chine, Corée du Sud et Inde – figurent dans les dix premiers importateurs mondiaux pour les années 1992-1996. 13 France Accord avec la Commission européenne sur le Crédit Lyonnais. Le gouvernement français et la Commission de Bruxelles s’entendent sur un plan de sauvetage de la banque : celle-ci ne sera pas démantelée, conservera ses activités de banque de réseau en France et de grande clientèle à l’international. Elle sera privatisée au plus tard à l’automne 1999. Le problème demeure de savoir dans quelles conditions cette privatisation interviendra : procédure de gré à gré, fusion avec une autre banque française, ou mise sur le marché après constitution d’un noyau d’actionnaires de référence. L’objectif de Paris est d’éviter que la banque passe sous contrôle étranger. 14 Chanson Mort de Frank Sinatra. Le chanteur américain meurt à Los Angeles d’une crise cardiaque. Né en 1915 dans une famille d’origine italienne du New Jersey, à mi-chemin de la petite bourgeoisie et de la pauvreté, Frank Sinatra se lance dans la chanson à vingt ans. Sa véritable carrière commence six ans plus tard lorsqu’il rejoint, en 1940, le grand orchestre de jazz populaire de Tommy Dorsey. Un an plus tard, il est numéro un au hit parade, où il prend la place de son idole de jeunesse, Bing Crosby. Fin 1942, il décide de quitter l’orchestre de Tommy Dorsey, qui supportait mal la popularité de son jeune chanteur. On commence alors à murmurer que les contacts de Sinatra dans la Mafia lui ont permis de rompre sans dommages le contrat qui le liait jusqu’alors à Tommy Dorsey. En 1943, il entame une carrière cinématographique, dont les point forts seront ses rôles dans Tant qu’il y aura des hommes (1953), l’Homme au bras d’or (1956) et la Femme en ciment (1968). Sa voix d’or et son style crooner en font la grande vedette des années 40 et du début des années 50, avant l’explosion du rock’n’roll. Il reviendra cependant en tête des hit-parades en 1966 avec le désormais célèbre « Strangers in the Night » et, l’année suivante, avec « My Way », l’adaptation de « Comme d’habitude » de Claude François. Célèbre pour ses nombreuses conquêtes féminines (il sera, notamment, l’époux des comédiennes Ava Gardner et Mia Farrow), il retient également l’attention du public en raison de ses engagements politiques, d’abord en faveur des démocrates (jusqu’à ce que Bobby Kennedy, bien informé de ses nombreuses accointances dans la Mafia, l’éloigne de la MaisonBlanche), puis des républicains, devenant un intime du couple Ronald et Nancy Reagan. France Entrée d’Aerospatiale chez Dassault. Le groupe public reprend la participation de 46 % de l’État chez l’avionneur militaire. Ce renforcement d’Aerospatiale devrait permettre au groupe français d’aborder dans de meilleures conditions les négociations avec ses homologues européens, l’anglais British Aerospace et l’allemand Dasa. France Rapprochement du RPR et de l’UDF. À l’initiative du président du RPR Philippe Séguin et de son homologue de l’UDF François Léotard, les deux formations d’opposition décident de constituer non pas seulement une entente électorale, mais une véritable structure permanente de la droite républicaine, qui prend pour nom l’Alliance. Cette structure de nature confédérale sera dirigée par une présidence tournante, dotée d’un secrétariat permanent et d’une assemblée où siégeront des représentants des différents partis. L’Alliance, qui récuse par avance tout rapprochement avec le Front national, pourra également recevoir des adhésions directes. Cette initiative, qui intervient alors que MM. Séguin et Léotard se retrouvent politiquement affaiblis, prend de court les projets de François Bayrou, .Main Madelin et Charles Millon. Le premier souhaite une transformation de l’UDF en un nouveau parti centriste, le second un rapprochement, axé à droite, de l’UDF et du RPR, et le troisième une rénovation de toute la droite à travers une ouverture aux électeurs du FN. La plupart des dirigeants de l’opposition saluent la naissance de l’Alliance, qui devrait être effective en septembre, même si plusieurs d’entre eux cachent mal leur scepticisme. Le 16, M. Madelin annonce que downloadModeText.vue.download 108 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 107 son mouvement, Démocratie libérale, quitte l’UDF et adhère directement à l’Alliance. 17 G8 Réunion à Birmingham. Le G8, le groupe des pays les plus industrialisés constitué par l’Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Japon et la Russie, achève ses travaux sans annoncer de décisions spectaculaires (les participants n’ont même pas pu se mettre d’accord sur d’éventuelles sanctions contre l’Inde après que celle-ci a procédé à des essais nucléaires). Cette modestie dans les résultats a été voulue par le Premier ministre britannique Tony Blair, organisateur de la réunion, qui avait voulu revenir à la philosophie première du G7 (les mêmes à l’exception de la Russie) : être une cellule de rencontre informelle entre les principaux dirigeants de la planète. 18 États-Unis Bill Gates accusé de violer les lois antitrust. La justice américaine accuse Microsoft de « pratiques anticoncurrentielles et d’exclusion », notamment contre la firme Netscape, écartée du marché alors qu’elle avait mis au point, avant Microsoft, un logiciel d’accès à Internet. France Xavière Tiberi placée en garde à vue. L’épouse du maire de Paris est placée huit heures en garde à vue dans le cadre de l’enquête consacrée aux salaires consentis par Xavier Dugoin, ancien président du conseil général RPR de l’Essonne, à diverses personnalités pour des emplois fictifs. Dans le même temps, un ancien directeur du personnel à la Ville de Paris révèle à la presse que la municipalité, alors dirigée par Jacques Chirac, abritait jusqu’à 300 emplois fictifs pour un coût total estimé entre 80 et 100 millions de francs par an. Élisabeth Guigou, ministre de la justice, déclare à la radio que « comme tous les Français, le président de la République peut être traduit devant les tribunaux s’il a commis des délits ». L’oppo- sition réplique en accusant Lionel Jospin, en disponibilité du ministère des Affaires étrangères entre 1993 et 1997, d’avoir été payé en tant que fonctionnaire, alors qu’il faisait de la politique. Celui-ci rétorque qu’il avait effectué plusieurs demandes pour un poste d’ambassadeur, mais qu’Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, n’avait pas donné suite à ses requêtes. 19 Éthiopie/Érythrée Appel de Kofi Annan. Le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan appelle les deux pays de la Corne de l’Afrique à la modération, depuis que ceux-ci ont commencé de s’affronter militairement pour le contrôle de la région de Shiraro, au nord-ouest de l’Éthiopie. Après l’échec d’une tentative de conciliation américaine, le viceprésident rwandais, Paul Kagame, propose à son tour sa médiation. 21 Affaires Seagram, no 2 mondial de l’industrie du spectacle. Pour 10,6 milliards de dollars, le groupe canadien rachète PolyGram (no 1 mondial de l’édition musicale) au groupe néerlandais Philips. Déjà propriétaire des studios Universal, Seagram, dont l’activité traditionnelle se situait dans les vins et spiritueux, ne réalisera plus que 30 % de son chiffre d’affaires dans ce secteur. Indonésie Démission du président Mohamed Suharto. Après que le Parlement a voté une résolution en ce sens et que Washington a exercé de fortes pressions, le président indonésien, en poste depuis trente-deux ans, annonce sa démission immédiate. Il est remplacé par son vice-président, Jusuf Habibie. Le départ de M. Suharto fait suite à plusieurs semaines de manifestations et de pillages à travers le pays. Plusieurs centaines de personnes avaient ainsi trouvé la mort lors de la mise à sac et de l’incendie de grands magasins downloadModeText.vue.download 109 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 108 dans la capitale. Alors que l’armée ne soutenait plus que mollement le pouvoir et que l’opposition avait pris le relais du mouvement des étudiants. M. Suharto avait tenté une dernière fois de se maintenir en place en annonçant des élections, mais sans en préciser la date. Âgé de soixante et un ans, M. Habibie est un proche de M. Suharto, son propre père ayant été l’ami intime du président démissionnaire. Ingénieur de formation, partisan d’une insertion accélérée de l’Indonésie dans l’économie internationale, il est responsable de nombreux projets d’envergure, dont plusieurs ont été des échecs retentissants. Dans les jours qui suivent, M. Habibie annonce la création d’un nouveau gouvernement, où les principaux portefeuilles demeurent dans les mêmes mains. Les étudiants et l’opposition réclament le départ de M. Habibie ainsi que l’organisation rapide de nouvelles élections. Portugal Inauguration de l’Exposition universelle de Lisbonne. Sur le thème « Les océans, un patrimoine pour le futur », le Portugal présente une exposition destinée à mettre en valeur son passé de grande puissance maritime. 8,5 millions de visiteurs – dont la moitié de Portugais – sont attendus dans les 70 hectares du long rectangle appuyé sur les berges du Tage, où sont érigés les pavillons des 150 pays représentes. Le clou de l’Exposition est constitué par l’Océanorium, avec ses 25 000 espèces marines. On remarque particulièrement le spectacle de simulation sous-marine proposé par l’Allemagne, le film projeté sur trois écrans formant coupole présentant les 5 500 kilomètres du littoral français ou le film portugais illustrant, au moyen d’images réelles et de synthèse, les implantations lusitaniennes à travers le monde. Fin de règne en Indonésie Celui qui se présentait volontiers comme le « père du développement » avait fini par faire oublier qu’il s’était emparé du pouvoir par la force. C’est aussi par la force qu’il l’a perdu, le 21 mai 1998, laissant à l’un de ses proches, le général Habibie, le soin de tenir la barre d’un bateau Indonésie submergé par les flots de la crise monétaire asiatique. Le compte à rebours du départ du président Suharto a commencé en juillet 1997, lorsque les autorités thaïlandaises, annonçant la dévaluation du baht, ont rendu inévitable, par effet de domino, un ajustement des devises des nations voisines. Tour à tour, le ringgit malais le peso philippin, le won coréen et la roupie indonésienne perdent en moyenne la moitié de leur valeur. Ces dépréciations mettent à nu les faiblesses des économies de la région. Les investisseurs commencent à considérer avec une attention accrue la situation des voisins de la Thaïlande, y décelant, à des degrés divers, les mêmes symptômes : un marché de l’immobilier surévalué, un secteur bancaire faible et peu contrôlé, d’énormes emprunts à court terme et un manque de transparence évident. À l’aune de cet inventaire de la mauvaise « gouvernance », l’Indonésie cumule trop de handicaps pour ne pas être rattrapée par la crise. Très vite, la situation sociale se dégrade et, en février 1998, éclatent les premières émeutes liées à la hausse des prix. Un président rattrapé par la crise Un mois plus tôt, le FMI a suspendu son aide après s’être rendu à l’évidence : le vieux président Suharto promet beaucoup mais tient peu. Il est vrai que ce dernier sous-estime alors l’ampleur de la crise – mais le président du FMI, Michel Camdessus, n’a-t-il pas déclaré, fin août 1997, que « la crise asiatique devrait être contenue » ? En trente-deux ans de règne, le chef de l’État a connu bien des alertes. D’ailleurs, dans l’immédiat, il s’agit pour lui d’assurer sa réélection. C’est chose faite, le 10 mars, alors que la veille le FMI a décidé de différer le versement d’une tranche de 3 milliards de dollars en faveur de Djakarta. Mais le huitième mandat de Suharto commence dans une atmosphère surréaliste. À la mi-mai, la capitale s’embrase après que les forces de l’ordre ont tiré sur des manifestants. De tendue, la situation devient insurrectionnelle – 500 personnes trouvent la mort dans les incendies qui se propagent dans les centres commerciaux et les banques dans la nuit du 14 au 15 mai. Et les feux qui s’allument dans plusieurs autres villes indonésiennes annoncent le crépuscule de celui qui, jusqu’au bout, aura régné sans partage. C’est sans doute parce qu’il lui est apparu que la contestation qui s’exprimait principalement downloadModeText.vue.download 110 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 109 à travers la révolte des étudiants était en réalité grosse de la colère du pays profond que Suharto s’est résigné à quitter le pouvoir. Un règne sans partage Longtemps, il aura eu la conviction d’être investi de la mission quasi divine de maintenir l’unité de l’archipel et d’y assurer l’ordre. Mais convaincu que la vague de protestations, portée par l’onde de choc de la crise régionale, irradiait l’ensemble du pays et du corps social, il a compris qu’il ne disposait plus d’aucun soutien, notamment au sein de l’armée, pour assurer, une fois de plus, sa « mission ». Car on sait l’homme peu tendre. Ainsi, on estime à quelque 300 000 le nombre des victimes des massacres de 1965-1966 qui lui ont permis d’asseoir son pouvoir. En 1975, lorsqu’il prend la décision d’envahir TimorOriental – annexé l’année suivante –, il y conduit bientôt une politique d’extermination qui fera plus de 200 000 morts. Les camps de concentration, dont ceux de l’île de Buru sont tristement célèbres, verront passer environ deux millions de personnes, pour la plupart internées au nom de l’anticommunisme. On ne compte plus les révoltes, prouvées ou supposées, qui ont été noyées dans le sang. L’ordre nouveau – que le régime oppose à l’ordre ancien du président Sukarno – s’appuie sur un appareil répressif qui a fait ses preuves – la police secrète y veille. Parallèlement, le système politique se trouve habilement verrouillé : seuls trois partis sont autorisés, l’idée même d’opposition est rayée de la réalité politique et la censure se montre toujours d’une grande efficacité. Brutal, donc, à l’endroit de la subversion, Suharto sait dispenser prébendes, avantages et faveurs à ses proches. D’abord à sa famille. Ses six enfants contrôlaient une bonne partie de l’économie indonésienne à travers un réseau d’entreprises toutes dévouées. S’il est difficile d’estimer la fortune du clan Suharto, fruit de détournements de fonds publics ou d’aides internationales, voire d’association avec des capitaux étrangers, on la dit littéralement colossale. Il n’est pas indifférent que la dénonciation de ces maux, « népotisme, corruption, collusion », ait figuré en bonne place dans les premières manifestations étudiantes. Un développement fragile Comme tous les dictateurs du monde, Suharto a justifié la répression, les mesures d’exception et le silence imposé aux médias au nom de l’intérêt commun. Héritant d’un pays pauvre, il aura su le hisser au rang des pays émergents, voire en faire un pilier de ce club si dynamique formé par les pays membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean). Avec Suharto, le pays s’est doté d’infrastructures, les enfants sont allés à l’école et l’autosuffisance alimentaire est devenue, pendant quelques années, une réalité. Le président aimait qu’on l’appelât le « père du développement ». Le bilan n’est pas faux. Il convient toutefois de le corriger, ne serait-ce qu’au prisme de la crise régionale. Celle-ci a mis en lumière que l’Indonésie a conservé, tout au long de la période Suharto, bien des caractéristiques du tiers monde – développement industriel sans grande valeur ajoutée, formation limitée, écarts manifestes des revenus, pillage des matières premières, régime politique corrompu et autocratique. Enfin, l’anticommunisme dont il a fait montre au temps de la guerre froide lui a valu de bénéficier d’une aide considérable de l’Occident et du Japon. Les investisseurs étrangers ont trouvé en Indonésie un terrain à la mesure de leurs appétits et s’en sont retirés, pour certains à temps, quand il est apparu que celui-ci était miné. PHILIPPE FAVERJON Les Panca Sila selon Suharto Le 4 avril 1973, Suharto codifie sa version des cinq principes qui régissent l’Indonésie, les Panca Sila, désormais purgés de toute référence socialiste : croyance en un seul Dieu, humanisme, nationalisme, démocratie et justice sociale. Il en profite également pour réaffirmer le principe de double fonction des forces armées – dans la défense du pays et dans son développement –, en vertu duquel de nombreux officiers occupent des postes de direction dans l’administration et l’économie, source de profits et de corruption. 22 Irlande Succès du « oui » au référendum. 71,2 % des électeurs d’Ulster (pour une participation de 81 %) et 94 % des électeurs de la république d’Irlande approuvent le plan de paix du 10 avril. Les premiers ont entériné le statut de semi-autonomie de la province britannique, tandis que les seconds downloadModeText.vue.download 111 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 110 ont approuvé la suppression de deux articles de la Constitution du pays, qui présentaient la réunification du nord et du sud de l’île comme une obligation politique. Ce succès ne signifie pas pour autant que toutes les difficultés sont aplanies, d’autant que la communauté protestante d’Irlande du Nord n’a entériné l’accord qu’à une assez faible majorité de 55 %. (chrono. 25/06) Yougoslavie Offensive serbe au Kosovo. Les forces armées de Belgrade lancent de nouvelles opérations éclairs contre plusieurs villages soupçonnés de sympathie à l’égard de l’Armée de libération du Kosovo (UCK). Les habitants sont chassés, des maisons sont détruites et parfois des hommes sont tués. Malgré la répression, l’UCK multiplie ses actions contre l’armée serbe. 24 Chine Succès des démocrates à Hongkong. Avec une participation record de 53 % (alors qu’elle ne dépassait guère 30 % auparavant), 1,5 million d’électeurs hongkongais (sur 2,8 millions d’inscrits) donnent une majorité de 60 % aux représentants des partis démocrates, qui enlèvent 14 des 20 sièges à pourvoir. Les démocrates seront cependant minoritaires au Conseil législatif, dont les 40 autres membres sont désignés selon des modalités faisant la part belle aux candidats de Pékin. Ces élections témoignent cependant de la volonté du gouvernement chinois de laisser se développer une vie démocratique dans l’ex-colonie britannique, volonté confirmée début juin, quand le neuvième anniversaire du massacre de la place Tian’anmen est célébré à Hongkong par une imposante manifestation tolérée par les autorités. Hongrie Victoire de la droite aux élections. La Fédération des jeunes démocrates-Parti civique hongrois (Fidesz-MPP), dirigée par Viktor Orban l’emporte avec 38,6 % des voix et 148 sièges contre les socialistes (ex-communistes) du Premier ministre sortant Gyula Horn. Fidesz est en principe cataloguée au centre droit, mais la formation de M. Orban a fait campagne pour un renforcement des prérogatives de l’État et de la protection sociale des citoyens, tandis que les socialistes défendaient leur politique de privatisations et d’adaptation au modèle libéral. Toutefois, la composition du nouveau gouvernement peut s’avérer délicate, car le jeune M. Orban (trente-cinq ans) doit s’allier avec la petite formation droitière des Petits Propriétaires, bien implantée dans les zones rurales (12,9 % des voix) et favorable à une politique très nationaliste, notamment en faveur des minorités hongroises dans les pays limitrophes. Sénégal Victoire serrée du Parti socialiste. Au pouvoir depuis 1960, le PS du président Abdou Diouf remporte les élections législatives avec 50,12 % des voix seulement (et 93 sièges sur 140). Le principal parti d’opposition, le Parti démocratique sénégalais, dirigé par Abdoulaye Wade, obtient 23 sièges et la majorité dans la capitale, Dakar. La campagne a été marquée par des violences en Casamance, menées par les rebelles du MFDC. 25 Cinéma La palme d’or pour Theo Angelopoulos. Le cinéaste grec est récompensé par le jury du 51e Festival de Cannes, présidé par l’Américain Martin Scorsese, pour son film l’Éternité et un jour. Le prix spécial du jury va à l’Italien Roberto Benigni pour La vie est belle, étonnante comédie sur la déportation à Auschwitz. Le prix du meilleur acteur va à l’Écossais Peter Mullan pour son rôle dans My Name is Joe, de l’Anglais Ken Loach, et celui de la meilleure actrice aux Françaises Élodie Bouchez et Natacha Régnier pour leur interprétation dans la Vie rêvée des anges d’Érick Zonca. De l’avis de nombreux spécialistes, cette nouvelle édition de Cannes ne restera pas dans les annales, et beaucoup regrettent que le cinéma asiatique (notamment le film taïwanais les Fleurs de Shanghai de Hou Hsiao-hsien) ait été totalement oublié dans le palmarès. Géorgie Cessez-le-feu en Abkhazie. Les hostilités s’arrêtent au bout de deux jours entre les séparatistes abkhazes et les forces de Tbilissi après que le président Edouard Chevarnadze a proposé à l’Abkhazie un statut de « sujet d’un État fédéral » et le retour des réfugiés civils forcés de quitter la downloadModeText.vue.download 112 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 111 région après la reprise des combats. La région s’est séparée de fait du reste du pays depuis la guerre de l’automne 1993. 26 France Accord entre Jacques Toubon et Jean Tiberi. À la suite d’une forte pression de la direction du RPR, l’ancien garde des Sceaux et le maire de Paris signent un protocole d’accord prévoyant la création d’un intergroupe de la majorité au conseil municipal et une modification du fonctionnement du groupe RPR de Paris. Quelques jours auparavant, Jacques Chirac s’était publiquement montré en compagnie du maire de Paris et de son épouse. 28 Danemark « Oui » à l’Europe. Les électeurs danois approuvent par une majorité de 55,1 % l’accord d’Amsterdam de 1997. Pour beaucoup, ce résultat est un soulagement et confirme les quatre référendums précédents qui, depuis 1973, ont mobilisé les Danois sur la question européenne. D’autres font remarquer que la forte minorité qui a dit » non » à l’Europe représente un ensemble beaucoup plus large que les forces politiques eurosceptiques, la majorité des partis danois s’étant prononcée en faveur d’un vote positif. Prenant acte du résultat, le Premier ministre Poul Nyrup Rasmussen déclare que « le rythme d’approfondissement de la coopération européenne doit ralentir ». Pakistan Entrée dans le club nucléaire. Quinze jours après la reprise des essais indiens, le Pakistan procède pour la première fois à cinq essais nucléaires dans le désert du Balouchistan, au nordouest du pays. Le Premier ministre Nawaz Sharif annonce l’événement en assurant que son pays ne veut pas engager une course aux armements mais qu’il y a été contraint par la décision de New Delhi. Sans condamner formellement Islamabad, le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies « déplore vivement » les essais pakistanais. En tout état de cause, l’avance technologique de l’Inde sur le Pakistan en matière d’armement nucléaire reste très importante. France Reconnaissance du génocide arménien. À l’unanimité, l’Assemblée nationale vote un texte proclamant que « la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Les 300 000 Français d’origine arménienne saluent l’événement, tandis que la Turquie menace les entreprises françaises de rétorsions économiques. Pakistan, la fuite en avant L’ancien Premier ministre, Zulficar Ali Bhutto, avait promis « la bombe » à ses concitoyens, quitte à ce qu’ils en soient réduits « à manger de l’herbe ». La promesse a été tenue et le Pakistan est devenu la première puissance islamique nucléaire. Mais la grande joie de la population aura été de courte durée : incapable de faire face à la crise économique et aux conflits interethniques, le régime de Nawaz Sharif a voulu neutraliser l’opposition islamiste en faisant voter un amendement qui place la loi islamique audessus de la Constitution, sous l’oeil réprobateur de l’institution militaire. Après la série de tests indiens, les 11 et 13 mai, le Pakistan procédait à son tour à cinq essais nucléaires dans le désert occidental du Baloutchistan, le 28 mai. Le Premier ministre Nawaz Sharif a aussitôt présenté ces essais comme une réponse à « la militarisation du programme nucléaire indien ». Une position de nature à inquiéter la communauté internationale, mais qui a soulevé dans la population une vague de fierté. On a ainsi pu voir les Pakistanais fêter l’événement, envahir les rues aux cris d’« Allah Akbar » (Dieu est grand). Un moment de liesse intense que résumait la une du quotidien Ausaf « Le Pakistan est devenu le premier État nucléaire islamique ». Estimant que le Pakistan venait de démontrer qu’il pouvait faire « jeu » égal avec l’Inde, le Premier ministre a choisi de tendre la main à New Delhi afin de « reprendre le dialogue indo-pakistanais pour discuter de tous nos différends, y downloadModeText.vue.download 113 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 112 compris la question centrale du Cachemire, aussi bien que la paix et la sécurité ». En attendant que le Pakistan soit officiellement admis dans le club des puissances nucléaires – attente que partage l’Inde –, son Premier ministre a cru pouvoir bénéficier d’un sursaut de popularité. Mais les résultats économiques, exécrables, sont venus le rappeler aux réalités. Des difficultés sur tous les fronts Élu en février 1997 avec une impressionnante majorité sur un programme économique qui devait sortir le Pakistan de la crise, le gouvernement de Nawaz Sharif avait peu de résultats à faire valoir un an plus tard. Le pays a de plus en plus de difficultés à obtenir des prêts de ses bailleurs de fonds traditionnels, Arabie Saoudite, Émirats arabes et Chine. Quant à la deuxième tranche de l’aide du FMI, 208 millions de dollars, elle n’a été accordée que pour des raisons politiques, c’est-à-dire afin de ne pas précipiter une nouvelle crise en Asie. Mais aussi parce que les organisations financières internationales et les créanciers ont plus à perdre qu’à gagner dans le cas où le Pakistan deviendrait insolvable. Un risque que certains experts n’excluait pas, tel cet économiste proche du FMI pour qui un défaut de paiement du Pakistan n’était pas exclu. Le risque est réel. Les réformes structurelles, fiscales et bancaires, réclamées par le FMI, et annoncées à plusieurs reprises comme imminentes par les autorités, n’ont guère dépassé le stade des intentions. Pour leur part, les milieux d’affaires, pourtant courtisés par les autorités, paraissent animés par un manque de confiance envers le gouvernement, en particulier, et le monde politique, en général. Voulu par certains cercles militaires, le soutien inconditionnel aux talibans en Afghanistan contribue à obérer les finances publiques. Plus généralement, les tests nucléaires et la politique extérieure du Pakistan lui valent de connaître un certain isolement. Politiquement, le pays est en mauvais termes avec tous ses voisins, mais aussi avec nombre de ses alliés, comme la Turquie ou la Chine, qui, inquiète des revendications islamiques au Xinjiang, commence à regarder d’un oeil peu amène les talibans. D’ailleurs, le conflit afghan n’est pas sans conséquences sur la vie interne du Pakistan : après avoir participé à la guerre, des Pakistanais se livrent au djihad dans leur pays, où le laxisme des autorités à l’égard de l’activisme islamique nourrit les inquiétudes de la société libérale. La charia au-dessus de la Constitution Aussi, dans le souci de museler une opposition islamiste qui trouve du grain à moudre avec les dossiers économiques et sociaux sur lesquels le gouvernement a pu donner la mesure de son incapacité, le Premier ministre a réussi à faire voter un amendement constitutionnel renforçant le caractère islamique du pays : le 9 octobre, par 151 voix contre 16, les députés de la ligue musulmane ont décidé de faire de la charia (la loi coranique) et de la sunnah (la tradition) la loi suprême du Pakistan. Selon ce nouvel amendement, le gouvernement fédéral devra « prescrire le bien et le mal », promouvoir « la vertu », éradiquer la corruption et assurer la justice sociale. En clair, ce dispositif donne à l’exécutif un pouvoir supérieur au judiciaire dans la mesure où il annule toute possibilité de recours en cas de litige. Curieusement, on a vu certains partis religieux s’opposer avec la dernière vigueur à l’amendement du 9 octobre au motif que le gou- vernement n’est pas compétent en cette matière et que cette loi lui donne des « pouvoirs inacceptables ». En se donnant les pleins pouvoirs, le chef du gouvernement a pris le risque d’être le seul responsable d’une catastrophe qui paraît de plus en plus imminente. Une situation qui n’a pas échappé aux militaires et à laquelle la démission du chef d’état-major de l’armée, le général Karamat – intervenue le 7 octobre, après qu’il a critiqué la situation au Pakistan – aura donné un écho propre à effrayer les partisans de la démocratie. En prenant la décision de s’attaquer à l’institution militaire, N. Sharif a pris le risque d’ouvrir une nouvelle crise puisque l’armée, qui a gouverné le Pakistan pendant près d’un quart de siècle, occupe toujours avec, une évidente visibilité, le terrain politique. Et si le coup ainsi porté à l’armée ne peut que réjouir les nombreux démocrates que compte le pays, il a aussi rappelé que l’institution militaire pourrait bien se poser comme l’ultime recours après avoir fait le constat d’échec des gouvernements démocratiques qui se sont succédé depuis 1988. Certes, le Premier ministre a réussi à se débarrasser du président Farouk Leghari, puis du chef de la Cour suprême. Mais, en s’attaquant au général Karamat, N. Sharif s’est peut-être laissé griser par son habileté politique, ne voyant plus que ses succès vont de pair avec une dégradation de la situation du pays. PHILIPPE DE LA RESLE downloadModeText.vue.download 114 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 113 Les conséquences économiques des essais nucléaires Déjà prive de tout investissement extérieur, le Pakistan s’est trouvé confronté au gel des comptes en devises décidé du lendemain des essais nucléaires de mai : c’est ainsi que le transfert de l’argent des immigrés par les circuits officiels s’est aussitôt arrêté. Quant aux négociations avec le FMI, elles se sont interrompues sans qu’aucun accord n’ait été trouvé. Enfin, il suffit d’ajouter que, outre les conditions draconiennes posées par l’institution de Bretton Woods, une nouvelle aide financière au Pakistan était liée... aux progrès sur la non-prolifération nucléaire, pour prendre la mesure des difficultés économiques auxquelles le régime de Nawaz Sharif devait faire face. 30 Afghanistan Séisme meurtrier. Un tremblement de terre, d’une magnitude de 7 sur l’échelle de Richter, fait au moins 3 000 morts et des dizaines de milliers de sans-abri dans le nord-est du pays. Les secours ont du mal à parvenir jusqu’aux victimes, la région étant montagneuse et souvent dépourvue de routes. En février, un séisme de 6,4 dans la même région avait déjà causé la mort de 4 000 personnes. Yougoslavie Victoire réformatrice au Monténégro. En obtenant 45 sièges sur 78, les réformateurs du président monténégrin Milo Djukanovic, regroupés au sein de la coalition « Vivre mieux », remportent les élections législatives, au détriment du Parti socialiste de l’ancien président Momir Bulatovic. Cette victoire constitue un échec pour le Serbe Slobodan Milosevic, président de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), qui s’est toujours opposé à la volonté d’autonomie et de libéralisme politique du jeune président monténégrin (trente-six ans), dont il avait déjà refusé de reconnaître l’élection en octobre 1997. downloadModeText.vue.download 115 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 114 JUIN 1 République démocratique du Congo Remaniement ministériel. Le président Laurent-Désiré Kabila annonce un changement de son équipe gouvernementale. Ses proches et les ministres liés à l’Ouganda et au Rwanda demeurent en place. Sont remplacés (et arrêtés) les ministres ouvertement liés à des affaires de corruption. Cette opération, qui ne change pas fondamentalement la donne politique, est destinée à rassurer les bailleurs de fonds internationaux qui estiment que, comme au temps de Mobutu, plus de la moitié des recettes de l’État sont accaparées par les responsables corrompus. France Grève à Air France. Alors que la compagnie nationale annonce son retour à une situation bénéficiaire (1,87 milliard de francs pour le dernier exercice), les 3 400 pilotes de ligne déclenchent une grève. Cette initiative intervient à quelques jours de l’ouverture de la Coupe du monde de football en France. Ils réclament la suppression de la double échelle des salaires (différence de salaires entre pilotes en place et jeunes pilotes embauchés) et de l’échange d’actions de la société contre la baisse des salaires. Avec un salaire brut mensuel de 61 800 F (28 000 F en début de carrière, 120 000 F en fin de carrière pour un commandant de bord sur Boeing 747), les pilotes d’Air France sont payés 40 % de mieux que leurs collègues allemands et 20 % que leurs collègues britanniques. Fort du soutien de Matignon, le P-DG de l’entreprise, JeanCyril Spinetta, obtient finalement que les pilotes reprennent le travail le 10 : la suppression de la double échelle est acceptée ; en contrepartie, les pilotes acceptent une baisse et un gel de leurs salaires (en échange d’actions de la société) pour une période de sept ans. 3 Allemagne Catastrophe ferroviaire. Prés de 100 personnes trouvent la mort dans l’accident du train à grande vitesse (ICE) qui intervient au sud de Hambourg. Le train a percuté un pont à plus de 200 km/h. L’accident serait dû à un défaut sur les roues. Aussitôt, tous les ICE sont soumis à une sévère révision. France Projets de réforme de la justice. Le projet de réforme du rôle et de la composition du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est discuté au Parlement : il vise à soumettre à l’avis du conseil (où les magistrats seraient désormais en minorité, afin d’éviter les risques de corporatisme) la nomination de l’ensemble des magistrats français (dont les plus élevés sont nommés en Conseil des ministres). Voulue par Jacques Chirac et présentée par le gouvernement, cette réforme est combattue par une partie du RPR. Le même jour, Élisabeth Guigou, ministre de la Justice, présente en Conseil des ministres son projet visant à interdire les instructions individuelles du garde des Sceaux aux parquets, tout en renforçant les orientations générales de la politique pénale par le ministère (décision de poursuivre tel ou tel type d’actes, volonté de réprimer davantage ou d’une façon plus clémente tel ou tel type d’infraction ou de délit). 4 Corée du Sud La confiance pour Kim Dae-jung. Trois mois après son arrivée au pouvoir, le nouveau président (de centre gauche) bénéficie de l’appui des électeurs, ceux-ci ayant majoritairement voté en faveur des candidats se réclamant de lui aux élections locales. Ce résultat est d’autant plus encourageant pour M. Kim Dae-jung qu’il doit faite face à une très downloadModeText.vue.download 116 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 115 grave crise économique et prendre, de ce fait, des mesures impopulaires. France Déontologie pour la police. L’Assemblée nationale approuve en première lecture la création d’une commission nationale de la déontologie de la sécurité. Elle sera chargée de veiller au respect des règles déontologiques par les personnels ayant des missions de sécurité, qu’ils relèvent du secteur public ou du secteur privé. Elle disposera de moyens tels que la possibilité de procéder à des vérifications sur place et de faire réprimer pénalement tous ceux qui s’opposeraient à son action. 5 France France 2 dans la tourmente. Responsable de la rédaction depuis onze mois, Albert Du Roy présente sa démission. Il dénonce dans la presse « le gâchis » et « l’état d’esprit collectif pourri et pervers » de l’équipe journalistique de la chaîne publique. Son départ intervient alors que le JT du 20 heures atteint tout juste les 23 % d’audience, contre 28 % moins de deux ans auparavant. Il est remplacé par Pierre-Henri Arnstam, qui avait déjà occupé ce poste entre 1985 et 1986. Automobile Rolls-Royce vendu à Volkswagen. Le célèbre constructeur britannique de voitures de luxe est cédé au groupe allemand pour 4,3 milliards de francs. En proposant une offre de 27 % supérieure, VW a finalement été préféré à son concurrent BMW, qui avait menacé Rolls Royce de cesser de l’équiper en moteurs. La firme britannique avait alors écarté le danger en rachetant le motoriste Cosworth, capable de remplacer BMW en quelques semaines. 7 Suisse Les biotechnologies plébiscitées. Par 66,7 % de « non », les électeurs helvétiques rejettent par référendum une proposition visant à interdire les biotechnologies dans le pays. Les partisans du « oui » avaient mis en avant les risques que pouvait faire peser sur la santé publique l’introduction des animaux et des fruits et légumes transgéniques. Seuls 40 % des électeurs ont participé au vote. Tennis Doublé espagnol à Roland-Garros. Carlos Moya obtient le titre masculin pour la première fois, en surclassant en finale son compatriote et ami Alex Corretja. La veille, en battant l’Américaine Monica Seles. Aranxta Sanchez-Vicario avait remporté, pour la troisième fois, l’épreuve sur terre battue du Grand Chelem. 8 France Plan sur la délinquance des mineurs. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, et Élisabeth Guigou, ministre de la Justice, présentent le plan du gouvernement destiné à remédier à la montée de la délinquance juvénile. Il s’agira de responsabiliser les parents (convocation systématique de ces derniers), de renforcer la prévention à l’école (contrôle de l’absentéisme, développement des classes relais), de développer les mesures de réparation, les foyers d’accueil, de renforcer les moyens des policiers et des juges spécialisés, et de concentrer les efforts sur les zones d’exclusion. Ce programme constitue un compromis entre une politique répressive, influencée par les exemples américain et britannique, et une politique sociale, expliquant d’abord la délinquance par le milieu défavorisé dont sont issus ses auteurs. Japon Forte baisse du yen. La devise japonaise passe au-dessus de la barre des 140 yens pour un dollar, son niveau le plus faible depuis juin 1991. Dans les jours qui suivent, la Réserve fédérale américaine intervient fortement pour soutenir la monnaie nippone en vendant du dollar, ce qui permet d’enrayer sa chute. Washington craint qu’une dévaluation trop marquée du yen ait pour effet de précipiter la crise économique et financière en Asie. Le 20, les partenaires du G8 enjoignent les autorités de Tokyo d’agir pour enrayer la crise. Le gouvernement de Ryutaro Hashimoto annonce alors un train de mesures imminent, dont la création d’une downloadModeText.vue.download 117 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 116 banque publique chargée de reprendre les créances douteuses des établissements financiers japonais en situation difficile. (chrono. 2/07) Nigeria Mort du président Sani Abacha. Le chef de l’État nigérian meurt d’une crise cardiaque à l’âge de cinquante-quatre ans. Allié au général Ibrahim Babangida, il avait aidé celui-ci à conquérir le pouvoir en 1985, puis lui avait succédé en 1993, en annulant l’élection présidentielle remportée par le candidat de l’opposition, Moshood Abiola. Le général Sani Abacha, un nordiste musulman, avait alors promis de « rendre le pouvoir aux civils », mais avait mené ensuite une politique autoritaire, emprisonnant les opposants et réprimant notamment les révoltes de la minorité ogonie, qui réclamait une part de l’exploitation de ses ressources pétrolières. Il est remplacé par le général Abdulsalam Abubakar, jusque-là chef de l’état-major des armées. Alors que le pays se trouve dans une situation catastrophique, les leaders de l’opposition, tout comme a communauté internationale, espèrent que ce changement à la tête de l’État permettra un retour à la démocratie. Nigeria : Perestroïka sous les Tropiques ? Après cinq ans d’une implacable dictature militaire, le Nigeria a renoué avec l’espoir. La disparition de Sani Abacha, l’un de ses dirigeants les plus brutaux depuis l’indépendance, et son remplacement par le général Abdulsalam Abubakar ont ouvert la voie à un retour du pouvoir aux civils. En libérant les prisonniers politiques et en promettant des élections libres et démocra- tiques, le nouveau chef de l’État a offert le gage de sa bonne volonté. Le géant de l’Afrique subsaharienne tient là une chance de jouer un rôle à sa mesure dans cette partie du continent. En quelques mois à peine, le Nigeria a connu un bouleversement complet de son paysage politique. La disparition brutale du général Sani Abacha, mort d’un arrêt cardiaque le 8 juin, alors qu’il s’apprêtait à se succéder à lui-même au cours d’une parodie de processus, démocratique, a mis fin à cinq années de dictature. Arrivé à la tête du pays par un putsch, le 17 novembre 1993, cet homme de fer, prototype de l’oligarchie militaire du Nord, avait considérablement durci le régime. L’une de ses premières décisions fut d’emprisonner Moshood Abiola, vainqueur présumé de l’élection présidentielle du 12 juin 1993. Son passage au pouvoir a été émaillé de multiples autres atteintes aux droits de l’homme, dont la plus choquante fut l’exécution de l’écrivain Ken Saro Wiwa et de huit autres militants de la cause de la minorité ogoni, fin 1995. La corruption catastrophique, qu’illustre parfaitement la pénurie d’essence frappant depuis plusieurs mois ce pays producteur de pétrole, avait achevé de ternir l’image d’un État fortement isolé sur le plan international. Sani Abacha avait pourtant finalement promis de rendre le pouvoir aux civils, sauf que le civil en question n’était autre que lui-même, l’uniforme en moins. De fait, les cinq partis politiques qu’il avait préalablement autorisés l’avaient tous choisi comme candidat. Bref, l’inflexible général était devenu le maître absolu du pays le plus peuplé d’Afrique. Les premières mesures d’apaisement Sa disparition a été accueillie avec soulagement, mais aussi avec une inquiétude évidente sur l’avenir d’un géant de plus de 100 millions d’habitants, premier producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne et doté, de surcroît, d’une armée parmi les plus puissantes du continent noir. Avec la désignation immédiate de son successeur, le général Abdulsalam Abubakar, les Nigérians, pourtant habitués aux révolutions de palais, n’étaient pas au bout de leurs surprises. Après avoir annoncé la poursuite de la transition vers un régime civil, le nouvel homme fort du Nigeria a pris le contre-pied de son prédécesseur. Une semaine, jour pour jour, après son arrivée aux affaires, neuf prisonniers politiques – dont des personnalités de premier plan comme l’ancien président Olosegun Obasanjo, l’avocat Beko Ransome Kuti ou la journaliste Christina Anyanwu – étaient libérés. Dans les jours suivants, Abdulsalam Abubakar a laissé entendre que le plus célèbre d’entre eux, Moshood Abiola, pourrait lui aussi être élargi. Mais, deuxième coup de théâtre en cette année mouvementée, l’opposant a succombé à une crise cardiaque, le 7 juillet, au cours d’une réunion avec des responsables nigérians et américains. L’annonce de sa mort a provoqué de violentes manifestations à downloadModeText.vue.download 118 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 117 Lagos, la capitale économique, et dans d’autres villes du Sud-Ouest, sa région d’origine, alors que ses supporters criaient à l’empoisonnement. Hypothèse d’autant plus crédible à leurs yeux que la majorité des caciques de l’armée lui était profondément hostile. Concluant à une mort naturelle, l’autopsie menée par une équipe indépendante constituée de médecins étrangers, faute de convaincre tout le monde, a quand même permis un retour progressif au calme. La transition vers un régime civil Le chef de l’État a rapidement repris l’initiative, le 20 juillet suivant, en annonçant son programme de transition. Contrairement au voeu de l’opposition, le général Abubakar a refusé la solution d’une conférence nationale ou d’un gouvernement d’union. En revanche, il a proposé une courte transition devant s’achever le 29 mai 1999, avec la prestation de serment d’un président démocratiquement élu, au début de la même année, dans un contexte de multipartisme. Malgré la méfiance de la frange la plus radicale de l’opposition, dans un pays habitué aux promesses non tenues des militaires, Abdulsalam Abubakar a tenu ses premiers engagements. Au mois de septembre, la plupart des prisonniers politiques ont été libérés, dont vingt militants de la cause ogonie, accusés de meurtres et emprisonnés sans jugement depuis 1994. Le chef de l’État a par ailleurs autorisé les partis politiques et entrepris d’assainir une économie gangrenée par la corruption. En outre, il a renoué avec une communauté internationale très favorable aux changements en cours, après une longue période d’isolement marquée par la suspension du Nigeria du Commonwealth et les sanctions européennes et américaines à l’encontre de ses dirigeants. Abdulsalam Abubakar a donc entamé avec succès la normalisation d’un pays considéré jusque- là comme un paria. Mais, à la fin de l’année 1998, la plupart des observateurs s’accordaient à dire que sa principale difficulté serait de convaincre la frange la plus conservatrice des militaires de céder un pouvoir dont el le tire de nombreux avantages, notamment en se servant sur l’importante rente que leur a procurée jusqu’ici la production de pétrole. CHRISTOPHE CHAMPIN Le géant de l’Afrique subsaharienne Le Nigeria est, avec l’Afrique du Sud, l’une des deux grandes puissances de l’Afrique subsaharienne. Sa population, très importante (entre 100 et 120 millions d’habitants), et sa production pétrolière (90 millions de tonnes par an) l’appellent à jouer un rôle de premier plan dans le continent. D’autant que son armée est l’une des plus nombreuses et des mieux entraînées d’Afrique. Celle-ci est d’ailleurs intervenue par deux fois dans la région, au Liberia et en Sierra Leone, sous la bannière de la Force ouestafricaine d’interposition (ECOMOC), dont elle composait la majorité des contingents. Autant dire que l’évolution politique de ce pays incontournable est suivie de près par ses voisins d’Afrique de l’Ouest et du Centre, car son avenir peut être déterminant pour la stabilité future de cette partie du continent. 9 Football Ouverture officielle de la Coupe du monde. La France accueille trente et une nations pour la XVIe compétition mondiale. Soixante-quatre matches seront organisés dans dix villes à travers le pays (Paris, Saint-Denis, Lens, Nantes, Bordeaux. Toulouse, Montpellier, Marseille, Saint-Étienne et Lyon). En audience cumulée, trente-sept milliards de personnes suivront l’événement à la télévision. La fête commence par un défilé de quatre géants, symbolisant quatre continents – l’Afrique, l’Europe, l’Amérique et l’Asie – à travers les mes de Paris, avant de se retrouver sur la place de la Concorde. Néanmoins, beaucoup jugent le spectacle quelque peu ennuyeux et sans originalité. (chrono. 12/07) Guinée-Bissau Tentative de rébellion militaire. Une partie de l’armée, suivant l’ancien chef d’état- major, le général Ansumane Mané, s’oppose aux troupes loyalistes du président Joao Bernardo Nino Vieira. Dans les jours qui suivent, des centaines de personnes, civils et militaires, sont tuées et des milliers d’étrangers sont évacués. Le camp resté fidèle au président Vieira est appuyé par les troupes de la downloadModeText.vue.download 119 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 118 Guinée-Conakry et du Sénégal. Comme Conakry. Dakar veut éviter un nouveau foyer d’instabilité dans la région, et voit aussi le moyen de couper la base arrière des rebelles de la Casamance, des Dioulas qui vivent des deux côtés de la frontière. 10 Mexique Affrontements ou Chiapas. Une dizaine de personnes sont tuées au cours d’affrontements entre l’armée régulière et les forces de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Ces violences interviennent alors que l’évêque de San Cristobal a décidé de se démettre de ses fonctions de médiateur entre les rebelles zapatistes et les autorités de Mexico. 12 Érythrée/Éthiopie Hostilités ouvertes. Après plusieurs jours de harcèlements réciproques, les deux armées rentrent dans une phase de guerre ouverte. Le conflit porte sur la délimitation de la frontière entre les deux pays, qui n’a jamais été fixée de façon définitive depuis l’accession à l’indépendance de l’Érythrée, en 1993. L’Organisation de l’unité africaine (OUA), qui réunit son 34e sommet, ne parvient pas à ramener les responsables des deux gouvernements à la table des négociations. France Conférence sur la famille. Lionel Jospin annonce une relance de la politique de la famille passant par l’abandon de la suppression, décidée pourtant par son gouvernement en 1997, des allocations familiales aux familles les plus aisées, compensée par un abaissement du quotient familial : la réduction d’impôt sera plafonnée à 11 000 francs par demi-part contre 16 380 francs jusqu’alors. Ainsi, parmi les 630 000 familles les plus aisées, 230 000 seront gagnantes et 400 000 perdantes. En outre, les prestations seront versées à toutes les familles jusqu’à l’âge de vingt ans pour les enfants restant sous le toit familial et les familles les plus modestes recevront des avantages supplémentaires (amélioration de l’allocation logement, bonification de l’allocation de rentrée scolaire). Malgré des critiques émanant de sa propre majorité, où le reversement des allocations aux familles les plus aisées a été mal perçu, M. Jospin déclare qu’il ne s’agit que d’un « point de départ » et qu’il entend pousser plus loin la politique familiale de son gouvernement. France Expertise sur la dépouille d’Yves Montand. Le rapport d’expertise effectué sur la dépouille du chanteur, exhumée en mars, est formel : selon les tests pratiqués sur son ADN, Yves Montand ne saurait être le père d’Aurore Drossart, cette jeune femme qui prétend depuis plusieurs années être la fille du chanteur. Yougoslavie Pressions sur Belgrade. Alors que l’armée serbe intervient de plus en plus durement dans la province du Kosovo et que des centaines de Kosovars sont contraints de trouver refuge en Albanie ou au Monténégro, les pays occidentaux veulent obliger le président de la Fédération yougoslave, Slobodan Milosevic, à négocier avec les représentants de la population de cette région, en grande majorité d’origine albanaise. Après l’Union européenne, les États-Unis et le Canada décident de geler les avoirs yougoslaves et Washington interdit tout nouvel investissement américain en Serbie. Malgré l’opposition de la Russie, l’OTAN envisage des représailles armées et met sur pied des manoeuvres aériennes dans la région. 13 Voile Disparition d’Éric Tabarly. Le célèbre navigateur breton disparaît en mer au large des côtes du pays de Galles. Il avait soixantesix ans. Il se rendait en Irlande à bord de son fameux Pen-Duick I, dont il allait fêter le centenaire. Il a été projeté à l’eau au cours d’une manoeuvre nocturne. Ses équipiers n’ont pu venir à son secours. Officier de marine, il se fait connaître en 1964 en remportant la fameuse Transat anglaise en solitaire (Ostar). Dans les années qui suivent ce premier exploit, il gagne Sydney-Hobart, la Transpacifique, une deuxième downloadModeText.vue.download 120 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 119 Ostar et établit le record de l’Atlantique. Il contribue, de façon décisive, à populariser la voile en France et forme toute une génération de navigateurs, qui allaient s’illustrer à leur tout, tels Alain Colas, Olivier de Kersauson, Marc Pajot, Philippe Poupon ou Titouan Lamazou. Technicien de grande valeur, il met au point avec les ingénieurs et les architectes maritimes plusieurs formules qui contribuent à révolutionner la voile, comme le multicoque, l’utilisation de matériaux nouveaux ou la conception de l’Hydroptère, un bateau futuriste qui décolle en ne restant en contact avec l’eau que par ses foils. France Édouard Balladur et la « préférence nationale » L’ancien Premier ministre crée un remous important en déclarant qu’il souhaite la création d’une commission extraparlementaire sur le thème de la « préférence nationale », ouverte au Front national. Cette proposition met dans l’embarras la droite républicaine : Philippe Séguin et François Bayrou la condamnent fermement, tandis que Nicolas Sarkozy ou Alain Madelin comprennent, sans l’approuver, la démarche de M. Balladur. L’analyse de ce dernier se fonde sur le fait que, si la majorité des Français est hostile à un traitement social discriminatoire à l’égard des étrangers en situation régulière, un tiers de l’opinion, soit deux fois l’électorat du FN, s’y déclare explicitement favorable. La mort d’Éric Tabarly « Des marins comme Éric, il y en a un par siècle. » À l’image de cet hommage d’Olivier de Kersauson, la disparition du célèbre navigateur a provoqué une vive émotion dans toute la France. À soixantesix ans, Tabarly, en semi-retraite depuis cinq ans, était devenu un mythe, et pas seulement dans le monde de la voile. Pour Éric Tabarly, le fait de s’attacher était une incongruité qu’il n’imposait qu’à ses passagers. Pour lui, porter un gilet de sauvetage sur un bateau relevait de l’hérésie. C’est donc vêtu d’un simple ciré jaune que le plus fameux marin de France a disparu dans la nuit du 12 au 13 juin 1998, éjecté de Pen-Duick Premier par une mauvaise vague alors qu’il tentait de changer de voile. Et c’est grâce au célèbre pull-over marine marqué à sa griffe que l’on a, cinq semaines plus tard, identifié le corps repêché par le chalutier An Yvidig au large de l’Irlande. « La mer n’est pas méchante » Cette phrase avait été prononcée par sa veuve Jacqueline lors d’une cérémonie organisée dans la rade de Brest en présence du président Jacques Chirac, le 21 juin, après les dix jours de décence observés lors de toute disparition en mer. « La mer l’a pris, mais elle ne l’a pas volé. Elle n’a été pour lui que le moyen de retourner à la maison du Père [...]. Elle est la matrice dans laquelle il est revenu et vous ne retrouverez pas son corps », avait-elle alors prédit. Mais la mer n’a pas voulu garder celui qui lui avait dédié sa vie et c’est après de sordides comparaisons d’empreintes dentaires que l’hôpital irlandais de Waterford a, trois jours après la découverte du corps, officiellement identifié la dépouille d’Éric Tabarly. Pouvait-il disparaître autrement qu’à la barre d’un voilier ce légendaire navigateur, icône de marin au visage buriné, qui contribua à faire découvrir la course au large au public français ? Pouvait-il s’en aller à bord d’un autre bateau que Pen-Duick, son premier navire, qui ne sortait plus que rarement, celui qui fut à l’origine de sa vocation, celui sur lequel il tira son premier et dernier bord ? Une vocation précoce... C’est à sept ans que le petit Breton né à Nantes, élevé à La Trinité-sur-Mer, trimbalé de poupe en proue par un père passionné, décide de son destin. En manoeuvrant le quadragénaire Pen-Duick, le gamin déjà taciturne se forge un caractère en acier, une force morale et physique qui cimenteront ses succès futurs. Passionné par son bateau, le jeune homme lui dédit sa solde de jeune enseigne de vaisseau de l’Aéronavale et ses précieux moments de temps libre. Pour le conserver à flot, il s’engage même en Indochine, histoire de gagner quelques sous immédiatement engloutis dans l’entretien de son unique luxe. En bricolant son bateau, secondé par les frères Gilles et Marc Costantini avec qui il collaborera sur certaines de ses embarcations suivantes, Tabarly acquiert ce savoir-faire qui, autant que ses victoires, a contribué à sa notoriété dans le milieu de la voile. Mais les premières sorties de Pen-Duick en compétition sont des semi-échecs downloadModeText.vue.download 121 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 120 et la construction de nouvelles unités s’avère indispensable pour servir des ambitions sportives. C’est Pen-Duick II qui consacre le talent de Tabarly en 1964. Dans la Transat anglaise en solitaire, le Français, inconnu parmi les géants anglo-saxons de la voile, devance sir Francis Chichester dans la rade de Newport sans connaître sa position dans la course. Cette arrivée qui lança sa légende était l’un des meilleurs souvenirs du marin au verbe rare : « Les gens du bateau-feu, au large de Newport, sont venus à ma rencontre. Ils m’ont dit que j’étais premier, mais comme mon anglais était très mauvais, je n’étais pas bien sûr de tout comprendre. » ... qui en suscita bien d’autres En 1976, sa seconde et magistrale victoire dans l’épreuve confirme son étonnante popularité. Son bateau Pen-Duick IV, conçu pour être dirigé par dix hommes, franchit la ligne alors qu’on le croyait disparu. « Cette victoire, dira-t-il, c’est celle dont je suis le plus fier ». Quatre ans plus tard, le Breton réussira l’un de ses derniers grands faits d’armes en battant le record de la traversée de l’Atlantique vieux de soixante-quinze ans, en 10 jours, 5 heures, 14 minutes et 20 secondes. Entre son avènement et l’apogée de sa carrière, et avant de connaître quelques déboires – abandon dans la Route du rhum 1986, chavirement dans La Baule-Dakar 1987, échecs répétés dans la Whitbread –, Éric Tabarly n’a pas seulement accumulé les exploits sportifs. Il a aussi largement contribué à faire progresser l’architecture navale, lançant par exemple la vogue des multicoques, et a surtout formé une grande partie de cette génération de marins qui fait désormais la réputation de la voile tricolore. « La pédagogie et moi, ça fait deux » aimait à ronchonner le « taiseux » dont la liste des hommes d’équipage est pourtant un véritable « Who’s who » de la voile : Olivier de Kersauson, Titouan Lamazou, Marc Pajot, Philippe Poupon, Alain Colas – disparu en mer a bord de Pen-Duick IV rebaptisé Manureva. Tous ont hissé des voiles pour lui et se souviennent avec émotion et respect de leur temps de moussaillon. « Il aimait dire qu’il n’était pas pour grand-chose dans les succès de ses anciens élèves », expliquait à l’Équipe Magazine Titouan Lamazou, vainqueur du Vendée Globe Challenge en 1990. « Je peux dire pour moi qu’il n’y était effectivement pas pour grand-chose : il y était pour tout. » Depuis 1993, Tabarly s’était retiré à Bénodet, dans le Finistère. En 1997, il était sorti de son silence pour publier ses Mémoires du large et remporter, douze ans après sa dernière victoire, la Route du café, avec Yves Parlier. Économe de ses apparitions, il ne sortait plus en mer que pour son plaisir. Comme ce 12 juin 1998, où il barrait Pen-Duick Premier vers un rassemblement de vieux gréements au pays de Galles. FRANÇOISE CHAPTAL La dynastie des Pen-Duick Pen-Duick Premier : le bateau historique, cotre bâti en 1898 et racheté par Guy Tabarly en 1938. Première et dernière embarcation d’Éric Tabarly. Pen-Duick II : ketch construit en 1964 par Cilles Costantini. Vainqueur de la Transat en solitaire en 1964. Pen-Duick III : goélette construite en 1967 par Tabarly lui-même. Vainqueur du Fastnet et de Sydney-Hobart en 1967. Pen-Duick IV : trimaran-ketch construit en 1968 en collaboration avec André Allègre. Vainqueur de la Transat 1972 sous le nom de Manureva, barré par Alain Colas. L’homme et le bateau ont disparu dans la Route du rhum 1978. Pen-Duick V : sloop construit en 1969 par Michel Bigoin et Daniel Duvergie. Vainqueur de la Transpacifique 1969. Pen-Duick VI : ketch construit en 1973 par André Mauric. Vainqueur de la Transat 1976. 15 France Baisse du taux de rémunération du Livret A. La rémunération du Livret A, du Livret bleu et du Codevi passe de 3,5 % à 3 %, celle des comptes épargne-logement (CEL) de 2,25 % à 2 % et celle des plans épargne-logement (PEL) de 4,25 % à 4 %. Alors que l’inflation ne dépasse plus guère 1 % par an, les banquiers réclamaient cette baisse depuis longtemps, estimant qu’une trop forte rémunération de l’épargne populaire ne se justifiait plus et qu’elle concurrençait leurs propres produits d’épargne. En garantissant que les épargnants les plus modestes downloadModeText.vue.download 122 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 121 (ceux qui cotisent aux Livrets d’épargne populaire, dont le taux reste inchangé à 4,75 %) ne seront pas touchés, le gouvernement tente de faire passer cette mesure impopulaire, surtout lorsqu’elle émane d’une majorité de gauche. Justice Vers la création d’une Cour criminelle internationale. Sous la présidence de Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, les délégués d’une centaine de pays se réunissent à Rome pour discuter des bases d’un tribunal permanent destiné à juger les auteurs de crimes contre l’humanité, de guerre ou de génocide. Même si la plupart des participants s’accordent sur le principe de la mise sur pied de la CCI, les oppositions demeurent fortes, notamment sur le degré d’indépendance du tribunal vis-à-vis des États. Les États-Unis et la France sont partisans de subordonner son action à l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU ; certains suggèrent même de conditionner sa compétence, au cas par cas, à l’acceptation préalable par les pays dont les ressortissants sont en cause. Les obstacles demeurent donc très importants sur la voie de la création d’une Cour criminelle internationale. 16 France Rapport sur les drogues. Une commission, composée d’experts français et étrangers et dirigée par le professeur Bernard Roques, remet un rapport sur les drogues à Bernard Kouchner, secrétaire d’État à la Santé. Ce rapport insiste sur la dangerosité des différents produits et remet en cause la distinction entre drogues licites et drogues illicites. Il classe les substances toxiques selon leur dangerosité physique, psychique et sociale : dans la première catégorie, on trouve l’héroïne et la cocaïne, mais aussi l’alcool ; dans la seconde, les psychostimulants, les hallucinogènes, les benzodiazépines et le tabac ; dans la troisième, celle des drogues les moins dangereuses, le cannabis. Ce rapport, s’il ne conclut pas à la distinction entre drogues « dures » et drogues « douces », intervient à un moment où la polémique sur ce thème a repris fortement dans l’opinion et dans la classe politique. France Verdict dans le procès de l’affaire Yann Piat. Lucien Ferri, vingt-six ans, qui avait reconnu les faits, est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir tiré, en février 1994, sur la députée du Var. Gérard Finale, cinquante-trois ans, patron du bar le Macama, écope de la même peine. Alors qu’il a toujours nié, il lui était reproché d’être le commanditaire de l’assassinat ; après la mort de Jean-Louis Fargette, parrain du milieu du Var, il aspirait à devenir, à son tour, le chef de la pègre locale, et craignait que Yann Piat, par sa campagne contre la corruption, mette un frein à ses ambitions. Il avait donc, selon des témoignages convergents, poussé une bande de petits malfrats, habitués de son établissement, à abattre Mme Piat, alors en pleine campagne pour l’élection à la mairie de Hyères. Les autres protagonistes de l’affaire sont condamnés à des peines allant de vingt ans de prison à l’acquittement. Ce procès, qui aura duré six semaines et vu défiler 160 témoins, a laissé cependant d’importantes zones d’ombre, relatives notamment aux liens de toute évidence ambigus entre la classe politique locale et le milieu. 18 France Lo parité homme/femme constitutionnalisée. Le Conseil des ministres entérine une proposition de réforme constitutionnelle stipulant que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions politiques ». L’adoption définitive de cette disposition permettra qu’ensuite des lois soient adoptées pour organiser dans les faits cette parité entre les sexes. Le gouvernement s’est assuré préalablement du soutien de Jacques Chirac, réticent au départ, mais qui a compris que, politiquement, refuser une telle réforme, populaire dans l’opinion, serait préjudiciable pour lui. France Vote d’une loi sur la chasse. Malgré l’abstention du gouvernement et l’opposition résolue de Dominique Voynet, ministre de l’EnvironnedownloadModeText.vue.download 123 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 122 ment, et de certains élus de gauche, députés et sénateurs, droite et gauche confondues, votent une loi, contraire à une directive européenne, prolongeant les périodes de chasse aux oiseaux migrateurs et au gibier d’eau. L’adoption de cette proposition de loi émanant du Sénat démontre une nouvelle fois le poids politique des chasseurs, qui, s’ils ne représentent que 3 % de la population, exercent une pression très forte dans les circonscriptions à dominante rurale. Sciences Avancées dans la lutte contre le sida. Les deux prestigieuses revues scientifiques internationales Nature et Science, font état des résultats des recherches de deux équipes de chercheurs américains, l’une de Boston, l’autre de New York, qui sont parvenus à isoler les voies d’accès du virus du sida dans les cellules sanguines. Cette découverte devrait permettre des avancées réellement significatives dans les thérapies médicamenteuses de la maladie et faciliter la mise au point, à terme, d’un vaccin. 19 République tchèque Difficile victoire des sociauxdémocrates. Le Parti social-démocrate (CSSD) de Milos Zeman arrive en tête aux élections législatives avec 32,3 % des suffrages et 74 sièges sur 200 à l’Assemblée nationale. Il devance le Parti démocratique civique (ODS, droite) de l’ancien Premier ministre Vaclav Klaus (27,7 % des voix et 63 sièges), le Parti communiste (KSCM, 11 % et 25 sièges), l’Union chrétienne-démocrate (KDU, 9 % et 20 sièges) et l’Union de la liberté (US, centre droit, 8,6 % et 19 sièges). Le président Vaclav Havel charge M. Zeman de constituer le nouveau gouvernement, mais, face à un tel éparpillement des suffrages, la tâche s’annonce difficile. 21 Colombie Victoire du conservateur Andrès Pastrana. Le candidat de la droite est élu président au second tour avec 50,43 % des voix. Il l’emporte sur son concurrent libéral Horacio Serpa, handicapé par le fait qu’il avait été le principal collaborateur du président sortant. Ernesto Samper. Celui-ci ne s’était jamais remis de la divulgation de ses liens avec le cartel de la drogue, qui avait financé sa campagne électorale. Âgé de quarante-quatre ans, M. Pastrana est diplômé de Harvard et fils d’un ancien président de la République, de 1970 à 1974. Il a axé l’essentiel de sa campagne sur la lutte contre la corruption, mais sa tâche principale, à court terme, est de ramener la paix dans le pays, en ouvrant des pourparlers avec les groupes armés de guérilla. Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) s’étaient prononcées en sa faveur. France Violences au Mondial. Alors que des incidents avaient opposé à Marseille des hooligans anglais aux forces de l’ordre, un gendarme est très grièvement blessé, à la suite d’une agression de hooligans allemands venus à Lens à l’occasion d’un match de leur équipe nationale de football. Deux des agresseurs du gendarme, laissé entre la vie et la mort, sont interpellés. Il s’agit de jeunes déjà arrêtés pour violence dans leur pays, mais dont on ne peut prouver l’appartenance à la mouvance d’extrême droite, qui, de toute évidence, agit derrière le noyau des hooligans allemands les plus déterminés. En Allemagne, l’émotion est intense, et plusieurs quêtes sont organisées pour venir en aide à la famille du gendarme français agressé. Iran Diplomatie du football. Profilant de la rencontre entre l’Iran et les États-Unis à l’occasion de la Coupe du monde, les autorités de Washington réaffirment leur souhait de reprendre avec Téhéran des relations normales. Alors que les Iraniens se réjouissent de la victoire de leur équipe, le président de la République, Mohamad Khatami, entre à nouveau en conflit avec les milieux conservateurs de la classe politique : à l’éviction par le Parlement du ministre de l’Intérieur, Abdollah Nouri, connu pour ses opinions libérales, il rétorque en nommant immédiatement ce dernier au poste de vice-président de la République, chargé du développement ci des affaires sociales. Israël Création d’un « Grand Jérusalem ». Malgré les condamnations américaine, européenne et arabe, le gouvernement israélien approuve le plan downloadModeText.vue.download 124 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 123 présenté par le Premier ministre Benyamin Netanyahou visant à la création d’une entité administrative regroupant la partie juive et la partie arabe de la ville. Cette structure entérine la création des multiples colonies juives dans les zones palestiniennes et en favorisera la création de nouvelles, celles-ci n’étant plus astreintes des demandes d’autorisations auprès de plusieurs autorités. Si, dans son ensemble, la presse critique cette mesure, qui contribue encore un peu plus à geler le processus de paix, la classe politique, même l’opposition, est unanime à approuver une initiative largement populaire dans l’opinion. Togo Réélection contestée du général Gnassingbé Eyadéma. Le président sortant (en place depuis 1967) est réélu avec 52,13 % des voix contre 34,6 % à son principal concurrent, Gilchrist Olympio, candidat de l’Union des forces du changement et fils du premier président togolais, assassiné lors du coup d’État de 1963 auquel participa le jeune sergent-chef Eyadéma. Alors que la présidente de la Commission électorale nationale démissionnait de son poste pour protester contre les entraves dont elle s’estimait victime, les observateurs internationaux faisaient savoir que le scrutin ne leur semblait pas s’être déroulé de façon satisfaisante. De violentes manifestations de protestation se produisent dans la capitale et en province. 22 France Condamnation de colleurs d’affiches du Front national. Robert Lagier, reconnu coupable d’avoir tué d’une balle dans le dos, en février 1995, un jeune homme d’origine comorienne, Ibrahim Ali, alors que celuici rentrait d’une séance de répétition musicale, est condamné à quinze ans de réclusion criminelle. M. Lagier et ses deux coaccusés (condamnés à dix ans et deux ans de prison), qui collaient des affiches du Front national au moment des faits, avaient plaidé la légitime défense, mais le ministère public a souligné que rien dans le comportement des jeunes, menacés par les prévenus, ne justifiait une telle réaction. Bruno Mégret, no 2 du Front national, était venu témoigner au procès pour soutenir ses militants. 24 France Démission du président d’EDF. Edmond Alphandéry, ancien ministre de l’Économie, en conflit ouvert avec son directeur général Pierre Daurès, également démissionnaire, quitte son poste à la tête de l’entreprise publique. Il est remplacé par François Roussely, directeur du cabinet du ministre de la Défense. Certains s’interrogent sur l’opportunité de nommer à un tel poste un haut fonctionnaire politique et non un industriel confirmé, alors que le marché de l’électricité doit s’ouvrir à la concurrence au début de 1999. 25 Algérie Assassinat d’un chanteur kabyle. Lounès Matoub, quarante-deux ans, grande figure de la culture populaire kabyle, est abattu près de son village, dans la région de Tizi Ouzou, par des tueurs appartenant au GIA (Groupe islamiste armé). Déjà victime d’un attentat en 1988, il avait été enlevé en 1994 lors d’un rapt attribué au GIA, puis avait été libéré à la suite d’un mouvement populaire en sa faveur. Étonnés d’une telle libération, certains avaient même accusé Lounès Matoub d’avoir organisé lui-même son enlèvement. Grand pourfendeur de l’intégrisme islamiste dans ses chansons et militant de la cause berbère, il était, en tout état de cause, une figure particulièrement exposée. Depuis quelques années, il vivait principalement en France. Sa mort intervient alors que le gouvernement d’Alger impose une loi sur l’arabisation, qui proscrit aussi bien l’usage du français que de la langue berbère, le tamazight. Chine/États-Unis Voyage officiel de Bill Clinton. Neuf ans après la répression sanglante de la place Tian’anmen, le président américain entame un voyage de neuf jours dans le pays le plus peuplé du monde. Même s’il s’est engagé à évoquer la question des droits de l’homme, il espère accroître les downloadModeText.vue.download 125 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 124 échanges économiques entre les deux nations et convaincre les autorités de Pékin de ne pas dévaluer le yuan, ce qui aurait pour effet d’aggraver la crise financière en Asie. Les autorités chinoises, pour leur part, escomptent de ce voyage un retour définitif de leur pays sur la scène internationale après la répression sanglante de 1989, et un relâchement des liens entre Washington et Taïwan. De fait, M. Clinton évoque devant les Chinois les événements de 1989 et la question du Tibet, ce qui n’empêche pas le voyage d’être un succès pour les deux parties. Grande-Bretagne Les modérés l’emportent en Ulster. Les partisans des accords de paix remportent 75 % des voix lors des élections aux institutions semiautonomes prévues par les accords du 10 avril. Les radicaux protestants, opposés à tout relâchement des liens avec la Grande-Bretagne, n’obtiennent que 30 sièges sur un total de 108, ce qui les prive de la minorité de blocage. Le protestant modéré David Trimble est ensuite élu Premier ministre d’Ulster. 26 France/Afrique du Sud Jacques Chirac rencontre Nelson Mandela. Pour le président sud-africain, le voyage de J. Chirac, deuxième étape de la tournée du président français en Afrique australe, ne constitue pas « un nouveau départ », mais est plutôt « la continuité d’un processus ». Les deux chefs d’État signent quatre accords de coopération dans les domaines maritime, policier, douanier et sportif. Les deux hommes évitent les sujets désagréables, comme la politique de la France, toujours soupçonnée de comportement paternaliste, notamment lors de la crise des Grands Lacs ou la guerre dans l’ex-Zaïre. Tunisie Grève de la faim. Khémal Ksila, vice-président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme entame une grève de la faim pour protester contre « les mauvaises conditions » de sa détention. Il avait été condamné en février à trois ans de prison ferme par un tribunal de Tunis pour « propagation de nouvelles de nature à troubler l’ordre public » et « incitation des citoyens à transgresser les lois ». France Attaque contre les chasseurs. Les associations de protection de la nature de la fé- dération France nature environnement (FNE) lancent une contre-attaque pour faire échec à la loi sur les dates d’ouverture de la chasse, contraire au droit européen. Une lettre est envoyée à Dominique Voynet, ministre de l’Environnement, pour lui demander de signer un arrêté d’ouverture de la chasse aux oiseaux migrateurs et aux oiseaux d’eau au 1er septembre, conformément à la directive européenne. Ce qui revient à ignorer la loi votée une semaine auparavant. Une centaine d’autres lettres sont expédiées aux préfets pour qu’ils prennent un arrêté départemental sur la date de fermeture de la chasse au 31 janvier, toujours selon la législation européenne, et non sur la nouvelle loi qui, elle, fixe la date au 28 février. Parallèlement, France nature environnement annonce qu’elle porte plainte devant l’Union européenne. Maroc Exil confirmé pour Serfaty. Abraham Serfaty, le plus célèbre des opposants marocains, exilé en France, ne peut toujours pas rentrer dans son pays. La Cour suprême marocaine, qui devait se prononcer sur la demande d’annulation d’un arrêté d’expulsion contre M. Serfaty, a repoussé sa décision au 16 juillet. Elle sera finalement négative. Japon Mariage de raison dans la banque. La direction de la LTCB (Long Term Crédit Bank) annonce sa fusion avec un autre établissement bancaire, le Sumitomo Trust. Dixième plus grande banque du Japon, mais littéralement moribonde, la LTCB avait subi de violentes attaques à la Bourse de Tokyo. Le nouvel ensemble sera le premier à se faire racheter ses encours douteux par la banque relais publique que le gouvernement entend mettre sur pied pour assainir un secteur plombé par de mauvaises créances. La LTCB totalise près de 1 200 milliards de francs d’actifs et emploie 3 600 salariés pour un réseau de 41 succursales. Sa création, qui remonte au lendemain de la Seconde Guerre mondownloadModeText.vue.download 126 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 125 diale, répondait alors aux besoins énormes suscités par la reconstruction. Arabie saoudite Des doutes au sujet de l’Opep. Le plus puissant membre de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) émet publiquement des doutes sur la survie d’un cartel « démodé dans ses méthodes ». La formule traduit l’agacement des Saoudiens à l’égard des fauteurs de troubles, comme le Venezuela et l’Iran qui persistent à ignorer les quotas de production sur lesquels ils se sont pourtant engagés. Une attitude qui ne fait qu’aggraver le surplus de pétrole sur les marches et contribue, par conséquent, à la chute des prix. Ryad envisage la création d’une nouvelle alliance de pays exportateurs capable d’influencer davantage les cours du baril. Évoquant la naissance d’un tel organisme, le ministre saoudien du pétrole a ajouté que l’Opep pouvait « patauger pendant quelques mois... ». Réelles intentions ou effet d’annonces ? La majorité des experts pétroliers s’accordent sur le fait que, en dépit de nombreuses imperfections, l’Opep est, à court terme, irremplaçable. Toujours selon eux, si un nouvel organisme devait voir le jour, il s’agirait d’une Opep bis. 27 Turquie Séisme meurtrier. Les villes d’Adana et de Ceyhan, au sud de la Turquie, sont touchées par un violent tremblement de terre de magnitude 6,3 sur l’échelle de Richter. On compte plus d’une centaine de morts et quelque 1 500 blessés. Le président Suleyman Demirel et le Premier ministre Mesut Yilmaz se rendent le lendemain dans la zone sinistrée, assurant la population que « l’État saura panser, par tous ses moyens, les blessures des victimes de la catastrophe ». France Le FN indésirable dans les lycées du Nord-Pas-de-Calais. Le conseil régional Nord-Pas-de-Calais refuse l’entrée de représentants du Front national dans les conseils d’administration des lycées. L’assemblée, forte d’une majorité plurielle, à laquelle se rallie Lutte ouvrière pour la première fois, s’oppose au principe d’un vote à la proportionnelle intégrale. Ce mode de scrutin aurait attribué des postes aux représentants frontistes. Le FN et la droite ne prennent pas part au vote. France Fête de l’Alliance. La fête départementale de l’Alliance pour la France – confédération regroupant le RPR, démocratie libérale et l’UDF – se déroule dans une ambiance morose à Port-Marly, dans les Yvelines. Les cinq principaux lea- ders de la droite, Philippe Séguin, François Léotard. Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Alain Madelin se succèdent à la tribune devant quelque 2 500 militants en s’essayant à l’offensive. Sans grand succès. Il est vrai que l’Alliance cherche ses marques et que les personnalités les plus en vue ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les modalités de l’élection du futur président de l’intergroupe à l’Assemblée nationale. Le mot de la fin est revenu à François Bayrou : « Pour que l’Alliance soit forte, il faut que chacun des mouvements qui la compose soit fort ». Les militants des diverses formations de l’opposition n’ont pas paru convaincus. 28 France Disparition de Jacques Pilhan. Ancien conseiller en communication de François Mitterrand à l’Élysée, devenu celui de Jacques Chirac, J. Pilhan s’éteint à l’âge de cinquante quatre ans des suites d’un cancer. Après avoir été le « communicant » du président socialiste pendant onze ans, de 1984 à 1995, M. Pilhan rejoint M. Chirac au lendemain de l’élection présidentielle de mai 1995. Omniprésent à l’Élysée lors des deux premières années de la présidence de M. Chirac, M. Pilhan se fait plus rare au lendemain de la dissolution catastrophique pour la droite de l’Assemblée nationale en avril 1997, en raison, notamment, de son état de santé. Peu apprécié par nombre de gaullistes, l’homme n’en est pas moins brillant. Bachelier à quinze ans, il devient directeur des stratégies à l’agence de publicité RSCG en 1970. Il crée, cinq ans plus tard, sa propre société de communication, Temps Public, comptant de nombreuses personnalités parmi ses clients. En 1981, il est aux côtés de Séguéla avec lequel il participe à la mise en route de la campagne du candidat socialiste, contribuant à l’élaboration du slogan « la force tranquille ». Parallèlement, il assume les fonctions de downloadModeText.vue.download 127 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 126 directeur général adjoint de Havas, de 1991 à janvier 1993. TPI Suicide dans la prison du Tribunal pénal international L’ancien maire de Vukovar, le Serbe Dokmanovic se donne la mort dans la prison modèle de Sche- veningue, au nord de La Haye. Accusé de crime de guerre, il avait été arrêté en juin 1997 en Slavonie orientale par des responsables des Nations unies qui ont administré jusqu’en janvier cette région de Croatie ôtée en 1991 à la tutelle de Zagreb par des rebelles serbes appuyés par l’ex-armée yougoslave. Tout au long de son procès devant le Tribunal pénal international (TPI), M. Dokmanovic a nié avoir supervisé le massacre de 200 Croates à l’hôpital de Vukovar lors de la chute de la ville en novembre 1991. Portugal Victoire du « non » à l’IVG. Les Portugais rejettent la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse par 50,9 % des voix contre 49,1 %. Le projet de réforme, présenté par les Jeunesses socialistes, était censé mettre fin à une loi qui n’autorise l’IVG qu’en cas de viol, de malformation du foetus ou lorsque la vie de la future mère est en danger. Selon la Constitution le résultat n’a pas de valeur juridique dans la mesure où le nombre des votants n’a pas dépassé 50 % des inscrits (le taux d’abstention est de 68 %). Quoi qu’il en soit, le groupe socialiste a choisi de ne pas représenter ce projet de loi. Il est vrai que le Parti socialiste doit faire face à l’opposition du Premier ministre Antonio Guterres, catholique pratiquant et partisan du maintien de l’actuelle législation. 29 Russie Menace de dévaluation. Afin de convaincre les députés d’adopter rapidement un programme anticrise qu’ils doivent examiner le lendemain, le ministre des Finances Mikhaïl Zadornov agite le spectre d’une dévaluation du rouble. Selon lui, une dévaluation est inévitable si la collecte des impôts, une faiblesse chronique de l’économie russe, n’augmente pas dans les prochains. Jusqu’à présent, seuls les économistes passant pour les plus pessimistes, évoquaient la possibilité d’une dévaluation de la monnaie. De son côté, le Premier ministre Sergueï Kirienko fait appel au civisme des parlementaires affirmant une nouvelle fois que, si le plan n’est pas « mis en oeuvre dans les plus brefs délais, alors la sécurité et l’intégrité de l’État seraient menacées ». Ce plan prévoit une réduction des dépenses d’environ 40 milliards de francs et une augmentation des recettes de prés de 20 milliards de francs. Fédération yougoslave Pression serbe au Kosovo. Les forces serbes redoublent d’efforts pour reprendre les mines à ciel ouvert de Belacevac, tombées aux mains de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) une semaine plus tôt. Ce gisement situé à une dizaine de kilomètres du chef-lieu du Kosovo, Pristina, alimente la centrale thermique d’Obilic, unique source d’électricité de la province, qui exporte également vers le Grèce et la Macédoine. Selon l’agence Reuter, des forces de l’armée yougoslave prennent part à l’opération. L’UCK est persuadée qu’elle peut arracher militairement l’indépendance du Kosovo, alors que les experts de l’OTAN pensent qu’elle ne pourrait pas résister à une vraie offensive serbe. Israël Tension entre le chef de l’État et le Premier ministre. Ezer Weizman, rompant avec le rôle honorifique de ses prédécesseurs, prend publiquement position sur la politique du gouvernement conduite par Benyamin Netanyahou. En effet, il déclare dans une interview à la première chaîne publique que « le processus de paix est boiteux. Il ne progresse pas. Il n’y a pas de contacts avec les Palestiniens et les Américains. Si le Premier ministre n’organise pas de référendum, il doit provoquer des élections anticipées. Le plus tôt sera le mieux. » Le chef de l’État estime avoir été trompé par son Premier ministre. Ce dernier se serait servi de lui pour abuser la communauté internationale. À sa demande, M. Weizman a tenté de convaincre les partenaires occidentaux ou arabes d’Israël de l’immence d’un retrait militaire en Cisjordanie. Un mouvement qui était présenté comme l’affaire de semaines, voire de jours. De son côté, M. Netanyhou se garde bien de polémiquer, car il n’ignore pas que le chef de l’État est l’un des hommes politiques israéliens les plus populaires. Aussi, le Premier ministre s’est-il contenté downloadModeText.vue.download 128 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 127 de rappeler que les élections auront lieu à la date prévue, soit en l’an 2000. Espagne Rupture entre les socialistes basques et les nationalistes du PNV Les socialistes annoncent qu’ils retirent leur soutien au Parti nationaliste basque (PNV), mettant fin à une coalition qui dirige la région depuis douze ans. Les trois « ministres » socialistes reprochent au PNV un rapprochement trop appuyé en direction de Herri Batasuna (HB), branche politique de l’ETA. Un rapprochement qui serait une ébauche de « front nationaliste » de nature à bouleverser la donne politique locale, avec, en toile de fond, des spéculations sur un espoir de paix. Il est vrai que le PNV et HB ont uni leurs voix au Parlement autonome contre un amendement socialiste qui prévoyait d’obliger les députés basques à prêter serment sur la Constitution espagnole à chaque début de législature. Par ailleurs, le PNV entretient depuis le début de l’année des contacts discrets avec HB pour explorer une solution de paix sur le mode irlandais. Les socialistes reprochent, in fine, au PNV de s’auto-exclure du front des partis démocratiques qui refusent le dialogue tant que Herri Batasuna ne condamnera pas les attentats de l’ETA. 30 États-Unis/Irak Bombardement américain en Irak. Un avion de chasse de l’US Air Force détruit une batterie de missiles anti-aériens dans le sud de l’Irak. Selon les autorités américaines, le F-16 a ouvert le feu pour protéger quatre appareils britanniques « accrochés » par un radar irakien, alors qu’ils patrouillaient dans la zone d’exclusion aérienne décrétée par l’ONU. De son côté, le gouvernement irakien, par l’intermédiaire de son porte-parole, confirmant l’incident, dénonce les « velléités agressives des États-Unis ». Union européenne Installation officielle de la Banque centrale à Francfort. La cérémonie, organisée dans l’opéra de la ville, réunit le ban et l’arrière-ban des gouvernements, des banques centrales de l’Union européenne et de la Commission. On remarque toutefois la faible représentation de la France. Ni Lionel Jospin ni Jacques Chirac n’ayant fait le déplacement, c’est Dominique Strauss-Kahn qui représente la France. De même, les « pères » français de l’euro, tels Raymond Barre ou Valéry Giscard d’Estaing ont brillé par leur absence. Parmi les six discours officiels, – Wim Duisenberg, président de la BCE, Tony Blair, José Maria Gil-Robles, président du Parlement européen, Jacques Santer, président de la Commission, Helmut Kohl, chancelier de la République allemande, et Viktor Klima, chancelier de l’Autriche – on retiendra à coup sûr ceux de Tony Blair et d’Helmut Kohl. Le Premier ministre britannique s’est livré à un vibrant plaidoyer en faveur de la monnaie unique, regrettant que son gouvernement soit obligé de gérer une situation léguée par ses prédécesseurs conservateurs. Prêt à tout pour que son pays accompagne l’aventure, il déclare : « Nous nous sommes engagés à fond dans la préparation pratique de l’euro pour le 1er janvier prochain. Les entreprises britanniques pourront librement utiliser l’euro. » Et d’ajouter : « Nous croyons, en principe, qu’une participation britannique à une monnaie unique qui réussit sera bénéfique pour la Grande-Bretagne et pour l’Europe. » Quant au chancelier allemand, son intervention aura ressemblé à un testament politique, celui que tous les sondages donnent battu aux élections législatives du 27 septembre a justifié son engagement européen, comme s’il craignait que les électeurs lui en tiennent rigueur. France Le Crédit foncier cherche repreneur. Le secrétaire d’État au Budget, Christian Sauter, défend devant l’Assemblée nationale le projet de reprise du Crédit foncier de France par le consortium associant l’Américain GMAC (filiale de General Motors), les Caisses d’épargne et le Crédit commercial de France. Selon lui, « le Foncier deviendrait la tête d’un réseau européen, donc élargirait considérablement son champ d’activités, et il étendrait les prêts hypothécaires qui sont moins développés dans notre pays que dans d’autres. » En revanche, les syndicats maison restent farouchement opposés à cette offre. downloadModeText.vue.download 129 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 128 JUILLET 1 France Retrait du projet de réforme du mode de scrutin européen. Lionel Jospin annonce qu’il retire le projet du gouvernement sur la réforme du mode de scrutin pour les élections européennes. Le Premier ministre n’a pu que constater qu’il ne pourrait faire adopter ce texte face à l’opposition conjuguée des communistes, des Verts, du RPR et de la majorité de l’UDF. Le projet, qui avait l’accord de Jacques Chirac, consistait à maintenir le scrutin proportionnel, mais à l’intérieur de huit grandes circonscriptions régionales au lieu d’une seule circonscription nationale. La réforme visait à rapprocher les élus européens de leurs électeurs et à ancrer ainsi davantage l’idée européenne dans l’opinion. Elle avait aussi pour objet de masquer les divi- sions des différents partis sur la question européenne en les forçant à s’allier au plan local, de favoriser, à gauche, le leadership du PS et, à droite, de M. Chirac, qui aurait évité ainsi de voir ses concurrents à la tête de l’opposition se mettre en avant. République démocratique du Congo Libération du principal opposant. Assigné à résidence dans son village natal, Étienne Tshisekedi est autorisé à regagner la capitale, Kinshasa. Cette libération intervient au lendemain de la publication d’un rapport de l’ONU accusant LaurentDésiré Kabila et ses alliés rwandais de « crimes contre l’humanité » commis, au cours de la guerre civile de 1997, à rencontre des réfugiés hutus du Rwanda, dans l’ex-Zaïre. 2 France Création d’une commission de recours pour les sans-papiers. Le gouvernement annonce la création d’une commission administrative, composée de hauts magistrats et de hauts fonctionnaires préfectoraux, chargée d’examiner les recours présentés par les déboutés de l’opération de régularisation des étrangers en situation irrégulière, lancée par le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement. Plus de 70 000 personnes ont d’ores et déjà bénéficié d’une régularisation ; un nombre équivalent, en majorité des célibataires, a été rejeté. Défendus par les organisations humanitaires et par un certain nombre d’intellectuels, les déboutés réclament une application plus cohérente des critères posés par le ministre de l’Intérieur. (chrono. 16/07) Japon Annonce d’un grand plan d’apurement financier. Le gouvernement de Ryutaro Hashimoto s’engage dans l’apurement des créances douteuses (chiffrées à 550 milliards de dollars) pesant sur les banques nippones. L’opération devrait durer entre deux et cinq ans. Un établissement public sera créé pour coordonner la reprise en mains de tous les établissements financiers défaillants par des « banques relais », dépendant également de l’État. Le plan prévoit aussi un allégement de l’impôt sur le revenu et une réforme de la fiscalité sur les entreprises, propre à favoriser la consommation et l’investissement. (chrono. 13/07) 5 Algérie Entrée en vigueur de la loi sur l’arabisation. Choisissant la date anniversaire de l’indépendance du pays, le gouvernement met en application la loi, votée en 1996, généralisant l’usage de la langue arabe. Désormais toutes les institutions, publiques ou privées, devront rédiger l’ensemble de leurs documents en arabe littéraire, une langue que n’utilise pas la majorité de la population, qui s’exprime soit en arabe local, soit en kabyle, soit en français. Cette loi, conçue pour donner satisfaction à la fraction des islamistes modérés qui collaborent avec le gouvernement, indigne une partie de l’opinion, notamment en Kabylie et dans les milieux démocrates. Grande-Bretagne Tensions en Ulster. La traditionnelle marche des protestants orangistes de Portadown est arrêtée par les autorités à l’entrée downloadModeText.vue.download 130 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 129 de la partie catholique du parcours. Depuis des années, les catholiques d’Ulster vivaient comme une provocation cette marche destinée à fêter la défaite des papistes face aux troupes de Guillaume d’Orange, à la fin du XVIIe siècle. Les activistes protestants s’indignent de cette interdiction, décidée dans la logique des accords de paix du mois d’avril, et multiplient les incidents. Londres dépêche 800 hommes de troupe supplémentaires dans la province. (chrono. 12/07) Tennis Pete Sampras et Jana Novotna vainqueurs à Wimbledon. L’Américain remporte son cinquième titre sur le gazon anglais au détriment du Croate Goran Ivanisevic, tandis que la Tchèque gagne son premier titre du grand chelem en battant Nathalie Tauziat, première finaliste française à Wimbledon depuis Suzanne Lenglen, en 1925. 6 France Plan pour le contrôle des dépenses de santé. Pour lutter contre une hausse trop forte des dépenses de santé constatée au cours des six derniers mois, Martine Aubry, ministre des Affaires sociales, annonce un plan visant particulièrement les laboratoires pharmaceutiques et les radiologues. Ces derniers sont invités à proposer, dans les quinze jours, des solutions, tandis que sera favorisée l’utilisation des médicaments génériques (remèdes moins chers dont le brevet est tombé dans le domaine public), à terme, le gouvernement entend engager de larges négociations avec les professions médicales pour aboutir à une réforme globale plus opérationnelle que celle proposée par le plan Juppé. France Réforme constitutionnelle pour la Nouvelle-Calédonie. Réunis à Versailles, les parlementaires votent par 827 voix contre 31 et 27 abstentions une réforme de la Constitution permettant de mettre en application les accords sur la Nouvelle-Calédonie du 5 mai. Cette réforme, qui définit le corps électoral appelé à voter dans l’île (les personnes présentes sur le territoire en 1988 et leurs descendants) et prévoit une loi organique sur les transferts de compétence de l’État français à l’autorité locale, donne une force supplémentaire aux accords passés entre les représentants des communautés kanak et caldoche et le gouvernement. 7 Italie Condamnation de Silvio Berlusconi. L’ancien Premier ministre et homme d’affaires est condamné à deux ans et neuf mois de prison pour corruption. Il lui est reproché d’avoir « acheté » trois hauts fonctionnaires de la brigade fiscale. M. Berlusconi fait aussitôt appel, ce qui le soustrait à tout risque d’incarcération pour plusieurs années, et dénonce le « procès politique » qui lui est fait. Une semaine plus tard, il est à nouveau condamné à deux ans et quatre mois de prison pour une affaire de financement illicite du Parti socialiste à la fin des années 80. Nigeria Mort du principal opposant. Moshood Abiola meurt en prison d’une crise cardiaque soudaine, alors que couraient depuis plusieurs jours des rumeurs sur sa prochaine libération. Aussitôt, des manifestations violentes ont lieu à travers le pays et l’on déplore plusieurs morts. Âgé de soixante ans, M. Abiola avait bâti une grande fortune dans les affaires avant de se lancer dans la politique et de se présenter aux élections présidentielles en 1993. Il semble alors l’emporter quand le régime militaire du général Babangida annule purement et simplement le scrutin. Ce décès, que ses proches attribuent à un empoisonnement ou, pour le moins, à une négligence médicale, annule toutes les prétentions à la démocratisation du régime, quelques semaines après l’arrivée au pouvoir du général Abdulsalam Abubakar. Proche-Orient Victoire diplomatique pour les Palestiniens. Malgré l’opposition des États-Unis et d’Israël, l’Assemblée générale des Nations unies confère, a une très large majorité, à la délégation palestinienne le statut de « super-observateur », ce qui lui permettra de se faire entendre sur les questions concernant le downloadModeText.vue.download 131 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 130 Proche-Orient, sans pour autant disposer d’un droit de vote. 9 Bourse Accord germano-britannique. La Bourse allemande de Francfort et le London Stock Exchange créent une société commune où seront traitées, à partir de janvier 1999, les 300 plus importantes valeurs boursières de l’Europe. Un système électronique commun reliera les deux places financières, où tous les agents auront accès aux carnets de commandes des autres. Cette alliance constitue un coup dur pour la Bourse de Paris, qui regrette de ne pas avoir réussi à se rapprocher de Francfort comme cela avait été tenté en 1996. 10 France Nomination du primat des Gaules. Mgr Louis-Marie Bille, archevêque et président de la conférence des mé par Jean-Paul II archevêque de au cardinal Jean Balland, mort le d’Aix-en-Provence évêques. est nomLyon. Il succède 1er mars. 12 Équateur Jamil Mahuad élu à la présidence. L’avocat démocrate-chrétien l’emporte au second tour avec 51,6 % des voix sur son concurrent populiste, le milliardaire Alvira Noboa. Âgé de quarantehuit ans, maire de Quito, il a acquis une grande audience dans les milieux populaires grâce à sa gestion de la capitale. Football Les Bleus champions du monde. L’équipe de France de football, entraînée par Aimé Jacquet, remporte la XVIe Coupe du monde en battant en finale au Stade de France l’équipe du Brésil par 3 à 0 (2 buts de Zinedine Zidane et 1 but d’Emmanuel Petit). Pendant toute la compétition, elle n’a subi aucune défaite en sept rencontres, et termine avec la meilleure défense (2 buts encaissés) et la meilleure attaque (15 buts marqués). La France est le septième pays à remporter le trophée après l’Uruguay (1930, 1950), l’Italie (1934, 1938, 1982), l’Allemagne (1954, 1974, 1990), le Brésil (1958, 1962, 1970, 1994), l’Argentine (1978, 1986) et l’Angleterre (1966). Une explosion de joie suit cet exploit et plus d’un million et demi de personnes fêtent la victoire sur les Champs-Élysées, tandis que des manifestations spontanées ont lieu dans de nombreuses villes de province. La presse internationale salue l’organisation de cette coupe (mis à part des problèmes sur une partie de la billetterie laissée aux tour-opérateurs et qui a fait l’objet de malversations) et souligne le côté multiracial de l’équipe tricolore. Grande-Bretagne Violences en Ulster. Trois jeunes enfants issus d’un couple catholique et protestant sont brûlés vifs dans l’incendie de leur maison attribué par la police aux groupes extrémistes protestants, particulièrement actifs depuis la reprise des marches orangistes dans la province. 13 Japon Démission du Premier ministre. Au pouvoir depuis 1996, Ryutaro Hashimoto annonce sa démission après les mauvais résultats de son parti, le PLD (Parti libéral-démocrate, conservateur), aux élections sénatoriales. Les libéraux-démocrates ont perdu 17 sièges et leurs alliés socialistes, 7. Les grands gagnants du scrutin sont le Parti démocrate de Naoto Kan et le Parti communiste, qui reste cependant très minoritaire. Les électeurs, qui se sont rendus plus que de coutume aux urnes, ont sanctionné la politique hésitante de M. Hashimoto face à la crise financière qui handicape le pays depuis plusieurs mois. Demeurant majoritaire à la Chambre des députés, le PLD devra sans doute se trouver de nouveaux alliés pour gouverner, probablement en direction du PD. (chrono. 24/07) Russie Aide historique de 22,6 milliards de dollars. Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et le gouvernement japonais accordent à Moscou un prêt de 22,6 milliards de dollars pour 1998 et 1999. Cette aide exceptionnelle permet dans l’immédownloadModeText.vue.download 132 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 131 diat aux autorités russes de ne pas dévaluer le rouble. En échange, le gouvernement de Sergueï Kirienko s’engage à réduire de moitié en deux ans son déficit budgétaire et à agir sur la structure de la dette russe, en cessant, notamment, d’émettre des obligations d’État destinées à résorber à court terme le déficit des finances publiques. L’ancien no 2 du gouvernement, Anatoli Tchoubaïs, nommé depuis représentant spécial du président Boris Eltsine, est particulièrement chargé de rassurer les responsables occidentaux inquiets de voir les députés russes, communistes en tête, refuser de voter les mesures imposées par la situation. La crise financière a été relancée en Russie à la suite de la déconfiture des Bourses asiatiques, qui avait eu pour effet de relancer la spéculation contre le rouble. 15 Espagne Suspension d’un journal basque. Le juge d’instruction Baltasar Garzon fait fermer provisoirement le journal Egin, soupçonné de liens étroits avec l’organisation terroriste ETA. Des manifestations dans plusieurs villes basques sont organisées pour protester contre cette mesure. 16 France Charles Pasqua en faveur de la régularisation de tous les sans-papiers. L’ancien ministre de l’Intérieur des gouvernements Chirac et Balladur suggère de régulariser tous les étrangers en situation irrégulière qui se sont fait connaître auprès des préfectures, soit environ 70 000 personnes. Cette suggestion, venant d’un homme qui a laissé son nom à une loi restreignant les conditions de séjour des étrangers en France, étonne autant à droite qu’à gauche. Un sondage indique que 50 % des Français sont favorables à une régularisation de tous les sans-papiers déclarés. (chrono. 14/08) 17 France Relance de l’affaire du sang contaminé. La commission d’instruction de la Cour de justice de la République décide de renvoyer devant cette cour Laurent Fabius, ancien Premier ministre, Edmond Hervé, ancien secrétaire d’État à la Santé, et Georgina Dufoix ancien ministre des Affaires sociales, pour « homicides involontaires et atteintes involontaires à l’intégrité des personnes », dans le cadre de l’affaire du sang contaminé. Ce renvoi fait suite à certaines plaintes présentées par des victimes, ou leurs ayants droit, de transfusions de sang contaminé par le virus du sida, au milieu des années 80. À cette date, les autorités en place, dont l’arrêt de renvoi dit qu’elles ont « contribué à créer les conditions qui ont rendu possibles » les contaminations, auraient négligé, malgré l’information qui existait déjà à l’époque sur le sida, de faire sélectionner les donneurs de sang, de faire inactiver le virus du sida par chauffage des prélèvements sanguins, et auraient sciemment laissé utiliser des réserves de sang dont on savait qu’il pouvait être nocif. Cette attitude aurait été motivée par le souci d’attendre l’arrivée sur le marché de tests de dépistage sanguin fabriqués en France, alors qu’il existait déjà des tests américains. Plusieurs dizaines de personnes, notamment des hémophiles, sont mortes à la suite de ces transfusions. Justice Naissance de la Cour pénale internationale. Réunis à Rome sous l’égide des Nations unies, 120 pays (sur 160 présents, 7, dont les États-Unis, ayant voté contre) décident de la création d’une cour internationale, dont le siège sera à La Haye, et qui aura compétence sur quatre catégories de crimes reconnus en droit international : génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes d’agression. La Cour pourra commencer à fonctionner quand au moins 60 États auront officiellement ratifié le traité l’instituant, ce qui devrait prendre trois ou quatre ans. L’élaboration du traité a fait l’objet d’âpres discussions ; le principal objet de discorde a trait à l’article permettant pendant sept ans à chaque État signataire de se soustraire aux obligations du traité pour ce qui est des crimes de guerre. La France, qui a été très critiquée pour avoir soutenu cette solution, justifie sa position en faisant remarquer que la catégorie des crimes de guerre est la plus difficile à définir. Russie Obsèques officielles du dernier tsar. Le président Boris Eltsine assiste à l’inhumation officielle à Saint-Pétersbourg des restes de Nicolas II et de sa famille, quatre-vingts ans jour pour jour après downloadModeText.vue.download 133 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 132 leur exécution par les communistes. La cérémonie est restée volontairement discrète et peu d’hommes politiques de premier plan, hormis le démocrate d’opposition Grigori Iavlinski et le général Alexandre Lebed, y ont assisté. Pendant plusieurs semaines, M. Eltsine avait laissé entendre qu’il ne se rendrait pas aux obsèques, tandis que le patriarche de l’Église orthodoxe russe, Alexeï II, refusait de reconnaître l’authenticité des dépouilles (pourtant scientifiquement authentifiées par des tests ADN américains et britanniques). Yougoslavie Regain de tension au Kosovo. Des combats à la frontière avec l’Albanie font plus de 110 morts en deux jours. Belgrade et Tirana s’accusent mutuellement de violation des frontières, après que l’armée yougoslave a bombardé le territoire albanais pour lutter contre l’introduction d’armes et de munitions en provenance d’Albanie. L’opinion internationale s’inquiète de plus en plus de la tournure que prend le conflit, alors que l’Armée de libération du Kosovo (UCK) prend une importance croissante au détriment des modérés kosovars d’Ibrahim Rugova, à qui il est reproché de n’avoir rien obtenu du président yougoslave Slobodan Milosevic. 18 Algérie Reprise des tueries. Une cinquantaine de personnes, militaires ainsi que civiles, sont assassinées dans plusieurs régions, notamment au bord des plages, par des tueurs soupçonnés d’appartenir au groupe islamiste armé (GIA). Ces violences interviennent à quelques jours de la visite d’une mission d’information de l’ONU, menée par l’ancien président portugais Mario Soares, et sont interprétées comme une volonté de la part des islamistes de montrer qu’ils continuent d’agir à leur guise malgré les opérations de ratissage de l’armée. Cyclisme Dopage sur le Tour de France. Une semaine après l’interpellation à la frontière franco-belge du soigneur de l’équipe Festina, en possession d’un important stock de produits dopants, et au lendemain de la mise en examen de Bruno Roussel, directeur sportif de l’équipe, qui a avoué que celle-ci se dopait systématiquement sous contrôle médical, l’ensemble des coureurs de Festina est exclu de la compétition. Ceux-ci, sous la conduite de leur chef de file, Richard Virenque, décident d’abord de prendre quand même le départ de l’étape puis renoncent, sur l’instance du directeur du Tour, JeanMarie Leblanc. Cette affaire remet gravement en cause l’éthique du sport cycliste et, plus largement, du sport en général. Le public qui suit le Tour au bord des routes estime généralement que la sanction qui frappe les Festina est injuste car chacun se doute que toutes les équipes se dopent de la même façon. Marie-George Buffet, ministre des Sports, opposante résolue du dopage, entend poursuivre aussi loin que possible la lutte contre ce fléau en faisant adopter un projet de loi spécifique. Les contrôles sur les athlètes et leur entourage seront renforcés. Reste l’environnement médiatique et financier du sport, qui pousse à la multiplication des performances et à l’alourdissement des calendriers de rencontres, ce qui oblige souvent les athlètes à se doper pour honorer leurs engagements. Papouasie-Nouvelle-Guinée Raz-de-marée meurtrier. À la suite d’un séisme sous-marin de force 7 sur l’échelle de Richter intervenu à quelques kilomètres de la côte nord-ouest du pays un tsunami (terme japonais signifiant « vague de tempête ») ravage plusieurs villages côtiers, faisant plus de 8 000 victimes. Des vagues hautes de dix mètres emportent tout sur leur passage. Des équipes médicales d’urgence venues d’Australie tentent de porter secours aux survivants, mais les blessés sont si nombreux et les risques d’épidémie et de famine si grands que l’on craint un bilan encore plus catastrophique. 19 Afghanistan Départ des ONG. La plupart des organisations humanitaires quittent le pays après que le pouvoir taliban (étudiants en théologie islamique) les a obligées à quitter leurs locaux dans le centre de Kaboul pour être regroupées dans un lieu excentré sans eau ni électricité, et que deux collaborateurs locaux de l’ONU ont été assassinés. Seuls les organismes dépendant des Nations unies ont décidé, malgré tout, de rester, estimant que près downloadModeText.vue.download 134 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 133 de la moitié de la population de la capitale dépendait de leur aide. La « talibanisation » de l’Afghanistan En lançant de nouvelles offensives dans le nord du pays, les talibans ont considérablement modifié la géographie de la guerre, comme l’a montré le regain de tension entre le Pakistan, allié des miliciens, et l’Iran, dont le soutien à l’opposition chiite est avéré. Quoi qu’il en soit, la guerre était loin d’être terminée – ce dont ont témoigné les ONG expulsées du pays. Quant aux bombardements américains, non loin de la frontière avec le Pakistan, ils n’ont fait qu’ajouter à la confusion. La guerre en Afghanistan a donc connu un tournant majeur avec l’entrée, le 8 août, de la milice islamiste des talibans dans Mazar-i-Sharif, la « capitale » du nord du pays, et le dernier bastion de la résistance – en l’occurrence, les miliciens chiites d’ethnie hazara du Hezb-i-Waahdat, qui y cohabitaient avec différentes forces de l’opposition. En mai 1997, les talibans étaient entrés une première fois dans Mazar-i-Sharif, mais ils avaient subi de lourdes pertes après le retournement du général Dostom, qui leur avait ouvert les « portes » de la ville. Quatre mois plus tard, ces mêmes talibans s’apprêtaient à investir la ville, mais devaient reculer sous les assauts de l’opposition, au prix de lourdes pertes. Si la prise de Mazar-i-Sharif a inquiété la Russie et l’Ouzbékistan, c’est en Iran que les réactions ont été le plus vives. En effet, la République islamique soutenait avec force les chiites installés à Mazari-Sharif. De plus, la disparition de 11 diplomates iraniens lors de l’assaut des talibans a porté la tension à son comble. Cette affaire a vite eu des conséquences négatives sur les relations de l’Iran et du Pakistan, toujours tendues à propos de l’Afghanistan, Islamabad soutenant les talibans depuis le premier jour. En revanche, le bombardement américain dirigé contre Oussama Ben Laden, commanditaire présumé des attentats contre les ambassades américaines à Nairobi et à Dar es-Salaam, a été critiqué par toutes les factions en présence. Les États-Unis, qui avaient encouragé le soutien pakistanais aux talibans, ont dénoncé la situation des droits de l’homme en Afghanistan. Mais qui sont au juste ces fameux talibans ? Le régime des talibans C’est au cours de l’été 1994 que les talibans font leur entrée sur la scène afghane. Recrutant parmi les étudiants en religion des réseaux de madrasas (écoles religieuses privées) établis de part et d’autre de la frontière afghano-pakistanaise, les talibans ont créé un mouvement militaro-politique sous la houlette de Mollah Omar dont l’objectif était, d’une part de mettre fin à la « banditisation » croissante des petits chefs moudjahidin, de l’autre, d’imposer une conception extrêmement puritaine de la charia. Très vite, les talibans ont tiré profit de la polarisation ethnique et du soutien pakistanais. En effet, dès 1994, le régime d’Islamabad a misé sur les talibans, en lesquels il voyait une alternative pachtoune : la volonté pakistanaise de contrôler indirectement l’Afghanistan grâce à un gouvernement qui soit à la fois fondamentaliste et issu de l’ethnie pachtoune n’est plus alors un mystère pour personne. Bénéficiant donc d’une aide importante du Pakistan, les talibans ont très vite accumulé les succès militaires ; ce fut d’abord la prise de toutes les régions pachtounophones, puis, en septembre 1995, de la ville de Hérat, au nord-ouest du pays. Un an plus tard, ils obtenaient leur plus grande victoire en s’emparant de Kaboul. Désormais, ils pouvaient concentrer leurs forces sur un nouvel objectif d’envergure, Mazar-i-Sharif, qui devait finalement tomber, comme on l’a vu, entre leurs mains. Il reste que les talibans ont toutes les peines du monde à tenir leurs positions dans les zones majoritairement non pachtounes. En revanche, dans les zones qu’ils contrôlent fermement, les talibans ont imposé une application des plus rigoureuses de la charia, et une exclusion des femmes de l’espace public. Parallèlement, les étudiants en théologie ont décidé, en juillet, de fermer le bureau des affaires humanitaires de la Commission européenne à Kaboul. Bruxelles avait, peu avant annoncé le gel de son aide à tout projet humanitaire dans la capitale afghane en raison des incessantes tracasseries contre les ONG, dont l’Union européenne finance les projets. Ajoutons que les mauvais traitements réservés aux femmes par les talibans ont également motivé la décision des autorités européennes. Ainsi, le porte-parole de l’UE a dénoncé « une sorte d’apartheid sexuel. Les femmes sont victimes de discriminations. Cela viole toute downloadModeText.vue.download 135 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 134 sorte de principes et en particulier les règles de l’aide humanitaire ». Il est vrai qu’en quelques mois les talibans de Kaboul ont jeté au bûcher l’éducation des filles, la littérature et la télévision. On y tranche désormais les mains et les pieds des « criminels » et l’on fait donner le bâton contre celui qui bafouille en récitant le Coran. Mais c’est aussi ce régime si vertueux qui a laissé en place les filières de la drogue dont personne n’ignore l’existence dans la région. En expulsant la plupart des organisations humanitaires, les talibans ont refusé d’admettre que près de 60 % de la population de Kaboul dépendait de cette aide pour la nourriture, l’eau et les soins élémentaires de santé. La milice islamique aura donc préféré voir partir des étrangers, témoins gênants de ses agissements. Quant à la population, qui a ainsi vu ses conditions de vie se dégrader un peu plus, elle est apparue comme l’otage impuissant d’une guerre dont on voit mal quel pourrait être l’épilogue, les talibans peinant à gagner durablement du terrain et les différents clans adverses défaisant le jour l’alliance conclue la veille. PHILIPPE DE L’ENFERNAT La polarisation ethnique La polarisation ethnique s’est organisée autour de quatre groupes principaux : derrière le commandant Massoud, on retrouve les persanophones sunnites (Tadjiks) du Nord-Est ; le général Dostom s’appuie sur une base essentiellement ouzbèke, que renforcent des éléments persanophones de l’ancienne armée communiste ; les Hazaras chiites, concentrés surtout dans le centre du pays, ont trouvé à se fédérer dans le Parti de l’unité : ce sont eux qui ont pris Kaboul en 1992 avant d’éclater aussitôt, puis de se reconstituer en 1996 pour parer à la menace des talibans ; enfin, l’ethnie pachtoune, dominante, se répartit en plusieurs tribus et partis dont le plus célèbre est indiscutablement le très radical Hezb-i islami dirigé par Goulbouddin Hekmatyar. Depuis le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, ces différents groupes ont vécu et combattu au rythme d’alliances et de retournements d’alliance incessants. À bien des égards, cette polarisation ethnique constitue le (acteur essentiel de la continuation de la guerre. 22 France Privatisation d’Aerospatiale. L’avionneur français (constructeur d’Airbus, des hélicoptères Eurocopter et des missiles Exocet) va être fusionné avec la firme Matra Hautes Technologies. L’État ne conservera que 45 à 49 % du capital de l’entreprise, dont Matra en détiendra 30 à 33 %. Cette opération devrait permettre à l’industrie de défense française de mieux aborder la phase des concentrations européennes en s’appuyant sur deux grands groupes : un pôle électronique avec Alcatel, Thomson-CSF et Dassault (qui devrait se rapprocher du britannique GEC) et un pôle aéronautique. République tchèque Constitution d’un gouvernement minoritaire. Le Premier ministre Milos Zeman forme une équipe pro-européenne constituée uniquement de membres de sa formation, le Parti social-démocrate (CSSD), qui ne compte que 74 députés à la Chambre sur un total de 200. Il devra compter sur l’appui au coup par coup du Parti démocratique civique (OSD) de l’ancien Premier ministre Vaclav Klaus. Les rapports de ce dernier et du chef de l’État, Vaclav Havel, se sont dégradés depuis que le second accuse le premier d’être à la tête d’une formation corrompue et de chercher à le destituer pour « haute trahison ». 23 Iran Lourde condamnation du maire de Téhéran. Gholamhossein Karbastchi est condamné à cinq ans de prison et à de lourdes amendes pour détournement de fonds publics. S’il nie avoir détourné le moindre argent en sa faveur, le maire reconnaît qu’il a contribué à la campagne électorale du président Mohammad Khatami, dont il est un chaud partisan. Cette pratique est largement répandue dans le pays. Sa condamnation est perçue comme hautement politique et constitue un nouvel épisode de l’affrontement entre conservateurs et réformistes. Elle downloadModeText.vue.download 136 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 135 intervient à quelques mois d’échéances électorales importantes. Russie Attentat contre le président de la Tchétchénie. Aslan Maskhadov, le président de la république de Tchéchénie, échappe de peu à un attentat à la voiture piégée. Considéré comme un modéré partisan de la négociation avec les Russes, il accuse cependant Moscou d’avoir organisé ce forfait contre sa personne. En réalité, les soupçons pèsent sur les chefs de guerre locaux, qui supportent mal l’autorité du pouvoir central que cherche à imposer le président élu. Iran, une ouverture contestée On a dit que l’élection à la présidence de la République en 1997 de Mohammed Khatami a représenté un tournant rien moins qu’historique, la population iranienne ayant en effet manifesté, en portant ses suffrages sur un homme réputé libéral, une claire volonté d’ouverture. On aura aussi prédit au chef de l’État de nombreuses difficultés, alimentées par les profondes résistances qui ne pouvaient pas manquer de s’exprimer dans les rangs des ultras. Des prévisions donc sans grande surprise qui ont dessiné, en 1998, une géographie de la lutte pour le pouvoir. Dès sa prise de fonction, le président Khatami s’est efforcé de justifier l’attente créée par son élection. Les signes sont apparus rapidement, comme le relâchement des contrôles sur la tenue vestimentaire et la reprise en main des différents appareils de l’État – notamment, les ser- vices secrets. Ces premières mesures en forme d’ouverture répondaient à une ferme volonté de rétablir un État de droit, mis à mal par l’activisme d’un appareil judiciaire utilisé comme arme de guerre par son chef, l’ayatollah Yazdi, un proche de Nategh Nouri, candidat malheureux à la présidence en mai 1997. La population a salué cette politique, parfois de manière inattendue, comme lors de la qualification de l’équipe nationale de football pour la Coupe du monde : on se souvient que des milliers de jeunes femmes ont, à cette occasion, envahi le stade, réservé aux hommes. De même, le public iranien aura réservé un accueil chaleureux, en février 1998, à une équipe de lutteurs américains. Le nouveau président, jugeant le contexte favorable, a ainsi pu proclamer, dans une interview accordée à CNN, la fin de l’exportation de la révolution islamique. Et creusant le même sillon, il appelait à un rapprochement avec les États-Unis. Mais c’est surtout sur la politique intérieure du gouvernement que les conservateurs ont réagi. Craignant que la libéralisation n’entraîne un mouvement irréversible qui les écarte du pouvoir, les conservateurs ont accusé M. Khatami de brader l’héritage de Khomeyni, la presse conservatrice faisant pression sur le Guide, l’ayatollah Khamenei, pour qu’il démette le président de ses fonctions, comme la Constitution lui en donne le droit. Mais c’est surtout le tir de barrage auquel a procédé l’appareil judiciaire qui a donné la mesure de la violence politique de l’affrontement. Celuici a culminé avec l’« affaire Karbastchi ». L’affaire Karbastchi L’arrestation – et la lourde condamnation – du maire de Téhéran, Gholamhossein Karbastchi, pour mauvaise gestion et escroquerie, a été l’occasion pour les conservateurs d’attaquer de front le président Khatami, incarnation maudite, à leurs yeux, du modernisme. Dès le départ, le président de la République s’est trouvé dans une situation pour le moins délicate. Ardent défenseur de l’État de droit et de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, comme on l’a vu, il a dû laisser la justice suivre son cours contre celui qui est à la fois un ami proche, mais aussi un membre du gouvernement. C’est ainsi que le chef de l’État s’est interdit tout commentaire sur l’affaire dès lors qu’il était avéré que celle-ci était entrée dans une phase conflictuelle – arrestation de G. Karbastchi le 4 avril 1998. Par ailleurs, il n’aura échappé à personne que l’acharnement sans précédent mis par la justice dirigée par un ultraconservateur à s’en prendre au seul maire de la capitale, dans un pays où la corruption est géné- ralisée à tous les échelons de la vie publique et largement partagée par toutes les factions politiques, n’a pu être dicté que par des arrièrepensées politiques. De nombreux observateurs ont estimé que l’affaire Karbastchi, comme la quasi-totalité des sujets de conflit qu’a connus jusqu’alors la République islamique, allait se downloadModeText.vue.download 137 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 136 régler à l’amiable, c’est-à-dire en l’occurrence par des concessions de la présidence à l’endroit des conservateurs. Force est de constater que les événements leur ont donné tort. En effet, le procès a eu lieu. Et si le premier magistrat de la capitale n’a pas été épargné (cinq ans de prison, une forte amende), le président Khatami a joué la partition de l’intégrité jusqu’au bout, assurant ainsi la population de la pureté de son credo alors même que de nombreux Iraniens qui le soutiennent n’ignorent pas que certains proches du chef de l’État ont pu partager les pratiques reprochées à G. Karbastchi avant d’évoluer dans le bon sens. Il reste que, tenant bon, le président de la République a marqué un point contre les conservateurs. Une détermination qui n’est sans doute pas étrangère à la lourdeur de la condamnation de son ami. L’arrestation du maire de Téhéran – et de quelques autres personnalités proches du président Khatami – a témoigné de l’âpreté de la lutte pour le pouvoir qui s’est déroulée, jusqu’à présent, dans le cadre des institutions prévues par la Constitution. Jusqu’à présent, car l’armée est restée neutre, en dépit des ambiguïtés du corps des Gardiens de la révolution – ses chefs avaient soutenu Nategh Nouri, mais la base s’était prononcée pour M. Khatami. On peut écarter raisonnablement l’hypothèse d’un coup d’État dans la mesure où les conservateurs se réclament de la fidélité au Guide et ne peuvent donc rien tenter sans son appui. Certes, ce dernier peut démettre le chef de l’État. Mais il y aurait là un pari bien hasardeux, tant la popularité de M. Khatami est forte, et le risque dé voir éclater des soulèvements réels. De plus, c’est peu d’écrire que le Guide se trouve dans une situation délicate. Simple hojjat ol islam (rang inférieur à celui d’ayatollah) au moment de sa nomination en 1989, la légitimité religieuse dont disposait Khomeyni lui fait défaut, et lui vaut d’être contesté par nombre de religieux traditionalistes de la ville sainte de Qom. Enfin, l’échec de son « candidat » à l’élection présidentielle a aussi contribué à affaiblir la légitimité politique du Guide. Homme avisé, ce dernier a préféré jouer une partition aussi consensuelle que le lui permettent les attentes des conservateurs. Aussi l’a-t-on vu rappeler régulièrement la doctrine alors que le président s’efforçait d’appliquer, avec quelques évidents succès, son programme. Sous l’oeil critique des ultras. ÉRIC JONES La crise asiatique et l’économie iranienne Si l’onde de choc boursière ne s’est pas propagée jusqu’à Téhéran – le faible développement des marchés des capitaux dans cette région lui épargnant de connaître le sort de l’Indonésie ou de la Corée du Sud –, l’Iran, tout comme les nouvelles Républiques d’Asie centrale, a vu le cours des matières premières quelque peu bousculé compte tenu de la dépendance des économies asiatiques à l’égard des ressources primaires. Ainsi, l’effondrement du prix des hydrocarbures aura, une fois de plus, pénalisé l’économie iranienne. Rien d’étonnant puisque les revenus paroliers représentent une part considérable des rentrées de devises (82,3 %) et des ressources budgétaires (57,2 % en 1997). Outre un déficit budgétaire accru, la chute des cours a eu sur la croissance un effet négatif, estimé à 3 points. 24 Japon Keizo Obuchi, nouveau Premier ministre. Élu président du Parti libéral-démocrate (conservateur), il remplace Ryutaro Hashimoto, démissionnaire, à la tête du gouvernement. Âgé de soixante et un ans, jusqu’alors ministre des Affaires étrangères. M. Obuchi est peu connu du grand public, malgré ses trente-cinq ans de carrière politique et ses 12 mandats de député. Comme ses concurrents, il est attaché à relancer l’activité du pays, à réduire les impôts et à lutter contre l’endettement du système bancaire. Sa réputation de rassembleur et de détermination a fait la différence. Japon, un premier ministre de transition ? Le Premier ministre, Ryutaro Hashimoto, est tombé en juillet, et – jusqu’à preuve du contraire – son successeur Keizo Obuchi n’a guère downloadModeText.vue.download 138 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 137 soulevé l’enthousiasme. Rien n’indiquait qu’il eût le profil de l’homme capable de redonner confiance à l’électorat par l’adoption de réformes économiques ambitieuses, alors même que les critiques à son égard sont venues de son propre parti. Chute de la croissance, stagnation des investissements, endettement des banques, contraction du crédit, repli de la consommation, chômage en augmentation, atonie boursière et effondrement du yen : tel est l’inventaire des maux dont souffre l’archipel. Rien de bien encourageant pour les candidats du Parti libéral-démocrate (PLD) du Premier ministre sortant, Ryutaro Hashimoto, qui auront donc abordé les élections sénatoriales du 12 juillet 1998 dans de bien mauvaises conditions. Ce ne fut donc pas une surprise de voir le PLD perdre la majorité au Sénat et, comme il est de coutume au Japon, le chef du gouvernement en tirer les conséquences. Celui-ci, en démissionnant de la présidence du PLD, a ouvert la voie au chef de la diplomatie, Keizo Obuchi. Élu à la tête du PLD, ce dernier pouvait accéder sans difficulté au poste de Premier ministre, son parti disposant de la majorité à la Chambre basse. Un homme de consensus Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que se confirme ce que la majorité des observateurs avait prédit. Homme de consensus, Keizo Obuchi ne semblait guère répondre aux attentes du pays de voir un homme de décision prendre sa tête, alors que « peu de cabinets dans l’histoire du Japon depuis la guerre ont été confrontés à des problèmes aussi graves », comme le notait le quotidien des milieux économiques Nihon Keizai. Il est vrai qu’au regard des difficultés économiques et sociales qui plombent les perspectives de l’archipel le discours de politique générale ne pouvait que s’apparenter à un exercice périlleux. Ce fut le cas. L’opposition, la presse, mais aussi des membres du PLD ont « communié » dans un même esprit critique vis-à-vis des propositions du nouveau chef du gouvernement. Pourtant, Keizo Obuchi aurait difficilement pu promettre davantage : le nettoyage des mauvaises créances du système financier – plus de 10 000 milliards de yens de plan de relance ; près de 7 000 milliards de yens de réductions fiscales et l’abandon de la loi d’austérité budgétaire. Cet ensemble de mesures, qui étaient réclamées par les marchés, les économistes et les États-Unis, a suscité quelques commentaires peu amènes : pour l’observateur politique Makoto Sako, « ce sont les bureaucrates qui ont écrit le texte. Il n’y a pas de projet concret » ; pour sa part, Makiko Tanaka, députée PLD et fille de l’ancien Premier ministre Kakuei Tanaka, a jugé que « le discours d’Obuchi manque de force. C’est le début du gouvernement, mais ça ressemble déjà à la fin du cabinet Hashimoto ». Sans doute, est-ce davantage la forme du projet présenté par Keizo Obuchi que son contenu qui lui a valu cette pluie de critiques acerbes. Et il est plus que probable que le PLD a misé sur les qualités de conciliateur de son représentant pour obtenir de la Diète qu’elle ne s’oppose pas plus que de raison à des réformes sur lesquelles il existe un large accord. D’ailleurs, le nouveau Premier ministre a montré qu’il n’entendait pas « passer en force », en renvoyant en 1999 le vote de la loi sur les réductions fiscales. Il reste que le temps pourrait bien faire défaut au PLD, qui, pour ne pas reconnaître sa responsabilité dans le krach immobilier et financier de 1991, a jusqu’à présent temporisé dans la gestion de la crise. Les effets de la crise asiatique En dépit des maux, réels, évoqués plus haut, le Japon n’a toutefois pas sombré dans la tourmente, tant il est vrai que la récession que traverse l’archipel n’a rien de commun avec les difficultés de ses voisins. Les différences sont en effet fondamentales. Contrairement aux pays pris dans la tourmente de la crise financière qui s’est mise à souffler sur l’Asie à partir de l’été 1997, le Japon n’est pas en cessation de paiement. Au contraire, il reste immensément riche en termes de réserves, d’avoirs à l’étranger et d’épargne. Son PIB équivaut aux deux tiers de celui des États-Unis et au double de celui de l’Allemagne. Rappelons aussi que l’archipel nippon contribue à financer le déficit budgétaire des États-Unis par les bons du Trésor américains qu’il détient. Enfin, son industrie, plus particulièrement les groupes tournés vers l’exportation, demeure très compétitive : l’affaiblissement du yen ne suffit pas à expliquer l’excédent commercial du Japon. Plus généralement l’économie japonaise est entrée au début des années 90 dans une phase de maturité : l’ère de la croissance rapide appartient au passé, le retour sur investissement n’atteindra jamais plus son niveau d’antan et le mouvement de délocalisation des entreprises – en Asie du Sud-Est, aux États-Unis et en Europe – paraît irréversible. downloadModeText.vue.download 139 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 138 Face à la globalisation du marché financier et à la déréglementation – qui touche le commerce de détail comme les services –, le Japon s’est trouvé privé des protections d’un système longtemps maintenu en vase clos. Entraîné dans une « économie de casino » par la bulle spéculative, l’archipel s’est trouvé dans l’obligation de se dégager du dirigisme qui fut à l’origine de son expansion. À cet égard, l’année 1998 peut être considérée comme une année charnière. En prenant à bras le corps la question des créances dites « douteuses », un euphémisme, le gouvernement Hashimoto avait envoyé un signal politique fort : l’archipel est prêt à jouer la carte de l’ouverture, dont témoigne au premier chef celle du marché financier. PHILIPPE DE L’ENFERNAT Le modèle japonais a l’épreuve Selon le rapport de la Banque du japon, la pratique de l’emploi garanti « à vie » a empêché la mobilité des salarié vers les secteurs à forte croissance. Ajouté au vieillissement de la population, le phénomène explique les gains de productivité déplus en plus faible au japon. Aussi les analystes sont-ils unanimes : pour retrouver le chemin de la croissance, le japon va devoir s’ouvrir et mettre un terme, notamment, au système de la « préférence nationale » appliquée à tous les niveaux de l’économie. De plus, avec la libération du contrôle des changes, intervenue le 1er avril 1998, une nouvelle étape est engagée sur la voie de l’ouverture de l’économie japonaise : les épargnants de l’archipel peuvent désormais placer leur épargne où bon leur semble, tandis que le pouvoir politique et les banques ne pourront plus, comme par le passé, compter sur une épargne abondante et peu rémunérée pour réaliser des investissements peu rentables et souvent superflus. 26 Cambodge Victoire des anciens communistes aux élections. À l’issue d’un scrutin qui s’est déroulé dans des conditions satisfaisantes, le Parti du peuple cambod- gien (PPC) du Premier ministre sortant Hun Sen est victorieux des élections législatives avec 66 élus sur les 122 sièges que compte l’Assemblée nationale. Le Funcipec, parti royaliste de l’ex-co-Premier ministre, Norodom Ranariddh, évincé en 1997 par Hun Sen, arrive en seconde position avec 43 sièges. Il est suivi par le parti de Sam Rainsy, qui obtient 13 sièges. Les leaders de l’opposition dénoncent en vain les irrégularités qui, selon eux, ont entaché le scrutin. La Constitution cambodgienne exigeant une majorité des deux tiers pour l’installation de tout nouveau gouvernement, le PPC et le Funcipec sont condamnés à s’entendre de nouveau. (chrono. 14/09) Guinée-Bissau Cessez-le-feu. Le gouvernement du président Joao Vieira et l’étatmajor de la rébellion menée par le général Ansumané Mané signent un accord de cessez-le-feu mettant un terme aux hostilités qui se sont ouvertes au début du mois de juin. Les protagonistes s’accordent sur un calendrier de négociations. Celles-ci se déroulent sous la médiation active de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). 27 Football Roger Lemerre à la tête du XI tricolore. Âgé de cinquante-sept ans, il remplace Aimé Jacquet, dont il fut l’adjoint pendant la Coupe du monde, comme sélectionneur national. Ancien joueur (Sedan, Nantes, Nancy et Lens, six fois sélectionné en équipe de France), il commence une carrière d’entraîneur au milieu des années 70, au Red Star, puis à Lens, au Paris FC, à Strasbourg et à Tunis, et entraîne ensuite la sélection militaire avec laquelle il décroche un titre de champion du monde en 1995. France Fin de la sécession de Jacques Toubon. L’ancien garde des Sceaux et actuel maire RPR du XIIIe arrondissement met fin à sa sécession contre le maire de Paris, Jean Tiberi, qu’il avait engagée le 6 avril. Il s’est finalement incliné sous la double pression de la direction du RPR et de Jacques Chirac, qui a préféré soutenir son successeur à la tête de la capitale. Toutefois, cette reddition ne met pas réellement fin aux dissensions qui ont éclaté au grand jour au downloadModeText.vue.download 140 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 139 sein de la majorité parisienne, d’autant que l’UDF a fait savoir qu’elle n’hésiterait pas à reposer la question du leadership pour les prochaines élections municipales de 2001 : un armistice tactique, donc, plutôt qu’une paix stratégique. 28 France Accord ambigu sur les 35 heures. Le patronat de la métallurgie (Union des industries métallurgiques et minières, UIMM, qui représente environ 10 % des salariés de la branche) et les syndicats FO. CGC et CFTC signent un accord sur la diminution du temps de travail. La disposition principale de ce texte consiste à doubler le contingent des heures supplémentaires (qui passe de 94 heures à 205 heures), ce qui, au total, conduit à une légère baisse du temps de travail (qui passe, en moyenne sur l’année, de 41 à 39,5 heures hebdomadaires) et à une légère hausse des salaires, au détriment de toute création d’emploi. La CFDT et la CGT refusent de signer l’accord, tandis que Marc Blondel, secrétaire général de FO, qui n’a jamais cru à la limitation du temps de travail, se félicite que le texte prévoie également l’extension de l’ARPE (préretraites contre embauches). 29 Espagne Condamnation d’un ancien ministre de l’Intérieur. José Barrionuevo, ministre socialiste de l’Intérieur de 1982 à 1988, est condamné à dix ans de prison dans le cadre du procès des GAL, ces groupes parallèles créés pour lutter contre le terrorisme basque. Il a été reconnu responsable de l’enlèvement d’un homme d’affaires français d’origine espagnole, soupçonné à tort d’appartenance à l’ETA. M. Barrionuevo, soutenu par son parti, estime qu’il est innocent et que sa condamnation est « impensable dans un pays démocratique ». L’ancien chef du gouvernement Felipe Gonzalez décide de reprendre sa robe d’avocat pour défendre son ancien collaborateur. 31 Chine Condamnation d’un hiérarque corrompu. Chen Xitong, ancien maire et chef du Parti communiste de Pékin, est condamné pour corruption à seize ans de prison. Proche de Deng Xiaoping, disparu en 1997, Chen est le plus haut responsable politique à être traduit en justice depuis une vingtaine d’années. Même si la peine est jugée clémente pour des détournements estimés à plus de deux milliards de dollars, la condamnation de Chen est considérée comme constituant un gage vis-à-vis de l’opinion publique, de plus en plus exaspérée par la corruption du pouvoir. En outre, Chen, chaud partisan de la répression contre le printemps de Pékin, s’était longuement opposé à Jiang Zemin, le chef de l’État. downloadModeText.vue.download 141 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 140 AOÛT 2 Cyclisme Marco Pantani vainqueur du 85e Tour de France. C’est le grimpeur italien qui remporte l’épreuve devant l’Allemand Jan Ullrich et l’Américain Bobby Julich. Il avait précédemment gagné le Tour d’Italie et devient le septième coureur a avoir réalisé le doublé, après Fausto Coppi (1949. 1952), Jacques Anquetil (1964), Eddy Merckx (1970, 1972, 1974), Bernard Hinault (1982, 1985), Stephen Roche (1987) et Miguel Indurain (1992, 1993). Ce Tour, marqué par les affaires de dopage, s’est terminé sans les équipes Festina (exclue), ONCE, Banesto, Riso, Kelme, Vitalicio et TVM (qui ont quitté la compétition pour protester contre les tracasseries policières). Si l’avenir de l’épreuve n’est pas menacé, un changement complet des pratiques et du contrôle des médicaments utilisés par les coureurs est indispensable. États-Unis Comparution devant le Grand Jury de Monica Lewinsky. L’ancienne stagiaire de la Maison-Blanche, soupçonnée d’avoir eu des relations sexuelles avec Bill Clinton, a été entendue par le jury populaire du tribunal fédéral de Washington. Assurée de ne pas être poursuivie pour parjure (elle avait affirmé sous serment, en janvier, n’avoir jamais eu de relation sexuelle stricto sensu avec le président américain), elle aurait finalement reconnu sa liaison, qui aurait duré dix- huit mois. Toutefois, elle aurait également déclaré que M. Clinton ne lui aurait jamais explicitement demandé de cacher les faits à la justice. Ce dernier avait, pour sa part, affirmé que jamais rien de sexuel ne s’était produit entre lui et Mlle Lewinsky. (chrono. 17/08) République démocratique du Congo Le pouvoir de Laurent-Désiré Kabila contesté. Quelques jours après le départ du gouvernement du ministre des Affaires étrangères Bizima Kahara (d’origine tutsie, né au Rwanda) et l’annonce par M. Kabila du départ du pays des troupes rwandaises, des incidents armés ont lieu entre les troupes de Kinshasa et des soldats rwandais appuyés par des éléments banyamulenges (Tutsis congolais). Rapidement, les soldats rebelles progressent dans l’est du pays, prenant le contrôle des villes de Goma et d’Uvira dans la région du Kivu. L’opposant historique au régime de Mobutu et de Kabila, Zahidi Ngoma, d’ethnie congolaise, est nommé chef de l’opposition. Alors que Kinshasa accuse le Rwanda et l’Ouganda de susciter les troubles, un sommet des chefs d’État de la région, réuni au Zimbabwe, ne parvient pas à dénouer la crise. (chrono. 25/08) La rébellion contre Kabila Accueilli en libérateur par ses compatriotes en 1997, soutenu par les puissances régionales et les États-Unis, Laurent-Désiré Kabila disposait de solides atouts. Mais, un an plus tard, faisant montre d’une absence de sens politique plus qu’évidente, il s’était mis à dos ses anciens alliés, le Rwanda et l’Ouganda, lesquels n’ont pas fait mystère de leur désir de renverser le tombeur de Mobutu. C’est donc peu d’écrire que le crédit du président autoproclamé de la République démocratique du Congo a fondu comme neige au soleil. La République démocratique du Congo (RDC) est devenue le théâtre d’opérations privilégié des militaires africains. Rwandais, Burundais, Ougandais, Zimbabwéens, Angolais, pour ne parler que des armées régulières, s’y sont battus, parfois les uns contre les autres. Dans cette guerre à fronts renversés, M. Kabila a bénéficié du soutien de la Namibie, de l’Angola et du Zimbabwe. Sans doute un peu plus réticente que les autres acteurs du drame congolais, la Namibie a fini par admettre l’envoi de troupes au pays de Lau- rent-Désiré Kabila. À l’origine de la décision du président Sam Nujoma de s’engager auprès du nouvel homme fort de Kinshasa, les liens hérités de la décolonisation et de la guerre froide ont indiscutablement joué un rôle majeur. La situation intérieure qui prévaut en Angola – le pays est toujours divisé entre les régions tenues par le gouvernement du président José Eduardo Santos et celles contrôlées par l’Unita de Jonas Savimbi – justifie le soutien actif de Luanda au downloadModeText.vue.download 142 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 141 régime de Kabila, dans la mesure où les rebelles de l’Unita utilisent la RDC comme base arrière. L’Angola a joué un rôle de premier plan dans les événements congolais, l’intervention des blindés et de l’aviation de Luanda ayant stoppé l’offensive rebelle sur Kinshasa et permis à Kabila de regagner, le 25 août, la capitale du Congo. Quant au Zimbabwe, le seul pays à n’avoir pas de frontière avec la RDC, son appui au régime de Kinshasa renvoie à des questions de préséance. En effet, depuis la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud a pris la place du Zimbabwe en Afrique australe et le prestige de Nelson Mandela a pu, sans peine, éclipser celui du chef zimbabwéen. On peut imaginer que l’attitude conciliante du dirigeant sud-africain à l’endroit de la rébellion dirigée contre L.-D. Kabila a poussé le régime de Harare à épouser la cause de ce dernier. De plus, l’intervention du Zimbabwe dans cette affaire tient sans doute aussi à un possible désir de contrebalancer l’influence ougandaise dans la région. Plus généralement, l’implication de la Namibie, de l’Angola et du Zimbabwe dans la même t bataille » renvoie-t-elle aux liens qui unissent ces trois pays, héritage de la lutte menée par l’Organisation populaire du SudOuest africain (Swapo) du temps où le régime de l’apartheid était tout-puissant dans la région. Les alliés d’hier On l’a dit, L.-D. Kabila a vu ses alliés d’hier se retourner contre lui. C’est ainsi que le Rwanda et l’Ouganda, avec un homme à leurs ordres à la tête de l’ex-Zaïre, nourrissaient l’espoir de pouvoir enfin pacifier leurs frontières. En favorisant la longue marche de Kabila sur Kinshasa, ils avaient fait le pari qu’il serait mis fin aux mouvements armés qui se servaient de l’ex-Zaïre comme base arrière dans la lutte contre les régimes de Kigali et de Kampala. Un an plus tard, ces derniers ne pouvaient que constater que le Kivu était toujours une poudrière, Kabila s’étant montré incapable d’y rétablir un début d’ordre. À l’origine de la précédente guerre civile congolaise, en 1996-1997, le Rwanda a puissamment contribué au déclenchement de la rébellion contre L.-D. Kabila, le 2 août 1998. Mais contrairement à la guerre menée contre Mobutu, les Rwandais étaient cette fois « invisibles ». Pourtant, derrière chaque Congolais se cachait un officier rwandais ; et derrière le chef militaire rebelle Jean-Pierre Ondekane, on pouvait trouver le « commandant lames », un proche du président rwandais, Paul Kagame. L’effort de guerre de l’armée rwandaise, bien équipée, très disciplinée, entraînée par des instructeurs américains, est apparu pour le moins considérable. Après avoir porté Kabila au pouvoir au printemps 1997, le Rwanda n’a jamais réussi à s’entendre avec ce dernier auquel Kigali a reproché de ne pas avoir combattu les opposants rwandais, qui, depuis leurs bases congolaises n’ont cessé de lancer des attaques meurtrières et dangereuses pour le régime de P. Kagame. Pis, le Rwanda est allé jusqu’à accuser L.-D. Kabila d’avoir armé les extrémistes hutus qui, après avoir fui à la fin du génocide de 1994, tentent de revenir au Pays des mille collines par les armes. Il est vrai que les partisans du « hutu power » sont toujours présents dans le Kivu, d’où ils continuent de lancer de sanglantes opérations à l’intérieur du Rwanda. D’ailleurs, au fur et à mesure que les relations se sont dégradées entre Kinshasa et Kigali, Kabila a laissé de plus en plus de latitude aux fauteurs de génocide. Quant au président ougandais Yoweri Museveni, il a sans doute eu l’impression d’avoir réalisé, lui aussi, une bien mauvaise affaire en soutenant, en 1997, la progression armée de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL). Non seulement, le nouveau chef congolais a pris rapidement ses distances avec l’Ouganda, mais des éléments congolais, souvent d’anciens soldats de l’armée de Mobutu, auraient rejoint les Forces démocratiques alliées (AFD), un mouvement d’opposition armé au président Museveni. Aussi, le 25 août 1998, l’Ouganda, dernier allié avoué de la rébellion dirigée contre Kabila, a finalement admis avoir envoyé des troupes en RDC. Par ailleurs, il n’est pas impossible que le régime de Kampala soit animé par un dessein hégémonique dont l’objectif serait de faire de l’Ouganda la cheville ouvrière d’un ensemble régional à dominante anglophone. Au bout du compte, la guerre congolaise a pris un double visage. D’un côté, la rébellion, déclenchée par des mutins congolais sincèrement dépités par la politique de Kabila, de l’autre, une invasion conduite par deux pays voisins, le Rwanda et l’Ouganda. Rien n’indiquait donc, à la fin de l’année, que L.-D. Kabila fût en mesure d’éviter une partition de l’ex-Zaïre. ÉRIC JONES downloadModeText.vue.download 143 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 142 La rébellion anti-Kabila La rébellion anti-Kabila est partie de l’est du pays, dans la région du Kivu, à la frontière du Rwanda, là où avait commencé à souffler le vent de la fronde contre Mobutu. Et, comme en 1996, les troubles ont été le fait des Banyamulenges (des Tutsis congolais d’origine rwandaise), soutenus par le régime rwandais à dominante tutsie, et par les autorités ougandaises. Le revirement des « tuteurs » de L.-D. Kabila est avant tout l’expression de leur profonde déception. C’est en effet peu d’écrire que le nouvel homme fort de Kinshasa n’a pas répondu aux espoirs de ces anciens alliés, maintenant accusés de trahison. Ainsi, les Banyamulenges, brimés par le régime de Mobutu, attendaient une reconnaissance qui n’est jamais venue. 4 Bourse Chute brutale à Wall Street. La Bourse de New York enregistre une baisse de 3,4 % en clôture. Depuis le sommet historique atteint à la mi-juillet, le Dow Jones a ainsi perdu 9,1 %. Les opérateurs commencent à s’inquiéter fortement des conséquences de la crise en Asie et jugent insuffisant le plan de relance japonais. Par ailleurs, les signes de ralentissement économique se multiplient aux ÉtatsUnis (ralentissement de la croissance du PIB, baisse des profits des entreprises). En Europe, les places boursières connaissent aussi des reculs importants. Le 10 août, la Bourse de Paris avait perdu près de 10 % par rapport à son record du 20 juillet. (chrono. 31/08) Sri Lanka Proclamation de l’état d’urgence. La présidente Chandrika Kumaratunga décrète l’état d’urgence, alors que le conflit avec les séparatistes tamouls du LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul) continue d’ensanglanter le pays. Élue en 1994 sur un programme de paix, la présidente a vu ses initiatives s’enliser. Alors que plusieurs généraux de Colombo jugent le conflit impossible à gagner sur le terrain, les rebelles du LTTE n’ont cessé de radicaliser leurs positions, braquant l’opinion cinghalaise, de plus en plus favorable à une solution militaire. 6 Chine Graves inondations dans le centre ouest du pays. Plusieurs milliers de personnes sont portées disparues et des centaines de milliers d’autres, sinistrées, à la suite de crues exceptionnelles du fleuve Yangzi Jiang et de la rupture de digues. Plus de 6 millions d’habitations sont détruites et près de 250 millions de personnes sont plus ou moins menacées par ces crues. Certaines critiques s’élèvent, discrètement, contre la politique hydraulique du gouvernement ; celui-ci, obnubilé par sa volonté de construire des barrages géants, aurait systématiquement refusé de prendre en compte des réserves émises par les spécialistes et les milieux écologistes. En tout état de cause, l’ampleur du désastre devrait remettre en cause la progression de l’économie chinoise. Proche-Orient Remous ou sein de la Haute Autorité palestinienne. Grande figure du mouvement palestinien, Hanane Achraoui démissionne de son poste de ministre. Mme Achraoui explique son attitude en mettant en cause le manque de volonté de changement de Yasser Arafat. Elle dénonce ainsi le fait que deux ministres, explicitement accusés de corruption par le Conseil législatif palestinien, n’aient pas été écartés du nouveau gouvernement. La Chine dans la tourmente En débordant de son lit, le Yang-tseu menaçait tout à la fois villes et campagnes, mais aussi les perspectives de croissance économique de la République populaire. Car si le yuan, la monnaie nationale, n’a pas suivi les autres devises asiatiques dans leur dégringolade vis-à-vis du dollar, l’économie chinoise n’a pas pour autant été épargnée par la tempête monétaire qui s’est downloadModeText.vue.download 144 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 143 abattue dans la région à l’été 1997. Quant au monde occidental, il en était réduit à spéculer sur les capacités de résistance de Pékin face aux sirènes de la dévaluation. Vu d’Europe, deux déferlantes se sont abattues sur l’Asie. L’une, la crise financière, a porté son onde de choc dans la région et au-delà ; l’autre, les terribles inondations, a noyé en quelques semaines de vastes étendues en Chine du Centre. Si la République populaire a été relativement peu touchée par la crise, au sens où ses effets ne sont en rien comparables au séisme qui a ébranlé l’Indonésie, la Thaïlande ou la Corée du Sud, elle le doit avant tout à un manque d’ouverture sur l’extérieur, qui a constitué un véritable rempart : le marché chinois des capitaux n’est pas déréglementé, le yuan n’est pas totalement convertible, les banques étrangères ne peuvent pas opérer en monnaie locale. Les images terribles des flots incontrôlables du Yang-tseu ont fait le tour du monde, comme celles de la mobilisation des soldats de l’Armée populaire dans la bataille contre les eaux. Quand le Yang-tseu sort de son lit... Et l’ampleur de la catastrophe a été manifeste quand il a fallu faire sauter des digues pour détourner sur les champs et les villages les eaux qui menaçaient les grandes villes. Étrange retournement de l’histoire qui veut que ce régime, né d’un soulèvement paysan, ait dû faire le choix de sacrifier la campagne pour sauver le monde urbain. S’il est vrai les autorités n’ont pas fait mystère de ce choix, en revanche, elles se sont employées à faire en sorte que l’information baigne dans une certaine opacité – les correspondants étrangers étaient interdits sur les lieux les plus sinistrés – en minimisant notamment les conséquences humaines et matérielles des inondations. Toutefois, des sources bien informées ont fait état de l’existence à Pékin de débats, certes feutrés, sur les carences d’un système qui a laissé vieillir les digues sans trop se préoccuper de leur entretien ou sur les responsabilités de ceux qui n’ont rien fait pour empêcher l’utilisation forcenée des sols, celle-ci aurait alors gommé les aires d’épanchement traditionnelles des eaux du fleuve. On confessera volontiers qu’il s’agit là d’une affaire intérieure. En revanche, le black- out imposé par Pékin sur nombre d’aspects du désastre n’est pas bon signe dans la mesure où la crue du Yang-tseu aura fatalement des répercussions sur la croissance du pays et donc sur sa capacité à maintenir un autre cours, celui du yuan, dont il suffit d’évoquer une éventuelle dévaluation pour faire frémir tous les gouvernements, de Washington à Tokyo en passant par les chancelleries d’Europe. La crise a éclaté dans un ciel économique que les dirigeants chinois considéraient comme serein. On vantait volontiers à Pékin une inflation maîtrisée et un taux de croissance sous contrôle à environ 8 %, l’essentiel requis pour écarter le risque de surchauffe. Pour n’avoir pas subi les sort des Philippines, par exemple, la Chine n’en a pas moins été touchée. Le manque d’ouverture a certes joué le rôle de rempart que l’on évoquait plus haut, mais les autorités ont toutefois dû colmater quelques brèches. Ainsi, les grands groupes chinois et la Banque de Chine ont été contraints de se départir de nombreuses devises pour soutenir le dollar de Hongkong. Quoi qu’il en soit, même avec une balance des paiements excédentaire, une dette extérieure surtout composée d’emprunts à moyen et long terme et des réserves de changes considérables, la Chine n’en connaîtra pas moins un ralentissement de son activité alors qu’elle doit mener un vaste programme de dénationalisation des entreprises publiques ; une affaire que l’on sait lourde de conséquences sur le plan social. ... le cours du yuan se maintient à grand-peine Compte tenu de la tempête monétaire dans laquelle se sont trouvées prises la plupart des économies asiatiques, les crues du Yang-tseu sont intervenues au pire moment. À l’entrée de l’automne, on estimait que les inondations pourraient coûter jusqu’à un demi-point de croissance en 1998. Dé plus, elles devraient accentuer le ralentissement économique et, surtout, pourraient remettre en cause la capacité des autorités à poursuivre une politique du yuan fort. On l’a dit, l’hypothèse fait frémir. Il est vrai que la compétitivité des produits chinois à l’exportation a été mise à mal par le plongeon des autres monnaies asiatiques. Ainsi, le cours officiel du yuan, qui n’a pas varié contre le dollar, s’est apprécié de 40 % face au won sud-coréen et de 80 % face à la roupie indonésienne. La baisse de l’activité industrielle et de la consommation dans des pays comme la Corée du Sud ou l’Indonésie a entraîné une baisse de la demande en produits chinois. Rappelons que la moitié des exporta- downloadModeText.vue.download 145 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 144 tions chinoises est absorbée par l’Asie. L’érosion de la compétitivité de la Chine s’est rapidement traduite dans les chiffres : le rythme de progression des exportations chinoises s’est établi à 9 % au premier trimestre 1998, contre près de 30 % un an plus tôt. Les effets de la détérioration de l’environnement économique et monétaire dans la région sur la croissance se sont également fait sentir rapidement. Ainsi, la Caisse des dépôts et consignations estimait que « la contribution du commerce extérieur à la croissance était devenue négative ». Après avoir progressé de 9,6 % en 1996, puis de 8,8 % en 1997, le PIB n’avait augmenté que de 7 % en rythme annuel au cours du premier semestre 1998. PHILIPPE DE L’ENFERNAT Dégraissage massif de l’administration Selon Pékin, la cure d’amaigrissement que doit subir l’administration se soldera par la suppression, à l’échéance de l’an 2000, de 11 ministères ou commissions d’État – dont le nombre passera donc de 40 à 29 – à la faveur de fusions ou de la transformation d’administrations en entreprises publiques dans des secteurs exposés à la concurrence. Cette « restructuration institutionnelle », selon la formule officielle, se traduira par des démembrements à grande échelle. L’un des plus spectaculaires affectera la Commission d’État au Plan dont les effectifs seront amputés du quart. Par ailleurs, des ministères industriels, comme ceux de la chimie ou de la métallurgie sont d’ores et déjà appelés à disparaître pour laisser la place à des sociétés holdings qui devraient, à terme, s’autofinancer par actions. On estime que près de la moitié des huit millions de cadres pourraient être mis à pied dans cet effort d’assainissement. 7 États-Unis Attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie. Plus de 230 personnes (la grande majorité d’entre elles à Nairobi), dont 12 Américains, sont tuées lors de deux attentats à l’explosif simultanés à Nairobi et à Dar es-Salaam. On déplore également des milliers de blessés. Dès le lendemain, un groupe jusque-là inconnu (mais c’est toujours le cas dans ce genre de situation), « l’Armée islamique pour la libération des lieux saints », revendique le double attentat. Les soupçons se portent sur le milliardaire saoudien d’origine yéménite, Oussama ben Laden. Résidant en Afghanistan, celui-ci, connu pour financer les mouvements terroristes de la mouvance islamiste la plus radicale, avait déclaré en juin qu’il ne faisait pas « de différence entre les Américains qui portent l’uniforme militaire et les civils. Ils sont tous les cibles d’une fatwa (édit religieux appelant à la guerre sainte) ». (chrono. 20/08) France Mise en examen de François Léotard. Le président de l’UDF et son plus proche collaborateur, le député d’Indre-et-Loire Renaud Donnedieu de Vabres, sont mis en examen pour « blanchiment d’argent ». Contestant les faits, M. Léotard a refusé de signer le procès-verbal de comparution devant les juges Éva Joly et Laurence Vichnievsky. Les faits remontent à 1996, quand le Parti républicain, dont M. Léotard était alors président, avait bénéficié d’un prêt de 5 millions de francs de la part de la banque italienne FSCE. Cette somme devait servir à l’achat d’un local pour le nouveau siège du parti. Le même jour, un agent du PR versait la même somme en liquide sur un compte bancaire au Luxembourg. Cette somme en liquide, dont l’entourage de M. Léotard affirme qu’elle provenait des fonds secrets de Matignon, ne pouvait servir directement au paiement du local. Le prêt de la FSCE devait donc servir à donner une apparence légale à l’opération. L’affaire s’est encore compliquée depuis le début de 1998, quand un organisme financier domicilié à Londres, la FTO, a réclamé des intérêts sur ce prêt à Démocratie libérale, la nouvelle organisation politique dirigée par Alain Madelin, qui a remplacé le Parti républicain. Démocratie libérale s’est depuis portée partie civile. 8 Alpinisme Disparition confirmée du grimpeur Éric Escoffier. L’alpiniste âgé de trente-huit ans et sa compagne de cordée Pascale Bessière sont portés disparus, sur les pentes du Broad Peek (8 047 m) dans l’Himalaya, downloadModeText.vue.download 146 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 145 au Pakistan. Personnage hors norme, il avait partiellement surmonté une hémiplégie consécutive à un accident de voiture au prix d’une rééducation intense de plusieurs années. Il avait accumulé depuis 1982 un palmarès très impressionnant (ascension en une seule journée du Dru et des Grandes Jorasses, ascension en moins d’un mois de trois sommets himalayens. ascension du McKinley, du Kilimandjaro, de l’Aconcagua, etc.). Il disparaît alors qu’il avait en projet de gravir, en moins de quatre ans, les quatorze sommets de plus de 8 000 m. les sept montagnes les plus hautes de chaque continent (Antarctique compris) et d’atteindre les deux pôles. 10 Afghanistan Victoire des talibans sur l’opposition. Couronnant une offensive lancée début juillet, les talibans (étudiants islamiques au pouvoir à Kaboul) s’emparent de Mazar-i-Sharif, une ville de 500 000 habitants, au nord du pays. Cette victoire, qui permet aux talibans de contrôler la plus grande partie du territoire, s’explique largement par la désunion des forces de l’opposition, divisée entre les Ouzbeks du général Rachid Dostom, les chiites du parti Hezb-iWadhat et les Tadjiks du commandant Ahmed Shah Massoud. L’Iran et la Russie s’inquiètent de ce succès des talibans, tandis que le Pakistan, soutien indéfectible des étudiants islamiques, et les États-Unis, dont la compagnie pétrolière Unocoal est proche du pouvoir de Kaboul, gardent le silence. 11 Affaires Fusion record entre BP et Amoco. En se réunissant, les deux groupes pétroliers britannique et américain réalisent la plus grosse fusion de l’histoire industrielle. Le nouveau groupe représente une capitalisation boursière de 110 milliards de dollars et devient le troisième groupe pétrolier du monde, derrière Royal Dutch-Shell et Exxon. Il emploie plus de 100 000 personnes, mais envisage d’en licencier 6 000 dans les mois à venir. Après la communication, l’automobile, la banque, l’industrie pétrolière est marquée à son tour par la vague des fusions géantes, une vague suscitée par les actionnaires qui exigent toujours davantage de rentabilité pour leurs capitaux investis. Environnement Canicule et pollution sur l’Europe. Alors que la température approche les 40 °C dans le nord de la France ou en Allemagne, des niveaux record de pollution sont enregistrés, notamment dans 22 villes de France (dont Bordeaux, Lyon et Paris). En Allemagne, des mesures de restriction de la circulation automobile (seuls les véhicules munis d’un pot catalytique ont le droit de circuler) sont prises dans plusieurs Länder. En France, le ministère de l’Environnement cherche de nouvelles mesures de riposte aux pics de pollution. 12 Suisse Accord entre les banques helvétiques et les organisations juives. Après trois ans de polémiques, l’Union des banques suisses (UBS), le Crédit suisse et le Congrès juif mondial (CJM) signent à New York un accord sur l’indemnisation des victimes de la Shoah, dont une partie de l’argent spolié avait été placé par le régime nazi dans les banques de la Confédération. Aux termes de cet accord, une somme de 1,25 milliard de dollars sera versée aux organisations juives à titre de compensation pour la perte des biens et avoirs confisqués pendant la Seconde Guerre mondiale. Longtemps réticentes, les banques suisses avaient d’abord proposé des indemnisations très limitées (inférieures à 100 millions de dollars) puis, sous la pression des autorités américaines qui menaçaient de boycotter les établissements suisses, ont accepté le compromis. En Suisse même, on s’interroge sur le financement de cette somme, les banques ne s’étant engagées que pour 570 millions de dollars. Les entreprises et l’État seront probablement sollicités. 13 Chanson Suicide de Nino Ferrer. Le chanteur d’origine italienne se tire une balle dans le corps près de sa maison dans le Lot, où il s’était retiré downloadModeText.vue.download 147 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 146 depuis une vingtaine d’années. Il avait soixante-trois ans. Il s’était fait connaître au milieu des années 60 avec des chansons loufoques comme « Mirza », « les Cornichons » ou « le Téléfon ». Passionné de jazz et de rhythm’n’blues, il cherche vite à imposer un autre style, plus romantique et marqué par le blues. Au début des années 70, il connaît encore deux gros succès avec « la Maison près de la colline » et « le Sud », d’inspiration écologique. Il s’éloigne progressivement du métier et se consacre alors à la peinture. L’insuccès de son dernier album, au titre explicite, la Désabusion, en 1993, puis la mort de sa mère le poussent à mettre fin à ses jours. Littérature Mort de Julien Green. L’écrivain américain d’expression française meurt à Paris, où il était né, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. Issu d’une famille de riches Américains sudistes installés en France après la défaite des Confédérés, il publie en 1920 sa première nouvelle en anglais puis, quatre ans plus tard, son premier livre en français, un essai sur le catholicisme auquel il s’est converti à l’âge de seize ans. En 1926, il achève son premier roman, Mont Cinère, suivi, un an plus tard, du Voyageur sur la terre, recueil de nouvelles, et d’Adrienne Mesurat. Il connaît très vite le succès. En 1938, il sort le premier volume de son Journal qu’il poursuivra jusqu’en 1996. En 1971, il est élu à l’Académie française, dont il démissionnera en 1996. Il écrit des romans (parmi lesquels Léviathan, 1929, Varouna, 1940, Si j’étais vous, 1947, Dixie I, 1987, et Dixie II, 1989), mais aussi des essais, des pièces de théâtre et une Autobiographie. Dans un style d’une grande limpidité, il développe une oeuvre dont le thème dominant reste l’angoisse humaine, la folie, et le conflit entre la chair et la mystique, marqué par sa propre expérience de l’homosexualité. À sa demande, il est inhumé en Autriche. 14 France Assouplissement pour les sans-papiers. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, adresse une lettre aux préfets leur demandant d’assouplir un certain nombre de critères nécessaires à l’obtention d’une régularisation pour les étrangers entrés illégalement en France. Ces critères concernent notamment la nature des ressources dont ont bénéficié ces personnes depuis leur arrivée en France, les étrangers malades et les enfants arrivés en France en dehors du regroupement familial. On estime entre 10 000 et 15 000 le nombre de personnes qui devraient bénéficier de ces assouplissements. Environ 60 000 sans-papiers avaient été déboutés sur les quelque 150 000 qui avaient fait une demande de régularisation. France Nouveaux déchirements à droite. Gilles de Robien, député-maire de la ville d’Amiens, déchire sa carte d’adhérent à Démocratie libérale (DL) sur le plateau de France 3 pour protester contre l’adhésion à ce parti de Jacques Blanc, le président de la Région Languedoc-Roussillon, élu à ce poste avec les voix du Front national. Dans les jours qui suivent, un certain nombre de députés de DL, autour de Dominique Bussereau et de Jean-François Mattei, forment un courant au sein du parti, le Cercle libéral et réformateur, pour, non pas s’opposer à Alain Madelin, président du parti, mais lui « rappeler » les règles de la démocratie au sein de son organisation, notamment en ce qui concerne la question des rapports avec le Front national. 15 Grande-Bretagne Attentat meurtrier en Ulster. Un attentat à la voiture piégée dans la ville d’Omagh, à 80 km à l’ouest de Belfast, tue 28 personnes et en blesse 220 autres. Cet acte particulièrement meurtrier est revendiqué par une fraction dissidente de l’Armée républicaine irlandaise (IRA), l’IRA véritable, qui en regrette cependant les conséquences. Gerry Adams, leader du Sinn Féin, condamne fermement l’attentat, tandis que les organisations extrémistes catholiques et protestantes, opposées au processus de paix, font savoir qu’elles renoncent à la lutte armée. Le 25, le Premier ministre britannique Tony Blair, en coordination avec son homologue irlandais Bertie Ahern, annonce un renforcement du dispositif antiterroriste, notamment pour obliger les personnes au courant des activités des organisation terroristes à témoigner. Le renforcement des pouvoirs de la police dans une province où règne la « loi du silence » inquiète les responsables du Sinn Féin, qui n’ont pas downloadModeText.vue.download 148 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 147 confiance dans les forces de l’ordre, à domination protestante. 17 États-Unis Aveux de Bill Clinton. Après avoir été auditionné au moyen d’un circuit vidéo par le grand jury, le président américain reconnaît à la télévision qu’il a bien eu des relations sexuelles avec l’ancienne stagiaire à la MaisonBlanche, Monica Lewinsky. Il s’excuse d’avoir préalablement nié ces rapports en affirmant qu’il avait alors voulu protéger sa famille du scandale. En revanche, il nie avoir jamais cherché à forcer quiconque a un faux témoignage dans cette affaire. Là réside pour lui, en effet, le plus grand risque, car il pourrait être mis en accusation pour entrave à la justice. Il se défend enfin en rappelant qu’il est forcé de se justifier pour des affaires absolument privées, qui ne concernent pas sa gestion du pays, et que, par ailleurs, il est harcelé par un magistrat dont l’engagement à la droite du Parti républicain n’est un mystère pour personne. Dans les heures qui suivent cette déclaration, la presse est particulièrement sévère pour le chef de l’exécutif, mais l’opinion, d’après les sondages, estime que les explications données par M. Clinton sont satisfaisantes et qu’il ne devrait pas démissionner. Toutefois, la cote d’opinion favorable du président passe de 60 à 40 %. Russie Dévaluation de fait du rouble. Face à la crise financière que traverse le pays, les autorités russes annoncent une dévaluation de fait de la devise nationale qui évoluera désormais dans une fourchette comprise entre 6 et 9,5 roubles pour 1 dollar, ce qui représente une baisse potentielle de 50 %. Quelques mois auparavant, le gouvernement avait assuré qu’il garantirait jusqu’à l’an 2000 un cours du rouble à 6,2 pour 1 dollar avec une marge de fluctuation de 15 %. En moins de dix jours, le rouble perd 20 % de sa valeur par rapport à la monnaie américaine. Les épargnants russes cherchent à se débarrasser de leurs roubles, tandis qu’est annoncée une vaste réforme du système bancaire. De très importantes fusions seront opérées, ce qui devrait nettement diminuer le nombre des établissements financiers russes. Une grande partie d’entre eux sont littéralement au bord de l’asphyxie : pendant plusieurs années, ils ont emprunté des dollars pour racheter des bons du Trésor russes, qui offraient des taux d’intérêt élevés. Le gouvernement ayant annoncé une transformation de la dette publique à court terme en dette à moyen terme, les banques de taille moyenne, qui ont essentiellement spéculé sur les bons du Trésor, sont condamnées. (chrono. 23/08) 19 Athlétisme Exploits de Christine Arron. La sprinteuse française remporte, à vingt-trois ans, le titre de championne d’Europe du 100 m, en établissant un nouveau record européen en 1073, troisième performance mondiale. Trois jours plus tard, elle contribue largement au succès du 4 × 100 m féminin. Cependant, ces succès éclatants de Christine Arron ne peuvent cacher la relative médiocrité du bilan de l’athlétisme français qui termine les championnats d’Europe avec quatre médailles seulement, loin derrière les Britanniques, crédités de 16 médailles, dont 9 d’or, ou les Allemands (23 médailles, dont 8 d’or). 20 États-Unis Raids de représailles au Soudan et en Afghanistan. Deux semaines après les attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, la marine américaine envoie des missiles de croisière contre une usine proche de Khartoum soupçonnée de fabriquer des armes chimiques et contre des camps d’entraînement militaire à 150 km au sud de Kaboul. Le président Bill Clinton justifie ces raids par la présence en Afghanistan de l’homme d’affaires islamiste saoudien Oussama ben Laden, qui a publiquement appelé à des attentats contre l’Amérique, et par le fait que le Soudan fournissait les réseaux terroristes en explosifs. Aussitôt, la réprobation contre cette initiative de Washington est très forte dans le monde musulman, où l’on accuse le président Clinton de chercher ainsi à détourner l’attention provoquée par l’affaire Lewinsky. En Europe, Londres approuve, tandis que downloadModeText.vue.download 149 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 148 Paris et Bonn « comprennent » mais émettent des réserves. Moscou fait connaître sa désapprobation. 21 France Mise en examen d’Alain Juppé. L’ancien Premier ministre ainsi que l’ancien ministre de la Coopération Michel Roussin sont mis en examen pour détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêts et complicité et recel d’abus de biens sociaux. Cette décision intervient dans le cadre de l’affaire des emplois fictifs du RPR : une quarantaine de permanents du parti gaulliste auraient bénéficié d’emplois de complaisance soit de la part de la Ville de Paris, soit d’entreprises privées. Les faits remontent aux années 1988-1995 alors que MM. Juppé et Roussin étaient respectivement secrétaire général du RPR et deuxième adjoint à la mairie de Paris, et chef de cabinet de Jacques Chirac. M. Juppé assume intégralement les faits, ce qui exempte le président de la République de tout reproche, mais fait remarquer qu’à l’époque, en l’absence d’une législation complète sur le financement des partis, toutes les organisations politiques agissaient de la même façon. Cette mise en examen handicape le retour politique de M. Juppé, qui entendait prendre une part active à la campagne des européennes. 23 Russie Limogeage du gouvernement Kirienko. Six jours après la dévaluation de fait du rouble, le président Boris Eltsine renvoie le Premier ministre libéral Sergueï Kirienko, qu’il avait nommé cinq mois auparavant, pour rappeler Viktor Tchernomyrdine, qui fut à la tête du gouvernement pendant cinq ans. Le rappel de celui que M. Eltsine avait fini par considérer comme un rival et par renvoyer brutalement est considéré comme le signe d’une grave perte de pouvoir du président en exercice. D’autant que M. Tchemomyrdine a exigé un « contrôle total » sur les nominations des membres de son gouvernement. Le retour de cet ancien apparatchik de l’ère soviétique, qui a déclaré qui « on ne pourra pas faire sortir la Russie de la crise par des mesures uniquement monétaristes », inquiète les financiers internationaux ; en revanche, elle dope la Bourse de Moscou, qui estime que l’ancien patron de l’énorme complexe énergétique Gazprom qu’est M. Tchernomyrdine ne demandera pas à celle-ci de régler ses arriérés de paiement à ses fournisseurs et à l’État. (chrono. 31/08) 25 Aéronautique British Airways s’équipe en Airbus. La compagnie britannique, traditionnellement attachée à l’avionneur américain Boeing, se porte acquéreur de 59 court-courriers de la famille A 320 et met une option sur 129 autres appareils. La nouvelle, annoncée à Toulouse en présence de Tony Blair, constitue un vrai succès pour le constructeur européen. Toutefois, certains font remarquer que le consortium a consenti des réductions très importantes à British Airways, qui, par ailleurs, vient de signer avec Boeing l’achat de 16 long-courriers, sur lesquels les marges de profit sont bien plus importantes. Birmanie Nouveau défi de Aung San Suu Kyi. La lauréate du prix Nobel de la Paix 1991, leader de l’opposition démocratique, met fin à treize jours de grève de la faim dans sa voiture, après avoir été bloquée par la junte militaire qui voulait l’empêcher d’aller voir ses partisans en province. Nigeria Un pas significatif vers le retour à la démocratie. Le général Abdulsalam Abubakar, qui a succédé à la tête de l’État à Sani Abachi après la mort de celui-ci le 8 juin, annonce qu’il ne se présentera pas aux élections présidentielles du 27 février 1999. Il confirme ainsi sa volonté de rendre le pouvoir aux civils. Depuis son arrivée à la présidence. M. Abubakar a fait libérer une partie des prisonniers politiques. République démocratique du Congo Retour à Kinshasa de Laurent-Désiré Kabila. Le président de la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre) revient à Kinshasa, qu’il avait dû quitter une semaine auparavant du fait de l’avandownloadModeText.vue.download 150 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 149 cée des troupes rebelles de Tutsis congolais et de Rwandais, appuyés par l’Ouganda. Ce renversement de situation a été rendu possible par l’arrivée aux côtés de l’armée loyaliste de forces angolaises et zimbabwéennes. Celles-ci ont fait reculer les rebelles à l’ouest du pays. En revanche, ces derniers continuent de progresser dans le Nord-Est, où ils ont pris le contrôle de Kisangani. M. Kabila se retrouve désormais sous la férule de Luanda, comme il l’avait été précédemment sous celle de Kigali et de Kampala. Si les Congolais se sentent plus d’affinités, notamment ethniques, avec leurs voisins angolais qu’avec ceux du Rwanda, M. Kabila devra cependant satisfaire aux exigences du président Eduardo Dos Santos, particulièrement en ce qui concerne la fermeture de la frontière congolaise aux rebelles angolais de l’Unita. (chrono. 8/09) Aéronautique, l’année des restructurations Faisant suite à l’engagement, pris le 20 avril à Paris par les ministres de la Défense de six pays européens (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Espagne, Italie et Suède), de « définir, dans les délais les plus brefs, les moyens pour les gouvernements de créer l’environnement le plus favorable aux regroupements et fusions d’entreprises européennes », un accord-cadre sur l’accompagnement des restructurations industrielles dans le domaine de la Défense a été signé à Londres par ces mêmes ministres, le 6 juillet. Dans la foulée, au cours d’une conférence de presse convoquée en urgence par Aerospatiale et Matra Hautes Technologies, du Groupe Lagardère, a été annoncée la décision de fusion de ces deux sociétés, appelées à former, d’ici au 1er janvier 1999, le quatrième groupe mondial du secteur des industries aéronautiques et de défense, derrière Boeing, Lockheed-Martin et Raytheon-Hugues. Avec 80 milliards de francs de chiffre d’affaires (sans compter le CA de Dassault-Aviation, dont 46 % du capital devaient être transférés à Aerospatiale), employant 56 500 personnes (19 400 de Matra Hautes Technologies et 37 100 d’Aerospatiale), le groupe né de ce rapprochement a tout d’un géant avec le poids industriel et commercial que cela représente. La décision, arrêtée dans le plus grand secret – puisque les partenaires d’Aerospatiale dans le consortium Airbus Industrie n’en ont été informés que quelques heures avant la conférence de presse – entre le gouvernement français, actionnaire unique d’Aerospatiale, et les deux sociétés concernées, se traduit par la privatisation d’Aerospatiale. En effet, Lagardère SCA détiendra entre 30 et 33 % des parts de la nouvelle société, qui sera cotée en Bourse (20 % du capital devant y être proposés, dont une partie offerte aux salariés), l’État ne conservant que moins de 50 % des parts, mais se réservant un contrôle des seuils de participation au capital du nouvel ensemble. La création de celui-ci a été bien accueillie par les différents partenaires des deux groupes – bien que, côté britannique, on ait estimé la participation de l’État encore trop importante. Aerospatiale-Matra Hautes Technologies, nom provisoire du groupe, devient ainsi, sur le plan mondial, le numéro deux dans le domaine de l’espace (satellites), mais le numéro un pour les lanceurs dans le marché ouvert, le numéro deux pour les missiles, le numéro deux jusqu’en 1997 – derrière Boeing – pour les avi- ons de plus de 100 places, mais devenu numéro un pour les commandes au premier semestre de 1998, place confirmée au Salon aéronautique de Farnborough, numéro deux pour les avions biturbopropulseurs, numéro un mondial pour les hélicoptères sur les marchés ouverts. Sur le marché des avions civils, tandis que Boeing connaissait des difficultés de production et de livraison, sanctionnées par une perte de profits de 46 % (258 milliards de dollars, contre 476 milliards de dollars en 1997) au premier semestre 1998, d’où une chute de l’action, et annonçait une suppression de 18 000 à 28 000 emplois, Airbus Industrie marquait de nombreux points et accueillait de nouveaux clients, dont British Airways, avec 59 commandes fermes et 129 options sur la famille A319/320/321, et UPS, avec 30 commandes fermes et 30 options d’A300600F (cargo), deux compagnies jusque-là fidèles à Boeing, tandis qu’US Airways annonçait une commande de 30 appareils A330, devenant ainsi la première compagnie des États-Unis à choisir le biréacteur gros porteur très-long-courrier européen, dont les livraisons de la nouvelle version A330-200 ont débuté en 1998. Par ailleurs, plus de 120 commandes fermes et engagements d’achat, dont, à Farnborough, ceux d’Emirates et de la société de leasing ILFC, ont été enregistrés downloadModeText.vue.download 151 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 150 pour les quadriréacteurs A340-500 et -600, versions allongées et à plus long rayon d’action de l’A340, dont la commercialisation a été ouverte fin 1997 pour des livraisons dans la première décennie 2000. Après la dissolution du consortium franco-italo-britannique AI(R) et la renonciation au projet franco-sino-singapourien du biréacteur de 100 places AE31X, le lancement de l’A318 – version raccourcie de l’A319 dans la catégorie des 100 places – a été annoncé à Farnborough, tandis que le programme de l’A3XX, le super-jumbo du XXIe siècle programmé par Airbus Industrie pour mettre fin au monopole du Boeing 747-400 et entrer en ligne en 2004, progresse favorablement, avec le concours, pour sa définition, d’une vingtaine de très grandes compagnies aériennes. À la mi-septembre, le carnet de commandes fermes d’Airbus Industrie s’élevait à 1 180 appareils, pour un montant total de 75 milliards de dollars, représentant quatre ans de plan de charge. Au Salon de Farnborough, Airbus et Boeing ont annoncé chacun 84 nouvelles commandes fermes, représentant un chiffre d’affaires de 5,7 milliards de dollars pour Boeing et de 6,7 milliards pour Airbus, qui a dépassé le seuil des 3 000 commandes fermes (3 002 au 9 septembre). Avec environ 50 % du marché des avions civils, toutes catégories confondues, en 1998, Airbus Industrie, par la voix du président Forgeard, confirme son intention de conserver sa part de marché et de consolider sa position en élargissant sa famille d’appareils, tout en recherchant la valeur pour ses actionnaires. De son côté, Dassault-Aviation a, depuis janvier 1998, vendu plus de 60 jets d’affaires (Falcon 2000, 50EX et 900EX) et lancé le Falcon 900B. Parmi les autres contrats annoncés à Farnborough, le constructeur brésilien Embraer a, pour sa part, enregistré la commande par American Eagle, filiale régionale d’American Airlines, de 75 biréacteurs ERJ-135 de 37 sièges plus 75 options, contrat d’un montant potentiel de 2 milliards de dollars. PHILIPPE DELAUNES Cent ans d’aviation Déclarée « Année internationale de l’air et de l’espace », 1998 a marqué le premier centenaire de l’aviation et celui de Aéro-Club de France, doyen des aéro-clubs nationaux. De nombreuses manifestations ont célébré ce centenaire. Les 13 et 14 juillet, le Mondial des patrouilles a réuni sur la base aérienne d’Évreux douze des plus fameuses patrouilles de voltige militaires et civiles d’Europe, d’Afrique et d’Amérique du Sud, dont la patrouille de France. Du 10 au 27 septembre, « Champs d’aviation » a transformé les Champs-Élysées et la place de la Concorde en aérodrome, accueillant une trentaine d’avions, hélicoptères et planeurs, de l’Éole de Clément Ader au Rafale ; une exposition inaugurée par le président de la République. Enfin, le congrès mondial de la Fédération aéronautique internationale s’est tenu à Toulouse, capitale française de l’aéronautique et de l’espace, du 28 septembre au 3 octobre. 28 Turquie Le PKK proclame un cessez-le-feu. Reconnaissant que ses troupes ont été mises en difficulté par les offensives de l’armée turque, le leader des séparatistes kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan, proclame un cessez-le-feu unilatéral et appelle à des négociations avec le régime d’Ankara. Le Premier ministre Mesut Yilmaz rejette toute idée de négociation et exige la reddition de M. Öcalan. 30 Cyclisme Triomphe de l’équipe de Fronce sur piste. Confirmant leurs succès de l’an passé à Perth (Australie), les pistards français remportent six médailles d’or, une d’argent et deux de bronze. Avec deux médailles d’or chacun, Florian Rousseau, Arnaud Tournant et downloadModeText.vue.download 152 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 151 Félicia Ballanger sont les grands triomphateurs de ces Championnats du monde organisés à Bordeaux. 31 Bourse Chute à Wall Street. L’indice Dow Jones perd 512 points (– 6,36 %). Les opérateurs ont pris peur, estimant que le plan japonais de relance du nouveau Premier ministre, Keizo Obuchi, demeure trop timide et que les incertitudes politiques à Moscou menacent la stabilité économique de la Russie. Les Bourses européennes sont également touchées, mais, dès le lendemain, Wall Street regagne 3,8 %. Même si le secrétaire d’État américain au Trésor, Robert Rubin, affirme que les « fondamentaux de l’économie américaine restent forts », les opérateurs restent circonspects et craignent que l’inquiétude ne gagne les consommateurs américains. Russie Impasse politique totale à Moscou. Par la voix de leur leader Guennadi Ziouganov, les députés communistes, quasi majoritaires au Parlement (213 sièges avec leurs alliés, sur 442), confirment qu’ils refusent de donner leur investiture au nouveau Premier ministre Viktor Tchernomyrdine, que Boris Eltsine a rappelé après avoir limogé le jeune Sergueï Kirienko, de leur côté, les ultranationalistes de Vladimir Jirinovski (qui disposent de 50 sièges à la Douma) font de même. Pour sa part, M. Tchernomyrdine avait présenté un projet d’« accord politique » prévoyant une réduction importante des pouvoirs du président Boris Eltsine, un large transfert de compétences au profit du Parlement et un engagement réciproque de la présidence et de la Douma de ne pas dissoudre et de ne pas renverser le gouvernement pendant dix-huit mois, un délai jugé nécessaire pour pouvoir remettre de l’ordre dans les finances de la fédération de Russie. (chrono. 11/09) downloadModeText.vue.download 153 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 152 SEPTEMBRE 2 France Exclusion de l’UDF de Charles Millon et de Jean-Pierre Soisson. Les présidents des Régions Rhône-Alpes et Bourgogne, élus à leur poste avec les voix du Front national, sont exclus de l’UDF. Le cas de Jacques Blanc, élu à la tête de la Région Languedoc-Roussillon dans les mêmes conditions, est cependant laissé en suspens. Ce dernier est maintenu au sein du groupe parlementaire de Démocratie libérale (DL), l’organisation présidée par Alain Madelin, qui a succédé au Parti républicain. France Jean-Pierre Chevènement dans le coma. Le ministre de l’Intérieur est plongé dans un coma profond à la suite d’une intervention chirurgicale bénigne sur la vésicule bilière, au cours de laquelle son organisme a mal réagi à un produit anesthésiant. Après un début de polémique, la direction médicale de l’hôpital du Val-de-Grâce affirme que M. Chevènement avait bien bénéficié des examens préalables obligatoires à toute anesthésie. C’est Jean- Jacques Queyranne, secrétaire d’État à l’Outre-mer, qui assure l’intérim place Beauvau. Autour du 25, M. Chevènement recouvre ses facultés intellectuelles et envisage son retour aux affaires au début de 1999. Justice Coup de filet international contre un réseau pédophile. Coordonnée par la police britannique, l’opération « Cathédrale » permet l’arrestation d’une soixantaine de pédophiles opérant dans treize pays sur le réseau Internet. En France, 4 personnes sont interpellées : elles diffusaient sur le réseau des centaines de photos pornographiques. 4 France Libération d’Omar Raddad. Condamné en 1994 à dix-huit ans de réclusion pour le meurtre en 1991 de son employeur, Ghislaine Marchal, le jardinier marocain est libéré en application de la grâce partielle accordée en 1996 par Jacques Chirac. Un mouvement d’intellectuels et de juristes s’était mobilisé pour dénoncer les carences de l’enquête et du procès, qui avaient abouti à la condamnation de M. Raddad. Me Jacques Vergès, l’avocat de ce dernier, réclame une révision du procès. Rwanda Condamnation d’un ancien Premier ministre génocidaire. Le tribunal pénal international pour le Rwanda, qui siège à Arusha au Zimbabwe, condamne à la prison à vie Jean Kambada, Premier ministre du Rwanda en 1994, au moment du génocide des Tutsis et des Hutus modérés. M. Kambada avait reconnu sa responsa- bilité dans les massacres et collaboré avec le tribunal. Au Rwanda, le verdict est accueilli avec satisfaction, mais la population réclame que l’accusé purge sa peine au pays. Il est peu probable que le tribunal accède à cette demande, considérant que le Rwanda n’a pas fini de traverser une situation de guerre civile. 6 Cinéma Mort d’Akira Kurosawa. Le cinéaste japonais le plus connu dans le monde meurt à Tokyo, sa ville natale, à l’âge de quatrevingt-huit ans. Fils d’un officier, il suit des cours de peinture (notamment occidentale), avant de s’orienter vers le cinéma en 1936, tout en fréquentant des cercles intellectuels d’extrême gauche. Il réalise en 1943 son premier film, la Légende du grand judo, sur les arts martiaux. Après la guerre, il s’investit dans des films engagés socialement comme Ceux qui bâtissent l’avenir ou Je ne regrette rien de ma jeunesse. En 1948, il signe son premier chef-d’oeuvre, l’Ange ivre, avec celui qui deviendra son acteur fétiche, Toshiro Mifune. Sa réputation s’assoit définitivement avec Rashomon (1950, lion d’or à Venise, oscar du meilleur film étranger), l’Idiot (1951, d’après Dostoïevski), les Sept Samouraïs (1954) ou le Château de l’araignée (1957, d’après Shakespeare). En 1970, Dodes’kaden est un échec complet qui le ruine et le pousse à une tentative de suicide. Cependant, il recommence à tourner, grâce à un financement soviétique et sort Dersou Ouzala en 1975 (oscar du meilleur film étranger). Il reçoit la palme d’or à Cannes pour Kagemusha, en 1980. Son dernier film, Madadayo (1993), est une downloadModeText.vue.download 154 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 153 réflexion sur la transmission du savoir et de la sagesse d’un vieux professeur. Corée du Nord Kim Jong-il officiellement nommé chef de l’État. Quatre ans après la mort de son père Kim Il-sung, Kim junior est officiellement désigné chef de l’État par le Congrès suprême du peuple. Depuis 1994, il occupait les fonctions de président de la commission de défense nationale puis de secrétaire général du Parti des travailleurs. Cette promotion est interprétée comme une volonté d’asseoir un peu plus le régime alors que le pays traverse une très grave crise éco- nomique et que la famine frappe une partie de la population. Malte Victoire de la droite aux élections législatives. Le Parti nationaliste maltais, dirigé par Eddie Fenech Adami, l’emporte sur le Parti travailliste, au pouvoir depuis 1996. M. Adami redevient ainsi Premier ministre pour la troisième fois. Il avait été battu en 1996 pour avoir voulu instaurer la TVA dans l’île. Pro-occidental et pro-européen, M. Adami entend relancer la candidature de Malte à l’Union européenne, même si la population demeure très divisée sur la question. Kurosawa Il est des cinéastes rares, défricheurs d’un nouveau monde, dont la créativité a bouleversé le cours de leur art : tel était Akira Kurosawa, grand maître du cinéma japonais, aux côtés de Mizoguchi et d’Ozu. Son oeuvre, d’une profonde variété, est l’une des plus inventives de l’histoire du cinéma : japonaise par sa description d’un monde et d’une morale disparus, occidentale par sa technique cinématographique, universelle par son alliance de puissance, d’émotion et d’élégance. L’empire du Soleil levant a perdu son Tenno, l’« Empereur ». Non pas le souverain du Japon, mais son plus prestigieux cinéaste, Akira Kurosawa. Ce surnom accordé au réalisateur par des journalistes japonais, au soir de sa vie, lui vaut une reconnaissance que son pays lui mesura longtemps. Paradoxe d’un créateur qui a fait découvrir à l’Occident le cinéma japonais et qui, de son vivant, est entré dans la légende du septième art, en compagnie d’autres géants, eux aussi disparus : Antonioni, Ford, Renoir, Welles... Kagemusha ou le double Pour de nombreux cinéphiles, Kurosawa est déjà mort une première fois à la fin de 1997, lors de la disparition de Toshiro Mifune, son acteur fétiche. Bandit (Rashomon, 1950), voyou (les Bas-Fonds, 1957), samouraï déchu (la Forteresse cachée, 1958), médecin tyrannique (Barberousse, 1965), toute une galerie de héros marginaux auxquels Mifune insuffle toute la vitalité de son jeu, énergique, et de sa diction, frénétique. Son interprétation tranche avec le hiératisme des comédiens japonais, imprégnés de kabuki : « L’acteur japonais ordinaire, pour traduire une impression, a besoin de trois mètres de pellicule : pour Mifune, un mètre suffisait. » Pour tous les cinéphiles, Mifune devient le porte-parole de Kurosawa, son double en cinéma : le goût de l’action physique et du mouvement du réalisateur, c’est l’acteur qui l’incarne, qui l’amplifie même à l’écran. Cette relation privilégiée dure le temps de faire quinze films (sur un total de trente), de l’Ange ivre (1948) à Barberousse (1965), c’est-à-dire pendant toute la première carrière de Kurosawa – la période en noir et blanc –, jusqu’à ce que Mifune brise cette relation duelle dont il ne perçoit plus que l’aspect conflictuel. Un autre type de relation duelle anime et éclaire le cinéma de Kurosawa : celle qui le lia à son frère aîné, Heigo. Celui-ci l’initia à la littérature russe, lui fit aimer et connaître le septième art : il était benshi, c’est-à-dire doubleur de personnages de films muets, spécialisé dans le cinéma étranger. Il se suicida en 1933, alors que l’avènement du cinéma parlant réduisait les benshi au chômage. Kurosawa fit du cinéma pour reprendre la rôle qu’il estimait dévolu a son frère : « Je préfère penser que celui-ci fut le négatif original dont je suis le développement comme image positive. » Pour lui, on est toujours le kagemusha (la doublure) – le titre d’un de ses films – d’un autre. Souvent, les films de Kurosawa font de ce type de relation, à la fois respectueuse et tendue, entre deux personnages leur motif principal : un médecin alcoolique et un truand tuberculeux dans l’Ange ivre (1948), un vieux médecin et son disciple dans Barberousse (1965), un paysan et un homme de science dans Dersou Ouzala (1975), downloadModeText.vue.download 155 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 154 un voleur et un général défunt dans Kagemusha (1980). Histoires de couples masculins, qui, chez Kurosawa, remplacent le couple homme-femme filmé par d’autres cinéastes. Une vocation universelle Kurosawa renonce donc à une vocation de peintre. Il devient assistant réalisateur aux grands studios de cinéma PCL en 1935, puis réalise ses premières oeuvres dans des conditions précaires, le Japon étant en guerre, et les budgets de l’après-guerre maigres) : films historiques (la Légende du grand judo, 1943), films noirs (l’Ange ivre, 1948), mélodrames (le Duel silencieux, 1949). Mais la présentation de Rashomon en Europe – variation pirandellienne, d’après une légende médiévale, sur la relativité de la vérité humaine – inaugure une période de succès ininterrompue, jusqu’à Barberousse (1965) : présenté à Venise, à l’insu du cinéaste, le film obtient le lion d’or en 1951. En 1954, la puissance expressive d’un film historique, les Sept Samouraïs, en lequel les cinéphiles voient un grand western japonais, établit en Europe sa réputation de maître du lyrisme spectaculaire et de la tragédie humaine. Ce que confirment ses adaptations de Dostoïevski (l’Idiot, 1951), Gorki (les Bas-Fonds, 1957) et Shakespeare (le Château de l’araignée, 1957, d’après Macbeth). Mais cet intérêt pour la culture européenne, pour une technique cinématographique par trop « occidentale », est peu apprécié au Japon, où on lui reproche d’être peu « japonais », de décrire un Japon disparu, converti au matérialisme produit par l’essor économique. Querelle stérile pour Kurosawa, dont l’oeuvre a priori disparate se veut une synthèse entre la tradition théâtrale japonaise et les représentations occidentales : « Je pense à la terre comme à ma patrie. N’importe où dans le monde, je ne me sens pas étranger », écritil dans Comme une autobiographie (1981). La crise des studios japonais contraint le cinéaste à créer sa société de production indépendante. Sa carrière est relancée en 1970, avec son premier film en couleurs, Dodes’kaden. Trop onirique, trop désespérée, l’oeuvre ne trouve pas son public. Pis, elle mène un Kurosawa désabusé à une tentative de suicide. Mal aimé en son pays, le cinéaste devra la poursuite de son oeuvre à des productions internationales : russe (Dersou Ouzala, 1975), avec Francis Ford Coppola et George Lucas (Kagemusha, 1980), Serge Silberman (Ran, 1985), Steven Spielberg (Rêves, 1989). Concessions faites à un cinéaste vieillissant par ses producteurs, ses deux derniers films en forme d’insolite bilan (Rhapsodie en août, 1990 ; Madadayo, 1993) semblent s’accommoder d’une réalité transfigurée par la vision intérieure de Kurosawa : insolentes leçons de jeunesse adressées aussi bien à l’histoire collective qu’à l’expérience individuelle. FRÉDÉRIC PERROUD Les principaux films La Légende du grand judo (1943) Les Hommes qui marchent sur la queue du tigre (1945) L’Ange ivre (1948) Chien enragé (1949) Rashomon (1950) L’Idiot (1951) Vivre (1952) Les Sept Samouraïs (1954) Le Château de l’araignée (1957) Les Bas-Fonds (1957) La Forteresse cachée (1958) Yojimbo (1961) Sanjuro (1962) Entre le ciel et l’enfer (1963) Barberousse (1965) Dodes’kaden (1970) Dersou Ouzala (1975) Kagemusha (1980) Ran (1985) Rêves (1989) Rhapsodie en août (1990) Madadayo (1993) 8 République démocratique du Congo Échec de la conférence de Victoria Falls. Malgré un appel au cessez-le-feu, la conférence de paix réunissant les différentes nations (Congo, Angola. Zimbabwe, Namibie, Rwanda, Ouganda) et factions impliquées dans les affrontements au Congo s’achève sur un constat d’impuissance. La RDC s’installe dans la guerre : Laurent-Désiré Kabila, soutenu par les troupes de Luanda, Harare et Windhoek, contrôle le centre et l’ouest du pays, tandis que downloadModeText.vue.download 156 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 155 les rebelles, appuyés par Kigali et Kampala, se sont solidement implantés dans l’est. 9 États-Unis Relance de l’affaire Lewinsky. Alors que le président Bill Clinton ne manque pas une occasion de regretter publiquement sa liaison avec la stagiaire à la Maison-Blanche, le procureur spécial Kenneth Starr remet au Congrès son rapport sur l’affaire. Ce document indique que le président et la jeune femme ont eu des rapports de nature sexuelle (fellations) à dix reprises et donne dans des deuils tout à fait intimes. Il conclut sur le fait que le président a commis de graves infractions pouvant ouvrir la voie à une procédure de destitution : mensonge, faux témoignage, obstruction à la justice, parjure, subornation de témoin et abus de pouvoir. Dés qu’elle est en possession officielle du rapport Starr, la majorité républicaine du Congrès décide de sa publication sur le réseau Internet. Dans les heures qui suivent, des sondages indiquent que 66 % des Américains estiment que M. Clinton devrait aller au bout de son mandat. La plupart des grands dirigeants étrangers, dont Jacques Chirac, font connaître leur soutien au président américain, tandis que de nombreux observateurs s’émeuvent de cette procédure exceptionnelle menée contre ce dernier, qui touche exclusivement à sa vie privée et qui semble inspirée par une démarche politicienne, notamment en provenance des milieux les plus conservateurs du Parti républicain, dont le procureur Starr est proche. (chrono. 21/09) France Présentation du budget 1999. Le projet de loi de finances est présenté en Conseil des ministres. Il se fonde sur une prévision de croissance de 2,7 %, ce que l’opposition juge excessif, compte tenu de la récession mondiale. 0,1 % de croissance du PIB représentant environ 8,5 milliards de francs et les prélèvements de l’État se montant à 15 % du PIB, tout recul de la croissance de 0,1 % se chiffre à environ 1 milliard de francs, ce qui laisse au gouvernement une certaine marge. Celui-ci prévoit de ramener le déficit des finances publiques à 2,9 % dès 1998 et à 2,3 % en 1999. Les dépenses nouvelles augmenteront de 2,2 % en valeur, soit une hausse de 16 milliards de francs, et 30 milliards de francs seront redéployés. Les ministères les mieux dotés sont ceux de la Ville (+ 32 %), de l’Environnement (+ 15 %), de la Justice (+ 5,6 %), l’Enseignement supérieur et la recherche (+ 5,5 %), de la Santé et de la Solidarité (+ 4,5 %) et de l’Enseignement scolaire (+ 4,1 %). Les baisses d’impôt se monteront à 16,1 milliards et 21,3 milliards seront affectés à la réduction du déficit public. Jacques Chirac estime que les baisses d’impôt sont insuffisantes, alors que les communistes jugent les hausses de dépenses publiques trop limitées. France Remise d’un rapport sur la Corse. La commission parlementaire sur la gestion des fonds publics en Corse, présidée par le député PS Jean Glavany, remet son rapport au Premier ministre. Ce document, qui dénonce l’émergence dans l’île d’un « système prémafieux », met en cause à la fois les élus locaux, qui « n’ont pas pris la mesure de leurs responsabilités » et les gouvernements successifs depuis vingt ans, qui ont cru que « la paix civile s’achète ou se vend à coup de nouvelles dérogations fiscales, de dettes effacées ou d’amnisties excessives ». Avec 11 500 francs par an et par habitant de dotations spécifiques (sans compter les subventions européennes), la Corse se situe loin devant toutes les autres Régions françaises pour ce qui est de l’aide publique. Pour- tant, la majorité des 250 000 habitants de l’île n’en bénéficient pas. Sont particulièrement mis en cause la Caisse de développement de la Corse (Cadec) et le Crédit agricole. De très importantes créances ne pourront jamais être recouvrées et un dossier de la Cadec met en cause « une figure notoire du grand banditisme insulaire ». Un budget en demi-teinte Portée par une prévision de forte croissance, la loi de finances pour 1999 a été votée le 18 novembre à l’Assemblée nationale, sans grand enthousiasme, après cinq semaines d’un débat animé qui n’a eu que peu d’impact sur la version finale. La copie se voulait consensuelle, mais elle fut vivement critiquée par la droite comme par certaines composantes de la « majorité downloadModeText.vue.download 157 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 156 plurielle », qui l’approuvèrent plus par discipline que par conviction. Sachons être optimiste tout en restant prudent. Tel paraît être le principe auquel s’est tenu le gouvernement pour élaborer son budget 1999, voté solennellement le 18 novembre par l’Assemblée nationale. Tablant sur une croissance de 2,7 %, le projet de loi de finances présenté par Dominique Strauss-Kahn ne se laissera pour autant pas aller à de trop grandes largesses budgétaires. Pour cet acte majeur de la vie parlementaire, le gouvernement de la « gauche plurielle » a donc voulu jouer la carte de la prudence et du consensus ; mais à vouloir contenter le plus grand nombre, ce budget en demi-teinte en mécontentera beaucoup, se heurtant à de vives oppositions à droite comme à gauche de l’hémicycle, et malmenant ce principe de concertation cher à M. Jospin. Pourtant animé, le débat budgétaire entamé le 13 octobre à l’Assemblée ne fera pas fléchir le gouvernement, qui ne concède que des modifications minimes à son projet de budget. Entre une opposition plus combative car revigorée par sa victoire provisoire sur le PACS et ses alliés de la » majorité plurielle » soucieux d’affirmer leur ancrage à gauche à l’approche des européennes, le compromis était certes difficile et la marge de manoeuvre étroite pour un gouvernement dont la priorité affichée est de ne pas laisser filer un déficit budgétaire fixé, à 237,329 milliards de francs. Accusé d’avoir surestimé la croissance en 1999, le ministre de l’Économie et des Finances affirme fonder ces prévisions sur le « réalisme », et le « collectif » budgétaire de fin d’année semblait lui donner raison, la bonne tenue de la croissance en 1998 ayant permis de réviser à la hausse les recettes fiscales de l’année – 11 milliards de francs supplémentaires qui abaisseront le déficit budgétaire initialement annoncé. Mais si la tendance est encourageante, rien n’assure qu’elle se maintiendra contestent les communistes, dont le président du groupe parlementaire, Alain Bocquet, affirmait le 9 septembre que le budget n’est pas à la hauteur des menaces de plus en plus tangibles qui pèsent sur la croissance ». Devant les commissions des finances de l’Assemblée nationale, M. Bocquet reprochait « le manque d’ambition sociale » du projet de budget, qu’il soupçonnait de « donner des gages à l’ultralibéralisme » malgré certaines mesures comme le relèvement de l’impôt sur la fortune. Les critiques sont bien sûr, diamétralement opposées à droite, où l’on dénonce les tentations étatistes d’un texte qui bride le marché par une réduction insuffisante de la pression fiscale et l’augmentation de la dépense publique ; bref, la vague de la croissance sur laquelle s’est laissé porter le gouvernement risque fort de se briser sur son budget. Quant à la modification d’une taxe professionnel le considérée partout le monde, ou presque, comme un frein à l’emploi, elle a été plutôt mal perçue par les élus locaux, qui voient ainsi fondre une partie des ressources des collectivités territoriales, alors que le gouvernement y voit un gage de sa politique de la main tendue aux entreprises. Sujet de controverse permanent, la question des impôts a donné lieu à une course aux amendements entre les composantes de la majorité plurielle et l’opposition, une épreuve dont les alliés du gouvernement ne sortiront pas forcément vainqueurs. Pressé par sa majorité d’engager des baisses d’impôt plus conséquentes pour les ménages, notamment à travers la TVA, de mettre en oeuvre une réforme de la fiscalité du patrimoine plus audacieuse, ou encore d’adopter la réforme de la fiscalité écologique pénalisant les pollueurs, le gouvernement ne répondra que partiellement à ses attentes. Alors que les députés de la majorité sont presque systématiquement remis au pas quand ils s’opposent trop ouvertement à M. Jospin, ce dernier semble plus soucieux de ne pas s’attirer les foudres de l’opposition, et sera soupçonné pour cela de suivre une « stratégie présidentielle ». C’est ainsi que sous les pressions de la droite, il fait machine arrière sur sa réforme fiscale concernant l’assurance vie. Partant du constat généralement admis que l’exonération quasi totale des droits de succession a transformé l’assurance vie en un refuge pour certaines très grosses fortunes désireuses d’échapper à l’impôt, Bercy avait cru pouvoir soumettre ces produits d’épargne à la taxation, qui plus est avec rétroactivité. Devant le tollé suscité dans l’opposition sur le caractère rétroactif de ce dispositif, il se contentera d’une demimesure : l’exonération des droits de succession est maintenue quand les sommes léguées n’excèdent pas un million de francs, la taxation étant fixée, au-delà, à un taux forfaitaire de 20 %. Son effet en sera limité, puisqu’elle s’appliquera seulement aux nouveaux contrats et non aux contrats en cours, une concession saluée comme une « victoire » par le secrétaire général du RPR Nicolas Sarkozy, le plus farouche adversaire de downloadModeText.vue.download 158 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 157 ce dispositif. Cette volte-face gouvernementale, qui prétend sacrifier à l’exigence de consensus, n’a fait qu’en trahir les limites : sans s’attirer l’indulgence de l’opposition, le budget a quelque peu malmené la cohésion de la gauche plurielle, qui n’avait d’autre choix que de le voter. Et les chiffres publiés par l’Insee quelques jours après, faisant redouter une croissance quasi nulle l’an prochain, ne sont pas de très bon augure... GARI ULUBEYAN Le budget se met au vert... De l’avis de certains députés communistes, le débat à l’Assemblée n’aura servi qu’a modeler le budget par « petites touches ». Mais si le PC a obtenu satisfaction, notamment sur un dispositif controversé de lutte contre la fraude fiscale qui autorise l’administration fiscale à utiliser le numéro de Sécurité sociale afin d’identifier les contribuables, ce sont surtout des touches de vert qui ont été apportées au budget. Avec une augmentation de 15 % du budget Environnement, ce qui porte celui-ci à 0,3 % du budget de l’État alors qu’il était limité depuis dix ans à 0,14 %, Dominique Voynet n’a pas à se plaindre. L’Assemblée a, par ailleurs, adopté la réforme de la fiscalité écologique, qui se traduira notamment par un relèvement de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) concernant le gazole. Les carburants non polluants et les utilisateurs d’énergie propre se verront récompenser, le GPL (gaz de pétrole liquéfié) et l’aquazole (émulsion d’eau et de gazole) faisant l’objet de baisses de ta fiscalité. 11 Algérie Retrait de Liamine Zeroual. Le président algérien annonce que des élections présidentielles anticipées auront lieu avant février 1999 et qu’il n’y sera pas candidat. Les milieux politiques comme l’opinion publique sont totalement surpris par cette déclaration. Plusieurs hypothèses sont évoquées : l’état de santé du général Zeroual, l’exacerbation des tensions sociales que ce soudain départ pourrait, au moins temporairement, désamorcer, mais, surtout, les clivages importants au sein de l’équipe dirigeante. Cette dernière hypothèse avait été renforcée ces dernières semaines par l’affaire Mohamed Betchine. Ce général, très proche du président Zeroual, avait été mis en cause pour son affairisme par une partie de la presse, aux mains d’un clan rival de hauts gradés. En outre, le général Betchine passait pour un partisan d’une ligne islamo-populiste rejetée par la fraction éradicatrice-laïque du haut commandement militaire. Russie Investiture de Evgueni Primakov. Après que la Douma a rejeté par deux fois la candidature au poste de Premier ministre de Viktor Tchernomyrdine, elle accepte à une large majorité (315 voix contre 63 et 15 abstentions) celle de M. Primakov, jusqu’alors ministre des Affaires étrangères. Âgé de soixante-neuf ans, celui-ci a derrière lui une longue carrière. Spécialiste du monde arabe, il a d’abord exercé la profession de journaliste avant de diriger différents centres de recherche sur la politique internationale. En 1991, il rejoint le KGB au poste de no 2. À l’époque de la guerre du Golfe, devenu membre suppléant du Politburo, il assure plusieurs missions à Bagdad et, en 1996, remplace à la tête de la diplomatie russe Andreï Kozyrev, jugé trop pro-occidental. L’investiture de cet ancien apparatchik de 1ère soviétique, qui a bénéficié de l’appui des communistes, représente un coup très grave porté à l’autorité de Boris Eltsine, forcé de se déjuger sur le choix de son jeune poulain Kirienko, puis incapable d’imposer le retour aux affaires de M. Tchernomyrdine. Tout en affirmant sa volonté de prendre en compte les « besoins sociaux » de la population, M. Primakov tente de rassurer les Occidentaux en assurant qu’il entend poursuivre les réformes et payer toutes les dettes de la Russie. Il constitue son équipe en nommant un communiste, Iouri Maslioukov, no 2 du gouvernement, mais en le flanquant de trois centristes, proches de M. Tchernomyrdine, Alexandre Chokhine, chargé des relations avec les institutions financières internationales, Vladimir Ryjkov, aux Affaires sociales, et Vladimir Boulgak, à l’Intérieur. Rapidement, les contradictions se font jour : M. Chokhine démissionne à la suite de la nomination aux Finances de Mikhaïl Zadornov, poste que ce dernier occupait déjà dans le gouvernement Kirienko. M. Chokhine estime downloadModeText.vue.download 159 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 158 que c’est une erreur de nommer des hommes déjà responsables de la crise que traverse le pays. Evgueni Primakov Quelques jours avant d’accepter de tenter de sortir la Russie du chaos, Evgueni Primakov, ministre sortant des Affaires étrangères, affirmait avec force qu’il ne « pouvait pas » prendre la tête du nouveau cabinet, comme le lui proposait une coalition hétéroclite regroupant aussi bien des libéraux que les communistes. C’est dire le peu d’enthousiasme avec lequel cet homme de soixante-huit ans, actif en politique sous Leonid Brejnev déjà, s’est attaché à former le gouvernement de transition destiné à aider la Russie à franchir le double cap de la débâcle financière et de l’interminable fin de règne eltsinien. Avant d’être projeté sous les sunlights de l’actualité par sa nomination au service de l’État soviétique, puis russe, au poste de Premier ministre à la mi-septembre 1998, Evgueni Primakov a accompli une longue carrière tout entière faite de discrétion et de compétence affirmées. Dans les années 50, il côtoie Mikhaïl Gorbatchev sur les bancs de l’université de Moscou, avant d’apprendre l’arabe et de se spécialiser dans les questions du Proche-Orient, dont il est devenu, au fil des années, un des meilleurs connaisseurs en Russie. Correspondant de la Pradva au Moyen-Orient dans les années 60, il est aussi un médiateur formé à l’école du KGB, accoutumé aux missions délicates. C’est ainsi qu’il est amené à s’entremettre entre les nationalistes kurdes et le pouvoir en place à Bagdad. Sa carrière au sein du PCUS est assez lente : il entre au Comité central comme suppléant en 1986, devenant titulaire en 1989. Son destin accompagne alors celui de M. Gorbatchev, qui le fait nommer comme suppléant au Bureau politique. Durant la guerre du Golfe, il entreprend vainement plusieurs missions de bons offices auprès de Saddam Hussein, qu’il a « pratiqué » dans les années 60. Il jouera à nouveau un rôle de conciliateur lors du bras de fer entre Washington et Bagdad, à l’automne 1997. Évitant de se compromettre par des choix trop tranchés durant la transition de l’époque soviétique à l’ère eltsinienne, cet homme habile se voit confier la responsabilité des services du contre-espionnage russe en 1991, puis il revient au premier plan en janvier 1996 en devenant ministre des Affaires étrangères du gouvernement dirigé par Victor Tchernomyrdine. Il remplace à ce poste Andreï Kozyrev, que Boris Eltsine juge trop aligné sur les chancelleries occidentales. Il s’efforce alors d’opérer un infléchissement de la politique internationale de la Russie, lui permettant de mieux faire prévaloir ses intérêts vitaux, sans toutefois froisser l’Occident. Cette réorientation se traduit par une tentative de resserrement des liens avec d’anciens partenaires de l’URSS en Orient, dont l’Iran et l’Irak, mais aussi par une opposition marquée à l’extension de l’OTAN jusqu’aux confins de la Russie. Il affiche un soutien sans ambiguïté aux ambitions de Slobodan Milosevic en ex-Yougoslavie. Parallèlement, il s’efforce de rétablir la position de la Russie dans le commerce des armes. Ces efforts pour faire valoir sur la scène internationale les intérêts et engagements traditionnels de la puissance russe mis à mal par la transition chaotique lui valent l’estime des militaires, des services secrets, mais aussi des nationalistes et des communistes qui apprécient son « patriotisme ». Mais, d’un autre côté, il a su nouer de précieuses relations parmi les libéraux qui apprécient son pragmatisme, son habileté tactique et sa modération. Tous admirent sa longévité politique, son tempérament peu intrigant et l’art avec lequel il a su passer sans heurt du service de Mikhaïl Gorbatchev à celui de Boris Eltsine. Last but not least, son absence déclarée d’ambitions présidentielles en faisait, dans le contexte de blocage des institutions suscité par la fronde de la Douma, le candidat idéal – avant que ne sonne en 2000 l’heure des grandes batailles pour le Kremlin. Mais tous ces atouts ne pèsent, semble-t-il, pas d’un poids bien lourd auprès de l’imbroglio financier, économique et politique dans lequel se trouve la Russie. E. Primakov, présenté comme l’homme de l’apaisement et du consensus, a eu toutes les peines du monde à former un gouvernement hétéroclite, où les différentes factions tirent à hue et à dia. Ses exhortations adressées aux communistes et aux mécontents à ne pas « faire chavirer le navire dans une mer démontée » n’ont pas freiné l’agitation sociale. Une des craintes du Premier ministre est que la crise économique et sociale sans fin ne débouche sur un « éclatement du pays », sanctionné par la paralysie du pouvoir central et le renforcement des tendances centrifuges – les pouvoirs locaux downloadModeText.vue.download 160 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 159 tentant de sauver leur épingle du jeu en s’affranchissant de Moscou. La spirale inflationniste n’ayant pas été enrayée, le gouvernement de Primakov a dû se résoudre à une nouvelle émission monétaire à la fin de l’année 1998 – équivalente à 20 milliards de francs environ. Le budget du dernier trimestre 1998 accusait un déficit particulièrement fort, avec des revenus inférieurs de moitié aux dépenses. Selon les estimations de la Banque centrale de Russie, l’inflation devait atteindre environ 300 % à la fin de l’année, et le produit intérieur brut chuter de 5 à 6 %. Remplaçant au pied levé Boris Eltsine, une nouvelle fois rendu indisponible par la maladie, lors du sommet russo-européen de Vienne fin octobre 1998, Evgueni Primakov n’a pas caché la gravité de la situation de son pays, menacé par de dramatiques pénuries pendant l’hiver à venir : « je ne viens pas la main tendue, a-t-il déclaré en substance à ses interlocuteurs, mais une aide alimentaire d’urgence permettrait, éventuellement, d’éviter le pire – tout en permettant aux Occidentaux d’alléger leurs surplus... » ALAIN BROSSAT Primakov Dès sa nomination au poste de Premier ministre, Evgueni Primakov s’est efforcé de rassurer l’Occident et les bailleurs de fonds sur l’aide desquels il compte pour redresser la situation financière et économique de son pays : « La Russie ne refusera pas de respecter ses engagements, nous paierons toutes nos dettes. La Russie n’est pas un pays à se déclarer en faillite. Le gouvernement s’en chargera et travaille déjà en ce sens. » Mais, déclarant d’un même élan qu’il fallait « aller vers une économie prenant en compte les besoins sociaux de la société, une économie à orientation sociale », il suscitait la méfiance du Fonds monétaire international. À défaut d’avoir manifesté clairement son intention de maintenir le cap de la marche forcée à l’économie de marché, quel qu’en soit le coût social, il s’est vu refuser un prêt de 4,3 milliards de dollars qui devait être versé à la Russie en septembre 1998. Faute d’adopter un programme économique « crédible et convaincant », dans l’esprit du FMI, la Russie se verra privée de toute aide. Dans le même esprit, une demande d’aide humanitaire adressée par E. Primakov à l’Union européenne suscitait en octobre 1998 une réponse aussi dilatoire que lapidaire de la part de Jacques Santer, président de la commission de l’UE : cette requête, dit-il, « mérite réflexion ». 12 Bosnie Résultats contradictoires aux élections générales. Le Parti radical serbe (SRS) de Nikola Poplasen l’emporte en Republika Srpska (entité serbe de Bosnie) sur les modérés de la présidente Biljana Plavsic. Cette victoire des extrémistes, proches de Radovan Karadzic, porte un coup sérieux au processus de paix mis sur pied par les Occidentaux après les accords de Dayton en décembre 1995. Toutefois, c’est un Serbe modéré qui est élu à la place d’un extrémiste à la présidence collégiale de la Bosnie, du fait des réfugiés musulmans qui ont voté à leur ancien domicile. Dans les communautés croate et musulmane, les candidats nationalistes restent en tête, mais les petits partis démocrates enregistrent une légère progression. 13 Albanie Nouvelles émeutes à Tirana. Après l’assassinat d’un député du Parti démocratique (PD) de l’ex-président Sali Berisha, une très violente manifestation oppose les partisans de l’opposition aux forces de l’ordre. Les manifestants accusent le pouvoir du Premier ministre socialiste Fatos Nano. M. Berisha défie le gouvernement mais ne parvient pas à le déstabiliser, M. Nano pouvant se prévaloir du soutien de la communauté internationale. Toutefois, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et le Conseil de l’Europe enjoignent les deux parties de reprendre les négociations. (chrono. 28/9) 14 Cambodge Médiation du roi Norodom Sihanouk. Après plusieurs jours de violentes manifestations et contre-manifestations, l’ancien roi du Cambodge downloadModeText.vue.download 161 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 160 tente une médiation entre le Premier ministre Hun Sen et les deux leaders de l’opposition, Norodom Ranariddh, chef du Funcinpec (parti royaliste), et Sam Rainsy. Ces derniers contestent les résultats des élections du 26 juillet, qui avaient donné la victoire aux ex-communistes. Tennis Lindsay Davenport et Patrick Rafter vainqueurs à Flushing Meadows. L’Américaine remporte son premier titre du grand chelem en s’imposant en finale contre la Suissesse Martina Hingis. L’Australien, tenant du titre, l’emporte pour sa part sur son compatriote Mark Philippousis. 15 France Projet de loi sur la présomption d’innocence. Élisabeth Guigou, ministre de la Justice, présente un projet de loi prévoyant la présence d’un avocat auprès de la personne mise en garde à vue dès la première heure (sauf en cas de trafic de drogue, de terrorisme et de criminalité organisée) et l’intervention d’un juge distinct du magistral instructeur pour les mises en détention provisoire. Les professionnels de la justice sont, dans l’ensemble, très réticents. 16 France François Bayrou à la tête de l’UDF. Le président de Force démocrate succède, avec 89 % des voix, à François Léotard à la tête de la confédération créée en 1978 par Valéry Giscard d’Estaing. Il a pour mission de relancer une organisation affaiblie par le départ, en mai, d’Alain Madelin et de Démocratie libérale, par les hésitations des élus face au Front national et à la démarche de Charles Millon, et par la tendance à toujours mettre aux postes de direction les dirigeants des différentes composantes de la confédération (Parti radical, PPDF, adhérents directs) au détriment de personnalités nouvelles et jeunes. 17 Birmanie Défi de l’opposition à la junte. Quelques jours après que les militaires au pouvoir ont fait emprisonner plus d’une centaine de membres de la Ligue nationale pour la paix de Mme Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, l’opposition crée un « comité parlementaire ». Cet organisme a pour mission de représenter les députés élus en 1990 lors des élections annulées par la junte. Espagne Annonce d’une trêve par l’ETA. L’organisation indépendantiste basque décrète une trêve « unilatérale et illimitée », trois jours après que les partis nationalistes modérés et la coalition Herri Batasuna, vitrine légale de l’ETA, ont proposé une solution négociée au conflit. Un conflit qui dure depuis 1968 et qui a causé la mort de 768 personnes. L’ETA propose que l’on s’inspire du modèle irlandais et que l’on mette en place une institution représentant le Pays basque espagnol, la Navarre et le Pays basque français. Le chef du gouvernement espagnol, José Maria Aznar, réagit en déclarant qu’il souhaite avoir des « preuves tangibles » de la volonté des indépendantistes et qu’il veut mettre la trêve de l’ETA à l’épreuve du temps. France Obstacle à Coca-Cola. Se fondant sur l’avis du Conseil de la concurrence, le ministre de l’Économie, Dominique Strauss-Kahn, s’oppose à la reprise d’Orangina par la firme américaine. Le ministre craignait que la concurrence soit particulièrement mise à mal sur le secteur du « hors domicile » (distributeurs dans les stades, cinémas, etc.), le plus rentable pour les fabricants de boissons gazeuses. Le ministre a été également sensible à des arguments de politique intérieure : s’opposer à CocaCola ne pouvait que réjouir les partenaires commudownloadModeText.vue.download 162 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 161 nistes, par ailleurs de plus en plus critiques sur la politique gouvernementale. 19 France Première Techno Parade à Paris. À l’initiative de Jack Lang et sur le modèle de la Love Parade de Berlin, 130 000 personnes assistent dans les rues de la capitale au défilé des chars jusqu’à la place de la Nation, où a lieu un grand concert de musique techno. Liberia Violences à Monrovia. Une quarantaine de personnes sont tuées dans la capitale au cours d’affrontements entre les troupes du président Charles Taylor et les miliciens du chef de guerre Roosevelt Johnson. M. Taylor avait été élu en juillet 1997 sur un programme de réconciliation nationale. 20 Suède Difficile victoire des sociauxdémocrates. Avec 36,6 % des voix aux élections législatives, le Parti social-démocrate obtient son plus mauvais résultat depuis 1922, perdant 8,7 points par rapport au scrutin précédent de 1994. Il reste cependant le plus important parti suédois, devant les conservateurs (22,7 %), le Parti de gauche (ex-communiste, 12 %, soit le double du précédent scrutin) et les chrétiens-démocrates (11,7 %). Göran Persson, le Premier ministre sortant, entend se maintenir à son poste, mais il devra négocier âprement avec la Gauche ou les Verts (crédités de 4,4 % des voix). M. Persson paie la cure d’austérité qu’il a dû faire subir au pays, comme sa volonté de faire entrer à terme son pays dans l’euro, alors que la population y est majoritairement hostile. Malaisie Contestation du pouvoir de Mahathir Mohamad. Une manifestation antigouvernementale a lieu à Kuala Lumpur sous la direction de l’ancien vicePremier ministre, Anwar Ibrahim, longtemps considéré comme le dauphin, puis brutalement limogé le 2 septembre. Aussitôt, le Premier ministre, Mahathir Mohamad, en poste depuis dix-sept ans, fait emprisonner son ancien collaborateur, et annonce qu’il le fera juger pour « sodomie ». M. Anwar Ibrahim est un père de famille nombreuse, musulman pratiquant. Depuis quelques mois, la crise couvait entre les deux hommes. Les choses ont empiré quand Anwar a décidé de créer un mouvement politique, le « Mouvement pour la réforme », s’adressant aussi bien aux Malais qu’à la minorité chinoise, et dénonçant la corruption et le népotisme de l’équipe au pouvoir. 21 Athlétisme Mort de Florence Griffith-Joyner. La détentrice des records du monde du 100 m (10″ 49) et du 200 m (21″ 34), triple médaille d’or aux JO de 1988 (100 m, 200 m, 4 × 100 m) meurt d’une attaque cardiaque à trente-huit ans. Sa mort relance les soupçons de dopage qui avaient pesé sur elle lors de ses succès : la brusque transformation de sa morphologie, sa voix anormalement grave et le léger duvet qui couvrait sa lèvre supérieure avaient été remarqués par tous, mais elle avait pris sa retraite sportive assez tôt pour empêcher toute enquête à son endroit. Néanmoins, sa foulée exceptionnelle comme ses ongles démesurés et ses tenues extravagantes resteront longtemps dans les mémoires. États-Unis Diffusion à la télévision du témoignage de Bill Clinton. Après que la majorité républicaine du Congrès l’a autorisé, l’enregistrement du témoignage de Bill Clinton sur sa relation avec Monica Lewinsky devant le procureur Kenneth Starr est diffusé à la télévision. Malgré l’avalanche de questions scabreuses et la gêne visible du président américain, plus de 65 % des personnes downloadModeText.vue.download 163 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 162 interrogées expriment une opinion favorable envers celui-ci. Dans les jours qui suivent, les républicains rejettent une proposition d’accord selon lequel la procédure d’impeachment (destitution) du président serait abandonnée, quitte à gratifier ce dernier d’un blâme public assorti d’une amende. Faisant fi des sondages, par nature nettement volatiles, les républicains attendent le résultat des élections législatives de novembre pour en tirer toutes les conséquences politiques et judiciaires. 22 Belgique Expulsion mortelle d’une jeune immigrée. Alors qu’elle était embarquée de force par la police dans un avion en partance pour l’Afrique, une Nigériane de vingt ans, en situation illégale, est étouffée par un coussin. Cette mort provoque un grand émoi dans le pays et entraîne la démission du ministre de l’Intérieur, Louis Tobbak. Celui-ci était en place depuis la démission de son prédécesseur, en 1997, après la tentative d’évasion du pédophile Marc Dutroux. Cette affaire provoque une très vive émotion au sein de la population belge. (chrono. 26/09) 24 Iran Annulation partielle du décret contre Salman Rushdie. Le gouvernement annonce qu’il se « dissocie » de la prime de 2,5 millions de dollars offerte depuis 1989 pour la tête de l’écrivain britannique, auteur des Versets sataniques, ouvrage jugé blasphématoire par les musulmans intégristes. Depuis dix ans, M. Rushdie vit caché et protégé par les services secrets britanniques. L’écrivain britannique estime que la décision de Téhéran constitue une véritable avancée et qu’elle devrait lui permettre de revivre plus normalement. Toutefois, en Iran même, une partie des milieux au pouvoir conteste cette mesure de clémence et rappelle qu’il s’agit au départ d’une fatwa, c’est-à-dire d’un décret religieux, prise par l’ayatollah Khomeyni lui-même, donc non susceptible d’être levée. En réalité, après la condamnation du maire de Téhéran, l’affaire constitue un nouvel épisode de l’opposition entre la faction libérale du président Mohammad Khatami et la faction conservatrice du guide de la Révolution, Ali Khamenei. Médecine Première greffe de la main d’un autre. À l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon, une équipe internationale de chirurgiens, dirigée par le Pr JeanMichel Dubernard et le Pr Earl Owen, directeur du centre de microchirurgie de Sydney, procède avec succès à la greffe d’une main, prélevée sur une personne décédée, sur un Néo-Zélandais amputé depuis une quinzaine d’années. L’opération dure plus de onze heures et consiste, d’abord, à fixer l’avantbras du greffon par des plaques et des vis sur celui du receveur, puis à raccorder les tendons et les muscles, et à suturer les nerfs. Le patient est aussitôt soumis à un puissant traitement immuno-dépresseur, destiné à prévenir tout rejet. La principale difficulté de l’intervention réside, en effet, dans le rejet de la peau. Si elle réussit, cette greffe devrait ouvrir de vastes perspectives pour des millions d’handicapés. 25 France Coup d’arrêt au maïs transgénique. Le Conseil d’État ordonne le sursis à exécution d’un arrêté du ministère de l’Agriculture du mois de février autorisant la mise en culture de trois variétés de maïs génétiquement modifiées. Le Conseil donne ainsi raison aux organisations écologistes qui estimaient que l’arrêté en question avait été pris sans une information préalable suffisante. En juin, un groupe de citoyens de base, réunis par le Parlement, et conseillés par des scientifiques, avaient exprimé leurs craintes face aux conséquences, mal connues, de la consommation de fruits et légumes génétiquement modifiés. Slovaquie Échec de Vladimir Meciar. Aux élections générales, les quatre partis de l’opposition (du centre droit aux ex-communistes et à la minorité hongroise) obtiennent 58 % des voix et 93 sièges sur 150. Toutefois, le Mouvement pour une Slovaquie démocratique (HZDS), le parti de M. Meciar, arrive en tête, devançant légèrement le Parti de la coalition démocratique (SDK, centre downloadModeText.vue.download 164 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 163 droit). Dans ces conditions, les partis de l’opposition affirment qu’ils vont former une coalition de gouvernement et réclament le départ du Premier ministre sortant. La campagne s’est faite autour de l’intégration dans l’Union européenne, intégration jusque-là refusée, étant donné le « déficit démocratique » de M. Meciar. 26 Belgique Un nouveau ministre de l’Intérieur. Luc Van den Bossche remplace Louis Tobback au ministère belge de l’Intérieur. En dépit des pressions de tout bord, M. Tobback a choisi de s’effacer après la mort d’une Nigériane, lors d’une tentative de rapa- triement. Cette décision, qui intervient dans un pays où la démission a longtemps été vécue comme un signe de faiblesse, pourrait amorcer un changement de moeurs dans une classe politique décrédibilisée par des affaires en série. 27 Allemagne Victoire de Gerhard Schröder. Les sociaux-démocrates (SPD) l’emportent avec 40,9 % des voix et 298 députés (sur un total de 669) sur leurs concurrents chrétiens-démocrates (CDU-CSU), crédités de 35,2 % des suffrages et de 245 sièges. Cette victoire de la gauche signifie la fin du leadership de Helmut Kohl, arrivé au pouvoir en septembre 1982. Ce dernier annonce qu’il va abandonner également la présidence de la CDU. Âgé de cinquante-quatre ans, M. Schröder est un avocat de formation. Issu d’un milieu extrêmement modeste, il a d’abord appartenu aux Jeunesses socialistes, alors situées très à gauche. Il en devient le président en 1978 et fait reintégrer l’organisation dans le SPD. Élu député en 1981, il tient encore un discours gauchisant sur les questions d’environnement et de pacifisme. Élu président de Basse-Saxe, il y développe une politique très centriste et favorable au développement industriel. Acquis aux principes de l’économie de marché, membre du conseil d’administration de Volkswagen, il adapte désormais son propos aux évolutions de l’opinion. Parfois qualifié d’opportuniste, il organise sa campagne électorale autour du thème du « nouveau centre », proche du « New Labour » de Tony Blair. Dès la victoire acquise, il entame des négociations avec les Verts (6,7 % des voix et 47 sièges) afin de mettre sur pied avec eux une coalition gouvernementale. Ceux-ci, divisés entre les « réalistes » de Joschka Fischer et les « fondamentalistes », toujours acquis aux grandes idées de l’écologisme des années 70/80, hésitent à se plier aux exigences de M. Schröder : stabilité économique, refus des expérimentations en matière de sécurité intérieure et continuité de la politique étrangère. Dès le 30, le nouveau chancelier se rend à Paris, où il rencontre Jacques Chirac et Lionel Jospin, façon pour lui, que l’on soupçonnait de tiédeur à cet égard, de rappeler son attachement à la coopération franco-allemande. France Retour de la gauche à Toulon. La candidate de la gauche plurielle Odette Casanova (PS) remporte la législative partielle de Toulon. Avec 51 % des voix, elle devance Cendrine Le Chevallier, épouse du maire FN de la ville, de 734 voix. Gagnante en mai de la précédente partielle, cette dernière avait été invalidée par le Conseil constitutionnel. France Confortable majorité sénatoriale pour la droite. Comme prévu, la composition du Sénat à l’issue du renouvellement d’un tiers de ses sièges n’a guère varié. Avec 215 sièges sur 321, la droite conserve en effet une confortable majorité, rééquilibrée, toutefois, au profit du RPR, qui passe de 93 à 99 élus, et de Démocratie libérale – dont les élus siègent au groupe des Républicains indépendants – qui progresse de 46 à 49 sénateurs. Le groupe de l’Union centriste obtient 51 représentants, soit un recul de 7 sièges. Le PS ne progresse que de trois sièges pour atteindre 79 élus. Le PC conserve ses 16 sénateurs. Le Sénat ne se féminise pas vite, puisque seules trois femmes figurent parmi les 104 élus ou réélus. Iran Irrévocabilité de la fatwa c ontre Salman Rushdie. Le ministère iranien des Affaires étrangères réaffirme « l’irrévocabilité » de la fatwa (décret religieux) de l’imam Khomeyni contre l’écrivain britannique downloadModeText.vue.download 165 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 164 S. Rusdhie. Toutefois, le gouvernement se dissocie de la prime liée à l’exécution de la fatwa. France Décès de Charles Lederman, avocat du PCF. L’ancien sénateur du Val-de-Marne s’éteint à Paris à l’âge de quatre-vingt-huit ans. Avocat du PCF et de la CGT, il avait plaidé dans de nombreux procès liés aux guerres d’Indochine et d’Algérie, défendant des militants communistes et FLN. D’une fidélité indéfectible au PCF, jouissant d’une audience importante au Sénat parmi ses collègues de tout bord, il était connu pour ses coups de colère, mais aussi pour sa parfaite connaissance des questions juridiques. Suisse Une taxe pour les camions. 54 % des Suisses se prononcent en faveur d’une taxe sur les poids lourds. Cette mesure est jugée cruciale dans la perspective d’un rapprochement avec l’Union européenne. La nouvelle redevance écologique, qui doit favoriser le transport de marchandises par train au détriment de la route, était contestée par l’Union patronale des camionneurs, à l’origine du référendum. La taxe permettra de mettre en chantiers deux grands tunnels de ferroutage à travers les Alpes. Ces tunnels serviront au passage entre le nord et le sud de l’Europe. Élections historiques en Allemagne Pour la première fois depuis 1949, l’électorat allemand congédie un chancelier sortant. Ce pays ne s’était jamais prononcé aussi nettement à gauche depuis 1990 et a fortiori depuis 1949. En état de choc, la démocratie-chrétienne a obtenu le plus mauvais résultat de son histoire. Une nouvelle république est née outre-Rhin. Elle sera rouge-vert. Telles sont les conséquences immédiates des élections législatives du 27 septembre 1998. Alors que les derniers sondages redonnaient l’espoir aux chrétiens-démocrates en prévoyant une remontée rapide des intentions de vote en leur faveur à quelques heures de l’ouverture des bureaux de vote, les premiers résultats ont infligé un nouveau démenti aux instituts d’opinion publique. Les premiers commentaires parlent d’un véritable tremblement de terre. Au grand dam de la démocratie-chrétienne qui prônait l’expérience du chancelier Kohl et implorait les Allemands de ne pas se laisser influencer par les sirènes de l’expérimentation sociale avec les sociaux-démocrates et les Verts, l’électorat s’est prononcé sans équivoque pour l’alternance, une alternance rouge-verte dont la probabilité était certaine en cas de victoire sociale-démocrate. Le perdant, Helmut Kohl, a rapidement admis l’ampleur de sa défaite et a félicité son heureux rival, le social-démocrate Gerhard Schröder. L’effondrement de la CDU Si les commentateurs politiques ont employé le terme de séisme pour qualifier les élections du 27 septembre, c’est que, d’une part, cellesci ont donné des résultats inattendus – même s’ils étaient prévisibles – et, d’autre part, parce qu’elles plongent l’Allemagne dans une situation inédite. Ainsi, depuis 1949, pour la première fois, l’électorat allemand a congédié le chancelier sortant. Le ras-le-bol de seize ans de gouvernement Kohl a été l’élément déterminant du juge- ment des urnes. Toutefois, même si le chancelier avait préparé sa retraite en décidant de ne pas se représenter, il n’est pas certain que la CDU/CSU aurait évité de connaître son plus grave échec depuis 1969. Depuis huit ans, le camp conservateur (CDU/CSU + FDP) connaît une usure réelle de son électorat et ne rassemble plus que 41,4 % de l’électorat alors qu’en 1969, il en regroupait 51,9 % et qu’au début de son ère, il y a seize ans, Helmuth Kohl pouvait gouverner avec plus de 55 % des voix exprimées. Salué par tous pour son oeuvre au service de l’Europe, le chancelier quitte la scène politique sur un échec profond qui laisse son parti – désormais dirigé par son second Wolfgang Schaüble – dans un état de choc. Ce renversement brutal – pour un électorat réputé stable – a été le prix à payer par le chancelier de la deuxième unité allemande à cette même unification. Porté par une vague de sympathie à l’Est lors des premières élections de la nouvelle Allemagne (dix-sept points et demi d’avance sur les sociaux-démocrates en 1990, six point d’avance encore en 1994, c’est désormais plus de huit points de retard que la CDU compte dans les nouveaux Länder de l’Est), il n’a pu offrir aux Allemands de l’Est que la liberté de se déplacer. Il n’a pas su les délivrer de chaînes plus récentes, downloadModeText.vue.download 166 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 165 et tout aussi pesantes, celles du chômage et de la déqualification. Les Ossis (diminutif pour désigner les Allemands de l’ex-RDA), ont délivré un double message : abandon massif de la CDU/ CSU et retrouvailles avec les ex-SED (parti socialiste uni d’Allemagne, ex-parti communiste), le PDS. Ce dernier parti, cinquième force politique du pays, mais la troisième à l’Est derrière le SPD et la CDU, semble la seule force politique capable de mobiliser les jeunes urbains et, a, à ce titre, dans le futur la capacité d’exprimer un vote protestataire. Il est aussi le seul des petits partis à pouvoir atteindre les marches du pouvoir : dans tous les Länder de l’Est il approche les 20 %. Il est également le seul parti autre que les deux grands partis à obtenir des mandats directs (4, tous à Berlin). Cela le conduit d’ailleurs à connaître dès cette législature la responsabilité du pouvoir, là où il dépasse les 20 %, dans le Mecklemburg, par exemple, dans le cadre d’une coalition SPD/PDS. Ce véritable raz-de-marée s’est déroulé dans un contexte de grande maturité politique, puisque la participation électorale a crû de 3,3 % en moyenne, et de 7,4 % plus particulièrement à l’Est. La SPD l’emporte dans douze des quinze Länder, seules la Bavière, le Bade-Wurttemberg et la Saxe ont voté majoritairement pour les chrétiens-démocrates. Au SPD, le Nord, l’Est et le Centre Le parti de Gerhard Schröder a fait le grand chelem (tous les mandats directs) dans le Schleswig-Holstein, à Hambourg et à Brême, dans la Sarre, dans le Brandebourg, en SaxeAnhalt. Il obtient la majorité absolue à Brème et dans la Sarre. En Basse-Saxe, dont Gerhard Schröder est le ministre-président, le SPD remporte 28 des 32 mandats directs, manquant la majorité absolue de 0,6 point. Dans l’autre poids lourd démographique de l’Allemagne, la région la plus industrielle du pays, la Rhénanie du Nord-Westphalie, le SPD remporte 52 circonscriptions sur 69 et gagne une dizaine de mandats directs. En ex-Allemagne de l’Est, les conquêtes sont nombreuses, en Thüringe (où la CDU ne conserve qu’une circonscription), à Berlin (tout rouge, sociaux-démocrates ou excommunistes), seul l’extrême nord-est du pays (deux circonscriptions) reste aux mains des chrétiens-démocrates. La CDU conserve l’Ouest et le Sud Sans gagner un seul mandat, les chrétiens-démocrates conservent leurs forteresses de la Bavière, du Bade-Wurtemberg et la Saxe, tout en perdant plusieurs circonscriptions : quatre en Bavière dont deux à Munich, huit en Bade et sept en Saxe. Le pari des Verts Paradoxalement, le troisième parti, les Verts, la plus jeune des quatre grandes organisations, a subi un tassement en perdant deux sièges et 0,6 %. Pourtant, au début de l’année, les sondages plaçaient les écologistes bien au-delà des 7 %. Ce parti, dont la base électorale est principalement constituée de l’électorat féminin (plus particulièrement de femmes entre 35 et 44 ans ayant achevé avec succès leurs études secondaires) et des fonctionnaires n’a donc pas profité de l’effet Joschka Fischer, son chef charismatique. Expression politique des luttes sur l’environnement menées depuis les années 70 contre la société nucléaire, mais aussi des milieux de contre-culture alternatifs, les Verts ont mis plusieurs années à choisir entre une stratégie de rupture, celle mise en avant par le courant fondamentaliste, et une stratégie d’alliance, de préférence avec la sociale-démocratie, dont l’aile réaliste est la représentante. Et l’on a vu que la stratégie de J. Fischer n’était pas, durant la campagne, soutenue par tous les Verts. Malgré cette déconvenue, les Verts profitent du fait qu’ils ont assuré la majorité au SPD pour se retrouver au gouvernement. SERGE COSSERON Portrait politique du vainqueur Élu chancelier à l’âge de 54 ans, Gerhard Schröder est issu d’une famille modeste. Il a commencé une carrière politique très jeune puisque, après avoir participé au mouvement étudiant qui a marqué les années 19661970, il a dirigé l’organisation de jeunesse sociale-démocrate. Il devient ministre-président de son Landnatal, la Basse-Saxe. Après avoir assisté, après l’époque Brandt-Schmidt, à la longue et douloureuse bataille pour la direction du parti qui avait épuisé nombre de candidats à la chancellerie, parmi lesquels, Johannes Rau, Rudolph Scharping et Oskar Lafontaine, il réussit à s’opposer aux « éléphants » du parti et à imposer son downloadModeText.vue.download 167 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 166 image pragmatique de responsable politique attaché aux compromis et à l’efficience sur le terrain. Économiste de formation, il prend en compte la transformation sociologique de l’électorat allemand et cherche à gagner au centre. Paradoxalement, c’est le Parlement le plus connoté à gauche qui lui assure la direction du pays. Mais, malgré la présence d’une gauche volontaire, à l’image de Lafontaine et de Fischer le Vert, le nouveau chancelier de la République fédérale ne doit pas oublier qu’il doit son élection en grande partie au 1,7 million d’électeurs chrétiens-démocrates de 1994 qui se sont porté sur son nom. 28 Albanie Démission du Premier ministre. Fatos Nano, chef du gouvernement socialiste (excommuniste) depuis juillet 1997, annonce sa démission, après avoir constaté son impossibilité à réformer son équipe. Il regrette publiquement de n’avoir « eu le soutien ni des membres de la coalition ni de son parti ». Peu avant, le ministre de l’Intérieur avait également annoncé son départ, dénonçant la « classe politique corrompue et incapable ». Cette décision intervient deux semaines après des émeutes particulièrement sanglantes à Tirana. Japon Mégafaillite dans la banque. La presse japonaise annonce la plus grande faillite de l’histoire japonaise de l’après-guerre : Japan Leasing, filiale de la banque japonaise en difficulté Long-Term Crédit Bank of Japan, dépose son bilan. Une faillite logique dans la mesure où, quelques jours plus tôt, il avait été décidé de ne pas recapitaliser la LTCB, ce qui aurait permis à cette dernière de renoncer à sa créance de 520 milliards de yens sur Japan Leasing et deux autres filiales mal en point. Cette société, spécialisée dans les services financiers, laisse un passif de 2 444 milliards de yens (plus de 100 milliards de francs). Autorité palestienne Yasser Arafat menace de proclamer un État indépendant. Face à l’intransigeance du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, au sujet du redédownloadModeText.vue.download 168 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 167 ploiement israélien en Cisjordanie, le président de l’Autorité palestinienne, M. Arafat annonce qu’il pourrait déclarer unilatéralement l’indépendance, le 4 mai 1999. C’est à cette date que les accords d’Oslo prennent fin. Alors que l’échéance approche, M. Arafat rappelle ainsi qu’aucun traité de paix n’a été signé et que les négociations sur le statut final, inaugurées par les travaillistes juste avant leur défaite électorale, n’ont jamais repris. Pis, des clauses essentielles contenues dans Oslo restent lettre morte, à commencer par les trois redéploiements que Tsahal devait effectuer en Cisjordanie avant août 1998. En fixant une date, M. Arafat remobilise ses troupes, force ses adversaires à se découvrir, contraint les États-Unis à sortir de leur léthargie, mais se livre aussi à une manoeuvre plus que délicate. En effet, le 4 mai, il risque de n’avoir pas d’autre choix que de reculer ou d’engager avec Israël une épreuve de force à l’issue bien incertaine. Fédération yougoslave Bombardements serbes au Kosovo. Les forces serbes bombardent et incendient plusieurs villages du sud du Kosovo. Elles affirment qu’il s’agit d’une opération d’éradication de l’UCK (Armée de libération du Kosovo). Selon plusieurs diplomates occidentaux, ce regain de violence ressemble « davantage à une forme de châtiment collectif » et pourrait marquer le début d’une nouvelle phase du conflit susceptible de provoquer une réaction de l’OTAN. Malaisie Manifestations antigouvernementales à Kuala-Lumpur. La police réprime violemment une manifestation de quelque 3 000 opposants au Premier ministre Mohamad Mahathir et procède à de nombreuses interpellations. Les manifestants exigent la libération de l’ancien vice-Premier ministre Ibrahim Anwar. Ce dernier a été arrêté le 20 septembre sous les accusations de « sodomie » et de « sédition » lancées par le chef du gouvernement. Deux coalitions antigouvernementales voient le jour. L’une, laïque, composée de 18 partis, l’autre, constituée sous l’égide du parti d’opposition islamique, le parti Se-Islam Malaysia. Le leader de la première de ces deux coalitions, Tian Chua, est arrêté par les forces de l’ordre. En dépit de la répression policière, la contestation qui secoue le pays depuis la mi-septembre continue donc de prendre de l’ampleur. France/Liberia Charles Taylor en visite à Paris. L’ancien chef de guerre et actuel président du Liberia est reçu à l’Élysée par Jacques Chirac. Le chef de l’État libérien cherche à reconstruire un pays dévasté par une guerre qu’il a lui-même contribué à entretenir. Après sept années de massacres – quelque 150 000 civils ont été tués et la moitié des Libériens ont dû fuir leur pays –, M. Taylor a été élu, à une écrasante majorité, président de l’ancienne République des esclaves américains affranchis. Pour autant, la paix est loin de régner au Liberia, où les forces gouvernementales n’hésitent pas à employer la violence la plus extrême contre les clans qui ne sont pas acquis au nouveau président. Ce dernier, brouillé avec le FMI et la Banque mondiale, compte sur la France pour la reconstruction de son pays. Sri Lanka Combats entre les rebelles et l’armée régulière. 237 soldats srilankais et rebelles tamouls trouvent la mort dans des affrontements survenus dans la partie nord du Sri Lanka. Les Tigres tamouls confirment la mort de 194 de leurs hommes. États-Unis Un cyclone meurtrier. Le cyclone George entame sa remontée des côtes américaines, traversant le golfe du Mexique pour atteindre les côtes du Mississippi avec des pointes de vent de 280 km/h. Ce cyclone a déjà fait 320 morts dans les Caraïbes et en Floride. Au cours du weekend, des centaines de milliers d’habitants ont dû être évacués. 29 Grande-Bretagne Tony Blair maintient le cap. Le Premier ministre britannique, après 18 mois de pouvoir, défend sa politique devant le congrès annuel du Parti travailliste. Il présente, notamment, un bilan flatteur de sa gestion de l’économie, au nom de la stabilité et du contrôle de l’inflation. « Nous ne céderons pas », a-t-il répété à ceux qui lui demandent downloadModeText.vue.download 169 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 168 de diminuer les taux d’intérêt ou d’accroître les dépenses publiques. « Nous avons un chancelier de fer et une résolution de fer » a répété le Premier ministre devant une salle plutôt tiède. De toute évidence, la détermination du chef du gouvernement réveille l’opposition de la gauche travailliste, tétanisée depuis cinq ans par la vigueur et la réussite du New Labour. Mais M. Blair ne parvient pas à empêcher l’élection, au comité du parti, de quatre personnalités qui présentent un profil travailliste plus orthodoxe. Plus largement, le Premier ministre aura choisi d’envoyer un message simple : les travaillistes maintiennent le cap. France/Autriche Les troupes françaises indésirables en Autriche. Vienne interdit aux militaires français de traverser le territoire autrichien pour se rendre en Slovaquie, où elles doivent participer à des manoeuvres. Ces exercices se dérouleront dans un cadre bilatéral, et non dans celui du Partenariat pour la paix, une organisation liée à l’OTAN, à laquelle appartiennent l’Autriche et la Slovaquie. La décision autrichienne augure mal de la construction d’une défense européenne, alors que Vienne assure la présidence de l’Union. Kurdistan irakien Trêve kurde. Le chef des séparatistes kurdes de Turquie, Abdullah Ocalan, proclame un cessez-le-feu unilatéral dans le nord de l’Irak, où des combats opposent ses partisans (PKK) aux forces du Parti démocratique du Kurdistan (PDK). Ce cessez-le-feu intervient deux semaines après que le PDK et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) ont décidé de mettre fin à leur conflit en Irak. États-Unis La Fed baisse ses taux d’intérêt. Le Comité de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine annonce que celle-ci a choisi de baisser son taux d’intérêt interbancaire de 5,50 à 5,25 %. Cette réduction est certes faible, mais, pour les marchés financiers, c’est surtout l’amorce d’un mouvement qui devrait se traduire par d’autres baisses. En fait, le patron de la Fed, Alan Greenspan, entend ainsi éviter un atterrissage brutal de l’économie américaine. En effet, les ménages américains, échaudés par les turbulences financières, commencent à broyer du noir. Une perte de confiance qui ne manquera pas de se traduire par une consommation moindre et donc une réelle incidence sur la croissance, jusqu’à présent largement tirée par la consommation intérieure. République démocratique du Congo/Tchad Le Tchad entre dans le conflit congolais. Environ 1 000 soldats tchadiens partent pour renforcer les forces congolaises du président autoproclamé Laurent-Désiré Kabila, quelque peu débordées par la rébellion qui fait rage dans l’est du pays. Après l’intervention du Zimbabwe, de l’Angola et de la Namibie, le « soutien inconditionnel » que le président tchadien Idris Déby a promis à M. Kabila prend forme. Ce dernier doit aussi affronter ses anciens alliés, l’Ouganda et le Rwanda. 30 France Corse, la Cuncolta décapitée. Les derniers dirigeants d’A Cuncolta, la vitrine légale du FLNC-Canal historique, sont arrêtés dans la région de Bastia. Onze personnes, dont Charles Pieri, sont placées en garde à vue dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat d’un jeune homme, Christophe Garelli, en août, à Lucciana. La justice découvre à cette occasion un important stock d’armes : soixante-dix bâtons d’explosifs, des détonateurs, une grenade offensive, deux pistolets-mitrailleurs, une vingtaine d’armes de poing, des pistolets automatiques autrichiens et des scanners pour écouter les fréquences de la police. Cisjordanie Attentat à Hébron. Dix-sept personnes, huit Palestiniens et neuf militaires israéliens, sont blessées par l’explosion de deux grenades à Hébron, en Cisjordanie. Yasser Taraweh, lui-même blesse dans l’explosion, soutient que les grenades ont été lancées contre des véhicules civils palestiniens par un colon israélien qui a pris la fuite. D’autres témoins estiment que les grenades visaient downloadModeText.vue.download 170 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 169 une Jeep militaire israélienne qui circulait dans la partie de Hébron occupée par l’armée israélienne. Iran Deux fidèles de la foi Baha’i condamnés à mort. La justice iranienne confirme les condamnations à mort prononcées contre deux fidèles de la foi Baha’i emprisonnés depuis un an. Les deux hommes ont été arrêtés en octobre 1997 « pour avoir enfreint l’interdiction qui leur avait été faite d’organiser des réunions sur la vie familiale ». France Dopage et biologie du sport. Le ministère de la Jeunesse et des Sports annonce le lancement d’une unité mobile de biologie du sport. Il s’agit en l’espèce d’agir sur la protection de la santé des sportifs et de prévenir le dopage. Cette unité sera chargée d’effectuer un bilan biologique par trimestre. Elle pourra se rendre, à la demande des fédé- rations, sur des lieux de stages ou de regroupements de sportifs pour pratiquer des examens biologiques spécialisés qui resteront à la discrétion du médecin fédéral. Économie mondiale Pessimisme du FMI en matière de croissance. Le FMI rend public son « Rapport sur les perspectives de l’économie mondiale », dans lequel on peut lire que « la situation économique et financière internationale s’est gravement détériorée ces derniers mois ». Le coût global de la crise financière asiatique est comparé par les experts du FMI à la disparition soudaine dans un trou noir d’une économie industrialisée de la taille de celle du Canada ; soit une perte de 600 à 800 milliards de dollars en production de revenus. downloadModeText.vue.download 171 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 170 OCTOBRE 1 France Élection de Christian Poncelet à la présidence du Sénat. Le sénateur RPR des Vosges, président de la commission des finances, succède à René Monory, UDF, à la tête de la Haute Assemblée. C’est la première fois que ce poste échappe aux centristes pour revenir aux gaullistes. François Bayrou et les différents leaders de l’UDF expriment leur indignation, mais l’âge (soixante-quinze ans) et l’état de santé de M. Monory ont joué contre ce dernier. M. Poncelet (soixante-dix ans), ancien secrétaire d’État dans les années 70 dans les ministères Messmer, Chirac et Barre, a su habilement faire oublier son appartenance au RPR en mettant en avant sa parfaite connaissance des rouages du Sénat, ses bonnes relations dans l’ensemble de la droite et sa condition physique satisfaisante. 3 Australie Difficile victoire des conservateurs. La majorité libérale-nationale du Premier ministre sortant, John Howard, est reconduite avec 78 dépu- tés, contre 94 dans la précédente législature. Le Parti travailliste de Kim Beazley est crédité de 69 sièges contre 49 auparavant. Le demi-échec de M. Howard s’explique par son bilan mitigé, marqué de plusieurs virages contradictoires et par une campagne axée sur le thème impopulaire de l’introduction dans le système fiscal australien d’une TVA généralisée au taux de 10 %. Les élections enregistrent également l’échec du parti d’extrême droite de Pauline Hanson, qui ne conquiert qu’un seul siège au Sénat et aucun à la Chambre des députés. Finances internationales Réunion décevante du G7. Pour réagir au développement de la crise internationale en Asie, en Russie et en Amérique latine, les ministres de l’Économie et les présidents des banques centrales des 7 pays les plus industrialisés se réunissent à Washington. Peu de décisions concrètes sont prises : les partenaires ne parviennent pas à se mettre d’accord sur une baisse coordonnée des taux d’intérêt, tandis qu’ils reprochent au Japon de ne pas agir assez efficacement pour remédier à ses problèmes économiques et financiers. Ils s’entendent toutefois pour envisager une transformation et un renforcement du rôle du Fonds monétaire international (FMI). Les Bourses réagissent par une forte baisse avant de se reprendre. À Paris, l’indice CAC 40 se situe aux alentours de 3 200 points, contre près de 4 400 au début de l’été. Lettonie Référendum en faveur de la minorité russophone. Les électeurs lettons approuvent par 53 % des mesures assouplissant les conditions d’attribution de la citoyenneté à la forte minorité de russophones (650 000 personnes sur un total de 2 475 000). Ce résultat, vivement souhaité par Moscou, est salué par les responsables européens et devrait contribuer à favoriser l’intégration de la Lettonie dans l’UE et l’OTAN. 4 Brésil Fernando Henrique Cardoso réélu à la présidence. Âgé de soixante-sept ans, le président sortant, de tendance centriste sociale-démocrate, est reconduit avec 50,8 % des voix au premier tour. Lula, son concurrent du Front commun de la gauche, est cré- dité de 35 % des suffrages, tandis que Ciro Gomes, dissident social-démocrate, engrange 11,5 % des voix. La victoire de M. Cardoso est moins forte que celle prévue par les instituts de sondages, d’autant que l’élection des gouverneurs de province, qui avait lieu le même jour, s’avère délicate pour plusieurs des candidats favorables au pouvoir en place. Économiste, d’abord communiste, puis socialiste, enfin centriste, farouchement opposé à la dictature militaire (il s’exilera un temps en France), M. Cardoso entre au gouvernement en 1993, où il parvient à juguler l’inflation galopante. Fort de ces bons résultats, il est élu à la présidence en 1994, après s’être allié à la droite. Une fois au pouvoir suprême, il parvient à moderniser les structures économiques du pays (déconcentration administrative, privatisations) tout en prenant diverses mesures sociales, notamment en downloadModeText.vue.download 172 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 171 matière d’éducation. La forte croissance économique que connaît alors le Brésil permet d’améliorer les conditions de vie de près de vingt millions de déshérités. La crise financière mondiale vient assombrir le tableau courant 1998. Fort de son succès électoral, M. Cardoso entend obtenir du FMI un plan de soutien énergique destiné à mettre un frein à l’hémorragie de capitaux qui frappe le pays depuis plusieurs semaines. 5 États-Unis Début de la procédure de destitution contre Bill Clinton. La commission judiciaire de la Chambre des représentants autorise l’ouverture d’une enquête parlementaire à rencontre du président américain dans le cadre de l’affaire Lewinsky, du nom de la jeune stagiaire à la Maison-Blanche convaincue d’avoir eu des relations sexuelles avec le chef de l’exécutif. Le vote s’est fait sur une base strictement politique, les 21 représentants républicains votant pour l’impeachment, les 16 démocrates, contre. La décision de la commission judiciaire est confirmée le 8 par un vote de la Chambre en assemblée plénière : 31 élus démocrates (essentiellement des élus sudistes conservateurs) sur 206 ont joint leurs voix à celles des républicains. Cette faible proportion constitue un petit succès pour M. Clinton, qui peut ainsi faire valoir le caractère politique de la procédure intentée contre lui. Après Andrew Johnson en 1867 et Richard Nixon en 1974, M. Clinton est le troisième président américain à se voir ainsi infliger l’humiliante procédure de l’impeachment. L’enquête, qui pourrait durer de longs mois, doit déboucher sur un vote de la Chambre à la majorité simple. Si ce vote est acquis, le Sénat est alors érigé en cour de justice. Pour déclarer le président « coupable », les sénateurs doivent se prononcer à une majorité des deux tiers. 6 Union européenne Levée de l’immunité de Jean-Marie Le Pen par le Parlement de Strasbourg. Par 420 voix contre 20 et 6 abstentions, l’immunité de député européen du président du Front national est levée pour la troisième fois depuis 1989. Ce vote fait suite à la demande du procureur du Land de Bavière concernant une déclaration de l’homme politique français à Munich en décembre 1997, dans laquelle il prétendait une nouvelle fois que la question des chambres à gaz ne constituait qu’un « détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. 7 Russie Demi-échec de la journée nationale de protestation. Moins d’un million de personnes, selon la police (12 millions selon les organisateurs), défilent dans la capitale et dans 500 villes russes pour protester contre les conditions de vie difficiles et réclamer le paiement des arriérés de salaires et de pensions. Organisée par la Fédération indépendante des syndicats de Russie (FNPR) et le Parti communiste, cette journée est loin d’atteindre les objectifs initiaux de « 40 millions de Russes dans la rue » : 150 000 manifestants se retrouvent à Moscou pour réclamer le départ de Boris Eltsine, tandis que la FNPR soutient officiellement la candidature à la présidence de Iouri Loujkov, maire de Moscou. 8 Espagne Tragique naufrage d’un bateau de tourisme. Vingt personnes sont tuées et une quarantaine blessées lors du naufrage d’un bateau de plaisance sur le lac de Banyoles, en Catalogne. Les victimes fai- saient partie d’un groupe de 141 retraités français en vacances. L’enquête fait aussitôt apparaître une surcharge du bateau, dont la capacité maximale était de 80 personnes. Littérature José Saramago prix Nobel. Le Portugais, âgé de soixante-quinze ans, est le premier écrivain lusophone à recevoir la consécration de l’Académie suédoise. Ce fils de paysans modestes, serrurier de formation, a été retenu pour avoir « grâce à ses paraboles soutenues par l’imagination, la comdownloadModeText.vue.download 173 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 172 passion et l’ironie, rendu sans cesse à nouveau tangible une réalité fuyante ». Membre du Parti communiste, José Saramago a attendu longtemps pour faire reconnaître son oeuvre poétique, romanesque et théâtrale. Il ne rencontre le succès qu’au début des années 80 avec son dix-septième roman, le Dieu manchot, roman épique situé dans le Portugal du XVIIIe siècle, peu avant le terrible tremblement de terre de Lisbonne, en 1755. Abordant des grands thèmes historiques, il n’hésite pas à proposer une lecture très personnelle du christianisme avec l’Évangile selon Jésus, publié en 1992. L’Osservatore romano, organe de presse du Vatican, désapprouve d’ailleurs le choix de l’écrivain portugais en écrivant qu’il est resté « idéologiquement un communiste » avec une « vision substantiellement antireligieuse ». 9 France Recul de la gauche sur le Pacs. Faute d’un nombre suffisant de députés présents à l’Assemblée nationale, la majorité est mise en minorité par la droite sur la question du pacte civil de solidarité (qui accorde des avantages fiscaux, sociaux et patrimoniaux aux personnes non mariées vivant en couple et qui acceptent de signer ce document en préfecture). L’opposition fait adopter l’exception d’irrecevabilité qui empêche la discussion sur le texte. Furieux d’avoir été ainsi contrecarré, le gouvernement fait savoir qu’une nouvelle discussion sur le Pacs aura lieu le 10 novembre et que le texte sera alors adopté. Cette péripétie parlementaire met en lumière le malaise de nombreux élus de gauche vis-à-vis de ce projet, que certains de leurs électeurs considèrent comme un artifice pour justifier le « mariage des homosexuels » ou comme une remise en cause globale de la famille traditionnelle. Il est aussi reproché au gouvernement de ne pas avoir défendu lui-même ce projet avec assez d’insistance et d’avoir changé plusieurs fois d’optique (notamment en proposant, au dernier moment, d’élargir le Pacs aux frères et soeurs, façon d’édulcorer ainsi sa nature conjugale, homo ou hétérosexuelle). Italie Chute du gouvernement Prodi. Le gouvernement de centre gauche de Romano Prodi, en place depuis mai 1996, est mis en minorité à une voix à la suite de la défection des communistes du PRC qui avaient décidé de ne plus soutenir la coalition, estimant que le projet de loi de finances pour 1999 ne comportait pas suffisamment de mesures sociales. Créditée de 8,6 % des voix et de 34 députés aux élections de 1996, Refondation communiste, dirigée par Fausto Bertinotti, est indispensable pour garantir au gouvernement une majorité à la Chambre. Une scission avait alors eu lieu au sein du PCR, la majorité de ses députés (21 sur 34) suivant Armando Cossutta pour continuer à soutenir M. Prodi. Alors que le président de la République, Oscar Luigi Scalfaro, entame des consultations pour tenter de constituer une nouvelle majorité stable, le leader de l’opposition de droite, Silvio Berlusconi, réclame des élections anticipées. M. Prodi est à nouveau pressenti pour former le gouvernement mais il renonce rapidement. (chrono. 23/10) Subtilités italiennes Le gouvernement de l’Olivier dirigé par Romano Prodi, que les Italiens avaient porté au pouvoir avec les élections du 21 avril 1996, n’aura pas réussi à battre le record de longévité – un peu plus de trois ans – établi au début des années 80 par Bettino Craxi, l’ancien leader socialiste actuellement en exil volontaire en Tunisie. M. Prodi n’est pas parvenu à trouver un second souffle après avoir brillamment atteint le principal objectif de sa coalition, faire en sorte que l’Italie figure parmi les pays fondateurs de la monnaie unique. Il avait pour cela imposé au pays une politique fiscale d’une sévérité tout à fait inhabituelle. Entre le 1er mai 1998, date de naissance de l’euro, et le jour de la chute de son gouvernement, le 9 octobre, M. Prodi a été soumis à un assaut médiatique quotidien de la part de la composante d’extrême gauche de sa coalition, le parti de la Refondation communiste (RC) de Fausto Bertinotti. Cette petite formation, qui a recueilli aux dernières élections 8 % des suffrages, n’a jamais fait partie de l’Olivier ri du gouvernement. Elle a simplement conclu un accord de désistement aux élections qui ont porté au pouvoir M. Prodi et appuyé la majorité afin de faire barrage à la droite de Silvio Berlusconi – chef du parti entrepreneurial Forza Italia (FI) – et Gianfranco Fini – leader de l’Alliance nationale (AN), parti ouvertement néofasciste jusqu’en 1994. downloadModeText.vue.download 174 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 173 Depuis sa naissance, le gouvernement Prodi a dû faire, d’un côté, maintes entorses à son programme économique et social pour satisfaire les exigences de RC, et, de l’autre, s’appuyer sur le vote de l’opposition en politique étrangère – intervention en Albanie, élargissement de l’OTAN, considérés comme « inadmissibles » par le très anti-atlantique RC. Lâché finalement par M. Bertinotti, lui-même prisonnier du radicalisme de sa base, M. Prodi n’a pas su être aussi bon politicien qu’il avait été bon économiste. Il a hésité entre un appel à la solidarité de RC, auquel il ne pouvait pourtant pas offrir la rupture unilatérale du traité de Maastricht qu’il exigeait, ou à celle du « nouveau centre » créé par l’ancien président de la République Francesco Cossiga. Ce rassemblement d’une quarantaine de députés qui ont quitté l’opposition de droite pour fonder l’Union démocratique et républicaine (UDR) était tout prêt à rejoindre la coalition de centre gauche, si on lui donnait satisfaction sur quelques points symboliques et si on lui attribuait deux ou trois portefeuilles ministériels. M. Prodi refusa, misant toutes ses cartes sur la scission au sein de RC entre les « réalistes » progouvernementaux de M. Cossutta, un ancien dirigeant de l’aile prosoviétique du PCI, et les gauchistes de M. Bertinotti. Ce fut un échec : il manqua une voix au moment du vote de confiance à la Chambre des députés et le gouvernement fut mis en minorité. Nous étions à la mi-octobre. Deux voies s’ouvraient alors aux forces de centre gauche qui avaient gagné les élections de 1996 : ou retourner devant les électeurs, mais sans l’accord de désistement avec RC qui avait été déterminant pour battre la droite ; ou bien accepter de tourner la page de l’Olivier pour signer un accord avec l’UDR, ce qui renouait avec le type de coalitions en vigueur du temps de la loi électorale proportionnelle. Le choix de la deuxième solution, que M. Prodi ne pouvait pas incarner, a conduit Massimo D’Alema, chef des ex-communistes devenus Démocrates de gauche (DS), à la tête du gouvernement le 23 octobre 1998. « C’est un centre gauche plus incisif, plus efficace et plus avancé que le précédent », commenta le quotidien La Repubblica, très proche de la coalition de l’Olivier. Et qui présente une extraordinaire nouveauté : la fin de l’anomalie italienne, selon laquelle le leader du premier parti du pays – DS – ne peut pas, faute de son passé communiste, diriger le gouvernement. Mais l’UDR ne conçoit pas son avenir dans une alliance stratégique avec la gauche. L’objectif déclaré de M. Cossiga est de créer une alternative à l’actuelle droite « libérale et populiste » pour les élections de l’an 2001. L’UDR, qui se veut « libérale et conservatrice », reprendra donc sa compétition avec le centre gauche dès qu’elle aura réuni les forces nécessaires. Dans l’attente, elle entend faire un bout de chemin avec les partis de l’Olivier, dans un esprit de loyale hostilité. Le problème de M. Cossiga est qu’il a réuni autour de lui un personnel politique – pour l’essentiel d’anciens démocrates-chrétiens –, mais qu’il n’a pas vraiment d’électeurs. Les parlementaires de son groupe ont été élus en 1996 avec le Pôle de la liberté, c’est-à-dire avec M. Berlusconi. Aujourd’hui, le patron de Fininvest crie « au vol et à la trahison ». Il n’a pas entièrement tort. Car M. Cossiga veut l’évincer de la scène politique et récupérer, sur l’effondrement inévitable de FI oui s’ensuivrait, les troupes électorales qui lui font défaut. Mais ce scénario ne peut se réaliser que si la coalition gouvernementale ne se déchire pas sur les questions les plus délicates. C’est à propos de l’attitude envers M. Berlusconi que MM. D’Alema et Cossiga pourraient diverger. Loi sur le conflit d’intérêts entre bénéficiaires de marchés publics et responsabilités politiques ; respect plus ou moins grand de l’autonomie des juges enquêtant sur les délits commis par M. Berlusconi avant qu’il n’entre en politique : l’UDR sera intransigeante sur ces sujets afin de sortir le chef de FI du jeu politique. M. D’Alema essaiera de le protéger, mais ne pourra aller trop loin : son électorat, bien plus que celui de l’UDR, souhaite que la justice suive son cours. Ainsi, aux prochaines élections, les alliés actuels pourraient se présenter l’un contre l’autre. La gauche pourrait se retrouver minoritaire, après seulement deux années à la tête du pouvoir. Mais la mise à l’écart de M. Berlusconi ferait enfin de l’Italie « un pays normal ». LUCIANO BOSIO Le déclin de Silvio Berlusconi ? Le lendemain du vote de confiance à M. D’Alema, des milliers de manifestants convoqués de longue date par la droite défilaient dans Ta capitale aux cris de « À bas le gouvernement communiste ». Mais peut-être célébraient-ils sans le savoir les débuts du downloadModeText.vue.download 175 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 174 déclin de leur dirigeant, M. Berlusconi, qui risque d’entrer dans l’histoire comme le chef de droite qui a permis aux « communistes » de DS de parvenir finalement au pouvoir. Avec les voix déterminantes de députés qu’il avait fait lui-même élire ! Et, bien que M. D’Alema l’aide depuis deux ans à se maintenir en selle, le considérant comme le moins dangereux des adversaires, il est probable que la direction de l’opposition passe avant les prochaines élections dans les mains du chef d’AN, M. Fini, très populaire dans les sondages. M. Cossiga pourrait dès lors lancer son OPA sur l’électorat de Forza Italia. 11 Azerbaïdjan Réélection contestée de Gueïdar Aliev. Le président sortant, vétéran de l’ère soviétique, est déclaré élu dès le premier tour avec près de 80 % des voix. Les observateurs internationaux dépêchés par l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) estiment que le scrutin a été marqué par de nombreuses irrégularités. Escrime Flatteur bilan français aux championnats du monde. Les escrimeurs français quittent la compétition mondiale organisée à La Chaux-de-Fonds (Suisse) avec 6 médailles (trois d’or et trois d’argent). La double championne olympique d’Atlanta, Laura Flessel, à nouveau double médaille d’or en épée individuelle et par équipe, est la grande vedette de l’épreuve. Vatican Canonisation d’Edith Stein. Jean-Paul II prononce la canonisation d’Edith Stein, carmélite d’origine juive, gazée en tant que telle à Auschwitz. Il annonce également que le 9 août sera désormais pour les catholiques jour de commémoration de l’horreur de la Shoah. Juive athée née en Pologne, intellectuelle, assistante du philosophe Edmund Husserl, Edith Stein s’était convertie dans les années 20 avant d’entrer dans les ordres. Pendant la guerre, elle avait refusé d’être épargnée par les nazis du fait de son baptême. Alors que le pape présente Edith Stein comme une « éminente fille d’Israël et fille fidèle de l’Église », les organisations juives protestent contre ce qu’elles considèrent comme une « christianisation révisionniste de l’Holocauste ». 12 Japon 11 % du PIB pour sauver le secteur bancaire. Après avoir obtenu l’accord de plusieurs partis de l’opposition, le gouvernement de Keizo Obuchi annonce un plan d’une ampleur considérable (60 000 milliards de yens, soit plus de 515 milliards de dollars) visant à recapitaliser les établissements bancaires solvables et à nationaliser les plus fragiles. L’État japonais devrait ainsi racheter un certain nombre de banques pour les revendre ensuite à des repreneurs. Médecine Le Nobel pour la découverte d’une molécule essentielle. Les trois pharmacologues américains Robert Furchgott (né en 1916), Ferid Murad (né en 1936) et Louis Ignarro (né en 1941) reçoivent le prix pour leur découverte de la molécule monoxyde d’azote (NO), dont le rôle est déterminant dans la dilatation des vaisseaux sanguins. Élu « molécule de l’année » en 1992, le NO est utilisé pour traiter les maladies cardiovasculaires ; on le retrouve également dans la pilule Viagra. République démocratique du Congo Succès de la rébellion. Les rebelles congolais en lutte contre le pouvoir du président Laurent-Désiré Kabila, soutenus militairement par l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, s’emparent de la ville de Kindu, dans l’est du pays. 13 Chimie Le Nobel pour deux mathématiciens. L’Américain Walter Kohn (né en 1923) et le Britannique John Pople (né en 1925) sont distingués par l’AcadédownloadModeText.vue.download 176 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 175 mie suédoise pour leurs travaux qui ont permis aux chimistes d’appliquer l’équation de Schrödinger au comportement des molécules. Schrödinger, physicien autrichien (Prix Nobel 1933), avait établi une formule mathématique permettant d’appliquer les lois de la mécanique quantique au mouvement des électrons. Cette formule était trop complexe pour être utilisée dans la description des grosses molécules. Kohn et Pople sont parvenus, au cours des années 60, à la simplifier suffisamment pour qu’elle soit opératoire dans tous les cas. Chercheurs comme chimistes de l’industrie pharmaceutique utilisent désormais quotidiennement les résultats des travaux des deux mathématiciens. Physique Le Nobel pour la description de l’« effet Hall quantique fractionnaire ». Les Américains Robert Laughlin (né en 1950) et Daniel Tsui (né en 1939) et l’Allemand Horst Störmer (né en 1949) sont récompensés pour « leur découverte d’une nouvelle forme de fluide quantique ». À partir de l’effet Hall (modification du trajet d’un courant électrique par un champ magnétique, utilisée notamment pour la fabrication des cartes à puce), les trois chercheurs sont parvenus, au terme de manipulations extrêmement complexes, à découvrir des nouveaux types de particules virtuelles infiniment petites impliquant un nouvel état de la matière. Yougoslavie Accord sur le Kosovo avec Slobodan Milosevic. Richard Holbrooke, émissaire américain du Groupe de contact sur la Yougoslavie (Allemagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie et Russie), et le président de la République fédérale du Yougoslavie (Serbie et Monténégro) parviennent à un accord visant à dénouer la crise au Kosovo, cette province serbe peuplée à 90 % d’Albanais de souche. Ce texte, obtenu après que l’OTAN a déployé une imposante force aérienne, prévoit l’envoi sur place de 2 000 représen- tants de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) chargés de vérifier la mise en application effective de la résolution 1199 de l’ONU sur le Kosovo (libre accès aux organisations humanitaires, retour chez eux des 250 000 réfugiés, calendrier de négociations entre Belgrade et les nationalistes kosovars). En contrepartie, les forces armées yougoslaves, qui devront quitter l’intérieur de la province, pourront rester le long de la frontière avec l’Albanie et la Macédoine, afin d’empêcher les infiltrations de combattants de l’UCK (Armée de libération du Kosovo). Belgrade doit se plier à un ultimatum de trois jours, rallongé ensuite de dix jours, pour évacuer ses troupes. Cet accord, marqué de beaucoup d’incertitudes, permet aux Occidentaux de confirmer leur pression et à M. Milosevic d’affirmer à son opinion qu’il conserve le contrôle sur la province. Les nouvelles orientations de la PAC Avec la mondialisation des économies, la libéralisation des échanges commerciaux et l’impératif de la loi du marché, les données du problème agricole français ont changé, qu’il s’agisse du rôle des exportations de produits alimentaires ou de la politique de l’environnement et du réaménagement rural. Face à l’offensive américaine à caractère libreéchangiste, la Communauté européenne, dans son projet de réforme de 1997 de la politique agricole commune (PAC), défendait une stratégie fondée systématiquement sur la baisse des prix et la recherche d’une meilleure compétitivité sur le marché mondial. L’idée sous-tendant cette stratégie était d’éviter que les exportations de produits agricoles – principal atout de l’agriculture française – ne baissent. De son côté, le gouvernement français est parti d’un autre point de vue : dans son projet de loi agricole du 10 juin 1998, il vise en effet à organiser « la triple fonction des agriculteurs d’aujourd’hui, économique, sociale et environnementale, et aussi à limiter la concentration des exploitations au profit des agriculteurs les plus productifs ou les plus aisés ». Il s’est ainsi fixé des objectifs qui, sans être en opposition avec le projet communautaire, le complètent, en prenant en compte d’autres réalités. Le 16 juillet 1997, la Commission européenne présentait les grandes orientations de la réforme de la politique agricole commune préconisée pour 1999. Cette réforme, qui s’inscrit dans la même logique que celle de 1992, vise à intégrer dans les meilleures conditions l’agriculture européenne aux marchés mondiaux. À cet effet, la Commission propose, notamment, d’introduire dans le dispositif européen de nouvelles doses downloadModeText.vue.download 177 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 176 de baisse des prix garantis afin de rapprocher ces prix du niveau des cours mondiaux. De son côté, le gouvernement français veut mettre en place « une gestion contractuelle » de la politique agricole et des financements qui y sont liés. Il entend également s’occuper de la mise en valeur du monde rural, soit par des activités agricoles proprement dites, soit par des actions en faveur de la qualité des produits, de l’environnement – par exemple, le paysage – ou du patrimoine. Une vocation exportatrice Dès 1992, date de la première réforme de la PAC, la Commission de Bruxelles s’est engagée dans une politique cherchant à consolider la position des produits agricoles européens dans le commerce international. En effet, dans un arrière-plan de libéralisation des échanges et de très vives pressions américaines pour garder ou conquérir des parts du marché mondial des produits agricoles, l’Europe doit se rapprocher du niveau des cours internationaux et, par conséquent, baisser les prix garantis payés aux agriculteurs. Bruxelles a donc décidé une baisse de 35 % du prix garanti des céréales, une diminution compensée par des aides à l’hectare. Alors que les agriculteurs redoutaient une dégradation de leurs revenus, les deux objectifs avoués de cette réforme – baisse des cours des matières premières agricoles et lutte contre les excédents agricoles, notamment par l’introduction de la jachère obligatoire – ont été plus que remplis. Cependant, si les revenus des agriculteurs de l’Union européenne se sont sensiblement accrus, il n’en demeure pas moins que des disparités de revenus importantes persistent selon les productions – la réforme a essentiellement profité aux grandes cultures et a pénalisé les producteurs de viande bovine ; la répartition inéquitable des primes a favorisé la course à l’agrandissement des exploitations – plus 25 % entre 1993 et 1997 pour les exploitations céréalières en France. De plus, les terres libérées à la vente, souvent faute de successeurs, sont rachetées par les proches voisins, ce qui contribue également à cette « course » à l’expansion des exploitations. Enfin, Bruxelles a mis en place un arsenal de soutiens directs destiné à prévenir une chute grave de revenus de certaines caté- gories de producteurs (subventions à la vache allaitante, à l’hectare de tournesol ou de maïs irrigué). La réforme de la PAC, qui est entrée en vigueur en 1999, tout en s’inscrivant dans la continuité, insiste sur la nécessité de prendre en compte certaines évolutions nouvelles. D’un côté, la Commission recommande à nouveau la baisse des prix pour doper les exportations vers des pays comme la Chine, la Turquie ou la Russie afin d’éviter la reconstitution de stocks de beurre, de blé ou de carcasses de viande. Les baisses envisagées sur le blé, le colza, la viande bovine ou le lait sont accentuées (15 à 30 %) et ne seront pas cette fois-ci compensées par le budget communautaire. D’autre part, en prenant en compte l’avancée de la diversification rurale, consécutive à la concentration dans l’espace des grandes cultures et aussi à la difficulté de trouver des successeurs aux agriculteurs âgés (une installation pour trois ou quatre départs), la Commission estime que l’entretien et la mise en valeur de l’espace rural représentent des missions essentielles et valorisantes pour ceux qui en sont chargés, au même titre que la production marchande et massive de biens alimentaires. Cette politique devrait s’attacher à mettre en valeur des cultures biologiques et de produits de qualité et, en même temps, la diversification des activités rurales (comme celle du tourisme à la ferme) au titre de la « multifonctionnalité de l’agriculture ». Cette approche nouvelle de la Commission rejoint les efforts du gouvernement français pour définir de nouvelles orientations de l’agriculture. De nouvelles missions En faisant voter le 13 octobre 1998 une loi d’orientation agricole, le gouvernement français a considère que l’agriculture du pays gagnerait davantage à exploiter ses atouts qu’à chercher à baisser fortement les prix à l’exportation des céréales ou de la viande de boeuf, comme le souhaite la Commission de Bruxelles. Ce choix délibéré s’appuie sur un constat. En effet, de 1990 à 1996, l’excédent annuel de produits agricoles bruts est passé de 35 à 29 milliards de francs, tandis que le solde des produits agroalimentaires (c’est-à-dire des produits bruts transformés) est monté de 16 à 35 milliards. Alors que la réforme de la PAC de 1992 devait permettre d’accroître les ventes de matières premières agricoles sur le marché mondial, les exportations françaises de céréales, dont 70 % sont destinées au marché européen, ont été largement rattrapées par celles des vins et spiritueux. Compte tenu de cette structure des échanges extérieurs agricoles et aussi de ses atouts (que l’on songe à la downloadModeText.vue.download 178 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 177 variété des productions), l’agriculture française devrait pouvoir saisir sa chance eu égard à sa capacité de fournir sur le marché communautaire et sur le marché mondial des produits élaborés à haute valeur ajoutée. Ces derniers sont vendus à des prix rémunérateurs pour les producteurs, parce qu’ils bénéficient d’un savoir-faire et de technologies qui les rendent compétitifs. La loi d’orientation agricole doit contribuer à opérer ce changement entre les contrats territoriaux d’exploitation – qui doivent aider des agriculteurs désireux de se lancer dans des expériences nouvelles – et le renforcement des organisations de producteurs face à la grande distribution, tout en prenant en compte les marques de terroir et de qualité, sans négliger, naturellement, l’existence des zones difficiles. GILBERT RULLIÈRE L’américanisation de la PAC De longue date, les Américains ont voulu étendre le libre-échange à l’agriculture. Dans le cas de la politique agricole commune, les États-Unis cherchent systématiquement à faire baisser les prix européens pour qu’ils se rapprochent des prix mondiaux. La règle est celle d’une amélioration de la compétitivité de l’agriculture communautaire sur les marchés intérieurs et extérieurs. Par ailleurs, les Américains acceptent de soutenir les agriculteurs dans la mesure où les aides n’ont pas d’incidence sur les productions. Il s’agit là d’une logique commerciale pouvant mettre en difficulté l’agriculture européenne. Cette compétition à outrance est très mal reçue par les agriculteurs français puisqu’elle risque de faire disparaître des valeurs comme la solidarité et la mutualisation. 14 France Paris en dehors de l’AMI. Lionel Jospin annonce que la France « ne reprendra pas les négociations dans le cadre de l’OCDE » sur l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Inspiré par l’Accord de libre-échange nord-americain, l’AMI prévoyait une libéralisation totale des investissements internationaux, en empêchant toute mesure de limitation nationale à leur encontre. Ainsi, dans le cadre de l’ALENA, le gouvernement canadien a dû retirer, en juillet 1998, une loi interdisant l’usage du MMT, un additif de carburant automobile considéré comme neurotoxique, à la suite d’une plainte présentée par la firme Ethyl Corporation, qui fabrique du MMT et qui s’estimait « expropriée » par la loi. 15 Économie Un économiste de la pauvreté récompensé par le Nobel. L’Indien Amartya Sen (né en 1934) est le premier Asiatique à recevoir le prix Nobel d’économie depuis sa création en 1969. Ses travaux ont notamment porté sur le lien entre prospérité et démocratie politique, la définition d’indicateurs économiques qualitatifs et pas seulement quantitatifs, et sur les conséquences à long terme de politiques économiques provoquant une montée durable du chômage. France Le Viagra mis sur le marché. La pilule américaine destinée à traiter les troubles de l’érection (environ 1,5 million d’hommes concernés en France) est désormais accessible sur ordonnance en pharmacie, sans remboursement par la Sécurité sociale. Un rapport de l’Inserm (Institut d’études et de recherches médicales) estime que les risques potentiels du « médicament de l’impuissance » sont encore insuffisamment évalués. France Manifestations de lycéens. Plus de 500 000 lycéens défilent dans 350 villes de France. À Paris, la manifestation est marquée par des violences causées par des jeunes venus de banlieue et qui mettent à sac plusieurs magasins. Les manifestants réclament de meilleures conditions de travail et des classes moins surchargées. Le 21, Claude Allègre, ministre de l’Éducation nationale, présente un « programme national pour les lycées ». Ce programme prévoit une enveloppe de 4,7 milliards de francs : 4 milliards de francs d’emprunts consentis à taux zéro aux Régions et 7 millions de crédits d’État. Ces sommes, devraient servir à améliorer les conditions de vie dans les lycées (locaux pour les nouvelles downloadModeText.vue.download 179 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 178 technologies, nouvelles salles des professeurs, etc.) et à recruter des surveillants. Liban Émile Lahoud nouveau président de la République. Âgé de soixante-deux ans, ce général maronite et francophone jouit d’une réputation de discrétion et d’honnêteté. En 1989, il s’était désolidarisé de la tentative de sécession du général maronite Aoun, ce qui lui valut la confiance de l’occupant syrien. 16 Chili Arrestation à Londres du général Augusto Pinochet. L’ancien dictateur, au pouvoir de 1973 à 1990, est arrêté dans la capitale britannique où il suivait un traitement médical. Cette arrestation fait suite à une demande d’extradition présentée par les juges espagnols Baltasar Garzón et Manuel García Castellón pour « génocide, terrorisme et incitation à la torture ». Les magistrats ont décidé de déclencher leur action à la suite de plaintes présentées par des familles de victimes espagnoles disparues lors de la répression menée au cours des années 70 par la junte militaire au pouvoir à Santiago. Plusieurs procédures judiciaires à l’encontre de M. Pinochet sont alors déclenchées en Suisse, en Suède et en France. Le 30, la Cour suprême espagnole se déclare compétente pour juger les crimes commis par les dictatures argentine et chilienne. En Grande-Bretagne, où le général Pinochet a reçu le soutien de Margaret Thatcher, la Haute Cour de Londres reconnaît l’immunité diplomatique de l’ancien chef de l’État chilien. Une procédure d’appel est présentée à la Chambre des lords. 17 Paix Prix Nobel pour deux hommes politiques d’Irlande du Nord. Le comité norvégien remet sa distinction à John Hume, républicain catholique, et à David Trimble, loyaliste protestant, pour leur rôle dans le processus ayant conduit au rétablissement de la paix en Ulster. 21 Espace Lancement réussi d’Ariane 5. Après l’explosion en vol de juin 1996 et l’injection orbitale ratée d’octobre 1997, le nouveau lanceur européen réussit son troisième vol de qualification. Les premiers lancements commerciaux sont prévus pour le premier semestre de 1999. À terme, Ariane 5 devrait être en mesure de mettre en orbite des satellites pesant jusque 11 tonnes. Pour les dix années à venir, le marché des satellites à lancer est estimé à au moins un millier. 23 Iran Victoire électorale des conservateurs. Les partisans du Guide de la révolution Ali Khamenei l’emportent largement aux élections à l’Assemblée des experts, une instance chargée d’élire le Guide. Ces élections, marquées par une forte abstention, voient l’échec des candidats réformateurs favorables au chef de l’État, Mohamad Khatami. Nombre de réformateurs n’avaient pas été admis à se présenter. Italie Massimo D’Alema nouveau président du Conseil. Âgé de quarante-neuf ans, il est le premier ancien communiste à présider le gouvernement italien. Leader du Parti démocratique de la gauche (PDS), il forme une équipe allant du centre droit aux néocommunistes : UDR (Union démocratique poux la république, ex-démocrate-chrétienne), PPI (Parti populaire italien, démocrate-chrétien de gauche), Renouveau italien (RI, centre), Parti socialiste, PDS, Verts, PDCI (communiste, sécession de Refondation communiste). Le cinquante-sixième gouvernement de la Péninsule depuis 1945 reprend les principales figures du précédent gouvernement de Romano Prodi, parmi lesquelles Carlo Ciampi au Trésor et Lamberto Dini aux Affaires étrangères. Le patronat italien accueille plutôt bien cette nouvelle équipe, downloadModeText.vue.download 180 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 179 qui regroupe les forces traditionnellement opposées de l’ancienne Démocratie chrétienne et de l’ex-Parti communiste, tandis que l’opposition de droite, autour de Silvio Berlusconi, dénonce une « mascarade ». Proche-Orient Accord israélo-palestinien. Après neuf jours d’intenses négociations à Wye Plantation (Maryland), Yasser Arafat et Benyamin Netanyahou signent un accord destiné à relancer le processus de paix institué par les accords d’Oslo en 1993. Selon ce texte, 13 % de la Cisjordanie seront rétrocédés à l’Autorité palestinienne (mais Israël continuera d’y exercer des fonctions de sécurité), ce qui devrait porter à environ 40 % (et 60 % de la bande de Gaza) le total des territoires sous contrôle palestinien. Par ailleurs, 750 prisonniers palestiniens seront libérés, des corridors de passage seront ouverts entre Gaza et la Cisjordanie, l’aéroport de Gaza devrait être prochainement ouvert, tandis qu’un port devrait y être construit à terme. En échange, les Palestiniens se sont engagés à supprimer dans la charte de l’OLP les clauses anti-israéliennes et ont accepté de mettre sur pied, avec la collaboration de la CIA américaine, un important programme antiterroriste. Bill Clinton s’est activement impliqué dans les discussions, après avoir demandé au roi Hussein de Jordanie de venir se joindre aux négociateurs. 25 Espagne Élections au Pays basque. Marquées par une forte participation, les premières élections régionales depuis la trêve décrétée en septembre par l’ETA traduisent une volonté de paix et de stabilité des électeurs. Le Parti nationaliste basque (PVN, modère) conserve la première place mais perd un siège. La véritable surprise est constituée par la deuxième place du Parti populaire espagnol (PPE, conservateur, au pouvoir à Madrid), qui obtient 20,1 % des voix. Ces résultats confortent la position du chef du gouvernement José Marie Aznar, qui sera d’autant plus déterminé dans les négociations à venir. Par ailleurs, la constitution du gouvernement régional devrait s’avérer délicate, la balance entre « nationalistes » et « espagnolistes » (PPE + socialistes) étant plus équilibrée qu’auparavant. 27 Allemagne Gerhard Schröder investi chancelier. Le septième chancelier d’Allemagne depuis 1949 (après Konrad Adenauer, Ludwig Erhard, Kurt Georg Kiesinger, Willy Brandt, Helmut Schmidt et Helmut Kohl) est investi au Parlement avec 351 voix sur 666, soit 6 voix de plus que sa majorité (SPD-Verts). Ce vote avait été précédé d’un accord de gouvernement entre les deux formations de la nouvelle coalition : relance de la consommation, taxation (modérée) de l’énergie, réforme des retraites, pacte pour l’emploi, abandon de la loi du sang au profit de la loi du sol pour l’acquisition de la nationalité, abandon progressif de l’énergie nucléaire. Oskar Lafontaine, figure dominante du SPD, prend la tête d’un superministère des Finances. Plus à gauche que M. Schröder, M. Lafontaine se situe assez près des positions du gouvernement français de Lionel Jospin. Les écologistes reçoivent trois ministères, dont celui des Affaires étrangères pour Joschka Fisher. 29 Espace Un astronaute de soixante-dix-sept ans. Premier Américain dans l’espace en 1962, John Glenn, devenu par la suite sénateur démocrate, décolle, trente-six ans après, à bord de la navette Discovery pour une mission de neuf jours. Officiellement, le nouveau vol du septuagénaire est destiné à étudier les effets de l’apesanteur sur un organisme vieilli. Il constitue aussi une fantastique opération de relations publiques pour la NASA. 31 Irak Rupture avec l’ONU. Le président irakien Saddam Hussein annonce qu’il cesse toute coopération avec l’UNSCOM, la commisdownloadModeText.vue.download 181 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 180 sion spéciale des Nations unies chargée de veiller au désarmement du pays. Il fait du départ de Richard Butler, le président de cette commission, la condition d’une reprise de la collaboration irakienne. Le Conseil de sécurité réagit aussitôt en condamnant à l’unanimité la décision de Bagdad. France Un officier mis en examen pour trahison au profit de Belgrade. Le commandant Pierre-Henri Bunel, en poste à l’OTAN, est arrêté après avoir avoué qu’il a transmis aux autorités de Belgrade des informations sur les ripostes aériennes envisagées dans le cadre de la crise du Kosovo. Cette affaire embarrasse Paris, l’armée française étant soupçonnée depuis plusieurs années d’entretenir des relations privilégiées avec les forces serbes. downloadModeText.vue.download 182 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 181 NOVEMBRE 1 Automobile Mikka Hakkinen, champion du monde de F1. Le pilote finlandais, au volant d’une McLaren/Mercedes, remporte à trente ans son premier titre mondial. Avec 100 points, il devance l’Allemand Michael Schumacher, 86 points (sur Ferrari), et le Britannique David Coulthard, 56 points (sur McLaren/Mercedes). 2 Grande-Bretagne Vers l’entrée dans l’euro. Gordon Brown, ministre britannique des Finances, annonce que son pays va se doter d’un « plan national de transition » vers la monnaie européenne, qui sera mis en oeuvre le 1er janvier 1999, jour de la première instauration de l’euro dans 11 des 15 pays de l’Union européenne. 4 Amérique centrale Au moins 30 000 morts et disparus après le passage du cyclone Mitch. Plus de 3 millions de personnes sont sinistrées et l’on craint que le bilan des victimes ne s’alourdisse du fait des épidémies. Le Honduras et le Nicaragua sont les pays les plus touchés, même si certaines estimations minimisent, a posteriori, le nombre des victimes, notamment au Honduras. Le cyclone Mitch est considéré comme l’un des plus violents du siècle. Né le 21 octobre au sud de la Jamaïque, il s’est accompagné de vents atteignant 288 km/h et a provoqué des pluies diluviennes. Des centaines de villages, des milliers de maisons et des centaines de kilomètres de routes ont été rayés de la carte. La destruction des moyens de communication retarde l’arrivée des secours dans des pays où la flotte d’hélicoptères demeure très réduite. Au bout de quelques jours, l’aide internationale s’organise enfin, alors que les organisations humanitaires s’indignent de la faiblesse des moyens mis en oeuvre. Plusieurs pays européens, dont la France, annulent tout ou partie des dettes extérieures du Honduras, du Nicaragua et du Salvador. À l’occasion de son voyage officiel au Mexique, Jaques Chirac décide de se rendre également dans ces trois pays. États-Unis Succès démocrate aux élections de mi-mandat. Alors que, traditionnellement, le parti du président en place recule aux élections de mi-mandat, le Parti démocrate gagne au total 5 sièges à la Chambre des représentants. 1 siège de gouverneur (dont ceux de New York et de Californie) et se maintient au Sénat. Ces résultats constituent un net succès pour Bill Clinton que la précédente majorité républicaine voulait pousser à la démission, à la suite de l’affaire Lewinsky. Des sondages convergents indiquaient que la majorité de l’opinion américaine y était opposée. Désavoué par ce scrutin, Newt Gingrich, l’opposant le plus farouche au président, démissionne de son poste de speaker (président) de la Chambre des représentants. France Nouvelle aide au retour pour les sans-papiers. Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, annonce qu’en liaison avec les autorités du Mali, du Maroc et du Sénégal le gouvernement va lancer une formule inédite d’aide au retour au pays pour les sans-papiers qui le désirent : ceux-ci bénéficieront d’une formation en France, d’une aide à leur réinsertion professionnelle sur place et d’un visa à entrées multiples permettant de revenir en France ultérieurement pour des séjours de trois mois maximum, une fois que la réinsertion locale aura été effective. Les élections du « mid-term », une chance pour Clinton ? À force d’entendre dire que les républicains allaient remporter les élections dites « de midterm », on avait fini par le croire. Cette erreur downloadModeText.vue.download 183 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 182 de jugement rappelle l’immense bévue de 1945 lors de l’élection présidentielle opposant Harry Truman au républicain Dewey. Mais, en dépit de l’échec des républicains, la procédure d’impeachment engagée contre Bill Clinton suivait toujours son cours. Les débuts de la campagne démocrate de 1998 n’étaient guère prometteurs. Durant l’été, en raison du scandale Lewinsky, le président Clinton paraissait considérablement affaibli dans son parti, dans son équipe de la Maison-Blanche, voire même auprès de ses amis. Des lointains d’Hawaï, le vice-président Albert Gore avait apporté un soutien d’une éloquente tiédeur. Mme Dianne Feinstein, sénateur démocrate de Californie, s’était déclarée « dégoûtée ». Nombre d’hommes politiques démocrates, soucieux de soigner leur image de possible candidat aux présidentielles de l’an 2000, avaient décliné le soutien du président lors de leur campagne électorale. Le taux de participation de 36 % est le plus bas depuis 1942. Or, on considérait en général que cette situation favorisait plus le COP (Grand Old Party) que les démocrates. Pour la première fois, c’est le contraire qui s’est produit. L’abstention ne joue plus nécessairement en la faveur des républicains. La fraction mouvante de l’électorat non fidélisé (swing voters) n’a pas été sensible à la campagne de déstabilisation du président Clinton. Un vote centriste... Contrairement à novembre 1994, on n’assiste pas à un bouleversement mais à un rééquilibrage en faveur du parti démocrate. Rien de comparable au raz de marée qui avait propulsé les républicains en novembre 1994. C’est plus d’immense soulagement que de grande victoire qu’il convient de parler du côté démocrate. Car les républicains conservent la majorité dans les deux Chambres. Le Sénat reste stable même si les démocrates reconquièrent 6 sièges à la Chambre des représentants, ce qui confirme le premier rétablissement de 1996. Le sénateur républicain D’Amato, qui s’était fait remarquer pour ses positions radicales en politique étrangère, perd après seize années l’État de New York où se maintient le prudent gouverneur républicain George Pataki. Peu de gouverneurs ont changé, mais la Californie, État le plus peuplé, a favorisé les démocrates. Ce dernier résultat est à la fois le plus spectaculaire et le plus lourd de conséquences à terme, en raison du poids considérable de cet État dans les élections présidentielles. Al Gore, s’il se déclare candidat, ce qui paraît hautement probable, trouve peut-être là l’atout maître pour l’élection présidentielle de novembre 2000. Restent les graves accusations pour pratiques illicites de collectes de fonds dans la campagne présidentielle de 1996. Avec ténacité et habileté, l’attorney général, Mme Janet Reno, s’emploie efficacement à déclarer irrecevables les procédures d’enquête. ... et conservateur Le vote de 1998 aura été centriste et conservateur au sens où l’électorat américain, très satisfait de la conjoncture économique, s’est détourné de tout aventurisme et de tout extrémisme. De ce fait, il a favorisé Bill Clinton parce que celui-ci a su se placer dans l’axe des aspirations de la middle class américaine qui colle à la conjoncture. Le président a su disputer victorieusement le terrain traditionnel de ses adversaires conservateurs : durcissement de la législation contre le crime, renforcement des effectifs de police, réduction des impôts et du déficit budgétaire, relance de l’Education nationale. Il ne restait donc aux républicains que la lutte pour les valeurs, des positions dures de politique étrangère et de défense qui ne mobilisent plus guère l’électorat et, bien sûr, l’affaire Lewinsky. Les divisions idéologiques des républicains Le problème du Parti républicain est qu’il n’est pas parvenu à se trouver une image ouverte, plurielle et cohérente. Pris entre des courants conservateurs radicaux tels que la droite religieuse et un courant réformiste modéré, le GOP oppose et divise les électeurs plus qu’il ne les rassemble. Le succès des deux fils de l’ancien président George Bush, George W. au Texas et Jeb en Floride, confirme le besoin d’une force de rassemblement. Ainsi le « clan Bush » peut-il prendre une position très favorable pour les élections présidentielles de 2000 et laisse-t-il peu de chances à M. Dan Quayle, vice-président de leur père. Le nouveau slogan de « conservatisme compatissant » pourrait constituer une synthèse acceptable pour le parti, car il devient indispensable de rallier de nouvelles couches sociales downloadModeText.vue.download 184 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 183 dans un pays où le taux d’immigration reste élevé. Très soucieuse d’intégration, profondément catholique, l’immigration hispanique constitue un enjeu majeur, accessible aux républicains pour autant que ceux-ci n’érigent pas en principe le rejet des wetbacks. Le vote féminin, juif, noir et syndicaliste est resté favorable aux démocrates. D’autant plus que les républicains n’étaient pas capables d’attirer ces suffrages. Les femmes n’ont pas voté Clinton mais démocrate, parce que les positions des républicains sur des questions aussi essentielles aux États-Unis que le droit à l’avortement ne peuvent les satisfaire. En octobre 1998, au plus fort du scandale Lewinsky, les organisations de femmes ont pris la décision de repousser les avances des républicains. Ce fut un tournant essentiel. Le vote féminin a été également guidé par l’habile comportement de Mme Clinton qui, dans l’adversité, aura porté avec une certaine dignité une évidente humiliation, s’attirant la sympathie de nombreuses électrices dont le vote s’est reporté sur les candidats démocrates (et non vers Bill Clinton). Cela indique que la politique menée par le Président dépasse complètement l’homme lui-même. Les électeurs ont-ils blanchi le Président ? En Europe, et pour partie aux États-Unis, la plupart des analystes concluent rapidement que ce fut un vote de confiance à Clinton et un désaveu de l’intransigeance des républicains à poursuivre la procédure de destitution d’un président populaire. Rien n’est moins sûr. Les sondages postélectoraux indiquent que les électeurs dissocient nettement l’enjeu électoral et la situation du Président. Curieusement, la presse se refuse à entendre ce message. Les chroniqueurs et les médias persistent à interpréter ce vote en faveur du Président. Ce hiatus n’est pas sans intérêt puisque, auparavant déjà, un désaccord de fait était apparu entre les médias et l’opinion. Il reste que les républicains contrôlent toujours les deux Chambres. Ils entendent bien désormais accélérer la procédure d’examen pour savoir s’il y a lieu ou non de prononcer l’impeachment contre le président Clinton. La majorité de l’opinion a toujours déclaré qu’elle n’était pas favorable à une destitution. Mais ce n’est pas en fonction de cela que les électeurs se sont prononcés. L’incapacité des républicains à construire un programme cohérent correspondant à l’évolution de la société américaine reste l’explication fondamentale de leur échec. La volonté de briser Clinton ne pouvait suffisamment rassembler. Un camouflet pour les républicains Les conséquences de l’échec des républicains ont été rapides. Newt Gingrich, idéologue du parti, a dû céder son poste de speaker à Robert Livingston. Ainsi s’éloigne la figure de proue de la « révolution conservatrice » de 1994. Très contesté, Gingrich était hautement apprécié pour ses capacités à trouver des financements. Son retrait de la vie politique risque de coûter fort cher, au sens propre, au Parti républicain. Faisant de nécessité vertu, le futur speaker de la Chambre s’est déclaré prêt à favoriser une ligne de consensus au Congrès. Pourtant, dans bien des domaines, notamment en matière de politique étrangère et de défense, on l’a vu en pointe pour soutenir et promouvoir des positions très agressives. M. Livingston devra aussi faire oublier ses excès de langage de 1995 lors du blocage du budget et de la mise en panne de l’administration fédérale. S’il maintient ses traditionnelles positions militaristes, il risque d’être perçu comme un adversaire du sacro-saint équilibre budgétaire et un perturbateur inopportun de l’arrangeante diplomatie américaine. Les républicains prennent en compte leur échec. Au regard de l’opinion, ils se doivent de démontrer un profond changement. Plus concrètement dans les Chambres, il leur faut aussi tenir compte d’une sorte de rééquilibrage au centre, c’est-à-dire vers un gouvernement plus consensuel puisque le rêve d’une majorité absolue des 2/3 s’est durablement évanoui. FRANÇOIS GÉRÉ La procédure de destitution La procédure de destitution engagée à l’encontre du président Clinton à l’initiative des républicains n’a pas été contrariée par l’échec relatif du Grand Old Party lors des élections du mid-term. Sans doute les démocrates ont-ils pu estimer que le clan républicain ne poursuivrait que mollement la procédure d’impeachment au motif que l’on ne renvoie pas, aux États-Unis, un gagnant. Mais le locataire de la Maison-Blanche a dû se rendre à l’évidence : les républicains entendaient découpler l’impeachment du résultat des élections, quitte downloadModeText.vue.download 185 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 184 à ne pas prendre en compte la lassitude des Américains, qui, majoritairement, souhaitent que l’on oublie l’affaire Lewinsky. 5 France Réhabilitation des mutinés de 1917. À quelques jours du quatre-vingtième anniversaire de l’armistice de 1918, le Premier ministre, Lionel Jospin, en visite à Craonne, près du Chemin des Dames, où périrent en quinze jours 170 000 poilus, évoque la mémoire des 75 soldats exécutés (sur 629 condamnations à mort) parce qu’ils avaient refusé non de combattre, mais de participer à une offensive condamnée d’avance. Le général Nivelle, responsable de cette offensive ratée du Chemin des Dames, avait lui-même été relevé de ses fonctions pour être remplacé par Philippe Pétain. M. Jospin émet le souhait que « ces soldats fusillés pour l’exemple, au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui notre mémoire collective nationale ». Dès le lendemain Jaques Chirac fait savoir qu’il juge « inopportune » la déclaration du Premier ministre. Le 7, à Londres, les autorités rendaient pour la première fois un hommage officiel aux 306 soldats britanniques exécutés pour « désertion et lâcheté ». 8 France Mort de Jean Marais. Né en 1913, doté d’un physique exceptionnel, il parvient à décrocher des petits rôles dans des films de Marcel L’Herbier au milieu des années 30. Après avoir été recalé au concours du Conservatoire, il fait la connaissance de Jean Cocteau, à qui il va être lié par une histoire d’amour de près de trente ans. Celui-ci lui donne, en 1938, le premier rôle dans sa pièce les Parents terribles, qui connaît un immense succès. Marais se consacre cependant davantage au cinéma : il joue dans l’Éternel Retour, de Jean Delannoy. en 1943, la Belle et la Bête, de Cocteau, en 1946, les Parents terribles, de Cocteau, en 1948, Orphée, de Cocteau, en 1950). À partir de la fin des années 50, il devient une vedette très populaire en interprétant des héros de films de cape et d’épée (le Bossu, d’André Hunebelle, en 1959, le Capitan, d’Hunebelle, en 1960, le Capitaine Fracasse, de Pierre Gaspar-Huit, en 1961), et de gentleman cambrioleur dans la série des Fantômas d’Hunebelle, aux côtés de Louis de Funès. Son dernier grand rôle date de 1970 dans Peau d’âne, de Jacques Demy. Il poursuit jusqu’au bout sa carrière à la scène et à l’écran, tout en se consacrant à la peinture et à la poterie. Jacques Chirac salue « la loyauté, la fidélité, la générosité » du disparu. France 71,9 % de « oui » en Nouvelle-Calédonie. Les habitants du territoire (106 716 inscrits, 79 224 votants) approuvent à une large majorité les accords du 5 mai, qui organisent leur autonomie sur une période de quinze à vingt ans. La participation (74,2 %) a été particulièrement forte. Le FLNKS (kanak) et le RCPR (caldoche) avaient tous deux appelé au vote positif. La seule ombre au tableau vient du score relativement important du « non » (37 %) dans la région de Nouméa, à dominante caldoche. Malgré l’euphorie de ce succès, les contradictions entre les deux communautés n’ont pas disparu. Dès le 12, FNLKS et RCPR s’opposent sur la rédaction de l’avant-projet de loi organique relatif à l’organisation des nouvelles institutions du territoire. Les élus kanaks souhaitent restreindre le corps électoral pour le fermer le plus possible aux nouveaux arrivants non kanaks. France Relance de l’affaire Dumas. Alors que vient de paraître le livre de Christine Deviers-Joncour, la Putain de la République, dans lequel elle relate sa liaison avec Roland Dumas et les circonstances lui ayant permis de toucher 66 millions de francs de commission, Valéry Giscard d’Estaing souhaite que le président Jacques Chirac mette fin aux fonctions de l’ancien ministre des Affaires étrangères, aujourd’hui à la tête du Conseil constitutionnel. Un député socialiste, Arnaud Montebourg, exhorte également M. Dumas à quitter ses fonctions. Celui-ci continue à nier toute faute de sa part et fait savoir qu’il n’entend pas démissionner. Tennis Greg Rusedski remporte l’Open de Bercy. Le Britannique gagne le plus important tournoi indoor du monde en battant le no 1 mondial, l’Américain Pete Sampras. downloadModeText.vue.download 186 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 185 9 Littérature Paule Constant lauréate du Goncourt. L’auteur de chez Gallimard reçoit le prix pour son roman Confidence pour confidence, qui relate l’affrontement verbal entre quatre intellectuelles féministes. Beaucoup regrettent que le prix ne se soit pas ouvert à des auteurs plus en prise avec la sensibilité contemporaine, comme Michel Houellebecq, Luc Lang (lauréat du Goncourt des lycéens) ou Marie Desplechin. Pour sa part, Dominique Bona, auteur Grasset, reçoit le prix Renaudot pour le Manuscrit de Port-Ébène, un roman historique. 10 France Rapprochement entre Aerospatiale et Dassault. Le gouvernement annonce qu’il transfère à Aerospatiale les 45,7 % de parts que l’État détient dans la société Dassault Aviation (constructeur des Mirage, du Rafale et des avions d’affaires Falcon). La société Dassault Systèmes, un des leaders mondiaux pour la conception et la fabrication assistées par ordinateur, demeure en dehors de l’opération. Ce rapprochement se situe dans la perspective de la « grande société d’aéronautique » en cours d’élaboration à l’échelle européenne. Alors que se finalise, par ailleurs, le rapprochement d’Aerospatiale et de Matra, branche « défense » du groupe Lagardère, les autorités françaises cherchent à regrouper le pôle français de l’aéronautique en vue de participer à la constitution d’un grand groupe européen avec l’allemand DASA et le britannique British Aerospace. Ces deux derniers, en voie de rapprochement, ont menacé de laisser Aerospatiale en dehors si l’État français ne s’en désengageait pas. Indonésie Violentes manifestations à Djakarta. Alors que le Parlement est réuni pour débattre de réformes politiques importantes, les étudiants redescendent dans la rue pour manifester à nouveau contre le pouvoir en place. En mai, ils avaient obtenu le départ de Suharto et son remplacement par le vice-président, Jusuf Habibie. Ils estiment que celui- ci ne fait que continuer la politique de son prédécesseur et ils réclament son départ. Dans les jours qui suivent, les troubles prennent de l’ampleur et, le 13, on déplore une quinzaine de morts. Les parlementaires décident de limiter à deux mandats de cinq ans la durée maximale d’occupation du pouvoir par le chef de l’exécutif. Celui-ci ne disposera plus de pouvoirs spéciaux. Par ailleurs, une large décentralisation du pouvoir entre les provinces et l’État est annoncée. Cela ne suffit pas à calmer les étudiants. Les leaders de l’opposition, Amien Raïs et Abdurrahman Wahid, appuient les étudiants, mais leur conseillent de ne pas chercher à défier l’armée. 11 France Inauguration d’une statue de Winston Churchill. À l’occasion de la commémoration de l’armistice de 1918, Jacques Chirac et la reine d’Angleterre, Elisabeth II, inaugurent à Paris, face au pont Alexandre-III, une statue dédiée à l’ancien Premier ministre britannique, héros de la Seconde Guerre mondiale et soutien fidèle de l’action du général de Gaulle. 12 Italie/Turquie Arrestation à Rome du chef du PKK. Abdullah Öcalan, chef du parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), est arrêté dans la capitale italienne, en provenance de Moscou. Depuis quelques semaines, les dirigeants du mouvement rebelle kurde cherchent un pays d’accueil, après que la Syrie, sur la pression d’Ankara, a décidé de les expulser de son territoire. Affaibli sur le plan militaire et diplomatique, le PKK semble, avec l’arrestation de son leader historique, au bord de la déroute. Cependant, dans les jours qui suivent, la justice italienne s’oppose à ce que M. Öcalan soit extradé en Turquie, pour la raison qu’il y risque la peine de mort. Cette décision indigne le gouvernement comme l’opinion publique turcs, qui estiment que le leader kurde est responsable des 30 000 morts qui ont suivi le déclenchement, en 1984, de l’insurrection séparatiste kurde dans le SudEst anatolien. Les autorités turques décident de boydownloadModeText.vue.download 187 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 186 cotter les industriels italiens (l’Italie est le troisième fournisseur de la Turquie). 13 Cambodge Compromis politique. Sous l’égide du vieux souverain Norodom Sihanouk, un accord politique est passé entre le Premier ministre Hun Sen, leader du parti du Peuple cambodgien (PPC, ex-communiste), et le prince Norodom Ranariddh, chef du parti royaliste Funcinpec. Selon cet accord, Hun Sen dirigera un gouvernement de coalition avec le Funcinpec, dans lequel le PPC contrôlera l’armée et la police. Le prince Ranariddh présidera pour sa part l’Assemblée nationale, élue en juillet. Théâtre Mort d’Edwige Feuillère. Née en 1907, elle sort première du Conservatoire en 1931. Après avoir épousé le comédien Pierre Feuillère, dont elle se sépare en 1937, elle entre à la Comédie-Française. Elle n’y reste que deux ans, préférant mener une carrière indépendante, au théâtre comme au cinéma. À l’écran, elle joue sous la direction de Julien Duvivier, de Raymond Bernard et de Max Ophuls ; elle triomphe sur scène dans la Dame aux camélias, qu’elle jouera plus de 800 fois de 1939 à 1959. Après la Libération, elle connaît d’autres succès avec les deux versions, pour la scène et pour l’écran, de l’Aigle à deux têtes, de Cocteau, aux côtés de Jean Marais. Elle s’impose aussi comme une très grande interprète de Claudel. Elle monte pour la dernière fois sur les planches en 1989. 14 Environnement Échec de la conférence mondiale sur le Climat. Réunis depuis deux semaines à Buenos Aires, les délégués des 161 pays représentés se séparent en adoptant un texte qui repousse à plus tard les décisions à prendre. Les débats ont porté sur la réduction des émissions à effet de serre. Les États-Unis souhaitent un engagement sur ce point des pays en voie de développement et la création d’un marché des droits de pollution (les pays peu pollueurs pourraient vendre leurs quotas de pollution à des pays émettant beaucoup de gaz). Les Européens militent, pour leur part, en faveur d’une obligation, pour les pays développés, de prendre chacun des mesures visant à la réduction de leurs émissions. Les Américains, qui ne veulent pas brider leur industrie ni modifier leur mode de vie, refusent de s’engager. Les pays en voie de développement, qui craignent de ne pas avoir les moyens de limiter leurs propres pollutions, refusent eux aussi de s’engager si les pays développés ne font rien en ce domaine. La situation est donc complètement bloquée. Irak Compromis de dernière heure. Alors que, depuis plusieurs jours, les États-Unis avaient déployé dans la région d’importantes forces militaires, Bill Clinton annonce qu’il suspend la menace de bombardement des sites stratégiques irakiens. Quelques minutes auparavant, le président irakien, Saddam Hussein, avait fait parvenir à Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, un message dans lequel il acceptait de ne plus entraver le travail des inspecteurs de l’UNSCOM chargés de contrôler le désarmement de l’Irak. Le dispositif militaire américain est maintenu afin de garder la pression sur Bagdad. M. Clinton déclare explicitement qu’il souhaite le départ de Saddam Hussein et « la mise en place d’un nouveau gouvernement acquis à la paix ». Dès le 17, les inspecteurs de l’UNSCOM sont de retour sur le terrain. 17 France Malaise au sein de l a « gauche plurielle ». Après que Dominique Voynet, ministre de l’Environnement et tête de file des Verts, a exprimé son « désaccord » sur la politique du gouvernement visà-vis des sans-papiers, Lionel Jospin dénonce « l’irresponsabilité » de ceux qui demandent la régularisation de tous les sans-papiers dont la demande a été rejetée. L’impression de malaise au sein de la gauche est relancée le 20 avec la publication d’une interview de Michel Rocard, dans laquelle l’ancien Premier downloadModeText.vue.download 188 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 187 ministre déclare que, selon lui, François Mitterrand « n’était pas un honnête homme ». France Sanction réduite pour Jean-Marie Le Pen. Condamné en première instance à deux ans d’inéligibilité (plus trois mois de prison avec sursis et 23 000 F d’amende) pour avoir agressé physiquement une élue socialiste des Yvelines lors de la campagne de 1997, le leader du Front national voit sa peine réduite en appel à un an d’inéligibilité, ce qui devrait lui permettre de se présenter à la fois aux élections européennes de 1999 (en introduisant un recours en cassation, dont l’effet est suspensif de la peine) et à l’élection présidentielle de 2002. Indirectement, le jugement de la Cour d’appel de Versailles fragilise, au sein du parti d’extrême droite, la position de Bruno Mégret, qui avait axé sa stratégie de prise du pouvoir sur le fait que M. Le Pen risquait d’être écarté de la vie politique pour une période de deux ans et non d’un seul. 18 Asie-Pacifique Fin du sommet de l’APEC. Le sixième sommet de la Coopération Asie-Pacifique, organisé cette année en Malaisie, s’achève sur un constat d’impuissance. Le principal dossier, qui avait trait à la libéralisation des échanges entre les pays de la zone, n’a pu être réglé. Par ailleurs, les déclarations du vice-président américain Al Gore, sur Ici nécessité d’appuyer les efforts de démocratisation de la vie politique dans les pays d’Asie, ont déclenché la colère du Premier ministre malais, Mahathir Mohamad, à qui beaucoup reprochent son comportement autocratique. Israël Difficile ratification des accords de Wye Plantation. Après que des attentats palestiniens ont tendu la situation en début de mois, que Yasser Arafat et Benyamin Netanyahou se sont livrés pendant plusieurs jours a une surenchère verbale, les accords israélopalestiniens du 23 octobre sont ratifies par la Knesset, le Parlement israélien. Ce résultat n’est obtenu que grâce au vote positif de l’opposition travailliste, alors que plusieurs partis de la coalition gouvernementale ont voté contre et que seulement 8 ministres sur 17 ont approuvé les accords. 20 Espace Lancement du premier module de la station spatiale internationale (ISS). Zarya est lancée dans l’espace depuis le cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan. C’est le premier élément du plus grand chantier orbital jamais réalisé. Russes, Américains, Européens, Japonais et Canadiens y participent. Autour de 2004, un « village spatial » devrait être assemblé, permettant d’accueillir des équipages de six à sept astronautes pendant dix ans. Certains, notamment en Europe, s’interrogent sur l’intérêt réel des vols habités, suggérant de concentrer les efforts sur l’« espace utile », c’est-àdire sur les réseaux de téléphone de deuxième génération ou sur l’observation de la Terre (système GPS de positionnement mondial !, une technologie que contrôlent actuellement les Américains. France Jean-Marie Cavada à la tête de Radio France. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) nomme le journaliste, animateur de l’émission de télévision « La marche du siècle », à la présidence de la radio publique, en remplacement de Michel Boyon. Âgé de cinquante-huit ans, M. Cavada a commencé sa carrière à France-Inter. Dans les années 90, il a créé La Cinquième, chaîne de télévision éducative, avant de prendre la présidence de RFO Radio France-outremer). Russie Assassinat d’une députée libérale. Grande figure du mouvement démocratique en Russie, Galina Starovoïtova est abattue d’une rafale de mitraillette à son domicile de Saint-Pétersbourg. Militante de la liberté depuis 1968, elle avait été élue députée de sa ville en 1995 et dirigeait un petit parti de la mouvance libérale, Russie démocratique. Elle s’apprêtait à briguer le poste de gouverneur de la région de Saint-Pétersbourg, occupé jusqu’alors par le président communiste de la Douma et par le leader ultranationaliste Vladimir Jirinovski. D’après ses downloadModeText.vue.download 189 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 188 proches, elle était sur le point de révéler un circuit de financement occulte du Parti communiste dans lequel serait impliqué le président de la Douma. Voile Laurent Bourgnon gagne pour la deuxième fois la Route du rhum. Déjà vainqueur en 1994, le skipper franco-suisse remporte sur son trimaran Primagaz la sixième édition de la course transatlantique en solitaire entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre. En 12 jours, 8 heures, 41 minutes et 6 secondes, il bat le record de l’épreuve de près de deux jours. Il précède Alain Gautier de trois heures et Franck Cammas de dix heures. 22 Albanie Référendum constitutionnel. Plus de 55 % des électeurs inscrits participent au vote sur l’adoption d’une Constitution dont le pays était jusqu’alors dépourvu. Plus de 90 % des votants se prononcent pour le « oui ». Ce texte, qui ne bouleversera pas l’équilibre des forces dans le pays, permet cependant d’asseoir l’État de droit, ce que souligne l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Le leader de l’opposition, l’ancien président Sali Berisha, qui s’était prononcé pour le boycott du scrutin, en dénonce le déroulement, que, par ailleurs, les observateurs internationaux jugent correct. L’Albanie en quête de stabilité Secouée en 1997 par des troubles meurtriers qui ont abouti à la démission du président Sali Berisha et à l’arrivée des socialistes au pouvoir, l’Albanie a connu, en 1998, le pire et le meilleur. En septembre, un coup de force a visé le gouvernement et provoqué le départ du Premier ministre Fatos Nano. Le succès, en novembre, du référendum constitutionnel conférera peut-être un peu de stabilité au pays, alors que la situation au Kosovo voisin est toujours lourde de menaces. « Ici commence l’avenir », proclamait un slogan officiel appelant les Albanais à participer au référendum constitutionnel du 22 novembre. L’affirmation relevait d’un optimisme peutêtre excessif. Le pays le plus pauvre d’Europe est aussi l’un des plus instables. Les violences sociales et la confusion politique y sont la règle depuis la chute du régime communiste, en 1991, aggravées par les agissements d’une mafia qui contrôle les trafics tenant lieu d’activité économique. Aujourd’hui, les candidats à l’émigration clandestine vers l’Italie sont encore nombreux à débourser 300 dollars pour traverser le détroit d’Otrante sur des embarcations légères, au péril de leur vie, en vue d’échapper à un sort bien plus cruel à leurs yeux : vivre en Albanie. C’est pourquoi l’adoption d’une Constitution apparaît, certes, comme une condition nécessaire à la stabilisation de la situation albanaise, mais n’en constitue sûrement pas la condition suffisante. L’instauration d’un régime parlementaire Les Albanais ont donc approuvé par référendum, à une forte majorité – 93,5 % –, le projet de Constitution rédigé avec l’aide du Conseil de l’Europe et présenté par le gouvernement socialiste aux affaires depuis juillet 1997. L’Albanie où le pouvoir a été, de 1992 à 1997, incarné par un homme, le charismatique président Sali Berisha, est désormais une République parlementaire aux pouvoirs équilibrés. Aucune nouvelle Loi fondamentale n’avait été élaborée depuis la fin de l’ère communiste. La tentative de Sali Berisha d’instaurer un régime présidentiel taillé sur mesure avait échoué au terme d’un premier référendum, en novembre 1994 – un an et demi plus tard, il lui faudrait frauder pour remporter les élections législatives. L’ancien homme fort du pays appelait, cette fois, au boycottage du scrutin. Sa formation, le Parti démocratique, refusait déjà de participer aux séances de travail en vue de l’élaboration du texte. Le chef de l’opposition a-t-il été entendu ? Pas suffisamment, semble-til, pour que le scrutin, dont le déroulement a été jugé « correct » par les observateurs de l’OSCE, ne perde de sa signification : le taux de participation s’est élevé à 50,6 %. Sali Berisha a prétendu que le taux réel avait été gonflé d’au moins 10 % et a accusé les dirigeants socialistes d’avoir orgadownloadModeText.vue.download 190 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 189 nisé des fraudes massives. Moins de deux mille personnes ont répondu, le lendemain, à Tirana, à son appel à manifester. L’homme a perdu son charisme. Ses excès lassent. Ce n’était pas sa première tentative de déstabilisation du pouvoir depuis sa démission, après les élections législatives de juin 1997 perdues par le Parti démocratique. En 1997, les faillites en chaîne, à partir de janvier, des établissements pratiquant le système des pyramides financières avaient provoqué la ruine des petits épargnants. Les émeutes qui avaient bientôt pris pour cible la personne du président Berisha devaient faire, en trois mois, quelque deux mille morts à travers le pays. En avril, une force internationale était intervenue pour garantir le maintien de l’ordre jusqu’aux élections législatives anticipées annoncées pour juin. La victoire du parti socialiste (ex-communiste réformé) et l’accession de son chef, Fatos Nano, au poste de Premier ministre n’ont jamais été acceptées par Sali Berisha, qui a préféré la démission à la cohabitation. Un « coup d’État » manqué Le 22 août de cette année, six des principaux dirigeants du Parti démocratique ont été accusés de « crimes contre l’humanité » après les événements de 1997 et arrêtés. Depuis, l’opposition organisait quotidiennement des manifestations en vue d’obtenir la démission du Premier ministre socialiste. En septembre, à l’occasion de troubles qu’il avait contribué à attiser, Sali Berisha a encouragé des attaques contre le pouvoir qualifiées par celui-ci de « coup d’État ». Les violences ont commencé le lendemain de l’assassinat, à Tirana, le 12, de Azem Hajdari, l’un des fondateurs du Parti démocratique et le « bras droit de Sali Berisha, tué par balles par des inconnus devant le siège du Parti. Le chef de l’opposition a aussitôt qualifié le crime d’« attentat politique » et accusé le gouvernement socialiste de Fatos Nano d’en être l’instigateur. Suivait une menace assortie d’un ultimatum : « Si le criminel Fatos Nano ne démissionne pas dans les vingt-quatre heures, nous réagirons et utiliserons tous les moyens pour le renverser. » Le jour même, des partisans du Parti démocratique marchaient sur le siège du gouvernement, désarmaient les soldats en faction et tiraient sur le bâtiment. Les affrontements causaient la mort d’un manifestant. Le lendemain, jour des obsèques d’Azem Hajdari, des échanges de tirs ont de nouveau résonné dans les rues de la capitale lorsque des opposants ont tenté pour la deuxième fois de forcer les portes du siège du gouvernement avant de s’emparer de deux blindés, d’investir le Parlement et de prendre pour quelques heures possession des locaux de la radio et de la télévision. Trois d’entre eux ont été tués. Les forces de l’ordre rétablissaient le calme en fin de journée dans une capitale dévastée par les affrontements et les pillages. Le ministre de l’Intérieur pouvait déclarer : « Le coup d’État a échoué. » L’explosion de violence a toutefois mis en lumière la détermination de l’opposition à reconquérir le pouvoir par quelque moyen que ce soit et, par contraste, la faiblesse d’un gouvernement pouvant à peine compter sur la loyauté des forces de l’ordre et, encore moins, sur le soutien de la population. Si la communauté internationale, États-Unis et Italie en tête, a aussitôt dénoncé les violences, elle a aussi renvoyé dos à dos le gouvernement et l’opposition, dont les pratiques ont été également condamnées. Fatos Nano et Sali Berisha ont été sommés d’engager un dialogue, ce à quoi le second s’est farouchement opposé. ÉRIC UNGERI De difficiles négociations Les négociations menées au sein de la coalition au pouvoir en vue d’un remaniement ministériel n’ont pas été plus fructueuses. Le 28 septembre, Fatos Nano a présenté sa démission, non sans dénoncer les « pressions » exercées sur lui et l’absence de « soutient de la part des partis de la coalition gouvernementale et de sa propre formation. Le lendemain, le président Rexhep Meidani a entériné la proposition du parti socialiste de nommera la tête du gouvernement Pandeli Majko, chef du groupe parlementaire socialiste au Parlement. Plus jeune Premier ministre de l’histoire de l’Albanie – il a trente et un ans – et donc exempt de toute compro- mission avec le régime communiste, Pandeli Majko peut déjà se vanter d’être parvenu à doter son pays d’une Constitution. downloadModeText.vue.download 191 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 190 24 Communication Rachat de Netscape par AOL. AOL, no 1 mondial des services en ligne (42 milliards de dollars de capitalisation boursière), rachète pour 4,2 milliards de dollars Netscape, créateur de l’un des deux filtres mondiaux permettant de naviguer sur Internet. Netscape est surtout orienté vers l’usage professionnel, tandis qu’AOL, avec ses forums de discussion et son service de courriel électronique, est davantage tourné vers les utilisateurs individuels. La nouvelle entité est désormais au niveau de Yahoo !, premier site Internet de la planète, et envisage un rapprochement avec Sun Microsystem, concepteur du langage de programmation universel Java. Elle constitue aussi une machine de guerre contre l’empire Microsoft de Bill Gates, soupçonné par la justice américaine d’avoir cherché à éliminer Netscape en imposant aux constructeurs d’ordinateurs son propre logiciel de circulation sur Internet Explorer. Santé Progression de la pandémie de sida. L’organisme des Nations unies chargé de suivre la pandémie, Onusida, annonce que 33,4 millions de personnes sont enregistrées à travers le monde comme porteuses du virus, soit 10 % de plus qu’en 1997. Au total, près de 6 millions de personnes seront contaminées au cours de l’année 1998, soit une moyenne de 11 à la minute. Près de 95 % des personnes infectées vivent dans le tiers-monde. 25 Chili/Grande-Bretagne Rejet de l’immunité d’Augusto Pinochet. Les juges de la commission juridique de la Chambre des lords rejettent par 3 voix contre 2 l’immunité diplomatique de l’ancien dictateur chilien. Alors qu’il suivait un traitement médical à Londres, celuici avait été mis en état d’arrestation en octobre à la suite d’une demande d’extradition présentée par les juges espagnols Baltasar Garzón et Manuel Garcia Castellón pour « génocide, terrorisme et incitation à la torture ». Des demandes similaires avaient été ensuite présentées par les justices suisse, belge et française. Cette décision, d’une très grande portée symbolique, est saluée dans de nombreux pays. En France, Lionel Jospin déclare que « c’est une joie » et Jacques Chirac qu’il n’était pas « acceptable que des crimes puissent rester impunis ». À long terme, la décision des lords anglais constitue une menace pour tous les dictateurs, qui risquent, quand ils ne seront plus en fonctions, de se voir arrêtés lors de tout déplacement à l’étranger. À court terme, les autorités britanniques vont examiner la demande espagnole d’extradition et décider de lui donner ou non une suite. Le ministre de l’Intérieur, Jack Straw, va devoir arbitrer entre les demandes de l’opinion publique européenne et celles du gouvernement chilien, qui ne souhaite pas indisposer son armée en laissant ainsi juger à l’étranger son chef historique. France Rupture du pacte d’actionnaires entre Bolloré et Bouygues. Vincent Bolloré annonce qu’il rompt le pacte qui le liait à la famille Bouygues pour cinq ans et qui limitait sa participation au groupe de BTP et de communication (28 milliards de francs de capitalisation boursière) à 14 %. Depuis plusieurs mois, un conflit latent opposait le patron breton à Martin Bouygues, notamment à propos de la stratégie de développement du groupe dans le téléphone. François Pinault, P-DG de la holding Artémis (le Printemps, la Redoute, la FNAC, le Point), rachète les actions de M. Bolloré, qui encaisse à cette occasion une plus-value de 1,5 milliard de francs. Turquie Renversement du gouvernement de Mesut Yilmaz. En place depuis juin 1997, la coalition gouvernementale droite-gauche formée autour du parti de la Mère Patrie (ANAP, droite) est censurée par 314 voix sur 528. La motion de censure avait été déposée par le parti de la Juste Voie (DYP, droite) de Tansu Çiller, le Fazilet (islamiste) et le parti républicain du Peuple (CHP, social-démocrate). Elle était fondée sur le fait que des liens auraient été établis entre un homme d’affaires notoirement lié à la mafia turque. Kormaz Yigit, le Premier ministre et son ministre de l’Économie. Dans une confession filmée, un chef mafieux avait affirmé que les responsables politiques avaient accepté de ne pas s’opposer au rachat par Yigit d’une downloadModeText.vue.download 192 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 191 grande banque publique en voie de privatisation. M. Yilmaz dénonce un « complot politique ». Ulster Une nouvelle milice. Huit hommes masqués annoncent la constitution d’un nouveau groupe paramilitaire loyaliste protestant, lors d’une conférence de presse clandestine. Ce groupe s’intitulant « Volontaires d’Orange » affirme vouloir prendre pour cible les prisonniers de l’IRA récemment libérés et revendique une série d’attentats contre des bars et des magasins tenus par des catholiques. Le cas Pinochet La mise en garde à vue à Londres de l’ex-dictateur chilien poursuivi par la justice espagnole pour « génocide, terrorisme et incitation à la torture » puis la levée de son immunité diplomatique, le 25 novembre, par la Commission juridique de la Chambre des lords ont eu un retentissement mondial. Pas seulement parce qu’était ainsi ouverte une des pages les plus noires de la politique sud-américaine des années 70, mais aussi parce qu’était ainsi posé, de façon éclatante, le principe d’une justice mondiale, soucieuse de faire respecter, même au plus haut niveau, les principes élémentaires des droits de l’homme. Augusto Pinochet n’est ni le seul dictateur latino-américain encore en vie, ni même le plus sanglant. En 1964, les militaires brésiliens avaient renversé sans état d’âme le président élu João Goulart ; douze ans plus tard, leurs homologues argentins, sous la houlette du général Videla, mettaient fin aux derniers soubresauts du péronisme historique, inaugurant une phase de violences inouïes. Pourtant Pinochet, à qui il n’est reproché « que » quelque 4 000 morts et disparus (sans parler des milliers d’exilés), incarne, plus que tout autre, la force brutale et la dictature. Il est vrai que le personnage est complexe. Pendant longtemps, il avait incarné les vertus démocratiques que l’on prêtait aux forces armées chiliennes. Son prédécesseur à la tête de l’état-major, le général Carlos Prats, qu’il fera ensuite assassiner, l’avait présenté au président Allende comme un officier supérieur « sûr », aux convictions légalistes bien ancrées. Et le leader de l’Unité populaire l’avait cru, jusqu’à ce fameux 11 septembre 1973, où les militaires balayèrent le pouvoir de gauche pour s’installer aux commandes. Le régime Pinochet va alors mettre en oeuvre un programme économique d’airain, inspiré par les tendances les plus libérales – au sens économique du terme – du monétarisme américain, incarnées par le professeur de Chicago Milton Friedman : démantèlement des services sociaux, ouverture aux capitaux étrangers. Un « rêve » que voudront réaliser à leur tour tous les conservateurs musclés du monde entier, de Margaret Thatcher, grande amie du général, aux politiciens russes, en mal de solutions miracles. Car la formule va réussir, faisant en quinze ans du Chili le pays le plus prospère du sous-continent (9 520 dollars de PIB-PPA par habitant au milieu des années 90, contre 8 720 en Argentine et 19 670 en France). Au prix, certes, d’une formidable inégalité (10 % de la population chilienne dispose de près de 50 % de la richesse nationale) et d’une terrible individualisation de la vie sociale (désyndicalisation, drogue, alcoolisme et recours massif au crédit, même pour les objets les plus courants de la vie quotidienne). Fort de ses succès économiques, Pinochet a su négocier son départ. En 1988, les électeurs chiliens décident par référendum de procéder à des élections libres, qui amènent quelques mois plus tard un président démocrate-chrétien au pouvoir, Patricio Alwin. Mais Pinochet sait assurer ses arrières ; il demeure chef des armées, imposant à son peuple cette idée que le retour de la démocratie passe impérativement par la « réconciliation » (c’est-à-dire l’oubli des crimes de la dictature). Près de huit ans plus tard, le 10 mars 1998, il quitte ses fonctions, non sans avoir obtenu un poste de sénateur à vie, ce qui est censé lui garantir une immunité perpétuelle. Mais l’opinion publique chilienne n’a pas oublié : le pays est secoué de manifestations de protestation contre cette « amnésie organisée » que représente le statut de sénateur à vie du général Pinochet. La coalition, regroupant démocrateschrétiens et socialistes autour du nouveau président Eduardo Frei, est fortement ébranlée. Tout est alors relancé par l’arrestation du général à Londres, où il est allé se faire opérer. Deux questions sont alors posées. downloadModeText.vue.download 193 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 192 La question de l’immunité... La première est une question de principe : les chefs d’État bénéficient-ils à vie d’une immunité pour leur action, même si celle-ci s’est opérée au mépris des droits de l’homme ? Il semble bien que la communauté internationale a tranche dans un sens négatif. Si les dirigeants en exercice continuent de bénéficier, quoi qu’il arrive, de ce privilège, il n’en ira plus de même une fois qu’ils seront à la retraite. Et cela peut changer beaucoup de choses. Les dictateurs savent désormais qu’ils sont condamnés à garder le pouvoir jusqu’à leur dernier souffle, sauf à risquer l’emprisonnement au moindre de leur déplacement à l’étranger. Or, par définition, les dictateurs sont toujours susceptibles de devoir un jour ou l’autre quitter leur pays en catastrophe. Cette nouvelle donne internationale prend d’autant plus de réalité que le principe de la création d’un Cour pénale internationale a été adopté en juillet à Rome (même s’il faudra plusieurs années pour obtenir les ratifications nécessaires à sa mise en oeuvre), et que fonctionnent, chaque mois avec un peu plus de vigueur, les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et pour l’ex-Yougoslavie. ... et du lieu du jugement La deuxième question est d’opportunité : n’est-il pas préférable de juger le général Pinochet dans son propre pays plutôt qu’à l’étranger, c’est-àdire en Espagne (alors que le gouvernement britannique a décidé, le 9 décembre, de laisser la procédure d’extradition suivre son cours) ? Les arguments en ce sens sont forts. Ils touchent à l’honneur même des Chiliens, à qui il revient tout naturellement la charge de demander des comptes à celui qui les a dirigés pendant plus de dix-sept ans. Fin novembre, un sondage indiquait que 70 % d’entre eux estimaient que le procès devait avoir lieu à Santiago. Par ailleurs, de nombreux observateurs étaient convaincus que le Chili n’était pas menacé, quoi qu’il arrive, par un nouveau putsch militaire. Pourtant, les risques de conflits graves entre la partie de la population favorable à Pinochet, ou, pour le moins, au maintien de la « réconciliation » et la gauche et les démocrates ne sont pas totalement exclus. D’autre part, un procès de l’ancien dictateur au Chili supposerait une révision de la Constitution, pour la bonne raison que celui-ci a fait inscrire dans le texte suprême son statut de sénateur à vie, bénéficiant de ce fait d’une immunité permanente. La complexité politique atteindrait alors son comble et l’on serait très loin de la sérénité nécessaire pour une procédure où tout un pays regarderait en face son passé. La justice est une chose ; l’application de son exercice, une autre. FRANCIS FERRER Citations du général Pinochet « Ce pays est un pays tranquille, car nous disposons d’un bon service de renseignements. » « Rien, pas la moindre feuille ne bouge dans ce pays si ce n’est moi qui la déplace. Que cela soit bien clair. » « Je suis laid. C’est peut-être pour ça qu’on me traite de dictateur. » 26 Tennis Pete Sampras, no 1 mondial pour la sixième année. Le joueur américain bat le record de son compatriote Jimmy Connors en terminant sa sixième année à la tête du tennis mondial. Cet exploit sans précèdent n’empêche pas le tennis de connaître une forte désaffection, notamment aux États-Unis. 29 France-Afrique XXe sommet franco-africain à Paris. Quarante-neuf pays africains sur 53 assistent au sommet, dont le thème principal est la « sécurité » sur le continent. Outre 34 chefs d’État, Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, et Selim Ahmed Selim, secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), sont présents. Le principal résultat de ce sommet concerne le conflit en République démocratique du Congo (RDC) : Laurent-Désiré Kabila, président de la RDC, Yoweri Museveni, président de l’Ouganda, Pasteur Bizimungu, président du Rwanda, et Robert Mugabe, président du Zimbabwe, s’engagent à une « cessation immédiate des hostilités, puis à un cessez le-feu ». L.-D. Kabila a accepté de ne pas exiger downloadModeText.vue.download 194 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 193 comme préalable le retrait des troupes rwandaises et ougandaises du territoire de la RDC. Sur le terrain, les rebelles déclarent ne pas être concernés par les accords de Paris. 30 Canada Victoire limitée du Parti québécois (PQ) au Québec. Le parti du Premier ministre sortant, Lucien Bouchard, l’emporte (75 sièges, mais seulement 42,9 % des suffrages) sur le Parti libéral de Jean Charest (48 sièges, 43,6 % des suffrages). Le PQ a axé sa campagne sur sa détermination à organiser un nouveau référendum sur la souveraineté de la province, sous réserve que les « conditions » nécessaires au succès soient réunies. La nature de ces « conditions » n’a pas été précisée. Les sondages indiquaient que, si la majorité des électeurs québécois restaient favorables au PQ, ils étaient 63 % à être opposés à la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance de la province (les deux précédents, en 1990 et en 1995, ayant échoué, le second de très peu). Sud-Liban Le « non » de Benyamin Netanyahou. Le Premier ministre israélien réaffirme son opposition à un retrait unilatéral dans la mesure où il estime que la sécurité des habitants du nord d’Israël ne serait pas garantie après l’abandon de la « zone de sécurité » par les forces israéliennes. Québec, victoire en demiteinte du parti québécois Appelés à renouveler leur représentation parlementaire, les électeurs du Québec ont plébiscité le Premier ministre sortant, Lucien Bouchard, mais aussi limité sa marge de manoeuvre, comme le montre le bon score des fédéralistes. Aussi l’indépendance de la Belle Province, projet phare du Parti québécois qui n’entend donc pas renoncer, paraît-elle bien compromise. En portant majoritairement leurs voix, le 30 novembre, sur les candidats-députés présentés par le Parti québécois (PQ) – qui a remporté 75 sièges contre 48 pour le Parti libéral du Québec (PLQ) –, les électeurs auront surtout confirmé la confiance qu’ils avaient placée jusqu’à présent en Lucien Bouchard. La victoire d’un homme de conviction Nul doute que ce dernier a accueilli le résultat de la consultation avec soulagement, après avoir déclaré, fin octobre, que le scrutin de novembre serait le « combat politique » le plus important de sa vie. Une vie riche en rebondissements pour celui qui avait accédé au poste de Premier ministre du Québec après la démission de Jacques Parizeau, au lendemain de l’échec du vote référendaire sur la souveraineté de la Belle Province, en 1995. Considéré par l’ensemble de la classe politique comme un homme de conviction, fort d’un charisme et d’un sens de la communication que nul ne lui conteste, M. Bouchard bénéficiait déjà d’une popularité exceptionnelle bien avant avoir quitté la scène politique fédérale. La victoire du PQ offre au Premier ministre les moyens de gouverner la Belle Province. Le « oui » des Québécois au PQ inclut en effet un « oui » à un gouvernement provincial fort vis-à-vis d’Ottawa, et, en matière de relations entre le Québec et Ottawa, la population de la province a clairement dit qu’elle faisait davantage confiance à L. Bouchard qu’au libéral Jean Charest pour défendre les intérêts du Québec au sein de la Fédération canadienne. Le vote en faveur de l’équipe sortante a offert à M. Bouchard pleine autorité pour achever le redressement des finances publiques, dans la perspective de dégager à court terme des surplus oui devraient être affectés en priorité à un allégement du fardeau fiscal, d’une part, et à de nouveaux crédits en matière de santé et d’éducation, d’autre part. Au cours de la campagne électorale, M. Bouchard s’est engagé à remettre sur les rails une réforme du système de santé qui, au cours des mois précédant le scrutin de novembre, a connu de très sérieux problèmes de mise au point. Il est vrai que, si l’année économique 1998 a été exceptionnellement bonne, le millésime social 1998 a fortement ressemblé downloadModeText.vue.download 195 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 194 à celui de l’année précédente : on a en effet beaucoup manifesté au Québec pour protester contre la réduction des dépenses publiques provinciales, touchant entre autres l’aide sociale, la fonction publique, la santé et l’éducation. Une marge de manoeuvre limitée De façon plus générale, les électeurs ont choisi de reconduire le Premier ministre afin qu’il puisse poursuivre l’action gouvernementale engagée par le PQ en 1994 sous la houlette de Jacques Parizeau. Pour autant le PQ est loin de disposer d’une grande marge de manoeuvre dans la mesure où le bon score réalisé par les candidats fédéralistes lui interdit d’envisager avec sérénité l’avenir d’un Québec affranchi, enfin, selon leurs voeux, de la tutelle d’Ottawa. Ainsi, les électeurs n’ont accordé que 42,9 % de leurs voix au PQ, une manière de lui offrir un mandat affaibli pour le mener à l’indépendance – rappelons que la direction du PQ s’était fixé la barre des 45 % aux élections du 30 novembre, estimant qu’en deçà les « conditions gagnantes », selon la formule de L. Bouchard, n’étaient pas réunies. On comprend que, dans ces conditions, L. Bouchard ait pris bonne note du message, en soulignant qu’il aurait du « pain sur la planche ». Quoi qu’il en soit, le Premier ministre de la Belle Province n’a pas manqué de rappeler qu’il entendait « contrer toutes nouvelles intrusions » du gouvernement fédéral dans les programmes que le Québec entend lui-même gérer. Dans cette perspective, les souverainementistes du PQ espèrent même pouvoir récupérer certaines prérogatives et certains budgets du gouvernement fédéral, quitte à contracter des alliances autant que faire se pourra avec d’autres provinces du Canada anglais. On l’a dit, les indépendantistes sont loin d’avoir renoncé à larguer les amarres avec Ottawa. Pour autant, la victoire en demi-teinte de la formation de M. Bouchard ne devrait guère inciter à l’optimisme dans les rangs du PQ et de ses plus ardents partisans. D’ailleurs, les sondages qui ont fleuri au cours de la campagne électorale avaient indiqué que, si la majorité des électeurs québécois restaient favorables au PQ, ils étaient 63 % à être opposés à la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance de la province. Vers un troisième référendum au Québec ? Par deux fois, en 1980 et en 1995, les électeurs canadiens ont refusé de voter en faveur de l’indépendance. Quoi qu’il en soit, le Premier ministre de la Belle Province, Lucien Bouchard, n’a pas désarmé pour autant et il envisageait un troisième référendum, vraisemblablement pour 1999. Beaucoup d’observateurs pronostiquent un nouvel échec pour le champion de l’émancipation et cela pour trois raisons. D’abord, la présence d’une forte minorité, constituée d’anglophones de naissance et d’émigrés récents. Ensuite, la posture très fédéraliste des Indiens. Enfin, l’hésitation de nombreux francophones qui se sentent – et se réclament en même temps – canadiens et québécois. Plus généralement, pour des raisons économiques, à cause de la mutation que connaît la population du Québec et du jacobinisme québéquiste qui agace profondément les modérés, les chances des indépendantistes de l’emporter paraissent de plus en plus minces. ALAIN POLAK Canada : bonne année économique En 1997, politiciens et économistes avaient rivalisé d’épithètes élogieuses pour évoquer les performances de l’économie canadienne. Un an plus tard, les mêmes auraient très bien pu (aire usage de semblables qualificatifs au sujet de la croissance – « robuste, soutenue, vigoureuse » – et du budget, en équilibre pour la première fois depuis plus d’un quart de siècle. De son côté, l’opposition a joué une partition certes convenue, mais non dénuée de justesse, estimant que le gouvernement libéral d’Ottawa a sacrifié le volet social sur l’autel de la discipline budgétaire. Une antienne habituelle au Canada depuis quelques années et que l’on connaît bien, aussi, en Europe occidentale. downloadModeText.vue.download 196 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 195 DÉCEMBRE 1 France Report du projet de loi sur l’audiovisuel. Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, annonce que son projet de loi portant réforme de l’audiovisuel public est reporté. Ce projet, qui prévoyait la création d’une société holding coiffant France 2, France 3, La Cinquième et Arte, et, d’autre part, la réduction du temps de publicité à France 2 et France 3 (de 12 minutes à 5 minutes par heure), avait suscité de nombreuses critiques, au sein même de la majorité. Les élus de gauche craignaient que la future holding ne devienne une structure extrêmement pesante et, surtout, ils ne voyaient pas comment organiser, de façon durable, le financement de la télévision publique, sachant que le renoncement à la plus grosse partie des ressources publicitaires profiterait essentiellement à TF1 et M6. Ce report constitue un nouveau revers pour la majorité après ses atermoiements sur le PACS ; il constitue également un désaveu pour Mme Trautmann, qui voit croître l’influence de Frédérique Bredin, chargée en urgence par le Premier ministre d’une mission sur la réforme de l’audiovisuel. 2 Bosnie Arrestation du responsable du massacre de Srebrenica. Les troupes de l’OTAN en Bosnie (SFOR) arrêtent le général serbe Radislav Krstic, recherché par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) pour sa responsabilité supposée dans les massacres ayant suivi la chute de l’enclave musulmane de Srebrenica, en juillet 1995. Huit mille personnes ont été alors portées disparues. Liban Selim Hoss, nouveau Premier ministre. Après qu’un conflit a opposé le Premier ministre en exercice depuis six ans, Rafic Hariri, et le nouveau président de la République, Émile Lahoud, M. Hoss est désigné pour diriger le gouvernement libanais. Âgé de soixante-huit ans, de confession sunnite, M. Hoss a déjà été Premier ministre quatre fois depuis 1976. Comme M. Lahoud, il a la réputation d’être travailleur et non corrompu. Il déclare vouloir contrôler la reconstruction de Beyrouth, lutter contre la corruption et réformer la fiscalité dans le sens de la justice sociale. Ces propos constituent une critique contre le bilan de M. Hariri, dont certains observateurs ont critiqué l’affairisme. Turquie Bülent Ecevit désigné comme Premier ministre. Après la chute de Mesut Yilmaz, le président Suleyman Demirel charge le leader du parti démocratique de gauche (DSP) de former le nouveau gouvernement. Âgé de soixante-treize ans, M. Ecevit a déjà occupé cette fonction trois fois au cours des années 70. Il était vice-Premier ministre dans le précé- dent gouvernement. Sa formation, qu’il dirige d’une main de fer avec son épouse, n’est que la quatrième du pays, mais la réputation d’intégrité de son chef fait de celui-ci une personnalité incontournable, alors que la vie politique turque est traversée depuis plusieurs années par une suite ininterrompue d’affaires de corruption au plus haut niveau. Réservé par rapport à l’Occident et à l’Union européenne, M. Ecevit cherche à constituer une équipe avec les deux partis conservateurs, le parti de la Mère Patrie (ANAP) de M. Yilmaz et le parti de la Juste Voie (DYP) de Mme Tansu Çiller. La tâche promet d’être délicate, car les deux leaders de droite sont opposés l’un à l’autre par une rivalité plus que farouche. Union européenne Baisse concertée des taux directeurs. Les onze banques centrales des pays ayant adhéré à l’euro font passer de façon coordonnée leur taux directeur à 3 % (l’Italie passant, pour sa part, de 4 % à 3,5 %). Cette mesure, motivée par le ralentissement de l’activité consécutif à la crise en Asie et en Russie, est considérée comme l’acte de naissance pratique de l’euro et comme le dernier acte de souveraineté downloadModeText.vue.download 197 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 196 des différentes banques centrales qui vont se fondre dans la BCE (Banque centrale européenne) en 1999. 3 France Manifestation de chômeurs. Un an après leur première manifestation sur ce thème, les organisations de chômeurs mettent sur pied une journée d’action sur le thème de la prime de Noël pour les sans-emploi. Ils sont plus de 15 000 à défiler à Marseille, alors que quelques actions symboliques ont lieu à Paris et dans plusieurs villes de province. 4 France Discours-programme de Jacques Chirac. En déplacement à Rennes, le président de la République déclare souhaiter une « refondation de la démocratie ». En se déclarant partisan d’une modernisation des institutions, il met en porte-à-faux Lionel Jospin, qui a fait de ce thème un de ses chevaux de bataille. Il déstabilise également celui-ci en se disant favorable à l’instauration d’un service minimum en cas de grève dans le service public. Le propos est d’autant plus en situation que la SNCF connaît une nouvelle grève reconductible depuis une semaine et que le ministre communiste des Transports, JeanClaude Gayssot, est opposé à toute limitation du droit de grève. Ce discours de Rennes confirme le retour de M. Chirac comme leader incontesté de la droite. France Annulation de l’élection de Charles Millon à la tête du conseil régional de Rhône-Alpes. Ayant constaté que, le 7 mars 1998, entre les deux tours du scrutin à l’assemblée régionale, M. Millon avait communiqué avec Bruno Gollnisch, ce qui est interdit par la loi, le Conseil d’État casse l’élection du président. France/Grande-Bretagne Volonté européenne du gouvernement britannique. À l’issue de la 21e rencontre franco-britannique, les deux délégations rédigent une déclaration qualifiée d’« historique » par Tony Blair. Selon ce texte, les deux pays s’accordent pour doter l’Union européenne d’une capacité de défense « autonome appuyée sur des forces militaires crédibles ». Cette capacité de défense doit s’organiser en harmonie avec une Alliance atlantique (euro-américaine) « rénovée ». Mémoire Fin de la conférence internationale de Washington. La conférence sur le dédommagement des familles juives pour la spoliation de leurs biens par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale s’achève sur un malaise. Les États-Unis et les organisations juives mondiales militent pour une réparation matérielle rapide et complète, tandis que les Européens, et notamment la France, estiment que l’affaire est trop complexe pour être soldée dans l’urgence. Françoise Cachin, directrice des Musées nationaux, déclare que le problème des tableaux volés (les musées français détiennent plus de 2 000 oeuvres d’art récupérées dans le butin des nazis) ne peut trouver de solution d’une façon globale, les situations devant être étudiées au cas par cas. L’avocat Serge Klarsfeld estime, pour sa part, que la question ne doit pas être réglée au niveau du Congrès juif mondial (CJM), mais à celui de chaque nation. 5 France Remous au Front national. Deux jours après le licenciement par Jean-Marie Le Pen de deux proches collaborateurs de Bruno Mégret, le conseil national du parti, réuni à Paris, est troublé par de très vives oppositions entre partisans du président du FN et partisans du délégué général. M. Le Pen tente de minimiser les faits en parlant d’un « pu-putsch », fomenté par une minorité trop faible pour constituer un danger et qu’il qualifie de « raciste ». Il n’empêche que le mouvement d’extrême downloadModeText.vue.download 198 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 197 droite est durablement déstabilisé par la lutte entre son numéro 1, partisan du maintien d’une ligne opposée à tout compromis avec la droite républicaine, et son numéro 2, favorable à une politique de « normalisation », comparable à celle pratiquée en Italie par l’Alliance nationale. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR, se réjouit que « l’extrême droite régresse ». (chrono. 10/12) Taïwan Recul des indépendantistes. Après plusieurs années de recul électoral face aux courants indépendantistes, le Kuomintang (KMT), parti au pouvoir favorable à la réunification avec la Chine, remporte 46,43 % des suffrages aux élections législatives (et 123 sièges sur 225). Les autorités de Pékin se réjouissent d’un tel résultat, d’autant qu’au sein même du KMT les cadres nés sur le continent, donc a priori plus favorables à un rapprochement avec Pékin, se sont davantage imposés que les cadres taïwanais de souche qui, à l’instar du président Lee Teng-hui, sont plus réticents vis-à-vis de leur grand voisin. Toutefois, ces élections, qui se sont déroulées dans d’excellentes conditions, confirment l’attachement des habitants de l’île à la démocratie. 6 Gabon Omar Bongo réélu à la présidence. Le président sortant remporte la deuxième élection pluraliste du pays avec 66,5 % des voix contre ses deux principaux concurrents, crédités respectivement de 16,5 % et 13,4 % des suffrages. Ceux-ci dénoncent la « mascarade » du scrutin. Par ailleurs, certains observateurs français, chargés de superviser les opérations électorales, sont mis en cause pour leur proximité avérée avec M. Bongo. Toutefois, l’ampleur du résultat de celui-ci comme la division de l’opposition sont de nature à confirmer le succès du président élu. Sculpture Disparition de César à quatre-vingt-sept ans. Fils d’un tonnelier italien de Marseille, il s’oriente à quinze ans vers les beaux-arts. Étudiant à Paris, il s’intéresse à la sculpture sur métal. N’ayant pas les moyens de s’acheter des matériaux plus « nobles », il s’initie à la soudure et au travail sur les métaux. En 1954, sa première exposition remporte aussitôt un très grand succès. Il réalise alors ses premières compressions de voitures et devient une vedette du ToutParis. Adhérent au groupe des « nouveaux réalistes », aux côtés de Tinguely, d’Annan et de Niki de SaintPhalle, il multiplie les compressions et les empreintes géantes de pouce ou de sein, qui lui confèrent une réputation internationale. Son nom reste pour toujours associé à la cérémonie des prix du cinéma français, dont les récompenses sont des oeuvres signées de lui. Tennis Septième Coupe Davis pour la Suède. À Milan, l’équipe suédoise l’emporte en finale par 4 victoires à 1 contre l’Italie. La Suède avait déjà gagné le titre en 1997 contre les États-Unis et échoué en finale contre la France en 1996. Venezuela Hugo Chavez élu à la présidence. L’ancien colonel, auteur d’une tentative de putsch en 1992, est élu avec 60 % des voix contre 39,7 % à son adversaire conservateur Henrique Salas. Âgé de quarante-quatre ans, il professe un discours populiste, qu’il a mis au point depuis 1982, date à laquelle il avait créé le Mouvement bolivarien révolutionnaire 2000, groupe d’étude où de jeunes officiers se retrou- vaient sur la base d’idées nationales et sociales. Il a axé sa campagne sur la dénonciation de la corruption, dont il estime qu’elle représente plus de 15 % de la richesse du pays. Il a également développé un programme social avancé, qui a eu d’autant plus d’écho dans un pays ruiné par la baisse continue du prix du pétrole, la principale ressource nationale. Les deux grands partis traditionnels – les sociaux-démocrates de l’Action démocratique (AD) et les conservateurs – ont reconnu leur défaite et se sont déclarés prêts à travailler avec le nouveau président, même si beaucoup craignent ses tendances à l’autoritarisme. 7 Espace Début de l’assemblage de la station spatiale internationale. À 340 km d’altitude, l’équipage de la navette américaine Endeavour procède à l’assemblage du noeud downloadModeText.vue.download 199 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 198 de connexion Unity avec le module russe Zarya, lancé le 20 novembre. Un deuxième module russe devrait s’arrimer à l’ensemble Zarya-Unity en juillet Le baril de Brent (qualité de référence) atteint son niveau le plus bas depuis l’été 1986. Cet effondrement est dû autant à la baisse de la consommation mondiale, consécutive aux économies d’énergie et au ralentissement de l’activité économique en Asie, qu’à la surproduction. Face à cette situation, les pays producteurs, réunis au sein de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), ne parviennent pas à s’entendre. Pétrole Le prix du baril sous la barre des 10 dollars. 8 Tchétchénie Quatre otages occidentaux exécutés. Trois Britanniques et un Néo-Zélandais, qui travaillaient pour une entreprise anglaise de télécommunications, sont retrouvés décapités. Ils avaient été enlevés au début du mois d’octobre à Grozny, la capi- tale tchétchène. Le président du pays, Aslan Maskhadov, affirme que les otages ont été exécutés parce que les forces de police avaient repéré les preneurs d’otages. Une centaine d’étrangers sont détenus par des bandes qui réclament des rançons très importantes. Parmi ces otages, on compte un Français, Vincent Cochetel, délégué du HCR (Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés), enlevé en janvier 1998. Celui-ci est libéré le 12, après une interventionéclair des forces spéciales russes. Certains affirment qu’une rançon a été versée aux ravisseurs pour le Français après l’exécution des otages britanniques et néo-zélandais. 9 Algérie Nouveau massacre de civils. Une cinquantaine de personnes, toutes civiles, parmi lesquelles des femmes et des enfants, sont égorgées dans un village à 170 km à l’ouest d’Alger. Beaucoup s’inquiètent de la reprises des tueries à quelques jours de l’ouverture du ramadan, période particulièrement propice aux violences depuis quelques années. France Création de deux laboratoires souterrains d’enfouissement des déchets nucléaires. Le gouvernement décide de créer deux laboratoires en grande profondeur, l’un dans la Meuse, l’autre dans un site granitique à déterminer. Dominique Voynet, écologiste et ministre de l’Environnement, assume la décision. Elle a obtenu le principe de la réversibilité du stockage (les déchets peuvent être retirés à tout moment), la création d’un centre de stockage en subsurface dans le Gard et le lancement d’une étude complète sur le coût réel de la filière nucléaire au regard des autres sources d’énergie. France Le PACS adopté en première lecture. Le Pacte civil de solidarité est voté par l’Assemblée nationale par 314 voix (PS, PC, Verts, radicaux de gauche) contre 251 (RPR, UDF et DL). Il permet une imposition commune, l’ouverture des droits sociaux, un taux préférentiel d’imposition pour les successions, etc. Il est ouvert aux frères et soeurs. Le texte devrait revenir en 1999 devant les députés après avoir été, selon toute vraisemblance, rejeté au Sénat. France Bruno Mégret démis de ses fonctions de délégué général. Jean-Marie Le Peu destitue le numéro 2 du Front national, après que celui-ci a réclamé la convocation, en janvier 1999, d’un congrès extraordinaire. Les partisans de M. Mégret estiment être majoritaires parmi les conseillers régionaux et les directions départementales du parti. La tension est si forte entre les deux tendances de la formation d’extrême droite que beaucoup prévoient la constitution de deux listes concurrentes du FN aux élections européennes de 1999. Grande-Bretagne Poursuite de procédure contre Augusto Pinochet. Le ministre de l’Intérieur britannique, Jack Straw, décide de « laisser la procédure d’extradition engagée par les juges espagnols suivre son cours devant downloadModeText.vue.download 200 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 199 les tribunaux du Royaume-Uni. » Cette procédure devrait durer de longs mois, voire plusieurs années, les avocats de M. Pinochet ayant la possibilité de faire jouer plusieurs recours successifs devant les Lords de justice. Suisse Pour la première fois une femme élue à la tête de la Confédération. Ruth Dreifuss, une socialiste de cinquante-huit ans, a été élue par l’Assemblée fédérale à cette fonction essentiellement honorifique et dont le mandat est limité à un an. Il n’empêche que le symbole demeure fort dans un pays où le rôle politique des femmes est souvent contesté. Le PACS à l’épreuve Les députés ne sont pas près d’oublier les débats sur le pacte civil de solidarité (PACS) qui ont animé l’Assemblée nationale, par épisodes successifs, entre le 9 octobre et le 9 décembre 1998. Plusieurs séances de nuit se sont prolongées jusqu’au petit matin, droite contre gauche : la première considérant le PACS comme un « mariage bis », en concurrence avec l’institution du mariage, ou comme une première étape vers l’adoption d’enfants par les couples homosexuels ; la gauche, au contraire, défendant la « grande réforme de société », au service de l’évolution des moeurs. On a tout entendu sur le sujet, tant et si bien que l’on en a presque oublié le contenu du texte... Au fait, le PACS, qu’est-ce que c’est ? Le PACS est une proposition de loi, élaborée par deux députés de la majorité : Jean-Pierre Michel, élu du Mouvement des citoyens (MDC) en Haute-Saône, et Patrick Bloche (PS, Paris). C’est un contrat qui vise à permettre à des couples, hétérosexuels ou homosexuels, qui ne veulent pas ou ne peuvent pas se marier, d’organiser leur vie commune. Deux personnes-amis, parents éloignés – qui ont un projet de vie en commun peuvent aussi signer un tel pacte. Toutefois le PACS ne peut être conclu entre ascendants ni descendants en ligne directe, ni entre beauxparents et enfants ; ni entre collatéraux jusqu’au troisième degré (cousins, neveux, oncles). Deux frères, deux soeurs, un frère et une soeur ne peuvent pas signer un PACS ; en revanche, les avantages du dispositif leur sont ouverts – à l’exception des mesures relatives au droit de succession – à condition qu’ils vivent sous le même toit. Une idée dans l’air du temps L’idée du PACS est née des revendications des associations homosexuelles au début des années 90. Les militants ont alerté les pouvoirs publics sur le vide juridique qui entoure la notion de couple homosexuel, vide qui est devenu d’autant plus préoccupant avec le développement de l’épidémie du sida. Dans l’état actuel du droit, le partenaire survivant d’un couple homosexuel est considéré comme un « étranger » au regard du droit des successions et du logement. Ainsi, lorsque le contrat de bail est au nom de la seule personne décédée, le partenaire survivant ne peut pas bénéficier du transfert de bail, et doit quitter les lieux. Les concubins hétérosexuels, eux, bénéficient du transfert de bail à condition de vivre ensemble depuis au moins un an. L’extension de ce droit aux couples homosexuels est bloquée, jusqu’à présent, par la jurisprudence de la Cour de cassation qui limite la définition du concubinage au seul couple hétérosexuel. Les avatars anciens du PACS Depuis le début des années 90, les projets visant à renforcer les droits des couples non mariés ont défilé, mais n’ont jamais vu le jour : le contrat d’union civile et sociale du MDC, le contrat d’union sociale (CUS) du PS ; plus récemment, le pacte d’intérêt commun (PIC) du professeur de droit Jean Hauser, rédigé sous le gouvernement Juppé. De nouvelles pistes ont été lancées avec le retour de la gauche au pouvoir, en 1997. La sociologue Irène Théry a proposé, schématiquement, d’étendre la notion de concubinage – et les droits qui y sont attachés – au couple homosexuel. Les députés du PS et du MDC ont réactivé leurs propositions, tandis que les communistes ont déposé un texte à leur tour. C’est la voie parlementaire que le gouvernement de Lionel Jospin a fini par choisir, en chargeant MM. Michel et Bloche, au printemps 1998, de rédiger la synthèse des propositions du PS, du MDC et du PC. Ainsi est né, pour résumer, le pacte civil de solidarité. downloadModeText.vue.download 201 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 200 À mi-chemin du mariage et du concubinage Signé au greffe du tribunal d’instance, le PACS confère des droits et devoirs intermédiaires entre le concubinage et le mariage. En l’état actuel du texte, deux personnes « pacsées » se doivent une assistance « mutuelle » et « matérielle ». Pas de divorce, pas de pension alimentaire en cas de rupture du pacte : soit les deux partenaires décident d’y mettre fin d’un commun accord, soit la rupture émane d’une seule personne : celle-ci est alors liée par les devoirs du PACS pendant un délai de trois mois, au-delà duquel le PACS ne produit plus aucun effet. Les partenaires doivent être « pacsés » depuis un certain temps avant de pouvoir profiter de certains avantages du dispositif. Le législateur a voulu favoriser les unions stables. Ainsi, l’imposition commune s’applique automatiquement à compter du troisième anniversaire de l’enregistrement du PACS (l’imposition commune n’a pas toujours pour effet de diminuer le montant des impôts, notamment lorsque le couple dispose de faibles revenus). Deux personnes « pacsées » depuis plus de deux ans bénéficient d’un abattement de 300 000 francs sur les droits de succession et de donation (contre 10 000 francs pour un couple de concubins). Au-delà, les partenaires acquittent des droits de mutation plus avantageux que pour les concubins. En revanche, les avantages successoraux sont applicables sans délai lorsque l’un des deux partenaires est at- teint d’une maladie grave, par exemple le sida. Comme dans le concubinage, une personne « pacsée » profite de la couverture sociale de son partenaire si elle se trouve à la charge permanente et effective de ce dernier, et clai sans délai. En cas de décès, le partenaire survivant bénéficie du transfert du bail – ou du droit de reprise du logement si le partenaire décédé en était le propriétaire – sans délai (à la différence des concubins qui sont soumis, eux, à un délai de un an de vie commune). Par ailleurs, la signature d’un PACS constitue un élément pour apprécier l’existence de liens personnels avec la France, laquelle ouvre droit au titre de séjour. CLARISSE FABRE Un texte controversé Le PACS a été adopté en première lecture le 9 décembre, par 314 voix contre 251. Roselyne Bachelot (RPR, Maine-et-Loire) est la seule élue de droite à avoir voté pour. Deux mois plus tôt, le texte avait été rejeté par la droite, plus mobilisée que la gauche dans l’hémicycle. Traumatisée par cet échec, celle-ci a aussitôt rédigé un deuxième texte – c’est le « PACS 2 » – dont la discussion a repris à l’Assemblée le 3 novembre. En proposant le PACS, la gauche a voulu accorder une reconnaissance aux couples homosexuels. Or, l’extension aux fratries, soutenue par le groupe socialiste, brouille le message : beaucoup de députés, à droite comme à gauche, y voient le moyen de camoufler l’enjeu réel du texte auprès des électeurs. Ainsi, le PACS viserait aussi à renforcer la solidarité familiale. Or, ce discours est contradictoire avec celui du gouvernement, qui s’est attaché, depuis le début du débat, à distinguer le PACS de la future réforme du droit de la famille qu’il souhaite engager. Il est d’ailleurs probable que l’article sur les fratries soit retiré du texte en seconde lecture, à l’Assemblée, après le passage au Sénat, au printemps 1999. 14 Proche-Orient Visite de Bill Clinton en Palestine. Le président américain se rend pour la première fois à Gaza, où il est reçu officiellement par Yasser Arafat. Devant les membres du Conseil national palesti- nien (CNP), il affirme que les Palestiniens devraient pouvoir « déterminer leur destinée sur leur terre ». À cette occasion, les dirigeants palestiniens votent à main levée l’annulation des clauses anti-israéliennes de la charte nationale de l’OLP (Organisation de la libération de la Palestine). Le lendemain, MM. Clinton et Arafat rencontrent le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, avec l’objectif de relancer les accords de paix, notamment en ce qui concerne la libération par Israël des prisonniers palestiniens et un nouveau retrait des forces de l’État hébreu de Cisjordanie. Menacé par une motion de censure à la Knesset (Parlement israélien), M. Netanyahou, qui a déjà downloadModeText.vue.download 202 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 201 différé les premières mesures arrêtées en novembre à Wye Plantation, fait capoter les discussions. 15 France Rapport sur le rôle de Paris au Rwanda. La commission parlementaire présidée par Paul Quilès remet le résultat de son travail commencé en mars. Il s’agissait d’analyser le rôle exact de la France dans les événements de 1994 qui ont coûté la vie à plus de 500 000 personnes au Rwanda, à la suite de l’assassinat du président Juvénal Habyarimana. Si la commission n’a pas souhaité répondre à toutes les questions qui pouvaient se poser sur la part de responsabilité de Paris dans ces événements tragiques, elle a néanmoins mis en lumière les « carences » et les « erreurs » des autorités françaises à l’époque, notamment en matière de coordination des services concernés et de transparence des informations. Ce rapport devrait servir de précédent et de cadre de réflexion pour les futures interventions de la France en Afrique. 16 Algérie Course à la présidentielle. Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères pendant quatorze ans sous la présidence de Boumediene, est désigné « à l’unanimité » par le Comité central du Front de libération nationale (FLN), l’ancien parti unique, comme candidat pour la prochaine élection présidentielle. France Projet de loi sur la parité hommesfemmes. L’Assemblée nationale vote à l’unanimité un projet de loi constitutionnelle stipulant que « la loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ». Ce texte devra être ensuite voté par le Sénat puis par le Parlement réuni en congrès, à la majorité des trois-cinquièmes. Le texte ne fait que poser un principe : il restera ensuite à concevoir des lois organisant concrètement cette parité dans la vie politique (pour les candidatures aux élections, notamment). France Suppression de l’avantage fiscal sur les successions en Corse. L’Assemblée nationale abolit un texte de 1801 qui annulait les sanctions à rencontre des Corses pour défaut de déclaration de succession. Ce qui équivalait dans les faits à une exonération des droits de succession. À partir de 2000, les Corses seront, en la matière, alignés sur le droit fiscal national. La fin de cette anomalie s’explique par la vague de réformes qui a suivi l’assassinat, en février, du préfet Erignac. Algérie : perspective présidentielle Porté à la présidence en janvier 1994 par la conférence nationale dite « de consensus », Liamine Zeroual avait recueilli la grande majorité des suffrages lors de l’élection présidentielle de novembre 1995 : en promettant le retour à la paix civile, le candidat avait su toucher les coeurs. Très vite, il est apparu que le président avait renié les promesses du candidat. En effet, pour avoir cru venir à bout des groupes armés islamistes par la seule voie des armes, L. Zeroual a épuisé le capital de confiance dont il bénéficiait pour imposer une solution politique à la crise que traverse le pays depuis 1990. Trois ans après son élection à la présidence de la République, le constat était accablant, comme en témoignent les dizaines de milliers d’Algériens victimes de l’épouvantable violence dans laquelle baigne l’Algérie depuis l’annulation des élections législatives de 1991, remportées par les islamistes du FIS. Dans un pays où l’opacité politique est de règle, l’annonce de la démission du président Zeroual ne pouvait que surprendre les observateurs qui, bien vite, se sont perdus en conjectures sur les raisons de ce départ. Abusée par les apparences – dont un président doté par la Constitution de prérogatives extrêmement étendues n’est pas la moindre –, l’opinion publique, de ce côté-ci de la Méditerranée, a oublié que le pouvoir en Algérie est d’abord downloadModeText.vue.download 203 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 202 collégial, exercé en l’occurrence par une poignée de militaires, dont certains sont même à la retraite. Dans cette perspective, le général Zeroual n’est – ou, plutôt, n’était – qu’une sorte de primus inter pares. Loin de faire bloc derrière le chef de l’État, les militaires se sont littéralement déchirés à plusieurs reprises sur la stratégie qu’il convenait de mettre en oeuvre pour mettre fin à la guerre civile, entre partisans d’une approche politique et tenants de la répression. Les massacres de 1997, au sujet desquels a été évoquée la complicité plus ou moins active de l’armée, ont porté la tension à son apogée au sein du pouvoir collégial. Une grande partie du contentieux se sera cristallisée sur la personne du général Mohamed Betchine, défenseur d’une Algérie islamo-populiste. Ce dernier, ami intime de L. Zeroual, a vu se dresser contre lui de nombreux responsables militaires particulièrement agacés par son affairisme débridé. C’est ainsi que l’on a assisté, au cours des premiers mois de l’année, à une virulente campagne de presse opposant partisans et adversaires du général Betchine : à l’évidence, la hiérarchie militaire éradicatrice et laïque l’a emporté. En appelant à de nouvelles élections – avant la fin du mois d’avril 1999 –, tout en démissionnant, Liamine Zeroual a donné l’impression de vouloir rouvrir le jeu politique en direction des partis, plutôt que de se soumettre à ses adversaires. Mais, comme on voit mal les militaires se désintéresser de ce scrutin, l’hypothèse, pour séduisante qu’elle apparaisse, ne nous semble guère de nature à bouleverser la donne. Quant au bilan de la présidence, on n’en retiendra, dans la colonne « actif », qu’une remise à plat des finances. En effet, on serait bien en mal de trouver une véritable action volontariste susceptible de relancer l’économie et d’améliorer les conditions de vie d’une population abandonnée à elle-même, sinon aux islamistes. Un bilan économique mitigé La « révolution de palais », la lutte contre les groupes islamistes et la fronde contre l’arabisation – depuis juillet 1998, l’administration, les entreprises, les associations et les médias officiels doivent rédiger tous leurs documents en arabe sous peine d’amendes – ont relégué au second plan les performances de la « machine » économique. Depuis le début de l’été, l’Algérie a cessé d’être « sous ajustement ». Aussi le FMI a-til proposé aux autorités algériennes de conclure un nouvel accord. Mais ces dernières ont refusé, préférant donc se priver de crédits bon marché, afin de retrouver une totale indépendance en matière de politique économique. Il est vrai que le pouvoir ne manque pas d’arguments pour défendre ce choix. En quasi-faillite en 1994, le pays va mieux. Ainsi, selon le FMI, « les autorités algériennes ont réalisé des progrès remarquables en restaurant les équilibres économiques dans des circonstances très difficiles ». Mais, à l’aulne de leur coût social, ces résultats ne sont guère significatifs. Le tiers de la population active est au chômage et le niveau de vie (exprimé en dollars) a baissé de plus de 60 % depuis 1990. Plus largement, le satisfecit du FMI paraît décalé par rapport à la réalité, tant la structure même de l’économie algérienne reste ce qu’elle était. Ainsi, de l’appareil industriel, qui, en dépit des milliards de dollars drainés par l’Algérie au cours de ces dernières années, est toujours dominé, d’un côté, par un secteur public hypertrophié, de l’autre, par celui des hydrocarbures. Du premier, on retiendra qu’il est entré, en 1998, dans sa sixième année consécutive de récession ; en revanche, du second, grand pourvoyeur de devises, on rappellera, comme une évidence, que ses performances sont indexées sur les fluctuations des cours. Si les cours élevés du pétrole en 1996-1997 avaient facilité le rétablissement financier de l’Algérie, leur effondrement en 1998 est apparu de nature à remettre en question les progrès réalisés et les autorités ont dû réviser à la baisse leurs prévisions budgétaires, les recettes escomptées des exportations étant moindres que prévu. De plus, la baisse du brut aura également eu une autre conséquence négative en interrompant la croissance des réserves de change. Néanmoins, le FMI estimait que le niveau des réserves était encore suffisamment élevé pour rassurer les créanciers étrangers de l’Algérie, un pays dont on sait, par ailleurs, qu’il est lourdement endetté à l’extérieur. À bien des égards, la question de confiance – c’est-à-dire l’appréciation du facteur risque – est cruciale, car l’Algérie va devoir mobiliser sur le marché international entre 2 et 3 milliards de dollars supplémentaires par an au cours des prochaines années pour financer son développement et... faire face au remboursement de ses dettes. ALAIN POLAK downloadModeText.vue.download 204 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 203 Un nouveau Premier ministre Succédant en décembre à Ahmed Ouyahia au poste de Premier ministre, Smaïl Hamdani devra assurer l’organisation de l’élection présidentielle anticipée prévue en avril 1999. Il lui faudra également préparer une échéance importante pour l’Algérie : le sommet de l’Organisation de l’unité africaine de juin 1999. Il reste à savoir si le nouveau gouvernement aura le temps de s’attaquer aux deux préoccupations essentielles des Algériens, c’est-à-dire le retour à la paix civile, d’une part, et les problèmes de survie quotidienne, de l’autre. La question demeurait sans réponse, car cet ancien ambassadeur, ex-conseiller de H. Boumediene et sénateur nommé sur le quota du chef de l’État, a hérité d’une situation économique, sociale et sécuritaire qui rend tout pronostic pour le moins incertain. 17 États-Unis/Irak Bombardement américain en représailles contre Saddam Hussein. Des centaines de missiles de croisière sont lancés sur l’Irak après que Richard Butler, le chef de la commission spéciale des Nations unies chargée du désarmement irakien (UNSCOM), s’est plaint que Bagdad « n’a pas fourni la pleine coopération promise le 14 novembre ». Les autorités américaines ont pris la décision de lancer cette opération, baptisée « Renard du désert », sans solliciter l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU, ce dont Kofi Annan, le secrétaire général des Nations, se plaint amèrement. La Chine et la Russie condamnent l’initiative de Washington, tandis que Paris « déplore » la situation, tout en reprochant à l’Irak d’avoir cherché l’affrontement. Moscou critique tout spécialement l’attitude de M. Butler, qui aurait monté en épingle quelques escarmouches avec les autorités irakiennes à seule fin de justifier la réaction de Washington. Seule, la Grande-Bretagne, comme à son habitude, approuve sans réserve l’initiative américaine, à laquelle elle participe militairement. Beaucoup estiment que le président américain a été influencé dans sa décision par sa propre situation, alors que la Chambre des représentants doit statuer sur son cas dans le cadre de l’affaire Lewinsky et voter sa mise en accusation. Les bombardements cessent le 20 au petit matin. Sur le terrain, les communiqués irakiens t’ont état de 73 victimes, toutes civiles, et de nombreux blessés. Quant aux destructions de sites militaires, il est difficile de faire un bilan exact. En tout état de cause, le raid américano-britannique n’a pas ébranlé le pouvoir de Saddam Hussein, par contre, il a considérablement terni l’image des États-Unis dans le monde arabe. Des drapeaux américains, qui, quelques jours auparavant, avaient été distribués par les autorités palestinienne à la population pour saluer la visite de M. Clinton, sont brûlés par la même population, indignée par le raid contre l’Irak. Grande-Bretagne Le jugement des Lords concernant Augusto Pinochet cassé en appel. La Chambre des lords casse le jugement de sa commission juridique qui, en novembre, avait rejeté l’immunité diplomatique de l’ex-dictateur chilien. Cette décision est motivée par le fait qu’un des membres de la commission juridique était, depuis de longues années, un sympathisant actif d’Amnesty International. La commission devra se prononcer à nouveau en janvier. Indonésie Nouvelle manifestation contre le président Habibie. Plus de 60 personnes sont blessées lors d’affrontements entre la police et les étudiants, qui réclament une accélération de la démocratisation du pays après le départ du présidant Suharto. France Candidature de Paris pour les JO de 2008. Jean Tiberi, le maire de la capitale, lance la campagne de candidature de Paris pour des jeux Olympiques d’été, qu’elle a déjà organisés en 1900 et 1924. Pékin, qui est également candidate, constitue la rivale la plus sérieuse pour Paris. 18 France Annulation des élections territoriales en Corse Le Conseil d’État annule les scrutins du 15 et du 22 mars sur l’île de Beauté, constatant que « les sufdownloadModeText.vue.download 205 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 204 frages irréguliers [...] ne sont pas restés sans influence sur le résultat des deux tours de l’élection ». France Le projet de loi sur la Sécurité sociale partiellement annulé par le Conseil constitutionnel. Saisis par les parlementaires de l’opposition, les neuf juges du Palais-Royal annulent le dispositif de maîtrise collective des dépenses de santé et de mise à l’amende des médecins en cas de dépassement des objectifs de dépense. Selon ce mécanisme, les caisses d’assurance-maladie pouvaient, deux fois par an, faire des propositions au gouvernement en cas de dérapage des dépenses par rapport aux objectifs fixés par la loi. Si ces correctifs s’avéraient insuffisants, l’ensemble des médecins étaient alors mis à l’amende et devaient payer chacun un prélèvement individuel calculé sur leurs revenus individuels. Le Conseil a estimé que ces mesures allaient à rencontre du principe d’égalité « en ne prenant pas en compte le comportement individuel des médecins en matière d’honoraires et de prescriptions ». 19 États-Unis Procédure de destitution engagée contre Bill Clinton. Par 228 voix (dont 5 démocrates) contre 206 (dont 5 républicains et 1 indépendant), la Chambre des représentants vote la procédure d’impeachment contre le président américain accusé d’avoir « atteint à l’intégrité de sa charge, déshonoré la présidence, trahi la confiance dans son poste et subverti l’État de droit et la justice », pour avoir cherché à cacher la vérité sur sa liaison avec la jeune stagiaire à la Maison-Blanche, Monica Lewinsky. B. Clinton est, après Andrew Johnson en 1868, le deuxième président de l’histoire à devoir affronter cette procédure (en 1974, Richard Nixon avait démissionné avant que n’intervienne le vote des représentants). Sans justifier pour autant le comportement du président, plusieurs élus démocrates dénoncent le puritanisme ambiant et le « maccarthysme sexuel » qui régnent à Washington, alors que de nombreux parlementaires se voient poursuivis dans la presse par des révélations sur leur vie sexuelle. Bob Livingstone, le président républicain de la Chambre des représentants, annonce ainsi qu’il démissionnera prochainement de son poste, après que les médias ont révélé qu’il avait eu des liaisons adultères. Bill Clinton déclare qu’il n’a nullement l’intention de démissionner. En tout état de cause, il n’y sera probablement pas contraint : la démission du président n’est obligatoire qu’après un vote à la majorité des deux tiers au Sénat ; or, les républicains n’y disposent que de 55 sièges, alors qu’il en faudrait 67. Les sondages indiquent que 66 % des Américains souhaitent que M. Clinton reste à son poste. 21 Chine Lourdes condamnations de dissidents. Xu Wendli, vétéran de la dissidence, ayant déjà passé treize ans en prison, est à nouveau condamné à treize ans d’emprisonnement par un tribunal de Pékin pour « tentative de subversion ». Depuis plusieurs mois, il tentait de faire enregistrer officiellement le Parti démocratique chinois (PDC). Seuls son épouse et son avocat commis d’office ont pu assister aux délibérations. Quatre jours auparavant, Wang Youcai, fondateur du PDC, avait été condamné à onze ans par un tribunal de province. Ces condamnations marquent le durcissement du régime qui refuse toute création de syndicat ou de parti politique libres. Le 17, le président Jiang Zemin avait déclaré qu’il était déterminé à « tuer dans l’oeuf tout facteur de déstabilisation politique et sociale » du pays. Le 22, une troisième figure de la mouvance démocrate, Qin Yongmin, est condamné à son tour à douze ans de prison. Football Zinedine Zidane, Ballon d’or 1998. Le joueur de la Juventus de Turin, originaire des quartiers nord de Marseille, est, après Raymond Kopa, Michel Platini et Jean-Pierre Papin, le quatrième joueur français à être ainsi désigné comme le meilleur joueur de l’année par l’hebdomadaire France Football. Les deux buts qu’il a marqués, le 12 juillet, en finale de la Coupe du monde contre le Brésil, ont largement influencé son choix comme titulaire de cette importante distinction. France Accord entre Claude Allègre et le SNES. Le ministre de l’Éducation nationale et Monique Vuillat, secrétaire générale du principal syndicat de downloadModeText.vue.download 206 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 205 l’enseignement secondaire, s’entendent sur un programme de réforme des lycées : allégement des programmes (surtout en matière scientifique) et des horaires (ramenés à 26 heures hebdomadaires, plus deux ou trois heures pour les options), promotion des travaux personnels encadrés (TPE, pratiqués en petits groupes sur des thèmes interdisciplinaires sous la responsabilité d’un enseignant tuteur), baisse des effectifs par classe (ramenés à 35 élèves en première et terminale, et 30 en seconde). Les autres syndicats craignent que la volonté de réforme du ministre ait été sérieusement édulcorée sous la pression du Parti socialiste, qui redoutait une rupture politique entre lui et les enseignants, une de ses principales bases électorales. Israël Élections générales anticipées. Par 81 voix sur 120, la Knesset (Parlement) a voté son auto-dissolution et l’organisation d’un nouveau scrutin législatif, auquel s’ajoutera l’élection du Premier ministre, d’ici au printemps 1999. Ce vote constitue un désaveu pour le Premier ministre Benyamin Netanyahou, à qui il était reproché de mener un double discours, promettant une poursuite du processus de paix avec les Palestiniens, tout en prenant des mesures propres à bloquer ce même processus, comme dans les accords de Wye Plantation. Le Premier ministre a été lâché par les partis les plus à droite de sa coalition sans que la gauche ne vienne à son secours en acceptant de participer à un gouvernement d’union nationale. L’opposition travailliste sera menée par son leader Ehoud Barak, mais l’on parle de plus en plus d’une candidature centriste du général Amnon Lipkin-Shahak, ancien chef d’état-major et extrêmement populaire dans l’opinion. 23 Belgique Condamnations pour corruption. L’industriel français Serge Dassault et plusieurs hautes personnalités socialistes belges, dont Willy Claes, ancien secrétaire général de l’OTAN, et Guy Spitaels, ancien président du Parti socialiste belge francophone, sont condamnés à de lourdes peines de prison avec sursis dans le cadre de l’affaire Augusta-Dassault. Celle-ci concernait des marchés d’équipement de l’aviation militaire belge à la fin des années 80 et s’était soldée, en juillet 1991, par l’assassinat à Liège d’un dirigeant socialiste. Les magistrats ont refusé de prendre en compte les besoins de Financement des partis belges et ont condamné en outre les partis socialistes flamand et francophone à rétrocéder la somme de 24 millions de francs aux services sociaux de la ville de Bruxelles. Espace Accord européen sur les satellites. Le français Lagardère, le britannique GEC, l’allemand DASA et l’italien Alenia fusionnent leurs activités spatiales. Avec un chiffre d’affaires de 3 milliards de dollars (dont 2,3 dans les satellites), le futur groupe, qui sera dirigé par le Français Armand Carlier, se situera au troisième rang mondial de l’industrie des satellites (télécommunications civiles et militaires, observation de la Terre), derrière les américains Lockheed-Martin et Raytheon-Martin. France Exclusions au Front national. Bruno Mégret et ses principaux lieutenants (JeanYves Le Gallou, Daniel Simonpieri, Franck Timmermans, Philippe Olivier, Serge Martinez et Pierre Vial) sont exclus du Front national par le bureau exécutif du parti d’extrême droite. La scission du FN est désormais inévitable, et les deux camps adverses annoncent qu’ils présenteront chacun une liste aux élections européennes de 1999. Des premiers sondages indiquent que la liste Le Pen serait créditée de 10 % des voix contre 4 % à la liste Mégret. France Clôture de l’instruction sur l’affaire Roland Dumas. Les juges d’instruction Eva Joly et Laurence Vichnievsky décident de clore leur enquête dans l’affaire Dumas. La mise en cause de l’ancien ministre des Affaires étrangères est principalement liée aux circonstances dans lesquelles son ancienne maîtresse, Christine Deviers-Joncour, a été salariée par Elf Aquitaine et a reçu, à ce titre, des commissions s’élevant au total à 59 millions de francs. Celle-ci n’occupant aucune fonction précise au sein de l’entreprise pétrolière, les juges soupçonnent qu’elle aurait été embauchée en raison de ses liens avec M. Dumas. L’ancien directeur des affaires générales d’Elf, Alfred Sirven, étant en fuite, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, personne ne peut confirmer les soupçons de deux juges d’instruction. Alors que M. Dumas a été mis en examen pour complicité et recel d’abus downloadModeText.vue.download 207 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 206 de biens sociaux, son avocat estime que les accusations prononcées contre lui sont dénuées de « tout fondement sérieux ». Grande-Bretagne Première crise politique au sein du gouvernement. Tony Blair doit se séparer de son plus proche conseiller, Peter Mandelson, ministre du Commerce, ainsi que de Geoffrey Robinson, trésorier-payeur au ministère des Finances. Il est reproché à M. Mandelson d’avoir caché le fait qu’il avait reçu, en 1996, un prêt très avantageux de M. Robinson, richissime homme d’affaires, pour l’achat de sa résidence londonienne. Cette affaire tombe mal pour le Parti travailliste, qui avait axé sa campagne de 1997 sur la moralisation de la vie politique. 24 Yougoslavie Flambée de violence ou Kosovo. Deux mois et demi après la signature d’un accord entre le président yougoslave Slobodan Milosevic et l’émissaire américain Richard Holbrooke sur la cessation des hostilités au Kosovo, de graves incidents opposent les forces armées serbes aux militants nationalistes de l’Armée de libération du Kosovo (UCK). Plusieurs dizaines de sécessionnistes sont tués et des milliers de Serbes comme d’Albanais fuient la zone des combats, au nord-est de la région. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) stigmatise les « actes terroristes » des rebelles albanais comme la « répression » , jugée disproportionnée, de la police serbe. Cette reprise des violences intervient alors que s’opère le déploiement des 2 000 observateurs désarmés de l’OSCE, chargés de veiller à la mise en application de la trêve au Kosovo. Leur mission est ainsi remise en cause par la reprise des violences. 25 Cambodge Ralliement des derniers chefs khmers rouges. Les deux derniers chefs historiques du mouvement révolutionnaire qui a pris le pouvoir entre 1975 et 1979, provoquant la mort de près de deux millions de personnes, Khieu Samphan et Nuon Chea, se rallient officiellement au gouvernement du Premier ministre Hun Sen. Les égards que celui-ci, lui-même ancien compagnon de route des Khmers rouges, ménage aux deux leaders déchus choque l’opinion nationale et internationale. Face à la presse, Nuon Chea déclare ainsi : « Nous sommes très désolés non seule ment pour les vies humaines, mais aussi pour les vies d’animaux perdues pendant la guerre. » En traitement à Pékin, l’ancien monarque Norodom Sihanouk exclut de donner sa grâce « aux grands criminels khmers rouges ». Il ajoute qu’« un tribunal international a parfaite ment le droit de se saisir de cette affaire de génocide au Cambodge, puisqu’il s’agit de crimes contre l’humanité ». Les autorités américaines font savoir qu’elles souhaitent également qu’un tel procès puisse se tenir. Vatican Jean-Paul II contre la peine de mort. Dans son message de Noël, le pape s’engage plus explicitement que jamais contre la peine de mort, allant jusqu’à souhaiter que celle-ci soit « bannie ». L’engagement du souverain pontife sur ce thème est quelque peu en contradiction avec la position de l’Église catholique. Celle-ci, dans son catéchisme universel de 1992, estimait que la peine capitale était « légitime » et que les pouvoirs publics pouvaient exercer la justice « sans exclure, dans les cas d’une extrême gravite, la peine de mort ». En octobre, dans une nouvelle version du catéchisme, l’Église écrit alors que « si des moyens non sanglants suffisent à défendre et a protéger la sécurité des personnes, l’autorité publique s’en tiendra à ces moyens ». Jean-Paul II confirme ainsi sa conviction abolitionniste à quelques jours de son voyage aux États-Unis, où pas moins de 3 517 condamnés attendent l’exécution de leur peine dans les « couloirs de la mort ». 27 Voile Drame sur la course Sydney-Hobart. La 54e édition de la classique australienne est endeuillée par plusieurs naufrages, ayant causé la mort de quatre marins et la disparition de deux autres. Sur 115 bateaux engagés, plus de 70 ont dû abandonner la course du fait d’avaries ou par crainte d’affronter une mer déchaînée, avec des vague 5 de plus de 10 downloadModeText.vue.download 208 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 207 mètres et des vents soufflant à plus de 120 km/h. Une polémique naît alors sur la responsabilité des organisateurs de la course : ceux-ci se retranchent derrière les règles de la course nautique selon lesquelles c’est aux skippers, et à eux seuls, de juger si leurs bateaux sont à même d’affronter la mer. D’autres font remarquer que la course rapporte plus de 30 millions de francs à l’île de Tasmanie et que des considérations financières ont pu primer sur les nécessités de la sécurité. Les autorités australiennes envisagent à l’avenir de faire passer des tests de fiabilité aux navires engagés dans la course. Cette édition de la Sydney-Hobart est la plus meurtrière depuis la course du Fasnet, au large des côtes britanniques, qui, en août 1979, avait causé la mort de 19 personnes. 28 Irak Nouveaux incidents aériens. Deux jours après que des incidents ont opposé des Tornado britanniques à une batterie irakienne dans le sud du pays, des F-16 américains sont à leur tour accrochés. La veille, le vice-président irakien Taha Yassine Ramadan avait déclaré que son pays ne reconnaissait plus les zones d’exclusion aériennes imposées par les Occidentaux à la suite de la guerre du Golfe en 1991. En décembre 1996, les Français s’étaient retirés du dispositif, estimant que son efficacité était loin d’avoir fait ses preuves. Alors que l’opération « Renard du désert » se solde par un échec relatif et que le Conseil de sécurité de l’ONU se divise sur la question irakienne, Bagdad tente ainsi de mettre en avant tous les thèmes qui peuvent diviser les grandes puissances. Israël Dissensions au sein du camp conservateur. Benny Begin, fils de l’ancien Premier ministre et fondateur du Likoud Menahem Begin, déclare qu’il quitte le parti dirigé par Benyamin Netanyahou et qu’il se présentera contre lui lors des élections anticipées du printemps 1999. Il qualifie M. Netanyahou de « girouette » et estime que le Premier ministre en exercice se plie aux désirs de Yasser Arafat, à l’instar du Parti travailliste ou du nouveau parti du Centre. Bien que son discours soit en phase avec celui de l’extrême droite religieuse, et notamment du Parti national religieux (PNR), M. Begin semble assez isolé, car la droite israélienne, bien que très critique vis-àvis do M. Netanyahou, estime que sa candidature risque d’affaiblir le camp conservateur. Turquie Nouveau Premier ministre désigné. Un mois après la chute du gouvernement de Mesut Yilmaz, et après l’échec de la tentative de formation d’un nouveau gouvernement par Bülent Ecevit, le vétéran de la gauche nationaliste, le président Suleyman Demirel charge Yalim Erez de constituer à son tour une équipe gouvernementale pour gérer les affaires du pays d’ici aux élections anticipées d’avril 1999. Homme d’affaires de cinquante-quatre ans, M. Erez est entré en politique par le parti de la Juste Voie (DYP) de Tansu Ciller, la rivale conservatrice de M. Yilmaz ; il a ensuite collaboré au gouvernement islamiste de Necmettin Erbakan avant de se rapprocher de M. Yilmaz au gouvernement duquel il a également participé. M. Erez fait état du soutien de l’armée à sa candidature, comme de celui des partis conservateurs, du Parti démocratique de gauche de M. Ecevit et du parti de la Vertu (islamiste). 31 Union européenne Préparation de la naissance de l’euro. Les ministres des Finances des onze pays de l’euroland fixent à Bruxelles les parités fixes et définitives des monnaies nationales en euro jusqu’à leur disparition le 1er janvier 2002. Le taux de conversion du franc est fixé à 6,559 57 pour un euro (le SMIC net mensuel s’élèvera ainsi à 821 euros et la baguette à 0,64 euro). Lors de la présentation de ses voeux aux Français, le président Jacques Chirac déclare : « La création de l’euro ouvre une ère nouvelle. L’euro va changer l’Europe et d’abord les mentalités. Pour nous Français, c’est une chance. L’euro nous apportera plus de force face aux grands pôles économiques et politiques qui se développent sur la planète. » Au siège de toutes les grandes banques, des centaines d’informaticiens travaillent d’arrache-pied pour convertir tous les comptes en euros. Seule note discordante dans l’euphorie accompagnant la naissance de la devise européenne : la déclaration au Monde de Wim Duisenberg, le président de la Banque centrale européenne, selon laquelle il entend mener son mandat de huit ans jusqu’à son terme et non démissionner au bout de quatre ans pour laisser la place à son downloadModeText.vue.download 209 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 208 collègue français, Jean-Claude Trichet. Les grandes dates de l’unification monétaire européenne sont : le 13 mars 1979 (création du système monétaire européen, qui limite les fluctuations des monnaies entre elles), le 10 décembre 1991 (signature du traité de Maastricht prévoyant la création d’une monnaie européenne unique d’ici à 1999) et le 14 décembre 1996 (signature d’un pacte de stabilité encadrant les budgets des onze États membres de la zone euro). L’année des bonnes nouvelles 1998 restera pour la France et pour les Français une année exceptionnelle. Pour la première fois depuis longtemps (sans doute le milieu des années 70), les bonnes nouvelles l’ont en effet largement emporté sur les mauvaises. La reprise économique, la baisse du chômage, la fin de la crise immobilière et la confiance partiellement retrouvée dans un gouvernement de cohabitation, « qui travaille », ont provoqué une amélioration du climat social. Mais c’est la victoire en Coupe du monde de football qui a été l’élément moteur d’un retournement de l’opinion. Même si elle n’est pas à l’abri de nouveaux accès de colère ou de mélancolie, la société française a sans doute entamé une phase nouvelle de son histoire. La première bonne nouvelle fut celle de la confirmation de la reprise économique, si longtemps attendue et retardée. Les signes en étaient déjà visibles depuis environ un an pour les professionnels et ceux qui sont initiés aux subtilités du monde économique. Mais ils n’avaient pas encore été décryptés et relayés par les médias, ni donc perçus par l’opinion. Comme les mauvaises, les bonnes nouvelles n’arrivent jamais seules. La reprise confirmait une décrue du chômage, condition nécessaire d’un retour de la confiance et de la fin du misérabilisme national. Une amélioration modeste, certes, mais suffisamment continue pour indiquer un véritable retournement de tendance. Outre son incidence directe sur l’état d’esprit des chômeurs et de leurs familles, elle montrait aux Français qu’il n’y a pas de fatalité du malheur et que les tunnels, aussi longs et sombres soient-ils, ont une fin. De son côté, la crise immobilière parisienne paraissait enfin jugulée après huit ans de baisse ininterrompue des prix. La réhabilitation de la pierre coïncidait avec celle des autres « valeurs sûres ». Au pessimisme chronique de ces années de crise économique, sociale et culturelle succédait donc une espérance nouvelle, celle de voir enfin s’inverser les courbes maléfiques, les dé- rives inquiétantes. Mais cette perspective restait encore incertaine. Fascinés par la météorologie, les Français craignaient une nouvelle déception ; ils savent qu’« une hirondelle ne fait pas le printemps ». L’expérience des années de crise leur a aussi appris qu’« il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ». En juin, les baromètres du « moral » de la population n’enregistraient donc encore qu’un timide réchauffement conjoncturel. L’effet « foot » Il fallait un autre signe fort pour que le frémissement se transforme en véritable mouvement. Il se produisit en juillet, avec la Coupe du monde de football. L’événement était aussi attendu que redouté. En tant que pays hôte, la France se trouvait placée sous les feux des projecteurs planétaires. Les craintes étaient justifiées par le manque de passion qui avait précédé l’événement, avec son cortège de critiques habituelles : les stades coûtaient trop cher ; le budget ne serait pas équilibré ; le sélectionneur était incompétent ; les joueurs n’étaient pas assez bons ni suffisamment motivés... Le doute s’accrut dès les premiers jours avec la grève des pilotes d’Air France, le raté du défilé des « Géants » et l’escroquerie concernant des billets destinés à certains pays. On pouvait donc s’attendre au pire et les journaux étrangers, toujours prêts à fustiger l’arrogance et la désorganisation hexagonales, trouvaient matière à alimenter leurs chroniques. Et puis le miracle se produisit. L’organisation se montrait à la hauteur et, surtout, les Bleus réalisaient un parcours sans faute et sans précédent. Ils accédaient à la finale tant rêvée contre le Brésil qu’ils remportaient sur un score sans appel. Aimé jacquet, tant critiqué, offrait ainsi à la France son plus beau cadeau. Il devenait un héros national, incarnation de valeurs oubliées : travail, abnégation, autorité, courage, esprit d’équipe, modestie, réalisme. Le résultat était à la hauteur de l’événement, avec une liesse populaire inconnue depuis cinquante ans. La Coupe du monde aura été fabuleuse dans tous les sens du terme. Elle comporte notamment plusieurs downloadModeText.vue.download 210 sur 417 CHRONOLOGIES ET ANALYSES 209 morales : seul le travail permet les grandes réussites ; les différences individuelles peuvent être à l’origine des grands exploits ; les valeurs de la France profonde et provinciale sont plus efficaces que les certitudes parisiennes... L’Allemand Sieburg écrivait au début du siècle que « Dieu habite en France ». Sans doute Dieu n’y avait-il plus depuis quelques années sa résidence principale. Il semble en tout cas l’avoir retrouvée en cette année 1998. Mais Il n’est vraisemblablement pas le seul responsable de cette embellie ; « aide-toi et le ciel t’aidera », affirme un autre proverbe. C’est parce qu’ils l’ont compris que les joueurs de l’équipe de France ont gagné la Coupe du monde de football. Il faut maintenant espérer que la leçon ne sera pas perdue et que les Français ne se contenteront pas de vibrer aux exploits de quelques-uns d’entre eux et de vivre leur vie par procuration. Car le pays ne retrouvera sa place dans la coupe du monde des nations, celle qui se joue sans interruption sur le plan économique, technologique, politique ou culturel, que si chacun de ses habitants apporte sa contribution. Les Français savent désormais qu’ils sont capables d’accéder en finale de cette compétition, voire même de la gagner. Ils savent aussi que chacun peut trouver sa place dans l’équipe nationale, à condition de travailler dur et d’adhérer à un projet qui le dépasse. Pour peu, bien sûr, qu’on lui en propose un. « Il n’est de nuit si noire qui n’annonce une aube », écrivait Shakespeare. Il aura fallu vingt ans pour que les Français retrouvent un peu de lumière après la nuit qui s’était abattue sur leur pays. Il faut souhaiter que les mauvaises nouvelles, en provenance d’Asie ou de l’intérieur, ne viennent pas troubler trop tôt le mouvement en cours. GÉRARD MERMET Le moral au plus haut Le baromètre de l’INSEE mesurant le moral des ménages a atteint en juillet 1998 son plus haut niveau depuis que l’enquête est devenue mensuelle, en 1987. Toujours négatif, l’indicateur qui mesure la différence entre les proportions de personnes optimistes et pessimistes quant à l’évolution du niveau de vie dans le pays s’établissait cette foisci à seulement – 9. Une amélioration qui s’explique par une meilleure perception des perspectives d’évolution. Les Français sont plus nombreux à penser que la période est favorable pour effectuer des achats importants (meubles, équipement électronique...), ce qui laisse augurer une poursuite de la croissance de la consommation en l’absence de mauvaises nouvelles sur le plan national ou international. downloadModeText.vue.download 211 sur 417 downloadModeText.vue.download 212 sur 417 211 downloadModeText.vue.download 213 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 212 Les trois visages de 1848 En France, le cent-cinquantenaire de la révolution de 1848, la première révolution européenne, n’a pas donné lieu aux fastes qu’avait engendrés la grande révolution de 1789. Dernière révolte contre l’Ancien Régime finissant, donc « antiféodale » ou « antiaristocratique », ou bien première révolte véritablement ouvrière, ou prolétarienne ? On le voit, l’importance historique de cet événement continental méritait mieux que les rares expositions et livres qui ont servi à le commémorer. Cette première révolution vraiment européenne, car elle a touché le Vieux Continent comme une lame de fond, plus que 1917 ou 1968, a suscité des analyses bien différentes, des deux côtés du Rhin par exemple. Car, si l’on peut jeter des regards fort différents sur ce mouvement insurrectionnel, c’est qu’il fut l’un des plus complexes et les plus riches de l’histoire contemporaine. Il toucha en effet de nombreux pays à des moments différents de leur maturation. La richesse de l’expérience historique qu’a constituée 1848 a permis aujourd’hui aux différents pays européens de réagir comme devant un miroir de leurs propres problèmes. Deux exemples significatifs. La France multiraciale a préféré célébrer l’abolition de l’esclavage comme promesse d’une intégration de tous les « damnés de la terre » venus d’ailleurs – dont certains sont parfois français depuis bien plus longtemps que de nombreux « Français de souche », catégorie dangereuse et fausse nourrie par une valorisation mortifère de racines occidentales. En Allemagne, on a plutôt voulu célébrer un acte de révolte, une première tentative du peuple allemand de prendre en main son destin. En un mot, célébrer un moment clé où le pays est sorti de la fatalité historique, un moment pour retisser le fil rouge démocratique. Une revendication de liberté et d’égalité D’une analyse rapide des événements de 1848, on peut établir, 150 ans plus tard, un triple constat. Premier constat, 1848 apparaît comme la victoire définitive de l’antiesclavagisme (voir dossier L’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises). Deuxième constat, 1848, en tant que révolte sociale, pâtit de la défaite du communisme en 1989 : le Manifeste du parti communiste n’éclaire plus la scène politique de la moitié du monde. Troisième constat, 1848, en tant qu’exigence démocratique, a été relativement peu efficace. La revendication de suffrage universel a nécessité encore un long combat avant de s’imposer, surtout quand, sous « universel » on n’entend pas seulement les hommes, mais qu’on inclut les femmes. Printemps des peuples pour les uns, apparition du spectre du communisme pour les autres, 1848 exprime avant tout une revendication de liberté et d’égalité. Dans tous les pays d’Europe occidentale et centrale, de Paris à Budapest et de Naples à Berlin, la revendication est claire : rejet des monarchies, revendication de la liberté nationale et d’une constitution assurant les libertés fondamentales, volonté de mettre sur pied des républiques démocratiques. Le mouvement naît à la fin du mois de janvier dans le royaume des Deux-Siciles quand les Palermitains exigent de leur souverain la promulgation d’une constitution. La révolte déborde, début février, des frontières du royaume méridional pour gagner la Toscane et Turin (royaume de downloadModeText.vue.download 214 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 213 Piémont-Sardaigne), puis, à la fin du mois, de celles de l’espace italien pour gagner Paris, où, le 22 février, l’interdiction, par le gouvernement de Louis-Philippe Ier, d’un banquet républicain est ressentie comme une provocation par une partie de la population et entraîne une mobilisation sans précédent du peuple. L’échec des mesures de répression transforme la révolte en révolution. Le 24 février, le roi des Français abdique. Un gouvernement provisoire comprenant républicains et monarchistes dissout les chambres et convoque de nouvelles élections. Puis la flamme de la subversion se dirige vers l’est. Début mars, en Suisse, les républicains de Neuchâtel brisent les liens avec la Prusse et proclament l’indépendance ; en Hongrie, le patriote Lajos Kossuth mobilise le peuple pour l’indépendance. Mi-mars, c’est l’aire germanique qui s’enflamme : Vienne, Berlin puis Munich. Dans la dernière semaine du mois de mars, c’est toute l’Europe qui connaît manifestations, proclamations révolutionnaires et changements de gouvernements. Comme une lame de fond, les libéraux et les républicains renversent les trônes. En Angleterre, le mouvement chartiste renaît de ses cendres et relance une nouvelle pétition pour des droits politiques avant d’être rapidement mis hors jeu, et la Grande-Bretagne restera, en définitive, à l’écart du mouvement. Le premier coup d’arrêt à la vague révolutionnaire a lieu à Paris à la fin de juin. Le nouveau pouvoir issu des élections d’avril, après avoir proclamé la république, réprime durement le mouvement ouvrier mobilisé sur la question des Ateliers nationaux. En décembre, la France abandonne le régime démocratique et se donne un président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte. Dans les autres pays, la lutte entre, d’un côté, les forces conservatrices et, de l’autre, les libéraux et les républicains s’articule sur la question constitutionnelle. En Allemagne, un pré-Parlement appelle à l’élection d’une Constituante au suffrage universel. Le Parlement élu se trouve placé devant l’antagonisme Prusse-Autriche et le refus des souverains d’abandonner leur pouvoir exécutif. À la fin de l’année 1848, le reflux s’instaure dans toute l’Europe, et les espoirs d’indépendances nationales, d’unification des peuples dans un même État, d’égalité civique entre les citoyens s’effondrent face à la reprise en main des anciens empires qui, certes, ont souvent usé du compromis, mais qui, désormais, reviennent sur leurs concessions. 1849, c’est l’année de la normalisation. Les souverains reprennent leurs prérogatives. Mais si, pour les combattants de la liberté, l’échec est patent (une partie de cette génération a trouvé la mort dans des combats sanglants, une autre a perdu ses espérances), pour les pouvoirs, cette expérience douloureuse a engendré une réflexion. Ces derniers ont en effet tiré deux leçons : une exigence patriotique est née qui pourrait ressouder dynastie et peuple ; un nouvel acteur social est de plus en plus reconnaissable et identifiable : l’ouvrier. Aux révolutions par le bas, les grands politiques de la seconde moitié du siècle allaient répondre par la révolution par le haut : Cavour, dans le Piémont, reprendra le relais des mazziniens et s’attachera les garibaldiens pour unifier l’Italie. Bismarck, en Prusse, s’imposera aux démocrates et républicains et aux AustroHongrois, divisés par les revendications nationales pour construire l’Allemagne. D’où, sans conteste, un intérêt plus accentué pour 1848 dans l’opinion allemande. Le plus important hebdomadaire allemand, Der Spiegel, sous la signature de son directeur et essayiste patenté Rudolf Augstein, a célébré les aventures du Parlement de Francfort comme « un chapitre réjouissant parmi les trop nombreux chapitres sombres » de l’histoire allemande. Il s’agissait là de retracer un événement, un espoir qui est enfin devenu réalité : l’unification de la nation grâce à la démocratie. Dès lors, on voit bien que 150 ans plus tard, 1848 porte en elle tout le XIXe et le XXe siècle. Elle constitue une césure dans l’histoire européenne. Césure en creux plutôt qu’en rondebosse. En effet, les acteurs de la révolte verront leur rôle joué par d’autres et à d’autres fins. downloadModeText.vue.download 215 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 214 C’est ainsi que les questions nationale, sociale et politique se posent aujourd’hui dans des termes différents mais avec la même acuité. La question nationale, qui a poussé le Vieux Continent au bord du suicide en 1914, puis qui a été dépassée par la construction européenne, revient au premier plan avec la décomposition de la Yougoslavie et la « nouvelle » question albanaise. Le communisme autoritaire qui avait servi d’étouffoir aux nationalismes balkaniques n’a pas réussi à allier améliorations sociales et progrès matériel, d’autant que son sujet historique, l’ouvrier, a disparu et que d’autres prolétaires sont à la recherche d’eux-mêmes. Quant à la question civique, si les esclaves n’existent plus formellement, d’autres phénomènes de traites n’ont pas cessé de se mettre en place : certains dont on connaît les commanditaires (traites des femmes et des travestis, voire des enfants dans le cadre du tourisme sexuel, etc.), d’autres dont le grand commanditaire est le système lui-même, Janus moderne aux inégalités profondes mais aussi aux paillettes fascinantes. Le Manifeste du parti communiste Malgré la crise mortelle qui a touché le communisme à la fin des années 1980, le seul événement de l’année 1848 à connaître une commémoration d’envergure mondiale a été paradoxalement la publication du Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels. Ce texte, qui promettait un avenir radieux au prolétariat, a été travaillé et peaufiné en pleine période de maturation prérévolutionnaire, en 1847, et publié en février 1848 à Londres, quand la révolution prend son essor à Paris. Cependant ce texte n’aura aucun effet sur les événements. Les deux auteurs sont en avance d’une révolution. En effet, si les prolétaires participent aux insurrections, ce n’est ni sur leur programme ni à la tête d’organisations spécifiques. Le parti des communistes est un mouvement, celui de l’apparition et de l’affermissement d’un nouveau sujet historique : le prolétaire, individu conscient de porter en lui l’avenir de l’humanité. C’est ce défi que – dix ans après l’effondrement des pays communistes, le recentrage des partis communistes en partis socialistes voire sociauxdémocrates et, pis, après vingt ans de recomposition sociale de l’appareil productif qui a abouti à la disparition physique de la classe ouvrière et au développement, d’un côté, du chômage et, de l’autre, de la tertiairisation – des centaines de congressistes ont tenté de rendre présent dans un colloque intitulé « Un monde à gagner ». Réunis du 13 au 16 mai, ces philosophes, historiens ou économistes ont témoigné de la force d’un marxisme universitaire qui n’a plus à célébrer telle ou telle puissance ni telle ou telle politique. Celui-ci est toujours pour nombre d’entre eux un outil conceptuel. Pour certains, comme l’historien anglais Eric Hobsbawm, le Manifeste reste une anticipation de la situation actuelle marquée par la victoire du libéralisme, de l’individualisme, et de la mondialisation. Pour d’autres, son actualité est toujours aussi évidente. Dans le Monde, Daniel Bensaïd, philosophe, maître de conférences à l’université Paris VIII, n’hésite pas à déclarer : « À lire ces pages (celles du Manifeste), on saisit, à l’état naissant, le vertige moderne devant l’évaporation de ce qui était « stable et solide », devant la désacralisation des valeurs qui « partent en fumée » ; au fil du texte prend chair la lutte des classes, s’esquisse la dynamique de la mondialisation marchande, s’annonce déjà l’étroitesse fatale des nations... » Un manifeste, véritable Phénix de la littérature politique. SERGE COSSERON downloadModeText.vue.download 216 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 215 La commémoration de l’édit de Nantes Il semble que les Français s’avèrent plus attachés que d’autres peuples aux commémorations. Cela tient peut-être à deux facteurs principaux : d’abord, leur histoire en tant que nation apparaît plus longue que celle d’autres pays occidentaux ; ensuite, cette histoire a été marquée par des conflits qui ont paru ébranler sa cohésion sociale et même, parfois, menacer son identité. Le succès des commémorations de l’édit signé à Nantes, probablement le 30 avril 1598, par le roi Henri IV tient à ces deux raisons. La célébration s’insère dans une sorte de « parcours » commémoratif où quelques grandes dates permettent de restituer les étapes essentielles de l’histoire de la France dans ses rapports avec la religion. En 1996, la commémoration du mille cinq centième anniversaire du baptême de Clovis rappelle les racines catholiques de la culture française ; deux ans plus tard, il y a celle de l’édit de Nantes où, sans trop faire d’anachronisme, nous pouvons lire la première grande tentative de dissocier la citoyenneté de l’appartenance religieuse ; enfin, en 2005, dans un avenir qui n’est pas si lointain, aura lieu la célébration du centenaire de la loi de séparation des Églises et de l’État. Mais, si l’édit de Nantes met (provisoirement) fin à la grande fracture opérée par les guerres de Religion, sa commémoration rencontre, en 1998, celles d’autres secousses importantes qui ont mis notre pays à l’épreuve : l’antisémitisme (centenaire du célèbre « J’accuse » d’Émile Zola) et l’esclavage (cent cinquantième anniversaire de son abolition). Ainsi les commémorations sont l’occasion d’insister sur l’épaisseur historique de la réalité présente – rappel indispensable dans une société qui privilégie le scoop et l’immédiateté – et le point de départ de débats publics sur les valeurs sociales fondamentales. Porter un regard dynamique sur le passé permet, paradoxalement, de se projeter dans l’avenir à construire. Les célébrations du quatre centième anniversaire de l’édit de Nantes ont comporté ces deux aspects. Elles ont permis de retracer les conflits du XVIe siècle et, plus généralement, ceux de la préhistoire de l’établissement de la liberté religieuse en France – à ce niveau, nous avons eu une floraison de travaux historiques de qualité – et elles ont induit une actualisation aux problèmes de notre époque, marquée, comme les autres siècles même si cela se manifeste de façon différente, par la tension entre les convictions et la tolérance. Les principales cérémonies du quatrième centenaire Si la date du 13 avril 1598 a longtemps été mise en avant, c’est plutôt le 30 avril – selon l’opinion dominante des historiens actuels – que Henri IV a signé l’édit de Nantes. Peu importe de toute façon, car des manifestations commémoratives ont eu lieu pendant pratiquement toute l’année 1998. Elles ont commencé à Paris, le 18 février, par une cérémonie à l’Unesco placée sous l’égide du président de la République, Jacques Chirac (et organisée par la Fédération protestante de France). Elles se sont terminées, fort logiquement, à Nantes, le 12 décembre 1998 par un concert de clôture. Entre-temps, de très nombreuses manifestations ont eu lieu. Parmi les plus importantes, il faut signaler deux congrès : « Foi et tolérance », à Paris, au Palais des Congrès (organisé par l’association du même nom et l’hebdomadownloadModeText.vue.download 217 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 216 daire le Christianisme) et « Religions de guerre ou de paix », à Nantes (le quotidien la Croix et l’hebdomadaire Réforme,) ; un grand forum à Lyon sur « Convictions et tolérance », « L’assemblée du Désert » à Mialet, des colloques internationaux (« La tolérance », Nantes ; « L’édit de Nantes dans son contexte européen », Mayence, Allemagne ; « Les relations ÉglisesÉtat », Paris). Les grands quotidiens nationaux (le Monde, le Figaro, l’Humanité, la Croix...) ont consacré plusieurs pages à la commémoration de l’événement. L’Éducation nationale a diffusé un texte du professeur Jean Delumeau (président du Comité national de commémoration de l’édit de Nantes) pour être lu et commenté auprès des élèves. Des guerres de Religion à l’édit de Nantes On sait que l’édit de Nantes a permis de mettre fin aux guerres de Religion, qui ont ravagé la France entre 1562 et 1598. Les travaux publiés dans la dynamique de la commémoration ont rappelé que, dès le milieu du XVIe siècle, le relatif succès de la Réforme en France (environ 10 % de la population, un quart de la noblesse) obligeait la royauté à reprendre à nouveaux frais la question religieuse. Comment sauvegarder la paix civile dans un contexte aussi conflictuel, à une époque où religion, politique et vie sociale se trouvaient intimement mêlées ? Deux voies nouvelles furent tentées. Celle de la concorde religieuse et celle de la tolérance civile. La recherche de la concorde religieuse signifiait l’obtention d’une unité qui ne soit pas un retour pur et simple à l’ancienne religion, mais provienne d’un accord entre les deux partis théologiques. Ce fut l’objet du colloque de Poissy (octobre 1561), où, en présence de Charles IX et de Catherine de Médicis, des théologiens catholiques et protestants se confrontèrent. Mais l’on n’arriva pas à trouver de convergence. Catherine de Médicis promulgue alors l’édit de Saint-Germain (janvier 1562), qui permet aux protestants de célébrer leur culte en dehors des villes et constitue une tentative de tolérance civile, mise en échec par le massacre de protestants en train de célébrer leur culte à Wassy en Champagne (mars 1562), ce qui déclenche les guerres de Religion. Catherine de Médicis, soutenue par ses conseillers Michel de L’Hospital et Jean Bodin, n’abandonne pas pour autant sa quête de la tolérance civile, et d’autres édits sont promulgués. Mais les massacres de la Saint-Barthélémy (23-24 août 1572 à Paris, septembre et octobre en province) semblent sceller l’échec définitif d’une telle politique, et les édits ultérieurs apparaissent surtout dus à la faiblesse du pouvoir royal. Il faut dire que les violences déchaînées étaient à la fois politiques et religieuses. Politiques : comme dans toute guerre civile, terroriser l’adversaire est un moyen de l’obliger à se rendre. Religieuses : il faut distinguer là les violences protestantes et les violences catholiques qui, dans chaque cas, se trouvent en affinité avec la religion de ceux qui les commettent. Les violences protestantes atteignent essentiellement les signes du sacré. Des prêtres sont tués (« michelade » de Nîmes en 1567), des images sont brisées dans des églises car, de ce point de vue, le rôle médiateur du prêtre ou la vénération des images constituent autant d’« idolâtries ». Les violences catholiques visent, elles, à « purifier » le royaume de la présence de l’« hérésie », qui constitue une « souillure », et, dans cette volonté exterminatrice, on exhibe le corps vaincu de l’hérétique mutilé et même « animalisé ». C’est dans un tel contexte que l’édit de Nantes prend toute sa valeur. Son contenu n’est guère original, car il reprend souvent des dispositions contenues dans des édits précédents. Mais ces dispositions vont être garanties par un roi habile, tenace et fort, et, pour l’essentiel, elles seront respectées pendant plus d’un demisiècle. Le préambule donne la ligne directrice : mettre un terme à la « fureur » des armes et parvenir (dit Henri IV) « à l’établissement d’une bonne paix et tranquille repos qui a toujours été le but de tous nos voeux et intentions ». La downloadModeText.vue.download 218 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 217 religion catholique restait la religion officielle du royaume et son « exercice » devait être rétabli partout où il avait été aboli. Tous les sujets du roi devaient payer la dîme aux prêtres et les fêtes catholiques être chômées par tous. Ne nous trompons pas d’époque : l’édit est promulgué près de deux siècles avant 1789 ! Cependant, la minorité protestante – réduite à 6 % environ de la population par suite des guerres de Religion – se voit accorder des « privilèges » – c’est-à-dire des droits particuliers – dont ne dispose alors aucune autre minorité religieuse de l’Europe chrétienne (comme l’ont montré les travaux d’Olivier Christin). Les droits donnés aux protestants peuvent s’énoncer ainsi : une liberté de culte partielle mais consistante, une liberté de conscience et une égalité civile complètes. La liberté de culte existait dans trois cas de figure : le « culte de fief » pour les seigneurs « haut-justiciers », le culte de « possession » là où il se célébrait déjà en 1596 et 1597, et le culte de « concession » dans les faubourgs de deux villes par bailliage. Dans les villes elles-mêmes, le culte était souvent interdit et les protestants parisiens, par exemple, finiront par aller au culte à Charenton. La liberté de conscience était assurée, même là où le culte public n’était pas autorisé, par une série de dispositions minutieuses. Ainsi les protestants pouvaient fréquenter collèges, universités, hôpitaux, établissements de charité sans atteinte à leurs croyances. Enfin, les protestants pouvaient accéder à tous les emplois, même aux offices royaux ; ainsi non seulement ils n’étaient pas socialement pénalisés (contrairement à des minorités religieuses d’autres pays, et ce parfois jusqu’au XIXe et même au XXe siècle), mais – ce qui était lié – cela constituait la reconnaissance explicite qu’ils étaient de bons et loyaux sujets du roi à l’égal des catholiques. L’équité judiciaire était, par ailleurs, assurée par la création de « chambres mi-partie » dans plusieurs parlements. Symboliquement, ces dispositions enlevaient de fait aux réformés le caractère d’« hérétiques » et, quand il est question, dans le texte, de « religion prétendue réformée », il faut se garder d’un contresens. Le terme important n’est pas « prétendue » mais « religion ». À l’édit proprement dit – qui sera « enregistré » avec difficulté par certains parlements – s’ajoutent deux « brevets ». L’un accordait une subvention royale pour les facultés de théologie et l’exercice du culte réformé, l’autre instaurait pour huit ans (le temps de vérifier que l’édit apporte bien la pacification espérée) des « places de sûreté » aux protestants. Ces places de sûreté seront supprimées par l’édit d’Alès (1629), au lendemain de la prise de la Rochelle, qui confirmera par ailleurs toutes les clauses de l’édit de Nantes proprement dit. De la signification de l’édit de Nantes Voilà l’essentiel des faits, contestés par personne. Mais, à partir de là, l’édit de Nantes a donné lieu à un débat historiographique. Il y a un siècle, lors du troisième centenaire, l’historiographie républicaine insistait sur les termes de « perpétuel et irrévocable » inscrits à la fin du préambule. Cela conduisait à un surcroît d’indignation contre la révocation de cet édit par Louis XIV en 1685. Aujourd’hui, on tend à penser qu’une telle formule signifie seulement que l’édit ne peut être révoqué que par un édit de même nature, enregistré par les parlements. Mais, après avoir effectué une telle interprétation, certains historiens prennent au pied de la lettre une autre formule du préam- bule qui regrette que Dieu ne puisse pas être adoré « encore en une même forme et religion » et ils s’en servent pour affirmer que l’édit comportait « en germe » sa propre révocation. « La révocation est une manière d’être fidèle à l’esprit de l’édit de Nantes en mettant fin à cette tolérance provisoire qu’il instaurait en attendant mieux » (Th. Wanegfellen, le Figaro, 19 février 1998). D’autres spécialistes partagent ce point de vue, en l’exprimant parfois de façon plus modérée. Par contre, chacun à leur manière, des historiens comme Pierre Chaunu, Jean Delumeau et Janine Garrisson estiment que downloadModeText.vue.download 219 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 218 l’accent principal de l’édit reste la tolérance civile. Nous sommes de cet avis et estimons qu’en remplaçant une histoire morale par une histoire déterministe on effectue plusieurs glissements. La tolérance civile est alors une politique si difficile à faire accepter par des mentalités hostiles qu’il est habile de la placer sous l’égide de la concorde religieuse et peut-être la signification du « encore » se trouve-t-elle seulement là. Si Henri IV souhaitait réellement aboutir à la concorde religieuse, il y a loin de l’intention à l’action et il ne fit pas grand-chose ensuite pour aller dans ce sens. Mais, même dans le cas d’initiatives plus récurrentes, il existe un abîme entre la concorde religieuse et le processus de discriminations puis de persécutions effectué entre 1660 et 1685 pour aboutir à la fiction qu’il n’existait pratiquement plus de protestants dans le royaume – malgré des conversions spectaculaires comme celle de Turenne, leur nombre resta à peu près stable sous l’édit – et à la révocation. Curieuse historiographie que celle qui aboutit à mettre les dragonnades dans la lignée d’un édit qui fixe des règles de cohabitation paisible entre une religion dominante et une minorité religieuse ! Certes, l’édit n’instaure nullement la démocratie, personne ne le suggère ; au contraire, en arrivant à imposer cet accord, Henri IV établit un pouvoir royal fort. Mais, ayant comme expérience fondamentale les guerres de Religion, il le fait au profit d’un roi arbitre entre les parties en présence, alors qu’après la Fronde et la première révolution anglaise (avec son régicide légal) Louis XIV est obsédé par les factions. La notion de « tolérance » est bien sûr, alors, très différente de sa signification dominante aujourd’hui : tolérer, c’est supporter quelque chose que l’on considère comme un mal et dont l’éradication entraînerait un mal plus grand encore. Il ne s’agit pas d’une reconnaissance mutuelle de l’autre telle qu’on la prône maintenant. Et pourtant, si on considère l’histoire de l’Europe, où la tolérance, dans son sens ancien, s’est peu à peu instaurée dans plusieurs pays du Nord au XVIIIe siècle, on s’aperçoit que, à travers le franchissement de seuils culturels, il existe une certaine continuité historique entre les diverses acceptions du terme de tolérance. Préambule de redit de Nantes Henry par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre. À tous présents et à venir. Salut [...] les armes et hostilités [ayant] cessées en tout le dedans du royaume, nous espérons [...] que, par ce moyen, nous parviendrons à l’établissement d’une bonne paix et tranquille repos qui a toujours été le but de tous nos voeux et intentions [...]. Maintenant qu’il plaît à Dieu commencer à nous faire jouir de quelque meilleur repos, nous avons estimé ne le pouvoir mieux employer qu’à pourvoir qu’Il puisse être adoré et prié par tous nos sujets et, s’Il ne Lui a plu permettre que ce soit pour encore en une même forme et religion, que ce soit au moins d’une même intention et avec une telle règle qu’il n’y ait point pour cela de trouble ou de tumulte entre eux [...] Pour cette occasion, après avoir repris les cahiers des plaintes de nos sujets catholiques, ayant aussi permis à nos sujets de la religion prétendue réformée de s’assembler par députés pour dresser les leurs [...], nous avons jugé nécessaire de donner maintenant sur le tout à tous nos sujets une loi générale, claire, nette et absolue [pour] qu’il se puisse dorénavant établir entre [nos sujets] une bonne et perdurable paix [...] Pour ces causes, ayant avec l’avis des princes de notre sang, autres princes et officiers de la Couronne et autres grands et notables personnages de notre Conseil d’État étant près de nous, bien et diligemment pesé et considéré toute cette affaire, avons, par cet édit perpétuel et irrévocable, dit, déclaré et ordonné, disons, déclarons et ordonnons : [...] Extrait de M. Rocard, J. Garrisson, l’Art de la paix, l’édit de Nantes, Paris, Atlantica, 1998. downloadModeText.vue.download 220 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 219 De l’actualisation de l’édit de Nantes La commémoration de l’édit de Nantes a naturellement été l’occasion de proposer une actualisation des significations de cet édit. Il revenait au président de la République le soin d’insister sur le nécessaire rassemblement de la nation autour de l’État légitime. « La France est forte quand elle est rassemblée, faible quand elle est divisée et que se dilue l’idée nationale » a déclaré Jacques Chirac, tout en rappelant que l’oeuvre de « pacification » d’Henri IV a réussi parce que le souverain a imposé aux parlements locaux l’enregistrement de l’édit. Autrement dit, « les règles ne sont pas les mêmes pour toutes les régions de France, mais c’est l’État qui les fixe et qui engage sa responsabilité [...], principe qui conserve toute son actualité ». Mais l’État doit générer une « bonne gouvernance » qui se fonde sur « le dialogue plus le pragmatisme » et « l’intelligence politique plus le courage et l’audace ». La vision du président est celle d’un édit qui marque « un premier pas vers le respect de l’autre » et donne ainsi une indication pour la solution de problèmes français actuels : « Entre l’uniformité qui étouffe et le communautarisme qui sépare, le pluralisme est notre héritage le plus précieux ». Beaucoup, effectivement, retiennent de l’édit de Nantes la tentative de faire coexister les Français à la fois dans l’unité et la pluralité. Ce qui paraît créateur de modernité, c’est l’apprentissage qu’une unité nationale n’empêche pas la diversité de convictions, les unes majoritaires, les autres minoritaires. Le maire de Nantes Jean-Marc Ayrault, l’a rappelé à propos, notamment, de l’islam, affirmant qu’il faut faire en sorte que « la présence de l’islam comme deuxième religion de France nous enrichisse plutôt que de nous faire peur ». Ancien ministre de l’Intérieur chargé des cultes et lui-même protestant, Pierre Joxe a aussi centré sa réflexion sur « la question de la grande minorité musulmane » : « Il faut que nous considérions sans culpabilité ni appréhension la cohabitation que nous allons inventer, le compromis. » Et l’ancien ministre d’ajouter : « Une vraie laïcité n’est pas une neutralité aseptisée, une indifférence à l’égard du phénomène religieux. » Après les protestants et les juifs qui ont conquis leur intégration « laborieusement et douloureusement », c’est au tour de l’islam et des musulmans de sortir d’une « situation d’inégalité » sur les plans social, culturel et religieux. C’est ce que Jean Delumeau appelle « un nouvel édit de Nantes avec l’islam ». Cependant, la commémoration a été également l’occasion, pour la minorité protestante, de réfléchir à sa « vocation » dans cette France plurielle. « Il faut rester toujours attentifs à d’autres minorités de foi et d’expression », a déclaré le président de la Fédération protestante de France, Jean Tartier, avant d’affirmer que l’édit et sa révocation avaient fait des protestants « les sentinelles de la liberté de conscience et d’une France ouverte, généreuse, jamais repliée sur ses seuls intérêts, inventive dans ses relations et ses solidarités ». L’adresse vaut d’ailleurs pour tout citoyen conscient et vigilant et la réflexion sur la tolérance s’est élargie dans la perception d’un « vrai défi » d’aujourd’hui : « Le dialogue des convictions entre personnes qui sentent, pensent, réagissent et croient d’une manière différente » (J.-P. Guetny). Mais un tel dialogue ne peut réussir sans la pacification sociale dont le politique est garant : l’édit de Nantes nous ramène sans cesse à cette noblesse du politique à une époque où il se trouve dénigré de plusieurs manières. Pour Michel Rocard – autre homme politique protestant –, l’édit est le rappel permanent que le politique doit être « l’art de la paix », art qu’il décline en quatre étapes : « vouloir la paix » ; « briser le tabou majeur » (« un fait dominant, un élément symbolique a priori non partageable » autour duquel le conflit s’est organisé) ; « négocier » et enfin « équilibrer » (que l’architecture d’ensemble respecte à la fois les « références majeures » de chacune des parties et le « rapport de force sur la base duquel on a négocié ») ; pour l’édit, cet équilibre est le rétablissement partout de la religion catholique et la liberté de conscience sans restriction des protestants). downloadModeText.vue.download 221 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 220 Cette lecture de l’édit permet d’en proposer l’exemple à bien des conflits en cours. Nulle lecture n’est peut-être plus actuelle. JEAN BAUBÉROT Bibliographie O. Christin, les Paix de religion, Paris, Le Seuil, 1997. B. Cottret. 1598, l’édit de Nantes, Paris, Perrin, 1997. M. Grandjean et B. Roussel (éds.), Coexister dans l’intolérance, Genève, Labor et Fides, 1997. Pierre Joxe (avec la collaboration de T. Wanegfellen), l’Édit de Nantes, Paris, Hachette Littérature, 1998. M. Rocard, J. Garrisson, l’Art de la paix, l’édit de Nantes, Paris, Atlantica, 1998. downloadModeText.vue.download 222 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 221 Mai 68, trente ans après Vraie-fausse révolution, Mai 68 a trente ans, quelques rides, mais toujours une force évocatrice et symbolique hors du commun. La commémoration de ce qui fut une révolte festive, insolente et pacifique d’une génération – celle du babyboom – en rupture avec une société opulente, mais trop autoritaire et centralisatrice, a donné lieu, cette année, à une large médiatisation. Livres, couvertures de magazines, reportages télévisés, les événements de Mai ont été analysés, disséqués et commentés. Et leurs acteurs – aujourd’hui quinquagénaires apaisés se retrouvant pour beaucoup dans l’action politique ou médiatique – se sont laissé prendre au jeu du souvenir pour tenter d’expliquer ce que leur mouvement avait apporté à la société française. Certes, Mai 68, ses barricades, ses pavés et ses slogans (« Changez la vie », « Élections, pièges à cons ») ont définitivement guéri une partie de la gauche de ses velléités du grand soir. Il n’empêche, ce joli mois de mai qui a, un temps, ébranlé le gaullisme triomphant, a profondément modifié – révolutionné ? – l’école, la famille, les moeurs... Sans doute, ses effets sont difficilement quantifiables et relèvent plus de la symbolique. Mais, en politique, les symboles valent parfois tous les programmes. Trente ans après les événements, l’impact de mai 68 reste très présent dans la mémoire des Français. À en croire les sondages, ce « printemps, chaud-chaud-chaud ! » comme le scandaient les dizaines de milliers de jeunes qui avaient investi la rue, serait l’un des faits les plus marquants de l’après-guerre. Révolution sans programme, « fête d’une génération qui a jeté ses premiers pavés en costume-cravate et cheveux courts avant d’inventer, en un mois, le retour à la nature, les cheveux longs, les concerts rock, la défense des parias et la libération des moeurs » (Bernard Guetta, le Nouvel Observateur), cette révolte étudiante a brutalement donné un grand bol d’oxygène et de liberté à un pays qui, comme l’écrivait avec prémonition Hubert Beuve-Méry dans le Monde, « s’ennuyait ». Atypique, Mai 68 mélange les genres. D’un côté, il prolonge les mouvements révolutionnaires et lourdement idéologiques du XIXe siècle. Les drapeaux rouge et noir flottent sur la Sorbonne. L’Internationale résonne dans ses couloirs et sur les barricades. La société doit être détruite. Il faut en finir avec le capitalisme. De l’autre, il est libertaire, démocratique et romantique. Il prône, selon le sociologue et philosophe Gilles Lipovetsky, un nouveau « libéralisme culturel ». Slogans et graffitis l’attestent : « Prenez vos désirs pour la réalité », « Soyez réalistes, demandez l’impossible », « Vivez sans temps morts »... En réalité, l’originalité de Mai 68 est de tout contester sans rien proposer. Les grandes dates – 3 mai : évacuation de la Sorbonne par la police. Première soirée d’émeute au Quartier latin. – 8 mai : Alain Peyrefitte, ministre de l’Éducation, refuse la réouverture de la Sorbonne. – 10 mai : nuit des barricades. Affrontements violents avec la police. – 13 mai : 800 000 manifestants dans les rues de Paris. – 18 mai : 2 millions de grévistes paralysent le pays. – 22 mai : affrontements après l’interdiction de séjour prise contre Daniel Cohn-Bendit. – 29 mai : le général de Gaulle a disparu. Pendant quelques heures, personne ne saura où il est. – 30 mai : retour du général de Gaulle de Baden-Baden. Dissolution de l’Assemblée natiodownloadModeText.vue.download 223 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 222 nale. Un million de personnes manifestent en sa faveur sur les Champs-Élysées. L’internationale « jeunes » À l’inverse de la Commune de Paris, Mai 68 n’est pas un événement franco-français. La « fête » est internationale. De San Francisco à Prague, de Mexico à Tokyo, de Rome à Varsovie, la contestation est générale, cette annéelà. Elle émane de la génération d’après-guerre. Celle des Trente Glorieuses. Une génération qui croyait à la croissance et au progrès parce que, à l’Ouest, ils existaient. Une jeunesse qui ne connaissait ni le chômage ni le sida. Elle rêvait d’utopies. Et refusait, pêlemêle, l’ordre établi : la main de fer soviétique et l’impérialisme américain. Jeunes Tchèques, Polonais, Allemands et Italiens n’ont pas attendu que Paris se hérisse de barricades et que la France soit paralysée par les grèves pour se mobiliser, les uns contre le communisme, les autres contre le capitalisme. Cette année là, où la guerre du Viêt Nam fait rage, où le Biafra meurt de faim et où les chars de l’Armée rouge entre dans Prague, la jeunesse du monde est en fureur. En France, comme ailleurs, Mai 68 est avant tout la révolte de la jeunesse. Non celle d’une classe sociale, même si les étudiants donnent le ton. Une jeunesse désenchantée par le monde tel qu’il est : trop mercantile, trop bureaucratique, trop dénué de sens à ses yeux. Elle : en a assez d’une société trop paternaliste et si convenue. Résultat : les revendications libertaires, romantiques, communautaires prennent le pas sur les objectifs purement politiques. « Même quand nous tenions la rue, il ne vint jamais à l’idée d’un seul d’entre nous de marcher sur l’Assemblée nationale ou de prendre l’Élysée », écrit Bernard Guetta, acteur de Mai 68. Il s’agit, pour la jeunesse, de briser le carcan de la société. De lutter contre toutes les formes de discrimination (entre les classes, les sexes, les races...) et d’exercice autoritaire du pouvoir (à l’école, dans la famille, dans l’entreprise, dans l’État...). C’est également un mouvement de protestation contre le puritanisme répressif de la société et contre la solitude de masse engendrée par l’accélération de l’urbanisation. Les grands slogans Slogans et affiches ont exprimé plus que de longs discours les revendications des manifestants de Mai 68. Florilège. « Sous les pavés, la plage » « Élections, piège à cons » « La police à l’ORTF, c’est la police chez vous » « Je participe, tu participes... ils profitent » « Seule la vérité est révolutionnaire » « CRS-SS » « Il est interdit d’interdire » « Soyez réalistes, demandez l’impossible » « Jouissez sans entraves » « Laissons la peur du rouge aux bêtes à cornes » « Vous avez voté ? Vivotez ! » « Achetez plus, ils profitent plus. L’expansion, c’est pour eux ! » « Nous sommes le pouvoir » « Les cadences accélèrent le chômage aussi » « Sois jeune et tais-toi » « Nous sommes tous indésirables » « Nous sommes tous des Juifs allemands » Le bilan de Mai 68 Une fois les gaz lacrymogènes dissipés et les étudiants retournés dans leurs universités, le général Charles de Gaulle, rentré de BadenBaden, est à l’Élysée. À l’Assemblée nationale, après la dissolution de cette dernière, le chef de l’État, le général de Gaulle, dispose d’une majorité sans précédent – la « Chambre de la peur », dit-on. La gauche, largement dominée par le Parti communiste, n’a pas su être en phase avec la jeunesse. Le pouvoir tant vilipendé par les manifes- tants est toujours là. Plus fort que jamais. Il n’a downloadModeText.vue.download 224 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 223 pas été renversé, emporté par ce printemps de folie. Mais était-ce l’objectif des exubérants soixante-huitards ? « Ils ont seulement donné le coup d’envoi d’une métamorphose des esprits et des comportements. Ce n’est déjà pas si mal. Dans ce pays qui aime tant les révolutions, il fallait en rater une pour que tout changeât... « Le gauchisme, si féru d’éloquence guerrière, resta pour l’essentiel pacifique », écrit le journaliste Laurent Joffrin (Mai 68. Une histoire du mouvement, Points Seuil, 1998). « En 1789, les Français ont pris la Bastille : en 1968, ils ont pris la parole », affirmait, au lendemain des événements, l’historien et sociologue Michel de Certeau. De fait, le bilan est ailleurs. Et il est significatif. « Au milieu des années 70, analyse Henri Weber, ancien dirigeant gauchiste en 1968 et, aujourd’hui, sénateur socialiste, la société française est devenue beaucoup plus libérale – au sens politique et culturel du terme –, plus démocratique, plus hédoniste, plus solidaire, plus égalitaire qu’elle ne l’était dans les années 50 ou 60 (Que reste-t-il de Mai 68 ? Points Seuil, 1998). Les conquêtes de Mai 68 À l’image du Front populaire, toutes proportions gardées bien sûr, Mai 68 a permis la réalisation d’un ensemble de conquêtes sociales. Celles-ci ont modifié la condition ouvrière : mensualisation des salaires, reconnaissance de la section syndicale d’entreprise, augmentation de 35 % (!) du SMIG et de 10 % des salaires, indemnisation totale du chômage, accords contractuels sur la formation permanente. Mai 68, c’est également le point de départ de toute une série de conquêtes juridiques et politiques, libéralisant les rapports entre les sexes, les générations, les gouvernants et les gouvernés : liberté de la contraception et de l’avortement, autorité parentale conjointe sur les enfants, possibilité pour les femmes d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation préalable du mari, droit à l’égalité professionnelle entre hommes et femmes. À cela, il faut ajouter une plus grande autonomie de ce que l’on appelait alors l’ORTF, la reconnaissance des droits des homosexuels, la prise en compte des cultures régionales, le droit de vote à dixhuit ans et une plus grande démocratisation dans les universités. « Sans doute, le recul de l’autoritarisme et de la rigidité des moeurs était inéluctable, écrit Gilles Lipovetsky. Mais je pense que Mai 68 a considérablement amplifié et accélère ce phénomène. Il lui a donné une impulsion et une radicalité très fortes. » Un jugement partagé par Laurent Joffrin : « Mai 68 a changé la France. Cette révolution manquée a révolutionné la société. À cause de ce singulier printemps, la vie quotidienne de 50 millions de personnes n «a plus été la même. Après mai, les Français n’ont plus eu la même manière dépenser, de sentir, de parler, de s’habiller, d’éduquer leurs enfants, de vivre en couple ou de passer leurs loisirs... En mai, le pouvoir n’est pas tombé. Ce sont les vieilles contraintes de la société patriarcale et rurale, minées par l’industrialisation rapide du pays, étouffantes pour la jeunesse [...] qui ont sauté d’un coup sous la poussée d’une insurrection impensable. » Révolution d’« enfants gâtés » diront certains, Mai 68 préfigure aussi le déclin du communisme et l’avènement d’une gauche plus gestionnaire et consensuelle. Que reste-t-il de Mai 68 ? « Nous sommes, titrait récemment un magazine, les enfants de cette joie turbulente qui a bousculé les idées plus encore que les pavés. » Peut-être. Mais trente ans après Mai 68, la donne a changé. D’accord, bon nombre d’acteurs des événements se retrouvent aujourd’hui à des postes clés dans le monde politico-médiatique. Ils se veulent encore les gardiens du temple de l’« esprit révolutionnaire ». Mais quels sont les points communs entre leur propre jeunesse et celle de 1998 ? Mai 68 était une contre-culture festive. Un brin insouciante. C’était une vision optimisme du futur. La croyance dans les « lendemains qui downloadModeText.vue.download 225 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 224 chantent » et les modèles alternatifs. Un grand rêve collectif. Aujourd’hui, les modèles alternatifs ont montré leur impuissance, voire leur nuisance. Le bloc de l’Est s’est libéré avec bonheur du carcan de l’Union soviétique. L’Union soviétique a disparu, victime consentante d’un système qui n’en pouvait plus. Dans un consensus de bon aloi, les partis socialistes européens se sont faits les chantres de la social-démocratie. Le marché et ses contraintes se sont imposés à tous. Hommes politiques de tous bords et Guignols de l’info ne pestent-ils pas contre la « pensée unique » et la « dictature de la World Company », derniers avatars d’une mondialisation galopante de l’économie ? La jeunesse de 1998 Les enfants de 1998 sont sur une autre planète. Leurs aînés, c’est-à-dire leurs parents n’ont pas vraiment « Changé la vie ! » comme prévu. Leurs préoccupations sont donc à l’opposé. Hier, l’avenir était confiant. Aujourd’hui, il tétanise toute une classe d’âge : peur du chômage, fracture sociale, menaces d’exclusion. Et, au bout du compte, bien peu de rêve à se mettre dans la tête. Où diable chercher une alternative crédible et rassurante ? La jeunesse, et même le peuple de gauche, a bien du mal à croire en l’avènement du meilleur des mondes. Tout juste si elle veut espérer en un monde meilleur. Pour elle, les grandes idéologies et les utopies sociales se lisent dans les livres d’histoire. Elles ne se vivent pas dans la rue. Aux Trente Glorieuses ont succédé Les Trente Piteuses (d’après le titre du livre de Nicolas Baveretz, paru chez Flammarion en 1997). Les taux de croissance des économies occidentales ont été allégrement divisés par deux. Conséquence : l’apparition d’une société duale. La fameuse « fracture sociale » mise en valeur par le candidat Chirac lors de sa campagne présidentielle, en 1995. 1968-1998, le rapport de forces a considérablement évolué. Il y a trente ans, ce rapport était favorable aux salariés. Le plein-emploi leur donnait des capacités de négociation importantes. Par ailleurs, la « menace soviétique » incitait plus ou moins les classes dirigeantes à la compréhension dans le domaine social. Cet équilibre s’est rompu à la fin des années 70 et au cours des années 80 avec la mondialisation des techniques et la montée du chômage. Comme Henri Weber le souligne : « Le rapport de forces a évolué en faveur des détenteurs du pouvoir économique privé et au détriment des salariés et des États-nations. » Cette évolution a contribué à remettre en cause les acquis de Mai 68. Les impératifs de performance les ont considérés comme des handicaps. Un frein à la nouvelle logique de la mondialisation. Un bilan mitigé Sans doute la France de 1998 ne peut-elle que se reporter avec envie à cette époque déjà lointaine où les problèmes de survie économique n’existaient pas vraiment et où un vent de liberté pouvait balayer tout un pays. Aujourd’hui, l’emploi est rare. Trop précaire pour se lancer dans de vastes mouvements de contestation. La grève « par procuration » est devenue la règle : on ne maudit pas les grévistes de la SNCF qui, pourtant, provoquent la gêne pour des millions de salariés. Leur mouvement, selon les sondages, est populaire. Ils sont les porte-drapeaux d’une contestation que, crise oblige, personne n’ose plus exprimer. SDF, sans-papiers, exclusion, ces questions-là ne se posaient guère alors. Depuis 1968, ils sont devenues lancinantes. Certes les événements de « Mai » ont formidablement préservé et renforcé les valeurs démocratiques et de liberté. Pourtant, trente ans après, alors que la génération de 1968 est aux affaires, le bilan reste difficile à dresser. Ces soixante-huitards qui déambulent aujourd’hui dans les palais de la République et font l’opinion par médias interposés ontils encore l’envie d’imposer leur idéal ? Ou se contentent-ils de profiter d’un modèle que, hier, ils combattaient ? « On pourra regretter downloadModeText.vue.download 226 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 225 que l’exaltation de la brèche historique ouverte en Mai retombe dans un tel prosaïsme démocratique et petit-bourgeois... », constate Laurent Joffrin. Avant de conclure : « Mais on devra aussi prendre en compte que, si la vraie raison de tout cela était un saut brutal mais salutaire vers plus de démocratie, le combat valait bien, aussi, la peine d’être livré. » Trente ans après – une génération – Mai 68 n’est pas encore devenu totalement un objet d’études pour les historiens. Les acteurs sont toujours en place. L’évocation de ces événements ne fait pas encore passer leurs « conteurs » pour des anciens combattants. À l’époque de la liberté sur Internet, l’actualité de ce fameux printemps reste forte. Son esprit demeure au sein de mouvements sociaux, associations, syndicats et partis de gauche. Pour eux, le combat continue. Sur de nouveaux terrains : le chômage, les sans-papiers, l’exclusion... En 1998, frustrations et désenchantements sont là. Et, avec eux, une expression menaçante qui n’existait pas il y a trente ans : celle du national-populisme. L’« esprit » de Mai 68 peut être une réponse à cette menace. N’étaitil pas caractérisé, tout le monde s’accorde aujourd’hui à la reconnaître, par une immense explosion démocratique ? Le retour de « Dany le Rouge » Coucou, le revoilà ! Trente ans après les événements, Daniel Cohn-Bendit fait à nouveau une entrée fracassante dans la vie politique française. « Repeint en vert », l’ancien leader de la révolte étudiante, ennemi numéro 1 du pouvoir de l’époque, mène la liste des écologistes de Dominique Voynet aux élections européennes du mois de juin 1999. Sa tignasse rouquine a un peu blanchi, sa silhouette s’est épaissi, mais l’oeil reste tout aussi pétillant et insolent. Et son art de la provocation, intact. Il agace. L’« interdit de séjour de 1968 », devenu militant écologiste en Allemagne puis maire adjoint de Francfort et député européen, n’a rien perdu de sa superbe. Et de sa fascination pour micros et caméras. En quelques semaines, le héros de Mai 68 a retrouvé naturellement la scène politico-médiatique. Pour s’y imposer. Bousculant tout sur son passage. Même le subtil équilibre de la majorité plurielle. L’enthousiasme de la jeunesse est toujours là. Le discours toujours rafraîchissant et décapant. Et, déjà, Dany a gagné une première victoire : celle d’être le candidat des médias. Comme il l’était en 1968. Au grand dam de ses partenaires. Bibliographie Mai 68 en librairie La commémoration du 30e anniversaire de Mai 68 a donné lieu à une abondante littérature. Outre les magazines et la presse quotidienne, qui ont consacré des numéros spéciaux à l’événement qu’il s’agisse du Nouvel Observateur, de Courrier international ou du Monde. Les éditeurs n’ont pas été en reste. Rééditions et nouveaux livres ont fleuri dans les rayons des librairies. Jean-Pierre Le Goff, l’Héritage impossible, La Découverte. Daniel Cohn-Bendit, Une envie politique, La Découverte. Laurent Joffrin. Mai 68. Une histoire du mouvement, Le Seuil. Henri Weber, Que reste-t-il de Mai 68 ?, Le Seuil. Dityvon, Impressions de Mai, Le Seuil. Jean Sur, 68 forever, Alinéa. Luc Ferry et Alain Renaut, la Pensée 68, Gallimard. Jacques Foccart, le Général en mai, Fayard. Hervé Hamon et Patrick Rotman, Génération (en deux volumes), Le Seuil. BERNARD MAZIÈRES downloadModeText.vue.download 227 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 226 L’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises La commémoration du cent cinquantième anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises a suscité en 1998 de nombreuses manifestations, tant dans la France métropolitaine que dans les départements d’outre-mer. Pour la plupart des organisateurs, cet anniversaire a été l’occasion de souligner le rôle historique des révoltes déclenchées par les esclaves dès l’annonce de la chute de la monarchie de Juillet, à la Martinique et à la Guadeloupe, et d’appeler à la reconnaissance universelle de la traite comme crime contre l’humanité perpétré par les Européens sur le continent africain. À l a différence de la commémoration du centenaire, célébrée en 1948, on rendra moins hommage, cette fois-ci, à la philanthropie vertueuse des abolitionnistes de 1848 qu’à leur lucidité politique, qui leur a dicté d’agir promptement pour éviter un soulèvement général de la population servile et épargner aux colonies les bains de sang de sinistre mémoire survenus à Saint-Domingue en 1791. L’action du sous-secrétaire d’État à la Marine chargé des Colonies, Victor Schoelcher, est à cet égard exemplaire. C’est en effet lui qui convainc Arago, le ministre de la Marine du gouvernement provisoire, de prendre de toute urgence des mesures en faveur des esclaves. Le 4 mars 1848, une commission chargée de préparer l’acte d’émancipation dans toutes les colonies de la République est donc instituée et placée sous son autorité. Les travaux de cette commission aboutissent, le 27 avril suivant, à la publication à Paris du décret d’abolition signé par Schoelcher. Deux mois plus lard, la liberté est effective dans les colonies d’Amérique. Elle le sera le 20 décembre à l’île de la Réunion. Le décret du 27 avril, objet de nos jours de toutes les célébrations, fait accéder à la citoyenneté de plein droit quelque 250 000 Noirs. Victor Schoelcher (1804-1893) Schoelcher, républicain, membre de la francmaçonnerie, est un abolitionniste obstiné qui connaît parfaitement l’univers concentrationnaire des colonies. Depuis 1835, date de l’émancipation des esclaves dans les colonies britanniques, il mène campagne sur campagne en faveur de l’éradication de l’esclavage. La proclamation de la république en février 1848 l’encourage à agir auprès de ses amis du gouvernement provisoire. Ceux-ci partagent son combat, mais ils pensent que c’est à la future assemblée constituante de régler cette question. Bien informé de la situation dans les îles, Schoelcher plaide l’urgence de la mesure à prendre dès le 3 mars. Le lendemain, Arago le nomme à la tête d’une commission chargée de préparer l’émancipation. Il lui faudra encore 54 jours pour emporter l’adhésion des membres de la commission et signer l’acte d’abolition du 27 avril. Il était temps car, à la Martinique, les Noirs avaient déjà pris les devants et forcé le gouverneur à les libérer le 22 mai. Schoelcher sera élu député de la Martinique et de la Guadeloupe en 1848, puis en 1871. Depuis 1948, il repose au Panthéon. Le régime de l’esclavage aux îles Tel qu’il se présente au moment de l’abolition, l’esclavage est en place depuis trois siècles sur l’ensemble des territoires coloniaux, de la mer des Caraïbes et de l’océan Indien. Il a vu le jour sous la monarchie, au XVIIe siècle, à une downloadModeText.vue.download 228 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 227 époque de grande ferveur chrétienne. D’abord toléré comme instrument d’oppression utilisé par les conquérants français contre les populations autochtones des îles caraïbes, il s’est vite imposé comme système d’exploitation de la main-d’oeuvre noire déportée par les compagnies de commerce et de navigation se livrant à la traite des captifs sur les côtes d’Afrique depuis le milieu du XVIe siècle. Peu de temps après la mort de Colbert, son instauration est légalisée par un édit royal, promulgué en mars 1685, et communément désigné sous le nom de Code noir. Les colons français adoptent, à l’instar des colons portugais et espagnols, l’esclavage pour modifier l’économie de subsistance qui prévaut chez les peuples indigènes et créer des domaines agricoles pour l’acclimatation de plantes importées – cacaoyers, caféiers et cannes à sucre. Les Caraïbes n’étant pas des peuples cultivateurs, les colons choisissent d’employer aux travaux de défrichage et aux cultures des Africains. La mise en valeur de grands domaines agricoles, appelés « habitations », se réalisera donc en recourant à la maind’oeuvre servile. Celle-ci, vendue aux enchères sur les marchés aux esclaves, est destinée à travailler à vie sans salaire sur des plantations organisées en camps de concentration, sous la houlette de commandeurs impitoyables, le plus souvent recrutés parmi les créoles : l’ordre règne sous l’empire du fouet. L’univers de l’esclavage est un univers qui doit être bien clos pour pouvoir durer. Voilà pourquoi les îles, qui n’exigent pas d’imposants travaux de fortifica- tion pour retenir les fuyards, ont été propices à son instauration : un simple chemin de ronde et une garnison permanente de soldats suffisent à leur surveillance. Le Code noir L’édit de mars 1685 est un des textes juridiques les plus importants de l’Ancien Régime. OEuvre de Colbert et des intendants Patoulet et Bégon, il a pour objet de renforcer le pouvoir central dans les colonies en mettant fin à l’arbitraire des maîtres. À partir de son entrée en vigueur, ces derniers ne peuvent plus condamner à mort et mutiler, ni même emprisonner leurs esclaves sans jugement régulier. Ils conservent toutefois le droit de fouetter, enchaîner et mutiler tous ceux qui prennent la fuite plus d’un mois, en les marquant, essorillant ou amputant. Ce code demeurera jusqu’en 1848 le texte de référence de la législation esclavagiste. Les tarifs du bourreau Pour pendre : 30 livres Pour rouer vif : 60 livres Pour brûler vif : 60 livres Pour pendre et brûler : 35 livres Pour couper le poignet : 2 livres Pour traîner et pendre un cadavre : 35 livres Pour donner la question ordinaire et extraordinaire : 15 livres Pour donner la question ordinaire seulement : 7 livres Pour Pour Pour Pour Pour Pour Pour Pour amende honorable : 10 livres couper le jarret et flétrir : 15 livres fouetter : 5 livres mettre au carcan : 3 livres effigier : 10 livres couper la langue : 6 livres percer la langue : 5 livres couper les oreilles : 5 livres Le commerce transatlantique Les sociétés à esclaves ne comptent que deux classes : les personnes libres et les esclaves, autrement dit les Blancs et les Noirs. Sur les grandes habitations, les esclaves se répartissent en deux groupes inégaux en nombre : les « esclaves de jardin », composés en majorité de bossales, c’est-à-dire de Noirs nés en Afrique, affectés aux durs travaux des champs, et les « domestiques », généralement créoles, nés dans l’île, attachés au service de la demeure des maîtres. Avec le temps est apparue downloadModeText.vue.download 229 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 228 une troisième catégorie au statut mal défini, les métis libres. La couleur de leur peau leur interdira d’être les égaux des Blancs et de s’assimiler à leur classe, quoiqu’ils soient comme eux propriétaires d’esclaves. Au moindre manquement au code de conduite non écrit qui leur est imposé, ils peuvent perdre leur qualité et retourner au rang d’esclaves. Le préjugé de couleur, né au sein de la société esclavagiste, n’a malheureusement pas disparu des îles avec l’abolition. L’existence de ces sociétés fondées sur la terreur, le travail non rémunéré et la production de denrées tropicales a transformé les îles, ces lieux paradisiaques vantés par toute une littérature exotique, en bagnes pour des millions d’Africains arrachés avec violence à leur terre natale. Mais a-t-on suffisamment expliqué que ce type de société est une invention récente due aux Européens du Nouveau Monde au cours du XVIe siècle ? À cette époque, et durant plusieurs décennies, les négociants français arment des navires pour mener des opérations de traite sur le littoral africain pour le compte des colonies espagnoles d’Amérique. Quand les compagnies françaises entreprennent, sous l’impulsion de Richelieu, puis de Colbert, de bâtir à leur tour un empire colonial aux Indes occidentales et orientales, les grandes maisons de traite de Nantes, La Rochelle ou Bordeaux sont en état de livrer la main-d’oeuvre servile réclamée par les premiers colons. Le commerce des Noirs fera, tout au long du XVIIIe siècle, les grosses fortunes des ports français de l’Atlantique, notamment celles de Nantes, qui organisera à elle seule plus de 42 % des 3 400 expéditions de traite recensées entre 1 700 et 1 800. L’engouement croissant des consommateurs européens pour les produits tropicaux dynamise le développement des terres à plantations, principalement celles consacrées au café à l’île Bourbon, aujourd’hui la Réunion, et à la canne à sucre à Saint-Domingue, aujourd’hui Haïti, qui sera au XVIIIe siècle le plus beau joyau de l’Empire colonial français. L’essor de l’économie coloniale contribue par conséquent à l’accroissement des activités transatlantiques de la traite. Le grand commerce maritime, qui va enrichir la bourgeoisie portuaire durant trois siècles, consiste en un commerce triangulaire très lucratif. Les navires marchands emportent des produits de pacotille, se rendent sur les points de traite de la côte africaine pour les échanger contre des captifs qu’ils vont transporter et vendre dans les îles. Les mêmes navires effectuent leur retour les cales pleines de « douceurs » pour le marché européen. Antiesclavagisme contre antiabolitionnisme Ce système sera dès sa mise en place vivement combattu par les Africains, d’abord, qui ne cesseront jamais de se révolter, de fuir, de marronner et de se suicider, et par des Européens, ensuite, indignés par les brutalités exercées contre les Noirs. Au milieu du XVIIIe siècle, un courant d’opinion, né en Angleterre dans les communautés de quakers et vite relayé en France par les philosophes des Lumières, plaide auprès des autorités royales en faveur des victimes de la traite et des esclaves. Il pose à cette époque les principes d’une abolition sinon immédiate, du moins graduelle et progressive. Tous s’entendent toutefois pour réclamer la suppression de la traite. La multiplication, en métropole, des prises de position en faveur des Noirs provoque en retour chez les planteurs d’ardents plaidoyers pro domo où apparaissent les thèses de l’inégalité entre les races justifiant le droit d’asservir les hommes de couleur et la nécessité de maintenir l’esclavage pour éviter la flambée des prix des produits coloniaux. Certains défenseurs de l’esclavagisme n’hésitent pas à prétendre que les Africains ne sont pas des êtres humains, mais des bêtes sauvages. La première abolition À la veille de la révolution de 1789, le royaume de France tire des îles d’Amérique et de l’océan Indien une grande partie de sa richesse, aussi downloadModeText.vue.download 230 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 229 les dirigeants se refusent-ils à toucher à ce qui est à l’origine de la prospérité des colonies. La suppression du système esclavagiste aurait pour conséquence la ruine, sinon la perte des colonies. Cet argument sera systématiquement opposé aux mémoires déposés par les Amis des Noirs au bureau de la Constituante pour faire inscrire à l’ordre du jour de cette assemblée la question de l’esclavage. Depuis la promulgation en août 1789 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le sort réservé aux esclaves et aux hommes libres de couleur est désormais insupportable aux consciences humanistes. « Périssent les colonies, plutôt que les principes ! », s’écrie en vain Robespierre à la barre de l’illustre assemblée. Le mot est resté célèbre. Il retentit sur les habitations comme un glas annonçant la fin du monde. Pourtant, l’Assemblée n’épouse pas les conclusions de Robespierre, ni la suivante. Les protestations des humanistes resteront sans effet. Elles le demeureront jusqu’à l’insurrection générale des esclaves survenue à Saint-Domingue en août 1791, qui amènera les émissaires de la première République, Sonthonax et Polverel, à proclamer la liberté immédiate et sans condition des 500 000 esclaves de la colonie, le 29 août 1793. Quelques mois plus tard, en présence des trois députés élus par les Dominicains, la Convention entérine cette proclamation et l’élargit à l’ensemble des colonies par le décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794). Ce décret est abrogé huit ans plus tard par le Premier consul, Bonaparte, qui rétablit l’esclavage en 1802 (loi du 27 floréal an X). Cette mesure provoque aussitôt le soulèvement des Noirs. Si le sort des armes leur est défavorable à la Guadeloupe, il n’en est pas de même à Saint-Domingue, où les insurgés parviennent à vaincre les troupes esclavagistes du général Leclerc et à proclamer en 1804 l’indépendance de l’île devenue Haïti. BERNARD LEHEMBRE downloadModeText.vue.download 231 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 230 L’expédition d’Égypte, un bicentenaire à sens unique En commémorant avec, souvent, talent et bonnes intentions la campagne d’Égypte commandée par le général Bonaparte il y a deux siècles, la France n’a pas fait l’unanimité auprès des Égyptiens. Chez ces derniers, en effet, l’irruption de la modernité occidentale s’est faite dans le fracas des canons et des fusils et en violant l’autonomie égyptienne. Les Égyptiens d’aujourd’hui n’ont cure de cette autocélébration de l’Occident. Ils préféreraient mettre en exergue la révolution opérée par Mehemet-Ali quelques décennies plus tard, patriotisme oblige. La contribution à la connaissance de la plus ancienne civilisation du monde que constitue la publication des volumes de la Description de l’Égypte ne saurait exonérer à elle seule l’agression française. La glorification de la période prémusulmane est vécue également par les hommes de la rue comme une critique implicite de l’état dans lequel se trouve actuellement la société égyptienne. Surpeuplée, en butte aux problèmes du sous-développement, celle-ci assiste souvent d’un oeil indifférent aux efforts et aux budgets déployés pour sortir des sables millénaires des morceaux d’une mémoire qu’elle ne reconnaît plus dans son quotidien. L’Égypte, énigme culturelle et enjeu stratégique Et pourtant, la plupart de sa gloire, elle la tient du passé, du passé originel de la civilisation humaine. Avant le crépuscule du XXe siècle, la passion pour l’art égyptien est très présente en Occident depuis le début de l’ère chrétienne. À travers la médiation italienne, romaine plus particulièrement, les arts décoratifs mettent en scène sphinx, pyramide et sculptures monumentales. Les cartouches de hiéroglyphes ornent les fonds d’assiette ou de plats. Après un long silence, au XVIIIe siècle, les découvertes opérées lors des premières fouilles archéologiques en Italie (chantier de la villa Hadrien, à Tivoli) ont pour effet de lancer l’égyptophilie en Italie, en France, en Angleterre et en Allemagne. De là, cette égyptophilie se transforme en égyptomanie. L’Égypte intrigue et fait figure de Mère de l’histoire. À sa grande surprise, l’Égypte va se trouver plongée dans les rivalités européennes, plus particulièrement anglo-françaises, à la fin du XVIIIe siècle. Alors que depuis 1792, les Français et les Anglais se livrent un combat sans merci sur terre et sur mer, l’évolution des campagnes militaires au profit de la France sur le continent ainsi que les rapports de force dans la France révolutionnaire conduisent les dirigeants du Directoire à envisager une campagne militaire inédite dans l’histoire récente : la conquête de l’Orient afin de contrarier la domination anglaise sur le monde. Inédite quant à l’objectif. En effet, sous l’Ancien Régime, depuis François Ier, la politique diplomatique française s’appuyait avant tout dans cette région du monde sur les Ottomans pour renforcer la menace que ceux-ci faisaient planer sur la maison d’Autriche. Désormais, il faut aller défier l’Ottoman pour affaiblir l’Anglais. Le grand contournement est à l’ordre du jour. Inédite est également la nature de la campagne. Elle sera militaire, donc guerrière, mais aussi fille des Lumières. Car les dizaines de milliers de soldats envoyés par-delà les mers sont accompagnés de plusieurs centaines de downloadModeText.vue.download 232 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 231 civils, artistes, astronomes, mathématiciens, biologistes, naturalistes, etc. En effet, Napoléon Bonaparte, général de son état, mais également fils de la Révolution, dans le droit-fil des Lumières, veut apporter la science et la modernité au monde. Il emmène avec lui Lagrange, Larrey, Arago, Vivant Denon, Geoffroy Saint-Hilaire. Au-delà de la conquête militaire, l’Orient est invité à emprunter la voie de la modernité et du progrès. La conquête de l’Égypte La campagne est organisée dans le plus grand secret pour éviter que la flotte anglaise, maîtresse de la Méditerranée, n’ait vent du projet. Aux premiers jours du printemps 1798, les flottilles sont rassemblées à Toulon, Gênes, Civitavecchia et Ajaccio. Le 19 mai, le corps expéditionnaire, qui se compose de 15 vaisseaux, 1 corvette, 12 frégates et plusieurs centaines d’unités de transport, embarque 38 000 soldats, 10 000 marins et civils. Après 22 jours de traversée, la flotte cerne l’île de Malte, et la capitale La Valette capitule au bout de quelques heures, le 11 juin. Le 28 juin, enfin, les équipages sont mis dans le secret : l’objectif est la conquête de l’Égypte, puis de l’Orient. Il s’agit d’un grand dessein, d’une aventure hors norme à laquelle l’élite de la République est invitée. Le 2 juillet, Alexandrie est prise malgré la double menace des troupes mamelouks, qui cherchent à rejeter les envahisseurs, et celles de la Royal Navy sous les ordres de l’amiral Horatio Nelson. La geste napoléonienne, mal engagée par une défaite face à la flotte anglaise, le 1er août 1798, à Aboukir-sur-Mer, se poursuivra jusqu’à la victoire de Bonaparte, sur terre cette fois, à Aboukir toujours, le 21 juillet 1799, qui lui assure la voie libre pour poursuivre son destin. Mais il pourrait en conclure que le succès est lié le plus souvent à sa présence et que, tout compte fait, il n’a pas le pied marin. Entre ces deux dates, quasiment onze mois riches en événements jalonnent la conquête du pays : une conquête rapide, bataille des Pyramides, prise du Caire (21 et 23 juillet). La prise de contrôle semble bien partie. D’autant que les administrateurs français veulent transformer la société égyptienne tout en flattant les valeurs musulmanes. Ainsi, le général en chef lui-même se présente comme un admirateur de l’islam. Il affirme aux autorités cairotes : « Je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs (la dynastie des Mamelouks), je respecte plus que les Mamelouks, Dieu, son prophète Mahomet et le glorieux Coran. » Il n’oublie donc pas de se proclamer l’envoyé de Mahomet. Cette entreprise de charme n’a d’effet que pendant quatre mois. Le 21 octobre, Le Caire, à l’appel des oulémas, se soulève. La résistance des Français est opiniâtre, puis les Cairotes, cédant au feu des canons et à l’embrasement de plusieurs quartiers, subissent une répression aveugle. La révolte se solde par la mort de 300 Français et de 3 000 Cairotes. L’ordre définitivement assuré, il est temps pour Bonaparte de mettre en pratique l’objectif défini par l’arrêté du 12 avril 1798 adopté par le Directoire : « Le corps expéditionnaire doit s’emparer de l’Égypte, chasser les Anglais de toutes les possessions de l’Orient où il peut se rendre... ; (il) détruira tous les comptoirs sur la mer Rouge, fera couper l’isthme de Suez et prendra toutes les mesures nécessaires pour assurer la libre et exclusive possession de la mer Rouge à la République française. » Mais ce n’est pas vers Suez que Bonaparte lance son corps expéditionnaire, mais vers la Palestine où le siège de la forteresse de Saint-Jean-d’Acre se transforme en spectacle à la fois horrifiant et dantesque, avant de solder par un échec de taille. Dans la chaleur suffocante, peste et massacres achèvent de transformer l’encerclement de la forteresse croisée en mouroir à Français et à mamelouks. Devant l’étendue de la tragédie, Bonaparte décide la retraite, revient au Caire, reprend les rênes du pouvoir dans la capitale nilotique. Il n’y reste que quelques semaines avant de décider de revenir en France, où il pressent que la situation est mûre pour s’emparer du pouvoir (juillet-août). Il laisse la responsabilité des opérations au général Kléber, qui sera assassiné downloadModeText.vue.download 233 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 232 par un jeune Syrien du nom de Soliman. La direction du corps expéditionnaire est alors attribuée au générai Menou, piètre militaire mais bon administrateur. L’aventure se termine en juin 1801 avec la capitulation de Menou devant les Anglais. Elle a duré deux ans et coûté des milliers de vies humaines, françaises et égyptiennes. Mais, à défaut d’autres aventures, elle a fait rêver, et continue de le faire. Les Anglais veulent faire main basse sur le seul trésor qui reste aux mains des scientifiques français – leurs travaux. Mais, pour qu’ils ne tombent pas à l’ennemi, ceux-ci, Geoffroy Saint-Hilaire en tête, menacent de les détruire. Un certain regard Pour la première fois dans l’histoire, une expédition guerrière appuie un projet scientifique. À la destruction de l’ennemi s’ajoute la volonté de le connaître. Cette ambition inédite s’est inscrite dans des regards différents. Celui, par exemple, d’un artiste comme Dutertre, qui propose la création d’une école de dessin ouverte à tous les Cairotes, ceux des médecins qui souhaitent étudier les moeurs indigènes, les maladies les plus courantes et la pharmacopée utilisée par la population pour en tirer le meilleur parti. Ce regard positif peut être politique et visionnaire comme celui du général Menou, qui espère faire des Égyptiens des Français d’Orient et projette de faire du Caire une capi- tale moderne. Ce dernier n’est pas resté au seul stade des intentions. Fasciné par les splendeurs de l’Orient, il a épousé une Égyptienne et s’est converti à la religion musulmane. Ces regards attentifs ne sauraient toutefois faire oublier ceux qui affichaient mépris ou condescendance. Des sentiments qui étaient partagés par de nombreux membres de l’expédition. Toutefois, en règle générale, tous, qu’ils soient soldats ou savants, ont fait montre d’indifférence pour le présent, mais aussi et surtout ont nourri un fort sentiment d’admiration pour le passé de la vallée du Nil : « Nous sommes au milieu des temples et des palais construits par un des peuples les plus extraordinaires qui aient existé. » La Description de l’Égypte Le rêve égyptien a trouvé sa réalisation dans le projet éditorial le plus ambitieux de l’aube du XIXe siècle : la présentation aux générations contemporaines et futures de tous les aspects d’un pays. En effet, les savants français ont sillonné la basse et la haute Égypte, d’Alexandrie à Assiout, découvrant ou redécouvrant les splendeurs des pharaons. Tombes, temples, stèles (ils sortent des sables la célèbre pierre de Rosette que les Anglais confisquent à Menou), rien ne résiste à leur fougue. En 1802, le Premier consul ordonne la publication des travaux aux frais du gouvernement et au profit des auteurs. Mais le travail d’édition puis de fabrication se révèle colossal. Il faut mettre de l’ordre dans les milliers de notes et de dessins produits sous l’égide de l’Institut d’Égypte. Cette tâche épuise plusieurs savants dont Conté, Lancret et Jomard De retour d’Égypte, l’imprimeur et papetier Conté invente des machines pour réaliser certaines tâches techniques. Deux cents graveurs seront requis, cinq imprimeurs finiront le travail. Vingt ans seront nécessaires pour achever le projet. Le premier volume consacré aux Antiquités est édité en 1809. L’ensemble de l’oeuvre comprend plus de dix volumes de taille inhabituelle. Aussi n’est-on pas surpris que les éditeurs proposent aux souscripteurs d’acquérir un meuble spécialement conçu et décoré à l’égyptienne. Il est vrai que l’ouvrage est souvent constitué de planches aux dimensions impressionnantes (135,4 cm sur 70,4 cm). En tout, plus de 3 000 planches qui sont autant de chefs-d’oeuvre. SERGE COSSERON downloadModeText.vue.download 234 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 233 Viagra Pour beaucoup, l’année 1998 restera celle du Viagra. Qu’on ait eu ou pas recours à ce nouveau médicament de l’impuissance masculine, on ne peut plus ignorer son existence. Mis en vente initialement sur le marché américain, le célébrissime comprimé bleu en forme de losange et aux armes de la multinationale pharmaceutique Pfizer est arrivé à l’automne dans les pays de l’Union européenne. En huit mois les ordonnances de Viagra aux États-Unis avaient dépassé les 6 millions et, à la fin de l’année, 50 pays avaient déjà approuvé. Selon le fabriquant, dès l’an 2000, les hommes du monde entier devraient pouvoir se procurer cette molécule que proposent déjà plusieurs sites sur Internet. Jamais sans doute, dans l’histoire de la médecine et de la pharmacie, un médicament n’avait connu aussi vite une telle notoriété mondiale, bénéficié d’un tel engouement médiatique. De ce point de vue, mais aussi parce qu’il est l’un des premiers à traiter aussi concrètement de la sexualité masculine, le Viagra constitue un phénomène de société sans précédent ; un phénomène d’autant plus intéressant qu’il inaugure, aux yeux des spécialistes, une ère où la pharmacopée se situera aux frontières de la thérapeutique et du confort, voire du plaisir. Au sens strict, le Viagra est une molécule capable, pour la première fois par voie orale, de corriger les insuffisances et les dysfonctionnements de la fonction érectile masculine. C’est, en d’autres termes, un médicament qui ne peut être délivré que sur prescription médicale. En France, tous les titulaires d’un diplôme de docteur en médecine peuvent prescrire le Viagra, qui, contrairement à ce qui fut un moment envisagé, n’est pas réservée aux prescriptions de quelques spécialistes d’urologie, de psychiatrie ou de sexologie. D’autre part, contrairement à certaines rumeurs initialement distillées, le Viagra n’est pas pris en charge par la collectivité, Pfizer ne souhaitant pas un remboursement de son produit par les caisses de sécurité sociale. Cette stratégie peut apparaître paradoxale et incohérente dans la mesure où la firme ne cesse de rappeler que le Viagra est un médicament permettant de traiter une pathologie fréquente et en aucun cas un aphrodisiaque pouvant être utilisé par des hommes en quête de nouveaux plaisirs. Pourtant, en prenant une telle décision, la firme fait l’économie des discussions avec le gouvernement concernant la fixation du prix. Elle a aussi, dans le même temps, prévenu tout risque de restriction des prescriptions à certaines spécialités médicales. Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, a, pour sa part, chiffré « entre 200 et 300 millions de francs » le coût des éventuelles « 500 000 visites supplémentaires » chez le généraliste, « dès cette année », liées à la prescription du Viagra. « Si ça devient un problème d’amélioration de la performance, je ne suis pas sûre que notre société y gagne », estime Mme Aubry. Tout en reconnaissant que le Viagra peut apporter « un soutien » à des personnes qui ont des difficultés, elle souligne que les rapports hommesfemmes « doivent passer par autre chose que de la chimie ». En fait, la prescription de Viagra doit répondre à une série de critères médicaux et impose une série de précautions, faute de quoi des accidents graves, parfois mortels, peuvent survenir. En pratique, la prescription de Viagra devrait imposer une véritable consultation médicale qui ne saurait se borner à la description par le patient des symptômes de dysfonctions sexuelles dont il souffre et au respect des contre-indications (cardio-vasculaires, notamment, compte tenu des risques d’hypotension artérielle) du médicament. L’impact de la prise de Viagra sur l’équilibre du couple ne devrait downloadModeText.vue.download 235 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 234 pas être ignoré, pas plus que celui du possible échec de ce traitement. Les effets secondaires indésirables sont des maux de tête, une modification de la perception de certaines couleurs comme le bleu, des courbatures, des rougeurs ou des troubles digestifs. Les autorités sanitaires américaines ont d’autre part récemment dessiné, au vu de l’ensemble des accidents recensés, le portrait-robot de l’homme pouvant mourir du Viagra. Il s’agit d’un homme entre quarante-huit et quatre-vingts ans, souffrant déjà, depuis quelques années, de diverses affections, souvent de nature cardio-vasculaire, pour lesquelles il est amené à consommer régulièrement un ou plusieurs médicaments. Il souffre aussi de troubles de la fonction érectile et souhaite pouvoir retrouver des relations sexuelles normales. Compte tenu des volumineuses prescriptions et consommations de Viagra en différents points du monde, tout indique que le nombre des victimes va aller en augmentant. Jusqu’où ? La multinationale pharmaceutique Pfizer n’entend pas élargir le nombre des contre-indications à la consommation de son Viagra. Elle estime, soutenue en cela par les autorités sanitaires américaines, que les seules précautions d’emploi portent sur l’administration concomitante de produits médicamenteux nitrés. L’une des difficultés réside ici dans le fait que ces mêmes produits peuvent être administrés aux hommes souffrant d’accidents cardiaques, les services d’urgence pouvant, quant à eux, ne pas savoir si ces patients sont ou non « sous Viagra ». Aux États-Unis, on s’organise pour faire face à de telles urgences et des numéros téléphoniques gratuits, un site Internet (www.viagra.com) se mettent en place. Simple médicament ou véritable aphrodisiaque ? Viagra (ou sildenafil, sa dénomination chimique) peut-il avoir un effet – et si oui, lequel ? – chez les hommes qui ne souffrent pas d’une forme plus ou moins marquée d’impuissance ? Rien, en l’état actuel des recherches officiellement conduites, ne permet de répondre à cette question qui est pourtant bel et bien au centre de l’effet médiatique déclenché par la commercialisation de cette molécule. Si l’on excepte en effet les quelques travaux initiaux conduits sur de très petits groupes de volontaires sains (travaux indispensables à la mise sur le marché d’un médicament), aucun travail n’a été conduit sur ce thème. « Et il ne faut pas compter sur nous pour lancer de telles recherches, confie-t-on chez Pfizer. Le Viagra est un médicament, rien d’autre ! » Un médicament qui concerne au minimum – si l’on en croit l’épidémiologie de la dysfonction érectile (définie comme « l’incapacité pour un homme d’avoir ou de maintenir une érection suffisante pour permettre la réalisation d’un acte sexuel considéré par le patient comme satisfaisant ») – environ 5 % des nommes de 40 ans et de 15 à 25 % des hommes de plus de 65 ans. Le très rigoureux mensuel Prescrire (indépendant de l’industrie pharmaceutique) a dressé un bilan extrêmement élogieux du Viagra dont il dit qu’il fournit « une aide importante » dans le traitement des troubles de l’érection, que ces troubles soient d’origine psychogène ou organique. Selon Prescrire, l’analyse exhaustive des publications médicales laisse penser que cette molécule « permet à 80 ou 90 % des patients d’avoir une érection permettant une relation sexuelle ». Toutefois, un rapport sexuel considéré comme « satisfaisant » par les investigateurs dans les essais n’est possible en moyenne qu’une fois sur deux, ajoute le mensuel. Cette molécule n’agit pas sur le désir sexuel. Elle n’a pas été étudiée chez l’homme sans trouble de l’érection. D’une manière générale, les spécialistes estiment que ce médicament peut constituer « un premier recours qui permet de dédramatiser la situation pathologique et d’éviter que la succession de tentatives de rapports sexuels infructueuses ne crée un véritable cercle vicieux ». Une autre perspective thérapeutique, actuellement à l’étude, concerne l’utilisation du Viagra chez la femme souffrant de dysfonctions sexuelles. Bien que les bases physiopathologiques de ces dysfonctions ne soient pas downloadModeText.vue.download 236 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 235 toujours très bien établies, et en dépit des difficultés rencontrées dans l’évaluation de l’effet de cette molécule chez la femme, les responsables de Pfizer ont décidé de lancer une première étude chez 500 volontaires vivant dans différents pays européens, dont la France. Les résultats n’en sont pas encore connus. Mais l’histoire du Viagra, en 1998, c’est aussi une formidable publicité gracieusement offerte par les médias du monde entier à une firme qui, dans le même temps, engrange de formidables bénéfices ; une firme qui ne peut d’ailleurs pas elle-même vanter les mérites de son produit par voie publicitaire. Médicament vendu sur prescription, le Viagra n’a pas droit de cité dans les spots télévisés ou dans les campagnes publicitaires de la presse grand public. Pour autant, il a amplement trouvé sa place. « Depuis avril, date de la mise en vente aux ÉtatsUnis, nous avons recensé en France plus de 2 500 coupures de presse, reportages TV ou radio. Ce n’est pas un press-book, c’est une armoire. Pensez ! Une moyenne de quatorze articles ou reportages audiovisuels par jour ! », se réjouit le responsable de la communication chez Pfizer France, dont les autres spécialités (médicaments antihypertenseurs, antidépresseurs, etc.) ne sont guère connues du grand public. Si l’on a regretté certains excès médiatiques (ceux notamment qui présentaient le Viagra comme la « pilule du septième ciel »), on observe chez Pfizer que le message de la médicalisation des troubles de l’érection a fini par faire son chemin et le Viagra apparaît désormais davantage comme un médicament que comme un aphrodisiaque. Pour sa part, la firme n’a pas craint d’investir dans le champ de la formation des médecins et des « relais d’opinion ». Des mailings ont été systématiquement effectués auprès de 120 000 médecins et de 23 000 pharmaciens. Elle est allée jusqu’à inviter, pour un « séminaire d’information » organisé à Montpellier, une cinquantaine de journalistes de la presse grand public, qui, à cette occasion, ont écouté l’un des découvreurs britanniques de la molécule associé du philosophe André Comte-Sponville. Côté profit, les ventes mondiales de Viagra devraient franchir aisément la barre du milliard de dollars par an, une fourchette jugée raisonnable » les situant entre 2,5 et 4 milliards de dollars/an lorsque les prescriptions auront atteint leur « rythme de croisière ». Un expert américain a été jusqu’à évoquer l’hypothèse audacieuse d’une « explosion » démesurée du chiffre d’affaires à 20 milliards de dollars par an, dans le cas où les jeunes de moins de 40 ans et les femmes deviendraient consommateurs. Des perspectives qui ont conduit un moment les ouvriers travaillant sur le site français de Pfizer de Pocé-sur-Cisse, en Indre-et-Loire (là où le Viagra est fabriqué pour l’ensemble de l’Europe), à faire grève pour obtenir quelques augmentations de salaire. Cette brève manifestation coïncidant avec la commercialisation du Viagra dans l’Hexagone, ils devraient rapide- ment être exaucés. JEAN-YVES NAU downloadModeText.vue.download 237 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 236 Les phéromones Les phéromones, molécules chimiques odorantes émises par diverses parties du corps, règnent en maîtresses sur la communication animale. Connues, ou du moins soupçonnées, depuis les années 1950, authentifiées avec certitude chez les insectes et les mammifères depuis une quinzaine d’années, elles régissent de près ou de loin tous les aspects majeurs du comportement animal – à commencer par leur sexualité. L’homme et la femme échappent-ils à cette commande olfactive ? On découvre aujourd’hui que les êtres humains produisent, eux aussi, des phéromones, et que celles-ci agissent à leur insu sur leur comportement sexuel. Mieux identifiées, elles pourraient aider à combattre certains cas de stérilité, ou, au contraire, fournir de nouveaux moyens de contraception. En déposant son urine tout au long de ses frontières, le lion marque son territoire. Pour faire de même, l’ours utilise sa salive, l’antilope, une glande située près de l’oeil, et le koala, les glandes sébacées de sa peau. Dans tous ces cas, les substances qui servent au marquage sont des molécules chimiques odorantes, qui servent aux individus d’une même espèce à se reconnaître entre eux. Réunies sous le terme générique de « phéromones », ces molécules jouent un rôle social essentiel dans le règne animal. Elles interviennent dans le repérage des proies et des prédateurs, facilitent chez le rat la reconnaissance entre la mère et l’enfant, et vont jusqu’à permettre, chez les espèces les plus grégaires, l’identification de clans. Enfin et surtout, elles régissent, sous pratiquement tous ses aspects, la vie sexuelle de la plupart des groupes animaux. Sur la piste des phéromones L’intervention de substances odorantes dans les jeux amoureux des insectes était soupçonnée depuis la fin du siècle dernier, mais il fallut attendre les années 1950 pour qu’elle soit confirmée. Afin d’identifier chimiquement l’odeur des femelles de papillons, Adolf Butenandt (prix Nobel de chimie 1939 pour ses travaux sur les hormones sexuelles) choisit le ver à soie Bombyx mori, espèce chez laquelle la femelle attire le mâle à très grande distance. Après plusieurs années de travaux et l’utilisation de 500 000 femelles, le chercheur parvint à ses fins en 1959, et annonça la découverte d’un alcool qu’il nomma « bombykol ». Une phéromone venait d’être identifiée : la première d’une longue liste, qui, aujourd’hui encore, est loin d’être close. Les animaux chez lesquels ces substances sont les mieux connues restent sans contexte les insectes. Faciles à élever en grandes quantités, ces derniers les produisent par le biais de glandes spécialisées, qu’il suffit de disséquer pour en analyser le contenu. Utilisées comme appâts dans des pièges à insectes, les phéromones peuvent être judicieusement mises à contribution pour lutter contre les ravageurs de cultures. Depuis les années 1970, époque à laquelle l’opinion publique commence à s’inquiéter de l’emploi massif des pesticides, des dizaines et des dizaines d’espèces de lépidoptères et de coléoptères ont ainsi été passés au crible de la chimie analytique. Et plusieurs sociétés commercialisent désormais certaines de leurs molécules odorantes, accompagnées du matériel nécessaire à leur diffusion. Au-delà de leur intérêt dans la lutte biologique, l’implication des phéromones dans la vie sexuelle des insectes constitue l’un des domaines les plus fascinants, parce que des plus universels, de la biologie comportementale. Chez la plupart des espèces, des signaux chimiques spécifiques, perçus à faible distance ou par contact, indiquent au mâle qu’il est bien en présence d’une femelle de son espèce. Certaines fedownloadModeText.vue.download 238 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 237 melles ont également recours à l’olfaction pour opérer une forme de sélection sexuelle, et pour choisir leur partenaire en fonction de son statut ou de sa conformité à la norme. Chez la mouche drosophile, et contrairement aux mâles qui ne sont guère regardants, les femelles discriminent ainsi très précisément leurs prétendants. S’ils présentent le moindre handicap, ils n’ont aucune chance. Pour quelques atomes de plus Les phéromones sexuelles de la mouche Drosophila melanogaster, insecte vedette des généticiens, sont des hydrocarbures. Mâles et femelles en produisent environ quinze types différents, qu’ils portent sur leur cuticule. Les mâles fabriquent deux hydrocarbures majoritaires, qui contiennent respectivement 23 et 25 atomes de carbone. Leur rôle est de stimuler leur partenaire femelle, et, surtout, d’inhiber les ardeurs homosexuelles de leurs alter ego. Les principaux hydrocarbures des femelles présentent une structure très similaire à celle des hydrocarbures des mâles, mais comportent 27 et 29 atomes de carbone. Quelques atomes supplémentaires qui font toute la différence, puisque ces deux composés suffisent, à eux seuls, à déclencher l’excitation du mâle et à induire une vibration prolongée de ses ailes. Particulièrement efficace, l’action de ces phéromones femelles est sans doute potentialisée par d’autres hydrocarbures cuticulaires, présents en faibles quantités dans le bouquet « phéromonal ». L’« effet mâle » À force d’étudier les phéromones des insectes, les chercheurs commencèrent à soupçonner qu’elles jouaient aussi un rôle dans la communication des vertébrés. « Au congrès international de Physiologie de Paris, en juillet 1977, fut présentée la première étude sur le rôle de l’olfaction dans l’attraction sexuelle des mammifères », précise le biologiste Rémy Brossut, directeur de recherche au CNRS. « Pour la première fois enfin, l’étude de la communication chimique chez les mammifères était reconnue comme un enjeu de recherche scientifique. » Un enjeu dont l’intérêt n’a depuis lors cessé de croître, tant pour les éthologues et les éleveurs que pour ceux qui tentent de mieux comprendre le fonctionnement de ce mammifère très spécial qu’est l’homme. Chez le mouton, la vache ou le porc, comme chez les animaux sauvages, l’olfaction joue un rôle essentiel au moment de la reproduction. Influer sur l’action des phéromones peut donc avoir des résultats concrets sur les techniques d’élevage. Ainsi que l’ont montré des chercheurs de l’Institut national pour la recherche agronomique (INRA), l’introduction d’un mâle dans un groupe de brebis isolées et non réceptives provoque l’oestrus dans un délai de trois semaines. Un tel « effet mâle » existe également chez les bovins, et serait déclenché par l’urine de taureau. Chez les truies élevées en bandes, la synchronisation des cycles de reproduction se fait spontanément, mais quelques verrats sont en général « mis en réserve » pour accélérer l’oestrus chez les femelles échappant à la synchronisation. Et dans notre propre espèce ? « L’anatomie et la physiologie ont montré que, mis à part l’extraordinaire développement de son cortex cérébral, l’homme est un mammifère somme toute assez ordinaire, mais qui répugne à se considérer comme tel dès qu’il s’agit de son comportement », rappelle Rémy Brossut. De fait, les phéromones humaines existent. Plusieurs études récentes ont même montré qu’elles participaient sans doute activement à notre vie sexuelle. Et qu’elles pouvaient notamment induire, chez la femme, la synchronisation des cycles menstruels. Longtemps, les anatomistes déclarèrent la chose impossible. À l’appui de leur conviction : l’espèce humaine serait dépourvue d’« organe voméronasal » (OVN), sorte de nez invisible dont se servent les mammifères pour capter ces odeurs si particulières. Tapi dans une cavité située en avant de la muqueuse olfacdownloadModeText.vue.download 239 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 238 tive, ce petit organe détecte des parfums que le « nez pensant » ne soupçonne pas, parmi lesquels les phéromones. Là se situait, disaiton, la limite olfactive de notre espèce : certes, l’embryon humain possédait un semblant d’OVN, mais celui-ci disparaissait bien avant la naissance. Après quoi il ne restait rien, ni à l’homme ni à la femme, pour capter subrepticement les effluves d’autrui. Tout change il y a une dizaine d’années, lorsque David Berliner, anatomiste américain convaincu de l’existence des phéromones humaines, persuade une poignée de collègues de repartir sur la piste de l’OVN. Et ils le trouvent ! Niché sous l’arête du nez, le minuscule organe possède des cellules olfactives semblables à celles qui détectent les phéromones chez les rongeurs. Mieux encore : confrontées à de la sueur humaine, ces cellules réagissent et émettent des signaux électriques. La découverte est suffisamment probante pour relancer l’intérêt pour les phéromones sexuelles humaines. Et pour que soit étudiée de plus près la synchronisation des cycles menstruels chez la femme, phénomène connu de longue date mais inexpliqué jusqu’alors. Qu’elles proviennent des pensionnats de jeunes filles, de casernes ou des campus américains, toutes les données, en effet, convergent pour montrer une tendance à la synchronisation des cycles dans les groupes de femmes vivant ou travaillant ensemble. Le phénomène est d’autant plus net que le temps passé en commun est long, alors que les liens affectifs (mère-fille, couples d’homosexuelles) ont en revanche peu d’incidence. Autant d’éléments qui militent en faveur d’une influence chimique, inconsciemment perçue par ce « nez sexuel » qu’est l’OVN. Une étrange expérience Dans ce domaine, une étude particulièrement convaincante a été récemment effectuée, à l’université de Chicago, par une équipe de psychologues. Publiée dans la revue scientifique Nature, leur expérience n’a, à vue de nez, rien de très exaltant. Tous les jours, quatre mois durant, des carrés de coton, imprégnés de la transpiration prélevée sous l’aisselle de neuf femmes, ont été frottés au-dessus de la lèvre supérieure de vingt autres femmes, réparties en deux groupes distincts. Le premier groupe respirait la sueur de femmes alors dans la première phase de leur cycle menstruel (folliculaire), le second groupe celle de femmes étant dans la seconde phase (ovulatoire). Toutes ces « renifleuses », il est important de le préciser, ayant la sensation de n’humer qu’une seule odeur : celle de l’alcool dans lequel les concentrés de sueur étaient dissous. Résultat : les femmes appartenant au premier groupe ont présenté une accélération de leur production d’hormone lutéinisante (LH), et ont donc vu leur cycle menstruel raccourcir. Les femmes du second groupe, au contraire, ont produit cette hormone avec retard et présenté un cycle plus long. Pour la première fois, une étude scientifique montre ainsi que la période de l’ovulation peut être manipulée, de façon reproductible, par la détection de sécrétions humaines dont le nez n’a pas conscience – autrement dit par des phéromones. Rien n’interdit dès lors de penser que ces substances, une fois identifiées avec précision, pourront être employées pour lutter contre certains cas de stérilité, ou, au contraire, à des fins contraceptives. Et, pourquoi pas, pour inventer une nouvelle chimie de l’amour. CATHERINE VINCENT, JOURNALISTE AU Monde Bibliographie Rémy Brossut, Phéromones, la communication chimique chez les animaux, collection « Croisée des sciences », Belin/CNRS.1996. downloadModeText.vue.download 240 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 239 Le clonage humain Annoncée en février 1997, la naissance de Dolly, premier mammifère cloné à partir d’une cellule adulte, provoqua une onde de choc planétaire. Chefs d’État, Vatican, comités d’éthique, les voix les plus diverses s’élevèrent pour empêcher que cette pratique ne soit appliquée à l’homme. Moins de deux ans plus tard, le ton avait singulièrement changé, et on commençait à envisager, moyennant surveillance, le recours ponctuel au clonage humain. Même si le taux de réussite de cette technique reste extrêmement bas, la reproduction à l’identique d’êtres humains, pratiquée au cas par cas et au prix fort, est bel et bien imaginable. Les objectifs de ceux qui estiment raisonnable de franchir ce « point de non-retour » sont de deux ordres : constituer des banques d’organes compatibles avec leurs receveurs et pallier certaines formes de stérilité. Dans les semaines qui suivirent l’annonce de la naissance de Dolly, une gigantesque controverse se déclencha sur la légitimité de cette technique, qui menait tout droit aux fantasmes les plus inquiétants qu’ait jamais contés la science-fiction : le clonage d’êtres humains ; l’enfant terrible de la science était à portée d’éprouvette, il fallait à tout prix en interdire l’application à l’homme. Dans une résolution votée le 12 mars 1997, le Parlement européen affirmait ainsi : « Le clonage des êtres humains, que ce soit à des fins expérimentales (traitement de la stérilité, diagnostic avant implantation, transplantation de tissus) ou à toute autre fin, ne saurait, en aucune circonstance, être justifié ou toléré par une société humaine. » Le 22 avril, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE, France) se prononçait à son tour : le clonage humain « ne peut susciter qu’une condamnation éthique véhémente, catégorique et définitive. Une telle pratique, mettant en cause de manière générale l’autonomie et la dignité de la personne, constituerait une grave involution morale dans l’histoire de la civilisation ». En juin, les membres de la Commission consultative américaine sur la bioéthique (NBAC) concluaient quant à eux : « Pour l’instant, il est moralement inacceptable pour quiconque, dans le secteur public comme privé, aussi bien dans la recherche que dans les applications médicales, de tenter de créer un enfant par clonage. » Le 11 novembre 1997, enfin, l’UNESCO adoptait en séance plénière une Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme, dans laquelle était stipulé que « des pratiques qui sont contraires à la dignité humaine, telles que le clonage à des fins de reproduction d’êtres humains, ne doivent pas être permises ». Seul le « pour l’instant » de la NBAC sonnait alors, dans ce concert de protestations, comme un léger bémol. De Dolly... Un an plus tard, le climat a singulièrement changé. Certes, le consensus moral conduisant à la proscription du clonage humain n’a pas disparu. Mais les brèches sont déjà là. Les textes rédigés par les divers conseils et comités n’ont pas force contraignante, à l’exception d’un protocole voté par le Conseil de l’Europe en janvier 1998 et signé par dix-neuf pays, qui prévoit des sanctions pour les contrevenants à l’interdiction du clonage humain. Outre-Atlantique, seul l’État de Californie a pris des disposi- tions légales visant à prohiber cette technique. Et un nombre croissant de voix autorisées, émanant pour la plupart des États-Unis et de la Grande-Bretagne (ainsi que du Canada et d’Israël), commencent à suggérer de laisser la downloadModeText.vue.download 241 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 240 porte ouverte, moyennant surveillance, à l’utilisation du clonage humain. Pour saisir pleinement l’enjeu d’une telle perspective, revenons tout d’abord à Dolly. Comment, exactement, a été conçue la brebis vedette du Roslin Institute ? Non pas par le clonage d’une cellule provenant d’un embryon, ni même d’un foetus, mais par celui d’une cellule adulte. Pour être plus précis : une cellule mammaire prélevée sur une brebis vieille de six ans, qui, de fait, est ainsi devenue à la fois la soeur jumelle, la mère et le père biologique de la petite agnelle. Aucune fécondation n’a ici été nécessaire : l’embryon fut créé par une simple fusion (aidée par un choc électrique) du noyau de cette cellule adulte avec l’ovule énuclée d’une autre brebis. L’agnelle qui naquit de cette manipulation hors du commun se portait apparemment très bien. Allait-il en être de même de la brebis qu’elle allait devenir ? À la fin de 1997. Dolly le clone eut l’âge de procréer. Nouveau suspense : pour confirmer le succès de leur expérience, les chercheurs devaient s’assurer que l’animal était capable de mener une gestation à son terme... L’objectif fut atteint au printemps 1998, durant lequel Dolly mit au monde un petit agneau en parfaite santé. Et conçu, cette fois, par les méthodes naturelles... La preuve en est donc faite : le premier mammifère clone à partir d’une cellule prélevée sur un organisme adulte ne présente apparemment aucune anomalie. Qu’en serait-il chez l’homme ? Bien que fermement opposé au clonage de notre propre espèce, Ian Wilmut lui-même, le « père » de Dolly au Roslin Institute, a toujours été catégorique : « Techniquement, rien ne s’oppose à ce que la méthode par laquelle est née Dolly soit appliquée aux êtres humains. » En annonçant, en juillet 1998, avoir réussi à cloner des lignées de souris à partir de cellules adultes, une équipe américaine a confirmé que cette performance pourrait sans doute, dans un avenir proche, être reproduite sur un nombre croissant de mammifères. Et donc sur l’homme. Les chercheurs oseront-ils franchir le pas ? Malgré les recommandations des comités d’éthique, tout incline à le laisser penser. Dans une certaine mesure, certains l’ont d’ailleurs déjà fait. En 1993, en effet, des ébauches de clones humains avaient été produites dans un laboratoire américain. Mais il s’agissait alors d’une forme rudimentaire de clonage, dite « par clivage embryonnaire », déjà utilisée depuis plusieurs années chez les bovins. Les chercheurs de l’université George-Washington, qui l’ont reproduite chez l’homme, ont procédé en trois étapes. Après avoir coupé en plusieurs éléments un embryon obtenu par fécondation in vitro, ils sont parvenus à faire redémarrer le développement embryonnaire de chacun de ces éléments grâce à un milieu de culture adéquat. Réimplantés dans un utérus maternel, certains de ces embryons reconstitués auraient peut-être poursuivi leur croissance. Les chercheurs ne leur en laissèrent toutefois pas l’occasion, préférant les détruire une fois leur expérience terminée. ... au « Meilleur des mondes » Si le clonage par clivage embryonnaire soulève déjà nombre de questions (quelques semaines après l’annonce de cette performance scientifique, un sondage réalisé par Time et CNN révélait que 77 % des Américains étaient hostiles au clonage humain), la possibilité de cloner un être humain à partir d’une cellule adulte ouvre une perspective autrement vertigineuse : celle de se dupliquer à volonté, en dehors du processus naturel de la reproduction sexuée. D’où l’intense choc émotionnel, plus fort encore qu’en 1993, qui suivit l’annonce de la naissance de la petite agnelle. « Dolly est l’affaire de l’année, voire de la décennie, peut-être même du siècle. Son existence suggère que nous pouvons contrôler le destin biologique des humains », écrivait alors le Washington Post. « Peut-être qu’au fond de nos angoisses morales sommeille une déception. Nous serions déçus qu’un individu puisse si facilement en downloadModeText.vue.download 242 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 241 engendrer un second. Déçus qu’il y ait si peu de résistance quand la technique et l’économie font fi de la singularité des êtres vivants [...] Copernic a chassé l’homme du coeur de l’univers, et Darwin, du sein de la nature. La procréatique s’apprête à expulser l’homme de lui-même », renchérissait le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Et à le transformer tout à la fois en Frankenstein, Faust et Prométhée. « Si nous sommes hantes par toutes ces références mythologiques, mythiques ou de sciencefiction, ce n’est pas par hasard. Nous sommes très probablement à proximité du point de non-retour », estime le généticien français Axel Kahn. Le « Meilleur des mondes » est-il pour autant en passe d’être réalisable ? Dans le Centre d’incubation et de conditionnement imaginé par Aldous Huxley, il ne serait plus alors nécessaire de plonger les ovules dans un « bouillon chaud de spermatozoïdes », ni de recourir à la « bokanovskification » pour que les embryons issus de cette cuisine deviennent des clones humains identiques. Il suffirait de fusionner avec un ovule énucléé n’importe quelle cellule prélevée sur n’importe quel membre de la caste adéquate, Gamma, Delta ou Epsilon, puis de faire se développer l’embryon dans une mère porteuse. À un détail près, mais il est de taille : les chercheurs du Roslin Institute ont dû effectuer 277 tentatives pour obtenir une seule Dolly. Et si plusieurs laboratoires ont depuis lors reproduit l’expérience (sur des ovins comme sur des bovins), leur taux de réussite est toujours resté extrêmement bas. De plus, on ne sait toujours pas faire pousser un embryon de mammifère en dehors d’un utérus maternel. Sauf à trouver des centaines de mères porteuses, on voit mal comment le clonage humain, dans un futur proche, pourrait être appliqué à grande échelle. Mais les progrès de la science sont parfois imprévisibles. Et le clonage d’êtres humains pratiqué au cas par cas, quels que soient les moyens nécessaires, est bel et bien imaginable dès maintenant. L’éternité pour 200 000 dollars Ni savant fou ni centre de recherche biomédical : la première institution à s’être officiellement lancée dans la course au clonage humain est la secte Raël, ou Mouvement raélien international Fondée par l’ex-journaliste français Claude Vorilhon, elle compterait entre 20 et 30 000 fidèles dans le monde. Convaincus de la pluralité des mondes habités et de l’existence des « Elohim » (« Ceux qui sont venus du ciel »), les raéliens rêvent d’égaler les prouesses techniques de ces extraterrestres, notamment celle qui consiste à pouvoir vivre plusieurs centaines d’années. Le transfert de la personnalité dans un nouveau corps via le clonage serait, selon eux, un premier pas vers cette « recréation », qui pourrait, à terme, permettre à l’humanité d’accéder à la vie éternelle. La secte a dans ce but fondé une société de services, nommée Clonaid dont le siège social est situé aux Bahamas. Moyennant la somme de 200 000 dollars (plus d’un million de francs), elle offre « l’assistance aux parents potentiels désirant avoir un enfant qui serait le clone de l’un d’eux ». Clonaid espère servir plus d’un million de clients dans le monde. Un point de non-retour ? Quels sont donc les objectifs de ceux qui estiment envisageable de franchir ce « point de non-retour » ? Les plus sérieux d’entre eux sont de deux ordres : constituer des banques d’organes parfaitement compatibles avec leurs receveurs, et pallier certaines formes de stérilité. La première approche, dite « clonage thérapeutique », est de loin celle qui rallie le plus de suffrages dans le monde biomédical. Il s’agirait non pas de dupliquer un être humain, mais d’obtenir par clonage un embryon dont les cellules, voire les organes, seraient immunologiquement parfaitement compatibles avec ceux du donneur d’origine. Au plan thérapeutique, les applications d’un tel procédé sont loin d’être négligeables. Elles permettraient, par exemple, de greffer de nouveaux neurones downloadModeText.vue.download 243 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 242 à un sujet atteint de la maladie de Parkinson, ou encore de régénérer la moelle osseuse d’un patient leucémique. Quel que soit l’organe considéré, l’obstacle majeur au succès des transplantations reste en effet l’immunocompatibilité du donneur et du receveur. Certes, les traitements immunosuppresseurs mis au point ces dernières décennies ont permis, dans ce domaine, d’enregistrer des progrès considérables. Mais le moyen le plus sûr d’éviter tout rejet de greffe continue d’être la transplantation de tissus et d’organes génétiquement identiques à ceux de son propre organisme. Une compatibilité parfaite qui n’est à l’heure actuelle réalisée qu’entre vrais jumeaux (monozygotes), mais que le clonage humain permettrait de généraliser. À petite échelle, et sans passer par le stade embryonnaire, ce clonage « non reproductif » est déjà mis en oeuvre. Depuis une quinzaine d’années, la culture in vitro de cellules de peau, prélevées sur l’épiderme de grands brûlés juste après leur accident, permet ainsi à ces écorchés vifs de retrouver une enveloppe cutanée viable et définitive, sans que le moindre rejet immunologique survienne lors de ces autogreffes. D’où l’idée, rendue possible par l’existence de Dolly, et défendue par certains : produire, à partir d’une cellule adulte de n’importe quel individu, un embryon qui lui soit génétiquement identique ; cultiver cet embryon in vitro et obtenir en culture la différenciation de ses cellules en différents types (neu-ronal, hépatique, pancréatique). Une performance qui reste à ce jour irréalisable sur les cellules humaines, mais qui est déjà mise en oeuvre chez la souris. Celle-ci possède en effet des cellules particulières, dites ES (embryonic stem cells), qui peuvent, moyennant des conditions de culture adéquates, adopter n’importe quel type de différenciation. De telles populations cellulaires pourrontelles être obtenues chez l’homme, comme certains travaux scientifiques préliminaires le laissent aujourd’hui penser ? Plus fascinant encore : pourra-t-on, dans un proche avenir, fabriquer de véritables organes en culture, coeur, foie ou poumon ? Les avancées en matière d’embryogenèse sont telles que rien, scientifiquement, n’interdit de le penser. Seraient ainsi résolus, tout à la fois, les problèmes de compatibilité entre donneurs et receveurs, et le gigantesque déficit d’organes dont souffrent les hôpitaux du monde entier. Mais, si prometteuse soit-elle pour la médecine, cette perspective n’en pose pas moins un redoutable problème éthique. Quel serait, en effet, le statut de l’embryon humain promis à une telle destinée ? Peut-on considérer celui-ci comme un objet, uniquement dévolu à un usage médical ? Pour Axel Kahn, ce simple fait est suffisamment grave pour justifier que l’on renonce à une telle démarche, qui aboutirait à « une instrumentalisation pure et simple de la personne humaine, et même de son projet qu’est l’embryon ». Autre argument avancé par les défenseurs du clonage humain : cette technique offrirait un ultime recours aux couples atteints des formes de stérilité les plus sévères. À première vue, rien que de très logique à cela. Vingt ans après la naissance en Grande-Bretagne de Louise Brown, le premier bébé-éprouvette, la capacité d’agir sur la reproduction humaine ne cesse d’augmenter. Pourquoi pas, dès lors, y adjoindre les possibilités offertes par cette nouvelle technique ? On aurait tort, toutefois, de considérer le clonage comme une nouvelle étape dans la longue liste des progrès de la procréation médicalement assistée. À la différence de l’insémination artificielle, de la fécondation in vitro, de la congélation de cellules sexuelles ou d’embryons humains, il s’agit ici, pour la première fois, de s’affranchir totalement de la reproduction sexuée. Autrement dit de décider du capital génétique qui sera donné au futur être humain ainsi conçu. Même si l’ensemble des potentialités d’un individu ne se résument pas, loin s’en faut, à l’ensemble de ses gènes, le recours à la technique du clonage en tant que moyen de reproduction humaine serait, pour Axel Kahn, « un crime contre la dignité de l’homme ». « Dans les downloadModeText.vue.download 244 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 243 contes de fées, il y a souvent un méchant magicien qui transforme le héros, par exemple le prince charmant, en crapaud. Quand bien même ce magicien n’a pas d’emprise sur le fond, sur la personnalité, sur l’esprit, son pouvoir est considérable. Celui qui a la maîtrise de la forme assujettit celui qui est maîtrisé », précise-t-il. Le professeur américain Lee Silver (université de Princeton), quant à lui, est favorable au clonage humain pour résoudre certains cas de stérilité. Mais il dénonce un autre danger : celui de voir le clonage associé au génie génétique, cette technique redoutablement puissante qui permet désormais de « bricoler » à sa guise n’importe quel patrimoine héréditaire. « Avec le génie génétique, les riches pourront offrir à leurs enfants des avantages génétiques, tandis que les pauvres ne pourront pas avoir accès à cette technologie, prévient-il. Ces deux classes sociales pourraient ainsi se transformer en deux classes génétiques, et l’on pourrait même aboutir à deux races différentes d’êtres humains ; ceux qui ont été améliorés génétiquement et les autres. Pour la première fois, nous avons la perspective de façonner notre propre évolution, de choisir les gènes que nous voulons transmettre à nos enfants. Avec le clonage, nous avons le pouvoir d’entamer cette transformation dès maintenant. » Le pouvoir, autrement dit, d’effectuer un choix de société d’une gravité et d’une portée philosophique sans précédents. CATHERINE VINCENT JOURNALISTE AU Monde Bibliographie Axel Kahn et Fabrice Papillon, Copies conformes, le clonage en question, Nil Editions, 1998. downloadModeText.vue.download 245 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 244 La volcanologie Par ses ouvrages et plus encore, peut-être, par ses films, Haroun Tazieff a incarné les volcans pendant près de cinquante ans. Faisant partie des personnalités étrangères les plus connues aux États-Unis, il a illustré les trois aspects fondamentaux des volcans : la beauté du paysage, l’effort sportif pour y accéder et l’intérêt de leur étude scientifique. Haroun Tazieff est décédé le 2 décembre 1997. Que restera-t-il de son oeuvre et comment la volcanologie évolue-t-elle ? La volcanologie est une discipline des sciences de la Terre qui attire et fascine l’homme depuis longtemps. Dans l’Antiquité déjà, l’éruption catastrophique du Santorin devint dans l’inconscient collectif le mythe de l’Atlantide. Le Grec Empédocle pénétra dans le cratère actif de l’Etna, supposé représenter la cheminée des forges d’Héphaïstos, pour observer ce qui s’y passait. Plus près de nous, les volcans éteints de la chaîne des Puys furent reconnus par Montlosier par comparaison avec les volcans actifs de l’Italie. Au milieu du XIXe siècle, Fouqué effectua la première étude d’une éruption volcanique sur le Santorin. Après la catastrophe de Saint-Pierre en Martinique le 8 mai 1902, Lacroix fut envoyé par l’Académie des sciences de Paris sur la montagne Pelée et en rapporta les premières photographies de l’émission d’une nuée ardente. Persuadé de l’importance de l’étude des volcans et du rôle des géologues dans la prévention des risques, Lacroix fonda en 1922 avec Malladra (Italie) et Washington (États-Unis) la section de volcanologie de l’Union internationale de géodésie et de géophysique (IUGG), devenue en 1967 l’Association internationale de volcanologie et de chimie de l’intérieur de la Terre (IAVCEI). Cependant, la volcanologie resta une discipline marginale et les volcans étaient rarement pris en compte dans l’évolution de la surface du globe. Par exemple, jusque dans les années 70, le certificat universitaire de « géologie historique » ne traitait que l’histoire des bassins sédimentaires et des chaînes de montagnes. Un trio célèbre Avec Jacques-Yves Cousteau et Paul-Émile Victor, Haroun Tazieff a formé un trio célèbre dans le monde entier pour leur goût de la vulgarisation et du contact avec le grand public. Il a eu le mérite d’avoir popularisé l’idée que les volcans constituent une manifestation, certes spectaculaire mais essentielle, d’une planète en constante évolution. Sur le plan scientifique, il a, dès les années 50, reconnu l’importance des gaz dans la dynamique des éruptions et développé des appareillages spécifiques. Ensuite, il s’est impliqué avec fougue dans la prévention des risques naturels, pas uniquement volcaniques, et c’est dans ce domaine qu’il a certainement été le plus discuté et critiqué. Parallèlement aux activités d’Haroun Tazieff, la communauté scientifique internationale s’est aussi préoccupée des dangers présentés par les volcans et des moyens pour les prévenir. À partir du choc provoqué par l’activité de la Soufrière de Guadeloupe en 1976, les volcanologues ont mieux compris la nécessité de mettre en commun leur savoirfaire. Le résultat paradoxal de cette crise où les questions de personnes ont été centrales a été de favoriser les études pluridisciplinaires et de réunir les compétences des différentes équipes internationales. Dans cette évolution, l’IAVCEI joue un rôle majeur à travers ses comités et ses commissions. Les comités sont créés pour une durée limitée avec un but bien défini, par exemple les protocoles de crises, l’alerte volcanique et la mise en garde de la population, l’annuaire des experts volcanologues. Les commissions permanentes regroupent les scientifiques, qui exposent leurs résultats dans les sessions downloadModeText.vue.download 246 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 245 qu’elles organisent au sein des congrès annuels de l’IAVCEI et d’autres manifestations internationales, et concernent des disciplines variées, comme la géologie, la pétrologie, la géochimie, la géophysique et la télédétection. L’IAVCEI est l’organisation non gouvernementale la plus importante s’occupant de l’étude des risques volcaniques et de l’éducation des populations. Elle encourage la coopération entre ses membres et participe à la décennie des risques naturels proclamée par l’ONU par le choix des « volcans de la décennie ». Les volcans de la décennie Les Nations unies ont lance un programme de réduction des désastres naturels de 1990 à 1999. L’IAVCEI y prend part en éditant des vidéos sur les risques volcaniques afin de mettre en garde les populations concernées, en élaborant des systèmes d’alerte et des protocoles de conduite pour la gestion d’une crise et la sauvegarde des personnes. Enfin, pour comprendre comment fonctionne un volcan à hauts risques, un groupe de travail a sélectionné les volcans de la décennie, seize volcans actifs à travers le monde. Six sont situés en Asie (Kamtchatka, Sakurajima et Unzen, Taal, Merapi, Ulwun), cinq en Amérique (Mauna Loa et Rainier, Colima, Santiaguito, Galeras), trois en Europe (Etna, Vésuve, Santorin), deux en Afrique (Canaries, Niragongo). Volcanologues et pétrologues Les volcans sont le résultat et l’expression de surface d’anomalies thermiques dans la croûte et le manteau, certaines pouvant s’enraciner à plus de 2 900 km de profondeur, à la limite entre noyau et manteau. Les magmas formés par la fusion partielle de matériaux solides sont relativement légers et montent vers la surface. Ils constituent un moyen efficace de transport de la matière et de la chaleur dans les planètes comme la Terre. D’importants phénomènes de contamination et de modification chimiques se produisent au cours de l’ascension à travers les niveaux superficiels de la lithosphère. Les magmas réagissent aussi au contact de l’eau avant et pendant les éruptions explosives. Enfin, les éléments volatils des gaz volcaniques jouent un rôle essentiel dans la composition de l’atmosphère terrestre actuelle. À chaque éruption, un panache de volume important (plusieurs milliards de m 3) est libéré dans la troposphère et parfois la stratosphère. Les poussières et les aérosols d’acide sulfurique qui circulent en altitude contribuent puissamment à modifier les paramètres climatiques mondiaux et, par conséquent, la biosphère pendant au moins quelques années. Des éruptions volcaniques répétées et hypertrophiées ont dû jouer un certain rôle dans l’extinction en masse d’êtres vivants au cours des temps géologiques. Tous ces éléments sont pris en compte par les commissions de l’IAVCEI. En effet, le domaine de la volcanologie devient si large que les chercheurs scientifiques de nombreuses disciplines des sciences de la Terre doivent coopérer pour étudier et comprendre les volcans. Les commissions sur la chimie des gaz, le volcanisme explosif, la réduction des désastres, les lacs et les sédiments volcaniques, les liens avec l’atmosphère, la sismologie en terrain volcanique, la télédétection et l’organisation des observatoires ont de ; objets purement volcaniques et évaluent leurs impacts sur l’environnement et l’activité biologique. Cependant, depuis 1991, tout en conservant ses activités traditionnelles, l’IAVCEI se recentre progressivement sur les relations entre les matériaux de l’intérieur de la Terre, l’hydrosphère et l’atmosphère. Les commissions récemment créées sur les provinces basaltiques, les granités et les propriétés physico-chimiques des matériaux de l’intérieur de la Terre illustrent le souci de mettre en relation les éruptions volcaniques, manifestations de surface, et les phénomènes profonds qui les ont provoquées. L’évolution est à peine amorcée et, actuellement, deux downloadModeText.vue.download 247 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 246 populations distinctes coexistent au sein de l’IAVCEI, celle des volcanologues, intéressés au premier chef par la dynamique des éruptions, les produits volcaniques, l’histoire des volcans et la détermination des risques encourus dans les régions peuplées, et celle des pétrologues, étudiant les magmas et l’évolution de la Terre à partir des objets géologiques plus anciens ou des expériences en laboratoire. Cette apparente dichotomie se marque dans les deux congrès organisés par l’association en 1998 : « Cités sur des volcans » à Rome et Naples (Italie) et « Diversité magmatique – Volcans et leurs racines » au Cap (Afrique du Sud). À terme, elle est appelée à disparaître, car la prévention des risques et la compréhension physique des éruptions ne peuvent se concevoir sans la connaissance des phénomènes de formation et d’ascension des magmas. Les branches de la science, surtout les disciplines de la nature, ne peuvent se développer sans l’intérêt, la compréhension et le soutien du public. La volcanologie comptait il y a plus de cinquante ans peu de professionnels, travaillant individuellement et souvent considérés comme des personnalités excentriques. Depuis, la situation a évolué considérablement. L’activité de vulgarisation auprès du public de personnalités comme Haroun Tazieff ou les Krafft a suscité des vocations. Les moyens attribués à la volcanologie ont, en outre, bénéficié du choc émotionnel provoqué par des événements tragiques, comme la destruction de Saint-Pierre à la Martinique et d’Armero en Colombie, et de l’impact médiatique des éruptions du St. Helens, du Chichon et du Pinatubo. La communauté des volcanologues s’est agrandie, avec un financement assuré par de nombreux organismes internationaux. Des milliers de chercheurs utilisent maintenant une gamme de techniques allant de la physique à la sociologie et les méthodes de stockage des données permettent la communication rapide des informations. Grâce à elles, des milliers de vies humaines ont été sauvées au cours de l’éruption du Pinatubo, l’une des deux plus importantes du XXe siècle. Mais il existe un revers de la médaille : plus les connaissances s’accumulent, plus les systèmes volcaniques apparaissent complexes, chacun semblant unique, et plus l’impression de savoir peu de choses augmente. Les catastrophes volcaniques dans les zones peuplées Si la fréquence des catastrophes volcaniques est faible, même si les conséquences sont importantes, la population oublie le risque. C’est ce qui est arrive au cours des deux catastrophes majeures du XXe siècle, en 1902 à Saint-Pierre, en Martinique, et en 1985 à Armero, en Colombie, où les précautions n’ont pas été prises par ignorance. La montagne Pelée était entrée en éruption avant l’arrivée des Européens et, lorsqu’elle a montré des signes précurseurs, ils n’ont pas été compris. Des catastrophes pires encore surviendront à l’avenir. Le Toba, en Indonésie, a éjecte il y a 75 000 ans plus de 1 000 km 3 de matériaux. Aucune autre éruption hypertrophiée n’a été observée, alors qu’il en existe beaucoup dans le passé géologique. Le problème n’est donc pas de savoir si une telle éruption arrivera, mais où et quand. BERNARD BONIN downloadModeText.vue.download 248 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 247 Police : les biologistes à la rescousse Depuis une dizaine d’années, la police dispose d’indices précieux pour l’identification des criminels : les empreintes génétiques. Extraites de l’ADN, ces empreintes sont strictement personnelles. Un outil qui prend de plus en plus d’ampleur dans les procédures judiciaires... Paris, jeudi 26 mars 1998 : les enquêteurs de la Brigade criminelle arrêtent Guy Georges, l’auteur présumé de plusieurs viols et meurtres commis entre 1991 et 1997 dans différents arrondissements de l’est de la capitale. Sur le lieu de certains de ses crimes, le suspect a laissé une trace incontestable de son identité : son ADN (acide désoxyribonucléique). En effet, de cette molécule, support de l’information génétique, les biologistes savent aujourd’hui extraire une carte d’identité biologique propre à chacun de nous, les empreintes génétiques. Depuis huit ans maintenant, les affaires résolues grâce à ce nouvel outil se succèdent à vive allure. En France, la technique d’identification par empreintes génétiques est devenue pratique courante dans les affaires criminelles comme dans les recherches en paternité. Mise en oeuvre par cinq laboratoires de police scientifique et plusieurs laboratoires hospitalo-universitaires, elle a permis en 1997 de résoudre près de 3 500 affaires pénales et civiles. Dans certains cas, les empreintes génétiques sont le seul moyen de classer une affaire judiciaire. Ainsi, le 6 novembre 1997, la cour d’appel de Paris a, en dernier recours, ordonné l’exhumation du corps d’Yves Montand, mort six ans plus tôt, afin de comparer son ADN à celui d’Aurore Drossart qui prétendait être sa fille. Mais, sept mois plus tard, les résultats sont là : la jeune femme n’est pas la fille de l’acteur. Cette procédure de recherche en paternité post mortem, pratiquée pour la deuxième fois en France, a suscité une réelle émotion. Cependant, la vérité n’aurait jamais pu éclater sans l’aide des techniques génétiques. L’ADN du noyau, une preuve irréfutable Le principe de la technique, née en 1985 des travaux d’Alec Jeffreys à l’université de Leicester (Grande-Bretagne), repose sur la diversité génétique qui confère son unicité à chaque être vivant. Si la grande majorité des gènes, ces séquences impliquées dans la synthèse de protéines, se retrouve chez tous les hommes, ils sont sépares par des zones hypervariables, très différentes d’une personne à l’autre, et dont la fonction n’est pas clairement définie. Parmi ces zones (et parfois même à l’intérieur des gènes), les scientifiques étudient généralement les « microsatellites », des répétitions de mini-séquences d’ADN qui diffèrent par leur taille. Grâce à cette technique, un simple mégot de cigarette, une tache de sang, de salive, de sperme ou même un cheveu garni de ses cellules basales peuvent trahir un criminel, car l’ADN est présent dans toutes les cellules de notre corps. Cependant, la quantité de matériel génétique récupérée à partir de telles sources est en général insuffisante pour en extraire une empreinte génétique. Aussi, l’apparition, toujours en 1985, de la « Polymerase Chain Reaction » (PCR), une technique d’amplification de l’ADN, a-t-elle joué un rôle déterminant dans le succès de cet outil. Mais, plus que la profusion d’indices qu’elle révèle, c’est sa fiabilité, longtemps contestée, qui fait aujourd’hui le succès de l’identification par empreinte génétique auprès des services de police. La probabilité que deux personnes possèdent la même empreinte génétique est en effet extrêmement faible. Et, plus les microsatellites analysés sont nombreux, plus le risque d’erreur est réduit. Pour Jean-Paul Moisan, professeur de génétique moléculaire downloadModeText.vue.download 249 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 248 à Nantes, « le risque d’erreur ne repose pas tant sur le principe de la méthode que sur la qualité du matériel dont disposent les laboratoires et le savoir-faire des manipulateurs ». L’ADN des mitochondries : des indices précieux Durant la dernière décennie, la fiabilité et la relative facilité de mise en oeuvre de cet outil ont également conquis les magistrats. À tel point qu’il n’est pas rare de voir les scientifiques sommés de fournir un résultat, quelle que soit la qualité des échantillons biologiques disponibles. Aussi, pour répondre à cette exigence, un nouveau type d’empreintes génétiques a vu le jour récemment. Lorsque l’ADN des noyaux cellulaires est dégradé ou absent de l’échantillon, les biologistes peuvent en effet analyser l’ADN contenu dans les mitochondries, les centrales énergétiques des cellules. Mieux protégé que l’ADN nucléaire, on retrouve facilement de l’ADN mitochondrial dans un échantillon de mauvaise qualité. Néanmoins, le champ d’application de ce type d’empreintes génétiques est plus restreint que celui des empreintes génétiques classiques, car son interprétation est plus délicate. Contrairement à l’ADN nucléaire, hérité des deux parents, l’ADN mitochondrial est intégralement et uniquement transmis par la mère. Les frères, les soeurs et les cousins maternels possèdent par conséquent le même ADN mitochondrial. Aussi, si l’étude de ce dernier peut permettre de resserrer une enquête en innocentant un suspect, elle ne peut en aucun cas être l’unique motif d’une condamnation. En outre, du fait de sa transmission maternelle, l’ADN mitochondrial ne peut être utilisé lors des tests de recherche en paternité. Cet outil a permis de résoudre certaines des plus grandes énigmes de l’histoire. Ainsi, en mai dernier, les généticiens de l’université catholique de Louvain (Belgique) et de Nantes (Loire-Atlantique) ont enfin établi que Karl Wilhelm Naundorff, qui prétendait être Charles-Louis, le Fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, était un imposteur. L’analyse des fragments d’ADN mitochondrial extraits d’une mèche de cheveux et de l’humérus droit prélevé sur le squelette de l’ex-prétendant au trône n’a révélé aucun lien de parenté avec celui provenant des cheveux de MarieAntoinette et de ses deux soeurs, JohannaGabriela et Maria-Josepha. C’est également grâce à l’analyse de leur ADN mitochondrial que les ossements retrouvés en 1991 près d’Iekaterinbourg, en Russie, ont pu être identifiés avec certitude : il s’agit bien des restes des Romanov, massacrés à la suite de la révolution russe. Le 17 juillet 1998, 80 ans après leur assassinat, les membres de la famille de Nicolas II ont enfin été inhumés au côté de leurs ancêtres. Les Romanov, un cas complexe Le résultat des premières analyses de l’ADN mitochondrial des ossements présumés de la famille Romanov sème le doute : l’ADN supposé de Nicolas II présente une infime différence avec celui de ses parents vivants, notamment le prince Philip, duc d’Edimbourg, petit-neveu de la tsarine par sa mère. Mais, en 1996, l’étude des restes du frère de Nicolas II, le grand-duc Georges, montre que lui aussi présente cette infime différence. Ainsi, leur grand-mère maternelle a-t-elle transmis à ses descendants deux types d’ADN mitochondrial différents. Ce phénomène, appelé « hétéroplasmie », serait beaucoup plus fréquent qu’on ne le pensait jusqu’à présent : jusqu’à 20 % de la population posséderait deux types d’ADN mitochondrial. Aussi, a famille du dernier tsar de toutes les Russies a bien failli ne jamais être identifiée. La police disposera bientôt de fichiers informatisés d’empreintes génétiques Actuellement, en France, les empreintes génétiques ne permettent que d’infirmer ou downloadModeText.vue.download 250 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 249 de confirmer les résultats d’une enquête judiciaire. En effet, pour confondre un coupable, il ne suffit pas de retrouver du matériel génétique sur le lieu du crime, encore faut-il pouvoir comparer cette empreinte à celle d’un suspect. Or, s’il existe un « fichier automatisé des empreintes digitales » (FAED), qui centralise des centaines de milliers d’empreintes de personnes déjà interpellées pour des crimes ou délits, la police scientifique française ne dispose pas de fichier recensant les empreintes génétiques. Ainsi, ce n’est qu’après avoir repris un à un les dossiers des délinquants sexuels de la région parisienne que les enquêteurs ont finalement pu confondre Guy Georges. De la même façon, les policiers chargés de l’enquête sur le meurtre de Caroline Dickinson, la jeune Anglaise violée et assassinée à Pleine-Fougères (Ille-et-Vilaine) en juillet 1996, ont dû comparer l’empreinte génétique de tous les hommes de la commune âgés de 15 à 35 ans à celle du violeur. Sans succès. Dans les deux cas, l’existence d’un fichier central d’empreintes génétiques aurait permis aux enquêteurs de gagner un temps précieux, même si des prélèvements supplémentaires sur d’autres suspects auraient été nécessaires en cas d’échec. Dans les pays anglo-saxons, la loi est moins restrictive quant à l’utilisation des techniques génétiques. Ainsi, depuis 1994, il existe en Grande-Bretagne un fichier national regroupant les empreintes génétiques de toutes les personnes arrêtées pour un délit passible d’une peine de prison. Cependant, face à la recrudescence des crimes à caractère sexuel, les législateurs français sont revenus sur leur position : le 30 septembre 1998, l’Assemblée nationale a proposé un projet de loi visant à établir un fichier national d’empreintes génétiques. Contrairement à celui de Grande-Bretagne, il se limiterait à celles des personnes condamnées pour crimes et délits sexuels. Le 4 juin 1998, le Parlement a définitivement adopté cette proposition. Une décision qui ne fait pas l’unanimité. Craignant une utilisation abusive de l’information génétique, certains voient d’un mauvais oeil la création d’un tel fichier. D’autres, en revanche, considèrent qu’elle répond à un besoin urgent et ne constitue pas une atteinte aux libertés individuelles. « Basées sur l’étude d’ADN non codant, les empreintes génétiques – une sorte de codebarres – ne donnent aucune information sur les caractéristiques physiques ou intellectuelles de l’individu, ni sur ses goûts et sa santé », déclare Michel Sicard, professeur de génétique à l’université Paul-Sabatier de Toulouse. Les empreintes génétiques ont déjà révolutionné le monde judiciaire et permis de résoudre quelques-unes des plus grandes énigmes de l’histoire. Ce n’est qu’un début. D’autant que les progrès technologiques vont bon train : la récente mise au point des puces à ADN devrait permettre aux biologistes d’élaborer des empreintes génétiques fondées, non plus sur l’analyse de la taille des microsatellites ou l’étude de l’ADN mitochondrial, mais sur celle des mutations ponctuelles des gènes. Toujours plus rapides et plus efficaces, ces techniques génétiques de pointe suscitent un intérêt grandissant. Polémique autour des fichiers d’ADN « nucléaire » En France, les lois de bioéthique du 29 juillet 1994 protègent normalement toute personne contre une utilisation abusive des « informations recueillies au moyen de l’étude de ses caractéristiques génétiques ». Mais, si les laboratoires de police scientifique sont censés se limiter à produire des « cartes d’identité génétique », les échantillons biologiques dont celles-ci sont issues peuvent être conservés pendant 20 ans dans l’éventualité d’une révision du procès. Avec les progrès des connaissances sur notre patrimoine génédownloadModeText.vue.download 251 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 250 tique (le projet Génome humain prévoit de décrypter l’ensemble de nos gènes d’ici à 2005), le nombre d’informations intimes que l’on peut extraire de l’ADN va croissant. En particulier, il devrait être possible de prévoir le risque d’apparition de certaines maladies chez une personne rien qu’en étudiant ses gènes. On imagine alors toutes les dérives potentielles, par les employeurs et les assureurs notamment... CLOTILDE LÉGER downloadModeText.vue.download 252 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 251 Les vols spatiaux habités L’année 1998 a marqué une nouvelle étape de la grande aventure que constituent la construction et l’assemblage en orbite, autour de la Terre, d’une station spatiale internationale où se relaieront périodiquement des équipages d’astronautes. D’une part, l’accord intergouvernemental sur la station a été signé le 29 janvier à Washington par les représentants des gouvernements des quatorze pays participant au programme. D’autre part, en juin, a eu lieu l’ultime vol du programme Shuttle-Mir inauguré en 1994, qui a permis aux Américains et aux Russes de se préparer ensemble à l’assemblage de la station, grâce notamment au séjour de sept astronautes américains successifs pendant un total de 977 jours à bord de la station russe Mir et à la participation de quatre cosmonautes russes à des vols de la navette américaine. Selon le calendrier désormais prévu, l’assemblage de la station devait commencer en novembre pour s’achever en 2003, après avoir nécessité 45 missions spatiales impliquant, du côté américain, 33 vols de la navette, et, du côté russe, 9 vaisseaux Soyouz pour le transport des équipages et 21 vaisseaux Progress pour l’approvisionnement. La station sera occupée par trois personnes à partir de 1999, puis par sept à partir de 2003. Est-il utile d’envoyer des hommes dans l’espace ? Depuis son lancement, en 1984, par le président américain Reagan, le projet d’une station spatiale internationale n’a cessé d’alimenter les polémiques. De nombreux chercheurs ont, dès l’origine, exprimé leurs plus vives réserves sur l’intérêt scientifique d’un projet qui s’annonçait extrêmement coûteux et qui laissait présager l’abandon ou la réduction, pour des raisons budgétaires, de missions spatiales moins ambitieuses mais mieux ciblées. Les critiques se sont amplifiées depuis que l’effondrement de l’URSS a entraîné une redéfinition du projet afin d’y associer la Russie, au prix d’un important surcoût (évaluée primitivement à 8 milliards de dollars, la construction de la station est estimée à présent à 17,4 milliards de dollars, malgré une configuration sensiblement réduite). En fait, depuis la fin de l’épopée des missions Apollo, qui ont amené l’homme sur la Lune, le débat autour de l’utilité des vols spatiaux habités s’instaure de façon récurrente. La part de rêve que véhiculait l’exploration spatiale dans les années 60 s’est largement estompée au cours des décennies suivantes en raison des graves problèmes économiques auxquels le monde a dû faire face. Depuis la fin des années 80, avec l’effondrement de l’URSS et la fin de la rivalité américano-soviétique, l’astronautique a perdu son plus puissant stimulant. Ce nouveau contexte n’est guère favorable aux vols spatiaux habités. Dans le camp de ceux qui estiment que la présence de l’homme dans l’espace est indispensable, on souligne que les capacités d’initiative et d’habileté humaines permettent de valoriser au mieux l’acquisition de données scientifiques, comme l’ont amplement prouvé les missions lunaires Apollo. Sans intervention humaine, le télescope spatial Hubble serait certainement resté « myope », privant les astronomes des extraordinaires photographies qu’il fournit depuis sa réparation dans l’espace. « Christophe Colomb, s’il avait été robot, n’aurait pas découvert de continent nouveau. Programmé comme un ordinateur, il aurait arrêté son exploration et rebroussé chemin, considérant que sa mission avait échoué lorsque, là où d’après ses calculs devait se trouver une terre, il n’en voyait aucune », faisait-on remarquer, en 1988, dans un downloadModeText.vue.download 253 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 252 document diffusé par le service des relations publiques de l’Agence spatiale européenne. À l’opposé, les adversaires des vols habités font valoir que tous les équipements supplémentaires qu’imposent la sécurité et la survie des équipages grèvent trop lourdement le budget des missions spatiales alors que les progrès récents en matière de robotique et de téléopération permettent désormais d’effectuer une grande variété de missions de manière automatique : le succès de la mission du véhicule robotisé Sojourner sur Mars en 1997 en fournit un bel exemple. La disparition d’Alan Shepard et le retour de John Glenn Clin d’oeil de l’histoire : deux héros américains de l’astronautique sont venus, chacun à sa manière, se rappeler au bon souvenir du pu- blic à l’heure où la station spatiale internationale alimente de nouveaux débats sur l’intérêt des vols spatiaux humains. Alan Shepard, premier Américain à avoir effectué un vol spatial, est décédé le 21 juillet à son domicile de Monterey (Californie), à l’âge de 74 ans. Membre de l’équipe des sept premiers astronautes sélectionnés en 1959 pour le programme Mercury de la NASA, ce pilote d’essai de l’Aéronavale est entré dans l’histoire le 5 mai 1961 en effectuant à bord de la capsule Mercury Freedom 7 un vol suborbital de 15 min 22 s, culminant à 187 km d’altitude, avant de retomber dans l’Atlantique. C’était 23 jours après le vol du Russe Iouri Gagarine, mais ce dernier avait accompli un tour complet de la Terre. Ce vol marquait le départ de l’âpre compétition américano-soviétique pour envoyer des hommes sur la Lune. Par la suite, Shepard fut interdit de mission dans l’espace durant 6 ans en raison d’une affection de l’oreille interne. Guéri, il put réintégrer le corps des astronautes et alla sur la Lune en 1971, comme commandant de bord de la mission Apollo 14. Il quitta la NASA en 1974 et se reconvertit dans les affaires, notamment dans le commerce de la bière et l’immobilier. John Glenn, lui aussi ancien pilote de l’Aéronavale, sélectionné en 1959 comme astronaute, a été le premier Américain à accomplir un vol orbital, le 20 février 1962, en effectuant trois révolutions autour de la Terre en 4 h 55 min à bord de la cabine Mercury MA-6. En 1964, il a quitté la NASA mais, sénateur démocrate de l’Ohio depuis 1974, il est l’un des plus vigoureux défenseurs, aux États-Unis, des programmes de vols spatiaux habités. C’est pourquoi, malgré son âge, il s’est entraîné en vue d’un second vol dans l’espace. En embarquant à bord de la navette, en octobre, à l’âge de 77 ans, il a ravi à son compatriote Bruce McCandless, alors âgé de 61 ans, le record de l’âge le plus avancé pour une mission spatiale. Bien que soit mis en avant l’intérêt médical de ce vol, il s’est agi surtout d’un geste politique et médiatique pour soutenir les vols spatiaux habités. La politique fluctuante de la France Pour une puissance spatiale, le fait de s’engager dans les vols habités relève d’une décision politique. Aussi, le moins que l’on puisse dire est que la position officielle de la France en ce domaine n’a pas été exempte de volteface. Ainsi, au début des années 80, l’agence spatiale française, le CNES, tout en préparant des spationautes (Jean-Loup Chrétien, Patrick Baudry) à voler à bord d’une station orbitale soviétique et de la navette américaine, menait une réflexion prospective sur la plate-forme orbitale automatique Solaris, qui aurait eu pour fonction de réaliser sans intervention humaine directe, mais en faisant largement appel à la robotique, les activités que la NASA se proposait d’effectuer avec sa navette habitée. Puis, de 1986 à 1992, sous la pression de ses industriels, la France a défendu jusqu’audelà du raisonnable le projet de mini-navette habitée Hermès. Après l’abandon de ce projet, trop coûteux pour l’Europe, elle a insisté pour que l’Agence spatiale européenne engage downloadModeText.vue.download 254 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 253 des études préliminaires à la mise au point d’une capsule récupérable capable d’assurer le transport d’équipages à destination ou à partir d’une station orbitale. Et, à l’automne 1995, lors de la conférence des ministres européens de l’espace, à Toulouse, c’est grâce aux efforts du ministre français François Fillon que fut arrachée la décision de la participation européenne à la station spatiale internationale. Pourtant, deux ans plus tard, le nouveau ministre français Claude Allègre, opposant déclaré aux vols spatiaux humains, à défaut de pouvoir remettre en cause la participation de la France à la construction de la station spatiale internationale, soulignait que cet engagement n’impliquait pas une participation ultérieure à l’exploitation de la station. Il décidait aussi le retrait de la France du programme européen de capsule récupérable habitée et le raccourcissement à trois semaines (au lieu des quatre mois prévus) de la durée du dernier vol d’un spationaute français à bord de la station russe Mir, en 1999. Le rêve d’une expédition vers Mars L’homme dans l’espace, pour quoi faire ? Telle est, en fait, la question fondamentale. Les rêves d’antan sont loin d’avoir été atteints. En 37 ans de vols habités, moins de 400 personnes sont allées dans l’espace et les puissances spatiales se comptent sur les doigts des deux mains. Les chemins de l’espace restent difficiles et coûteux. Bien des retombées escomptées naguère – telles les usines spatiales – n’ont pas quitté le domaine de l’utopie. La station spatiale internationale sera essentiellement un laboratoire permanent pour des expérimentations scientifiques ou technologiques en apesanteur ainsi que pour l’observation de la Terre et de l’Univers. Sans doute représentera-t-elle aussi une étape préparatoire pour une future expédition humaine vers Mars. Celle-ci pourrait intervenir entre 2020 et 2030. Toutefois, ce type de mission pose un grand nombre de problèmes. Il y a d’abord la masse initiale emportée, qui dépend grandement du type de propulsion utilisé. Certains préconisent la propulsion électronucléaire de préférence à la propulsion chimique. Mais il faudra convaincre les adversaires du nucléaire qu’un tel lancement ne comporte aucun risque de pollution radioactive. La durée du vol pose également un problème : le record actuel de temps de séjour dans l’espace, détenu par le Russe Valéry Poliakov, est de 14 mois, alors qu’une mission martienne durera de 18 mois à 3 ans. Autre difficulté : alors que, en orbite terrestre, il est toujours possible de revenir rapidement en cas d’urgence, une mission martienne devra faire face à toutes les situations (pannes, intervention chirurgicale d’urgence, etc.). Il faudra aussi déterminer soigneusement la composition de l’équipage : celui-ci devra-t-il être unisexe ou mixte ? avec ou sans couples ? De même, le bon déroulement de la mission exigera de ne pas sous-estimer le problème psychologique que posera la disparition de la Terre du champ visuel des astronautes, pour lesquels il n’y aura plus d’autre lien avec la planète que les liaisons radio-électriques. Le dernier problème, et non le moindre, sera le coût exorbitant de la mission. Une étude présentée au congrès de la Fédération internationale d’astronautique, à l’automne 1997, chiffrait ce coût, selon le scénario envisagé, entre 40 et 60 millions de dollars (soit 240 à 360 millions de francs). Sur une période de dix ans, cela représente une dépense de 30 millions de francs par an, soit environ 15 % des budgets spatiaux civils dans le monde. Il est évident que le financement ne pourra être assuré que dans un cadre international. Or, dans le contexte géopolitique et économique actuel, on voit mal les dirigeants des grandes puissances spatiales décider un tel investissement pour des objectifs purement scientifiques. PHILIPPE DE LA COCARDIÈRE downloadModeText.vue.download 255 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 254 La violence en milieu scolaire Devant la gravité et la fréquence accrue des faits de violence dans les établissements scolaires, le gouvernement a lancé en novembre 1997 un plan ambitieux pour ramener la sécurité à l’intérieur et aux abords des établissements, organiser la prévention et s’attaquer aux causes de ce fléau. Il importe toutefois, pour ne pas céder à une psychose sociale surmédiatisée, de resituer ce phénomène dans l’évolution générale de la violence de la société, et, à travers les échecs et les réussites passés, d’approfondir la réflexion. La plupart des études et recherches diachroniques sur la violence montrent que nos sociétés, loin d’être actuellement déstabilisées par une croissance de la violence, sont, si on les compare à celles du passé, des espaces relativement sûrs. Si nous prenons en compte la violence physique qui porte atteinte à l’intégrité des personnes, qui menace leur santé et leur vie, qui fait courir un risque mortel, nous constatons que le nombre des homicides volontaires et des viols n’a jamais été aussi faible. En un siècle, avec une population qui a plus que doublé, le nombre d’accusations pour coups et blessures portées devant les assises est aujourd’hui huit fois moindre. Le nombre de condamnations criminelles est quatre fois moindre, et celui des accusations pour viol (en dépit du secret plus profond hier qu’aujourd’hui), cinq fois moindre. Pourtant, malgré ces éléments objectifs « apaisants », on constate une psychose sociale, un repli sécuritaire qui ne cesse d’augmenter dans la population française. Les facteurs explicatifs sont à rechercher à l’intersection de l’objectif et du subjectif. En fait, l’insécurité n’a pas besoin d’être avérée pour s’exprimer. Les statistiques fournissent à ce propos quelques précisions. Les crimes et délits ont régulièrement augmenté depuis 1990. Sur les 3 600 000 délits constatés, les deux tiers sont des vols ou des cambriolages. La délinquance sur les personnes représente 5 %. Ce pourcentage apparaît faible quantitativement, mais révèle un impact fortement influent. Quant aux petits délits, vols à la tire, atteintes aux biens, on note que c’est la catégorie qui a le plus progressé et qui apparaît à l’origine de cette crispation protectionniste sur la propriété privée. Ce sentiment d’insécurité n’est donc pas dénué de toute réalité, mais il est exagérément amplifié et dramatisé au regard des risques vitaux encourus. L’intrusion croissante, à la limite de l’omniprésence, et l’omnipotence des médias dans la sphère de l’individu et de la famille accentuent encore cet impact, notamment pour certaines populations plus perméables à la peur, comme il en est des personnes âgées ou isolées. En fait, il semble que notre société se trouve dans une situation où, la sécurité objective ayant augmenté, la sécurité subjective s’en trouve diminuée. La question qui se pose dès lors est celle-ci : serions-nous à ce propos entrés de plain-pied dans le paradoxe de Tocqueville, pour qui « plus un phénomène désagréable diminue, plus ce qui en reste devient insupportable » ? Qu’en est-il exactement pour la violence à l’école ? Une reconnaissance récente Même actuellement, malgré les efforts de construction d’instruments statistiques nationaux fiables et pertinents, il est difficile de quantifier et qualifier de façon normative la violence en milieu scolaire. Il faut se limiter, pour une approche plus homogène et de caractère longitudinal, aux informations déclaratives émanant des inspections d’académie, qui ont mis en place depuis plusieurs années leur downloadModeText.vue.download 256 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 255 propre dispositif de détection, d’observation et d’enregistrement des faits violents. À cet égard, prenons un exemple dans le département d’une grande agglomération. Il apparaît que le nombre d’incidents en milieu scolaire déclarés passe de 294 en 1994 à 2 975, soit une augmentation de plus de 900 %. Ceux-ci se répartissent ainsi : port d’arme (7 %), violence sexuelle (1,5 %), agression sans arme (22,5 %), agression avec arme (4,6 %), agression verbale (42 %), incendie (1,8 %), atteinte aux biens (10,5 %), racket (4 %), vol et trafic (6 %). Ces incidents se sont déroulés dans les collèges (65 %), les lycées surtout professionnels (20 %) et dans les écoles primaires (15 %) ; durant les cours du matin (28 %), de l’aprèsmidi (15 %), la récréation du matin (18 %), celle du soir (8 %) ; aux heures d’entrée (10 %), aux heures de sortie (20 %), durant les sorties pédagogiques (1 %). À noter, l’émergence d’un phénomène nouveau, la violence scolaire à l’école maternelle et primaire. Ce signal « à bas bruit » peut être analysé comme un fait « signifiant » de l’évolution récente de notre société. En 1997, dans ce département, plus de 500 agressions ont été signalées, dont les trois quarts à l’école élémentaire et un quart à l’école maternelle. Elles se répartissent ainsi : vol et trafic (11 %), violence aux personnes (63 %), atteinte aux biens (23 %), port d’arme (3 %). En résumé, il est évident que les violences « à bas bruit » et les « incivilités » se développent de façon rapide et particulièrement importante depuis quelques années, mais que les « violences physiques graves » sont beaucoup plus exceptionnelles que les médias ne l’affirment. Un constat brutal Ce constat brutal et ces chiffres « apocalyptiques » doivent être tempérés et expliqués par l’apparition d’un nouveau comportement des différents acteurs du système éducatif (chefs d’établissement, enseignants et élèves), qui n’hésitent plus à rompre la loi du silence, cette « omerta » qui, pendant des années, a occulté la réalité de la violence dans les établissements scolaires. Cette « libération de la parole » provient en très grande partie de l’institution elle-même, qui, progressivement, a reconnu l’existence de ces comportements agressifs et a mis en place des politiques de plus en plus précises et adaptées. Cinq textes peuvent être considérés comme marquant cette évolution avant le récent plan gouvernemental. – La circulaire « opération Éducation nationale-Justice » (1991), qui sensibilise les personnels enseignants et les élèves au fonctionnement des juridictions dans un but de prévention. – La circulaire Éducation nationale-Police « Amélioration de la sécurité des établissements scolaires » (1992), qui établit pour la première fois en France une coopération entre ces deux départements ministériels et met en place des dispositifs locaux et départementaux de prévention et de répression. – Le rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale « La violence à l’école : état de la situation en 1994, analyse et recommandations », qui met en évidence une grande carence des différents services centraux et déconcentrés et fait ressortir un certain nombre d’actions exemplaires tant dans le domaine de la formation qu’au niveau des collèges. – Les 19 mesures gouvernementales de 1996 prenant appui sur le rapport de l’Inspection générale qui poursuivent trois objectifs : renforcer et améliorer l’encadrement des élèves, aider les élèves et les parents, protéger les établissements et améliorer leur environnement. – Les 14 recherches universitaires sur les violences à l’école réalisées en 1997 à l’initiative conjointe du ministère de l’Intérieur (Institut des hautes études de sécurité intérieure) et du ministère de l’Éducation nationale (Direction de l’évaluation et de la prospective). Ces travaux pluridisciplinaires marquent un downloadModeText.vue.download 257 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 256 progrès très important dans la compréhension de ce phénomène et pointent des types d’action susceptibles d’être instrumentalisés. Le « plan Allègre-Royal » Ce plan, contrairement aux politiques déjà expérimentées, est pluriannuel et fondé en priorité sur la nécessité de concentrer des moyens supplémentaires en personnels qua- lifiés sur des zones scolaires recensées par les autorités académiques, aidées par les services de justice et de police, comme « zones violentes ». Dix sites d’intervention situés sur six académies (Aix, Marseille, Lyon, Versailles, Créteil, Amiens, Lille) ont été retenus. Plus de 270 000 élèves de l’enseignement du secondaire et 640 000 de l’enseignement primaire sont concernés par cette opération. Les 3 objectifs assignés à ce plan à étapes sont de soutenir les victimes, renforcer la capacité d’intervention des établissements et conduire une action éducative globale. Pour ce faire, les principales mesures concernent une concentration très importante des ressources sur ces sites (15 000 emplois-jeunes comme aides-éducateurs, personnel d’éducation, personnel médico-social, appelés du contingent...), un dispositif d’observation permanent, une gestion des ressources humaines adaptée, des sanctions aggravées, une formation spécifique des personnels, un partenariat renforcé, notamment par la création des contrats locaux de sécurité élaborés conjointement par le préfet, le procureur de la République et le maire en association avec le recteur. Cette expérimentation est suivie et évaluée par l’Inspection générale de l’éducation nationale et des équipes de chercheurs. Elle s’intègre dans le plan ministériel d’ensemble de lutte contre le fléau placé sous la responsabilité des directions du ministère. Une augmentation de la violence « à bas bruit » et des « incivilités » Les premiers résultats de ces actions montrent que, sur le plan statistique, les faits de violence graves sont en diminution, mais que la violence « à bas bruit » et les « incivilités » ont tendance à augmenter fortement, surtout chez les plus jeunes. Les chercheurs mettent plus particulièrement en évidence les phénomènes suivants : – un durcissement de terrain tant dans la relation entre élèves qu’entre élèves et enseignants – le sentiment d’agressivité croît fortement ; – un effet « établissement » réel, qui permet, dans des conditions « défavorables » équivalentes, à certains établissements de lutter avec succès contre la violence – mais l’effet « classe », qui reste à étudier, ne serait-il pas plus performant ? ; – l’arrivée et l’intégration réussie au collège des emplois-jeunes, aides-éducateurs, particulièrement dans leur mission d’aide, d’écoute, d’encadrement des jeunes et dans celle de « participant » à la médiation dans le cadre de la prévention et de la gestion de crise entre élèves. Des modèles explicatifs Il serait illusoire et même irresponsable de proposer des actions de lutte contre la violence dans les établissements scolaires sans les faire précéder d’esquisses de modèles explicatifs qui situent mieux les causes selon les contextes multifactoriels dont cette violence est issue. En premier lieu, il faut souligner ce que la plupart des enquêtes et des recherches mettent en évidence : le coeur des solutions se trouve au sein même de l’établissement scolaire, quelles que soient la volonté de participation des partenaires et l’efficacité de leurs interventions. La confrontation d’un certain nombre de monographies a mis en évidence de façon presque « caricaturale » deux constats. L’un prouve par ses réussites la nécesdownloadModeText.vue.download 258 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 257 sité absolue d’une prise en compte éducative et pédagogique, à titre préventif et curatif, des comportements violents. L’autre, qui est une démonstration a contrario, se caractérise par ses échecs dus essentiellement à la non-reconnaissance et à la négation des faits ainsi qu’au recours systématique, tant comme cause invoquée que comme remède effectif, à « l’autrui de l’extérieur ». Cette conception fataliste, sous-tendue par l’argument (réel) que la violence est un fait de société et celui (discutable) qui veut que ses racines et ses causes soient exclusivement « exogènes », entraîne les « démissions successives et en cascade » des différents niveaux de responsabilité institutionnels et instaure alors les conditions les plus favorables au développement de la violence à l’école. Laisser se développer ce « laxisme », c’est faire son deuil de toute politique préventive secondaire et laisser le champ à la seule répression. Il est évident que l’école ne peut supprimer les composantes sociales et économiques de la violence « importée », mais qu’elle doit les intégrer dans la construction de ses actes éducatifs. Les enseignants qui refusent de les reconnaître sont alors complètement désarmés sur le plan éducatif. Demandeurs de répression et de protection, ils contribuent alors à renforcer les phénomènes d’exclusion et d’affrontement. Il faut toutefois ici remarquer que cette violence se déclenche en des lieux et selon des circonstances précises situés à l’intérieur de l’école. Ce qui signifie que cette dernière produit pour certains élèves des « effets déclencheurs » et qu’elle n’est pas le reflet d’une réalité « hors les murs », comme certaines simplifications le laissent aujourd’hui accroire. Les contenus d’enseignement, les méthodes, les comportements de certains enseignants sont donc, dans certains contextes, sources de comportements violents. L’échec scolaire dans tous ses composants et sous toutes ses formes apparaît ainsi comme une des causes majeures de ces situations. Cet important corpus d’informations permet désormais d’esquisser des modèles théoriques. Celui qui est proposé par le rapport de l’IGEN prend en compte deux types de conduite, les agissements « anomiques » (absence des règles et de normes) et « antagonistes » (des comportements francs d’opposition et/ou de haine), et il facilite la mise en oeuvre des politiques de gestion de la violence, avec une prévention « secondaire ». D’une façon générale, la réflexion en France sur la violence scolaire – et sa traduction sur le terrain – est très récente, et elle s’est orientée sous la pression de l’urgence dans l’élaboration de programmes de gestion de ce phénomène. Le rapport de l’IGEN Ce modèle proposé par l’IGEN part de l’analyse que les actions mises en oeuvre face à la violence sont marquées par trois grandes tendances que l’on peut qualifier de sécuritaire, identitaire et solidaire. Le sécuritaire est fortement construit sur des mesures de protection et de répression ; c’est le syndrome de « la citadelle assiégée ». L’identitaire repose sur des priorités d’actions qui maintiennent et améliorent l’identité de l’établissement où la prévention pédagogique est dominante ; c’est le type de « l’établissement-sanctuaire ». Le solidaire est construit sur la recherche d’un équilibre en osmose avec l’environnement ; la prévention partenariale le sous-tend : c’est le modèle de « l’espace éducatif concerté ». Cette clarification est une approche qui permet, d’une part, aux acteurs eux-mêmes défaire un constat et de se situer lucidement dans leur pratique, éventuellement de la modifier, et, d’autre part, aux décideurs d’élaborer des po- litiques en adéquation avec les missions édudownloadModeText.vue.download 259 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 258 catives nationales qui intègrent à des degrés divers ces différentes composants. Gérer et/ou prévenir la violence ? En relation directe avec la prégnance administrative et l’importance historique accordée à l’efficacité de la « planification » en France, la première réponse a été de mettre en oeuvre des programmes d’ordre structurel infra-, périet post-scolaires. La seconde réponse, encore très timide, concerne des programmes destinés aux élèves et aux enseignants. Pour les élèves du primaire et du secondaire, ces programmes sont construits sur l’apprentissage de la médiation, de la négociation, et de démarches de résolution de conflits. Pour les enseignants en formation initiale, ce sont surtout des modules de formation qui les préparent à enseigner dans des situations difficiles (connaissance des milieux et des élèves « à risque », adaptabilité des réponses pédagogiques...) et des stages pratiques en situation sous tutorat renforcé, dans des établissements « sensibles ». L’orientation d’action de la formation continue, quant à elle, est plus de répondre aux demandes « du terrain » autour d’une situation de crise passée ou présente et de privilégier les stages sur les lieux d’exercice. On remarquera dans cette panoplie de programmes l’absence quasi complète d’actions concernant des acteurs principaux : les parents. Ces programmes ont toutefois leur propre limite. D’une part, même réussis, ils sont porteurs pour certains élèves de tendances « schizophréniques », ceux-ci retrouvant souvent leur comportement agressif dès le franchissement du seuil de l’établissement ; d’autre part, ils sont tardifs et paraissent « asymptotiques » aux causes profondes de ces agissements. Pour remédier à cette situation dans un avenir proche, et en complément des actions déjà menées, la France ne devrait-elle pas s’inspirer de certaines recherches en cours au Canada et aux États-Unis qui partent de l’évidence que la violence d’un adolescent n’est pas un phéno- mène spontané, mais le fruit de sa longue histoire personnelle, et qui mettent en place des dispositifs de prévention « primaire » à l’école maternelle et élémentaire ? De 1982 à 1998, la violence scolaire, « phénomène » marginal selon le ministre Alain Savary, est devenue « un enjeu majeur de notre société » pour les ministres Claude Allègre et Ségolène Royal. L’école, par son action éducative et intégrative, son caractère républicain et laïc, avec un partenariat approprié, semble en position de relever ce défi. Son fonctionnement harmonieux et ses progrès ainsi que l’équilibre de notre démocratie en dépendent certainement. GEORGES FOTINOS Bibliographie La violence à l’école : état de la situation en 1994, analyse et recommandations, rapport de l’Inspection générale de l’éducation nationale au ministre (rapporteur Georges Fotinos). Rapport annuel de l’IGEN, la Documentation française, juin 1995. Bernard Charlot et Jean-Claude Emi, Violences à l’école. État des savoirs, Armand Colin, août 1997. Georges Fotinos, François Testu, Aménager le temps scolaire, Hachette Éducation, 2e édition, Paris, 1997. Absentéisme et violence à l’école, CRDP de Grenoble. 1995. downloadModeText.vue.download 260 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 259 Le cannabis en thérapeutique Depuis une période très reculée, le cannabis – ou chanvre indien – a été utilisé par l’homme comme traitement de la douleur et d’innombrables pathologies. Le cannabis compte ainsi au nombre des panacées dont l’intérêt en thérapeutique s’imposa pendant des siècles. Si les médecins sont longtemps demeurés libres de prescrire de l’extrait ou de la teinture de cannabis, la prohibition mondiale portant sur cette plante, inscrite sur la liste des stupéfiants, a interdit cette pratique que consacrait l’histoire. Cependant, depuis une quinzaine d’années environ, des demandes de patients comme de médecins se font pressantes pour voir reconnu officiellement l’intérêt thérapeutique du cannabis et de ses principes actifs, les cannabinoïdes. Cannabis est le nom scientifique du chanvre, une plante connue sous deux formes étroitement liées. Les variétés dites « textiles » sont cultivées pour leurs fibres, matière première de la production de tissus et de cordages. Les variétés communément désignées comme chanvre « indien » produisent quant à elles une sécrétion glandulaire, ou « résine », riche en substances chimiques de la famille des cannabinoïdes (cf. encadré). Ces variétés sont couramment utilisées en raison de leurs propriétés psychoactives bien qu’elles soient inscrites sur la liste des stupéfiants. Une ancienne panacée Si diverses sociétés traditionnelles, notamment en Afrique, recourent encore au cannabis pour essayer, par exemple, de traiter les morsures de serpents ou pour insensibiliser les femmes lors d’un accouchement difficile, notre culture a renoncé à utiliser cette plante en thérapeutique. Pourtant, 2 000 ans avant Jésus-Christ, on trouve déjà trace de l’usage du cannabis en Chine dans des indications variées : fièvre du paludisme, douleurs rhumatismales, douleurs menstruelles, constipation. En Inde, la résine de cannabis était administrée comme antipyrétique, mais également pour lutter contre l’insomnie, la dysenterie, comme antimigraineux et pour stimuler l’appétit. Les témoignages sur l’usage du chanvre indien en médecine occidentale demeurent rares jusqu’au XIXe siècle, qui constitua l’âge d’or de son utilisation médicale, dans la foulée de l’intérêt que lui vouèrent alors nombre d’artistes et d’amateurs d’orientalisme. Ce fut un médecin britannique, William B. O’Shaughnessey, en poste à Calcutta, qui réalisa les premières études expérimentales sur l’usage thérapeutique du cannabis cultivé en Inde. Le cannabis apparut en 1854 dans la Pharmacopée américaine. Indiqué dans le traitement d’une centaine de maladies, il était alors disponible dans toutes les pharmacies. Ses indications gagnèrent un domaine de la thérapeutique jusqu’alors réservé à l’opium, car il donnait moins d’effets psychiques indésirables et moins de risque de dépendance. Toutefois, un désintérêt se manifesta à la fin du XIXe siècle pour cette plante, car les jeunes médecins privilégiaient les médicaments d’origine industrielle, notamment les alcaloïdes injectables (morphine, cocaïne), aux effets plus rapides et plus spectaculaires. De plus, les mesures de prohibition prises aux États-Unis dans les années 30 à rencontre du cannabis, accusé de constituer, sous la désignation de marijuana, une drogue puissante et toxique, vinrent limiter puis empêcher son utilisation en thérapeutique. La prescription de cannabis y fut interdite à partir de 1937. Il fut supprimé de la Pharmacopée de ce pays en 1941 puis de la Pharmacopée française en 1953. En 1960, downloadModeText.vue.download 261 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 260 l’OMS avisa la commission des stupéfiants de l’ONU qu’il n’existait plus de raisons scientifiques à valider la prescription de préparations à base de cannabis. Des bénéfices à évaluer La banalisation actuelle de l’utilisation du cannabis comme « drogue » n’explique que pour partie la popularité dont bénéficie son usage thérapeutique. Des améliorations parfois spectaculaires que l’usage du cannabis a apporté à des patients souffrant de pathologies graves et invalidantes, pour empiriques qu’elles soient, sont venues justifier le regain d’intérêt porté à cette plante. Des témoignages nombreux, d’origine essentiellement américaine, soulignent l’intérêt du cannabis dans l’amélioration de certaines pathologies. Les indications essentielles ciblées par la recherche clinique sur les propriétés du cannabis sont l’anorexie des patients atteints du sida, le traitement de certains types de douleur (celle des membres fantômes des amputés, notamment), des maladies neurologiques que caractérise une spasticité musculaire difficilement contrôlable par les thérapeutiques conventionnelles (sclérose en plaques, par exemple) et, peut-être, le glaucome résistant aux traitements conventionnels. Le traitement des nausées et vomissements des patients cancéreux a fait l’objet d’investigations maintenant anciennes. Dans la pratique, de nombreux pays commencent à autoriser des essais thérapeutiques ciblés sur le cannabis et ses principes actifs. Aux États-Unis, ce sont plus de 35 États qui admettent aujourd’hui la possibilité de recourir au cannabis en médecine, mais le principe n’est cependant pas reconnu au niveau fédéral. Dans la plupart des cas, il s’agit de protocoles « compassionnels » pour lesquels le médecin ne prescrit pas, au sens strict, le produit, mais le conseille seulement. Les patients peuvent se le procurer auprès de « clubs » spécialisés. En Angleterre, la British Médical Association a demandé officiellement en novembre 1997 une modification des lois afin d’autoriser les scientifiques à utiliser certains dérivés du cannabis dans les indications sensibles. De fait, les premiers essais cliniques destinés à évaluer l’efficacité des cannabinoïdes chez des patients souffrant de douleurs postopératoires et de sclérose en plaques y sont maintenant programmés. Médicaments à base de cannabinoïdes et thérapeutique Des programmes de recherche ont permis de mieux comprendre les mécanismes d’action des cannabinoïdes et de développer des analogues de synthèse, dont, notamment, la nabilone, un produit commercialisé aux ÉtatsUnis et en Angleterre dans la prévention et le traitement des vomissements chez les patients cancéreux (Cesamet®). L’un des produits les plus actifs du cannabis, le THC, sous forme d’un produit pur, administré par voie orale à la dose de 15 à 20 mg, est utilisé en thérapeutique. Il est synthétisé par l’industrie sous la dénomination internationale de dronabinol (la spécialité est le Marinol®). Commercialisé depuis 1985 aux États-Unis, il permet de contrôler les nausées et les vomissements chez des patients qui ne répondent pas aux traitements conventionnels. L’utilisation de cette spécialité est autorisée depuis 1992 dans le traitement de l’anorexie des patients atteints de sida. La posologie varie selon l’indication et le patient entre 2,5 et 20 mg/j. Ce traitement peut donner lieu à une dépendance psychologique, comme pour toute substance anxiolytique. Il n’induit pas de modifications de l’humeur. Depuis février 1998, une modification des textes allemands concernant la prescription des stupéfiants autorise les médecins à prescrire du dronabinol dans le traitement des douleurs et de l’anorexie du sujet sidéen. Depuis mars 1998, les malades du sida ou du cancer peuvent, dans le cadre d’une mesure expérimentale, se procurer des capsules à base de THC dans certaines pharmacies néerlandaises. downloadModeText.vue.download 262 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 261 Cannabinoïdes, les principes actifs du cannabis Le cannabis produit environ 400 composés chimiques dont une soixantaine de cannabinoïdes, un groupe de substances que l’on n’a pu retrouver que dans cette plante. Les propriétés pharmacologiques de la plupart de ces composés demeurent totalement inconnues. L’un de ces cannabinoïdes, le tétrahydrocannabinol (D9THC), fait toutefois l’objet des études les plus avancées en raison de ses propriétés psychoactives puissantes. Elles ont prouvé qu’il n’est pas seulement responsable des effets du cannabis sur le psychisme mais également de la majorité de ses autres actions pharmacologiques. Il existe par ailleurs des cannabinoïdes de synthèse utilisés déjà en médecine (nabilone, dronabinol, ce dernier est en/ait un THC produit en laboratoire). Les cannabinoïdes agissent en se fixant sur des structures spécifiques de la membrane des cellules nerveuses, les neurones. Une fois fixés, ils modifient les échanges d’informations entre les cellules, d’où leurs effets psychiques (euphorisants, tranquillisants, amnésiants, etc.) ou physiques (décontracturants musculaires, bronchodilatateurs, etc.). Préparations à base de cannabis et thérapeutique Nombre d’usagers ayant expérimenté le cannabis et les cannabinoïdes de synthèse jugent ces derniers moins puissants. L’association de plusieurs principes actifs dans le cannabis pourrait, selon eux, expliquer ces observations. Peut-être faut-il y voir aussi le rôle de l’habitude de fumer de la marijuana et la dimension hédoniste de la consommation de cannabis ou de haschisch ? L’inhalation de la fumée du cannabis – souvent mélangé à du tabac – est préjudiciable à la santé. Elle expose à des risques de cancérogenèse et d’infections non négligeables – notamment chez des patients dont les réactions immunitaires sont affaiblies. Les médecins favorables à son usage préconisent donc d’administrer le cannabis par d’autres méthodes. Les utilisateurs de la plante privilégient le recours à un vaporisateur (dispositif destiné à vaporiser, sans combustion, les principes actifs du cannabis, qui sont alors inhalés sous une forme presque pure, ce qui exclut l’inhalation de goudrons mais ne prévient pas chez certains patients une irritation bronchique). Des problèmes en suspens Les partisans de l’usage du cannabis soulignent son excellente tolérance, son faible pouvoir addictif (d’ailleurs, font-ils valoir, hésitet-on à prescrire de la morphine, dont le pouvoir toxicomanogène est également reconnu, sachant que le déterminisme de la survenue d’une toxicomanie est avant tout psychologique et social ?), la possibilité de l’utiliser à l’aide de vaporisateurs. Surtout, ils rappellent le caractère coercitif d’une législation qui empêche la réalisation d’études susceptibles de prouver l’intérêt médical du cannabis. Les détracteurs de l’utilisation du cannabis avancent le manque d’études scientifiquement valides (il est d’ailleurs impossible de conduire de telles études car les échantillons de plante sont trop différents), la possibilité de recourir à d’autres médicaments dans toutes les indications évoquées, l’impossibilité d’évaluer correctement et de façon reproductive les effets d’une plante si riche en composés pharmacologiquement actifs, les dangers d’une consommation sous forme d’un mélange à du tabac. De plus, la coexistence d’un cannabis « thérapeutique » et d’un cannabis « drogue » risque d’entraîner une incompréhension de la législation actuelle. S’agissant des médicaments à base de THC pur, ils rappellent le pouvoir toxicomanogène de ce cannabinoïde et son élimination très lente de l’organisme, à l’origine d’une rapide accumulation dans le cerveau notamment et d’effets indésirables nombreux. Les préparations fumables à base de cannabis (type marijuana ou haschisch) sont totadownloadModeText.vue.download 263 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 262 lement prohibées aux États-Unis, mais le THC peut être utilisé sous forme de médicaments oraux prescrits par un médecin. Cette disposition est conforme au droit international. En revanche, le droit interne français se singularise par une grande sévérité à l’égard du cannabis puisque le THC lui-même est considéré comme un stupéfiant, quel que soit son mode d’administration. À ce titre, l’Académie nationale de médecine a réaffirmé en juin 1998 que le cannabis était un produit dangereux dont les effets psychotropes pouvaient se révéler graves chez de jeunes consommateurs, en écho à la publication du rapport remis au gouvernement par le professeur Bernard Roques, qui soulignait que l’usage de cannabis n’avait aucune neurotoxicité. Selon l’Académie, les applications thérapeutiques du cannabis comme de ses dérivés de synthèse n’ont démontré « aucune supériorité par rapport à des médicaments ». La controverse demeure donc passionnelle autour du cannabis. Elle ne contribue pas à clarifier le débat scientifique portant sur sa valeur thérapeutique ni même sur celle de ses dérivés de synthèse, seuls aptes à autoriser une appréciation scientifique conforme aux normes internationales usuelles d’évaluation des médicaments. DENIS RICHARD, FRANÇOIS-GUILLAUME RIVIÈRE downloadModeText.vue.download 264 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 263 L’euro et ses défis Après dix ans de polémiques et d’efforts, l’euro est enfin né à la date prévue, le 1er janvier 1999. Son arrivée, qui a déjà permis de préserver l’Europe de la tourmente financière venue d’Asie, est prometteuse, mais également lourde de défis. Pour réussir le pari de l’euro, une seule voie est possible : le fédéralisme. La grande révolution monétaire a finalement eu lieu, comme prévu, pendant le premier week-end de l’année 1999. L’euro est là, même si, concrètement, la plupart des citoyens des onze pays qui le partagent (Allemagne, France, Italie, Espagne, Autriche, Pays-Bas, Irlande, Portugal, Belgique, Finlande et Luxembourg) n’en voient pas encore la couleur. Ils devront en effet attendre le début de l’année 2002, lorsque apparaîtront les premiers billets et pièces libellés en euros. Mais, d’ores et déjà, les marchés financiers (monétaires, interbancaires, boursiers...) ont basculé dans la nouvelle monnaie. Et, dans toute la zone euro – rebaptisée par la presse « Euroland » –, il est possible à quiconque d’ouvrir un compte bancaire en euros. En réalité la monnaie « franc » n’existe plus. Certes, la plupart des gens continuent à payer leurs achats en francs, à signer des chèques en francs, à toucher leurs revenus en francs. Mais le franc n’est plus qu’un déguisement de l’euro, une déclinaison de la monnaie européenne, une subdivision non décimale de cette dernière. En tant que monnaie, le franc n’a pas plus d’existence que n’en ont le centime, le penny ou le kopeck. La vraie et la seule monnaie, en France, comme dans les dix autres pays d’Eu- roland, c’est l’euro. La politique monétaire est désormais définie a Francfort, dans les locaux de la Banque centrale européenne (BCE) : là se décident le cours de l’euro par rapport au dollar ou au yen, le volume de la masse monétaire, le niveau des taux d’intérêt à court terme du continent. La Banque de France n’est qu’une courroie de transmission de la Banque centrale européenne, et son Conseil de politique monétaire est à peu près aussi utile qu’une rangée de potiches. C’est le 2 mai 1998, à Bruxelles, que les quinze pays membres de l’Union européenne (UE) ont finalement franchi le pas. Au terme d’un week-end particulièrement mouvementé, ils ont solennellement annoncé qu’ils iraient jusqu’au bout de leur projet, et que onze d’entre eux commenceraient l’aventure comme il avait été prévu, c’est-à-dire le 1er janvier 1999. Dès lors, les marchés financiers ont totalement cessé de parier sur un échec de l’euro. Les monnaies des onze pays formant l’Euroland se sont « coagulées », pour reprendre la charmante expression d’un banquier central. Aucun spéculateur ne s’est avisé, par la suite, de tenter de les diviser. 1. Le cadeau de naissance de l’euro. Il s’est produit un petit miracle : l’euro a protégé le continent contre les tempêtes financières venues d’Asie et de Russie. En d’autres temps, une crise financière telle que celle que le monde a connue en 1997 et 1998 aurait tiré à hue et à dia le système monétaire européen, créant de grandes perturbations entre le franc, le mark, la lire. Pour défendre leurs devises, les banques centrales des pays européens auraient relevé leurs taux d’intérêt à court terme, ce qui n’aurait pas manqué de freiner l’investissement et donc la croissance – les spéculateurs empruntent des francs, les vendent contre des marks, attendent la dévaluation. Ils remboursent alors des francs dévalués et empochent un gain. Relever les taux d’intérêt rend donc plus coûteuses ces opérations. Mais rien de tel n’est arrivé cette année. Le franc, par exemple, est resté collé downloadModeText.vue.download 265 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 264 à son cours pivot : 3,35 francs pour un mark. Mieux : des milliards de dollars de capitaux baladeurs, fuyant les zones à risques, sont venus se réfugier dans les pays d’Euroland, considérés comme une zone monétaire sûre. Cette « fuite vers la qualité » (fight to quality), ainsi que l’ont baptisée les boursiers, a contribué à faire baisser les taux d’intérêt à long terme : quand l’argent est moins rare, il est en effet moins cher. Cette baisse des taux a permis de donner des vitamines à une croissance qui, sinon, risquait de pâtir de la baisse des exportations vers l’Asie. L’euro a donc permis sinon de neutraliser, du moins d’atténuer le choc de la crise financière mondiale. En revanche, les monnaies européennes qui ne font pas partie des onze « partants » pour la monnaie unique n’ont pas pu, elles, profiter de ce « bouclier ». C’est le cas par exemple de la couronne suédoise ou de la drachme grecque. Quant à la Norvège, qui n’est pas membre de l’Union européenne, elle n’est pas parvenue à défendre sa monnaie face à la spéculation : en août, elle s’est sagement résignée, après plusieurs hausses de ses taux d’intérêt, à laisser flotter sa devise. Ainsi, avant même de voir le jour, l’euro a prouvé son utilité. Il faut dire qu’il devait bien aux Européens ce « cadeau de naissance ». Sa gestation, qui aura duré dix ans, n’a été ni simple, ni indolore. 2. Une gestation douloureuse. Politiquement, d’abord, la question a déchiré les opinions de plusieurs pays. En Allemagne, c’est contre l’avis de son peuple que le gouvernement a décidé de rejoindre la monnaie unique. En France, le clivage maastricht-antimaastricht a divisé le principal parti de droite – le RPR -et créé des tensions dans le principal parti de gauche – le Parti socialiste. Résultat : que ce soit en France ou en Allemagne, les grands partis politiques, qui prodiguaient naguère des convictions européennes bien ancrées, sont devenu des « europhiles honteux ». Ce changement de discours risque de rendre la construction européenne plus difficile à faire avancer que par le passé. Surtout, sur le plan économique et social, la préparation de la monnaie unique n’a pas été non plus un chemin pavé de pétales de rosés. La voie choisie pour faire cette monnaie unique – la fameuse « convergence » – a entraîné des politiques souvent lourdes à supporter. Sur l’insistance des Allemands, le traité de Maastricht a en effet prévu des conditions draconiennes à l’entrée dans la monnaie unique. Les devises devaient être stables, notamment face au mark, l’inflation devait être vaincue, les déficits réduits à 3 % du PIB (Produit intérieur brut), la dette en voie de résorption rapide, etc. Douze pays – et même quinze à partir de l’élargissement de l’Union, en 1995, à la Suède, la Finlande et l’Autriche – ont décidé de suivre tous ensemble la même politique de rigueur monétaire et d’austérité budgétaire. Ce mouvement d’ensemble, sorte de grande purge collective, n’a pas manqué d’aggraver la récession européenne du début des années 90. Les marchés financiers n’ont pas, par ailleurs, facilité la tâche des Européens : doutant du succès du projet de monnaie unique, ils ont en 1992 et 1993 harcelé les monnaies du système monétaire européen, spéculant contre la lire, la peseta, le franc... Dans un premier temps, les banques centrales des pays dont les monnaies étaient attaquées ont réagi en relevant leurs taux d’intérêt à court terme, ce qui a contribué à décourager l’investissement. Ce n’est qu’à partir d’août 1993, après l’élargissement de la bande autorisée de fluctuations des monnaies européennes entre elles, que ces turbulences se sont peu à peu calmées. 3. D’une souveraineté confisquée à une souveraineté partagée. L’euro présente des avantages évidents : la fin des commissions et des frais de changes, coûteux pour les entreprises comme pour les touristes ; la fin des incertitudes de changes, qui freinent le commerce intraeuropéen ; l’affichage, enfin, d’un symbole européen fort : la downloadModeText.vue.download 266 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 265 monnaie « crée du lien social », comme disent les sociologues, et ne peut que contribuer à faire naître chez les européens un sentiment de communauté... Mais là n’est pas l’essentiel. Les principaux avantages attendus de l’euro sont plus politiques que commerciaux ou symboliques. Le premier objectif de l’euro, celui qui fut à l’origine du projet, est de partager entre tous les États de l’Union européenne un pouvoir monétaire qui, de fait, leur avait échappé au profit d’un seul d’entre eux : l’Allemagne. Un petit retour aux origines. Vers la fin des années 80, la France démantèle ses contrôles des changes. Elle prend du même coup conscience des conséquences de ce choix : elle perd totalement l’autonomie de sa politique monétaire. En effet, si la Bundesbank allemande augmente ses taux d’intérêt, la Banque de France n’a de choix que de l’imiter. Cela ne va pas toujours forcément dans l’intérêt de l’économie française, mais la banque centrale ne peut faire autrement : si elle ne « suit » pas la Bundesbank, les capitaux, désormais totalement libres d’entrer et sortir de l’Hexagone, filent en Allemagne où le mark est mieux rémunéré. Et le franc ne peut alors qu’être dévalué. Pour Paris, la situation est vite jugée insupportable. La Bundesbank a pris le contrôle de l’Europe, et le seul moyen de modifier la donne est de faire en sorte que l’Europe prenne le contrôle de la Bundesbank. Comment ? En remplaçant la « Buba », au conseil de laquelle ne siègent que des Allemands, par une nouvelle banque, représentant les intérêts de l’ensemble des pays européens. En janvier 1988, le ministre de l’Économie et des Finances Edouard Balladur lance l’idée publiquement. Le pari est fou, mais le chancelier Kohl, au nom de l’intérêt européen, accepte ce sacrifice. Évidemment, il pose ses conditions : la Banque centrale européenne devra ressembler comme une soeur jumelle à la Bundesbank allemande. Malgré de nombreux bras de fer, il a eu gain de cause sur toute la ligne : le siège de la BCE est à Francfort, ses statuts sont un carbone de ceux de la Bundesbank, et le culte de la stabilité chère aux Allemands est verrouillé par un « pacte ». La BCE, au conseil de laquelle chacun des Onze est représenté, n’est rien d’autre qu’une « Buba » mise au service de l’Europe. Lorsqu’elle aura à relever ou à baisser ses taux d’intérêt, elle tiendra compte de l’intérêt commun de l’ensemble du continent, et non plus de celui de la seule Allemagne. C’est le principal acquis de l’euro. À partir du moment où les pays européens ne sont plus obnubilés par leurs taux de change, ils sont plus libres de suivre la politique économique qu’ils souhaitent. Ils retrouvent de ce fait de réelles marges de manoeuvre, et tout les pousse à coordonner soigneusement leurs actions. De cette manière, leurs taux d’intérêt n’ont pas à être aussi élevés qu’auparavant : les prêteurs internationaux n’ont plus à demander une « prime » pour les risques de change. Ce qui ne peut que faciliter la croissance. 4. La monnaie de tous les dangers. En se lançant dans cette aventure, les Européens n’ont pas pour autant fait un pari facile. L’euro peut être la meilleure comme la pire des choses. Mais, décider de se doter d’une unité de compte commune et de suivre une politique monétaire uniforme sur tout un continent n’est en effet pas sans risques. Le premier, c’est que l’euro génère une brutale course à la compétition entre les entreprises, mais aussi et surtout entre les régions et les États. Avec l’euro, le marché européen est en effet totalement unifié et transparent. On peut comparer instantanément les prix des produits, quelle que soit leur origine. Prendre un crédit ou un contrat d’assurance-vie dans une banque allemande n’est plus un casse-tête, de même qu’il est très aisé de commander des vêtements par correspondance dans un catalogue italien. Les entreprises peuvent également comparer beaucoup plus aisément les coûts de production dans les différentes parties de l’Europe : downloadModeText.vue.download 267 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 266 coût de la main-d’oeuvre, charges sociales et fiscales, etc. Cette transparence ne peut qu’attiser la concurrence. En soi, c’est plutôt une bonne nouvelle. La concurrence est toujours la bienvenue dans une économie de marché. Elle pousse les producteurs à baisser au maximum leurs prix ou bien à élever au maximum la qualité de leurs produits. Au bout du compte, elle profite toujours au consommateur. Mais une concurrence brutalement débridée par l’arrivée de la monnaie unique peut être, au moins dans un premier temps, déstabilisante. Certaines entreprises fragiles n’y survivront pas. Les autres peuvent être tentées de comprimer leurs effectifs pour « s’adapter à l’euro »: plusieurs groupes industriels allemands ont déjà opté pour cette stratégie. Mais le danger le plus grand, c’est le risque de compétition entre les pays et les régions. Ils seront tentés de se lancer dans une concurrence fiscale et sociale pour attirer les investisseurs, les usines, certains travailleurs très qualifiés. Les Quinze devront veiller à ce que l’euro n’entraîne pas la jungle. L’harmonisation de la fiscalité (sur les sociétés et sur l’épargne, notamment) doit être l’un des chantiers prioritaires de l’Union, faute de quoi la monnaie unique tournerait au mauvais cau- chemar. De même, il faudra peu à peu harmoniser les règles sociales européennes. Sinon, sous la pression de la concurrence, l’harmonisation se fera « par le bas » : salaires plus bas, protection sociale réduite, garde-fous réglementaires amoindris. L’euro, si l’on n’y prend garde, menace également de créer des tensions entre les pays membres de l’Union. Si l’ensemble de la zone connaît une surchauffe économique (montée de l’inflation), la réponse de la Banque centrale est évidente : elle augmentera les taux d’intérêt, ce qui a pour effet de « refroidir » la machine et de calmer les tensions sur les prix. De façon symétrique, si l’Europe est en train de glisser vers une récession, la Banque centrale baissera les taux d’intérêt pour requinquer le crédit, et donc la consommation et l’investissement. Cela, c’est le b.a.ba de son métier. Mais comment agira-t-elle lorsque certains pays seront déprimés et que d’autres seront en plein boom ? Il faudra qu’elle trouve une voie médiane, qui mécontentera probablement les uns ou les autres. Elle devra choisir le bien commun, quitte à sacrifier les intérêts d’un ou de deux des membres de l’union monétaire. Ces derniers l’accepteront-ils ? Parfois, des chocs inattendus toucheront un pays sans affecter les autres. Lorsque cela se produisait jusque-là, le pays concerné dévaluait sa monnaie, ce qui atténuait le choc. La France le fit par exemple en 1969, pour éponger les hausses de salaires décidées lors des accords de Grenelle en 1968. Mais, avec l’euro, un pays ne peut plus, par définition, recourir à cet « amortisseur de chocs » qu’est la manipulation du taux de change. Certes, cette nouvelle situation n’est pas complètement inconnue. À l’intérieur d’un pays, de tels chocs affectent parfois des régions qui, elles non plus, ne peuvent compter sur la dépréciation d’une monnaie. Mais, dans ce cas, la population se déplace vers des régions plus dynamiques, et l’équilibre revient. C’est ainsi que, après la chute des prix du pétrole en 1986, des dizaines de milliers de Texans sont partis vers la Californie ou ailleurs. De même, dans les années 70 et 80, une partie des Lorrains ont préféré fuir leur région sinistrée, et, aujourd’hui, le taux de chômage en Lorraine est en fait passé sous la moyenne nationale. Le problème, en Europe, est que les hommes ne se déplacent pas facilement d’un pays à l’autre. Les barrières de langue et de culture restent très fortes. La gestion des « chocs asymétriques » (c’est ainsi que les appellent les économistes) risque donc d’être extrêmement délicate. Les pays affectés auront la tentation très forte de se retirer de l’union monétaire, de reprendre leurs billes et restaurer leur ancienne devise. Pour éviter d’en arriver à une telle situation, il n’existe qu’un moyen : aider financièrement ces pays à se sortir du pétrin. Ce qui signifie qu’un jour ou l’autre les contribuables des pays « sans problèmes » downloadModeText.vue.download 268 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 267 seront appelés à soutenir ceux qui ont des difficultés. Ce type de transfert financier a lieu chaque jour à l’intérieur des nations au profit des régions retardataires. Sans que les citoyens, qui en acceptent le principe, ne s’en soucient. Avec l’Europe monétaire, il faudra faire accepter l’idée d’une solidarité entre les citoyens de nations différentes. Il faudra créer une véritable citoyenneté européenne. 5. La fatalité du fédéralisme. Récapitulons : l’euro ne fonctionnera que si les pays membres parviennent à faire converger leurs systèmes fiscaux (TVA, fiscalité des entreprises, fiscalité de l’épargne...). Sauf à vouloir faire de l’Europe un marché ouvert aux grands vents du libéralisme, il faudra également harmoniser les systèmes sociaux (niveau des charges, réglementation du travail...). Enfin, l’Euroland ne connaîtra de crise que si les onze pays qui le composent ne prévoient pas d’aides financières vers les pays ou les régions connaissant des coups durs. On le voit, avec la monnaie unique, tout plaide pour aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin dans la construction de l’Europe. Au bout du chemin qu’ils ont emprunté, les Européens ns peuvent que déboucher sur une forme de fédéralisme. Aujourd’hui, dans les discours sur l’Europe, le mot « fédéral » semble tabou. Pourtant, à l’origine du projet de monnaie unique, ni le mot, ni l’idée ne choquaient, bien au contraire. Au début des années 90, le gouvernement français n’exigeait-il pas un « gouvernement économique » européen ? Le gouvernement allemand, quant à lui, ne réclamait-il pas une véritable « union politique », qui aurait fait pendant à l’union monétaire ? Le préambule du traite de Maastricht ne parlait-il pas de la « vocation fédérale de l’Europe », expression finalement retirée à la demande des Britan- niques ? Mais ce souffle fédéral s’est éteint depuis. Plus personne, en France comme en Allemagne, n’ose prononcer ce « gros mot en F », comme l’appellent les Anglais, qui, dans leur vocabulaire, en comptent déjà, quelquesuns de ce type. Tout se passe comme si les responsables politiques, traumatisés par le rejet de Maastricht par la moitié des Français (selon les résultats du référendum de 1992) et par les deux tiers des Allemands (selon les sondages jusqu’en mai 1998), n’osaient plus dire à leurs peuples quel était le véritable but de l’aventure européenne. Le fédéralisme est pourtant non seulement l’issue logique, mais la raison d’être de la construction européenne. Celle-ci continue à se faire – quoi qu’on en dise – par la « méthode Monnet », chaque étape portant en elle-même la nécessité de passer à la suivante. La Communauté européenne du charbon et de l’acier a débouché sur le marché commun ; le marché commun s’est transformé en marché unique (liberté totale de circulation des hommes, des produits et des capitaux) ; le marché unique a conduit tout droit à l’union monétaire ; la zone euro, enfin, ne fonctionnera pas sans solidarité financière, sans règles budgétaires et fiscales communes, sans une représentation extérieure commune d’Euroland. Il ne faut pas se leurrer : la prochaine étape, c’est la mise en place d’un pouvoir supranational organisé. Le défi est exaltant, il pourrait redonner goût à la politique. En revanche, le relever avec frilosité, agir en catimini en s’abritant derrière des argumentations techniques (« la contrainte de l’euro exige que... »), ne pourra qu’éloigner un peu plus les peuples de leurs élites et de leur nouvelle monnaie. PASCAL RICHE downloadModeText.vue.download 269 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 268 L’année littéraire En 1998, l’auteur se retrouve à l’écart des « écoles » qui appartiennent maintenant à l’histoire de la littérature. Il n’a pas de maîtres à honorer, à moins qu’il ne le souhaite, et, face aux paroles autorisées se réclamant de l’esprit scientifique, il ne revendique pour domaine privilégié que l’affectif, l’imaginaire ou, de façon comparable à la philosophie, s’interroge sur la forme romanesque elle-même. Cette image, aujourd’hui fallacieuse, est essentiellement façonnée par les émissions télévisées, qui ne retiennent que cet aspect de la manifestation. Exactement comme si les journalistes de l’audiovisuel commentaient l’actualité politique avec la langue de bois qui prévalait à l’époque de la guerre froide. Le poids du corps Lorsque les fables qui tramaient la cohésion sociale se délitent, l’être est renvoyé à sa propre singularité et de nombreux auteurs ressentent d’abord la pesanteur du corps devenu le seul intermédiaire. L’accent est mis tantôt sur ce qui est touché, éprouvé, tantôt sur le bouillonnement intérieur, où se brassent les souvenirs, où oeuvrent les forces thanatiques. Sur ce « divan de l’écrit » où un « je » s’exprime et parfois s’égare, conscient de l’inadéquation du langage, se révèlent aussi bien la pure désespérance que la tentative d’une réconciliation singulière – serait-elle imparfaite –, avec la destinée humaine. Erik Orsenna dans Longtemps, raconte l’histoire d’une passion adultère qui durera quarante ans ! Il emmène son lecteur à Buenos Aires, en Chine, mais ce n’est qu’une toile de fond mouvante pour une quête du bonheur impossible. Quête non plus du bonheur mais de l’équilibre personnel lorsque Hélène Lenoir (Son nom d’avant) plonge son héroïne Britt dans le désarroi : elle retrouve vers la quarantaine l’inconnu dont elle avait, jeune fille pauvre, croisé le regard. L’auteur joue des références photographiques, du flou, de la mise au point. Cette recherche d’un équilibre intérieur est interdite à la narratrice d’Isabelle Rossignol (Petites Morts), qui s’égare dans les méandres labyrinthiques d’une sexualité défaillante. Pire encore, avec Parole de ventriloque, Bénédicte Fayet, inspirée par un fait divers, conduit une femme à l’horreur de l’infanticide. L’introspection peut se faire également sous forme de conversation, titre que Lorette Nobecourt donne à son livre, Conversation, où se noue une rencontre entre deux femmes dont l’une confie : « Voilà ma vie de sensations, un corps et tous ses composants ». Paule Constant (Confidence pour confidence) croise les paroles de quatre femmes proches de la cinquantaine. Plus que leurs jugements sur les événements dont elles furent témoins demeure la blessure d’un échec amoureux. Voix de femmes qui évoquent le désarroi de la séparation inscrit dans la chair. Des hommes aussi font de cette souffrance leur sujet. Ainsi Jacques Tournier qui, dans Des persiennes vert perroquet, nous offre dix portraits féminins. Pour certains, l’amour physique peut avoir une vertu, tel Christian Oster (Loin d’Odile), dont le héros skie sur les pistes où la mort guette, tandis que l’amour retarde l’instant fatal. La rencontre permet à Mario Pasa (Une heure à tuer) de tramer l’initiation amoureuse et littéraire. Si la littérature n’intervient pas, la mathématique peut aujourd’hui s’y substituer : dans Kurtz, Marc Aubert met en équation une relation amoureuse. downloadModeText.vue.download 270 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 269 Emprisonnement Ce corps de jouissance et de souffrance devient aisément le lieu de l’emprisonnement. Torturé, il ne parvient même plus à crier dans Voix une crise de Linda Lê, un texte court, mais où l’écriture brisée, hachée, tente de rendre audible la voix brisée. Il est difficile de mettre en parallèle le remarquable Ostinato de Louis-René Des Forêts, cependant là aussi le corps est prison et l’impossibilité de dire, un leitmotiv. Fernando Arrabal, fidèle à lui-même, se complaît à nous faire vivre les souffrances d’un vieillard paralysé (Funambule de Dieu) dont le corps martyrisé ne peut dire les tortures infligées par deux infirmières. Frédérique Clémençon (Une saleté) enferme ses personnages dans une maison en décomposition où Édith, vieille jeune fille de quarante ans claustrée, n’a d’autre ressource que de rêver de purification par le feu. Ce thème de la prison peut s’inspirer de la réalité : Dominique Sigaud, dans Blue Moon, fait revivre un Noir condamné à mort pour viol au Texas. Et, de la reconstruction littéraire on passe à la violence du témoignage à peine réécrit avec, par exemple, la Cité du précipice de Sadek Aïssat, où le narrateur ne parvient à crier que devant le fusil mitrailleur qui va l’abattre – un hurlement que personne n’entendra. Ici, le monde-prison s’est refermé sur sa victime. Un monde carcéral Les images violentes de l’information influencent de nombreuses oeuvres romanesques qui oscillent entre la tentative de dire la parole emprisonnée dans le corps ou de décrire l’être incapable d’échapper à un univers vécu comme carcéral. Ainsi dans le roman de Catherine Lépront, l’Affaire du muséum, nous suivons le récit d’un gardien, pris au piège des intrigues criminelles qui s’ourdissent dans les couloirs et les salles d’exposition. Le livre devient une parabole de l’Algérie – ce pays proche où se joue un drame si terrible qu’il obscurcit la compréhension. Une lecture que pourraient compléter des oeuvres écrites par des Algériens : À l’ombre de soi de Karim Sarroub, où l’on vit pas à pas le désarroi d’une sortie de prison pour découvrir que l’on reste « enfermé ». Citons encore les Agneaux du Seigneur de Yasmina Khadia, suggérant l’implacable engrenage du crime collectif. Le livre ambitieux de Janine Matillon, la Dernière Migration, réunit les deux enfermements : l’intérieur et l’extérieur – son héros, saisi par la folie, s’enferme dans un souterrain tandis que déferle la longue marche des victimes de la faim dans le monde. Fantasmatique serait plutôt le livre de Marie Darrieussecq, Naissance des fantômes, où l’héroïne, ne voyant pas son mari rentrer, est prise au piège de l’angoisse face à l’absence incompréhensible. La transposition onirique Une des façons de transposer cette agression du monde, c’est soit de bâtir un univers proche mais imaginaire, soit de suggérer par-delà la réalité le bruissement d’une autre dimension que nous ne pouvons qu’effleurer. Rezvani (la Cite Potemkine, ou les géométries de Dieu) imagine un Tchernobyl définitif et, dans cet holocauste, fait intervenir une dimension métaphysique. Antoine Volodine (Vue sur l’ossuaire) bâtit avec délectation le labyrinthe de son univers cauchemardesque. Cet objet, romanesque par ses références aux méfaits sanglants des polices secrètes, a une certaine force, mais combien plus de charmes possède le petit livre : Invisible, de Nicolas Kieffer, où un homme mutique rencontre une petite fille, lui fait entrapercevoir l’invisible, après quoi la rencontre s’évapore, à la lisière de la page, le mys- tère fait signe qui plane sur un univers conventionnel de banlieue pavillonnaire. L’élaboration romanesque Pierre Péju dans Naissances, s’interrogeant sur la nécessité d’écrire, y voit un désir de dire le cours de la vie – cette réalité illusoire -, mais il insiste sur une autre exigence : « Écrire, c’est downloadModeText.vue.download 271 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 270 vouloir distinguer à travers les mots ce qu’en réalité on ne peut voir : naissance et mort, apparition et disparition fulgurantes des êtres. » Son livre est, par ailleurs, une suite de cinq récits où mort et naissance se conjuguent. Cependant, l’élaboration romanesque peut se présenter sous des formes multiples, mais toutes interrogent le rapport même de l’écriture aux possibilités de recréation d’un réel et suggèrent, à défaut des certitudes disparues, ces résonances de l’inconcevable que l’on baptise absence ou néant. Toutes suggèrent une exigence de l’esprit qui demeure à l’affût des reflets sur le miroir de la page où s’inscrit déjà notre disparition. Dans Missing de Claude Ollier, la traversée du Canada ne fait que confirmer la mouvance de l’existence et la seule recherche possible est celle de « l’essence du lieu de l’éphémère ». Olivier Rolin, avec un livre remarquable, Méroé, nous conduit au Soudan, tissant l’histoire de trois exils et la recherche d’une femme imaginaire. L’intrigue a son épicentre en un lieu où la civilisation de l’Égypte pharaonique survécut et dissimule « une histoire qui a autant de sources que le Nil ». Face à ce livre sinueux qui mêle le lyrique au trivial, on pourrait confronter une autre complexité, celle du livre de Patrick Roegiers, la Géométrie des sentiments, où se succèdent neuf histoires de couples saisis dans des toiles signées Van Eyck, Titien, Rubens, etc. L’auteur entreprend de pénétrer dans l’immobilité picturale afin de réinventer une autre ligne de fuite, celle du roman secret de ces couples, et, pour ce faire, il a recours aux artifices de l’écriture, à la pyrotechnie de vocabulaires empruntés à chaque époque. La distance ironique fait le charme du Bonheur de l’imposture d’Hubert Nyssen : un fils y cherche en vain la sortie du labyrinthe des souvenirs, mais au centre de cette histoire à tiroirs est campé un « paysagiste » capable, du moins le croit-il, de tracer dans ce désordre un jardin « à la française ». Le livre vaut par la satire et le toucher amusé, mais nous rappelle aussi que certains critiques, jugeant sévèrement le « romanesque », veulent y voir l’incapacité du roman à se renouveler ; ce sont ces mêmes critiques qui ont proclamé la venue d’un « prophète » en la personne de Michel Houellebecq avant même la parution de son deuxième roman, les Particules élémentaires, un ouvrage qui a des qualités et une originalité certaine dans son refus de recourir aux afféteries de l’écriture. La juxtaposition de plusieurs « styles », celui de la théorisation scientifique face à la parole répétitive inspirée du film pornographique, sans compter celui de la réflexion sur notre société, qualifiée de « post-matérialiste », révèle l’ambition du propos, mais cela rejette-t-il aux oubliettes toute orchestration de l’écriture comme appartenant à un passé révolu ? Déplacements dans l’espace et le temps Faut-il rejeter en bloc tous ces ouvrages qui prennent plaisir à emprunter les chemins de l’aventure, tel les Flibustiers de la Sonore de Michel Le Bris, à nouer des intrigues à résonances policières dans une Égypte contemporaine chargée encore de vibrations métaphysiques, que ce soit François Sureau (Lambert Pacha) ou Pierre Combescot (le Songe des pharaons) ? Faudrait-il se priver de reculer dans le temps et d’accompagner l’épopée de Gengis Khan revisitée par le Loup mongol d’Homeric ? Faudrait-il ne pas lire Aïssé de Pierre Gascar, où l’on suit la destinée d’une jeune esclave achetée à Istanbul par un diplomate en plein Siècle des lumières ? Littérature d’évasion peut-être, mais qui permet, quand les livres sont bien faits, quelques rapprochements avec notre monde en désarroi. Certains écrivains précisent d’ailleurs le parallèle, tel James Gressier (le Retour du chasseur), où un historien cherchant à décrire la vie agitée de Frédégonde, reine criminelle du VIe siècle, exhume les analogies entre cette époque de désordres et la nôtre. Ce déplacement dans le temps permet à Philippe Sollers d’écrire par séquences brisées, downloadModeText.vue.download 272 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 271 notules, interjections, citations, son plaidoyer pour l’écrivain « clandestin » Casanova, l’admirable, tant et si bien qu’il se confond lui-même avec ce séducteur dont il reprend la belle et provocante déclaration liminaire : « Membre de l’univers, je parle à l’air ». La simplicité apparente peut elle-même receler ce questionnement sur la condition humaine comme le montre le livre subtil d’Éric Holder Bienvenue parmi nous, où un peintre âgé en mal d’inspiration prépare son suicide, rencontre et voyage avec une jeune fille livrée à elle-même. D’être l’un à côté de l’autre suffit à chacun et le chemin parcouru ensemble les conduit à l’apaisement. Quant au déplacement dans ce livre, il se trouve dans cette sereine lumière à la Vermeer qui infuse le récit. Autre ouverture sur le monde : la littérature étrangère La littérature étrangère est censée proposer une ouverture sur d’autres visions du monde, sur d’autres approches de la littérature. La difficulté est que la confusion impliquée par la multiplicité des ouvrages s’accroît par suite de l’incohérence chronologique des oeuvres proposées. Lion britannique Pourquoi ne pas mettre en exergue un auteur du XVIIIe siècle, Laurence Stern, avec la publication du premier tome de la Vie et les opinions de Tristram Shandy, dans une traduction enfin satisfaisante ? La digression y est élevée à la hauteur d’un art et toutes les techniques novatrices revendiquées par la littérature contemporaine sont déjà à l’oeuvre : blancs, incises, dispositions typographiques, réflexions inattendues, disparition de l’intrigue, etc. Non moins fascinants sont les Essais d’Elia de Charles Lamb, promeneur solitaire dans les rues du Londres du siècle suivant, évoquant les ombres de notre condition éphémère. Passons au XXe siècle avec la poursuite de la publication de la fresque en douze volumes de la Ronde de la musique du temps, titre inspiré d’un tableau de Poussin, la Danse des âges du temps. On a comparé son auteur, Anthony Powell, à Proust, mais c’est un travail différent où l’on scrute avec un détachement légèrement ironique les agitations de personnages de bonne famille, tandis que les références à la peinture introduisent des sortes de plan fixe. L’Homme sans douleur (1997) d’Andrew Miller suit la destinée d’un homme au XVIIIe siècle qui ne ressent pas la douleur – livre représentatif de cette tendance du roman anglais du retour au passé. Plusieurs écrivains anglo-saxons jouent ainsi avec les thèmes de la violence, du macabre, éventuellement de l’occulte, avides de parcourir les salles obscures de l’imaginaire examinées avec une précision clinique. Politiquement incorrect Des États-Unis nous revient la présence de Jack Kerouac, qui fut parmi les premiers à transmettre la fable de l’errance – réponse à l’angoisse du vide de l’existence. Dans les Anges de la désolation (1965) on le voit face à la présence du néant : « le son du silence seule leçon que tu reçois ». La passion de l’auteur de Sur la route pour la marge se retrouve en filigrane dans le grouillement que dépeint Jérôme Charyn (Capitaine Kidd et Sinbad, 1995) dans les rues de New York, avec en particulier ces personnages de gosses mal insérés dans la société. Le retour sur le passé se retrouve avec le copieux Pourfendeur de nuages (1997) de Russell Banks qui, par l’entremise d’une lettre fleuve adressée par un fils survivant à une jeune historienne, dessine la figure mythique de John Brown (exécuté avant la guerre de Sécession pour son action armée contre l’esclavagisme). L’auteur recrée avec talent les conditions de vie, les croyances et les comportements de l’époque. John Updike se livre, lui aussi, à l’art de la fresque (Dans la splendeur des lis, 1996). Il entreprend de retracer l’histoire de quatre générations, avec en toile de fond le début de la Première Guerre mondiale, le krach de downloadModeText.vue.download 273 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 272 l’après-guerre, etc. C’est l’oeuvre d’un écrivain qui a la maîtrise de son métier, mais avec un détachement désabusé que l’on retrouve sous une forme plus mélancolique dans Un été à Key West (1995), d’Alison Lurie. Il faut remonter vers le Canada pour découvrir une artiste accomplie avec Jane Urqhart (le Peintre du lac, 1997), qui ne se contente pas de faire surgir l’âme du Canada anglophone, mais recrée l’aventure esthétique de notre siècle. Latino-américanité Plus de grande révélation littéraire venue de ce continent, mais il convient de mentionner la vitalité de Fernando Vallejo (le Feu secret, 1986), natif de Medellin et qui affirme : « J’écris pour inquiéter. » Ce n’est qu’un volet d’une « saga autobiographique », carnaval et danse de mort où les propos les plus crus peuvent se changer en poésie. Le Brésilien Joâo Guimanaes Rosa tentait d’écrire un portugais mélangé de mots indiens, d’onomatopées et d’harmonies imitatives afin de recréer la présence ancienne de l’homme animal : Mon oncle le jaguar (posthume, 1985). À cette vigueur « primitive » on pourrait opposer le dernier livre – inachevé (Un souffle de vie, 1996), de Clarice Lispector, brésilienne également, qui médite sur sa propre disparition jusqu’à ce que la mort se glisse entre les pages. À l’est L’Autrichien Peter Handke conduit son narrateur George Keuschnig (Mon année dans la baie de personne, 1993) à faire étape dans une maison de la banlieue parisienne qui devient « une baie ou nous jouerions le rôle d’objets échoués sur le rivage », une peinture tranquille de la « désertification urbaine ». Cette année a disparu l’Allemand Ernst Jünger qui, à près de cent trois ans, était le doyen des écrivains. Son oeuvre considérable a parfois été dénoncée comme recelant une apologie de la guerre. Feu et sang (1925) montre combien il a su évoquer la profondeur des blessures infligées par les « nouveaux instruments de mort de la tuerie de « masse ». Extrême-Orient Difficile de ne pas retrouver les traces des deux grandes conflagrations du siècle, irait-on en Chine ! De ce pays nous vient un énorme ouvrage mi-roman mi-témoignage, Quatre Générations sous un même toit (1946), dont paraît le 2e tome Survivre à tout prix, qui entreprit de peindre la période de l’occupation japonaise. Les traces de la guerre et la brûlure atomique réapparaissent souvent dans la littérature japonaise, mais le très beau récit de Oé Kenzaburô, Une famille en voie de guérison, conduit avec simplicité à une acceptation lumineuse des blessures, familiales ou nationales. Cependant le Japon, c’est aussi le record du taux de lecture dans le monde et, de ces publications popu- laires, nous disposons de plusieurs exemples de qualité avec, par exemple, le recueil de 17 nouvelles d’Haruki Murakami (L’éléphant s’évapore, 1990-1993), où s’estompent dans la rêverie, de façon parfois tragique, les contraintes d’une réalité étouffant l’individu. Russie Un des grands témoins du destin tragique du peuple russe est assurément Alexandre Soljenitsyne, dont paraissent le Grain tombé entre deux mondes (1978), le récit d’un exil de 1974 à 1978, de l’Allemagne au Vermont, et la Russie sous l’avalanche (1996), écrit après son retour en 1994 – un jugement sans concession. Dans un discours de 1967, Soljenitsyne disait : « Une littérature qui ne joue pas son rôle d’oxygène pour la société contemporaine, qui n’ose pas transmettre sa douleur et son inquiétude... ne mérite pas le nom de littérature mais simplement de cosmétique. » Essais, documents À placer en tête, Une histoire de la lecture d’Alberto Manguel. Elle remet en mémoire cette évolution qui, partant du texte proféré, downloadModeText.vue.download 274 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 273 conduisit à la lecture silencieuse, une histoire liée au développement de la notion d’individu, le livre jouant le rôle de refuge ou, au contraire, de moyen de lutte. Féminisme Au moment où on débat encore en France de la représentation paritaire apparaît l’étude du sociologue Pierre Bourdieu la Domination masculine. Il définit ce règne du mâle comme le produit d’une construction historique et en tire la conclusion que la libération de la femme dépend de la reconnaissance de la complémentarité des sexes. Violences et holocauste Si l’oppression de la femme est légale dans de nombreuses sociétés, aucune n’échappe cette année encore d’une façon ou d’une autre à la violence, ce que rappelle le Traité de la violence (traduit de l’allemand) de Wolfgang Sofsky, qui tente de définir des constantes dans le comportement des agresseurs et des bourreaux et montre la démultiplication de la violence liée aux progrès technologiques. Marcel Détienne (Apollon le couteau à la main) traite des violences rituelles de l’Antiquité et fait tomber le masque de sérénité du dieu. De nombreux essais sont toujours consacrés à la béance du siècle – la shoah – mot hébreu qui signifie catastrophe, mais aussi tourmente. Il faut revenir à Primo Levi, dont on publie Conversation et entretien (1987). Oubli et commémoration Tout tombe dans l’oubli et surtout les victimes des tourmentes sanglantes du siècle. Annette Becker examine, dans les Oubliés de la Grande Guerre, les souffrances des civils occupés, les évacuations forcées, les camps de représailles, – annonce d’autres camps à venir. Pierre Miquel (les Poilus d’Orient) s’intéresse à ces combattants perdus, qui moururent sur le front en Orient de 1915 à 1919. Face à l’oubli, les commémorations sont déplus en plus nombreuses et de moins en moins objet d’intérêt. On peut lire à ce propos un livre intéressant : Naissance du Panthéon, de Jean Claude Bonnet, qui considère que le culte des grands hommes développé au XVIIIe siècle a contribué à la chute de la monarchie et que ce culte décline au moment où l’image protectrice du père s’efface. Dans cette perspective, l’anniversaire de la proclamation française de l’abolition de l’esclavage (1848) est passé presque inaperçu, mais il nous vaut un livre remarquablement illustré. De l’esclavage aux abolitions, de Jean Metellus et Marcel Dorigny, sur les autres oubliés d’une pratique qui fit au moins 50 millions de morts. D’autres formes d’esclavage sont toujours pratiquées, comme le rappellent les auteurs. Ainsi que le souligne Claude Romano dans sa remarquable étude à dimension philosophique, l’Événement et le monde, l’excès d’information donne aujourd’hui une forme éphémère à l’événement et la nouvelle nous bouscule sans nous atteindre. Disparition Le dernier livre, inachevé, de Jean-François Lyotard, la Confession d’Augustin, est paru après sa mort survenue en avril. Le philosophe en tête-à-tête avec l’inventeur de notre conception du temps accompagne et affronte dans ce dernier combat les mystères auxquels saint Augustin s’était converti. On peut voir dans ce livre un retour de l’auteur au temps de sa jeunesse où il avait connu la tentation du couvent et où il cherchait déjà comme l’enfant Augustin – et comme la littérature – « des signes pour traduire à d’autres ses impressions ». G. H. DURAND downloadModeText.vue.download 275 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 274 Année du théâtre 1998 « À Paris, trop de spectacles ; en province, trop de festivals ? On s’y rue ou l’on s’y perd, on s’y passionne ou l’on s’y use. Et durant ces mois de mai, de juin surtout, rive droite ou rive gauche, trop de vernissages – donc trop de peintures et de peintres ? –, trop de lancements de livres – donc trop d’écrivains ? Coiffons le problème : trop d’intelligences, trop d’art, trop de pensée ? Non ! Mieux vaut passer pour un pays le travers du pullulement que la tare de la carence, mieux vaut l’effervescence turbulente que la noble stagnation. » Placées en exergue d’un ouvrage revenant sur la saison théâtrale, ces lignes ont été écrites en 1954. Elles laissent songeur. Comment réagirait leur auteur quarante-quatre ans après alors qu’au fil des années le nombre de spectacles n’a cessé de se démultiplier ? Du nord au sud, de l’est à l’ouest, c’est une profusion sans fin. Compagnies indépendantes, scènes nationales, centres dramatiques et théâtres nationaux, théâtres privés, rivalisent en propositions nourries par des comédiens de plus en plus nombreux – 6 000 en 1986, 12 000 en 1994 ! Chacun affiche, produit, crée jusqu’à provoquer parfois un sentiment de trop-plein chez le spectateur qui n’en peut mais. Que dire devant les plus de 200 spectacles recensés (dont 16 créations) uniquement dans Paris et sa banlieue pour la seule semaine du 4 au 10 mars 1998 ? Huit mois après, pour la semaine du 11 au 17 novembre, ils étaient près de 240, dont 17 créations ! Certains ne manqueront pas de dénoncer cette profusion, relevant, à juste titre, que dans cette masse nombre de spectacles ne méritaient pas d’être joués, qu’ils ne portaient de théâtre que le nom, voire – s’il est vrai que « la fausse monnaie chasse la bonne » – étaient dangereux. Pourtant, bien qu’il soit évident que la quantité n’est pas garante de qualité, le « pullulement » vaut mieux que la « carence », « l’effervescence turbulente » que « la noble stagnation » – en 1998 comme en 1954 ! Avec tous ses aléas, ses déceptions, ses inutilités, l’année écoulée s’est révélée aussi riche que les précédentes en vraies réussites, en grands événements. À commencer – coup d’envoi de l’année, dès janvier – par la nouvelle création d’Ariane Mnouchkine et du Théâtre du Soleil : Et soudain, des nuits d’éveil. Sous le Soleil d’Ariane Réalisé en quelques mois dans une urgence née du travail d’improvisation, le spectacle racontait l’irruption d’une délégation de Tibétains en exil dans un théâtre, un soir de représentation. Sous le regard des quelque 400 bouddhas peints formant une fresque immense, on a pu retrouver tout ce qui fait la force du Théâtre du Soleil – invention, lyrisme, allégresse de la mise en scène, du jeu des acteurs, de la musique de Jean-Jacques Lemêtre. Mais, surtout, par-delà la rencontre de l’Asie et de l’Occident, par-delà le mariage de la commedia dell’arte et des danses tibétaines, ce qui a le plus marqué, ici, c’est, en même temps que l’évidence politique du propos abordant aussi bien le drame du Tibet que celui des « sans-papiers » accueillis quelques mois plus tôt à la Cartoucherie, la mise au jour d’une autre vérité profonde : celle de la vie du théâtre, d’une troupe. Comme elle l’avait fait avec son film Molière, Mnouchkine réussit le tour de force de parler, à travers son sujet – et sans le sacrifier jamais – d’elle-même et du Soleil avec tendresse et humilité, tout en maintenant à son plus haut l’exigence d’un art downloadModeText.vue.download 276 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 275 civique et populaire, inscrit de plain-pied dans la cité. Le Théâtre dans la Cité C’est ce théâtre, cette exigence que l’on a pu retrouver tout au long de l’année avec les hérauts de la décentralisation. Au Centre dramatique national de Gennevilliers, Bernard Sobel a « ressuscité » la Tragédie optimiste du Russe Vichnevsky posant, dans les années 30, les contradictions essentielles du communisme et de la révolution. Au Volcan du Havre, Alain Milianti a célébré dans un même élan Genêt, Fanny Mentré et Robespierre avec Le festin où s’ouvrent les coeurs, tandis que Jeanne Champagne, un peu partout en France, a présenté devant un public d’adultes et de lycéens son triptyque réalisé sur le mode du théâtre de tréteaux à partir des trois récits autobiographiques de Jules Vallès (l’Enfant, le Bachelier, l’Insurgé). Au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, JeanPierre Vincent, un an après s’être penché sur la figure de Marx avec Karl Marx, Théâtre inédit, est revenu par deux fois à son exploration minutieuse et fine de l’identité française par le biais de deux « classiques » – le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux et un Tartuffe de Molière à la violence inaccoutumée. Roger Planchon, lui, a repris sa mise en scène d’un autre Marivaux créée la saison précédente au Théâtre national à Villeurbanne – le Triomphe de l’Amour. Si, pour le coup, l’essentiel de la réussite tenait à la liberté et à l’acuité du regard porté sur l’oeuvre et son auteur, les mécanismes du pouvoir et de la pression sociale, des rapports entre princes et sujets, maîtres et valets, étaient, là encore, parfaitement démontés. La politique et l’histoire sur le plateau Plus explicite, Jean-Louis Benoît, au Théâtre de l’Aquarium, à Vincennes, n’a pas hésité à porter directement la parole politique sur la scène avec Une nuit à l’Élysée réunissant autour d’un François Mitterrand quasi à l’agonie devant son ortolan au soir du 31 décembre plusieurs membres de sa « cour » et une litanie de « visiteurs » nommés Jacques Chirac, Alain Juppé, Lionel Jospin ou Michel Rocard. Le texte était composé exclusivement d’extraits de confessions, Mémoires, déclarations, discours prononcés par ces derniers. Grotesque mais d’une lucidité extrême sur le pouvoir et ceux qui l’ont conquis, cette « farce » prenait des allures de leçon de civisme roborative, dans la lignée des Voeux du Président, autre création de Jean-Louis Benoît conçue en 1996 à partir des voeux de Nouvel An réellement présentés à la télévision par François Mitterrand lors de son premier septennat... Quelques mois auparavant, Jean-Louis Benoît avait signé avec les Fourberies de Scapin l’une des rares productions marquantes de la Comédie-Française – avec l’explosive version de Nathan le Sage de Lessing par l’Allemand Alexander Lang et la magnifique Cerisaie de Tchékhov « dérussifiée » par Alain Françon. Faut-il y voir un hasard ? Évidemment non. Les Fourberies de Scapin aussi bien qu’Une nuit à l’Élysée s’inscrivent tous deux à leur manière dans le droit fil du travail mené à l’Aquarium depuis 1972 – depuis sa création. Membre fondateur et codirecteur de la troupe aux côtés de Jean-Louis Benoît, Didier Bezace y a pleinement participé, proposant notamment un triptyque embrassant l’histoire de la France, du Portugal et de l’Allemagne à l’heure du fascisme et composé du Piège d’Emmanuel Bove, de Peirera prétend... d’après Tabucchi, ainsi que de la Noce chez les petitsbourgeois suivie de Grand’ Peur et misère du IIIe Reich de Brecht. Réalisé sur plusieurs années, ce triptyque a été repris fin 1997 - début 1998 au Théâtre de la Commune, le Centre dramatique national d’Aubervilliers dont Didier Bezace a été nommé alors le nouveau directeur. Le renouveau du théâtre « d’art » et de « service public » Cette nomination aurait pu n’être qu’anecdotique Elle constitue l’un des temps les plus downloadModeText.vue.download 277 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 276 forts de l’année 1998. De même que les nominations, à la même époque, d’Alain Françon à la tête du Théâtre national de la Colline, à Paris, et de Stanislas Nordey à celle du Théâtre Gérard-Philipe, le Centre dramatique national de Saint-Denis. Elle marque un retour en force des metteurs en scène décidés à remettre à l’ordre du jour la notion de « théâtre d’art » et celle de « service public ». Par-delà les différences de personnalités et d’esthétiques, chacun des trois metteurs en scène professe, en effet, un même désir de rendre sa dynamique à une institution que l’on a dit trop souvent essoufflée, sinon usée. De même qu’il n’est pas innocent que Didier Bezace ait inauguré son entrée en fonction par la reprise de son triptyque ancrant le théâtre – et le spectateur – dans l’histoire, la mémoire, la société, de même il ne l’est pas moins qu’Alain Françon ait, pour sa première mise en scène en tant que directeur de la Colline, choisi de revenir sur une pièce de l’Anglais Edward Bond – la Compagnie des hommes – qu’il avait créée en 1992. À chaque fois, il s’agit de véritables « manifestes ». Manifeste, pour Didier Bezace, de défense et illustration d’un théâtre libre qui soit « un lieu d’exception », comme il dit, « où des gens sont invités à s’asseoir pour regarder le monde et se regarder eux-mêmes à travers les histoires plus ou moins loufoques qu’on leur propose ». Manifeste, pour Alain Françon, en faveur d’un théâtre « d’art » et « du texte », « utile » et ou, précise-t-il, « chaque représentation permette à chacun d’arracher au chaos un peu de sens ». Pour le premier, cela s’est traduit par le refus d’une programmation figée à l’avance au profit d’une suite de cycles décidés en cours d’année, comme celui des Contes de la vie ordinaire, s’attachant à l’existence quotidienne des êtres au travers de diverses propositions, dont une adaptation d’extraits de la Misère du monde de Bourdieu. Pour le second, cela a donné la présentation d’écritures exclusivement du XXe siècle, signées Brecht (Dans la jungle des villes, mis en scène par Stéphane Braunschweig), Ibsen (Un ennemi du peuple, ressuscité par Claude Stratz), le Hongrois Schvvajda (le Miracle, révélé par Michel Didym), l’Américain Charles Reznikoff (Holocauste, découvert par Claude Régy) et Heiner Muller (Germania 3, repris par Jean-Louis Martinelli, directeur du Théâtre national de Strasbourg, où il l’avait créé). L’exemple de Saint-Denis Cependant, c’est Stanislas Nordey, au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, qui s’est montré le plus radical dans sa volonté de rupture avec les habitudes pratiquées. Formé au Conservatoire, révélé dès sa première mise en scène à vingt-cinq ans (la Dispute, de Marivaux), habitué des écritures contemporaines (Pasolini, Genêt. Hervé Guibert, Heiner Müller...), il a pris la direction du Centre national dramatique, à trente et un ans tout juste, après avoir passé trois ans à Nanterre, comme directeur associé de Jean-Pierre Vincent au Théâtre des Amandiers. Entouré d’une équipe de comédiens dont la plupart sont des comparses depuis ses débuts, il se réfère aussi bien au Cartel qu’aux pionniers de la décentralisation (Hubert Gignoux, Gabriel Monnet...) et revendique, dans un manifeste, un théâtre citoyen rendu à son public – en l’occurrence les habitants de Saint-Denis. « Il ne s’agit que d’un retour aux origines, déclare-t-il. Des centres dramatiques comme celui de Saint-Denis n’ont pas été créés pour les spectateurs de Paris mais pour les gens qui vivent ici. Il faut qu’ils puissent y venir, qu’ils sachent que ce théâtre est fait pour eux. » Concrètement, cela a signifié, en plus d’un travail de « ratissage » sur le terrain auprès des associations, des lycéens, des enseignants, etc..., la décision d’ouvrir le théâtre à tous, tous les jours, douze mois sur douze, sans fermeture pendant les vacances. Cela a signifié aussi, sur le modèle de Vilar à Suresnes, l’organisation, un dimanche par mois, d’une journée « porte ouverte » permettant à chacun de découvrir le théâtre, des coulisses au grenier. Un prix unique des places (50 francs) a été instauré, downloadModeText.vue.download 278 sur 417 DOSSIERS DE L’ANNÉE 277 sans exonération ni exception. Si un système d’abonnement a autorisé, du 1er janvier au 31 décembre, à assister à 10 spectacles pour 200 francs, les habitants de Saint-Denis ont bénéficié d’une faveur. Pour la même somme, ils ont eu droit à l’ensemble de la programmation – soit 24 spectacles, dont les trois quarts ont été, pour la plupart, le fait de jeunes compagnies invitées ou coproduites, suivant le principe cher à Nordey : « Si l’État nous donne de l’argent, c’est pour le redistribuer. » En quelques mois, le Théâtre Gérard-Philipe s’est imposé comme un haut lieu des expériences et des découvertes au service d’auteurs, d’acteurs et de metteurs en scène souvent en marge du système, mais toujours – ou presque – porteurs d’émotions, de pratiques et de formes nouvelles. Tel Daniel Émilfork se racontant avec la complicité de Frédéric Leigdens dans Comment te dire ? ; tel Éric Ruf, comédien échappé de la Comédie-Française le temps d’un étrange Du désavantage du vent aux images prégnantes et au langage imaginaire, créé d’abord au Théâtre de Lorient ; tel, encore, le groupe Sentimental Bourreau avec Tout ce qui vit s’oppose à quelque chose, objet théâtral non identifié qui mêle musique, danse, théâtre, texte et signe sur le mode joyeux de la confusion et de l’excitation des sens ; tel, enfin, Thierry Bédard s’attaquant à l’Encyclopédie des morts, variation de l’écrivain serbo-croate Danilo Kis sur la « fabrication » par la police secrète russe des Protocoles des sages de Sion. Poursuivant le même but, Stanislas Nordey, Alain Françon et Didier Bezace prouvent, chacun à sa façon, qu’il est possible de réformer la pratique théâtrale. Tout au moins d’essayer. S’il n’est pas question de les instituer modèle idéal, on ne peut que reconnaître leur mérite à tenter l’aventure, en discours et en actes. En cela, ils font figure de quasi-révolutionnaires et marquent, du même coup, 1998 d’une pierre blanche. Manifeste pour un théâtre citoyen de Stanislas Nordey (extraits) « Pour que le citoyen puisse considérer le moment de la venue au théâtre comme un geste simple, nécessaire, une joie, un petit bonheur, il faut reconsidérer la façon dont le théâtre s’adresse à lui. Pour que le théâtre public garde une identité forte, il faut réaffirmer ses missions, ses enjeux et savoir raconter en quoi, pour quoi et pour qui il est fondamental qu’il existe, qu’il perdure et se fortifie. Pour que, jour après jour, tous ceux qui travaillent dans des théâtres (artistes, techniciens, administratifs) restent des militants actifs d’une certaine idée de ce que sont l’espace et le service public, il leur faut sans cesse réinventer cet outil, l’affiner inlassablement et le regarder à la lumière d’une société qui bouge, qui bouillonne. Il ne s’agit pas d’être dans l’air du temps mais plutôt de ne jamais se trouver en décalage involontaire avec ce qui se joue autour de nous. Le théâtre public se doit de prendre en compte les vagues de l’histoire et l’histoire. Nous pensons que c’est maintenant, je veux dire aujourd’hui, qu’il faut réinterroger nos pratiques et, sans se payer de mots, proposer, agir, faire, tenter en tout cas d’accomplir une révolution sur nous-mêmes. (...) » « Voici maintenant comment nous voulons et nous allons agir, concrètement, au-delà des mots : un théâtre de service public un théâtre pour tous à partir de poètes pour le public pour les artistes aujourd’hui. » Expériences et découvertes De là à dire qu’ils détiennent le monopole des révélations et des expériences, il y a un pas à ne pas franchir. D’autres lieux se sont imposés tout au long de l’année comme d’irdownloadModeText.vue.download 279 sur 417 JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999 278 remplaçables havres – le théâtre Garonne à Toulouse, le Théâtre du Point-du-Jour à Lyon, le Théâtre de Lorient, le Maillon à Strasbourg, la Manufacture à Mulhouse. À Paris, de petites salles comme le Lavoir moderne parisien et le Théâtre du Lierre – où Farid Paya poursuit un travail original alliant musique et voix avec le cycle tragique grec le Sang des Labdaccides – ont fait preuve du même esprit de recherche, au même titre que des scènes plus institutionnelles, tels le Théâtre du Jardin-d’Hiver, le Théâtre Ouvert et le Théâtre de la Bastille, qui a accueilli Julie Brochen avec une version de Penthésilée de Kleist quasi exclusivement interprétée par des femmes jouant les rôles d’hommes dans une atmosphère de passion pour la passion, de sensualité animale et envoûtante – un