*Titre : *Journal de l`année (Paris. 1967) *Titre : *Journal de

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*Titre : *Journal de l`année (Paris. 1967) *Titre : *Journal de
*Titre : *Journal de l'année (Paris. 1967)
*Titre : *Journal de l'année
*Éditeur : *Larousse (Paris)
*Date d'édition : *1967-2004
*Type : *texte,publication en série imprimée
*Langue : * Français
*Format : *application/pdf
*Identifiant : * ark:/12148/cb34382722t/date </ark:/12148/cb34382722t/date>
*Identifiant : *ISSN 04494733
*Source : *Larousse, 2012-129536
*Relation : * http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34382722t
*Provenance : *bnf.fr
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Cet ouvrage est paru à l’origine aux Editions Larousse en 1999 ;
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
2
Le nouveau monde
de 1998
Si Monica Lewinsky avait lavé sa
fameuse petite robe bleue, le bilan
international de 1998 aurait été tout
autre. Si le FBI n’avait pas trouvé
sur ce vêtement des traces, comme
l’avait joliment écrit l’agence Tass,
de l’intérêt du président américain
pour la stagiaire de la MaisonBlanche, Bill Clinton n’aurait
sûrement pas subi l’humiliation
d’une procédure de révocation par le
Congrès et peut-être n’aurait-il pas
fait bombarder l’Irak.
De janvier, quand le scandale éclata, à
décembre, lorsque l’affaire déboucha
simultanément sur les raids de Bagdad
et sur le vote de la Chambre en faveur
de l’impeachment, cette médiocre aventure a
éclipsé tout le reste de l’actualité. Comme dans
une tragédie classique, la planète n’a plus semblé tourner que sur le rythme des trois unités du
« Monicagate ».
Au prisme du « Monicagate »
Un seul lieu... Washington semble être devenue
le centre du monde. Le 21 janvier, le procureur
Kenneth Starr révèle que son enquête sur les manipulations financières de Whitewater a soudain
bifurqué vers un dossier beaucoup plus croustillant. Faute de pouvoir inculper Bill Clinton pour
une faillite immobilière datant de 1978, Kenneth
Starr se convainc que le président a commis des
« crimes » constitutionnels infiniment plus graves.
Pour cacher son aventure avec la jeune Monica, il
se serait rendu coupable de parjure et d’obstruction à la justice. Le monde entier est instantanément informé des coups de théâtre qui se bousculent : le 7 juillet, Monica Lewinsky se résigne à
témoigner contre la promesse d’une immunité
qui lui évitera la prison pour cause de « conspiration » avec le président ; le 17 août, Bill Clinton
accepte d’être interrogé par un « grand jury »
dans l’espoir d’atténuer l’impact des réponses de
la jeune femme, qui n’a rien caché des détails les
plus salaces de leur liaison ; le 11 septembre, les
445 pages du rapport, que Kenneth Starr vient de
remettre au Congrès, sont diffusées sur Internet, si
bien que personne dans le monde ne peut plus
ignorer l’usage intime des cigares du président.
Un seul fait... Chacune des initiatives de la superpuissance américaine ne s’explique plus que par le
« Monicagate ». Lorsque, le 1er février, l’Irak interdit
aux experts de l’UNSCOM chargés de démanteler
les armes de destruction massive l’accès aux « sites
présidentiels », les palais de Saddam Hussein, la
provocation du dictateur est manifeste. Mais, Bill
Clinton ayant aussitôt menacé de bombarder, la
presse américaine en conclut qu’il cherche un prétexte pour redorer son blason. Lorsque, le 19 février, le président américain renonce à frapper, sur
les conseils notamment de Jacques Chirac, il est à
nouveau critiqué. Les éditorialistes le jugent politiquement trop affaibli pour oser riposter.
Le 7 septembre, deux attentats coordonnés
contre les ambassades américaines de Nairobi,
au Kenya, et de Dar es-Salaam, en Tanzanie, font
257 morts, dont 12 Américains, et 5 000 blessés. La
CIA remonte la piste jusqu’à Oussama Ben Laden,
le banquier saoudien du terrorisme intégriste réfugié en Afghanistan. Le 20, Bill Clinton ordonne des
représailles aériennes contre des cibles précises en
Afghanistan et au Soudan.
Le président est alors accusé d’avoir frappé au
hasard dans le seul but de faire oublier ses ennuis
intérieurs. Lorsque, toujours en septembre, Bill
Clinton se rend à Moscou pour embrasser Boris
Eltsine, ce ne peut pas être, aux yeux des observateurs, par simple souci de renforcer le chef de l’État
russe, politiquement et physiquement fort mal en
point. L’objectif réel ne peut être que de dissuader l’opposition républicaine d’aller jusqu’au bout
de la procédure d’impeachment. La signature, le
23 octobre, de l’accord de Wye Plantation entre
Benyamin Netanyahou et Yasser Arafat, doit tout
à Bill Clinton. C’est le président qui, après une semaine d’intenses négociations, a réussi à imposer
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LE BILAN MONDIAL
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un arrangement qui relance le processus de paix
enlisé depuis dix-neuf mois. Mais ce succès est vite
oublié : c’est en vain que, débarquant en Israël, le
13 décembre, Bill Clinton s’efforcera d’obtenir
du Premier ministre israélien qu’il tienne sa promesse toute neuve. Encore une fois, l’échec doit
être assumé par le président. Le « Monicagate »,
affirment les experts, a réduit l’Amérique à l’impuissance. Peu importe qu’une semaine plus tard
les circonstances politiques obligent Benyamin
Netanyahou à révéler la vraie raison du sabotage
de Wye Plantation : abandonné par ses propres
amis politiques, le Premier ministre israélien est
contraint d’annoncer des élections anticipées.
Une seule année... Chaque mois apporte un
autre rebondissement : le procès de Paula Jones,
une ancienne fonctionnaire de l’Arkansas qui
réclamait à Bill Clinton des indemnités pour harcèlement sexuel, se solde par un non-lieu, mais
le président préfère payer ; Hillary Clinton accuse
Kenneth Starr de participer à un complot d’extrême droite contre son mari ; le procureur révèle
qu’il détient des messages laissés par le président
sur le répondeur de Monica Lewinsky.
Succès et tragédies
Pourtant, l’histoire du monde en 1998 ne se
résume pas à l’unique saga du « Monicagate ».
Chaque continent a son lot de succès et de tragédies, qui ne sont imputables en rien aux aventures
de Bill Clinton.
Par exemple, en Afrique : au Congo, LaurentDésiré Kabila n’a pas le temps de jouir de sa victoire sur Mobutu un an plus tôt. Ses alliés tutsis
du Rwanda et de l’Ouganda se font trop encombrants. Mais, lorsqu’il tente de les renvoyer, ces
« armées amies » organisent la rébellion dans
les provinces orientales du pays. En août, Kabila
appelle au secours d’autres voisins : notamment
l’Angola et le Zimbabwe, qui ne veulent pas qu’un
démembrement de l’immense Congo se fasse
à leurs dépens. La rébellion est liquidée, mais il
faudra encore un sommet à Paris pour arracher
un cessez-le-feu. Sur le continent noir, il y a aussi
d’heureux événements. Le 8 juin, le général Sani
Abacha, sanglant tyran du Nigeria, décède brutalement, frappé par une crise cardiaque. Son successeur, le chef d’état-major Abdulsalam Abubakar. promet d’instaurer la démocratie.
Même constat après l’enquête de l’Assemblée
nationale sur le génocide du Rwanda. Elle permet
de découvrir des vérités qui, à l’avenir, devraient
éviter à la France de tragiques erreurs. La mission
d’information créée le 3 mars, sous l’impulsion
de Paul Quilès, clôt ses travaux par la remise d’un
rapport, en décembre, qui absout Paris de complicité directe dans les massacres. Mais le document
souligne que, selon le témoignage de Jean-Christophe Mitterrand, un temps chargé par son père
de la cellule africaine de l’Élysée, la France a péché
par « ignorance et suffisance ».
L’Algérie, elle, continue de souffrir, broyée dans
l’engrenage du cycle infernal terrorisme-répres-
sion. Le 25 juin, le chanteur Lounès Matoub, qui
symbolisait l’identité kabyle, est assassiné par un
commando se réclamant de l’intégrisme. Mais
beaucoup de ses amis accusent le pouvoir, qui
craint les aspirations des Kabyles à l’autonomie. Ils
soulignent la coïncidence de l’entrée en vigueur
de la loi sur la généralisation de la langue arabe, le
5 juillet, une semaine après l’assassinat de Lounès
Matoub.
La sauvagerie n’est pas propre au tiers monde.
Avant que l’accord de paix ne soit accepté en Ulster, il a fallu deux tragédies. Le 12 juin, trois enfants
catholiques sont brûlés vifs quand un groupe de
protestants met le feu à leur maison. Le 15 août,
la voiture piégée que font sauter des terroristes
catholiques fait 28 morts et 220 blessés dans la
petite ville d’Omagh. Rien ne va plus en Russie.
Le 20 mars, Boris Eltsine révoque son Premier
ministre Viktor Tchernomyrdine, le vice-président
ministre Anatoli Tchoubaïs et le ministre de l’Intérieur Anatoli Kouliakov. Ayant à peine dépassé la
trentaine, le nouveau Premier ministre, Sergueï
Kirienko, annonce qu’il va enfin appliquer les réformes économiques souvent proclamées, jamais
instaurées.
Kirienko ne tient que six mois. Partie d’Asie, en
1997, la crise financière a contaminé la Russie.
Le gouvernement se résigne à la dévaluation du
rouble, le 17 août. Quatre jours après, le rouble a
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perdu 29 % de sa nouvelle valeur. Le 23, Eltsine
fait revenir Tchernomyrdine. La Douma lui refuse
la confiance. Eltsine appelle le ministre des Affaires étrangères Primakov. Mais cet homme qui,
serviteur de tous les caciques soviétiques depuis
Khrouchtchev, prétend réussir la synthèse de l’économie étatique et du libre jeu du marché, n’avait
pas encore convaincu les Russes en décembre.
D’autres vedettes passent à la trappe : patron
de l’Indonésie depuis trente-trois ans, le général-président Suharto est chassé du pouvoir le
21 mai, victime lui aussi de la crise financière. En
Allemagne, Helmut Kohl est battu aux élections
le 27 septembre. Après quatre mandats, le héros
de la réunification allemande doit céder la place
à Gerhard Schröder. La longue parenthèse des
démocrates chrétiens se referme. Les sociaux-démocrates, qui reviennent avec les Verts, représentent une nouvelle Allemagne : celle qui, en janvier
2000, deviendra la « République de Berlin ».
Mais, dans les dernières semaines de 1998, l’évé-
nement majeur tient au fait que le général Pinochet a été rattrapé par ses crimes ; sur mandat
d’un petit juge espagnol, l’ancien dictateur chilien,
qui était venu se faire opérer à Londres, ne peut
plus rentrer chez lui. Madrid veut le juger pour
l’assassinat, après le putsch de 1973, de Chiliens
qui avaient aussi la nationalité espagnole.
La mondialisation s’étend donc également aux
droits de l’homme. Mais l’opinion internationale
n’est-elle pas en train de pécher par excès de zèle ?
Lorsque, dans l’Espagne enfin démocratique, le
socialiste Felipe Gonzales gagna sa première élection, il se garda bien de faire le procès posthume
de Franco : le risque était trop grand de déclencher
une seconde guerre civile. Ne faudrait-il pas laisser
aux Chiliens la responsabilité de décider ? Sinon,
contrairement au général Pinochet, plus aucun
dictateur n’osera rendre le pouvoir au peuple.
Par ses excès, le « Monicagate » n’est-il pas en
train de démontrer ce qu’est la vraie sagesse en
politique ? À propos de Clinton, ou même de
Pinochet, mieux vaut écouter les avocats de la
rédemption que les procureurs de l’expiation.
CHARLES LAMBROSCHINI,
DIRECTEUR ADJOINT DE LA RÉDACTION DU Figaro
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5
Le refroidissement
franco-allemand
Depuis l’avènement de Jacques
Chirac, les relations entre les deux
poids lourds de l’Union européenne
ne sont plus marquées du sentiment
d’affection partagé par le chancelier
Helmut Kohl et le président François
Mitterrand. L’arrivée de Gerhard
Schröder va-t-elle changer la
donne ?
Un certain nombre de mesures prises par
la France sous le gouvernement Juppé
dès l’été 1995 – telle la reprise provisoire des essais nucléaires ou, plus tard,
la réorganisation de l’armée française, qui ont été
décidées sans concertation – ont choqué l’opinion
publique allemande. D’autant que celles-ci ont été
accompagnées du retour de la prose gaullienne
qui est souvent vécue outre-Rhin comme un
nouveau prurit de nationalisme dont la « Grande
Nation » ne se guérit jamais vraiment. L’arrivée de
Lionel Jospin aux rênes du gouvernement n’a pas
réchauffé les relations.
La crise de Bruxelles
En effet, le nouveau Premier ministre socialiste
n’a pas escompté, dans le « droit d’inventaire de
l’héritage Mitterrand », reprendre la chaleur des
relations entre les deux anciens compagnons
de Verdun. Le principal « couac » depuis 1995 a
lieu au printemps 1998 avec la polémique – aux
accents parfois rocambolesques – sur la direction
de la future Banque européenne basée à Francfort-sur-le-Main. L’obstination française à obtenir
la place de direction du symbole de l’Europe du
XXIe siècle ravive les sentiments critiques, voire de
plus en plus condescendants à rencontre d’un
personnel politique plus soucieux de gouverner
par des mesures symboliques que sensible aux
réalités économiques. La « mascarade » de la
nomination Duisenberg-Trichet na fait que raviver
l’hostilité envers la France. Au-delà de son caractère anecdotique, cet incident constitue tout de
même un mauvais coup pour le chancelier Kohl
dans la perspective des élections de septembre.
Très en retard dans les sondages depuis plusieurs mois, le leader chrétien-démocrate a besoin
de bilans positifs pour lever les inquiétudes de son
opinion publique devant le futur effacement du
mark face à l’euro. Dans ce contexte, l’affaire Duisenberg-Trichet a été ressentie par l’administration chrétienne-démocrate comme un camouflet,
car l’opposition l’accuse de faiblesse devant les
exigences de Paris. M. Kohl sera assez touché par
cette affaire en congédiant le 25 mai son porteparole Peter Haussmann pour avoir mal géré la
crise de Bruxelles.
Une situation dont le futur chancelier socialdémocrate, Gerhard Schröder, a su profiter avec
adresse. Alors qu’il sait pâtir d’un déficit d’image
en matière européenne – notamment dans le
domaine des relations franco-allemandes –, il a
nommé une Française, Brigitte Sauzay, interprète
successive de trois présidents français, Georges
Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François
Mitterrand, au poste d’« ambassadrice pour les
relations franco-allemandes ». Le choix d’une
Française et d’une non-politique est à lui seul la
marque d’une volonté de sortir des sentiers battus
la relation fondatrice de l’Europe moderne.
S.C.
LES DIVORCES FRANCO-ALLEMANDS
La construction de l’Europe se fait aussi par
l’amour. La multiplication des contacts est une
des raisons de l’augmentation des unions matrimoniales, symbole ô combien positif du rapprochement des peuples. Mais, quand l’amour se
transforme en séparations plus ou moins bien
vécues, les différences juridiques apparaissent
au grand jour. Les jurisprudences allemande et
française sont très opposées sur la question de la
garde des enfants et les jugements ont souvent
conduit les parents déboutés à recourir à des
enlèvements. L’Europe du divorce est à réformer.
En mai, les ministres de la Justice des deux pays
ont décidé de détacher un magistrat chargé de
suivre les dossiers chauds dont la publicité régulière dans la presse fait tache sur les relations
franco-allemandes.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
6
Les travaillistes :
un an au pouvoir
Après dix-huit ans dans l’opposition,
Tony Blair devait, ayant obtenu
une majorité impressionnante des
sièges, mener le Parti travailliste
au pouvoir lors des élections
législatives du 1er mai 1997. Fort
d’une importante majorité, le
nouveau gouvernement dispose
d’une importante marge de
manoeuvre pour mettre en pratique
les idées du nouveau travaillisme.
Où en est-on un an après ce
triomphe ?
Àe n juger par les sondages, l’opinion
publique accorde un soutien plus important à ce gouvernement qu’à aucun
autre depuis l’existence d’études d’opinion. Comment comprendre un tel succès ? Il y a,
certes, l’image que projette le nouveau Premier
ministre, qui, visiblement, séduit les Britanniques.
Mais il y a aussi les réalisations qui, dans l’ensemble,
reflètent les promesses de la campagne électorale
et qui sont en phase avec les attentes du public.
Cependant, la qualité des services publics et, plus
particulièrement, la gestion du service de la santé
feraient ici exception.
« Cool Britannia »
Le fondement de l’image et de l’idéologie du
nouveau travaillisme est toujours en gestation. Le
concept de « Cool Britannia », si cher aux gourous
de la communication du nouveau pouvoir, relèverait davantage d’une opération de marketing que
d’une réalité sociologique, et la nouvelle pensée
politique correspondrait davantage à l’application
à la Grande-Bretagne d’une forme de radicalisme
progressiste, d’inspiration, en partie, américaine,
que d’une nouvelle doctrine travailliste. En même
temps on ne peut qu’être impressionné par le bilan
d’un an au pouvoir ainsi que par la façon dont Tony
Blair a su réagir lors de la mort de Diana et secourir
la famille royale à cette occasion. En adoptant une
législation qui accorde une Assemblée au pays
de Galles et un Parlement à l’Écosse, le gouvernement cherche à rapprocher les citoyens et le pouvoir, mais, en même temps, il bouleverse un ordre
constitutionnel vieux de trois cents ans. Quant à
l’Irlande du Nord, il a su, en travaillant main dans la
main avec Dublin, mener à bien des négociations
commencées sous les conservateurs, et aboutir à
un accord entériné par une très large majorité en
Irlande le 25 juin 1998.
En revanche, le gouvernement, respectueux de
l’orthodoxie de son prédécesseur, introduit peu
de changement en matière fiscale et monétaire,
à l’exception de l’autonomie accordée à la Banque
d’Angleterre. Sans modifier profondément la politique sociale de son prédécesseur, il a néanmoins
apporté des améliorations aux conditions des
pauvres et des handicapés et donné une priorité
à la formation des jeunes et des chômeurs afin de
développer leurs possibilités d’insertion. Pour la
durée du travail, les congés et le salaire minimum,
il poursuit une stratégie de convergence avec les
autres pays de l’Union européenne. Ira-t-il jusqu’à
l’adoption de la monnaie unique ? Après un an au
pouvoir, on peut seulement répondre que, tout en
restant ambigu, le discours des travaillistes est nettement moins hostile que celui des conservateurs.
P. B.
LE NEW LABOUR
Au nom d’un travaillisme renouvelé, Tony Blair a
réformé le parti, non seulement dans ses structures, mais aussi dans son programme. Cette
volonté d’innover, le charisme et le dynamisme
du candidat travailliste au poste de Premier ministre, auxquels il faut ajouter une forte volonté
de la part des Britanniques de se débarrasser des
conservateurs, expliquent l’ampleur du succès
électoral des travaillistes.
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LE BILAN MONDIAL
7
La Belgique
dans le doute
La perte de confiance des Belges
en la justice et la police de leur
pays, illustrée par le dernier avatar
de l’affaire Dutroux, et la « fuite »
de souveraineté économique ont
contribué à forger l’image d’une
année morose.
Avec la rocambolesque évasion de
Marc Dutroux, le 23 avril, les Belges
en sont venus à douter de tout. Que
le criminel le plus « célèbre » du pays,
l’ennemi public no 1, ait pu tromper, ne fût-ce que
quelques heures, la vigilance des forces de l’ordre
aura paru d’autant plus stupéfiant que le rapport
de la commission d’enquête parlementaire venait
de conclure sur les carences de l’administration,
police et justice. Et ni la démission du ministre
de l’Intérieur, Johan Van de Lanotte, ni celle du
ministre de la Justice, Stefaan de Clerck, n’ont totalement évacué les soupçons sur le rôle exact de la
puissance publique dans cette affaire.
Des voix se sont d’ailleurs élevées pour réclamer
le départ de l’ensemble du gouvernement de
Jean-Luc Dehaene. Désabusés par l’incompétence
ou l’inconscience de la classe politique, les Belges
ont eu sans nul doute l’impression de voguer sur
un bateau sans pilote après l’affaire de Vilvorde.
Le syndrome de Vilvorde
Depuis que Renault a fermé son usine de Vilvorde et licencié les 3 200 ouvriers qui y travaillaient, la Belgique n’est plus tout à fait la même.
Car s’il y a peu encore elle accueillait sans arrièrepensées ni méfiance aucune les investissements
étrangers, l’affaire Vilvorde a conduit à s’interroger
sur la vulnérabilité d’une économie dont nombre
de fleurons sont tombés, en l’espace d’une vingtaine d’années, dans les mains de groupes étrangers. Ces derniers représentent 16 % des entreprises implantées en Belgique et réalisent 54 % du
chiffre d’affaires total. Selon une étude du Bureau
fédéral du plan à Bruxelles, 460 000 personnes
sont employées par des sociétés contrôlées par
des capitaux non belges, soit près de 10 % des
4,7 millions de salariés que compte le pays. La
proportion est encore plus élevée dans l’industrie
manufacturière, où 46 % des emplois sont le fait
d’entreprises étrangères.
Face à cette perte de souveraineté, l’État, qui a
paru longtemps indifférent – en 1988, le groupe
français Suez avait pris le contrôle de la vénérable
Société générale de Belgique dans l’indifférence la
plus totale –, a fini par réagir en renforçant la législation sur les prises de participation des firmes
étrangères.
Il reste que cette prudence, bien compréhensible, ne peut constituer à elle seule une stratégie
industrielle et, surtout, qu’elle est impuissante à
masquer la faible taille ainsi que le manque de
puissance de la majorité des entreprises belges.
D’ailleurs, les capitaux étrangers peuvent être
les bienvenus comme dans le cas des Forges de
Clabecq, qui ont été finalement sauvées de la
faillite par le groupe italo-suisse Duferco, moyennant, il est vrai, la suppression de la moitié des
emplois.
P. F.
LA BELGIQUE, COLONIE FRANÇAISE
Les Français sont désormais les premiers employeurs étrangers en Belgique, loin devant
les Américains et les Néerlandais. Axa a acheté
la compagnie d’assurance Royale belge et les
AGF sont propriétaires d’Assubel. Saint-Gobain
détient le verrier Saint-Roch et le Crédit local de
France a épousé le Crédit communal de Belgique
pour former le groupe franco-belge Dexia. Quant
à Air-France, elle a pris une participation importante dans la compagnie aérienne Sabena...
avant de la revendre à Swissair.
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8
Le retour de
Lebed
Élu gouverneur de l’immense région
de Krasnoïarsk (Sibérie orientale) le
17 mai 1998, Aleksandr Lebed est à
nouveau en course pour la prochaine
élection présidentielle en Russie,
prévue en l’an 2000.
La large victoire (56 % des voix contre 40 %)
remportée par l’artisan de la paix en Tchétchénie sur son principal adversaire, le gouverneur sortant Valeri Zoubov, un « démocrate » ieltsinien soutenu par l’intelligentsia locale,
a, pour de nombreux observateurs, valeur de test :
limogé dans des conditions humiliantes par Boris
Ieltsine en octobre 1996, le général protestataire
dont la popularité s’est maintenue dans les sondages s’impose face à un homme du Kremlin. Ce
sont les zones les plus durement touchées par
la crise économique et sociale qui ont voté pour
lui, tandis que son adversaire l’emportait sur le fil
dans la capitale régionale, où sont concentrées les
richesses.
Dans cette « Russie en miniature » qu’est la
région de Krasnoïarsk se dessinent les lignes de
force des prochaines épreuves électorales en Russie. Après sa victoire, cependant, A. Lebed a évité
de se prononcer sur sa participation à l’élection
présidentielle de 2000. Le général affiche des priorités réalistes : « remettre sur pieds » cette région
exsangue, ce qui peut prendre « trois à cinq ans ».
Sa candidature à la présidentielle dépendra
alors, dit-il, du bilan qu’il sera en mesure d’afficher
et du soutien de ses administrés. Tel est précisément le « tournant » où l’attendent ses adversaires.
Pour eux, l’exercice du pouvoir régional par cet
« apprenti Pinochet » sera le moment de vérité où
s’avérera l’écart criant entre ses promesses et ses
douteuses capacités de gestionnaire, sonnant le
glas des ambitions du démagogue qui s’est mis en
tête de « sauver la nation ».
« Monsieur Propre »
Au reste, tout au long de la campagne, les partisans du gouverneur sortant n’ont pas lésiné sur
les moyens censés discréditer son rival, dont les
meetings attiraient des foules nombreuses dans
toute la région : vrais clochards et faux nazis payés
pour afficher un enthousiasme bruyant et dérisoire en faveur de la candidature de Lebed devant
les caméras de télévision, insinuations antisémites
et anti-tchétchènes à propos du soutien décisif
accordé par le financier et homme de médias
Boris Berezovski (d’origine juive) au général et de
l’action de celui-ci au Caucase, etc. Peine perdue :
dans le climat de dépression que connaît la région
de Krasnoïarsk (comme tant d’autres parties excentrées de la Russie), Lebed a rassemblé sur son
nom les votes des affligés et des mécontents – y
compris parmi l’électorat communiste.
Au fil de sa campagne, le « Monsieur Propre »
de la politique russe a fait, lui aussi, flèche de tout
bois : outre l’épisode du voyage : éclair de l’acteur
français Alain Delon venu apporter un soutien viril
à son « ami », on relèvera les promesses d’investissements étrangers, escomptés sur les relations
nouées par le général au fil de ses voyages en
Allemagne, en France, au Japon et aux États-Unis.
A. B.
LEBED : LE RETOUR
Partisan d’un libéralisme modéré, Lebed a mis
en avant le bilan de son action en Tchétchénie
et sa détermination à relancer une économie
régionale sinistrée en luttant contre la concentration des capitaux dans la capitale russe. Ce
programme lui a permis de bénéficier de l’appui
d’industriels locaux, plus ou moins liés à la mafia, à commencer par le « roi » de l’aluminium,
le populaire Anatoly Bykov, passé de la grande
délinquance aux affaires et à la philanthropie (financement d’orphelinats, d’hôpitaux...). Fort de
ce soutien des « nouvelles élites », Lebed n’en a
pas moins promis de gouverner impartialement,
dans l’intérêt de tous. C’est que, dit-il, les gens
de Russie n’aspirent qu’à pouvoir « vivre enfin et
travailler »...
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LE BILAN MONDIAL
9
Les cinquante ans
d’Israël
Né dans le deuil, l’espérance et la
violence, l’État d’Israël a célébré
avec discrétion son cinquantenaire.
Entouré d’une indéfectible
sollicitude occidentale, il est
devenu une puissance militaire
incontournable, mais n’a que
partiellement réussi sa cohésion
interne et son intégration régionale.
Le gouvernement israélien a affirmé (sa
judéité en fixant selon le calendrier hébraïque la date de la célébration du cinquantenaire de la déclaration d’indépendance de l’État (5 iyar 5758), en avance de quinze
jours sur une datation civile. Le Premier ministre
Netanyahou, bien qu’appartenant à une famille
politique opposée à celle du « père fondateur »
de la nation israélienne, David Ben Gourion, a
évidemment rendu hommage à ce dernier. Il a
évoqué aussi le sacrifice de plus de 20 000 militaires israéliens morts en combattant au cours du
précédent demi-siècle et s’est félicité, en présence
du vice-président des États-Unis Al Gore, invité
d’honneur, des hautes capacités des forces de
défense.
Un bilan contrasté
Ces rappels interviennent alors que les promesses de la déclaration d’indépendance sont
loin d’être réalisées. Les relations israélo-arabes
sont assombries par l’enlisement des négociations
israélo-palestiniennes. La déception des chancelleries entraîne le plus sérieux isolement diplomatique qu’ait connu Israël. La société israélienne,
elle-même, s’interroge sur la nature d’un sionisme
naguère d’inspiration laïque et socialisante qui
justifie aujourd’hui, par des arguments religieux,
la judaïsation de l’État et la colonisation de territoires palestiniens. Les clivages traditionnels entre
les ashkénazes d’origines euro-américaines et
les sépharades orientaux en sont aggravés ainsi
qu’entre la population juive d’Israël et une minorité arabe forte aujourd’hui de un million d’habitants (sur six). De son côté, le million d’immigrants
russes survenus dans les années 90 montre peu
d’empressement à s’assimiler. Néanmoins, tant
que le problème de la sécurité se posera, la nécessité de la cohésion nationale aura raison des dissensions internes. Or, tant que les relations d’Israël
avec son environnement arabe demeureront aussi
conflictuelles en ce qui concerne les occupations
de territoires (palestiniens, syriens et libanais), le
partage de l’eau et la réciprocité des échanges, le
problème de la sécurité de l’État juif continuera de
se poser, après comme avant la célébration de son
cinquantenaire.
L.-J. D.
DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE DE
L’ÉTAT D’ISRAËL (14 MAI 1948).
Nous [...] représentant le peuple juif en Palestine
et le mouvement sioniste dans tout l’univers [...]
proclamons l’établissement en Palestine d’un
État juif qui prendra le nom d’Israël [...] L’État
d’Israël sera ouvert à l’immigration des juifs de
toutes les contrées [...] ; il assurera le développement de ce pays au bénéfice de tous ses habitants [...] ; il défendra la pleine égalité sociale et
politique de tous ses citoyens, sans distinction de
race, de croyance ou de sexe ; il garantira la pleine
liberté de conscience, de religion, d’éducation et
de culture [...] et se consacrera lui-même à l’application des principes des Nations unies.[...] Nous
faisons encore appel aux Arabes qui habitent
l’État d’Israël pour qu’ils [...] jouent leur rôle dans
le développement de l’État avec une complète
égalité de droits et la représentation qui leur est
due dans tous les corps constitués et dans toutes
les institutions. [...] Nous offrons la paix et l’amitié à tous les États voisins [...]
BEN GOURION
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
10
Le souffle de la
crise asiatique en
Amérique latine
Les pays d’Amérique latine, pour
une fois soudés dans l’adversité, ont
protesté, lors du sommet du Groupe
de Rio, les 4 et 5 septembre, contre
l’indolence des pays industrialisés
(le G 7), auxquels ils ont reproché
de laisser s’étendre la tourmente
financière à des régions qui n’ont
aucune responsabilité dans les
crises russe et asiatique.
Àl a différence des réunions antérieures
du Groupe de Rio – tous les pays sudaméricains plus le Mexique et le Panama –, dont les communiqués ne sont
habituellement qu’une longue litanie de voeux
pieux, le 12e sommet de Panama a relégué au
second plan les considérations de politique générale. Il est vrai que tous les participants ont, peu ou
prou, senti le souffle venu d’Asie de la crise monétaire, financière et économique menacer un développement qui, pour être contrasté, n’en demeure
pas moins fragile. Si le Mercosur, le marché commun sud-américain qui réunit le Brésil, l’Argentine,
l’Uruguay, le Paraguay et deux États associés, la
Bolivie et le Chili, est devenu une réalité écono-
mique, politique et commerciale, il reste que les
deux pays qui en sont l’ossature – l’Argentine et
le Brésil – ont montré leur fragilité au prisme de
la crise qui a secoué l’Asie après la dévaluation
aux effets domino de la monnaie thaïlandaise en
juillet 1997. Ainsi le Brésil a vu sa monnaie, le real,
pour le moins bousculée ; et la volonté affichée
du président Fernando Cardoso de maintenir son
programme de stabilisation n’est pas dénuée de
risque d’entraîner le pays dans la récession. Ce
qui ne ferait pas les affaires de l’Argentine, dans
la mesure où Buenos Aires trouve dans le marché
brésilien quelque 30 % de ses exportations. Ébranlées donc par la tempête financière asiatique et
par l’effondrement de l’économie russe, les jeunes
démocraties latino-américaines doivent faire face
à un autre chantier, important aussi, celui de la
dette sociale.
La dette sociale
Commun dénominateur des pratiques économiques de tous les pays de la région, les réformes
économiques et les privatisations n’ont pas réussi
à faire reculer la pauvreté. Sans doute le continent
le plus inégalitaire, l’Amérique latine est loin de
s’être installée dans la prospérité – ce que voudraient accréditer les États-Unis – et pourrait bien
perdre le fil de la croissance – ce qui serait un effet
de la grippe asiatique.
P. F.
L’EFFET TEQUILA
L’effet tequila, consécutif à la dévaluation du
peso mexicain en décembre 1994, aurait presque
été oublié si le crash asiatique n’était pas venu
ébranler des économies dont la solidité structurelle est moins assurée qu’il n’y paraît. À cet
égard, le cas du Mexique est emblématique. Les
effets conjugués de la chute des cours du pétrole
et des turbulences des marchés financiers internationaux ont fini par avoir raison de l’optimisme
du gouvernement du président Ernesto Zedillo.
Alors que les autorités avaient promis une récupération du pouvoir d’achat en 1998, le ministère des Finances a dû concéder que les deux
prochaines années seront placées sous le signe
d’une « stricte discipline fiscale ». Au Mexique,
comme dans tous les pays d’Amérique latine, le
sentiment dominant est celui d’avoir été fort mal
récompensé par la communauté internationale
pour avoir appliqué des plans d’ajustement particulièrement sévères.
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LE BILAN MONDIAL
11
La reprise en
Europe : de
l’euphorie à
l’incertitude
Malgré la crise mondiale,
l’année 1998 s’est terminée par une
croissance moyenne d’environ 2,7 %
pour l’Europe. Mais les craintes
d’un ralentissement n’étaient pas
écartées.
Après une décennie gâchée, la reprise
économique de 1997-1998 a été accueillie par les Européens comme une
formidable promesse. En France, en
Allemagne et dans la plupart des pays d’Europe
continentale, le chômage a enfin reculé mois
après mots. Malgré la crise financière mondiale,
l’Europe a réussi à faire redémarrer son moteur
« interne » : la consommation et l’investissement.
Au moins jusqu’à l’automne, chaque indicateur
économique a confirmé la solidité de la reprise.
Tous les pays n’ont pas connu la même fortune.
La croissance n’a pas dépassé 2 % en Italie ou en
Grande-Bretagne, alors qu’elle était supérieure à
3 % aux Pays-Bas, en Espagne ou en France (et
qu’elle frisait les 8 % en Irlande !). En moyenne,
l’activité de l’ensemble de l’Europe a progressé
d’environ 2,7 %.
La crise planétaire
Petit à petit, pourtant, les nuages se sont accumulés sur cette belle croissance retrouvée. On s’est
rendu compte que l’Europe était désormais, dans
le monde, la seule zone en phase de croissance.
Et qu’elle ne pouvait donc compter que sur ellemême pour éviter que la croissance ne retombe
comme un soufflé en 1999. La perspective de la
monnaie unique, qui a permis de préserver le système monétaire européen des turbulences financières venues d’Asie, ne peut en effet servir de
rempart absolu contre une crise planétaire. Cette
dernière affecterait l’Europe par trois canaux : les
exportations, la psychologie, la finance.
La majorité des exportations extra-européennes
partent vers les pays émergents. La crise brutale
de ces derniers a donc directement frappé l’économie européenne. Après avoir dépassé 6 % pendant les trois premiers mois de l’année, le rythme
de croissance de la production industrielle dans la
zone euro a décéléré (+ 4 % en juillet, selon les
calculs du CCF). Par ailleurs, la plupart des monnaies du monde entier, à commencer par le dollar,
ont reculé par rapport aux monnaies de la zone
euro, ce qui ne devrait pas manquer d’affecter les
parts de marché européennes. On comprend, dès
lors, la contagion du pessimisme « global » aux
acteurs économiques européens. En effet, vers la
fin de l’année, les chefs d’entreprise sont devenus
plus prudents, ce qui risque de se traduire par des
décisions d’investissement moins audacieuses.
Enfin, la crise internationale n’a pas épargné les
comptes des banques européennes, qui ont largement financé les pays émergents. Le risque,
c’est qu’elles tentent maintenant de compenser
ces pertes sur les marchés étrangers en sélectionnant plus sévèrement, en Europe, les bénéficiaires
de leurs prêts. Un tel resserrement du crédit ne
manquerait pas de peser sur la croissance. L’année 1999 commencera donc sur un grand point
d’interrogation. Mais les raisons d’espérer sont
aussi fortes que les raisons de s’inquiéter.
P. R.
UN ATTERRISSAGE EN DOUCEUR
Ceux qui tiennent les leviers de la politique économique ont les moyens d’éviter l’atterrissage en
catastrophe. En l’absence de risque d’inflation, la
Banque centrale européenne peut baisser ses
taux d’environ un point, ce qui donnerait des
vitamines à la croissance. Quant aux gouvernements, ils peuvent aussi agir sur la demande intérieure (par une baisse des impôts, par exemple,
ou par la mise en oeuvre d’un programme européen de grands travaux). Cela signifierait, bien
sûr, une pause dans la réduction des déficits, qui
atteignent dans l’Union européenne 1,7 % du PIB
(contre 5,3 % en 1992). Le maintien d’une reprise
tant attendue est peut-être à ce prix.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
12
Afrique du Sud :
la réconciliation
en question
Alors que Nelson Mandela
s’apprête à laisser la place à son
vice-président, Thabo Mbeki,
l’Afrique du Sud est prise de
doute. Le gouvernement, pressé
par les difficultés économiques,
tarde à satisfaire les attentes de
la population noire, repoussant
d’autant la réconciliation nationale
tant espérée. Malgré ces difficultés,
le gouvernement a multiplié les
tentatives de s’imposer sur la
scène continentale, suivant en cela
l’idée, chère à Thabo Mbeki, d’une
« renaissance africaine » orchestrée
par la nouvelle Afrique du Sud.
L’année 1998 restera comme une période
charnière dans l’histoire de la nouvelle
Afrique du Sud. Elle s’est ouverte avec un
événement prévu de longue date : le passage de témoin de Nelson Mandela à son dauphin
Thabo Mbeki à la présidence du Congrès national
africain (ANC), fin décembre 1997. Le président
sud-africain avait déjà préparé le terrain en présentant régulièrement le vice-président comme
le véritable gestionnaire des affaires du pays. Il
n’empêche : le départ annoncé du chef de l’État,
après les élections générales prévues pour la mi1999, et son retrait progressif de la scène politique,
au cours de l’année, suscitent des inquiétudes.
En effet, Thabo Mbeki doit faire face à un défi de
taille : succéder à un géant, dont il est loin d’avoir
l’aura, et répondre aux attentes d’une population
noire qui subit encore largement les séquelles de
décennies d’apartheid.
Une marge de manoeuvre étroite
Il est vrai que la marge de manoeuvre du gouvernement est étroite entre la nécessaire satisfaction de la majorité de son électorat et son respect
affiché des dogmes néolibéraux, destiné à rassurer
les milieux d’affaires et les investisseurs étrangers.
Sur le plan social, le Programme de reconstruction
et de développement (RDP), qui doit rétablir la
justice sociale et économique, tarde à porter ses
fruits. Des progrès notables ont certes été réalisés,
notamment en matière d’électrification, de santé,
d’accès à l’eau potable et de logement, mais des
inégalités criantes persistent.
Or, la tâche du pouvoir est d’autant plus difficile
que les prévisions de croissance pour 1998 ont
été revues à la baisse de 3 à 1 %, dans un pays où
environ 30 % de la population active est au chômage. Une situation qui augure mal de l’avenir de
la réconciliation nationale.
La persistance de fortes inégalités entre les communautés ne contribue pas à effacer les profondes
divisions raciales qui traversent la société sud-africaine. Le malaise entourant les travaux de la commission Vérité et Réconciliation (TRC) en est une
illustration : chargée de faire la lumière sur le douloureux passé du pays, entre avril 1996 et juillet
1998, celle-ci a entendu des centaines de témoins,
victimes et bourreaux, qui ont raconté les moyens
sanglants employés pour défendre la suprématie
blanche et les actes terroristes de la résistance
anti-apartheid. Au fil des séances, la TRC a rempli
sa mission première : établir avant tout la vérité
historique loin des omissions et des mensonges
officiels. Mais, pour beaucoup de Sud-Africains,
les révélations traumatiques, en évoquant les
atrocités commises dans le passé, ont contribué à
empirer les relations entre les communautés. Un
climat que n’améliore pas l’insécurité qui règne en
Afrique du Sud.
C. C.
UN DAUPHIN BIEN DIFFÉRENT
Thabo Mbeki, successeur désigné du président sud-africain, a passé la plupart des années
d’apartheid en exil. Après des études à l’université du Sussex (Angleterre), il est devenu la prindownloadModeText.vue.download 14 sur 417
LE BILAN MONDIAL
13
cipale tête de pont du Congrès national africain
à l’étranger. Son profil de diplomate a valu à ce
quinquagénaire aux façons très britanniques les
faveurs des milieux d’affaires blancs, mais l’a exposé aux critiques de l’aile gauche de la coalition
au pouvoir, d’autant plus hostile aux options libérales du gouvernement qu’elles n’ont pas amené la croissance attendue. Or, le futur président
sud-africain n’a ni le charisme ni la stature exceptionnelle d’un Mandela. La question est donc de
savoir s’il aura l’autorité nécessaire pour mener à
bien une indispensable réconciliation nationale.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
14
Moyen-Orient : un
processus de paix
sous perfusion
Après vingt mois de suspension,
le processus de paix israélopalestinien, laborieusement
réamorcé sous l’égide du président
Clinton, a donne lieu à la signature,
le 24 octobre, d’un mémorandum. Il
ouvre la voie, s’il est appliqué, à la
négociation du règlement définitif
qui, en principe, devrait intervenir
avant le 4 mai 1999, mais risque
en fait d’être différé de plusieurs
années.
En entreprenant en février 1997 la création
aux portes de Jérusalem d’une nouvelle
colonie dénommée Har Homa, le Premier
ministre israélien a porté un coup d’arrêt
au déroulement d’un processus de paix déjà mal
en point. Initié sous sa forme actuelle par la Déclaration d’intention d’Oslo signée à Washington en
septembre 1993, ce processus vise à liquider le
contentieux israélo-palestinien né des guerres de
1948 et de 1967. Pour mieux y parvenir, les parties
conviennent de s’en tenir, dans un premier temps,
à des arrangements intérimaires portant, entre
autres, sur la création d’une Autorité autonome
palestinienne, sur un retrait de l’armée israélienne
et sur la réalisation d’infrastructures économiques
palestiniennes. Ils remettent à plus tard la négociation d’un accord définitif qui devrait néanmoins
ne pas être signé après le 4 mai 1999.
Le mémorandum de Wye Plantation
Signé à Washington le 24 octobre, le mémorandum de Wye Plantation n’est en fait que l’un de ces
accords intérimaires tendant à l’application d’accords également intérimaires antérieurs et dont
plusieurs clauses sont demeurées inexécutées. Il
est donc convenu de réaliser un deuxième retrait
militaire de la Cisjordanie occupée, de mettre en
service l’aéroport de Gaza, ainsi que de négocier
la création d’un port à Gaza comme celle d’un axe
routier hors contrôle israélien entre cette dernière
ville et la Cisjordanie. L’innovation la plus surprenante a trait à la prévention et à la répression des
actions terroristes, crimes et hostilités, qui sont
placées, du côté palestinien, sous le contrôle de la
CIA américaine, sans préjudice du droit de regard
d’Israël en la matière, en vertu d’un précédent
accord de « coordination » policière.
Des deux côtés, les oppositions ont dénoncé les
concessions faites à la partie adverse. Une partie
des 160 000 colons et l’extrême droite israélienne
déplorent que l’armée doive évacuer 12,1 % de la
Cisjordanie, même si le quart de cette superficie
est décrété zone non aedificandi. De nombreux
Palestiniens redoutent, quant à eux, que l’Autorité
palestinienne ne devienne l’instrument du maintien de l’ordre pour le compte d’Israël. Elle aura fort
à faire car de nouveaux attentats anti-israéliens se
sont produits en fin d’année. Le Premier ministre
israélien Benyamin Netanyahou en tire argument
pour différer l’application intégrale du mémorandum de Wye Plantation sous l’oeil résigné ou complaisant de l’administration américaine. Tout se
passe en effet aux yeux de cette dernière comme
si, dans sa conception d’un processus de paix à
l’agonie, le processus importait plus que la paix...
En entretenant chez les Palestiniens le faible espoir d’un règlement honorable, il permet en tout
cas à Israël de réaliser ses objectifs en douceur,
sans déclencher de déflagration populaire, certes
imprévisible mais aujourd’hui improbable.
L.-J. D.
WYE PLANTATION ET LE DÉCOUPAGE
TERRITORIAL DE LA CISJORDANIE
– La zone A (autonomie administrative palestinienne) passe de 3 % à 4 %.
– La zone B (affaires civiles aux Palestiniens, supervision israélienne en matière de sécurité générale
et de lutte contre le terrorisme) passe de 24 % à
36,1 %.
– La zone C (responsabilité exclusive israélienne)
passe de 73 % à 50,9 %.
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LE BILAN MONDIAL
15
Le FMI en question
Les crises économiques et
financières en Asie, en Russie et en
Amérique latine ont fait au moins
une victime : le Fonds monétaire
international. Celui-ci n’a pas
cessé d’être l’objet de critiques
véhémentes : institution opaque, non
démocratique, inféodée à l’idéologie
ultralibérale, figée dans un mode
d’intervention en décalage par
rapport aux situations nouvelles.
Le FMI aurait cherché à intégrer à marche
forcée les pays « émergents » dans le système financier mondial sans tenir compte
de leur impréparation structurelle, puis,
quand les problèmes sont apparus, il aurait brutalement appliqué des thérapies économiques
drastiques qui ont enfoncé encore un peu plus
ces pays dans le marasme. Ainsi, les capitaux ont
afflué pendant des années vers la Thaïlande, la
Corée du Sud, l’Indonésie, alors que les systèmes
bancaires de ces nations n’étaient pas assez organisés pour gérer convenablement de telles masses
d’argent. Résultat : la spéculation et les investissements hasardeux se sont multipliés jusqu’à ce que
le château de cartes s’effondre. À ce moment-là, le
FMI a imposé une cure drastique passant par des
restrictions monétaires brutales, des politiques
fiscales et budgétaires sévères, précipitant de
nombreuses entreprises de ces pays vers la faillite
et abandonnant les populations dans une misère
accrue.
Les responsables du FMI ont une réponse à plusieurs niveaux : premièrement, les pays « émergents » ont connu, pendant plus de dix ans, une
période faste, dont leurs populations ont bénéficié ; deuxièmement, le Fonds a toujours averti les
responsables politiques de la fragilité des systèmes
bancaires de ces pays ; troisièmement, il existe, en
effet, un décalage de plus en plus fort entre un
système financier mondial fondé sur des institutions qui ont souvent près d’un siècle (banques
centrales, organismes internationaux) et une circulation des capitaux à l’échelle de la planète qui
s’est accélérée avec une vitesse sans précédent.
Comme le dit le président du Fonds, Michel Camdessus* : « Nous entrons dans le XXIe siècle, celui
de Bill Gates et de George Soros, avec un marché
régi comme au temps de Balzac. »
Les propositions de réforme du système monétaire international, dont les principes datent de la
conférence de Bretton Woods de 1944, abondent.
Certains, disciples du monétariste Milton Friedman,
préconisent une disparition pure et simple du FMI,
laissant au marché le soin de réguler au mieux les
mouvements de capitaux. D’autres, comme le Premier ministre britannique Tony Blair*, souhaitent un
rapprochement entre le FMI et la Banque mondiale,
chargée de financer les projets de développement
et de lutte contre la pauvreté, afin de mieux coordonner les politiques financières globales et les
politiques concrètes d’aide aux entreprises et aux
actions sociales. D’autres enfin, comme les responsables politiques français, militent pour sa transformation en véritable gouvernement économique
du monde, doté de pouvoirs et de ressources
accrus (ce que les Américains ont toujours refusé).
Une telle transformation impliquerait que le Fonds
soit flanqué d’un « conseil politique » représentant
directement les nations, sur le modèle du Conseil
de sécurité de l’ONU. En tout état de cause, la
mondialisation accélérée de l’économie implique,
à terme, une réforme importante du grand régulateur mondial qu’est le FMI.
J. C.
ULTRALIBÉRAL OU SOCIALISTE RAMPANT ?
Âgé de soixante-cinq ans, à la tête du FMI depuis
douze ans (reconduit jusqu’en 2001), Michel Camdessus est un haut fonctionnaire français. Ancien
directeur du Trésor et ancien gouverneur de la
Banque de France, il a de quoi inquiéter les grands
financiers anglo-saxons, qui voient en tout agent
de l’État français un collectiviste masqué, alors
qu’en France, beaucoup le considèrent cornue un
otage des États-Unis. À ces opinions tranchées, il
oppose sa « théorie » des trois mains : « La main
invisible du marché, la main de la justice (c’est celle
de l’État) et la main de la solidarité. Il faut que les
trois mains puissent travailler ensemble. »
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
16
Vers une justice
internationale ?
Cinquante ans après la Déclaration
universelle des droits de l’homme
et la convention sur le Génocide,
la communauté internationale se
dote d’un tribunal à sa mesure :
160 pays réunis à Rome du 15 juin
au 17 juillet, sous l’égide de l’ONU,
jettent les fondations d’une Cour
criminelle internationale (CCI)
chargée de juger les auteurs des
crimes les plus graves.
La communauté internationale se donnerait-elle enfin les moyens d’exercer une
justice universelle, protégeant l’humanité
des crimes qui se commettent contre elle ?
La Cour criminelle internationale (CCI), qui siégera
à La Haye, n’a pourtant pas fait l’unanimité : lors du
vote, 21 pays se sont abstenus, 7 ont voté contre
– la Chine, les Philippines, l’Inde, le Sri Lanka et
la Turquie, mais aussi les États-Unis, réfractaires
à toute juridiction universelle, et Israël, en raison
d’un paragraphe accusé d’assimiler la colonisation
des territoires palestiniens à un crime de guerre.
Une opposition d’autant plus regrettable que ce
tribunal, cinquante ans après la convention sur le
Génocide, vise à institutionnaliser une instance judiciaire telle que celle qui jugea les atrocités nazies
à Nuremberg.
Les récentes expériences de justice internationale – le TPI pour l’ex-Yougoslavie ou pour le
Rwanda – ont trahi les limites de tribunaux tributaires de facteurs régionaux et souligné la nécessité d’en élever les compétences aux dimensions
de la planète. La CCI devrait contribuer aux efforts
de paix internationaux en ne laissant pas l’impunité aux criminels, mais aussi en exerçant une
dissuasion sur les apprentis sorciers du génocide.
Mais, faute d’une réelle volonté politique capable
d’armer le bras de cette justice internationale, la
CCI risque d’être une coquille vide, alourdie par
les pesanteurs bureaucratiques de l’ONU et suspectée de partialité, dès lors qu’elle est sous le
contrôle des grandes puissances.
Une énième institution
internationale ?
Si la question de l’égalité des nations devant
la CCI se pose d’emblée, la création de celle-ci
répond néanmoins à une exigence universelle de
justice toujours plus pressante, quand ce siècle fait
le bilan de ses tragédies, du génocide resté impuni
des Arméniens en 1915, au génocide rwandais, en
passant par l’holocauste juif et le génocide cambodgien, dont l’auteur, Pol Pot, est décédé en avril
de mort naturelle après une parodie de procès
dans la jungle, ou encore la situation en Argentine,
où l’ex-dictateur Videla est arrêté en juin, huit ans
après avoir été pardonné, à celle du Chili, dont l’exdictateur Augusto Pinochet voit sa retraite perturbée par les procédures entamées à Londres en octobre par les justices européennes. La CCI ne doit
pas décevoir cette exigence, au risque de passer
pour une énième institution dont les professions
de foi sont autant de voeux pieux. En attendant,
les désaccords qui ont accompagné la naissance
de la CCI montrent qu’une justice universelle n’est
pas pour demain.
G. U.
UNE JUSTICE INTERNATIONALE
EN QUÊTE DE CONSENSUS
Le texte de compromis adopté à Rome attend
d’être ratifié par les pays fondateurs. Les réserves
apportées aux prérogatives du tribunal de
18 magistrats qui siégera à La Haye devraient garantir à celui-ci l’adhésion du plus grand nombre.
Ces réserves concernent les crimes de guerre,
lesquels constituent, avec le crime d’agression,
le crime contre l’humanité et le crime de génocide, les quatre catégories des « crimes les plus
graves ayant une portée internationale ». Pour
les crimes de guerre, les États signataires pourront décider, pendant une période de sept ans,
de la compétence de la CCI. Et si le procureur
international peut ouvrir une enquête, le Conseil
de sécurité pourra la bloquer pendant douze
mois s’il s’y oppose.
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LE BILAN MONDIAL
17
Une Europe
social-démocrate ?
Une conjonction politique et
idéologique comme une conjoncture
économique et sociale poussent
certains à parler d’une Europe
de gauche. En réalité, l’arc rose
européen permet d’envisager toutes
les nuances d’un réformisme plus ou
moins affirmé.
Que peut signifier le concept d’« Europe
rose » à une époque où les notions
mêmes de gauche et de social-démocratie sont pour le moins problématiques, et où la construction de l’Europe en tant que
projet politique demeure encore à ses tout débuts ?
Pour répondre à cette question, il convient de se
placer à trois niveaux : celui de l’évolution de la socialdémocratie européenne, celui du projet européen et
celui de la conjoncture économique et politique.
Du point de vue idéologique, force est de constater qu’il s’est produit une nette convergence entre
les gauches non communistes du Vieux Continent.
Il y eut d’abord l’opposition nette des années 50 et
60 entre la social-démocratie pragmatique et non
marxiste des pays du Nord et le socialisme marxisant – du moins dans la rhétorique – de l’Europe
du Sud. Au cours des années 80, on vit s’opposer
à nouveau les gauches nordiques, qui adoptèrent
alors une culture d’opposition (pacifisme, moralisme), et les gauches latines au pouvoir, qui pratiquèrent une politique militaire nettement ancrée
à l’Ouest (soutien à l’OTAN et aux missiles américains basés en Europe) et un réalisme économique
flirtant parfois avec le cynisme (multiplication des
« affaires » en Italie, en Espagne et en France).
Depuis le milieu des années 90, le rapprochement
entre gauches du Nord et gauches du Sud est patent, comme l’acceptation par tous de l’économie
de marché en tant que modèle indépassable ; d’où
leur présence simultanée au pouvoir.
Du point de vue européen, la convergence est
nette : Tony Blair, appuyé sur ce point par le patronat britannique, a rompu avec l’obsession insulaire
et atlantiste des conservateurs, mais, surtout, il est
apparu à tous que la préservation d’un « modèle
européen » (protection sociale de qualité, maintien des services publics essentiels, lutte contre le
chômage, priorité à la formation, modernisation
de l’État) constituait un lien plus fort que des débats théoriques d’un autre âge.
Plus encore que les questions de doctrine, la
conjoncture économique peut être le véritable
ciment d’une « Europe rose ». Les crises de la mondialisation (Asie, Russie, Amérique latine) comme
le découplage entre les croissances américaine
et européenne ont montré qu’une action économique concertée en Europe pouvait se concevoir
en dehors d’une stricte subordination aux états
successifs de l’économie dominante américaine.
En cette fin des années 90, dans une Union européenne (partiellement) protégée par son embryon
de monnaie commune, on commence à dire, à Paris
comme à Bonn, à Londres comme à Rome, qu’une
relance de la consommation (par des baisses des
taux d’intérêt, par des allégements fiscaux, par des
programmes sociaux) est : non seulement possible
en Europe, mais constitue la clef même du succès.
Un développement autonome, voire keynésien,
de l’économie européenne, voilà ce qui peut rapprocher socialistes et sociaux-démocrates de Helsinki à Lisbonne. En attendant qu’ils s’opposent sur
d’autres échéances et sur d’autres perspectives.
J. C.
LA GAUCHE AU POUVOIR À L’AUTOMNE 1998
Allemagne : sociaux-démocrates et Verts
Autriche : sociaux-démocrates et parti
conservateur
Belgique : socialistes et démocrates-chrétiens
Danemark : sociaux-démocrates et petits partis
Finlande : sociaux-démocrates et petits partis
France : socialistes, communistes, radicaux et Verts
Grèce : socialistes Grande-Bretagne : travaillistes
Italie : démocrates de gauche et petits partis du
centre droit à l’extrême gauche
Luxembourg : sociaux-chrétiens et socialistes
Pays-Bas : sociaux-démocrates et petits partis
Portugal : socialistes et petits partis
Suède : sociaux-démocrates et petits partis
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
18
Droite-gauche :
l’équilibre retrouvé
Expression d’une modernité
démocratique tardive ou signe d’une
instabilité sociale et psychologique
grandissante, le fait est là : la France
paraît condamnée aux alternances
à répétition. Depuis 1981, pas
une seule année électorale pour
se donner la peine de ressembler
à la précédente ! Pour s’en tenir
aux épisodes les plus récents,
1993 renverse les socialistes,
1995 renverse les balladuriens,
1997 renverse les chiraquiens. On
évoquait sous Louis XIII la journée
des Dupes. Depuis lors, le temps
s’est dilaté et c’est d’une décennie
des dupes qu’il faut désormais
parler.
L’année 1998 n’échappe pas à la règle, mais
à sa manière et à son rythme qui méritent
d’être considérés. Tout commence par
la continuation de 1997. La gauche progresse aux élections régionales et cantonales,
reconquérant quelques régions et un solide paquet de départements. M. Jospin, un instant fragilisé par le mouvement des chômeurs, se remet,
selon l’expression consacrée, à caracoler dans
les sondages et garde cette cote de confiance
des bons élèves qui agace toujours les mirobolants tapageurs du fond de la classe. La faconde
et l’optimisme communicatifs de Dominique
Strauss-Kahn sont au diapason d’une conjoncture
qui donne à chacun le sentiment que la gauche
a décidément la première des qualités requises
d’un gouvernement : la chance. Le Front national
plastronne, le RPR rame à contre-courant pour
conserver des militants tentés par le nationalisme
véhément de Jean-Marie Le Pen. L’UDF explose
sous le poids de ses contradictions idéologiques
et stratégiques : Charles Millon rappelle qu’il n’est
pas centriste mais de droite et s’engage, ainsi que
trois présidents de région, tous UDF, avec le FN
dans une partie de poker-menteur ; Alain Madelin
se sépare de l’UDF et tente de cultiver, dans son
petit jardin, les fleurs incompatibles du libéralisme
et du traditionalisme ; François Bayrou s’efforce
de faire un grand parti avec un petit centre et
découvre, inquiet, qu’on ne peut pas exalter l’identité des siens sans risquer l’affrontement avec les
autres. Grande misère des petits partis ! Bref, un
observateur qui aurait débarqué à Paris au milieu
de l’été n’aurait pu faire qu’un constat sans appel :
une gauche qui triomphe, une extrême droite qui
pavoise, une droite qui rend l’âme.
Le grippage de la méthode Jospin
Et pourtant, cinq mois plus tard, si rien n’est
inversé, tout est bouleversé. Ça a commencé par
le grippage de la méthode Jospin. Ce mélange
subtil de savoir-faire et de faire savoir donne
à l’automne quelques signes de faiblesse. Tel
l’Achille « immobile à grands pas » de Paul Valéry,
le gouvernement paraît tout à la fois hésiter sur le
chemin des réformes et écraser le Parlement sous
un flot de projets excédant sa capacité d’absorption. Deux couacs réveillent le scepticisme latent
de l’opinion : le retrait, faute d’un volet financier
satisfaisant, du projet de réforme de l’audiovisuel
et, surtout, l’échec en première lecture du PACS,
tombé par surprise sous le coup d’une exception
d’irrecevabilité par manque de mobilisation de la
gauche plurielle.
L’affaire du PACS, c’est-à-dire du statut légal,
social et fiscal de certaines catégories de couples
non mariés, dont les homosexuels, est particulièrement révélatrice des nouvelles tribulations du
pouvoir. Si le Parlement cafouille, c’est d’abord
parce que le gouvernement s’est gardé de prendre
directement l’affaire en main. L’art de l’esquive,
dans lequel le Premier ministre semblait passer
maître, se trouve ainsi brusquement à la fois mis
en lumière et mis en accusation. Plus fondamentalement, après l’acceptation maussade du pacte de
stabilité, la reforme a minima des lois Pasqua-Debré, la fermeté interminable du ministre de l’Intérieur sur les sans-papiers, l’affaire du PACS révèle
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LE BILAN FRANÇAIS
19
une tension de plus en plus vive entre gauche
électorale et gauche de conviction : « Lionel,
qu’as-tu fait de ta victoire ? »
L’effet déstabilisateur de ces tensions est renforcé par la perspective des élections européennes.
Lionel Jospin et Jacques Chirac ont perçu la
nécessité de modifier un mode de scrutin inefficace et antidémocratique. Ni l’un ni l’autre n’a
vraiment su ni voulu convaincre ses amis de soutenir le projet de réforme correspondant. Par un
de ces accès de masochisme dont le personnel
politique a parfois le secret, les partis de droite
et de gauche ont combattu, ignoré ou boudé le
projet du gouvernement. Résultat, le maintien de
la proportionnelle nationale, scrutin centrifuge
par excellence, embarrasse la droite et favorise
l’explosion de la gauche plurielle : emmenés par
Daniel Cohn-Bendit, les Verts s’enhardissent sur les
sans-papiers, le nucléaire ou le PACS, tandis que, à
l’extrême gauche, le pacte Laguillier-Krivine dresse
le spectre de Trotski devant les héritiers assagis de
Staline.
Il y a enfin le mauvais vent qui souffle sur l’économie : vent du Pacifique qui atteint tardivement
l’Europe de l’Ouest via la Russie. Si tardivement
d’ailleurs qu’on ne l’attendait plus vraiment et
qu’on s’était habitué, sous les commentaires
enjoués de M. Strauss-Kahn, à vivre en France
comme dans une sorte de village d’Astérix de la
croissance maintenue. Longtemps niés, les signes
de ralentissement se font évidents à partir de l’été,
fragilisant les hypothèses budgétaires du pouvoir et redonnant crédibilité aux sempiternelles
exhortations de l’opposition à la réduction du
train de vie de l’État et à la modération de la pression fiscale. Longtemps incapables de gérer les
conséquences politiques de leur défaite électorale
de 1997, les droites paraissent dans les derniers
mois de 1998 relever la tête et sortir peu à peu de
leur enfer. Cette remise en forme, elles la doivent
d’abord au rétablissement de l’autorité présidentielle, de l’autorité légitime. Après les longs mois
d’une éclipse de majesté, Jacques Chirac imprime
son style à la cohabitation, un style qu’il veut à la
fois débonnaire et déterminé, ferme et souriant,
distant de la politique politicienne et proche des
citoyens. Par petites touches, presque insensiblement, le général vaincu se mue en opposant
de moins en moins inavoué, installé au coeur
du pouvoir et bien décidé à ne laisser sa place à
personne. Jacques Chirac joue sur les réserves de
loyalisme enfouies au coeur de la droite profonde.
Les vices de son camp le servent. La désorganisation des droites, leurs querelles internes, leur peu
d’appétence pour les procédures démocratiques
leur interdisent tout passage de relais organisé
du vaincu de 1997 vers un nouveau champion.
Trompe-l’oeil destiné à apaiser le besoin d’unité et
à éluder l’aspiration démocratique des électeurs,
l’Alliance pour la France, née un soir de juin de l’initiative conjointe de Philippe Séguin et de François
Léotard, n’est rien d’autre qu’un cartel d’états-majors incapable de mettre en place des procédures
démocratiques de sélection d’un candidat.
Dans ce chaos ripoliné, le légitimisme présidentiel apparaît comme le seul rempart contre le
désordre et la décomposition. En France, c’est le
pouvoir qui rend légitime et non la légitimité qui
donne le pouvoir. Jacques Chirac le sait, le sent,
l’éprouve au quotidien : il a été président pour le
pire, il le sera pour le meilleur. « Fortune, infortune,
fortune ». Se succédera-t-il à lui-même ? Nul ne
peut le dire, mais personne ne doute qu’il sera
candidat à sa propre succession. Tout l’y pousse :
son tempérament d’éternel bretteur, « ses amis »
du RPR et de l’UDF, dont aucun n’est ni en mesure
de lui succéder ni en humeur de laisser à un autre
le soin de le faire, les parlementaires qui font le
gros dos sous l’orage et sentent confusément que
toute tentative visant à substituer un homme nouveau au président sortant serait vouée à l’échec et
menacerait encore un peu plus des positions électorales fragiles.
L’hommage au roi Jacques
Malgré ses faiblesses persistantes, le système des
partis modérés se réorganise en profondeur sans
pour autant remettre en cause la prééminence présidentielle. Bien au contraire. Au RPR, la guerre des
présidents – celui de la République contre celui du
Parti – se règle par un échange de bons procédés.
Humilié en février au Conseil national de son moudownloadModeText.vue.download 21 sur 417
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vement par l’immense ovation qui accueille le nom
de Jacques Chirac et par sa propre impuissance à
faire rebaptiser le RPR, Philippe Séguin trouve le
salut en mettant genou à terre et en renouvelant
au roi Jacques l’hommage qui lui est dû. Loyalisme
aussitôt récompensé par un soutien au député des
Vosges pour la présidence du RPR, et pour la tête
de liste de l’Alliance aux élections européennes.
La mansuétude du prince est fille de son autorité retrouvée. Le nouvel ordre partisan des droites
passe par la remise en cause du paritarisme RPR/
UDF. Vingt ans de travail politique pour faire de la
confédération libérale l’équivalent du RPR sont
anéantis au mois de juin par le divorce solennel et
dérisoire du couple Bayrou-Madelin. Résultat, le RPR
installe sur l’ensemble de l’opposition une hégémonie sans partage, comme au bon vieux temps.
Imitant la gauche plurielle, l’opposition de droite
s’organise comme une flotte de navires de guerre
articulés autour d’un porte-avions amiral, le PS là,
le RPR ici. Entre Lionel Jospin et Jacques Chirac,
maîtres quasi absolus des deux grands vaisseaux, la
symétrie de posture est parfaite.
Ultime grand événement politique de 1998 et
« divine surprise » pour le camp modéré, l’explosion en vol du Front national. Chacun sentait bien
que, en engrangeant régulièrement, durablement,
bourgeoisement, pourrait-on dire, des scores de
15 %, en exerçant çà et là des responsabilités locales
à la vertu apéritive et en faisant éclore une jeune
génération de responsables aux dents longues, le
Front national serait tôt ou tard contraint d’organiser sa propre mutation, le vieux parti protestataire
faisant place à une force d’alternance capable de
sélectionner ses antipathies, de nouer des alliances
avec une partie de la droite modérée et, devenu incontournable, de participer à l’exercice d’un pouvoir
néoconservateur. Ce qui n’avait guère été perçu, en
revanche, c’étaient l’imminence de la déflagration,
la violence du choc et la fureur masochiste s’emparant de chacun des camps. Et pourtant l’extrême
droite française ne nous avait-elle pas, tout au long
de son histoire tumultueuse et vaine, habitués à
vivre constamment au bord du gouffre et à montrer une allergie à l’exercice modéré d’un pouvoir
raisonnable presque aussi forte qu’à la domination
honnie des partis de gauche ? L’erreur de Bruno Mégret aura sans doute été de sous-estimer la dimension suicidaire d’un engagement extrémiste né du
refus du monde tel qu’il est et incapable de s’y soumettre, fût-ce pour le diriger. Les conséquences de
l’éclatement du Front national sont, à l’évidence, à la
fois massives et complexes. Sans doute la gauche y
retrouvera-t-elle un petit électorat protestataire qui
pourrait doper les scores de l’ultra-gauche et compliquer à la marge la tâche déjà délicate de Lionel
Jospin. L’essentiel est toutefois ailleurs. Si le verdict
des urnes confirme celui des cadres, M. Mégret disposera d’une petite formation à demi fréquentable
que les droites modérées auront d’autant plus de
mal à diaboliser que tout sera entrepris par l’élu
vitrollais pour en finir avec le politiquement incorrect du fondateur du Front national. Si, en revanche,
et comme il est probable, le verdict des urnes infirmait celui des cadres du mouvement et donnait,
sur fond de repli général, l’avantage aux amis de
M. Le Pen sur ceux de M. Mégret, la droite réaliserait
une excellente opération en se retrouvant confrontée d’un côté à une extrême droite électoralement
affaiblie et politiquement sans avenir et, de l’autre,
à des élus en déshérence dont le salut passera par
une reddition sans gloire auprès de ceux qui voudront bien d’eux. Curieux paradoxe qui ferait de
Jean-Marie Le Pen, adversaire intransigeant de tout
compromis avec la droite classique, le sauveur inattendu du RPR, qu’il combat, et de Jacques Chirac,
qu’il abhorre !
Au seuil de 1999, la droite française revient de
loin. Ses fragilités demeurent : organisation anarchique, division de ses chefs, désinvolture intellectuelle. Elle n’en a pas moins vu, en 1998, s’éloigner
les deux spectres qui se dressaient entre elle et son
avenir : celui de l’extrême droite, qui aura résisté
à tout sauf à elle-même, et celui de la guerre des
chefs, renvoyée à l’après-chiraquisme. Les élections régionales et départementales ayant moins
bouleversé qu’égalisé le rapport de force électoral, l’équilibre est désormais presque parfait entre
les deux camps : les luttes de demain promettent
d’être chaudes.
JEAN-LOUIS BOURLANGES,
DÉPUTÉ AU PARLEMENT EUROPÉEN
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LE BILAN FRANÇAIS
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Seillière,
patron de choc
ou négociateur ?
Dans son combat résolu contre les
35 heures, Ernest-Antoine Seillière
s’est battu jusqu’au bout, sillonnant
le pays et les unions patronales
pour dénoncer cette aberration
économique : « Non, tout le monde
ne chausse pas du 35. »
« Ernest-Antoine Seillière n’est pas l’homme
de ses déclarations. Il est meilleur qu’il n’en
a l’air. Être président du patronat dans une
démocratie, c’est être vice-Premier ministre : il a un poids considérable. Il faut qu’il continue à jouer ce rôle, qu’il renonce au repli. » Sans
doute ce propos ménageant le patron des patrons
est-il tactique. Il n’empêche, il est révélateur dans
la bouche du secrétaire général de Force ouvrière,
Marc Blondel. Car si ce baron, héritier des Wendel – l’une des familles les plus illustres et les plus
riches du pays, qui, durant près de trois siècles, forgea la sidérurgie lorraine –, n’est pas un patron de
gauche, il ne correspond pas pour autant au profil
du « tueur » que réclamait Jean Gandois pour lui
succéder à la tête du CNPF, après que ce dernier
eut démissionné de la présidence pour s’être « fait
avoir » sur la réduction du temps de travail hebdomadaire. Certes, Seillière ne mâche pas ses mots,
préfère le parler-vrai et ne cache pas ses sentiments. Mais il est pragmatique et lucide.
Contre le moule des 35 heures, donc, il s’en est
pris, maladroitement parfois, au Premier ministre,
son ancien camarade de promotion à l’ENA, qu’il
retrouve, un temps, au Quai d’Orsay, en affirmant la
nécessité de le « déstabiliser ». « Un terme de judo,
rien de méchant », se justifie-t-il. Jusqu’au bout, il
aura été un dénonciateur féroce des 35 heures, ne
comprenant pas qu’une démocratie puisse imposer une décision rejetée par la quasi-totalité des
chefs d’entreprise, sans entamer pour autant la détermination du gouvernement. Une fois la loi votée et promulguée, lucide quant à sa capacité d’en
empêcher l’application, il s’efforcera d’en atténuer
les effets en favorisant les négociations branche
par branche et en mettant sur le tapis la flexibilité.
Convaincu que l’esprit d’entreprise est la source de
toute la richesse nationale, il n’entend pas rester
silencieux et cautionner des décisions qu’il juge
graves pour le pays. Ainsi, qu’on ne compte pas
sur lui, en matière de politique familiale et d’assurance maladie, pour défendre un faux paritarisme
où l’État décide de tout en lieu et place des partenaires sociaux.
Un adversaire que l’on dit redoutable
Loin de la caricature d’un patron « de droit divin » un peu perdu dans son siècle que font de
lui les Guignols de l’Info, pas vraiment « tueur »
comme le souhaitait Gandois, mais pas franchement « souple », Ernest-Antoine Seillière s’affiche
à la tête du CNPF comme un adversaire, pragmatique mais redoutable, pour le Premier ministre
Lionel Jospin. Tout indique que ce « capitaine »
d’industrie, amateur de grands débats publics et
de confrontations, devenu, au moment où une
gauche plurielle revenait au pouvoir, le patron des
patrons, n’est pas un « bleu » de la négociation.
B. M.
UN HOMME TRÈS ENTOURÉ
Cet héritier, dur en affaires, qui a su avec brio
faire fructifier le patrimoine familial après la
nationalisation de la sidérurgie par Raymond
Barre, est aussi un politique au carnet d’adresses
impressionnant. S’il ne connaît pas ou peu Martine Aubry, il n’en va pas de même de Jacques
Delors. Il le rencontre en 1969, lorsqu’il entre
dans le cabinet de Jacques Chaban-Delmas.
C’était l’époque de la « nouvelle société », et,
depuis, les deux hommes continuent à s’entretenir régulièrement. De son passage à Sciences
po, où, pour la petite histoire, cet étudiant de
droite est vice-président du bureau des élèves
contrôlé par l’Unef, il se lie d’amitié avec l’avocat Tony Dreyfus, qui lui fera rencontrer, dans les
années 70, le chantre de la deuxième gauche,
Michel Rocard, que, aujourd’hui, il tutoie.
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La montée de
l’extrême gauche
Ironie du sort, trente ans après mai
68 et alors qu’une gauche plurielle
est installée aux affaires, l’extrême
gauche fait une percée spectaculaire
à l’occasion des élections régionales.
En totalisant, au niveau national,
4,38 % des suffrages, elle fait pour
la première fois son entrée dans les
conseils régionaux. Avec 20 élus,
dont l’éternelle Ariette Laguiller en
Île-de-France, Lutte ouvrière (LO) se
taille la part du lion face à la Ligue
communiste révolutionnaire (LCR),
qui n’a que 2 élus.
Cette montée en puissance n’est pas vraiment une surprise ; elle est, en réalité,
la conséquence de la majorité plurielle
allant des socialistes aux communistes
en passant par les Verts, mise en place par Lionel
Jospin, le 2 juin 1997. Cette FGDS « new look »,
couvrant un vaste champ de la gauche française,
a paradoxalement libéré un espace électoral dans
lequel se sont engouffrés tous les tenants d’une
gauche plus radicale, qui ne se reconnaissent pas
dans celle qui est au pouvoir, ainsi que tous les déçus – ceux qui estiment que cela ne va pas assez
vite – de l’action gouvernementale.
Elle est aussi, d’une certaine façon, révélatrice
d’une crise de l’offre politique et d’un déficit social
au sein de la coalition majoritaire. « Nos électeurs
ont voulu signifier à la majorité l’insuffisance des
mesures prises par le gouvernement pour lutter contre le chômage, notamment », explique
Ariette Laguiller, qui n’a eu aucun mal, cette fois,
à trouver des candidats pour constituer 69 listes
départementales ! Si l’on doit voir dans ce vote
un avertissement aux socialistes pour qu’ils se
gardent de toute tentation hégémonique et de
toute autosatisfaction, les principales victimes de
l’émergence de ce pôle critique qui s’installe à la
gauche de la gauche plurielle sont, avant tout, les
communistes et, dans une moindre mesure, une
partie des écologistes libertaires qui, un temps,
avaient suivi Dominique Voynet.
Quand on analyse les scores de l’extrême
gauche, on constate qu’elle obtient ses meilleurs
résultats dans les zones où le Parti communiste est
traditionnellement fort.
Sur la vague des conflits
Mais, à côté de ces sympathisants communistes,
l’extrême gauche d’Ariette Laguiller – et c’est là un
paradoxe, parce qu’elle n’était pas vraiment partie
prenante, à la différence de la LCR – a réussi à capter
une partie du mouvement des « sans », les sans-papiers, les sans-logis, les sans-emploi. Cela s’explique,
sans doute, par l’aura et le capital de sympathie
qu’elle a acquis au cours de ses nombreuses candidatures à la présidence de la République (5,2 % des
suffrages en 1995) et aussi par le discours ouvriériste qu’elle n’a jamais cessé de tenir depuis maintenant près de trente ans et dont le Parti communiste,
aujourd’hui, lui a laissé, non sans risque pour lui,
le monopole. Reste à savoir maintenant quelle est
l’utilité de ce vote d’extrême gauche. Se limite-t-il à
un vote protestataire sans grande conséquence ou
exprime-t-il un malaise plus profond dont le gouvernement devra tenir compte ?
B. M.
LE PARTI COMMUNISTE HARCELÉ
La « social-démocratisation » du PC engagée par
Robert Hue n’est sans doute pas étrangère à la
montée de l’extrême gauche. Ainsi, en SeineSaint-Denis, terre d’élection de deux ministres
du gouvernement Jospin, Jean-Claude Gayssot
et Marie-George Buffet, les candidats communistes font une contre-performance et Lutte
ouvrière fait passer deux des siens. Mais, si les
rénovateurs du PC paient cette participation
gouvernementale, les orthodoxes ne sont pas
moins épargnés. Dans le Nord-Pas-de-Calais,
temple de l’orthodoxie communiste, LO fait élire
7 candidats, et, en Picardie, région de l’inflexible
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LE BILAN FRANÇAIS
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Maxime Gremetz, 3 autres. C’est la preuve que la
mutation du PC conduite par Robert Hue depuis
1994 déconcerte une partie de sa base, qui ne se
retrouve plus dans les prises de position de son
dirigeant et préfère aller vers d’autres rivages
plus conformes à son idéal. Un constat qui, à
l’approche des élections européennes, pourrait inciter la direction communiste à faire de la
surenchère afin d’éviter une hémorragie d’une
partie de ses électeurs.
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La lutte contre
l’exclusion
L’INSEE (Institut national de
la statistique et des études
économiques) a calculé qu’en 1994
environ 5,5 millions de personnes,
soit près de 10 % des ménages,
vivaient au-dessous du seuil
« monétaire » de pauvreté (3 800 F
par mois pour une personne seule,
ou 6 800 F pour un couple avec un
enfant), chiffre global qui n’a pas
évolué depuis 1984.
Ces chiffres montrent que la pauvreté
n’est pas liée uniquement au chômage,
car un couple qui dispose d’un seul
SMIC vit en deçà du seuil de pauvreté,
et la proportion de pauvres parmi les salariés est
passée de 3,4 % en 1984 à 4,7 % en 1994. Les
véritables exclus ne représentent que 2 % environ
des ménages, mais les sans-abri et les personnes
vivant en foyer sont mal pris en compte par les
statistiques, car les chiffres de l’INSEE sont basés
sur une enquête à domicile. Pour l’INSEE, aux critères monétaires s’ajoutent l’absence de biens de
consommation de base ou d’usage ordinaire et la
perception qu’ont ces personnes de l’écart entre
leurs revenus et le minimum nécessaire pour vivre.
Une « boîte à outils »
Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Soli-
darité du gouvernement de Lionel Jospin, a, dès
octobre 1997, élaboré un plan triennal ambitieux,
présenté le 4 mars 1998 en Conseil des ministres.
Selon Martine Aubry, ce doit être une « boîte à outils » permettant de s’adapter aux situations individuelles. Ses objectifs sont de garantir l’accès aux
droits fondamentaux, de prévenir les exclusions,
de répondre aux situations d’urgence et de mieux
agir contre les exclusions. La loi faisant suite à ce
plan a été adoptée le 9 juillet. Le chômage étant
l’un des facteurs essentiels du développement de
la précarité, la loi a notamment pour objectif de
mettre en place une démarche de prévention du
chômage : appui personnalisé en vue du retour
à l’emploi ; renforcement des missions locales et
de l’ANPE ; un véritable parcours d’insertion destiné à offrir aux jeunes les plus en difficulté un
trajet d’accès à l’emploi (programme TRACE) ; un
objectif de 20 % des emplois-jeunes réservés aux
quartiers en difficulté. Pour les adultes cumulant
les handicaps professionnels et sociaux, le projet
prévoit la mise en place de réponses adaptées
et un renforcement du secteur de l’insertion par
l’activité économique (entreprises d’insertion).
Un autre point traite, pour la première fois, les
situations d’exclusion en amont, dans toutes leurs
dimensions, ce qui constitue un changement
d’approche important : aménagement des minima sociaux, permettant notamment le cumul du
RMI et de l’allocation spéciale de solidarité ou de
parent isolé ; mesures sur le logement social, sur
la prévention ou l’aménagement des expulsions,
sur les coupures d’eau, de gaz et d’électricité. S’y
ajoutent des mesures sur le surendettement et les
fonds d’urgence. Cette première loi sera complétée par deux autres : l’une sur l’accès à la Justice et
l’amélioration des relations entre l’Administration
et le public, l’autre sur l’instauration d’une « couverture maladie universelle ».
S. E.-S.
LA LUTTE CONTRE
L’EXCLUSION EN CHIFFRES
Le gouvernement a annoncé que le programme
serait doté de 51,4 milliards de francs pour les
années 1998 à 2000. Le financement proviendra
à la fois de l’État, du Fonds social européen, de
la participation des collectivités locales et des
organismes de protection sociale, et d’une répartition nouvelle de ressources déjà provisionnées.
Les deux tiers de ces sommes sont destinées à
l’emploi, plus de 10 % à la santé, près de 10 %
à la revalorisation des fonds sociaux, et le reste
au logement, à l’éducation et à l’action sociale. Il
s’agit de mettre en place un autre traitement de
l’urgence, fondé sur la prise en compte de l’endownloadModeText.vue.download 26 sur 417
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semble des éléments susceptibles de conduire
à des situations de détresse grave, sur un traitement personnalisé, au plus près des situations
concrètes, afin de conforter ou de restaurer une
égalité de traitement entre citoyens. Ainsi, il
s’efforce de repenser, de coordonner et d’unifier
les mesures existantes, d’en ajouter de nouvelles
qui ne fassent pas double emploi avec l’existant,
en faisant appel à l’effort de toutes les instances
publiques et associatives.
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La gauche et
la famille
La déclaration de politique générale
de Lionel Jospin, lors de son arrivée
au pouvoir en juin 1997, soulignait
son souci de mettre en place une
politique redistributive des revenus,
qui passe, en particulier, par une
réforme des prestations sociales,
dont les allocations familiales.
C’était là prendre un pari difficile,
étant donné la complexité des
problèmes posés.
Dans sa volonté de mettre en place une
politique redistributive des revenus, le
gouvernement s’est trouvé confronté
à une double réalité. D’une part, la
transformation des modèles familiaux incite à une
réflexion sur la législation de la famille. De l’autre,
la logique nataliste et égalitaire qui a prévalu à la
fin de la Seconde Guerre mondiale dans la structuration des allocations familiales risque d’être entamée si la réforme en question propose une mise
sous condition de ressources de ces allocations.
Sur les deux terrains, la droite – soutien traditionnel des « valeurs familiales » – va engager le fer.
La première bataille, la plus visible, concerne les
allocations familiales. La loi de finances pour 1998
prévoit une mise sous condition de ressources, et
des députés et sénateurs UDF et RPR saisissent
aussitôt le Conseil constitutionnel, au motif que
cette disposition est une violation du principe
constitutionnel d’égalité ainsi que du préambule
de la Constitution selon lequel « la nation assure à
l’individu et à la famille les conditions nécessaires
à leur développement ». Mais le Conseil constitutionnel valide la mise sous condition de ressources
des allocations familiales. Le décret d’application
de la loi de finances organise donc une entrée
en vigueur de la mesure dès avril 1998. Ce sont
7,8 % des familles qui seraient alors exclus du
bénéfice des allocations : 268 000 familles de deux
enfants, 70 000 de trois et 13 000 de quatre, mais
cela réduirait de 4,8 milliards de francs sur une
année le déficit de la branche « famille », estimé
à 11,8 milliards.
Un contrat d’union civique
Dans le même temps, un débat latent est
repris au Parlement sur les conséquences à tirer
des transformations de la famille. Ne faut-il pas
réformer une législation qui favorise largement
les couples mariés, en particulier dans le cas de
l’héritage, alors que les couples non mariés, qu’ils
soient hétéro- ou homosexuels, sont très lourdement pénalisés ? La déclaration de concubinage,
dans le cas des couples hétérosexuels, ne suffit
pas à régler le problème. Il est donc envisagé de
créer une forme de contrat qui serait passé soit
devant le maire, soit devant une autre autorité administrative (le préfet) : d’abord nommé « contrat
d’union sociale », il devient ensuite le « pacte civil
de solidarité » (PACS). Des propositions de loi autour de ce contrat seront examinées par l’Assemblée nationale à l’automne 1998. Mais, là aussi, la
controverse fait rage dans les rangs de certaines
associations familiales et des défenseurs de la
famille traditionnelle.
Devant la multiplicité des problèmes posés,
Martine Aubry fait effectuer plusieurs rapports
relatifs à la famille. Cette réflexion se situe dans
la perspective d’une grande conférence sur la
famille, qui se tient le 12 juin 1998. Le débat paraît
donc ouvert, mais ses conclusions ne vont pas
toutes dans le sens amorcé par le gouvernement.
Le rapporteur du volet « famille » du projet de loi
de financement de la Sécurité sociale à l’Assemblée préconise de rétablir les allocations familiales
pour tous ; le rapport sur les problèmes quotidiens
des familles considère qu’il convient d’étendre la
politique familiale à toute : l’action sociale, sans la
cibler sur la seule famille ; le rapport sur les changements et le rôle de la famille avance des conclusions en retrait des projets de ce « contrat d’union
civique ». Mais c’est surtout le plafonnement des
allocations familiales qui fait l’objet de réactions
publiques très défavorables, notamment dans les
classes moyennes.
S. E.-S.
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LE BILAN FRANÇAIS
27
UNE VASTE CONCERTATION
SUR LA FAMILLE
Lionel Jospin choisit donc, dès juin 1998, et
contrairement aux voeux de la plus grande partie de sa majorité, de renoncer, dans un premier
temps, à la mise sous condition des allocations
familiales et d’entreprendre une vaste concertation sur la famille. Il s’agit désormais pour le
gouvernement de privilégier une approche globale qui permette à la gauche de se doter d’une
véritable politique familiale.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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La « bataille
de Paris »
Sur fond de revers électoraux et
d’affaires Tiberi, le 6 avril 1998, à
l’initiative de l’ancien garde des
Sceaux, Jacques Toubon, la majorité
municipale parisienne vole en éclats.
Réclamant plus de « transparence »,
plus de « démocratie » afin
de « créer les conditions de la
victoire en 2001 », le maire du
XIIIe arrondissement de la capitale,
proche du chef de l’État au même
titre que Bernard Pons, qui le suit
dans l’aventure, part en guerre
contre Jean Tiberi. L’initiative fait
long feu.
Avec une trentaine d’élus RPR et UDF, le
tiers de la majorité municipale, Jacques
Toubon crée son propre groupe PARIS
(Paris-Audace-Renouveau-InitiativeSolidarité). Objectif des « putschistes », comme
les qualifiera l’agressé : déposer ce dernier, qui,
empêtré avec sa femme Xavière dans des affaires
politico-judiciaires, mène ce fief historique de la
chiraquie à l’échec.
Quelques semaines plus tard, après un ultimatum de Philippe Séguin, le patron du RPR, et le
soutien remarqué de Jacques Chirac à son successeur à l’Hôtel de Ville, les « putschistes » menacés
d’exclusion et lâchés par une droite en plein désarroi qui n’a plus les moyens ni le goût de se payer
le luxe d’un tel duel fratricide, rentreront dans le
rang.
Une initiative qui fait long feu
Cet armistice fragile ne met pas fin à la guérilla.
Mais l’offensive Toubon a échoué, et Jean Tiberi a
provisoirement gagné. Placé, par ses fonctions, au
coeur du système de financement occulte du RPR,
sur lequel la justice enquête et progresse à grands
pas, le maire de Paris a démontré qu’il détenait des
moyens de pression suffisants pour s’assurer le
soutien de la rue de Lille et de l’Élysée.
Certes, c’est un maire en sursis, mais un maire
qui ne lâchera pas son fauteuil avant 2001, date
de la prochaine échéance municipale, à moins,
bien sûr, que des investigations judiciaires, notamment sur l’affaire des emplois fictifs, n’en décident
autrement et ne viennent bouleverser le calendrier. Il n’empêche, cette trêve imposée aux belligérants ne masque pas les dégâts provoqués par
le « blitzkrieg » raté de Jacques Toubon et de ses
amis. Ils sont considérables. La majorité municipale, avec à sa tête un maire affaibli, pour ne pas
dire discrédité, est désormais profondément et
durablement divisée. Elle se cherche un champion pour la prochaine joute électorale : pour
l’heure, il est introuvable, même si Édouard Balladur se tient en embuscade. C’était impensable
il y a encore peu de temps, mais Paris, ce bastion
historique de la chiraquie pendant plus de vingt
ans, est, aujourd’hui, le talon d’Achille du RPR. Et
la gauche commence à se convaincre que la victoire est à sa portée. N’a-t-elle pas renforcé ses
positions en 1995 en décrochant plusieurs mairies
d’arrondissement ? N’a-t-elle pas, en 1997, lors de
la dissolution ratée par la droite, enfoncé le clou
en expédiant siéger à l’Assemblée nationale un
nombre significatif de députés de Paris ? Enfin, lors
des dernières élections régionales, en mars 1998,
ne s’est-elle pas emparée, pour la première fois
depuis la création des établissements régionaux,
du conseil régional d’Île-de-France, détenu sans
discontinuité depuis l’origine par le RPR, alors que
le candidat de la droite était un certain Édouard
Balladur ?
Mieux et plus inquiétant pour la droite, lors de
cette dernière consultation, pour la première fois
depuis le nouveau statut de 1977 et l’élection d’un
maire à Paris, la gauche et la droite sont arrivées en
tête dans le même nombre d’arrondissements parisiens. Autrement dit, si des municipales avaient
eu lieu ce jour-là, le jeu était ouvert.
B. M.
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LE BILAN FRANÇAIS
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PARIS,
CITADELLE IMPRENABLE ?
On l’a compris, la mairie de Paris n’est plus une
citadelle imprenable pour la gauche ; elle est
même menacée de perdre son statut de chasse
gardée de la chiraquie : d’où l’offensive maladroite et bien mal préparée de Jacques Toubon
contre Jean Tiberi, gardien certes contesté du
temple, mais détenteur de trop de secrets pour
être débarqué de cette façon-là. Alors, sans
doute, pour tenter de réconcilier au plus vite les
Parisiens avec l’Hôtel de Ville, l’actuelle majorité
municipale doit-elle changer ses méthodes et
ses leaders. Mais pas en jouant les pyromanes a
estimé l’Élysée. Le feu couve suffisamment dans
la maison.
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Réforme de
la justice :
l’enlisement ?
Décembre 1998 : plus d’un an après
sa présentation au conseil des
ministres, l’ambitieuse réforme
de la justice du gouvernement
Jospin était en panne. En cette fin
d’année, l’Élysée tardait encore à
réunir le congrès qui doit voter la
réforme du Conseil Supérieur de la
Magistrature.
Décembre 1996 : juste avant la dissolution de l’Assemblée Nationale, Jacques
Chirac donnait le premier coup d’envoi,
– tué dans l’oeuf –, de la réforme de la
justice. Puis vint le rapport Truche et le lancement,
début 1998, de la réforme du gouvernement de
Lionel Jospin.
Douze mois plus tard, la tentative socialiste avait
pris un retard préoccupant. Des cinq projets de lois
amorcés depuis le début de l’année, un seul (celui
concernant la réforme du Conseil Supérieur de la
Magistrature) était quasiment arrivé au terme de
la procédure législative. Les textes concernant la
présomption d’innocence rencontraient des difficultés jusque dans le camp politique d’Élisabeth
Guigou, garde des Sceaux et véritable artisan de
la réforme. Reprochant à la ministre de la justice
de n’être pas allée assez loin, les députés socialistes préparaient fin décembre un grand nombre
d’amendements, destinés notamment à élargir
l’interdiction de la détention provisoire et à restreindre le pouvoir des juges d’instruction, pourtant déjà bien amoindri par le projet de loi.
S’agissant des projets visant à réformer les rapports entre la chancellerie et les procureurs, les
rapports entre gouvernement et députés promettaient d’être encore plus conflictuels. Rappelons
que dans leur état actuel, ces textes abolissent
toute instruction individuelle (c’est-à-dire émanant du pouvoir exécutif) aux parquets dans les
dossiers particuliers. Ils accentuent par ailleurs la
hiérarchisation des procureurs – rançon, dit-on, de
leur plus grande indépendance. Quoique toujours
nommés sur proposition du ministre de la justice,
les procureurs généraux ne pourraient en effet entrer en fonction qu’après avis conforme du Conseil
Supérieur de la Magistrature (CSM) – la carrière
des autres magistrats du parquet échappant en
principe au pouvoir politique.
Provoquant réticences et oppositions, ces textes
ne pouvaient en tout état de cause être adoptés
avant le projet de loi portant réforme du CSM. Or,
à la fin décembre 1998, l’Élysée tardait toujours à
réunir le congrès qui devait entériner définitive-
ment un texte pourtant déjà voté dans les mêmes
termes par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Or,
si la réforme du CSM n’était pas votée en Congrès
avant que les autres projets concernant la justice
fussent définitivement adoptés par le Parlement,
la réunion du congrès serait, compte tenu de l’encombrement du calendrier parlementaire, repoussée à l’an 2000...
J. F. P.
LE CASSE-TÊTE DES PROJETS EN COURS :
Initiée par Élisabeth Guigou, garde des Sceaux, la
réforme de la Justice a pris la forme de cinq projets
de lois, tous amorcés au cours de l’année 1998 :
1 – L’accès au droit pour les plus démunis :
il devait être examiné le 10 décembre, en
deuxième lecture à l’Assemblée Nationale.
2 – La simplification des procédures pénales :
Texte examiné en deuxième lecture à l’Assemblée
Nationale au cours du premier trimestre 1998.
3 – La présomption d’innocence et la détention provisoire : deux textes qui devraient être
examinés en première lecture par l’Assemblée Nationale, à la fin du mois de mars 1999.
4 – Les rapports entre la chancellerie et les
procureurs : textes devant être examinés
en première lecture par l’Assemblée Nationale, au cours du deuxième trimestre 1999.
5 – La réforme du CSM : premier texte voté en
termes identiques par l’Assemblée Nationale et
le Sénat. Il est en attente d’une approbation par
le Congrès. Le texte adopté devrait faire l’objet
d’une loi organique qui réglementera le statut
des magistrats.
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LE BILAN FRANÇAIS
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Le Sénat sur
la sellette
Seconde chambre du Parlement,
qu’il constitue avec l’Assemblée
nationale, procédant du suffrage
universel, doté de pouvoirs
législatifs et de pouvoirs de contrôle
significatifs, le Sénat assume une
mission spécifique, prévue par
l’article 24 de la Constitution :
représenter les collectivités
territoriales de la République
et les Français établis hors de
France. Cette forme particulière
d’expression de la souveraineté
nationale explique son mode de
recrutement original.
Les 321 sénateurs sont élus pour neuf ans au
suffrage universel indirect dans des conditions qui diffèrent légèrement selon la collectivité qu’ils représentent. Pour l’essentiel,
leur collège électoral (plus de 145 000 « grands
électeurs ») est constitué de représentants des
conseils municipaux (à plus de 95 %), des conseillers généraux (ou territoriaux dans les TOM), des
conseillers régionaux et des députés.
Les 12 sénateurs représentant les Français établis
hors de France sont élus par les 150 membres élus
du Conseil supérieur des Français de l’étranger.
Ces derniers sénateurs sont élus au scrutin proportionnel, tout comme leurs 98 collègues des 15
départements métropolitains les plus peuplés.
Dans les autres départements métropolitains ainsi
que dans les DOM, les TOM, à Mayotte et à SaintPierre-et-Miquelon (soit 211 sièges), l’élection a
lieu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
Le Sénat est renouvelé par tiers tous les trois ans,
les sièges sénatoriaux étant répartis en trois séries
sensiblement égales. La série A a été renouvelée
en septembre 1998.
Des parlementaires de plein
exercice
Globalement, le Sénat est organisé de manière
similaire à l’Assemblée nationale. Bénéficiant de
l’autonomie reconnue aux assemblées parlementaires dans les régimes démocratiques, il est dirigé
par un bureau de 22 membres composé du président du Sénat, de 6 vice-présidents et de 3 questeurs (tous élus après chaque renouvellement
triennal du Sénat) ainsi que de 12 secrétaires nommés de manière à assurer la représentation proportionnelle des groupes politiques. Ces derniers
se constituent librement, sous réserve de compter
15 membres au moins, mais nul sénateur ne peut
être contraint d’en faire partie (6 groupes actuellement). Aux 6 commissions permanentes prévues
par la Constitution s’ajoutent 6 délégations et
offices parlementaires ainsi que, le cas échéant,
des commissions spéciales et des commissions
d’enquête. Enfin, le régime des sessions (ordinaire
du 1er octobre au 30 juin ; éventuellement extraordinaire sur convocation du président de la République), fixé par la Constitution, est commun aux
deux assemblées.
Les sénateurs exercent, dans des conditions
de procédure presque identiques à celles qui
prévalent à l’Assemblée nationale, les fonctions
traditionnelles des parlementaires : voter la loi et
contrôler le gouvernement. Les deux différences
significatives, et essentielles, qui les distinguent
des députés sont prévues par la Constitution.
S’agissant du pouvoir législatif, celle-ci réserve
à l’Assemblée nationale la faculté, à la demande
du gouvernement et après la réunion d’une commission mixte paritaire chargée de rechercher une
solution de compromis, d’adopter seule un texte
définitivement si les deux assemblées ne parviennent pas à voter un texte commun (cette procédure ne peut cependant être utilisée ni pour les
lois constitutionnelles ni pour les lois organiques
relatives au Sénat). Par ailleurs, seuls les députés
peuvent renverser le gouvernement en adoptant
une motion de censure. Ces deux prérogatives
leur confèrent ainsi un pouvoir politique notablement supérieur à celui des sénateurs.
G. R.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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RÉFORMER L’ÉLECTION DU SÉNAT ?
Quarante ans après la naissance de la Ve République, l’existence et les pouvoirs du Sénat ne
semblent pas susceptibles d’être remis en cause.
En revanche, la question de sa représentativité
a été posée en 1998 par le Premier ministre, qui
souhaite, en élargissant le collège électoral des
sénateurs et en renforçant le recours au scrutin
proportionnel, assurer une meilleure représentation des centres urbains et garantir davantage la
prise en compte des évolutions politiques de nos
concitoyens.
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LE BILAN FRANÇAIS
33
Millon persiste
et signe
Millon persiste et signe. La
droite a désormais un parti, et le
dirigeant en est Charles Millon...
En lançant un mouvement qui
se veut le « catalyseur » d’un
« grand rassemblement populaire
de la droite unie », te président
de la Région Rhône-Alpes défie
l’opposition ; mais celle-ci craint
moins cette dissidence que les
tentations d’alliances avec le FN
qu’elle pourrait susciter dans ses
rangs aux municipales, si M. Millon
tient jusque-là.
Malgré les menaces d’ostracisme de
ses anciens amis politiques, Charles
Millon persiste et signe, au nom
d’une droite qui s’affiche désormais
avec une majuscule, et « sans complexe ». Les 7 et
8 novembre, il réunissait à Paris le congrès fondateur de son mouvement, La Droite, lancé au lendemain des élections régionales de mars, qui lui
avaient permis de conserver, avec le soutien des
voix du Front national, la présidence de la région
Rhône-Alpes. Les premiers objectifs fixés par ce
mouvement qui revendique 20 000 adhérents
ont été atteints, puisque 7 000 personnes avaient
répondu à l’appel.
Une démonstration de force bien utile pour l’ancien ministre de la Défense ; après avoir fait de la
résistance dans son fief de Rhône-Alpes, face à la
stratégie d’obstruction des autres élus qui rejetaient
en octobre la quasi-totalité de ses rapports, il passe
à une offensive d’envergure nationale, pour transformer en force politique son choix du printemps
dernier. De paria de l’opposition, le transfuge de
l’UDF en deviendrait le sauveur, investi d’une mission nationale visant à « redonner sa fierté » à une
droite « inhibée ». Contre cette droite « de gestion »
et « de complaisance » qui a abdiqué devant les valeurs de gauche et a vendu son âme à la cohabitation, il prétend incarner une droite « de conviction »,
se vantant d’avoir « lancé le premier mouvement
qui ose s’appeler Droite depuis 1789 » (le Monde,
7/11/98). Et si l’Alliance (RPR-UDF-DL) persiste à le
rejeter, il s’imposera à elle en créant un rapport de
forces avec ses dirigeants.
En disant tout haut ce qu’il pense tout bas, La
Droite va-t-elle « réveiller » le peuple de droite ?
L’Alliance, qui a freiné l’hémorragie dans ses rangs,
ne se sent pas vraiment menacée. M. Millon
marche sur les traces de M. de Villiers, et son étatmajor est encore très rhône-alpin ; manquant
d’assise nationale, il ne manifeste qu’une ardeur
limitée pour les européennes de juin 1999, son
principal souci étant de tenir jusqu’aux municipales de 2001. C’est justement cette perspective
qui donne des sueurs froides à l’opposition, qui
redoute que les accords tacites passés entre le FN
et M. Millon, mais aussi Jacques Blanc (Languedoc-Roussillon), Jean-Pierre Soisson (Bourgogne)
et Charles Baur (Picardie), ne fassent des émules.
Pour conjurer ce scénario, l’opposition va oeuvrer
à saper les assises du pouvoir de M. Millon dans
son bastion, sans pour autant commettre l’erreur,
précise M. Séguin, d’en faire un « martyr ».
G. U.
MILLON ET LE FN, DES AFFINITÉS
ÉLECTIVES...
Devant ses partisans à Paris, M. Millon a récusé
toute alliance, idéologique ou partisane, avec le
FN. Pour preuve, l’expulsion de Bruno Golnisch,
venu en curieux, qui sera d’ailleurs contestée
par un public avouant certaines sympathies
lepénistes. « Les voix ne se sentent pas, elles se
comptent », répète-t-il à l’envi, pour justifier son
maintien à la présidence de la Région RhôneAlpes qui provoqua un séisme à droite ; mais la
« paix civile » (c’est le titre de son livre) dont il se
réclame sent le soufre. Car le pragmatisme affiché n’exonère par La Droite de pesants soupçons
sur ses rapports avec le FN ; en revendiquant des
« choix idéologiques » que la droite « n’ose pas
assumer », M. Millon entretient une « ambiguïté »
dénoncée par M. Séguin, au moment où l’opposition veut « clarifier ses relations » avec le FN.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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Le Pen-Mégret :
deux têtes pour
le FN
Sans doute Jean-Marie Le Pen restet-il le président du Front national
et conserve-t-il tous les attributs
de l’autorité sur son parti. Mais les
apparences sont parfois trompeuses,
même si le leader n’a pas dit son
dernier mot.
Depuis les élections régionales, le
15 mars 1998, en dépit des 15,27 % de
suffrages obtenus par son mouvement,
J.-M. Le Pen a – provisoirement ? – en
partie perdu la main au profit de B. Mégret. Dans
la rivalité l’opposant à son ambitieux et jeune délégué général qui ne cache plus guère ses ambitions sur l’héritage, le patron du FN, partisan du
« ni gauche ni droite » et des formules du style
« Chirac, c’est Jospin en pire », quand il n’enfonce
pas le clou sur le « détail » ou sur l’« inégalité des
races », a dû s’incliner devant le triomphe de la
stratégie de la main tendue à la droite républi-
caine prônée par son numéro 2 pendant la campagne des régionales.
« Casser » la droite
Convaincu que le FN ne peut arriver aux affaires
sans alliances, et qu’il est donc vital de briser le
cordon sanitaire mis en place par les états-majors
de l’UDF et du RPR afin de le sortir de sa quarantaine et de l’intégrer dans une recomposition des
droites, le « vrai faux » maire de Vitrolles, champion toutes catégories de la « dédiabolisation »
du FN, a su imposer sa ligne à une majorité de
cadres et d’élus du mouvement lassée par quinze
ans de marginalisation, avide de respectabilité et
désireuse d’exercer des responsabilités. Une ligne
que Bruno Mégret défendait jusqu’à présent sans
grand succès contre celle des tenants de la radicalité entraînés par J.-M. Le Pen. Mais, fort de sa
victoire à Vitrolles par épouse interposée pour
cause d’inéligibilité, de sa montée en puissance
et de celle de certains de ses amis au sein de
l’appareil lors du congrès du FN, à Strasbourg, et,
enfin, de sa prise en main de la campagne des
législatives au printemps 1997, le délégué général a su faire triompher ses vues, et plus rapidement qu’il ne le pensait. D’abord, parce que, en
dépit de la rivalité Le Pen-Mégret, le patron du
FN, par tactique, a opéré ce virage sans grande
difficulté, voyant dans cette opération l’occasion
de « casser » la droite républicaine. Ensuite, parce
que la droite républicaine elle-même, déboussolée par la dissolution ratée du mois de juin
1997, s’est engouffrée dans le piège tendu par
Mégret d’un soutien sans participation et sans
conditions. Contre l’avis de leurs états-majors,
Charles Millon en Rhône-Alpes, Jacques Blanc en
Languedoc-Roussillon, Charles Baur en Picardie
et Jean-Pierre Soisson en Bourgogne, tous UDF,
n’ont pas hésité à accepter la courte échelle des
élus du FN pour conserver ou conquérir leur
fauteuil de président de Région. Au RPR, JeanFrançois Mancel, ancien secrétaire général et
nouvel exclu du mouvement néogaulliste, n’a
pas eu plus d’états d’âme pour se maintenir à la
tête du conseil général de l’Oise. Mégret est loin
du compte et de la réalisation de ses ambitions
pour espérer sortir victorieux du bras de fer qui
l’oppose à Le Pen. D’autant que, en juin 1999, un
obstacle de taille se chargera de faire rebondir
le conflit entre les deux hommes : les élections
européennes. Europe et proportionnelle, un
cocktail explosif qui pourrait bien permettre au
président du FN de reprendre la main, même s’il
est frappé d’inéligibilité.
B. M.
LA BATAILLE SUR LE TERRAIN
DES ÉLECTIONS
À l’occasion des régionales, Bruno Mégret n’a gagné qu’une bataille dans la guerre qui l’oppose à
Jean-Marie Le Pen. Ce dernier, en réclamant pour
son compte, de façon provocante, la présidence
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LE BILAN FRANÇAIS
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de la Région Paca en guise de renvoi d’ascenseur,
a vite tenu à rappeler à ceux qui avaient tendance à l’enterrer – et en particulier Bruno Mégret – qu’il fallait toujours compter sur lui. Et ce
d’autant plus que, lors des élections cantonales
et, de manière encore plus éclatante, lors de
la législative partielle de Toulon, le 4 mai 1998,
devant élire le remplaçant du seul élu FN – JeanMarie Le Chevallier – déclaré inéligible par la justice, la stratégie de Mégret a montré ses limites.
Une partie de la droite républicaine s’est « fracassée » sur l’écueil des régionales, et Charles Millon
s’essaie, avec son mouvement, à une hasardeuse
recomposition de l’opposition incluant des électeurs du FN.
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Les lycéens
français veulent
de meilleures
conditions d’étude
Parti de province début octobre, le
mouvement lycéen a très vite pris
une ampleur nationale. Devant
la mobilisation de la jeunesse,
le gouvernement reconnaît
l’« urgence » d’une réforme des
lycées. Dès le 21 octobre, Claude
Allègre annonce un plan d’action
étayé par une série de mesures à
court terme. Le mouvement lycéen
n’y résiste pas, mais il a sans doute
durablement marqué la jeunesse.
Les lycées de France n’ont plus le coeur à
l’étude : locaux insuffisants et mal entretenus, peu de professeurs pour des classes
surpeuplées et accablées par des programmes trop chargés, les motifs de mécontentement sont désespérément les mêmes chaque
année pour des lycéens qui ne supportent plus
de voir leurs griefs ignorés. À peine rentrées,
les classes sont donc sorties dans la rue, où les
lycéens engagent l’épreuve de force avec le gouvernement. Parti de province, ce vent de fronde
prend la dimension d’un mouvement organisé et
d’envergure nationale, dont la spontanéité n’ôte
rien à une détermination puisée dans des années
de vaines revendications. Le 15 octobre, un demimillion de jeunes défilent dans les villes de France
pour réclamer de meilleures conditions d’étude,
prouvant le sérieux de leur mouvement. Et le gouvernement l’a pris d’autant plus au sérieux que
les lycéens ont touché un point sensible, cette
réforme des lycées voulue par M. Jospin quand
il était ministre de l’Éducation et dont Claude
Allègre, donnant raison aux lycéens, reconnaît aujourd’hui l’« urgence ». Le 21 octobre, le ministre
de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la
Technologie annonce un « plan d’action immédiat
pour l’avenir des lycées ». Les effets de celui-ci
seront plus immédiats encore sur le mouvement
lycéen : même si les modalités d’application de ce
plan d’environ 4,7 milliards de francs, qui sollicite
largement les Régions, demandent à être précisées, les promesses du gouvernement, étayées par
des mesures concrètes à court terme prévoyant de
nouveaux postes d’enseignants et un allégement
accéléré des programmes, ont relâché la mobilisation. Le 5 novembre, les lycéens ne sont plus
que 30 000 à fouler le pavé des villes de France ;
signant la fin du mouvement, le retour des vacances de la Toussaint apparaît comme la véritable
rentrée des classes dans des lycées profondément
marqués par les luttes d’octobre. Car, si le mouvement semble s’être éteint aussi vite qu’il était
né, on aurait tort de n’y voir qu’une poussée de
fièvre passagère ; renvoyant l’image de la France
de demain, les jeunes manifestants en ont traduit les malaises et les espoirs : l’élément féminin,
majoritaire, parlait en faveur de l’égalité des sexes,
et les banlieues, très présentes aussi, plaidaient
pour l’intégration des communautés immigrées,
récusant l’amalgame avec les bandes de casseurs
qui ont sévi lors de la première manifestation. Travaux pratiques de civisme, ces manifestations ont
confirmé l’émergence d’une conscience lycéenne
forte, avec laquelle il faudra compter lors des
débats de fond que devrait susciter la réforme
annoncée des lycées.
G. U.
LE PLAN ALLÈGRE
L’enveloppe de 4,7 milliards de francs pour les
lycées présentée par M. Allègre s’articule autour
de deux axes : un emprunt de 4 milliards sur
quatre ans consenti à taux zéro aux conseils régionaux, le budget devant financer des mesures
complémentaires, comme le renforcement de la
présence des adultes dans les lycées. Accueilli
avec prudence dans les Régions, ce plan ne saurait occulter un débat de fond sur la reforme des
lycées et la conception de l’enseignement sur
laquelle ils reposent, nécessitant une refonte des
programmes et des manuels scolaires.
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La gauche plurielle
à l’épreuve
Après un état de grâce persistant
depuis son accession au pouvoir en
juin 1997, le temps des épreuves
a-t-il sonne pour la gauche
« plurielle » ? La perspective
des européennes de juin 1999
semble en effet réveiller les
querelles fratricides entre les cinq
composantes de la majorité plurielle,
dont la cohésion pourrait ne pas
résister aux ambitions concurrentes
au sein du gouvernement dominé
parles socialistes.
Après un an et demi de pouvoir, la majorité « plurielle » ne semble pas encore
en ressentir l’usure. Constituée à la hâte
dans la foulée de la dissolution de l’Assemblée nationale d’avril 1997, l’alliance du PS, du
PC, des Verts, du Mouvement des citoyens (MDC)
et du Parti des radicaux de gauche (PRG) s’est
adaptée à la réalité d’un pouvoir qui lui a appris à
faire preuve de pragmatisme pour surmonter ses
différends. Grâce à des indices économiques rassurants et à une cohabitation plutôt harmonieuse,
la majorité plurielle bénéficie d’une cote de popularité au beau fixe et d’un état de grâce persistant
depuis juin 1997. Tandis que la droite, déchirée par
les régionales de mars 1998, est engagée dans un
laborieux processus de recomposition au sein de
l’Alliance, la gauche rénovée au pouvoir a préservé
sa cohésion ; la discipline gouvernementale a prévalu, malgré les crises parlementaires relayant les
mouvements sociaux, des chômeurs aux lycéens
en passant par les sans-papiers.
Dégagé de la pression électorale jusqu’à 2001,
le gouvernement de Lionel Jospin peut envisager l’avenir avec d’autant plus de confiance qu’il
a désormais un allié de poids en Allemagne, où le
social-démocrate Gerhard Schröder est devenu
chancelier en septembre. Des nuages s’annoncent pourtant. Si, après 1981, la gauche puise sa
force non plus dans l’union mais dans la pluralité, celle-ci montre ses limites alors qu’approche
l’échéance des élections européennes de juin
1999. Désireuses de faire valoir leur poids dans la
majorité tout en répondant aux attentes de leur
base, ses composantes minoritaires intensifient les
pressions sur le gouvernement, multipliant les critiques à l’adresse d’un PS accusé d’hégémonisme.
La campagne des européennes n’est pas encore
lancée, mais la bataille est ouverte au sein de la
gauche plurielle dont certains éléments espèrent
un nouvel équilibre des forces. Le projet de budget
de 1999 donne ainsi l’occasion
les tentations libérales de M.
vouloir recentrer sa politique
une « stratégie présidentielle
option sur l’Élysée en 2002.
au PC de dénoncer
Jospin, suspecté de
en mettant en oeuvre
» pour prendre une
Le fiasco du PACS, rejeté une première fois le
9 octobre par la droite faute de mobilisation socialiste, trahirait d’ailleurs le peu de cas que fait le PS
de ses alliés de gauche. Galvanisés par la coalition
entre les sociaux-démocrates et les « Grünen » en
Allemagne, les Verts ne manqueront pas de faire
entendre leur voix, en contestant au passage la validité du traditionnel axe PS-PC. Une concurrence
pas forcément très saine pour la gauche plurielle.
G. U.
LE PACS OU
LES LIMITES DE LA SOLIDARITÉ
Le 9 octobre, le projet de loi socialiste visant à
créer un Pacte civil de solidarité (PACS) est rejetée par les députés de l’opposition... faute de
combattants socialistes. Ces derniers ne s’étaient
pas déplacés en nombre pour défendre un
texte controversé qui, entre autres, reconnaît
des droits aux couples homosexuels, à côté des
couples hétérosexuels, mariés ou concubins,
et dont ils redoutent l’impact sur l’électorat. Un
PACS a été de nouveau examiné au début du
mois de novembre à l’Assemblée, mais ce faux
pas alimente des soupçons durables ; sans révéler de fracture réelle dans la majorité plurielle, il
traduit les limites de la solidarité entre le PS et
ses alliés de gauche, qui y voient le signe d’une
« politique timorée », tentée par une ouverture
au centre.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
38
La cohabitation,
coexistence
pacifique ou veillée
d’armes ?
La cohabitation entre l’Élysée et
Matignon, à l’oeuvre depuis juin
1997, se déroule de façon plutôt
harmonieuse, maigre quelques
faux pas. Mais les pressions des
états-majors politiques de part et
d’autres, et les grandes échéances
électorales, même lointaines,
pourraient bien provoquer des
turbulences dans cet exercice
partagé du pouvoir.
« Nous sommes sur le bon chemin », déclarait Jacques Chirac dans son intervention
télévisée du 14 juillet à l’Élysée, en exaltant une « cohabitation constructive ». Le
climat est alors à l’euphorie, avec la victoire des
Tricolores au Mondial ; mais le constat du chef
de l’État, qui décerne plusieurs satisfecit au gouvernement et réserve ses critiques à l’opposition,
tend à montrer que les relations sont cordiales,
sinon chaleureuses, entre les deux pôles de l’exécutif. Une convivialité dont les Français semblent
s’accommoder d’ailleurs fort bien, à en juger par
les cotes de popularité de MM. Chirac et Jospin,
au coude à coude dans les sondages. Les étatsmajors, dans l’opposition et aussi dans la « gauche
plurielle », apprécient moins en revanche cette
trop pacifique coexistence entre l’Élysée et Matignon. Engagée dans un laborieux processus de rénovation, la droite se sent exclue de cette « France
qui gagne » exaltée par le « président de tous les
Français », à qui elle reproche d’oublier parfois qu’il
est aussi le chef de file de l’opposition.
L’Élysée reste en effet le principal levier de l’opposition face à la majorité plurielle, et il ne se prive
d’ailleurs pas de le rappeler, mais en travaillant à la
réorganisation de la droite, ce qui provoquera des
frictions avec Philippe Séguin. Ce dernier doit agiter la menace de sa démission avant de recevoir,
en octobre, le soutien de M. Chirac pour sa candidature à la tête du RPR. Tiraillée entre l’allégeance
aux directives de l’Élysée et le besoin de s’affirmer
sur un mode plus critique par rapport au gouvernement, la droite à une marge de manoeuvre
limitée. Requinquée par sa « victoire » lors de la
première discussion sur le PACS, la toute nouvelle
Alliance se prend toutefois à espérer une cohabitation plus nerveuse ; l’Élysée semble lui donner
raison en quittant sa tranchée pour dénoncer
l’hommage rendu, le 7 novembre par M. Jospin,
aux mutins de 1917.
Mais la cohabitation se cimente une fois encore
autour de l’Europe, avec le débat sur la ratification du traité d’Amsterdam, voulue par M. Chirac
comme par M. Jospin contre certains de leurs
alliés respectifs. L’heure n’est pas à la confrontation
dans cette cohabitation qui fait grincer des dents
aussi à gauche, où l’on y voit le terrain d’exercice
d’une « stratégie présidentielle » de M. Jospin,
soupçonné de vouloir recentrer sa politique afin
de se ménager un avenir élyséen. Mais M. Jospin
devra attendre 2002 pour une revanche électorale face à M. Chirac, « par définition » candidat
de l’opposition à sa propre succession, rappelle
M. Séguin. En attendant le face-à-face annoncé, la
cohabitation aura du mal à sauver les apparences
de la paix.
G. U.
L’EUROPE, GARDIENNE DE LA COHABITATION
S’il est un sujet qui semble réunir l’Élysée et Matignon, c’est bien l’Europe, fût-ce au détriment des
alliances partisanes. Le vote, en avril, de la résolution sur le passage à l’euro confirme que l’Europe divise aussi bien la majorité plurielle que la
droite, où la conversion affichée de M. Séguin à
l’intégration européenne ne convainc pas vraiment l’Élysée. Le 1er juillet, le projet de réforme
du mode de scrutin européen réunit M. Chirac et
M. Jospin, qui doit pourtant le retirer en raison
des oppositions à droite comme à gauche. C’est
encore à l’unisson qu’en novembre, le président
et le Premier ministre appellent l’Assemblée à
ratifier le traité d’Amsterdam.
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39
Chronologies
et
analyses
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
40
JANVIER
1
Burundi
Coup de force de rebelles hutus.
Près de 2 000 rebelles hutus attaquent un camp militaire situé près de la capitale. Bujumbura. Les autorités, à majorité tutsie, ont alors reçu une aide militaire
de la part des forces du Rwanda et de la République
démocratique du Congo (ex-Zaïre).
Italie
Afflux de réfugiés kurdes.
Plusieurs bateaux se suivent dans les ports italiens,
avec à leur bord des réfugiés kurdes de Turquie.
Tenants d’une politique libérale envers les réfugiés,
les autorités de Rome laissent entendre que le droit
d’asile pourrait s’appliquer de façon quasi automatique vis-à-vis des Kurdes. Aussitôt, l’Allemagne,
principale destination de ces populations en Europe,
invite l’Italie à renforcer les contrôles à ses frontières.
Russie
Chamil Bassaïev Premier ministre de
Tchétchénie.
Un an après son élection, le président Aslan Maskhadov, considéré comme un « modéré », nomme
M. Bassaïev à la tête du gouvernement. Ce dernier,
responsable d’un enlèvement collectif de mille personnes lors de la guerre avec la Russie, est présenté
comme une des « bêtes noires » de Moscou. Sa nomination semble marquer un durcissement de la politique tchétchène, alors que la République traverse
une grave crise économique et que le pays sombre
dans l’insécurité.
2
France
Nouveau commissaire au Plan.
Henri Guaino, en place depuis 1995, économiste
proche de Philippe Séguin et de Charles Pasqua, inspirateur du discours de Jacques Chirac sur la « fracture sociale » et réputé hostile au traité de Maastricht,
est démis de ses fonctions, malgré le soutien en sa
faveur de plusieurs personnalités de gauche. Il est
remplacé par Jean-Michel Charpin, économiste à la
BNP, proche du Parti socialiste.
Kenya
Victoire de Daniel Arap Moi.
Au pouvoir depuis 1978, M. Moi est élu une nouvelle
fois à la tête de l’État. Son élection est contestée par
l’opposition, qui dénonce des fraudes massives. Âgé
de soixante-quatorze ans, M. Moi a su se maintenir
en fonction en profitant des divisions de l’opposition
et en jouant sur les clivages tribaux. Il a privilégié son
ethnie d’origine, celle des Kalendjins, contre l’ethnie
dominante des Kikuyus.
3
Mexique
Démission du ministre de l’Intérieur.
Le gouvernement annonce le remplacement du ministre de l’Intérieur en place par le ministre de l’Agriculture, Francisco Labastida Ochoa. Ce changement
est une conséquence du massacre d’Indiens au Chiapas à la fin du mois de décembre 1997.
4
Israël
Démission de David Lévy.
Le ministre des Affaires étrangères quitte le gouvernement pour des questions budgétaires, mais aussi
en raison du blocage qu’exerce Benyamin Netanyahou sur le processus de paix avec les Palestiniens.
Après le départ de M. Lévy, représentant des classes
pauvres d’origine séfarade, et privé de l’appui des
députés du parti de celui-ci, le Gesher, M. Netanyahou ne dispose désormais plus que d’une majorité
de trois voix à la Chambre et se trouve encore davantage lié aux formations d’extrême droite membres de
son gouvernement.
Lituanie
Élection de Valdas Adamkus.
Le candidat conservateur l’emporte avec moins de
1 % des voix sur le représentant de la gauche, soutenu par le président de la République néocommuniste Algirdas Brazauskas. Âgé de soixante et
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
41
onze ans, M. Adamkus a vécu quarante-huit ans aux
États-Unis.
5
Musique
Nouveau disque d’Alain Bashung.
À cinquante ans et après trente ans de carrière, l’un
des plus importants chanteurs de rock français sort
son dixième album, Fantaisie militaire. La critique
salue ce nouvel opus où l’on retrouve l’étrangeté et
le sens du calembour propres à l’artiste, mais rendus
plus forts par une émotion et une violence concentrées. On remarque également les arrangements
musicaux dus aux Valentins et aux cordes de Joseph
Rocaille.
7
Algérie
Refus de toute commission d’enquête.
Alors que les massacres de civils continuent de se
multiplier à travers le pays, le gouvernement algérien
refuse la proposition américaine d’une commission
d’enquête internationale sur ces tueries. Il estime que
« l’idée d’une enquête inter nationale associée à l’introduction d’un doute quant à l’identité des auteurs du
terrorisme participerait objectivement d’une entreprise
de déculpabilisation des terroristes alors même qu’ils assument leurs crimes odieux et les revendiquent ». Dans
un premier temps, il rejette également le principe
d’une enquête menée par des hauts fonctionnaires
européens sous l’égide de l’Union européenne.
Finalement, le 19 et le 20, les secrétaires d’État aux
Affaires étrangères de Grande-Bretagne, de l’Autriche
et du Luxembourg sont reçus officiellement par leur
homologue algérien et ont la possibilité de rencontrer brièvement les représentants des partis légaux,
les directeurs de journaux ainsi que le Premier ministre, Ahmed Ouyahia. Les résultats de cette mission
demeurent minces.
Cinéma
Sortie du film américain Titanic.
Réalisé par le Canadien James Cameron, avec Leonardo DiCaprio et Kate Winslett dans les principaux
rôles, il est le film au budget le plus important de tous
les temps (230 millions de dollars). Des moyens technologiques colossaux ont permis la reconstitution
de la fameuse catastrophe en images de synthèse.
Ce mélodrame de 3 h 20, qui met en scène un des
grands mythes du XXe siècle, est une métaphore sur
la disparition d’une époque et le basculement vers
un monde nouveau. L’accueil du public dépasse
toutes les attentes, et, en moins de six mois d’exploitation, il rapporte déjà plus de un milliard de dollars
de recettes.
Iran
Ouverture envers les États-Unis.
Mohammed Khatami, le nouveau président élu en
1997, dit vouloir « ouvrir une brèche dans le mur de
méfiance » érigé entre Téhéran et Washington depuis
1979, dans un entretien diffusé sur CNN. Il y fait l’éloge
de la civilisation américaine et d’Abraham Lincoln et
propose d’instaurer un « dialogue raisonnable » entre
les deux pays. Il y présente même (indirectement)
des excuses pour l’affaire de la prise d’otages à l’ambassade américaine à Téhéran en 1979 et – point
capital pour les Américains – condamne « fermement
le terrorisme sous toutes ses formes ». Quelques heures
avant l’interview du président iranien, un responsable du département d’État avait fait savoir que les
États-Unis envisageaient de « réexaminer » leur politique de sanctions économiques vis-à-vis de l’Iran.
Depuis plusieurs mois, Washington s’inquiète de
voir des compagnies européennes – notamment le
pétrolier français Total – braver l’embargo américain
et signer des contrats avantageux avec Téhéran.
9
Échecs
Nouveau titre mondial pour Anatoly
Karpov.
À quarante-six ans, le champion russe remporte à
Lausanne sa septième victoire suprême, vingt-trois
ans après son premier titre. Il bat l’Indien Viswanathan
Anand, vingt-huit ans, au cours des deux dernières parties rapides. Son plus vieux rival, Garry Kasparov, a créé
sa propre fédération, refusant le contrôle de la FIDE.
Espagne
Assassinats par l’ETA.
José Ignacio Iruretagoyena, jeune conseiller municipal du Parti populaire dans la région de San SebasdownloadModeText.vue.download 43 sur 417
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
42
tián, est tué dans un attentat à la voiture piégée. Il est
le troisième élu du parti au pouvoir à Madrid à être
abattu par les nationalistes basques. Le 30, un quatrième élu du PP, Alberto Jimenez Becerril, est assassiné à son tour avec son épouse. Il s’agit, cette fois,
d’un conseiller municipal de Séville. L’organisation
terroriste veut montrer ainsi que, malgré la vague de
réprobation, elle demeure capable de frapper quand
et où elle veut, même en dehors du Pays basque.
France
Un milliard pour les chômeurs.
Afin de contenir le mouvement de protestation des
associations de chômeurs et après avoir reçu les
organisations de chômeurs, le gouvernement débloque un milliard de francs pour venir en aide aux
sans-emploi en situation d’urgence. Même s’ils déclarent que cette somme ne règle pas le problème,
associations, syndicats et partis de gauche estiment
qu’un « pas important » a été accompli. Dans les jours
qui suivent, les autorités font évacuer les sites – ANPE,
mairies, centres sociaux – occupés par les chômeurs.
(chrono. 21/01)
Le mouvement des
chômeurs
Le mouvement des chômeurs qui s’est exprimé
avec force en décembre 1997 et en janvier 1998 fut
le premier de ce type. Symboliquement entamée
à la veille de Noël, cette « révolte des sacrifiés »,
qui s’est traduite notamment par l’occupation de
nombreuses agences pour l’emploi, en région
parisienne et en province, a impliqué un nombre
important de personnes et a donné naissance ou
tribune à des associations de chômeurs.
Le mouvement a connu un important retentissement dans l’opinion publique, mais, surtout, il a révélé un phénomène social longtemps
occulté : le caractère structurel et permanent du
chômage et les risques importants de destruction des liens sociaux dont il est porteur. Il a mis
en évidence l’urgence d’une réforme du système
d’indemnisation du chômage. La revendication
visait à obtenir une augmentation de 1 500 F
des minima sociaux et, secondairement, une
allocation spéciale de Noël. Mais, au-delà des
demandes chiffrées, il s’agissait d’une véritable
remise en cause de l’analyse et du traitement du
chômage, trop longtemps considéré comme une
situation malheureuse, certes, mais passagère,
et dont la prise en charge était devenue inadaptée. Face à une forte baisse des fonds de secours
gérés par les ASSEDIC (organismes locaux de
gestion du système national d’indemnisation du
chômage, l’UNEDIC), les chômeurs demandent
que des mesures d’urgence soient prises sans
attendre la loi sur la prévention et la lutte contre
l’exclusion, annoncée pour le printemps 1998
par le gouvernement.
Les hésitations syndicales
L’ampleur du mouvement a pris à contre-pied les
syndicats, les organismes gestionnaires du chômage aussi bien que le gouvernement, qui n’ont
pas su mesurer l’ampleur du problème posé.
Le gouvernement avait surtout, jusqu’alors,
concentré ses efforts sur la réduction du chômage par des mesures en faveur de l’emploi :
conférence sur l’emploi, puis projet de la loi
sur les 35 heures. Les syndicats sont, pour leur
part, peu préparés à intégrer les chômeurs et à
prendre en charge leurs revendications. Ce sont
donc surtout des associations, la CGT ainsi que
la minorité de la CFDT opposée à Nicole Notat,
et sa secrétaire générale qui préside désormais
l’UNEDIC, qui ont mené le mouvement. Les hésitations syndicales peuvent être attribuées à la
fois à leur fonction traditionnelle de défense des
travailleurs ayant un emploi et à leur position
dans le fonctionnement des structures d’indemnisation du chômage. Le système encore en
vigueur fut mis en place lors des années d’abondance et conçu pour faciliter la transition entre
un emploi et un autre, beaucoup plus que pour
prendre en charge un très fort chômage qui, loin
de se résorber, n’a fait que s’accroître depuis
les années 80. Ce chômage ne résulte pas de
difficultés économiques – la balance française
des paiements enregistre des chiffres positifs
–, mais de la transformation rapide des structures de production. Alors qu’une masse sans
cesse plus grande de personnes s’appauvrit,
sans que ses perspectives d’emploi ne s’améliorent, la richesse de quelques-uns ne cesse
d’augmenter, rendant les inégalités encore plus
insupportables.
Le système obligatoire d’assurance chômage
mis en place en 1958 est financé par des cotisations sur salaires, versées par des travailleurs
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
43
et les employeurs. Il accorde des prestations au
prorata d’un salaire de référence, et pour une
durée limitée. Sa structure est séparée de celle
de la Sécurité sociale, mais il connaît, comme
elle, une gestion paritaire par les organisations d’employeurs et les syndicats, au niveau
local (ASSEDIC) et national (UNEDIC), avec une
faible participation de l’État pour financer des
situations transitoires. L’intervention de l’État
se concentre sur un régime d’assistance financé
sur le budget public, servant des prestations
forfaitaires sous conditions de ressources, mais
sans limitation de durée. Or, à partir de 1992, les
conditions d’indemnisation – aussi bien du régime de l’assurance que de celui de l’assistance
financée par l’État (allocation spécifique de solidarité, ASS) – ont été durcies, ce qui a contraint
certaines catégories de chômeurs à recourir au
RMI.
C’est le secteur de l’ASS qui a été la cible première du mouvement des chômeurs, mais c’est
en réalité tout le système qui est en question.
Plusieurs modifications successives sont intervenues, mais les principes de base sont restés
inchangés.
Un plan d’urgence
Un dispositif d’urgence décentralisé destiné
aux personnes en grande difficulté a été créé
par le gouvernement le 9 janvier 1998. Ce plan
d’urgence fut finalement doté de un milliard
de francs. Dans le même temps, Lionel Jospin
confiait à Marie-Thérèse Joint-Lambert, inspectrice générale des Affaires sociales, une mission
sur « les problèmes soulevés par les mouvements
de chômeurs en France fin 1997-début 1998 ». Le
rapport de Mme Joint-Lambert constate d’abord
que le dispositif en vigueur ne traite qu’imparfaitement les situations d’urgence, que les moyens
d’action restent cloisonnés et que le fonctionnement du système demeure opaque. Le rapport
conclut à la nécessité de permettre aux dispositifs de mieux répondre aux attentes et surtout
de les articuler avec des réformes structurelles.
Le problème de la complémentarité entre assurance chômage et assistance est posé depuis
longtemps, mais l’orientation actuelle du marché du travail vers une augmentation de la
flexibilité d’emploi et une réduction du nombre
de postes de travail, c’est-à-dire le caractère
désormais structurel du chômage, lui confère
un caractère d’urgence. Le régime d’assistance
n’est plus en mesure d’assumer une fonction de
filet de sécurité, pour faire suite aux allocations
provenant de l’assurance. Qui doit prendre en
charge ces nouveaux coûts sociaux ? aide sociale
généralisée ? entreprises ? une combinaison
entre systèmes ?
Le rapport Joint-Lambert analyse en détail les
données du problème et propose des solutions
à moyen terme : revalorisation des minima ; priorité aux jeunes en difficulté ; rapprochement des
conditions d’attribution de certains minima :
RMI, aide à parent isolé, assurance veuvage ;
assouplissement des conditions d’indemnisation permettant une reprise partielle d’activité. Il
conclut à la nécessité d’améliorer fortement les
conditions de traitement personnalisé des situations d’urgence. Certaines de ces propositions
sont déjà en train de trouver des applications,
grâce à la loi sur l’exclusion adoptée le 9 juillet.
Mais le rapport ne dissimule pas l’importance
des problèmes structurels posés à tout système
de protection sociale.
SABINE ERBÈS-SEGUIN
Ailleurs, en Europe
Dans certains autres pays de l’Union européenne, l’indemnisation du chômage,
assurance et assistance, est soit totalement
(Belgique, Pays-Bas), soit en grande partie
(Allemagne, Espagne) financée par le budget de l’État, alors qu’en France elle reste,
pour l’essentiel, basée sur les cotisations
sur salaires. Mais transformer le système, ce
serait aussi mettre en cause la gestion paritaire. Faut-il refondre ou simplement harmoniser les minima sociaux, ou faut-il aller vers
une allocation universelle, ce qui donnerait
une tout autre tonalité à l’ensemble du système de protection sociale ?
12
Biologie
Mobilisation contre le clonage des êtres
humains.
Dix-sept des quarante pays membres du Conseil de
l’Europe signent un « protocole additionnel » à la
Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine d’avril 1997, qui avait pour objet de protéger les
êtres humains contre toute application abusive des
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
44
biotechnologies (interdiction des discriminations en
fonction du patrimoine héréditaire, interdiction des
modifications du génome de la descendance, etc.).
Le protocole additionnel vise le clonage des êtres humains, qu’il proscrit sous toutes ses formes. Ce nouvel
instrument juridique intervient moins d’un an après
l’annonce de la naissance de Dolly, la première brebis
clonée, et alors que le scientifique américain Richard
Seed a annoncé son intention d’ouvrir une clinique
spécialisée dans le clonage d’êtres humains.
Grande-Bretagne
Reprise des négociations en Ulster.
Pilotées par la ministre chargée de l’Irlande du
Nord, Mo Mowlam, les négociations sur l’avenir de
l’Ulster reprennent à Londres. Elles s’ouvrent dans
un contexte difficile après la reprise, ces dernières
semaines, des attentats et des assassinats politiques
de la part des organisations extrémistes catholiques
et protestantes. Les Premiers ministres britannique
et irlandais, Tony Blair et Bertie Ahern, présentent
un texte destiné à servir de base de négociation et
prévoyant l’instauration d’un conseil ministériel entre
les exécutifs de Dublin et de Belfast (ce qui donne
satisfaction aux nationalistes catholiques modérés)
et d’un conseil intergouvernemental des îles, destiné
à ancrer l’Ulster dans le Royaume-Uni (ce qui donne
satisfaction aux organisations protestantes). Le Sinn
Féin de Gerry Adams rejette ce plan, mais M. Blair
parvient à convaincre le leader nationaliste catholique de rester à la table des négociations. (chrono.
Bagdad relance la crise en interdisant à une équipe
de la Commission spéciale de l’ONU chargée de
désarmer l’Irak (Unscom) de continuer ses inspections au motif que sa composition est « déséquilibrée », c’est-à-dire à domination américaine. Déjà,
en novembre 1997, Saddam Hussein avait contesté
ces inspections en expulsant les inspecteurs américains. Une médiation russe avait permis d’étouffer
la crise en autorisant le retour des inspecteurs de
Washington. Le 14 janvier, une résolution du Conseil
de sécurité de l’ONU, votée à l’unanimité, condamne
la position du président irakien et somme Bagdad
de coopérer sans condition avec les agents de l’Unscom. Le 17, Saddam Hussein menace de limiter à six
mois la mission de celle-ci. Paris et Moscou tentent
Irak
Nouvelles restrictions envers la
commission d’enquête.
alors de réactiver les négociations afin d’éviter un
nouveau conflit armé. (chrono. 23/02)
La crise irakienne
Sept ans après sa création, la Commission spéciale de l’ONU chargée du désarmement de l’Irak
(Unscom) était bien en peine d’évaluer la réalité
de la menace militaire irakienne. Seule certitude,
non seulement Saddam Hussein a réussi à se
maintenir au pouvoir, mais il a défié une nouvelle
fois, à travers l’ONU, les États-Unis.
Soumis à un blocus rigoureux depuis la fin de
la guerre du Golfe, en 1991, l’Irak connaît une
situation économique et sanitaire réellement
dramatique ; la résolution « pétrole contre nourriture » fait figure d’aumône humiliante ; enfin,
la présence de l’Unscom est perçue comme une
ingérence quotidienne des États-Unis.
Fort de cette réalité, que nul ne songerait à
contester, le leader irakien a défié une première
fois les Américains en novembre 1997. Faisant
alors le pari que Washington ne parviendrait pas
à former de nouveau une coalition semblable
à celle qui lui avait fait mordre la poussière en
1991, S. Hussein avait réussi à offrir une tribune
internationale à son pays réduit à la mendicité
pour cause d’intransigeance américaine, tout en
rappelant qu’il est le seul homme fort du pays.
Un gain en matière de politique intérieure qui
n’aura échappé à personne.
Instruit par l’épilogue de novembre 1997, S. Hussein a réédité, sans variante d’importance, le
scénario au début de l’année 1998. L’affaire s’est
réglée, comme en 1997, avec l’intervention du
secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan,
et des promesses de part et d’autre : l’ONU en
ménageant la souveraineté des Irakiens, ces derniers en acceptant d’ouvrir à l’Unscom les sites
dits « présidentiels ». Les choses sont donc rentrées dans l’ordre, le 23 février, avec la signature
d’un accord mettant un terme à la crise. Paraphé
par Kofi Annan, pour l’ONU, et Tarek Aziz, pour
l’Irak, ce texte engage Bagdad à respecter toutes
les résolutions des Nations unies – dont le libre
accès à l’Unscom de tous les sites militaires ou
assimilés – et l’ONU à mettre en oeuvre une procédure particulière dès lors qu’il s’agira d’enquêter sur les sites présidentiels, où des diplomates
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
45
de haut rang accompagneront désormais les
experts de l’Unscom.
Un VRP de la misère irakienne
À chaque année ne suffit sans doute pas sa crise,
puisque les rapports se sont de nouveau tendus
à l’été, lorsque le Conseil de sécurité de l’ONU a
été saisi des conclusions de l’Agence internationale de l’énergie atomique concernant la situation de l’Irak dans le domaine nucléaire.
Des conclusions suffisamment ambiguës pour
que les États-Unis et la Grande-Bretagne, favorables au maintien de l’embargo, y trouvent
la confirmation de leur politique, et pour que
les pays opposés au statu quo se prononcent
en faveur de la fermeture du dossier nucléaire,
l’un des volets du désarmement auquel doit se
plier l’Irak – pour mémoire, la résolution 647 du
Conseil de sécurité fait du désarmement partiel
du pays la condition de la levée des sanctions
économiques auxquelles il est soumis. Sans illusion sur les conclusions du Conseil de sécurité
– l’ambassadeur américain à l’ONU n’avait-il pas
déclaré « pas de progrès, pas d’action du Conseil
de sécurité » –, l’Irak a affirmé le 29 juillet qu’il
n’accepterait plus le maintien de l’embargo et
déplorait que l’Unscom soit devenu un levier
politique hostile, impliqué dans le jeu du maintien de l’embargo.
Finalement, Bagdad a choisi de s’en tenir à une
« gesticulation » purement rhétorique. Car, quel
que soit le degré d’empathie que peut inspirer
l’aventurisme diplomatique de S. Hussein, ce
dernier n’ignore pas que si l’Irak devait rompre sa
coopération avec l’ONU sur le seul programme
de désarmement les conséquences immédiates
seraient de rendre caduque la résolution « pétrole contre nourriture ».
Pour autant qu’elle permet de desserrer un petit
peu le lacet de l’embargo, cette résolution offre
au président irakien un argument à double détente. Elle lui permet de prendre la communauté
internationale à témoin des malheurs de son
peuple – et prive par la bande les États-Unis de
tout espoir de reconstituer la coalition de 1990
– tout en se posant, vis-à-vis de la population,
comme le garant de l’intégrité territoriale : sous
perfusion, le pays n’est-il pas plus menacé que
menaçant ? D’ailleurs, S. Hussein ne manquera
jamais une occasion de se faire le VRP de la misère de l’Irak, un pays acculé à la ruine matérielle,
sanitaire et psychologique, dont le PIB serait inférieur à celui de 1950 et où l’espérance de vie
aurait reculé de dix ans.
Le dilemme américain
Au bout du compte, les États-Unis ont transformé la victoire militaire de la coalition onusienne
en défaite politique. Ce que vérifie la proposition inverse : S. Hussein a fait de la déroute de
ses armées une victoire politique. Les États-Unis
se sont en effet enfermés dans l’alternative suivante : soit mener une nouvelle guerre dévastatrice, sans pouvoir préciser en quoi la communauté internationale s’en porterait mieux ; soit
ne pas le faire, et risquer de paraître avoir reculé.
En réalité, faute de disposer d’une véritable stratégie concernant l’Irak, les États-Unis se sont
tenus à une formule : « On ne discute pas avec
le diable. » Pour autant, cela ne peut invalider le
principe qui veut que, lorsque l’on ne parvient
pas à battre un adversaire, il faut discuter avec
lui. Mais, en l’espèce, une ouverture, fût-elle
limitée, n’est guère envisageable, politique intérieure oblige.
Il est vrai que l’embargo mise en place contre
le régime Bagdad continue de faire l’objet d’un
large consensus aux États-Unis, toutes tendances
politiques et toutes institutions confondues. Et
à ce jour, les partisans d’une levée progressive
des sanctions ont été bien trop peu nombreux
à Washington pour espérer peser sur les décideurs, qu’il s’agisse de ceux qui invoquent l’aspect humanitaire ou de ceux qui soulignent les
dangers stratégiques d’un isolement prolongé
de l’Irak.
Toutefois, la crise de janvier 1998 a souligné les
contradictions et les faiblesses de la position
américaine, la Maison-Blanche ne parvenant plus
à sauvegarder le consensus de façade au sein du
Conseil de sécurité. Depuis la fin de la guerre du
Golfe, dresser le bilan politique, économique et
social de l’Irak équivaut à tenir la chronique des
relations – tendues – entre Washington et Bagdad et à « pister » les inspecteurs de l’Unscom
dans leur mission.
De ce point de vue, l’année 1998 n’aura pas dérogé. Au bout du compte, on a eu la confirmation
– attendue – que tout séparait les deux protagonistes, hormis une « rigidité » dont la population
irakienne continue de payer le prix fort.
ÉRIC JONES
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
46
La fin du double endiguement
Si l’ordre instaure dam là zone du Golfe
au lendemain de la guerre de 1990 n’a
pas été formellement remis en cause, il
semble pourtant que la stratégie dite du dual
containment a vécu. Définie en 1993, cette
stratégie se présente alors comme une rupture avec l’ancienne politique américaine
d’équilibre entre l’Iran et l’Irak. Il s’agit de
contrecarrer les menaces irakiennes (sur le
Koweït) et iraniennes (sur le golfe Persique
et le détroit d’Ormuz). Le double endiguement s’appuie sur une présence militaire
américaine importante dans le Golfe, afin
de dissuader toute agression, ainsi que sur
des sanctions économiques : loi d’Amato
pour l’Iran, sanctions du Conseil de sécurité
de l’ONU pour l’Irak. Mais, en 1998, Téhéran a fait l’objet d’une « réévaluation stratégique » à Washington. Et si Saddam Hussein
est toujours tenu en odeur luciférienne, rien
n’empêche l’équipe des États-Unis de jouer
au football contre une sélection iranienne. Il
est vrai que la politique de la porte fermée
s’est révélée plus préjudiciable pour les intérêts américains que pour l’Iran, qui contrôle
les routes du pétrole de la mer Caspienne.
14
France
Esclandre à l’Assemblée nationale.
Le Premier ministre Lionel Jospin provoque un tollé
en déclarant à l’Assemblée, à propos du 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, que « à l’époque
des événements, on est sûr que la gauche était pour
l’abolition de l’esclavage. On ne peut pas en dire autant
de la droite. On sait que la gauche était dreyfusarde et
que la droite était antidreyfusarde... ». Les députés de
l’opposition crient leur indignation, et, le lendemain,
M. Jospin fait savoir qu’il regrette d’avoir pu blesser
certains et que ce n’était pas son intention.
15
Indonésie
Acceptation du plan du FMI.
Le président Mohamed Suharto signe une « lettre
d’intention » avec le Fonds monétaire international
prévoyant une révision stricte du budget, le démantèlement de monopoles, l’abandon de projets inutiles et de subventions non justifiées. De nombreux
observateurs estiment que ce plan n’est pas suffisant
pour tirer le pays de l’ornière. Les problèmes de la
considérable dette extérieure privée et de la parité de
la roupie par rapport au dollar n’ont pas été abordés
à fond. Ne l’ont pas été davantage ceux ayant trait au
népotisme ambiant et au contrôle de l’économie nationale par la famille et le clan du président, ce qui fait
douter de la véritable volonté du président Suharto
d’accepter les prescriptions du FMI. Megawati Sukarnoputri, la figure dominante de l’opposition, estime
qu’en tout état de cause le gouvernement « manque
de crédibilité ». (chrono. 14/02)
Yougoslavie
Entrée en fonctions du président du
Monténégro.
Élu en octobre 1097 contre le candidat proserbe,
Milo Djukanovic prend ses fonctions à la tête de cette
petite république de 650 000 habitants, au sein de
la République fédérale de Yougoslavie. Soutenu par
les Américains, il souhaite prendre une plus grande
autonomie vis-à-vis de Belgrade, estimant que la politique serbe, responsable de l’embargo commercial
frappant la Fédération, entrave le développement du
Monténégro.
16
France
Plan Internet pour l’Administration.
Le gouvernement annonce la mise en chantier d’un
programme d’accès généralisé aux administrations
sur Internet : tous les grands textes juridiques pourront être consultés sur le Web ; toute administration
en contact avec le public devra disposer d’un site ;
un effort particulier sera l’ait pour équiper les écoles
et favoriser le capital-risque, c’est-à-dire l’apport de
fonds aux nouvelles entreprises innovantes.
Turquie
Dissolution du Parti islamiste.
Accuse d’« atteinte à la laïcité de l’État », le parti de
la Prospérité (Refah) est dissous par la Cour constitutionnelle. Le leader de la formation, Necmettin
Erbakan, Premier ministre sortant, qualifie de « faute
terrible » la dissolution d’un parti fort de 4 millions
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
47
d’adhérents et de 6 millions de voix lors des dernières
consultations électorales. Ses militants envisagent,
comme ils l’ont déjà fait par le passé, de recréer sous
une autre forme un nouveau parti. C’est bientôt
chose faite sous le nom de parti de la Vertu (FP).
17
États-Unis
Bill Clinton accusé de harcèlement
sexuel.
Le président américain est confronté pendant six
heures, chez son avocat, avec Paula Jones, qui l’accuse de lui avoir fait des propositions explicites en
mai 1991, alors qu’il était gouverneur de l’Arkansas
et qu’elle était employée par l’administration de cet
État. M. Clinton ne se rappelle pas avoir rencontré
cette personne et nie absolument lui avoir fait des
avances, tandis que celle-ci prétend avoir été convoquée dans une chambre d’hôtel et s’être retrouvée
face au gouverneur qui l’attendait, le pantalon baissé.
C’est la première fois dans l’histoire des États-Unis
qu’un président en exercice est soumis à une telle
confrontation. (chrono. 21/01)
Les frasques de Clinton
Faute d’ennemi, les États-Unis auraient-ils entrepris de se détruire eux-mêmes ? La tournure
prise par l’affaire Monica Lewinsky autorise à s’interroger sur la qualité du fonctionnement de la vie
politique américaine. Les besoins de la machine
médiatique décident-ils de tout ? Assiste-t-on
à l’ultime combat des « vigilantes » de l’ordre
moral américain ? L’aveu du 17 août 1998 montre
une opinion profondément lassée par une affaire
sordide, mais qui a pris trop d’importance pour
ne pas être tenue pour un moment majeur de
l’évolution de la société politique américaine.
L’affaire
Est-elle juridique ? Est-elle politique ? Une chose
est certaine : le sentiment n’a guère sa place dans
cette affaire sexuelle, parfaitement insignifiante
vue du Vieux Continent. Mais, aux États-Unis, l’effet
des médias et de la lutte pour le pouvoir en fait
une affaire d’État. Du coup, les Américains n’ont
plus besoin de « Da las » et de « Beverly Hills », ils
disposent depuis février 1998 de « Capitol Hill ».
Rien ne manque. Monica et Bill, affublés d’un
« méchant », le juge Starr, et d’une bonne fée,
Hillary, femme du président qui, compréhensive
sur les faits et ferme sur le droit, assure la défense
exemplaire de son époux. Tout se révèle en février
lorsque Mlle Lewinsky, ancienne stagiaire à la Maison-Blanche, est découverte par le procureur indépendant Kenneth Starr, qui instruit les charges que
l’on pourrait retenir contre le président dans les
différentes affaires qui le concernent. Affaire Paula
Jones, qui se dit victime de harcèlement sexuel de
la part du gouverneur Clinton. Affaire Whitewater,
qui, jalonnée de suicides, touche aux activités immobilières des époux Clinton dans l’Arkansas.
La « révélation » Lewinsky n’arrive pas vraiment
par hasard. La jeune femme s’est confiée à une
autre ancienne employée de la Maison-Blanche,
Linda Tripp, qui y avait elle-même travaillé quelque
temps, avant d’être recasée au Pentagone. Celle-ci
s’entretient longuement avec la jeune femme en
prenant soin de l’enregistrer, à son insu semblet-il. Cette confession intime bourrée de détails
sur les relations sexuelles avec le président lance
l’affaire. Aussitôt, Bill Clinton nie publiquement.
Mais Kenneth Starr dispose enfin d’une « preuve » :
une robe de cocktail imprégnée de la « substance
séminale » présidentielle. De ce fait, durant deux
mois, les familles américaines ne purent que couper la télévision, ou bien mettre en place des cours
d’éducation sexuelle aussi improvisés qu’embarrassés.Il est bien délicat d’expliquer aux jeunes enfants qu’un test ADN peut confondre le président...
Et celui-ci, sommé de témoigner devant le grand
jury, s’adresse le 17 août à la nation pour présenter
ses excuses au peuple américain. Si les faits sont
désormais établis, la véritable affaire ne fait que
commencer. Le procureur Starr entend bien démontrer que le président est coupable de parjure
et d’entrave à l’action de la justice. Il devra présenter au Congrès son rapport, sur la base duquel une
procédure d’impeachment pourrait être engagée.
La cote de popularité de la gestion présidentielle
reste élevée, mais, dans un pays justicier, nul ne
peut prévoir jusqu’où les procédures peuvent aller.
D’autant plus que d’autres affaires traînent, celle
notamment d’un financement occulte du Parti
démocrate par des fonds chinois. Dans ce cas, le
vice-président Al Gore voit également son avenir
politique sérieusement compromis.
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48
À ce stade, indépendamment du cours juridique
pris par la procédure, le président finira son
mandat avec un pouvoir très affaibli. Par l’action
des républicains sans doute, qui pourront jouer
de l’impeachment, comme d’une épée de Damoclès dont ils n’entendent cependant pas abuser.
Car une démission présidentielle donnerait à
Albert Gore une occasion unique de se mettre
en selle, ce que personne ne semble désirer. À
commencer par les leaders du Parti démocrate
au Congrès, qui ont su prendre leurs distances.
Bill Clinton a déjà perdu la capacité à se choisir
un successeur – que ce soit Gore ou un autre.
Les enjeux
Comme toutes les affaires faites de petits détails
sans grand intérêt, ce scandale a une fonction de
révélateur.
Révélation de l’irrésistible médiatisation de la
société américaine. Il est caractéristique qu’en
février la presse classique ait paru peu enthousiaste pour déclencher l’affaire. Mais les « tabloïds
électroniques » s’en sont immédiatement saisis,
créant un mouvement de fond qu’il a fallu suivre.
Révélation aussi d’un véritable court-circuit entre
la classe politique et la société américaine. Faute
de pouvoir faire mieux que Clinton sur le plan
économique, les républicains, vainqueurs en novembre 1994, ont voulu porter le combat sur le
terrain des valeurs. Mais il s’avère que la société
ne répond plus à leur attente. Elle les désavoue
en manifestant publiquement son peu d’intérêt
pour les frasques au président. La grande leçon
de l’affaire est que l’Amérique s’avoue moralement permissive. Elle reconnaît désormais le droit
à la vie privée, y compris pour les hommes politiques. On soutiendra donc Clinton contre les attaques au nom d’une société permissive, mais on
le condamnera parce qu’il est coupable de parjure
médiatique. Ainsi paraît sous le regard du monde
une société plus formellement attachée au juridisme que fondamentalement éthique.
Un peu éberlué, le monde, en effet, regarde. Les
répercussions extérieures sont de trois ordres.
C’est, parmi les Alliés, un soutien marqué au
président dans l’adversité. La Grande-Bretagne,
la France, l’Italie ont manifesté, à l’occasion, leur
solidarité.
Le second phénomène, inévitable, est que l’affaire
Lewinsky est venue interférer avec des situations
graves, proches de la crise. En février, l’affrontement
avec l’Irak ; en août, lors des attentats contre les ambassades de Nairobi et Dar es-Salaam et de la riposte
qui s’ensuivit. La politique extérieure des États-Unis
se voit donc soupçonnée de manipulations à usage
interne ou, plus simplement, de manque du sens de
la responsabilité et de ce leadership dont les ÉtatsUnis revendiquent si volontiers et si fort l’exclusivité.
À ceux qui combattent, souffrent et meurent en
défendant des idéaux, les États-Unis offrent l’image
d’une société plus narcissique que jamais, délaissant le monde pour s’abîmer dans la fascination de
ses insondables contradictions.
FRANÇOIS GÉRÉ
Procureur indépendant
et grand jury
Pour mieux assurer l’indépendance des pouvoirs, la Constitution américaine autorise le
législatif à investir un homme de loi privé du
pouvoir d’investigation sur une affaire particulière qui concerne, entre autres, les agissements de l’exécutif. Un juge surveille le déroulement de la procédure, veille à sa conformité
et au respect du secret, tandis que le grand
jury, dont les membres restent anonymes,
siège à huis clos. Aucun élément de l’enquête
ne doit être communiqué. Les résultats font
l’objet d’un rapport final soumis au Congrès.
18
Sports
Premier titre mondial français en
natation.
La nageuse française d’origine roumaine Roxana
Maracineanu remporte la médaille d’or du 200 m dos
aux Championnats du monde de Perth, en Australie.
C’est la première fois que la France remporte un titre
mondial en natation. Avec un total de 5 médailles
(dont 4 d’argent et 1 de bronze) la France finit cinquième au palmarès mondial.
20
Tchécoslovaquie.
Réélection de Vaclav Havel.
Élu pour la première fois en 1989 président de la
Tchécoslovaquie, puis, en 1992, président de la République tchèque, M. Havel est réélu au deuxième tour
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
49
par le Parlement. À soixante et un ans, et malgré de
gros problèmes de santé, il demeure un personnage
incontournable de la politique tchèque. Écrivain et
partisan d’une politique humaniste et « apolitique »,
il aurait souhaité pouvoir s’effacer mais estime n’avoir
pas trouvé de successeur à sa mesure. Le 28, le gouvernement de Josef Tosovsky obtient l’investiture du
Parlement grâce à l’appui des sociaux-démocrates
que le président Havel avait incités à voter en ce sens.
Zimbabwe
Émeutes à Harare et en province.
Le président Robert Mugabe déploie la troupe pour
contrôler les bandes de pillards qui attaquent les magasins dans la capitale et dans plusieurs villes de province. Les manifestants protestent contre les hausses
des prix alors que le pays traverse une grave crise
économique avec un taux de chômage dépassant
45 %. C’est la première fois depuis l’indépendance,
en 1980, qu’il est fait appel à l’armée pour mater des
troubles civils.
21
Cuba
Voyage pontifical à La Havane.
Jean-Paul II se rend dans l’île pour un voyage de
six jours. En soi, cette visite du souverain pontife
constitue un grand succès diplomatique pour Fidel
Castro, de plus en plus isolé depuis la chute du
communisme européen et depuis la crise de 1996,
quand l’aviation de La Havane avait abattu deux avions d’une organisation d’entraide anticastriste. Au
cours de son voyage, le chef de l’Église catholique
condamne le capitalisme aveugle et l’embargo américain à rencontre de Cuba. Il condamne également
le caractère autoritaire du régime castriste, l’emprisonnement d’opposants politiques et les atteintes
à la liberté de conscience. À la suite de cette visite,
l’opinion cubaine espère une libéralisation de la vie
publique, tandis que l’Église locale, considérablement renforcée, entend désormais occuper un rôle
de contre-pouvoir reconnu et incontournable.
États-Unis
Bill Clinton à nouveau accusé de
frasque sexuelle.
Le Washington Post révèle qu’une enquête est lancée
pour savoir si le président a bien poussé une jeune
stagiaire à la Maison-Blanche, Monica Lewinsky, à
faire un faux témoignage pour cacher qu’elle avait
eu une liaison avec lui. L’opération a été lancée par le
procureur spécial Kenneth Starr, qui est chargé d’enquêter sur les diverses affaires auxquelles M. Clinton
serait mêlé (affaire Paula Jones, affaire des investissements immobiliers de l’Arkansas, affaire du financement de la campagne de 1996 par des investisseurs
étrangers, etc.). Le procureur Starr aurait été averti
par une ancienne fonctionnaire de la présidence à
qui Mlle Lewinsky aurait fait ses confidences. Sur les
conseils du magistrat, cette femme, connue pour ses
opinions républicaines, comme le procureur Starr,
aurait enregistré à son insu les confessions téléphoniques de la jeune fille. Le scandale pourrait être très
gênant pour le président s’il est prouvé qu’il a poussé
Mlle Lewinsky à se parjurer, et certains évoquent déjà
une possible procédure de destitution. Dans les jours
qui suivent, M. Clinton contre-attaque en niant en
bloc toutes les accusations portées contre lui. Il est
vigoureusement soutenu par son épouse, Hillary
Clinton, qui fait observer que tous les accusateurs de
son mari appartiennent à la droite du Parti républicain, voire à l’extrême droite, c’est-à-dire à une frange
d’opinion viscéralement hostile au couple présidentiel et à ses valeurs culturelles issues des années 60.
Un moment ébranlée, l’opinion américaine, consultée par sondages, continue de faire confiance à son
président, crédité d’une bonne gestion de l’économie, et semble se faire une raison de sa morale privée. (chrono. 1/04)
France
Effort en faveur des chômeurs.
À la suite de plusieurs semaines d’agitation menée
par les mouvements de sans-emploi, le Premier ministre Lionel Jospin annonce un plan en cinq points
en faveur des chômeurs : l’allocation de solidarité
spécifique (ASS) sera revalorisée pour tenir compte
du rattrapage du coût de la vie, ce qui n’avait pas
été fait depuis 1994 ; tous les autres minima sociaux
seront également indexés sur la hausse des prix ; un
effort particulier sera fait en faveur des chômeurs de
longue durée ; des formules seront étudiées pour
mieux organiser le passage de la situation d’assistance à l’emploi, notamment en rendant possible la
compatibilité d’une allocation et d’une rémunéra-
tion pour un emploi à temps partiel ; enfin, une loi
sur l’exclusion devait être présentée dès le début du
printemps. Les associations de chômeurs se décladownloadModeText.vue.download 51 sur 417
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rent insatisfaites, estimant à 100 francs par personne
le rattrapage de l’ASS.
Proche-Orient
Échec du sommet américano-israélien.
Lors de sa rencontre avec le Premier ministre israélien,
Benyamin Netanyahou, le président américain Bill
Clinton n’a pu obtenir de celui-ci la moindre concession quant à la remise en route du processus de paix
avec les Palestiniens. Le dirigeant israélien s’est en
effet contenté de rappeler toutes les exigences de
son gouvernement envers l’Autorité palestinienne,
exigences dont la satisfaction est présentée comme
un préalable nécessaire avant toute réouverture des
négociations. Un responsable palestinien résume le
sentiment dominant en déclarant que « dès que cela
concerne Israël, les États-Unis n’agissent pas comme une
grande puissance ».
26
Informatique
Absorption de Digital Equipment par
Compaq.
Le spécialiste des PC Compaq rachète Digital Equipment pour une somme évaluée à 9,6 milliards de
dollars (60 milliards de francs environ, soit la plus importante opération jamais réalisée dans le secteur) et
devient ainsi le deuxième constructeur informatique
au monde, derrière IBM. Longtemps spécialiste des
ordinateurs lourds et des mini-ordinateurs. Digital a
peiné, à partir des années 80, à prendre le virage des
ordinateurs personnels (PC). Son absorption devrait
permettre à Compaq d’occuper toutes les gammes
de l’informatique, depuis la plus légère jusqu’à la plus
lourde. L’objectif de son P-DG, Eckhard Pfeiffer*, est
d’atteindre en l’an 2000 un chiffre d’affaires de l’ordre
de 50 milliards de dollars.
27
Arts
Exposition Arman.
La galerie nationale du Jeu de paume propose, du
27 janvier au 12 avril, la première rétrospective parisienne d’Arman. Cet artiste américain d’origine niçoise, membre fondateur du groupe des « nouveaux
réalistes » dans les années 60, développe à partir
de l’objet quotidien le principe d’accumulation. Des
objets entassés en vrac, inclus dans du polyester ou
dans du béton, intacts ou brisés, déformés, découpés
ou brûlés, sont utilisés comme un véritable matériau pictural. Pour l’artiste, qui utilise également des
déchets organiques, l’objet « est une prolongation de
l’homme ». Son oeuvre renvoie à la réalité du monde
industriel et de la société de consommation.
France
Perquisition au domicile de Roland
Dumas.
Les juges d’instruction Eva Joly et Laurence Vichnievsky conduisent une perquisition au domicile
de Roland Dumas, président du Conseil constitutionnel, cinquième personnage de l’État. Cette procédure exceptionnelle est menée dans le cadre de
l’enquête sur la tentative d’escroquerie au détriment
du groupe Thomson-CSF. L’affaire remonte à 1991,
quand la France avait accepté de vendre à Taïwan six
frégates militaires. Cette vente avait été longtemps
bloquée par le gouvernement, qui craignait de compromettre ainsi ses relations avec Pékin. Le groupe
Thomson avait alors chargé un ancien dirigeant d’Elf.
Alfred Sirven, de mener une opération de « relations
publiques » pour tenter de débloquer le dossier auprès des autorités françaises. Celui-ci s’était mis en
contact avec Christine Deviers-Joncour, une amie
proche de M. Dumas, pour lui demander d’intervenir
auprès de ce dernier, alors ministre des Affaires étrangères. Après la conclusion de l’affaire, M. Sirven avait
réclamé au groupe Thomson, qui avait refusé, une
commission de 150 millions de francs. En novembre
1997, les magistrates faisaient incarcérer Mme DeviersJoncour, celle-ci étant incapable de justifier la provenance sur un compte en Suisse, au nom d’un de
ses amis, Gilbert Miara, d’une somme de 59 millions
de francs et d’expliquer les conditions d’acquisition,
en 1992, de son appartement parisien pour 17 millions de francs. La perquisition chez M. Dumas est
finalement décidée quand les juges d’instruction
constatent d’importants mouvements de fonds en
liquide, à la fin de 1991 et au début de 1992, sur un
des comptes de M. Dumas au Crédit Lyonnais. Celuici fait savoir que ces mouvements étaient liés à des
ventes par lui d’oeuvres d’art ; d’une façon générale,
il conteste tous les soupçons pouvant peser sur sa
personne et menace d’attaquer en diffamation les
organes de presse qui interprètent les informations
données sur cette affaire « au mépris du secret de l’instruction ». En mars, Mme Deviers-Joncour affirme dans
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
51
la presse que, malgré ses pressions, M. Dumas était
resté étranger à la décision d’autoriser la vente des
frégates.
28
Allemagne
Arrêt de la tolérance de l’Église
catholique sur l’IVG.
À la suite d’une pression de Jean-Paul II, l’Église ne
dispensera plus d’autorisations d’avorter. Les centres
de planning familial protestants et non confessionnels continueront à le faire. Les catholiques allemands regrettent cette décision, car, selon eux, 85 %
des femmes qui consultaient les centres catholiques
renonçaient à l’IVG. Cette décision embarrasse la
CDU d’Helmut Kohl, qui ne souhaitait pas relancer le
débat sur cette question sensible avant les élections
de l’automne.
France
Inauguration du Stade de France.
Le nouveau stade géant (espace modulable entre
20 000 et 105 000 places) de la Plaine-Saint-Denis,
dans la banlieue nord de Paris, est officiellement
inauguré par un match amical de football entre la
France et l’Espagne (remporté par la France par 1 à 0).
Les organisateurs sont satisfaits, d’autant que l’accès
au site par les transports en commun s’est correctement déroulé.
France
Rebondissements au procès de Maurice
Papon.
Me Arno Klarsfeld, conseil des Fils et filles des déportés juifs de France, partie civile au procès Papon, fait
savoir qu’il existe un lien de parenté entre le président de la cour d’assises, Jean-Louis Castagnède, et
des victimes des déportations de Juifs bordelais organisées, fin 1943, par l’ancien secrétaire général de
la préfecture de la Gironde. Un oncle du magistrat a
en effet épousé, pendant la guerre, une jeune femme
dont les parents et les soeurs ont été transférés de
Bordeaux à Drancy puis à Auschwitz. Le président
Castagnède déclare qu’il « tombe des nues » et qu’il
est « incapable de confirmer le nom de la femme de
son oncle, ayant perdu tout contact avec famille de son
père après le décès de celui-ci alors qu’il était enfant ».
Face à l’impressionnante tempête que provoque son
initiative, notamment auprès des autres avocats de
la partie civile, Me Arno Klarsfeld finit par renoncer à
demander la récusation du président Castagnède.
Japon
Démission du ministre des Finances.
Hiroshi Mitsuzuka est contraint de quitter son poste
à la suite d’un scandale mettant en cause deux
hauts fonctionnaires du ministère chargés de la surveillance des banques. Cette nouvelle affaire révèle
l’ampleur de la collusion entre les services de l’État
et le système bancaire, détenteur d’un stock considérable de mauvaises créances, qui est largement à
l’origine du chaos financier japonais.
29
Roumanie
Crise politique au sein du
gouvernement.
Les sociaux-démocrates de l’ancien Premier ministre
Petre Roman, associés au gouvernement, décident
de quitter ce dernier. Ils estiment en effet que le Premier ministre chrétien-démocrate Victor Ciorbea n’est
pas en mesure de mettre en oeuvre un programme
de réforme énergique qui serait propre à accélérer le
processus de modernisation et de démocratisation
dont le pays a, selon eux, le plus grand besoin. Ils
continueront cependant de soutenir au Parlement la
coalition gouvernementale. (chrono. 30/03)
Les mots-clés de l’année
Alliance
Au premier semestre, l’opposition de droite est
en plein désarroi. La cote de Lionel Jospin est
au plus haut dans les sondages, les perspectives
économiques et sociales sont bonnes et le camp
conservateur n’en finit pas de se diviser, surtout
après le cauchemar des régionales et le drame
des alliances locales avec le FN. Philippe Séguin,
président du RPR, cache mal ses dissensions avec
Jacques Chirac, et François Léotard, encore président de l’UDF, cherche un moyen de rester en
place, alors que tout semble se dérober sous ses
pieds. Les deux leaders ont alors l’idée de fédérer
l’opposition républicaine en un ensemble unifié,
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l’Alliance, qui aurait l’avantage de gommer les
oppositions entre les deux grandes tendances
de la droite, notamment en matière européenne.
Les débuts de la nouvelle organisation, lancée
le 14 mai, sont difficiles et les sceptiques nombreux. Mais, avec l’automne, la donne change :
F. Léotard est parti et P. Séguin a raffermi sa
position en se rapprochant du président Chirac.
L’Alliance semble en ordre de marche pour les
prochaines élections européennes.
Bombe
Le 11 mai, le gouvernement nationaliste indien
de Atal Behari Vajpayee fait procéder à cinq nouveaux essais nucléaires. Moins de trois semaines
plus tard, le frère ennemi pakistanais procède à
son tour à de tels essais et rentre dans le club
– de moins en moins fermé – des puissances
nucléaires (États-Unis, Russie, France, GrandeBretagne, Chine, Inde, et d’autres potentiellement, comme Israël). Les États-Unis en tirent
deux conséquences : d’une part, leurs services
de renseignement n’ont pas été en mesure de les
informer à l’avance de ces événements considérables ; d’autre part, le pays le plus puissant du
monde n’a plus les moyens d’arrêter la prolifération nucléaire. Inquiétant.
Cumul des mandats
La modernisation de la vie politique française
constitue un des grands thèmes du débat entre
majorité et opposition. Jacques Chirac et Lionel
Jospin rivalisent sur ce sujet à grands coups de
discours. La limitation du cumul des mandats
des élus est, avant la parité hommes-femmes
ou la réforme des modes de scrutin, la mesure
la plus populaire dans l’opinion. Mais pas la plus
facile à réaliser, car trop d’intérêts sont en jeu.
Le Premier ministre avait déclaré dès sa prise de
fonction que « limiter drastiquement le cumul des
mandats est une priorité ». Un peu plus d’un an
plus tard, le gouvernement présentait un projet
de loi interdisant aux parlementaires de détenir également la direction d’un exécutif local
(conseil municipal, général, régional). Le Sénat
a très vite voté contre un tel projet... au grand
soulagement de nombreux parlementaires de
gauche. La partie est loin d’être terminée...
Effectif (temps de travail)
Avec la mise en application de la loi sur les
35 heures, bien des aspects de la vie professionnelle sont « remis à plat » : conventions collec-
tives, définition des tâches et temps de travail
« effectif », c’est-à-dire effectivement affecté à la
production. Les absences pour besoins naturels,
les pauses sur les chaînes, la visite à la machine à
café, tout devrait être compté, pour être ensuite
décompté du temps menant aux 35 heures de
référence. Les débats continuent.
EPO
L’érythropoïétine fut avec la nandrolone et
quelques autres produits prohibés la grande
vedette du Tour de France 1998. Il est apparu
au grand jour ce qui était pour tous les connaisseurs du cyclisme un secret de polichinelle : de
nombreux coureurs se sont dopés d’une façon
continue et systématique. Après le vélo, d’autres
sports ont été à leur tour éclaboussés par l’accusation de dopage : football, rugby, athlétisme,
etc. Richard Virenque fut le héros malheureux de
cette saga de l’EPO : en dépit du bon sens, il a
continué à nier toutes les accusations de dopage
qui pesaient contre lui. Résultat : les Guignols de
Canal + l’ont immortalisé avec la formule, désormais célèbre, « à l’insu de mon plein gré », et le
malheureux sportif a été contraint de mettre un
terme à sa carrière.
Félon
Avec « Brutus », c’est un des qualificatifs les plus
utilisés par Jean-Marie Le Pen pour qualifier son
ex-numéro 2, Bruno Mégret, depuis leur rupture
tonitruante du mois de décembre. Le président
du FN aime à utiliser ces termes issus du langage
de la chevalerie, typiques d’une certaine rhétorique. L’implosion du FN, qui va devoir probablement présenter deux listes aux européennes
de 1999, constitue une divine surprise pour la
droite républicaine, qui voit s’éloigner le risque
d’être prise en otage par les amis de M. Le Pen,
comme cela s’est produit lors des élections régionales de mars. Il n’empêche que les problèmes –
chômage, mal des banlieues, xénophobie – qui
ont conduit à l’émergence d’un parti d’extrême
droite, unique à ce niveau (15 % des voix) au sein
des grands pays industrialisés, demeurent.
Hedge funds
En 1997, on avait beaucoup parlé des fonds de
pension, qui gèrent les assurances privées, notamment dans les pays anglo-saxons. Cette année, ce fut le tour des hedge funds, c’est-à-dire
des « fonds de couverture », destinés à couvrir
leurs souscripteurs des variations des marchés.
Ces fonds, le plus souvent anglo-saxons, spéculent sur les monnaies, notamment dans les pays
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
53
émergents. Leur poids financier est estimé à
plus de 1 000 milliards de dollars. Avec la crise
des pays émergents d’Asie et d’Amérique latine,
ces hedge funds, notamment celui contrôlé par
George Soros, ont connu de fortes turbulences.
L’un des plus cotés d’entre eux, l’américain
Long Term Capital Management, s’est retrouvé
au bord de la faillite. Sa chute aurait ébranlé si
sérieusement le système financier international
que la Banque centrale américaine a dû rameuter quinze grandes banques privées ; pour renflouer LTCM à hauteur de 3,5 milliards de dollars.
Les dirigeants du G7 réfléchissent depuis aux
meilleurs moyens : de réguler un minimum ces
circuits d’argent.
Impeachment
Il s’agit de la procédure de destitution du président américain. Officiellement engagée contre
Bill Clinton, à la suite du scandale Lewinsky (du
nom de cette stagiaire à la Maison-Blanche avec
qui le président des États-Unis a eu une aventure
sexuelle), elle remet en cause le fonctionnement
des institutions américaines : les procureurs spéciaux, institués dans les années 70 à la suite de
l’affaire du Watergate et chargés d’instruire en
tout ; indépendance contre d’éventuels agissements répréhensibles du chef de l’exécutif, n’ontils pas trop de pouvoirs ? D’autant que leur neutralité politique est loin d’être garantie. Un pays
aussi puissant que les États-Unis peut-il être bloqué pendant des mois, voire des années, pour de
simples peccadilles montées en épingle par des
magistrats et des parlementaires que beaucoup
considèrent comme motivés uniquement par un
ultra-conservatisme ou des arrière-pensées politiciennes ? D’autres estiment, cependant, que les
États-Unis sont le pays du droit et, qu’à ce titre,
on n’y transige pas avec la loi, même pour des
peccadilles.
La (ministre, député, préfet, etc.)
Une de ces batailles sémantiques que la vie française affectionne. En mars, le Premier ministre
fait publier une circulaire visant à ce que « la
féminisation des appellations professionnelles
entre dans nos moeurs ». Aussitôt, l’Académie française, qui ne pratique guère la parité
hommes-femmes dans ses rangs, s’oppose à
cette circulaire. Le combat fait alors rage. On
rappelle qu’il n’y a jamais eu de problème à
dire « la » concierge, mais que les restrictions
apparaissent au fur et à mesure que l’on monte
dans la hiérarchie sociale. On atteindra le sommet quand, au député DL Charles-Amédée de
Courson, qui s’était fait un plaisir de lui dire « le »
ministre, Élisabeth Guigou, garde des Sceaux,
répondit : « Je vous demande de respecter ma
féminité et mon sexe. »
MEDEF (Mouvement des entreprises
de France)
C’est le nouveau nom du CNPF. Un an après son
arrivée à la tête du syndicat patronal, Ernest Antoine Seillière a voulu montrer qu’une page était
tournée, celle d’un patronat trop habitué aux
grandes négociations arbitrées par l’État, dont
le MEDEF n’acceptera plus à l’avenir aucune subvention. Place désormais à l’entreprise, de plainpied dans la mondialisation et le libéralisme. À
noter, le poids grandissant dans l’organisation
de Denis Kessler, théoricien d’une conception
plus anglo-saxonne de l’entreprise et des relations sociales.
Mémé (surnom d’Aimé Jacquet)
La victoire des Bleus en Coupe du monde de
football, c’est aussi celle de « Mémé », travailleur humble face aux snobs du ballon rond, la
revanche des petits face aux industriels du sport,
le triomphe de la province confrontée aux sarcasmes hautains du parisianisme. Une victoire
d’autant plus cinglante que « Mémé » fut brocardé pendant des mois par l’Équipe, le grand quotidien du sport, qui lui reprochait son manque
d’audace et d’ambition. « Mémé », ce sont les
valeurs de la France profonde mais efficace, celle
du travail et du collectif. Attention tout de même
à une certaine résurgence du poujadisme.
Nouveau centre
Après le New Labour (« nouveau Parti travailliste ») de Tony Blair, le Neue Mitte de Gerhard
Schröder s’est imposé dans le lexique politique
de l’Europe. Signifie-t-il, comme son équivalent
britannique, un sérieux virage à droite de la
vieille tradition sociale-démocrate, une rupture
en douceur ou, au moins, une mise à distance
avec les centrales syndicales et une reconnaissance encore plus affirmée de l’économie de
marché ? La campagne du candidat Schröder l’a
laissé penser, mais la composition du nouveau
gouvernement et le poids pris au sein de celui-ci
par Oskar Lafontaine a quelque peu nuancé les
choses. Le « nouveau centre » de G. Schröder est
une sorte de compromis entre l’approche plus
classiquement socialisante de Lionel Jospin (une
forme de volontarisme social, économique et
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
54
européen est revendiquée) et le credo plus individualiste (accent mis sur l’initiative personnelle)
des Britanniques. « Nouveau centre », diront
certains, une autre façon de désigner la pensée
unique.
PACS (pacte civil de solidarité)
Un des grands psychodrames de l’année parlementaire 1998. Cela commence en octobre,
quand la gauche, par étourderie (ou par crainte
de froisser son électorat plus âgé), voit le texte
repoussé à l’Assemblée nationale, ses députés
s’étant abstenus d’assister au débat en si grand
nombre que l’opposition s’est retrouvée majoritaire. Pendant tout le mois de novembre on s’interroge sur la vraie portée du texte : un mariage
pour les homosexuels ? une remise en cause
insidieuse de l’institution de la famille ? En décembre, le texte revient en discussion. Christine
Boulin, député DL et grande opposante au projet, monopolise la parole pour retarder l’adoption de la proposition de loi. Quand Lionel Jospin la traite de « marginale », elle fond en larmes,
puis se reprend après avoir reçu un magnifique
bouquet de fleurs. Il n’empêche, un néologisme
est né : désormais, on pourra « pacser ».
Particules élémentaires
Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq constituent, sans conteste, le roman
français de l’année, pour sa qualité littéraire
peut-être (encore que beaucoup estiment que
Extension du domaine de la lutte, premier roman
de l’auteur, était bien supérieur), mais, surtout,
pour le parfum de scandale qui a accompagné
la sortie du livre. Tout était réuni pour que l’on
assiste à une vraie polémique germano-pratine
(du quartier Saint-Germain-des-Prés, où siège la
plupart des maisons grand’édition) : un auteur
énigmatique et grand fumeur de cigarettes, des
accusations de fascisme rampant (l’auteur développe des thèses biologiques jugées suspectes)
et d’antiféminisme caractérisé, l’exclusion de
l’auteur d’un groupuscule littéraire qui avait son
siège dans un café du Marais, l’affirmation d’un
style dit « minimaliste » (que l’on retrouve chez
d’autres auteurs jeunes, comme Virginie Despentes), où les effets de langue sont bannis mais
pas les allusions sexuelles les plus crues.
Portail
Site sur Internet proposant au grand public sur
une seule page les informations de la journée,
un annuaire de sites, un moteur de recherches
(avec des mots-clés), les messages électroniques
personnels, etc. C’est le grand enjeu du web
pour l’année à venir. Microsoft, Netcape, AOL,
Disney, Time Warner sont là pour tenter de rafler
la mise. Jusqu’à ce qu’une autre mode arrive, notamment celle des portails thématiques. Car, sur
le web, la vérité n’est jamais permanente.
Viagra
La pilule du bonheur, l’érection sur ordonnance.
Invention américaine, le Viagra est arrivé en
France à l’automne, au prix de 60 francs la pilule.
S’il est, en principe, destiné aux seuls hommes
souffrant de troubles de l’érection (un sur dix,
paraît-il), le Viagra est devenu une source de
fantasmes et de plaisanteries sans fin. Car on ne
touche (si l’on peut dire) pas à cette affaire sans
déclencher une franche hilarité, qui n’est souvent pas autre chose qu’un réflexe de défense.
À noter, d’un point de vue scientifique, que les
trois titulaires du prix Nobel de médecine 1998,
sont indirectement à l’origine du Viagra. Leurs
recherches sur l’oxyde nitrique et sur la dilatation des vaisseaux sanguins ont servi aussi bien
au traitement des maladies cardiaques qu’à celui
des pannes de la virilité.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
55
FÉVRIER
1
Costa Rica
Victoire du candidat de l’opposition.
Miguel Angel Rodriguez, chef du parti de l’Unité
sociale-chrétienne, l’emporte sur le candidat du
parti au pouvoir. Sa victoire s’explique plus particulièrement par la crise économique que traverse le
pays (3,5 millions d’habitants) depuis le début des
années 90, jadis considéré comme la « Suisse » de
l’Amérique centrale. Partisan déclaré d’une politique économique libérale, Miguel Angel Rodriguez
souffre cependant d’une image de technocrate hautain. Par ailleurs, il lui est reproché d’avoir rencontré,
au début de sa campagne électorale, un baron de la
drogue mexicain.
Tennis
Petre Korda et Martina Hingis
couronnés à Melbourne.
À trente ans, le joueur tchèque parvient à remporter
son premier tournoi du grand chelem en battant le
Chilien Marcelo Rios. La Suissesse, donnée largement
favorite de l’épreuve, conserve donc son titre sans
grande difficulté en dominant son adversaire, l’Espagnole Conchita Martinez.
2
Bosnie
Nouveau Premier ministre serbe.
Miloran Dodik prend ses fonctions comme président
de l’entité serbe de Bosnie-Herzégovine. « Candidat »
de la communauté internationale, c’est un modéré,
partisan de l’application des accords de Dayton, signés
en 1995 pour organiser la paix en Bosnie-Herzégovine.
Sa nomination représente une victoire importante
pour la présidente serbe Biljana Plasvic et un échec
pour le leader ultranationaliste Radovan Karadzic, de
plus en plus isolé dans sa « capitale » de Pale.
États-Unis
Exécution de Karla Faye Tucker.
Condamnée à mort en 1984 pour un double
meurtre, cette femme de trente-huit ans, ancienne
prostituée toxicomane, est exécutée par injection à
la prison de Huntsville au Texas, un État où les demandes de grâce sont systématiquement rejetées.
Sa mise à mort provoque une grande émotion : elle
est la deuxième femme à être exécutée aux ÉtatsUnis depuis le rétablissement de la peine de mort
dans cet État en 1976 : elle avait fait parler d’elle pour
sa rédemption exceptionnelle, allant jusqu’à épouser
l’aumônier de la prison ; un mouvement international s’était développé en sa faveur. Sa mort repose la
question de la peine capitale aux États-Unis, où près
de 3 400 condamnés à mort attendent l’exécution de
leur sentence.
3
Arménie
Démission du chef de l’État.
Le président Levon Ter-Petrossian est contraint à la
démission après que ses principaux ministres et un
grand nombre des députés de son parti ont décidé
de ne plus le soutenir. Ces défections font suite à
l’acceptation par le président du plan de paix par
étapes au Haut-Karabakh proposé par l’Organisation
pour la paix et la sécurité en Europe (OSCE), coprésidée par les États-Unis, la France et la Russie, et également accepté par l’Azerbaïdjan. Élu pour la première
fois en 1991, réélu en 1996, M. Ter-Petrossian s’était
fait connaître comme opposant au système communiste et comme partisan de l’indépendance du
Haut-Karabakh, cette région réclamée par l’Arménie
et l’Azerbaïdjan. Une guerre avait opposé à ce sujet
les deux pays au début des années 90 et fait plus de
20 000 victimes. Face à une opposition grandissante
des nationalistes et des communistes, M. Ter-Petrossian avait durci son régime et était accusé de manipulation des résultats électoraux. Une élection présidentielle anticipée est annoncée pour le 16 mars.
(chrono. 31/03)
4
France
Mort de Haroun Tazieff.
Le célèbre vulcanologue meurt à Paris à l’âge de
quatre-vingt-trois ans. Né en 1914 d’un médecin
russe musulman et d’une chimiste et artiste polonaise, il passe sa jeunesse en Belgique, où il obtient
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
56
un diplôme d’ingénieur agronome. Mobilisé et blessé pendant la Seconde Guerre mondiale, il rejoint la
Résistance tout en passant un diplôme d’ingénieur
des mines. Devenu ingénieur agronome au Congo
belge, il y observe ses premières éruptions volcaniques. Sa vocation est née : il veut renouveler la
science vulcanologique en étudiant les phénomènes
éruptifs en cours. Il se fait connaître du grand public
en multipliant les expéditions et les films, notamment, en 1959, les Rendez-vous du diable, qui font dire
de lui à Jean Cocteau : « Vous êtes le poète du feu. »
Devenu expert auprès de l’Unesco, il est nommé en
1968 directeur de recherche au CNRS, ce qui indigne
bien des spécialistes qui estiment qu’il n’est pas un
véritable scientifique. Pourtant, ses avis sont souvent exacts et, en 1964, il évite une catastrophe au
Costa Rica en préconisant des travaux de consolidation au pied d’un volcan. En 1979, cependant, son
diagnostic optimiste sur un volcan des États-Unis
se solde par la mort de 60 personnes. Proche de la
sensibilité écologiste, il est nommé secrétaire d’État
aux risques majeurs dans le gouvernement socialiste
de 1984. Quelques années plus tard, il se présente
sur une liste en Isère aux côtés du RPR Alain Carignon. Souvent critiqué, il demeure une figure très
populaire.
Maroc
Nomination d’un Premier ministre
socialiste.
Le roi Hassan II nomme à la tête du gouvernement
Abderrahmane Youssoufi, soixante-quatorze ans,
secrétaire général de l’Union socialiste des forces
populaires (USFP). Cette nomination d’un homme
de gauche, qui constitue une première dans l’histoire
du Maroc, fait suite aux élections de novembre 1997,
qui avaient placé l’USFP en tête des formations politiques. Diplômé de faculté de droit et de l’Institut de
sciences politiques de Paris, marié à une Française,
jouissant d’une réputation d’intégrité, M. Youssoufi
est à l’origine, aux côtés de Medhi Ben Barka, de la
création en 1959 de l’USFP. Emprisonné un temps par
le pouvoir, puis exilé en France, M. Youssoufi préconise cependant, à partir des années 80, la négociation avec le souverain chérifien. Arrivé au pouvoir, sa
tâche sera cependant difficile : il ne dispose pas d’une
majorité homogène au Parlement, divisé en trois
blocs (droite, centre et gauche) d’importance comparable ; par ailleurs, le dossier du Sahara occidental
comme celui de la relance économique vont demander rapidement des engagements énergiques.
5
Sierra Leone
Offensive nigériane sur Freetown.
Les soldats de l’armée nigériane, présents dans
le pays au nom de la Communauté économique
des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et arborant l’écusson de la force d’interposition Ecomog,
attaquent la capitale avec l’intention de chasser
la junte militaire au pouvoir alliée au mouvement
rebelle du Front révolutionnaire uni (RUF). Le 12, les
soldats de Lagos rentrent dans Freetown. Le Nigeria
proclame son intention de rétablir à son poste le président Ahmad Tejan Kabbah, démocratiquement élu
en 1996 et renversé le 25 mai 1997.
6
Art
Exposition « Visions du Nord ».
Jusqu’au 17 mai, le musée d’Art moderne de la Ville
de Paris propose un panorama de l’art Scandinave du
XXe siècle. L’exposition est présentée en trois sections :
une partie historique intitulée Lumière du monde, Lumière du ciel avec les peintres finlandais Akseli Gallen-
Kallela et Hélène Schjerfbeck, les Suédois Fredrik Hill
et August Strindberg, et le Norvégien Edvard Munch,
figure dominante de l’exposition : une monographie
du peintre et sculpteur danois Per Kirkebi ; un dernier volet consacré à une trentaine de jeunes artistes
contemporains des pays nordiques.
France
Assassinat du préfet de Corse.
Claude Erignac, préfet de la Région corse, est abattu
de deux balles dans le dos alors qu’il se rendait avec
son épouse, sans escorte, à un concert à Ajaccio.
L’émotion est considérable. L’ensemble de la classe
politique condamne cet assassinat qualifié par
Jacques Chirac d’« acte barbare d’une extrême gravité et sans précédent ». Une manifestation silencieuse
mobilise plusieurs dizaines de milliers de personnes
lors de la cérémonie d’hommage officiel à M. Erignac
présidée à Ajaccio par le chef de l’État, en présence
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
57
de tous les dirigeants politiques du pays. Dans les
heures et dans les jours qui suivent, des arrestations
sont opérées dans les milieux nationalistes. Le revolver retrouvé près de la victime est identifié comme
étant celui qui avait été volé lors de l’attaque d’une
gendarmerie par un nouveau groupe extrémiste apparu en 1997, Sampieru. Pour sa part, le FLNC-canal
historique dément toute implication dans l’affaire.
L’enquête s’oriente vers une piste « politico-mafieuse » : le préfet s’était opposé à plusieurs reprises
à des opérations de recyclage de capitaux d’origine
douteuse dans l’immobilier et les casinos. M. Erignac
avait ordonné plusieurs contrôles en matière fiscale
et pour des détournements de subventions. Bernard
Bonnet est nommé pour succéder à M. Erignac, tandis que l’Assemblée nationale charge une commission d’enquêter sur les dérives fiscales dans l’île.
La tourmente Corse
« La folie meurtrière, la politique du pire, la
dérive mafieuse ont armé le bras de quelques-uns
contre ce que représentait le préfet Claude Erignac, c’est-à-dire l’État, dont il était l’incarnation
et le symbole. Nous ne le tolérerons pas... nous
ne laisserons pas le crime et le non-droit s’installer en Corse ; nous ne laisserons pas attaquer
l’État et ses serviteurs. Nous ne laisserons pas se
défaire l’unité du pays. »
En ce 9 février, ils sont des milliers de Corses
massés entre les quais du port d’Ajaccio et la
place du monument aux morts. Traumatisés,
indignés, honteux, dans un silence pesant, ils
écoutent l’hommage du président de la République à Claude Erignac, le préfet de la Région
corse, lâchement assassiné à coups de revolver,
trois jours auparavant, le 6 février, dans les rues
de la ville, alors qu’il venait de garer sa voiture
pour se rendre au théâtre. Aux côtés du chef de
l’État, le Premier ministre, Lionel Jospin, cinq de
ses ministres, mais aussi le président de l’Assemblée nationale et les principaux chefs des partis politiques. Le symbole est puissant, quelles
que soient les divergences entre les uns et les
autres – elles étaient oubliées ce jour-là ; c’était
la République française, une et indivisible, qui se
trouvait à Ajaccio pour témoigner de sa détermination à rétablir, dans l’île, l’ordre républicain.
Opération « mains propres »
L’assassinat du préfet Claude Erignac va marquer
un tournant dans la politique du gouvernement.
Car cette fois, à la différence des précédents
attentats (la cour d’appel d’Aix-en-Provence,
en septembre 1996, et la mairie de Bordeaux,
le mois suivant, pour ne citer qu’eux), ce n’est
plus un symbole de l’autorité de l’État qui est
visé, mais l’État, à travers son premier représentant dans l’île, qui est touché dans son intégrité
physique. Plus question d’accepter, comme dans
le passé, des zones de non-droit au titre d’une
hasardeuse spécificité corse ni de dialoguer avec
certains nationalistes pour acheter une hypothétique paix civile. Non, cette fois, insularité ou non,
les pouvoirs publics sont déterminés à ce que les
lois de la République s’appliquent pour tous, et
partout de la même façon. Résultat : parallèlement à l’enquête criminelle sur l’assassinat du
préfet Erignac, dont les coupables n’ont toujours
pas été retrouvés, il est déclenché dans l’île une
opération « mains propres » sans précédent. Des
services de l’État aux chambres consulaires, des
élus politiques aux promoteurs immobiliers, des
RMistes fantômes aux pros de la fraude fiscale et
de la subvention, personne n’est épargné. C’est
le grand chambardement, la valse des responsables, en commençant par ceux de l’État, et les
mises en examen se multiplient. Les enquêtes de
l’Inspection générale des finances succèdent à
celles des affaires sociales, de l’agriculture, de la
justice et de la police. Jamais la Corse n’a connu
une telle noria d’« incorruptibles » dans ses aéroports, de hauts fonctionnaires venus éplucher,
disséquer et mettre à plat tous les secteurs de la
vie économique, politique et sociale de l’île.
Une enquête de grande envergure
Ainsi, au début du mois de juin une mission
de l’Inspection générale des affaires sociales
(IGAS), forte de huit inspecteurs, débarque dans
l’île pour opérer un vaste contrôle des secteurs
placés sous l’autorité de la ministre de l’Emploi
et de la Solidarité, Martine Aubry, et du secrétaire d’État à la Santé, Bernard Kouchner. Cette
enquête de grande envergure suit de près celle
menée par l’Inspection générale des finances
(IGF) et l’Inspection générale de l’agriculture sur
la gestion du Crédit agricole de Corse. En juillet,
c’est tout le « gratin » de la magistrature qui se
retrouve à Bastia pour un sommet antiterroriste
et pour améliorer le fonctionnement de la justice en Corse. Aux côtés de Bernard Legras, le
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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procureur général de Bastia, on retrouve JeanPierre Dintilhac, procureur de Paris, le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière et Irène Stoller,
chef de la 14e section du parquet de Paris.
Un préfet sans états d’âme
À la tête de cette grande lessive, Bernard Bonnet, le successeur de Claude Erignac, un préfet
à poigne, sans états d’âme. Sa mission : tout
faire pour retrouver les assassins de son prédécesseur, tout faire pour rétablir l’État de droit. Et
cette fermeté s’applique d’abord aux services de
l’État ; les têtes tombent, de nouvelles arrivent.
Le 8 mai, le garde des Sceaux, Élisabeth Guigou,
installe le nouveau procureur général près de la
cour d’appel de Bastia, et son arrivée coïncide
avec celles d’un nouvel avocat général, d’un
nouveau directeur régional de la police judiciaire, d’un nouveau commandant de légion de
gendarmerie. Au sein du corps préfectoral, le
secrétaire général aux Affaires corses, les secrétaires généraux des préfectures de la Corsedu-Sud et de la Haute-Corse ainsi que les souspréfets de Sartène et de Calvi sont appelés vers
d’autres cieux ou d’autres fonctions. Le même
sort est réservé au trésorier-payeur général, au
directeur de l’agriculture et de la forêt, au recteur d’académie... La liste est trop longue à établir, mais déjà suffisamment révélatrice pour illustrer le nouveau visage de l’État en Corse et sa
volonté, comme le dit Bernard Bonnet, de créer
« l’irréversible ». Et, pour ce faire, avec ces nouveaux hommes, toutes les administrations, tous
les services sont mobilisés, réquisitionnés pour
soutenir l’action de l’État et traquer toutes les
dérives en matière de gestion et de distribution
de l’argent public.
Pour une restauration de l’ordre
républicain
Des investigations tous azimuts pour des résultats qui ne se font pas attendre. Personne
n’est à l’abri, petit fretin ou gros poisson. Pour
escroquerie, détournement de fonds publics,
faux et usage de faux, abus de biens sociaux,
Michel Valentini, le président de la chambre
régionale d’agriculture est mis en examen
avec son épouse. Mise en examen aussi pour
Émile Mocchi, maire de Propriano, par ailleurs
condamné à quatre mois de prison avec sursis
pour détournement de fonds publics. Même punition pour Paul Natali, président de la chambre
de commerce et d’industrie et ancien président
du conseil général de la Haute-Corse, pour des
passations de marchés entre le département et
son entreprise. La gestion de la Caisse de développement de la Corse (Cadec) est sur la sellette,
tout comme celle de la Mutualité sociale agricole
(MSA). Pas de pitié non plus pour les promoteurs
ou communes qui ne respectent pas les permis
de construire. À Poggio-Mezzana, c’est le préfet,
ou peu s’en faut, qui, à la tête de 40 bulldozers,
part à l’assaut d’un complexe touristique édifié
en infraction à la loi littorale !
Pour l’heure, cette opération de restauration
de l’ordre républicain en Corse est approuvée
par la grande majorité de la population de l’île,
encore choquée par la mort du préfet Erignac.
Un soutien indispensable pour que la loi de la
République remplace celle du silence. Même si
les assassins du préfet courent toujours.
BERNARD MAZIÈRE
Vingt ans de troubles
La dérive des institutions en Corse n’est
pas un phénomène nouveau. Depuis août
1975 et la tragique fusillade d’Aléria, tous
les ministres de l’Intérieur, de Pierre Joxe à
Charles Pasqua, en passant par Jean-Louis
Debré ou Jean-Pierre Chevènement, ont
tenté, pour l’enrayer, un cycle répressionnégociations avec les nationalistes. Sans
succès. De multiples rapports de différentes
commissions, parlementaires ou non, ont
tous conclu à l’urgence de la situation sans
plus de résultats. Dans une note confidentielle adressée à François Mitterrand, en
1991, Michel Charasse, ministre du Budget,
écrivait : « L’île semble, aujourd’hui, prête
à tomber entre les mains d’une sorte de
mafia, et, face à un État qui rentre dans sa
coquille, nationalisme et mafia ne feront
bientôt qu’un. » Six ans plus tard, un rapport
de l’Inspection générale des finances, rendu
public au cours de l’été 1997, concluait que
la Corse « ne vit pas dans un État de droit,
ce qui est désastreux pour son développement ». Peu de temps avant d’être nommé
ministre de la Fonction publique, au printemps de la même année, Émile Zuccarelli,
alors député et maire de Bastia, affirmait
publiquement : « Il est clair que, depuis vingt
ans, la police et la justice n’ont jamais fonctionné en Corse ». Autant d’avertissements
qui sont restés lettres mortes. Attentats et sysdownloadModeText.vue.download 60 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
59
tèmes claniques en déliquescence restaient
le lot commun de la Corse.
8
Syrie
Destitution du frère du président.
Le président syrien Hafez el-Assad destitue son frère
Rifaat de son poste de vice-président. Le 15, ce dernier est exclu du parti Baas et accusé de trahison.
Une enquête est ouverte sur les origines de sa fortune, l’une des plus importantes du pays. On prête
au dirigeant de Damas l’intention de préparer ainsi sa
succession au profit de son fils.
9
Géorgie
Attentat contre le président.
Edouard Chevarnadze échappe à un attentat à Tbilissi alors qu’il rentrait à son domicile. Au cours de
l’opération, préparée avec de gros moyens, deux de
ses gardes du corps sont tués, ainsi qu’un des assaillants, un Tchétchène de nationalité russe. Le président géorgien avait déjà échappé à un attentat en
1995. Les hypothèses sur les origines de cet attentat
sont de deux ordres : soit il aurait été télécommandé
depuis Moscou, qui verrait d’un mauvais oeil l’exploitation et le transit du pétrole de la mer Caspienne
lui échapper au profit de compagnies occidentales
(en déstabilisant l’ensemble de la Transcaucasie. les
autorités russes chercheraient à reprendre le contrôle
de l’or noir) ; soit il s’agirait de conflits internes au
pays, politiques ou régionaux (notamment avec les
rebelles opérant en Abkhazie).
10
France
Loi sur les 35 heures.
L’Assemblée nationale adopte en première lecture
la loi sur la limitation hebdomadaire du travail à
35 heures. Malgré des divergences en début de discussion, l’ensemble de la « gauche plurielle » s’est
prononcé en faveur du texte défendu par Martine
Aubry. Par ce vote, la France, et singulièrement la
gauche française, se distingue des autres pays, qui,
à l’exception de l’Italie, repoussent le principe d’une
limitation généralisée du temps de travail, même si,
notamment en Allemagne, des accords de branche
vont au-delà de la nouvelle limite française. Le temps
de travail moyen sur une vie est de 49 507 heures en
France contre 51 642 en Allemagne, 61 343 aux ÉtatsUnis et plus de 71 000 au Japon. Sceptique quant à
la volonté, sinon à la possibilité, du patronat français
de négocier, Lionel Jospin a décidé d’adopter en ce
domaine une démarche nettement volontariste :
l’État définit l’objectif (35 heures), le calendrier centre
2000 et 2002) et les moyens (les aides accordées aux
entreprises) ; les modalités d’application sont laissées
à la négociation entre les entreprises et les syndicats.
Face à l’hostilité marquée du CNPF, les organisations
syndicales, à l’exception de la CFDT qui a fait des
35 heures un des points centraux de son programme,
demeurent pour le moins réservées. D’autant que la
loi laisse dans le flou un certain nombre de questions
essentielles : le montant du SMIC actuel sera-t-il revu
à la baisse ? Jusqu’où ira la « flexibilité » (notamment
l’annualisation du temps de travail, c’est-à-dire son
calcul non plus sur la semaine mais sur l’année, en
fonction du rythme d’activité saisonnier de l’entreprise) exigée par le patronat en échange de l’introduction des 35 heures ? Les aides accordées par l’État
aux entreprises pratiquant la baisse du temps de travail seront-elles temporaires ou pérennisées ?
12
Art
Exposition « Manet, Monet : la gare
Saint-Lazare ».
Le musée d’Orsay inaugure cette exposition qui doit
durer jusqu’au 17 mai. Manet, Monet, Caillebotte
et d’autres artistes de l’époque furent séduits par la
nouveauté du quartier de la gare Saint-Lazare et du
pont de l’Europe, avec l’architecture métallique et la
perspective des voies de chemin de fer qui ne cessaient de s’allonger. Leurs oeuvres d’alors témoignent
de cet éblouissement envers la modernité. Le musée
présente pour la première fois neuf Gare Saint-Lazare
de Monet (sur les onze qu’il a peintes au total) et
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
60
consacre la deuxième partie de l’exposition à l’atelier
de l’artiste de la rue de Saint-Pétersbourg.
République démocratique
du Congo
Arrestation du leader de l’opposition.
Le président Laurent-Désiré Kabila, au pouvoir depuis 1997, fait arrêter Étienne Tshisekedi, le numéro
un de l’Union pour la démocratie et le progrès social
(UDPS). Le gouvernement réitère à cette occasion
son interdiction des partis politiques, à l’exception du
parti gouvernemental, l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL).
14
Indonésie
Émeutes et xénophobie.
À quelques semaines de l’élection présidentielle, où
le président Mohamed Suharto entend se présenter
pour la septième fois, des premières émeutes de la
faim ont lieu à travers le pays. On déplore plusieurs
morts. Ces émeutes sont causées par la hausse vertigineuse des prix qui renchérit considérablement
le coût des denrées de base. On signale également
des pillages et des violences exercés à l’encontre de
la minorité chinoise qui contrôle le commerce. Plusieurs voix, et notamment une importante organisation musulmane, appellent la population à la tolérance et rappellent que les Chinois d’Indonésie font
partie de la communauté nationale. Mais les passions
sont exacerbées par l’inquiétude qui prévaut. Depuis
la sécheresse et les incendies catastrophiques, et mal
gérés, de l’an passé, les Indonésiens craignent une
pénurie alimentaire. (chrono. 10/03)
15
Chypre
Réélection de Glafcos Cléridès.
Âgé de soixante-dix-neuf ans, le président sortant est
élu pour un deuxième mandat de cinq ans. Il l’emporte de justesse avec 50,8 % des voix contre 49,2 %
à son concurrent, soutenu par la gauche. Cette réélection intervient alors que de nouvelles négociations doivent s’ouvrir avec la partie turque de l’île,
qui est coupée en deux depuis 1974. Ces négociations intercommunautaires auront elles-mêmes une
influence déterminante sur l’adhésion de Chypre à
l’Union européenne (UE).
16
Belgique
Rapport sur l’affaire Dutroux.
La commission parlementaire d’enquête sur les
crimes pédophiles remet son rapport. Si les auteurs
de ce document rejettent l’hypothèse de « protections directes » dont auraient bénéficié au niveau des
autorités publiques Marc Dutroux et ses complices,
ils soulignent, en revanche, les carences de l’Administration, police et justice. Ils écrivent ainsi que les
réseaux mis en place par Dutroux « ont bénéficié à
divers niveaux d’une protection indirecte engendrée par
des phénomènes individuels et collectifs d’estompement
de la norme ou de comportements corrupteurs ».
17
Économie internationale
Réticences sur l’AMI.
Les pays membres de l’OCDE discutent du projet
d’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Ce
texte prévoit que chaque pays signataire devrait accorder aux investisseurs étrangers les mêmes conditions que pour ses investisseurs nationaux. Ce principe aurait pour conséquence de limiter les pouvoirs
des États face aux investisseurs étrangers, notamment face aux multinationales à dominante américaine. Beaucoup craignent que soient ainsi remises
en cause de nombreuses dispositions, européennes
pour la plupart, en matière de droits sociaux ou de
protection de l’environnement. La France, pour sa
part, défend le principe de l’« exception culturelle »,
qui permet de protéger les productions culturelles
nationales contre la domination de la culture américaine hollywoodienne. Face à tant d’oppositions,
de nombreux observateurs pensent que le texte ne
pourra pas être adopté, comme initialement prévu,
en avril. (chrono. 28/04)
Littérature
Mort d’Ernst Jünger.
L’écrivain allemand disparaît à cent sept ans à Wilflingen, petite ville de Souabe, où il s’était retiré depuis
une quarantaine d’années. Combattant de 14-18, il
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
61
publie son premier livre, Orages d’acier, en 1920. Ce
n’est pas un pamphlet contre la guerre, mais une
sorte de récit métaphysique sur la violence. De là
commence sa réputation d’écrivain fascisant. Il se
lie ensuite d’amitié avec Ernst von Salomon, qui sera
considéré plus tard comme un des grands chantres
du nazisme. En 1933, Jünger refuse de rentrer à l’Académie de littérature contrôlée par le nouveau régime
et il écrit en 1939 son livre le plus célèbre, les Falaises
de marbre. D’aucuns y voient un pamphlet contre
Hitler, mais lui-même dira le contraire après la guerre.
Pendant l’Occupation, il est à Paris, chargé des relations avec les intellectuels français. Après 1945, il est
largement rejeté par l’opinion allemande, ce qui ne
l’empêche pas de continuer à publier, notamment, à
partir de 1980, son journal, qui remonte à 1965. Très
apprécié par François Mitterrand qui lui rendra visite
chez lui, il assiste, en 1984, à ses côtés et à ceux du
chancelier Helmut Kohl*, à une cérémonie à la mémoire des victimes des deux guerres. Il disait de luimême : « Je ne pense pas dialectiquement, donc ni pour
ni contre, mais autrement. »
France
Quatre centième anniversaire de l’édit
de Nantes.
Jacques Chirac préside le lancement des cérémonies
d’anniversaire de la signature, en 1598, de l’édit de
Nantes. Par ce texte, le roi Henri IV mettait un terme
aux guerres de Religion et reconnaissait au protestantisme une place (limitée) au sein du royaume. À
cette occasion, J. Chirac rappelle que « la France est
forte quand elle est rassemblée, faible quand elle est divisée et que se dilue l’idée nationale ».
19
Espace
Retour du cosmonaute français.
Léopold Eyharts se pose au Kazakhstan après un vol
de trois semaines à bord de la station orbitale russe
Mir. Au cours du vol, le cosmonaute s’est livré à plusieurs expériences scientifiques, dont l’observation
de l’évolution d’oeufs de salamandre pondus dans
l’espace. Jacques Chirac félicite M. Eyharts en rappelant qu’il est favorable à la poursuite des vols habités,
contrairement à Claude Allègre, ministre de l’Éducation et de la Recherche.
20
Chanson
13es Victoires de la musique.
Florent Pagny et Zazie sont désignés comme les
meilleurs artistes interprètes masculin et féminin
de l’année en France. Le meilleur album est celui du
groupe de rap marseillais IAM, l’École du micro d’argent, et la meilleure chanson, celle du groupe de rock
bordelais Noir Désir, l’Homme pressé. La distinction de
la révélation de l’année va à la chanteuse Lara Fabian.
Grande-Bretagne
Le Sinn Féin exclu des négociations.
L’aile politique de l’Armée républicaine irlandaise (IRA)
a été exclue pour deux semaines des négociations sur
la paix en Ulster, à la suite de deux assassinats commis à Belfast par des membres de l’IRA, en violation
du cessez-le-feu que celle-ci avait elle-même décrété.
Cette exclusion fragilise un peu plus le processus de
paix après le départ, fin janvier, du Parti démocratique
de l’Ulster (UDP), branche politique de l’organisation
protestante UFF. (chrono. 10/04)
21
France
Nominations au Conseil
constitutionnel.
Trois juristes chevronnés sont nommés au tribunal suprême : Simone Veil, ancienne présidente du Conseil
supérieur de la magistrature, ancien garde des Sceaux
et ancienne présidente du Parlement européen ; JeanClaude Colliard, professeur agrégé de droit public,
ancien directeur du cabinet de François Mitterrand, et
Pierre Mazeaud, député RPR, l’un des plus grands spécialistes à l’Assemblée du travail législatif.
22
Sports
Fin des jeux Olympiques d’hiver.
Après deux semaines, les dix-huitièmes JO d’hiver
s’achèvent à Nagano, au Japon. Us ont mobilisé
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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2 450 athlètes venus de 72 pays et 8 000 journalistes.
Leur coût s’élève à plus de 100 millions de francs,
dont 80 pour les infrastructures olympiques. L’organisation s’est avérée très satisfaisante malgré une
météo capricieuse. L’Allemagne termine en tête du
palmarès avec 29 médailles, dont 12 d’or, devant la
Norvège et la Russie. La France se classe en 13e position avec 8 médailles.
23
Irak
Signature d’un accord avec l’ONU.
Alors que depuis plusieurs semaines le spectre d’une
nouvelle guerre du Golfe semblait être revenu au-devant de l’actualité et que les Américains avaient dépêché dans la région une force de 30 000 hommes,
le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan,
signe avec le président irakien, Saddam Hussein, un
accord mettant un terme à la crise : selon ce texte,
Bagdad s’engage à respecter toutes les résolutions
de l’ONU et à accorder à la mission de l’Unscom
toutes les facilités nécessaires pour procéder à l’inspection de tous les sites militaires ou assimilés qu’elle
jugera utile de visiter. En contrepartie, l’ONU fera respecter, pour le contrôle des sites dits « présidentiels »,
une procédure particulière selon laquelle les experts
de l’Unscom seront accompagnés de diplomates
de haut rang nommés par le secrétaire général des
Nations unies. Cette victoire diplomatique, saluée
dans le monde entier et approuvée par le Conseil
de sécurité des Nations unies, est à mettre au crédit
de M. Annan. La France a eu également sa part dans
l’affaire, car elle a mis en oeuvre ses liens traditionnels
avec l’Irak pour bien taire comprendre à son président que la voie négociée était la seule possible pour
éviter une catastrophe. L’isolement diplomatique et
militaire des États-Unis a également joué : à l’exception de la Grande-Bretagne, aucune nation n’a voulu
s’associer à l’opération militaire, tandis que la quasitotalité des pays arabes avaient fait connaître leur
désapprobation vis-à-vis des États-Unis. Une partie
de l’opinion américaine, notamment chez les élus
républicains, demeure très sceptique et ne fait pas
confiance au président irakien. (chrono. 3/04)
22
France
Reprise des négociations sur la
Nouvelle-Calédonie.
Dix ans après la signature des accords Matignon,
qui ramenèrent le calme dans l’île, les représentants
de l’État, du Front de libération nationale kanak et
socialiste (FLNKS) et du Rassemblement calédonien
pour la République (RCPR) se retrouvent à Paris pour
évoquer l’avenir du « Caillou ». Roch Wamytan, président du FLNKS souhaite que l’on s’achemine vers
la définition, inédite en matière de droit, d’un « État
associé avec la France » et s’inquiète de l’arrivée de
quelque 15 000 métropolitains dans l’île en moins de
dix ans. Jacques Lafleur, chef du RCPR, souhaite pour
sa part que l’appartenance de la Nouvelle-Calédonie
à la France ne soit en aucun cas remise en cause. Les
parties s’accordent sur un programme de négociations. (chrono. 21/04)
25
Albanie
Nouvelles tensions.
Des dizaines d’arrestations sont opérées au cours
d’une manifestation interdite de l’opposition à Tirana.
Au cours de la manifestation, l’ancien président de la
République Sali Berisha a appelé ses partisans à poursuivre des « protestations massives dans tout le pays »
contre le gouvernement du socialiste Fatos Nano*
afin d’obtenir la convocation de nouvelles élections.
Corée du Sud
Intronisation du nouveau président.
Kim Dae-jung, président de gauche élu à la fin de
1997, entre officiellement en fonctions. Dans son discours d’investiture, le nouveau chef de l’État insiste
sur l’énormité des problèmes qui vont se poser à lui.
Il ne cache pas que « l’économie risque de s’effondrer »
et que le peuple doit se préparer à « l’augmentation
des prix et du chômage », même si le nouveau pouvoir s’efforcera de protéger les « citoyens innocents qui
doivent supporter les conséquences des erreurs de ceux
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
63
qui les dirigent ». Âgé de soixante-quatorze ans, Kim
Dae-jung s’est présenté trois fois aux élections présidentielles (en 1971, 1987 et 1997) avant de réussir à
la quatrième tentative. Il a été emprisonné plus de six
ans, exilé aux États-Unis, deux fois menacé d’assassinat et une fois condamné à mort. Le premier geste
du nouveau président aura été de pardonner à ses
prédécesseurs. Face à la crise financière, il doit démanteler les énormes conglomérats (chaebols) qui
paralysent la modernisation de l’économie. Sa tâche
sera d’autant moins facile que les chaebols bénéficient d’importants relais dans la presse et l’opinion, et
que le parti favorable au président n’a pas la majorité
au Parlement.
27
Russie/Ukraine
Rapprochement des deux pays.
Les présidents russe et ukrainien, Boris Eltsine* et
Leonid Koutchma, signent un accord de coopération économique sur dix ans. Ce texte marque le
rapprochement des deux pays, longtemps opposés
depuis l’éclatement de l’URSS. Le président Koutchma recherche l’appui russe pour sortir l’Ukraine du
marasme économique où elle est enlisée depuis plusieurs années ; il cherche aussi l’appui politique de
M. Eltsine contre ses concurrents politiques en vue
de l’élection présidentielle de 1999.
28
Cinéma
23e nuit des Césars.
Le film On connaît la chanson d’Alain Resnais est le
grand vainqueur des trophées annuels du cinéma
français. Il reçoit les distinctions du meilleur film, du
meilleur acteur (André Dussolier), des meilleurs seconds rôles masculin et féminin (Jean-Pierre Bacri* et
Agnès Jaoui), du meilleur scénario original, du meilleur montage et du meilleur son. La meilleure actrice
est Ariane Ascaride pour son rôle dans Marius et Jeannette de Robert Guediguian, tandis que le meilleur
réalisateur est Luc Besson pour le Cinquième Élément.
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64
MARS
1
Allemagne
Gerhard Schröder* candidat SPD à la
chancellerie.
Le leader social-démocrate est réélu facilement ministre-président de Basse-Saxe. À la suite de ce succès, il est désigné comme candidat officiel du SPD
pour les élections de l’automne, préféré au président
du parti Oskar Lafontaine*. Âgé de cinquante-trois
ans, M. Schröder bénéficie d’une forte cote dans
l’opinion. Situé au centre gauche, il est parfois présenté comme l’« ami des patrons » ou bien comme
un « Tony Blair allemand ». D’autres voient en lui un
politicien réaliste, issu de la classe ouvrière, et fortement attaché au monde de l’industrie et au rôle de la
puissance publique. Certains, notamment en France,
s’inquiètent de ses positions eurosceptiques, même
si tous s’accordent pour voir en lui avant tout un
pragmatique. Le 16, le SPD publie son programme
pour les élections du 27 septembre : même si certaines mesures de gauche (emplois pour les jeunes
chômeurs, remise en cause de l’énergie nucléaire,
pour aller dans le sens des Verts) sont proposées (le
plus souvent sans financements précis), la plupart
des réformes envisagées vont dans un sens plutôt
libéral (équilibre du budget de l’État, baisse modérée
des impôts) et sécuritaire (défense des victimes).
Italie
Recentrage de l’Alliance nationale.
Sous l’impulsion de son président Gianfranco Fini*,
l’ancien parti postfasciste rompt définitivement avec
son passé pour « devenir le grand parti libéral de masse
qui n’a jamais existé en Italie ». Comptant 500 000 militants, 134 parlementaires et 16 % des voix lors des
dernières élections, l’Alliance nationale se situe résolument au centre droit. M. Fini cherche également à
se démarquer de Silvio Berlusconi*, à qui il fut associé
au gouvernement en 1994, en rejetant la thèse de la
menace communiste et en reconnaissant que l’Italie
n’est pas gouvernée par une coalition marxiste mais
par une équipe de centre gauche.
2
Littérature
Mort de Lucien Bodard.
L’écrivain et journaliste meurt à Paris à l’âge de
quatre-vingt-quatre ans. Fils d’un consul de France,
né en Chine, il se spécialise dans le grand reportage
sur l’Asie. Il rencontre Pierre Lazareff, le célèbre patron
de presse, qui fait de lui un des grands reporters de
France-Soir. Après avoir publié une chronique en trois
volumes sur la guerre d’Indochine, il reçoit en 1973
le prix Interallié pour son roman Monsieur le Consul,
une autobiographie sur son enfance. Il est lauréat du
prix Goncourt en 1981 pour Anne-Marie, évocation
tragique de sa mère. Son style imagé et puissant
était à l’image de son physique, énorme et hors du
commun.
3
Inde
Victoire de la droite hindouiste.
À l’issue d’élections étendues sur trois semaines
et marquées par de nombreuses violences, le BJP
(Bharatiya Janata Party – parti du Peuple indien) est
déclaré vainqueur avec 249 sièges (en comptant
ceux de ses alliés) sur un total de 543. Il est suivi par
le parti du Congrès, crédité de 166 sièges, et par la
coalition de gauche Front uni, précédemment au
pouvoir, qui passe de 178 à 93 sièges. C’est dans le
Sud et l’Est que les gains en sièges du BJP, ont été le
plus important. Celui-ci reste un parti plutôt urbain
(41 % des citadins et 35 % des ruraux ont porté leurs
voix sur lui et ses alliés) et de hautes castes (56 %).
En effet, la base de l’électorat nationaliste hindou est
avant tout constituée par la classe moyenne urbaine :
commerçants, membres des professions libérales, rejoints, plus récemment, par des cadres du privé, des
employés, des militaires à la retraite et des fonctionnaires. Le BJP ouvre aussitôt des négociations pour
tenter de conquérir le gouvernement alors qu’il ne
dispose pas de la majorité absolue au Parlement. Le
Premier ministre pressenti, Atal Behari Vajpayee –
éphémère chef du gouvernement en 1996 –, tente
de gommer les aspects les plus extrémistes du prodownloadModeText.vue.download 66 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
65
gramme de son parti en déclarant, notamment : « La
laïcité est dans notre sang. Notre programme n’est pas
un programme de haine. » Beaucoup s’interrogent
cependant sur la véritable conversion du B]P à la modération et soulignent la contradiction qui semble
exister entre M. Vajpayee, authentique modéré, et le
président du parti, L. K. Advani, jugé proche du RSS,
organisation hindouiste fascisante qui fut à l’origine
du BJP. Pendant quelques jours, le parti du Congrès
essaie de constituer une coalition avec le Front uni,
mais les différences politiques entre les deux formations sont trop fortes, et la tentative échoue. Le 15, le
président de la République, K. R. Narayanan, nomme
M. Vajpayee, âgé de soixante et onze ans, à la tête
du gouvernement, tandis que Sonia Gandhi devient
présidente du Congrès. Veuve de l’ancien Premier ministre Rajiv Gandhi, italienne d’origine, restée jusqu’à
l’an passé extérieure à la vie politique, Sonia Gandhi
avait pris une place remarquée dans la dernière campagne électorale. Sa nomination à la tête du Congrès
est interprétée comme une volonté de perpétuer
la tradition des Nehru-Gandhi (le premier Premier
ministre de l’Inde indépendante était le père d’Indira
Gandhi et le grand-père de Rajiv Gandhi).
Yougoslavie
Violences au Kosovo.
Une journée nationale de deuil est déclarée au Kosovo, après la répression subie par les organisations
et la population d’origine albanaise. Vingt personnes
ont trouvé la mort au cours d’opérations menées par
l’armée serbe contre l’armée de libération du Kosovo (UCK), créée en 1996. Province de la République
fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), le
Kosovo est peuplé à 90 % d’Albanais de souche et
de confession musulmane, qui réclament l’autonomie, quand ce n’est pas l’indépendance, face au
pouvoir de Belgrade. En 1989, la Serbie a supprimé
le statut d’autonomie dont jouissait la province depuis 1974. Aussitôt la communauté internationale
s’inquiète de cette recrudescence des violences dans
la région car elle y voit un grand risque de contagion.
L’Albanie, toute proche, est solidaire de ses nationaux
du Kosovo, comme la Macédoine, cette nouvelle
république, non reconnue par la Grèce, largement
peuplée d’Albanais de souche. À l’inverse, les Serbes
ont fait du Kosovo leur berceau historique, depuis la
défaite de l’armée serbe en 1389 devant les forces
ottomanes. Durant la Seconde Guerre mondiale,
les Italiens avaient intégré le Kosovo au sein d’une
grande Albanie, sous leur contrôle. Après la mon
de Tito, en 1981, Slobodan Milosevic avait assis sa
domination politique en faisant du Kosovo une des
grandes causes du nationalisme serbe. Le 5 mars, Belgrade va lancer une vaste opération militaire contre
l’UCK, et l’on déplorera rapidement plus de 90 morts,
notamment dans les populations civiles. Le 9, les six
membres du Groupe de contact sur l’ex-Yougoslavie
(Allemagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne,
Italie et Russie) se réunissent à Londres : ils décident
d’appliquer un certain nombre de sanctions contre
Belgrade (embargo militaire) et nomment l’ancien
Premier ministre espagnol, Felipe Gonzalez, comme
médiateur. Ils exigent que M. Milosevic accepte de
négocier avec les nationalistes du Kosovo. Ces mesures ne semblent pas devoir avoir une grande efficacité, mais la Russie, traditionnelle alliée des Serbes,
freine toute velléité d’aller plus loin. Le leader des
Albanais du Kosovo, Ibrahim Rugova, pour sa part, re-
fuse de négocier avec Belgrade, tant que les autorités
serbes le désigneront sous le nom de « représentant
de la minorité nationale albanaise ». (chrono. 22/03)
La droite nationaliste
hindoue au pouvoir
en Inde
La nomination, le 15 mars, d’Atal Behari Vajpayee
au poste de Premier ministre par le président
K. R. Narayanam a montré que le Bharatiya Janata
Party, dont l’expérience en matière de marchandage politique n’est en rien comparable à celle du
parti du Congrès, a réussi à surmonter tous les
obstacles sur le chemin du pouvoir.
Du 23 février au 7 mars 1998, les Indiens ont
été invités à se rendre aux urnes pour désigner
leurs représentants. Il s’agissait d’un scrutin
anticipé provoqué par le retrait, en novembre
1997, du soutien parlementaire que le parti du
Congrès apportait à la coalition gouvernementale du Front uni – un rassemblement hétéroclite
allant des communistes aux socialistes du Janata
Dal, en passant par une mosaïque de petites formations régionales.
Lors des dernières élections législatives, au printemps 1996, aucun parti n’avait pu se prévaloir
de la majorité. En retirant son appui au Front
uni, le parti du Congrès aura sans doute voulu
vérifier une tendance récurrente dans l’histoire
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66
des consultations électorales en Inde. Jusqu’à
présent, lorsque des élections anticipées ont dû
être organisées en raison d’un défaut de majorité parlementaire, elles se sont traduites par une
victoire du parti du Congrès : Mme Indira Gandhi
en 1980 ou Narasimha Rao en 1991 ont bénéficié
de cette étrange alchimie électorale. Mais l’histoire aura décidé de mettre des bâtons dans les
roues des spéculateurs électoraux, et le scénario
attendu ne s’est pas déroulé selon les voeux de
ses promoteurs.
De la nécessité du compromis
Il est vrai que les électeurs ne pouvaient guère
se rassembler derrière la bannière du parti du
Congrès usé par les luttes de factions, les affaires
de corruption et la crise de direction dont il
souffre depuis la disparition de Rajiv Gandhi
en 1991. D’ailleurs, aussitôt qu’il a été clair que
des élections anticipées allaient se dérouler, des
membres du Congrès ont rejoint par dizaines
les rangs du parti du Peuple indien (Bharatiya
Janata Party, BJP), la principale formation nationaliste hindoue. Non seulement ces nombreux
transfuges ont affaibli le Congrès, mais ils ont
souligné son image opportuniste. Le résultat de
cette stratégie n’a étonné aucun observateur, et
la débâcle attendue était au rendez-vous.
Déjà premier parti de l’Assemblée en 1996 avec
161 sièges, le BJP a donc repris sa marche en
avant en obtenant 178 représentants à l’issue du
scrutin de 1998. Faute de disposer d’une majorité parlementaire, la droite indienne a dû en
passer par le jeu des compromis avec ses principaux alliés.
Aussi, A. B. Vajpayee a dû accepter de diluer
quelque peu l’idéologie nationaliste hindoue,
en revenant sur trois des principales promesses
électorales du BJP : la construction d’un temple
sur les décombres de la mosquée d’Ayodhya (détruite en 1992) ; le vote d’un Code civil uniforme
destiné essentiellement à abolir la charia comme
source de droit personnel pour les musulmans ;
l’abrogation de l’article 370 de la Constitution,
qui confère à l’État de Jammu-et-Cachemire
une autonomie que les nationalistes hindous
considèrent comme le terreau du mouvement
séparatiste.
Le BJP ayant fait de la stabilité le principal argument de sa campagne électorale, la nécessité
d’en passer par un compromis avec des alliés ne
va pas sans poser un problème de cohérence,
voire de cohésion au sein même de la droite
hindouiste. En revanche, certains estiment qu’il
y a lieu de se féliciter de ce que le BJP ait besoin
d’alliés aux voix dissonantes et qu’il ne puisse
donc pas appliquer son programme. Quoi qu’il
en soit, A. B. Vajpayee a montré qu’il cultivait le
pragmatisme avec une certaine efficacité quand
il s’est agi de rassurer la frange la plus radicale
des cadres du BJP, dont nombre d’entre eux ont
été nommés à la tête d’entreprises publiques,
d’universités ou d’ambassades.
Attendu sur le terrain de la politique économique, le nouveau Premier ministre a montré
qu’en la matière il savait, aussi, faire preuve de
pragmatisme, s’employant, notamment, à rassurer les investisseurs étrangers, effrayés par le
protectionnisme traditionnel des nationalistes
hindous. De même, il s’est empressé de faciliter l’entrée en Inde de biens de consommation
occidentaux, dont la classe moyenne est de plus
en plus avide. Ces premières décisions sont déjà
bien loin du programme économique du BJP, qui
prévoyait de mettre un terme à la libéralisation
des marchés et de freiner les investissements
étrangers.
Statu quo diplomatique
Sur le plan de la politique étrangère, la nouvelle
équipe a ponctué son arrivée au pouvoir avec
des essais nucléaires, auxquels le Pakistan a
rapidement répliqué. En prolongeant par cette
démonstration de force la politique de tension
qui préside à leurs relations, New Delhi et Islamabad ont donné l’impression d’être revenues
à la case départ – le Premier ministre sortant,
Inder Kumar Gujral, s’était employé à renouer le
dialogue avec le Pakistan. Rappelons que dans
son manifeste électoral, le BJP maintient que
l’ensemble du Cachemire appartient à l’Inde.
Mais, sauf à connaître une situation tendue à
l’intérieur, qui l’obligerait à utiliser la question
du Cachemire pour détourner une partie de l’attention publique vers un problème de politique
extérieure, le BJP devrait, là aussi, s’en tenir à un
pragmatisme prudent.
Enfin, l’absence de majorité claire a montré,
depuis le début des années 80, que les coalitions étaient volatiles et qu’aucun décret de
la providence ne garantissait l’immortalité
gouvernementale.
PHILIPPE DE LA RESLE
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
67
L’hindutva
Ce terme hindi, que l’on pourrait traduire
littéralement par « hinduité », désigne le
nationalisme culturel hindou et constitue
le coeur de l’idéologie du parti nationaliste
hindou, le Bharatiya Janata Party, arrivé au
pouvoir en mars 1998. L’hindutva est moins
un phénomène religieux ou théocratique
qu’un concept nationaliste et culturel. Dans
l’esprit des partisans du Bharatiya Janata
Party, la réalité de l’hindutva renvoie à une
aspiration à l’unité nationale visant à faire
coïncider la structure politique et étatique de
l’Inde avec une « nation » hindoue qui serait
définie en termes culturels.
Résistance armée au
Kosovo
En février, forces serbes et combattants
indépendantistes albanais du Kosovo, région
du sud de la Serbie peuplée à 90 % d’Albanais,
s’engageaient dans des affrontements meurtriers
au point de menacer l’équilibre des Balkans.
Durant les guerres de Croatie et de Bosnie, on
disait volontiers que « la guerre de Yougoslavie
a commencé au Kosovo, elle se terminera au
Kosovo ». Une sombre prédiction prise au sérieux
par les Occidentaux.
La mort de Tito a ouvert une crise politique
profonde dans la Fédération yougoslave, libérant des ambitions dont la fulgurante ascension
de Slobodan Milosevic représente le paradigme
absolu. Jeune dirigeant communiste serbe, Milosevic n’a pas ménagé ses efforts pour exploiter
cette situation à son avantage. Prétextant que
les dysfonctionnements de la Fédération étaient
le fruit de l’atomisation du pouvoir entre les différentes républiques, Milosevic a entrepris, sous
couvert de sauver la Fédération, de concentrer
tous les pouvoirs entre les mains des Serbes.
Et, devenu président de la Serbie, il appelait en
1989 ses concitoyens à défendre « leur Jérusalem », le « berceau historique de l’orthodoxie
serbe ». Peu après, il supprimait l’autonomie du
Kosovo et fermait l’université de Pristina, cheflieu de la province, désormais soumise à un
couvre-feu rigoureux.
Une alternative combattante
Durant la période de la guerre avec la Croatie et
la Bosnie, la police serbe a réussi à maintenir un
calme apparent au Kosovo, bien que de plus en
plus de Kosovars revendiquent pacifiquement
l’indépendance. Étrangement, la question du
Kosovo allait être absente de la négociation des
accords de paix de Dayton, qui ont mis un terme,
en décembre 1995, à la guerre dans l’ex-Yougoslavie. Sans doute ce silence pesant de la communauté internationale s’explique-t-il par la stratégie d’Ibrahim Rugova : élu président du Kosovo
en 1991 et réélu en 1998, à l’issue de scrutins non
reconnus sur le plan international, Rugova s’est
toujours montré partisan du dialogue avec Belgrade, convaincu que seule la voie pacifiste était
à même de dégager une solution durable. Selon
lui, le temps jouant en faveur de l’indépendance,
il n’est nul besoin de précipiter les choses, c’està-dire d’utiliser les armes. Mais la radicalisation
de la politique de « serbisation » conduite par
Belgrade aura mis à mal l’attentisme de celui qui
portait jusqu’alors les espoirs des Albanais du
Kosovo. L’offensive serbe a débuté dans la vallée
de la Drenica, à l’ouest de Pristina, où policiers,
militaires et paramilitaires serbes, disposant du
soutien d’hélicoptères et appuyés par l’artillerie,
ont entrepris de raser des villages censés abriter des combattants indépendantistes albanais.
Puis, peu à peu, la pression militaire serbe s’est
exercée dans l’ouest de la province, non loin
de la frontière avec l’Albanie, afin de couper la
route d’approvisionnement en armes. Parallèlement, la population civile a été chassée de la
région des combats, lesquels ont poussé sur les
routes quelque 20 000 personnes en direction
de l’Albanie et du Monténégro – l’autre république qui, avec la Serbie, constitue la Fédération
yougoslave.
La violence meurtrière mise en oeuvre par les
forces serbes au début de 1998 a finalement
conduit à accélérer la structuration et l’organisation d’une véritable force de résistance, l’Armée
de libération du Kosovo (ALK, ou UCK en albanais). Résolument engagée dans la lutte pour
l’indépendance, l’ALK a montré sans ambiguïté
qu’elle était une alternative, combattante, à la
non-violence de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) de Rugova.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
68
L’internationalisation du conflit ?
Si Milosevic n’a pas ménagé sa peine pour présenter la crise du Kosovo comme une affaire
purement intérieure, les incidences possibles de
celle-ci sur les États de la région n’ont pas manqué d’inquiéter les Occidentaux. Il est vrai que le
sort des Albanais du Kosovo ne peut pas laisser
indifférent l’ex-république yougoslave de Macédoine, peuplée par une forte minorité albanaise.
Si la Macédoine, non reconnue par la Grèce et
seulement tolérée par la Bulgarie, devait entrer
dans une zone de turbulences, c’est tout le fragile équilibre des Balkans qui en pâtirait. Idem
pour l’Albanie voisine. Littéralement coupé de
ses frères kosovars durant la dictature d’Enver
Hodja et jusqu’à la chute du communisme à Tirana, le Pays des Aigles, confronté à d’énormes difficultés économiques, ne peut que se sentir solidaire du destin du Kosovo. Face à la résurrection
de la question albanaise, la diplomatie internationale a réactivé le Croupe de contact sur l’exYougoslavie (États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, Russie, France, Italie), qui s’est saisi du
dossier afin d’« éviter que le Kosovo ne devienne
une nouvelle Bosnie ». Mais l’action du Groupe
de contact se trouve contrainte par les divergences de vue existant entre ses membres. Ainsi,
un abîme sépare la Grande-Bretagne, favorable
à une intervention militaire musclée de l’OTAN
au Kosovo, de la Russie, qui, par solidarité slave,
répugne à lâcher la Serbie, son alliée traditionnelle, orthodoxe comme elle. Dans ces conditions, les quelques résolutions envisagées par
le Groupe de contact, comme le gel des avoirs
serbes à l’étranger, l’embargo sur les armes – qui
prêterait à sourire eu égard aux stocks d’armes
déjà accumulés par Belgrade – ou l’arrêt des investissements étrangers en Serbie ont paru bien
en deçà de la gravité de la crise. Ainsi, à considérer la traduction sur le terrain de cette stratégie
déclamatoire – essentiellement donc des sanctions symboliques – et la détermination du président Milosevic, on peut craindre que les hésitations du Groupe de contact ne laissent guère,
pour sortir de la crise que des voies militaires. Ce
qui ferait du Kosovo le énième avatar de la poudrière balkanique.
PHILIPPE FAVERJON
L’Armée de libération du Kosovo
L’ALK apparaît pour la première fois en
1995 en revendiquant des coups de main
contre des policiers serbes, voire l’assassinat de collaborateurs albanais avec le pouvoir de Belgrade. Bien que sa genèse reste
toujours mystérieuse, il n’est plus possible
de contester son existence ni son caractère
albanais – Ibrahim Rugova a longtemps
laissé entendre que l’ALK était une création
de Belgrade pour justifier l’intervention de
la police serbe dans la province. Quant aux
effectifs de l’ALK, ils sont passés de quelques
centaines d’hommes à plusieurs milliers de
combattants : nombreux en effet sont ceux
qui ont rejoint ses rangs face à la violence
de la police et des paramilitaires serbes à
rencontre de civils innocents. Le coût des
équipements de cette armée, de plus en plus
structurée, est essentiellement assuré par
la diaspora kosovar installée en Suisse, en
Allemagne et aux États-Unis.
4
France
Plan de lutte contre l’exclusion.
Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, présente son projet de lutte contre l’exclusion,
qui devrait faire l’objet de trois lois votées au Parlement. Les mesures envisagées concernent d’abord
l’emploi : chaque jeune en difficulté devrait bénéficier d’un « appui personnalisé » (stages, contrats
rémunérés pendant dix-huit mois) ; les adultes au
chômage depuis plus de six mois bénéficieront de
contrats de qualification. Le projet prévoit également
des aides au logement pour les sans-abris (prévention des expulsions, taxe sur les logements vacants),
la généralisation de l’accès aux soins médicaux, le
traitement du surendettement, la revalorisation des
minima sociaux (jusqu’à 29 %) et la possibilité de les
cumuler avec des activités professionnelles à temps
partiel, l’extension des moyens donnés à l’urgence
sociale (SAMU social, guichets d’urgence), l’amélioration de l’accès à la culture, etc. L’ensemble de ce
dispositif devrait coûter 50 milliards de francs sur trois
ans (30 milliards de crédits nouveaux, dont les financements ne sont pas encore arrêtés).
Israël
Réélection d’Ezer Weizman.
Le président sortant est réélu contre le candidat, présenté par le Likoud, du Premier ministre Benyamin
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
69
Netanyahou. Âgé de soixante-treize ans, M. Weizman
est un ancien chef militaire prestigieux, mais dont les
écarts de langage et les changements de trajectoire
politique ont parfois choqué. Titulaire d’une charge
plus symbolique que réelle, il reste cependant l’une
des dernières voix officielles en Israël à défendre le
dialogue avec l’Autorité palestinienne, littéralement
enlisée depuis l’arrivée au pouvoir du Likoud.
5
Slovaquie
Vacance de la présidence.
Après le départ du président de la République,
Michal Kovac, arrivé en fin de mandat, le Premier
ministre Vladimir Meciar, adversaire déclaré de M. Kovac, s’arroge les pouvoirs de celui-ci, alors que l’élection d’un nouveau chef de l’État est repoussée sine
die. M. Meciar révoque la moitié des ambassadeurs et
casse la décision de M. Kovac de convoquer les électeurs à un référendum sur l’élection du président au
suffrage universel. L’opposition crie à la « dictature ».
7
Italie
Condamnation d’un ex-capitaine SS.
Erich Priebke et son adjoint Karl Hass sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour leur
participation au massacre des fosses Ardéatines en
mars 1944, où les Allemands fusillèrent, en représailles, 335 otages civils. En 1996, un premier jugement avait acquitté Erich Priebke, ce qui avait provoqué une émotion intense en Italie.
8
Colombie
Victoire du Parti libéral.
Les élections législatives reconduisent la majorité
libérale favorable au président Ernesto Samper. Plusieurs candidats indépendants ont été élus sur la
base de programmes stigmatisant la corruption de
la vie politique colombienne. Ces élections ont été
marquées par de nombreuses violences, les organisations de guérilla ayant appelé au boycott du
scrutin.
9
France
Condamnation des auteurs de l’Affaire
Yann Piat.
André Rougeot et Jean-Michel Verne et leur éditeur,
Flammarion, devront verser plus de 2 millions de
dommages-intérêts. Dans leur livre, ils accusaient,
sous des pseudonymes transparents. François Léotard et Jean-Claude Gaudin, alors ministres du gouvernement Balladur, d’avoir été à l’origine du meurtre
de la député du Var.
10
Indonésie
Réélection du président Suharto.
À soixante-seize ans, au pouvoir depuis 1966, Mohamed Suharto est réélu par l’Assemblée consultative
pour son septième mandat. Il était le seul candidat.
Fidèle du chef de l’État, Yusuf Habibie est désigné
comme vice-président. M. Suharto entame sa présidence dans un climat extrêmement tendu. La situation de l’économie nationale est des plus mauvaises
– l’Indonésie a été frappée de plein fouet par la crise
financière asiatique consécutive à la dévaluation du
baht thaïlandais en juillet 1997 – tandis que les organismes financiers internationaux critiquent chaque
jour davantage l’incapacité du régime à se réformer.
Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque
mondiale et la Banque asiatique de développement
font savoir qu’ils suspendent leurs aides étant donné
le refus du gouvernement indonésien de mettre
réellement en application le plan de réforme économique pourtant mis au point en janvier avec le FMI.
Proche-Orient
Reprise de l’Intifada en Cisjordanie.
Trois ouvriers palestiniens sont tués près de Hébron
par l’armée israélienne, qui croyait avoir affaire à des
terroristes. À la suite de cette « bavure », des jeunes
Palestiniens reprennent leurs jets de pierres contre
les forces de Tsahal, l’armée israélienne. Après plusieurs jours d’affrontements, Yasser Arafat, chef de
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l’Autorité palestinienne, déclare que « le processus
de paix vit presque ses derniers instants » et réclame le
déploiement d’une force internationale.
11
Danemark
Victoire des sociaux-démocrates.
La majorité de gauche, menée par le Premier ministre sortant Poul Nyrup Rasmussen, est reconduite
de justesse, avec seulement 1 siège de majorité au
Parlement. Une majorité bien étroite si l’on considère que M. Rasmussen a bénéficié d’un bon bilan
gouvernemental : chômage réduit à 7 % et budget
excédentaire. On note cependant une poussée significative de l’extrême droite (10 % des suffrages), alors
que la présence étrangère dans le pays reste faible.
Âgé de cinquante-cinq ans, M. Rasmussen est un
européen modéré, qui souhaite soumettre le traité
d’Amsterdam de 1977 au référendum. Les sondages
indiquent que les Danois sont favorables au « oui » à
48 %, contre 32 % pour le « non ».
France
Exhumation du corps d’Yves Montand.
La justice fait exhumer le corps du chanteur, décédé
en novembre 1991, afin de prélever un échantillon
ADN. Cette procédure fait suite à la demande de reconnaissance en paternité présentée par une jeune
femme, Aurore Brossard, qui assure depuis plusieurs
années être la fille d’Yves Montand. La famille du
chanteur et une partie de l’opinion se déclarent choquées par cette exhumation.
15
France
Succès limité de la gauche aux
élections régionales.
Aux élections régionales, la gauche « plurielle »
(Parti socialiste, Parti communiste, Verts, radicaux)
l’emporte (en métropole et dans les départements
d’outre-mer) avec 36,58 % des suffrages exprimés
et 745 sièges devant la droite RPR-UDF, créditée de
35,98 % des voix et de 716 sièges. Le Front national renforce ses positions avec 15,02 % des voix et
275 sièges, tandis qu’on remarque une percée de
l’extrême gauche, qui obtient 4,32 % des suffrages et
43 sièges. L’abstention, exceptionnellement élevée,
est montée à 42,03 %, contre 31,4 % aux précédentes
élections régionales de 1992. La gauche « plurielle »
améliore ses positions par rapport à 1992, mais reste
en retrait sur ses résultats aux législatives de 1997
(42,10 % au premier tour). Le RPR et l’UDF perdent
le contrôle de l’Île-de-France et de Provence-AlpesCôte d’Azur avec les défaites d’Édouard Balladur et de
François Léotard. Dès la clôture du scrutin, la droite
modérée se retrouve fortement soumise à la pression du Front national : c’est ainsi que dans plusieurs
Régions (Aquitaine, Bourgogne, Centre, LanguedocRoussillon, Midi-Pyrénées, Haute-Normandie et Picardie), où l’écart entre la gauche et la droite modérée
est très faible, certains élus se déclarent favorables à
une alliance avec l’extrême droite pour conserver la
présidence de l’exécutif régional, alors que les directions nationales du RPR et de l’UDF considèrent tout
rapprochement avec le FN comme une « impasse
morale et électorale ». Jean-François Mancel*, ancien
secrétaire général du RPR, et président du conseil
général de l’Oise, est exclu de ce parti pour avoir
déclaré : « À partir du moment où la stratégie de guerre
avec le FN a été un échec total, il faudrait être cinglé
pour la poursuivre. » Plusieurs observateurs, notamment à gauche, reprochent au gouvernement de
ne pas avoir modifié le mode de scrutin de l’élection
régionale – proportionnelle intégrale au niveau des
départements – conduisant ainsi à des majorités instables et donnant la part belle au parti de Jean-Marie Le Pen. Les partisans de M. Jospin affirment, pour
leur part, que celui-ci, arrivé aux affaires en juin 1997,
ne pouvait changer la règle électorale à moins d’un
an du scrutin, sinon à passer pour un opportuniste.
(chrono. 22/03)
16
Religion
Publication d’un texte du Vatican sur la
Shoah.
Comme il s’y était engagé en 1987, Jean-Paul II fait
publier un texte de la Commission pour les rapports
religieux avec le judaïsme, intitulé : « Nous nous
souvenons : une réflexion sur la Shoah », et qu’il préface lui-même. L’Église reconnaît que de nombreux
catholiques ont pu prendre part à l’extermination
des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, mais
ne se reconnaît pas coupable en tant qu’institution.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
71
Il est ainsi écrit : « L’Église catholique désire exprimer
son profond regret pour les manquements, à toutes les
époques, de ses fils et ses filles. Il s’agit d’un acte de repentir. » Le texte fait la distinction entre l’antijudaïsme –
rejet de la religion juive –, qui remonte à l’origine du
christianisme et dans lequel l’Église reconnaît avoir
eu sa part, et l’antisémitisme – rejet racial des Juifs
–, invention moderne à laquelle celle-ci s’estime
étrangère. Si l’Église admet que l’« enseignement du
mépris », c’est-à-dire la critique au nom de la religion
du judaïsme, a pu avoir un rôle dans le génocide,
elle se refuse, en revanche, à critiquer l’attitude du
pape Pie XII, dont le silence pendant les événements
tragiques a été maintes fois dénoncé. D’une façon
générale, les responsables des communautés juives
européennes ou américaines s’estiment déçus par ce
texte.
Chine
Zhu Rongji Premier ministre.
Après la réélection de Jiang Zemin à la tête de l’État,
Zhu Rongji remplace Li Peng, qui devient président
de l’Assemblée nationale. Âgé de cinquante-neuf
ans, il est ingénieur de formation. En 1958, il est
condamné pour avoir critiqué la politique du « grand
bond en avant » et est envoyé à la campagne en
rééducation. Douze ans plus tard, il est à nouveau inquiété pour « droitisme » par la Révolution culturelle.
Réhabilité en 1978, il poursuit son ascension dans les
ministères économiques et devient maire de Shanghai en 1988. À ce poste, il pratique une politique
économique très dynamique et parvient à ne pas
réprimer dans le sang les manifestations du « printemps de Pékin ». Très travailleur, réputé incorruptible,
maîtrisant bien l’anglais, il entend mener son action
de chef de gouvernement dans trois directions principales : restructurer les entreprises d’État, réduire la
bureaucratie et réformer le système financier. Il reste
cependant étroitement contrôlé par le Parti et par
Jiang Zemin. Des son intronisation, il prend ainsi bien
soin de qualifier le mouvement de 1989 de « contrerévolutionnaire », même si, à l’époque, il avait déclaré :
« l’Histoire jugera. »
Chine : un premier
ministre d’ouverture
Salué comme un « Gorbatchev asiatique » par de
nombreux observateurs étrangers, l’ancien maire
de Shanghai, Zhu Rongji, a été nomme Premier
ministre par le président Jiang Zemin. Une nomination de nature à rassurer les milieux d’affaires
occidentaux, qui voient en lui un partisan sincère
de l’ouverture économique.
Longtemps redoutée par les Occidentaux, la
succession de Deng Xiaoping, mort en février
1997, s’était finalement opérée sans heurt, et,
conformément aux scénarios en cours dans les
chancelleries européennes, mais aussi outreAtlantique, Jiang Zemin devait s’imposer à la
tête de l’État. Sans grande surprise, donc. En
revanche, le nouveau numéro 1 chinois a forcé
l’étonnement en parvenant, en moins d’un an, à
consolider une prise de pouvoir sur la pérennité
de laquelle peu d’observateurs se seraient engagés Le XVe congrès du Parti communiste chinois,
qui s’est déroulé à Pékin en septembre 1997, a
servi de cadre officiel à cette prise de pouvoir. Il
s’est agi de pousser dehors les hommes par trop
apparentés à l’ancienne équipe et de promouvoir des proches. Rien que de bien classique.
Ainsi, l’ex-amiral Liu Huaqing, ancien secrétaire
particulier de Deng Xiaoping, et Qiao Shi, le président de l’Assemblée nationale populaire, rival
déclaré du chef de l’État, se sont retrouvés sur la
touche. À leur place, Jiang a appelé des fidèles,
dont l’ex-maire de Shanghai, Zhu Rongji, qui accède au poste de Premier ministre en mars 1998.
Zhu Rongji appartient à cette génération qui
pousse au premier plan, après les vétérans révolutionnaires, les ingénieurs de la Chine populaire
naissante. Cette formation professionnelle n’est
pas indifférente quant aux choix que l’on peut
d’ores et déjà prêter au chef du gouvernement,
dont l’intérêt qu’il porte à la « chose » économique n’est un mystère pour personne. Alors
que son prédécesseur Li Peng était particulièrement attaché à l’industrie et aux entreprises
socialistes, Zhu Rongji serait plutôt sensible
au maintien des prérogatives économiques de
l’État central.
Un partisan convaincu des réformes
Celui que l’on dit aussi modernisateur – une réputation due à son passage à Shanghai – devrait
pousser les feux des réformes, contre l’appareil
des cadres, tout en s’opposant à l’atomisation
du système en satrapies. Interrogé sur les conséquences que pourrait avoir la crise financière
régionale sur la restructuration des entreprises
d’État ou l’objectif d’une ouverture du secteur
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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des services financiers, Zhu Rongji s’est montré
optimiste, sans être pour autant trop précis. À
l’inverse, la question de l’échéance d’une convertibilité du yuan a suscité, de fait, une réponse
embarrassée, dont on aura retenu nue la mise
en place d’une Banque centrale dotée de réels
pouvoirs constituait un indispensable préalable.
Néanmoins, le nouveau Premier ministre a fait
forte impression sur les milieux d’affaires – ce qui
lui a valu l’étrange surnom de « meilleur produit
d’exportation de Pékin » – et a rassuré dans les
chancelleries occidentales, où l’on préfère toujours un technocrate à un idéologue. D’ailleurs,
la composition du cabinet du nouveau Premier
ministre n’est-elle pas un gage de conformité
aux voeux émis par les principaux partenaires
de la Chine ? Ainsi, dans cette équipe plus jeune
que celle de son prédécesseur, on n’aura remarqué qu’un seul « vétéran révolutionnaire », le ministre de la Défense Chi Haotian, qui a conservé
son poste. Pour le reste, le profil dominant est
incontestablement celui du technocrate, dont
témoigne la nomination de Sheng Huaren à la
tête de la Commission d’État à l’économie et au
commerce. Toutefois, un départ a attiré l’attention, celui du ministre des Affaires étrangères,
Qiang Qichen. En charge de la diplomatie depuis
1988, ce dernier avait largement contribué à sortir la Chine de l’ostracisme de l’après-Tiananmen
(juin 1989).
Mais l’audace dont on a crédité Zhu Rongji, dès
lors qu’il s’est engagé à mettre en oeuvre toutes
les réformes destinées à moderniser l’économie
chinoise et à l’intégrer dans les circuits internationaux, pourrait bien s’émousser en raison du
vent de folie boursier qui souffle sur la région
depuis juillet 1997 et la « dévaluation-domino » du baht thaïlandais. De plus, ne serait-on
pas fondé à émettre quelques réserves quant à
l’originalité du pilotage tel que Zhu Rongji en a
esquissé les grandes lignes ?
Annoncée dès sa prise de fonctions, la rationalisation de la production par la constitution de
grands groupes industriels rappelle beaucoup
les chaebols sud-coréens – dont l’endettement
colossal leur vaut d’être virtuellement en faillite.
Le futur programme de grands travaux financé
par des emprunts d’État, peu différent dans son
épure des plans japonais de relance de l’économie, dont c’est peu d’écrire qu’ils n’ont guère
produit les effets escomptés, ne nous semble
pas de nature à soutenir l’enthousiasme qu’il a
suscité dans les milieux d’affaires en Occident.
Avec l’arrivée à la tête du gouvernement de Zhu
se referme la longue période pendant laquelle Li
Peng, identifié par beaucoup à la répression de
Tiananmen – qu’il a cautionnée sans état d’âme
–, a administré l’État chinois et, le plus souvent,
freiné les réformes. En clair, la Chine est parée
des plus beaux atours et l’on vante à Washington
les progrès en matière de démocratie, la réussite de la transition de Deng Xiaoping à Jiang
Zemin ou encore les qualités du nouveau Premier ministre, quand bien même ce dernier s’est
rallié à la lecture conservatrice du massacre de
Tiananmen.
PHILIPPE DE L’ENFERNAT
La primauté du chef de l’État
Partisan déclaré de l’ouverture économique,
Zhu Rongji reste toutefois sous la haute surveillance du chef de l’État auquel il appartient de contrôler l’ouverture politique, qu’il
s’agisse des affaires internes ou des relations
extérieures, Jiang Zemin a ainsi fait libérer
deux opposants historiques, Wei Jingsheng
et Wan Dang « pour raisons de santé ». C’est
également le président de la République
qui a eu la haute main sur la décision de
signer le second pacte des Nations unies sur
les droits civiques et politiques. Deux gestes
dont le gouvernement a rapidement récolté
les fruits puisque l’Union européenne, bientôt rejointe par les États-Unis, s’est engagée
à ne plus voter de condamnation de la Chine
à la Commission des droits de l’homme à
Genève. Le réchauffement des relations
avec les États-Unis s’est poursuivi avec la
visite à Pékin, en juin 1998, du locataire de
la Maison-Blanche.
Jean-Paul II et la Shoah
Pour préparer le « jubilé de l’an 2000 », le pape
Jean-Paul II affirme, dès 1994, la nécessité d’une
« purification des mémoires ». Cette « purification » a donné lieu, depuis lors, à des déclarations
portant sur les croisades, les guerres de Religion,
le procès de Galilée, l’Inquisition, les rapports
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
73
avec le judaïsme et, en mars 1998, à un document
pontifical sur la Shoah.
Jean-Paul II est particulièrement sensible au
drame de la Shoah. D’abord parce qu’il a vécu
sa jeunesse à Cracovie, un des centres d’une
vie juive polonaise maintenant disparue. Devenu prêtre, il a été le témoin de la traque nazie
et s’est engagé dans la Résistance ; nul doute
qu’une méditation sur la « souffrance juive » et,
au-delà, sur ce que les chrétiens appellent le
« mystère d’Israël », fit partie de sa spiritualité.
Ensuite, profondément en accord avec le changement d’attitude à l’égard des juifs amorcé
avec le concile Vatican II, Jean-Paul II estime qu’il
doit le prolonger.
L’idée même d’un document du magistère catholique sur la Shoah avait été émise dès le 1er septembre 1987, quand Jean-Paul II avait reçu les
dirigeants du Comité international juif pour les
consultations interreligieuses (IJCIC). Il aura fallu
un peu plus de dix ans pour qu’elle soit concrétisée. Ce document était donc très attendu par les
communautés juives du monde entier.
Une réflexion sur la Shoah
Publié avec une introduction de Jean-Paul II datée du 12 mars 1998, le document « Nous nous
souvenons : une réflexion sur la Shoah » est rédigé, à la demande du pape, par la Commission
pontificale pour les relations avec le judaïsme. Il
est signé par le cardinal australien E. Cassidy, son
président, et par Mgr P. Duprey, secrétaire. Il vaut
la peine d’en indiquer l’essentiel.
L’introduction du pape relie explicitement le
document au prochain jubilé dont la « joie [est]
basée sur le pardon des péchés et la réconciliation avec Dieu et nos voisins ». Les catholiques
doivent donc « purifier leur coeur par le biais du
repentir des erreurs et des infidélités passées »
et « effectuer un examen d’eux-mêmes sur la responsabilité qu’ils ont eux aussi dans les démons
de notre époque ». Il faut permettre « à la mémoire de jouer son nécessaire rôle dans le processus de construction d’un avenir dans lequel
l’iniquité inqualifiable de la Shoah ne puisse
jamais se répéter ».
La première partie traite de « la Shoah et (du) devoir de mémoire ». Elle définit la Shoah comme
« une innommable tragédie qui ne pourra jamais être oubliée » et ne peut laisser personne
indifférent, l’Église catholique encore moins que
n’importe qui, « en raison de ses liens étroits de
parenté spirituelle avec le peuple juif et son souvenir des injustices du passé ».
La deuxième partie parle de « ce dont nous
devons nous souvenir ». Elle insiste sur les ques-
tions que pose « l’ampleur du crime ». Plus précisément, elle affirme : le fait que la Shoah ait eu
lieu en Europe, « c’est-à-dire dans des pays de
longue tradition chrétienne », pose la question
de « la relation entre la persécution nazie et les
attitudes des chrétiens envers les juifs à travers
les siècles ».
« Les relations entre juifs et chrétiens » : tel est,
précisément, le titre de la troisième partie. La
Commission reconnaît que « malgré l’enseignement chrétien de l’amour pour tous », la
« mentalité prédominante » dans la société de
chrétienté a « pénalisé les minorités ». Un « antijudaïsme » a conduit à « une discrimination
généralisée » dont les conséquences ont été des
expulsions, des conversions forcées, des pillages
et des massacres en temps de crise. Au XIXe siècle,
un « nationalisme faux et exacerbé » a répandu
en Europe un antijudaïsme « plus sociologique
que religieux » et, au XXe siècle, le national-socialisme a utilisé des théories qui « niaient l’unité
de la race humaine ». L’Église catholique allemande « répliqua en condamnant le racisme »
(suivent plusieurs exemples) et le pape Pie XI
fustigea « le racisme nazi » dans son encyclique
Mit brennender Sorge en 1937, déclarant l’année
suivante : « Spirituellement, nous sommes tous
des sémites. »
La quatrième partie traite de « l’antisémitisme
nazi et la Shoah ». Elle indique que la Shoah
est le fruit d’un « régime moderne [...] néo-paganiste ». Son « antisémitisme a des racines en
dehors du christianisme ». Mais le texte n’exclut
pas la possibilité que « la persécution nazie des
juifs » ait été « facilitée » par les « préjugés enracinés » dans des « coeurs chrétiens ». Il déplore
la fermeture des frontières à l’émigration juive
faite par des gouvernements de pays de tradition chrétienne et le fait que si « beaucoup de
chrétiens » (le pape Pie XII est explicitement
cité) portèrent secours aux juifs persécutés, tous
ne le firent pas. Pour « cette lourde charge de
conscience », l’Église catholique lance « un appel
à la repentance », « répudie toute persécution »
et « condamne absolument toutes les formes
de génocide » et « les idéologies racistes qui les
suscitent ».
La dernière partie du texte appelle à « un futur
commun ». Les Juifs sont les « frères aînés » des
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chrétiens et l’Église catholique doit entretenir
« une nouvelle relation avec le peuple juif », fondée sur « un respect mutuel partagé » entre tous
ceux qui ont Abraham comme « père commun
dans la foi ».
Les réactions au document pontifical
Ce texte a suscité des réactions réservées des
responsables de communautés juives, pour
deux raisons principales. D’abord, le document
romain se situe quelque peu en retrait des déclarations des évêques allemands et français.
Les premiers (janv. 1995) reconnaissaient qu’en
dépit « du comportement exemplaire » de certains catholiques, leur communauté ecclésiale
avait trop souvent « tourné le dos au destin du
peuple juif persécuté ». Les seconds affirmaient
(sept. 1997) que, par leur silence, « trop de pasteurs de l’Église ont offensé l’Église elle-même et
sa mission [...]. Nous confessons que ce silence
fut une faute. » Le texte pontifical a une formulation moins nette, sans doute parce qu’il engage
l’Église catholique dans son ensemble. Ensuite,
le manque d’explication sur l’attitude de Pie XII
pendant la guerre et, notamment, lors des rafles
de juifs romains en 1943 (le pape ordonna de cacher les juifs dans les couvents mais ne s’exprima
pas publiquement) se trouve critiqué. Des dirigeants juifs souhaiteraient un désaveu, bien difficile à émettre dans la logique propre de l’Église
catholique.
Au-delà de ces réactions, trois remarques
peuvent être faites. La première concerne le
rapport entre l’antijudaïsme de type religieux
et l’antisémitisme de type racial ; Émile Poulat a
souligné que, contrairement à ce que suggère le
texte, des catholiques de la fin du XIXe siècle (et
notamment le quotidien la Croix, oui se revendiquait alors comme « le journal le plus antisémite de France ») ont effectué le passage de
l’un à l’autre. La seconde remarque porte sur
le désaccord fondamental qui sépare juifs et
catholiques : pour ces derniers, le christianisme
est l’accomplissement du judaïsme et l’Église
apparaît désormais détentrice des promesses
faites dans la Bible au peuple hébreu. L’affaire du
carmel d’Auschwitz et la béatification en 1987
d’Edith Stein, juive convertie au catholicisme,
morte dans ce camp, montrent que cette divergence est source de difficultés récurrentes.
Enfin, troisième remarque, le document est
aussi une nouvelle pièce au dossier des rapports
conflictuels entre Jean-Paul II et la modernité. Un
passage du texte n’a pas été assez commenté : il
replace la Shoah dans la liste des génocides et
des massacres de ce siècle dont eurent à souffrir
les Arméniens, les Ukrainiens des années 1930,
les Gitans ainsi que les « millions de victimes de
l’idéologie totalitaire en Union soviétique, en
Chine, au Cambodge et ailleurs ».
En demandant aux catholiques de se repentir et
d’examiner « la responsabilité qu’ils ont eux aussi
dans les démons de notre époque », le pape entend rendre son Église mieux apte à combattre
de tels « démons ».
JEAN BAUBÉROT
Nostra Aetate
À Vatican II, la déclaration Nostra Aetate
affirme : « L’Église, attentive à son patrimoine commun avec les juifs et poussée par
l’amour spirituel de l’Évangile et non par des
considérations politiques, regrette vivement
la haine, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme dirigées contre les
Juifs en tout temps et de toute source. » Cette
reconnaissance du lien entre judaïsme et
christianisme, cette condamnation de l’antisémitisme aboutissait à une décision importante : la suppression dans la liturgie pascale de tournures telles que « juifs perfides »
et « peuple déicide » qui alimentaient ce que
Jules Isaac, le pionnier de l’amitié judéochrétienne, a nommé « l’enseignement du
mépris ». Ce passage du mépris à l’estime
s’est marqué de plusieurs manières depuis
les débuts au pontificat de Jean-Paul II. Il a
visité Auschwitz (1979), Mauthausen (1988),
Majdanek (1991), manifestant une vive
sympathie envers les victimes des camps de
concentration. Le 13 avril 1986, il visitait la
synagogue de Rome et dénonçait « la haine,
les persécutions, les manifestations d’antisémitisme, commises quelle que soit l’époque
et par quiconque ». Le « quiconque » avait
été souligné car il pouvait inclure des catholiques. Far ailleurs, souhaitant se rendre à
Jérusalem, le pape avait franchi un pas significatif dans le conflit complexe du MoyenOrient en établissant, en janvier 1993, des
relations diplomatiques avec l’État d’Israël.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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22
France
Confusion postélectorale.
Alors que la gauche confirme sa poussée relative
au second tour des élections cantonales (obtenant
47,59 % des voix, contre 44,54 % pour la droite républicaine, et gagnant la présidence de dix conseils
généraux), la vie politique française est bouleversée
par la pression croissante qu’exerce le Front national
à l’égard de la droite UDF-RPR. La tension avait atteint
son maximum le 20, à l’occasion de l’élection des présidents des conseils régionaux : cinq dirigeants UDF
acceptent alors d’être élus avec les voix des conseillers FN, même s’ils assurent qu’ils n’ont passé aucun
accord avec le parti d’extrême droite. Il s’agit de
Charles Millon en Rhône-Alpes, de Jean-Pierre Soisson en Bourgogne, de Jacques Blanc en LanguedocRoussillon, de Charles Baur en Picardie et de Bernard
Harang dans la région Centre. Élu dans ces conditions en Franche-Comté, alors qu’il avait toujours
récusé le soutien de l’extrême droite, Jean-François
Humbert démissionne immédiatement. L’opposition
est forte entre les directions parisiennes, fermes sur
leurs engagements républicains, et leurs bases, où de
nombreux élus, militants, voire électeurs, préfèrent
des ententes locales avec le FN plutôt que de voir la
gauche l’emporter. Jean-Marie Le Pen trouble encore
un peu plus le jeu en réclamant pour lui la présidence de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et en
présentant cette demande comme une contrepartie
au soutien accordé par son organisation aux cinq
nouveaux présidents UDF. Les élections cantonales
du dimanche montrent que la majorité des électeurs
de droite n’acceptent pas ces arrangements avec le
FN et protestent par leur abstention. Ainsi, dans le
canton de Bellay (Ain), ville dont Charles Millon est
maire, les électeurs donnent leurs suffrages au candidat PS plutôt qu’au sortant RPR. Le 23, le président
de la République, Jacques Chirac, s’exprime solennellement à la télévision pour condamner sans appel
toute tractation avec le FN, qu’il qualifie de « parti de
nature raciste et xénophobe », et souhaiter une série de
réformes politiques (changement de la loi électorale
pour les élections régionales, limitation du cumul
des mandats, accroissement du rôle des femmes,
du recours au référendum, etc.). Le même jour, la
présidence des régions Île-de-France et PACA passe
à gauche au profit de Jean-Paul Huchon et Michel
Vauzelle, tandis qu’en Haute-Normandie et en MidiPyrénées les présidents UDF élus avec les voix FN
démissionnent aussitôt. (chrono. 25/03)
République fédérale
de Yougoslavie
Élections au Kosovo.
La communauté albanaise (1,8 million de personnes)
du Kosovo se rend massivement aux urnes pour élire,
d’une façon non officielle parce que non reconnue
par les autorités de Belgrade, leur président et leurs
députés. L’écrivain indépendantiste Ibrahim Rugova,
déjà élu dans ces conditions en 1992, est largement
réélu, de même que les candidats de son parti, la
Ligue démocratique du Kosovo (LDK), malgré les
appels au boycottage lancés par le parti de l’opposition albanaise et par l’Armée de libération du Kosovo
(ALK). Les manifestations et la répression continuent
et le pouvoir serbe maintient sa position de fermeté,
en dépit des appels à la négociation lancés par la
communauté internationale.
L’imbroglio
des régionales
Si, avec 851 listes, dont 797 dans l’Hexagone,
l’offre électorale pour les élections régionales
du 15 mars 1998 est stable par rapport à celles
de 1992, la situation politique est radicalement
différente. À l’inverse de la précédente consultation, qui intervenait dans un climat de rejet de
la gauche au pouvoir – rejet qui avait profité aux
écologistes et au Front national et permis ainsi
au RPR et à l’UDF de conserver 20 des 22 Régions
métropolitaines –, cette fois, c’est à la droite
républicaine de connaître ce désamour.
Encore sous le choc de sa très nette défaite aux
élections législatives anticipées de juin 1997,
divisée par des querelles personnelles et face à
une gauche offensive bénéficiant toujours d’une
popularité d’« état de grâce », la majorité régionale avait tout à redouter de cette échéance.
D’abord, parce que le redressement électoral
des socialistes était prévisible après leur score
catastrophique de 1992, ensuite, parce que ces
derniers s’étaient alliés avec les Verts, enfin parce
que ces élections intermédiaires se déroulaient
trop peu de temps après l’arrivée de la gauche
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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au pouvoir pur qu’on la juge sur son Bilan alors
que les électeurs avaient toujours en tête celui
du gouvernement Juppé, qu’ils estimaient
« négatif ».
Mais ces élections d’enjeu local, aux résultats
plus ou moins attendus, auront des conséquences nationales sans précédent. Le scrutin à
la proportionnelle ne permettant pas de dégager des majorités stables, lors de l’élection des
présidents des exécutifs régionaux, une partie
de la droite, en dépit des consignes formelles
de ses états-majors, va passer des accords avec
le Front national pour conserver ou conquérir
certaines régions. Le séisme est assuré pour une
droite en mal d identité et de projets.
Des majorités introuvables
Même si l’union RPR-UDF constitue la règle, en
dépit de quelques listes dissidentes, la campagne
sera dominée par une gauche offensive, galvanisée par sa victoire inattendue de juin 1997 et les
premiers résultats d’un gouvernement qui s’appuie sur la reprise économique. La majorité monopolisera les thèmes du changement, au détriment d’une opposition, peu confiante dans ses
structures et dans sa stratégie, qui privilégiera la
défense de son bilan régional. Les déclarations
de certains leaders locaux du RPR et de l’UDF
(Philippe Vasseur dans le Nord ou Jean-François
Mancel dans l’Oise), n’excluant pas des alliances
avec le FN, jetteront le trouble dans l’électorat.
Au soir du 15 mars, avec 58 % de votants, la participation est en recul de 10,7 points sur celle
de mars 1992. Une abstention qui s’explique
en partie par le fait que ce scrutin intervient à
peine dix mois après les élections législatives.
À l’issue du vote, seules trois Régions ont des
majorités absolues : le Limousin pour la gauche,
la Basse-Normandie et les Pays de la Loire pour
la droite. Dans dix autres (Aquitaine, Bourgogne,
Centre, Île-de-France, Languedoc-Roussillon,
Midi-Pyrénées, Haute-Normandie, Nord-Pas-deCalais, Picardie, Provence-Alpes-Côte d’Azur),
la gauche obtient une majorité relative face à
l’union RPR-UDF et au FN ; dans six autres (Alsace, Auvergne, Bretagne, Champagne-Ardenne,
Lorraine et Poitou-Charentes), l’union UDF-RPR
détient la majorité relative ; enfin, dans deux
autres (Franche-Comté et Rhône-Alpes), gauche
et droite républicaine sont à égalité. Quant aux
élections des présidents de Région, elles vont
donner lieu à un véritable séisme politique.
Les élections des présidents
Une partie de la droite républicaine va se fracasser sur l’écueil du Front national. Arbitre du scrutin dans la majorité des Régions de la métropole,
le parti de Jean-Marie Le Pen va faire exploser
une partie du RPR et de l’UDF et consommer le
divorce entre les états-majors parisiens et les
leaders locaux de la droite.
Si, dans les trois Régions (Limousin, Aquitaine
et Nord-Pas-de-Calais) où la gauche a plus de
sièges que le total RPR-UDF et FN, et, dans les
huit Régions où la droite républicaine obtient
la majorité absolue ou relative, il n’y a pas de
problèmes pour élire l’exécutif régional, il n’en
va pas de même pour les autres Régions. Le
20 mars, jour du scrutin, un « vendredi noir »
pour la droite modérée, six présidents de conseil
régional UDF se font élire ou réélire grâce aux
voix du Front national, en Bourgogne, Centre,
Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes, Picardie et
Franche-Comté ; si, dans cette dernière Région,
le nouvel élu démissionne aussitôt, son exemple
n’est pas suivi par les autres et notamment par
Charles Millon, l’ancien ministre de la Défense
du gouvernement Juppé. Face à cette fronde
d’une partie des ténors locaux de l’opposition,
le scrutin pour les autres exécutifs sera repoussé
de plusieurs jours, afin de faire entendre raison
à ceux qui ont ou seraient tentés de pactiser
avec le FN. Le 22 mars, lors du second tour des
cantonales, l’électorat de droite sanctionnera
par son vote ceux qui semblent incapables de
résister à la courte échelle du parti lepéniste. Le
lendemain, pour renforcer les rappels à l’ordre
des états-majors parisiens, le chef de l’État sortira de sa réserve pour exprimer fermement son
hostilité à toute alliance avec le FN, un « parti de
nature raciste et xénophobe ». Une intervention
décisive qui permettra à la droite, après plusieurs jours de totale confusion et parfois d’obstruction, de se ressaisir partiellement en rejetant cette main tendue de l’extrême droite. Des
Régions phares, symboliques, reviendront ainsi à
la gauche : l’Île-de-France, Provence-Alpes-Côte
d’Azur, Midi-Pyrénées. Au total, les socialistes
présideront 8 Régions, le RPR 3 et l’UDF 7.
Le piège du Front national
Mais le compte n’est pas bon dans 4 Régions,
toutes présidées par un UDF ou apparenté :
le nouvel exécutif n’a pu être élu qu’avec l’appoint des voix du FN. Il s’agit de la Picardie,
avec Charles Baur, de la Bourgogne, avec JeandownloadModeText.vue.download 78 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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Pierre Soisson, du Languedoc-Roussillon, avec
Jacques Blanc, et de Rhône-Alpes, avec Charles
Millon.
Tendu par Bruno Mégret, le piège du Front
national a parfaitement fonctionné. En offrant
sans condition à la droite un « soutien sans
participation » et en s’efforçant, pendant la
campagne, de présenter le visage d’un parti
en quête de respectabilité, il a su la casser,
en prendre une partie en otage et briser un
tabou qui voulait qu’aucun accord ne soit possible entre la droite parlementaire et le FN. Les
dégâts pour l’actuelle opposition sont considérables et durables. Certes, cette « dédiabolisation » du FN n’est le fait que d’une partie de
l’opposition. C’est vrai, ces accords ponctuels
sont dénoncés par une large majorité de l’élec-
torat RPR-UDF, et les sondages le démontrent. Il
n’empêche que l’attitude de ces barons locaux,
qui n’ont pas hésité à désobéir aux consignes
des états-majors parisiens de leur parti et à
l’appel à la raison du président de la République, est révélatrice de la profondeur de la
crise d’identité que traverse la droite républicaine depuis l’échec de la dissolution en juin
1997. En mal d’identité, en panne de stratégie
et ne présentant pas, à l’heure actuelle, aux
yeux de l’opinion, une alternative crédible à la
politique suivie par le gouvernement de Lionel
Jospin, une partie de la droite, déboussolée, a
tenté, par opportunisme, de sauver les meubles
en s’alliant avec une extrême droite qui, à
l’entendre, ne serait plus, aujourd’hui, si infréquentable. Persuadée que, avec un FN raflant
15 % des suffrages, elle est condamnée à une
longue, très longue cure d’opposition, certains
se sont demandé pourquoi ils ne s’accommoderaient pas d’un parti extrémiste qui peut servir
de marchepied pour retrouver, ou plus simplement, conserver le pouvoir ? Une démarche
dangereuse, qui oblige RPR et UDF à une nécessaire recomposition – certains parlent de refondation –, afin que l’actuelle opposition retrouve
sa place légitime dans le jeu politique en clarifiant sa stratégie.
BERNARD MAZIÈRES
Les résultats de la consultation
La gauche plurielle
Sans retrouver le résultat des législatives
de 1997, elle progresse de 11,3 points par
rapport à 1992. Le dynamisme des luttes
d’union a été payant, même si ces élections
confirment la situation électorale minoritaire de la gauche (40 % des suffrages exprimés, extrême gauche comprise). Avec près
de 400 sièges, le PS est la première formation politique française des conseils régionaux. Il est en position dominante au sein
de la gauche dans toutes les régions. Mais
l’union et la participation au gouvernement
profitent aussi aux communistes et aux Verts
et leur permettent d’obtenir des élus dans
des régions où, sous leur propre bannière,
ils n’auraient eu aucune chance d’en avoir.
La droite RPR-UDF
Si la droite républicaine est victime de listes
dissidentes, notamment contre Édouard Bal-
ladur en Île-de-France et contre François Léotard en PACA, elle résiste bien au choc. Avec
36 % des suffrages, si l’on inclut les divers
droite, elle ne connaît qu’un recul limité
(– 2,6 % par rapport à 1992) et se stabilise
par rapport aux législatives de 1997. Mais
cette stabilisation est insuffisante pour éviter
de se faire devancer en sièges par la gauche
dans bon nombre de Régions, notamment
des Régions phares, comme celle d’Île-deFrance, détenue par la droite depuis sa
création.
Le Front national
Scrutin à la proportionnelle, sans véritable
enjeu national, ces élections permettent au
parti de Jean-Marie Le Pen de conforter ses
positions dans ses zones d’influence traditionnelles (est et sud-est de la France). Avec
15,3 % des suffrages, il progresse de 1,5 %
par rapport à 1992 et retrouve ses scores
de la présidentielle de 1995 et des législatives de 1997. En progression de 54 sièges
par rapport à la précédente consultation
(275 élus, contre 239), il améliore ses résultats en milieu ouvrier, notamment dans les
cantons ruraux, et recule dans les grandes
agglomérations et les couches moyennes de
la société. Plus que jamais, il est en position
d’arbitre.
Les petites listes
Si l’extrême gauche fait une percée spectaculaire, les écologistes autres que les Verts
sont les grands vaincus de ce scrutin (2,8 %
des suffrages), ainsi que les communistes
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orthodoxes. Quant au mouvement ChassePêche-Nature-Tradition (2,7 %), il confirme
son influence dans un électoral de droite,
populaire et rural.
23
États-Unis
Voyage de Bill Clinton en Afrique.
Le président américain entame un voyage de onze
jours sur le continent noir qui le conduit du Ghana
au Sénégal en passant par l’Ouganda, le Rwanda
et l’Afrique du Sud. Ce voyage, exceptionnel par sa
longueur, est présenté par Washington comme le
signal d’une « nouvelle renaissance africaine ». Il s’explique par plusieurs raisons : le recul de l’influence
française, le retour de la croissance économique
en Afrique et la volonté de M. Clinton de plaire à la
population noire américaine, très encline, ces dernières années, à revendiquer ses racines africaines.
Plusieurs observateurs estiment cependant que
Washington n’a rien de concret à proposer, si ce
n’est un relais des aides publiques, très faibles, par
le commerce privé, ce que M. Clinton résume par la
formule « Trade, not aid ». Après avoir officiellement
présenté les excuses de l’Amérique pour la période de l’esclavage et regretté l’inertie du monde
occidental en 1994 lors du génocide au Rwanda.
M. Clinton se fait admonester par Nelson Mandela,
le président sud- africain. Celui-ci reproche aux
Américains leur politique internationale autoritaire,
notamment en matière d’embargo, comme leur absence de politique africaine et réclame une démocratisation de l’Organisation des Nations unies afin
que soient mieux prises en compte les aspirations
des pays pauvres.
Russie
Limogeage du gouvernement.
Revenu au Kremlin après une semaine d’arrêt-maladie. Boris Eltsine* limoge son gouvernement,
dirigé depuis cinq ans par Viktor Tchernomyrdine*.
L’équipe gouvernementale reste en place pour assurer l’intérim, à l’exception du Premier ministre, du
ministre de l’Intérieur et du vice-Premier ministre,
Anatoli Tchoubaïs*. Le jeune ministre de l’Énergie,
un libéral proche de Boris Nemstov*, Sergueï Kirienko*, âgé de trente-cinq ans, est chargé de faire
des « propositions » pour la composition du nouveau gouvernement. M. Eltsine justifie sa décision
en déclarant que le gouvernement en place manquait de dynamisme, que « les gens ne sentent pas
d’amélioration » et que « le pays a besoin d’une nouvelle équipe », mais pas d’une nouvelle politique. Le
27, il confirme M. Kirienko dans son nouveau poste
et menace le Parlement de dissolution si celui-ci
refuse d’accorder sa confiance au nouveau chef
du gouvernement. Les observateurs s’interrogent
toutefois sur les véritables motivations du président russe : une poussée d’autoritarisme après une
nouvelle absence pour maladie, la volonté d’écarter
un éventuel concurrent qui lui faisait de l’ombre ou
bien celle de préparer Viktor Tchernomyrdine à sa
succession, prévue pour 2000 ? Quoi qu’il en soit,
le 28, ce dernier, qui ne cache pas son amertume,
annonce qu’il est candidat aux prochaines élections
présidentielles. (chrono. 25/03)
24
Cinéma
70e cérémonie des Oscars américains.
Titanic, de James Cameron*, est le grand vainqueur
de la cérémonie avec 11 titres, dont celui du meilleur film et du meilleur metteur en scène. Jack Nicholson* et Helen Hunt* reçoivent l’Oscar du meilleur acteur et de la meilleure actrice. La distinction
du meilleur film étranger va à la production hollandaise Character.
25
France
Remous à droite.
Alors que l’UDF continue d’être agitée par la poussée
des élus souhaitant accepter les votes du Front national, François Bayrou, président de Force démocrate,
souhaite créer un nouveau parti « du centre et du
centre droit » dans « l’espace que l’UDF occupait si mal ».
Son initiative, qui a reçu l’appui de Raymond Barre,
est aussitôt critiquée par François Léotard et Alain
Madelin. La veille, Jean-Pierre Soisson, élu avec les
voix FN, démissionnait de la présidence de la Région
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
79
Bourgogne. Le 27, il est imité par Bernard Harang,
président de la Région Centre.
26
France
Arrestation du tueur présumé dit de
« l’Est parisien ».
Guy Georges, un SDF de trente-cinq ans, est arrêté
à Paris, après avoir été identifié au moyen d’un test
ADN. Il est considéré comme le premier « serial killer » français, soupçonné du viol et du meurtre d’au
moins quatre jeunes femmes, plusieurs d’entre elles
dans les quartiers est de Paris, notamment autour
de la Bastille, où une véritable peur collective s’était
installée. La police estime être, grâce aux tests génétiques, certaine du résultat avec un risque d’erreur de
1 pour 1 milliard. Guy Georges avait déjà été arrêté
plusieurs fois et condamné à dix ans de prison pour
un viol dans un parking, à Nancy.
Serbie
Entrée au gouvernement des
ultranationalistes.
Le nouveau gouvernement dirigé par Marko Marjanovic, proche du président de la Fédération yougoslave Slobodan Milosevic, comporte 15 ministres
d’extrême droite sur un total de 35. En décembre
1997, le leader ultranationaliste Vojislav Seselj avait
talonné le candidat officiel à l’élection présidentielle
serbe, annulée une première fois, faute de participation suffisante. En prenant ses fonctions, le chef
du gouvernement déclare, faisant ainsi allusion au
Kosovo, province de Serbie peuplée majoritairement
d’Albanais, qu’il « combattra par tous les moyens légitimes toute tentative de séparatisme ».
29
Ukraine
Succès des communistes aux élections
législatives.
Les communistes et leurs alliés de gauche obtiennent
une majorité relative dans la nouvelle Assemblée. Ils
précèdent largement les nationalistes modérés du
Roukh. Avec 7 % des voix, les écologistes font une
entrée remarquée dans l’enceinte du Parlement.
Un an avant l’élection présidentielle, ces résultats
constituent un désaveu pour le chef de l’État Leonid
Koutchma.
30
Automobile
Rachat de Rolls-Royce par BMW.
La firme allemande rachète pour 3,4 milliards de
francs le prestigieux constructeur britannique, connu
dans le monde entier pour ses voitures de grand
luxe. Également candidate au rachat, l’entreprise
Volkswagen se déclare prête à surenchérir.
OPEP
Réduction de la production de pétrole.
Les onze pays membres de l’Organisation des pays
exportateurs de pétrole (OPEP) s’engagent à réduire
leur production de pétrole jusqu’à la fin de 1998 afin
d’enrayer l’effondrement spectaculaire des cours.
France
Mini-remaniement ministériel.
Le fabiusien Claude Bartolone est nommé ministre
délégué à la Ville, et la jospiniste Nicole Péry se voit
proposer le poste de secrétaire d’État à la Formation.
Tous deux travailleront sous l’autorité de Martine
Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité. Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la Communication, est déchargée de son poste de porteparole du gouvernement. C’est à Daniel Vaillant,
ministre des Relations avec le Parlement, que revient
la charge d’assurer le compte rendu du Conseil des
ministres.
Roumanie
Démission du gouvernement.
En butte depuis plusieurs mois à l’hostilité des sociaux-démocrates de l’ancien Premier ministre Petre
Roman – ces derniers avaient choisi de quitter le gouvernement en janvier –, le chrétien-démocrate Victor
Ciorbea est finalement contraint à la démission. Il
avait été lâché par ses alliés de la minorité magyare,
et le Fonds monétaire international avait publiquement exprimé sa défiance envers sa gestion de l’écodownloadModeText.vue.download 81 sur 417
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nomie roumaine. Il est donc remplacé, le 2 avril, par
Radu Vasile, chrétien-démocrate comme lui.
Union européenne
L’élargissement en question.
Ouverture des négociations d’adhésion entre l’Union
européenne et les six pays de la première vague
(Chypre, Estonie, Hongrie, Pologne, Slovénie, République tchèque). La présence de Chypre est une
concession faite à la Grèce, qui a déclenché la colère
de la Turquie, pays non retenu dans ce premier élargissement. La Lituanie et la Lettonie regrettent également de ne pas avoir été retenues.
31
Arménie
Élection de Robert Kotcharian.
Premier ministre sortant, M. Kotcharian est arrivé en
tête du second tour avec 60 % des voix. Il défend
une position dure sur la question du Haut-Karabakh,
cette région disputée à l’Azerbaïdjan. En matière
d’économie, R. Kotcharian passe pour un partisan
d’une politique libérale. Il remplace donc le président
sortant, Levon Ter-Petrossian, poussé à la démission
par l’opposition mais aussi par certains de ses amis
politiques pour avoir conduit une politique jugée
trop conciliante sur la question du Haut-Karabakh. En
effet, le « père de l’indépendance » s’était rallié aux
propositions du groupe de Minsk, une émanation
de l’Organisation pour la coopération et la sécurité
en Europe (OCSE) préconisant une solution de retrait
graduel du Haut-Karabakh. Avec l’élection de M. Kotcharian, l’Arménie tourne une page importante de
son histoire de l’après-communisme.
Serbie
Embargo de l’ONU.
Alors que les combats font rage au Kosovo, où l’armée de libération cède du terrain face aux troupes
de Belgrade, l’Organisation des Nations unies se prononce en faveur de la mise en place d’un embargo
sur les armes à l’égard de la Serbie. La résolution 1160
du Conseil de sécurité de l’ONU n’aura que peu d’effets sur la carte militaire au Kosovo. Le président de
la Fédération yougoslave (Serbie et Monténégro) Slobodan Milosevic a déjà expérimenté les résolutions
onusiennes en Bosnie.
Asie du Sud-Est : une crise
monétaire, financière et
économique sans fin
Le 2 juillet 1997, la dévaluation de la monnaie
thaïlandaise, le baht, faisait éclater dans quelques
pays de l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Philippines,
Malaisie, Indonésie et Corée) une crise non
seulement monétaire, mais aussi financière et
économique. Sur le moment, elle surprit par son
imprévisibilité et sa soudaineté. Plus d’un an
après, la crise apparaît loin d’être résorbée, tant
les économies de la zone sont déstabilisées ; en
outre, elle s’est étendue au Japon et à la Chine.
Quant aux pays européens et aux États-Unis, ils
semblent en avoir limité les conséquences.
Pendant les dernières décennies, l’Asie du SudEst était citée comme un modèle de réussite
en raison de rythmes de croissance du produit
national annuel supérieurs à ceux des économies développées. À cet égard, la Banque mondiale n’avait pas hésite à intituler son rapport de
l’année 1992 « Le miracle de l’Asie du Sud-Est :
croissance économique et politique publique »
et à qualifier les pays de la zone « hautement
performants ».
La Thaïlande, une réussite
exemplaire
Grâce aux atouts dont elle disposait (maind’oeuvre abondante, épargne domestique élevée, faible inflation, etc.), la Thaïlande a été classée en tête avec ses records établis entre 1985 et
1995 : croissance très forte (9,8 % par an) grâce
à un taux d’investissement très élevé (39,3 % du
produit intérieur brut). Comme pour les autres
pays de la zone, la réussite procède d’un cercle
vertueux : elle repose en effet sur le développement exceptionnel des exportations de produits
manufacturés (électroniques pour l’essentiel).
Avec un commerce extérieur excédentaire,
les capitaux affluaient en quantités telles que
l’expansion ultérieure des industries exportatrices s’en trouvait bien entretenue ; récupérant
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
81
rapidement leur mise initiale de fonds, elles
réinvestissaient ces capitaux dans des activités
estimées rentables de suite, sans se soucier des
risques qui pouvaient éventuellement survenir
dans un avenir plus ou moins proche. Banques
et entreprises ne voyaient pas pourquoi l’expansion s’arrêterait.
Sous l’apparence d’une réussite brillante, l’économie thaïlandaise, comme celle des autres pays
de la région, n’en cachait pas moins une fragilité génératrice de risques qui allait les mettre
en difficulté. L’origine de cette fragilité doit être
attribuée à trois sortes d’excès, liés entre eux, à
savoir le surinvestissement, la surcapacité et le
surendettement des entreprises. En premier lieu,
depuis le début des années 90, le taux d’investissement en Thaïlande n’a cessé d’augmenter
pour atteindre, à la fin de 1995, un chiffre de
l’ordre de 40 % par an. Compte tenu de ce chiffre
inégalé dans le monde, les capacités de production ont progressé à leur tour à un taux proche
de 10 % par an, ce qui signifie par ailleurs que
des entreprises sont placées en situation de surcapacité. Quant au surendettement, il résulte
d’un développement incontrôlé et excessif du
crédit aux entreprises. Entre la libéralisation
internationale des mouvements de capitaux
et un régime de fixité des taux de change des
monnaies des pays de la région par rapport au
dollar, les entreprises locales préféraient financer leurs investissements par des emprunts en
dollars en raison d’un risque de change nul et
de taux d’intérêt extérieurs inférieurs à ceux du
marché bancaire local. Avec un accès aussi facile
au marché international des capitaux, les firmes
ont choisi d’investir dans des secteurs d’activité
(comme par exemple l’immobilier) où pouvaient
être escomptées des rentrées immédiates et
importantes de recettes, ce qui permettait de
récupérer rapidement et totalement la mise initiale de fonds : l’éventualité de pertes étant ainsi
écartée, ces firmes ne se préoccupaient pas trop
des risques inhérents à ce type d’opérations. Ce
recours systématique au crédit a entraîné une
très forte progression de l’endettement intérieur, l’accumulation chez les entreprises et les
banques d’une dette extérieure à court terme
excessive et dangereuse pour l’économie (de
82 milliards de dollars à la fin de 1993 à 152 milliards à la fin de 1996 pour les 5 pays) et enfin
un gonflement explosif des actifs immobiliers
et boursiers (la capitalisation boursière est passée, de 1991 à 1996, de 113 % à 315 % du PIB en
Malaisie).
Les dégringolades monétaires
Le 2 juillet 1997, la dévaluation de la monnaie
thaïlandaise (le baht) devait révéler brutalement
la gravité d’une crise latente depuis 1996. Depuis lors, le ralentissement de l’activité mondiale
et la remontée du dollar ont entraîné la baisse
des recettes d’exportation. Privées ainsi de
moyens financiers, les entreprises vont emprunter en monnaies étrangères ce dont elles avaient
besoin pour leur expansion, sans se préoccuper
de leur capacité à rembourser, normalement et
durablement, les sommes empruntées. Il en est
résulté un endettement extérieur croissant. Ce
développement incontrôlé du crédit a favorisé
en outre la spéculation immobilière à hauteur de
100 milliards de francs : les entreprises immobilières construisent bureaux et logements en pensant qu’ils trouveront facilement des preneurs.
À partir du début de 1997, avec la fuite extérieure des capitaux et les réactions des grandes
places financières internationales anticipant
une baisse du baht, les autorités monétaires
sont intervenues massivement pour défendre la
monnaie et empêcher les sorties de capitaux ; à
cet effet, elles ont relevé les taux d’intérêt intérieurs, ce qui a mis en difficulté les entreprises.
Ne pouvant plus emprunter, celles-ci ont réduit
leurs activités, parfois presque totalement. Pour
redresser la situation, les autorités monétaires
sont obligées de dévaluer, le 2 juillet 1997.
Ce n’est pas pour autant que l’économie se
trouve sur la voie de la relance. Bien au contraire,
les réserves de devises s’épuisent, les monnaies ne peuvent plus être défendues face aux
sorties de capitaux, les taux de change mis en
flottement se déprécient fortement. Du côté des
entreprises, entre la réduction des recettes d’exportation et l’impossibilité d’emprunter à cause
de l’augmentation des taux d’intérêt, il faut freiner, sinon arrêter l’activité : il est alors impossible
d’importer le matériel nécessaire à la production, de payer les fournisseurs et de verser des
salaires à la main-d’oeuvre. Avec des faillites en
chaîne et l’éclatement des « bulles financières et
immobilières », les prix baissent, ce qui empêche
à nouveau la reprise. Plus d’un an après, l’économie est toujours installée dans la dépression et il
semble que la sortie de crise interviendra beaucoup plus tard, probablement dans un délai de
quelques années.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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La contagion
L’intégration croissante du commerce intra-zone
depuis la fin des années 80 va amplifier le caractère contagieux de la crise. Les monnaies de
la zone autres que le baht vont être dévaluées
dans des proportions considérables (de 30 à
40 %). La croissance de l’ensemble de la zone
se trouve très ralentie, voire nulle, d’autant que
les investisseurs étrangers n’ont pas retrouvé la
confiance. Par ailleurs, l’archipel nippon a subi
le contrecoup de cette crise à un point tel qu’il
est frappé à son tour d’une profonde dépression,
et pour en sortir, le pays s’est engagé dans une
politique de réformes qui, à l’usage, se révèle
particulièrement difficile à mettre en oeuvre.
GILBERT RULLIÈRE
Le FMI et la crise asiatique
La crise financière qui a atteint l’Asie du
Sud-Est depuis juillet 1997 a fait connaître
le Fonds monétaire international à travers
un engagement financier sans précédent : le
FMI a prêté à la Thaïlande, à la Corée et à
l’Indonésie environ 210 milliards de francs,
et ses ressources propres en sont pratiquement épuisées. Cependant, il lui est reproché de ne pas avoir recommandé aux autorités de ces pays d’empêcher l’accumulation
massive par les banques et les agents privés
d’une dette de plus en plus courte mettant en
péril leur économie tout entière. En un mot,
le FMI est accusé d’avoir favorisé systématiquement la promotion d’une économie libéralisée au maximum, ouverte sur l’extérieur
et avec une intervention de l’État réduite au
minimum.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
83
AVRIL
1
États-Unis
Victoire judiciaire pour Bill Clinton.
Le juge fédéral chargé de l’affaire, une républicaine
notoire, adversaire de longue date du président
américain, décide de classer l’affaire Paula Jones,
du nom de cette employée de bureau de l’Arkansas
qui accusait M. Clinton de lui avoir fait des avances
en 1991. La magistrate estime qu’il « n’existe pas de
motifs authentiques pour un procès ».
2
France
Condamnation de Maurice Papon.
À l’issue de six mois de procès, l’ancien secrétaire
général de la préfecture de la Gironde durant la Seconde Guerre mondiale est condamné à dix ans de
prison et à la privation de ses droits civiques, civils et
familiaux pour la même période. Le jury de la cour
d’assises de Bordeaux l’a reconnu coupable de complicité dans les arrestations de juifs de l’été 1942 et
de janvier 1944. En revanche, la cour n’a pas retenu
la complicité d’assassinat, estimant que M. Papon n’a
fait que porter son concours à une politique d’extermination décidée par d’autres. En outre, celui-ci est
condamné à 4,6 millions de francs au civil, pour les
dommages et intérêts et pour les frais de procédure.
Il avait cependant organisé son insolvabilité en redistribuant tous ses biens à ses enfants. Ayant aussitôt
formé un pourvoi en cassation, M. Papon, qui est âgé
de quatre-vingt-sept ans, demeure libre. L’opinion, et
particulièrement la communauté juive, s’estime, dans
l’ensemble, satisfaite de ce verdict, qui semble faire
la part des choses et qui clôt le plus long procès de
l’après-guerre.
France
Jean-Marie Le Pen inéligible
pour deux ans.
Le président du Front national est condamné à trois
mois de prison avec sursis, 23 000 francs d’amende et
deux ans d’inéligibilité pour avoir agressé physiquement, le 30 mai 1997, la mairesse PS de Mantes-laVille. Le tribunal correctionnel de Versailles a estimé
que le comportement « provocateur et agressif » de
M. Le Pen est « manifestement indigne d’un homme
politique ».
Papon : un procès fleuve
Le procès du premier haut fonctionnaire de Vichy
a être inculpé pour « complicité de crime contre
l’humanité » s’est achevé le 2 avril 1998. Maurice
Papon, quatre-vingt-sept ans, ancien secrétaire
général de la préfecture de la Gironde, a été
condamné à dix ans de réclusion criminelle. La
cour n’a pas retenu la complicité d’assassinat.
Six mois, c’est le temps qu’il aura fallu à la cour
d’assises de Bordeaux pour mener à son terme
le procès de Maurice Papon. Une durée quatre
fois supérieure à celles des procès Barbie en
1987 et Touvier en 1994. Au deuxième jour, la
cour a d’ailleurs ordonné la mise en liberté sous
contrôle judiciaire de l’accusé. Raison invoquée :
« l’importance de la durée prévisible du procès ».
Sage précaution, car deux mois passeront avant
que le premier fait constitutif de l’accusation soit
abordé. Quatre mois seront ensuite nécessaires
pour que soient évoqués les convois qui, de juillet 1942 à mai 1944, partiront de Bordeaux pour
l’enfer d’Auschwitz, via Mérignac et Drancy.
Au total, donc, six mois de quasi-enlisement
au cours desquels alterneront d’interminables
auditions de témoins ; les exposés fleuves d’historiens de la France de Vichy ; le long et patient
travail d’élucidation du président Jean-Louis
Castagnède ; les dizaines de questions à l’accusé, trop souvent redondantes, des 22 avocats
des parties civiles ; les doctes et froides réponses
de ce dernier, sujet à d’importuns « malaises
bronchiques » ; les témoignages, ô combien
poignants, des survivants des convois. Sans
oublier l’invraisemblable succession de « coups
de théâtre », telle la découverte, fin janvier, par
Me Arno Klarsfeld, un avocat des parties civiles,
d’une parenté entre Jean-Louis Castagnède et
trois personnes déportées dans le convoi de
décembre 1943 – le dernier événement inopiné
ayant été le décès, sept jours avant le verdict de
l’épouse de l’accusé.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
84
Mais un quasi-enlisement n’est pas tout à fait un
enlisement. Le procès a cheminé à tout petits
pas, s’égarant souvent dans le sable mouvant
de fastidieuses audiences, mais il cheminait
toujours. Avec, au bout, le verdict tant attendu.
Quelle aide exacte Maurice Papon a-t-il apportée
aux autorités allemandes ? Si complicité il y eut,
Maurice Papon était-il au courant de la « solution finale » ? – un élément capital qui fonderait
la complicité d’assassinat. C’est à ces questions
que les jurés ont enfin répondu, le 2 avril 1998 au
matin. Après dix-neuf heures de délibéré.
Mai 1942
Maurice Papon fait son entrée à la préfecture de
Bordeaux. Le jeune homme – il n’a que trentedeux ans – hérite d’une dizaine de services, dont
le « bureau des questions juives ». Depuis le 3 octobre 1940, date d’entrée en vigueur en France
d’une législation antisémite adoptée sans aucun
diktat allemand, c’est cette administration qui
est chargée d’inventorier les biens « aryanisés »,
c’est-à-dire confisqués, des Israélites. À Bordeaux,
une employée de préfecture est affectée à temps
complet à la mise à jour du « fichier des Juifs ».
Il servira de base d’information pour les rafles à
venir. En 1942, quatre vagues d’arrestations ont
lieu, ordonnées par les Allemands, exécutées par
les policiers français. Des centaines de personnes
sont embarquées dans les convois pour Drancy.
Lors du procès, on exhibera l’ordre, signé de la
main de Maurice Papon et daté du 28 août, « de
requérir le nombre de gendarmes nécessaire
pour escorter le convoi israélite ». Pourquoi ce
document ? « Pour régulariser une imputation de
dépense », répondra l’ancien haut fonctionnaire.
D’autres déportations suivront, mais, dès 1943, la
préfecture n’est plus avertie des rafles qui se succèdent jusqu’en mai 1944. Du moins, il n’existe aucune preuve de sa participation. En janvier 1944,
la préfecture réagit enfin : elle proteste auprès des
Allemands et rédige un compte rendu détaillé
d’une opération de convoyage. À qui est destiné
le document ? « À l’histoire », répond Maurice
Papon. Il est vrai que l’on parle déjà du débarquement... À la Libération, Maurice Papon n’est
pas inquiété. Mieux : une longue carrière de haut
fonctionnaire, effectuée sous l’aile protectrice des
gaullistes, l’attend.
C’est donc un ancien ministre qui, en ce matin
du jeudi 2 avril 1998, porte la main en cornet sur
l’oreille pour entendre le verdict de la cour. À sa
gauche, les avocats des parties civiles, parmi lesquels Arno Klarsfeld, Gérard Boulanger, Michel
Zaoui et Alain Lévy. Ce dernier a dressé il y a
quelques jours un véritable réquisitoire contre
l’accusé. Au centre de sa démonstration : le fichier
des juifs, « sans lequel les rafles ne pouvaient
avoir lieu ». Face à Maurice Papon trônent l’avocat général Marc Robert et le procureur général
Henri Desclaux. Retenant la complicité d’assassinat, les représentants du ministère public ont
requis vingt ans de réclusion criminelle. Nous
sommes loin des plaidoiries des avocats de la
défense. Celle de Me Jean-Marc Varaut, étalée sur
trois jours, campera un Maurice Papon « responsable sans être coupable », un simple exécutant
qui « subissait sa fonction ». Aux premiers jours du
procès, l’avocat essayait d’accréditer l’idée que s’il
était resté à son poste, c’était pour « saboter » les
ordres allemands.
La cour s’avance
La foule des parties civiles, dont Michel Slitinski
et Maurice-David Matisson, les deux hommes
qui ont initié la procédure il y a dix-sept ans,
retient son souffle. La lecture des 768 questions
aux jurés commence. L’accusé est déclaré coupable pour toutes les arrestations et séquestrations de juillet, août et octobre 1942. En retrait
par rapport à l’acte d’accusation, la cour ne re-
tiendra pas celles de septembre 1942, novembre
et décembre 1943 et mai 1944. Si ces actes
constituent bien un « crime contre l’humanité »,
la « complicité d’assassinat » n’est, en revanche,
pas retenue par les jurés. La cour condamne
Maurice Papon à la peine de dix ans de réclusion
criminelle et à la privation des droits civiques
pour complicité de crime contre l’humanité. Une
demi-heure après la sentence, Maurice Papon
quitte le tribunal. Il restera en liberté jusqu’à la
décision de la Cour de cassation sur le verdict.
JEAN-FRANÇOIS PAILLARD
Les réactions au verdict
Maître Gérard Boulanger : « On a oublié la
complicité d’assassinat. Notre message n’est
pas passé. »
Maître Michel Zaoui : « Le jugement est sévère pour l’arrestation et la séquestration, ce
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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qui est une manière de compenser l’abandon de l’accusation d’assassinat. »
Maurice-David Matisson : « Dix ans, c’est la
peine qui me convient [...]. Elle restitue aux
juifs leur place dans la nation. »
Michel Slitinski : « Tant que Papon n’est pas
incarcéré nous ne baisserons pas les bras. »
Maître Jean-Marc Varaut : « C’est vous,
la presse, la télévision, les responsables
de cette condamnation. Vous en êtes les
complices ! »
Robert Badinter : « Ce procès est une victoire
pour la justice française. »
3
Irak
Mise en application de l’accord de paix.
Les experts internationaux de la mission de l’ONU
achèvent sans avoir rencontré d’obstacle particulier la
visite des huit « sites présidentiels » qu’ils soupçonnaient
receler des armements prohibés par les conventions internationales. C’est à la suite du refus de Bagdad d’autoriser ces visites que s’était déclenchée une nouvelle crise
au début de l’année. (chrono. 27/04)
4
Rugby
Deuxième grand chelem consécutif
pour le XV de France.
En écrasant par 50 à 0 le pays de Galles, les rugbymen français remportent leur sixième grand chelem
dans le Tournoi des cinq nations, après 1968, 1977,
1981,1987 et 1997. C’est également une victoire pour
la méthode d’entraînement mise au point par JeanClaude Skrela et Pierre Villepreux, qui est largement
inspirée de celle en vigueur dans les équipes de
l’hémisphère Sud.
5
Iran
Arrestation du maire de Téhéran.
Golamhussein Karbastchi, quarante-cinq ans et
maire de la capitale depuis 1989, est inculpé pour
« escroquerie et mauvaise gestion » et incarcéré.
L’incarcération de ce proche du président Mohamad
Khatami est considérée comme un nouvel et grave
épisode de l’affrontement opposant la ligne libérale
du chef de l’État et la ligne conservatrice du clergé
intégriste et du guide de la révolution, l’ayatollah Ali
Khamenei. Le 14, une manifestation en faveur du
maire incarcéré a lieu dans les aies de Téhéran, tandis
que le ministre de l’Intérieur, Abdollah Nouri, est violemment critiqué par les conservateurs. Le 15, M. Karbastchi est libéré, alors même que la cour d’appel de
Téhéran avait rejeté sa demande de mise en liberté.
Le rapport de force l’a emporté sur le processus judiciaire, largement contrôlé par les conservateurs.
6
Finance
Fusion de Travelers et Citicorp.
L’assureur et la banque commerciale s’associent pour
donner naissance au plus grand groupe financier de
la planète. Le nouveau groupe, qui prend pour nom
Citigroup, représentera un chiffre d’affaires de plus de
500 milliards de francs ; il gérera les comptes de plus
de 100 millions de clients et, avec 60 000 salariés, il
sera classé au 11e rang des entreprises mondiales.
France
Remous à la mairie de Paris.
Jacques Toubon, ancien garde des Sceaux, proche
de Jacques Chirac, maire RPR du XIIIe arrondisse-
ment, annonce qu’il crée au sein de la majorité municipale un groupe dissident d’une trentaine d’élus
RPR et UDF, parmi lesquels Bernard Pons et Claude
Goasguen. Visé par ce qu’il considère comme une
tentative de « putsch » à son endroit, le maire, Jean
Tiberi, réplique aussitôt en retirant leurs délégations
aux adjoints qui ont suivi M. Toubon ; il affirme qu’il
entend rester en place jusqu’au bout de son mandat
et qu’il bénéficie du soutien du président de le République, dont il fut le premier adjoint dans la capitale
pendant de longues années. Le 8, Jacques Dominati,
premier adjoint de M. Tiberi et chef de file de l’UDF
à Paris, déclare qu’il ne peut que constater « l’échec
de l’actuelle équipe en place et évoque la personnalité d’Édouard Balladur comme susceptible d’apporter une solution à la crise. Celle-ci couvait depuis
plusieurs mois, après les reculs répétés de la droite
parisienne aux différents scrutins depuis 1995 et à la
suite des diverses affaires où le nom de M. Tiberi avait
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été prononcé (affectation contestée d’appartements
HLM aux enfants du maire, faux rapport rémunéré
200 000 francs à l’épouse du maire, inscription d’électeurs fantômes dans la circonscription de ce dernier,
gestion controversée de l’office d’HLM de Paris).
Japon
L’OCDE inquiète de l’état de l’économie
nipponne.
Dans son rapport de conjoncture semestriel, l’Organisation de coopération et de développement économique estime que « l’économie japonaise est au
bord de la récession ». La situation a été rendue plus
aiguë par la crise asiatique, mais aussi, selon l’organisme du palais de la Muette, par la mauvaise situation du secteur financier japonais depuis les krachs
immobiliers et boursiers du début des années 90.
L’OCDE estime que le gouvernement japonais est
trop timide dans son effort de réforme économique et prône une relance par la consommation
nettement plus affirmée. Le 9, le gouvernement de
Ryutaro Hashimoto annonce un nouveau plan de
relance comportant de fortes baisses d’impôt afin de
relancer la consommation.
Théâtre
Michel Bouquet meilleur comédien de
l’année.
Présidée par Dario Fo, prix Nobel de littérature 1997,
la 12e cérémonie des Molières a consacré, outre
Michel Bouquet pour son rôle dans les Côtelettes de
Bertrand Blier, Dominique Blanc comme meilleure
comédienne ; les Fourberies de Scapin par la Comédie-Française comme meilleure pièce du répertoire
et André le magnifique, création collective, comme
meilleure pièce de création.
L’ère des mégafusions
La devise « big is beautiful » est devenue au cours
de l’année 1998 la référence « historique » en
matière de concentration ou de restructuration
des très grandes entreprises : sous toutes les
latitudes ont été annoncées des « mégafusions »,
ou fusions intervenant entre des groupes de
très grandes dimensions centrés sur le même
métier, par exemple l’automobile, les télécommunications, la pharmacie, les finances, et plus
récemment le pétrole, etc. Quand les fusions
réussissent, elles débouchent sur la création
d’ensembles géants, souvent d’envergure
mondiale.
Depuis 1996, les alliances entre les plus
grandes entreprises se sont fortement multipliées : ainsi, aux États-Unis, le montant des fusions-acquisitions a égalé au 1er trimestre 1998
un chiffre record de 5 600 milliards de francs, soit
presque autant que la totalité des transactions
en 1997. Ces formes inédites de concentration
que sont les « mégafusions » se distinguent des
rachats antérieurs à 1996 par l’importance des
sommes mises en jeu (par exemple, les échanges
d’actions de plusieurs dizaines de milliards de
dollars), par les rapprochements entre groupes
de taille à peu près équivalente et exerçant le
même métier et enfin par la naissance d’une
entité géante souvent d’envergure mondiale.
Des noces de papier
La multiplication, depuis 1996, des alliances
entre les grands groupes résulte tout à la fois de
la réaction des dirigeants face à l’aggravation de
la concurrence internationale (la mondialisation
des échanges et l’ouverture des marchés), de la
montée en puissance des actionnaires (surtout
institutionnels, comme les « fonds de pension »)
et, enfin, de l’embellie boursière (relèvement
des cours de l’ordre de 4 fois depuis 1990). Au
départ, dirigeants et actionnaires se montrent
favorables parce qu’ils attendent de la fusion de
substantiels avantages : amélioration de la rentabilité due à la compression des coûts et des
prix (grâce à de fortes économies d’échelle, à la
mise en oeuvre de synergies, à une meilleure utilisation des ressources financières et, éventuelle-
ment, des effectifs de main-d’oeuvre) et, par voie
de conséquence, à une revalorisation des cours
des titres boursiers (ce qui plaît beaucoup aux
actionnaires).
Le temps révolu des OPA
Dans les années 1980 et jusqu’en 1996, les
grands groupes de taille égale ne cherchaient
pas tellement à s’allier entre eux, mais plutôt à
acquérir séparément un concurrent plus petit
soit par une attaque surprise (c’est-à-dire une
offre publique d’achat), soit en négociant son
rachat en Bourse, en partie ou en totalité. La
préférence pour l’une ou l’autre de ces solutions
provenait du coût relativement peu élevé de ces
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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opérations du fait que les actions étaient cotées
au plus bas. Sans abandonner complètement
ces opérations devenues onéreuses en raison
du relèvement des cours boursiers, les étatsmajors des grands groupes ont découvert que
les fusions pouvaient être facilement financées
sans débourser beaucoup d’argent : il suffisait
de négocier, souvent dans le secret, un échange
d’actions, ou mariage de papier. Avec une telle
facilité de financement, les grands groupes
prirent très vite conscience que leurs problèmes
de croissance externes pouvaient être résolus
avec un minimum de frais. Ainsi, les banques,
l’automobile, la pharmacie, les télécommunications et même le pétrole ne vont pas hésiter à se
lancer dans une course au gigantisme.
La course au gigantisme des
banques américaines
Au début d’avril 1998 a été annoncé le rapprochement de la légendaire Citicorp avec le dynamique groupe de services financiers Travelers, la
fusion de Nations Bank et de Bank of America,
les troisième et cinquième banques du pays, et
celle de BancOne et First Chicago, les huitième
et neuvième.
Ces opérations donnent naissance à des groupes
géants : Citigroup et la nouvelle Bank of America
dépassent 550 milliards de francs de capitalisation boursière et emploient plus de 150 000 personnes. Pour les banquiers, ces fusions vont
contribuer à faire progresser les profits bancaires et, en plus, accroître la productivité de
toute l’économie américaine. Plus précisément,
avec Citigroup est créé le premier « supermarché » mondial des services financiers né de la
convergence de l’activité bancaire et de l’activité
sur titres ; avec Bank of America, il s’agit de la
première banque commerciale réellement nationale, « coast to coast ». Cette fusion correspond
pour Citigroup à la première tentative pour
mettre en place aux États-Unis ce que les présidents respectifs des deux banques appellent
« le modèle de la société financière de l’avenir »,
en mesure de fournir des services bancaires,
des cartes de paiement du crédit à la consommation, des produits d’assurance et de retraite,
d’exécuter des opérations boursières, mais aussi
d’offrir toute une panoplie d’activités de banque
classique et de banque d’affaires aux entreprises
et aux investisseurs institutionnels à travers le
monde entier. Sans le vouloir, elle retrouve le
modèle de banque universelle sur lequel ont été
fondées les banques européennes.
À travers cette fusion, les banques américaines attendent une réduction de leur coût de
fonctionnement, en réalisant des économies
d’échelle et une rationalisation de leur activité : ainsi, elles entendent se séparer d’activités
jugées de peu d’avenir ou d’un intérêt marginal
afin de consacrer leur capital disponible dans
des métiers pour lesquels elles ont acquis un savoir-faire expérimenté, ce qui devrait donner par
ailleurs toute satisfaction à leurs actionnaires.
Pour y parvenir, elles s’appuieront sur des outils
de gestion (notamment informatiques) de plus
en plus performants en se dotant d’ordinateurs
et de systèmes d’informations superpuissants
et très coûteux, qu’elles seules pourront s’offrir.
Elles pourront ainsi suivre tous les avoirs et les
besoins des particuliers et des entreprises, proposant aux uns et aux autres des services adaptés puisés dans une large gamme.
L’ouverture à la concurrence : les
télécommunications
C’est une sorte de mouvement perpétuel qui
s’est emparé de ce secteur avec un nombre
inégalé de records : en l’espace de deux ans, il
a été compté une douzaine de regroupements,
comme celui entre l’américain AT & T et BC (British Communications), acquisitions en série par
le même AT & T, mariages entre compagnies
(GTE et Bell Atlantic), etc.
C’est le « Telecom Act » adopté aux États-Unis au
début de 1996 qui a mis fin au monopole et a ainsi ouvert à la concurrence des marchés jusque-là
compartimentés : téléphone local, interurbain,
liaisons internationales. Plus précisément, avec
cette déréglementation du téléphone longue
distance (communications nationales et internationales), des firmes comme AT & T ont été
autorisées à proposer des services locaux. Inversement, mais a la condition que leurs marchés
aient été au préalable ouverts à la concurrence,
les compagnies régionales peuvent offrir des
services longue distance. Ce décloisonnement
des marchés a favorisé un certain nombre de
rapprochements. Par exemple la fusion MCIWorld Com (à travers un échange d’actions d’un
montant de 37 milliards de dollars) a abouti à
créer un groupe capable d’offrir à la fois du téléphone longue distance, du téléphone local et
des services Internet.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
88
De même, le rachat par SBC Communications,
par échange d’actions pour plus de 60 milliards
de dollars, de son compatriote Ameritech a
donné naissance au premier opérateur de téléphone local aux États-Unis. À l’issue d’une série
de fusions, il ne resterait plus que quatre des
sept compagnies régionales issues du démantèlement du monopole d’AT & T en 1984.
La recherche de la taille critique : la
fusion Daimler-Benz et Chrysler
La firme allemande Daimler-Benz et l’américaine Chrysler ont annoncé le 7 mai 1998 une
fusion transfrontalière pour former le cinquième
constructeur automobile mondial (derrière
General Motors, Ford, Toyota et Volkswagen)
en nombre d’automobiles vendues. Une action
Daimler donnera droit à une action du nouvel
ensemble Daimler-Chrysler et une action Chrysler à 0,547 action Daimler-Chrysler. Ce mariage,
évalué à 166 milliards de marks (556 milliards
de francs), représente, selon Daimler, « la plus
importante fusion de toute l’histoire ». Dans un
contexte très concurrentiel – notamment en
Europe où les surcapacités productives sont évaluées à environ un tiers –, il en est attendu un
accroissement des profits résultant de celui des
ventes, tant sur les marchés internationaux que
sur les marchés traditionnels.
GILBERT RULLIÈRE
BP-Amoco, Shell-Texaco
La montée en puissance des actionnaires,
comme dans d’autres secteurs d’activité et,
surtout, la chute des cours pétrole, tombés
au plus bas en août 1998, ont amené les
multinationales à se rapprocher. Ainsi, la
compagnie britannique BP et l’américaine
Amoco annonçaient leur fusion le 11 août
1998. L’opération a été payée par échange
d’actions. Les deux firmes ont ainsi constitué
la troisième compagnie mondiale pétrolière
après Shell et Axon. De leur côté, Shell et
Texaco ont regroupé le 3 septembre 1998
leurs activités raffinage-distribution en Europe. Dans un cas comme dans l’autre, elles
attendent de ces fusions un accroissement
des ventes à la suite de la réduction des
coûts (à travers des économies d’échelle),
ce oui doit améliorer la rémunération des
actionnaires et la valeur du service rendu
aux clients dans un marché extrêmement
concurrentiel.
7
France
Mort d’Yves Mourousi.
Le journaliste meurt d’une crise cardiaque à l’âge
de cinquante-cinq ans. Il s’était fait connaître dans
les années 70 comme présentateur du journal de
13 heures sur TF1. Doué d’un aplomb incomparable,
mondain et noctambule, il n’hésitait pas à faire de
l’information un spectacle, dont il était le monsieur
Loyal, entouré de toutes les célébrités du moment. Il
fut l’un des premiers à présenter le journal en dehors
du studio, sur les lieux mêmes de l’événement. Sa
popularité atteignit son sommet en 1985 quand il
n’hésita pas à interroger d’une façon familière et décontractée le président de la République lui-même,
François Mitterrand. Évincé de TF1 en 1988 pour
cause d’Audimat insuffisant, il avait alors occupé différents postes dans la presse et à la radio avant d’être
chargé d’organiser les festivités du nouveau millénaire pour la Ville de Paris.
8
États-Unis
Rébellion des cigarettiers.
Les grandes compagnies de tabac déclarent caduc
l’accord passé en 1997 au terme duquel elles s’engageaient à verser 368 milliards de dollars pour l’indemnisation des victimes du tabac en échange de l’abandon par celles-ci de toute poursuite à leur encontre.
Les cigarettiers protestent ainsi contre un projet de
loi remettant en cause leur immunité.
France
Adoption de la loi sur les étrangers.
Le projet de loi sur l’entrée et le séjour des étrangers
présenté par le ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre
Chevènement, est adopté avec les seules voix du
PS, les communistes s’étant abstenus et 5 Verts sur
6 ayant voté contre. Même s’ils reconnaissent un
certain nombre d’assouplissements par rapport aux
lois Pasqua-Debré (notamment en matière de droit
d’asile, de mariages mixtes, de droits sociaux et de
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
89
titres de séjour), les opposants de gauche au texte
de M. Chevènement lui reprochent de donner un
pouvoir exorbitant aux préfets et de condamner à
l’expulsion les clandestins, notamment célibataires,
qui, de bonne foi, se sont fait connaître des autorités
mais qui, en fin de compte, n’ont pas correspondu
aux critères posés pour obtenir un titre de séjour.
France
Transfert de la souveraineté monétaire
à l’Europe.
À l’Assemblée nationale, une majorité de députés
composée de la plupart des socialistes, de l’UDF et
d’une partie du RPR adopte le changement du statut
de la Banque de France. À partir de 1999, alors que
l’euro se mettra en place, une importante partie des
compétences de celle-ci passera à la Banque centrale européenne (BCE).
9
Arabie saoudite
Bousculade mortelle au pèlerinage de
La Mecque.
118 pèlerins, en majorité asiatiques, trouvent la mort
dans une bousculade lors de la cérémonie de la lapidation des stèles symbolisant Satan. Quatre ans plus
tôt. 270 personnes avaient trouvé la mort au même
endroit. Plus de 1 400 fidèles avaient péri étouffés en
1990 et 343 brûlés dans un incendie de tentes en
1997.
Russie
Manifestations pour le paiement des
salaires.
Près de 14 millions de personnes défilent à travers le
pays pour réclamer le paiement de leurs salaires, souvent impayés depuis plusieurs mois. Le gouvernement s’était pourtant engagé, courant 1997, à régler
ce problème dans les plus brefs délais.
10
Grande-Bretagne
Accord de paix en Ulster.
En présence des Premiers ministres britannique et
irlandais, Tony Blair et Bertie Ahern, du médiateur
américain, George Mitchell, et de la ministre chargée
des problèmes irlandais, Mo Mowlam, les représentants des communautés catholique et protestante
d’Ulster signent un accord de paix historique, mettant théoriquement fin à une guerre civile de près
de trente ans et qui aura causé la mort de plus de
3 200 personnes. Ce texte stipule que le maintien
de l’Ulster dans le Royaume-Uni sera déterminé en
fonction du souhait de « la majorité de la population » (les protestants, favorables au maintien dans
le Royaume-Uni, représentent actuellement 60 %
des 1,5 million d’habitants, mais la natalité des catholiques est plus forte). Londres et Dublin s’engagent
à modifier leurs Constitutions pour ne plus considérer l’Ulster comme faisant ou devant faire partie
d’une façon inéluctable de leur territoire. Des institutions spéciales sont prévues : une assemblée locale
(fonctionnant à la majorité des protestants et des
catholiques) pour gérer les relations avec Londres,
un conseil Nord-Sud pour organiser les rapports avec
la république d’Irlande et un conseil irlando-britannique réunissant l’Ulster, l’Écosse, l’Angleterre, le pays
de Galles et la république d’Irlande. Le désarmement
des milices armées est prévu dans un délai de deux
ans. Il reste à D. Trimble, chef des protestants modérés, et à G. Adams, leader du Sinn Féin catholique, de
convaincre leur base respective, ce qui ne manquera
pas d’être délicat, tant les passions sont exacerbées
depuis plusieurs décennies, voire depuis plusieurs
siècles. C’est chose faite le 18 avril pour l’UUP, principal parti protestant d’Ulster, et, pour le Sinn Féin, le
10 mai. (chrono. 10/05)
Lettonie
Amélioration de la situation des
russophones.
À la suite d’un grave différend avec Moscou, les autorités de Riga acceptent le principe d’une loi permettant aux russophones, soit près d’un tiers de la population, d’acquérir rapidement la nationalité lettonne
et de s’intégrer ainsi à la vie nationale.
République démocratique
du Congo
Conflit avec l’ONU.
Les Nations unies suspendent la mission d’enquête
sur les massacres de réfugiés hutus survenus en 1997
à la suite de l’arrestation, par les autorités de Kinshasa, d’un des enquêteurs. Le 15, le rapporteur spécial
de l’ONU fait un constat très sévère sur la situation
des droits de l’homme dans l’ex-Zaïre. Il y est écrit,
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
90
notamment, que « le régime a fait table rase des droits
à la vie, à la liberté, à l’intégrité physique ». Déjà en
1997, lors de la marche victorieuse de l’Alliance des
forces démocratiques pour la libération du Congo
qui devait la conduire jusqu’à Kinshasa, un rapport
accablant publié par l’organisation Médecins sans
frontières avait dénoncé les exactions commises par
les hommes de Kabila : de larges groupes de réfugiés,
traqués dans la forêt et alors « découverts » par les
soldats de l’Alliance, avaient été massacrés.
L’Ulster
Après les élections législatives au Royaume-Uni
au mois de mai 1997 et en république d’Irlande
au mois de juin de la même année, les deux
nouveaux Premiers ministres, Tony Blair et Bertie
Ahern, devaient reprendre la recherche d’une
sortie négociée du conflit nord-irlandais. Leurs
prédécesseurs, aussi bien à Londres qu’à Dublin,
avaient beaucoup oeuvrer pour faire avancer un
dossier qui restait marqué par la nécessité de
mettre sur pied de nouvelles formes de relations
entre unionistes, nationalistes et républicains à
l’intérieur de l’Irlande du Nord, entre l’Irlande
du Nord et la république d’Irlande et entre l’île
irlandaise et l’île britannique.
Depuis 1985, les deux capitales avaient fait
des progrès considérables dans l’élaboration
d’un compromis, mais, à la veille des élections,
plusieurs obstacles subsistaient, empêchant
un accord en bonne et due forme. En voici les
principaux : la poursuite de la violence politique
de la part de l’IRA, qui avait repris la lutte armée
en février 1996 après un premier cessez-le-feu
en 1994 ; un gouvernement faible à Londres,
incapable de s’imposer sur les unionistes nordirlandais, et un refus de la part de ces derniers
d’accepter une place pour le Sinn Féin à la table
de négociation aussi longtemps que l’IRA n’aurait pas, d’une part, mis fin à sa guerre et, d’autre
part, déposé les armes.
L’accord du Vendredi saint
Les résultats des élections ont profondément
modifié la situation. La victoire travailliste qui a
donné à Tony Blair une impressionnante majorité
à la Chambre des communes et la ferme volonté
de ce dernier de faire avancer le dossier nordirlandais ont réglé le problème de l’indécision et
de l’hésitation qui prévalaient depuis quelque
temps sous les conservateurs. Le succès enregistré par le Sinn Féin lors de la même élection
en Irlande du Nord accroît considérablement
l’influence de Gerry Adams auprès de l’IRA. En
effet, le parti arrive en troisième position après
le Parti unioniste et le SDLP (Parti social-démocrate et travailliste) et devance le DUP (Parti
unioniste démocratique) du pasteur Paisley. Fort
du renforcement de son autorité et satisfait de la
volonté de la part du gouvernement britannique
d’arriver à une solution, le chef du Sinn Féin parvient, fin juillet, à convaincre l’armée républicaine d’arrêter les hostilités, ce qui lui permet
de se joindre aux négociations le 15 septembre
1997. Son arrivée n’entraîne pas le départ du Parti unioniste, qui, tout en insistant sur le nécessaire désarmement de l’IRA, accepte la présence
du Parti républicain à la table de négociation. Il
en est de même pour les deux petits partis qui
sont proches des paramilitaires protestants. Les
représentants du SDLP et du parti interconfessionnel de l’Alliance complètent l’équipe de
négociateurs nord-irlandais. Seul le DUP refuse
de siéger. L’aboutissement sera l’accord du Vendredi saint, le 10 avril 1998. Il aura fallu la volonté
de l’IRA de privilégier la voie politique, l’acceptation de la part du Parti unioniste de la nécessité
d’un compromis constitutionnel, ce qu’il a toujours refusé de faire jusqu’alors, l’investissement
important de Bruxelles, notamment financier, en
faveur de la région et des efforts considérables
et prolongés de la part de Londres, Dublin et
Washington pour qu’un tel accord soit signé.
Les interventions des deux Premiers ministres
ont été, en fin de parcours, décisives. Au mois de
mai, deux référendums, l’un au Nord et l’autre au
Sud, ont vu des majorités très importantes se dégager en faveur de l’Accord. Au Nord, la majorité
catholique-nationaliste a été bien plus importante que celle dégagée chez les protestantsunionistes. Le 25 juin, on organise une élection
en vue de la mise sur pied d’une Assemblée en
Irlande du Nord, premier pas vers l’application
de l’Accord. De nouveau, une nette majorité s’est
prononcée pour des candidats qui s’étaient déclarés en sa faveur.
Une paix fragile
L’Accord lui-même est un document d’une
grande complexité, avec trois grands volets :
constitutionnel, institutionnel et réformiste. Les
deux États, britannique et irlandais, s’engagent
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
91
à modifier leurs Constitutions sur le chapitre de
leur souveraineté sur l’Irlande du Nord. Dorénavant, ce sont les Irlandais du Nord qui feront
collectivement le choix de l’État auquel ils appartiennent. Côté institutions, l’Accord prévoit
la création d’une Assemblée nord-irlandaise,
élue à la proportionnelle, qui doit choisir en son
sein un gouvernement composé d’élus des deux
communautés. Le consentement ou l’accord
intercommunautaire est donc le principe retenu
pour toute future décision de l’exécutif. S’ajoute
à l’Assemblée un conseil Nord-Sud doté de pouvoirs consultatifs et, à terme, décisionnels dans
des domaines qui seront décidés par Belfast et
Dublin. On pense ici à des questions telles que
le tourisme et les infrastructures qui, par nature,
concernent l’ensemble de l’île. Il est prévu de
mettre en place un conseil des îles qui regrouperait occasionnellement, pour consultation, des
représentants des Assemblées nord-irlandaise
et galloise, du Parlement écossais ainsi que des
deux Parlements souverains afin de débattre de
questions d’un intérêt commun. Enfin, les signataires ont accepté que des réformes soient appliquées dans des domaines aussi contentieux que
la police, les droits de l’homme et la culture.
PAUL BRENNAN
Les résistances
Il serait illusoire de penser que les traces
laissées par des divisions entre catholiques
et protestants vieilles de quatre cents ans
et par un conflit violent vieux de trente ans
soient effacées. Il reste toujours une opposition unioniste à l’Accord, qui, bien que
minoritaire, est néanmoins puissante. De
même, l’ordre d’Orange s’est déclaré opposé à l’Accord. Il reste également des forces
armées dissidentes, surtout chez les loyalistes-protestants, qui entendent tout taire
pour saboter les chances d’une paix fondée
sur la justice.
11
Cambodge
Chute du dernier bastion khmer rouge.
Anlong Veng, au nord du pays, dernier repaire des
Khmers rouges, s’est effondré après la rébellion de
la base, fin mars, puis la fuite des derniers chefs en
exercice. Les dirigeants de cette ultime révolte souhaitent obtenir pour leur région le statut d’autonomie accordée à d’autres régions anciennement Minières rouges puis ralliées au gouvernement central.
(chrono. 15/04)
14
Birmanie
L’armée accusée de torture.
Un rapport d’Amnesty International fait état de sévices et de tueries répétées de l’armée de Rangoon
à l’encontre des membres de l’ethnie minoritaire
Shan. 300 000 d’entre eux auraient, par ailleurs, été
contraints de quitter leur maison, au cours des deux
dernières années.
République tchèque
Vaclav Havel hospitalisé d’urgence.
Le président tchèque, en vacances en Autriche, subit une opération du gros intestin dans un hôpital
d’Innsbruck. En décembre 1996, il avait déjà été opéré pour un cancer du poumon. La question du maintien de M. Havel au pouvoir est désormais posée.
15
Cambodge
Mort de Pol Pot.
L’ancien leader des Khmers rouges est mort d’une
crise cardiaque à soixante-treize ans près d’Anlong
Veng, le dernier réduit des rebelles communistes, au
nord du pays. Dans un premier temps, beaucoup refusent de croire à cette disparition, tant Pol Pot avait
de fois annoncé son décès pour mieux échapper à
ses poursuivants. Toutefois, dans les jours qui suivent,
plusieurs témoins crédibles peuvent voir son cadavre
et confirmer la nouvelle. Il n’empêche que la mort de
l’ancien « Frère Numéro Un », jugé responsable de la
mort de près de 2 millions de Cambodgiens entre
1975 et 1979, arrange beaucoup de monde, et notamment au gouvernement en place à Phnom Penh,
dont plusieurs membres sont d’anciens militants
du « Kampuchéa démocratique », nom officiel du
parti extrémiste. En juillet 1997, Pol Pot avait déjà été
condamné à la prison à perpétuité par un tribunal
composé de Khmers rouges dissidents qui lui reprodownloadModeText.vue.download 93 sur 417
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92
chaient notamment d’avoir commandité l’assassinat
d’un de ses opposants à la direction du mouvement.
Depuis le début des années 90, les Khmers rouges,
alliés au roi Norodom Sihanouk pendant la décennie
précédente dans le cadre d’un gouvernement en
exil, se sont progressivement marginalises au sein de
la société cambodgienne.
17
France
Lancement d’un nouveau mouvement
politique, « La Droite ».
Réélu en mars président de la région Rhône-Alpes
avec les voix du Front national et exclu de ce fait de
l’UDF, Charles Millon a décidé de répliquer en créant
un nouveau mouvement politique, La Droite, en souhaitant faire de sa région le laboratoire politique de la
recomposition de l’opposition. Appuyé par Alain Mérieux, élu Rassemblement pour la République (RPR)
de Lyon et connu pour être un ami du président
Jacques Chirac (qui avait pourtant condamné tout
rapprochement avec le Front national), il déclare qu’il
a « touché au tabou de l’extrême droite » et qu’il est
« urgent d’ouvrir un débat sur le piège qui est en train
de se refermer sur la droite libérale ». Son initiative est
aussitôt saluée par Bruno Golnisch et Bruno Mégret,
les deux principaux dirigeants du Front national.
L’alliance ou la relance
de la droite ?
Bousculés par les électeurs et les élus qui plébiscitent l’union de l’opposition, abandonnés par une
partie de leur base électorale désemparée par
l’échec de la dissolution et le traumatisme des
régionales, Philippe Séguin et François Léotard,
patrons contestés du RPR et de l’UDF, tentent
de reprendre la main. Le 14 mai, ils annoncent la
création d’une organisation commune. L’Alliance,
c’est son nom, a pour but, en regroupant tous les
courants de la droite républicaine, de reconstruire l’opposition sur des bases nouvelles.
Cette initiative a pour ambition de déboucher
sur une véritable confédération RPR-UDF et
de ne pas se contenter, comme dans le passé,
de simples ententes électorales. Le protocole
d’accord, signé quelques jours plus tard par
les trois formations fondatrices, le RPR, l’UDF
et Démocratie libérale d’Alain Madelin, prévoit
pour l’Alliance, outre le refus de toute compromission avec l’extrémisme, une présidence
tournante, dotée d’un secrétariat et d’une assemblée constituée de représentants des différentes composantes ; l’élection d’un président
de l’intergroupe parlementaire à l’Assemblée
nationale ; et la rédaction d’un programme de
gouvernement commun dans Ta perspective des
prochaines élections législatives.
Le congrès d’Épinay de la droite ?
Saluée, à l’origine, de façon très positive par le
peuple de droite, qui voyait dans la création de
l’Alliance l’opportunité pour l’opposition d’organiser son congrès d’Épinay (congrès constitutif
du PS, en 1971, sous l’impulsion de François
Mitterrand), celle-ci sera très décriée. Un mois
plus tard, les sondages montrent que l’Alliance
n’a pas atteint son objectif et qu’elle n’est crédible que pour le tiers des sympathisants RPR
et UDF. Les ambitions personnelles et l’esprit de
« boutique » ont été plus forts que la volonté de
réunification de l’opposition.
Les résultats des élections régionales et les accords passés par certains avec le FN ont ajouté au
traumatisme de la dissolution ratée. Le divorce
est total entre les états-majors parisiens et leur
base électorale. L’UDF est en voie de décomposition, avec, d’un côté, le départ programmé de
la confédération d’Alain Madelin, partisan d’un
rapprochement de Démocratie libérale avec le
RPR, et, de l’autre, le rêve d’un grand centre de
François Bayrou.
Le RPR n’est pas en meilleure forme, les cartes
d’adhérents déchirées arrivent par centaines au
siège de la rue de Lille. La révolte gronde, les
uns affichant leur sympathie à l’égard de Charles
Millon et de son mouvement La Droite, les autres
reprochant à leurs directions respectives une
opposition sans vigueur, leur manque de stratégie et leurs perpétuelles divisions. Une crise de
confiance qui est alimentée, au sein du RPR, par
l’affrontement Toubon-Tiberi sur fond d’investigations judiciaires, par les velléités affichées
de Charles Pasqua de mener sa propre liste aux
élections européennes, et, à l’UDF, par le combat
que se livrent Madelin et Bayrou.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
93
Le spleen de « Léo » et de Séguin
Pour Philippe Séguin et François Léotard, il est
donc urgent de reprendre l’initiative : c’est une
question de crédibilité, voire de survie politique, d’autant plus que le président du RPR, qui
n’arrive toujours pas à établir avec l’Élysée un
contact serein, s’est vu « humilié », selon son expression, à l’occasion du débat sur l’euro – alors
qu’il prônait un vote contre, le groupe parlementaire RPR s’est finalement abstenu, suivant ainsi
la position défendue par Alain Juppé – et que
le président de l’UDF, discrédité par son échec
électoral lors des régionales en Paca, voit son
dernier atout, l’UDF, en phase de désintégration
avancée. Résultat : l’Alliance s’impose à eux. Sans
être la panacée d’une droite à la dérive, elle répond, d’abord, au désir d’union exprimé par une
majorité de l’électorat et par bon nombre d’élus,
notamment UDF. Elle satisfait, ensuite, le « locataire » de l’Élysée, qui se félicite de voir dans
cette initiative les premières bases d’un parti
unique de l’opposition qui pourrait, à la veille
des échéances présidentielles, se transformer en
parti du président. Enfin, elle permet à ses deux
initiateurs de se repositionner.
Les difficultés de l’Alliance
Très rapidement, l’Alliance va montrer ses limites. Elle bute sur des questions d’organisation
et de personnes, et les désaccords s’affichent.
Si le choix d’une présidence tournante de la
confédération entre les trois leaders des formations fondatrices ne va pas poser de problèmes,
d’autant moins qu’il laisse à chacun un droit de
veto, il en va tout autrement du choix du président de l’intergroupe de l’Assemblée nationale,
qui n’était toujours pas élu à la veille de l’été,
comme cela était initialement prévu ; la question achoppe sur son mode de désignation, sur
la durée de son mandat et sur ses prérogatives.
Pas question pour l’UDF de l’offrir sur un plateau à un RPR numériquement supérieur dans
l’hémicycle.
Le 27 juin, un mois et demi après l’annonce de la
création de l’Alliance, ses leaders se retrouvent
à Port-Marly (Yvelines) pour célébrer son avènement. La fête sera triste : le coeur n’y est pas, les
supporters non plus – à peine 2 500 militants.
Conçue pour rassembler l’opposition, pour la
rendre plus cohérente et donc plus crédible aux
yeux de l’électorat de droite, elle ne semble pas
remplir ses objectifs ni être à la hauteur de ses
ambitions.
En fait d’unification, l’opposition au contraire
semble se balkaniser. L’UDF a éclaté sous la pres-
sion de François Bayrou et d’Alain Madelin, ne
laissant plus que l’apparence d’une présidence à
François Léotard. Charles Millon, après avoir pactisé dans sa région Rhône-Alpes avec le Front national, a créé son propre mouvement, La Droite,
et vogue de façon hasardeuse vers d’autres
rivages. Côté RPR, Philippe Séguin, en dépit de
son engagement dans l’Alliance, veut affirmer
l’identité de son parti. Il est contesté, d’un côté,
par son propre conseiller politique, Charles Pasqua – qui, au sein de son mouvement, Demain la
France, a pris son indépendance et menace de
mener sa propre liste aux élections européennes
–, de l’autre, par le farouche partisan d’un parti
unique de la droite, Édouard Balladur – une
conviction qui est ancienne.
En réalité, la grande faiblesse de l’Alliance est
d’être composée d’autant de petits bastions qu’il
y a de présidentiables autoproclamés, aucun
d’entre eux n’étant prêt à faire le sacrifice de sa
structure, aussi petite soit-elle, tant il est persuadé qu’elle peut servir de tremplin à ses ambitions futures. Et le congrès départemental qui
s’est tenu fin juin a montré des dirigeants bien
en peine de proposer aux militants une stratégie
aux objectifs clairs.
BERNARD MAZIÈRES
Des enjeux contradictoires
La rédaction d’un programme de gouvernement commun pose de redoutables problèmes aux responsables de l’Alliance. « Il
n’est pas question d’une fusion, elle serait
réductrice de notre diversité, donc de notre
efficacité », a prévenu Philippe Séguin, alors
que, dans le même temps, la majorité des
députés UDF réclamait la constitution d’un
groupe parlementaire unique ! Bref, c’est la
confusion, d’autant que l’Alliance n’a pas
mis fin aux brouhahas internes. Édouard
Balladur, candidat officieux à la présidence
de l’intergroupe, a jeté le trouble en demandant la réunion d’une commission sur la
préférence nationale, thème cher au Front
national. Charles Pasqua n’a pas fait mieux
en relançant le débat européen et en annonçant la préparation d’une liste avec Philippe
de Villiers pour les prochaines élections européennes. Dé plus, la lutte fratricide au sein du
RPR parisien entre Jacques Toubon et Jean
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94
Tiberi ainsi que le retour, discret mais réel,
d’Alain Juppé dans les coulisses du RPR ne
sont pas à même de pacifier les esprits – d’autant moins que, à l’automne, et alors que l’Alliance commencera à discuter de ses conventions thématiques, se profile la ratification du
traité d’Amsterdam, signé par Jacques Chirac
et appliqué par Lionel Jospin. Un traité qui
pourrait bien porter le coup de grâce à cette
tentative d’union de l’opposition.
18
Afghanistan
Accord de cessez-le-feu.
L’ambassadeur américain à l’ONU, Bill Richardson,
parvient à imposer aux belligérants une trêve. Celleci doit déboucher sur une rencontre, le 27 avril,
entre les talibans, milice islamique contrôlant la
majeure partie du pays et la capitale, et les oppositions ouzbèke, tadjike et chiite. L’initiative américaine
s’explique par la volonté de Washington d’intervenir à nouveau dans la région, alors que s’esquisse
un rapprochement avec Téhéran et que les compagnies gazières et pétrolières d’outre-Atlantique
s’intéressent de plus en plus au transit des ressources
énergétiques d’Asie centrale.
Cambodge
Condamnation puis grâce du prince
Norodom Ranariddh.
L’ancien co-Premier ministre, exilé depuis les violentes émeutes qui avaient secoué le Cambodge en
1997, est condamné par contumace à trente-cinq
ans de prison pour collusion avec les Khmers rouges
et complot contre le Premier ministre Hun Sen. Toutefois, dans le cadre d’un plan de paix proposé par le
Japon, il est gracié le 21 par son père le roi Norodom
Sihanouk, ce qui devrait lui permettre de participer
aux élections de juillet.
19
Amériques
Deuxième sommet des Amériques.
Les trente-quatre dirigeants des pays américains
réunis à Santiago du Chili proclament leur volonté
de créer, dans les années à venir, une vaste zone de
libre-échange à l’échelle de tout l’hémisphère américain. Les futures négociations pour parvenir à ce
résultat s’avèrent cependant difficiles : les États-Unis,
sous la pression des syndicats, craignent la concur-
rence venue des pays latino-américains et le Congrès
a refusé d’accorder au président Bill Clinton la procédure « fast track », qui permet à l’exécutif d’aborder
les négociations économiques internationales dans
des conditions moins lourdes que celles nécessitant
l’accord préalable du Parlement ; par ailleurs, les pays
du Sud ont développé ces dernières années leurs
relations commerciales avec l’Europe et le Japon,
lesquelles, dans certains cas, dépassent nettement
celles qu’ils entretiennent avec leur grand voisin du
Nord.
Autriche
Réélection de Thomas Klestil.
Le président sortant est réélu dès le premier tour avec
une majorité de 63,5 % des voix. Candidat du Parti
populaire (conservateur), il a également bénéficié de
nombreux suffrages venus de l’électorat socialiste. Le
Parti socialiste ainsi que l’extrême droite n’ayant pas
présenté de candidats, les concurrents de M. Klestil
n’ont fait que des scores modestes.
Chine
Libération et expulsion du dissident
Wang Dang.
L’ancien chef de file du « printemps de Pékin », âgé de
vingt-neuf ans, est libéré et aussitôt expulsé vers les
États-Unis. Cette libération ne saurait cependant être
interprétée comme une véritable libéralisation du régime chinois, alors qu’un autre dissident vient d’être
condamné à trois ans de prison pour avoir lancé un
appel en faveur de la création de syndicats libres.
Littérature
Mort d’Octavio Paz.
L’écrivain mexicain, prix Nobel de littérature 1990,
meurt à Mexico à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.
Fils d’une famille très intellectuelle, il fréquente les
milieux journalistiques de gauche puis rompt avec
les communistes après la signature du traité germano-soviétique de 1939. Il entre dans la carrière diplomatique après la guerre. Nommé à Paris, il fréquente
André Breton et les surréalistes, qui l’influencent
notablement. Il publie de nombreux ouvrages, alternant recueils de poèmes, essais littéraires et essais
politiques. Il se définit lui-même comme un écrivain
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
95
critique et affirme que « la littérature moderne est
et ne peut être que littérature critique ». Dans les
années 60, il est nommé ambassadeur du Mexique
en Inde, mais cesse sa carrière diplomatique après
1968, quand il rompt avec les autorités auxquelles il
reproche violemment leur répression sanglante du
mouvement des étudiants en 1968. Parmi ses nombreux ouvrages, on peut citer Pierre de soleil pour la
poésie, Marcel Duchamp : l’apparence mise à nu pour
la critique et Une planète et quatre ou cinq mondes et
Labyrinthe de la solitude pour la réflexion politique et
culturelle.
20
Belgique
Plus de sanction pour l’usage du
cannabis.
Sans disparaître pour autant du Code pénal, le délit
de consommation et de détention du cannabis ne
doit plus être poursuivi par les tribunaux belges.
Architecture
Renzo Piano, prix Pritzker.
L’architecte italien, co-réalisateur du Centre GeorgesPompidou, du musée Menil à Houston et de l’aérogare Kansai au Japon, reçoit, à soixante ans, la prestigieuse distinction, qui fête sa vingtième édition.
21
France
Accord en Nouvelle-Calédonie.
Les représentants des Kanaks (FNLKS, présidé par
Roch Wamytan) et des caldoches (RPCR, présidé
par Jacques Lafleur) s’accordent sur un futur statut
du territoire du Pacifique. La Nouvelle-Calédonie
votera dans un délai de quinze à vingt ans sur son
indépendance (les Kanaks, population autochtone,
seront alors majoritaires) .D’ici là, le statut de me évoluera : l’identité kanake sera renforcée (consultation
obligatoire du « Sénat coutumier » sur les problèmes
intéressant la communauté kanake), l’exécutif sera
représenté par un gouvernement collégial élu à la
proportionnelle par le Congrès du territoire et responsable devant lui, un transfert des compétences
sera opéré progressivement (économie, formation, éducation, état civil), les fonctions régaliennes
(défense, justice, monnaie, affaires étrangères) restant de la compétence de l’État français jusqu’à
l’indépendance.
La Nouvelle-Calédonie :
un avenir bien cadré
En avril 1998, soit dix ans après les événements
tragiques d’Ouvéa, qui avaient débouché sur
les accords de Matignon, et 153 ans après que
l’amiral Febvre-Despointes eut pris possession
de la Nouvelle-Calédonie au nom de la France,
une page décisive pour l’indépendance de ce
lointain territoire français du Pacifique a été
tournée avec l’accord conclu entre le Front de
libération nationale kanak et socialiste (FLNKS)
et le Rassemblement pour la Calédonie dans la
République (RPCR). Les parlementaires, députés
et sénateurs, devaient approuver, en juillet,
le projet de loi de révision constitutionnelle
nécessaire à l’application de l’accord de Nouméa,
signé le 5 mai par le Premier ministre, Lionel
Jospin, le président du FLNKS, Roch Wamytan, et
le président du RPCR, Jacques Lafleur.
Un succès pour le gouvernement de Lionel
Jospin, qui a su, à l’inverse de ses deux prédécesseurs, Édouard Balladur et Alain Juppé, déminer,
« en donnant du temps au temps », un dossier
qui, sur la question du nickel, notamment, la
principale richesse de l’archipel, s’enlisait. En
remettant à plus tard – quinze ou vingt ans – le
référendum décisif sur l’avenir de la NouvelleCalédonie et en mettant en place un régime
juridique inédit prenant quelques libertés avec
la loi fondamentale de la République, le Premier
ministre a pu mettre d’accord chacune des deux
parties, indépendantistes et anti-indépendantistes. Le ; mots tabous d’« indépendance », tant
redouté par les caldoches, et d’« autonomie »,
rejeté par les Kanaks, s’effacent au profit du
concept de « citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie ». C’est l’aboutissement d’une longue et difficile négociation, commencée en 1988 sous le
gouvernement de Michel Rocard, qui permet de
transférer progressivement une large partie de
la souveraineté de l’État à la Nouvelle-Calédonie.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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L’accord de Nouméa
Il est, on l’a dit l’aboutissement difficile de
négociations démarrées au printemps. Signé
entre le Premier ministre et les présidents du
FLNKS et du RPCR, il clôt la période intermédiaire ouverte par les accords de Matignon et
fixe les conditions de l’avenir institutionnel du
« Caillou » pour les quinze ou vingt prochaines
années, selon les décisions qui seront prises
par le Congrès du territoire. Transférant progressivement une large partie de la souveraineté de l’État à la Nouvelle-Calédonie, il est un
chef-d’oeuvre d’équilibre. Dans son préambule,
comme le souhaitait le FLNKS, le texte insiste sur
les torts faits par la France aux anciens colonisés,
sans mésestimer pour autant les aspects positifs.
« La colonisation de la Nouvelle-Calédonie s’est
inscrite dans un vaste mouvement historique où
les pays d’Europe ont imposé leur domination au
reste du monde... Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même
si elle ne fut pas dépourvue de lumière », est-il
écrit. Reconnaissant le « traumatisme durable »
et « l’atteinte à la dignité », mais aussi que « la
participation des autres communautés à la vie
du territoire lui est essentielle », l’accord propose au peuple kanak « une reconnaissance de
sa souveraineté, préalable à la fondation d’une
nouvelle souveraineté, partagée dans un destin
commun ». Il prévoit un état transitoire d’une
vingtaine d’années (une consultation finale devrait être organisée entre 2013 et 2018), pendant
lesquelles le « territoire », ou « pays », va bénéficier de compétences de plus en plus larges sur
« la voie de la pleine souveraineté ».
Les principaux points de raccord
Pour mieux prendre en compte l’identité kanake,
l’accord reconnaît le droit coutumier sur l’île.
Celle-ci bénéficiera de « signes identitaires »,
tels qu’un nom, un hymne, une devise et un graphisme pour ses billets de banque. Par ailleurs,
une mention du nom du pays pourra être apposée sur les documents d’identité comme signe
de citoyenneté. Le Sénat coutumier, une assemblée ethnique, sera obligatoirement saisi des
projets de loi du pays. L’exécutif local, jusqu’ici
représenté par le haut-commissaire de la République, sera exercé par un gouvernement collégial élu par le congrès et responsable devant lui.
Les transferts de compétence sont très importants. Dès la mise en oeuvre de l’accord, la réglementation des importations, l’autorisation
d’investissements étrangers, les PTT, la formation professionnelle, les programmes scolaires
du primaire... sont de la compétence de l’exécutif local. Il gérera par la suite renseignement
secondaire, l’état civil et la propriété foncière
et partagera avec l’État la diplomatie régionale,
le maintien de l’ordre, le régime des étrangers
et l’enseignement supérieur. Une consultation
finale sera organisée, entre 2013 et 2018, pour le
transfert des compétences régaliennes (l’accès à
un statut international, la justice, la défense...).
Le vote du Congrès à Versailles
Il a entériné l’accord, mais en acceptant la révision constitutionnelle afin d’en permettre l’application, les parlementaires ont, dans un désir
de consensus et avec la volonté de préserver
quelques années encore la coexistence pacifique
sur le « Caillou », fait des entorses aux principes
juridiques et constitutionnels habituellement
en vigueur en France. Ainsi, en introduisant la
nouvelle « citoyenneté néo-calédonienne », un
pied dans la nation, l’autre à l’extérieur, c’est
une conception fédérative de la république qui
se fait jour. La conception ethnique du corps
électoral ne correspond pas franchement à la loi
fondamentale. Seuls les électeurs appartenant
au « peuple kanak » sont protégés, alors que
d’autres membres du corps électoral sont exclus
de la nouvelle citoyenneté et donc du droit de
vote, comme les résidents arrivés de métropole
depuis moins de dix ans ou les Polynésiens, qui
travaillent pourtant dans les mines de nickel de
l’île. Enfin, la « préférence néo-calédonienne »,
qui est instaurée pour le marché du travail, rappelle étrangement le débat sur la « préférence
nationale », qui agite, aujourd’hui, une partie de
la classe politique métropolitaine.
En réalité, en dépit des libertés qu’il prend avec
les grands principes de la République, cet accord
a l’avantage d’être consensuel et de préserver la
sérénité de chacun sur le territoire. Par l’habileté
politique de ses rédacteurs, pour ne pas dire
par son ambiguïté, il donne à chaque camp des
raisons d’espérer dans la nouvelle période qui
s’ouvre. Les anti-indépendantistes de J. Lafleur y
voient l’occasion pour leur « Caillou » de demeurer au sein de la République dans le cadre de
relations rénovées, refondées et approfondies,
alors que les indépendantistes du FLNKS lisent
le contraire, et estiment que le texte marque
le début d’une indépendance inéluctable qui
commence à se construire dès aujourd’hui. En
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
97
ayant des interprétations aussi radicalement différentes, on se demande encore comment un tel
accord a pu être signé. Peu importe, il l’est. C’est
l’essentiel. Personne n’a perdu la face, et la paix
est assurée pour vingt ans.
BERNARD MAZIÈRES
Les accords de Matignon
Signés le 23 juin 1988 par le RPCR et le
FLNKS sous l’égide de Michel Rocard, alors
Premier ministre, et approuvés par référendum, le 6 novembre, ils rétablissent la paix
civile dans le territoire après les événements sanglants d’Ouvéa, qui avaient été un
enjeu de la campagne présidentielle entre
François Mitterrand et Jacques Chirac. Ils
prévoyaient une période transitoire de dix
ans débouchant sur un référendum d’autodétermination avant la fin de 1998. Mais, plus
l’échéance approchait, plus les deux camps
en présence la redoutaient. Les uns, les indépendantistes du FLNKS, parce que l’équilibre
démographique et électoral se modifiait en
leur défaveur. Les autres, les anti-indépendantistes du RPCR, parce qu’ils craignaient
que leur victoire ne remette en question la
paix civile acquise si difficilement. Résultat : un accord est trouvé pour que l’avenir
de l’île et le destin commun de ses habitants, les Kanaks et les caldoches, soient
discutés, sans pour autant se soumettre au
vote prévu qui aurait trop ressemblé à un
« référendum-couperet ».
22
France
Division de la droite sur l’euro.
Appelé à voter sur une résolution présentée par le
gouvernement sur le passage à l’euro, le RPR se retrouve pris dans une contradiction. Alors que l’UDF
et le PS s’apprêtent à voter en faveur du texte (et le
Parti communiste contre), le RPR, sous l’impulsion
de son président, Philippe Séguin, envisage un vote
négatif, faisant observer qu’il s’agit d’abord de s’opposer au gouvernement et non au principe de l’euro,
approuvé par référendum en 1992. Alain Juppé fait
savoir qu’il refuse de voter contre l’euro et, en fin
de compte, le RPR finit par s’abstenir. C’est un succès pour les socialistes qui font apparaître ainsi une
nouvelle faille au sein de l’opposition, et un grave
revers pour M. Séguin qui semble ne pas tenir son
parti, sensible aux positions de Jacques Chirac, dont
on sait qu’il n’est guère favorable à M. Séguin. Dans
les jours qui suivent, celui-ci déclare dans les médias
qu’il pourrait ne pas se représenter à son poste à la
tête du mouvement gaulliste.
23
Belgique
Évasion et capture
de Marc Dutroux.
Le pédophile belge, soupçonné de la séquestration
et du meurtre de quatre fillettes et adolescentes, à
l’origine d’une des plus graves crises morales qu’a
traversées le pays, parvient à s’échapper quelques
heures avant d’être repris par la gendarmerie. Les
circonstances de cette évasion plongent l’opinion
dans la consternation : alors qu’il avait été extrait de
sa prison pour aller consulter son dossier au palais
de justice de Neufchâteau, Dutroux en profite pour
désarmer le gardien qui le surveillait dans la pièce
où il se trouvait, menacer l’autre gardien à l’extérieur
et fuir en s’emparant d’une voiture dans la rue. On
s’étonne qu’un prisonnier aussi dangereux et considéré comme l’ennemi public no 1 ait été si peu surveillé et, aussitôt, les soupçons sur le rôle exact de
la puissance publique dans cette affaire se réveillent.
Dans les heures qui suivent, les ministres de l’Intérieur et de la Justice, Johan Van de Lanotte et Stefaan
de Clerck démissionnent, mais l’opinion ne semble
pas satisfaite pour autant et des voix se font entendre
pour réclamer le départ de l’ensemble du gouvernement de Jean-Luc Dehaene.
République fédérale
de Yougoslavie
Référendum sur le Kosovo.
Les Serbes et les Monténégrins (environ 7,2 millions
d’électeurs inscrits) votent massivement « non » au
principe d’une médiation internationale sur le Kosovo. La consultation avait été initiée par le président
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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de la Fédération, Slobodan Milosevic, qui avait appelé au vote négatif. (chrono. 29/04)
24
Russie
Investiture de Sergueï Kirienko.
Le candidat de Boris Eltsine à la tête du gouvernement est confirmé à son poste par la Douma (Parlement). Il aura fallu trois votes successifs pour arriver
à ce résultat, le Parti communiste, majoritaire, ayant
voté contre deux fois, avant de s’abstenir au scrutin
final, permettant ainsi au nouveau jeune Premier
ministre d’être investi avec les voix de Notre maison
la Russie, le parti de Viktor Tchernomyrdine, l’ancien
Premier ministre, des ultra-nationalistes et d’une
partie des communistes. M. Eltsine est parvenu à
ses fins en menaçant les députés d’une dissolution
que presque tous craignaient. La semaine suivante,
M. Kirienko présente un gouvernement où les principaux portefeuilles demeurent entre les mains de
leurs titulaires et où Boris Nemstov, libéral et ami de
M. Kirienko, occupe la place de no 2.
26
Guatemala
Assassinat d’un évêque.
Mgr Juan Gerardi est tué par un inconnu dans son
presbytère. Il venait de remettre à Amnesty International un rapport sur les violences pendant la guerre
civile et mettant nettement en cause l’armée. Ce
crime est généralement attribué aux escadrons de
la mort, ces groupes de militaires extrémistes qui
n’acceptent pas la signature, en décembre 1996,
d’un accord de paix entre le président Alvaro Arzu et
la guérilla.
Russie
Succès d’Alexandre Lebed.
Le général prend une option définitive sur la victoire
en obtenant 45 % des voix au premier tour des élections au poste de gouverneur de la région de Krasnoïarsk en Sibérie. Ce succès le remet définitivement
en selle pour les prochaines élections présidentielles.
Allemagne
Poussée de l’extrême droite en ex-RDA.
Aux élections régionales de Saxe-Anhalt, le parti
extrémiste Deutsche Volks-union (DVU) fait une
percée remarquée avec 13,2 % des voix et entre au
Parlement régional. La CDU, parti du chancelier Helmut Kohl, créditée de 22 % des suffrages, perd plus
de 12 points.
27
France
Cent cinquantenaire de l’abolition de
l’esclavage.
Diverses manifestations marquent l’anniversaire de la
signature, le 27 avril 1848, par Victor Schoelcher du
décret du gouvernement provisoire portant abolition de l’esclavage. La Grande-Bretagne avait fait
de même quinze ans plus tôt, sous l’impulsion de
William Wilberforce. Jacques Chirac profite de cette
occasion pour vanter le « modèle français d’intégration », tandis que Lionel Jospin s’est rendu le 26
dans le village de Champagney (Haute-Saône) où,
en 1789, les habitants furent les premiers à réclamer
l’abolition de l’esclavage dans un cahier de doléances
remis au roi Louis XVI. La Convention avait, pour la
première fois, aboli l’esclavage en 1794, mais celui-ci
fut rétabli en 1802 par Napoléon Bonaparte, Premier
consul.
Irak
Maintien des sanctions.
Le Conseil de sécurité de l’ONU maintient les sanctions contre Bagdad, estimant que le désarmement
irakien n’est pas encore achevé. On note cependant
un ton plus conciliant de la part des États-Unis.
28
États-Unis/Union européenne
Rejet du NTM.
Le projet de traité de libre-échange transatlantique
(New Transatlantic Market), lancé unilatéralement par
le vice-président britannique de la Commission eurodownloadModeText.vue.download 100 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
99
péenne, ancien ministre de Margaret Thatcher, Leon
Brittan, est rejeté par la Commission de Bruxelles. Un
tel projet aurait permis une intrusion américaine dans
le développement du marché unique européen. Par
ailleurs, les discussions sur le projet d’Accord multinational sur l’investissement (AMI), dont on craint qu’il
fasse la part trop belle aux multinationales américaines, sont repoussées de six mois.
29
France
Mise en examen de Roland Dumas.
Alors qu’il se reposait des suites d’une opération dans
sa propriété de Saint-Selve, près de Bordeaux, le président du Conseil constitutionnel reçoit la visite officielle des juges Eva Joly et Laurence Vichnievsky, qui
le mettent en examen dans le cadre de l’affaire Elf. En
outre, M. Dumas, qui devra acquitter une caution de
5 millions de francs, sera soumis à un contrôle judiciaire lui interdisant tout contact avec les personnes
mises en cause dans l’affaire ainsi que certains déplacements à l’étranger, notamment dans tous les
« paradis fiscaux ». Plusieurs responsables du RPR et
de l’UDF réclament sa démission, mais M. Dumas fait
savoir qu’il n’a pas l’intention de quitter son poste.
Yougoslavie
Sanctions contre Belgrade.
Le Groupe de contact (Allemagne, États-Unis, France,
Grande-Bretagne, Italie, Russie) décide de nouvelles
sanctions contre la République fédérale de Yougoslavie (qui regroupe la Serbie et le Monténégro) pour
obliger celle-ci à ouvrir des négociations sur le Kosovo, une province serbe peuplée majoritairement
d’Albanais. Ces sanctions visent le gel des avoirs officiels yougoslaves à l’étranger.
30
Israël
Cinquantenaire de la fondation du
pays.
Le 14 mai 1948 (qui tombe, cette année, le 30 avril,
selon le calendrier hébraïque), David Ben Gourion,
chef du Conseil national juif, proclame l’indépendance d’Israël. Cinquante ans plus tard, c’est un pays
fort, mais divisé (entre partisans et adversaires des
accords d’Oslo de septembre 1993 qui ont engagé le
processus de paix avec les Palestiniens ; entre laïcs et
ultra-religieux ; entre ashkénazes et sépharades, etc.),
qui fête l’événement.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
100
MAI
1
Espagne
Catastrophe écologique en Andalousie.
Le déversement de 5 millions de mètres cubes d’eaux
très acides provoque des dégâts considérables à la
faune et à la flore dans la région du parc naturel de
Doñada, en Andalousie du Sud. Des responsables
écologistes mettent en cause l’entreprise suédoise
Boliden Apirsa et reprochent au gouvernement son
laxisme vis-à-vis des industriels.
Rwanda
Aveu de culpabilité dans le génocide.
Devant le Tribunal pénal international, Jean Kambanda, chef du gouvernement en exercice à Kigali
lors des événements sanglants de 1994, reconnaît sa
culpabilité dans le génocide qui a alors frappé le pays.
Échappant de cène manière à un procès, il est cependant le premier responsable politique important à
reconnaître la réalité d’un génocide dont on estime
qu’il a coûté la vie à plus de 500 000 personnes.
2
Union européenne
Naissance officielle de l’euro.
Les chefs d’État et de gouvernement de l’UE réunis à
Bruxelles entérinent la sélection des onze pays pour
l’euro, qui entrera en circulation le 1er janvier 1999. Le
Parlement européen de Strasbourg a également
approuvé officiellement la naissance de la monnaie
européenne. Ces journées historiques ont cependant été dominées par une querelle entre la France
et ses partenaires sur le choix de la personnalité pressentie pour diriger la Banque centrale européenne
(BCE), située à Francfort. Le candidat de l’Allemagne
et des neuf autres pays sélectionnés était le Néerlandais Wim Duisenberg, ancien ministre des Finances
et ancien président de la Banque centrale des PaysBas, alors que la France appuyait la candidature de
Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de
France. L’affaire fait l’objet d’âpres marchandages et,
finalement, il est convenu que M. Duisenberg sera
nomme, mais qu’il cédera son poste à mi-mandat,
c’est-à-dire au bout de quatre ans. Ce compromis
indispose bien des commentateurs, qui ne se privent
pas de faire remarquer que la monnaie européenne
commence par une entorse à ses propres règles.
L’opinion allemande se déchaîne contre Helmut Kohl,
accusé d’avoir cédé au diktat français, ce qui affaiblit
encore un peu plus le chancelier, au plus bas dans
les sondages, à quelques mois des élections législatives dans son pays. La justification française est de
faire remarquer que, d’une part, la France avait déjà
accepté que le siège de la Banque centrale soit en
Allemagne et que, d’autre part, il n’était pas question
de se plier sans discussion au seul choix des directeurs de banques centrales, et singulièrement à celui
de Hans Tietmayer, président de la Bundesbank, et
qu’il importait que l’opinion des dirigeants politiques
l’emporte en dernier recours. Quoi qu’il en soit, la
minicrise, qui a un peu plus refroidi les relations franco-allemandes, a au moins posé, de façon cruciale,
le problème du rôle des autorités politiques dans la
construction économique et financière européenne.
Trichet-Duisenberg :
deux prétendants pour
une banque
L’histoire retiendra le 2 mai 1998 comme une des
dates capitales pour l’Europe. À Bruxelles, dix
ans après l’ouverture du chantier de la monnaie
unique, les chefs d’État et de gouvernement
des pays de l’Union européenne ont officiellement lancé l’euro. Ils ont sélectionné les onze
pays pouvant prendre le « premier wagon » de
l’union monétaire ; ils ont décidé de la parité des
monnaies ; ils ont, enfin, mis en place la Banque
centrale européenne (BCE) et nomme son président, le Néerlandais Wim Duisenberg.
L’histoire, en revanche, oubliera sans doute les
péripéties ridicules mais éprouvantes qui ont
marqué cette journée, « un des moments les
plus difficile de la construction européenne »,
de l’aveu même du chancelier allemand Helmut
Kohl. Les Quinze, sous la présidence du Britannique Tony Blair – l’Union européenne est présidée à tour de rôle par chacun des pays pendant un semestre –, ont donné d’eux un triste
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
101
spectacle, se chamaillant pendant près de onze
heures sur le nom de celui qui présiderait la
Banque centrale européenne (BCE).
Soutenus par l’Allemagne et par la plupart des
autres pays, les Pays-Bas poussaient Wim Duisenberg, soixante-deux ans. Doyen des banquiers
centraux en Europe, ancien ministre travailliste,
Duisenberg présidait alors l’Institut monétaire
européen (IME), l’embryon de la BCE. Mais les
Français, eux, défendaient leur propre candidat,
le gouverneur de la Banque de France JeanClaude Trichet, et n’en démordaient pas. Face
au blocage, chacun comprit qu’il fallait couper
la poire en deux : M. Duisenberg ne ferait qu’un
demi-mandat (quatre ans, jusqu’à l’introduction
des billets en euro) avant de céder la place à
M. Trichet. Mais il était indispensable d’y mettre
les formes : d’une part, parce que, selon la lettre
du traité de Maastricht, le mandat du président
de la Banque centrale européenne est de huit
ans ; d’autre part, parce que l’on était à quelques
jours des élections législatives néerlandaises : le
gouvernement de Wim Kok ne pouvait perdre la
face à Bruxelles. Après onze heures de discussions brouillonnes et tendues, les Quinze ont
fini, vers minuit, par trouver une formule boiteuse et hypocrite.
Un compromis boiteux et hypocrite
Les apparences sont sauves : Wim Duisenberg
est nommé pour huit ans. Mais ce dernier, « de
lui-même », a indiqué qu’il se retirerait à mi-parcours. M. Duisenberg, qui craignait que, faute
d’accord, on finit par chercher un troisième
homme de compromis, a accepté d’en passer
par un « engagement spontané » plutôt humiliant : dans une ambiance un peu soviétique, il
a donc lu une courte adresse aux chefs d’État et
de gouvernement : « Compte tenu de mon âge,
je ne désire pas aller jusqu’au terme du mandat
[...] c’est ma décision et ma décision seule, je l’ai
prise de mon plein gré, et non sous pression de
quiconque ».
La France, de son côté, a obtenu non seulement
qu’un Français seconde M. Duisenberg pendant
quatre ans – Christian Noyer a été nommé viceprésident –, mais aussi qu’un autre lui succède
pour un mandat plein : ce sera en toute logique
M. Trichet. Lorsque J. Chirac, devant la presse, a
tenté de décrire ce compromis hypocrite, la salle
a éclaté de rire. « Ne riez pas ! », a déclaré le Président, phrase qui l’a suivi. Il faut dire que Jacques
Chirac, en s’arc-boutant sur la candidature française, est un peu à l’origine de cette pantalonnade du 2 mai.
La candidature de Wim Duisenberg
L’histoire a commencé près de deux ans auparavant. À Francfort, le 13 mai 1996, les banquiers
centraux européens dînent ensemble. Le baron
Alexandre Lamfalussy, un Belge qui préside alors
l’Institut monétaire européen (IME), annonce
qu’il compte écourter son mandat. Chacun sait
bien que celui qui le remplacera sera le mieux
placé pour prendre la présidence de la future
BCE.
M. Duisenberg se porte candidat, ce qui paraît
à tous très naturel. En effet, Hans Tietmeyer,
le puissant patron de la banque centrale allemande, la Bundesbank, le soutient. M. Trichet se
tait. L’annonce de ce choix est faite le lendemain,
et les banquiers centraux font du même coup
comprendre que M. Duisenberg est leur poulain pour la future Banque centrale européenne.
Le gouvernement allemand a été mis dans la
confidence.
Mais en France, Matignon a été tardivement informé par M. Trichet, et Bercy tombe des nues.
Jean Arthuis, le ministre des Finances, apprend
la nouvelle en écoutant la radio dans sa voiture !
Pour l’Élysée, il ne s’agit rien de moins que d’une
tentative lancée par ces technocrates de banquiers centraux d’imposer un candidat aux politiques : « un putsch ».
Depuis lors, Jacques Chirac ne décolère pas. Mais
lors du sommet de Dublin, en décembre 1996,
lorsqu’il s’agit d’approuver formellement la nomination de M. Duisenberg à la tête de l’Institut
monétaire européen, le président français ne
fait aucun esclandre : tout au plus charge-t-il sa
porte-parole de faire savoir que « la nomination
du président de l’IME ne préjuge en rien de celle,
à venir, du patron de la BCE ». Ce n’est que le
4 novembre 1997, onze mois plus tard, que l’Élysée et Matignon pousseront la candidature de
M. Trichet. Mais il sera trop tard, les onze autres
pays soutenant le Néerlandais.
Un bilan piteux
L’intention de la France était clairement louable :
refuser que des banquiers centraux, sans légitimité autre que celle que leur confère leur compétence technique, forcent la main des gouvernements, issus du suffrage universel. Mais le bras
de fer du 2 mai a abouti au résultat inverse.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
102
D’abord, la BCE sera présidée pendant douze
ans par un banquier central, ce qui risque d’être
considéré par la suite comme une règle non
écrite. Ensuite, le directoire de la banque centrale européenne est lui aussi composé quasi exclusivement de banquiers centraux (la seule exception étant le Français Christian Noyer, ancien
directeur du Trésor) : aucune personnalité du
monde économique, aucun homme politique ne
viendront troubler les débats. En cela, la BCE est
dès sa naissance la banque centrale la plus « fermée » du monde, ce qui n’est pas sans risques.
PASCAL RICHÉ
Les ayatollahs de la monnaie
L’affreux cafouillage des discussions du
2 mai a apporté de l’eau au moulin des
« ayatollahs » de la monnaie : ils auront
beau jeu de s’appuyer sur cet épisode pour
affirmer que dès que les politiques se mêlent
de politique monétaire, ceux-ci défendent
des intérêts nationaux, ne respectent pas les
règles du jeu, et finassent perpétuellement.
Le président de la République a certes bien
fait de s’indigner du putsch fomenté par le
tandem Tietmeyer-Duisenberg. Mais il fallait
bloquer tout de suite la manoeuvre. Et au
lieu de pousser Jean-Claude Trichet, il aurait
été beaucoup plus cohérent et européen de
proposer la nomination d’un politique de
bon calibre, sans faire une fixation sur sa
nationalité.
3
France
Défaite du Front national à Toulon.
La candidate du PS, Odette Casanova, l’emporte au
deuxième tour avec 33 voix d’avance dans la première circonscription de Toulon, sur la représentante
du FN, Cendrine Le Chevallier. Celle-ci remplaçait son
époux, Jean-Marie Le Chevallier, maire de la ville, seul
député FN élu en 1997 et invalidé depuis pour triple
infraction à la législation sur le financement des campagnes électorales. Cette défaite marque un coup
d’arrêt à la progression du parti de Jean-Marie Le
Pen et aux tentatives de rapprochement entre droite
républicaine et extrême droite.
4
Afghanistan
Reprise des combats.
Après l’échec des négociations, le 3, entre le pouvoir
taliban et les différentes factions rebelles, les hostilités reprennent dans la province de Takhar.
6
Automobile
Projet de fusion de Daimler-Benz et
Chrysler.
Les constructeurs allemand et américain annoncent
leur projet de fusion, ce qui représenterait la plus importante transaction de ce type jamais réalisée dans
l’industrie et ferait du nouveau groupe le cinquième
groupe automobile du monde, avec un chiffre d’affaires d’environ 130 milliards de dollars. Chrysler, trop
dépendant de sa gamme utilitaire et trop axé sur le
marché nord-américain, a intérêt à se rapprocher des
gammes plus diversifiées de Daimler-Benz. Même
si les deux P-DG, Robert Eaton, pour la firme américaine, et Jürgen Schremp, pour le constructeur allemand, doivent se partager la présidence du nouveau
groupe, certains ne manquent pas de s’interroger
sur la propension du groupe allemand a prendre le
leadership.
Espagne
Nouvel attentat de l’ETA.
Un conseiller municipal de Pampelune, Tomas Caballero, est assassiné par des tueurs présumés de
l’ETA. Quelques jours auparavant, la police avait arrê-
té six membres de l’organisation terroriste. M. Caballero est le cinquième élu conservateur assassiné en
moins d’un an.
Pays-Bas
Les sociaux-démocrates vainqueurs
des élections.
Le Parti social-démocrate (PvdA) du Premier ministre
sortant Wim Kok remporte 45 sièges sur 150 aux
élections législatives. Les chrétiens-démocrates du
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
103
CDA sont les grands perdants du scrutin, ne comptant plus que 29 sièges.
France
Changement de direction annoncé à
la CGT.
Le bureau confédéral du syndicat vote à l’unanimité
le remplacement, au début de 1999, de son secrétaire général Louis Viannet par Bernard Thibault. Celui-ci, âgé de trente-neuf ans, secrétaire général des
cheminots CGT et membre du comité central du Parti communiste, s’était fait connaître du grand public
lors des grèves de la fin de 1995.
7
Italie
Coulées de boue mortelles.
Plus de 70 personnes sont tuées et 200 portées disparues à la suite d’importantes coulées de boue qui
ont frappé le sud de la région de Naples. Cette catastrophe suscite de très violentes polémiques, de nombreuses habitations ayant été édifiées sans permis
de construire, au détriment de la plus élémentaire
sécurité. Par ailleurs, d’importantes déforestations
avaient été effectuées sans tenir compte des risques
d’éboulements de terrain.
8
Paraguay
Victoire au candidat officiel.
Raúl Cubas, candidat du parti Colorado, au pouvoir
depuis un demi-siècle, l’emporte sur le candidat
de l’Alliance démocratique. Le succès facile de Raúl
Cubas s’explique par l’allégeance de celui-ci au général Lino César Oviedo, vainqueur des élections primaires au sein du parti Colorado, mais interdit de candidature à cause de sa condamnation pour tentative
de putsch en 1996. Washington s’inquiète du succès
d’un dirigeant aussi lié à un général putschiste.
Tchad
Pacification dans le sud.
Les rebelles des Forces armées pour la République fédérale (FARF) signent un accord avec les autorités de
N’Djamena prévoyant leur reddition et une amnistie.
Les habitants du Sud s’estiment victimes d’une injustice de la part du pouvoir, issu du nord du pays : leur
région est fertile et recèle d’importants gisements
pétroliers, mais le pouvoir central accapare la plus
grande partie des richesses. Pendant sa campagne
de 1996, le président Idriss Deby avait promis de
remédier à la situation, mais sa politique d’ouverture
avait vite fait place à une très sévère répression. Les
organisations de défense des droits de l’homme reprochent aux troupes françaises présentes sur place
d’entraîner les forces centrales, sans se soucier des
conséquences de leur engagement.
10
Grande-Bretagne
Accord du Sinn Féin en Ulster.
La branche politique de TIRA décide d’approuver
à une large majorité les accords de paix du mois
d’avril et donc d’appeler à voter « oui » au référendum du 22. Elle approuve également l’abrogation
des articles 2 et 3 de la Constitution de la république
d’Irlande qui proclament la souveraineté de celle-ci
sur l’ensemble de l’île. (chrono. 22/05)
République dominicaine
Victoire de l’opposition.
Le Parti révolutionnaire dominicain (PRD, socialdémocrate) remporte la majorité au Parlement et
contrôle la plus grande partie des municipalités.
Cette victoire affaiblit le président en place, Leonel
Fernandez.
11
France
Le CAC 40 à 4 000 points.
Pour la première fois, l’indice synthétique de la Bourse
de Paris atteint le seuil des 4 000. Dopé par la reprise
de la croissance, le bas niveau des taux d’intérêt et
les perspectives de concentrations d’entreprises en
Europe, il a progressé de 34 % en quatre mois.
Inde
Reprise des essais nucléaires.
Le gouvernement nationaliste du Premier ministre
Atal Behari Vajpayee annonce la reprise de ses essais
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nucléaires souterrains, vingt-quatre ans après l’explosion de sa première bombe atomique. Un des essais
concernait un engin thermonucléaire. La grande majorité de l’opinion indienne fait connaître sa satisfaction. Le Pakistan exprime aussitôt son indignation et
se déclare déterminé à mener lui aussi une politique
d’armement nucléaire. Les grandes capitales désapprouvent l’initiative de New Dehli et le président
américain Bill Clinton, qui n’avait pas été prévenu,
décide de prendre des sanctions contre l’Inde. Parmi
celles-ci, on retiendra l’arrêt de l’aide économique
et militaire, l’interdiction de prêts par les banques
américaines et l’opposition de Washington aux demandes indiennes de prêt auprès du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.
Israël
Annulation du sommet de Washington.
En refusant par avance le plan américain de relance
du processus de paix, le Premier ministre israélien
Benyamin Netanyahou fait capoter le sommet israélo-palestinien prévu dans la capitale des États-Unis.
Américains et Palestiniens réclamaient un retrait de
13 % des forces israéliennes de Cisjordanie (alors que
les accords d’Oslo prévoyaient 80 %), M. Netanyahou
refuse d’aller au-delà de 10 %. Cette intransigeance
israélienne constitue une preuve supplémentaire de
l’impuissance américaine dans la région.
Philippines
Joseph Estrada élu à la présidence.
Avec 39,8 % des suffrages, il l’emporte sur José De Venecia, candidat du parti au pouvoir. Âgé de soixante
et un ans, M. Estrada est un ancien acteur de films
populaires. Surnommé le « Reagan philippin », il se
lance dans la politique à la fin des années 80. Élu
sénateur en 1987, il est ensuite vice-président aux
côtés de Fidel Ramos. Partisan d’un énergique pro-
gramme de lutte contre la corruption et de relance
de la production agricole, le nouveau président, qui
se présente comme le « pote des pauvres », inquiète
cependant une partie de l’establishment par sa vie
dissolue et son caractère fantasque.
Télécommunications
Fusion SBC Communication
et Ameritech.
Issues du démantèlement en 1984 d’AT & T, ces deux
compagnies deviennent ensemble le premier opérateur américain avec 54 millions d’abonnés dans
douze pays. Par son importance, cette fusion représente le deuxième regroupement jamais réalisé dans
le monde.
Rivalité nucléaire entre
l’Inde et le Pakistan
Au-delà des fracas nationalistes qu’ils ont
suscités – autant au Pakistan qu’en Inde –, les
essais nucléaires auxquels ont procédé en mai
les deux frères ennemis du sous-continent auront
révélé combien l’Asie méridionale et orientale est
devenue une zone de tension internationale, où se
mêlent et s’affrontent les ambitions stratégiques
et économiques des uns et des autres.
Les tirs indiens et pakistanais ont rappelé l’instabilité de la zone sous-continentale, et il n’est
pas indifférent que le ton soit monté au sujet du
Cachemire, enjeu de la première guerre indopakistanaise (octobre 1947-janvier 1949). Il n’est
nul besoin de rappeler que la nature même des
relations entre les deux pays s’enracine dans une
histoire ancienne et qu’elle implique qu’un méfait ne demeure jamais impuni. La chronologie
de la démonstration de force nucléaire l’illustre
à merveille. L’Inde a frappé, le 11 mai, les trois
premiers coups, suivis, le 13 mai, de deux nouveaux essais. Après, semble-t-il, avoir hésité, le
Pakistan s’est décidé à répliquer sous la forme de
cinq essais d’un coup, le 28 mai, dans le désert
du Balouchistan et d’un dernier tir, le 30 mai. En
prolongeant par cette démonstration de force la
politique de tension qui préside à leurs relations,
New Delhi et Islamabad ont donné l’impression
d’être revenus à la case départ. Et rien n’indiquait, à la fin de l’année, que l’hostilité quasi
ininterrompue qui a marqué cinquante ans d’un
voisinage conflictuel fût en passe de se résorber.
Des ambitions nucléaires anciennes
Aussitôt l’indépendance acquise, l’Inde se dote
d’un Commissariat à l’énergie atomique et déve-
loppe, au cours des années suivantes, un ambitieux programme nucléaire. Sous Jawaharlal
Nehru, il ne s’agit encore que d’un programme
civil, c’est-à-dire exclusivement pacifique. Mais
la défaite face à la Chine en 1962, d’une part, et
l’explosion de la première bombe chinoise en
1964, de l’autre, décident les autorités indiennes
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
105
de reconsidérer l’option défendue par le père de
l’indépendance. Manifestation évidente de cet
aggiornamento, le tir souterrain auquel procède
l’Inde le 18 mai 1974, certes qualifié de pacifique, mais qui n’en matérialise pas moins une
capacité nucléaire potentielle.
Pour sa part, le Pakistan se sera lancé à la
conquête de l’atome militaire plus tardivement.
Comme dans le cas de New Delhi, c’est un revers
militaire qui va fournir le ressort. Et quel revers,
puisqu’il s’agit de celui de 1971 qui, signant la
déroute des troupes pakistanaises contre l’Inde,
aboutit à la partition du Pakistan. L’humiliation
commande d’aller vite. Dès 1972, en effet, le
nouveau Premier ministre Ali Bhutto décide de
mettre en place un programme nucléaire secret.
Sans rentrer dans le détail des facilités dont a
bénéficié Islamabad, on évoquera toutefois les
nombreux transferts de technologies illicites –
quelques entreprises occidentales n’ont pas été
regardantes – et le soutien, au moins indirect, de
la Chine. Quelques années plus tard, le Pakistan
s’enorgueillit d’avoir rejoint l’Inde au sein des
puissances jugées détenir un arsenal nucléaire
virtuel. Parallèlement, l’Inde et le Pakistan
cherchent à acquérir la maîtrise des lanceurs balistiques : de façon autonome, pour New Delhi ;
en achetant des engins chinois, pour Islamabad.
Une logique militaire
Les cinq tirs indiens de 1998, à la différence de
l’essai de 1974, ont été délibérément placés sous
le signe d’une véritable logique militaire destinée à mettre en place un arsenal opérationnel.
D’une part, on sait qu’un essai a concerné un
engin thermonucléaire, de l’autre, il n’a échappé
à personne que la diversité des dispositifs testés
a mis en évidence une avance technologique
décisive sur le Pakistan. Si la rivalité indo-pakistanaise, par Cachemire interposé, a fait un retour
remarqué à la une des médias, il reste que les
tirs indiens, sous l’angle de la démonstration
d’un savoir-faire, ont eu un autre destinataire,
la Chine, dont l’activisme régional inquiète
d’autant plus New Delhi que son différend
frontalier avec Pékin est toujours pendant. Sur
le plan diplomatique, l’Inde devrait également
tirer avantage des tests nucléaires dans la mesure où elle a retrouvé, certes brutalement, un
moyen de sortir de l’impasse où l’avait placée sa
volonté de conserver l’option nucléaire ouverte
qui a été, jusqu’à présent, la ligne officielle. Dès
lors qu’il ne s’agit plus d’une option, les autorités
indiennes sont fondées à revendiquer une place
dans le club des puissances nucléaires. Du côté
pakistanais, on a bien reçu le message technologique. Islamabad ne maîtrisant ni la fusion
thermonucléaire ni la production de plutonium,
les six tirs ont été dictés, d’une part, par la nécessité de répliquer, de l’autre, par réflexe national.
Seule la population a pu croire à une prétendue
parité nucléaire entre les deux pays.
Sanctions et protestations
C’est peu d’écrire que les « jeux » de guerre
indo-pakistanais ont eu un retentissement
important, provoquant de vives réactions de la
part de la communauté internationale. Ainsi,
le Pakistan et l’Inde se sont vite retrouvés sous
le feu de sanctions émanant des États-Unis, du
lapon et de quelques États occidentaux. Pour sa
part, l’Union européenne, comme la Russie, se
sont contentées de protestations purement formelles. Sans doute n’ignore-t-on pas, à Bruxelles
et à Moscou, le caractère peu efficace des sanctions économiques, notamment à l’endroit du
géant indien, qui ne manque pas de ressources.
Plus vraisemblablement la Communauté européenne forme l’espoir que l’Inde en restera là,
après avoir démontré à la Chine qu’elle dispose
des moyens de s’opposer à toute tentative sinon
hégémonique du moins déstabilisante. Et que
le Pakistan se satisfera d’une stratégie nucléaire
dite « du faible au fort ». Il serait moins optimiste de conclure que l’émergence en Asie de
deux nouvelles puissances nucléaires déclarées
obscurcit singulièrement l’avenir de la sécurité
régionale et laisse pour le moins désemparée la
communauté internationale face au régime de
non-prolifération.
ÉRIC JONES
Les dépenses militaires en Asie
L’Asie est la seule région du monde qui a
vu les dépenses militaires augmenter depuis la fin de la guerre froide. Elles ont en
effet baissé partout ailleurs, en Europe, en
Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique du
Nord. Ainsi, la part de l’Asie est passée de
10 % des dépenses militaires mondiales en
1985 à 20 % en 1996, ce qui sur dix ans signe
une progression de 38 %. Les importations
d’armes asiatiques représentent aujourd’hui
48 % du marché mondial, contre 24 % en
1987. Et cinq États de la région – Taïwan,
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Japon, Chine, Corée du Sud et Inde – figurent
dans les dix premiers importateurs mondiaux pour les années 1992-1996.
13
France
Accord avec la Commission
européenne sur le Crédit Lyonnais.
Le gouvernement français et la Commission de
Bruxelles s’entendent sur un plan de sauvetage de la
banque : celle-ci ne sera pas démantelée, conservera
ses activités de banque de réseau en France et de
grande clientèle à l’international. Elle sera privatisée
au plus tard à l’automne 1999. Le problème demeure
de savoir dans quelles conditions cette privatisation
interviendra : procédure de gré à gré, fusion avec une
autre banque française, ou mise sur le marché après
constitution d’un noyau d’actionnaires de référence.
L’objectif de Paris est d’éviter que la banque passe
sous contrôle étranger.
14
Chanson
Mort de Frank Sinatra.
Le chanteur américain meurt à Los Angeles d’une
crise cardiaque. Né en 1915 dans une famille d’origine italienne du New Jersey, à mi-chemin de la
petite bourgeoisie et de la pauvreté, Frank Sinatra se
lance dans la chanson à vingt ans. Sa véritable carrière commence six ans plus tard lorsqu’il rejoint, en
1940, le grand orchestre de jazz populaire de Tommy
Dorsey. Un an plus tard, il est numéro un au hit parade, où il prend la place de son idole de jeunesse,
Bing Crosby. Fin 1942, il décide de quitter l’orchestre
de Tommy Dorsey, qui supportait mal la popularité
de son jeune chanteur. On commence alors à murmurer que les contacts de Sinatra dans la Mafia lui
ont permis de rompre sans dommages le contrat qui
le liait jusqu’alors à Tommy Dorsey. En 1943, il entame
une carrière cinématographique, dont les point forts
seront ses rôles dans Tant qu’il y aura des hommes
(1953), l’Homme au bras d’or (1956) et la Femme en
ciment (1968). Sa voix d’or et son style crooner en
font la grande vedette des années 40 et du début
des années 50, avant l’explosion du rock’n’roll. Il reviendra cependant en tête des hit-parades en 1966
avec le désormais célèbre « Strangers in the Night »
et, l’année suivante, avec « My Way », l’adaptation de
« Comme d’habitude » de Claude François. Célèbre
pour ses nombreuses conquêtes féminines (il sera,
notamment, l’époux des comédiennes Ava Gardner
et Mia Farrow), il retient également l’attention du
public en raison de ses engagements politiques,
d’abord en faveur des démocrates (jusqu’à ce que
Bobby Kennedy, bien informé de ses nombreuses
accointances dans la Mafia, l’éloigne de la MaisonBlanche), puis des républicains, devenant un intime
du couple Ronald et Nancy Reagan.
France
Entrée d’Aerospatiale chez Dassault.
Le groupe public reprend la participation de 46 %
de l’État chez l’avionneur militaire. Ce renforcement
d’Aerospatiale devrait permettre au groupe français
d’aborder dans de meilleures conditions les négociations avec ses homologues européens, l’anglais
British Aerospace et l’allemand Dasa.
France
Rapprochement du RPR et de l’UDF.
À l’initiative du président du RPR Philippe Séguin et
de son homologue de l’UDF François Léotard, les
deux formations d’opposition décident de constituer
non pas seulement une entente électorale, mais une
véritable structure permanente de la droite républicaine, qui prend pour nom l’Alliance. Cette structure
de nature confédérale sera dirigée par une présidence tournante, dotée d’un secrétariat permanent
et d’une assemblée où siégeront des représentants
des différents partis. L’Alliance, qui récuse par avance
tout rapprochement avec le Front national, pourra
également recevoir des adhésions directes. Cette
initiative, qui intervient alors que MM. Séguin et Léotard se retrouvent politiquement affaiblis, prend de
court les projets de François Bayrou, .Main Madelin
et Charles Millon. Le premier souhaite une transformation de l’UDF en un nouveau parti centriste, le
second un rapprochement, axé à droite, de l’UDF
et du RPR, et le troisième une rénovation de toute
la droite à travers une ouverture aux électeurs du
FN. La plupart des dirigeants de l’opposition saluent
la naissance de l’Alliance, qui devrait être effective en
septembre, même si plusieurs d’entre eux cachent
mal leur scepticisme. Le 16, M. Madelin annonce que
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
107
son mouvement, Démocratie libérale, quitte l’UDF et
adhère directement à l’Alliance.
17
G8
Réunion à Birmingham.
Le G8, le groupe des pays les plus industrialisés
constitué par l’Allemagne, le Canada, les États-Unis,
la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Japon et la
Russie, achève ses travaux sans annoncer de décisions spectaculaires (les participants n’ont même pas
pu se mettre d’accord sur d’éventuelles sanctions
contre l’Inde après que celle-ci a procédé à des essais
nucléaires). Cette modestie dans les résultats a été
voulue par le Premier ministre britannique Tony Blair,
organisateur de la réunion, qui avait voulu revenir à la
philosophie première du G7 (les mêmes à l’exception
de la Russie) : être une cellule de rencontre informelle
entre les principaux dirigeants de la planète.
18
États-Unis
Bill Gates accusé de violer les lois
antitrust.
La justice américaine accuse Microsoft de « pratiques
anticoncurrentielles et d’exclusion », notamment
contre la firme Netscape, écartée du marché alors
qu’elle avait mis au point, avant Microsoft, un logiciel
d’accès à Internet.
France
Xavière Tiberi placée en garde à vue.
L’épouse du maire de Paris est placée huit heures en
garde à vue dans le cadre de l’enquête consacrée aux
salaires consentis par Xavier Dugoin, ancien président du conseil général RPR de l’Essonne, à diverses
personnalités pour des emplois fictifs. Dans le même
temps, un ancien directeur du personnel à la Ville de
Paris révèle à la presse que la municipalité, alors dirigée par Jacques Chirac, abritait jusqu’à 300 emplois
fictifs pour un coût total estimé entre 80 et 100 millions de francs par an. Élisabeth Guigou, ministre de la
justice, déclare à la radio que « comme tous les Français, le président de la République peut être traduit
devant les tribunaux s’il a commis des délits ». L’oppo-
sition réplique en accusant Lionel Jospin, en disponibilité du ministère des Affaires étrangères entre 1993
et 1997, d’avoir été payé en tant que fonctionnaire,
alors qu’il faisait de la politique. Celui-ci rétorque qu’il
avait effectué plusieurs demandes pour un poste
d’ambassadeur, mais qu’Alain Juppé, alors ministre
des Affaires étrangères, n’avait pas donné suite à ses
requêtes.
19
Éthiopie/Érythrée
Appel de Kofi Annan.
Le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan
appelle les deux pays de la Corne de l’Afrique à la
modération, depuis que ceux-ci ont commencé de
s’affronter militairement pour le contrôle de la région
de Shiraro, au nord-ouest de l’Éthiopie. Après l’échec
d’une tentative de conciliation américaine, le viceprésident rwandais, Paul Kagame, propose à son tour
sa médiation.
21
Affaires
Seagram, no 2 mondial de l’industrie
du spectacle.
Pour 10,6 milliards de dollars, le groupe canadien rachète PolyGram (no 1 mondial de l’édition musicale)
au groupe néerlandais Philips. Déjà propriétaire des
studios Universal, Seagram, dont l’activité traditionnelle se situait dans les vins et spiritueux, ne réalisera plus que 30 % de son chiffre d’affaires dans ce
secteur.
Indonésie
Démission du président Mohamed
Suharto.
Après que le Parlement a voté une résolution en ce
sens et que Washington a exercé de fortes pressions,
le président indonésien, en poste depuis trente-deux
ans, annonce sa démission immédiate. Il est remplacé par son vice-président, Jusuf Habibie. Le départ de
M. Suharto fait suite à plusieurs semaines de manifestations et de pillages à travers le pays. Plusieurs centaines de personnes avaient ainsi trouvé la mort lors
de la mise à sac et de l’incendie de grands magasins
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dans la capitale. Alors que l’armée ne soutenait plus
que mollement le pouvoir et que l’opposition avait
pris le relais du mouvement des étudiants. M. Suharto avait tenté une dernière fois de se maintenir en
place en annonçant des élections, mais sans en préciser la date. Âgé de soixante et un ans, M. Habibie
est un proche de M. Suharto, son propre père ayant
été l’ami intime du président démissionnaire. Ingénieur de formation, partisan d’une insertion accélérée de l’Indonésie dans l’économie internationale, il
est responsable de nombreux projets d’envergure,
dont plusieurs ont été des échecs retentissants. Dans
les jours qui suivent, M. Habibie annonce la création
d’un nouveau gouvernement, où les principaux
portefeuilles demeurent dans les mêmes mains.
Les étudiants et l’opposition réclament le départ de
M. Habibie ainsi que l’organisation rapide de nouvelles élections.
Portugal
Inauguration de l’Exposition universelle
de Lisbonne.
Sur le thème « Les océans, un patrimoine pour le
futur », le Portugal présente une exposition destinée
à mettre en valeur son passé de grande puissance
maritime. 8,5 millions de visiteurs – dont la moitié
de Portugais – sont attendus dans les 70 hectares
du long rectangle appuyé sur les berges du Tage, où
sont érigés les pavillons des 150 pays représentes. Le
clou de l’Exposition est constitué par l’Océanorium,
avec ses 25 000 espèces marines. On remarque particulièrement le spectacle de simulation sous-marine proposé par l’Allemagne, le film projeté sur trois
écrans formant coupole présentant les 5 500 kilomètres du littoral français ou le film portugais illustrant, au moyen d’images réelles et de synthèse, les
implantations lusitaniennes à travers le monde.
Fin de règne en Indonésie
Celui qui se présentait volontiers comme le
« père du développement » avait fini par faire
oublier qu’il s’était emparé du pouvoir par la
force. C’est aussi par la force qu’il l’a perdu, le
21 mai 1998, laissant à l’un de ses proches, le
général Habibie, le soin de tenir la barre d’un
bateau Indonésie submergé par les flots de la
crise monétaire asiatique.
Le compte à rebours du départ du président
Suharto a commencé en juillet 1997, lorsque les
autorités thaïlandaises, annonçant la dévaluation du baht, ont rendu inévitable, par effet de
domino, un ajustement des devises des nations
voisines. Tour à tour, le ringgit malais le peso philippin, le won coréen et la roupie indonésienne
perdent en moyenne la moitié de leur valeur.
Ces dépréciations mettent à nu les faiblesses des
économies de la région. Les investisseurs commencent à considérer avec une attention accrue
la situation des voisins de la Thaïlande, y décelant, à des degrés divers, les mêmes symptômes :
un marché de l’immobilier surévalué, un secteur
bancaire faible et peu contrôlé, d’énormes emprunts à court terme et un manque de transparence évident. À l’aune de cet inventaire de la
mauvaise « gouvernance », l’Indonésie cumule
trop de handicaps pour ne pas être rattrapée
par la crise. Très vite, la situation sociale se dégrade et, en février 1998, éclatent les premières
émeutes liées à la hausse des prix.
Un président rattrapé par la crise
Un mois plus tôt, le FMI a suspendu son aide
après s’être rendu à l’évidence : le vieux président
Suharto promet beaucoup mais tient peu. Il est
vrai que ce dernier sous-estime alors l’ampleur
de la crise – mais le président du FMI, Michel
Camdessus, n’a-t-il pas déclaré, fin août 1997,
que « la crise asiatique devrait être contenue » ?
En trente-deux ans de règne, le chef de l’État a
connu bien des alertes. D’ailleurs, dans l’immédiat, il s’agit pour lui d’assurer sa réélection. C’est
chose faite, le 10 mars, alors que la veille le FMI
a décidé de différer le versement d’une tranche
de 3 milliards de dollars en faveur de Djakarta.
Mais le huitième mandat de Suharto commence
dans une atmosphère surréaliste. À la mi-mai,
la capitale s’embrase après que les forces de
l’ordre ont tiré sur des manifestants. De tendue,
la situation devient insurrectionnelle – 500 personnes trouvent la mort dans les incendies qui
se propagent dans les centres commerciaux et
les banques dans la nuit du 14 au 15 mai. Et les
feux qui s’allument dans plusieurs autres villes
indonésiennes annoncent le crépuscule de celui
qui, jusqu’au bout, aura régné sans partage.
C’est sans doute parce qu’il lui est apparu que
la contestation qui s’exprimait principalement
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
109
à travers la révolte des étudiants était en réalité
grosse de la colère du pays profond que Suharto
s’est résigné à quitter le pouvoir.
Un règne sans partage
Longtemps, il aura eu la conviction d’être investi
de la mission quasi divine de maintenir l’unité de
l’archipel et d’y assurer l’ordre. Mais convaincu
que la vague de protestations, portée par l’onde
de choc de la crise régionale, irradiait l’ensemble
du pays et du corps social, il a compris qu’il ne
disposait plus d’aucun soutien, notamment au
sein de l’armée, pour assurer, une fois de plus,
sa « mission ». Car on sait l’homme peu tendre.
Ainsi, on estime à quelque 300 000 le nombre
des victimes des massacres de 1965-1966 qui
lui ont permis d’asseoir son pouvoir. En 1975,
lorsqu’il prend la décision d’envahir TimorOriental – annexé l’année suivante –, il y conduit
bientôt une politique d’extermination qui fera
plus de 200 000 morts. Les camps de concentration, dont ceux de l’île de Buru sont tristement
célèbres, verront passer environ deux millions
de personnes, pour la plupart internées au nom
de l’anticommunisme. On ne compte plus les
révoltes, prouvées ou supposées, qui ont été
noyées dans le sang. L’ordre nouveau – que le
régime oppose à l’ordre ancien du président Sukarno – s’appuie sur un appareil répressif qui a
fait ses preuves – la police secrète y veille. Parallèlement, le système politique se trouve habilement verrouillé : seuls trois partis sont autorisés,
l’idée même d’opposition est rayée de la réalité
politique et la censure se montre toujours d’une
grande efficacité. Brutal, donc, à l’endroit de la
subversion, Suharto sait dispenser prébendes,
avantages et faveurs à ses proches. D’abord à sa
famille. Ses six enfants contrôlaient une bonne
partie de l’économie indonésienne à travers un
réseau d’entreprises toutes dévouées. S’il est
difficile d’estimer la fortune du clan Suharto,
fruit de détournements de fonds publics ou
d’aides internationales, voire d’association avec
des capitaux étrangers, on la dit littéralement
colossale. Il n’est pas indifférent que la dénonciation de ces maux, « népotisme, corruption,
collusion », ait figuré en bonne place dans les
premières manifestations étudiantes.
Un développement fragile
Comme tous les dictateurs du monde, Suharto a
justifié la répression, les mesures d’exception et
le silence imposé aux médias au nom de l’intérêt
commun. Héritant d’un pays pauvre, il aura su
le hisser au rang des pays émergents, voire en
faire un pilier de ce club si dynamique formé par
les pays membres de l’Association des nations
de l’Asie du Sud-Est (Asean). Avec Suharto, le
pays s’est doté d’infrastructures, les enfants sont
allés à l’école et l’autosuffisance alimentaire est
devenue, pendant quelques années, une réalité. Le président aimait qu’on l’appelât le « père
du développement ». Le bilan n’est pas faux. Il
convient toutefois de le corriger, ne serait-ce
qu’au prisme de la crise régionale. Celle-ci a mis
en lumière que l’Indonésie a conservé, tout au
long de la période Suharto, bien des caractéristiques du tiers monde – développement industriel sans grande valeur ajoutée, formation limitée, écarts manifestes des revenus, pillage des
matières premières, régime politique corrompu
et autocratique. Enfin, l’anticommunisme dont
il a fait montre au temps de la guerre froide lui
a valu de bénéficier d’une aide considérable de
l’Occident et du Japon. Les investisseurs étrangers ont trouvé en Indonésie un terrain à la mesure de leurs appétits et s’en sont retirés, pour
certains à temps, quand il est apparu que celui-ci
était miné.
PHILIPPE FAVERJON
Les Panca Sila selon Suharto
Le 4 avril 1973, Suharto codifie sa version
des cinq principes qui régissent l’Indonésie,
les Panca Sila, désormais purgés de toute référence socialiste : croyance en un seul Dieu,
humanisme, nationalisme, démocratie et
justice sociale. Il en profite également pour
réaffirmer le principe de double fonction des
forces armées – dans la défense du pays et
dans son développement –, en vertu duquel
de nombreux officiers occupent des postes
de direction dans l’administration et l’économie, source de profits et de corruption.
22
Irlande
Succès du « oui » au référendum.
71,2 % des électeurs d’Ulster (pour une participation de 81 %) et 94 % des électeurs de la république
d’Irlande approuvent le plan de paix du 10 avril. Les
premiers ont entériné le statut de semi-autonomie
de la province britannique, tandis que les seconds
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
110
ont approuvé la suppression de deux articles de la
Constitution du pays, qui présentaient la réunification du nord et du sud de l’île comme une obligation politique. Ce succès ne signifie pas pour autant
que toutes les difficultés sont aplanies, d’autant que
la communauté protestante d’Irlande du Nord n’a
entériné l’accord qu’à une assez faible majorité de
55 %. (chrono. 25/06)
Yougoslavie
Offensive serbe au Kosovo.
Les forces armées de Belgrade lancent de nouvelles
opérations éclairs contre plusieurs villages soupçonnés de sympathie à l’égard de l’Armée de libération
du Kosovo (UCK). Les habitants sont chassés, des
maisons sont détruites et parfois des hommes sont
tués. Malgré la répression, l’UCK multiplie ses actions
contre l’armée serbe.
24
Chine
Succès des démocrates à Hongkong.
Avec une participation record de 53 % (alors qu’elle
ne dépassait guère 30 % auparavant), 1,5 million
d’électeurs hongkongais (sur 2,8 millions d’inscrits)
donnent une majorité de 60 % aux représentants des
partis démocrates, qui enlèvent 14 des 20 sièges à
pourvoir. Les démocrates seront cependant minoritaires au Conseil législatif, dont les 40 autres membres
sont désignés selon des modalités faisant la part belle
aux candidats de Pékin. Ces élections témoignent
cependant de la volonté du gouvernement chinois
de laisser se développer une vie démocratique dans
l’ex-colonie britannique, volonté confirmée début
juin, quand le neuvième anniversaire du massacre de
la place Tian’anmen est célébré à Hongkong par une
imposante manifestation tolérée par les autorités.
Hongrie
Victoire de la droite aux élections.
La Fédération des jeunes démocrates-Parti civique
hongrois (Fidesz-MPP), dirigée par Viktor Orban
l’emporte avec 38,6 % des voix et 148 sièges contre
les socialistes (ex-communistes) du Premier ministre
sortant Gyula Horn. Fidesz est en principe cataloguée
au centre droit, mais la formation de M. Orban a fait
campagne pour un renforcement des prérogatives
de l’État et de la protection sociale des citoyens,
tandis que les socialistes défendaient leur politique
de privatisations et d’adaptation au modèle libéral.
Toutefois, la composition du nouveau gouvernement peut s’avérer délicate, car le jeune M. Orban
(trente-cinq ans) doit s’allier avec la petite formation
droitière des Petits Propriétaires, bien implantée dans
les zones rurales (12,9 % des voix) et favorable à une
politique très nationaliste, notamment en faveur des
minorités hongroises dans les pays limitrophes.
Sénégal
Victoire serrée du Parti socialiste.
Au pouvoir depuis 1960, le PS du président Abdou
Diouf remporte les élections législatives avec 50,12 %
des voix seulement (et 93 sièges sur 140). Le principal
parti d’opposition, le Parti démocratique sénégalais,
dirigé par Abdoulaye Wade, obtient 23 sièges et la
majorité dans la capitale, Dakar. La campagne a été
marquée par des violences en Casamance, menées
par les rebelles du MFDC.
25
Cinéma
La palme d’or pour Theo Angelopoulos.
Le cinéaste grec est récompensé par le jury du
51e Festival de Cannes, présidé par l’Américain Martin Scorsese, pour son film l’Éternité et un jour. Le prix
spécial du jury va à l’Italien Roberto Benigni pour La
vie est belle, étonnante comédie sur la déportation à
Auschwitz. Le prix du meilleur acteur va à l’Écossais
Peter Mullan pour son rôle dans My Name is Joe, de
l’Anglais Ken Loach, et celui de la meilleure actrice
aux Françaises Élodie Bouchez et Natacha Régnier
pour leur interprétation dans la Vie rêvée des anges
d’Érick Zonca. De l’avis de nombreux spécialistes,
cette nouvelle édition de Cannes ne restera pas dans
les annales, et beaucoup regrettent que le cinéma
asiatique (notamment le film taïwanais les Fleurs de
Shanghai de Hou Hsiao-hsien) ait été totalement
oublié dans le palmarès.
Géorgie
Cessez-le-feu en Abkhazie.
Les hostilités s’arrêtent au bout de deux jours entre
les séparatistes abkhazes et les forces de Tbilissi après
que le président Edouard Chevarnadze a proposé
à l’Abkhazie un statut de « sujet d’un État fédéral »
et le retour des réfugiés civils forcés de quitter la
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
111
région après la reprise des combats. La région s’est
séparée de fait du reste du pays depuis la guerre de
l’automne 1993.
26
France
Accord entre Jacques Toubon et Jean
Tiberi.
À la suite d’une forte pression de la direction du
RPR, l’ancien garde des Sceaux et le maire de Paris
signent un protocole d’accord prévoyant la création
d’un intergroupe de la majorité au conseil municipal
et une modification du fonctionnement du groupe
RPR de Paris. Quelques jours auparavant, Jacques
Chirac s’était publiquement montré en compagnie
du maire de Paris et de son épouse.
28
Danemark
« Oui » à l’Europe.
Les électeurs danois approuvent par une majorité
de 55,1 % l’accord d’Amsterdam de 1997. Pour beaucoup, ce résultat est un soulagement et confirme les
quatre référendums précédents qui, depuis 1973,
ont mobilisé les Danois sur la question européenne.
D’autres font remarquer que la forte minorité qui
a dit » non » à l’Europe représente un ensemble
beaucoup plus large que les forces politiques eurosceptiques, la majorité des partis danois s’étant prononcée en faveur d’un vote positif. Prenant acte du
résultat, le Premier ministre Poul Nyrup Rasmussen
déclare que « le rythme d’approfondissement de la
coopération européenne doit ralentir ».
Pakistan
Entrée dans le club nucléaire.
Quinze jours après la reprise des essais indiens, le
Pakistan procède pour la première fois à cinq essais
nucléaires dans le désert du Balouchistan, au nordouest du pays. Le Premier ministre Nawaz Sharif
annonce l’événement en assurant que son pays ne
veut pas engager une course aux armements mais
qu’il y a été contraint par la décision de New Delhi.
Sans condamner formellement Islamabad, le Conseil
de sécurité de l’Organisation des Nations unies
« déplore vivement » les essais pakistanais. En tout
état de cause, l’avance technologique de l’Inde sur le
Pakistan en matière d’armement nucléaire reste très
importante.
France
Reconnaissance du génocide arménien.
À l’unanimité, l’Assemblée nationale vote un texte
proclamant que « la France reconnaît publiquement
le génocide arménien de 1915 ». Les 300 000 Français d’origine arménienne saluent l’événement, tandis que la Turquie menace les entreprises françaises
de rétorsions économiques.
Pakistan, la fuite en avant
L’ancien Premier ministre, Zulficar Ali Bhutto,
avait promis « la bombe » à ses concitoyens,
quitte à ce qu’ils en soient réduits « à manger
de l’herbe ». La promesse a été tenue et le
Pakistan est devenu la première puissance
islamique nucléaire. Mais la grande joie de la
population aura été de courte durée : incapable
de faire face à la crise économique et aux conflits
interethniques, le régime de Nawaz Sharif a voulu
neutraliser l’opposition islamiste en faisant voter
un amendement qui place la loi islamique audessus de la Constitution, sous l’oeil réprobateur
de l’institution militaire.
Après la série de tests indiens, les 11 et 13 mai,
le Pakistan procédait à son tour à cinq essais nucléaires dans le désert occidental du Baloutchistan, le 28 mai. Le Premier ministre Nawaz Sharif a
aussitôt présenté ces essais comme une réponse
à « la militarisation du programme nucléaire
indien ». Une position de nature à inquiéter la
communauté internationale, mais qui a soulevé
dans la population une vague de fierté. On a
ainsi pu voir les Pakistanais fêter l’événement,
envahir les rues aux cris d’« Allah Akbar » (Dieu
est grand). Un moment de liesse intense que
résumait la une du quotidien Ausaf « Le Pakistan
est devenu le premier État nucléaire islamique ».
Estimant que le Pakistan venait de démontrer
qu’il pouvait faire « jeu » égal avec l’Inde, le Premier ministre a choisi de tendre la main à New
Delhi afin de « reprendre le dialogue indo-pakistanais pour discuter de tous nos différends, y
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
112
compris la question centrale du Cachemire, aussi
bien que la paix et la sécurité ». En attendant que
le Pakistan soit officiellement admis dans le club
des puissances nucléaires – attente que partage l’Inde –, son Premier ministre a cru pouvoir
bénéficier d’un sursaut de popularité. Mais les
résultats économiques, exécrables, sont venus le
rappeler aux réalités.
Des difficultés sur tous les fronts
Élu en février 1997 avec une impressionnante
majorité sur un programme économique qui
devait sortir le Pakistan de la crise, le gouvernement de Nawaz Sharif avait peu de résultats
à faire valoir un an plus tard. Le pays a de plus
en plus de difficultés à obtenir des prêts de ses
bailleurs de fonds traditionnels, Arabie Saoudite,
Émirats arabes et Chine. Quant à la deuxième
tranche de l’aide du FMI, 208 millions de dollars,
elle n’a été accordée que pour des raisons politiques, c’est-à-dire afin de ne pas précipiter une
nouvelle crise en Asie. Mais aussi parce que les
organisations financières internationales et les
créanciers ont plus à perdre qu’à gagner dans
le cas où le Pakistan deviendrait insolvable. Un
risque que certains experts n’excluait pas, tel cet
économiste proche du FMI pour qui un défaut de
paiement du Pakistan n’était pas exclu. Le risque
est réel. Les réformes structurelles, fiscales et
bancaires, réclamées par le FMI, et annoncées
à plusieurs reprises comme imminentes par
les autorités, n’ont guère dépassé le stade des
intentions. Pour leur part, les milieux d’affaires,
pourtant courtisés par les autorités, paraissent
animés par un manque de confiance envers le
gouvernement, en particulier, et le monde politique, en général. Voulu par certains cercles militaires, le soutien inconditionnel aux talibans en
Afghanistan contribue à obérer les finances publiques. Plus généralement, les tests nucléaires
et la politique extérieure du Pakistan lui valent
de connaître un certain isolement. Politiquement, le pays est en mauvais termes avec tous
ses voisins, mais aussi avec nombre de ses alliés,
comme la Turquie ou la Chine, qui, inquiète des
revendications islamiques au Xinjiang, commence à regarder d’un oeil peu amène les talibans. D’ailleurs, le conflit afghan n’est pas sans
conséquences sur la vie interne du Pakistan :
après avoir participé à la guerre, des Pakistanais
se livrent au djihad dans leur pays, où le laxisme
des autorités à l’égard de l’activisme islamique
nourrit les inquiétudes de la société libérale.
La charia au-dessus de la
Constitution
Aussi, dans le souci de museler une opposition
islamiste qui trouve du grain à moudre avec les
dossiers économiques et sociaux sur lesquels le
gouvernement a pu donner la mesure de son
incapacité, le Premier ministre a réussi à faire
voter un amendement constitutionnel renforçant le caractère islamique du pays : le 9 octobre,
par 151 voix contre 16, les députés de la ligue
musulmane ont décidé de faire de la charia (la
loi coranique) et de la sunnah (la tradition) la loi
suprême du Pakistan. Selon ce nouvel amendement, le gouvernement fédéral devra « prescrire
le bien et le mal », promouvoir « la vertu », éradiquer la corruption et assurer la justice sociale.
En clair, ce dispositif donne à l’exécutif un pouvoir supérieur au judiciaire dans la mesure où
il annule toute possibilité de recours en cas de
litige. Curieusement, on a vu certains partis
religieux s’opposer avec la dernière vigueur à
l’amendement du 9 octobre au motif que le gou-
vernement n’est pas compétent en cette matière
et que cette loi lui donne des « pouvoirs inacceptables ». En se donnant les pleins pouvoirs,
le chef du gouvernement a pris le risque d’être
le seul responsable d’une catastrophe qui paraît
de plus en plus imminente. Une situation qui n’a
pas échappé aux militaires et à laquelle la démission du chef d’état-major de l’armée, le général
Karamat – intervenue le 7 octobre, après qu’il
a critiqué la situation au Pakistan – aura donné
un écho propre à effrayer les partisans de la
démocratie. En prenant la décision de s’attaquer
à l’institution militaire, N. Sharif a pris le risque
d’ouvrir une nouvelle crise puisque l’armée, qui
a gouverné le Pakistan pendant près d’un quart
de siècle, occupe toujours avec, une évidente
visibilité, le terrain politique. Et si le coup ainsi
porté à l’armée ne peut que réjouir les nombreux démocrates que compte le pays, il a aussi
rappelé que l’institution militaire pourrait bien
se poser comme l’ultime recours après avoir fait
le constat d’échec des gouvernements démocratiques qui se sont succédé depuis 1988. Certes,
le Premier ministre a réussi à se débarrasser du
président Farouk Leghari, puis du chef de la Cour
suprême. Mais, en s’attaquant au général Karamat, N. Sharif s’est peut-être laissé griser par son
habileté politique, ne voyant plus que ses succès
vont de pair avec une dégradation de la situation du pays.
PHILIPPE DE LA RESLE
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
113
Les conséquences économiques des
essais nucléaires
Déjà prive de tout investissement extérieur,
le Pakistan s’est trouvé confronté au gel des
comptes en devises décidé du lendemain
des essais nucléaires de mai : c’est ainsi que
le transfert de l’argent des immigrés par les
circuits officiels s’est aussitôt arrêté. Quant
aux négociations avec le FMI, elles se sont
interrompues sans qu’aucun accord n’ait été
trouvé. Enfin, il suffit d’ajouter que, outre
les conditions draconiennes posées par
l’institution de Bretton Woods, une nouvelle
aide financière au Pakistan était liée... aux
progrès sur la non-prolifération nucléaire,
pour prendre la mesure des difficultés économiques auxquelles le régime de Nawaz
Sharif devait faire face.
30
Afghanistan
Séisme meurtrier.
Un tremblement de terre, d’une magnitude de 7 sur
l’échelle de Richter, fait au moins 3 000 morts et des
dizaines de milliers de sans-abri dans le nord-est du
pays. Les secours ont du mal à parvenir jusqu’aux
victimes, la région étant montagneuse et souvent
dépourvue de routes. En février, un séisme de 6,4
dans la même région avait déjà causé la mort de
4 000 personnes.
Yougoslavie
Victoire réformatrice au Monténégro.
En obtenant 45 sièges sur 78, les réformateurs du
président monténégrin Milo Djukanovic, regroupés
au sein de la coalition « Vivre mieux », remportent les
élections législatives, au détriment du Parti socialiste
de l’ancien président Momir Bulatovic. Cette victoire
constitue un échec pour le Serbe Slobodan Milosevic, président de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), qui s’est toujours
opposé à la volonté d’autonomie et de libéralisme
politique du jeune président monténégrin (trente-six
ans), dont il avait déjà refusé de reconnaître l’élection
en octobre 1997.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
114
JUIN
1
République démocratique du
Congo
Remaniement ministériel.
Le président Laurent-Désiré Kabila annonce un
changement de son équipe gouvernementale.
Ses proches et les ministres liés à l’Ouganda et au
Rwanda demeurent en place. Sont remplacés (et
arrêtés) les ministres ouvertement liés à des affaires
de corruption. Cette opération, qui ne change pas
fondamentalement la donne politique, est destinée
à rassurer les bailleurs de fonds internationaux qui
estiment que, comme au temps de Mobutu, plus de
la moitié des recettes de l’État sont accaparées par les
responsables corrompus.
France
Grève à Air France.
Alors que la compagnie nationale annonce son
retour à une situation bénéficiaire (1,87 milliard de
francs pour le dernier exercice), les 3 400 pilotes de
ligne déclenchent une grève. Cette initiative intervient à quelques jours de l’ouverture de la Coupe du
monde de football en France. Ils réclament la suppression de la double échelle des salaires (différence
de salaires entre pilotes en place et jeunes pilotes
embauchés) et de l’échange d’actions de la société
contre la baisse des salaires. Avec un salaire brut
mensuel de 61 800 F (28 000 F en début de carrière,
120 000 F en fin de carrière pour un commandant
de bord sur Boeing 747), les pilotes d’Air France sont
payés 40 % de mieux que leurs collègues allemands
et 20 % que leurs collègues britanniques. Fort du
soutien de Matignon, le P-DG de l’entreprise, JeanCyril Spinetta, obtient finalement que les pilotes reprennent le travail le 10 : la suppression de la double
échelle est acceptée ; en contrepartie, les pilotes
acceptent une baisse et un gel de leurs salaires (en
échange d’actions de la société) pour une période
de sept ans.
3
Allemagne
Catastrophe ferroviaire.
Prés de 100 personnes trouvent la mort dans l’accident du train à grande vitesse (ICE) qui intervient au
sud de Hambourg. Le train a percuté un pont à plus
de 200 km/h. L’accident serait dû à un défaut sur les
roues. Aussitôt, tous les ICE sont soumis à une sévère
révision.
France
Projets de réforme de la justice.
Le projet de réforme du rôle et de la composition du
Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est discuté au Parlement : il vise à soumettre à l’avis du conseil
(où les magistrats seraient désormais en minorité,
afin d’éviter les risques de corporatisme) la nomination de l’ensemble des magistrats français (dont les
plus élevés sont nommés en Conseil des ministres).
Voulue par Jacques Chirac et présentée par le gouvernement, cette réforme est combattue par une
partie du RPR. Le même jour, Élisabeth Guigou, ministre de la Justice, présente en Conseil des ministres
son projet visant à interdire les instructions individuelles du garde des Sceaux aux parquets, tout en
renforçant les orientations générales de la politique
pénale par le ministère (décision de poursuivre tel ou
tel type d’actes, volonté de réprimer davantage ou
d’une façon plus clémente tel ou tel type d’infraction
ou de délit).
4
Corée du Sud
La confiance pour Kim Dae-jung.
Trois mois après son arrivée au pouvoir, le nouveau
président (de centre gauche) bénéficie de l’appui des
électeurs, ceux-ci ayant majoritairement voté en faveur des candidats se réclamant de lui aux élections
locales. Ce résultat est d’autant plus encourageant
pour M. Kim Dae-jung qu’il doit faite face à une très
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
115
grave crise économique et prendre, de ce fait, des
mesures impopulaires.
France
Déontologie pour la police.
L’Assemblée nationale approuve en première lecture
la création d’une commission nationale de la déontologie de la sécurité. Elle sera chargée de veiller au
respect des règles déontologiques par les personnels ayant des missions de sécurité, qu’ils relèvent du
secteur public ou du secteur privé. Elle disposera de
moyens tels que la possibilité de procéder à des vérifications sur place et de faire réprimer pénalement
tous ceux qui s’opposeraient à son action.
5
France
France 2 dans la tourmente.
Responsable de la rédaction depuis onze mois,
Albert Du Roy présente sa démission. Il dénonce
dans la presse « le gâchis » et « l’état d’esprit collectif pourri et pervers » de l’équipe journalistique de la
chaîne publique. Son départ intervient alors que le JT
du 20 heures atteint tout juste les 23 % d’audience,
contre 28 % moins de deux ans auparavant. Il est
remplacé par Pierre-Henri Arnstam, qui avait déjà
occupé ce poste entre 1985 et 1986.
Automobile
Rolls-Royce vendu à Volkswagen.
Le célèbre constructeur britannique de voitures de
luxe est cédé au groupe allemand pour 4,3 milliards
de francs. En proposant une offre de 27 % supérieure,
VW a finalement été préféré à son concurrent BMW,
qui avait menacé Rolls Royce de cesser de l’équiper
en moteurs. La firme britannique avait alors écarté le
danger en rachetant le motoriste Cosworth, capable
de remplacer BMW en quelques semaines.
7
Suisse
Les biotechnologies plébiscitées.
Par 66,7 % de « non », les électeurs helvétiques rejettent par référendum une proposition visant à interdire les biotechnologies dans le pays. Les partisans
du « oui » avaient mis en avant les risques que pouvait faire peser sur la santé publique l’introduction
des animaux et des fruits et légumes transgéniques.
Seuls 40 % des électeurs ont participé au vote.
Tennis
Doublé espagnol à Roland-Garros.
Carlos Moya obtient le titre masculin pour la première fois, en surclassant en finale son compatriote
et ami Alex Corretja. La veille, en battant l’Américaine
Monica Seles. Aranxta Sanchez-Vicario avait remporté, pour la troisième fois, l’épreuve sur terre battue du
Grand Chelem.
8
France
Plan sur la délinquance des mineurs.
Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur, et
Élisabeth Guigou, ministre de la Justice, présentent
le plan du gouvernement destiné à remédier à la
montée de la délinquance juvénile. Il s’agira de responsabiliser les parents (convocation systématique
de ces derniers), de renforcer la prévention à l’école
(contrôle de l’absentéisme, développement des
classes relais), de développer les mesures de réparation, les foyers d’accueil, de renforcer les moyens des
policiers et des juges spécialisés, et de concentrer
les efforts sur les zones d’exclusion. Ce programme
constitue un compromis entre une politique répressive, influencée par les exemples américain et britannique, et une politique sociale, expliquant d’abord la
délinquance par le milieu défavorisé dont sont issus
ses auteurs.
Japon
Forte baisse du yen.
La devise japonaise passe au-dessus de la barre des
140 yens pour un dollar, son niveau le plus faible depuis juin 1991. Dans les jours qui suivent, la Réserve
fédérale américaine intervient fortement pour soutenir la monnaie nippone en vendant du dollar, ce
qui permet d’enrayer sa chute. Washington craint
qu’une dévaluation trop marquée du yen ait pour
effet de précipiter la crise économique et financière
en Asie. Le 20, les partenaires du G8 enjoignent les
autorités de Tokyo d’agir pour enrayer la crise. Le
gouvernement de Ryutaro Hashimoto annonce alors
un train de mesures imminent, dont la création d’une
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
116
banque publique chargée de reprendre les créances
douteuses des établissements financiers japonais en
situation difficile. (chrono. 2/07)
Nigeria
Mort du président Sani Abacha.
Le chef de l’État nigérian meurt d’une crise cardiaque
à l’âge de cinquante-quatre ans. Allié au général
Ibrahim Babangida, il avait aidé celui-ci à conquérir
le pouvoir en 1985, puis lui avait succédé en 1993,
en annulant l’élection présidentielle remportée par
le candidat de l’opposition, Moshood Abiola. Le
général Sani Abacha, un nordiste musulman, avait
alors promis de « rendre le pouvoir aux civils », mais
avait mené ensuite une politique autoritaire, emprisonnant les opposants et réprimant notamment les
révoltes de la minorité ogonie, qui réclamait une
part de l’exploitation de ses ressources pétrolières.
Il est remplacé par le général Abdulsalam Abubakar,
jusque-là chef de l’état-major des armées. Alors que
le pays se trouve dans une situation catastrophique,
les leaders de l’opposition, tout comme a communauté internationale, espèrent que ce changement
à la tête de l’État permettra un retour à la démocratie.
Nigeria : Perestroïka
sous les Tropiques ?
Après cinq ans d’une implacable dictature
militaire, le Nigeria a renoué avec l’espoir. La
disparition de Sani Abacha, l’un de ses dirigeants
les plus brutaux depuis l’indépendance, et
son remplacement par le général Abdulsalam
Abubakar ont ouvert la voie à un retour du pouvoir
aux civils. En libérant les prisonniers politiques et
en promettant des élections libres et démocra-
tiques, le nouveau chef de l’État a offert le gage
de sa bonne volonté. Le géant de l’Afrique subsaharienne tient là une chance de jouer un rôle à sa
mesure dans cette partie du continent.
En quelques mois à peine, le Nigeria a connu
un bouleversement complet de son paysage
politique. La disparition brutale du général Sani
Abacha, mort d’un arrêt cardiaque le 8 juin,
alors qu’il s’apprêtait à se succéder à lui-même
au cours d’une parodie de processus, démocratique, a mis fin à cinq années de dictature.
Arrivé à la tête du pays par un putsch, le 17 novembre 1993, cet homme de fer, prototype de
l’oligarchie militaire du Nord, avait considérablement durci le régime. L’une de ses premières
décisions fut d’emprisonner Moshood Abiola,
vainqueur présumé de l’élection présidentielle
du 12 juin 1993. Son passage au pouvoir a été
émaillé de multiples autres atteintes aux droits
de l’homme, dont la plus choquante fut l’exécution de l’écrivain Ken Saro Wiwa et de huit autres
militants de la cause de la minorité ogoni, fin
1995. La corruption catastrophique, qu’illustre
parfaitement la pénurie d’essence frappant
depuis plusieurs mois ce pays producteur de pétrole, avait achevé de ternir l’image d’un État fortement isolé sur le plan international. Sani Abacha avait pourtant finalement promis de rendre
le pouvoir aux civils, sauf que le civil en question
n’était autre que lui-même, l’uniforme en moins.
De fait, les cinq partis politiques qu’il avait préalablement autorisés l’avaient tous choisi comme
candidat. Bref, l’inflexible général était devenu le
maître absolu du pays le plus peuplé d’Afrique.
Les premières mesures
d’apaisement
Sa disparition a été accueillie avec soulagement,
mais aussi avec une inquiétude évidente sur
l’avenir d’un géant de plus de 100 millions d’habitants, premier producteur de pétrole d’Afrique
subsaharienne et doté, de surcroît, d’une armée
parmi les plus puissantes du continent noir. Avec
la désignation immédiate de son successeur, le
général Abdulsalam Abubakar, les Nigérians,
pourtant habitués aux révolutions de palais,
n’étaient pas au bout de leurs surprises. Après
avoir annoncé la poursuite de la transition vers
un régime civil, le nouvel homme fort du Nigeria
a pris le contre-pied de son prédécesseur.
Une semaine, jour pour jour, après son arrivée
aux affaires, neuf prisonniers politiques – dont
des personnalités de premier plan comme
l’ancien président Olosegun Obasanjo, l’avocat
Beko Ransome Kuti ou la journaliste Christina
Anyanwu – étaient libérés. Dans les jours suivants, Abdulsalam Abubakar a laissé entendre
que le plus célèbre d’entre eux, Moshood Abiola,
pourrait lui aussi être élargi. Mais, deuxième
coup de théâtre en cette année mouvementée,
l’opposant a succombé à une crise cardiaque, le
7 juillet, au cours d’une réunion avec des responsables nigérians et américains. L’annonce de sa
mort a provoqué de violentes manifestations à
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
117
Lagos, la capitale économique, et dans d’autres
villes du Sud-Ouest, sa région d’origine, alors
que ses supporters criaient à l’empoisonnement.
Hypothèse d’autant plus crédible à leurs yeux
que la majorité des caciques de l’armée lui était
profondément hostile. Concluant à une mort
naturelle, l’autopsie menée par une équipe indépendante constituée de médecins étrangers,
faute de convaincre tout le monde, a quand
même permis un retour progressif au calme.
La transition vers un régime civil
Le chef de l’État a rapidement repris l’initiative,
le 20 juillet suivant, en annonçant son programme de transition. Contrairement au voeu
de l’opposition, le général Abubakar a refusé
la solution d’une conférence nationale ou d’un
gouvernement d’union. En revanche, il a proposé une courte transition devant s’achever le
29 mai 1999, avec la prestation de serment d’un
président démocratiquement élu, au début de
la même année, dans un contexte de multipartisme. Malgré la méfiance de la frange la plus radicale de l’opposition, dans un pays habitué aux
promesses non tenues des militaires, Abdulsalam Abubakar a tenu ses premiers engagements.
Au mois de septembre, la plupart des prisonniers
politiques ont été libérés, dont vingt militants de
la cause ogonie, accusés de meurtres et emprisonnés sans jugement depuis 1994.
Le chef de l’État a par ailleurs autorisé les partis politiques et entrepris d’assainir une économie gangrenée par la corruption. En outre, il a
renoué avec une communauté internationale
très favorable aux changements en cours, après
une longue période d’isolement marquée par
la suspension du Nigeria du Commonwealth et
les sanctions européennes et américaines à l’encontre de ses dirigeants.
Abdulsalam Abubakar a donc entamé avec succès la normalisation d’un pays considéré jusque-
là comme un paria. Mais, à la fin de l’année 1998,
la plupart des observateurs s’accordaient à dire
que sa principale difficulté serait de convaincre
la frange la plus conservatrice des militaires de
céder un pouvoir dont el le tire de nombreux
avantages, notamment en se servant sur l’importante rente que leur a procurée jusqu’ici la production de pétrole.
CHRISTOPHE CHAMPIN
Le géant de l’Afrique subsaharienne
Le Nigeria est, avec l’Afrique du Sud, l’une
des deux grandes puissances de l’Afrique
subsaharienne. Sa population, très importante (entre 100 et 120 millions d’habitants),
et sa production pétrolière (90 millions de
tonnes par an) l’appellent à jouer un rôle
de premier plan dans le continent. D’autant
que son armée est l’une des plus nombreuses et des mieux entraînées d’Afrique.
Celle-ci est d’ailleurs intervenue par deux
fois dans la région, au Liberia et en Sierra
Leone, sous la bannière de la Force ouestafricaine d’interposition (ECOMOC), dont
elle composait la majorité des contingents.
Autant dire que l’évolution politique de ce
pays incontournable est suivie de près par
ses voisins d’Afrique de l’Ouest et du Centre,
car son avenir peut être déterminant pour la
stabilité future de cette partie du continent.
9
Football
Ouverture officielle de la Coupe du
monde.
La France accueille trente et une nations pour la
XVIe compétition mondiale. Soixante-quatre matches
seront organisés dans dix villes à travers le pays (Paris,
Saint-Denis, Lens, Nantes, Bordeaux. Toulouse, Montpellier, Marseille, Saint-Étienne et Lyon). En audience
cumulée, trente-sept milliards de personnes suivront
l’événement à la télévision. La fête commence par un
défilé de quatre géants, symbolisant quatre continents – l’Afrique, l’Europe, l’Amérique et l’Asie – à
travers les mes de Paris, avant de se retrouver sur la
place de la Concorde. Néanmoins, beaucoup jugent
le spectacle quelque peu ennuyeux et sans originalité. (chrono. 12/07)
Guinée-Bissau
Tentative de rébellion militaire.
Une partie de l’armée, suivant l’ancien chef d’état-
major, le général Ansumane Mané, s’oppose aux
troupes loyalistes du président Joao Bernardo Nino
Vieira. Dans les jours qui suivent, des centaines de
personnes, civils et militaires, sont tuées et des milliers d’étrangers sont évacués. Le camp resté fidèle
au président Vieira est appuyé par les troupes de la
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
118
Guinée-Conakry et du Sénégal. Comme Conakry.
Dakar veut éviter un nouveau foyer d’instabilité dans
la région, et voit aussi le moyen de couper la base
arrière des rebelles de la Casamance, des Dioulas qui
vivent des deux côtés de la frontière.
10
Mexique
Affrontements ou Chiapas.
Une dizaine de personnes sont tuées au cours d’affrontements entre l’armée régulière et les forces de
l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Ces
violences interviennent alors que l’évêque de San
Cristobal a décidé de se démettre de ses fonctions
de médiateur entre les rebelles zapatistes et les autorités de Mexico.
12
Érythrée/Éthiopie
Hostilités ouvertes.
Après plusieurs jours de harcèlements réciproques,
les deux armées rentrent dans une phase de guerre
ouverte. Le conflit porte sur la délimitation de la frontière entre les deux pays, qui n’a jamais été fixée de
façon définitive depuis l’accession à l’indépendance
de l’Érythrée, en 1993. L’Organisation de l’unité africaine (OUA), qui réunit son 34e sommet, ne parvient
pas à ramener les responsables des deux gouvernements à la table des négociations.
France
Conférence sur la famille.
Lionel Jospin annonce une relance de la politique de
la famille passant par l’abandon de la suppression,
décidée pourtant par son gouvernement en 1997,
des allocations familiales aux familles les plus aisées,
compensée par un abaissement du quotient familial :
la réduction d’impôt sera plafonnée à 11 000 francs
par demi-part contre 16 380 francs jusqu’alors. Ainsi,
parmi les 630 000 familles les plus aisées, 230 000
seront gagnantes et 400 000 perdantes. En outre, les
prestations seront versées à toutes les familles jusqu’à
l’âge de vingt ans pour les enfants restant sous le toit
familial et les familles les plus modestes recevront
des avantages supplémentaires (amélioration de
l’allocation logement, bonification de l’allocation de
rentrée scolaire). Malgré des critiques émanant de sa
propre majorité, où le reversement des allocations
aux familles les plus aisées a été mal perçu, M. Jospin
déclare qu’il ne s’agit que d’un « point de départ » et
qu’il entend pousser plus loin la politique familiale de
son gouvernement.
France
Expertise sur la dépouille
d’Yves Montand.
Le rapport d’expertise effectué sur la dépouille du
chanteur, exhumée en mars, est formel : selon les
tests pratiqués sur son ADN, Yves Montand ne saurait être le père d’Aurore Drossart, cette jeune femme
qui prétend depuis plusieurs années être la fille du
chanteur.
Yougoslavie
Pressions sur Belgrade.
Alors que l’armée serbe intervient de plus en plus
durement dans la province du Kosovo et que des
centaines de Kosovars sont contraints de trouver
refuge en Albanie ou au Monténégro, les pays occidentaux veulent obliger le président de la Fédération
yougoslave, Slobodan Milosevic, à négocier avec les
représentants de la population de cette région, en
grande majorité d’origine albanaise. Après l’Union
européenne, les États-Unis et le Canada décident
de geler les avoirs yougoslaves et Washington interdit tout nouvel investissement américain en Serbie.
Malgré l’opposition de la Russie, l’OTAN envisage des
représailles armées et met sur pied des manoeuvres
aériennes dans la région.
13
Voile
Disparition d’Éric Tabarly.
Le célèbre navigateur breton disparaît en mer au
large des côtes du pays de Galles. Il avait soixantesix ans. Il se rendait en Irlande à bord de son fameux
Pen-Duick I, dont il allait fêter le centenaire. Il a été
projeté à l’eau au cours d’une manoeuvre nocturne.
Ses équipiers n’ont pu venir à son secours. Officier
de marine, il se fait connaître en 1964 en remportant
la fameuse Transat anglaise en solitaire (Ostar). Dans
les années qui suivent ce premier exploit, il gagne
Sydney-Hobart, la Transpacifique, une deuxième
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
119
Ostar et établit le record de l’Atlantique. Il contribue,
de façon décisive, à populariser la voile en France et
forme toute une génération de navigateurs, qui allaient s’illustrer à leur tout, tels Alain Colas, Olivier de
Kersauson, Marc Pajot, Philippe Poupon ou Titouan
Lamazou. Technicien de grande valeur, il met au
point avec les ingénieurs et les architectes maritimes
plusieurs formules qui contribuent à révolutionner
la voile, comme le multicoque, l’utilisation de matériaux nouveaux ou la conception de l’Hydroptère, un
bateau futuriste qui décolle en ne restant en contact
avec l’eau que par ses foils.
France
Édouard Balladur et
la « préférence nationale »
L’ancien Premier ministre crée un remous important en déclarant qu’il souhaite la création d’une
commission extraparlementaire sur le thème de
la « préférence nationale », ouverte au Front national. Cette proposition met dans l’embarras la droite
républicaine : Philippe Séguin et François Bayrou la
condamnent fermement, tandis que Nicolas Sarkozy
ou Alain Madelin comprennent, sans l’approuver, la
démarche de M. Balladur. L’analyse de ce dernier se
fonde sur le fait que, si la majorité des Français est
hostile à un traitement social discriminatoire à l’égard
des étrangers en situation régulière, un tiers de l’opinion, soit deux fois l’électorat du FN, s’y déclare explicitement favorable.
La mort d’Éric Tabarly
« Des marins comme Éric, il y en a un par siècle. »
À l’image de cet hommage d’Olivier de Kersauson,
la disparition du célèbre navigateur a provoqué
une vive émotion dans toute la France. À soixantesix ans, Tabarly, en semi-retraite depuis cinq ans,
était devenu un mythe, et pas seulement dans le
monde de la voile.
Pour Éric Tabarly, le fait de s’attacher était une
incongruité qu’il n’imposait qu’à ses passagers.
Pour lui, porter un gilet de sauvetage sur un
bateau relevait de l’hérésie. C’est donc vêtu d’un
simple ciré jaune que le plus fameux marin de
France a disparu dans la nuit du 12 au 13 juin
1998, éjecté de Pen-Duick Premier par une mauvaise vague alors qu’il tentait de changer de
voile. Et c’est grâce au célèbre pull-over marine
marqué à sa griffe que l’on a, cinq semaines plus
tard, identifié le corps repêché par le chalutier
An Yvidig au large de l’Irlande.
« La mer n’est pas méchante »
Cette phrase avait été prononcée par sa veuve
Jacqueline lors d’une cérémonie organisée
dans la rade de Brest en présence du président
Jacques Chirac, le 21 juin, après les dix jours de
décence observés lors de toute disparition en
mer. « La mer l’a pris, mais elle ne l’a pas volé.
Elle n’a été pour lui que le moyen de retourner
à la maison du Père [...]. Elle est la matrice dans
laquelle il est revenu et vous ne retrouverez pas
son corps », avait-elle alors prédit. Mais la mer
n’a pas voulu garder celui qui lui avait dédié
sa vie et c’est après de sordides comparaisons
d’empreintes dentaires que l’hôpital irlandais de
Waterford a, trois jours après la découverte du
corps, officiellement identifié la dépouille d’Éric
Tabarly.
Pouvait-il disparaître autrement qu’à la barre
d’un voilier ce légendaire navigateur, icône de
marin au visage buriné, qui contribua à faire
découvrir la course au large au public français ?
Pouvait-il s’en aller à bord d’un autre bateau que
Pen-Duick, son premier navire, qui ne sortait plus
que rarement, celui qui fut à l’origine de sa vocation, celui sur lequel il tira son premier et dernier
bord ?
Une vocation précoce...
C’est à sept ans que le petit Breton né à Nantes,
élevé à La Trinité-sur-Mer, trimbalé de poupe en
proue par un père passionné, décide de son destin. En manoeuvrant le quadragénaire Pen-Duick,
le gamin déjà taciturne se forge un caractère en
acier, une force morale et physique qui cimenteront ses succès futurs. Passionné par son bateau, le jeune homme lui dédit sa solde de jeune
enseigne de vaisseau de l’Aéronavale et ses précieux moments de temps libre. Pour le conserver
à flot, il s’engage même en Indochine, histoire de
gagner quelques sous immédiatement engloutis
dans l’entretien de son unique luxe.
En bricolant son bateau, secondé par les frères
Gilles et Marc Costantini avec qui il collaborera
sur certaines de ses embarcations suivantes,
Tabarly acquiert ce savoir-faire qui, autant que
ses victoires, a contribué à sa notoriété dans le
milieu de la voile. Mais les premières sorties de
Pen-Duick en compétition sont des semi-échecs
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
120
et la construction de nouvelles unités s’avère indispensable pour servir des ambitions sportives.
C’est Pen-Duick II qui consacre le talent de Tabarly
en 1964. Dans la Transat anglaise en solitaire, le
Français, inconnu parmi les géants anglo-saxons
de la voile, devance sir Francis Chichester dans la
rade de Newport sans connaître sa position dans
la course. Cette arrivée qui lança sa légende était
l’un des meilleurs souvenirs du marin au verbe
rare : « Les gens du bateau-feu, au large de Newport, sont venus à ma rencontre. Ils m’ont dit
que j’étais premier, mais comme mon anglais
était très mauvais, je n’étais pas bien sûr de tout
comprendre. »
... qui en suscita bien d’autres
En 1976, sa seconde et magistrale victoire dans
l’épreuve confirme son étonnante popularité.
Son bateau Pen-Duick IV, conçu pour être dirigé
par dix hommes, franchit la ligne alors qu’on le
croyait disparu. « Cette victoire, dira-t-il, c’est
celle dont je suis le plus fier ». Quatre ans plus
tard, le Breton réussira l’un de ses derniers grands
faits d’armes en battant le record de la traversée
de l’Atlantique vieux de soixante-quinze ans, en
10 jours, 5 heures, 14 minutes et 20 secondes.
Entre son avènement et l’apogée de sa carrière,
et avant de connaître quelques déboires – abandon dans la Route du rhum 1986, chavirement
dans La Baule-Dakar 1987, échecs répétés dans
la Whitbread –, Éric Tabarly n’a pas seulement
accumulé les exploits sportifs. Il a aussi largement contribué à faire progresser l’architecture
navale, lançant par exemple la vogue des multicoques, et a surtout formé une grande partie
de cette génération de marins qui fait désormais
la réputation de la voile tricolore. « La pédagogie et moi, ça fait deux » aimait à ronchonner le
« taiseux » dont la liste des hommes d’équipage
est pourtant un véritable « Who’s who » de la
voile : Olivier de Kersauson, Titouan Lamazou,
Marc Pajot, Philippe Poupon, Alain Colas – disparu en mer a bord de Pen-Duick IV rebaptisé
Manureva. Tous ont hissé des voiles pour lui et
se souviennent avec émotion et respect de leur
temps de moussaillon. « Il aimait dire qu’il n’était
pas pour grand-chose dans les succès de ses
anciens élèves », expliquait à l’Équipe Magazine
Titouan Lamazou, vainqueur du Vendée Globe
Challenge en 1990. « Je peux dire pour moi qu’il
n’y était effectivement pas pour grand-chose : il
y était pour tout. »
Depuis 1993, Tabarly s’était retiré à Bénodet,
dans le Finistère. En 1997, il était sorti de son silence pour publier ses Mémoires du large et remporter, douze ans après sa dernière victoire, la
Route du café, avec Yves Parlier. Économe de ses
apparitions, il ne sortait plus en mer que pour
son plaisir. Comme ce 12 juin 1998, où il barrait
Pen-Duick Premier vers un rassemblement de
vieux gréements au pays de Galles.
FRANÇOISE CHAPTAL
La dynastie des Pen-Duick
Pen-Duick Premier : le bateau historique,
cotre bâti en 1898 et racheté par Guy Tabarly en 1938. Première et dernière embarcation d’Éric Tabarly.
Pen-Duick II : ketch construit en 1964 par
Cilles Costantini. Vainqueur de la Transat en
solitaire en 1964.
Pen-Duick III : goélette construite en 1967
par Tabarly lui-même. Vainqueur du Fastnet
et de Sydney-Hobart en 1967.
Pen-Duick IV : trimaran-ketch construit en
1968 en collaboration avec André Allègre.
Vainqueur de la Transat 1972 sous le nom de
Manureva, barré par Alain Colas. L’homme
et le bateau ont disparu dans la Route du
rhum 1978.
Pen-Duick V : sloop construit en 1969 par
Michel Bigoin et Daniel Duvergie. Vainqueur
de la Transpacifique 1969.
Pen-Duick VI : ketch construit en 1973 par
André Mauric. Vainqueur de la Transat 1976.
15
France
Baisse du taux de rémunération du
Livret A.
La rémunération du Livret A, du Livret bleu et du
Codevi passe de 3,5 % à 3 %, celle des comptes
épargne-logement (CEL) de 2,25 % à 2 % et celle
des plans épargne-logement (PEL) de 4,25 % à 4 %.
Alors que l’inflation ne dépasse plus guère 1 % par
an, les banquiers réclamaient cette baisse depuis
longtemps, estimant qu’une trop forte rémunération
de l’épargne populaire ne se justifiait plus et qu’elle
concurrençait leurs propres produits d’épargne. En
garantissant que les épargnants les plus modestes
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
121
(ceux qui cotisent aux Livrets d’épargne populaire,
dont le taux reste inchangé à 4,75 %) ne seront pas
touchés, le gouvernement tente de faire passer cette
mesure impopulaire, surtout lorsqu’elle émane d’une
majorité de gauche.
Justice
Vers la création d’une Cour criminelle
internationale.
Sous la présidence de Kofi Annan, secrétaire général
des Nations unies, les délégués d’une centaine de
pays se réunissent à Rome pour discuter des bases
d’un tribunal permanent destiné à juger les auteurs
de crimes contre l’humanité, de guerre ou de génocide. Même si la plupart des participants s’accordent
sur le principe de la mise sur pied de la CCI, les oppositions demeurent fortes, notamment sur le degré
d’indépendance du tribunal vis-à-vis des États. Les
États-Unis et la France sont partisans de subordonner
son action à l’autorisation du Conseil de sécurité de
l’ONU ; certains suggèrent même de conditionner sa
compétence, au cas par cas, à l’acceptation préalable
par les pays dont les ressortissants sont en cause. Les
obstacles demeurent donc très importants sur la voie
de la création d’une Cour criminelle internationale.
16
France
Rapport sur les drogues.
Une commission, composée d’experts français
et étrangers et dirigée par le professeur Bernard
Roques, remet un rapport sur les drogues à Bernard
Kouchner, secrétaire d’État à la Santé. Ce rapport
insiste sur la dangerosité des différents produits et
remet en cause la distinction entre drogues licites et
drogues illicites. Il classe les substances toxiques selon leur dangerosité physique, psychique et sociale :
dans la première catégorie, on trouve l’héroïne et la
cocaïne, mais aussi l’alcool ; dans la seconde, les psychostimulants, les hallucinogènes, les benzodiazépines et le tabac ; dans la troisième, celle des drogues
les moins dangereuses, le cannabis. Ce rapport, s’il ne
conclut pas à la distinction entre drogues « dures »
et drogues « douces », intervient à un moment où
la polémique sur ce thème a repris fortement dans
l’opinion et dans la classe politique.
France
Verdict dans le procès de l’affaire Yann
Piat.
Lucien Ferri, vingt-six ans, qui avait reconnu les faits,
est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité
pour avoir tiré, en février 1994, sur la députée du Var.
Gérard Finale, cinquante-trois ans, patron du bar le
Macama, écope de la même peine. Alors qu’il a toujours nié, il lui était reproché d’être le commanditaire
de l’assassinat ; après la mort de Jean-Louis Fargette,
parrain du milieu du Var, il aspirait à devenir, à son
tour, le chef de la pègre locale, et craignait que Yann
Piat, par sa campagne contre la corruption, mette un
frein à ses ambitions. Il avait donc, selon des témoignages convergents, poussé une bande de petits
malfrats, habitués de son établissement, à abattre
Mme Piat, alors en pleine campagne pour l’élection
à la mairie de Hyères. Les autres protagonistes de
l’affaire sont condamnés à des peines allant de vingt
ans de prison à l’acquittement. Ce procès, qui aura
duré six semaines et vu défiler 160 témoins, a laissé
cependant d’importantes zones d’ombre, relatives
notamment aux liens de toute évidence ambigus
entre la classe politique locale et le milieu.
18
France
Lo parité homme/femme
constitutionnalisée.
Le Conseil des ministres entérine une proposition
de réforme constitutionnelle stipulant que « la loi
favorise l’égal accès des femmes et des hommes
aux mandats et fonctions politiques ». L’adoption
définitive de cette disposition permettra qu’ensuite
des lois soient adoptées pour organiser dans les faits
cette parité entre les sexes. Le gouvernement s’est
assuré préalablement du soutien de Jacques Chirac,
réticent au départ, mais qui a compris que, politiquement, refuser une telle réforme, populaire dans l’opinion, serait préjudiciable pour lui.
France
Vote d’une loi sur la chasse.
Malgré l’abstention du gouvernement et l’opposition
résolue de Dominique Voynet, ministre de l’EnvironnedownloadModeText.vue.download 123 sur 417
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122
ment, et de certains élus de gauche, députés et sénateurs, droite et gauche confondues, votent une loi,
contraire à une directive européenne, prolongeant les
périodes de chasse aux oiseaux migrateurs et au gibier
d’eau. L’adoption de cette proposition de loi émanant
du Sénat démontre une nouvelle fois le poids politique des chasseurs, qui, s’ils ne représentent que 3 %
de la population, exercent une pression très forte dans
les circonscriptions à dominante rurale.
Sciences
Avancées dans la lutte contre le sida.
Les deux prestigieuses revues scientifiques internationales Nature et Science, font état des résultats des
recherches de deux équipes de chercheurs américains, l’une de Boston, l’autre de New York, qui sont
parvenus à isoler les voies d’accès du virus du sida
dans les cellules sanguines. Cette découverte devrait
permettre des avancées réellement significatives
dans les thérapies médicamenteuses de la maladie
et faciliter la mise au point, à terme, d’un vaccin.
19
République tchèque
Difficile victoire des sociauxdémocrates.
Le Parti social-démocrate (CSSD) de Milos Zeman arrive en tête aux élections législatives avec 32,3 % des
suffrages et 74 sièges sur 200 à l’Assemblée nationale.
Il devance le Parti démocratique civique (ODS, droite)
de l’ancien Premier ministre Vaclav Klaus (27,7 % des
voix et 63 sièges), le Parti communiste (KSCM, 11 % et
25 sièges), l’Union chrétienne-démocrate (KDU, 9 %
et 20 sièges) et l’Union de la liberté (US, centre droit,
8,6 % et 19 sièges). Le président Vaclav Havel charge
M. Zeman de constituer le nouveau gouvernement,
mais, face à un tel éparpillement des suffrages, la
tâche s’annonce difficile.
21
Colombie
Victoire du conservateur Andrès
Pastrana.
Le candidat de la droite est élu président au second
tour avec 50,43 % des voix. Il l’emporte sur son concurrent libéral Horacio Serpa, handicapé par le fait qu’il
avait été le principal collaborateur du président sortant. Ernesto Samper. Celui-ci ne s’était jamais remis de
la divulgation de ses liens avec le cartel de la drogue,
qui avait financé sa campagne électorale. Âgé de quarante-quatre ans, M. Pastrana est diplômé de Harvard
et fils d’un ancien président de la République, de 1970
à 1974. Il a axé l’essentiel de sa campagne sur la lutte
contre la corruption, mais sa tâche principale, à court
terme, est de ramener la paix dans le pays, en ouvrant
des pourparlers avec les groupes armés de guérilla.
Les Forces armées révolutionnaires de Colombie
(FARC) s’étaient prononcées en sa faveur.
France
Violences au Mondial.
Alors que des incidents avaient opposé à Marseille
des hooligans anglais aux forces de l’ordre, un gendarme est très grièvement blessé, à la suite d’une
agression de hooligans allemands venus à Lens à l’occasion d’un match de leur équipe nationale de football. Deux des agresseurs du gendarme, laissé entre
la vie et la mort, sont interpellés. Il s’agit de jeunes
déjà arrêtés pour violence dans leur pays, mais dont
on ne peut prouver l’appartenance à la mouvance
d’extrême droite, qui, de toute évidence, agit derrière
le noyau des hooligans allemands les plus déterminés. En Allemagne, l’émotion est intense, et plusieurs
quêtes sont organisées pour venir en aide à la famille
du gendarme français agressé.
Iran
Diplomatie du football.
Profilant de la rencontre entre l’Iran et les États-Unis
à l’occasion de la Coupe du monde, les autorités de
Washington réaffirment leur souhait de reprendre
avec Téhéran des relations normales. Alors que les
Iraniens se réjouissent de la victoire de leur équipe,
le président de la République, Mohamad Khatami,
entre à nouveau en conflit avec les milieux conservateurs de la classe politique : à l’éviction par le Parlement du ministre de l’Intérieur, Abdollah Nouri,
connu pour ses opinions libérales, il rétorque en
nommant immédiatement ce dernier au poste de
vice-président de la République, chargé du développement ci des affaires sociales.
Israël
Création d’un « Grand Jérusalem ».
Malgré les condamnations américaine, européenne
et arabe, le gouvernement israélien approuve le plan
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
123
présenté par le Premier ministre Benyamin Netanyahou visant à la création d’une entité administrative
regroupant la partie juive et la partie arabe de la ville.
Cette structure entérine la création des multiples colonies juives dans les zones palestiniennes et en favorisera la création de nouvelles, celles-ci n’étant plus
astreintes des demandes d’autorisations auprès de
plusieurs autorités. Si, dans son ensemble, la presse
critique cette mesure, qui contribue encore un peu
plus à geler le processus de paix, la classe politique,
même l’opposition, est unanime à approuver une initiative largement populaire dans l’opinion.
Togo
Réélection contestée du général
Gnassingbé Eyadéma.
Le président sortant (en place depuis 1967) est réélu
avec 52,13 % des voix contre 34,6 % à son principal
concurrent, Gilchrist Olympio, candidat de l’Union
des forces du changement et fils du premier président togolais, assassiné lors du coup d’État de 1963
auquel participa le jeune sergent-chef Eyadéma.
Alors que la présidente de la Commission électorale
nationale démissionnait de son poste pour protester
contre les entraves dont elle s’estimait victime, les
observateurs internationaux faisaient savoir que le
scrutin ne leur semblait pas s’être déroulé de façon
satisfaisante. De violentes manifestations de protestation se produisent dans la capitale et en province.
22
France
Condamnation de colleurs d’affiches du
Front national.
Robert Lagier, reconnu coupable d’avoir tué d’une
balle dans le dos, en février 1995, un jeune homme
d’origine comorienne, Ibrahim Ali, alors que celuici rentrait d’une séance de répétition musicale, est
condamné à quinze ans de réclusion criminelle.
M. Lagier et ses deux coaccusés (condamnés à dix
ans et deux ans de prison), qui collaient des affiches
du Front national au moment des faits, avaient plaidé
la légitime défense, mais le ministère public a souligné que rien dans le comportement des jeunes,
menacés par les prévenus, ne justifiait une telle réaction. Bruno Mégret, no 2 du Front national, était venu
témoigner au procès pour soutenir ses militants.
24
France
Démission du président d’EDF.
Edmond Alphandéry, ancien ministre de l’Économie,
en conflit ouvert avec son directeur général Pierre
Daurès, également démissionnaire, quitte son poste
à la tête de l’entreprise publique. Il est remplacé par
François Roussely, directeur du cabinet du ministre
de la Défense. Certains s’interrogent sur l’opportunité de nommer à un tel poste un haut fonctionnaire
politique et non un industriel confirmé, alors que le
marché de l’électricité doit s’ouvrir à la concurrence
au début de 1999.
25
Algérie
Assassinat d’un chanteur kabyle.
Lounès Matoub, quarante-deux ans, grande figure
de la culture populaire kabyle, est abattu près de son
village, dans la région de Tizi Ouzou, par des tueurs
appartenant au GIA (Groupe islamiste armé). Déjà
victime d’un attentat en 1988, il avait été enlevé en
1994 lors d’un rapt attribué au GIA, puis avait été libéré à la suite d’un mouvement populaire en sa faveur.
Étonnés d’une telle libération, certains avaient même
accusé Lounès Matoub d’avoir organisé lui-même
son enlèvement. Grand pourfendeur de l’intégrisme
islamiste dans ses chansons et militant de la cause
berbère, il était, en tout état de cause, une figure
particulièrement exposée. Depuis quelques années,
il vivait principalement en France. Sa mort intervient
alors que le gouvernement d’Alger impose une loi
sur l’arabisation, qui proscrit aussi bien l’usage du
français que de la langue berbère, le tamazight.
Chine/États-Unis
Voyage officiel de Bill Clinton.
Neuf ans après la répression sanglante de la place
Tian’anmen, le président américain entame un
voyage de neuf jours dans le pays le plus peuplé du
monde. Même s’il s’est engagé à évoquer la question des droits de l’homme, il espère accroître les
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124
échanges économiques entre les deux nations et
convaincre les autorités de Pékin de ne pas dévaluer le yuan, ce qui aurait pour effet d’aggraver la
crise financière en Asie. Les autorités chinoises, pour
leur part, escomptent de ce voyage un retour définitif de leur pays sur la scène internationale après la
répression sanglante de 1989, et un relâchement des
liens entre Washington et Taïwan. De fait, M. Clinton
évoque devant les Chinois les événements de 1989
et la question du Tibet, ce qui n’empêche pas le
voyage d’être un succès pour les deux parties.
Grande-Bretagne
Les modérés l’emportent en Ulster.
Les partisans des accords de paix remportent 75 %
des voix lors des élections aux institutions semiautonomes prévues par les accords du 10 avril. Les
radicaux protestants, opposés à tout relâchement
des liens avec la Grande-Bretagne, n’obtiennent que
30 sièges sur un total de 108, ce qui les prive de la
minorité de blocage. Le protestant modéré David
Trimble est ensuite élu Premier ministre d’Ulster.
26
France/Afrique du Sud
Jacques Chirac rencontre Nelson
Mandela.
Pour le président sud-africain, le voyage de J. Chirac,
deuxième étape de la tournée du président français
en Afrique australe, ne constitue pas « un nouveau
départ », mais est plutôt « la continuité d’un processus ». Les deux chefs d’État signent quatre accords
de coopération dans les domaines maritime, policier,
douanier et sportif. Les deux hommes évitent les
sujets désagréables, comme la politique de la France,
toujours soupçonnée de comportement paternaliste, notamment lors de la crise des Grands Lacs ou
la guerre dans l’ex-Zaïre.
Tunisie
Grève de la faim.
Khémal Ksila, vice-président de la Ligue tunisienne
des droits de l’homme entame une grève de la faim
pour protester contre « les mauvaises conditions » de
sa détention. Il avait été condamné en février à trois
ans de prison ferme par un tribunal de Tunis pour
« propagation de nouvelles de nature à troubler l’ordre
public » et « incitation des citoyens à transgresser les
lois ».
France
Attaque contre les chasseurs.
Les associations de protection de la nature de la fé-
dération France nature environnement (FNE) lancent
une contre-attaque pour faire échec à la loi sur les
dates d’ouverture de la chasse, contraire au droit européen. Une lettre est envoyée à Dominique Voynet,
ministre de l’Environnement, pour lui demander de
signer un arrêté d’ouverture de la chasse aux oiseaux
migrateurs et aux oiseaux d’eau au 1er septembre,
conformément à la directive européenne. Ce qui revient à ignorer la loi votée une semaine auparavant.
Une centaine d’autres lettres sont expédiées aux
préfets pour qu’ils prennent un arrêté départemental
sur la date de fermeture de la chasse au 31 janvier,
toujours selon la législation européenne, et non sur
la nouvelle loi qui, elle, fixe la date au 28 février. Parallèlement, France nature environnement annonce
qu’elle porte plainte devant l’Union européenne.
Maroc
Exil confirmé pour Serfaty.
Abraham Serfaty, le plus célèbre des opposants
marocains, exilé en France, ne peut toujours pas
rentrer dans son pays. La Cour suprême marocaine,
qui devait se prononcer sur la demande d’annulation
d’un arrêté d’expulsion contre M. Serfaty, a repoussé
sa décision au 16 juillet. Elle sera finalement négative.
Japon
Mariage de raison dans la banque.
La direction de la LTCB (Long Term Crédit Bank)
annonce sa fusion avec un autre établissement
bancaire, le Sumitomo Trust. Dixième plus grande
banque du Japon, mais littéralement moribonde, la
LTCB avait subi de violentes attaques à la Bourse de
Tokyo. Le nouvel ensemble sera le premier à se faire
racheter ses encours douteux par la banque relais
publique que le gouvernement entend mettre sur
pied pour assainir un secteur plombé par de mauvaises créances. La LTCB totalise près de 1 200 milliards de francs d’actifs et emploie 3 600 salariés
pour un réseau de 41 succursales. Sa création, qui
remonte au lendemain de la Seconde Guerre mondownloadModeText.vue.download 126 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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diale, répondait alors aux besoins énormes suscités
par la reconstruction.
Arabie saoudite
Des doutes au sujet de l’Opep.
Le plus puissant membre de l’Opep (Organisation
des pays exportateurs de pétrole) émet publiquement des doutes sur la survie d’un cartel « démodé
dans ses méthodes ». La formule traduit l’agacement
des Saoudiens à l’égard des fauteurs de troubles,
comme le Venezuela et l’Iran qui persistent à ignorer les quotas de production sur lesquels ils se sont
pourtant engagés. Une attitude qui ne fait qu’aggraver le surplus de pétrole sur les marches et contribue,
par conséquent, à la chute des prix. Ryad envisage
la création d’une nouvelle alliance de pays exportateurs capable d’influencer davantage les cours du
baril. Évoquant la naissance d’un tel organisme, le
ministre saoudien du pétrole a ajouté que l’Opep
pouvait « patauger pendant quelques mois... ». Réelles
intentions ou effet d’annonces ? La majorité des experts pétroliers s’accordent sur le fait que, en dépit de
nombreuses imperfections, l’Opep est, à court terme,
irremplaçable. Toujours selon eux, si un nouvel organisme devait voir le jour, il s’agirait d’une Opep bis.
27
Turquie
Séisme meurtrier.
Les villes d’Adana et de Ceyhan, au sud de la Turquie,
sont touchées par un violent tremblement de terre
de magnitude 6,3 sur l’échelle de Richter. On compte
plus d’une centaine de morts et quelque 1 500 blessés. Le président Suleyman Demirel et le Premier
ministre Mesut Yilmaz se rendent le lendemain dans
la zone sinistrée, assurant la population que « l’État
saura panser, par tous ses moyens, les blessures des victimes de la catastrophe ».
France
Le FN indésirable dans les lycées
du Nord-Pas-de-Calais.
Le conseil régional Nord-Pas-de-Calais refuse l’entrée
de représentants du Front national dans les conseils
d’administration des lycées. L’assemblée, forte d’une
majorité plurielle, à laquelle se rallie Lutte ouvrière
pour la première fois, s’oppose au principe d’un vote
à la proportionnelle intégrale. Ce mode de scrutin
aurait attribué des postes aux représentants frontistes. Le FN et la droite ne prennent pas part au vote.
France
Fête de l’Alliance.
La fête départementale de l’Alliance pour la France –
confédération regroupant le RPR, démocratie libérale
et l’UDF – se déroule dans une ambiance morose à
Port-Marly, dans les Yvelines. Les cinq principaux lea-
ders de la droite, Philippe Séguin, François Léotard.
Nicolas Sarkozy, François Bayrou et Alain Madelin se
succèdent à la tribune devant quelque 2 500 militants en s’essayant à l’offensive. Sans grand succès. Il
est vrai que l’Alliance cherche ses marques et que les
personnalités les plus en vue ne parviennent pas à
se mettre d’accord sur les modalités de l’élection du
futur président de l’intergroupe à l’Assemblée nationale. Le mot de la fin est revenu à François Bayrou :
« Pour que l’Alliance soit forte, il faut que chacun des
mouvements qui la compose soit fort ». Les militants
des diverses formations de l’opposition n’ont pas
paru convaincus.
28
France
Disparition de Jacques Pilhan.
Ancien conseiller en communication de François
Mitterrand à l’Élysée, devenu celui de Jacques Chirac,
J. Pilhan s’éteint à l’âge de cinquante quatre ans des
suites d’un cancer. Après avoir été le « communicant » du président socialiste pendant onze ans, de
1984 à 1995, M. Pilhan rejoint M. Chirac au lendemain
de l’élection présidentielle de mai 1995. Omniprésent à l’Élysée lors des deux premières années de la
présidence de M. Chirac, M. Pilhan se fait plus rare
au lendemain de la dissolution catastrophique pour
la droite de l’Assemblée nationale en avril 1997, en
raison, notamment, de son état de santé. Peu apprécié par nombre de gaullistes, l’homme n’en est pas
moins brillant. Bachelier à quinze ans, il devient directeur des stratégies à l’agence de publicité RSCG en
1970. Il crée, cinq ans plus tard, sa propre société de
communication, Temps Public, comptant de nombreuses personnalités parmi ses clients. En 1981, il
est aux côtés de Séguéla avec lequel il participe à
la mise en route de la campagne du candidat socialiste, contribuant à l’élaboration du slogan « la force
tranquille ». Parallèlement, il assume les fonctions de
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126
directeur général adjoint de Havas, de 1991 à janvier
1993.
TPI
Suicide dans la prison du Tribunal pénal
international
L’ancien maire de Vukovar, le Serbe Dokmanovic
se donne la mort dans la prison modèle de Sche-
veningue, au nord de La Haye. Accusé de crime de
guerre, il avait été arrêté en juin 1997 en Slavonie
orientale par des responsables des Nations unies
qui ont administré jusqu’en janvier cette région de
Croatie ôtée en 1991 à la tutelle de Zagreb par des
rebelles serbes appuyés par l’ex-armée yougoslave.
Tout au long de son procès devant le Tribunal pénal
international (TPI), M. Dokmanovic a nié avoir supervisé le massacre de 200 Croates à l’hôpital de Vukovar
lors de la chute de la ville en novembre 1991.
Portugal
Victoire du « non » à l’IVG.
Les Portugais rejettent la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse par 50,9 % des voix
contre 49,1 %. Le projet de réforme, présenté par les
Jeunesses socialistes, était censé mettre fin à une loi
qui n’autorise l’IVG qu’en cas de viol, de malformation
du foetus ou lorsque la vie de la future mère est en
danger. Selon la Constitution le résultat n’a pas de
valeur juridique dans la mesure où le nombre des
votants n’a pas dépassé 50 % des inscrits (le taux
d’abstention est de 68 %). Quoi qu’il en soit, le groupe
socialiste a choisi de ne pas représenter ce projet de
loi. Il est vrai que le Parti socialiste doit faire face à
l’opposition du Premier ministre Antonio Guterres,
catholique pratiquant et partisan du maintien de
l’actuelle législation.
29
Russie
Menace de dévaluation.
Afin de convaincre les députés d’adopter rapidement un programme anticrise qu’ils doivent examiner le lendemain, le ministre des Finances Mikhaïl Zadornov agite le spectre d’une dévaluation du rouble.
Selon lui, une dévaluation est inévitable si la collecte
des impôts, une faiblesse chronique de l’économie
russe, n’augmente pas dans les prochains. Jusqu’à
présent, seuls les économistes passant pour les plus
pessimistes, évoquaient la possibilité d’une dévaluation de la monnaie. De son côté, le Premier ministre
Sergueï Kirienko fait appel au civisme des parlementaires affirmant une nouvelle fois que, si le plan n’est
pas « mis en oeuvre dans les plus brefs délais, alors
la sécurité et l’intégrité de l’État seraient menacées ».
Ce plan prévoit une réduction des dépenses d’environ 40 milliards de francs et une augmentation des
recettes de prés de 20 milliards de francs.
Fédération yougoslave
Pression serbe au Kosovo.
Les forces serbes redoublent d’efforts pour reprendre
les mines à ciel ouvert de Belacevac, tombées aux
mains de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) une
semaine plus tôt. Ce gisement situé à une dizaine de
kilomètres du chef-lieu du Kosovo, Pristina, alimente
la centrale thermique d’Obilic, unique source d’électricité de la province, qui exporte également vers le
Grèce et la Macédoine. Selon l’agence Reuter, des
forces de l’armée yougoslave prennent part à l’opération. L’UCK est persuadée qu’elle peut arracher
militairement l’indépendance du Kosovo, alors que
les experts de l’OTAN pensent qu’elle ne pourrait pas
résister à une vraie offensive serbe.
Israël
Tension entre le chef de l’État et le
Premier ministre.
Ezer Weizman, rompant avec le rôle honorifique de
ses prédécesseurs, prend publiquement position sur
la politique du gouvernement conduite par Benyamin Netanyahou. En effet, il déclare dans une interview à la première chaîne publique que « le processus de paix est boiteux. Il ne progresse pas. Il n’y a pas
de contacts avec les Palestiniens et les Américains. Si le
Premier ministre n’organise pas de référendum, il doit
provoquer des élections anticipées. Le plus tôt sera le
mieux. » Le chef de l’État estime avoir été trompé par
son Premier ministre. Ce dernier se serait servi de
lui pour abuser la communauté internationale. À sa
demande, M. Weizman a tenté de convaincre les partenaires occidentaux ou arabes d’Israël de l’immence
d’un retrait militaire en Cisjordanie. Un mouvement
qui était présenté comme l’affaire de semaines, voire
de jours. De son côté, M. Netanyhou se garde bien de
polémiquer, car il n’ignore pas que le chef de l’État
est l’un des hommes politiques israéliens les plus
populaires. Aussi, le Premier ministre s’est-il contenté
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
127
de rappeler que les élections auront lieu à la date
prévue, soit en l’an 2000.
Espagne
Rupture entre les socialistes basques et
les nationalistes du PNV
Les socialistes annoncent qu’ils retirent leur soutien
au Parti nationaliste basque (PNV), mettant fin à
une coalition qui dirige la région depuis douze ans.
Les trois « ministres » socialistes reprochent au PNV
un rapprochement trop appuyé en direction de
Herri Batasuna (HB), branche politique de l’ETA. Un
rapprochement qui serait une ébauche de « front
nationaliste » de nature à bouleverser la donne politique locale, avec, en toile de fond, des spéculations
sur un espoir de paix. Il est vrai que le PNV et HB ont
uni leurs voix au Parlement autonome contre un
amendement socialiste qui prévoyait d’obliger les
députés basques à prêter serment sur la Constitution espagnole à chaque début de législature. Par
ailleurs, le PNV entretient depuis le début de l’année
des contacts discrets avec HB pour explorer une
solution de paix sur le mode irlandais. Les socialistes
reprochent, in fine, au PNV de s’auto-exclure du front
des partis démocratiques qui refusent le dialogue
tant que Herri Batasuna ne condamnera pas les attentats de l’ETA.
30
États-Unis/Irak
Bombardement américain en Irak.
Un avion de chasse de l’US Air Force détruit une batterie de missiles anti-aériens dans le sud de l’Irak. Selon
les autorités américaines, le F-16 a ouvert le feu pour
protéger quatre appareils britanniques « accrochés »
par un radar irakien, alors qu’ils patrouillaient dans la
zone d’exclusion aérienne décrétée par l’ONU. De son
côté, le gouvernement irakien, par l’intermédiaire de
son porte-parole, confirmant l’incident, dénonce les
« velléités agressives des États-Unis ».
Union européenne
Installation officielle de la Banque
centrale à Francfort.
La cérémonie, organisée dans l’opéra de la ville, réunit le ban et l’arrière-ban des gouvernements, des
banques centrales de l’Union européenne et de la
Commission. On remarque toutefois la faible représentation de la France. Ni Lionel Jospin ni Jacques
Chirac n’ayant fait le déplacement, c’est Dominique
Strauss-Kahn qui représente la France. De même, les
« pères » français de l’euro, tels Raymond Barre ou
Valéry Giscard d’Estaing ont brillé par leur absence.
Parmi les six discours officiels, – Wim Duisenberg,
président de la BCE, Tony Blair, José Maria Gil-Robles,
président du Parlement européen, Jacques Santer,
président de la Commission, Helmut Kohl, chancelier
de la République allemande, et Viktor Klima, chancelier de l’Autriche – on retiendra à coup sûr ceux de
Tony Blair et d’Helmut Kohl. Le Premier ministre britannique s’est livré à un vibrant plaidoyer en faveur
de la monnaie unique, regrettant que son gouvernement soit obligé de gérer une situation léguée par
ses prédécesseurs conservateurs. Prêt à tout pour
que son pays accompagne l’aventure, il déclare :
« Nous nous sommes engagés à fond dans la préparation pratique de l’euro pour le 1er janvier prochain.
Les entreprises britanniques pourront librement utiliser
l’euro. » Et d’ajouter : « Nous croyons, en principe, qu’une
participation britannique à une monnaie unique qui
réussit sera bénéfique pour la Grande-Bretagne et pour
l’Europe. » Quant au chancelier allemand, son intervention aura ressemblé à un testament politique,
celui que tous les sondages donnent battu aux
élections législatives du 27 septembre a justifié son
engagement européen, comme s’il craignait que les
électeurs lui en tiennent rigueur.
France
Le Crédit foncier cherche repreneur.
Le secrétaire d’État au Budget, Christian Sauter,
défend devant l’Assemblée nationale le projet de
reprise du Crédit foncier de France par le consortium
associant l’Américain GMAC (filiale de General Motors), les Caisses d’épargne et le Crédit commercial
de France. Selon lui, « le Foncier deviendrait la tête d’un
réseau européen, donc élargirait considérablement son
champ d’activités, et il étendrait les prêts hypothécaires
qui sont moins développés dans notre pays que dans
d’autres. » En revanche, les syndicats maison restent
farouchement opposés à cette offre.
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128
JUILLET
1
France
Retrait du projet de réforme du mode
de scrutin européen.
Lionel Jospin annonce qu’il retire le projet du gouvernement sur la réforme du mode de scrutin pour
les élections européennes. Le Premier ministre n’a pu
que constater qu’il ne pourrait faire adopter ce texte
face à l’opposition conjuguée des communistes, des
Verts, du RPR et de la majorité de l’UDF. Le projet, qui
avait l’accord de Jacques Chirac, consistait à maintenir le scrutin proportionnel, mais à l’intérieur de huit
grandes circonscriptions régionales au lieu d’une
seule circonscription nationale. La réforme visait à
rapprocher les élus européens de leurs électeurs et à
ancrer ainsi davantage l’idée européenne dans l’opinion. Elle avait aussi pour objet de masquer les divi-
sions des différents partis sur la question européenne
en les forçant à s’allier au plan local, de favoriser, à
gauche, le leadership du PS et, à droite, de M. Chirac,
qui aurait évité ainsi de voir ses concurrents à la tête
de l’opposition se mettre en avant.
République démocratique du
Congo
Libération du principal opposant.
Assigné à résidence dans son village natal, Étienne
Tshisekedi est autorisé à regagner la capitale, Kinshasa. Cette libération intervient au lendemain de la
publication d’un rapport de l’ONU accusant LaurentDésiré Kabila et ses alliés rwandais de « crimes contre
l’humanité » commis, au cours de la guerre civile de
1997, à rencontre des réfugiés hutus du Rwanda,
dans l’ex-Zaïre.
2
France
Création d’une commission de recours
pour les sans-papiers.
Le gouvernement annonce la création d’une commission administrative, composée de hauts magistrats et de hauts fonctionnaires préfectoraux, chargée
d’examiner les recours présentés par les déboutés de
l’opération de régularisation des étrangers en situation irrégulière, lancée par le ministre de l’Intérieur,
Jean-Pierre Chevènement. Plus de 70 000 personnes
ont d’ores et déjà bénéficié d’une régularisation ;
un nombre équivalent, en majorité des célibataires,
a été rejeté. Défendus par les organisations humanitaires et par un certain nombre d’intellectuels, les
déboutés réclament une application plus cohérente
des critères posés par le ministre de l’Intérieur. (chrono. 16/07)
Japon
Annonce d’un grand plan
d’apurement financier.
Le gouvernement de Ryutaro Hashimoto s’engage
dans l’apurement des créances douteuses (chiffrées
à 550 milliards de dollars) pesant sur les banques nippones. L’opération devrait durer entre deux et cinq
ans. Un établissement public sera créé pour coordonner la reprise en mains de tous les établissements
financiers défaillants par des « banques relais », dépendant également de l’État. Le plan prévoit aussi un
allégement de l’impôt sur le revenu et une réforme
de la fiscalité sur les entreprises, propre à favoriser la
consommation et l’investissement. (chrono. 13/07)
5
Algérie
Entrée en vigueur de la loi sur
l’arabisation.
Choisissant la date anniversaire de l’indépendance
du pays, le gouvernement met en application la
loi, votée en 1996, généralisant l’usage de la langue
arabe. Désormais toutes les institutions, publiques
ou privées, devront rédiger l’ensemble de leurs documents en arabe littéraire, une langue que n’utilise
pas la majorité de la population, qui s’exprime soit
en arabe local, soit en kabyle, soit en français. Cette
loi, conçue pour donner satisfaction à la fraction des
islamistes modérés qui collaborent avec le gouvernement, indigne une partie de l’opinion, notamment
en Kabylie et dans les milieux démocrates.
Grande-Bretagne
Tensions en Ulster.
La traditionnelle marche des protestants orangistes
de Portadown est arrêtée par les autorités à l’entrée
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
129
de la partie catholique du parcours. Depuis des
années, les catholiques d’Ulster vivaient comme
une provocation cette marche destinée à fêter la
défaite des papistes face aux troupes de Guillaume
d’Orange, à la fin du XVIIe siècle. Les activistes protestants s’indignent de cette interdiction, décidée dans
la logique des accords de paix du mois d’avril, et multiplient les incidents. Londres dépêche 800 hommes
de troupe supplémentaires dans la province. (chrono. 12/07)
Tennis
Pete Sampras et Jana Novotna
vainqueurs à Wimbledon.
L’Américain remporte son cinquième titre sur le gazon anglais au détriment du Croate Goran Ivanisevic,
tandis que la Tchèque gagne son premier titre du
grand chelem en battant Nathalie Tauziat, première
finaliste française à Wimbledon depuis Suzanne
Lenglen, en 1925.
6
France
Plan pour le contrôle des dépenses
de santé.
Pour lutter contre une hausse trop forte des dépenses de santé constatée au cours des six derniers
mois, Martine Aubry, ministre des Affaires sociales,
annonce un plan visant particulièrement les laboratoires pharmaceutiques et les radiologues. Ces derniers sont invités à proposer, dans les quinze jours,
des solutions, tandis que sera favorisée l’utilisation
des médicaments génériques (remèdes moins chers
dont le brevet est tombé dans le domaine public), à
terme, le gouvernement entend engager de larges
négociations avec les professions médicales pour
aboutir à une réforme globale plus opérationnelle
que celle proposée par le plan Juppé.
France
Réforme constitutionnelle pour
la Nouvelle-Calédonie.
Réunis à Versailles, les parlementaires votent par
827 voix contre 31 et 27 abstentions une réforme
de la Constitution permettant de mettre en application les accords sur la Nouvelle-Calédonie du 5 mai.
Cette réforme, qui définit le corps électoral appelé à
voter dans l’île (les personnes présentes sur le territoire en 1988 et leurs descendants) et prévoit une
loi organique sur les transferts de compétence de
l’État français à l’autorité locale, donne une force
supplémentaire aux accords passés entre les représentants des communautés kanak et caldoche et le
gouvernement.
7
Italie
Condamnation de Silvio Berlusconi.
L’ancien Premier ministre et homme d’affaires est
condamné à deux ans et neuf mois de prison pour
corruption. Il lui est reproché d’avoir « acheté » trois
hauts fonctionnaires de la brigade fiscale. M. Berlusconi fait aussitôt appel, ce qui le soustrait à tout risque
d’incarcération pour plusieurs années, et dénonce le
« procès politique » qui lui est fait. Une semaine plus
tard, il est à nouveau condamné à deux ans et quatre
mois de prison pour une affaire de financement illicite du Parti socialiste à la fin des années 80.
Nigeria
Mort du principal opposant.
Moshood Abiola meurt en prison d’une crise cardiaque soudaine, alors que couraient depuis plusieurs jours des rumeurs sur sa prochaine libération.
Aussitôt, des manifestations violentes ont lieu à travers le pays et l’on déplore plusieurs morts. Âgé de
soixante ans, M. Abiola avait bâti une grande fortune
dans les affaires avant de se lancer dans la politique
et de se présenter aux élections présidentielles en
1993. Il semble alors l’emporter quand le régime
militaire du général Babangida annule purement et
simplement le scrutin. Ce décès, que ses proches
attribuent à un empoisonnement ou, pour le moins,
à une négligence médicale, annule toutes les prétentions à la démocratisation du régime, quelques
semaines après l’arrivée au pouvoir du général Abdulsalam Abubakar.
Proche-Orient
Victoire diplomatique pour
les Palestiniens.
Malgré l’opposition des États-Unis et d’Israël, l’Assemblée générale des Nations unies confère, a une très
large majorité, à la délégation palestinienne le statut de « super-observateur », ce qui lui permettra
de se faire entendre sur les questions concernant le
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Proche-Orient, sans pour autant disposer d’un droit
de vote.
9
Bourse
Accord germano-britannique.
La Bourse allemande de Francfort et le London Stock
Exchange créent une société commune où seront
traitées, à partir de janvier 1999, les 300 plus importantes valeurs boursières de l’Europe. Un système
électronique commun reliera les deux places financières, où tous les agents auront accès aux carnets de
commandes des autres. Cette alliance constitue un
coup dur pour la Bourse de Paris, qui regrette de ne
pas avoir réussi à se rapprocher de Francfort comme
cela avait été tenté en 1996.
10
France
Nomination du primat des Gaules.
Mgr Louis-Marie Bille, archevêque
et président de la conférence des
mé par Jean-Paul II archevêque de
au cardinal Jean Balland, mort le
d’Aix-en-Provence
évêques. est nomLyon. Il succède
1er mars.
12
Équateur
Jamil Mahuad élu à la présidence.
L’avocat démocrate-chrétien l’emporte au second
tour avec 51,6 % des voix sur son concurrent populiste, le milliardaire Alvira Noboa. Âgé de quarantehuit ans, maire de Quito, il a acquis une grande audience dans les milieux populaires grâce à sa gestion
de la capitale.
Football
Les Bleus champions du monde.
L’équipe de France de football, entraînée par Aimé Jacquet, remporte la XVIe Coupe du monde en battant
en finale au Stade de France l’équipe du Brésil par 3 à
0 (2 buts de Zinedine Zidane et 1 but d’Emmanuel Petit). Pendant toute la compétition, elle n’a subi aucune
défaite en sept rencontres, et termine avec la meilleure défense (2 buts encaissés) et la meilleure attaque
(15 buts marqués). La France est le septième pays à
remporter le trophée après l’Uruguay (1930, 1950),
l’Italie (1934, 1938, 1982), l’Allemagne (1954, 1974,
1990), le Brésil (1958, 1962, 1970, 1994), l’Argentine
(1978, 1986) et l’Angleterre (1966). Une explosion de
joie suit cet exploit et plus d’un million et demi de personnes fêtent la victoire sur les Champs-Élysées, tandis
que des manifestations spontanées ont lieu dans de
nombreuses villes de province. La presse internationale salue l’organisation de cette coupe (mis à part des
problèmes sur une partie de la billetterie laissée aux
tour-opérateurs et qui a fait l’objet de malversations) et
souligne le côté multiracial de l’équipe tricolore.
Grande-Bretagne
Violences en Ulster.
Trois jeunes enfants issus d’un couple catholique et
protestant sont brûlés vifs dans l’incendie de leur
maison attribué par la police aux groupes extrémistes protestants, particulièrement actifs depuis la
reprise des marches orangistes dans la province.
13
Japon
Démission du Premier ministre.
Au pouvoir depuis 1996, Ryutaro Hashimoto annonce sa démission après les mauvais résultats de
son parti, le PLD (Parti libéral-démocrate, conservateur), aux élections sénatoriales. Les libéraux-démocrates ont perdu 17 sièges et leurs alliés socialistes,
7. Les grands gagnants du scrutin sont le Parti démocrate de Naoto Kan et le Parti communiste, qui reste
cependant très minoritaire. Les électeurs, qui se sont
rendus plus que de coutume aux urnes, ont sanctionné la politique hésitante de M. Hashimoto face
à la crise financière qui handicape le pays depuis
plusieurs mois. Demeurant majoritaire à la Chambre
des députés, le PLD devra sans doute se trouver de
nouveaux alliés pour gouverner, probablement en
direction du PD. (chrono. 24/07)
Russie
Aide historique de 22,6 milliards
de dollars.
Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque
mondiale et le gouvernement japonais accordent à
Moscou un prêt de 22,6 milliards de dollars pour 1998
et 1999. Cette aide exceptionnelle permet dans l’immédownloadModeText.vue.download 132 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
131
diat aux autorités russes de ne pas dévaluer le rouble.
En échange, le gouvernement de Sergueï Kirienko
s’engage à réduire de moitié en deux ans son déficit
budgétaire et à agir sur la structure de la dette russe,
en cessant, notamment, d’émettre des obligations
d’État destinées à résorber à court terme le déficit des
finances publiques. L’ancien no 2 du gouvernement,
Anatoli Tchoubaïs, nommé depuis représentant spécial
du président Boris Eltsine, est particulièrement chargé
de rassurer les responsables occidentaux inquiets de
voir les députés russes, communistes en tête, refuser
de voter les mesures imposées par la situation. La crise
financière a été relancée en Russie à la suite de la déconfiture des Bourses asiatiques, qui avait eu pour effet
de relancer la spéculation contre le rouble.
15
Espagne
Suspension d’un journal basque.
Le juge d’instruction Baltasar Garzon fait fermer
provisoirement le journal Egin, soupçonné de liens
étroits avec l’organisation terroriste ETA. Des manifestations dans plusieurs villes basques sont organisées
pour protester contre cette mesure.
16
France
Charles Pasqua en faveur de la
régularisation de tous les sans-papiers.
L’ancien ministre de l’Intérieur des gouvernements
Chirac et Balladur suggère de régulariser tous les
étrangers en situation irrégulière qui se sont fait
connaître auprès des préfectures, soit environ
70 000 personnes. Cette suggestion, venant d’un
homme qui a laissé son nom à une loi restreignant les
conditions de séjour des étrangers en France, étonne
autant à droite qu’à gauche. Un sondage indique que
50 % des Français sont favorables à une régularisation de tous les sans-papiers déclarés. (chrono. 14/08)
17
France
Relance de l’affaire du sang contaminé.
La commission d’instruction de la Cour de justice de
la République décide de renvoyer devant cette cour
Laurent Fabius, ancien Premier ministre, Edmond
Hervé, ancien secrétaire d’État à la Santé, et Georgina
Dufoix ancien ministre des Affaires sociales, pour
« homicides involontaires et atteintes involontaires à
l’intégrité des personnes », dans le cadre de l’affaire
du sang contaminé. Ce renvoi fait suite à certaines
plaintes présentées par des victimes, ou leurs ayants
droit, de transfusions de sang contaminé par le virus
du sida, au milieu des années 80. À cette date, les autorités en place, dont l’arrêt de renvoi dit qu’elles ont
« contribué à créer les conditions qui ont rendu possibles » les contaminations, auraient négligé, malgré
l’information qui existait déjà à l’époque sur le sida,
de faire sélectionner les donneurs de sang, de faire
inactiver le virus du sida par chauffage des prélèvements sanguins, et auraient sciemment laissé utiliser
des réserves de sang dont on savait qu’il pouvait être
nocif. Cette attitude aurait été motivée par le souci
d’attendre l’arrivée sur le marché de tests de dépistage sanguin fabriqués en France, alors qu’il existait
déjà des tests américains. Plusieurs dizaines de personnes, notamment des hémophiles, sont mortes à
la suite de ces transfusions.
Justice
Naissance de la Cour pénale
internationale.
Réunis à Rome sous l’égide des Nations unies,
120 pays (sur 160 présents, 7, dont les États-Unis,
ayant voté contre) décident de la création d’une
cour internationale, dont le siège sera à La Haye,
et qui aura compétence sur quatre catégories de
crimes reconnus en droit international : génocide,
crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes
d’agression. La Cour pourra commencer à fonctionner quand au moins 60 États auront officiellement
ratifié le traité l’instituant, ce qui devrait prendre trois
ou quatre ans. L’élaboration du traité a fait l’objet
d’âpres discussions ; le principal objet de discorde a
trait à l’article permettant pendant sept ans à chaque
État signataire de se soustraire aux obligations du
traité pour ce qui est des crimes de guerre. La France,
qui a été très critiquée pour avoir soutenu cette solution, justifie sa position en faisant remarquer que la
catégorie des crimes de guerre est la plus difficile à
définir.
Russie
Obsèques officielles du dernier tsar.
Le président Boris Eltsine assiste à l’inhumation officielle à Saint-Pétersbourg des restes de Nicolas II et
de sa famille, quatre-vingts ans jour pour jour après
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
132
leur exécution par les communistes. La cérémonie
est restée volontairement discrète et peu d’hommes
politiques de premier plan, hormis le démocrate
d’opposition Grigori Iavlinski et le général Alexandre
Lebed, y ont assisté. Pendant plusieurs semaines,
M. Eltsine avait laissé entendre qu’il ne se rendrait
pas aux obsèques, tandis que le patriarche de l’Église
orthodoxe russe, Alexeï II, refusait de reconnaître
l’authenticité des dépouilles (pourtant scientifiquement authentifiées par des tests ADN américains et
britanniques).
Yougoslavie
Regain de tension au Kosovo.
Des combats à la frontière avec l’Albanie font plus de
110 morts en deux jours. Belgrade et Tirana s’accusent
mutuellement de violation des frontières, après que
l’armée yougoslave a bombardé le territoire albanais
pour lutter contre l’introduction d’armes et de munitions en provenance d’Albanie. L’opinion internationale s’inquiète de plus en plus de la tournure que
prend le conflit, alors que l’Armée de libération du
Kosovo (UCK) prend une importance croissante au
détriment des modérés kosovars d’Ibrahim Rugova,
à qui il est reproché de n’avoir rien obtenu du président yougoslave Slobodan Milosevic.
18
Algérie
Reprise des tueries.
Une cinquantaine de personnes, militaires ainsi que
civiles, sont assassinées dans plusieurs régions, notamment au bord des plages, par des tueurs soupçonnés d’appartenir au groupe islamiste armé (GIA).
Ces violences interviennent à quelques jours de la
visite d’une mission d’information de l’ONU, menée
par l’ancien président portugais Mario Soares, et
sont interprétées comme une volonté de la part des
islamistes de montrer qu’ils continuent d’agir à leur
guise malgré les opérations de ratissage de l’armée.
Cyclisme
Dopage sur le Tour de France.
Une semaine après l’interpellation à la frontière franco-belge du soigneur de l’équipe Festina, en possession d’un important stock de produits dopants,
et au lendemain de la mise en examen de Bruno
Roussel, directeur sportif de l’équipe, qui a avoué que
celle-ci se dopait systématiquement sous contrôle
médical, l’ensemble des coureurs de Festina est exclu de la compétition. Ceux-ci, sous la conduite de
leur chef de file, Richard Virenque, décident d’abord
de prendre quand même le départ de l’étape puis
renoncent, sur l’instance du directeur du Tour, JeanMarie Leblanc. Cette affaire remet gravement en
cause l’éthique du sport cycliste et, plus largement,
du sport en général. Le public qui suit le Tour au bord
des routes estime généralement que la sanction qui
frappe les Festina est injuste car chacun se doute
que toutes les équipes se dopent de la même façon.
Marie-George Buffet, ministre des Sports, opposante
résolue du dopage, entend poursuivre aussi loin que
possible la lutte contre ce fléau en faisant adopter un
projet de loi spécifique. Les contrôles sur les athlètes
et leur entourage seront renforcés. Reste l’environnement médiatique et financier du sport, qui pousse
à la multiplication des performances et à l’alourdissement des calendriers de rencontres, ce qui oblige
souvent les athlètes à se doper pour honorer leurs
engagements.
Papouasie-Nouvelle-Guinée
Raz-de-marée meurtrier.
À la suite d’un séisme sous-marin de force 7 sur
l’échelle de Richter intervenu à quelques kilomètres
de la côte nord-ouest du pays un tsunami (terme
japonais signifiant « vague de tempête ») ravage plusieurs villages côtiers, faisant plus de 8 000 victimes.
Des vagues hautes de dix mètres emportent tout sur
leur passage. Des équipes médicales d’urgence venues d’Australie tentent de porter secours aux survivants, mais les blessés sont si nombreux et les risques
d’épidémie et de famine si grands que l’on craint un
bilan encore plus catastrophique.
19
Afghanistan
Départ des ONG.
La plupart des organisations humanitaires quittent le
pays après que le pouvoir taliban (étudiants en théologie islamique) les a obligées à quitter leurs locaux
dans le centre de Kaboul pour être regroupées dans
un lieu excentré sans eau ni électricité, et que deux
collaborateurs locaux de l’ONU ont été assassinés.
Seuls les organismes dépendant des Nations unies
ont décidé, malgré tout, de rester, estimant que près
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
133
de la moitié de la population de la capitale dépendait
de leur aide.
La « talibanisation »
de l’Afghanistan
En lançant de nouvelles offensives dans le nord
du pays, les talibans ont considérablement modifié la géographie de la guerre, comme l’a montré
le regain de tension entre le Pakistan, allié des
miliciens, et l’Iran, dont le soutien à l’opposition
chiite est avéré. Quoi qu’il en soit, la guerre était
loin d’être terminée – ce dont ont témoigné les
ONG expulsées du pays. Quant aux bombardements américains, non loin de la frontière avec le
Pakistan, ils n’ont fait qu’ajouter à la confusion.
La guerre en Afghanistan a donc connu un
tournant majeur avec l’entrée, le 8 août, de la
milice islamiste des talibans dans Mazar-i-Sharif, la « capitale » du nord du pays, et le dernier
bastion de la résistance – en l’occurrence, les
miliciens chiites d’ethnie hazara du Hezb-i-Waahdat, qui y cohabitaient avec différentes forces
de l’opposition. En mai 1997, les talibans étaient
entrés une première fois dans Mazar-i-Sharif,
mais ils avaient subi de lourdes pertes après le
retournement du général Dostom, qui leur avait
ouvert les « portes » de la ville. Quatre mois plus
tard, ces mêmes talibans s’apprêtaient à investir
la ville, mais devaient reculer sous les assauts de
l’opposition, au prix de lourdes pertes. Si la prise
de Mazar-i-Sharif a inquiété la Russie et l’Ouzbékistan, c’est en Iran que les réactions ont été
le plus vives. En effet, la République islamique
soutenait avec force les chiites installés à Mazari-Sharif. De plus, la disparition de 11 diplomates
iraniens lors de l’assaut des talibans a porté la
tension à son comble. Cette affaire a vite eu
des conséquences négatives sur les relations
de l’Iran et du Pakistan, toujours tendues à propos de l’Afghanistan, Islamabad soutenant les
talibans depuis le premier jour. En revanche, le
bombardement américain dirigé contre Oussama Ben Laden, commanditaire présumé des
attentats contre les ambassades américaines
à Nairobi et à Dar es-Salaam, a été critiqué par
toutes les factions en présence. Les États-Unis,
qui avaient encouragé le soutien pakistanais aux
talibans, ont dénoncé la situation des droits de
l’homme en Afghanistan. Mais qui sont au juste
ces fameux talibans ?
Le régime des talibans
C’est au cours de l’été 1994 que les talibans font
leur entrée sur la scène afghane. Recrutant parmi
les étudiants en religion des réseaux de madrasas (écoles religieuses privées) établis de part et
d’autre de la frontière afghano-pakistanaise, les
talibans ont créé un mouvement militaro-politique sous la houlette de Mollah Omar dont l’objectif était, d’une part de mettre fin à la « banditisation » croissante des petits chefs moudjahidin,
de l’autre, d’imposer une conception extrêmement puritaine de la charia. Très vite, les talibans
ont tiré profit de la polarisation ethnique et du
soutien pakistanais. En effet, dès 1994, le régime
d’Islamabad a misé sur les talibans, en lesquels
il voyait une alternative pachtoune : la volonté
pakistanaise de contrôler indirectement l’Afghanistan grâce à un gouvernement qui soit à la fois
fondamentaliste et issu de l’ethnie pachtoune
n’est plus alors un mystère pour personne. Bénéficiant donc d’une aide importante du Pakistan,
les talibans ont très vite accumulé les succès
militaires ; ce fut d’abord la prise de toutes les
régions pachtounophones, puis, en septembre
1995, de la ville de Hérat, au nord-ouest du pays.
Un an plus tard, ils obtenaient leur plus grande
victoire en s’emparant de Kaboul. Désormais, ils
pouvaient concentrer leurs forces sur un nouvel
objectif d’envergure, Mazar-i-Sharif, qui devait
finalement tomber, comme on l’a vu, entre leurs
mains. Il reste que les talibans ont toutes les
peines du monde à tenir leurs positions dans
les zones majoritairement non pachtounes. En
revanche, dans les zones qu’ils contrôlent fermement, les talibans ont imposé une application
des plus rigoureuses de la charia, et une exclusion des femmes de l’espace public. Parallèlement, les étudiants en théologie ont décidé, en
juillet, de fermer le bureau des affaires humanitaires de la Commission européenne à Kaboul.
Bruxelles avait, peu avant annoncé le gel de son
aide à tout projet humanitaire dans la capitale
afghane en raison des incessantes tracasseries contre les ONG, dont l’Union européenne
finance les projets. Ajoutons que les mauvais
traitements réservés aux femmes par les talibans
ont également motivé la décision des autorités
européennes. Ainsi, le porte-parole de l’UE a dénoncé « une sorte d’apartheid sexuel. Les femmes
sont victimes de discriminations. Cela viole toute
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
134
sorte de principes et en particulier les règles de
l’aide humanitaire ». Il est vrai qu’en quelques
mois les talibans de Kaboul ont jeté au bûcher
l’éducation des filles, la littérature et la télévision. On y tranche désormais les mains et les
pieds des « criminels » et l’on fait donner le bâton
contre celui qui bafouille en récitant le Coran.
Mais c’est aussi ce régime si vertueux qui a laissé
en place les filières de la drogue dont personne
n’ignore l’existence dans la région. En expulsant
la plupart des organisations humanitaires, les talibans ont refusé d’admettre que près de 60 % de
la population de Kaboul dépendait de cette aide
pour la nourriture, l’eau et les soins élémentaires
de santé. La milice islamique aura donc préféré
voir partir des étrangers, témoins gênants de
ses agissements. Quant à la population, qui a
ainsi vu ses conditions de vie se dégrader un peu
plus, elle est apparue comme l’otage impuissant
d’une guerre dont on voit mal quel pourrait être
l’épilogue, les talibans peinant à gagner durablement du terrain et les différents clans adverses
défaisant le jour l’alliance conclue la veille.
PHILIPPE DE L’ENFERNAT
La polarisation ethnique
La polarisation ethnique s’est organisée
autour de quatre groupes principaux : derrière le commandant Massoud, on retrouve
les persanophones sunnites (Tadjiks) du
Nord-Est ; le général Dostom s’appuie sur
une base essentiellement ouzbèke, que
renforcent des éléments persanophones de
l’ancienne armée communiste ; les Hazaras
chiites, concentrés surtout dans le centre du
pays, ont trouvé à se fédérer dans le Parti
de l’unité : ce sont eux qui ont pris Kaboul
en 1992 avant d’éclater aussitôt, puis de se
reconstituer en 1996 pour parer à la menace
des talibans ; enfin, l’ethnie pachtoune,
dominante, se répartit en plusieurs tribus et
partis dont le plus célèbre est indiscutablement le très radical Hezb-i islami dirigé par
Goulbouddin Hekmatyar. Depuis le retrait
des troupes soviétiques d’Afghanistan, ces
différents groupes ont vécu et combattu au
rythme d’alliances et de retournements d’alliance incessants. À bien des égards, cette
polarisation ethnique constitue le (acteur
essentiel de la continuation de la guerre.
22
France
Privatisation d’Aerospatiale.
L’avionneur français (constructeur d’Airbus, des hélicoptères Eurocopter et des missiles Exocet) va être
fusionné avec la firme Matra Hautes Technologies.
L’État ne conservera que 45 à 49 % du capital de
l’entreprise, dont Matra en détiendra 30 à 33 %. Cette
opération devrait permettre à l’industrie de défense
française de mieux aborder la phase des concentrations européennes en s’appuyant sur deux grands
groupes : un pôle électronique avec Alcatel, Thomson-CSF et Dassault (qui devrait se rapprocher du
britannique GEC) et un pôle aéronautique.
République tchèque
Constitution d’un gouvernement
minoritaire.
Le Premier ministre Milos Zeman forme une équipe
pro-européenne constituée uniquement de
membres de sa formation, le Parti social-démocrate
(CSSD), qui ne compte que 74 députés à la Chambre
sur un total de 200. Il devra compter sur l’appui au
coup par coup du Parti démocratique civique (OSD)
de l’ancien Premier ministre Vaclav Klaus. Les rapports de ce dernier et du chef de l’État, Vaclav Havel,
se sont dégradés depuis que le second accuse le premier d’être à la tête d’une formation corrompue et de
chercher à le destituer pour « haute trahison ».
23
Iran
Lourde condamnation du maire de
Téhéran.
Gholamhossein Karbastchi est condamné à cinq
ans de prison et à de lourdes amendes pour détournement de fonds publics. S’il nie avoir détourné le
moindre argent en sa faveur, le maire reconnaît qu’il
a contribué à la campagne électorale du président
Mohammad Khatami, dont il est un chaud partisan.
Cette pratique est largement répandue dans le pays.
Sa condamnation est perçue comme hautement
politique et constitue un nouvel épisode de l’affrontement entre conservateurs et réformistes. Elle
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
135
intervient à quelques mois d’échéances électorales
importantes.
Russie
Attentat contre le président de la
Tchétchénie.
Aslan Maskhadov, le président de la république de
Tchéchénie, échappe de peu à un attentat à la voiture piégée. Considéré comme un modéré partisan
de la négociation avec les Russes, il accuse cependant Moscou d’avoir organisé ce forfait contre sa personne. En réalité, les soupçons pèsent sur les chefs de
guerre locaux, qui supportent mal l’autorité du pouvoir central que cherche à imposer le président élu.
Iran, une ouverture
contestée
On a dit que l’élection à la présidence de la
République en 1997 de Mohammed Khatami a
représenté un tournant rien moins qu’historique,
la population iranienne ayant en effet manifesté,
en portant ses suffrages sur un homme réputé
libéral, une claire volonté d’ouverture. On aura
aussi prédit au chef de l’État de nombreuses difficultés, alimentées par les profondes résistances
qui ne pouvaient pas manquer de s’exprimer dans
les rangs des ultras. Des prévisions donc sans
grande surprise qui ont dessiné, en 1998, une
géographie de la lutte pour le pouvoir.
Dès sa prise de fonction, le président Khatami
s’est efforcé de justifier l’attente créée par son
élection. Les signes sont apparus rapidement,
comme le relâchement des contrôles sur la tenue vestimentaire et la reprise en main des différents appareils de l’État – notamment, les ser-
vices secrets. Ces premières mesures en forme
d’ouverture répondaient à une ferme volonté de
rétablir un État de droit, mis à mal par l’activisme
d’un appareil judiciaire utilisé comme arme de
guerre par son chef, l’ayatollah Yazdi, un proche
de Nategh Nouri, candidat malheureux à la
présidence en mai 1997. La population a salué
cette politique, parfois de manière inattendue,
comme lors de la qualification de l’équipe nationale de football pour la Coupe du monde : on
se souvient que des milliers de jeunes femmes
ont, à cette occasion, envahi le stade, réservé
aux hommes. De même, le public iranien aura
réservé un accueil chaleureux, en février 1998, à
une équipe de lutteurs américains. Le nouveau
président, jugeant le contexte favorable, a ainsi
pu proclamer, dans une interview accordée à
CNN, la fin de l’exportation de la révolution islamique. Et creusant le même sillon, il appelait à
un rapprochement avec les États-Unis. Mais c’est
surtout sur la politique intérieure du gouvernement que les conservateurs ont réagi. Craignant
que la libéralisation n’entraîne un mouvement
irréversible qui les écarte du pouvoir, les conservateurs ont accusé M. Khatami de brader l’héritage de Khomeyni, la presse conservatrice faisant pression sur le Guide, l’ayatollah Khamenei,
pour qu’il démette le président de ses fonctions,
comme la Constitution lui en donne le droit.
Mais c’est surtout le tir de barrage auquel a procédé l’appareil judiciaire qui a donné la mesure
de la violence politique de l’affrontement. Celuici a culminé avec l’« affaire Karbastchi ».
L’affaire Karbastchi
L’arrestation – et la lourde condamnation – du
maire de Téhéran, Gholamhossein Karbastchi,
pour mauvaise gestion et escroquerie, a été
l’occasion pour les conservateurs d’attaquer de
front le président Khatami, incarnation maudite,
à leurs yeux, du modernisme. Dès le départ, le
président de la République s’est trouvé dans une
situation pour le moins délicate. Ardent défenseur de l’État de droit et de la séparation des
pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, comme
on l’a vu, il a dû laisser la justice suivre son cours
contre celui qui est à la fois un ami proche, mais
aussi un membre du gouvernement.
C’est ainsi que le chef de l’État s’est interdit tout
commentaire sur l’affaire dès lors qu’il était
avéré que celle-ci était entrée dans une phase
conflictuelle – arrestation de G. Karbastchi le
4 avril 1998. Par ailleurs, il n’aura échappé à
personne que l’acharnement sans précédent
mis par la justice dirigée par un ultraconservateur à s’en prendre au seul maire de la capitale, dans un pays où la corruption est géné-
ralisée à tous les échelons de la vie publique
et largement partagée par toutes les factions
politiques, n’a pu être dicté que par des arrièrepensées politiques. De nombreux observateurs
ont estimé que l’affaire Karbastchi, comme la
quasi-totalité des sujets de conflit qu’a connus
jusqu’alors la République islamique, allait se
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
136
régler à l’amiable, c’est-à-dire en l’occurrence
par des concessions de la présidence à l’endroit
des conservateurs. Force est de constater que
les événements leur ont donné tort. En effet,
le procès a eu lieu. Et si le premier magistrat
de la capitale n’a pas été épargné (cinq ans de
prison, une forte amende), le président Khatami a joué la partition de l’intégrité jusqu’au
bout, assurant ainsi la population de la pureté
de son credo alors même que de nombreux
Iraniens qui le soutiennent n’ignorent pas que
certains proches du chef de l’État ont pu partager les pratiques reprochées à G. Karbastchi
avant d’évoluer dans le bon sens. Il reste que,
tenant bon, le président de la République a
marqué un point contre les conservateurs. Une
détermination qui n’est sans doute pas étrangère à la lourdeur de la condamnation de son
ami. L’arrestation du maire de Téhéran – et de
quelques autres personnalités proches du président Khatami – a témoigné de l’âpreté de la
lutte pour le pouvoir qui s’est déroulée, jusqu’à
présent, dans le cadre des institutions prévues
par la Constitution. Jusqu’à présent, car l’armée
est restée neutre, en dépit des ambiguïtés du
corps des Gardiens de la révolution – ses chefs
avaient soutenu Nategh Nouri, mais la base
s’était prononcée pour M. Khatami. On peut
écarter raisonnablement l’hypothèse d’un coup
d’État dans la mesure où les conservateurs se
réclament de la fidélité au Guide et ne peuvent
donc rien tenter sans son appui. Certes, ce dernier peut démettre le chef de l’État. Mais il y
aurait là un pari bien hasardeux, tant la popularité de M. Khatami est forte, et le risque dé voir
éclater des soulèvements réels. De plus, c’est
peu d’écrire que le Guide se trouve dans une
situation délicate. Simple hojjat ol islam (rang
inférieur à celui d’ayatollah) au moment de sa
nomination en 1989, la légitimité religieuse
dont disposait Khomeyni lui fait défaut, et lui
vaut d’être contesté par nombre de religieux
traditionalistes de la ville sainte de Qom. Enfin,
l’échec de son « candidat » à l’élection présidentielle a aussi contribué à affaiblir la légitimité
politique du Guide. Homme avisé, ce dernier a
préféré jouer une partition aussi consensuelle
que le lui permettent les attentes des conservateurs. Aussi l’a-t-on vu rappeler régulièrement
la doctrine alors que le président s’efforçait
d’appliquer, avec quelques évidents succès, son
programme. Sous l’oeil critique des ultras.
ÉRIC JONES
La crise asiatique et
l’économie iranienne
Si l’onde de choc boursière ne s’est pas
propagée jusqu’à Téhéran – le faible développement des marchés des capitaux dans
cette région lui épargnant de connaître le
sort de l’Indonésie ou de la Corée du Sud
–, l’Iran, tout comme les nouvelles Républiques d’Asie centrale, a vu le cours des
matières premières quelque peu bousculé
compte tenu de la dépendance des économies asiatiques à l’égard des ressources
primaires. Ainsi, l’effondrement du prix des
hydrocarbures aura, une fois de plus, pénalisé l’économie iranienne. Rien d’étonnant
puisque les revenus paroliers représentent
une part considérable des rentrées de devises (82,3 %) et des ressources budgétaires
(57,2 % en 1997). Outre un déficit budgétaire
accru, la chute des cours a eu sur la croissance un effet négatif, estimé à 3 points.
24
Japon
Keizo Obuchi, nouveau Premier
ministre.
Élu président du Parti libéral-démocrate (conservateur), il remplace Ryutaro Hashimoto, démissionnaire, à la tête du gouvernement. Âgé de soixante et
un ans, jusqu’alors ministre des Affaires étrangères.
M. Obuchi est peu connu du grand public, malgré
ses trente-cinq ans de carrière politique et ses 12
mandats de député. Comme ses concurrents, il est
attaché à relancer l’activité du pays, à réduire les
impôts et à lutter contre l’endettement du système
bancaire. Sa réputation de rassembleur et de détermination a fait la différence.
Japon, un premier
ministre de transition ?
Le Premier ministre, Ryutaro Hashimoto, est
tombé en juillet, et – jusqu’à preuve du contraire
– son successeur Keizo Obuchi n’a guère
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
137
soulevé l’enthousiasme. Rien n’indiquait qu’il
eût le profil de l’homme capable de redonner
confiance à l’électorat par l’adoption de réformes
économiques ambitieuses, alors même que les
critiques à son égard sont venues de son propre
parti.
Chute de la croissance, stagnation des investissements, endettement des banques, contraction
du crédit, repli de la consommation, chômage en
augmentation, atonie boursière et effondrement
du yen : tel est l’inventaire des maux dont souffre
l’archipel. Rien de bien encourageant pour les
candidats du Parti libéral-démocrate (PLD) du
Premier ministre sortant, Ryutaro Hashimoto, qui
auront donc abordé les élections sénatoriales du
12 juillet 1998 dans de bien mauvaises conditions. Ce ne fut donc pas une surprise de voir le
PLD perdre la majorité au Sénat et, comme il est
de coutume au Japon, le chef du gouvernement
en tirer les conséquences. Celui-ci, en démissionnant de la présidence du PLD, a ouvert la
voie au chef de la diplomatie, Keizo Obuchi. Élu
à la tête du PLD, ce dernier pouvait accéder sans
difficulté au poste de Premier ministre, son parti
disposant de la majorité à la Chambre basse.
Un homme de consensus
Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que
se confirme ce que la majorité des observateurs avait prédit. Homme de consensus, Keizo
Obuchi ne semblait guère répondre aux attentes
du pays de voir un homme de décision prendre
sa tête, alors que « peu de cabinets dans l’histoire
du Japon depuis la guerre ont été confrontés à des
problèmes aussi graves », comme le notait le quotidien des milieux économiques Nihon Keizai.
Il est vrai qu’au regard des difficultés économiques et sociales qui plombent les perspectives
de l’archipel le discours de politique générale ne
pouvait que s’apparenter à un exercice périlleux. Ce fut le cas. L’opposition, la presse, mais
aussi des membres du PLD ont « communié »
dans un même esprit critique vis-à-vis des propositions du nouveau chef du gouvernement.
Pourtant, Keizo Obuchi aurait difficilement pu
promettre davantage : le nettoyage des mauvaises créances du système financier – plus de
10 000 milliards de yens de plan de relance ; près
de 7 000 milliards de yens de réductions fiscales
et l’abandon de la loi d’austérité budgétaire. Cet
ensemble de mesures, qui étaient réclamées par
les marchés, les économistes et les États-Unis,
a suscité quelques commentaires peu amènes :
pour l’observateur politique Makoto Sako, « ce
sont les bureaucrates qui ont écrit le texte. Il n’y
a pas de projet concret » ; pour sa part, Makiko
Tanaka, députée PLD et fille de l’ancien Premier
ministre Kakuei Tanaka, a jugé que « le discours
d’Obuchi manque de force. C’est le début du gouvernement, mais ça ressemble déjà à la fin du cabinet Hashimoto ».
Sans doute, est-ce davantage la forme du projet présenté par Keizo Obuchi que son contenu
qui lui a valu cette pluie de critiques acerbes. Et
il est plus que probable que le PLD a misé sur
les qualités de conciliateur de son représentant
pour obtenir de la Diète qu’elle ne s’oppose pas
plus que de raison à des réformes sur lesquelles
il existe un large accord. D’ailleurs, le nouveau
Premier ministre a montré qu’il n’entendait pas
« passer en force », en renvoyant en 1999 le vote
de la loi sur les réductions fiscales. Il reste que
le temps pourrait bien faire défaut au PLD, qui,
pour ne pas reconnaître sa responsabilité dans le
krach immobilier et financier de 1991, a jusqu’à
présent temporisé dans la gestion de la crise.
Les effets de la crise asiatique
En dépit des maux, réels, évoqués plus haut, le
Japon n’a toutefois pas sombré dans la tourmente, tant il est vrai que la récession que traverse l’archipel n’a rien de commun avec les
difficultés de ses voisins. Les différences sont en
effet fondamentales. Contrairement aux pays pris
dans la tourmente de la crise financière qui s’est
mise à souffler sur l’Asie à partir de l’été 1997, le
Japon n’est pas en cessation de paiement. Au
contraire, il reste immensément riche en termes
de réserves, d’avoirs à l’étranger et d’épargne. Son
PIB équivaut aux deux tiers de celui des États-Unis
et au double de celui de l’Allemagne. Rappelons
aussi que l’archipel nippon contribue à financer le
déficit budgétaire des États-Unis par les bons du
Trésor américains qu’il détient. Enfin, son industrie, plus particulièrement les groupes tournés
vers l’exportation, demeure très compétitive :
l’affaiblissement du yen ne suffit pas à expliquer
l’excédent commercial du Japon.
Plus généralement l’économie japonaise est entrée
au début des années 90 dans une phase de maturité : l’ère de la croissance rapide appartient au
passé, le retour sur investissement n’atteindra jamais plus son niveau d’antan et le mouvement de
délocalisation des entreprises – en Asie du Sud-Est,
aux États-Unis et en Europe – paraît irréversible.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
138
Face à la globalisation du marché financier et à la
déréglementation – qui touche le commerce de
détail comme les services –, le Japon s’est trouvé
privé des protections d’un système longtemps
maintenu en vase clos. Entraîné dans une « économie de casino » par la bulle spéculative, l’archipel
s’est trouvé dans l’obligation de se dégager du
dirigisme qui fut à l’origine de son expansion. À cet
égard, l’année 1998 peut être considérée comme
une année charnière. En prenant à bras le corps
la question des créances dites « douteuses », un
euphémisme, le gouvernement Hashimoto avait
envoyé un signal politique fort : l’archipel est prêt
à jouer la carte de l’ouverture, dont témoigne au
premier chef celle du marché financier.
PHILIPPE DE L’ENFERNAT
Le modèle japonais a l’épreuve
Selon le rapport de la Banque du japon,
la pratique de l’emploi garanti « à vie » a
empêché la mobilité des salarié vers les secteurs à forte croissance. Ajouté au vieillissement de la population, le phénomène
explique les gains de productivité déplus
en plus faible au japon. Aussi les analystes
sont-ils unanimes : pour retrouver le chemin
de la croissance, le japon va devoir s’ouvrir
et mettre un terme, notamment, au système
de la « préférence nationale » appliquée à
tous les niveaux de l’économie. De plus,
avec la libération du contrôle des changes,
intervenue le 1er avril 1998, une nouvelle
étape est engagée sur la voie de l’ouverture
de l’économie japonaise : les épargnants
de l’archipel peuvent désormais placer leur
épargne où bon leur semble, tandis que le
pouvoir politique et les banques ne pourront
plus, comme par le passé, compter sur une
épargne abondante et peu rémunérée pour
réaliser des investissements peu rentables et
souvent superflus.
26
Cambodge
Victoire des anciens communistes aux
élections.
À l’issue d’un scrutin qui s’est déroulé dans des
conditions satisfaisantes, le Parti du peuple cambod-
gien (PPC) du Premier ministre sortant Hun Sen est
victorieux des élections législatives avec 66 élus sur
les 122 sièges que compte l’Assemblée nationale. Le
Funcipec, parti royaliste de l’ex-co-Premier ministre,
Norodom Ranariddh, évincé en 1997 par Hun Sen,
arrive en seconde position avec 43 sièges. Il est suivi
par le parti de Sam Rainsy, qui obtient 13 sièges.
Les leaders de l’opposition dénoncent en vain les
irrégularités qui, selon eux, ont entaché le scrutin. La
Constitution cambodgienne exigeant une majorité
des deux tiers pour l’installation de tout nouveau
gouvernement, le PPC et le Funcipec sont condamnés à s’entendre de nouveau. (chrono. 14/09)
Guinée-Bissau
Cessez-le-feu.
Le gouvernement du président Joao Vieira et l’étatmajor de la rébellion menée par le général Ansumané Mané signent un accord de cessez-le-feu mettant
un terme aux hostilités qui se sont ouvertes au début
du mois de juin. Les protagonistes s’accordent sur
un calendrier de négociations. Celles-ci se déroulent
sous la médiation active de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
27
Football
Roger Lemerre à la tête du XI tricolore.
Âgé de cinquante-sept ans, il remplace Aimé Jacquet, dont il fut l’adjoint pendant la Coupe du
monde, comme sélectionneur national. Ancien
joueur (Sedan, Nantes, Nancy et Lens, six fois sélectionné en équipe de France), il commence une carrière d’entraîneur au milieu des années 70, au Red
Star, puis à Lens, au Paris FC, à Strasbourg et à Tunis,
et entraîne ensuite la sélection militaire avec laquelle
il décroche un titre de champion du monde en 1995.
France
Fin de la sécession de Jacques Toubon.
L’ancien garde des Sceaux et actuel maire RPR du
XIIIe arrondissement met fin à sa sécession contre
le maire de Paris, Jean Tiberi, qu’il avait engagée le
6 avril. Il s’est finalement incliné sous la double pression de la direction du RPR et de Jacques Chirac, qui
a préféré soutenir son successeur à la tête de la capitale. Toutefois, cette reddition ne met pas réellement
fin aux dissensions qui ont éclaté au grand jour au
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
139
sein de la majorité parisienne, d’autant que l’UDF a
fait savoir qu’elle n’hésiterait pas à reposer la question
du leadership pour les prochaines élections municipales de 2001 : un armistice tactique, donc, plutôt
qu’une paix stratégique.
28
France
Accord ambigu sur les 35 heures.
Le patronat de la métallurgie (Union des industries
métallurgiques et minières, UIMM, qui représente
environ 10 % des salariés de la branche) et les syndicats FO. CGC et CFTC signent un accord sur la
diminution du temps de travail. La disposition principale de ce texte consiste à doubler le contingent
des heures supplémentaires (qui passe de 94 heures
à 205 heures), ce qui, au total, conduit à une légère
baisse du temps de travail (qui passe, en moyenne
sur l’année, de 41 à 39,5 heures hebdomadaires) et
à une légère hausse des salaires, au détriment de
toute création d’emploi. La CFDT et la CGT refusent
de signer l’accord, tandis que Marc Blondel, secrétaire général de FO, qui n’a jamais cru à la limitation
du temps de travail, se félicite que le texte prévoie
également l’extension de l’ARPE (préretraites contre
embauches).
29
Espagne
Condamnation d’un ancien ministre de
l’Intérieur.
José Barrionuevo, ministre socialiste de l’Intérieur de
1982 à 1988, est condamné à dix ans de prison dans
le cadre du procès des GAL, ces groupes parallèles
créés pour lutter contre le terrorisme basque. Il a été
reconnu responsable de l’enlèvement d’un homme
d’affaires français d’origine espagnole, soupçonné
à tort d’appartenance à l’ETA. M. Barrionuevo, soutenu par son parti, estime qu’il est innocent et que
sa condamnation est « impensable dans un pays démocratique ». L’ancien chef du gouvernement Felipe
Gonzalez décide de reprendre sa robe d’avocat pour
défendre son ancien collaborateur.
31
Chine
Condamnation d’un hiérarque
corrompu.
Chen Xitong, ancien maire et chef du Parti communiste de Pékin, est condamné pour corruption à
seize ans de prison. Proche de Deng Xiaoping, disparu en 1997, Chen est le plus haut responsable politique à être traduit en justice depuis une vingtaine
d’années. Même si la peine est jugée clémente pour
des détournements estimés à plus de deux milliards
de dollars, la condamnation de Chen est considérée
comme constituant un gage vis-à-vis de l’opinion
publique, de plus en plus exaspérée par la corruption du pouvoir. En outre, Chen, chaud partisan de
la répression contre le printemps de Pékin, s’était
longuement opposé à Jiang Zemin, le chef de l’État.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
140
AOÛT
2
Cyclisme
Marco Pantani vainqueur du
85e Tour de France.
C’est le grimpeur italien qui remporte l’épreuve
devant l’Allemand Jan Ullrich et l’Américain Bobby
Julich. Il avait précédemment gagné le Tour d’Italie et
devient le septième coureur a avoir réalisé le doublé,
après Fausto Coppi (1949. 1952), Jacques Anquetil
(1964), Eddy Merckx (1970, 1972, 1974), Bernard Hinault (1982, 1985), Stephen Roche (1987) et Miguel
Indurain (1992, 1993). Ce Tour, marqué par les affaires
de dopage, s’est terminé sans les équipes Festina
(exclue), ONCE, Banesto, Riso, Kelme, Vitalicio et TVM
(qui ont quitté la compétition pour protester contre
les tracasseries policières). Si l’avenir de l’épreuve
n’est pas menacé, un changement complet des pratiques et du contrôle des médicaments utilisés par
les coureurs est indispensable.
États-Unis
Comparution devant le Grand Jury
de Monica Lewinsky.
L’ancienne stagiaire de la Maison-Blanche, soupçonnée d’avoir eu des relations sexuelles avec Bill
Clinton, a été entendue par le jury populaire du tribunal fédéral de Washington. Assurée de ne pas être
poursuivie pour parjure (elle avait affirmé sous serment, en janvier, n’avoir jamais eu de relation sexuelle
stricto sensu avec le président américain), elle aurait
finalement reconnu sa liaison, qui aurait duré dix-
huit mois. Toutefois, elle aurait également déclaré
que M. Clinton ne lui aurait jamais explicitement
demandé de cacher les faits à la justice. Ce dernier
avait, pour sa part, affirmé que jamais rien de sexuel
ne s’était produit entre lui et Mlle Lewinsky. (chrono.
17/08)
République démocratique
du Congo
Le pouvoir de Laurent-Désiré Kabila
contesté.
Quelques jours après le départ du gouvernement du
ministre des Affaires étrangères Bizima Kahara (d’origine tutsie, né au Rwanda) et l’annonce par M. Kabila
du départ du pays des troupes rwandaises, des incidents armés ont lieu entre les troupes de Kinshasa
et des soldats rwandais appuyés par des éléments
banyamulenges (Tutsis congolais). Rapidement, les
soldats rebelles progressent dans l’est du pays, prenant le contrôle des villes de Goma et d’Uvira dans
la région du Kivu. L’opposant historique au régime de
Mobutu et de Kabila, Zahidi Ngoma, d’ethnie congolaise, est nommé chef de l’opposition. Alors que Kinshasa accuse le Rwanda et l’Ouganda de susciter les
troubles, un sommet des chefs d’État de la région,
réuni au Zimbabwe, ne parvient pas à dénouer la
crise. (chrono. 25/08)
La rébellion contre Kabila
Accueilli en libérateur par ses compatriotes en
1997, soutenu par les puissances régionales et
les États-Unis, Laurent-Désiré Kabila disposait
de solides atouts. Mais, un an plus tard, faisant
montre d’une absence de sens politique plus
qu’évidente, il s’était mis à dos ses anciens alliés,
le Rwanda et l’Ouganda, lesquels n’ont pas fait
mystère de leur désir de renverser le tombeur de
Mobutu.
C’est donc peu d’écrire que le crédit du président autoproclamé de la République démocratique du Congo a fondu comme neige au soleil.
La République démocratique du Congo (RDC)
est devenue le théâtre d’opérations privilégié
des militaires africains. Rwandais, Burundais, Ougandais, Zimbabwéens, Angolais, pour ne parler
que des armées régulières, s’y sont battus, parfois les uns contre les autres. Dans cette guerre à
fronts renversés, M. Kabila a bénéficié du soutien
de la Namibie, de l’Angola et du Zimbabwe.
Sans doute un peu plus réticente que les autres
acteurs du drame congolais, la Namibie a fini
par admettre l’envoi de troupes au pays de Lau-
rent-Désiré Kabila. À l’origine de la décision du
président Sam Nujoma de s’engager auprès du
nouvel homme fort de Kinshasa, les liens hérités
de la décolonisation et de la guerre froide ont
indiscutablement joué un rôle majeur.
La situation intérieure qui prévaut en Angola – le
pays est toujours divisé entre les régions tenues
par le gouvernement du président José Eduardo
Santos et celles contrôlées par l’Unita de Jonas
Savimbi – justifie le soutien actif de Luanda au
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
141
régime de Kabila, dans la mesure où les rebelles
de l’Unita utilisent la RDC comme base arrière.
L’Angola a joué un rôle de premier plan dans
les événements congolais, l’intervention des
blindés et de l’aviation de Luanda ayant stoppé
l’offensive rebelle sur Kinshasa et permis à Kabila
de regagner, le 25 août, la capitale du Congo.
Quant au Zimbabwe, le seul pays à n’avoir pas
de frontière avec la RDC, son appui au régime de
Kinshasa renvoie à des questions de préséance.
En effet, depuis la fin de l’apartheid, l’Afrique
du Sud a pris la place du Zimbabwe en Afrique
australe et le prestige de Nelson Mandela a pu,
sans peine, éclipser celui du chef zimbabwéen.
On peut imaginer que l’attitude conciliante du
dirigeant sud-africain à l’endroit de la rébellion
dirigée contre L.-D. Kabila a poussé le régime
de Harare à épouser la cause de ce dernier. De
plus, l’intervention du Zimbabwe dans cette
affaire tient sans doute aussi à un possible désir
de contrebalancer l’influence ougandaise dans
la région. Plus généralement, l’implication de
la Namibie, de l’Angola et du Zimbabwe dans
la même t bataille » renvoie-t-elle aux liens
qui unissent ces trois pays, héritage de la lutte
menée par l’Organisation populaire du SudOuest africain (Swapo) du temps où le régime
de l’apartheid était tout-puissant dans la région.
Les alliés d’hier
On l’a dit, L.-D. Kabila a vu ses alliés d’hier se
retourner contre lui. C’est ainsi que le Rwanda
et l’Ouganda, avec un homme à leurs ordres
à la tête de l’ex-Zaïre, nourrissaient l’espoir de
pouvoir enfin pacifier leurs frontières. En favorisant la longue marche de Kabila sur Kinshasa, ils
avaient fait le pari qu’il serait mis fin aux mouvements armés qui se servaient de l’ex-Zaïre
comme base arrière dans la lutte contre les régimes de Kigali et de Kampala. Un an plus tard,
ces derniers ne pouvaient que constater que le
Kivu était toujours une poudrière, Kabila s’étant
montré incapable d’y rétablir un début d’ordre.
À l’origine de la précédente guerre civile congolaise, en 1996-1997, le Rwanda a puissamment
contribué au déclenchement de la rébellion
contre L.-D. Kabila, le 2 août 1998. Mais contrairement à la guerre menée contre Mobutu, les
Rwandais étaient cette fois « invisibles ». Pourtant, derrière chaque Congolais se cachait un
officier rwandais ; et derrière le chef militaire
rebelle Jean-Pierre Ondekane, on pouvait trouver le « commandant lames », un proche du président rwandais, Paul Kagame. L’effort de guerre
de l’armée rwandaise, bien équipée, très disciplinée, entraînée par des instructeurs américains,
est apparu pour le moins considérable. Après
avoir porté Kabila au pouvoir au printemps 1997,
le Rwanda n’a jamais réussi à s’entendre avec ce
dernier auquel Kigali a reproché de ne pas avoir
combattu les opposants rwandais, qui, depuis
leurs bases congolaises n’ont cessé de lancer
des attaques meurtrières et dangereuses pour le
régime de P. Kagame.
Pis, le Rwanda est allé jusqu’à accuser L.-D. Kabila d’avoir armé les extrémistes hutus qui, après
avoir fui à la fin du génocide de 1994, tentent de
revenir au Pays des mille collines par les armes. Il
est vrai que les partisans du « hutu power » sont
toujours présents dans le Kivu, d’où ils continuent de lancer de sanglantes opérations à l’intérieur du Rwanda. D’ailleurs, au fur et à mesure
que les relations se sont dégradées entre Kinshasa et Kigali, Kabila a laissé de plus en plus de
latitude aux fauteurs de génocide.
Quant au président ougandais Yoweri Museveni,
il a sans doute eu l’impression d’avoir réalisé,
lui aussi, une bien mauvaise affaire en soutenant, en 1997, la progression armée de l’Alliance
des forces démocratiques pour la libération du
Congo (AFDL). Non seulement, le nouveau chef
congolais a pris rapidement ses distances avec
l’Ouganda, mais des éléments congolais, souvent d’anciens soldats de l’armée de Mobutu,
auraient rejoint les Forces démocratiques alliées
(AFD), un mouvement d’opposition armé au président Museveni.
Aussi, le 25 août 1998, l’Ouganda, dernier allié
avoué de la rébellion dirigée contre Kabila, a
finalement admis avoir envoyé des troupes en
RDC. Par ailleurs, il n’est pas impossible que le
régime de Kampala soit animé par un dessein
hégémonique dont l’objectif serait de faire de
l’Ouganda la cheville ouvrière d’un ensemble
régional à dominante anglophone.
Au bout du compte, la guerre congolaise a pris
un double visage. D’un côté, la rébellion, déclenchée par des mutins congolais sincèrement
dépités par la politique de Kabila, de l’autre,
une invasion conduite par deux pays voisins, le
Rwanda et l’Ouganda. Rien n’indiquait donc, à
la fin de l’année, que L.-D. Kabila fût en mesure
d’éviter une partition de l’ex-Zaïre.
ÉRIC JONES
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
142
La rébellion anti-Kabila
La rébellion anti-Kabila est partie de l’est
du pays, dans la région du Kivu, à la frontière du Rwanda, là où avait commencé à
souffler le vent de la fronde contre Mobutu.
Et, comme en 1996, les troubles ont été le
fait des Banyamulenges (des Tutsis congolais d’origine rwandaise), soutenus par le
régime rwandais à dominante tutsie, et par
les autorités ougandaises. Le revirement des
« tuteurs » de L.-D. Kabila est avant tout l’expression de leur profonde déception. C’est
en effet peu d’écrire que le nouvel homme
fort de Kinshasa n’a pas répondu aux espoirs de ces anciens alliés, maintenant accusés de trahison. Ainsi, les Banyamulenges,
brimés par le régime de Mobutu, attendaient
une reconnaissance qui n’est jamais venue.
4
Bourse
Chute brutale à Wall Street.
La Bourse de New York enregistre une baisse de
3,4 % en clôture. Depuis le sommet historique atteint
à la mi-juillet, le Dow Jones a ainsi perdu 9,1 %. Les
opérateurs commencent à s’inquiéter fortement des
conséquences de la crise en Asie et jugent insuffisant
le plan de relance japonais. Par ailleurs, les signes de
ralentissement économique se multiplient aux ÉtatsUnis (ralentissement de la croissance du PIB, baisse
des profits des entreprises). En Europe, les places
boursières connaissent aussi des reculs importants.
Le 10 août, la Bourse de Paris avait perdu près de
10 % par rapport à son record du 20 juillet. (chrono.
31/08)
Sri Lanka
Proclamation de l’état d’urgence.
La présidente Chandrika Kumaratunga décrète l’état
d’urgence, alors que le conflit avec les séparatistes
tamouls du LTTE (Tigres de libération de l’Eelam
tamoul) continue d’ensanglanter le pays. Élue en
1994 sur un programme de paix, la présidente a vu
ses initiatives s’enliser. Alors que plusieurs généraux
de Colombo jugent le conflit impossible à gagner sur
le terrain, les rebelles du LTTE n’ont cessé de radicaliser leurs positions, braquant l’opinion cinghalaise, de
plus en plus favorable à une solution militaire.
6
Chine
Graves inondations dans
le centre ouest du pays.
Plusieurs milliers de personnes sont portées disparues et des centaines de milliers d’autres, sinistrées,
à la suite de crues exceptionnelles du fleuve Yangzi
Jiang et de la rupture de digues. Plus de 6 millions
d’habitations sont détruites et près de 250 millions
de personnes sont plus ou moins menacées par ces
crues. Certaines critiques s’élèvent, discrètement,
contre la politique hydraulique du gouvernement ;
celui-ci, obnubilé par sa volonté de construire des
barrages géants, aurait systématiquement refusé
de prendre en compte des réserves émises par les
spécialistes et les milieux écologistes. En tout état
de cause, l’ampleur du désastre devrait remettre en
cause la progression de l’économie chinoise.
Proche-Orient
Remous ou sein de
la Haute Autorité palestinienne.
Grande figure du mouvement palestinien, Hanane
Achraoui démissionne de son poste de ministre.
Mme Achraoui explique son attitude en mettant en
cause le manque de volonté de changement de
Yasser Arafat. Elle dénonce ainsi le fait que deux
ministres, explicitement accusés de corruption par le
Conseil législatif palestinien, n’aient pas été écartés
du nouveau gouvernement.
La Chine dans
la tourmente
En débordant de son lit, le Yang-tseu menaçait
tout à la fois villes et campagnes, mais aussi les
perspectives de croissance économique de la
République populaire. Car si le yuan, la monnaie nationale, n’a pas suivi les autres devises
asiatiques dans leur dégringolade vis-à-vis du
dollar, l’économie chinoise n’a pas pour autant
été épargnée par la tempête monétaire qui s’est
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
143
abattue dans la région à l’été 1997. Quant au
monde occidental, il en était réduit à spéculer
sur les capacités de résistance de Pékin face aux
sirènes de la dévaluation.
Vu d’Europe, deux déferlantes se sont abattues
sur l’Asie. L’une, la crise financière, a porté son
onde de choc dans la région et au-delà ; l’autre,
les terribles inondations, a noyé en quelques semaines de vastes étendues en Chine du Centre.
Si la République populaire a été relativement
peu touchée par la crise, au sens où ses effets
ne sont en rien comparables au séisme qui a
ébranlé l’Indonésie, la Thaïlande ou la Corée du
Sud, elle le doit avant tout à un manque d’ouverture sur l’extérieur, qui a constitué un véritable
rempart : le marché chinois des capitaux n’est
pas déréglementé, le yuan n’est pas totalement
convertible, les banques étrangères ne peuvent
pas opérer en monnaie locale.
Les images terribles des flots incontrôlables du
Yang-tseu ont fait le tour du monde, comme
celles de la mobilisation des soldats de l’Armée
populaire dans la bataille contre les eaux.
Quand le Yang-tseu sort de son lit...
Et l’ampleur de la catastrophe a été manifeste
quand il a fallu faire sauter des digues pour détourner sur les champs et les villages les eaux qui
menaçaient les grandes villes. Étrange retournement de l’histoire qui veut que ce régime, né
d’un soulèvement paysan, ait dû faire le choix de
sacrifier la campagne pour sauver le monde urbain. S’il est vrai les autorités n’ont pas fait mystère de ce choix, en revanche, elles se sont employées à faire en sorte que l’information baigne
dans une certaine opacité – les correspondants
étrangers étaient interdits sur les lieux les plus
sinistrés – en minimisant notamment les conséquences humaines et matérielles des inondations. Toutefois, des sources bien informées ont
fait état de l’existence à Pékin de débats, certes
feutrés, sur les carences d’un système qui a laissé
vieillir les digues sans trop se préoccuper de leur
entretien ou sur les responsabilités de ceux qui
n’ont rien fait pour empêcher l’utilisation forcenée des sols, celle-ci aurait alors gommé les
aires d’épanchement traditionnelles des eaux
du fleuve. On confessera volontiers qu’il s’agit
là d’une affaire intérieure. En revanche, le black-
out imposé par Pékin sur nombre d’aspects du
désastre n’est pas bon signe dans la mesure où
la crue du Yang-tseu aura fatalement des répercussions sur la croissance du pays et donc sur
sa capacité à maintenir un autre cours, celui du
yuan, dont il suffit d’évoquer une éventuelle
dévaluation pour faire frémir tous les gouvernements, de Washington à Tokyo en passant par les
chancelleries d’Europe.
La crise a éclaté dans un ciel économique que
les dirigeants chinois considéraient comme serein. On vantait volontiers à Pékin une inflation
maîtrisée et un taux de croissance sous contrôle
à environ 8 %, l’essentiel requis pour écarter le
risque de surchauffe. Pour n’avoir pas subi les
sort des Philippines, par exemple, la Chine n’en
a pas moins été touchée. Le manque d’ouverture
a certes joué le rôle de rempart que l’on évoquait plus haut, mais les autorités ont toutefois
dû colmater quelques brèches. Ainsi, les grands
groupes chinois et la Banque de Chine ont été
contraints de se départir de nombreuses devises
pour soutenir le dollar de Hongkong. Quoi qu’il
en soit, même avec une balance des paiements
excédentaire, une dette extérieure surtout composée d’emprunts à moyen et long terme et des
réserves de changes considérables, la Chine n’en
connaîtra pas moins un ralentissement de son
activité alors qu’elle doit mener un vaste programme de dénationalisation des entreprises
publiques ; une affaire que l’on sait lourde de
conséquences sur le plan social.
... le cours du yuan se maintient à
grand-peine
Compte tenu de la tempête monétaire dans
laquelle se sont trouvées prises la plupart des
économies asiatiques, les crues du Yang-tseu
sont intervenues au pire moment. À l’entrée de
l’automne, on estimait que les inondations pourraient coûter jusqu’à un demi-point de croissance en 1998. Dé plus, elles devraient accentuer
le ralentissement économique et, surtout, pourraient remettre en cause la capacité des autorités
à poursuivre une politique du yuan fort. On l’a
dit, l’hypothèse fait frémir. Il est vrai que la compétitivité des produits chinois à l’exportation a
été mise à mal par le plongeon des autres monnaies asiatiques. Ainsi, le cours officiel du yuan,
qui n’a pas varié contre le dollar, s’est apprécié
de 40 % face au won sud-coréen et de 80 % face
à la roupie indonésienne. La baisse de l’activité
industrielle et de la consommation dans des
pays comme la Corée du Sud ou l’Indonésie a
entraîné une baisse de la demande en produits
chinois. Rappelons que la moitié des exporta-
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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tions chinoises est absorbée par l’Asie. L’érosion
de la compétitivité de la Chine s’est rapidement
traduite dans les chiffres : le rythme de progression des exportations chinoises s’est établi à 9 %
au premier trimestre 1998, contre près de 30 %
un an plus tôt. Les effets de la détérioration de
l’environnement économique et monétaire dans
la région sur la croissance se sont également fait
sentir rapidement. Ainsi, la Caisse des dépôts et
consignations estimait que « la contribution du
commerce extérieur à la croissance était devenue
négative ». Après avoir progressé de 9,6 % en
1996, puis de 8,8 % en 1997, le PIB n’avait augmenté que de 7 % en rythme annuel au cours du
premier semestre 1998.
PHILIPPE DE L’ENFERNAT
Dégraissage massif de
l’administration
Selon Pékin, la cure d’amaigrissement que
doit subir l’administration se soldera par la
suppression, à l’échéance de l’an 2000, de
11 ministères ou commissions d’État – dont
le nombre passera donc de 40 à 29 – à la
faveur de fusions ou de la transformation
d’administrations en entreprises publiques
dans des secteurs exposés à la concurrence.
Cette « restructuration institutionnelle », selon la formule officielle, se traduira par des
démembrements à grande échelle. L’un des
plus spectaculaires affectera la Commission
d’État au Plan dont les effectifs seront amputés du quart. Par ailleurs, des ministères
industriels, comme ceux de la chimie ou
de la métallurgie sont d’ores et déjà appelés à disparaître pour laisser la place à des
sociétés holdings qui devraient, à terme,
s’autofinancer par actions. On estime que
près de la moitié des huit millions de cadres
pourraient être mis à pied dans cet effort
d’assainissement.
7
États-Unis
Attentats contre les ambassades
américaines au Kenya et en Tanzanie.
Plus de 230 personnes (la grande majorité d’entre
elles à Nairobi), dont 12 Américains, sont tuées lors
de deux attentats à l’explosif simultanés à Nairobi et
à Dar es-Salaam. On déplore également des milliers
de blessés. Dès le lendemain, un groupe jusque-là
inconnu (mais c’est toujours le cas dans ce genre de
situation), « l’Armée islamique pour la libération des
lieux saints », revendique le double attentat. Les soupçons se portent sur le milliardaire saoudien d’origine
yéménite, Oussama ben Laden. Résidant en Afghanistan, celui-ci, connu pour financer les mouvements
terroristes de la mouvance islamiste la plus radicale,
avait déclaré en juin qu’il ne faisait pas « de différence
entre les Américains qui portent l’uniforme militaire
et les civils. Ils sont tous les cibles d’une fatwa (édit religieux appelant à la guerre sainte) ». (chrono. 20/08)
France
Mise en examen de François Léotard.
Le président de l’UDF et son plus proche collaborateur, le député d’Indre-et-Loire Renaud Donnedieu
de Vabres, sont mis en examen pour « blanchiment
d’argent ». Contestant les faits, M. Léotard a refusé
de signer le procès-verbal de comparution devant
les juges Éva Joly et Laurence Vichnievsky. Les faits
remontent à 1996, quand le Parti républicain, dont
M. Léotard était alors président, avait bénéficié d’un
prêt de 5 millions de francs de la part de la banque
italienne FSCE. Cette somme devait servir à l’achat
d’un local pour le nouveau siège du parti. Le même
jour, un agent du PR versait la même somme en liquide sur un compte bancaire au Luxembourg. Cette
somme en liquide, dont l’entourage de M. Léotard
affirme qu’elle provenait des fonds secrets de Matignon, ne pouvait servir directement au paiement
du local. Le prêt de la FSCE devait donc servir à donner une apparence légale à l’opération. L’affaire s’est
encore compliquée depuis le début de 1998, quand
un organisme financier domicilié à Londres, la FTO, a
réclamé des intérêts sur ce prêt à Démocratie libérale, la nouvelle organisation politique dirigée par
Alain Madelin, qui a remplacé le Parti républicain.
Démocratie libérale s’est depuis portée partie civile.
8
Alpinisme
Disparition confirmée du grimpeur Éric
Escoffier.
L’alpiniste âgé de trente-huit ans et sa compagne
de cordée Pascale Bessière sont portés disparus, sur
les pentes du Broad Peek (8 047 m) dans l’Himalaya,
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
145
au Pakistan. Personnage hors norme, il avait partiellement surmonté une hémiplégie consécutive
à un accident de voiture au prix d’une rééducation
intense de plusieurs années. Il avait accumulé depuis
1982 un palmarès très impressionnant (ascension en
une seule journée du Dru et des Grandes Jorasses,
ascension en moins d’un mois de trois sommets
himalayens. ascension du McKinley, du Kilimandjaro,
de l’Aconcagua, etc.). Il disparaît alors qu’il avait en
projet de gravir, en moins de quatre ans, les quatorze
sommets de plus de 8 000 m. les sept montagnes les
plus hautes de chaque continent (Antarctique compris) et d’atteindre les deux pôles.
10
Afghanistan
Victoire des talibans sur l’opposition.
Couronnant une offensive lancée début juillet, les
talibans (étudiants islamiques au pouvoir à Kaboul)
s’emparent de Mazar-i-Sharif, une ville de 500 000 habitants, au nord du pays. Cette victoire, qui permet
aux talibans de contrôler la plus grande partie du
territoire, s’explique largement par la désunion des
forces de l’opposition, divisée entre les Ouzbeks du
général Rachid Dostom, les chiites du parti Hezb-iWadhat et les Tadjiks du commandant Ahmed Shah
Massoud. L’Iran et la Russie s’inquiètent de ce succès
des talibans, tandis que le Pakistan, soutien indéfectible des étudiants islamiques, et les États-Unis, dont
la compagnie pétrolière Unocoal est proche du pouvoir de Kaboul, gardent le silence.
11
Affaires
Fusion record entre BP et Amoco.
En se réunissant, les deux groupes pétroliers britannique et américain réalisent la plus grosse fusion
de l’histoire industrielle. Le nouveau groupe représente une capitalisation boursière de 110 milliards
de dollars et devient le troisième groupe pétrolier
du monde, derrière Royal Dutch-Shell et Exxon. Il
emploie plus de 100 000 personnes, mais envisage
d’en licencier 6 000 dans les mois à venir. Après la
communication, l’automobile, la banque, l’industrie
pétrolière est marquée à son tour par la vague des
fusions géantes, une vague suscitée par les actionnaires qui exigent toujours davantage de rentabilité
pour leurs capitaux investis.
Environnement
Canicule et pollution sur l’Europe.
Alors que la température approche les 40 °C dans le
nord de la France ou en Allemagne, des niveaux record de pollution sont enregistrés, notamment dans
22 villes de France (dont Bordeaux, Lyon et Paris). En
Allemagne, des mesures de restriction de la circulation automobile (seuls les véhicules munis d’un pot
catalytique ont le droit de circuler) sont prises dans
plusieurs Länder. En France, le ministère de l’Environnement cherche de nouvelles mesures de riposte
aux pics de pollution.
12
Suisse
Accord entre les banques helvétiques
et les organisations juives.
Après trois ans de polémiques, l’Union des banques
suisses (UBS), le Crédit suisse et le Congrès juif mondial (CJM) signent à New York un accord sur l’indemnisation des victimes de la Shoah, dont une partie de
l’argent spolié avait été placé par le régime nazi dans
les banques de la Confédération. Aux termes de cet
accord, une somme de 1,25 milliard de dollars sera
versée aux organisations juives à titre de compensation pour la perte des biens et avoirs confisqués
pendant la Seconde Guerre mondiale. Longtemps
réticentes, les banques suisses avaient d’abord proposé des indemnisations très limitées (inférieures à
100 millions de dollars) puis, sous la pression des autorités américaines qui menaçaient de boycotter les
établissements suisses, ont accepté le compromis. En
Suisse même, on s’interroge sur le financement de
cette somme, les banques ne s’étant engagées que
pour 570 millions de dollars. Les entreprises et l’État
seront probablement sollicités.
13
Chanson
Suicide de Nino Ferrer.
Le chanteur d’origine italienne se tire une balle dans le
corps près de sa maison dans le Lot, où il s’était retiré
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
146
depuis une vingtaine d’années. Il avait soixante-trois
ans. Il s’était fait connaître au milieu des années 60
avec des chansons loufoques comme « Mirza », « les
Cornichons » ou « le Téléfon ». Passionné de jazz et
de rhythm’n’blues, il cherche vite à imposer un autre
style, plus romantique et marqué par le blues. Au début des années 70, il connaît encore deux gros succès avec « la Maison près de la colline » et « le Sud »,
d’inspiration écologique. Il s’éloigne progressivement
du métier et se consacre alors à la peinture. L’insuccès
de son dernier album, au titre explicite, la Désabusion,
en 1993, puis la mort de sa mère le poussent à mettre
fin à ses jours.
Littérature
Mort de Julien Green.
L’écrivain américain d’expression française meurt à
Paris, où il était né, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept
ans. Issu d’une famille de riches Américains sudistes
installés en France après la défaite des Confédérés,
il publie en 1920 sa première nouvelle en anglais
puis, quatre ans plus tard, son premier livre en
français, un essai sur le catholicisme auquel il s’est
converti à l’âge de seize ans. En 1926, il achève son
premier roman, Mont Cinère, suivi, un an plus tard,
du Voyageur sur la terre, recueil de nouvelles, et
d’Adrienne Mesurat. Il connaît très vite le succès. En
1938, il sort le premier volume de son Journal qu’il
poursuivra jusqu’en 1996. En 1971, il est élu à l’Académie française, dont il démissionnera en 1996. Il
écrit des romans (parmi lesquels Léviathan, 1929,
Varouna, 1940, Si j’étais vous, 1947, Dixie I, 1987, et
Dixie II, 1989), mais aussi des essais, des pièces de
théâtre et une Autobiographie. Dans un style d’une
grande limpidité, il développe une oeuvre dont le
thème dominant reste l’angoisse humaine, la folie,
et le conflit entre la chair et la mystique, marqué
par sa propre expérience de l’homosexualité. À sa
demande, il est inhumé en Autriche.
14
France
Assouplissement pour les sans-papiers.
Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur,
adresse une lettre aux préfets leur demandant
d’assouplir un certain nombre de critères nécessaires à l’obtention d’une régularisation pour les
étrangers entrés illégalement en France. Ces critères
concernent notamment la nature des ressources
dont ont bénéficié ces personnes depuis leur arrivée en France, les étrangers malades et les enfants
arrivés en France en dehors du regroupement familial. On estime entre 10 000 et 15 000 le nombre de
personnes qui devraient bénéficier de ces assouplissements. Environ 60 000 sans-papiers avaient été
déboutés sur les quelque 150 000 qui avaient fait une
demande de régularisation.
France
Nouveaux déchirements à droite.
Gilles de Robien, député-maire de la ville d’Amiens,
déchire sa carte d’adhérent à Démocratie libérale
(DL) sur le plateau de France 3 pour protester contre
l’adhésion à ce parti de Jacques Blanc, le président de
la Région Languedoc-Roussillon, élu à ce poste avec
les voix du Front national. Dans les jours qui suivent,
un certain nombre de députés de DL, autour de Dominique Bussereau et de Jean-François Mattei, forment un courant au sein du parti, le Cercle libéral et
réformateur, pour, non pas s’opposer à Alain Madelin,
président du parti, mais lui « rappeler » les règles de la
démocratie au sein de son organisation, notamment
en ce qui concerne la question des rapports avec le
Front national.
15
Grande-Bretagne
Attentat meurtrier
en Ulster.
Un attentat à la voiture piégée dans la ville d’Omagh,
à 80 km à l’ouest de Belfast, tue 28 personnes et en
blesse 220 autres. Cet acte particulièrement meurtrier est revendiqué par une fraction dissidente de
l’Armée républicaine irlandaise (IRA), l’IRA véritable,
qui en regrette cependant les conséquences. Gerry
Adams, leader du Sinn Féin, condamne fermement
l’attentat, tandis que les organisations extrémistes
catholiques et protestantes, opposées au processus de paix, font savoir qu’elles renoncent à la lutte
armée. Le 25, le Premier ministre britannique Tony
Blair, en coordination avec son homologue irlandais
Bertie Ahern, annonce un renforcement du dispositif
antiterroriste, notamment pour obliger les personnes
au courant des activités des organisation terroristes à
témoigner. Le renforcement des pouvoirs de la police dans une province où règne la « loi du silence »
inquiète les responsables du Sinn Féin, qui n’ont pas
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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confiance dans les forces de l’ordre, à domination
protestante.
17
États-Unis
Aveux de Bill Clinton.
Après avoir été auditionné au moyen d’un circuit
vidéo par le grand jury, le président américain reconnaît à la télévision qu’il a bien eu des relations
sexuelles avec l’ancienne stagiaire à la MaisonBlanche, Monica Lewinsky. Il s’excuse d’avoir préalablement nié ces rapports en affirmant qu’il avait alors
voulu protéger sa famille du scandale. En revanche, il
nie avoir jamais cherché à forcer quiconque a un faux
témoignage dans cette affaire. Là réside pour lui, en
effet, le plus grand risque, car il pourrait être mis en
accusation pour entrave à la justice. Il se défend enfin
en rappelant qu’il est forcé de se justifier pour des affaires absolument privées, qui ne concernent pas sa
gestion du pays, et que, par ailleurs, il est harcelé par
un magistrat dont l’engagement à la droite du Parti
républicain n’est un mystère pour personne. Dans
les heures qui suivent cette déclaration, la presse
est particulièrement sévère pour le chef de l’exécutif, mais l’opinion, d’après les sondages, estime que
les explications données par M. Clinton sont satisfaisantes et qu’il ne devrait pas démissionner. Toutefois,
la cote d’opinion favorable du président passe de 60
à 40 %.
Russie
Dévaluation de fait du rouble.
Face à la crise financière que traverse le pays, les
autorités russes annoncent une dévaluation de fait
de la devise nationale qui évoluera désormais dans
une fourchette comprise entre 6 et 9,5 roubles pour
1 dollar, ce qui représente une baisse potentielle de
50 %. Quelques mois auparavant, le gouvernement
avait assuré qu’il garantirait jusqu’à l’an 2000 un cours
du rouble à 6,2 pour 1 dollar avec une marge de fluctuation de 15 %. En moins de dix jours, le rouble perd
20 % de sa valeur par rapport à la monnaie américaine. Les épargnants russes cherchent à se débarrasser de leurs roubles, tandis qu’est annoncée une vaste
réforme du système bancaire. De très importantes fusions seront opérées, ce qui devrait nettement diminuer le nombre des établissements financiers russes.
Une grande partie d’entre eux sont littéralement au
bord de l’asphyxie : pendant plusieurs années, ils ont
emprunté des dollars pour racheter des bons du
Trésor russes, qui offraient des taux d’intérêt élevés.
Le gouvernement ayant annoncé une transformation de la dette publique à court terme en dette à
moyen terme, les banques de taille moyenne, qui ont
essentiellement spéculé sur les bons du Trésor, sont
condamnées. (chrono. 23/08)
19
Athlétisme
Exploits de Christine Arron.
La sprinteuse française remporte, à vingt-trois ans, le
titre de championne d’Europe du 100 m, en établissant un nouveau record européen en 1073, troisième
performance mondiale. Trois jours plus tard, elle
contribue largement au succès du 4 × 100 m féminin.
Cependant, ces succès éclatants de Christine Arron
ne peuvent cacher la relative médiocrité du bilan de
l’athlétisme français qui termine les championnats
d’Europe avec quatre médailles seulement, loin derrière les Britanniques, crédités de 16 médailles, dont
9 d’or, ou les Allemands (23 médailles, dont 8 d’or).
20
États-Unis
Raids de représailles au Soudan
et en Afghanistan.
Deux semaines après les attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie, la marine
américaine envoie des missiles de croisière contre
une usine proche de Khartoum soupçonnée de fabriquer des armes chimiques et contre des camps d’entraînement militaire à 150 km au sud de Kaboul. Le
président Bill Clinton justifie ces raids par la présence
en Afghanistan de l’homme d’affaires islamiste saoudien Oussama ben Laden, qui a publiquement appelé à des attentats contre l’Amérique, et par le fait que
le Soudan fournissait les réseaux terroristes en explosifs. Aussitôt, la réprobation contre cette initiative
de Washington est très forte dans le monde musulman, où l’on accuse le président Clinton de chercher
ainsi à détourner l’attention provoquée par l’affaire
Lewinsky. En Europe, Londres approuve, tandis que
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
148
Paris et Bonn « comprennent » mais émettent des
réserves. Moscou fait connaître sa désapprobation.
21
France
Mise en examen d’Alain Juppé.
L’ancien Premier ministre ainsi que l’ancien ministre
de la Coopération Michel Roussin sont mis en examen pour détournement de fonds publics, prise illégale d’intérêts et complicité et recel d’abus de biens
sociaux. Cette décision intervient dans le cadre de
l’affaire des emplois fictifs du RPR : une quarantaine
de permanents du parti gaulliste auraient bénéficié
d’emplois de complaisance soit de la part de la Ville
de Paris, soit d’entreprises privées. Les faits remontent aux années 1988-1995 alors que MM. Juppé et
Roussin étaient respectivement secrétaire général
du RPR et deuxième adjoint à la mairie de Paris, et
chef de cabinet de Jacques Chirac. M. Juppé assume
intégralement les faits, ce qui exempte le président
de la République de tout reproche, mais fait remarquer qu’à l’époque, en l’absence d’une législation
complète sur le financement des partis, toutes les organisations politiques agissaient de la même façon.
Cette mise en examen handicape le retour politique
de M. Juppé, qui entendait prendre une part active à
la campagne des européennes.
23
Russie
Limogeage du gouvernement Kirienko.
Six jours après la dévaluation de fait du rouble, le président Boris Eltsine renvoie le Premier ministre libéral
Sergueï Kirienko, qu’il avait nommé cinq mois auparavant, pour rappeler Viktor Tchernomyrdine, qui fut
à la tête du gouvernement pendant cinq ans. Le
rappel de celui que M. Eltsine avait fini par considérer comme un rival et par renvoyer brutalement est
considéré comme le signe d’une grave perte de pouvoir du président en exercice. D’autant que M. Tchemomyrdine a exigé un « contrôle total » sur les nominations des membres de son gouvernement. Le
retour de cet ancien apparatchik de l’ère soviétique,
qui a déclaré qui « on ne pourra pas faire sortir la Russie de la crise par des mesures uniquement monétaristes », inquiète les financiers internationaux ; en
revanche, elle dope la Bourse de Moscou, qui estime
que l’ancien patron de l’énorme complexe énergétique Gazprom qu’est M. Tchernomyrdine ne demandera pas à celle-ci de régler ses arriérés de paiement
à ses fournisseurs et à l’État. (chrono. 31/08)
25
Aéronautique
British Airways s’équipe en Airbus.
La compagnie britannique, traditionnellement attachée à l’avionneur américain Boeing, se porte acquéreur de 59 court-courriers de la famille A 320 et met
une option sur 129 autres appareils. La nouvelle, annoncée à Toulouse en présence de Tony Blair, constitue un vrai succès pour le constructeur européen.
Toutefois, certains font remarquer que le consortium
a consenti des réductions très importantes à British
Airways, qui, par ailleurs, vient de signer avec Boeing
l’achat de 16 long-courriers, sur lesquels les marges
de profit sont bien plus importantes.
Birmanie
Nouveau défi de Aung San Suu Kyi.
La lauréate du prix Nobel de la Paix 1991, leader de
l’opposition démocratique, met fin à treize jours
de grève de la faim dans sa voiture, après avoir été
bloquée par la junte militaire qui voulait l’empêcher
d’aller voir ses partisans en province.
Nigeria
Un pas significatif vers le retour
à la démocratie.
Le général Abdulsalam Abubakar, qui a succédé à la
tête de l’État à Sani Abachi après la mort de celui-ci
le 8 juin, annonce qu’il ne se présentera pas aux élections présidentielles du 27 février 1999. Il confirme
ainsi sa volonté de rendre le pouvoir aux civils. Depuis son arrivée à la présidence. M. Abubakar a fait
libérer une partie des prisonniers politiques.
République démocratique
du Congo
Retour à Kinshasa de
Laurent-Désiré Kabila.
Le président de la République démocratique du
Congo (RDC, ex-Zaïre) revient à Kinshasa, qu’il avait
dû quitter une semaine auparavant du fait de l’avandownloadModeText.vue.download 150 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
149
cée des troupes rebelles de Tutsis congolais et de
Rwandais, appuyés par l’Ouganda. Ce renversement
de situation a été rendu possible par l’arrivée aux
côtés de l’armée loyaliste de forces angolaises et zimbabwéennes. Celles-ci ont fait reculer les rebelles à
l’ouest du pays. En revanche, ces derniers continuent
de progresser dans le Nord-Est, où ils ont pris le
contrôle de Kisangani. M. Kabila se retrouve désormais sous la férule de Luanda, comme il l’avait été
précédemment sous celle de Kigali et de Kampala. Si
les Congolais se sentent plus d’affinités, notamment
ethniques, avec leurs voisins angolais qu’avec ceux
du Rwanda, M. Kabila devra cependant satisfaire aux
exigences du président Eduardo Dos Santos, particulièrement en ce qui concerne la fermeture de la
frontière congolaise aux rebelles angolais de l’Unita.
(chrono. 8/09)
Aéronautique, l’année
des restructurations
Faisant suite à l’engagement, pris le 20 avril à
Paris par les ministres de la Défense de six pays
européens (France, Grande-Bretagne, Allemagne,
Espagne, Italie et Suède), de « définir, dans les
délais les plus brefs, les moyens pour les gouvernements de créer l’environnement le plus favorable aux regroupements et fusions d’entreprises
européennes », un accord-cadre sur l’accompagnement des restructurations industrielles dans
le domaine de la Défense a été signé à Londres
par ces mêmes ministres, le 6 juillet.
Dans la foulée, au cours d’une conférence de
presse convoquée en urgence par Aerospatiale et
Matra Hautes Technologies, du Groupe Lagardère,
a été annoncée la décision de fusion de ces deux
sociétés, appelées à former, d’ici au 1er janvier
1999, le quatrième groupe mondial du secteur des
industries aéronautiques et de défense, derrière
Boeing, Lockheed-Martin et Raytheon-Hugues.
Avec 80 milliards de francs de chiffre d’affaires
(sans compter le CA de Dassault-Aviation, dont
46 % du capital devaient être transférés à Aerospatiale), employant 56 500 personnes (19 400 de
Matra Hautes Technologies et 37 100 d’Aerospatiale), le groupe né de ce rapprochement a tout
d’un géant avec le poids industriel et commercial
que cela représente. La décision, arrêtée dans le
plus grand secret – puisque les partenaires d’Aerospatiale dans le consortium Airbus Industrie
n’en ont été informés que quelques heures avant
la conférence de presse – entre le gouvernement
français, actionnaire unique d’Aerospatiale, et
les deux sociétés concernées, se traduit par la
privatisation d’Aerospatiale. En effet, Lagardère
SCA détiendra entre 30 et 33 % des parts de la
nouvelle société, qui sera cotée en Bourse (20 %
du capital devant y être proposés, dont une partie offerte aux salariés), l’État ne conservant que
moins de 50 % des parts, mais se réservant un
contrôle des seuils de participation au capital du
nouvel ensemble. La création de celui-ci a été
bien accueillie par les différents partenaires des
deux groupes – bien que, côté britannique, on
ait estimé la participation de l’État encore trop
importante. Aerospatiale-Matra Hautes Technologies, nom provisoire du groupe, devient ainsi,
sur le plan mondial, le numéro deux dans le
domaine de l’espace (satellites), mais le numéro
un pour les lanceurs dans le marché ouvert, le
numéro deux pour les missiles, le numéro deux
jusqu’en 1997 – derrière Boeing – pour les avi-
ons de plus de 100 places, mais devenu numéro
un pour les commandes au premier semestre de
1998, place confirmée au Salon aéronautique de
Farnborough, numéro deux pour les avions biturbopropulseurs, numéro un mondial pour les
hélicoptères sur les marchés ouverts.
Sur le marché des avions civils, tandis que Boeing
connaissait des difficultés de production et de
livraison, sanctionnées par une perte de profits
de 46 % (258 milliards de dollars, contre 476 milliards de dollars en 1997) au premier semestre
1998, d’où une chute de l’action, et annonçait
une suppression de 18 000 à 28 000 emplois,
Airbus Industrie marquait de nombreux points
et accueillait de nouveaux clients, dont British
Airways, avec 59 commandes fermes et 129 options sur la famille A319/320/321, et UPS, avec
30 commandes fermes et 30 options d’A300600F (cargo), deux compagnies jusque-là fidèles
à Boeing, tandis qu’US Airways annonçait une
commande de 30 appareils A330, devenant ainsi
la première compagnie des États-Unis à choisir
le biréacteur gros porteur très-long-courrier
européen, dont les livraisons de la nouvelle version A330-200 ont débuté en 1998. Par ailleurs,
plus de 120 commandes fermes et engagements
d’achat, dont, à Farnborough, ceux d’Emirates et
de la société de leasing ILFC, ont été enregistrés
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
150
pour les quadriréacteurs A340-500 et -600, versions allongées et à plus long rayon d’action de
l’A340, dont la commercialisation a été ouverte
fin 1997 pour des livraisons dans la première
décennie 2000. Après la dissolution du consortium franco-italo-britannique AI(R) et la renonciation au projet franco-sino-singapourien du
biréacteur de 100 places AE31X, le lancement
de l’A318 – version raccourcie de l’A319 dans la
catégorie des 100 places – a été annoncé à Farnborough, tandis que le programme de l’A3XX,
le super-jumbo du XXIe siècle programmé par
Airbus Industrie pour mettre fin au monopole
du Boeing 747-400 et entrer en ligne en 2004,
progresse favorablement, avec le concours, pour
sa définition, d’une vingtaine de très grandes
compagnies aériennes. À la mi-septembre, le
carnet de commandes fermes d’Airbus Industrie
s’élevait à 1 180 appareils, pour un montant total
de 75 milliards de dollars, représentant quatre
ans de plan de charge.
Au Salon de Farnborough, Airbus et Boeing
ont annoncé chacun 84 nouvelles commandes
fermes, représentant un chiffre d’affaires de
5,7 milliards de dollars pour Boeing et de
6,7 milliards pour Airbus, qui a dépassé le seuil
des 3 000 commandes fermes (3 002 au 9 septembre). Avec environ 50 % du marché des
avions civils, toutes catégories confondues, en
1998, Airbus Industrie, par la voix du président
Forgeard, confirme son intention de conserver
sa part de marché et de consolider sa position en
élargissant sa famille d’appareils, tout en recherchant la valeur pour ses actionnaires.
De son côté, Dassault-Aviation a, depuis janvier 1998, vendu plus de 60 jets d’affaires
(Falcon 2000, 50EX et 900EX) et lancé le Falcon
900B. Parmi les autres contrats annoncés à Farnborough, le constructeur brésilien Embraer a,
pour sa part, enregistré la commande par American Eagle, filiale régionale d’American Airlines,
de 75 biréacteurs ERJ-135 de 37 sièges plus
75 options, contrat d’un montant potentiel de
2 milliards de dollars.
PHILIPPE DELAUNES
Cent ans d’aviation
Déclarée « Année internationale de l’air
et de l’espace », 1998 a marqué le premier centenaire de l’aviation et celui de
Aéro-Club de France, doyen des aéro-clubs
nationaux. De nombreuses manifestations
ont célébré ce centenaire. Les 13 et 14 juillet, le Mondial des patrouilles a réuni sur
la base aérienne d’Évreux douze des plus
fameuses patrouilles de voltige militaires et
civiles d’Europe, d’Afrique et d’Amérique du
Sud, dont la patrouille de France. Du 10 au
27 septembre, « Champs d’aviation » a transformé les Champs-Élysées et la place de la
Concorde en aérodrome, accueillant une
trentaine d’avions, hélicoptères et planeurs,
de l’Éole de Clément Ader au Rafale ; une
exposition inaugurée par le président de la
République. Enfin, le congrès mondial de la
Fédération aéronautique internationale s’est
tenu à Toulouse, capitale française de l’aéronautique et de l’espace, du 28 septembre
au 3 octobre.
28
Turquie
Le PKK proclame un cessez-le-feu.
Reconnaissant que ses troupes ont été mises en difficulté par les offensives de l’armée turque, le leader
des séparatistes kurdes du Parti des travailleurs du
Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan, proclame un cessez-le-feu unilatéral et appelle à des négociations
avec le régime d’Ankara. Le Premier ministre Mesut
Yilmaz rejette toute idée de négociation et exige la
reddition de M. Öcalan.
30
Cyclisme
Triomphe de l’équipe de Fronce sur
piste.
Confirmant leurs succès de l’an passé à Perth (Australie), les pistards français remportent six médailles d’or,
une d’argent et deux de bronze. Avec deux médailles
d’or chacun, Florian Rousseau, Arnaud Tournant et
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
151
Félicia Ballanger sont les grands triomphateurs de
ces Championnats du monde organisés à Bordeaux.
31
Bourse
Chute à Wall Street.
L’indice Dow Jones perd 512 points (– 6,36 %). Les
opérateurs ont pris peur, estimant que le plan japonais de relance du nouveau Premier ministre, Keizo
Obuchi, demeure trop timide et que les incertitudes politiques à Moscou menacent la stabilité
économique de la Russie. Les Bourses européennes
sont également touchées, mais, dès le lendemain,
Wall Street regagne 3,8 %. Même si le secrétaire
d’État américain au Trésor, Robert Rubin, affirme
que les « fondamentaux de l’économie américaine
restent forts », les opérateurs restent circonspects et
craignent que l’inquiétude ne gagne les consommateurs américains.
Russie
Impasse politique totale à Moscou.
Par la voix de leur leader Guennadi Ziouganov, les députés communistes, quasi majoritaires au Parlement
(213 sièges avec leurs alliés, sur 442), confirment
qu’ils refusent de donner leur investiture au nouveau
Premier ministre Viktor Tchernomyrdine, que Boris
Eltsine a rappelé après avoir limogé le jeune Sergueï
Kirienko, de leur côté, les ultranationalistes de Vladimir Jirinovski (qui disposent de 50 sièges à la Douma)
font de même. Pour sa part, M. Tchernomyrdine avait
présenté un projet d’« accord politique » prévoyant
une réduction importante des pouvoirs du président
Boris Eltsine, un large transfert de compétences au
profit du Parlement et un engagement réciproque
de la présidence et de la Douma de ne pas dissoudre
et de ne pas renverser le gouvernement pendant
dix-huit mois, un délai jugé nécessaire pour pouvoir
remettre de l’ordre dans les finances de la fédération
de Russie. (chrono. 11/09)
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
152
SEPTEMBRE
2
France
Exclusion de l’UDF de Charles Millon et
de Jean-Pierre Soisson.
Les présidents des Régions Rhône-Alpes et Bourgogne,
élus à leur poste avec les voix du Front national, sont
exclus de l’UDF. Le cas de Jacques Blanc, élu à la tête
de la Région Languedoc-Roussillon dans les mêmes
conditions, est cependant laissé en suspens. Ce dernier
est maintenu au sein du groupe parlementaire de Démocratie libérale (DL), l’organisation présidée par Alain
Madelin, qui a succédé au Parti républicain.
France
Jean-Pierre Chevènement dans
le coma.
Le ministre de l’Intérieur est plongé dans un coma
profond à la suite d’une intervention chirurgicale
bénigne sur la vésicule bilière, au cours de laquelle
son organisme a mal réagi à un produit anesthésiant.
Après un début de polémique, la direction médicale
de l’hôpital du Val-de-Grâce affirme que M. Chevènement avait bien bénéficié des examens préalables
obligatoires à toute anesthésie. C’est Jean- Jacques
Queyranne, secrétaire d’État à l’Outre-mer, qui assure
l’intérim place Beauvau. Autour du 25, M. Chevènement recouvre ses facultés intellectuelles et envisage
son retour aux affaires au début de 1999.
Justice
Coup de filet international contre
un réseau pédophile.
Coordonnée par la police britannique, l’opération
« Cathédrale » permet l’arrestation d’une soixantaine
de pédophiles opérant dans treize pays sur le réseau
Internet. En France, 4 personnes sont interpellées :
elles diffusaient sur le réseau des centaines de photos
pornographiques.
4
France
Libération d’Omar Raddad.
Condamné en 1994 à dix-huit ans de réclusion pour
le meurtre en 1991 de son employeur, Ghislaine Marchal, le jardinier marocain est libéré en application
de la grâce partielle accordée en 1996 par Jacques
Chirac. Un mouvement d’intellectuels et de juristes
s’était mobilisé pour dénoncer les carences de l’enquête et du procès, qui avaient abouti à la condamnation de M. Raddad. Me Jacques Vergès, l’avocat de
ce dernier, réclame une révision du procès.
Rwanda
Condamnation d’un ancien Premier
ministre génocidaire.
Le tribunal pénal international pour le Rwanda, qui
siège à Arusha au Zimbabwe, condamne à la prison
à vie Jean Kambada, Premier ministre du Rwanda en
1994, au moment du génocide des Tutsis et des Hutus modérés. M. Kambada avait reconnu sa responsa-
bilité dans les massacres et collaboré avec le tribunal.
Au Rwanda, le verdict est accueilli avec satisfaction,
mais la population réclame que l’accusé purge sa
peine au pays. Il est peu probable que le tribunal
accède à cette demande, considérant que le Rwanda
n’a pas fini de traverser une situation de guerre civile.
6
Cinéma
Mort d’Akira Kurosawa.
Le cinéaste japonais le plus connu dans le monde
meurt à Tokyo, sa ville natale, à l’âge de quatrevingt-huit ans. Fils d’un officier, il suit des cours de
peinture (notamment occidentale), avant de s’orienter vers le cinéma en 1936, tout en fréquentant des
cercles intellectuels d’extrême gauche. Il réalise en
1943 son premier film, la Légende du grand judo, sur
les arts martiaux. Après la guerre, il s’investit dans
des films engagés socialement comme Ceux qui
bâtissent l’avenir ou Je ne regrette rien de ma jeunesse.
En 1948, il signe son premier chef-d’oeuvre, l’Ange ivre,
avec celui qui deviendra son acteur fétiche, Toshiro
Mifune. Sa réputation s’assoit définitivement avec
Rashomon (1950, lion d’or à Venise, oscar du meilleur film étranger), l’Idiot (1951, d’après Dostoïevski),
les Sept Samouraïs (1954) ou le Château de l’araignée
(1957, d’après Shakespeare). En 1970, Dodes’kaden
est un échec complet qui le ruine et le pousse à une
tentative de suicide. Cependant, il recommence à
tourner, grâce à un financement soviétique et sort
Dersou Ouzala en 1975 (oscar du meilleur film étranger). Il reçoit la palme d’or à Cannes pour Kagemusha,
en 1980. Son dernier film, Madadayo (1993), est une
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
153
réflexion sur la transmission du savoir et de la sagesse
d’un vieux professeur.
Corée du Nord
Kim Jong-il officiellement nommé chef
de l’État.
Quatre ans après la mort de son père Kim Il-sung,
Kim junior est officiellement désigné chef de l’État
par le Congrès suprême du peuple. Depuis 1994, il
occupait les fonctions de président de la commission
de défense nationale puis de secrétaire général du
Parti des travailleurs. Cette promotion est interprétée
comme une volonté d’asseoir un peu plus le régime
alors que le pays traverse une très grave crise éco-
nomique et que la famine frappe une partie de la
population.
Malte
Victoire de la droite aux élections
législatives.
Le Parti nationaliste maltais, dirigé par Eddie Fenech
Adami, l’emporte sur le Parti travailliste, au pouvoir
depuis 1996. M. Adami redevient ainsi Premier ministre pour la troisième fois. Il avait été battu en 1996
pour avoir voulu instaurer la TVA dans l’île. Pro-occidental et pro-européen, M. Adami entend relancer la
candidature de Malte à l’Union européenne, même
si la population demeure très divisée sur la question.
Kurosawa
Il est des cinéastes rares, défricheurs d’un
nouveau monde, dont la créativité a bouleversé
le cours de leur art : tel était Akira Kurosawa,
grand maître du cinéma japonais, aux côtés de
Mizoguchi et d’Ozu. Son oeuvre, d’une profonde
variété, est l’une des plus inventives de l’histoire
du cinéma : japonaise par sa description d’un
monde et d’une morale disparus, occidentale
par sa technique cinématographique, universelle
par son alliance de puissance, d’émotion et
d’élégance.
L’empire du Soleil levant a perdu son Tenno,
l’« Empereur ». Non pas le souverain du Japon,
mais son plus prestigieux cinéaste, Akira Kurosawa. Ce surnom accordé au réalisateur par des
journalistes japonais, au soir de sa vie, lui vaut
une reconnaissance que son pays lui mesura
longtemps. Paradoxe d’un créateur qui a fait
découvrir à l’Occident le cinéma japonais et qui,
de son vivant, est entré dans la légende du septième art, en compagnie d’autres géants, eux
aussi disparus : Antonioni, Ford, Renoir, Welles...
Kagemusha ou le double
Pour de nombreux cinéphiles, Kurosawa est déjà
mort une première fois à la fin de 1997, lors de la
disparition de Toshiro Mifune, son acteur fétiche.
Bandit (Rashomon, 1950), voyou (les Bas-Fonds,
1957), samouraï déchu (la Forteresse cachée,
1958), médecin tyrannique (Barberousse, 1965),
toute une galerie de héros marginaux auxquels
Mifune insuffle toute la vitalité de son jeu, énergique, et de sa diction, frénétique. Son interprétation tranche avec le hiératisme des comédiens
japonais, imprégnés de kabuki : « L’acteur japonais ordinaire, pour traduire une impression, a
besoin de trois mètres de pellicule : pour Mifune,
un mètre suffisait. » Pour tous les cinéphiles, Mifune devient le porte-parole de Kurosawa, son
double en cinéma : le goût de l’action physique
et du mouvement du réalisateur, c’est l’acteur
qui l’incarne, qui l’amplifie même à l’écran. Cette
relation privilégiée dure le temps de faire quinze
films (sur un total de trente), de l’Ange ivre (1948)
à Barberousse (1965), c’est-à-dire pendant toute
la première carrière de Kurosawa – la période
en noir et blanc –, jusqu’à ce que Mifune brise
cette relation duelle dont il ne perçoit plus que
l’aspect conflictuel.
Un autre type de relation duelle anime et éclaire
le cinéma de Kurosawa : celle qui le lia à son frère
aîné, Heigo. Celui-ci l’initia à la littérature russe,
lui fit aimer et connaître le septième art : il était
benshi, c’est-à-dire doubleur de personnages de
films muets, spécialisé dans le cinéma étranger.
Il se suicida en 1933, alors que l’avènement du
cinéma parlant réduisait les benshi au chômage.
Kurosawa fit du cinéma pour reprendre la rôle
qu’il estimait dévolu a son frère : « Je préfère
penser que celui-ci fut le négatif original dont je
suis le développement comme image positive. »
Pour lui, on est toujours le kagemusha (la doublure) – le titre d’un de ses films – d’un autre.
Souvent, les films de Kurosawa font de ce type
de relation, à la fois respectueuse et tendue,
entre deux personnages leur motif principal :
un médecin alcoolique et un truand tuberculeux
dans l’Ange ivre (1948), un vieux médecin et son
disciple dans Barberousse (1965), un paysan et un
homme de science dans Dersou Ouzala (1975),
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
154
un voleur et un général défunt dans Kagemusha
(1980). Histoires de couples masculins, qui, chez
Kurosawa, remplacent le couple homme-femme
filmé par d’autres cinéastes.
Une vocation universelle
Kurosawa renonce donc à une vocation de
peintre. Il devient assistant réalisateur aux
grands studios de cinéma PCL en 1935, puis
réalise ses premières oeuvres dans des conditions précaires, le Japon étant en guerre, et les
budgets de l’après-guerre maigres) : films historiques (la Légende du grand judo, 1943), films
noirs (l’Ange ivre, 1948), mélodrames (le Duel
silencieux, 1949). Mais la présentation de Rashomon en Europe – variation pirandellienne,
d’après une légende médiévale, sur la relativité
de la vérité humaine – inaugure une période
de succès ininterrompue, jusqu’à Barberousse
(1965) : présenté à Venise, à l’insu du cinéaste,
le film obtient le lion d’or en 1951. En 1954, la
puissance expressive d’un film historique, les
Sept Samouraïs, en lequel les cinéphiles voient
un grand western japonais, établit en Europe sa
réputation de maître du lyrisme spectaculaire et
de la tragédie humaine. Ce que confirment ses
adaptations de Dostoïevski (l’Idiot, 1951), Gorki
(les Bas-Fonds, 1957) et Shakespeare (le Château
de l’araignée, 1957, d’après Macbeth). Mais cet
intérêt pour la culture européenne, pour une
technique cinématographique par trop « occidentale », est peu apprécié au Japon, où on lui
reproche d’être peu « japonais », de décrire un
Japon disparu, converti au matérialisme produit
par l’essor économique. Querelle stérile pour
Kurosawa, dont l’oeuvre a priori disparate se veut
une synthèse entre la tradition théâtrale japonaise et les représentations occidentales : « Je
pense à la terre comme à ma patrie. N’importe où
dans le monde, je ne me sens pas étranger », écritil dans Comme une autobiographie (1981). La
crise des studios japonais contraint le cinéaste à
créer sa société de production indépendante. Sa
carrière est relancée en 1970, avec son premier
film en couleurs, Dodes’kaden. Trop onirique,
trop désespérée, l’oeuvre ne trouve pas son
public. Pis, elle mène un Kurosawa désabusé à
une tentative de suicide. Mal aimé en son pays,
le cinéaste devra la poursuite de son oeuvre à
des productions internationales : russe (Dersou
Ouzala, 1975), avec Francis Ford Coppola et
George Lucas (Kagemusha, 1980), Serge Silberman (Ran, 1985), Steven Spielberg (Rêves, 1989).
Concessions faites à un cinéaste vieillissant
par ses producteurs, ses deux derniers films en
forme d’insolite bilan (Rhapsodie en août, 1990 ;
Madadayo, 1993) semblent s’accommoder d’une
réalité transfigurée par la vision intérieure de Kurosawa : insolentes leçons de jeunesse adressées
aussi bien à l’histoire collective qu’à l’expérience
individuelle.
FRÉDÉRIC PERROUD
Les principaux films
La Légende du grand judo (1943)
Les Hommes qui marchent sur la queue du
tigre (1945)
L’Ange ivre (1948)
Chien enragé (1949)
Rashomon (1950)
L’Idiot (1951)
Vivre (1952)
Les Sept Samouraïs (1954)
Le Château de l’araignée (1957)
Les Bas-Fonds (1957)
La Forteresse cachée (1958)
Yojimbo (1961)
Sanjuro (1962)
Entre le ciel et l’enfer (1963)
Barberousse (1965)
Dodes’kaden (1970)
Dersou Ouzala (1975)
Kagemusha (1980)
Ran (1985)
Rêves (1989)
Rhapsodie en août (1990)
Madadayo (1993)
8
République démocratique
du Congo
Échec de la conférence de Victoria Falls.
Malgré un appel au cessez-le-feu, la conférence
de paix réunissant les différentes nations (Congo,
Angola. Zimbabwe, Namibie, Rwanda, Ouganda)
et factions impliquées dans les affrontements au
Congo s’achève sur un constat d’impuissance. La
RDC s’installe dans la guerre : Laurent-Désiré Kabila,
soutenu par les troupes de Luanda, Harare et Windhoek, contrôle le centre et l’ouest du pays, tandis que
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
155
les rebelles, appuyés par Kigali et Kampala, se sont
solidement implantés dans l’est.
9
États-Unis
Relance de l’affaire Lewinsky.
Alors que le président Bill Clinton ne manque pas
une occasion de regretter publiquement sa liaison
avec la stagiaire à la Maison-Blanche, le procureur
spécial Kenneth Starr remet au Congrès son rapport
sur l’affaire. Ce document indique que le président
et la jeune femme ont eu des rapports de nature
sexuelle (fellations) à dix reprises et donne dans des
deuils tout à fait intimes. Il conclut sur le fait que le
président a commis de graves infractions pouvant
ouvrir la voie à une procédure de destitution : mensonge, faux témoignage, obstruction à la justice,
parjure, subornation de témoin et abus de pouvoir.
Dés qu’elle est en possession officielle du rapport
Starr, la majorité républicaine du Congrès décide de
sa publication sur le réseau Internet. Dans les heures
qui suivent, des sondages indiquent que 66 % des
Américains estiment que M. Clinton devrait aller
au bout de son mandat. La plupart des grands dirigeants étrangers, dont Jacques Chirac, font connaître
leur soutien au président américain, tandis que de
nombreux observateurs s’émeuvent de cette procédure exceptionnelle menée contre ce dernier, qui
touche exclusivement à sa vie privée et qui semble
inspirée par une démarche politicienne, notamment
en provenance des milieux les plus conservateurs du
Parti républicain, dont le procureur Starr est proche.
(chrono. 21/09)
France
Présentation du budget 1999.
Le projet de loi de finances est présenté en Conseil
des ministres. Il se fonde sur une prévision de croissance de 2,7 %, ce que l’opposition juge excessif,
compte tenu de la récession mondiale. 0,1 % de
croissance du PIB représentant environ 8,5 milliards
de francs et les prélèvements de l’État se montant à
15 % du PIB, tout recul de la croissance de 0,1 % se
chiffre à environ 1 milliard de francs, ce qui laisse au
gouvernement une certaine marge. Celui-ci prévoit
de ramener le déficit des finances publiques à 2,9 %
dès 1998 et à 2,3 % en 1999. Les dépenses nouvelles
augmenteront de 2,2 % en valeur, soit une hausse
de 16 milliards de francs, et 30 milliards de francs
seront redéployés. Les ministères les mieux dotés
sont ceux de la Ville (+ 32 %), de l’Environnement
(+ 15 %), de la Justice (+ 5,6 %), l’Enseignement
supérieur et la recherche (+ 5,5 %), de la Santé et
de la Solidarité (+ 4,5 %) et de l’Enseignement scolaire (+ 4,1 %). Les baisses d’impôt se monteront à
16,1 milliards et 21,3 milliards seront affectés à la
réduction du déficit public. Jacques Chirac estime
que les baisses d’impôt sont insuffisantes, alors que
les communistes jugent les hausses de dépenses
publiques trop limitées.
France
Remise d’un rapport sur la Corse.
La commission parlementaire sur la gestion des
fonds publics en Corse, présidée par le député PS
Jean Glavany, remet son rapport au Premier ministre.
Ce document, qui dénonce l’émergence dans l’île
d’un « système prémafieux », met en cause à la fois
les élus locaux, qui « n’ont pas pris la mesure de leurs
responsabilités » et les gouvernements successifs depuis vingt ans, qui ont cru que « la paix civile s’achète
ou se vend à coup de nouvelles dérogations fiscales,
de dettes effacées ou d’amnisties excessives ». Avec
11 500 francs par an et par habitant de dotations spécifiques (sans compter les subventions européennes),
la Corse se situe loin devant toutes les autres Régions
françaises pour ce qui est de l’aide publique. Pour-
tant, la majorité des 250 000 habitants de l’île n’en
bénéficient pas. Sont particulièrement mis en cause
la Caisse de développement de la Corse (Cadec) et
le Crédit agricole. De très importantes créances ne
pourront jamais être recouvrées et un dossier de la
Cadec met en cause « une figure notoire du grand
banditisme insulaire ».
Un budget en demi-teinte
Portée par une prévision de forte croissance,
la loi de finances pour 1999 a été votée le
18 novembre à l’Assemblée nationale, sans grand
enthousiasme, après cinq semaines d’un débat
animé qui n’a eu que peu d’impact sur la version
finale. La copie se voulait consensuelle, mais
elle fut vivement critiquée par la droite comme
par certaines composantes de la « majorité
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
156
plurielle », qui l’approuvèrent plus par discipline
que par conviction.
Sachons être optimiste tout en restant prudent. Tel paraît être le principe auquel s’est tenu
le gouvernement pour élaborer son budget
1999, voté solennellement le 18 novembre par
l’Assemblée nationale. Tablant sur une croissance de 2,7 %, le projet de loi de finances présenté par Dominique Strauss-Kahn ne se laissera
pour autant pas aller à de trop grandes largesses
budgétaires. Pour cet acte majeur de la vie parlementaire, le gouvernement de la « gauche plurielle » a donc voulu jouer la carte de la prudence
et du consensus ; mais à vouloir contenter le
plus grand nombre, ce budget en demi-teinte en
mécontentera beaucoup, se heurtant à de vives
oppositions à droite comme à gauche de l’hémicycle, et malmenant ce principe de concertation
cher à M. Jospin. Pourtant animé, le débat budgétaire entamé le 13 octobre à l’Assemblée ne
fera pas fléchir le gouvernement, qui ne concède
que des modifications minimes à son projet
de budget. Entre une opposition plus combative car revigorée par sa victoire provisoire sur
le PACS et ses alliés de la » majorité plurielle »
soucieux d’affirmer leur ancrage à gauche à
l’approche des européennes, le compromis était
certes difficile et la marge de manoeuvre étroite
pour un gouvernement dont la priorité affichée
est de ne pas laisser filer un déficit budgétaire
fixé, à 237,329 milliards de francs. Accusé d’avoir
surestimé la croissance en 1999, le ministre de
l’Économie et des Finances affirme fonder ces
prévisions sur le « réalisme », et le « collectif »
budgétaire de fin d’année semblait lui donner
raison, la bonne tenue de la croissance en 1998
ayant permis de réviser à la hausse les recettes
fiscales de l’année – 11 milliards de francs supplémentaires qui abaisseront le déficit budgétaire initialement annoncé. Mais si la tendance
est encourageante, rien n’assure qu’elle se maintiendra contestent les communistes, dont le président du groupe parlementaire, Alain Bocquet,
affirmait le 9 septembre que le budget n’est pas
à la hauteur des menaces de plus en plus tangibles qui pèsent sur la croissance ». Devant les
commissions des finances de l’Assemblée nationale, M. Bocquet reprochait « le manque d’ambition sociale » du projet de budget, qu’il soupçonnait de « donner des gages à l’ultralibéralisme »
malgré certaines mesures comme le relèvement
de l’impôt sur la fortune. Les critiques sont bien
sûr, diamétralement opposées à droite, où l’on
dénonce les tentations étatistes d’un texte qui
bride le marché par une réduction insuffisante
de la pression fiscale et l’augmentation de la dépense publique ; bref, la vague de la croissance
sur laquelle s’est laissé porter le gouvernement
risque fort de se briser sur son budget. Quant à la
modification d’une taxe professionnel le considérée partout le monde, ou presque, comme un
frein à l’emploi, elle a été plutôt mal perçue par
les élus locaux, qui voient ainsi fondre une partie des ressources des collectivités territoriales,
alors que le gouvernement y voit un gage de sa
politique de la main tendue aux entreprises.
Sujet de controverse permanent, la question des
impôts a donné lieu à une course aux amendements entre les composantes de la majorité plurielle et l’opposition, une épreuve dont les alliés
du gouvernement ne sortiront pas forcément
vainqueurs. Pressé par sa majorité d’engager des
baisses d’impôt plus conséquentes pour les ménages, notamment à travers la TVA, de mettre en
oeuvre une réforme de la fiscalité du patrimoine
plus audacieuse, ou encore d’adopter la réforme
de la fiscalité écologique pénalisant les pollueurs, le gouvernement ne répondra que partiellement à ses attentes. Alors que les députés
de la majorité sont presque systématiquement
remis au pas quand ils s’opposent trop ouvertement à M. Jospin, ce dernier semble plus soucieux de ne pas s’attirer les foudres de l’opposition, et sera soupçonné pour cela de suivre une
« stratégie présidentielle ». C’est ainsi que sous
les pressions de la droite, il fait machine arrière
sur sa réforme fiscale concernant l’assurance
vie. Partant du constat généralement admis que
l’exonération quasi totale des droits de succession a transformé l’assurance vie en un refuge
pour certaines très grosses fortunes désireuses
d’échapper à l’impôt, Bercy avait cru pouvoir
soumettre ces produits d’épargne à la taxation,
qui plus est avec rétroactivité. Devant le tollé
suscité dans l’opposition sur le caractère rétroactif de ce dispositif, il se contentera d’une demimesure : l’exonération des droits de succession
est maintenue quand les sommes léguées
n’excèdent pas un million de francs, la taxation
étant fixée, au-delà, à un taux forfaitaire de 20 %.
Son effet en sera limité, puisqu’elle s’appliquera
seulement aux nouveaux contrats et non aux
contrats en cours, une concession saluée comme
une « victoire » par le secrétaire général du RPR
Nicolas Sarkozy, le plus farouche adversaire de
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
157
ce dispositif. Cette volte-face gouvernementale,
qui prétend sacrifier à l’exigence de consensus,
n’a fait qu’en trahir les limites : sans s’attirer l’indulgence de l’opposition, le budget a quelque
peu malmené la cohésion de la gauche plurielle,
qui n’avait d’autre choix que de le voter. Et les
chiffres publiés par l’Insee quelques jours après,
faisant redouter une croissance quasi nulle l’an
prochain, ne sont pas de très bon augure...
GARI ULUBEYAN
Le budget se met au vert...
De l’avis de certains députés communistes,
le débat à l’Assemblée n’aura servi qu’a modeler le budget par « petites touches ». Mais
si le PC a obtenu satisfaction, notamment
sur un dispositif controversé de lutte contre
la fraude fiscale qui autorise l’administration fiscale à utiliser le numéro de Sécurité
sociale afin d’identifier les contribuables,
ce sont surtout des touches de vert qui ont
été apportées au budget. Avec une augmentation de 15 % du budget Environnement,
ce qui porte celui-ci à 0,3 % du budget de
l’État alors qu’il était limité depuis dix ans
à 0,14 %, Dominique Voynet n’a pas à se
plaindre. L’Assemblée a, par ailleurs, adopté
la réforme de la fiscalité écologique, qui se
traduira notamment par un relèvement de
la taxe intérieure sur les produits pétroliers
(TIPP) concernant le gazole. Les carburants
non polluants et les utilisateurs d’énergie
propre se verront récompenser, le GPL (gaz
de pétrole liquéfié) et l’aquazole (émulsion
d’eau et de gazole) faisant l’objet de baisses
de ta fiscalité.
11
Algérie
Retrait de Liamine Zeroual.
Le président algérien annonce que des élections
présidentielles anticipées auront lieu avant février
1999 et qu’il n’y sera pas candidat. Les milieux politiques comme l’opinion publique sont totalement
surpris par cette déclaration. Plusieurs hypothèses
sont évoquées : l’état de santé du général Zeroual,
l’exacerbation des tensions sociales que ce soudain
départ pourrait, au moins temporairement, désamorcer, mais, surtout, les clivages importants au sein de
l’équipe dirigeante. Cette dernière hypothèse avait
été renforcée ces dernières semaines par l’affaire
Mohamed Betchine. Ce général, très proche du président Zeroual, avait été mis en cause pour son affairisme par une partie de la presse, aux mains d’un clan
rival de hauts gradés. En outre, le général Betchine
passait pour un partisan d’une ligne islamo-populiste
rejetée par la fraction éradicatrice-laïque du haut
commandement militaire.
Russie
Investiture de Evgueni Primakov.
Après que la Douma a rejeté par deux fois la candidature au poste de Premier ministre de Viktor Tchernomyrdine, elle accepte à une large majorité (315 voix
contre 63 et 15 abstentions) celle de M. Primakov,
jusqu’alors ministre des Affaires étrangères. Âgé de
soixante-neuf ans, celui-ci a derrière lui une longue
carrière. Spécialiste du monde arabe, il a d’abord
exercé la profession de journaliste avant de diriger
différents centres de recherche sur la politique internationale. En 1991, il rejoint le KGB au poste de no 2. À
l’époque de la guerre du Golfe, devenu membre
suppléant du Politburo, il assure plusieurs missions
à Bagdad et, en 1996, remplace à la tête de la diplomatie russe Andreï Kozyrev, jugé trop pro-occidental.
L’investiture de cet ancien apparatchik de 1ère soviétique, qui a bénéficié de l’appui des communistes,
représente un coup très grave porté à l’autorité de
Boris Eltsine, forcé de se déjuger sur le choix de son
jeune poulain Kirienko, puis incapable d’imposer
le retour aux affaires de M. Tchernomyrdine. Tout
en affirmant sa volonté de prendre en compte les
« besoins sociaux » de la population, M. Primakov
tente de rassurer les Occidentaux en assurant qu’il
entend poursuivre les réformes et payer toutes les
dettes de la Russie. Il constitue son équipe en nommant un communiste, Iouri Maslioukov, no 2 du gouvernement, mais en le flanquant de trois centristes,
proches de M. Tchernomyrdine, Alexandre Chokhine,
chargé des relations avec les institutions financières
internationales, Vladimir Ryjkov, aux Affaires sociales,
et Vladimir Boulgak, à l’Intérieur. Rapidement, les
contradictions se font jour : M. Chokhine démissionne à la suite de la nomination aux Finances de
Mikhaïl Zadornov, poste que ce dernier occupait déjà
dans le gouvernement Kirienko. M. Chokhine estime
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
158
que c’est une erreur de nommer des hommes déjà
responsables de la crise que traverse le pays.
Evgueni Primakov
Quelques jours avant d’accepter de tenter de
sortir la Russie du chaos, Evgueni Primakov,
ministre sortant des Affaires étrangères, affirmait
avec force qu’il ne « pouvait pas » prendre la
tête du nouveau cabinet, comme le lui proposait
une coalition hétéroclite regroupant aussi bien
des libéraux que les communistes. C’est dire le
peu d’enthousiasme avec lequel cet homme de
soixante-huit ans, actif en politique sous Leonid
Brejnev déjà, s’est attaché à former le gouvernement de transition destiné à aider la Russie à
franchir le double cap de la débâcle financière et
de l’interminable fin de règne eltsinien.
Avant d’être projeté sous les sunlights de l’actualité par sa nomination au service de l’État
soviétique, puis russe, au poste de Premier ministre à la mi-septembre 1998, Evgueni Primakov
a accompli une longue carrière tout entière
faite de discrétion et de compétence affirmées.
Dans les années 50, il côtoie Mikhaïl Gorbatchev
sur les bancs de l’université de Moscou, avant
d’apprendre l’arabe et de se spécialiser dans les
questions du Proche-Orient, dont il est devenu,
au fil des années, un des meilleurs connaisseurs en Russie. Correspondant de la Pradva au
Moyen-Orient dans les années 60, il est aussi un
médiateur formé à l’école du KGB, accoutumé aux
missions délicates. C’est ainsi qu’il est amené à
s’entremettre entre les nationalistes kurdes et le
pouvoir en place à Bagdad. Sa carrière au sein du
PCUS est assez lente : il entre au Comité central
comme suppléant en 1986, devenant titulaire
en 1989. Son destin accompagne alors celui de
M. Gorbatchev, qui le fait nommer comme suppléant au Bureau politique. Durant la guerre du
Golfe, il entreprend vainement plusieurs missions
de bons offices auprès de Saddam Hussein, qu’il
a « pratiqué » dans les années 60. Il jouera à nouveau un rôle de conciliateur lors du bras de fer
entre Washington et Bagdad, à l’automne 1997.
Évitant de se compromettre par des choix trop
tranchés durant la transition de l’époque soviétique à l’ère eltsinienne, cet homme habile se
voit confier la responsabilité des services du
contre-espionnage russe en 1991, puis il revient
au premier plan en janvier 1996 en devenant ministre des Affaires étrangères du gouvernement
dirigé par Victor Tchernomyrdine. Il remplace à
ce poste Andreï Kozyrev, que Boris Eltsine juge
trop aligné sur les chancelleries occidentales. Il
s’efforce alors d’opérer un infléchissement de la
politique internationale de la Russie, lui permettant de mieux faire prévaloir ses intérêts vitaux,
sans toutefois froisser l’Occident. Cette réorientation se traduit par une tentative de resserrement des liens avec d’anciens partenaires de
l’URSS en Orient, dont l’Iran et l’Irak, mais aussi
par une opposition marquée à l’extension de
l’OTAN jusqu’aux confins de la Russie. Il affiche
un soutien sans ambiguïté aux ambitions de
Slobodan Milosevic en ex-Yougoslavie. Parallèlement, il s’efforce de rétablir la position de la
Russie dans le commerce des armes.
Ces efforts pour faire valoir sur la scène internationale les intérêts et engagements traditionnels
de la puissance russe mis à mal par la transition
chaotique lui valent l’estime des militaires, des
services secrets, mais aussi des nationalistes et des
communistes qui apprécient son « patriotisme ».
Mais, d’un autre côté, il a su nouer de précieuses
relations parmi les libéraux qui apprécient son
pragmatisme, son habileté tactique et sa modération. Tous admirent sa longévité politique, son
tempérament peu intrigant et l’art avec lequel il
a su passer sans heurt du service de Mikhaïl Gorbatchev à celui de Boris Eltsine. Last but not least,
son absence déclarée d’ambitions présidentielles
en faisait, dans le contexte de blocage des institutions suscité par la fronde de la Douma, le candidat idéal – avant que ne sonne en 2000 l’heure
des grandes batailles pour le Kremlin.
Mais tous ces atouts ne pèsent, semble-t-il, pas
d’un poids bien lourd auprès de l’imbroglio
financier, économique et politique dans lequel
se trouve la Russie. E. Primakov, présenté comme
l’homme de l’apaisement et du consensus, a eu
toutes les peines du monde à former un gouvernement hétéroclite, où les différentes factions
tirent à hue et à dia. Ses exhortations adressées
aux communistes et aux mécontents à ne pas
« faire chavirer le navire dans une mer démontée » n’ont pas freiné l’agitation sociale.
Une des craintes du Premier ministre est que la
crise économique et sociale sans fin ne débouche
sur un « éclatement du pays », sanctionné par la
paralysie du pouvoir central et le renforcement
des tendances centrifuges – les pouvoirs locaux
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
159
tentant de sauver leur épingle du jeu en s’affranchissant de Moscou. La spirale inflationniste
n’ayant pas été enrayée, le gouvernement de Primakov a dû se résoudre à une nouvelle émission
monétaire à la fin de l’année 1998 – équivalente à
20 milliards de francs environ. Le budget du dernier trimestre 1998 accusait un déficit particulièrement fort, avec des revenus inférieurs de moitié
aux dépenses. Selon les estimations de la Banque
centrale de Russie, l’inflation devait atteindre environ 300 % à la fin de l’année, et le produit intérieur brut chuter de 5 à 6 %.
Remplaçant au pied levé Boris Eltsine, une nouvelle fois rendu indisponible par la maladie,
lors du sommet russo-européen de Vienne fin
octobre 1998, Evgueni Primakov n’a pas caché
la gravité de la situation de son pays, menacé
par de dramatiques pénuries pendant l’hiver à
venir : « je ne viens pas la main tendue, a-t-il déclaré en substance à ses interlocuteurs, mais une
aide alimentaire d’urgence permettrait, éventuellement, d’éviter le pire – tout en permettant aux
Occidentaux d’alléger leurs surplus... »
ALAIN BROSSAT
Primakov
Dès sa nomination au poste de Premier
ministre, Evgueni Primakov s’est efforcé de
rassurer l’Occident et les bailleurs de fonds
sur l’aide desquels il compte pour redresser
la situation financière et économique de son
pays : « La Russie ne refusera pas de respecter ses engagements, nous paierons toutes
nos dettes. La Russie n’est pas un pays à se
déclarer en faillite. Le gouvernement s’en
chargera et travaille déjà en ce sens. » Mais,
déclarant d’un même élan qu’il fallait « aller
vers une économie prenant en compte les
besoins sociaux de la société, une économie
à orientation sociale », il suscitait la méfiance
du Fonds monétaire international. À défaut
d’avoir manifesté clairement son intention de
maintenir le cap de la marche forcée à l’économie de marché, quel qu’en soit le coût social, il s’est vu refuser un prêt de 4,3 milliards
de dollars qui devait être versé à la Russie
en septembre 1998. Faute d’adopter un programme économique « crédible et convaincant », dans l’esprit du FMI, la Russie se verra
privée de toute aide. Dans le même esprit,
une demande d’aide humanitaire adressée par E. Primakov à l’Union européenne
suscitait en octobre 1998 une réponse aussi
dilatoire que lapidaire de la part de Jacques
Santer, président de la commission de l’UE :
cette requête, dit-il, « mérite réflexion ».
12
Bosnie
Résultats contradictoires aux élections
générales.
Le Parti radical serbe (SRS) de Nikola Poplasen l’emporte en Republika Srpska (entité serbe de Bosnie)
sur les modérés de la présidente Biljana Plavsic. Cette
victoire des extrémistes, proches de Radovan Karadzic, porte un coup sérieux au processus de paix mis
sur pied par les Occidentaux après les accords de
Dayton en décembre 1995. Toutefois, c’est un Serbe
modéré qui est élu à la place d’un extrémiste à la présidence collégiale de la Bosnie, du fait des réfugiés
musulmans qui ont voté à leur ancien domicile. Dans
les communautés croate et musulmane, les candidats nationalistes restent en tête, mais les petits partis démocrates enregistrent une légère progression.
13
Albanie
Nouvelles émeutes à Tirana.
Après l’assassinat d’un député du Parti démocratique
(PD) de l’ex-président Sali Berisha, une très violente
manifestation oppose les partisans de l’opposition aux
forces de l’ordre. Les manifestants accusent le pouvoir
du Premier ministre socialiste Fatos Nano. M. Berisha
défie le gouvernement mais ne parvient pas à le déstabiliser, M. Nano pouvant se prévaloir du soutien de la
communauté internationale. Toutefois, l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe)
et le Conseil de l’Europe enjoignent les deux parties de
reprendre les négociations. (chrono. 28/9)
14
Cambodge
Médiation du roi Norodom Sihanouk.
Après plusieurs jours de violentes manifestations et
contre-manifestations, l’ancien roi du Cambodge
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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tente une médiation entre le Premier ministre Hun
Sen et les deux leaders de l’opposition, Norodom
Ranariddh, chef du Funcinpec (parti royaliste), et Sam
Rainsy. Ces derniers contestent les résultats des élections du 26 juillet, qui avaient donné la victoire aux
ex-communistes.
Tennis
Lindsay Davenport et Patrick Rafter
vainqueurs à Flushing Meadows.
L’Américaine remporte son premier titre du grand
chelem en s’imposant en finale contre la Suissesse
Martina Hingis. L’Australien, tenant du titre, l’emporte
pour sa part sur son compatriote Mark Philippousis.
15
France
Projet de loi
sur la présomption d’innocence.
Élisabeth Guigou, ministre de la Justice, présente
un projet de loi prévoyant la présence d’un avocat
auprès de la personne mise en garde à vue dès la
première heure (sauf en cas de trafic de drogue, de
terrorisme et de criminalité organisée) et l’intervention d’un juge distinct du magistral instructeur pour
les mises en détention provisoire. Les professionnels
de la justice sont, dans l’ensemble, très réticents.
16
France
François Bayrou
à la tête de l’UDF.
Le président de Force démocrate succède, avec
89 % des voix, à François Léotard à la tête de la
confédération créée en 1978 par Valéry Giscard
d’Estaing. Il a pour mission de relancer une organisation affaiblie par le départ, en mai, d’Alain Madelin et de Démocratie libérale, par les hésitations
des élus face au Front national et à la démarche
de Charles Millon, et par la tendance à toujours
mettre aux postes de direction les dirigeants des
différentes composantes de la confédération (Parti
radical, PPDF, adhérents directs) au détriment de
personnalités nouvelles et jeunes.
17
Birmanie
Défi de l’opposition à la junte.
Quelques jours après que les militaires au pouvoir ont
fait emprisonner plus d’une centaine de membres de
la Ligue nationale pour la paix de Mme Aung San Suu
Kyi, prix Nobel de la paix, l’opposition crée un « comité parlementaire ». Cet organisme a pour mission de
représenter les députés élus en 1990 lors des élections annulées par la junte.
Espagne
Annonce d’une trêve par l’ETA.
L’organisation indépendantiste basque décrète une
trêve « unilatérale et illimitée », trois jours après que
les partis nationalistes modérés et la coalition Herri
Batasuna, vitrine légale de l’ETA, ont proposé une
solution négociée au conflit. Un conflit qui dure depuis 1968 et qui a causé la mort de 768 personnes.
L’ETA propose que l’on s’inspire du modèle irlandais
et que l’on mette en place une institution représentant le Pays basque espagnol, la Navarre et le Pays
basque français. Le chef du gouvernement espagnol,
José Maria Aznar, réagit en déclarant qu’il souhaite
avoir des « preuves tangibles » de la volonté des indépendantistes et qu’il veut mettre la trêve de l’ETA à
l’épreuve du temps.
France
Obstacle à Coca-Cola.
Se fondant sur l’avis du Conseil de la concurrence,
le ministre de l’Économie, Dominique Strauss-Kahn,
s’oppose à la reprise d’Orangina par la firme américaine. Le ministre craignait que la concurrence soit
particulièrement mise à mal sur le secteur du « hors
domicile » (distributeurs dans les stades, cinémas,
etc.), le plus rentable pour les fabricants de boissons
gazeuses. Le ministre a été également sensible à des
arguments de politique intérieure : s’opposer à CocaCola ne pouvait que réjouir les partenaires commudownloadModeText.vue.download 162 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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nistes, par ailleurs de plus en plus critiques sur la politique gouvernementale.
19
France
Première Techno Parade à Paris.
À l’initiative de Jack Lang et sur le modèle de la Love
Parade de Berlin, 130 000 personnes assistent dans
les rues de la capitale au défilé des chars jusqu’à la
place de la Nation, où a lieu un grand concert de
musique techno.
Liberia
Violences à Monrovia.
Une quarantaine de personnes sont tuées dans la
capitale au cours d’affrontements entre les troupes
du président Charles Taylor et les miliciens du chef
de guerre Roosevelt Johnson. M. Taylor avait été élu
en juillet 1997 sur un programme de réconciliation
nationale.
20
Suède
Difficile victoire des sociauxdémocrates.
Avec 36,6 % des voix aux élections législatives, le
Parti social-démocrate obtient son plus mauvais
résultat depuis 1922, perdant 8,7 points par rapport
au scrutin précédent de 1994. Il reste cependant le
plus important parti suédois, devant les conservateurs (22,7 %), le Parti de gauche (ex-communiste,
12 %, soit le double du précédent scrutin) et les chrétiens-démocrates (11,7 %). Göran Persson, le Premier
ministre sortant, entend se maintenir à son poste,
mais il devra négocier âprement avec la Gauche
ou les Verts (crédités de 4,4 % des voix). M. Persson
paie la cure d’austérité qu’il a dû faire subir au pays,
comme sa volonté de faire entrer à terme son pays
dans l’euro, alors que la population y est majoritairement hostile.
Malaisie
Contestation du pouvoir de Mahathir
Mohamad.
Une manifestation antigouvernementale a lieu à
Kuala Lumpur sous la direction de l’ancien vicePremier ministre, Anwar Ibrahim, longtemps considéré comme le dauphin, puis brutalement limogé le
2 septembre. Aussitôt, le Premier ministre, Mahathir
Mohamad, en poste depuis dix-sept ans, fait emprisonner son ancien collaborateur, et annonce qu’il le
fera juger pour « sodomie ». M. Anwar Ibrahim est un
père de famille nombreuse, musulman pratiquant.
Depuis quelques mois, la crise couvait entre les deux
hommes. Les choses ont empiré quand Anwar a
décidé de créer un mouvement politique, le « Mouvement pour la réforme », s’adressant aussi bien aux
Malais qu’à la minorité chinoise, et dénonçant la corruption et le népotisme de l’équipe au pouvoir.
21
Athlétisme
Mort de Florence Griffith-Joyner.
La détentrice des records du monde du 100 m
(10″ 49) et du 200 m (21″ 34), triple médaille d’or
aux JO de 1988 (100 m, 200 m, 4 × 100 m) meurt
d’une attaque cardiaque à trente-huit ans. Sa mort
relance les soupçons de dopage qui avaient pesé sur
elle lors de ses succès : la brusque transformation de
sa morphologie, sa voix anormalement grave et le
léger duvet qui couvrait sa lèvre supérieure avaient
été remarqués par tous, mais elle avait pris sa retraite
sportive assez tôt pour empêcher toute enquête à
son endroit. Néanmoins, sa foulée exceptionnelle
comme ses ongles démesurés et ses tenues extravagantes resteront longtemps dans les mémoires.
États-Unis
Diffusion à la télévision
du témoignage de Bill Clinton.
Après que la majorité républicaine du Congrès l’a autorisé, l’enregistrement du témoignage de Bill Clinton
sur sa relation avec Monica Lewinsky devant le procureur Kenneth Starr est diffusé à la télévision. Malgré
l’avalanche de questions scabreuses et la gêne visible
du président américain, plus de 65 % des personnes
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interrogées expriment une opinion favorable envers
celui-ci. Dans les jours qui suivent, les républicains
rejettent une proposition d’accord selon lequel la
procédure d’impeachment (destitution) du président
serait abandonnée, quitte à gratifier ce dernier d’un
blâme public assorti d’une amende. Faisant fi des
sondages, par nature nettement volatiles, les républicains attendent le résultat des élections législatives
de novembre pour en tirer toutes les conséquences
politiques et judiciaires.
22
Belgique
Expulsion mortelle d’une jeune
immigrée.
Alors qu’elle était embarquée de force par la police
dans un avion en partance pour l’Afrique, une Nigériane de vingt ans, en situation illégale, est étouffée
par un coussin. Cette mort provoque un grand émoi
dans le pays et entraîne la démission du ministre de
l’Intérieur, Louis Tobbak. Celui-ci était en place depuis
la démission de son prédécesseur, en 1997, après la
tentative d’évasion du pédophile Marc Dutroux.
Cette affaire provoque une très vive émotion au sein
de la population belge. (chrono. 26/09)
24
Iran
Annulation partielle du décret
contre Salman Rushdie.
Le gouvernement annonce qu’il se « dissocie » de la
prime de 2,5 millions de dollars offerte depuis 1989
pour la tête de l’écrivain britannique, auteur des Versets sataniques, ouvrage jugé blasphématoire par les
musulmans intégristes. Depuis dix ans, M. Rushdie
vit caché et protégé par les services secrets britanniques. L’écrivain britannique estime que la décision
de Téhéran constitue une véritable avancée et qu’elle
devrait lui permettre de revivre plus normalement.
Toutefois, en Iran même, une partie des milieux au
pouvoir conteste cette mesure de clémence et rappelle qu’il s’agit au départ d’une fatwa, c’est-à-dire
d’un décret religieux, prise par l’ayatollah Khomeyni
lui-même, donc non susceptible d’être levée. En
réalité, après la condamnation du maire de Téhéran,
l’affaire constitue un nouvel épisode de l’opposition
entre la faction libérale du président Mohammad
Khatami et la faction conservatrice du guide de la
Révolution, Ali Khamenei.
Médecine
Première greffe de la main d’un autre.
À l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon, une équipe
internationale de chirurgiens, dirigée par le Pr JeanMichel Dubernard et le Pr Earl Owen, directeur du
centre de microchirurgie de Sydney, procède avec
succès à la greffe d’une main, prélevée sur une
personne décédée, sur un Néo-Zélandais amputé
depuis une quinzaine d’années. L’opération dure plus
de onze heures et consiste, d’abord, à fixer l’avantbras du greffon par des plaques et des vis sur celui du
receveur, puis à raccorder les tendons et les muscles,
et à suturer les nerfs. Le patient est aussitôt soumis à
un puissant traitement immuno-dépresseur, destiné
à prévenir tout rejet. La principale difficulté de l’intervention réside, en effet, dans le rejet de la peau. Si elle
réussit, cette greffe devrait ouvrir de vastes perspectives pour des millions d’handicapés.
25
France
Coup d’arrêt au maïs transgénique.
Le Conseil d’État ordonne le sursis à exécution d’un
arrêté du ministère de l’Agriculture du mois de février
autorisant la mise en culture de trois variétés de maïs
génétiquement modifiées. Le Conseil donne ainsi
raison aux organisations écologistes qui estimaient
que l’arrêté en question avait été pris sans une
information préalable suffisante. En juin, un groupe
de citoyens de base, réunis par le Parlement, et
conseillés par des scientifiques, avaient exprimé leurs
craintes face aux conséquences, mal connues, de la
consommation de fruits et légumes génétiquement
modifiés.
Slovaquie
Échec de Vladimir Meciar.
Aux élections générales, les quatre partis de l’opposition (du centre droit aux ex-communistes et à la
minorité hongroise) obtiennent 58 % des voix et
93 sièges sur 150. Toutefois, le Mouvement pour
une Slovaquie démocratique (HZDS), le parti de
M. Meciar, arrive en tête, devançant légèrement
le Parti de la coalition démocratique (SDK, centre
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
163
droit). Dans ces conditions, les partis de l’opposition
affirment qu’ils vont former une coalition de gouvernement et réclament le départ du Premier ministre
sortant. La campagne s’est faite autour de l’intégration dans l’Union européenne, intégration jusque-là
refusée, étant donné le « déficit démocratique » de
M. Meciar.
26
Belgique
Un nouveau ministre de l’Intérieur.
Luc Van den Bossche remplace Louis Tobback au
ministère belge de l’Intérieur. En dépit des pressions
de tout bord, M. Tobback a choisi de s’effacer après la
mort d’une Nigériane, lors d’une tentative de rapa-
triement. Cette décision, qui intervient dans un pays
où la démission a longtemps été vécue comme un
signe de faiblesse, pourrait amorcer un changement
de moeurs dans une classe politique décrédibilisée
par des affaires en série.
27
Allemagne
Victoire de Gerhard Schröder.
Les sociaux-démocrates (SPD) l’emportent avec
40,9 % des voix et 298 députés (sur un total de
669) sur leurs concurrents chrétiens-démocrates
(CDU-CSU), crédités de 35,2 % des suffrages et de
245 sièges. Cette victoire de la gauche signifie la fin
du leadership de Helmut Kohl, arrivé au pouvoir en
septembre 1982. Ce dernier annonce qu’il va abandonner également la présidence de la CDU. Âgé de
cinquante-quatre ans, M. Schröder est un avocat de
formation. Issu d’un milieu extrêmement modeste, il
a d’abord appartenu aux Jeunesses socialistes, alors
situées très à gauche. Il en devient le président en
1978 et fait reintégrer l’organisation dans le SPD. Élu
député en 1981, il tient encore un discours gauchisant sur les questions d’environnement et de pacifisme. Élu président de Basse-Saxe, il y développe une
politique très centriste et favorable au développement industriel. Acquis aux principes de l’économie
de marché, membre du conseil d’administration de
Volkswagen, il adapte désormais son propos aux évolutions de l’opinion. Parfois qualifié d’opportuniste, il
organise sa campagne électorale autour du thème
du « nouveau centre », proche du « New Labour » de
Tony Blair. Dès la victoire acquise, il entame des négociations avec les Verts (6,7 % des voix et 47 sièges)
afin de mettre sur pied avec eux une coalition gouvernementale. Ceux-ci, divisés entre les « réalistes »
de Joschka Fischer et les « fondamentalistes », toujours acquis aux grandes idées de l’écologisme des
années 70/80, hésitent à se plier aux exigences de
M. Schröder : stabilité économique, refus des expérimentations en matière de sécurité intérieure et
continuité de la politique étrangère. Dès le 30, le
nouveau chancelier se rend à Paris, où il rencontre
Jacques Chirac et Lionel Jospin, façon pour lui, que
l’on soupçonnait de tiédeur à cet égard, de rappeler
son attachement à la coopération franco-allemande.
France
Retour de la gauche à Toulon.
La candidate de la gauche plurielle Odette Casanova
(PS) remporte la législative partielle de Toulon. Avec
51 % des voix, elle devance Cendrine Le Chevallier,
épouse du maire FN de la ville, de 734 voix. Gagnante
en mai de la précédente partielle, cette dernière avait
été invalidée par le Conseil constitutionnel.
France
Confortable majorité sénatoriale
pour la droite.
Comme prévu, la composition du Sénat à l’issue du
renouvellement d’un tiers de ses sièges n’a guère
varié. Avec 215 sièges sur 321, la droite conserve en
effet une confortable majorité, rééquilibrée, toutefois, au profit du RPR, qui passe de 93 à 99 élus, et
de Démocratie libérale – dont les élus siègent au
groupe des Républicains indépendants – qui progresse de 46 à 49 sénateurs. Le groupe de l’Union
centriste obtient 51 représentants, soit un recul de
7 sièges. Le PS ne progresse que de trois sièges pour
atteindre 79 élus. Le PC conserve ses 16 sénateurs.
Le Sénat ne se féminise pas vite, puisque seules trois
femmes figurent parmi les 104 élus ou réélus.
Iran
Irrévocabilité de la fatwa c
ontre Salman Rushdie.
Le ministère iranien des Affaires étrangères réaffirme « l’irrévocabilité » de la fatwa (décret religieux)
de l’imam Khomeyni contre l’écrivain britannique
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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S. Rusdhie. Toutefois, le gouvernement se dissocie de
la prime liée à l’exécution de la fatwa.
France
Décès de Charles Lederman, avocat du
PCF.
L’ancien sénateur du Val-de-Marne s’éteint à Paris à
l’âge de quatre-vingt-huit ans. Avocat du PCF et de
la CGT, il avait plaidé dans de nombreux procès liés
aux guerres d’Indochine et d’Algérie, défendant des
militants communistes et FLN. D’une fidélité indéfectible au PCF, jouissant d’une audience importante au
Sénat parmi ses collègues de tout bord, il était connu
pour ses coups de colère, mais aussi pour sa parfaite
connaissance des questions juridiques.
Suisse
Une taxe pour les camions.
54 % des Suisses se prononcent en faveur d’une
taxe sur les poids lourds. Cette mesure est jugée cruciale dans la perspective d’un rapprochement avec
l’Union européenne. La nouvelle redevance écologique, qui doit favoriser le transport de marchandises
par train au détriment de la route, était contestée par
l’Union patronale des camionneurs, à l’origine du référendum. La taxe permettra de mettre en chantiers
deux grands tunnels de ferroutage à travers les Alpes.
Ces tunnels serviront au passage entre le nord et le
sud de l’Europe.
Élections historiques
en Allemagne
Pour la première fois depuis 1949, l’électorat allemand congédie un chancelier sortant. Ce pays ne
s’était jamais prononcé aussi nettement à gauche
depuis 1990 et a fortiori depuis 1949. En état de
choc, la démocratie-chrétienne a obtenu le plus
mauvais résultat de son histoire.
Une nouvelle république est née outre-Rhin.
Elle sera rouge-vert. Telles sont les conséquences
immédiates des élections législatives du 27 septembre 1998. Alors que les derniers sondages redonnaient l’espoir aux chrétiens-démocrates en
prévoyant une remontée rapide des intentions
de vote en leur faveur à quelques heures de l’ouverture des bureaux de vote, les premiers résultats ont infligé un nouveau démenti aux instituts
d’opinion publique. Les premiers commentaires
parlent d’un véritable tremblement de terre. Au
grand dam de la démocratie-chrétienne qui prônait l’expérience du chancelier Kohl et implorait
les Allemands de ne pas se laisser influencer par
les sirènes de l’expérimentation sociale avec les
sociaux-démocrates et les Verts, l’électorat s’est
prononcé sans équivoque pour l’alternance, une
alternance rouge-verte dont la probabilité était
certaine en cas de victoire sociale-démocrate. Le
perdant, Helmut Kohl, a rapidement admis l’ampleur de sa défaite et a félicité son heureux rival,
le social-démocrate Gerhard Schröder.
L’effondrement de la CDU
Si les commentateurs politiques ont employé
le terme de séisme pour qualifier les élections
du 27 septembre, c’est que, d’une part, cellesci ont donné des résultats inattendus – même
s’ils étaient prévisibles – et, d’autre part, parce
qu’elles plongent l’Allemagne dans une situation
inédite. Ainsi, depuis 1949, pour la première fois,
l’électorat allemand a congédié le chancelier
sortant. Le ras-le-bol de seize ans de gouvernement Kohl a été l’élément déterminant du juge-
ment des urnes. Toutefois, même si le chancelier
avait préparé sa retraite en décidant de ne pas se
représenter, il n’est pas certain que la CDU/CSU
aurait évité de connaître son plus grave échec
depuis 1969. Depuis huit ans, le camp conservateur (CDU/CSU + FDP) connaît une usure réelle
de son électorat et ne rassemble plus que 41,4 %
de l’électorat alors qu’en 1969, il en regroupait
51,9 % et qu’au début de son ère, il y a seize ans,
Helmuth Kohl pouvait gouverner avec plus de
55 % des voix exprimées. Salué par tous pour
son oeuvre au service de l’Europe, le chancelier
quitte la scène politique sur un échec profond
qui laisse son parti – désormais dirigé par son second Wolfgang Schaüble – dans un état de choc.
Ce renversement brutal – pour un électorat réputé stable – a été le prix à payer par le chancelier
de la deuxième unité allemande à cette même
unification. Porté par une vague de sympathie à
l’Est lors des premières élections de la nouvelle
Allemagne (dix-sept points et demi d’avance
sur les sociaux-démocrates en 1990, six point
d’avance encore en 1994, c’est désormais plus
de huit points de retard que la CDU compte dans
les nouveaux Länder de l’Est), il n’a pu offrir aux
Allemands de l’Est que la liberté de se déplacer.
Il n’a pas su les délivrer de chaînes plus récentes,
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
165
et tout aussi pesantes, celles du chômage et de
la déqualification. Les Ossis (diminutif pour désigner les Allemands de l’ex-RDA), ont délivré un
double message : abandon massif de la CDU/
CSU et retrouvailles avec les ex-SED (parti socialiste uni d’Allemagne, ex-parti communiste),
le PDS. Ce dernier parti, cinquième force politique du pays, mais la troisième à l’Est derrière
le SPD et la CDU, semble la seule force politique
capable de mobiliser les jeunes urbains et, a, à
ce titre, dans le futur la capacité d’exprimer un
vote protestataire. Il est aussi le seul des petits
partis à pouvoir atteindre les marches du pouvoir : dans tous les Länder de l’Est il approche
les 20 %. Il est également le seul parti autre que
les deux grands partis à obtenir des mandats directs (4, tous à Berlin). Cela le conduit d’ailleurs
à connaître dès cette législature la responsabilité du pouvoir, là où il dépasse les 20 %, dans le
Mecklemburg, par exemple, dans le cadre d’une
coalition SPD/PDS.
Ce véritable raz-de-marée s’est déroulé dans un
contexte de grande maturité politique, puisque
la participation électorale a crû de 3,3 % en
moyenne, et de 7,4 % plus particulièrement à
l’Est.
La SPD l’emporte dans douze des quinze Länder, seules la Bavière, le Bade-Wurttemberg
et la Saxe ont voté majoritairement pour les
chrétiens-démocrates.
Au SPD, le Nord, l’Est et le Centre
Le parti de Gerhard Schröder a fait le grand
chelem (tous les mandats directs) dans le
Schleswig-Holstein, à Hambourg et à Brême,
dans la Sarre, dans le Brandebourg, en SaxeAnhalt. Il obtient la majorité absolue à Brème
et dans la Sarre. En Basse-Saxe, dont Gerhard
Schröder est le ministre-président, le SPD remporte 28 des 32 mandats directs, manquant
la majorité absolue de 0,6 point. Dans l’autre
poids lourd démographique de l’Allemagne, la
région la plus industrielle du pays, la Rhénanie
du Nord-Westphalie, le SPD remporte 52 circonscriptions sur 69 et gagne une dizaine de
mandats directs. En ex-Allemagne de l’Est, les
conquêtes sont nombreuses, en Thüringe (où
la CDU ne conserve qu’une circonscription), à
Berlin (tout rouge, sociaux-démocrates ou excommunistes), seul l’extrême nord-est du pays
(deux circonscriptions) reste aux mains des
chrétiens-démocrates.
La CDU conserve l’Ouest et le Sud
Sans gagner un seul mandat, les chrétiens-démocrates conservent leurs forteresses de la
Bavière, du Bade-Wurtemberg et la Saxe, tout
en perdant plusieurs circonscriptions : quatre
en Bavière dont deux à Munich, huit en Bade et
sept en Saxe.
Le pari des Verts
Paradoxalement, le troisième parti, les Verts, la
plus jeune des quatre grandes organisations,
a subi un tassement en perdant deux sièges et
0,6 %. Pourtant, au début de l’année, les sondages plaçaient les écologistes bien au-delà
des 7 %. Ce parti, dont la base électorale est
principalement constituée de l’électorat féminin (plus particulièrement de femmes entre 35
et 44 ans ayant achevé avec succès leurs études
secondaires) et des fonctionnaires n’a donc pas
profité de l’effet Joschka Fischer, son chef charismatique. Expression politique des luttes sur
l’environnement menées depuis les années 70
contre la société nucléaire, mais aussi des milieux de contre-culture alternatifs, les Verts ont
mis plusieurs années à choisir entre une stratégie de rupture, celle mise en avant par le courant
fondamentaliste, et une stratégie d’alliance, de
préférence avec la sociale-démocratie, dont l’aile
réaliste est la représentante. Et l’on a vu que la
stratégie de J. Fischer n’était pas, durant la campagne, soutenue par tous les Verts. Malgré cette
déconvenue, les Verts profitent du fait qu’ils ont
assuré la majorité au SPD pour se retrouver au
gouvernement.
SERGE COSSERON
Portrait politique du vainqueur
Élu chancelier à l’âge de 54 ans, Gerhard
Schröder est issu d’une famille modeste. Il a
commencé une carrière politique très jeune
puisque, après avoir participé au mouvement étudiant qui a marqué les années 19661970, il a dirigé l’organisation de jeunesse
sociale-démocrate. Il devient ministre-président de son Landnatal, la Basse-Saxe. Après
avoir assisté, après l’époque Brandt-Schmidt,
à la longue et douloureuse bataille pour la
direction du parti qui avait épuisé nombre
de candidats à la chancellerie, parmi lesquels, Johannes Rau, Rudolph Scharping
et Oskar Lafontaine, il réussit à s’opposer
aux « éléphants » du parti et à imposer son
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
166
image pragmatique de responsable politique
attaché aux compromis et à l’efficience sur
le terrain. Économiste de formation, il prend
en compte la transformation sociologique de
l’électorat allemand et cherche à gagner au
centre. Paradoxalement, c’est le Parlement
le plus connoté à gauche qui lui assure la
direction du pays. Mais, malgré la présence
d’une gauche volontaire, à l’image de Lafontaine et de Fischer le Vert, le nouveau chancelier de la République fédérale ne doit pas
oublier qu’il doit son élection en grande partie au 1,7 million d’électeurs chrétiens-démocrates de 1994 qui se sont porté sur son nom.
28
Albanie
Démission du Premier ministre.
Fatos Nano, chef du gouvernement socialiste (excommuniste) depuis juillet 1997, annonce sa démission, après avoir constaté son impossibilité à réformer
son équipe. Il regrette publiquement de n’avoir « eu
le soutien ni des membres de la coalition ni de son
parti ». Peu avant, le ministre de l’Intérieur avait également annoncé son départ, dénonçant la « classe
politique corrompue et incapable ». Cette décision
intervient deux semaines après des émeutes particulièrement sanglantes à Tirana.
Japon
Mégafaillite dans la banque.
La presse japonaise annonce la plus grande faillite de
l’histoire japonaise de l’après-guerre : Japan Leasing,
filiale de la banque japonaise en difficulté Long-Term
Crédit Bank of Japan, dépose son bilan. Une faillite
logique dans la mesure où, quelques jours plus tôt,
il avait été décidé de ne pas recapitaliser la LTCB, ce
qui aurait permis à cette dernière de renoncer à sa
créance de 520 milliards de yens sur Japan Leasing et
deux autres filiales mal en point. Cette société, spécialisée dans les services financiers, laisse un passif
de 2 444 milliards de yens (plus de 100 milliards de
francs).
Autorité palestienne
Yasser Arafat menace de proclamer
un État indépendant.
Face à l’intransigeance du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, au sujet du redédownloadModeText.vue.download 168 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
167
ploiement israélien en Cisjordanie, le président de
l’Autorité palestinienne, M. Arafat annonce qu’il
pourrait déclarer unilatéralement l’indépendance,
le 4 mai 1999. C’est à cette date que les accords
d’Oslo prennent fin. Alors que l’échéance approche,
M. Arafat rappelle ainsi qu’aucun traité de paix n’a
été signé et que les négociations sur le statut final,
inaugurées par les travaillistes juste avant leur défaite électorale, n’ont jamais repris. Pis, des clauses
essentielles contenues dans Oslo restent lettre
morte, à commencer par les trois redéploiements
que Tsahal devait effectuer en Cisjordanie avant
août 1998. En fixant une date, M. Arafat remobilise
ses troupes, force ses adversaires à se découvrir,
contraint les États-Unis à sortir de leur léthargie,
mais se livre aussi à une manoeuvre plus que délicate. En effet, le 4 mai, il risque de n’avoir pas d’autre
choix que de reculer ou d’engager avec Israël une
épreuve de force à l’issue bien incertaine.
Fédération yougoslave
Bombardements serbes au Kosovo.
Les forces serbes bombardent et incendient plusieurs villages du sud du Kosovo. Elles affirment
qu’il s’agit d’une opération d’éradication de l’UCK
(Armée de libération du Kosovo). Selon plusieurs
diplomates occidentaux, ce regain de violence
ressemble « davantage à une forme de châtiment
collectif » et pourrait marquer le début d’une nouvelle phase du conflit susceptible de provoquer une
réaction de l’OTAN.
Malaisie
Manifestations antigouvernementales
à Kuala-Lumpur.
La police réprime violemment une manifestation
de quelque 3 000 opposants au Premier ministre
Mohamad Mahathir et procède à de nombreuses
interpellations. Les manifestants exigent la libération
de l’ancien vice-Premier ministre Ibrahim Anwar. Ce
dernier a été arrêté le 20 septembre sous les accusations de « sodomie » et de « sédition » lancées par le
chef du gouvernement. Deux coalitions antigouvernementales voient le jour. L’une, laïque, composée
de 18 partis, l’autre, constituée sous l’égide du parti
d’opposition islamique, le parti Se-Islam Malaysia.
Le leader de la première de ces deux coalitions, Tian
Chua, est arrêté par les forces de l’ordre. En dépit de
la répression policière, la contestation qui secoue
le pays depuis la mi-septembre continue donc de
prendre de l’ampleur.
France/Liberia
Charles Taylor en visite à Paris.
L’ancien chef de guerre et actuel président du Liberia est reçu à l’Élysée par Jacques Chirac. Le chef de
l’État libérien cherche à reconstruire un pays dévasté
par une guerre qu’il a lui-même contribué à entretenir. Après sept années de massacres – quelque
150 000 civils ont été tués et la moitié des Libériens
ont dû fuir leur pays –, M. Taylor a été élu, à une écrasante majorité, président de l’ancienne République
des esclaves américains affranchis. Pour autant, la
paix est loin de régner au Liberia, où les forces gouvernementales n’hésitent pas à employer la violence
la plus extrême contre les clans qui ne sont pas acquis au nouveau président. Ce dernier, brouillé avec
le FMI et la Banque mondiale, compte sur la France
pour la reconstruction de son pays.
Sri Lanka
Combats entre les rebelles et l’armée
régulière.
237 soldats srilankais et rebelles tamouls trouvent la
mort dans des affrontements survenus dans la partie
nord du Sri Lanka. Les Tigres tamouls confirment la
mort de 194 de leurs hommes.
États-Unis
Un cyclone meurtrier.
Le cyclone George entame sa remontée des côtes
américaines, traversant le golfe du Mexique pour
atteindre les côtes du Mississippi avec des pointes de
vent de 280 km/h. Ce cyclone a déjà fait 320 morts
dans les Caraïbes et en Floride. Au cours du weekend, des centaines de milliers d’habitants ont dû être
évacués.
29
Grande-Bretagne
Tony Blair maintient le cap.
Le Premier ministre britannique, après 18 mois de
pouvoir, défend sa politique devant le congrès annuel du Parti travailliste. Il présente, notamment, un
bilan flatteur de sa gestion de l’économie, au nom
de la stabilité et du contrôle de l’inflation. « Nous ne
céderons pas », a-t-il répété à ceux qui lui demandent
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
168
de diminuer les taux d’intérêt ou d’accroître les dépenses publiques. « Nous avons un chancelier de fer
et une résolution de fer » a répété le Premier ministre
devant une salle plutôt tiède. De toute évidence, la
détermination du chef du gouvernement réveille
l’opposition de la gauche travailliste, tétanisée depuis cinq ans par la vigueur et la réussite du New
Labour. Mais M. Blair ne parvient pas à empêcher
l’élection, au comité du parti, de quatre personnalités qui présentent un profil travailliste plus orthodoxe. Plus largement, le Premier ministre aura choisi
d’envoyer un message simple : les travaillistes maintiennent le cap.
France/Autriche
Les troupes françaises indésirables en
Autriche.
Vienne interdit aux militaires français de traverser le
territoire autrichien pour se rendre en Slovaquie, où
elles doivent participer à des manoeuvres. Ces exercices se dérouleront dans un cadre bilatéral, et non
dans celui du Partenariat pour la paix, une organisation liée à l’OTAN, à laquelle appartiennent l’Autriche
et la Slovaquie. La décision autrichienne augure mal
de la construction d’une défense européenne, alors
que Vienne assure la présidence de l’Union.
Kurdistan irakien
Trêve kurde.
Le chef des séparatistes kurdes de Turquie, Abdullah Ocalan, proclame un cessez-le-feu unilatéral
dans le nord de l’Irak, où des combats opposent ses
partisans (PKK) aux forces du Parti démocratique du
Kurdistan (PDK). Ce cessez-le-feu intervient deux
semaines après que le PDK et l’Union patriotique
du Kurdistan (UPK) ont décidé de mettre fin à leur
conflit en Irak.
États-Unis
La Fed baisse ses taux d’intérêt.
Le Comité de la politique monétaire de la Réserve
fédérale américaine annonce que celle-ci a choisi
de baisser son taux d’intérêt interbancaire de 5,50 à
5,25 %. Cette réduction est certes faible, mais, pour
les marchés financiers, c’est surtout l’amorce d’un
mouvement qui devrait se traduire par d’autres
baisses. En fait, le patron de la Fed, Alan Greenspan, entend ainsi éviter un atterrissage brutal
de l’économie américaine. En effet, les ménages
américains, échaudés par les turbulences financières, commencent à broyer du noir. Une perte de
confiance qui ne manquera pas de se traduire par
une consommation moindre et donc une réelle incidence sur la croissance, jusqu’à présent largement
tirée par la consommation intérieure.
République démocratique du
Congo/Tchad
Le Tchad entre dans le conflit congolais.
Environ 1 000 soldats tchadiens partent pour renforcer les forces congolaises du président autoproclamé
Laurent-Désiré Kabila, quelque peu débordées par la
rébellion qui fait rage dans l’est du pays. Après l’intervention du Zimbabwe, de l’Angola et de la Namibie,
le « soutien inconditionnel » que le président tchadien
Idris Déby a promis à M. Kabila prend forme. Ce dernier doit aussi affronter ses anciens alliés, l’Ouganda
et le Rwanda.
30
France
Corse, la Cuncolta décapitée.
Les derniers dirigeants d’A Cuncolta, la vitrine légale
du FLNC-Canal historique, sont arrêtés dans la région
de Bastia. Onze personnes, dont Charles Pieri, sont
placées en garde à vue dans le cadre de l’enquête sur
l’assassinat d’un jeune homme, Christophe Garelli, en
août, à Lucciana. La justice découvre à cette occasion
un important stock d’armes : soixante-dix bâtons
d’explosifs, des détonateurs, une grenade offensive,
deux pistolets-mitrailleurs, une vingtaine d’armes de
poing, des pistolets automatiques autrichiens et des
scanners pour écouter les fréquences de la police.
Cisjordanie
Attentat à Hébron.
Dix-sept personnes, huit Palestiniens et neuf militaires israéliens, sont blessées par l’explosion de deux
grenades à Hébron, en Cisjordanie. Yasser Taraweh,
lui-même blesse dans l’explosion, soutient que les
grenades ont été lancées contre des véhicules civils
palestiniens par un colon israélien qui a pris la fuite.
D’autres témoins estiment que les grenades visaient
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
169
une Jeep militaire israélienne qui circulait dans la partie de Hébron occupée par l’armée israélienne.
Iran
Deux fidèles de la foi Baha’i condamnés
à mort.
La justice iranienne confirme les condamnations à
mort prononcées contre deux fidèles de la foi Baha’i
emprisonnés depuis un an. Les deux hommes ont
été arrêtés en octobre 1997 « pour avoir enfreint l’interdiction qui leur avait été faite d’organiser des réunions
sur la vie familiale ».
France
Dopage et biologie du sport.
Le ministère de la Jeunesse et des Sports annonce le
lancement d’une unité mobile de biologie du sport.
Il s’agit en l’espèce d’agir sur la protection de la santé
des sportifs et de prévenir le dopage. Cette unité
sera chargée d’effectuer un bilan biologique par trimestre. Elle pourra se rendre, à la demande des fédé-
rations, sur des lieux de stages ou de regroupements
de sportifs pour pratiquer des examens biologiques
spécialisés qui resteront à la discrétion du médecin
fédéral.
Économie mondiale
Pessimisme du FMI en matière
de croissance.
Le FMI rend public son « Rapport sur les perspectives
de l’économie mondiale », dans lequel on peut lire
que « la situation économique et financière internationale s’est gravement détériorée ces derniers mois ». Le
coût global de la crise financière asiatique est comparé par les experts du FMI à la disparition soudaine
dans un trou noir d’une économie industrialisée de
la taille de celle du Canada ; soit une perte de 600
à 800 milliards de dollars en production de revenus.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
170
OCTOBRE
1
France
Élection de Christian Poncelet à la
présidence du Sénat.
Le sénateur RPR des Vosges, président de la commission des finances, succède à René Monory, UDF,
à la tête de la Haute Assemblée. C’est la première fois
que ce poste échappe aux centristes pour revenir
aux gaullistes. François Bayrou et les différents leaders de l’UDF expriment leur indignation, mais l’âge
(soixante-quinze ans) et l’état de santé de M. Monory
ont joué contre ce dernier. M. Poncelet (soixante-dix
ans), ancien secrétaire d’État dans les années 70 dans
les ministères Messmer, Chirac et Barre, a su habilement faire oublier son appartenance au RPR en mettant en avant sa parfaite connaissance des rouages
du Sénat, ses bonnes relations dans l’ensemble de la
droite et sa condition physique satisfaisante.
3
Australie
Difficile victoire des conservateurs.
La majorité libérale-nationale du Premier ministre
sortant, John Howard, est reconduite avec 78 dépu-
tés, contre 94 dans la précédente législature. Le Parti
travailliste de Kim Beazley est crédité de 69 sièges
contre 49 auparavant. Le demi-échec de M. Howard
s’explique par son bilan mitigé, marqué de plusieurs
virages contradictoires et par une campagne axée
sur le thème impopulaire de l’introduction dans le
système fiscal australien d’une TVA généralisée au
taux de 10 %. Les élections enregistrent également
l’échec du parti d’extrême droite de Pauline Hanson,
qui ne conquiert qu’un seul siège au Sénat et aucun
à la Chambre des députés.
Finances internationales
Réunion décevante du G7.
Pour réagir au développement de la crise internationale en Asie, en Russie et en Amérique latine,
les ministres de l’Économie et les présidents des
banques centrales des 7 pays les plus industrialisés se
réunissent à Washington. Peu de décisions concrètes
sont prises : les partenaires ne parviennent pas à se
mettre d’accord sur une baisse coordonnée des taux
d’intérêt, tandis qu’ils reprochent au Japon de ne
pas agir assez efficacement pour remédier à ses problèmes économiques et financiers. Ils s’entendent
toutefois pour envisager une transformation et un
renforcement du rôle du Fonds monétaire international (FMI). Les Bourses réagissent par une forte baisse
avant de se reprendre. À Paris, l’indice CAC 40 se situe
aux alentours de 3 200 points, contre près de 4 400
au début de l’été.
Lettonie
Référendum en faveur de la minorité
russophone.
Les électeurs lettons approuvent par 53 % des mesures assouplissant les conditions d’attribution de
la citoyenneté à la forte minorité de russophones
(650 000 personnes sur un total de 2 475 000). Ce résultat, vivement souhaité par Moscou, est salué par les
responsables européens et devrait contribuer à favoriser l’intégration de la Lettonie dans l’UE et l’OTAN.
4
Brésil
Fernando Henrique Cardoso réélu à la
présidence.
Âgé de soixante-sept ans, le président sortant, de
tendance centriste sociale-démocrate, est reconduit avec 50,8 % des voix au premier tour. Lula, son
concurrent du Front commun de la gauche, est cré-
dité de 35 % des suffrages, tandis que Ciro Gomes,
dissident social-démocrate, engrange 11,5 % des
voix. La victoire de M. Cardoso est moins forte que
celle prévue par les instituts de sondages, d’autant
que l’élection des gouverneurs de province, qui
avait lieu le même jour, s’avère délicate pour plusieurs des candidats favorables au pouvoir en place.
Économiste, d’abord communiste, puis socialiste,
enfin centriste, farouchement opposé à la dictature
militaire (il s’exilera un temps en France), M. Cardoso
entre au gouvernement en 1993, où il parvient à
juguler l’inflation galopante. Fort de ces bons résultats, il est élu à la présidence en 1994, après s’être allié
à la droite. Une fois au pouvoir suprême, il parvient
à moderniser les structures économiques du pays
(déconcentration administrative, privatisations) tout
en prenant diverses mesures sociales, notamment en
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
171
matière d’éducation. La forte croissance économique
que connaît alors le Brésil permet d’améliorer les
conditions de vie de près de vingt millions de déshérités. La crise financière mondiale vient assombrir
le tableau courant 1998. Fort de son succès électoral,
M. Cardoso entend obtenir du FMI un plan de soutien énergique destiné à mettre un frein à l’hémorragie de capitaux qui frappe le pays depuis plusieurs
semaines.
5
États-Unis
Début de la procédure de destitution
contre Bill Clinton.
La commission judiciaire de la Chambre des représentants autorise l’ouverture d’une enquête parlementaire à rencontre du président américain dans
le cadre de l’affaire Lewinsky, du nom de la jeune
stagiaire à la Maison-Blanche convaincue d’avoir eu
des relations sexuelles avec le chef de l’exécutif. Le
vote s’est fait sur une base strictement politique, les
21 représentants républicains votant pour l’impeachment, les 16 démocrates, contre. La décision de
la commission judiciaire est confirmée le 8 par un
vote de la Chambre en assemblée plénière : 31 élus
démocrates (essentiellement des élus sudistes
conservateurs) sur 206 ont joint leurs voix à celles
des républicains. Cette faible proportion constitue
un petit succès pour M. Clinton, qui peut ainsi faire
valoir le caractère politique de la procédure intentée
contre lui. Après Andrew Johnson en 1867 et Richard
Nixon en 1974, M. Clinton est le troisième président
américain à se voir ainsi infliger l’humiliante procédure de l’impeachment. L’enquête, qui pourrait durer
de longs mois, doit déboucher sur un vote de la
Chambre à la majorité simple. Si ce vote est acquis,
le Sénat est alors érigé en cour de justice. Pour déclarer le président « coupable », les sénateurs doivent se
prononcer à une majorité des deux tiers.
6
Union européenne
Levée de l’immunité de Jean-Marie Le
Pen par le Parlement de Strasbourg.
Par 420 voix contre 20 et 6 abstentions, l’immunité de
député européen du président du Front national est
levée pour la troisième fois depuis 1989. Ce vote fait
suite à la demande du procureur du Land de Bavière
concernant une déclaration de l’homme politique
français à Munich en décembre 1997, dans laquelle
il prétendait une nouvelle fois que la question des
chambres à gaz ne constituait qu’un « détail » de
l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.
7
Russie
Demi-échec de la journée nationale de
protestation.
Moins d’un million de personnes, selon la police
(12 millions selon les organisateurs), défilent dans
la capitale et dans 500 villes russes pour protester
contre les conditions de vie difficiles et réclamer
le paiement des arriérés de salaires et de pensions.
Organisée par la Fédération indépendante des syndicats de Russie (FNPR) et le Parti communiste, cette
journée est loin d’atteindre les objectifs initiaux de
« 40 millions de Russes dans la rue » : 150 000 manifestants se retrouvent à Moscou pour réclamer le
départ de Boris Eltsine, tandis que la FNPR soutient
officiellement la candidature à la présidence de Iouri
Loujkov, maire de Moscou.
8
Espagne
Tragique naufrage d’un bateau de
tourisme.
Vingt personnes sont tuées et une quarantaine blessées lors du naufrage d’un bateau de plaisance sur
le lac de Banyoles, en Catalogne. Les victimes fai-
saient partie d’un groupe de 141 retraités français
en vacances. L’enquête fait aussitôt apparaître une
surcharge du bateau, dont la capacité maximale était
de 80 personnes.
Littérature
José Saramago prix Nobel.
Le Portugais, âgé de soixante-quinze ans, est le premier écrivain lusophone à recevoir la consécration
de l’Académie suédoise. Ce fils de paysans modestes,
serrurier de formation, a été retenu pour avoir « grâce
à ses paraboles soutenues par l’imagination, la comdownloadModeText.vue.download 173 sur 417
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
172
passion et l’ironie, rendu sans cesse à nouveau tangible une réalité fuyante ». Membre du Parti communiste, José Saramago a attendu longtemps pour
faire reconnaître son oeuvre poétique, romanesque
et théâtrale. Il ne rencontre le succès qu’au début
des années 80 avec son dix-septième roman, le Dieu
manchot, roman épique situé dans le Portugal du
XVIIIe siècle, peu avant le terrible tremblement de terre
de Lisbonne, en 1755. Abordant des grands thèmes
historiques, il n’hésite pas à proposer une lecture très
personnelle du christianisme avec l’Évangile selon Jésus, publié en 1992. L’Osservatore romano, organe de
presse du Vatican, désapprouve d’ailleurs le choix de
l’écrivain portugais en écrivant qu’il est resté « idéologiquement un communiste » avec une « vision substantiellement antireligieuse ».
9
France
Recul de la gauche sur le Pacs.
Faute d’un nombre suffisant de députés présents à
l’Assemblée nationale, la majorité est mise en minorité par la droite sur la question du pacte civil de
solidarité (qui accorde des avantages fiscaux, sociaux
et patrimoniaux aux personnes non mariées vivant
en couple et qui acceptent de signer ce document
en préfecture). L’opposition fait adopter l’exception
d’irrecevabilité qui empêche la discussion sur le
texte. Furieux d’avoir été ainsi contrecarré, le gouvernement fait savoir qu’une nouvelle discussion
sur le Pacs aura lieu le 10 novembre et que le texte
sera alors adopté. Cette péripétie parlementaire met
en lumière le malaise de nombreux élus de gauche
vis-à-vis de ce projet, que certains de leurs électeurs
considèrent comme un artifice pour justifier le « mariage des homosexuels » ou comme une remise en
cause globale de la famille traditionnelle. Il est aussi
reproché au gouvernement de ne pas avoir défendu
lui-même ce projet avec assez d’insistance et d’avoir
changé plusieurs fois d’optique (notamment en
proposant, au dernier moment, d’élargir le Pacs aux
frères et soeurs, façon d’édulcorer ainsi sa nature
conjugale, homo ou hétérosexuelle).
Italie
Chute du gouvernement Prodi.
Le gouvernement de centre gauche de Romano
Prodi, en place depuis mai 1996, est mis en minorité
à une voix à la suite de la défection des communistes
du PRC qui avaient décidé de ne plus soutenir la coalition, estimant que le projet de loi de finances pour
1999 ne comportait pas suffisamment de mesures
sociales. Créditée de 8,6 % des voix et de 34 députés aux élections de 1996, Refondation communiste,
dirigée par Fausto Bertinotti, est indispensable
pour garantir au gouvernement une majorité à la
Chambre. Une scission avait alors eu lieu au sein du
PCR, la majorité de ses députés (21 sur 34) suivant Armando Cossutta pour continuer à soutenir M. Prodi.
Alors que le président de la République, Oscar Luigi
Scalfaro, entame des consultations pour tenter de
constituer une nouvelle majorité stable, le leader de
l’opposition de droite, Silvio Berlusconi, réclame des
élections anticipées. M. Prodi est à nouveau pressenti
pour former le gouvernement mais il renonce rapidement. (chrono. 23/10)
Subtilités italiennes
Le gouvernement de l’Olivier dirigé par Romano
Prodi, que les Italiens avaient porté au pouvoir
avec les élections du 21 avril 1996, n’aura pas
réussi à battre le record de longévité – un peu
plus de trois ans – établi au début des années 80
par Bettino Craxi, l’ancien leader socialiste
actuellement en exil volontaire en Tunisie.
M. Prodi n’est pas parvenu à trouver un second
souffle après avoir brillamment atteint le principal
objectif de sa coalition, faire en sorte que l’Italie
figure parmi les pays fondateurs de la monnaie
unique. Il avait pour cela imposé au pays une politique fiscale d’une sévérité tout à fait inhabituelle.
Entre le 1er mai 1998, date de naissance de l’euro, et le jour de la chute de son gouvernement, le
9 octobre, M. Prodi a été soumis à un assaut médiatique quotidien de la part de la composante
d’extrême gauche de sa coalition, le parti de la
Refondation communiste (RC) de Fausto Bertinotti. Cette petite formation, qui a recueilli aux
dernières élections 8 % des suffrages, n’a jamais
fait partie de l’Olivier ri du gouvernement. Elle
a simplement conclu un accord de désistement
aux élections qui ont porté au pouvoir M. Prodi
et appuyé la majorité afin de faire barrage à la
droite de Silvio Berlusconi – chef du parti entrepreneurial Forza Italia (FI) – et Gianfranco Fini –
leader de l’Alliance nationale (AN), parti ouvertement néofasciste jusqu’en 1994.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
173
Depuis sa naissance, le gouvernement Prodi a
dû faire, d’un côté, maintes entorses à son programme économique et social pour satisfaire les
exigences de RC, et, de l’autre, s’appuyer sur le
vote de l’opposition en politique étrangère – intervention en Albanie, élargissement de l’OTAN,
considérés comme « inadmissibles » par le très
anti-atlantique RC. Lâché finalement par M. Bertinotti, lui-même prisonnier du radicalisme de sa
base, M. Prodi n’a pas su être aussi bon politicien
qu’il avait été bon économiste. Il a hésité entre
un appel à la solidarité de RC, auquel il ne pouvait pourtant pas offrir la rupture unilatérale du
traité de Maastricht qu’il exigeait, ou à celle du
« nouveau centre » créé par l’ancien président de
la République Francesco Cossiga.
Ce rassemblement d’une quarantaine de députés qui ont quitté l’opposition de droite pour
fonder l’Union démocratique et républicaine
(UDR) était tout prêt à rejoindre la coalition de
centre gauche, si on lui donnait satisfaction sur
quelques points symboliques et si on lui attribuait deux ou trois portefeuilles ministériels.
M. Prodi refusa, misant toutes ses cartes sur la
scission au sein de RC entre les « réalistes » progouvernementaux de M. Cossutta, un ancien
dirigeant de l’aile prosoviétique du PCI, et les
gauchistes de M. Bertinotti. Ce fut un échec :
il manqua une voix au moment du vote de
confiance à la Chambre des députés et le gouvernement fut mis en minorité.
Nous étions à la mi-octobre. Deux voies s’ouvraient alors aux forces de centre gauche qui
avaient gagné les élections de 1996 : ou retourner devant les électeurs, mais sans l’accord de
désistement avec RC qui avait été déterminant
pour battre la droite ; ou bien accepter de tourner
la page de l’Olivier pour signer un accord avec
l’UDR, ce qui renouait avec le type de coalitions
en vigueur du temps de la loi électorale proportionnelle. Le choix de la deuxième solution,
que M. Prodi ne pouvait pas incarner, a conduit
Massimo D’Alema, chef des ex-communistes
devenus Démocrates de gauche (DS), à la tête
du gouvernement le 23 octobre 1998. « C’est un
centre gauche plus incisif, plus efficace et plus
avancé que le précédent », commenta le quotidien La Repubblica, très proche de la coalition
de l’Olivier. Et qui présente une extraordinaire
nouveauté : la fin de l’anomalie italienne, selon
laquelle le leader du premier parti du pays – DS
– ne peut pas, faute de son passé communiste,
diriger le gouvernement.
Mais l’UDR ne conçoit pas son avenir dans une
alliance stratégique avec la gauche. L’objectif déclaré de M. Cossiga est de créer une alternative à
l’actuelle droite « libérale et populiste » pour les
élections de l’an 2001. L’UDR, qui se veut « libérale et conservatrice », reprendra donc sa compétition avec le centre gauche dès qu’elle aura
réuni les forces nécessaires. Dans l’attente, elle
entend faire un bout de chemin avec les partis
de l’Olivier, dans un esprit de loyale hostilité. Le
problème de M. Cossiga est qu’il a réuni autour
de lui un personnel politique – pour l’essentiel
d’anciens démocrates-chrétiens –, mais qu’il n’a
pas vraiment d’électeurs. Les parlementaires de
son groupe ont été élus en 1996 avec le Pôle
de la liberté, c’est-à-dire avec M. Berlusconi.
Aujourd’hui, le patron de Fininvest crie « au vol
et à la trahison ». Il n’a pas entièrement tort. Car
M. Cossiga veut l’évincer de la scène politique et
récupérer, sur l’effondrement inévitable de FI oui
s’ensuivrait, les troupes électorales qui lui font
défaut.
Mais ce scénario ne peut se réaliser que si la
coalition gouvernementale ne se déchire pas
sur les questions les plus délicates. C’est à propos de l’attitude envers M. Berlusconi que MM.
D’Alema et Cossiga pourraient diverger. Loi sur le
conflit d’intérêts entre bénéficiaires de marchés
publics et responsabilités politiques ; respect
plus ou moins grand de l’autonomie des juges
enquêtant sur les délits commis par M. Berlusconi avant qu’il n’entre en politique : l’UDR sera
intransigeante sur ces sujets afin de sortir le chef
de FI du jeu politique. M. D’Alema essaiera de
le protéger, mais ne pourra aller trop loin : son
électorat, bien plus que celui de l’UDR, souhaite
que la justice suive son cours. Ainsi, aux prochaines élections, les alliés actuels pourraient se
présenter l’un contre l’autre. La gauche pourrait
se retrouver minoritaire, après seulement deux
années à la tête du pouvoir. Mais la mise à l’écart
de M. Berlusconi ferait enfin de l’Italie « un pays
normal ».
LUCIANO BOSIO
Le déclin de Silvio Berlusconi ?
Le lendemain du vote de confiance à
M. D’Alema, des milliers de manifestants
convoqués de longue date par la droite défilaient dans Ta capitale aux cris de « À bas le
gouvernement communiste ». Mais peut-être
célébraient-ils sans le savoir les débuts du
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
174
déclin de leur dirigeant, M. Berlusconi, qui
risque d’entrer dans l’histoire comme le chef
de droite qui a permis aux « communistes »
de DS de parvenir finalement au pouvoir.
Avec les voix déterminantes de députés
qu’il avait fait lui-même élire ! Et, bien que
M. D’Alema l’aide depuis deux ans à se
maintenir en selle, le considérant comme
le moins dangereux des adversaires, il est
probable que la direction de l’opposition
passe avant les prochaines élections dans
les mains du chef d’AN, M. Fini, très populaire dans les sondages. M. Cossiga pourrait
dès lors lancer son OPA sur l’électorat de
Forza Italia.
11
Azerbaïdjan
Réélection contestée de Gueïdar Aliev.
Le président sortant, vétéran de l’ère soviétique, est
déclaré élu dès le premier tour avec près de 80 % des
voix. Les observateurs internationaux dépêchés par
l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) estiment que le scrutin a été marqué
par de nombreuses irrégularités.
Escrime
Flatteur bilan français aux
championnats du monde.
Les escrimeurs français quittent la compétition mondiale organisée à La Chaux-de-Fonds (Suisse) avec
6 médailles (trois d’or et trois d’argent). La double
championne olympique d’Atlanta, Laura Flessel, à
nouveau double médaille d’or en épée individuelle
et par équipe, est la grande vedette de l’épreuve.
Vatican
Canonisation d’Edith Stein.
Jean-Paul II prononce la canonisation d’Edith Stein,
carmélite d’origine juive, gazée en tant que telle à
Auschwitz. Il annonce également que le 9 août sera
désormais pour les catholiques jour de commémoration de l’horreur de la Shoah. Juive athée née en
Pologne, intellectuelle, assistante du philosophe
Edmund Husserl, Edith Stein s’était convertie dans les
années 20 avant d’entrer dans les ordres. Pendant la
guerre, elle avait refusé d’être épargnée par les nazis
du fait de son baptême. Alors que le pape présente
Edith Stein comme une « éminente fille d’Israël et fille
fidèle de l’Église », les organisations juives protestent
contre ce qu’elles considèrent comme une « christianisation révisionniste de l’Holocauste ».
12
Japon
11 % du PIB pour sauver le secteur
bancaire.
Après avoir obtenu l’accord de plusieurs partis de
l’opposition, le gouvernement de Keizo Obuchi
annonce un plan d’une ampleur considérable
(60 000 milliards de yens, soit plus de 515 milliards de
dollars) visant à recapitaliser les établissements bancaires solvables et à nationaliser les plus fragiles. L’État
japonais devrait ainsi racheter un certain nombre de
banques pour les revendre ensuite à des repreneurs.
Médecine
Le Nobel pour la découverte d’une
molécule essentielle.
Les trois pharmacologues américains Robert Furchgott (né en 1916), Ferid Murad (né en 1936) et
Louis Ignarro (né en 1941) reçoivent le prix pour leur
découverte de la molécule monoxyde d’azote (NO),
dont le rôle est déterminant dans la dilatation des
vaisseaux sanguins. Élu « molécule de l’année » en
1992, le NO est utilisé pour traiter les maladies cardiovasculaires ; on le retrouve également dans la pilule
Viagra.
République démocratique du
Congo
Succès de la rébellion.
Les rebelles congolais en lutte contre le pouvoir du
président Laurent-Désiré Kabila, soutenus militairement par l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi, s’emparent de la ville de Kindu, dans l’est du pays.
13
Chimie
Le Nobel pour deux mathématiciens.
L’Américain Walter Kohn (né en 1923) et le Britannique
John Pople (né en 1925) sont distingués par l’AcadédownloadModeText.vue.download 176 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
175
mie suédoise pour leurs travaux qui ont permis aux
chimistes d’appliquer l’équation de Schrödinger au
comportement des molécules. Schrödinger, physicien autrichien (Prix Nobel 1933), avait établi une
formule mathématique permettant d’appliquer les
lois de la mécanique quantique au mouvement des
électrons. Cette formule était trop complexe pour
être utilisée dans la description des grosses molécules. Kohn et Pople sont parvenus, au cours des
années 60, à la simplifier suffisamment pour qu’elle
soit opératoire dans tous les cas. Chercheurs comme
chimistes de l’industrie pharmaceutique utilisent
désormais quotidiennement les résultats des travaux
des deux mathématiciens.
Physique
Le Nobel pour la description de l’« effet
Hall quantique fractionnaire ».
Les Américains Robert Laughlin (né en 1950) et Daniel
Tsui (né en 1939) et l’Allemand Horst Störmer (né en
1949) sont récompensés pour « leur découverte d’une
nouvelle forme de fluide quantique ». À partir de l’effet
Hall (modification du trajet d’un courant électrique
par un champ magnétique, utilisée notamment pour
la fabrication des cartes à puce), les trois chercheurs
sont parvenus, au terme de manipulations extrêmement complexes, à découvrir des nouveaux types de
particules virtuelles infiniment petites impliquant un
nouvel état de la matière.
Yougoslavie
Accord sur le Kosovo avec Slobodan
Milosevic.
Richard Holbrooke, émissaire américain du Groupe
de contact sur la Yougoslavie (Allemagne, États-Unis,
France, Grande-Bretagne, Italie et Russie), et le président de la République fédérale du Yougoslavie (Serbie et Monténégro) parviennent à un accord visant
à dénouer la crise au Kosovo, cette province serbe
peuplée à 90 % d’Albanais de souche. Ce texte, obtenu après que l’OTAN a déployé une imposante force
aérienne, prévoit l’envoi sur place de 2 000 représen-
tants de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe) chargés de vérifier la mise en
application effective de la résolution 1199 de l’ONU
sur le Kosovo (libre accès aux organisations humanitaires, retour chez eux des 250 000 réfugiés, calendrier de négociations entre Belgrade et les nationalistes kosovars). En contrepartie, les forces armées
yougoslaves, qui devront quitter l’intérieur de la
province, pourront rester le long de la frontière avec
l’Albanie et la Macédoine, afin d’empêcher les infiltrations de combattants de l’UCK (Armée de libération
du Kosovo). Belgrade doit se plier à un ultimatum de
trois jours, rallongé ensuite de dix jours, pour évacuer ses troupes. Cet accord, marqué de beaucoup
d’incertitudes, permet aux Occidentaux de confirmer
leur pression et à M. Milosevic d’affirmer à son opinion qu’il conserve le contrôle sur la province.
Les nouvelles
orientations de la PAC
Avec la mondialisation des économies, la libéralisation des échanges commerciaux et l’impératif
de la loi du marché, les données du problème
agricole français ont changé, qu’il s’agisse du rôle
des exportations de produits alimentaires ou de
la politique de l’environnement et du réaménagement rural.
Face à l’offensive américaine à caractère libreéchangiste, la Communauté européenne, dans
son projet de réforme de 1997 de la politique
agricole commune (PAC), défendait une stratégie fondée systématiquement sur la baisse des
prix et la recherche d’une meilleure compétitivité sur le marché mondial. L’idée sous-tendant
cette stratégie était d’éviter que les exportations
de produits agricoles – principal atout de l’agriculture française – ne baissent. De son côté, le
gouvernement français est parti d’un autre
point de vue : dans son projet de loi agricole
du 10 juin 1998, il vise en effet à organiser « la
triple fonction des agriculteurs d’aujourd’hui,
économique, sociale et environnementale, et
aussi à limiter la concentration des exploitations
au profit des agriculteurs les plus productifs ou
les plus aisés ». Il s’est ainsi fixé des objectifs qui,
sans être en opposition avec le projet communautaire, le complètent, en prenant en compte
d’autres réalités.
Le 16 juillet 1997, la Commission européenne
présentait les grandes orientations de la réforme
de la politique agricole commune préconisée
pour 1999. Cette réforme, qui s’inscrit dans la
même logique que celle de 1992, vise à intégrer
dans les meilleures conditions l’agriculture européenne aux marchés mondiaux. À cet effet, la
Commission propose, notamment, d’introduire
dans le dispositif européen de nouvelles doses
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
176
de baisse des prix garantis afin de rapprocher
ces prix du niveau des cours mondiaux. De son
côté, le gouvernement français veut mettre en
place « une gestion contractuelle » de la politique agricole et des financements qui y sont
liés. Il entend également s’occuper de la mise
en valeur du monde rural, soit par des activités
agricoles proprement dites, soit par des actions
en faveur de la qualité des produits, de l’environnement – par exemple, le paysage – ou du
patrimoine.
Une vocation exportatrice
Dès 1992, date de la première réforme de la
PAC, la Commission de Bruxelles s’est engagée
dans une politique cherchant à consolider la
position des produits agricoles européens dans
le commerce international. En effet, dans un
arrière-plan de libéralisation des échanges et
de très vives pressions américaines pour garder ou conquérir des parts du marché mondial
des produits agricoles, l’Europe doit se rapprocher du niveau des cours internationaux et,
par conséquent, baisser les prix garantis payés
aux agriculteurs. Bruxelles a donc décidé une
baisse de 35 % du prix garanti des céréales, une
diminution compensée par des aides à l’hectare. Alors que les agriculteurs redoutaient une
dégradation de leurs revenus, les deux objectifs
avoués de cette réforme – baisse des cours des
matières premières agricoles et lutte contre les
excédents agricoles, notamment par l’introduction de la jachère obligatoire – ont été plus que
remplis. Cependant, si les revenus des agriculteurs de l’Union européenne se sont sensiblement accrus, il n’en demeure pas moins que des
disparités de revenus importantes persistent
selon les productions – la réforme a essentiellement profité aux grandes cultures et a pénalisé
les producteurs de viande bovine ; la répartition
inéquitable des primes a favorisé la course à
l’agrandissement des exploitations – plus 25 %
entre 1993 et 1997 pour les exploitations céréalières en France. De plus, les terres libérées à la
vente, souvent faute de successeurs, sont rachetées par les proches voisins, ce qui contribue
également à cette « course » à l’expansion des
exploitations. Enfin, Bruxelles a mis en place un
arsenal de soutiens directs destiné à prévenir
une chute grave de revenus de certaines caté-
gories de producteurs (subventions à la vache
allaitante, à l’hectare de tournesol ou de maïs
irrigué).
La réforme de la PAC, qui est entrée en vigueur
en 1999, tout en s’inscrivant dans la continuité,
insiste sur la nécessité de prendre en compte
certaines évolutions nouvelles. D’un côté, la
Commission recommande à nouveau la baisse
des prix pour doper les exportations vers des
pays comme la Chine, la Turquie ou la Russie afin
d’éviter la reconstitution de stocks de beurre, de
blé ou de carcasses de viande. Les baisses envisagées sur le blé, le colza, la viande bovine ou
le lait sont accentuées (15 à 30 %) et ne seront
pas cette fois-ci compensées par le budget communautaire. D’autre part, en prenant en compte
l’avancée de la diversification rurale, consécutive à la concentration dans l’espace des grandes
cultures et aussi à la difficulté de trouver des successeurs aux agriculteurs âgés (une installation
pour trois ou quatre départs), la Commission
estime que l’entretien et la mise en valeur de
l’espace rural représentent des missions essentielles et valorisantes pour ceux qui en sont chargés, au même titre que la production marchande
et massive de biens alimentaires. Cette politique devrait s’attacher à mettre en valeur des
cultures biologiques et de produits de qualité et,
en même temps, la diversification des activités
rurales (comme celle du tourisme à la ferme) au
titre de la « multifonctionnalité de l’agriculture ».
Cette approche nouvelle de la Commission rejoint les efforts du gouvernement français pour
définir de nouvelles orientations de l’agriculture.
De nouvelles missions
En faisant voter le 13 octobre 1998 une loi
d’orientation agricole, le gouvernement français
a considère que l’agriculture du pays gagnerait
davantage à exploiter ses atouts qu’à chercher
à baisser fortement les prix à l’exportation des
céréales ou de la viande de boeuf, comme le souhaite la Commission de Bruxelles. Ce choix délibéré s’appuie sur un constat. En effet, de 1990
à 1996, l’excédent annuel de produits agricoles
bruts est passé de 35 à 29 milliards de francs, tandis que le solde des produits agroalimentaires
(c’est-à-dire des produits bruts transformés) est
monté de 16 à 35 milliards. Alors que la réforme
de la PAC de 1992 devait permettre d’accroître
les ventes de matières premières agricoles sur
le marché mondial, les exportations françaises
de céréales, dont 70 % sont destinées au marché européen, ont été largement rattrapées par
celles des vins et spiritueux. Compte tenu de
cette structure des échanges extérieurs agricoles et aussi de ses atouts (que l’on songe à la
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
177
variété des productions), l’agriculture française
devrait pouvoir saisir sa chance eu égard à sa capacité de fournir sur le marché communautaire
et sur le marché mondial des produits élaborés
à haute valeur ajoutée. Ces derniers sont vendus
à des prix rémunérateurs pour les producteurs,
parce qu’ils bénéficient d’un savoir-faire et de
technologies qui les rendent compétitifs.
La loi d’orientation agricole doit contribuer à
opérer ce changement entre les contrats territoriaux d’exploitation – qui doivent aider des
agriculteurs désireux de se lancer dans des expériences nouvelles – et le renforcement des organisations de producteurs face à la grande distribution, tout en prenant en compte les marques
de terroir et de qualité, sans négliger, naturellement, l’existence des zones difficiles.
GILBERT RULLIÈRE
L’américanisation de la PAC
De longue date, les Américains ont voulu
étendre le libre-échange à l’agriculture.
Dans le cas de la politique agricole commune, les États-Unis cherchent systématiquement à faire baisser les prix européens pour
qu’ils se rapprochent des prix mondiaux. La
règle est celle d’une amélioration de la compétitivité de l’agriculture communautaire sur
les marchés intérieurs et extérieurs. Par ailleurs, les Américains acceptent de soutenir
les agriculteurs dans la mesure où les aides
n’ont pas d’incidence sur les productions. Il
s’agit là d’une logique commerciale pouvant
mettre en difficulté l’agriculture européenne.
Cette compétition à outrance est très mal reçue par les agriculteurs français puisqu’elle
risque de faire disparaître des valeurs
comme la solidarité et la mutualisation.
14
France
Paris en dehors de l’AMI.
Lionel Jospin annonce que la France « ne reprendra
pas les négociations dans le cadre de l’OCDE » sur l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Inspiré
par l’Accord de libre-échange nord-americain, l’AMI
prévoyait une libéralisation totale des investissements internationaux, en empêchant toute mesure
de limitation nationale à leur encontre. Ainsi, dans le
cadre de l’ALENA, le gouvernement canadien a dû
retirer, en juillet 1998, une loi interdisant l’usage du
MMT, un additif de carburant automobile considéré
comme neurotoxique, à la suite d’une plainte présentée par la firme Ethyl Corporation, qui fabrique du
MMT et qui s’estimait « expropriée » par la loi.
15
Économie
Un économiste de la pauvreté
récompensé par le Nobel.
L’Indien Amartya Sen (né en 1934) est le premier
Asiatique à recevoir le prix Nobel d’économie depuis
sa création en 1969. Ses travaux ont notamment porté sur le lien entre prospérité et démocratie politique,
la définition d’indicateurs économiques qualitatifs et
pas seulement quantitatifs, et sur les conséquences à
long terme de politiques économiques provoquant
une montée durable du chômage.
France
Le Viagra mis sur le marché.
La pilule américaine destinée à traiter les troubles de
l’érection (environ 1,5 million d’hommes concernés
en France) est désormais accessible sur ordonnance
en pharmacie, sans remboursement par la Sécurité
sociale. Un rapport de l’Inserm (Institut d’études et de
recherches médicales) estime que les risques potentiels du « médicament de l’impuissance » sont encore
insuffisamment évalués.
France
Manifestations de lycéens.
Plus de 500 000 lycéens défilent dans 350 villes de
France. À Paris, la manifestation est marquée par des
violences causées par des jeunes venus de banlieue
et qui mettent à sac plusieurs magasins. Les manifestants réclament de meilleures conditions de travail et des classes moins surchargées. Le 21, Claude
Allègre, ministre de l’Éducation nationale, présente
un « programme national pour les lycées ». Ce programme prévoit une enveloppe de 4,7 milliards de
francs : 4 milliards de francs d’emprunts consentis à
taux zéro aux Régions et 7 millions de crédits d’État.
Ces sommes, devraient servir à améliorer les conditions de vie dans les lycées (locaux pour les nouvelles
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
178
technologies, nouvelles salles des professeurs, etc.) et
à recruter des surveillants.
Liban
Émile Lahoud nouveau président de la
République.
Âgé de soixante-deux ans, ce général maronite et
francophone jouit d’une réputation de discrétion et
d’honnêteté. En 1989, il s’était désolidarisé de la tentative de sécession du général maronite Aoun, ce qui
lui valut la confiance de l’occupant syrien.
16
Chili
Arrestation à Londres du général
Augusto Pinochet.
L’ancien dictateur, au pouvoir de 1973 à 1990, est
arrêté dans la capitale britannique où il suivait un
traitement médical. Cette arrestation fait suite à
une demande d’extradition présentée par les juges
espagnols Baltasar Garzón et Manuel García Castellón pour « génocide, terrorisme et incitation à la
torture ». Les magistrats ont décidé de déclencher
leur action à la suite de plaintes présentées par des
familles de victimes espagnoles disparues lors de
la répression menée au cours des années 70 par la
junte militaire au pouvoir à Santiago. Plusieurs procédures judiciaires à l’encontre de M. Pinochet sont
alors déclenchées en Suisse, en Suède et en France.
Le 30, la Cour suprême espagnole se déclare compétente pour juger les crimes commis par les dictatures
argentine et chilienne. En Grande-Bretagne, où le
général Pinochet a reçu le soutien de Margaret Thatcher, la Haute Cour de Londres reconnaît l’immunité
diplomatique de l’ancien chef de l’État chilien. Une
procédure d’appel est présentée à la Chambre des
lords.
17
Paix
Prix Nobel pour deux hommes
politiques d’Irlande du Nord.
Le comité norvégien remet sa distinction à John
Hume, républicain catholique, et à David Trimble,
loyaliste protestant, pour leur rôle dans le processus
ayant conduit au rétablissement de la paix en Ulster.
21
Espace
Lancement réussi d’Ariane 5.
Après l’explosion en vol de juin 1996 et l’injection
orbitale ratée d’octobre 1997, le nouveau lanceur
européen réussit son troisième vol de qualification.
Les premiers lancements commerciaux sont prévus
pour le premier semestre de 1999. À terme, Ariane 5
devrait être en mesure de mettre en orbite des satellites pesant jusque 11 tonnes. Pour les dix années à
venir, le marché des satellites à lancer est estimé à au
moins un millier.
23
Iran
Victoire électorale des conservateurs.
Les partisans du Guide de la révolution Ali Khamenei
l’emportent largement aux élections à l’Assemblée
des experts, une instance chargée d’élire le Guide.
Ces élections, marquées par une forte abstention,
voient l’échec des candidats réformateurs favorables
au chef de l’État, Mohamad Khatami. Nombre de
réformateurs n’avaient pas été admis à se présenter.
Italie
Massimo D’Alema nouveau président
du Conseil.
Âgé de quarante-neuf ans, il est le premier ancien
communiste à présider le gouvernement italien.
Leader du Parti démocratique de la gauche (PDS),
il forme une équipe allant du centre droit aux néocommunistes : UDR (Union démocratique poux la
république, ex-démocrate-chrétienne), PPI (Parti
populaire italien, démocrate-chrétien de gauche),
Renouveau italien (RI, centre), Parti socialiste, PDS,
Verts, PDCI (communiste, sécession de Refondation
communiste). Le cinquante-sixième gouvernement
de la Péninsule depuis 1945 reprend les principales
figures du précédent gouvernement de Romano
Prodi, parmi lesquelles Carlo Ciampi au Trésor et
Lamberto Dini aux Affaires étrangères. Le patronat
italien accueille plutôt bien cette nouvelle équipe,
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
179
qui regroupe les forces traditionnellement opposées
de l’ancienne Démocratie chrétienne et de l’ex-Parti
communiste, tandis que l’opposition de droite, autour de Silvio Berlusconi, dénonce une « mascarade ».
Proche-Orient
Accord israélo-palestinien.
Après neuf jours d’intenses négociations à Wye
Plantation (Maryland), Yasser Arafat et Benyamin
Netanyahou signent un accord destiné à relancer le
processus de paix institué par les accords d’Oslo en
1993. Selon ce texte, 13 % de la Cisjordanie seront
rétrocédés à l’Autorité palestinienne (mais Israël
continuera d’y exercer des fonctions de sécurité), ce
qui devrait porter à environ 40 % (et 60 % de la bande
de Gaza) le total des territoires sous contrôle palestinien. Par ailleurs, 750 prisonniers palestiniens seront
libérés, des corridors de passage seront ouverts entre
Gaza et la Cisjordanie, l’aéroport de Gaza devrait être
prochainement ouvert, tandis qu’un port devrait y
être construit à terme. En échange, les Palestiniens
se sont engagés à supprimer dans la charte de l’OLP
les clauses anti-israéliennes et ont accepté de mettre
sur pied, avec la collaboration de la CIA américaine,
un important programme antiterroriste. Bill Clinton
s’est activement impliqué dans les discussions, après
avoir demandé au roi Hussein de Jordanie de venir se
joindre aux négociateurs.
25
Espagne
Élections au Pays basque.
Marquées par une forte participation, les premières
élections régionales depuis la trêve décrétée en septembre par l’ETA traduisent une volonté de paix et
de stabilité des électeurs. Le Parti nationaliste basque
(PVN, modère) conserve la première place mais perd
un siège. La véritable surprise est constituée par la
deuxième place du Parti populaire espagnol (PPE,
conservateur, au pouvoir à Madrid), qui obtient
20,1 % des voix. Ces résultats confortent la position
du chef du gouvernement José Marie Aznar, qui
sera d’autant plus déterminé dans les négociations
à venir. Par ailleurs, la constitution du gouvernement
régional devrait s’avérer délicate, la balance entre
« nationalistes » et « espagnolistes » (PPE + socialistes)
étant plus équilibrée qu’auparavant.
27
Allemagne
Gerhard Schröder investi chancelier.
Le septième chancelier d’Allemagne depuis 1949
(après Konrad Adenauer, Ludwig Erhard, Kurt Georg
Kiesinger, Willy Brandt, Helmut Schmidt et Helmut
Kohl) est investi au Parlement avec 351 voix sur 666,
soit 6 voix de plus que sa majorité (SPD-Verts). Ce
vote avait été précédé d’un accord de gouvernement entre les deux formations de la nouvelle coalition : relance de la consommation, taxation (modérée) de l’énergie, réforme des retraites, pacte pour
l’emploi, abandon de la loi du sang au profit de la loi
du sol pour l’acquisition de la nationalité, abandon
progressif de l’énergie nucléaire. Oskar Lafontaine, figure dominante du SPD, prend la tête d’un superministère des Finances. Plus à gauche que M. Schröder,
M. Lafontaine se situe assez près des positions du
gouvernement français de Lionel Jospin. Les écologistes reçoivent trois ministères, dont celui des
Affaires étrangères pour Joschka Fisher.
29
Espace
Un astronaute de soixante-dix-sept ans.
Premier Américain dans l’espace en 1962, John
Glenn, devenu par la suite sénateur démocrate,
décolle, trente-six ans après, à bord de la navette
Discovery pour une mission de neuf jours. Officiellement, le nouveau vol du septuagénaire est destiné
à étudier les effets de l’apesanteur sur un organisme
vieilli. Il constitue aussi une fantastique opération de
relations publiques pour la NASA.
31
Irak
Rupture avec l’ONU.
Le président irakien Saddam Hussein annonce qu’il
cesse toute coopération avec l’UNSCOM, la commisdownloadModeText.vue.download 181 sur 417
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
180
sion spéciale des Nations unies chargée de veiller au
désarmement du pays. Il fait du départ de Richard
Butler, le président de cette commission, la condition
d’une reprise de la collaboration irakienne. Le Conseil
de sécurité réagit aussitôt en condamnant à l’unanimité la décision de Bagdad.
France
Un officier mis en examen pour
trahison au profit de Belgrade.
Le commandant Pierre-Henri Bunel, en poste à
l’OTAN, est arrêté après avoir avoué qu’il a transmis
aux autorités de Belgrade des informations sur les ripostes aériennes envisagées dans le cadre de la crise
du Kosovo. Cette affaire embarrasse Paris, l’armée
française étant soupçonnée depuis plusieurs années
d’entretenir des relations privilégiées avec les forces
serbes.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
181
NOVEMBRE
1
Automobile
Mikka Hakkinen, champion du monde
de F1.
Le pilote finlandais, au volant d’une McLaren/Mercedes, remporte à trente ans son premier titre mondial. Avec 100 points, il devance l’Allemand Michael
Schumacher, 86 points (sur Ferrari), et le Britannique
David Coulthard, 56 points (sur McLaren/Mercedes).
2
Grande-Bretagne
Vers l’entrée dans l’euro.
Gordon Brown, ministre britannique des Finances,
annonce que son pays va se doter d’un « plan national de transition » vers la monnaie européenne, qui
sera mis en oeuvre le 1er janvier 1999, jour de la première instauration de l’euro dans 11 des 15 pays de
l’Union européenne.
4
Amérique centrale
Au moins 30 000 morts et disparus
après le passage du cyclone Mitch.
Plus de 3 millions de personnes sont sinistrées et
l’on craint que le bilan des victimes ne s’alourdisse
du fait des épidémies. Le Honduras et le Nicaragua
sont les pays les plus touchés, même si certaines estimations minimisent, a posteriori, le nombre des victimes, notamment au Honduras. Le cyclone Mitch est
considéré comme l’un des plus violents du siècle. Né
le 21 octobre au sud de la Jamaïque, il s’est accompagné de vents atteignant 288 km/h et a provoqué
des pluies diluviennes. Des centaines de villages, des
milliers de maisons et des centaines de kilomètres
de routes ont été rayés de la carte. La destruction
des moyens de communication retarde l’arrivée des
secours dans des pays où la flotte d’hélicoptères demeure très réduite. Au bout de quelques jours, l’aide
internationale s’organise enfin, alors que les organisations humanitaires s’indignent de la faiblesse des
moyens mis en oeuvre. Plusieurs pays européens,
dont la France, annulent tout ou partie des dettes
extérieures du Honduras, du Nicaragua et du Salvador. À l’occasion de son voyage officiel au Mexique,
Jaques Chirac décide de se rendre également dans
ces trois pays.
États-Unis
Succès démocrate aux élections
de mi-mandat.
Alors que, traditionnellement, le parti du président
en place recule aux élections de mi-mandat, le Parti
démocrate gagne au total 5 sièges à la Chambre des
représentants. 1 siège de gouverneur (dont ceux de
New York et de Californie) et se maintient au Sénat.
Ces résultats constituent un net succès pour Bill Clinton que la précédente majorité républicaine voulait
pousser à la démission, à la suite de l’affaire Lewinsky.
Des sondages convergents indiquaient que la majorité de l’opinion américaine y était opposée. Désavoué par ce scrutin, Newt Gingrich, l’opposant le plus
farouche au président, démissionne de son poste de
speaker (président) de la Chambre des représentants.
France
Nouvelle aide au retour pour
les sans-papiers.
Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, annonce qu’en liaison avec les autorités du Mali,
du Maroc et du Sénégal le gouvernement va lancer
une formule inédite d’aide au retour au pays pour les
sans-papiers qui le désirent : ceux-ci bénéficieront
d’une formation en France, d’une aide à leur réinsertion professionnelle sur place et d’un visa à entrées
multiples permettant de revenir en France ultérieurement pour des séjours de trois mois maximum, une
fois que la réinsertion locale aura été effective.
Les élections du
« mid-term », une chance
pour Clinton ?
À force d’entendre dire que les républicains
allaient remporter les élections dites « de midterm », on avait fini par le croire. Cette erreur
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
182
de jugement rappelle l’immense bévue de 1945
lors de l’élection présidentielle opposant Harry
Truman au républicain Dewey. Mais, en dépit de
l’échec des républicains, la procédure d’impeachment engagée contre Bill Clinton suivait toujours
son cours.
Les débuts de la campagne démocrate de 1998
n’étaient guère prometteurs. Durant l’été, en raison du scandale Lewinsky, le président Clinton
paraissait considérablement affaibli dans son
parti, dans son équipe de la Maison-Blanche,
voire même auprès de ses amis. Des lointains
d’Hawaï, le vice-président Albert Gore avait
apporté un soutien d’une éloquente tiédeur.
Mme Dianne Feinstein, sénateur démocrate de
Californie, s’était déclarée « dégoûtée ». Nombre
d’hommes politiques démocrates, soucieux de
soigner leur image de possible candidat aux
présidentielles de l’an 2000, avaient décliné le
soutien du président lors de leur campagne
électorale.
Le taux de participation de 36 % est le plus bas
depuis 1942. Or, on considérait en général que
cette situation favorisait plus le COP (Grand Old
Party) que les démocrates. Pour la première fois,
c’est le contraire qui s’est produit. L’abstention
ne joue plus nécessairement en la faveur des
républicains. La fraction mouvante de l’électorat
non fidélisé (swing voters) n’a pas été sensible
à la campagne de déstabilisation du président
Clinton.
Un vote centriste...
Contrairement à novembre 1994, on n’assiste
pas à un bouleversement mais à un rééquilibrage en faveur du parti démocrate. Rien de
comparable au raz de marée qui avait propulsé
les républicains en novembre 1994. C’est plus
d’immense soulagement que de grande victoire
qu’il convient de parler du côté démocrate. Car
les républicains conservent la majorité dans les
deux Chambres. Le Sénat reste stable même
si les démocrates reconquièrent 6 sièges à la
Chambre des représentants, ce qui confirme le
premier rétablissement de 1996.
Le sénateur républicain D’Amato, qui s’était fait
remarquer pour ses positions radicales en politique étrangère, perd après seize années l’État
de New York où se maintient le prudent gouverneur républicain George Pataki.
Peu de gouverneurs ont changé, mais la Californie, État le plus peuplé, a favorisé les démocrates. Ce dernier résultat est à la fois le plus
spectaculaire et le plus lourd de conséquences
à terme, en raison du poids considérable de cet
État dans les élections présidentielles. Al Gore,
s’il se déclare candidat, ce qui paraît hautement
probable, trouve peut-être là l’atout maître pour
l’élection présidentielle de novembre 2000.
Restent les graves accusations pour pratiques
illicites de collectes de fonds dans la campagne
présidentielle de 1996. Avec ténacité et habileté,
l’attorney général, Mme Janet Reno, s’emploie
efficacement à déclarer irrecevables les procédures d’enquête.
... et conservateur
Le vote de 1998 aura été centriste et conservateur au sens où l’électorat américain, très satisfait de la conjoncture économique, s’est détourné de tout aventurisme et de tout extrémisme.
De ce fait, il a favorisé Bill Clinton parce que celui-ci a su se placer dans l’axe des aspirations de
la middle class américaine qui colle à la conjoncture. Le président a su disputer victorieusement
le terrain traditionnel de ses adversaires conservateurs : durcissement de la législation contre le
crime, renforcement des effectifs de police, réduction des impôts et du déficit budgétaire, relance de l’Education nationale. Il ne restait donc
aux républicains que la lutte pour les valeurs,
des positions dures de politique étrangère et de
défense qui ne mobilisent plus guère l’électorat
et, bien sûr, l’affaire Lewinsky.
Les divisions idéologiques des
républicains
Le problème du Parti républicain est qu’il n’est
pas parvenu à se trouver une image ouverte,
plurielle et cohérente. Pris entre des courants
conservateurs radicaux tels que la droite religieuse et un courant réformiste modéré, le GOP
oppose et divise les électeurs plus qu’il ne les
rassemble.
Le succès des deux fils de l’ancien président
George Bush, George W. au Texas et Jeb en Floride, confirme le besoin d’une force de rassemblement. Ainsi le « clan Bush » peut-il prendre
une position très favorable pour les élections
présidentielles de 2000 et laisse-t-il peu de
chances à M. Dan Quayle, vice-président de leur
père. Le nouveau slogan de « conservatisme
compatissant » pourrait constituer une synthèse
acceptable pour le parti, car il devient indispensable de rallier de nouvelles couches sociales
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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dans un pays où le taux d’immigration reste élevé. Très soucieuse d’intégration, profondément
catholique, l’immigration hispanique constitue
un enjeu majeur, accessible aux républicains
pour autant que ceux-ci n’érigent pas en principe le rejet des wetbacks.
Le vote féminin, juif, noir et syndicaliste est resté
favorable aux démocrates. D’autant plus que
les républicains n’étaient pas capables d’attirer
ces suffrages. Les femmes n’ont pas voté Clinton mais démocrate, parce que les positions des
républicains sur des questions aussi essentielles
aux États-Unis que le droit à l’avortement ne
peuvent les satisfaire. En octobre 1998, au plus
fort du scandale Lewinsky, les organisations de
femmes ont pris la décision de repousser les
avances des républicains. Ce fut un tournant
essentiel. Le vote féminin a été également guidé
par l’habile comportement de Mme Clinton qui,
dans l’adversité, aura porté avec une certaine
dignité une évidente humiliation, s’attirant la
sympathie de nombreuses électrices dont le
vote s’est reporté sur les candidats démocrates
(et non vers Bill Clinton). Cela indique que la
politique menée par le Président dépasse complètement l’homme lui-même.
Les électeurs ont-ils blanchi le
Président ?
En Europe, et pour partie aux États-Unis, la plupart des analystes concluent rapidement que ce
fut un vote de confiance à Clinton et un désaveu
de l’intransigeance des républicains à poursuivre
la procédure de destitution d’un président populaire. Rien n’est moins sûr. Les sondages postélectoraux indiquent que les électeurs dissocient nettement l’enjeu électoral et la situation
du Président. Curieusement, la presse se refuse
à entendre ce message. Les chroniqueurs et les
médias persistent à interpréter ce vote en faveur
du Président. Ce hiatus n’est pas sans intérêt
puisque, auparavant déjà, un désaccord de fait
était apparu entre les médias et l’opinion. Il reste
que les républicains contrôlent toujours les deux
Chambres. Ils entendent bien désormais accélérer la procédure d’examen pour savoir s’il y a lieu
ou non de prononcer l’impeachment contre le
président Clinton. La majorité de l’opinion a toujours déclaré qu’elle n’était pas favorable à une
destitution. Mais ce n’est pas en fonction de cela
que les électeurs se sont prononcés. L’incapacité
des républicains à construire un programme cohérent correspondant à l’évolution de la société
américaine reste l’explication fondamentale de
leur échec. La volonté de briser Clinton ne pouvait suffisamment rassembler.
Un camouflet pour les républicains
Les conséquences de l’échec des républicains
ont été rapides. Newt Gingrich, idéologue du
parti, a dû céder son poste de speaker à Robert
Livingston. Ainsi s’éloigne la figure de proue
de la « révolution conservatrice » de 1994. Très
contesté, Gingrich était hautement apprécié
pour ses capacités à trouver des financements.
Son retrait de la vie politique risque de coûter
fort cher, au sens propre, au Parti républicain.
Faisant de nécessité vertu, le futur speaker de
la Chambre s’est déclaré prêt à favoriser une
ligne de consensus au Congrès. Pourtant, dans
bien des domaines, notamment en matière de
politique étrangère et de défense, on l’a vu en
pointe pour soutenir et promouvoir des positions très agressives.
M. Livingston devra aussi faire oublier ses excès
de langage de 1995 lors du blocage du budget
et de la mise en panne de l’administration fédérale. S’il maintient ses traditionnelles positions
militaristes, il risque d’être perçu comme un
adversaire du sacro-saint équilibre budgétaire et
un perturbateur inopportun de l’arrangeante diplomatie américaine. Les républicains prennent
en compte leur échec. Au regard de l’opinion,
ils se doivent de démontrer un profond changement. Plus concrètement dans les Chambres, il
leur faut aussi tenir compte d’une sorte de rééquilibrage au centre, c’est-à-dire vers un gouvernement plus consensuel puisque le rêve d’une
majorité absolue des 2/3 s’est durablement
évanoui.
FRANÇOIS GÉRÉ
La procédure de destitution
La procédure de destitution engagée à l’encontre du président Clinton à l’initiative des
républicains n’a pas été contrariée par l’échec
relatif du Grand Old Party lors des élections
du mid-term. Sans doute les démocrates
ont-ils pu estimer que le clan républicain ne
poursuivrait que mollement la procédure d’impeachment au motif que l’on ne renvoie pas,
aux États-Unis, un gagnant. Mais le locataire
de la Maison-Blanche a dû se rendre à l’évidence : les républicains entendaient découpler
l’impeachment du résultat des élections, quitte
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184
à ne pas prendre en compte la lassitude des
Américains, qui, majoritairement, souhaitent
que l’on oublie l’affaire Lewinsky.
5
France
Réhabilitation des mutinés de 1917.
À quelques jours du quatre-vingtième anniversaire
de l’armistice de 1918, le Premier ministre, Lionel Jospin, en visite à Craonne, près du Chemin des Dames,
où périrent en quinze jours 170 000 poilus, évoque la
mémoire des 75 soldats exécutés (sur 629 condamnations à mort) parce qu’ils avaient refusé non
de combattre, mais de participer à une offensive
condamnée d’avance. Le général Nivelle, responsable de cette offensive ratée du Chemin des Dames,
avait lui-même été relevé de ses fonctions pour être
remplacé par Philippe Pétain. M. Jospin émet le souhait que « ces soldats fusillés pour l’exemple, au nom
d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que
la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui notre
mémoire collective nationale ». Dès le lendemain
Jaques Chirac fait savoir qu’il juge « inopportune » la
déclaration du Premier ministre. Le 7, à Londres, les
autorités rendaient pour la première fois un hommage officiel aux 306 soldats britanniques exécutés
pour « désertion et lâcheté ».
8
France
Mort de Jean Marais.
Né en 1913, doté d’un physique exceptionnel, il parvient
à décrocher des petits rôles dans des films de Marcel
L’Herbier au milieu des années 30. Après avoir été recalé
au concours du Conservatoire, il fait la connaissance de
Jean Cocteau, à qui il va être lié par une histoire d’amour
de près de trente ans. Celui-ci lui donne, en 1938, le premier rôle dans sa pièce les Parents terribles, qui connaît
un immense succès. Marais se consacre cependant
davantage au cinéma : il joue dans l’Éternel Retour, de
Jean Delannoy. en 1943, la Belle et la Bête, de Cocteau, en
1946, les Parents terribles, de Cocteau, en 1948, Orphée,
de Cocteau, en 1950). À partir de la fin des années 50,
il devient une vedette très populaire en interprétant
des héros de films de cape et d’épée (le Bossu, d’André
Hunebelle, en 1959, le Capitan, d’Hunebelle, en 1960, le
Capitaine Fracasse, de Pierre Gaspar-Huit, en 1961), et
de gentleman cambrioleur dans la série des Fantômas
d’Hunebelle, aux côtés de Louis de Funès. Son dernier
grand rôle date de 1970 dans Peau d’âne, de Jacques
Demy. Il poursuit jusqu’au bout sa carrière à la scène
et à l’écran, tout en se consacrant à la peinture et à la
poterie. Jacques Chirac salue « la loyauté, la fidélité, la
générosité » du disparu.
France
71,9 % de « oui » en Nouvelle-Calédonie.
Les habitants du territoire (106 716 inscrits, 79 224 votants) approuvent à une large majorité les accords du
5 mai, qui organisent leur autonomie sur une période
de quinze à vingt ans. La participation (74,2 %) a été
particulièrement forte. Le FLNKS (kanak) et le RCPR
(caldoche) avaient tous deux appelé au vote positif.
La seule ombre au tableau vient du score relativement important du « non » (37 %) dans la région de
Nouméa, à dominante caldoche. Malgré l’euphorie de ce succès, les contradictions entre les deux
communautés n’ont pas disparu. Dès le 12, FNLKS
et RCPR s’opposent sur la rédaction de l’avant-projet
de loi organique relatif à l’organisation des nouvelles
institutions du territoire. Les élus kanaks souhaitent
restreindre le corps électoral pour le fermer le plus
possible aux nouveaux arrivants non kanaks.
France
Relance de l’affaire Dumas.
Alors que vient de paraître le livre de Christine Deviers-Joncour, la Putain de la République, dans lequel
elle relate sa liaison avec Roland Dumas et les circonstances lui ayant permis de toucher 66 millions
de francs de commission, Valéry Giscard d’Estaing
souhaite que le président Jacques Chirac mette
fin aux fonctions de l’ancien ministre des Affaires
étrangères, aujourd’hui à la tête du Conseil constitutionnel. Un député socialiste, Arnaud Montebourg,
exhorte également M. Dumas à quitter ses fonctions.
Celui-ci continue à nier toute faute de sa part et fait
savoir qu’il n’entend pas démissionner.
Tennis
Greg Rusedski remporte l’Open de Bercy.
Le Britannique gagne le plus important tournoi indoor du monde en battant le no 1 mondial, l’Américain Pete Sampras.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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9
Littérature
Paule Constant lauréate du Goncourt.
L’auteur de chez Gallimard reçoit le prix pour son
roman Confidence pour confidence, qui relate l’affrontement verbal entre quatre intellectuelles féministes.
Beaucoup regrettent que le prix ne se soit pas ouvert
à des auteurs plus en prise avec la sensibilité contemporaine, comme Michel Houellebecq, Luc Lang (lauréat du Goncourt des lycéens) ou Marie Desplechin.
Pour sa part, Dominique Bona, auteur Grasset, reçoit
le prix Renaudot pour le Manuscrit de Port-Ébène, un
roman historique.
10
France
Rapprochement entre Aerospatiale et
Dassault.
Le gouvernement annonce qu’il transfère à Aerospatiale les 45,7 % de parts que l’État détient dans la
société Dassault Aviation (constructeur des Mirage,
du Rafale et des avions d’affaires Falcon). La société
Dassault Systèmes, un des leaders mondiaux pour
la conception et la fabrication assistées par ordinateur, demeure en dehors de l’opération. Ce rapprochement se situe dans la perspective de la « grande
société d’aéronautique » en cours d’élaboration à
l’échelle européenne. Alors que se finalise, par ailleurs, le rapprochement d’Aerospatiale et de Matra,
branche « défense » du groupe Lagardère, les autorités françaises cherchent à regrouper le pôle français
de l’aéronautique en vue de participer à la constitution d’un grand groupe européen avec l’allemand
DASA et le britannique British Aerospace. Ces deux
derniers, en voie de rapprochement, ont menacé de
laisser Aerospatiale en dehors si l’État français ne s’en
désengageait pas.
Indonésie
Violentes manifestations à Djakarta.
Alors que le Parlement est réuni pour débattre de
réformes politiques importantes, les étudiants redescendent dans la rue pour manifester à nouveau
contre le pouvoir en place. En mai, ils avaient obtenu
le départ de Suharto et son remplacement par le
vice-président, Jusuf Habibie. Ils estiment que celui-
ci ne fait que continuer la politique de son prédécesseur et ils réclament son départ. Dans les jours qui
suivent, les troubles prennent de l’ampleur et, le 13,
on déplore une quinzaine de morts. Les parlementaires décident de limiter à deux mandats de cinq ans
la durée maximale d’occupation du pouvoir par le
chef de l’exécutif. Celui-ci ne disposera plus de pouvoirs spéciaux. Par ailleurs, une large décentralisation
du pouvoir entre les provinces et l’État est annoncée.
Cela ne suffit pas à calmer les étudiants. Les leaders
de l’opposition, Amien Raïs et Abdurrahman Wahid,
appuient les étudiants, mais leur conseillent de ne
pas chercher à défier l’armée.
11
France
Inauguration d’une statue de Winston
Churchill.
À l’occasion de la commémoration de l’armistice de
1918, Jacques Chirac et la reine d’Angleterre, Elisabeth II, inaugurent à Paris, face au pont Alexandre-III,
une statue dédiée à l’ancien Premier ministre britannique, héros de la Seconde Guerre mondiale et soutien fidèle de l’action du général de Gaulle.
12
Italie/Turquie
Arrestation à Rome du chef du PKK.
Abdullah Öcalan, chef du parti des Travailleurs du
Kurdistan (PKK), est arrêté dans la capitale italienne,
en provenance de Moscou. Depuis quelques semaines, les dirigeants du mouvement rebelle kurde
cherchent un pays d’accueil, après que la Syrie, sur
la pression d’Ankara, a décidé de les expulser de son
territoire. Affaibli sur le plan militaire et diplomatique,
le PKK semble, avec l’arrestation de son leader historique, au bord de la déroute. Cependant, dans les
jours qui suivent, la justice italienne s’oppose à ce
que M. Öcalan soit extradé en Turquie, pour la raison
qu’il y risque la peine de mort. Cette décision indigne
le gouvernement comme l’opinion publique turcs,
qui estiment que le leader kurde est responsable
des 30 000 morts qui ont suivi le déclenchement, en
1984, de l’insurrection séparatiste kurde dans le SudEst anatolien. Les autorités turques décident de boydownloadModeText.vue.download 187 sur 417
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cotter les industriels italiens (l’Italie est le troisième
fournisseur de la Turquie).
13
Cambodge
Compromis politique.
Sous l’égide du vieux souverain Norodom Sihanouk,
un accord politique est passé entre le Premier ministre Hun Sen, leader du parti du Peuple cambodgien (PPC, ex-communiste), et le prince Norodom Ranariddh, chef du parti royaliste Funcinpec. Selon cet
accord, Hun Sen dirigera un gouvernement de coalition avec le Funcinpec, dans lequel le PPC contrôlera
l’armée et la police. Le prince Ranariddh présidera
pour sa part l’Assemblée nationale, élue en juillet.
Théâtre
Mort d’Edwige Feuillère.
Née en 1907, elle sort première du Conservatoire
en 1931. Après avoir épousé le comédien Pierre
Feuillère, dont elle se sépare en 1937, elle entre à la
Comédie-Française. Elle n’y reste que deux ans, préférant mener une carrière indépendante, au théâtre
comme au cinéma. À l’écran, elle joue sous la direction de Julien Duvivier, de Raymond Bernard et de
Max Ophuls ; elle triomphe sur scène dans la Dame
aux camélias, qu’elle jouera plus de 800 fois de 1939 à
1959. Après la Libération, elle connaît d’autres succès
avec les deux versions, pour la scène et pour l’écran,
de l’Aigle à deux têtes, de Cocteau, aux côtés de Jean
Marais. Elle s’impose aussi comme une très grande
interprète de Claudel. Elle monte pour la dernière fois
sur les planches en 1989.
14
Environnement
Échec de la conférence mondiale
sur le Climat.
Réunis depuis deux semaines à Buenos Aires, les
délégués des 161 pays représentés se séparent en
adoptant un texte qui repousse à plus tard les décisions à prendre. Les débats ont porté sur la réduction
des émissions à effet de serre. Les États-Unis souhaitent un engagement sur ce point des pays en voie
de développement et la création d’un marché des
droits de pollution (les pays peu pollueurs pourraient
vendre leurs quotas de pollution à des pays émettant beaucoup de gaz). Les Européens militent, pour
leur part, en faveur d’une obligation, pour les pays
développés, de prendre chacun des mesures visant
à la réduction de leurs émissions. Les Américains, qui
ne veulent pas brider leur industrie ni modifier leur
mode de vie, refusent de s’engager. Les pays en voie
de développement, qui craignent de ne pas avoir les
moyens de limiter leurs propres pollutions, refusent
eux aussi de s’engager si les pays développés ne font
rien en ce domaine. La situation est donc complètement bloquée.
Irak
Compromis de dernière heure.
Alors que, depuis plusieurs jours, les États-Unis
avaient déployé dans la région d’importantes forces
militaires, Bill Clinton annonce qu’il suspend la
menace de bombardement des sites stratégiques
irakiens. Quelques minutes auparavant, le président
irakien, Saddam Hussein, avait fait parvenir à Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, un message dans
lequel il acceptait de ne plus entraver le travail des
inspecteurs de l’UNSCOM chargés de contrôler le
désarmement de l’Irak. Le dispositif militaire américain est maintenu afin de garder la pression sur Bagdad. M. Clinton déclare explicitement qu’il souhaite
le départ de Saddam Hussein et « la mise en place
d’un nouveau gouvernement acquis à la paix ». Dès
le 17, les inspecteurs de l’UNSCOM sont de retour sur
le terrain.
17
France
Malaise au sein de l
a « gauche plurielle ».
Après que Dominique Voynet, ministre de l’Environnement et tête de file des Verts, a exprimé son
« désaccord » sur la politique du gouvernement visà-vis des sans-papiers, Lionel Jospin dénonce « l’irresponsabilité » de ceux qui demandent la régularisation de tous les sans-papiers dont la demande a été
rejetée. L’impression de malaise au sein de la gauche
est relancée le 20 avec la publication d’une interview
de Michel Rocard, dans laquelle l’ancien Premier
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
187
ministre déclare que, selon lui, François Mitterrand
« n’était pas un honnête homme ».
France
Sanction réduite pour
Jean-Marie Le Pen.
Condamné en première instance à deux ans d’inéligibilité (plus trois mois de prison avec sursis et 23 000 F
d’amende) pour avoir agressé physiquement une
élue socialiste des Yvelines lors de la campagne de
1997, le leader du Front national voit sa peine réduite en appel à un an d’inéligibilité, ce qui devrait
lui permettre de se présenter à la fois aux élections
européennes de 1999 (en introduisant un recours en
cassation, dont l’effet est suspensif de la peine) et à
l’élection présidentielle de 2002. Indirectement, le
jugement de la Cour d’appel de Versailles fragilise, au
sein du parti d’extrême droite, la position de Bruno
Mégret, qui avait axé sa stratégie de prise du pouvoir
sur le fait que M. Le Pen risquait d’être écarté de la
vie politique pour une période de deux ans et non
d’un seul.
18
Asie-Pacifique
Fin du sommet de l’APEC.
Le sixième sommet de la Coopération Asie-Pacifique,
organisé cette année en Malaisie, s’achève sur un
constat d’impuissance. Le principal dossier, qui avait
trait à la libéralisation des échanges entre les pays de
la zone, n’a pu être réglé. Par ailleurs, les déclarations
du vice-président américain Al Gore, sur Ici nécessité d’appuyer les efforts de démocratisation de la
vie politique dans les pays d’Asie, ont déclenché la
colère du Premier ministre malais, Mahathir Mohamad, à qui beaucoup reprochent son comportement
autocratique.
Israël
Difficile ratification des accords
de Wye Plantation.
Après que des attentats palestiniens ont tendu la
situation en début de mois, que Yasser Arafat et Benyamin Netanyahou se sont livrés pendant plusieurs
jours a une surenchère verbale, les accords israélopalestiniens du 23 octobre sont ratifies par la Knesset,
le Parlement israélien. Ce résultat n’est obtenu que
grâce au vote positif de l’opposition travailliste, alors
que plusieurs partis de la coalition gouvernementale
ont voté contre et que seulement 8 ministres sur 17
ont approuvé les accords.
20
Espace
Lancement du premier module de la
station spatiale internationale (ISS).
Zarya est lancée dans l’espace depuis le cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan. C’est le premier
élément du plus grand chantier orbital jamais réalisé.
Russes, Américains, Européens, Japonais et Canadiens y participent. Autour de 2004, un « village spatial » devrait être assemblé, permettant d’accueillir
des équipages de six à sept astronautes pendant
dix ans. Certains, notamment en Europe, s’interrogent sur l’intérêt réel des vols habités, suggérant
de concentrer les efforts sur l’« espace utile », c’est-àdire sur les réseaux de téléphone de deuxième génération ou sur l’observation de la Terre (système GPS
de positionnement mondial !, une technologie que
contrôlent actuellement les Américains.
France
Jean-Marie Cavada à la tête de
Radio France.
Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) nomme
le journaliste, animateur de l’émission de télévision
« La marche du siècle », à la présidence de la radio
publique, en remplacement de Michel Boyon. Âgé
de cinquante-huit ans, M. Cavada a commencé
sa carrière à France-Inter. Dans les années 90, il a
créé La Cinquième, chaîne de télévision éducative, avant de prendre la présidence de RFO Radio
France-outremer).
Russie
Assassinat d’une députée libérale.
Grande figure du mouvement démocratique en
Russie, Galina Starovoïtova est abattue d’une rafale
de mitraillette à son domicile de Saint-Pétersbourg.
Militante de la liberté depuis 1968, elle avait été élue
députée de sa ville en 1995 et dirigeait un petit parti
de la mouvance libérale, Russie démocratique. Elle
s’apprêtait à briguer le poste de gouverneur de la
région de Saint-Pétersbourg, occupé jusqu’alors par
le président communiste de la Douma et par le leader ultranationaliste Vladimir Jirinovski. D’après ses
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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proches, elle était sur le point de révéler un circuit
de financement occulte du Parti communiste dans
lequel serait impliqué le président de la Douma.
Voile
Laurent Bourgnon gagne pour la
deuxième fois la Route du rhum.
Déjà vainqueur en 1994, le skipper franco-suisse remporte sur son trimaran Primagaz la sixième édition de
la course transatlantique en solitaire entre Saint-Malo
et Pointe-à-Pitre. En 12 jours, 8 heures, 41 minutes et
6 secondes, il bat le record de l’épreuve de près de
deux jours. Il précède Alain Gautier de trois heures et
Franck Cammas de dix heures.
22
Albanie
Référendum constitutionnel.
Plus de 55 % des électeurs inscrits participent au vote
sur l’adoption d’une Constitution dont le pays était
jusqu’alors dépourvu. Plus de 90 % des votants se
prononcent pour le « oui ». Ce texte, qui ne bouleversera pas l’équilibre des forces dans le pays, permet
cependant d’asseoir l’État de droit, ce que souligne
l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Le leader de l’opposition, l’ancien
président Sali Berisha, qui s’était prononcé pour le
boycott du scrutin, en dénonce le déroulement, que,
par ailleurs, les observateurs internationaux jugent
correct.
L’Albanie en quête de
stabilité
Secouée en 1997 par des troubles meurtriers
qui ont abouti à la démission du président Sali
Berisha et à l’arrivée des socialistes au pouvoir,
l’Albanie a connu, en 1998, le pire et le meilleur. En septembre, un coup de force a visé le
gouvernement et provoqué le départ du Premier
ministre Fatos Nano. Le succès, en novembre, du
référendum constitutionnel conférera peut-être
un peu de stabilité au pays, alors que la situation
au Kosovo voisin est toujours lourde de menaces.
« Ici commence l’avenir », proclamait un slogan
officiel appelant les Albanais à participer au
référendum constitutionnel du 22 novembre.
L’affirmation relevait d’un optimisme peutêtre excessif. Le pays le plus pauvre d’Europe
est aussi l’un des plus instables. Les violences
sociales et la confusion politique y sont la règle
depuis la chute du régime communiste, en 1991,
aggravées par les agissements d’une mafia qui
contrôle les trafics tenant lieu d’activité économique. Aujourd’hui, les candidats à l’émigration
clandestine vers l’Italie sont encore nombreux à
débourser 300 dollars pour traverser le détroit
d’Otrante sur des embarcations légères, au péril
de leur vie, en vue d’échapper à un sort bien
plus cruel à leurs yeux : vivre en Albanie. C’est
pourquoi l’adoption d’une Constitution apparaît, certes, comme une condition nécessaire à la
stabilisation de la situation albanaise, mais n’en
constitue sûrement pas la condition suffisante.
L’instauration d’un régime
parlementaire
Les Albanais ont donc approuvé par référendum, à une forte majorité – 93,5 % –, le projet
de Constitution rédigé avec l’aide du Conseil de
l’Europe et présenté par le gouvernement socialiste aux affaires depuis juillet 1997. L’Albanie
où le pouvoir a été, de 1992 à 1997, incarné par
un homme, le charismatique président Sali Berisha, est désormais une République parlementaire aux pouvoirs équilibrés. Aucune nouvelle
Loi fondamentale n’avait été élaborée depuis
la fin de l’ère communiste. La tentative de Sali
Berisha d’instaurer un régime présidentiel taillé
sur mesure avait échoué au terme d’un premier
référendum, en novembre 1994 – un an et demi
plus tard, il lui faudrait frauder pour remporter
les élections législatives. L’ancien homme fort du
pays appelait, cette fois, au boycottage du scrutin. Sa formation, le Parti démocratique, refusait
déjà de participer aux séances de travail en vue
de l’élaboration du texte. Le chef de l’opposition
a-t-il été entendu ? Pas suffisamment, semble-til, pour que le scrutin, dont le déroulement a été
jugé « correct » par les observateurs de l’OSCE,
ne perde de sa signification : le taux de participation s’est élevé à 50,6 %. Sali Berisha a prétendu
que le taux réel avait été gonflé d’au moins 10 %
et a accusé les dirigeants socialistes d’avoir orgadownloadModeText.vue.download 190 sur 417
CHRONOLOGIES ET ANALYSES
189
nisé des fraudes massives. Moins de deux mille
personnes ont répondu, le lendemain, à Tirana,
à son appel à manifester. L’homme a perdu son
charisme. Ses excès lassent. Ce n’était pas sa première tentative de déstabilisation du pouvoir depuis sa démission, après les élections législatives
de juin 1997 perdues par le Parti démocratique.
En 1997, les faillites en chaîne, à partir de janvier, des établissements pratiquant le système
des pyramides financières avaient provoqué la
ruine des petits épargnants. Les émeutes qui
avaient bientôt pris pour cible la personne du
président Berisha devaient faire, en trois mois,
quelque deux mille morts à travers le pays. En
avril, une force internationale était intervenue
pour garantir le maintien de l’ordre jusqu’aux
élections législatives anticipées annoncées pour
juin. La victoire du parti socialiste (ex-communiste réformé) et l’accession de son chef, Fatos
Nano, au poste de Premier ministre n’ont jamais
été acceptées par Sali Berisha, qui a préféré la
démission à la cohabitation.
Un « coup d’État » manqué
Le 22 août de cette année, six des principaux dirigeants du Parti démocratique ont été accusés
de « crimes contre l’humanité » après les événements de 1997 et arrêtés. Depuis, l’opposition organisait quotidiennement des manifestations en
vue d’obtenir la démission du Premier ministre
socialiste. En septembre, à l’occasion de troubles
qu’il avait contribué à attiser, Sali Berisha a encouragé des attaques contre le pouvoir qualifiées par celui-ci de « coup d’État ». Les violences
ont commencé le lendemain de l’assassinat, à Tirana, le 12, de Azem Hajdari, l’un des fondateurs
du Parti démocratique et le « bras droit de Sali
Berisha, tué par balles par des inconnus devant
le siège du Parti. Le chef de l’opposition a aussitôt qualifié le crime d’« attentat politique » et accusé le gouvernement socialiste de Fatos Nano
d’en être l’instigateur. Suivait une menace assortie d’un ultimatum : « Si le criminel Fatos Nano
ne démissionne pas dans les vingt-quatre heures,
nous réagirons et utiliserons tous les moyens pour
le renverser. » Le jour même, des partisans du Parti démocratique marchaient sur le siège du gouvernement, désarmaient les soldats en faction et
tiraient sur le bâtiment. Les affrontements causaient la mort d’un manifestant. Le lendemain,
jour des obsèques d’Azem Hajdari, des échanges
de tirs ont de nouveau résonné dans les rues de
la capitale lorsque des opposants ont tenté pour
la deuxième fois de forcer les portes du siège du
gouvernement avant de s’emparer de deux blindés, d’investir le Parlement et de prendre pour
quelques heures possession des locaux de la
radio et de la télévision. Trois d’entre eux ont été
tués. Les forces de l’ordre rétablissaient le calme
en fin de journée dans une capitale dévastée
par les affrontements et les pillages. Le ministre
de l’Intérieur pouvait déclarer : « Le coup d’État
a échoué. » L’explosion de violence a toutefois
mis en lumière la détermination de l’opposition
à reconquérir le pouvoir par quelque moyen que
ce soit et, par contraste, la faiblesse d’un gouvernement pouvant à peine compter sur la loyauté
des forces de l’ordre et, encore moins, sur le soutien de la population. Si la communauté internationale, États-Unis et Italie en tête, a aussitôt
dénoncé les violences, elle a aussi renvoyé dos
à dos le gouvernement et l’opposition, dont les
pratiques ont été également condamnées. Fatos
Nano et Sali Berisha ont été sommés d’engager
un dialogue, ce à quoi le second s’est farouchement opposé.
ÉRIC UNGERI
De difficiles négociations
Les négociations menées au sein de la coalition au pouvoir en vue d’un remaniement
ministériel n’ont pas été plus fructueuses. Le
28 septembre, Fatos Nano a présenté sa démission, non sans dénoncer les « pressions »
exercées sur lui et l’absence de « soutient
de la part des partis de la coalition gouvernementale et de sa propre formation. Le
lendemain, le président Rexhep Meidani a
entériné la proposition du parti socialiste de
nommera la tête du gouvernement Pandeli
Majko, chef du groupe parlementaire socialiste au Parlement. Plus jeune Premier ministre de l’histoire de l’Albanie – il a trente
et un ans – et donc exempt de toute compro-
mission avec le régime communiste, Pandeli
Majko peut déjà se vanter d’être parvenu à
doter son pays d’une Constitution.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
190
24
Communication
Rachat de Netscape par AOL.
AOL, no 1 mondial des services en ligne (42 milliards
de dollars de capitalisation boursière), rachète pour
4,2 milliards de dollars Netscape, créateur de l’un des
deux filtres mondiaux permettant de naviguer sur
Internet. Netscape est surtout orienté vers l’usage
professionnel, tandis qu’AOL, avec ses forums de discussion et son service de courriel électronique, est
davantage tourné vers les utilisateurs individuels. La
nouvelle entité est désormais au niveau de Yahoo !,
premier site Internet de la planète, et envisage un
rapprochement avec Sun Microsystem, concepteur
du langage de programmation universel Java. Elle
constitue aussi une machine de guerre contre l’empire Microsoft de Bill Gates, soupçonné par la justice
américaine d’avoir cherché à éliminer Netscape en
imposant aux constructeurs d’ordinateurs son propre
logiciel de circulation sur Internet Explorer.
Santé
Progression de la pandémie de sida.
L’organisme des Nations unies chargé de suivre
la pandémie, Onusida, annonce que 33,4 millions
de personnes sont enregistrées à travers le monde
comme porteuses du virus, soit 10 % de plus qu’en
1997. Au total, près de 6 millions de personnes seront contaminées au cours de l’année 1998, soit une
moyenne de 11 à la minute. Près de 95 % des personnes infectées vivent dans le tiers-monde.
25
Chili/Grande-Bretagne
Rejet de l’immunité
d’Augusto Pinochet.
Les juges de la commission juridique de la Chambre
des lords rejettent par 3 voix contre 2 l’immunité
diplomatique de l’ancien dictateur chilien. Alors
qu’il suivait un traitement médical à Londres, celuici avait été mis en état d’arrestation en octobre à la
suite d’une demande d’extradition présentée par les
juges espagnols Baltasar Garzón et Manuel Garcia
Castellón pour « génocide, terrorisme et incitation
à la torture ». Des demandes similaires avaient été
ensuite présentées par les justices suisse, belge et
française. Cette décision, d’une très grande portée
symbolique, est saluée dans de nombreux pays. En
France, Lionel Jospin déclare que « c’est une joie » et
Jacques Chirac qu’il n’était pas « acceptable que des
crimes puissent rester impunis ». À long terme, la décision des lords anglais constitue une menace pour
tous les dictateurs, qui risquent, quand ils ne seront
plus en fonctions, de se voir arrêtés lors de tout déplacement à l’étranger. À court terme, les autorités
britanniques vont examiner la demande espagnole
d’extradition et décider de lui donner ou non une
suite. Le ministre de l’Intérieur, Jack Straw, va devoir
arbitrer entre les demandes de l’opinion publique
européenne et celles du gouvernement chilien, qui
ne souhaite pas indisposer son armée en laissant
ainsi juger à l’étranger son chef historique.
France
Rupture du pacte d’actionnaires entre
Bolloré et Bouygues.
Vincent Bolloré annonce qu’il rompt le pacte qui le
liait à la famille Bouygues pour cinq ans et qui limitait sa participation au groupe de BTP et de communication (28 milliards de francs de capitalisation
boursière) à 14 %. Depuis plusieurs mois, un conflit
latent opposait le patron breton à Martin Bouygues,
notamment à propos de la stratégie de développement du groupe dans le téléphone. François Pinault,
P-DG de la holding Artémis (le Printemps, la Redoute,
la FNAC, le Point), rachète les actions de M. Bolloré,
qui encaisse à cette occasion une plus-value de
1,5 milliard de francs.
Turquie
Renversement du gouvernement de
Mesut Yilmaz.
En place depuis juin 1997, la coalition gouvernementale droite-gauche formée autour du parti de la
Mère Patrie (ANAP, droite) est censurée par 314 voix
sur 528. La motion de censure avait été déposée par
le parti de la Juste Voie (DYP, droite) de Tansu Çiller,
le Fazilet (islamiste) et le parti républicain du Peuple
(CHP, social-démocrate). Elle était fondée sur le fait
que des liens auraient été établis entre un homme
d’affaires notoirement lié à la mafia turque. Kormaz
Yigit, le Premier ministre et son ministre de l’Économie. Dans une confession filmée, un chef mafieux
avait affirmé que les responsables politiques avaient
accepté de ne pas s’opposer au rachat par Yigit d’une
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
191
grande banque publique en voie de privatisation.
M. Yilmaz dénonce un « complot politique ».
Ulster
Une nouvelle milice.
Huit hommes masqués annoncent la constitution
d’un nouveau groupe paramilitaire loyaliste protestant, lors d’une conférence de presse clandestine. Ce
groupe s’intitulant « Volontaires d’Orange » affirme
vouloir prendre pour cible les prisonniers de l’IRA
récemment libérés et revendique une série d’attentats contre des bars et des magasins tenus par des
catholiques.
Le cas Pinochet
La mise en garde à vue à Londres de l’ex-dictateur
chilien poursuivi par la justice espagnole pour
« génocide, terrorisme et incitation à la torture »
puis la levée de son immunité diplomatique, le
25 novembre, par la Commission juridique de
la Chambre des lords ont eu un retentissement
mondial. Pas seulement parce qu’était ainsi
ouverte une des pages les plus noires de la
politique sud-américaine des années 70, mais
aussi parce qu’était ainsi posé, de façon éclatante,
le principe d’une justice mondiale, soucieuse de
faire respecter, même au plus haut niveau, les
principes élémentaires des droits de l’homme.
Augusto Pinochet n’est ni le seul dictateur
latino-américain encore en vie, ni même le
plus sanglant. En 1964, les militaires brésiliens
avaient renversé sans état d’âme le président élu
João Goulart ; douze ans plus tard, leurs homologues argentins, sous la houlette du général
Videla, mettaient fin aux derniers soubresauts
du péronisme historique, inaugurant une phase
de violences inouïes. Pourtant Pinochet, à qui il
n’est reproché « que » quelque 4 000 morts et
disparus (sans parler des milliers d’exilés), incarne, plus que tout autre, la force brutale et la
dictature. Il est vrai que le personnage est complexe. Pendant longtemps, il avait incarné les
vertus démocratiques que l’on prêtait aux forces
armées chiliennes. Son prédécesseur à la tête
de l’état-major, le général Carlos Prats, qu’il fera
ensuite assassiner, l’avait présenté au président
Allende comme un officier supérieur « sûr », aux
convictions légalistes bien ancrées.
Et le leader de l’Unité populaire l’avait cru,
jusqu’à ce fameux 11 septembre 1973, où les
militaires balayèrent le pouvoir de gauche pour
s’installer aux commandes.
Le régime Pinochet va alors mettre en oeuvre
un programme économique d’airain, inspiré
par les tendances les plus libérales – au sens
économique du terme – du monétarisme américain, incarnées par le professeur de Chicago
Milton Friedman : démantèlement des services
sociaux, ouverture aux capitaux étrangers. Un
« rêve » que voudront réaliser à leur tour tous
les conservateurs musclés du monde entier, de
Margaret Thatcher, grande amie du général, aux
politiciens russes, en mal de solutions miracles.
Car la formule va réussir, faisant en quinze ans
du Chili le pays le plus prospère du sous-continent (9 520 dollars de PIB-PPA par habitant au
milieu des années 90, contre 8 720 en Argentine
et 19 670 en France). Au prix, certes, d’une formidable inégalité (10 % de la population chilienne
dispose de près de 50 % de la richesse nationale) et d’une terrible individualisation de la vie
sociale (désyndicalisation, drogue, alcoolisme et
recours massif au crédit, même pour les objets
les plus courants de la vie quotidienne).
Fort de ses succès économiques, Pinochet a
su négocier son départ. En 1988, les électeurs
chiliens décident par référendum de procéder
à des élections libres, qui amènent quelques
mois plus tard un président démocrate-chrétien
au pouvoir, Patricio Alwin. Mais Pinochet sait
assurer ses arrières ; il demeure chef des armées,
imposant à son peuple cette idée que le retour
de la démocratie passe impérativement par la
« réconciliation » (c’est-à-dire l’oubli des crimes
de la dictature). Près de huit ans plus tard, le
10 mars 1998, il quitte ses fonctions, non sans
avoir obtenu un poste de sénateur à vie, ce qui
est censé lui garantir une immunité perpétuelle.
Mais l’opinion publique chilienne n’a pas oublié :
le pays est secoué de manifestations de protestation contre cette « amnésie organisée » que
représente le statut de sénateur à vie du général
Pinochet. La coalition, regroupant démocrateschrétiens et socialistes autour du nouveau président Eduardo Frei, est fortement ébranlée. Tout
est alors relancé par l’arrestation du général à
Londres, où il est allé se faire opérer. Deux questions sont alors posées.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
192
La question de l’immunité...
La première est une question de principe : les
chefs d’État bénéficient-ils à vie d’une immunité
pour leur action, même si celle-ci s’est opérée au
mépris des droits de l’homme ? Il semble bien
que la communauté internationale a tranche
dans un sens négatif. Si les dirigeants en exercice continuent de bénéficier, quoi qu’il arrive,
de ce privilège, il n’en ira plus de même une fois
qu’ils seront à la retraite. Et cela peut changer
beaucoup de choses. Les dictateurs savent désormais qu’ils sont condamnés à garder le pouvoir jusqu’à leur dernier souffle, sauf à risquer
l’emprisonnement au moindre de leur déplacement à l’étranger. Or, par définition, les dictateurs sont toujours susceptibles de devoir un
jour ou l’autre quitter leur pays en catastrophe.
Cette nouvelle donne internationale prend d’autant plus de réalité que le principe de la création
d’un Cour pénale internationale a été adopté en
juillet à Rome (même s’il faudra plusieurs années
pour obtenir les ratifications nécessaires à sa
mise en oeuvre), et que fonctionnent, chaque
mois avec un peu plus de vigueur, les tribunaux
pénaux internationaux pour le Rwanda et pour
l’ex-Yougoslavie.
... et du lieu du jugement
La deuxième question est d’opportunité : n’est-il
pas préférable de juger le général Pinochet dans
son propre pays plutôt qu’à l’étranger, c’est-àdire en Espagne (alors que le gouvernement
britannique a décidé, le 9 décembre, de laisser
la procédure d’extradition suivre son cours) ?
Les arguments en ce sens sont forts. Ils touchent
à l’honneur même des Chiliens, à qui il revient
tout naturellement la charge de demander des
comptes à celui qui les a dirigés pendant plus
de dix-sept ans. Fin novembre, un sondage indiquait que 70 % d’entre eux estimaient que le
procès devait avoir lieu à Santiago.
Par ailleurs, de nombreux observateurs étaient
convaincus que le Chili n’était pas menacé, quoi
qu’il arrive, par un nouveau putsch militaire.
Pourtant, les risques de conflits graves entre la
partie de la population favorable à Pinochet,
ou, pour le moins, au maintien de la « réconciliation » et la gauche et les démocrates ne sont
pas totalement exclus. D’autre part, un procès de
l’ancien dictateur au Chili supposerait une révision de la Constitution, pour la bonne raison que
celui-ci a fait inscrire dans le texte suprême son
statut de sénateur à vie, bénéficiant de ce fait
d’une immunité permanente.
La complexité politique atteindrait alors son
comble et l’on serait très loin de la sérénité
nécessaire pour une procédure où tout un pays
regarderait en face son passé. La justice est une
chose ; l’application de son exercice, une autre.
FRANCIS FERRER
Citations du général Pinochet
« Ce pays est un pays tranquille, car
nous disposons d’un bon service de
renseignements. »
« Rien, pas la moindre feuille ne bouge dans
ce pays si ce n’est moi qui la déplace. Que
cela soit bien clair. »
« Je suis laid. C’est peut-être pour ça qu’on
me traite de dictateur. »
26
Tennis
Pete Sampras, no 1 mondial pour la
sixième année.
Le joueur américain bat le record de son compatriote
Jimmy Connors en terminant sa sixième année à la
tête du tennis mondial. Cet exploit sans précèdent
n’empêche pas le tennis de connaître une forte désaffection, notamment aux États-Unis.
29
France-Afrique
XXe sommet franco-africain à Paris.
Quarante-neuf pays africains sur 53 assistent au
sommet, dont le thème principal est la « sécurité »
sur le continent. Outre 34 chefs d’État, Kofi Annan,
secrétaire général de l’ONU, et Selim Ahmed Selim,
secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), sont présents. Le principal résultat de ce
sommet concerne le conflit en République démocratique du Congo (RDC) : Laurent-Désiré Kabila, président de la RDC, Yoweri Museveni, président de l’Ouganda, Pasteur Bizimungu, président du Rwanda, et
Robert Mugabe, président du Zimbabwe, s’engagent
à une « cessation immédiate des hostilités, puis à un
cessez le-feu ». L.-D. Kabila a accepté de ne pas exiger
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
193
comme préalable le retrait des troupes rwandaises
et ougandaises du territoire de la RDC. Sur le terrain,
les rebelles déclarent ne pas être concernés par les
accords de Paris.
30
Canada
Victoire limitée du Parti québécois (PQ)
au Québec.
Le parti du Premier ministre sortant, Lucien Bouchard, l’emporte (75 sièges, mais seulement 42,9 %
des suffrages) sur le Parti libéral de Jean Charest
(48 sièges, 43,6 % des suffrages). Le PQ a axé sa campagne sur sa détermination à organiser un nouveau
référendum sur la souveraineté de la province, sous
réserve que les « conditions » nécessaires au succès
soient réunies. La nature de ces « conditions » n’a
pas été précisée. Les sondages indiquaient que, si la
majorité des électeurs québécois restaient favorables
au PQ, ils étaient 63 % à être opposés à la tenue d’un
nouveau référendum sur l’indépendance de la province (les deux précédents, en 1990 et en 1995, ayant
échoué, le second de très peu).
Sud-Liban
Le « non » de Benyamin Netanyahou.
Le Premier ministre israélien réaffirme son opposition
à un retrait unilatéral dans la mesure où il estime que
la sécurité des habitants du nord d’Israël ne serait pas
garantie après l’abandon de la « zone de sécurité »
par les forces israéliennes.
Québec, victoire en demiteinte du parti québécois
Appelés à renouveler leur représentation parlementaire, les électeurs du Québec ont plébiscité
le Premier ministre sortant, Lucien Bouchard,
mais aussi limité sa marge de manoeuvre, comme
le montre le bon score des fédéralistes. Aussi
l’indépendance de la Belle Province, projet phare
du Parti québécois qui n’entend donc pas renoncer, paraît-elle bien compromise.
En portant majoritairement leurs voix, le
30 novembre, sur les candidats-députés présentés par le Parti québécois (PQ) – qui a remporté
75 sièges contre 48 pour le Parti libéral du Québec (PLQ) –, les électeurs auront surtout confirmé la confiance qu’ils avaient placée jusqu’à présent en Lucien Bouchard.
La victoire d’un homme
de conviction
Nul doute que ce dernier a accueilli le résultat
de la consultation avec soulagement, après avoir
déclaré, fin octobre, que le scrutin de novembre
serait le « combat politique » le plus important
de sa vie. Une vie riche en rebondissements pour
celui qui avait accédé au poste de Premier ministre du Québec après la démission de Jacques
Parizeau, au lendemain de l’échec du vote référendaire sur la souveraineté de la Belle Province,
en 1995. Considéré par l’ensemble de la classe
politique comme un homme de conviction, fort
d’un charisme et d’un sens de la communication
que nul ne lui conteste, M. Bouchard bénéficiait
déjà d’une popularité exceptionnelle bien avant
avoir quitté la scène politique fédérale.
La victoire du PQ offre au Premier ministre les
moyens de gouverner la Belle Province. Le « oui »
des Québécois au PQ inclut en effet un « oui » à
un gouvernement provincial fort vis-à-vis d’Ottawa, et, en matière de relations entre le Québec
et Ottawa, la population de la province a clairement dit qu’elle faisait davantage confiance
à L. Bouchard qu’au libéral Jean Charest pour
défendre les intérêts du Québec au sein de la
Fédération canadienne.
Le vote en faveur de l’équipe sortante a offert
à M. Bouchard pleine autorité pour achever le
redressement des finances publiques, dans la
perspective de dégager à court terme des surplus oui devraient être affectés en priorité à un
allégement du fardeau fiscal, d’une part, et à de
nouveaux crédits en matière de santé et d’éducation, d’autre part. Au cours de la campagne
électorale, M. Bouchard s’est engagé à remettre
sur les rails une réforme du système de santé
qui, au cours des mois précédant le scrutin de
novembre, a connu de très sérieux problèmes
de mise au point. Il est vrai que, si l’année économique 1998 a été exceptionnellement bonne,
le millésime social 1998 a fortement ressemblé
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
194
à celui de l’année précédente : on a en effet
beaucoup manifesté au Québec pour protester
contre la réduction des dépenses publiques provinciales, touchant entre autres l’aide sociale, la
fonction publique, la santé et l’éducation.
Une marge de manoeuvre limitée
De façon plus générale, les électeurs ont choisi
de reconduire le Premier ministre afin qu’il puisse
poursuivre l’action gouvernementale engagée
par le PQ en 1994 sous la houlette de Jacques
Parizeau. Pour autant le PQ est loin de disposer d’une grande marge de manoeuvre dans la
mesure où le bon score réalisé par les candidats
fédéralistes lui interdit d’envisager avec sérénité
l’avenir d’un Québec affranchi, enfin, selon leurs
voeux, de la tutelle d’Ottawa. Ainsi, les électeurs
n’ont accordé que 42,9 % de leurs voix au PQ,
une manière de lui offrir un mandat affaibli pour
le mener à l’indépendance – rappelons que la
direction du PQ s’était fixé la barre des 45 % aux
élections du 30 novembre, estimant qu’en deçà
les « conditions gagnantes », selon la formule de
L. Bouchard, n’étaient pas réunies.
On comprend que, dans ces conditions, L. Bouchard ait pris bonne note du message, en soulignant qu’il aurait du « pain sur la planche ».
Quoi qu’il en soit, le Premier ministre de la Belle
Province n’a pas manqué de rappeler qu’il entendait « contrer toutes nouvelles intrusions » du gouvernement fédéral dans les programmes que le
Québec entend lui-même gérer.
Dans cette perspective, les souverainementistes du PQ espèrent même pouvoir récupérer
certaines prérogatives et certains budgets du
gouvernement fédéral, quitte à contracter des
alliances autant que faire se pourra avec d’autres
provinces du Canada anglais. On l’a dit, les indépendantistes sont loin d’avoir renoncé à larguer
les amarres avec Ottawa. Pour autant, la victoire
en demi-teinte de la formation de M. Bouchard
ne devrait guère inciter à l’optimisme dans les
rangs du PQ et de ses plus ardents partisans.
D’ailleurs, les sondages qui ont fleuri au cours
de la campagne électorale avaient indiqué que,
si la majorité des électeurs québécois restaient
favorables au PQ, ils étaient 63 % à être opposés
à la tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance de la province.
Vers un troisième référendum au
Québec ?
Par deux fois, en 1980 et en 1995, les électeurs
canadiens ont refusé de voter en faveur de
l’indépendance. Quoi qu’il en soit, le Premier
ministre de la Belle Province, Lucien Bouchard,
n’a pas désarmé pour autant et il envisageait un
troisième référendum, vraisemblablement pour
1999.
Beaucoup d’observateurs pronostiquent un nouvel échec pour le champion de l’émancipation
et cela pour trois raisons. D’abord, la présence
d’une forte minorité, constituée d’anglophones
de naissance et d’émigrés récents. Ensuite, la
posture très fédéraliste des Indiens. Enfin, l’hésitation de nombreux francophones qui se sentent – et se réclament en même temps – canadiens et québécois. Plus généralement, pour des
raisons économiques, à cause de la mutation
que connaît la population du Québec et du jacobinisme québéquiste qui agace profondément
les modérés, les chances des indépendantistes
de l’emporter paraissent de plus en plus minces.
ALAIN POLAK
Canada : bonne année économique
En 1997, politiciens et économistes avaient
rivalisé d’épithètes élogieuses pour évoquer les performances de l’économie canadienne. Un an plus tard, les mêmes auraient
très bien pu (aire usage de semblables qualificatifs au sujet de la croissance – « robuste,
soutenue, vigoureuse » – et du budget, en
équilibre pour la première fois depuis plus
d’un quart de siècle. De son côté, l’opposition a joué une partition certes convenue,
mais non dénuée de justesse, estimant que
le gouvernement libéral d’Ottawa a sacrifié
le volet social sur l’autel de la discipline budgétaire. Une antienne habituelle au Canada
depuis quelques années et que l’on connaît
bien, aussi, en Europe occidentale.
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
195
DÉCEMBRE
1
France
Report du projet de loi sur l’audiovisuel.
Catherine Trautmann, ministre de la Culture et de la
Communication, annonce que son projet de loi portant réforme de l’audiovisuel public est reporté. Ce
projet, qui prévoyait la création d’une société holding
coiffant France 2, France 3, La Cinquième et Arte, et,
d’autre part, la réduction du temps de publicité à
France 2 et France 3 (de 12 minutes à 5 minutes par
heure), avait suscité de nombreuses critiques, au sein
même de la majorité. Les élus de gauche craignaient
que la future holding ne devienne une structure
extrêmement pesante et, surtout, ils ne voyaient pas
comment organiser, de façon durable, le financement de la télévision publique, sachant que le renoncement à la plus grosse partie des ressources publicitaires profiterait essentiellement à TF1 et M6. Ce
report constitue un nouveau revers pour la majorité
après ses atermoiements sur le PACS ; il constitue
également un désaveu pour Mme Trautmann, qui voit
croître l’influence de Frédérique Bredin, chargée en
urgence par le Premier ministre d’une mission sur la
réforme de l’audiovisuel.
2
Bosnie
Arrestation du responsable du
massacre de Srebrenica.
Les troupes de l’OTAN en Bosnie (SFOR) arrêtent le
général serbe Radislav Krstic, recherché par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)
pour sa responsabilité supposée dans les massacres
ayant suivi la chute de l’enclave musulmane de Srebrenica, en juillet 1995. Huit mille personnes ont été
alors portées disparues.
Liban
Selim Hoss, nouveau Premier ministre.
Après qu’un conflit a opposé le Premier ministre en
exercice depuis six ans, Rafic Hariri, et le nouveau
président de la République, Émile Lahoud, M. Hoss
est désigné pour diriger le gouvernement libanais.
Âgé de soixante-huit ans, de confession sunnite,
M. Hoss a déjà été Premier ministre quatre fois depuis
1976. Comme M. Lahoud, il a la réputation d’être travailleur et non corrompu. Il déclare vouloir contrôler
la reconstruction de Beyrouth, lutter contre la corruption et réformer la fiscalité dans le sens de la justice
sociale. Ces propos constituent une critique contre
le bilan de M. Hariri, dont certains observateurs ont
critiqué l’affairisme.
Turquie
Bülent Ecevit désigné comme Premier
ministre.
Après la chute de Mesut Yilmaz, le président Suleyman Demirel charge le leader du parti démocratique
de gauche (DSP) de former le nouveau gouvernement. Âgé de soixante-treize ans, M. Ecevit a déjà
occupé cette fonction trois fois au cours des années 70. Il était vice-Premier ministre dans le précé-
dent gouvernement. Sa formation, qu’il dirige d’une
main de fer avec son épouse, n’est que la quatrième
du pays, mais la réputation d’intégrité de son chef
fait de celui-ci une personnalité incontournable, alors
que la vie politique turque est traversée depuis plusieurs années par une suite ininterrompue d’affaires
de corruption au plus haut niveau. Réservé par rapport à l’Occident et à l’Union européenne, M. Ecevit
cherche à constituer une équipe avec les deux partis
conservateurs, le parti de la Mère Patrie (ANAP) de
M. Yilmaz et le parti de la Juste Voie (DYP) de Mme Tansu Çiller. La tâche promet d’être délicate, car les deux
leaders de droite sont opposés l’un à l’autre par une
rivalité plus que farouche.
Union européenne
Baisse concertée des taux directeurs.
Les onze banques centrales des pays ayant adhéré
à l’euro font passer de façon coordonnée leur taux
directeur à 3 % (l’Italie passant, pour sa part, de 4 %
à 3,5 %). Cette mesure, motivée par le ralentissement
de l’activité consécutif à la crise en Asie et en Russie,
est considérée comme l’acte de naissance pratique
de l’euro et comme le dernier acte de souveraineté
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
196
des différentes banques centrales qui vont se fondre
dans la BCE (Banque centrale européenne) en 1999.
3
France
Manifestation de chômeurs.
Un an après leur première manifestation sur ce
thème, les organisations de chômeurs mettent sur
pied une journée d’action sur le thème de la prime
de Noël pour les sans-emploi. Ils sont plus de 15 000
à défiler à Marseille, alors que quelques actions symboliques ont lieu à Paris et dans plusieurs villes de
province.
4
France
Discours-programme de
Jacques Chirac.
En déplacement à Rennes, le président de la République déclare souhaiter une « refondation de la
démocratie ». En se déclarant partisan d’une modernisation des institutions, il met en porte-à-faux Lionel
Jospin, qui a fait de ce thème un de ses chevaux de
bataille. Il déstabilise également celui-ci en se disant
favorable à l’instauration d’un service minimum en
cas de grève dans le service public. Le propos est
d’autant plus en situation que la SNCF connaît une
nouvelle grève reconductible depuis une semaine
et que le ministre communiste des Transports, JeanClaude Gayssot, est opposé à toute limitation du
droit de grève. Ce discours de Rennes confirme le
retour de M. Chirac comme leader incontesté de la
droite.
France
Annulation de l’élection de Charles
Millon à la tête du conseil régional de
Rhône-Alpes.
Ayant constaté que, le 7 mars 1998, entre les deux
tours du scrutin à l’assemblée régionale, M. Millon
avait communiqué avec Bruno Gollnisch, ce qui est
interdit par la loi, le Conseil d’État casse l’élection du
président.
France/Grande-Bretagne
Volonté européenne du gouvernement
britannique.
À l’issue de la 21e rencontre franco-britannique, les
deux délégations rédigent une déclaration qualifiée
d’« historique » par Tony Blair. Selon ce texte, les deux
pays s’accordent pour doter l’Union européenne
d’une capacité de défense « autonome appuyée sur
des forces militaires crédibles ». Cette capacité de défense doit s’organiser en harmonie avec une Alliance
atlantique (euro-américaine) « rénovée ».
Mémoire
Fin de la conférence internationale de
Washington.
La conférence sur le dédommagement des familles
juives pour la spoliation de leurs biens par les nazis
pendant la Seconde Guerre mondiale s’achève sur
un malaise. Les États-Unis et les organisations juives
mondiales militent pour une réparation matérielle
rapide et complète, tandis que les Européens, et
notamment la France, estiment que l’affaire est trop
complexe pour être soldée dans l’urgence. Françoise
Cachin, directrice des Musées nationaux, déclare que
le problème des tableaux volés (les musées français
détiennent plus de 2 000 oeuvres d’art récupérées
dans le butin des nazis) ne peut trouver de solution
d’une façon globale, les situations devant être étudiées au cas par cas. L’avocat Serge Klarsfeld estime,
pour sa part, que la question ne doit pas être réglée
au niveau du Congrès juif mondial (CJM), mais à celui
de chaque nation.
5
France
Remous au Front national.
Deux jours après le licenciement par Jean-Marie
Le Pen de deux proches collaborateurs de Bruno
Mégret, le conseil national du parti, réuni à Paris, est
troublé par de très vives oppositions entre partisans
du président du FN et partisans du délégué général. M. Le Pen tente de minimiser les faits en parlant
d’un « pu-putsch », fomenté par une minorité trop
faible pour constituer un danger et qu’il qualifie de
« raciste ». Il n’empêche que le mouvement d’extrême
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
197
droite est durablement déstabilisé par la lutte entre
son numéro 1, partisan du maintien d’une ligne opposée à tout compromis avec la droite républicaine,
et son numéro 2, favorable à une politique de « normalisation », comparable à celle pratiquée en Italie
par l’Alliance nationale. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR, se réjouit que « l’extrême droite régresse ».
(chrono. 10/12)
Taïwan
Recul des indépendantistes.
Après plusieurs années de recul électoral face aux
courants indépendantistes, le Kuomintang (KMT),
parti au pouvoir favorable à la réunification avec la
Chine, remporte 46,43 % des suffrages aux élections
législatives (et 123 sièges sur 225). Les autorités de
Pékin se réjouissent d’un tel résultat, d’autant qu’au
sein même du KMT les cadres nés sur le continent,
donc a priori plus favorables à un rapprochement
avec Pékin, se sont davantage imposés que les cadres
taïwanais de souche qui, à l’instar du président Lee
Teng-hui, sont plus réticents vis-à-vis de leur grand
voisin. Toutefois, ces élections, qui se sont déroulées
dans d’excellentes conditions, confirment l’attachement des habitants de l’île à la démocratie.
6
Gabon
Omar Bongo réélu à la présidence.
Le président sortant remporte la deuxième élection pluraliste du pays avec 66,5 % des voix contre
ses deux principaux concurrents, crédités respectivement de 16,5 % et 13,4 % des suffrages. Ceux-ci
dénoncent la « mascarade » du scrutin. Par ailleurs,
certains observateurs français, chargés de superviser les opérations électorales, sont mis en cause
pour leur proximité avérée avec M. Bongo. Toutefois,
l’ampleur du résultat de celui-ci comme la division
de l’opposition sont de nature à confirmer le succès
du président élu.
Sculpture
Disparition de César à
quatre-vingt-sept ans.
Fils d’un tonnelier italien de Marseille, il s’oriente à
quinze ans vers les beaux-arts. Étudiant à Paris, il
s’intéresse à la sculpture sur métal. N’ayant pas les
moyens de s’acheter des matériaux plus « nobles »,
il s’initie à la soudure et au travail sur les métaux. En
1954, sa première exposition remporte aussitôt un
très grand succès. Il réalise alors ses premières compressions de voitures et devient une vedette du ToutParis. Adhérent au groupe des « nouveaux réalistes »,
aux côtés de Tinguely, d’Annan et de Niki de SaintPhalle, il multiplie les compressions et les empreintes
géantes de pouce ou de sein, qui lui confèrent une
réputation internationale. Son nom reste pour toujours associé à la cérémonie des prix du cinéma français, dont les récompenses sont des oeuvres signées
de lui.
Tennis
Septième Coupe Davis pour la Suède.
À Milan, l’équipe suédoise l’emporte en finale par
4 victoires à 1 contre l’Italie. La Suède avait déjà gagné le titre en 1997 contre les États-Unis et échoué
en finale contre la France en 1996.
Venezuela
Hugo Chavez élu à la présidence.
L’ancien colonel, auteur d’une tentative de putsch
en 1992, est élu avec 60 % des voix contre 39,7 % à
son adversaire conservateur Henrique Salas. Âgé de
quarante-quatre ans, il professe un discours populiste, qu’il a mis au point depuis 1982, date à laquelle
il avait créé le Mouvement bolivarien révolutionnaire
2000, groupe d’étude où de jeunes officiers se retrou-
vaient sur la base d’idées nationales et sociales. Il a
axé sa campagne sur la dénonciation de la corruption, dont il estime qu’elle représente plus de 15 % de
la richesse du pays. Il a également développé un programme social avancé, qui a eu d’autant plus d’écho
dans un pays ruiné par la baisse continue du prix du
pétrole, la principale ressource nationale. Les deux
grands partis traditionnels – les sociaux-démocrates
de l’Action démocratique (AD) et les conservateurs –
ont reconnu leur défaite et se sont déclarés prêts à
travailler avec le nouveau président, même si beaucoup craignent ses tendances à l’autoritarisme.
7
Espace
Début de l’assemblage de la station
spatiale internationale.
À 340 km d’altitude, l’équipage de la navette américaine Endeavour procède à l’assemblage du noeud
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198
de connexion Unity avec le module russe Zarya,
lancé le 20 novembre. Un deuxième module russe
devrait s’arrimer à l’ensemble Zarya-Unity en juillet
Le baril de Brent (qualité de référence) atteint son
niveau le plus bas depuis l’été 1986. Cet effondrement est dû autant à la baisse de la consommation
mondiale, consécutive aux économies d’énergie et
au ralentissement de l’activité économique en Asie,
qu’à la surproduction. Face à cette situation, les pays
producteurs, réunis au sein de l’OPEP (Organisation
des pays exportateurs de pétrole), ne parviennent
pas à s’entendre.
Pétrole
Le prix du baril sous la barre des
10 dollars.
8
Tchétchénie
Quatre otages occidentaux exécutés.
Trois Britanniques et un Néo-Zélandais, qui travaillaient pour une entreprise anglaise de télécommunications, sont retrouvés décapités. Ils avaient été
enlevés au début du mois d’octobre à Grozny, la capi-
tale tchétchène. Le président du pays, Aslan Maskhadov, affirme que les otages ont été exécutés parce
que les forces de police avaient repéré les preneurs
d’otages. Une centaine d’étrangers sont détenus par
des bandes qui réclament des rançons très importantes. Parmi ces otages, on compte un Français,
Vincent Cochetel, délégué du HCR (Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés), enlevé en janvier
1998. Celui-ci est libéré le 12, après une interventionéclair des forces spéciales russes. Certains affirment
qu’une rançon a été versée aux ravisseurs pour le
Français après l’exécution des otages britanniques et
néo-zélandais.
9
Algérie
Nouveau massacre de civils.
Une cinquantaine de personnes, toutes civiles, parmi
lesquelles des femmes et des enfants, sont égorgées
dans un village à 170 km à l’ouest d’Alger. Beaucoup
s’inquiètent de la reprises des tueries à quelques jours
de l’ouverture du ramadan, période particulièrement
propice aux violences depuis quelques années.
France
Création de deux laboratoires
souterrains d’enfouissement des
déchets nucléaires.
Le gouvernement décide de créer deux laboratoires
en grande profondeur, l’un dans la Meuse, l’autre
dans un site granitique à déterminer. Dominique
Voynet, écologiste et ministre de l’Environnement,
assume la décision. Elle a obtenu le principe de la
réversibilité du stockage (les déchets peuvent être
retirés à tout moment), la création d’un centre de
stockage en subsurface dans le Gard et le lancement
d’une étude complète sur le coût réel de la filière
nucléaire au regard des autres sources d’énergie.
France
Le PACS adopté en première lecture.
Le Pacte civil de solidarité est voté par l’Assemblée
nationale par 314 voix (PS, PC, Verts, radicaux de
gauche) contre 251 (RPR, UDF et DL). Il permet une
imposition commune, l’ouverture des droits sociaux,
un taux préférentiel d’imposition pour les successions, etc. Il est ouvert aux frères et soeurs. Le texte
devrait revenir en 1999 devant les députés après
avoir été, selon toute vraisemblance, rejeté au Sénat.
France
Bruno Mégret démis de ses fonctions
de délégué général.
Jean-Marie Le Peu destitue le numéro 2 du Front
national, après que celui-ci a réclamé la convocation, en janvier 1999, d’un congrès extraordinaire.
Les partisans de M. Mégret estiment être majoritaires
parmi les conseillers régionaux et les directions départementales du parti. La tension est si forte entre
les deux tendances de la formation d’extrême droite
que beaucoup prévoient la constitution de deux
listes concurrentes du FN aux élections européennes
de 1999.
Grande-Bretagne
Poursuite de procédure contre Augusto
Pinochet.
Le ministre de l’Intérieur britannique, Jack Straw,
décide de « laisser la procédure d’extradition engagée par les juges espagnols suivre son cours devant
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
199
les tribunaux du Royaume-Uni. » Cette procédure
devrait durer de longs mois, voire plusieurs années,
les avocats de M. Pinochet ayant la possibilité de faire
jouer plusieurs recours successifs devant les Lords de
justice.
Suisse
Pour la première fois une femme élue à
la tête de la Confédération.
Ruth Dreifuss, une socialiste de cinquante-huit ans,
a été élue par l’Assemblée fédérale à cette fonction
essentiellement honorifique et dont le mandat est
limité à un an. Il n’empêche que le symbole demeure
fort dans un pays où le rôle politique des femmes est
souvent contesté.
Le PACS à l’épreuve
Les députés ne sont pas près d’oublier les
débats sur le pacte civil de solidarité (PACS)
qui ont animé l’Assemblée nationale, par
épisodes successifs, entre le 9 octobre et le
9 décembre 1998. Plusieurs séances de nuit se
sont prolongées jusqu’au petit matin, droite
contre gauche : la première considérant le PACS
comme un « mariage bis », en concurrence avec
l’institution du mariage, ou comme une première
étape vers l’adoption d’enfants par les couples
homosexuels ; la gauche, au contraire, défendant
la « grande réforme de société », au service de
l’évolution des moeurs. On a tout entendu sur le
sujet, tant et si bien que l’on en a presque oublié
le contenu du texte... Au fait, le PACS, qu’est-ce
que c’est ?
Le PACS est une proposition de loi, élaborée
par deux députés de la majorité : Jean-Pierre Michel, élu du Mouvement des citoyens (MDC) en
Haute-Saône, et Patrick Bloche (PS, Paris). C’est
un contrat qui vise à permettre à des couples,
hétérosexuels ou homosexuels, qui ne veulent
pas ou ne peuvent pas se marier, d’organiser leur
vie commune. Deux personnes-amis, parents
éloignés – qui ont un projet de vie en commun
peuvent aussi signer un tel pacte. Toutefois le
PACS ne peut être conclu entre ascendants ni
descendants en ligne directe, ni entre beauxparents et enfants ; ni entre collatéraux jusqu’au
troisième degré (cousins, neveux, oncles). Deux
frères, deux soeurs, un frère et une soeur ne
peuvent pas signer un PACS ; en revanche, les
avantages du dispositif leur sont ouverts – à l’exception des mesures relatives au droit de succession – à condition qu’ils vivent sous le même toit.
Une idée dans l’air du temps
L’idée du PACS est née des revendications des
associations homosexuelles au début des années 90. Les militants ont alerté les pouvoirs publics sur le vide juridique qui entoure la notion
de couple homosexuel, vide qui est devenu d’autant plus préoccupant avec le développement
de l’épidémie du sida. Dans l’état actuel du droit,
le partenaire survivant d’un couple homosexuel
est considéré comme un « étranger » au regard
du droit des successions et du logement. Ainsi,
lorsque le contrat de bail est au nom de la seule
personne décédée, le partenaire survivant ne
peut pas bénéficier du transfert de bail, et doit
quitter les lieux. Les concubins hétérosexuels,
eux, bénéficient du transfert de bail à condition
de vivre ensemble depuis au moins un an. L’extension de ce droit aux couples homosexuels est
bloquée, jusqu’à présent, par la jurisprudence de
la Cour de cassation qui limite la définition du
concubinage au seul couple hétérosexuel.
Les avatars anciens du PACS
Depuis le début des années 90, les projets visant
à renforcer les droits des couples non mariés ont
défilé, mais n’ont jamais vu le jour : le contrat
d’union civile et sociale du MDC, le contrat
d’union sociale (CUS) du PS ; plus récemment, le
pacte d’intérêt commun (PIC) du professeur de
droit Jean Hauser, rédigé sous le gouvernement
Juppé. De nouvelles pistes ont été lancées avec
le retour de la gauche au pouvoir, en 1997.
La sociologue Irène Théry a proposé, schématiquement, d’étendre la notion de concubinage
– et les droits qui y sont attachés – au couple
homosexuel. Les députés du PS et du MDC ont
réactivé leurs propositions, tandis que les communistes ont déposé un texte à leur tour. C’est
la voie parlementaire que le gouvernement de
Lionel Jospin a fini par choisir, en chargeant
MM. Michel et Bloche, au printemps 1998, de
rédiger la synthèse des propositions du PS, du
MDC et du PC. Ainsi est né, pour résumer, le
pacte civil de solidarité.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
200
À mi-chemin du mariage et du
concubinage
Signé au greffe du tribunal d’instance, le PACS
confère des droits et devoirs intermédiaires
entre le concubinage et le mariage. En l’état
actuel du texte, deux personnes « pacsées » se
doivent une assistance « mutuelle » et « matérielle ». Pas de divorce, pas de pension alimentaire en cas de rupture du pacte : soit les deux
partenaires décident d’y mettre fin d’un commun accord, soit la rupture émane d’une seule
personne : celle-ci est alors liée par les devoirs
du PACS pendant un délai de trois mois, au-delà
duquel le PACS ne produit plus aucun effet. Les
partenaires doivent être « pacsés » depuis un certain temps avant de pouvoir profiter de certains
avantages du dispositif. Le législateur a voulu
favoriser les unions stables. Ainsi, l’imposition
commune s’applique automatiquement à compter du troisième anniversaire de l’enregistrement
du PACS (l’imposition commune n’a pas toujours
pour effet de diminuer le montant des impôts,
notamment lorsque le couple dispose de faibles
revenus). Deux personnes « pacsées » depuis
plus de deux ans bénéficient d’un abattement
de 300 000 francs sur les droits de succession
et de donation (contre 10 000 francs pour un
couple de concubins). Au-delà, les partenaires
acquittent des droits de mutation plus avantageux que pour les concubins. En revanche, les
avantages successoraux sont applicables sans
délai lorsque l’un des deux partenaires est at-
teint d’une maladie grave, par exemple le sida.
Comme dans le concubinage, une personne
« pacsée » profite de la couverture sociale de
son partenaire si elle se trouve à la charge permanente et effective de ce dernier, et clai sans
délai. En cas de décès, le partenaire survivant
bénéficie du transfert du bail – ou du droit de
reprise du logement si le partenaire décédé en
était le propriétaire – sans délai (à la différence
des concubins qui sont soumis, eux, à un délai
de un an de vie commune).
Par ailleurs, la signature d’un PACS constitue un
élément pour apprécier l’existence de liens personnels avec la France, laquelle ouvre droit au
titre de séjour.
CLARISSE FABRE
Un texte controversé
Le PACS a été adopté en première lecture
le 9 décembre, par 314 voix contre 251. Roselyne Bachelot (RPR, Maine-et-Loire) est la
seule élue de droite à avoir voté pour. Deux
mois plus tôt, le texte avait été rejeté par la
droite, plus mobilisée que la gauche dans
l’hémicycle. Traumatisée par cet échec,
celle-ci a aussitôt rédigé un deuxième texte
– c’est le « PACS 2 » – dont la discussion a repris à l’Assemblée le 3 novembre. En proposant le PACS, la gauche a voulu accorder une
reconnaissance aux couples homosexuels.
Or, l’extension aux fratries, soutenue par le
groupe socialiste, brouille le message : beaucoup de députés, à droite comme à gauche,
y voient le moyen de camoufler l’enjeu réel
du texte auprès des électeurs. Ainsi, le PACS
viserait aussi à renforcer la solidarité familiale. Or, ce discours est contradictoire avec
celui du gouvernement, qui s’est attaché, depuis le début du débat, à distinguer le PACS
de la future réforme du droit de la famille
qu’il souhaite engager. Il est d’ailleurs probable que l’article sur les fratries soit retiré
du texte en seconde lecture, à l’Assemblée,
après le passage au Sénat, au printemps
1999.
14
Proche-Orient
Visite de Bill Clinton en Palestine.
Le président américain se rend pour la première fois
à Gaza, où il est reçu officiellement par Yasser Arafat.
Devant les membres du Conseil national palesti-
nien (CNP), il affirme que les Palestiniens devraient
pouvoir « déterminer leur destinée sur leur terre ». À
cette occasion, les dirigeants palestiniens votent à
main levée l’annulation des clauses anti-israéliennes
de la charte nationale de l’OLP (Organisation de la
libération de la Palestine). Le lendemain, MM. Clinton
et Arafat rencontrent le Premier ministre israélien,
Benyamin Netanyahou, avec l’objectif de relancer les
accords de paix, notamment en ce qui concerne la
libération par Israël des prisonniers palestiniens et un
nouveau retrait des forces de l’État hébreu de Cisjordanie. Menacé par une motion de censure à la Knesset (Parlement israélien), M. Netanyahou, qui a déjà
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
201
différé les premières mesures arrêtées en novembre
à Wye Plantation, fait capoter les discussions.
15
France
Rapport sur le rôle de Paris au Rwanda.
La commission parlementaire présidée par Paul Quilès remet le résultat de son travail commencé en
mars. Il s’agissait d’analyser le rôle exact de la France
dans les événements de 1994 qui ont coûté la vie à
plus de 500 000 personnes au Rwanda, à la suite de
l’assassinat du président Juvénal Habyarimana. Si la
commission n’a pas souhaité répondre à toutes les
questions qui pouvaient se poser sur la part de responsabilité de Paris dans ces événements tragiques,
elle a néanmoins mis en lumière les « carences » et
les « erreurs » des autorités françaises à l’époque,
notamment en matière de coordination des services
concernés et de transparence des informations. Ce
rapport devrait servir de précédent et de cadre de
réflexion pour les futures interventions de la France
en Afrique.
16
Algérie
Course à la présidentielle.
Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères
pendant quatorze ans sous la présidence de Boumediene, est désigné « à l’unanimité » par le Comité central du Front de libération nationale (FLN), l’ancien
parti unique, comme candidat pour la prochaine
élection présidentielle.
France
Projet de loi sur la parité hommesfemmes.
L’Assemblée nationale vote à l’unanimité un projet de
loi constitutionnelle stipulant que « la loi détermine les
conditions dans lesquelles est organisé l’égal accès des
femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux
fonctions électives ». Ce texte devra être ensuite voté
par le Sénat puis par le Parlement réuni en congrès,
à la majorité des trois-cinquièmes. Le texte ne fait
que poser un principe : il restera ensuite à concevoir
des lois organisant concrètement cette parité dans
la vie politique (pour les candidatures aux élections,
notamment).
France
Suppression de l’avantage fiscal sur les
successions en Corse.
L’Assemblée nationale abolit un texte de 1801 qui
annulait les sanctions à rencontre des Corses pour
défaut de déclaration de succession. Ce qui équivalait dans les faits à une exonération des droits de
succession. À partir de 2000, les Corses seront, en la
matière, alignés sur le droit fiscal national. La fin de
cette anomalie s’explique par la vague de réformes
qui a suivi l’assassinat, en février, du préfet Erignac.
Algérie : perspective
présidentielle
Porté à la présidence en janvier 1994 par la
conférence nationale dite « de consensus »,
Liamine Zeroual avait recueilli la grande majorité
des suffrages lors de l’élection présidentielle de
novembre 1995 : en promettant le retour à la paix
civile, le candidat avait su toucher les coeurs. Très
vite, il est apparu que le président avait renié les
promesses du candidat. En effet, pour avoir cru
venir à bout des groupes armés islamistes par la
seule voie des armes, L. Zeroual a épuisé le capital de confiance dont il bénéficiait pour imposer
une solution politique à la crise que traverse le
pays depuis 1990.
Trois ans après son élection à la présidence de
la République, le constat était accablant, comme
en témoignent les dizaines de milliers d’Algériens victimes de l’épouvantable violence dans
laquelle baigne l’Algérie depuis l’annulation des
élections législatives de 1991, remportées par
les islamistes du FIS. Dans un pays où l’opacité
politique est de règle, l’annonce de la démission
du président Zeroual ne pouvait que surprendre
les observateurs qui, bien vite, se sont perdus en
conjectures sur les raisons de ce départ.
Abusée par les apparences – dont un président
doté par la Constitution de prérogatives extrêmement étendues n’est pas la moindre –, l’opinion publique, de ce côté-ci de la Méditerranée,
a oublié que le pouvoir en Algérie est d’abord
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
202
collégial, exercé en l’occurrence par une poignée de militaires, dont certains sont même à
la retraite. Dans cette perspective, le général Zeroual n’est – ou, plutôt, n’était – qu’une sorte de
primus inter pares. Loin de faire bloc derrière le
chef de l’État, les militaires se sont littéralement
déchirés à plusieurs reprises sur la stratégie qu’il
convenait de mettre en oeuvre pour mettre fin à
la guerre civile, entre partisans d’une approche
politique et tenants de la répression. Les massacres de 1997, au sujet desquels a été évoquée
la complicité plus ou moins active de l’armée,
ont porté la tension à son apogée au sein du
pouvoir collégial.
Une grande partie du contentieux se sera cristallisée sur la personne du général Mohamed
Betchine, défenseur d’une Algérie islamo-populiste. Ce dernier, ami intime de L. Zeroual, a vu
se dresser contre lui de nombreux responsables
militaires particulièrement agacés par son affairisme débridé. C’est ainsi que l’on a assisté, au
cours des premiers mois de l’année, à une virulente campagne de presse opposant partisans et
adversaires du général Betchine : à l’évidence,
la hiérarchie militaire éradicatrice et laïque l’a
emporté. En appelant à de nouvelles élections –
avant la fin du mois d’avril 1999 –, tout en démissionnant, Liamine Zeroual a donné l’impression
de vouloir rouvrir le jeu politique en direction
des partis, plutôt que de se soumettre à ses adversaires. Mais, comme on voit mal les militaires
se désintéresser de ce scrutin, l’hypothèse, pour
séduisante qu’elle apparaisse, ne nous semble
guère de nature à bouleverser la donne.
Quant au bilan de la présidence, on n’en retiendra, dans la colonne « actif », qu’une remise à
plat des finances. En effet, on serait bien en mal
de trouver une véritable action volontariste susceptible de relancer l’économie et d’améliorer
les conditions de vie d’une population abandonnée à elle-même, sinon aux islamistes.
Un bilan économique mitigé
La « révolution de palais », la lutte contre les
groupes islamistes et la fronde contre l’arabisation – depuis juillet 1998, l’administration, les
entreprises, les associations et les médias officiels doivent rédiger tous leurs documents en
arabe sous peine d’amendes – ont relégué au
second plan les performances de la « machine »
économique. Depuis le début de l’été, l’Algérie a
cessé d’être « sous ajustement ». Aussi le FMI a-til proposé aux autorités algériennes de conclure
un nouvel accord. Mais ces dernières ont refusé,
préférant donc se priver de crédits bon marché,
afin de retrouver une totale indépendance en
matière de politique économique. Il est vrai que
le pouvoir ne manque pas d’arguments pour
défendre ce choix. En quasi-faillite en 1994, le
pays va mieux. Ainsi, selon le FMI, « les autorités
algériennes ont réalisé des progrès remarquables
en restaurant les équilibres économiques dans
des circonstances très difficiles ». Mais, à l’aulne
de leur coût social, ces résultats ne sont guère
significatifs. Le tiers de la population active est
au chômage et le niveau de vie (exprimé en
dollars) a baissé de plus de 60 % depuis 1990.
Plus largement, le satisfecit du FMI paraît décalé
par rapport à la réalité, tant la structure même
de l’économie algérienne reste ce qu’elle était.
Ainsi, de l’appareil industriel, qui, en dépit des
milliards de dollars drainés par l’Algérie au cours
de ces dernières années, est toujours dominé,
d’un côté, par un secteur public hypertrophié,
de l’autre, par celui des hydrocarbures. Du premier, on retiendra qu’il est entré, en 1998, dans
sa sixième année consécutive de récession ; en
revanche, du second, grand pourvoyeur de devises, on rappellera, comme une évidence, que
ses performances sont indexées sur les fluctuations des cours. Si les cours élevés du pétrole
en 1996-1997 avaient facilité le rétablissement
financier de l’Algérie, leur effondrement en
1998 est apparu de nature à remettre en question les progrès réalisés et les autorités ont dû
réviser à la baisse leurs prévisions budgétaires,
les recettes escomptées des exportations étant
moindres que prévu. De plus, la baisse du brut
aura également eu une autre conséquence négative en interrompant la croissance des réserves
de change. Néanmoins, le FMI estimait que le
niveau des réserves était encore suffisamment
élevé pour rassurer les créanciers étrangers de
l’Algérie, un pays dont on sait, par ailleurs, qu’il
est lourdement endetté à l’extérieur. À bien des
égards, la question de confiance – c’est-à-dire
l’appréciation du facteur risque – est cruciale,
car l’Algérie va devoir mobiliser sur le marché
international entre 2 et 3 milliards de dollars
supplémentaires par an au cours des prochaines
années pour financer son développement et...
faire face au remboursement de ses dettes.
ALAIN POLAK
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
203
Un nouveau Premier ministre
Succédant en décembre à Ahmed Ouyahia
au poste de Premier ministre, Smaïl Hamdani
devra assurer l’organisation de l’élection présidentielle anticipée prévue en avril 1999. Il
lui faudra également préparer une échéance
importante pour l’Algérie : le sommet de l’Organisation de l’unité africaine de juin 1999. Il
reste à savoir si le nouveau gouvernement
aura le temps de s’attaquer aux deux préoccupations essentielles des Algériens, c’est-à-dire
le retour à la paix civile, d’une part, et les
problèmes de survie quotidienne, de l’autre.
La question demeurait sans réponse, car cet
ancien ambassadeur, ex-conseiller de H. Boumediene et sénateur nommé sur le quota du
chef de l’État, a hérité d’une situation économique, sociale et sécuritaire qui rend tout pronostic pour le moins incertain.
17
États-Unis/Irak
Bombardement américain en
représailles contre Saddam Hussein.
Des centaines de missiles de croisière sont lancés sur
l’Irak après que Richard Butler, le chef de la commission spéciale des Nations unies chargée du désarmement irakien (UNSCOM), s’est plaint que Bagdad
« n’a pas fourni la pleine coopération promise le 14 novembre ». Les autorités américaines ont pris la décision de lancer cette opération, baptisée « Renard du
désert », sans solliciter l’accord du Conseil de sécurité
de l’ONU, ce dont Kofi Annan, le secrétaire général
des Nations, se plaint amèrement. La Chine et la Russie condamnent l’initiative de Washington, tandis
que Paris « déplore » la situation, tout en reprochant à
l’Irak d’avoir cherché l’affrontement. Moscou critique
tout spécialement l’attitude de M. Butler, qui aurait
monté en épingle quelques escarmouches avec les
autorités irakiennes à seule fin de justifier la réaction
de Washington. Seule, la Grande-Bretagne, comme
à son habitude, approuve sans réserve l’initiative
américaine, à laquelle elle participe militairement.
Beaucoup estiment que le président américain a été
influencé dans sa décision par sa propre situation,
alors que la Chambre des représentants doit statuer
sur son cas dans le cadre de l’affaire Lewinsky et voter
sa mise en accusation. Les bombardements cessent
le 20 au petit matin. Sur le terrain, les communiqués
irakiens t’ont état de 73 victimes, toutes civiles, et de
nombreux blessés. Quant aux destructions de sites
militaires, il est difficile de faire un bilan exact. En tout
état de cause, le raid américano-britannique n’a pas
ébranlé le pouvoir de Saddam Hussein, par contre,
il a considérablement terni l’image des États-Unis
dans le monde arabe. Des drapeaux américains, qui,
quelques jours auparavant, avaient été distribués
par les autorités palestinienne à la population pour
saluer la visite de M. Clinton, sont brûlés par la même
population, indignée par le raid contre l’Irak.
Grande-Bretagne
Le jugement des Lords concernant
Augusto Pinochet cassé en appel.
La Chambre des lords casse le jugement de sa commission juridique qui, en novembre, avait rejeté l’immunité diplomatique de l’ex-dictateur chilien. Cette
décision est motivée par le fait qu’un des membres
de la commission juridique était, depuis de longues
années, un sympathisant actif d’Amnesty International. La commission devra se prononcer à nouveau en
janvier.
Indonésie
Nouvelle manifestation contre le
président Habibie.
Plus de 60 personnes sont blessées lors d’affrontements entre la police et les étudiants, qui réclament
une accélération de la démocratisation du pays après
le départ du présidant Suharto.
France
Candidature de Paris pour
les JO de 2008.
Jean Tiberi, le maire de la capitale, lance la campagne
de candidature de Paris pour des jeux Olympiques
d’été, qu’elle a déjà organisés en 1900 et 1924. Pékin,
qui est également candidate, constitue la rivale la
plus sérieuse pour Paris.
18
France
Annulation des élections territoriales
en Corse
Le Conseil d’État annule les scrutins du 15 et du
22 mars sur l’île de Beauté, constatant que « les sufdownloadModeText.vue.download 205 sur 417
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
204
frages irréguliers [...] ne sont pas restés sans influence sur
le résultat des deux tours de l’élection ».
France
Le projet de loi sur la Sécurité sociale
partiellement annulé par le Conseil
constitutionnel.
Saisis par les parlementaires de l’opposition, les neuf
juges du Palais-Royal annulent le dispositif de maîtrise collective des dépenses de santé et de mise à
l’amende des médecins en cas de dépassement
des objectifs de dépense. Selon ce mécanisme, les
caisses d’assurance-maladie pouvaient, deux fois par
an, faire des propositions au gouvernement en cas
de dérapage des dépenses par rapport aux objectifs fixés par la loi. Si ces correctifs s’avéraient insuffisants, l’ensemble des médecins étaient alors mis à
l’amende et devaient payer chacun un prélèvement
individuel calculé sur leurs revenus individuels. Le
Conseil a estimé que ces mesures allaient à rencontre
du principe d’égalité « en ne prenant pas en compte
le comportement individuel des médecins en matière
d’honoraires et de prescriptions ».
19
États-Unis
Procédure de destitution engagée
contre Bill Clinton.
Par 228 voix (dont 5 démocrates) contre 206 (dont
5 républicains et 1 indépendant), la Chambre des
représentants vote la procédure d’impeachment
contre le président américain accusé d’avoir « atteint
à l’intégrité de sa charge, déshonoré la présidence, trahi
la confiance dans son poste et subverti l’État de droit et
la justice », pour avoir cherché à cacher la vérité sur
sa liaison avec la jeune stagiaire à la Maison-Blanche,
Monica Lewinsky. B. Clinton est, après Andrew Johnson en 1868, le deuxième président de l’histoire à
devoir affronter cette procédure (en 1974, Richard
Nixon avait démissionné avant que n’intervienne le
vote des représentants). Sans justifier pour autant
le comportement du président, plusieurs élus démocrates dénoncent le puritanisme ambiant et le
« maccarthysme sexuel » qui régnent à Washington,
alors que de nombreux parlementaires se voient
poursuivis dans la presse par des révélations sur leur
vie sexuelle. Bob Livingstone, le président républicain
de la Chambre des représentants, annonce ainsi qu’il
démissionnera prochainement de son poste, après
que les médias ont révélé qu’il avait eu des liaisons
adultères. Bill Clinton déclare qu’il n’a nullement
l’intention de démissionner. En tout état de cause,
il n’y sera probablement pas contraint : la démission
du président n’est obligatoire qu’après un vote à la
majorité des deux tiers au Sénat ; or, les républicains
n’y disposent que de 55 sièges, alors qu’il en faudrait
67. Les sondages indiquent que 66 % des Américains
souhaitent que M. Clinton reste à son poste.
21
Chine
Lourdes condamnations de dissidents.
Xu Wendli, vétéran de la dissidence, ayant déjà passé
treize ans en prison, est à nouveau condamné à treize
ans d’emprisonnement par un tribunal de Pékin pour
« tentative de subversion ». Depuis plusieurs mois, il
tentait de faire enregistrer officiellement le Parti démocratique chinois (PDC). Seuls son épouse et son
avocat commis d’office ont pu assister aux délibérations. Quatre jours auparavant, Wang Youcai, fondateur du PDC, avait été condamné à onze ans par un
tribunal de province. Ces condamnations marquent
le durcissement du régime qui refuse toute création
de syndicat ou de parti politique libres. Le 17, le président Jiang Zemin avait déclaré qu’il était déterminé à
« tuer dans l’oeuf tout facteur de déstabilisation politique
et sociale » du pays. Le 22, une troisième figure de la
mouvance démocrate, Qin Yongmin, est condamné
à son tour à douze ans de prison.
Football
Zinedine Zidane, Ballon d’or 1998.
Le joueur de la Juventus de Turin, originaire des quartiers nord de Marseille, est, après Raymond Kopa,
Michel Platini et Jean-Pierre Papin, le quatrième
joueur français à être ainsi désigné comme le meilleur joueur de l’année par l’hebdomadaire France
Football. Les deux buts qu’il a marqués, le 12 juillet,
en finale de la Coupe du monde contre le Brésil, ont
largement influencé son choix comme titulaire de
cette importante distinction.
France
Accord entre Claude Allègre et le SNES.
Le ministre de l’Éducation nationale et Monique
Vuillat, secrétaire générale du principal syndicat de
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
205
l’enseignement secondaire, s’entendent sur un programme de réforme des lycées : allégement des
programmes (surtout en matière scientifique) et des
horaires (ramenés à 26 heures hebdomadaires, plus
deux ou trois heures pour les options), promotion
des travaux personnels encadrés (TPE, pratiqués en
petits groupes sur des thèmes interdisciplinaires sous
la responsabilité d’un enseignant tuteur), baisse des
effectifs par classe (ramenés à 35 élèves en première
et terminale, et 30 en seconde). Les autres syndicats
craignent que la volonté de réforme du ministre ait
été sérieusement édulcorée sous la pression du Parti
socialiste, qui redoutait une rupture politique entre
lui et les enseignants, une de ses principales bases
électorales.
Israël
Élections générales anticipées.
Par 81 voix sur 120, la Knesset (Parlement) a voté son
auto-dissolution et l’organisation d’un nouveau scrutin législatif, auquel s’ajoutera l’élection du Premier
ministre, d’ici au printemps 1999. Ce vote constitue
un désaveu pour le Premier ministre Benyamin Netanyahou, à qui il était reproché de mener un double
discours, promettant une poursuite du processus de
paix avec les Palestiniens, tout en prenant des mesures propres à bloquer ce même processus, comme
dans les accords de Wye Plantation. Le Premier
ministre a été lâché par les partis les plus à droite
de sa coalition sans que la gauche ne vienne à son
secours en acceptant de participer à un gouvernement d’union nationale. L’opposition travailliste sera
menée par son leader Ehoud Barak, mais l’on parle de
plus en plus d’une candidature centriste du général
Amnon Lipkin-Shahak, ancien chef d’état-major et
extrêmement populaire dans l’opinion.
23
Belgique
Condamnations pour corruption.
L’industriel français Serge Dassault et plusieurs hautes
personnalités socialistes belges, dont Willy Claes,
ancien secrétaire général de l’OTAN, et Guy Spitaels,
ancien président du Parti socialiste belge francophone, sont condamnés à de lourdes peines de prison avec sursis dans le cadre de l’affaire Augusta-Dassault. Celle-ci concernait des marchés d’équipement
de l’aviation militaire belge à la fin des années 80 et
s’était soldée, en juillet 1991, par l’assassinat à Liège
d’un dirigeant socialiste. Les magistrats ont refusé de
prendre en compte les besoins de Financement des
partis belges et ont condamné en outre les partis
socialistes flamand et francophone à rétrocéder la
somme de 24 millions de francs aux services sociaux
de la ville de Bruxelles.
Espace
Accord européen sur les satellites.
Le français Lagardère, le britannique GEC, l’allemand
DASA et l’italien Alenia fusionnent leurs activités spatiales. Avec un chiffre d’affaires de 3 milliards de dollars (dont 2,3 dans les satellites), le futur groupe, qui
sera dirigé par le Français Armand Carlier, se situera
au troisième rang mondial de l’industrie des satellites
(télécommunications civiles et militaires, observation
de la Terre), derrière les américains Lockheed-Martin
et Raytheon-Martin.
France
Exclusions au Front national.
Bruno Mégret et ses principaux lieutenants (JeanYves Le Gallou, Daniel Simonpieri, Franck Timmermans, Philippe Olivier, Serge Martinez et Pierre Vial)
sont exclus du Front national par le bureau exécutif
du parti d’extrême droite. La scission du FN est désormais inévitable, et les deux camps adverses annoncent qu’ils présenteront chacun une liste aux élections européennes de 1999. Des premiers sondages
indiquent que la liste Le Pen serait créditée de 10 %
des voix contre 4 % à la liste Mégret.
France
Clôture de l’instruction sur
l’affaire Roland Dumas.
Les juges d’instruction Eva Joly et Laurence Vichnievsky décident de clore leur enquête dans l’affaire
Dumas. La mise en cause de l’ancien ministre des
Affaires étrangères est principalement liée aux circonstances dans lesquelles son ancienne maîtresse,
Christine Deviers-Joncour, a été salariée par Elf Aquitaine et a reçu, à ce titre, des commissions s’élevant
au total à 59 millions de francs. Celle-ci n’occupant
aucune fonction précise au sein de l’entreprise pétrolière, les juges soupçonnent qu’elle aurait été embauchée en raison de ses liens avec M. Dumas. L’ancien
directeur des affaires générales d’Elf, Alfred Sirven,
étant en fuite, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, personne ne peut confirmer les soupçons
de deux juges d’instruction. Alors que M. Dumas a
été mis en examen pour complicité et recel d’abus
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
206
de biens sociaux, son avocat estime que les accusations prononcées contre lui sont dénuées de « tout
fondement sérieux ».
Grande-Bretagne
Première crise politique au sein du
gouvernement.
Tony Blair doit se séparer de son plus proche conseiller, Peter Mandelson, ministre du Commerce, ainsi
que de Geoffrey Robinson, trésorier-payeur au ministère des Finances. Il est reproché à M. Mandelson
d’avoir caché le fait qu’il avait reçu, en 1996, un prêt
très avantageux de M. Robinson, richissime homme
d’affaires, pour l’achat de sa résidence londonienne.
Cette affaire tombe mal pour le Parti travailliste, qui
avait axé sa campagne de 1997 sur la moralisation de
la vie politique.
24
Yougoslavie
Flambée de violence ou Kosovo.
Deux mois et demi après la signature d’un accord
entre le président yougoslave Slobodan Milosevic et
l’émissaire américain Richard Holbrooke sur la cessation des hostilités au Kosovo, de graves incidents
opposent les forces armées serbes aux militants nationalistes de l’Armée de libération du Kosovo (UCK).
Plusieurs dizaines de sécessionnistes sont tués et des
milliers de Serbes comme d’Albanais fuient la zone
des combats, au nord-est de la région. L’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)
stigmatise les « actes terroristes » des rebelles albanais
comme la « répression » , jugée disproportionnée, de
la police serbe. Cette reprise des violences intervient
alors que s’opère le déploiement des 2 000 observateurs désarmés de l’OSCE, chargés de veiller à la mise
en application de la trêve au Kosovo. Leur mission est
ainsi remise en cause par la reprise des violences.
25
Cambodge
Ralliement des derniers chefs khmers
rouges.
Les deux derniers chefs historiques du mouvement
révolutionnaire qui a pris le pouvoir entre 1975 et
1979, provoquant la mort de près de deux millions
de personnes, Khieu Samphan et Nuon Chea, se
rallient officiellement au gouvernement du Premier
ministre Hun Sen. Les égards que celui-ci, lui-même
ancien compagnon de route des Khmers rouges,
ménage aux deux leaders déchus choque l’opinion
nationale et internationale. Face à la presse, Nuon
Chea déclare ainsi : « Nous sommes très désolés non
seule ment pour les vies humaines, mais aussi pour les
vies d’animaux perdues pendant la guerre. » En traitement à Pékin, l’ancien monarque Norodom Sihanouk
exclut de donner sa grâce « aux grands criminels
khmers rouges ». Il ajoute qu’« un tribunal international a parfaite ment le droit de se saisir de cette affaire
de génocide au Cambodge, puisqu’il s’agit de crimes
contre l’humanité ». Les autorités américaines font
savoir qu’elles souhaitent également qu’un tel procès
puisse se tenir.
Vatican
Jean-Paul II contre la peine de mort.
Dans son message de Noël, le pape s’engage plus
explicitement que jamais contre la peine de mort,
allant jusqu’à souhaiter que celle-ci soit « bannie ».
L’engagement du souverain pontife sur ce thème
est quelque peu en contradiction avec la position de
l’Église catholique. Celle-ci, dans son catéchisme universel de 1992, estimait que la peine capitale était « légitime » et que les pouvoirs publics pouvaient exercer
la justice « sans exclure, dans les cas d’une extrême gravite, la peine de mort ». En octobre, dans une nouvelle
version du catéchisme, l’Église écrit alors que « si des
moyens non sanglants suffisent à défendre et a protéger
la sécurité des personnes, l’autorité publique s’en tiendra
à ces moyens ». Jean-Paul II confirme ainsi sa conviction abolitionniste à quelques jours de son voyage
aux États-Unis, où pas moins de 3 517 condamnés
attendent l’exécution de leur peine dans les « couloirs de la mort ».
27
Voile
Drame sur la course Sydney-Hobart.
La 54e édition de la classique australienne est endeuillée par plusieurs naufrages, ayant causé la mort
de quatre marins et la disparition de deux autres. Sur
115 bateaux engagés, plus de 70 ont dû abandonner
la course du fait d’avaries ou par crainte d’affronter
une mer déchaînée, avec des vague 5 de plus de 10
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
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mètres et des vents soufflant à plus de 120 km/h. Une
polémique naît alors sur la responsabilité des organisateurs de la course : ceux-ci se retranchent derrière
les règles de la course nautique selon lesquelles c’est
aux skippers, et à eux seuls, de juger si leurs bateaux
sont à même d’affronter la mer. D’autres font remarquer que la course rapporte plus de 30 millions de
francs à l’île de Tasmanie et que des considérations financières ont pu primer sur les nécessités de la sécurité. Les autorités australiennes envisagent à l’avenir
de faire passer des tests de fiabilité aux navires engagés dans la course. Cette édition de la Sydney-Hobart
est la plus meurtrière depuis la course du Fasnet, au
large des côtes britanniques, qui, en août 1979, avait
causé la mort de 19 personnes.
28
Irak
Nouveaux incidents aériens.
Deux jours après que des incidents ont opposé des
Tornado britanniques à une batterie irakienne dans
le sud du pays, des F-16 américains sont à leur tour
accrochés. La veille, le vice-président irakien Taha
Yassine Ramadan avait déclaré que son pays ne
reconnaissait plus les zones d’exclusion aériennes
imposées par les Occidentaux à la suite de la guerre
du Golfe en 1991. En décembre 1996, les Français
s’étaient retirés du dispositif, estimant que son efficacité était loin d’avoir fait ses preuves. Alors que
l’opération « Renard du désert » se solde par un
échec relatif et que le Conseil de sécurité de l’ONU se
divise sur la question irakienne, Bagdad tente ainsi de
mettre en avant tous les thèmes qui peuvent diviser
les grandes puissances.
Israël
Dissensions au sein du camp
conservateur.
Benny Begin, fils de l’ancien Premier ministre et
fondateur du Likoud Menahem Begin, déclare qu’il
quitte le parti dirigé par Benyamin Netanyahou et
qu’il se présentera contre lui lors des élections anticipées du printemps 1999. Il qualifie M. Netanyahou
de « girouette » et estime que le Premier ministre en
exercice se plie aux désirs de Yasser Arafat, à l’instar
du Parti travailliste ou du nouveau parti du Centre.
Bien que son discours soit en phase avec celui de
l’extrême droite religieuse, et notamment du Parti
national religieux (PNR), M. Begin semble assez isolé,
car la droite israélienne, bien que très critique vis-àvis do M. Netanyahou, estime que sa candidature
risque d’affaiblir le camp conservateur.
Turquie
Nouveau Premier ministre désigné.
Un mois après la chute du gouvernement de Mesut
Yilmaz, et après l’échec de la tentative de formation
d’un nouveau gouvernement par Bülent Ecevit, le
vétéran de la gauche nationaliste, le président Suleyman Demirel charge Yalim Erez de constituer à son
tour une équipe gouvernementale pour gérer les
affaires du pays d’ici aux élections anticipées d’avril
1999. Homme d’affaires de cinquante-quatre ans,
M. Erez est entré en politique par le parti de la Juste
Voie (DYP) de Tansu Ciller, la rivale conservatrice de
M. Yilmaz ; il a ensuite collaboré au gouvernement
islamiste de Necmettin Erbakan avant de se rapprocher de M. Yilmaz au gouvernement duquel il a
également participé. M. Erez fait état du soutien de
l’armée à sa candidature, comme de celui des partis
conservateurs, du Parti démocratique de gauche de
M. Ecevit et du parti de la Vertu (islamiste).
31
Union européenne
Préparation de la naissance de l’euro.
Les ministres des Finances des onze pays de l’euroland fixent à Bruxelles les parités fixes et définitives
des monnaies nationales en euro jusqu’à leur disparition le 1er janvier 2002. Le taux de conversion du
franc est fixé à 6,559 57 pour un euro (le SMIC net
mensuel s’élèvera ainsi à 821 euros et la baguette
à 0,64 euro). Lors de la présentation de ses voeux
aux Français, le président Jacques Chirac déclare :
« La création de l’euro ouvre une ère nouvelle. L’euro va
changer l’Europe et d’abord les mentalités. Pour nous
Français, c’est une chance. L’euro nous apportera plus
de force face aux grands pôles économiques et politiques qui se développent sur la planète. » Au siège de
toutes les grandes banques, des centaines d’informaticiens travaillent d’arrache-pied pour convertir tous
les comptes en euros. Seule note discordante dans
l’euphorie accompagnant la naissance de la devise
européenne : la déclaration au Monde de Wim Duisenberg, le président de la Banque centrale européenne, selon laquelle il entend mener son mandat
de huit ans jusqu’à son terme et non démissionner
au bout de quatre ans pour laisser la place à son
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
208
collègue français, Jean-Claude Trichet. Les grandes
dates de l’unification monétaire européenne sont :
le 13 mars 1979 (création du système monétaire
européen, qui limite les fluctuations des monnaies
entre elles), le 10 décembre 1991 (signature du traité
de Maastricht prévoyant la création d’une monnaie
européenne unique d’ici à 1999) et le 14 décembre
1996 (signature d’un pacte de stabilité encadrant les
budgets des onze États membres de la zone euro).
L’année des bonnes
nouvelles
1998 restera pour la France et pour les Français
une année exceptionnelle. Pour la première
fois depuis longtemps (sans doute le milieu des
années 70), les bonnes nouvelles l’ont en effet
largement emporté sur les mauvaises. La reprise
économique, la baisse du chômage, la fin de la
crise immobilière et la confiance partiellement
retrouvée dans un gouvernement de cohabitation,
« qui travaille », ont provoqué une amélioration
du climat social. Mais c’est la victoire en Coupe
du monde de football qui a été l’élément moteur
d’un retournement de l’opinion. Même si elle
n’est pas à l’abri de nouveaux accès de colère ou
de mélancolie, la société française a sans doute
entamé une phase nouvelle de son histoire.
La première bonne nouvelle fut celle de la
confirmation de la reprise économique, si
longtemps attendue et retardée. Les signes
en étaient déjà visibles depuis environ un an
pour les professionnels et ceux qui sont initiés
aux subtilités du monde économique. Mais ils
n’avaient pas encore été décryptés et relayés par
les médias, ni donc perçus par l’opinion. Comme
les mauvaises, les bonnes nouvelles n’arrivent jamais seules. La reprise confirmait une décrue du
chômage, condition nécessaire d’un retour de la
confiance et de la fin du misérabilisme national.
Une amélioration modeste, certes, mais suffisamment continue pour indiquer un véritable
retournement de tendance. Outre son incidence
directe sur l’état d’esprit des chômeurs et de
leurs familles, elle montrait aux Français qu’il n’y
a pas de fatalité du malheur et que les tunnels,
aussi longs et sombres soient-ils, ont une fin. De
son côté, la crise immobilière parisienne paraissait enfin jugulée après huit ans de baisse ininterrompue des prix. La réhabilitation de la pierre
coïncidait avec celle des autres « valeurs sûres ».
Au pessimisme chronique de ces années de
crise économique, sociale et culturelle succédait donc une espérance nouvelle, celle de voir
enfin s’inverser les courbes maléfiques, les dé-
rives inquiétantes. Mais cette perspective restait
encore incertaine. Fascinés par la météorologie,
les Français craignaient une nouvelle déception ;
ils savent qu’« une hirondelle ne fait pas le printemps ». L’expérience des années de crise leur
a aussi appris qu’« il ne faut pas vendre la peau
de l’ours avant de l’avoir tué ». En juin, les baromètres du « moral » de la population n’enregistraient donc encore qu’un timide réchauffement
conjoncturel.
L’effet « foot »
Il fallait un autre signe fort pour que le frémissement se transforme en véritable mouvement. Il
se produisit en juillet, avec la Coupe du monde
de football. L’événement était aussi attendu
que redouté. En tant que pays hôte, la France
se trouvait placée sous les feux des projecteurs
planétaires. Les craintes étaient justifiées par le
manque de passion qui avait précédé l’événement, avec son cortège de critiques habituelles :
les stades coûtaient trop cher ; le budget ne serait pas équilibré ; le sélectionneur était incompétent ; les joueurs n’étaient pas assez bons ni
suffisamment motivés... Le doute s’accrut dès
les premiers jours avec la grève des pilotes d’Air
France, le raté du défilé des « Géants » et l’escroquerie concernant des billets destinés à certains
pays. On pouvait donc s’attendre au pire et les
journaux étrangers, toujours prêts à fustiger
l’arrogance et la désorganisation hexagonales,
trouvaient matière à alimenter leurs chroniques.
Et puis le miracle se produisit. L’organisation se
montrait à la hauteur et, surtout, les Bleus réalisaient un parcours sans faute et sans précédent. Ils accédaient à la finale tant rêvée contre
le Brésil qu’ils remportaient sur un score sans
appel. Aimé jacquet, tant critiqué, offrait ainsi à
la France son plus beau cadeau. Il devenait un
héros national, incarnation de valeurs oubliées :
travail, abnégation, autorité, courage, esprit
d’équipe, modestie, réalisme. Le résultat était à
la hauteur de l’événement, avec une liesse populaire inconnue depuis cinquante ans. La Coupe
du monde aura été fabuleuse dans tous les sens
du terme. Elle comporte notamment plusieurs
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CHRONOLOGIES ET ANALYSES
209
morales : seul le travail permet les grandes réussites ; les différences individuelles peuvent être
à l’origine des grands exploits ; les valeurs de la
France profonde et provinciale sont plus efficaces que les certitudes parisiennes...
L’Allemand Sieburg écrivait au début du siècle
que « Dieu habite en France ». Sans doute Dieu
n’y avait-il plus depuis quelques années sa résidence principale. Il semble en tout cas l’avoir
retrouvée en cette année 1998. Mais Il n’est vraisemblablement pas le seul responsable de cette
embellie ; « aide-toi et le ciel t’aidera », affirme
un autre proverbe. C’est parce qu’ils l’ont compris que les joueurs de l’équipe de France ont gagné la Coupe du monde de football. Il faut maintenant espérer que la leçon ne sera pas perdue
et que les Français ne se contenteront pas de vibrer aux exploits de quelques-uns d’entre eux et
de vivre leur vie par procuration. Car le pays ne
retrouvera sa place dans la coupe du monde des
nations, celle qui se joue sans interruption sur le
plan économique, technologique, politique ou
culturel, que si chacun de ses habitants apporte
sa contribution.
Les Français savent désormais qu’ils sont capables d’accéder en finale de cette compétition, voire même de la gagner. Ils savent aussi
que chacun peut trouver sa place dans l’équipe
nationale, à condition de travailler dur et d’adhérer à un projet qui le dépasse. Pour peu, bien sûr,
qu’on lui en propose un. « Il n’est de nuit si noire
qui n’annonce une aube », écrivait Shakespeare.
Il aura fallu vingt ans pour que les Français
retrouvent un peu de lumière après la nuit qui
s’était abattue sur leur pays.
Il faut souhaiter que les mauvaises nouvelles, en
provenance d’Asie ou de l’intérieur, ne viennent
pas troubler trop tôt le mouvement en cours.
GÉRARD MERMET
Le moral au plus haut
Le baromètre de l’INSEE mesurant le moral
des ménages a atteint en juillet 1998 son
plus haut niveau depuis que l’enquête est devenue mensuelle, en 1987. Toujours négatif,
l’indicateur qui mesure la différence entre
les proportions de personnes optimistes et
pessimistes quant à l’évolution du niveau
de vie dans le pays s’établissait cette foisci à seulement – 9. Une amélioration qui
s’explique par une meilleure perception des
perspectives d’évolution. Les Français sont
plus nombreux à penser que la période est
favorable pour effectuer des achats importants (meubles, équipement électronique...),
ce qui laisse augurer une poursuite de la
croissance de la consommation en l’absence
de mauvaises nouvelles sur le plan national
ou international.
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212
Les trois visages
de 1848
En France, le cent-cinquantenaire
de la révolution de 1848, la
première révolution européenne,
n’a pas donné lieu aux fastes
qu’avait engendrés la grande
révolution de 1789. Dernière
révolte contre l’Ancien Régime
finissant, donc « antiféodale » ou
« antiaristocratique », ou bien
première révolte véritablement
ouvrière, ou prolétarienne ? On le
voit, l’importance historique de cet
événement continental méritait
mieux que les rares expositions et
livres qui ont servi à le commémorer.
Cette première révolution vraiment
européenne, car elle a touché
le Vieux Continent comme une
lame de fond, plus que 1917 ou
1968, a suscité des analyses bien
différentes, des deux côtés du Rhin
par exemple. Car, si l’on peut jeter
des regards fort différents sur ce
mouvement insurrectionnel, c’est
qu’il fut l’un des plus complexes
et les plus riches de l’histoire
contemporaine. Il toucha en effet
de nombreux pays à des moments
différents de leur maturation.
La richesse de l’expérience historique qu’a constituée 1848 a
permis aujourd’hui aux différents
pays européens de réagir comme
devant un miroir de leurs propres problèmes.
Deux exemples significatifs. La France multiraciale a préféré célébrer l’abolition de l’esclavage comme promesse d’une intégration de
tous les « damnés de la terre » venus d’ailleurs
– dont certains sont parfois français depuis
bien plus longtemps que de nombreux « Français de souche », catégorie dangereuse et
fausse nourrie par une valorisation mortifère
de racines occidentales. En Allemagne, on a
plutôt voulu célébrer un acte de révolte, une
première tentative du peuple allemand de
prendre en main son destin.
En un mot, célébrer un moment clé où le
pays est sorti de la fatalité historique, un moment pour retisser le fil rouge démocratique.
Une revendication de liberté
et d’égalité
D’une analyse rapide des événements de
1848, on peut établir, 150 ans plus tard, un
triple constat.
Premier constat, 1848 apparaît comme la
victoire définitive de l’antiesclavagisme (voir
dossier L’abolition de l’esclavage dans les colonies
françaises).
Deuxième constat, 1848, en tant que révolte
sociale, pâtit de la défaite du communisme en
1989 : le Manifeste du parti communiste n’éclaire
plus la scène politique de la moitié du monde.
Troisième constat, 1848, en tant qu’exigence
démocratique, a été relativement peu efficace.
La revendication de suffrage universel a nécessité encore un long combat avant de s’imposer,
surtout quand, sous « universel » on n’entend
pas seulement les hommes, mais qu’on inclut
les femmes.
Printemps des peuples pour les uns, apparition du spectre du communisme pour les
autres, 1848 exprime avant tout une revendication de liberté et d’égalité.
Dans tous les pays d’Europe occidentale
et centrale, de Paris à Budapest et de Naples
à Berlin, la revendication est claire : rejet des
monarchies, revendication de la liberté nationale et d’une constitution assurant les libertés
fondamentales, volonté de mettre sur pied des
républiques démocratiques. Le mouvement
naît à la fin du mois de janvier dans le royaume
des Deux-Siciles quand les Palermitains
exigent de leur souverain la promulgation
d’une constitution. La révolte déborde, début
février, des frontières du royaume méridional
pour gagner la Toscane et Turin (royaume de
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
213
Piémont-Sardaigne), puis, à la fin du mois, de
celles de l’espace italien pour gagner Paris, où,
le 22 février, l’interdiction, par le gouvernement
de Louis-Philippe Ier, d’un banquet républicain
est ressentie comme une provocation par une
partie de la population et entraîne une mobilisation sans précédent du peuple. L’échec des
mesures de répression transforme la révolte
en révolution. Le 24 février, le roi des Français
abdique. Un gouvernement provisoire comprenant républicains et monarchistes dissout les chambres et convoque de nouvelles
élections. Puis la flamme de la subversion se
dirige vers l’est. Début mars, en Suisse, les républicains de Neuchâtel brisent les liens avec
la Prusse et proclament l’indépendance ; en
Hongrie, le patriote Lajos Kossuth mobilise le
peuple pour l’indépendance. Mi-mars, c’est
l’aire germanique qui s’enflamme : Vienne, Berlin puis Munich. Dans la dernière semaine du
mois de mars, c’est toute l’Europe qui connaît
manifestations, proclamations révolutionnaires
et changements de gouvernements. Comme
une lame de fond, les libéraux et les républicains renversent les trônes. En Angleterre, le
mouvement chartiste renaît de ses cendres
et relance une nouvelle pétition pour des
droits politiques avant d’être rapidement mis
hors jeu, et la Grande-Bretagne restera, en
définitive, à l’écart du mouvement. Le premier
coup d’arrêt à la vague révolutionnaire a lieu à
Paris à la fin de juin. Le nouveau pouvoir issu
des élections d’avril, après avoir proclamé la
république, réprime durement le mouvement
ouvrier mobilisé sur la question des Ateliers
nationaux. En décembre, la France abandonne le régime démocratique et se donne
un président de la République, Louis-Napoléon Bonaparte. Dans les autres pays, la lutte
entre, d’un côté, les forces conservatrices et,
de l’autre, les libéraux et les républicains s’articule sur la question constitutionnelle. En Allemagne, un pré-Parlement appelle à l’élection
d’une Constituante au suffrage universel. Le
Parlement élu se trouve placé devant l’antagonisme Prusse-Autriche et le refus des souverains d’abandonner leur pouvoir exécutif. À
la fin de l’année 1848, le reflux s’instaure dans
toute l’Europe, et les espoirs d’indépendances
nationales, d’unification des peuples dans un
même État, d’égalité civique entre les citoyens
s’effondrent face à la reprise en main des anciens empires qui, certes, ont souvent usé du
compromis, mais qui, désormais, reviennent
sur leurs concessions. 1849, c’est l’année de la
normalisation. Les souverains reprennent leurs
prérogatives. Mais si, pour les combattants de
la liberté, l’échec est patent (une partie de cette
génération a trouvé la mort dans des combats
sanglants, une autre a perdu ses espérances),
pour les pouvoirs, cette expérience douloureuse a engendré une réflexion. Ces derniers
ont en effet tiré deux leçons : une exigence
patriotique est née qui pourrait ressouder dynastie et peuple ; un nouvel acteur social est
de plus en plus reconnaissable et identifiable :
l’ouvrier. Aux révolutions par le bas, les grands
politiques de la seconde moitié du siècle allaient répondre par la révolution par le haut :
Cavour, dans le Piémont, reprendra le relais des
mazziniens et s’attachera les garibaldiens pour
unifier l’Italie. Bismarck, en Prusse, s’imposera
aux démocrates et républicains et aux AustroHongrois, divisés par les revendications nationales pour construire l’Allemagne.
D’où, sans conteste, un intérêt plus accentué pour 1848 dans l’opinion allemande. Le
plus important hebdomadaire allemand, Der
Spiegel, sous la signature de son directeur et
essayiste patenté Rudolf Augstein, a célébré les
aventures du Parlement de Francfort comme
« un chapitre réjouissant parmi les trop nombreux chapitres sombres » de l’histoire allemande. Il s’agissait là de retracer un événement, un espoir qui est enfin devenu réalité :
l’unification de la nation grâce à la démocratie.
Dès lors, on voit bien que 150 ans plus tard,
1848 porte en elle tout le XIXe et le XXe siècle.
Elle constitue une césure dans l’histoire européenne. Césure en creux plutôt qu’en rondebosse. En effet, les acteurs de la révolte verront
leur rôle joué par d’autres et à d’autres fins.
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C’est ainsi que les questions nationale, sociale
et politique se posent aujourd’hui dans des
termes différents mais avec la même acuité. La
question nationale, qui a poussé le Vieux Continent au bord du suicide en 1914, puis qui a été
dépassée par la construction européenne,
revient au premier plan avec la décomposition
de la Yougoslavie et la « nouvelle » question
albanaise. Le communisme autoritaire qui avait
servi d’étouffoir aux nationalismes balkaniques
n’a pas réussi à allier améliorations sociales et
progrès matériel, d’autant que son sujet historique, l’ouvrier, a disparu et que d’autres prolétaires sont à la recherche d’eux-mêmes. Quant
à la question civique, si les esclaves n’existent
plus formellement, d’autres phénomènes de
traites n’ont pas cessé de se mettre en place :
certains dont on connaît les commanditaires
(traites des femmes et des travestis, voire des
enfants dans le cadre du tourisme sexuel,
etc.), d’autres dont le grand commanditaire
est le système lui-même, Janus moderne aux
inégalités profondes mais aussi aux paillettes
fascinantes.
Le Manifeste du parti communiste
Malgré la crise mortelle qui a touché le communisme à la fin des années 1980, le seul
événement de l’année 1848 à connaître une
commémoration d’envergure mondiale a été
paradoxalement la publication du Manifeste
du parti communiste de Karl Marx et Friedrich
Engels. Ce texte, qui promettait un avenir radieux au prolétariat, a été travaillé et peaufiné
en pleine période de maturation prérévolutionnaire, en 1847, et publié en février 1848 à
Londres, quand la révolution prend son essor
à Paris. Cependant ce texte n’aura aucun effet
sur les événements. Les deux auteurs sont en
avance d’une révolution. En effet, si les prolétaires participent aux insurrections, ce n’est
ni sur leur programme ni à la tête d’organisations spécifiques. Le parti des communistes
est un mouvement, celui de l’apparition et de
l’affermissement d’un nouveau sujet historique : le prolétaire, individu conscient de porter en lui l’avenir de l’humanité. C’est ce défi
que – dix ans après l’effondrement des pays
communistes, le recentrage des partis communistes en partis socialistes voire sociauxdémocrates et, pis, après vingt ans de recomposition sociale de l’appareil productif qui a
abouti à la disparition physique de la classe
ouvrière et au développement, d’un côté, du
chômage et, de l’autre, de la tertiairisation –
des centaines de congressistes ont tenté de
rendre présent dans un colloque intitulé « Un
monde à gagner ». Réunis du 13 au 16 mai,
ces philosophes, historiens ou économistes
ont témoigné de la force d’un marxisme universitaire qui n’a plus à célébrer telle ou telle
puissance ni telle ou telle politique. Celui-ci
est toujours pour nombre d’entre eux un outil
conceptuel. Pour certains, comme l’historien
anglais Eric Hobsbawm, le Manifeste reste une
anticipation de la situation actuelle marquée
par la victoire du libéralisme, de l’individualisme, et de la mondialisation. Pour d’autres,
son actualité est toujours aussi évidente. Dans
le Monde, Daniel Bensaïd, philosophe, maître
de conférences à l’université Paris VIII, n’hésite
pas à déclarer : « À lire ces pages (celles du
Manifeste), on saisit, à l’état naissant, le vertige moderne devant l’évaporation de ce qui
était « stable et solide », devant la désacralisation des valeurs qui « partent en fumée » ;
au fil du texte prend chair la lutte des classes,
s’esquisse la dynamique de la mondialisation
marchande, s’annonce déjà l’étroitesse fatale
des nations... » Un manifeste, véritable Phénix
de la littérature politique.
SERGE COSSERON
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
215
La
commémoration
de l’édit de
Nantes
Il semble que les Français s’avèrent
plus attachés que d’autres peuples
aux commémorations. Cela
tient peut-être à deux facteurs
principaux : d’abord, leur histoire en
tant que nation apparaît plus longue
que celle d’autres pays occidentaux ;
ensuite, cette histoire a été marquée
par des conflits qui ont paru ébranler
sa cohésion sociale et même,
parfois, menacer son identité.
Le succès des commémorations de
l’édit signé à Nantes, probablement
le 30 avril 1598, par le roi Henri IV
tient à ces deux raisons. La
célébration s’insère dans une sorte
de « parcours » commémoratif où
quelques grandes dates permettent
de restituer les étapes essentielles
de l’histoire de la France dans ses
rapports avec la religion.
En 1996, la commémoration du
mille cinq centième anniversaire
du baptême de Clovis rappelle les
racines catholiques de la culture
française ; deux ans plus tard, il y a celle de l’édit
de Nantes où, sans trop faire d’anachronisme,
nous pouvons lire la première grande tentative
de dissocier la citoyenneté de l’appartenance
religieuse ; enfin, en 2005, dans un avenir qui
n’est pas si lointain, aura lieu la célébration du
centenaire de la loi de séparation des Églises et
de l’État. Mais, si l’édit de Nantes met (provisoirement) fin à la grande fracture opérée par les
guerres de Religion, sa commémoration rencontre, en 1998, celles d’autres secousses importantes qui ont mis notre pays à l’épreuve :
l’antisémitisme (centenaire du célèbre « J’accuse » d’Émile Zola) et l’esclavage (cent cinquantième anniversaire de son abolition). Ainsi
les commémorations sont l’occasion d’insister
sur l’épaisseur historique de la réalité présente
– rappel indispensable dans une société qui
privilégie le scoop et l’immédiateté – et le point
de départ de débats publics sur les valeurs sociales fondamentales. Porter un regard dynamique sur le passé permet, paradoxalement,
de se projeter dans l’avenir à construire. Les
célébrations du quatre centième anniversaire
de l’édit de Nantes ont comporté ces deux
aspects. Elles ont permis de retracer les conflits
du XVIe siècle et, plus généralement, ceux de la
préhistoire de l’établissement de la liberté religieuse en France – à ce niveau, nous avons eu
une floraison de travaux historiques de qualité
– et elles ont induit une actualisation aux problèmes de notre époque, marquée, comme
les autres siècles même si cela se manifeste de
façon différente, par la tension entre les convictions et la tolérance.
Les principales cérémonies du
quatrième centenaire
Si la date du 13 avril 1598 a longtemps été
mise en avant, c’est plutôt le 30 avril – selon
l’opinion dominante des historiens actuels –
que Henri IV a signé l’édit de Nantes. Peu importe de toute façon, car des manifestations
commémoratives ont eu lieu pendant pratiquement toute l’année 1998. Elles ont commencé à Paris, le 18 février, par une cérémonie
à l’Unesco placée sous l’égide du président de
la République, Jacques Chirac (et organisée
par la Fédération protestante de France). Elles
se sont terminées, fort logiquement, à Nantes,
le 12 décembre 1998 par un concert de clôture.
Entre-temps, de très nombreuses manifestations ont eu lieu. Parmi les plus importantes, il
faut signaler deux congrès : « Foi et tolérance »,
à Paris, au Palais des Congrès (organisé par
l’association du même nom et l’hebdomadownloadModeText.vue.download 217 sur 417
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216
daire le Christianisme) et « Religions de guerre
ou de paix », à Nantes (le quotidien la Croix et
l’hebdomadaire Réforme,) ; un grand forum
à Lyon sur « Convictions et tolérance », « L’assemblée du Désert » à Mialet, des colloques internationaux (« La tolérance », Nantes ; « L’édit
de Nantes dans son contexte européen »,
Mayence, Allemagne ; « Les relations ÉglisesÉtat », Paris). Les grands quotidiens nationaux
(le Monde, le Figaro, l’Humanité, la Croix...) ont
consacré plusieurs pages à la commémoration de l’événement. L’Éducation nationale a
diffusé un texte du professeur Jean Delumeau
(président du Comité national de commémoration de l’édit de Nantes) pour être lu et commenté auprès des élèves.
Des guerres de Religion
à l’édit de Nantes
On sait que l’édit de Nantes a permis de
mettre fin aux guerres de Religion, qui ont ravagé la France entre 1562 et 1598. Les travaux
publiés dans la dynamique de la commémoration ont rappelé que, dès le milieu du XVIe siècle,
le relatif succès de la Réforme en France (environ 10 % de la population, un quart de la noblesse) obligeait la royauté à reprendre à nouveaux frais la question religieuse. Comment
sauvegarder la paix civile dans un contexte
aussi conflictuel, à une époque où religion, politique et vie sociale se trouvaient intimement
mêlées ? Deux voies nouvelles furent tentées.
Celle de la concorde religieuse et celle de la
tolérance civile.
La recherche de la concorde religieuse signifiait l’obtention d’une unité qui ne soit pas
un retour pur et simple à l’ancienne religion,
mais provienne d’un accord entre les deux
partis théologiques. Ce fut l’objet du colloque
de Poissy (octobre 1561), où, en présence de
Charles IX et de Catherine de Médicis, des
théologiens catholiques et protestants se
confrontèrent. Mais l’on n’arriva pas à trouver
de convergence. Catherine de Médicis promulgue alors l’édit de Saint-Germain (janvier
1562), qui permet aux protestants de célébrer
leur culte en dehors des villes et constitue une
tentative de tolérance civile, mise en échec par
le massacre de protestants en train de célébrer
leur culte à Wassy en Champagne (mars 1562),
ce qui déclenche les guerres de Religion.
Catherine de Médicis, soutenue par ses
conseillers Michel de L’Hospital et Jean Bodin,
n’abandonne pas pour autant sa quête de la
tolérance civile, et d’autres édits sont promulgués. Mais les massacres de la Saint-Barthélémy (23-24 août 1572 à Paris, septembre et
octobre en province) semblent sceller l’échec
définitif d’une telle politique, et les édits ultérieurs apparaissent surtout dus à la faiblesse
du pouvoir royal. Il faut dire que les violences
déchaînées étaient à la fois politiques et religieuses. Politiques : comme dans toute guerre
civile, terroriser l’adversaire est un moyen de
l’obliger à se rendre. Religieuses : il faut distinguer là les violences protestantes et les violences catholiques qui, dans chaque cas, se
trouvent en affinité avec la religion de ceux
qui les commettent. Les violences protestantes atteignent essentiellement les signes
du sacré. Des prêtres sont tués (« michelade »
de Nîmes en 1567), des images sont brisées
dans des églises car, de ce point de vue, le
rôle médiateur du prêtre ou la vénération des
images constituent autant d’« idolâtries ». Les
violences catholiques visent, elles, à « purifier »
le royaume de la présence de l’« hérésie », qui
constitue une « souillure », et, dans cette volonté exterminatrice, on exhibe le corps vaincu
de l’hérétique mutilé et même « animalisé ».
C’est dans un tel contexte que l’édit de Nantes
prend toute sa valeur. Son contenu n’est guère
original, car il reprend souvent des dispositions
contenues dans des édits précédents. Mais
ces dispositions vont être garanties par un roi
habile, tenace et fort, et, pour l’essentiel, elles
seront respectées pendant plus d’un demisiècle. Le préambule donne la ligne directrice :
mettre un terme à la « fureur » des armes et
parvenir (dit Henri IV) « à l’établissement d’une
bonne paix et tranquille repos qui a toujours
été le but de tous nos voeux et intentions ». La
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religion catholique restait la religion officielle
du royaume et son « exercice » devait être rétabli partout où il avait été aboli. Tous les sujets
du roi devaient payer la dîme aux prêtres et
les fêtes catholiques être chômées par tous.
Ne nous trompons pas d’époque : l’édit est
promulgué près de deux siècles avant 1789 !
Cependant, la minorité protestante – réduite
à 6 % environ de la population par suite des
guerres de Religion – se voit accorder des « privilèges » – c’est-à-dire des droits particuliers –
dont ne dispose alors aucune autre minorité
religieuse de l’Europe chrétienne (comme l’ont
montré les travaux d’Olivier Christin).
Les droits donnés aux protestants peuvent
s’énoncer ainsi : une liberté de culte partielle
mais consistante, une liberté de conscience et
une égalité civile complètes. La liberté de culte
existait dans trois cas de figure : le « culte de
fief » pour les seigneurs « haut-justiciers », le
culte de « possession » là où il se célébrait déjà
en 1596 et 1597, et le culte de « concession »
dans les faubourgs de deux villes par bailliage.
Dans les villes elles-mêmes, le culte était souvent interdit et les protestants parisiens, par
exemple, finiront par aller au culte à Charenton. La liberté de conscience était assurée,
même là où le culte public n’était pas autorisé,
par une série de dispositions minutieuses. Ainsi
les protestants pouvaient fréquenter collèges,
universités, hôpitaux, établissements de charité sans atteinte à leurs croyances.
Enfin, les protestants pouvaient accéder
à tous les emplois, même aux offices royaux ;
ainsi non seulement ils n’étaient pas socialement pénalisés (contrairement à des minorités
religieuses d’autres pays, et ce parfois jusqu’au
XIXe et même au XXe siècle), mais – ce qui était
lié – cela constituait la reconnaissance explicite qu’ils étaient de bons et loyaux sujets du
roi à l’égal des catholiques. L’équité judiciaire
était, par ailleurs, assurée par la création de
« chambres mi-partie » dans plusieurs parlements. Symboliquement, ces dispositions
enlevaient de fait aux réformés le caractère
d’« hérétiques » et, quand il est question, dans
le texte, de « religion prétendue réformée », il
faut se garder d’un contresens. Le terme important n’est pas « prétendue » mais « religion ».
À l’édit proprement dit – qui sera « enregistré » avec difficulté par certains parlements –
s’ajoutent deux « brevets ». L’un accordait une
subvention royale pour les facultés de théologie et l’exercice du culte réformé, l’autre instaurait pour huit ans (le temps de vérifier que
l’édit apporte bien la pacification espérée) des
« places de sûreté » aux protestants. Ces places
de sûreté seront supprimées par l’édit d’Alès
(1629), au lendemain de la prise de la Rochelle,
qui confirmera par ailleurs toutes les clauses de
l’édit de Nantes proprement dit.
De la signification
de l’édit de Nantes
Voilà l’essentiel des faits, contestés par personne. Mais, à partir de là, l’édit de Nantes a
donné lieu à un débat historiographique. Il y
a un siècle, lors du troisième centenaire, l’historiographie républicaine insistait sur les termes
de « perpétuel et irrévocable » inscrits à la fin
du préambule. Cela conduisait à un surcroît
d’indignation contre la révocation de cet édit
par Louis XIV en 1685. Aujourd’hui, on tend à
penser qu’une telle formule signifie seulement
que l’édit ne peut être révoqué que par un
édit de même nature, enregistré par les parlements. Mais, après avoir effectué une telle
interprétation, certains historiens prennent au
pied de la lettre une autre formule du préam-
bule qui regrette que Dieu ne puisse pas être
adoré « encore en une même forme et religion » et ils s’en servent pour affirmer que l’édit
comportait « en germe » sa propre révocation.
« La révocation est une manière d’être fidèle à
l’esprit de l’édit de Nantes en mettant fin à cette
tolérance provisoire qu’il instaurait en attendant
mieux » (Th. Wanegfellen, le Figaro, 19 février
1998). D’autres spécialistes partagent ce point
de vue, en l’exprimant parfois de façon plus
modérée. Par contre, chacun à leur manière,
des historiens comme Pierre Chaunu, Jean
Delumeau et Janine Garrisson estiment que
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l’accent principal de l’édit reste la tolérance
civile. Nous sommes de cet avis et estimons
qu’en remplaçant une histoire morale par une
histoire déterministe on effectue plusieurs glissements. La tolérance civile est alors une politique si difficile à faire accepter par des mentalités hostiles qu’il est habile de la placer sous
l’égide de la concorde religieuse et peut-être
la signification du « encore » se trouve-t-elle
seulement là. Si Henri IV souhaitait réellement
aboutir à la concorde religieuse, il y a loin de
l’intention à l’action et il ne fit pas grand-chose
ensuite pour aller dans ce sens. Mais, même
dans le cas d’initiatives plus récurrentes, il
existe un abîme entre la concorde religieuse et
le processus de discriminations puis de persécutions effectué entre 1660 et 1685 pour aboutir à la fiction qu’il n’existait pratiquement plus
de protestants dans le royaume – malgré des
conversions spectaculaires comme celle de
Turenne, leur nombre resta à peu près stable
sous l’édit – et à la révocation. Curieuse historiographie que celle qui aboutit à mettre les
dragonnades dans la lignée d’un édit qui fixe
des règles de cohabitation paisible entre une
religion dominante et une minorité religieuse !
Certes, l’édit n’instaure nullement la démocratie, personne ne le suggère ; au contraire, en
arrivant à imposer cet accord, Henri IV établit
un pouvoir royal fort. Mais, ayant comme expérience fondamentale les guerres de Religion, il
le fait au profit d’un roi arbitre entre les parties
en présence, alors qu’après la Fronde et la première révolution anglaise (avec son régicide
légal) Louis XIV est obsédé par les factions.
La notion de « tolérance » est bien sûr, alors,
très différente de sa signification dominante
aujourd’hui : tolérer, c’est supporter quelque
chose que l’on considère comme un mal et
dont l’éradication entraînerait un mal plus
grand encore. Il ne s’agit pas d’une reconnaissance mutuelle de l’autre telle qu’on la prône
maintenant. Et pourtant, si on considère l’histoire de l’Europe, où la tolérance, dans son sens
ancien, s’est peu à peu instaurée dans plusieurs
pays du Nord au XVIIIe siècle, on s’aperçoit que,
à travers le franchissement de seuils culturels, il
existe une certaine continuité historique entre
les diverses acceptions du terme de tolérance.
Préambule de redit de Nantes
Henry par la grâce de Dieu, roi de France et de
Navarre. À tous présents et à venir. Salut [...]
les armes et hostilités [ayant] cessées en tout
le dedans du royaume, nous espérons [...] que,
par ce moyen, nous parviendrons à l’établissement d’une bonne paix et tranquille repos
qui a toujours été le but de tous nos voeux et
intentions [...]. Maintenant qu’il plaît à Dieu
commencer à nous faire jouir de quelque
meilleur repos, nous avons estimé ne le pouvoir mieux employer qu’à pourvoir qu’Il puisse
être adoré et prié par tous nos sujets et, s’Il ne
Lui a plu permettre que ce soit pour encore en
une même forme et religion, que ce soit au
moins d’une même intention et avec une telle
règle qu’il n’y ait point pour cela de trouble ou
de tumulte entre eux [...] Pour cette occasion,
après avoir repris les cahiers des plaintes de
nos sujets catholiques, ayant aussi permis à
nos sujets de la religion prétendue réformée
de s’assembler par députés pour dresser les
leurs [...], nous avons jugé nécessaire de donner maintenant sur le tout à tous nos sujets
une loi générale, claire, nette et absolue [pour]
qu’il se puisse dorénavant établir entre [nos
sujets] une bonne et perdurable paix [...]
Pour ces causes, ayant avec l’avis des princes
de notre sang, autres princes et officiers de la
Couronne et autres grands et notables personnages de notre Conseil d’État étant près de
nous, bien et diligemment pesé et considéré
toute cette affaire, avons, par cet édit perpétuel et irrévocable, dit, déclaré et ordonné,
disons, déclarons et ordonnons : [...]
Extrait de M. Rocard, J. Garrisson, l’Art de la
paix, l’édit de Nantes, Paris, Atlantica, 1998.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
219
De l’actualisation de l’édit de Nantes
La commémoration de l’édit de Nantes a
naturellement été l’occasion de proposer une
actualisation des significations de cet édit. Il
revenait au président de la République le soin
d’insister sur le nécessaire rassemblement de
la nation autour de l’État légitime. « La France
est forte quand elle est rassemblée, faible quand
elle est divisée et que se dilue l’idée nationale » a
déclaré Jacques Chirac, tout en rappelant que
l’oeuvre de « pacification » d’Henri IV a réussi
parce que le souverain a imposé aux parlements locaux l’enregistrement de l’édit. Autrement dit, « les règles ne sont pas les mêmes pour
toutes les régions de France, mais c’est l’État qui
les fixe et qui engage sa responsabilité [...], principe qui conserve toute son actualité ». Mais l’État
doit générer une « bonne gouvernance » qui se
fonde sur « le dialogue plus le pragmatisme » et
« l’intelligence politique plus le courage et l’audace ». La vision du président est celle d’un édit
qui marque « un premier pas vers le respect de
l’autre » et donne ainsi une indication pour la
solution de problèmes français actuels : « Entre
l’uniformité qui étouffe et le communautarisme
qui sépare, le pluralisme est notre héritage le plus
précieux ».
Beaucoup, effectivement, retiennent de
l’édit de Nantes la tentative de faire coexister
les Français à la fois dans l’unité et la pluralité. Ce qui paraît créateur de modernité, c’est
l’apprentissage qu’une unité nationale n’empêche pas la diversité de convictions, les unes
majoritaires, les autres minoritaires. Le maire
de Nantes Jean-Marc Ayrault, l’a rappelé à propos, notamment, de l’islam, affirmant qu’il faut
faire en sorte que « la présence de l’islam comme
deuxième religion de France nous enrichisse plutôt que de nous faire peur ». Ancien ministre de
l’Intérieur chargé des cultes et lui-même protestant, Pierre Joxe a aussi centré sa réflexion
sur « la question de la grande minorité musulmane » : « Il faut que nous considérions sans
culpabilité ni appréhension la cohabitation que
nous allons inventer, le compromis. » Et l’ancien
ministre d’ajouter : « Une vraie laïcité n’est pas
une neutralité aseptisée, une indifférence à l’égard
du phénomène religieux. » Après les protestants
et les juifs qui ont conquis leur intégration
« laborieusement et douloureusement », c’est
au tour de l’islam et des musulmans de sortir d’une « situation d’inégalité » sur les plans
social, culturel et religieux. C’est ce que Jean
Delumeau appelle « un nouvel édit de Nantes
avec l’islam ».
Cependant, la commémoration a été également l’occasion, pour la minorité protestante, de réfléchir à sa « vocation » dans cette
France plurielle. « Il faut rester toujours attentifs
à d’autres minorités de foi et d’expression », a déclaré le président de la Fédération protestante
de France, Jean Tartier, avant d’affirmer que
l’édit et sa révocation avaient fait des protestants « les sentinelles de la liberté de conscience
et d’une France ouverte, généreuse, jamais repliée
sur ses seuls intérêts, inventive dans ses relations
et ses solidarités ». L’adresse vaut d’ailleurs pour
tout citoyen conscient et vigilant et la réflexion
sur la tolérance s’est élargie dans la perception
d’un « vrai défi » d’aujourd’hui : « Le dialogue des
convictions entre personnes qui sentent, pensent,
réagissent et croient d’une manière différente »
(J.-P. Guetny).
Mais un tel dialogue ne peut réussir sans la
pacification sociale dont le politique est garant : l’édit de Nantes nous ramène sans cesse
à cette noblesse du politique à une époque
où il se trouve dénigré de plusieurs manières.
Pour Michel Rocard – autre homme politique
protestant –, l’édit est le rappel permanent que
le politique doit être « l’art de la paix », art qu’il
décline en quatre étapes : « vouloir la paix » ;
« briser le tabou majeur » (« un fait dominant, un
élément symbolique a priori non partageable »
autour duquel le conflit s’est organisé) ; « négocier » et enfin « équilibrer » (que l’architecture
d’ensemble respecte à la fois les « références
majeures » de chacune des parties et le « rapport de force sur la base duquel on a négocié ») ;
pour l’édit, cet équilibre est le rétablissement
partout de la religion catholique et la liberté de
conscience sans restriction des protestants).
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Cette lecture de l’édit permet d’en proposer
l’exemple à bien des conflits en cours. Nulle
lecture n’est peut-être plus actuelle.
JEAN BAUBÉROT
Bibliographie
O. Christin, les Paix de religion, Paris, Le
Seuil, 1997.
B. Cottret. 1598, l’édit de Nantes, Paris,
Perrin, 1997.
M. Grandjean et B. Roussel (éds.),
Coexister dans l’intolérance, Genève,
Labor et Fides, 1997.
Pierre Joxe (avec la collaboration de
T. Wanegfellen), l’Édit de Nantes, Paris,
Hachette Littérature, 1998.
M. Rocard, J. Garrisson, l’Art de la paix,
l’édit de Nantes, Paris, Atlantica, 1998.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
221
Mai 68, trente
ans après
Vraie-fausse révolution, Mai 68 a
trente ans, quelques rides, mais
toujours une force évocatrice et
symbolique hors du commun. La
commémoration de ce qui fut une
révolte festive, insolente et pacifique
d’une génération – celle du babyboom – en rupture avec une société
opulente, mais trop autoritaire et
centralisatrice, a donné lieu, cette
année, à une large médiatisation.
Livres, couvertures de magazines,
reportages télévisés, les événements
de Mai ont été analysés, disséqués
et commentés. Et leurs acteurs –
aujourd’hui quinquagénaires apaisés
se retrouvant pour beaucoup dans
l’action politique ou médiatique –
se sont laissé prendre au jeu du
souvenir pour tenter d’expliquer ce
que leur mouvement avait apporté à
la société française.
Certes, Mai 68, ses barricades, ses
pavés et ses slogans (« Changez la
vie », « Élections, pièges à cons »)
ont définitivement guéri une partie de la gauche de ses velléités du grand soir. Il
n’empêche, ce joli mois de mai qui a, un temps,
ébranlé le gaullisme triomphant, a profondément modifié – révolutionné ? – l’école, la
famille, les moeurs... Sans doute, ses effets sont
difficilement quantifiables et relèvent plus de
la symbolique. Mais, en politique, les symboles
valent parfois tous les programmes.
Trente ans après les événements, l’impact
de mai 68 reste très présent dans la mémoire
des Français. À en croire les sondages, ce
« printemps, chaud-chaud-chaud ! » comme
le scandaient les dizaines de milliers de jeunes
qui avaient investi la rue, serait l’un des faits les
plus marquants de l’après-guerre.
Révolution sans programme, « fête d’une
génération qui a jeté ses premiers pavés en costume-cravate et cheveux courts avant d’inventer, en un mois, le retour à la nature, les cheveux
longs, les concerts rock, la défense des parias et
la libération des moeurs » (Bernard Guetta, le
Nouvel Observateur), cette révolte étudiante a
brutalement donné un grand bol d’oxygène
et de liberté à un pays qui, comme l’écrivait
avec prémonition Hubert Beuve-Méry dans
le Monde, « s’ennuyait ». Atypique, Mai 68 mélange les genres. D’un côté, il prolonge les
mouvements révolutionnaires et lourdement
idéologiques du XIXe siècle. Les drapeaux rouge
et noir flottent sur la Sorbonne. L’Internationale
résonne dans ses couloirs et sur les barricades.
La société doit être détruite. Il faut en finir avec
le capitalisme. De l’autre, il est libertaire, démocratique et romantique. Il prône, selon le sociologue et philosophe Gilles Lipovetsky, un nouveau « libéralisme culturel ». Slogans et graffitis
l’attestent : « Prenez vos désirs pour la réalité »,
« Soyez réalistes, demandez l’impossible », « Vivez
sans temps morts »... En réalité, l’originalité de
Mai 68 est de tout contester sans rien proposer.
Les grandes dates
– 3 mai : évacuation de la Sorbonne par la
police. Première soirée d’émeute au Quartier
latin.
– 8 mai : Alain Peyrefitte, ministre de l’Éducation, refuse la réouverture de la Sorbonne.
– 10 mai : nuit des barricades. Affrontements
violents avec la police.
– 13 mai : 800 000 manifestants dans les rues
de Paris.
– 18 mai : 2 millions de grévistes paralysent le
pays.
– 22 mai : affrontements après l’interdiction
de séjour prise contre Daniel Cohn-Bendit.
– 29 mai : le général de Gaulle a disparu. Pendant quelques heures, personne ne saura où
il est.
– 30 mai : retour du général de Gaulle de Baden-Baden. Dissolution de l’Assemblée natiodownloadModeText.vue.download 223 sur 417
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nale. Un million de personnes manifestent en
sa faveur sur les Champs-Élysées.
L’internationale « jeunes »
À l’inverse de la Commune de Paris, Mai
68 n’est pas un événement franco-français. La
« fête » est internationale. De San Francisco à
Prague, de Mexico à Tokyo, de Rome à Varsovie, la contestation est générale, cette annéelà. Elle émane de la génération d’après-guerre.
Celle des Trente Glorieuses.
Une génération qui croyait à la croissance
et au progrès parce que, à l’Ouest, ils existaient.
Une jeunesse qui ne connaissait ni le chômage
ni le sida. Elle rêvait d’utopies. Et refusait, pêlemêle, l’ordre établi : la main de fer soviétique
et l’impérialisme américain. Jeunes Tchèques,
Polonais, Allemands et Italiens n’ont pas attendu que Paris se hérisse de barricades et que
la France soit paralysée par les grèves pour se
mobiliser, les uns contre le communisme, les
autres contre le capitalisme. Cette année là,
où la guerre du Viêt Nam fait rage, où le Biafra
meurt de faim et où les chars de l’Armée rouge
entre dans Prague, la jeunesse du monde est
en fureur.
En France, comme ailleurs, Mai 68 est avant
tout la révolte de la jeunesse. Non celle d’une
classe sociale, même si les étudiants donnent
le ton. Une jeunesse désenchantée par le
monde tel qu’il est : trop mercantile, trop bureaucratique, trop dénué de sens à ses yeux.
Elle : en a assez d’une société trop paternaliste
et si convenue.
Résultat : les revendications libertaires, romantiques, communautaires prennent le pas
sur les objectifs purement politiques. « Même
quand nous tenions la rue, il ne vint jamais à l’idée
d’un seul d’entre nous de marcher sur l’Assemblée
nationale ou de prendre l’Élysée », écrit Bernard
Guetta, acteur de Mai 68.
Il s’agit, pour la jeunesse, de briser le carcan
de la société. De lutter contre toutes les formes
de discrimination (entre les classes, les sexes,
les races...) et d’exercice autoritaire du pouvoir
(à l’école, dans la famille, dans l’entreprise, dans
l’État...).
C’est également un mouvement de protestation contre le puritanisme répressif de la société et contre la solitude de masse engendrée
par l’accélération de l’urbanisation.
Les grands slogans
Slogans et affiches ont exprimé plus que de
longs discours les revendications des manifestants de Mai 68. Florilège.
« Sous les pavés, la plage »
« Élections, piège à cons »
« La police à l’ORTF, c’est la police chez vous »
« Je participe, tu participes... ils profitent »
« Seule la vérité est révolutionnaire »
« CRS-SS »
« Il est interdit d’interdire »
« Soyez réalistes, demandez l’impossible »
« Jouissez sans entraves »
« Laissons la peur du rouge aux bêtes à
cornes »
« Vous avez voté ? Vivotez ! »
« Achetez plus, ils profitent plus. L’expansion,
c’est pour eux ! »
« Nous sommes le pouvoir »
« Les cadences accélèrent le chômage aussi »
« Sois jeune et tais-toi »
« Nous sommes tous indésirables »
« Nous sommes tous des Juifs allemands »
Le bilan de Mai 68
Une fois les gaz lacrymogènes dissipés et
les étudiants retournés dans leurs universités,
le général Charles de Gaulle, rentré de BadenBaden, est à l’Élysée. À l’Assemblée nationale,
après la dissolution de cette dernière, le chef
de l’État, le général de Gaulle, dispose d’une
majorité sans précédent – la « Chambre de la
peur », dit-on. La gauche, largement dominée
par le Parti communiste, n’a pas su être en
phase avec la jeunesse.
Le pouvoir tant vilipendé par les manifes-
tants est toujours là. Plus fort que jamais. Il n’a
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
223
pas été renversé, emporté par ce printemps
de folie. Mais était-ce l’objectif des exubérants
soixante-huitards ? « Ils ont seulement donné
le coup d’envoi d’une métamorphose des esprits et des comportements. Ce n’est déjà pas
si mal.
Dans ce pays qui aime tant les révolutions,
il fallait en rater une pour que tout changeât...
« Le gauchisme, si féru d’éloquence guerrière, resta
pour l’essentiel pacifique », écrit le journaliste
Laurent Joffrin (Mai 68. Une histoire du mouvement, Points Seuil, 1998).
« En 1789, les Français ont pris la Bastille : en
1968, ils ont pris la parole », affirmait, au lendemain des événements, l’historien et sociologue
Michel de Certeau. De fait, le bilan est ailleurs.
Et il est significatif.
« Au milieu des années 70, analyse Henri
Weber, ancien dirigeant gauchiste en 1968 et,
aujourd’hui, sénateur socialiste, la société française est devenue beaucoup plus libérale – au
sens politique et culturel du terme –, plus démocratique, plus hédoniste, plus solidaire, plus égalitaire qu’elle ne l’était dans les années 50 ou 60
(Que reste-t-il de Mai 68 ? Points Seuil, 1998).
Les conquêtes de Mai 68
À l’image du Front populaire, toutes proportions gardées bien sûr, Mai 68 a permis la réalisation d’un ensemble de conquêtes sociales.
Celles-ci ont modifié la condition ouvrière :
mensualisation des salaires, reconnaissance de
la section syndicale d’entreprise, augmentation de 35 % (!) du SMIG et de 10 % des salaires,
indemnisation totale du chômage, accords
contractuels sur la formation permanente.
Mai 68, c’est également le point de départ
de toute une série de conquêtes juridiques
et politiques, libéralisant les rapports entre
les sexes, les générations, les gouvernants et
les gouvernés : liberté de la contraception et
de l’avortement, autorité parentale conjointe
sur les enfants, possibilité pour les femmes
d’ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation
préalable du mari, droit à l’égalité professionnelle entre hommes et femmes. À cela, il faut
ajouter une plus grande autonomie de ce que
l’on appelait alors l’ORTF, la reconnaissance des
droits des homosexuels, la prise en compte
des cultures régionales, le droit de vote à dixhuit ans et une plus grande démocratisation
dans les universités.
« Sans doute, le recul de l’autoritarisme et de la
rigidité des moeurs était inéluctable, écrit Gilles
Lipovetsky. Mais je pense que Mai 68 a considérablement amplifié et accélère ce phénomène. Il
lui a donné une impulsion et une radicalité très
fortes. » Un jugement partagé par Laurent Joffrin : « Mai 68 a changé la France. Cette révolution
manquée a révolutionné la société. À cause de ce
singulier printemps, la vie quotidienne de 50 millions de personnes n «a plus été la même. Après
mai, les Français n’ont plus eu la même manière
dépenser, de sentir, de parler, de s’habiller, d’éduquer leurs enfants, de vivre en couple ou de passer
leurs loisirs... En mai, le pouvoir n’est pas tombé. Ce
sont les vieilles contraintes de la société patriarcale et rurale, minées par l’industrialisation rapide
du pays, étouffantes pour la jeunesse [...] qui ont
sauté d’un coup sous la poussée d’une insurrection impensable. »
Révolution d’« enfants gâtés » diront certains, Mai 68 préfigure aussi le déclin du communisme et l’avènement d’une gauche plus
gestionnaire et consensuelle.
Que reste-t-il de Mai 68 ?
« Nous sommes, titrait récemment un
magazine, les enfants de cette joie turbulente
qui a bousculé les idées plus encore que les pavés. » Peut-être. Mais trente ans après Mai 68,
la donne a changé. D’accord, bon nombre
d’acteurs des événements se retrouvent aujourd’hui à des postes clés dans le monde politico-médiatique. Ils se veulent encore les gardiens du temple de l’« esprit révolutionnaire ».
Mais quels sont les points communs entre leur
propre jeunesse et celle de 1998 ?
Mai 68 était une contre-culture festive. Un
brin insouciante. C’était une vision optimisme
du futur. La croyance dans les « lendemains qui
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chantent » et les modèles alternatifs. Un grand
rêve collectif.
Aujourd’hui, les modèles alternatifs ont
montré leur impuissance, voire leur nuisance.
Le bloc de l’Est s’est libéré avec bonheur du
carcan de l’Union soviétique. L’Union soviétique a disparu, victime consentante d’un système qui n’en pouvait plus. Dans un consensus
de bon aloi, les partis socialistes européens se
sont faits les chantres de la social-démocratie.
Le marché et ses contraintes se sont imposés
à tous. Hommes politiques de tous bords et
Guignols de l’info ne pestent-ils pas contre la
« pensée unique » et la « dictature de la World
Company », derniers avatars d’une mondialisation galopante de l’économie ?
La jeunesse de 1998
Les enfants de 1998 sont sur une autre planète. Leurs aînés, c’est-à-dire leurs parents n’ont
pas vraiment « Changé la vie ! » comme prévu.
Leurs préoccupations sont donc à l’opposé.
Hier, l’avenir était confiant. Aujourd’hui, il tétanise toute une classe d’âge : peur du chômage,
fracture sociale, menaces d’exclusion.
Et, au bout du compte, bien peu de rêve à
se mettre dans la tête. Où diable chercher une
alternative crédible et rassurante ? La jeunesse,
et même le peuple de gauche, a bien du mal à
croire en l’avènement du meilleur des mondes.
Tout juste si elle veut espérer en un monde
meilleur. Pour elle, les grandes idéologies et les
utopies sociales se lisent dans les livres d’histoire. Elles ne se vivent pas dans la rue. Aux
Trente Glorieuses ont succédé Les Trente Piteuses (d’après le titre du livre de Nicolas Baveretz, paru chez Flammarion en 1997). Les taux
de croissance des économies occidentales
ont été allégrement divisés par deux. Conséquence : l’apparition d’une société duale. La
fameuse « fracture sociale » mise en valeur par
le candidat Chirac lors de sa campagne présidentielle, en 1995.
1968-1998, le rapport de forces a considérablement évolué. Il y a trente ans, ce rapport
était favorable aux salariés. Le plein-emploi leur
donnait des capacités de négociation importantes. Par ailleurs, la « menace soviétique »
incitait plus ou moins les classes dirigeantes à
la compréhension dans le domaine social.
Cet équilibre s’est rompu à la fin des années
70 et au cours des années 80 avec la mondialisation des techniques et la montée du chômage. Comme Henri Weber le souligne : « Le
rapport de forces a évolué en faveur des détenteurs du pouvoir économique privé et au détriment des salariés et des États-nations. »
Cette évolution a contribué à remettre en
cause les acquis de Mai 68. Les impératifs de
performance les ont considérés comme des
handicaps. Un frein à la nouvelle logique de la
mondialisation.
Un bilan mitigé
Sans doute la France de 1998 ne peut-elle
que se reporter avec envie à cette époque
déjà lointaine où les problèmes de survie économique n’existaient pas vraiment et où un
vent de liberté pouvait balayer tout un pays.
Aujourd’hui, l’emploi est rare.
Trop précaire pour se lancer dans de vastes
mouvements de contestation. La grève « par
procuration » est devenue la règle : on ne maudit pas les grévistes de la SNCF qui, pourtant,
provoquent la gêne pour des millions de salariés. Leur mouvement, selon les sondages, est
populaire. Ils sont les porte-drapeaux d’une
contestation que, crise oblige, personne n’ose
plus exprimer. SDF, sans-papiers, exclusion, ces
questions-là ne se posaient guère alors. Depuis
1968, ils sont devenues lancinantes. Certes les
événements de « Mai » ont formidablement
préservé et renforcé les valeurs démocratiques
et de liberté. Pourtant, trente ans après, alors
que la génération de 1968 est aux affaires, le
bilan reste difficile à dresser.
Ces soixante-huitards qui déambulent
aujourd’hui dans les palais de la République
et font l’opinion par médias interposés ontils encore l’envie d’imposer leur idéal ? Ou se
contentent-ils de profiter d’un modèle que,
hier, ils combattaient ? « On pourra regretter
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225
que l’exaltation de la brèche historique ouverte
en Mai retombe dans un tel prosaïsme démocratique et petit-bourgeois... », constate Laurent
Joffrin. Avant de conclure : « Mais on devra aussi
prendre en compte que, si la vraie raison de tout
cela était un saut brutal mais salutaire vers plus
de démocratie, le combat valait bien, aussi, la
peine d’être livré. »
Trente ans après – une génération – Mai
68 n’est pas encore devenu totalement un
objet d’études pour les historiens. Les acteurs
sont toujours en place. L’évocation de ces
événements ne fait pas encore passer leurs
« conteurs » pour des anciens combattants.
À l’époque de la liberté sur Internet, l’actualité
de ce fameux printemps reste forte. Son esprit
demeure au sein de mouvements sociaux, associations, syndicats et partis de gauche. Pour
eux, le combat continue. Sur de nouveaux terrains : le chômage, les sans-papiers, l’exclusion...
En 1998, frustrations et désenchantements
sont là. Et, avec eux, une expression menaçante qui n’existait pas il y a trente ans : celle
du national-populisme. L’« esprit » de Mai 68
peut être une réponse à cette menace. N’étaitil pas caractérisé, tout le monde s’accorde
aujourd’hui à la reconnaître, par une immense
explosion démocratique ?
Le retour de « Dany le Rouge »
Coucou, le revoilà ! Trente ans après les événements, Daniel Cohn-Bendit fait à nouveau
une entrée fracassante dans la vie politique
française. « Repeint en vert », l’ancien leader
de la révolte étudiante, ennemi numéro 1 du
pouvoir de l’époque, mène la liste des écologistes de Dominique Voynet aux élections européennes du mois de juin 1999. Sa tignasse
rouquine a un peu blanchi, sa silhouette s’est
épaissi, mais l’oeil reste tout aussi pétillant et
insolent. Et son art de la provocation, intact. Il
agace. L’« interdit de séjour de 1968 », devenu
militant écologiste en Allemagne puis maire
adjoint de Francfort et député européen, n’a
rien perdu de sa superbe. Et de sa fascination pour micros et caméras. En quelques
semaines, le héros de Mai 68 a retrouvé naturellement la scène politico-médiatique. Pour
s’y imposer. Bousculant tout sur son passage. Même le subtil équilibre de la majorité
plurielle.
L’enthousiasme de la jeunesse est toujours là.
Le discours toujours rafraîchissant et décapant. Et, déjà, Dany a gagné une première
victoire : celle d’être le candidat des médias.
Comme il l’était en 1968. Au grand dam de ses
partenaires.
Bibliographie
Mai 68 en librairie
La commémoration du 30e anniversaire
de Mai 68 a donné lieu à une abondante
littérature. Outre les magazines et la
presse quotidienne, qui ont consacré des
numéros spéciaux à l’événement qu’il
s’agisse du Nouvel Observateur, de Courrier
international ou du Monde. Les éditeurs
n’ont pas été en reste. Rééditions et
nouveaux livres ont fleuri dans les rayons
des librairies.
Jean-Pierre Le Goff, l’Héritage
impossible, La Découverte.
Daniel Cohn-Bendit, Une envie politique,
La Découverte.
Laurent Joffrin. Mai 68. Une histoire du
mouvement, Le Seuil.
Henri Weber, Que reste-t-il de Mai 68 ?,
Le Seuil.
Dityvon, Impressions de Mai, Le Seuil.
Jean Sur, 68 forever, Alinéa.
Luc Ferry et Alain Renaut, la Pensée 68,
Gallimard.
Jacques Foccart, le Général en mai,
Fayard.
Hervé Hamon et Patrick Rotman,
Génération (en deux volumes), Le Seuil.
BERNARD MAZIÈRES
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226
L’abolition de
l’esclavage dans
les colonies
françaises
La commémoration du cent
cinquantième anniversaire de
l’abolition de l’esclavage dans les
colonies françaises a suscité en
1998 de nombreuses manifestations,
tant dans la France métropolitaine
que dans les départements
d’outre-mer. Pour la plupart des
organisateurs, cet anniversaire a
été l’occasion de souligner le rôle
historique des révoltes déclenchées
par les esclaves dès l’annonce de la
chute de la monarchie de Juillet, à
la Martinique et à la Guadeloupe,
et d’appeler à la reconnaissance
universelle de la traite comme crime
contre l’humanité perpétré par les
Européens sur le continent africain.
À l a différence de la commémoration du centenaire, célébrée
en 1948, on rendra moins hommage, cette fois-ci, à la philanthropie vertueuse des abolitionnistes de 1848
qu’à leur lucidité politique, qui leur a dicté
d’agir promptement pour éviter un soulèvement général de la population servile et
épargner aux colonies les bains de sang de
sinistre mémoire survenus à Saint-Domingue
en 1791. L’action du sous-secrétaire d’État à la
Marine chargé des Colonies, Victor Schoelcher,
est à cet égard exemplaire. C’est en effet lui qui
convainc Arago, le ministre de la Marine du
gouvernement provisoire, de prendre de toute
urgence des mesures en faveur des esclaves.
Le 4 mars 1848, une commission chargée de
préparer l’acte d’émancipation dans toutes les
colonies de la République est donc instituée et
placée sous son autorité. Les travaux de cette
commission aboutissent, le 27 avril suivant, à la
publication à Paris du décret d’abolition signé
par Schoelcher. Deux mois plus lard, la liberté
est effective dans les colonies d’Amérique. Elle
le sera le 20 décembre à l’île de la Réunion. Le
décret du 27 avril, objet de nos jours de toutes
les célébrations, fait accéder à la citoyenneté
de plein droit quelque 250 000 Noirs.
Victor Schoelcher (1804-1893)
Schoelcher, républicain, membre de la francmaçonnerie, est un abolitionniste obstiné qui
connaît parfaitement l’univers concentrationnaire des colonies. Depuis 1835, date de
l’émancipation des esclaves dans les colonies
britanniques, il mène campagne sur campagne en faveur de l’éradication de l’esclavage. La proclamation de la république en
février 1848 l’encourage à agir auprès de ses
amis du gouvernement provisoire. Ceux-ci
partagent son combat, mais ils pensent que
c’est à la future assemblée constituante de
régler cette question. Bien informé de la situation dans les îles, Schoelcher plaide l’urgence
de la mesure à prendre dès le 3 mars. Le lendemain, Arago le nomme à la tête d’une commission chargée de préparer l’émancipation.
Il lui faudra encore 54 jours pour emporter
l’adhésion des membres de la commission
et signer l’acte d’abolition du 27 avril. Il était
temps car, à la Martinique, les Noirs avaient
déjà pris les devants et forcé le gouverneur à
les libérer le 22 mai. Schoelcher sera élu député de la Martinique et de la Guadeloupe en
1848, puis en 1871. Depuis 1948, il repose au
Panthéon.
Le régime de l’esclavage aux îles
Tel qu’il se présente au moment de l’abolition, l’esclavage est en place depuis trois siècles
sur l’ensemble des territoires coloniaux, de la
mer des Caraïbes et de l’océan Indien. Il a vu
le jour sous la monarchie, au XVIIe siècle, à une
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
227
époque de grande ferveur chrétienne. D’abord
toléré comme instrument d’oppression utilisé
par les conquérants français contre les populations autochtones des îles caraïbes, il s’est vite
imposé comme système d’exploitation de la
main-d’oeuvre noire déportée par les compagnies de commerce et de navigation se livrant
à la traite des captifs sur les côtes d’Afrique
depuis le milieu du XVIe siècle. Peu de temps
après la mort de Colbert, son instauration est
légalisée par un édit royal, promulgué en mars
1685, et communément désigné sous le nom
de Code noir.
Les colons français adoptent, à l’instar des
colons portugais et espagnols, l’esclavage
pour modifier l’économie de subsistance qui
prévaut chez les peuples indigènes et créer
des domaines agricoles pour l’acclimatation
de plantes importées – cacaoyers, caféiers et
cannes à sucre. Les Caraïbes n’étant pas des
peuples cultivateurs, les colons choisissent
d’employer aux travaux de défrichage et aux
cultures des Africains. La mise en valeur de
grands domaines agricoles, appelés « habitations », se réalisera donc en recourant à la maind’oeuvre servile. Celle-ci, vendue aux enchères
sur les marchés aux esclaves, est destinée à
travailler à vie sans salaire sur des plantations
organisées en camps de concentration, sous
la houlette de commandeurs impitoyables, le
plus souvent recrutés parmi les créoles : l’ordre
règne sous l’empire du fouet. L’univers de l’esclavage est un univers qui doit être bien clos
pour pouvoir durer. Voilà pourquoi les îles, qui
n’exigent pas d’imposants travaux de fortifica-
tion pour retenir les fuyards, ont été propices à
son instauration : un simple chemin de ronde
et une garnison permanente de soldats suffisent à leur surveillance.
Le Code noir
L’édit de mars 1685 est un des textes juridiques les plus importants de l’Ancien Régime.
OEuvre de Colbert et des intendants Patoulet
et Bégon, il a pour objet de renforcer le pouvoir central dans les colonies en mettant fin
à l’arbitraire des maîtres. À partir de son entrée en vigueur, ces derniers ne peuvent plus
condamner à mort et mutiler, ni même emprisonner leurs esclaves sans jugement régulier.
Ils conservent toutefois le droit de fouetter,
enchaîner et mutiler tous ceux qui prennent
la fuite plus d’un mois, en les marquant, essorillant ou amputant. Ce code demeurera
jusqu’en 1848 le texte de référence de la législation esclavagiste.
Les tarifs du bourreau
Pour pendre : 30 livres
Pour rouer vif : 60 livres
Pour brûler vif : 60 livres
Pour pendre et brûler : 35 livres
Pour couper le poignet : 2 livres
Pour traîner et pendre un cadavre : 35 livres
Pour donner la question ordinaire et extraordinaire : 15 livres
Pour donner la question ordinaire seulement :
7 livres
Pour
Pour
Pour
Pour
Pour
Pour
Pour
Pour
amende honorable : 10 livres
couper le jarret et flétrir : 15 livres
fouetter : 5 livres
mettre au carcan : 3 livres
effigier : 10 livres
couper la langue : 6 livres
percer la langue : 5 livres
couper les oreilles : 5 livres
Le commerce transatlantique
Les sociétés à esclaves ne comptent que
deux classes : les personnes libres et les esclaves, autrement dit les Blancs et les Noirs. Sur
les grandes habitations, les esclaves se répartissent en deux groupes inégaux en nombre :
les « esclaves de jardin », composés en majorité de bossales, c’est-à-dire de Noirs nés en
Afrique, affectés aux durs travaux des champs,
et les « domestiques », généralement créoles,
nés dans l’île, attachés au service de la demeure des maîtres. Avec le temps est apparue
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une troisième catégorie au statut mal défini, les
métis libres. La couleur de leur peau leur interdira d’être les égaux des Blancs et de s’assimiler à leur classe, quoiqu’ils soient comme eux
propriétaires d’esclaves. Au moindre manquement au code de conduite non écrit qui leur
est imposé, ils peuvent perdre leur qualité et
retourner au rang d’esclaves. Le préjugé de
couleur, né au sein de la société esclavagiste,
n’a malheureusement pas disparu des îles avec
l’abolition.
L’existence de ces sociétés fondées sur la
terreur, le travail non rémunéré et la production de denrées tropicales a transformé les îles,
ces lieux paradisiaques vantés par toute une littérature exotique, en bagnes pour des millions
d’Africains arrachés avec violence à leur terre
natale. Mais a-t-on suffisamment expliqué que
ce type de société est une invention récente
due aux Européens du Nouveau Monde au
cours du XVIe siècle ? À cette époque, et durant
plusieurs décennies, les négociants français
arment des navires pour mener des opérations
de traite sur le littoral africain pour le compte
des colonies espagnoles d’Amérique. Quand
les compagnies françaises entreprennent, sous
l’impulsion de Richelieu, puis de Colbert, de
bâtir à leur tour un empire colonial aux Indes
occidentales et orientales, les grandes maisons
de traite de Nantes, La Rochelle ou Bordeaux
sont en état de livrer la main-d’oeuvre servile réclamée par les premiers colons. Le commerce
des Noirs fera, tout au long du XVIIIe siècle, les
grosses fortunes des ports français de l’Atlantique, notamment celles de Nantes, qui organisera à elle seule plus de 42 % des 3 400 expéditions de traite recensées entre 1 700 et 1 800.
L’engouement croissant des consommateurs européens pour les produits tropicaux
dynamise le développement des terres à plantations, principalement celles consacrées au
café à l’île Bourbon, aujourd’hui la Réunion, et à
la canne à sucre à Saint-Domingue, aujourd’hui
Haïti, qui sera au XVIIIe siècle le plus beau joyau
de l’Empire colonial français. L’essor de l’économie coloniale contribue par conséquent à
l’accroissement des activités transatlantiques
de la traite. Le grand commerce maritime, qui
va enrichir la bourgeoisie portuaire durant trois
siècles, consiste en un commerce triangulaire
très lucratif. Les navires marchands emportent
des produits de pacotille, se rendent sur les
points de traite de la côte africaine pour les
échanger contre des captifs qu’ils vont transporter et vendre dans les îles. Les mêmes navires effectuent leur retour les cales pleines de
« douceurs » pour le marché européen.
Antiesclavagisme contre
antiabolitionnisme
Ce système sera dès sa mise en place vivement combattu par les Africains, d’abord, qui
ne cesseront jamais de se révolter, de fuir, de
marronner et de se suicider, et par des Européens, ensuite, indignés par les brutalités exercées contre les Noirs. Au milieu du XVIIIe siècle,
un courant d’opinion, né en Angleterre dans
les communautés de quakers et vite relayé
en France par les philosophes des Lumières,
plaide auprès des autorités royales en faveur
des victimes de la traite et des esclaves. Il pose
à cette époque les principes d’une abolition
sinon immédiate, du moins graduelle et progressive. Tous s’entendent toutefois pour réclamer la suppression de la traite.
La multiplication, en métropole, des prises
de position en faveur des Noirs provoque en
retour chez les planteurs d’ardents plaidoyers
pro domo où apparaissent les thèses de l’inégalité entre les races justifiant le droit d’asservir les hommes de couleur et la nécessité de
maintenir l’esclavage pour éviter la flambée
des prix des produits coloniaux. Certains défenseurs de l’esclavagisme n’hésitent pas à prétendre que les Africains ne sont pas des êtres
humains, mais des bêtes sauvages.
La première abolition
À la veille de la révolution de 1789, le royaume
de France tire des îles d’Amérique et de l’océan
Indien une grande partie de sa richesse, aussi
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les dirigeants se refusent-ils à toucher à ce qui
est à l’origine de la prospérité des colonies. La
suppression du système esclavagiste aurait
pour conséquence la ruine, sinon la perte des
colonies. Cet argument sera systématiquement
opposé aux mémoires déposés par les Amis des
Noirs au bureau de la Constituante pour faire
inscrire à l’ordre du jour de cette assemblée la
question de l’esclavage. Depuis la promulgation en août 1789 de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen, le sort réservé aux
esclaves et aux hommes libres de couleur est
désormais insupportable aux consciences humanistes. « Périssent les colonies, plutôt que les
principes ! », s’écrie en vain Robespierre à la barre
de l’illustre assemblée. Le mot est resté célèbre.
Il retentit sur les habitations comme un glas annonçant la fin du monde. Pourtant, l’Assemblée
n’épouse pas les conclusions de Robespierre, ni
la suivante. Les protestations des humanistes
resteront sans effet.
Elles le demeureront jusqu’à l’insurrection
générale des esclaves survenue à Saint-Domingue en août 1791, qui amènera les émissaires de la première République, Sonthonax
et Polverel, à proclamer la liberté immédiate et
sans condition des 500 000 esclaves de la colonie, le 29 août 1793. Quelques mois plus tard,
en présence des trois députés élus par les Dominicains, la Convention entérine cette proclamation et l’élargit à l’ensemble des colonies par
le décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794).
Ce décret est abrogé huit ans plus tard par
le Premier consul, Bonaparte, qui rétablit l’esclavage en 1802 (loi du 27 floréal an X). Cette
mesure provoque aussitôt le soulèvement des
Noirs. Si le sort des armes leur est défavorable
à la Guadeloupe, il n’en est pas de même à
Saint-Domingue, où les insurgés parviennent
à vaincre les troupes esclavagistes du général
Leclerc et à proclamer en 1804 l’indépendance
de l’île devenue Haïti.
BERNARD LEHEMBRE
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L’expédition
d’Égypte, un
bicentenaire à
sens unique
En commémorant avec, souvent,
talent et bonnes intentions la
campagne d’Égypte commandée
par le général Bonaparte il y
a deux siècles, la France n’a
pas fait l’unanimité auprès des
Égyptiens. Chez ces derniers, en
effet, l’irruption de la modernité
occidentale s’est faite dans le
fracas des canons et des fusils et
en violant l’autonomie égyptienne.
Les Égyptiens d’aujourd’hui n’ont
cure de cette autocélébration de
l’Occident. Ils préféreraient mettre
en exergue la révolution opérée par
Mehemet-Ali quelques décennies
plus tard, patriotisme oblige. La
contribution à la connaissance de la
plus ancienne civilisation du monde
que constitue la publication des
volumes de la Description de l’Égypte
ne saurait exonérer à elle seule
l’agression française.
La glorification de la période prémusulmane est vécue également
par les hommes de la rue comme
une critique implicite de l’état dans
lequel se trouve actuellement la société égyptienne. Surpeuplée, en butte aux problèmes du
sous-développement, celle-ci assiste souvent
d’un oeil indifférent aux efforts et aux budgets
déployés pour sortir des sables millénaires des
morceaux d’une mémoire qu’elle ne reconnaît
plus dans son quotidien.
L’Égypte, énigme culturelle et enjeu
stratégique
Et pourtant, la plupart de sa gloire, elle la
tient du passé, du passé originel de la civilisation humaine. Avant le crépuscule du XXe siècle,
la passion pour l’art égyptien est très présente
en Occident depuis le début de l’ère chrétienne.
À travers la médiation italienne, romaine plus
particulièrement, les arts décoratifs mettent
en scène sphinx, pyramide et sculptures monumentales. Les cartouches de hiéroglyphes
ornent les fonds d’assiette ou de plats. Après
un long silence, au XVIIIe siècle, les découvertes
opérées lors des premières fouilles archéologiques en Italie (chantier de la villa Hadrien, à
Tivoli) ont pour effet de lancer l’égyptophilie
en Italie, en France, en Angleterre et en Allemagne. De là, cette égyptophilie se transforme
en égyptomanie. L’Égypte intrigue et fait figure
de Mère de l’histoire.
À sa grande surprise, l’Égypte va se trouver
plongée dans les rivalités européennes, plus
particulièrement anglo-françaises, à la fin du
XVIIIe siècle. Alors que depuis 1792, les Français
et les Anglais se livrent un combat sans merci
sur terre et sur mer, l’évolution des campagnes
militaires au profit de la France sur le continent
ainsi que les rapports de force dans la France
révolutionnaire conduisent les dirigeants du
Directoire à envisager une campagne militaire
inédite dans l’histoire récente : la conquête
de l’Orient afin de contrarier la domination
anglaise sur le monde. Inédite quant à l’objectif. En effet, sous l’Ancien Régime, depuis
François Ier, la politique diplomatique française
s’appuyait avant tout dans cette région du
monde sur les Ottomans pour renforcer la menace que ceux-ci faisaient planer sur la maison
d’Autriche. Désormais, il faut aller défier l’Ottoman pour affaiblir l’Anglais. Le grand contournement est à l’ordre du jour.
Inédite est également la nature de la campagne. Elle sera militaire, donc guerrière, mais
aussi fille des Lumières. Car les dizaines de
milliers de soldats envoyés par-delà les mers
sont accompagnés de plusieurs centaines de
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civils, artistes, astronomes, mathématiciens,
biologistes, naturalistes, etc. En effet, Napoléon
Bonaparte, général de son état, mais également fils de la Révolution, dans le droit-fil des
Lumières, veut apporter la science et la modernité au monde. Il emmène avec lui Lagrange,
Larrey, Arago, Vivant Denon, Geoffroy Saint-Hilaire. Au-delà de la conquête militaire, l’Orient
est invité à emprunter la voie de la modernité
et du progrès.
La conquête de l’Égypte
La campagne est organisée dans le plus
grand secret pour éviter que la flotte anglaise,
maîtresse de la Méditerranée, n’ait vent du
projet. Aux premiers jours du printemps
1798, les flottilles sont rassemblées à Toulon,
Gênes, Civitavecchia et Ajaccio. Le 19 mai, le
corps expéditionnaire, qui se compose de 15
vaisseaux, 1 corvette, 12 frégates et plusieurs
centaines d’unités de transport, embarque
38 000 soldats, 10 000 marins et civils. Après
22 jours de traversée, la flotte cerne l’île de
Malte, et la capitale La Valette capitule au bout
de quelques heures, le 11 juin. Le 28 juin, enfin,
les équipages sont mis dans le secret : l’objectif
est la conquête de l’Égypte, puis de l’Orient. Il
s’agit d’un grand dessein, d’une aventure hors
norme à laquelle l’élite de la République est
invitée. Le 2 juillet, Alexandrie est prise malgré
la double menace des troupes mamelouks,
qui cherchent à rejeter les envahisseurs, et
celles de la Royal Navy sous les ordres de l’amiral Horatio Nelson. La geste napoléonienne,
mal engagée par une défaite face à la flotte
anglaise, le 1er août 1798, à Aboukir-sur-Mer, se
poursuivra jusqu’à la victoire de Bonaparte, sur
terre cette fois, à Aboukir toujours, le 21 juillet
1799, qui lui assure la voie libre pour poursuivre
son destin. Mais il pourrait en conclure que le
succès est lié le plus souvent à sa présence et
que, tout compte fait, il n’a pas le pied marin.
Entre ces deux dates, quasiment onze mois
riches en événements jalonnent la conquête
du pays : une conquête rapide, bataille des Pyramides, prise du Caire (21 et 23 juillet). La prise
de contrôle semble bien partie. D’autant que
les administrateurs français veulent transformer la société égyptienne tout en flattant les
valeurs musulmanes. Ainsi, le général en chef
lui-même se présente comme un admirateur
de l’islam. Il affirme aux autorités cairotes : « Je
viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs (la dynastie des Mamelouks), je respecte plus
que les Mamelouks, Dieu, son prophète Mahomet
et le glorieux Coran. » Il n’oublie donc pas de se
proclamer l’envoyé de Mahomet. Cette entreprise de charme n’a d’effet que pendant quatre
mois. Le 21 octobre, Le Caire, à l’appel des
oulémas, se soulève. La résistance des Français
est opiniâtre, puis les Cairotes, cédant au feu
des canons et à l’embrasement de plusieurs
quartiers, subissent une répression aveugle. La
révolte se solde par la mort de 300 Français et
de 3 000 Cairotes.
L’ordre définitivement assuré, il est temps
pour Bonaparte de mettre en pratique l’objectif défini par l’arrêté du 12 avril 1798 adopté
par le Directoire : « Le corps expéditionnaire doit
s’emparer de l’Égypte, chasser les Anglais de toutes
les possessions de l’Orient où il peut se rendre... ;
(il) détruira tous les comptoirs sur la mer Rouge,
fera couper l’isthme de Suez et prendra toutes les
mesures nécessaires pour assurer la libre et exclusive possession de la mer Rouge à la République
française. » Mais ce n’est pas vers Suez que Bonaparte lance son corps expéditionnaire, mais
vers la Palestine où le siège de la forteresse de
Saint-Jean-d’Acre se transforme en spectacle à
la fois horrifiant et dantesque, avant de solder
par un échec de taille. Dans la chaleur suffocante, peste et massacres achèvent de transformer l’encerclement de la forteresse croisée
en mouroir à Français et à mamelouks.
Devant l’étendue de la tragédie, Bonaparte
décide la retraite, revient au Caire, reprend les
rênes du pouvoir dans la capitale nilotique. Il
n’y reste que quelques semaines avant de décider de revenir en France, où il pressent que la
situation est mûre pour s’emparer du pouvoir
(juillet-août). Il laisse la responsabilité des opérations au général Kléber, qui sera assassiné
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par un jeune Syrien du nom de Soliman. La
direction du corps expéditionnaire est alors
attribuée au générai Menou, piètre militaire
mais bon administrateur. L’aventure se termine
en juin 1801 avec la capitulation de Menou
devant les Anglais. Elle a duré deux ans et coûté des milliers de vies humaines, françaises et
égyptiennes. Mais, à défaut d’autres aventures,
elle a fait rêver, et continue de le faire. Les Anglais veulent faire main basse sur le seul trésor
qui reste aux mains des scientifiques français –
leurs travaux. Mais, pour qu’ils ne tombent pas
à l’ennemi, ceux-ci, Geoffroy Saint-Hilaire en
tête, menacent de les détruire.
Un certain regard
Pour la première fois dans l’histoire, une
expédition guerrière appuie un projet scientifique. À la destruction de l’ennemi s’ajoute la
volonté de le connaître. Cette ambition inédite
s’est inscrite dans des regards différents. Celui,
par exemple, d’un artiste comme Dutertre,
qui propose la création d’une école de dessin
ouverte à tous les Cairotes, ceux des médecins
qui souhaitent étudier les moeurs indigènes, les
maladies les plus courantes et la pharmacopée
utilisée par la population pour en tirer le meilleur parti. Ce regard positif peut être politique
et visionnaire comme celui du général Menou,
qui espère faire des Égyptiens des Français
d’Orient et projette de faire du Caire une capi-
tale moderne. Ce dernier n’est pas resté au seul
stade des intentions. Fasciné par les splendeurs
de l’Orient, il a épousé une Égyptienne et s’est
converti à la religion musulmane.
Ces regards attentifs ne sauraient toutefois
faire oublier ceux qui affichaient mépris ou
condescendance. Des sentiments qui étaient
partagés par de nombreux membres de l’expédition. Toutefois, en règle générale, tous,
qu’ils soient soldats ou savants, ont fait montre
d’indifférence pour le présent, mais aussi et
surtout ont nourri un fort sentiment d’admiration pour le passé de la vallée du Nil : « Nous
sommes au milieu des temples et des palais
construits par un des peuples les plus extraordinaires qui aient existé. »
La Description de l’Égypte
Le rêve égyptien a trouvé sa réalisation dans
le projet éditorial le plus ambitieux de l’aube
du XIXe siècle : la présentation aux générations
contemporaines et futures de tous les aspects
d’un pays. En effet, les savants français ont
sillonné la basse et la haute Égypte, d’Alexandrie à Assiout, découvrant ou redécouvrant les
splendeurs des pharaons. Tombes, temples,
stèles (ils sortent des sables la célèbre pierre
de Rosette que les Anglais confisquent à Menou), rien ne résiste à leur fougue. En 1802,
le Premier consul ordonne la publication des
travaux aux frais du gouvernement et au profit des auteurs. Mais le travail d’édition puis de
fabrication se révèle colossal. Il faut mettre de
l’ordre dans les milliers de notes et de dessins
produits sous l’égide de l’Institut d’Égypte.
Cette tâche épuise plusieurs savants dont
Conté, Lancret et Jomard De retour d’Égypte,
l’imprimeur et papetier Conté invente des
machines pour réaliser certaines tâches techniques. Deux cents graveurs seront requis,
cinq imprimeurs finiront le travail. Vingt ans
seront nécessaires pour achever le projet. Le
premier volume consacré aux Antiquités est
édité en 1809. L’ensemble de l’oeuvre comprend plus de dix volumes de taille inhabituelle. Aussi n’est-on pas surpris que les éditeurs proposent aux souscripteurs d’acquérir
un meuble spécialement conçu et décoré à
l’égyptienne. Il est vrai que l’ouvrage est souvent constitué de planches aux dimensions
impressionnantes (135,4 cm sur 70,4 cm). En
tout, plus de 3 000 planches qui sont autant
de chefs-d’oeuvre.
SERGE COSSERON
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
233
Viagra
Pour beaucoup, l’année 1998 restera
celle du Viagra. Qu’on ait eu ou pas
recours à ce nouveau médicament
de l’impuissance masculine, on ne
peut plus ignorer son existence.
Mis en vente initialement sur le
marché américain, le célébrissime
comprimé bleu en forme de losange
et aux armes de la multinationale
pharmaceutique Pfizer est arrivé
à l’automne dans les pays de
l’Union européenne. En huit mois
les ordonnances de Viagra aux
États-Unis avaient dépassé les
6 millions et, à la fin de l’année, 50
pays avaient déjà approuvé. Selon
le fabriquant, dès l’an 2000, les
hommes du monde entier devraient
pouvoir se procurer cette molécule
que proposent déjà plusieurs sites
sur Internet.
Jamais sans doute, dans l’histoire de
la médecine et de la pharmacie, un
médicament n’avait connu aussi
vite une telle notoriété mondiale,
bénéficié d’un tel engouement médiatique.
De ce point de vue, mais aussi parce qu’il est
l’un des premiers à traiter aussi concrètement
de la sexualité masculine, le Viagra constitue
un phénomène de société sans précédent ;
un phénomène d’autant plus intéressant qu’il
inaugure, aux yeux des spécialistes, une ère où
la pharmacopée se situera aux frontières de la
thérapeutique et du confort, voire du plaisir.
Au sens strict, le Viagra est une molécule
capable, pour la première fois par voie orale, de
corriger les insuffisances et les dysfonctionnements de la fonction érectile masculine. C’est,
en d’autres termes, un médicament qui ne peut
être délivré que sur prescription médicale. En
France, tous les titulaires d’un diplôme de docteur en médecine peuvent prescrire le Viagra,
qui, contrairement à ce qui fut un moment envisagé, n’est pas réservée aux prescriptions de
quelques spécialistes d’urologie, de psychiatrie
ou de sexologie. D’autre part, contrairement à
certaines rumeurs initialement distillées, le Viagra n’est pas pris en charge par la collectivité,
Pfizer ne souhaitant pas un remboursement de
son produit par les caisses de sécurité sociale.
Cette stratégie peut apparaître paradoxale
et incohérente dans la mesure où la firme ne
cesse de rappeler que le Viagra est un médicament permettant de traiter une pathologie
fréquente et en aucun cas un aphrodisiaque
pouvant être utilisé par des hommes en quête
de nouveaux plaisirs. Pourtant, en prenant une
telle décision, la firme fait l’économie des discussions avec le gouvernement concernant
la fixation du prix. Elle a aussi, dans le même
temps, prévenu tout risque de restriction des
prescriptions à certaines spécialités médicales.
Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la
Solidarité, a, pour sa part, chiffré « entre 200 et
300 millions de francs » le coût des éventuelles
« 500 000 visites supplémentaires » chez le généraliste, « dès cette année », liées à la prescription
du Viagra. « Si ça devient un problème d’amélioration de la performance, je ne suis pas sûre que
notre société y gagne », estime Mme Aubry. Tout
en reconnaissant que le Viagra peut apporter
« un soutien » à des personnes qui ont des difficultés, elle souligne que les rapports hommesfemmes « doivent passer par autre chose que de
la chimie ».
En fait, la prescription de Viagra doit répondre à une série de critères médicaux et
impose une série de précautions, faute de quoi
des accidents graves, parfois mortels, peuvent
survenir. En pratique, la prescription de Viagra
devrait imposer une véritable consultation
médicale qui ne saurait se borner à la description par le patient des symptômes de dysfonctions sexuelles dont il souffre et au respect des
contre-indications (cardio-vasculaires, notamment, compte tenu des risques d’hypotension
artérielle) du médicament. L’impact de la prise
de Viagra sur l’équilibre du couple ne devrait
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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pas être ignoré, pas plus que celui du possible
échec de ce traitement.
Les effets secondaires indésirables sont des
maux de tête, une modification de la perception de certaines couleurs comme le bleu, des
courbatures, des rougeurs ou des troubles
digestifs. Les autorités sanitaires américaines
ont d’autre part récemment dessiné, au vu
de l’ensemble des accidents recensés, le portrait-robot de l’homme pouvant mourir du Viagra. Il s’agit d’un homme entre quarante-huit
et quatre-vingts ans, souffrant déjà, depuis
quelques années, de diverses affections, souvent de nature cardio-vasculaire, pour lesquelles il est amené à consommer régulièrement un ou plusieurs médicaments. Il souffre
aussi de troubles de la fonction érectile et souhaite pouvoir retrouver des relations sexuelles
normales. Compte tenu des volumineuses
prescriptions et consommations de Viagra en
différents points du monde, tout indique que
le nombre des victimes va aller en augmentant. Jusqu’où ? La multinationale pharmaceutique Pfizer n’entend pas élargir le nombre des
contre-indications à la consommation de son
Viagra. Elle estime, soutenue en cela par les
autorités sanitaires américaines, que les seules
précautions d’emploi portent sur l’administration concomitante de produits médicamenteux nitrés. L’une des difficultés réside ici dans
le fait que ces mêmes produits peuvent être
administrés aux hommes souffrant d’accidents
cardiaques, les services d’urgence pouvant,
quant à eux, ne pas savoir si ces patients sont
ou non « sous Viagra ». Aux États-Unis, on s’organise pour faire face à de telles urgences et
des numéros téléphoniques gratuits, un site Internet (www.viagra.com) se mettent en place.
Simple médicament ou véritable aphrodisiaque ? Viagra (ou sildenafil, sa dénomination
chimique) peut-il avoir un effet – et si oui, lequel ? – chez les hommes qui ne souffrent pas
d’une forme plus ou moins marquée d’impuissance ? Rien, en l’état actuel des recherches officiellement conduites, ne permet de répondre
à cette question qui est pourtant bel et bien
au centre de l’effet médiatique déclenché
par la commercialisation de cette molécule.
Si l’on excepte en effet les quelques travaux
initiaux conduits sur de très petits groupes de
volontaires sains (travaux indispensables à la
mise sur le marché d’un médicament), aucun
travail n’a été conduit sur ce thème. « Et il ne
faut pas compter sur nous pour lancer de telles
recherches, confie-t-on chez Pfizer. Le Viagra
est un médicament, rien d’autre ! » Un médicament qui concerne au minimum – si l’on en
croit l’épidémiologie de la dysfonction érectile
(définie comme « l’incapacité pour un homme
d’avoir ou de maintenir une érection suffisante
pour permettre la réalisation d’un acte sexuel
considéré par le patient comme satisfaisant »)
– environ 5 % des nommes de 40 ans et de 15
à 25 % des hommes de plus de 65 ans.
Le très rigoureux mensuel Prescrire (indépendant de l’industrie pharmaceutique) a dressé un bilan extrêmement élogieux du Viagra
dont il dit qu’il fournit « une aide importante »
dans le traitement des troubles de l’érection,
que ces troubles soient d’origine psychogène
ou organique. Selon Prescrire, l’analyse exhaustive des publications médicales laisse penser
que cette molécule « permet à 80 ou 90 %
des patients d’avoir une érection permettant
une relation sexuelle ». Toutefois, un rapport
sexuel considéré comme « satisfaisant » par
les investigateurs dans les essais n’est possible
en moyenne qu’une fois sur deux, ajoute le
mensuel. Cette molécule n’agit pas sur le désir
sexuel. Elle n’a pas été étudiée chez l’homme
sans trouble de l’érection. D’une manière générale, les spécialistes estiment que ce médicament peut constituer « un premier recours
qui permet de dédramatiser la situation pathologique et d’éviter que la succession de tentatives de
rapports sexuels infructueuses ne crée un véritable
cercle vicieux ».
Une autre perspective thérapeutique, actuellement à l’étude, concerne l’utilisation du
Viagra chez la femme souffrant de dysfonctions sexuelles. Bien que les bases physiopathologiques de ces dysfonctions ne soient pas
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toujours très bien établies, et en dépit des difficultés rencontrées dans l’évaluation de l’effet
de cette molécule chez la femme, les responsables de Pfizer ont décidé de lancer une première étude chez 500 volontaires vivant dans
différents pays européens, dont la France. Les
résultats n’en sont pas encore connus.
Mais l’histoire du Viagra, en 1998, c’est
aussi une formidable publicité gracieusement
offerte par les médias du monde entier à une
firme qui, dans le même temps, engrange de
formidables bénéfices ; une firme qui ne peut
d’ailleurs pas elle-même vanter les mérites de
son produit par voie publicitaire. Médicament
vendu sur prescription, le Viagra n’a pas droit
de cité dans les spots télévisés ou dans les campagnes publicitaires de la presse grand public.
Pour autant, il a amplement trouvé sa place.
« Depuis avril, date de la mise en vente aux ÉtatsUnis, nous avons recensé en France plus de 2 500
coupures de presse, reportages TV ou radio. Ce
n’est pas un press-book, c’est une armoire. Pensez !
Une moyenne de quatorze articles ou reportages
audiovisuels par jour ! », se réjouit le responsable
de la communication chez Pfizer France, dont
les autres spécialités (médicaments antihypertenseurs, antidépresseurs, etc.) ne sont guère
connues du grand public.
Si l’on a regretté certains excès médiatiques
(ceux notamment qui présentaient le Viagra
comme la « pilule du septième ciel »), on observe chez Pfizer que le message de la médicalisation des troubles de l’érection a fini par faire
son chemin et le Viagra apparaît désormais davantage comme un médicament que comme
un aphrodisiaque. Pour sa part, la firme n’a pas
craint d’investir dans le champ de la formation
des médecins et des « relais d’opinion ». Des
mailings ont été systématiquement effectués
auprès de 120 000 médecins et de 23 000
pharmaciens. Elle est allée jusqu’à inviter, pour
un « séminaire d’information » organisé à
Montpellier, une cinquantaine de journalistes
de la presse grand public, qui, à cette occasion,
ont écouté l’un des découvreurs britanniques
de la molécule associé du philosophe André
Comte-Sponville.
Côté profit, les ventes mondiales de Viagra
devraient franchir aisément la barre du milliard de dollars par an, une fourchette jugée
raisonnable » les situant entre 2,5 et 4 milliards
de dollars/an lorsque les prescriptions auront
atteint leur « rythme de croisière ». Un expert
américain a été jusqu’à évoquer l’hypothèse
audacieuse d’une « explosion » démesurée du
chiffre d’affaires à 20 milliards de dollars par an,
dans le cas où les jeunes de moins de 40 ans
et les femmes deviendraient consommateurs.
Des perspectives qui ont conduit un moment
les ouvriers travaillant sur le site français de
Pfizer de Pocé-sur-Cisse, en Indre-et-Loire (là
où le Viagra est fabriqué pour l’ensemble de
l’Europe), à faire grève pour obtenir quelques
augmentations de salaire. Cette brève manifestation coïncidant avec la commercialisation
du Viagra dans l’Hexagone, ils devraient rapide-
ment être exaucés.
JEAN-YVES NAU
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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Les phéromones
Les phéromones, molécules
chimiques odorantes émises par
diverses parties du corps, règnent
en maîtresses sur la communication
animale. Connues, ou du moins
soupçonnées, depuis les années
1950, authentifiées avec certitude
chez les insectes et les mammifères
depuis une quinzaine d’années, elles
régissent de près ou de loin tous les
aspects majeurs du comportement
animal – à commencer par leur
sexualité. L’homme et la femme
échappent-ils à cette commande
olfactive ? On découvre aujourd’hui
que les êtres humains produisent,
eux aussi, des phéromones, et
que celles-ci agissent à leur insu
sur leur comportement sexuel.
Mieux identifiées, elles pourraient
aider à combattre certains cas de
stérilité, ou, au contraire, fournir de
nouveaux moyens de contraception.
En déposant son urine tout au long
de ses frontières, le lion marque
son territoire. Pour faire de même,
l’ours utilise sa salive, l’antilope,
une glande située près de l’oeil, et le koala, les
glandes sébacées de sa peau. Dans tous ces
cas, les substances qui servent au marquage
sont des molécules chimiques odorantes, qui
servent aux individus d’une même espèce à se
reconnaître entre eux. Réunies sous le terme
générique de « phéromones », ces molécules
jouent un rôle social essentiel dans le règne
animal. Elles interviennent dans le repérage
des proies et des prédateurs, facilitent chez le
rat la reconnaissance entre la mère et l’enfant,
et vont jusqu’à permettre, chez les espèces les
plus grégaires, l’identification de clans. Enfin
et surtout, elles régissent, sous pratiquement
tous ses aspects, la vie sexuelle de la plupart
des groupes animaux.
Sur la piste des phéromones
L’intervention de substances odorantes
dans les jeux amoureux des insectes était
soupçonnée depuis la fin du siècle dernier,
mais il fallut attendre les années 1950 pour
qu’elle soit confirmée. Afin d’identifier chimiquement l’odeur des femelles de papillons,
Adolf Butenandt (prix Nobel de chimie 1939
pour ses travaux sur les hormones sexuelles)
choisit le ver à soie Bombyx mori, espèce chez
laquelle la femelle attire le mâle à très grande
distance.
Après plusieurs années de travaux et l’utilisation de 500 000 femelles, le chercheur parvint à ses fins en 1959, et annonça la découverte d’un alcool qu’il nomma « bombykol ».
Une phéromone venait d’être identifiée : la
première d’une longue liste, qui, aujourd’hui
encore, est loin d’être close.
Les animaux chez lesquels ces substances
sont les mieux connues restent sans contexte
les insectes. Faciles à élever en grandes quantités, ces derniers les produisent par le biais de
glandes spécialisées, qu’il suffit de disséquer
pour en analyser le contenu. Utilisées comme
appâts dans des pièges à insectes, les phéromones peuvent être judicieusement mises à
contribution pour lutter contre les ravageurs
de cultures. Depuis les années 1970, époque
à laquelle l’opinion publique commence à
s’inquiéter de l’emploi massif des pesticides,
des dizaines et des dizaines d’espèces de lépidoptères et de coléoptères ont ainsi été passés
au crible de la chimie analytique. Et plusieurs
sociétés commercialisent désormais certaines
de leurs molécules odorantes, accompagnées
du matériel nécessaire à leur diffusion. Au-delà
de leur intérêt dans la lutte biologique, l’implication des phéromones dans la vie sexuelle
des insectes constitue l’un des domaines les
plus fascinants, parce que des plus universels,
de la biologie comportementale. Chez la plupart des espèces, des signaux chimiques spécifiques, perçus à faible distance ou par contact,
indiquent au mâle qu’il est bien en présence
d’une femelle de son espèce. Certaines fedownloadModeText.vue.download 238 sur 417
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237
melles ont également recours à l’olfaction
pour opérer une forme de sélection sexuelle,
et pour choisir leur partenaire en fonction de
son statut ou de sa conformité à la norme.
Chez la mouche drosophile, et contrairement
aux mâles qui ne sont guère regardants, les
femelles discriminent ainsi très précisément
leurs prétendants. S’ils présentent le moindre
handicap, ils n’ont aucune chance.
Pour quelques atomes de plus
Les phéromones sexuelles de la mouche Drosophila melanogaster, insecte vedette des
généticiens, sont des hydrocarbures. Mâles et
femelles en produisent environ quinze types
différents, qu’ils portent sur leur cuticule. Les
mâles fabriquent deux hydrocarbures majoritaires, qui contiennent respectivement 23 et
25 atomes de carbone. Leur rôle est de stimuler
leur partenaire femelle, et, surtout, d’inhiber
les ardeurs homosexuelles de leurs alter ego.
Les principaux hydrocarbures des femelles
présentent une structure très similaire à celle
des hydrocarbures des mâles, mais comportent 27 et 29 atomes de carbone. Quelques
atomes supplémentaires qui font toute la différence, puisque ces deux composés suffisent,
à eux seuls, à déclencher l’excitation du mâle
et à induire une vibration prolongée de ses
ailes. Particulièrement efficace, l’action de ces
phéromones femelles est sans doute potentialisée par d’autres hydrocarbures cuticulaires,
présents en faibles quantités dans le bouquet
« phéromonal ».
L’« effet mâle »
À force d’étudier les phéromones des
insectes, les chercheurs commencèrent à
soupçonner qu’elles jouaient aussi un rôle
dans la communication des vertébrés. « Au
congrès international de Physiologie de Paris, en
juillet 1977, fut présentée la première étude sur
le rôle de l’olfaction dans l’attraction sexuelle des
mammifères », précise le biologiste Rémy Brossut, directeur de recherche au CNRS. « Pour la
première fois enfin, l’étude de la communication
chimique chez les mammifères était reconnue
comme un enjeu de recherche scientifique. » Un
enjeu dont l’intérêt n’a depuis lors cessé de
croître, tant pour les éthologues et les éleveurs
que pour ceux qui tentent de mieux comprendre le fonctionnement de ce mammifère
très spécial qu’est l’homme.
Chez le mouton, la vache ou le porc, comme
chez les animaux sauvages, l’olfaction joue un
rôle essentiel au moment de la reproduction.
Influer sur l’action des phéromones peut donc
avoir des résultats concrets sur les techniques
d’élevage. Ainsi que l’ont montré des chercheurs de l’Institut national pour la recherche
agronomique (INRA), l’introduction d’un mâle
dans un groupe de brebis isolées et non réceptives provoque l’oestrus dans un délai de trois
semaines. Un tel « effet mâle » existe également chez les bovins, et serait déclenché par
l’urine de taureau. Chez les truies élevées en
bandes, la synchronisation des cycles de reproduction se fait spontanément, mais quelques
verrats sont en général « mis en réserve » pour
accélérer l’oestrus chez les femelles échappant
à la synchronisation.
Et dans notre propre espèce ? « L’anatomie
et la physiologie ont montré que, mis à part l’extraordinaire développement de son cortex cérébral, l’homme est un mammifère somme toute
assez ordinaire, mais qui répugne à se considérer
comme tel dès qu’il s’agit de son comportement »,
rappelle Rémy Brossut. De fait, les phéromones
humaines existent. Plusieurs études récentes
ont même montré qu’elles participaient sans
doute activement à notre vie sexuelle. Et
qu’elles pouvaient notamment induire, chez
la femme, la synchronisation des cycles menstruels. Longtemps, les anatomistes déclarèrent
la chose impossible. À l’appui de leur conviction : l’espèce humaine serait dépourvue
d’« organe voméronasal » (OVN), sorte de nez
invisible dont se servent les mammifères pour
capter ces odeurs si particulières. Tapi dans une
cavité située en avant de la muqueuse olfacdownloadModeText.vue.download 239 sur 417
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tive, ce petit organe détecte des parfums que
le « nez pensant » ne soupçonne pas, parmi
lesquels les phéromones. Là se situait, disaiton, la limite olfactive de notre espèce : certes,
l’embryon humain possédait un semblant
d’OVN, mais celui-ci disparaissait bien avant
la naissance. Après quoi il ne restait rien, ni à
l’homme ni à la femme, pour capter subrepticement les effluves d’autrui. Tout change il y a
une dizaine d’années, lorsque David Berliner,
anatomiste américain convaincu de l’existence
des phéromones humaines, persuade une poignée de collègues de repartir sur la piste de
l’OVN. Et ils le trouvent ! Niché sous l’arête du
nez, le minuscule organe possède des cellules
olfactives semblables à celles qui détectent
les phéromones chez les rongeurs. Mieux encore : confrontées à de la sueur humaine, ces
cellules réagissent et émettent des signaux
électriques. La découverte est suffisamment
probante pour relancer l’intérêt pour les phéromones sexuelles humaines. Et pour que
soit étudiée de plus près la synchronisation
des cycles menstruels chez la femme, phénomène connu de longue date mais inexpliqué
jusqu’alors. Qu’elles proviennent des pensionnats de jeunes filles, de casernes ou des campus américains, toutes les données, en effet,
convergent pour montrer une tendance à la
synchronisation des cycles dans les groupes
de femmes vivant ou travaillant ensemble. Le
phénomène est d’autant plus net que le temps
passé en commun est long, alors que les liens
affectifs (mère-fille, couples d’homosexuelles)
ont en revanche peu d’incidence. Autant d’éléments qui militent en faveur d’une influence
chimique, inconsciemment perçue par ce
« nez sexuel » qu’est l’OVN.
Une étrange expérience
Dans ce domaine, une étude particulièrement convaincante a été récemment effectuée, à l’université de Chicago, par une équipe
de psychologues. Publiée dans la revue scientifique Nature, leur expérience n’a, à vue de nez,
rien de très exaltant. Tous les jours, quatre mois
durant, des carrés de coton, imprégnés de la
transpiration prélevée sous l’aisselle de neuf
femmes, ont été frottés au-dessus de la lèvre
supérieure de vingt autres femmes, réparties
en deux groupes distincts. Le premier groupe
respirait la sueur de femmes alors dans la première phase de leur cycle menstruel (folliculaire), le second groupe celle de femmes étant
dans la seconde phase (ovulatoire). Toutes ces
« renifleuses », il est important de le préciser,
ayant la sensation de n’humer qu’une seule
odeur : celle de l’alcool dans lequel les concentrés de sueur étaient dissous. Résultat : les
femmes appartenant au premier groupe ont
présenté une accélération de leur production
d’hormone lutéinisante (LH), et ont donc vu
leur cycle menstruel raccourcir. Les femmes du
second groupe, au contraire, ont produit cette
hormone avec retard et présenté un cycle plus
long. Pour la première fois, une étude scientifique montre ainsi que la période de l’ovulation
peut être manipulée, de façon reproductible,
par la détection de sécrétions humaines dont
le nez n’a pas conscience – autrement dit par
des phéromones. Rien n’interdit dès lors de
penser que ces substances, une fois identifiées avec précision, pourront être employées
pour lutter contre certains cas de stérilité, ou,
au contraire, à des fins contraceptives. Et, pourquoi pas, pour inventer une nouvelle chimie
de l’amour.
CATHERINE VINCENT, JOURNALISTE AU Monde
Bibliographie
Rémy Brossut, Phéromones, la
communication chimique chez les
animaux, collection « Croisée des
sciences », Belin/CNRS.1996.
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Le clonage
humain
Annoncée en février 1997, la
naissance de Dolly, premier
mammifère cloné à partir d’une
cellule adulte, provoqua une onde
de choc planétaire. Chefs d’État,
Vatican, comités d’éthique, les voix
les plus diverses s’élevèrent pour
empêcher que cette pratique ne
soit appliquée à l’homme. Moins
de deux ans plus tard, le ton avait
singulièrement changé, et on
commençait à envisager, moyennant
surveillance, le recours ponctuel au
clonage humain. Même si le taux de
réussite de cette technique reste
extrêmement bas, la reproduction
à l’identique d’êtres humains,
pratiquée au cas par cas et au prix
fort, est bel et bien imaginable.
Les objectifs de ceux qui estiment
raisonnable de franchir ce « point de
non-retour » sont de deux ordres :
constituer des banques d’organes
compatibles avec leurs receveurs et
pallier certaines formes de stérilité.
Dans les semaines qui suivirent
l’annonce de la naissance de Dolly, une gigantesque controverse
se déclencha sur la légitimité de
cette technique, qui menait tout droit aux fantasmes les plus inquiétants qu’ait jamais contés
la science-fiction : le clonage d’êtres humains ;
l’enfant terrible de la science était à portée
d’éprouvette, il fallait à tout prix en interdire
l’application à l’homme. Dans une résolution
votée le 12 mars 1997, le Parlement européen
affirmait ainsi : « Le clonage des êtres humains,
que ce soit à des fins expérimentales (traitement
de la stérilité, diagnostic avant implantation,
transplantation de tissus) ou à toute autre fin, ne
saurait, en aucune circonstance, être justifié ou
toléré par une société humaine. » Le 22 avril, le
Comité consultatif national d’éthique pour les
sciences de la vie et de la santé (CCNE, France)
se prononçait à son tour : le clonage humain
« ne peut susciter qu’une condamnation éthique
véhémente, catégorique et définitive. Une telle
pratique, mettant en cause de manière générale
l’autonomie et la dignité de la personne, constituerait une grave involution morale dans l’histoire
de la civilisation ».
En juin, les membres de la Commission
consultative américaine sur la bioéthique
(NBAC) concluaient quant à eux : « Pour l’instant, il est moralement inacceptable pour quiconque, dans le secteur public comme privé,
aussi bien dans la recherche que dans les applications médicales, de tenter de créer un enfant
par clonage. » Le 11 novembre 1997, enfin,
l’UNESCO adoptait en séance plénière une
Déclaration universelle sur le génome humain
et les droits de l’homme, dans laquelle était
stipulé que « des pratiques qui sont contraires
à la dignité humaine, telles que le clonage à
des fins de reproduction d’êtres humains, ne
doivent pas être permises ». Seul le « pour l’instant » de la NBAC sonnait alors, dans ce concert
de protestations, comme un léger bémol.
De Dolly...
Un an plus tard, le climat a singulièrement
changé. Certes, le consensus moral conduisant à la proscription du clonage humain n’a
pas disparu. Mais les brèches sont déjà là. Les
textes rédigés par les divers conseils et comités n’ont pas force contraignante, à l’exception
d’un protocole voté par le Conseil de l’Europe
en janvier 1998 et signé par dix-neuf pays, qui
prévoit des sanctions pour les contrevenants à
l’interdiction du clonage humain. Outre-Atlantique, seul l’État de Californie a pris des disposi-
tions légales visant à prohiber cette technique.
Et un nombre croissant de voix autorisées,
émanant pour la plupart des États-Unis et de
la Grande-Bretagne (ainsi que du Canada et
d’Israël), commencent à suggérer de laisser la
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porte ouverte, moyennant surveillance, à l’utilisation du clonage humain.
Pour saisir pleinement l’enjeu d’une telle
perspective, revenons tout d’abord à Dolly.
Comment, exactement, a été conçue la brebis
vedette du Roslin Institute ? Non pas par le clonage d’une cellule provenant d’un embryon,
ni même d’un foetus, mais par celui d’une cellule adulte. Pour être plus précis : une cellule
mammaire prélevée sur une brebis vieille de
six ans, qui, de fait, est ainsi devenue à la fois
la soeur jumelle, la mère et le père biologique
de la petite agnelle. Aucune fécondation n’a
ici été nécessaire : l’embryon fut créé par une
simple fusion (aidée par un choc électrique) du
noyau de cette cellule adulte avec l’ovule énuclée d’une autre brebis. L’agnelle qui naquit de
cette manipulation hors du commun se portait apparemment très bien. Allait-il en être de
même de la brebis qu’elle allait devenir ?
À la fin de 1997. Dolly le clone eut l’âge de
procréer. Nouveau suspense : pour confirmer
le succès de leur expérience, les chercheurs
devaient s’assurer que l’animal était capable de
mener une gestation à son terme... L’objectif fut
atteint au printemps 1998, durant lequel Dolly
mit au monde un petit agneau en parfaite
santé. Et conçu, cette fois, par les méthodes
naturelles...
La preuve en est donc faite : le premier
mammifère clone à partir d’une cellule prélevée sur un organisme adulte ne présente apparemment aucune anomalie. Qu’en serait-il
chez l’homme ? Bien que fermement opposé
au clonage de notre propre espèce, Ian Wilmut lui-même, le « père » de Dolly au Roslin
Institute, a toujours été catégorique : « Techniquement, rien ne s’oppose à ce que la méthode
par laquelle est née Dolly soit appliquée aux êtres
humains. » En annonçant, en juillet 1998, avoir
réussi à cloner des lignées de souris à partir
de cellules adultes, une équipe américaine a
confirmé que cette performance pourrait sans
doute, dans un avenir proche, être reproduite
sur un nombre croissant de mammifères. Et
donc sur l’homme.
Les chercheurs oseront-ils franchir le pas ?
Malgré les recommandations des comités
d’éthique, tout incline à le laisser penser. Dans
une certaine mesure, certains l’ont d’ailleurs
déjà fait. En 1993, en effet, des ébauches de
clones humains avaient été produites dans
un laboratoire américain. Mais il s’agissait alors
d’une forme rudimentaire de clonage, dite
« par clivage embryonnaire », déjà utilisée depuis plusieurs années chez les bovins. Les chercheurs de l’université George-Washington, qui
l’ont reproduite chez l’homme, ont procédé
en trois étapes. Après avoir coupé en plusieurs
éléments un embryon obtenu par fécondation
in vitro, ils sont parvenus à faire redémarrer
le développement embryonnaire de chacun
de ces éléments grâce à un milieu de culture
adéquat.
Réimplantés dans un utérus maternel, certains de ces embryons reconstitués auraient
peut-être poursuivi leur croissance. Les chercheurs ne leur en laissèrent toutefois pas
l’occasion, préférant les détruire une fois leur
expérience terminée.
... au « Meilleur des mondes »
Si le clonage par clivage embryonnaire
soulève déjà nombre de questions (quelques
semaines après l’annonce de cette performance scientifique, un sondage réalisé par
Time et CNN révélait que 77 % des Américains
étaient hostiles au clonage humain), la possibilité de cloner un être humain à partir d’une
cellule adulte ouvre une perspective autrement vertigineuse : celle de se dupliquer à
volonté, en dehors du processus naturel de la
reproduction sexuée. D’où l’intense choc émotionnel, plus fort encore qu’en 1993, qui suivit
l’annonce de la naissance de la petite agnelle.
« Dolly est l’affaire de l’année, voire de la décennie,
peut-être même du siècle. Son existence suggère
que nous pouvons contrôler le destin biologique
des humains », écrivait alors le Washington
Post. « Peut-être qu’au fond de nos angoisses
morales sommeille une déception. Nous serions
déçus qu’un individu puisse si facilement en
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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engendrer un second. Déçus qu’il y ait si peu de
résistance quand la technique et l’économie font
fi de la singularité des êtres vivants [...] Copernic a
chassé l’homme du coeur de l’univers, et Darwin,
du sein de la nature. La procréatique s’apprête à
expulser l’homme de lui-même », renchérissait
le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Et à le transformer tout à la fois en Frankenstein, Faust et
Prométhée.
« Si nous sommes hantes par toutes ces références mythologiques, mythiques ou de sciencefiction, ce n’est pas par hasard. Nous sommes très
probablement à proximité du point de non-retour », estime le généticien français Axel Kahn.
Le « Meilleur des mondes » est-il pour autant
en passe d’être réalisable ? Dans le Centre
d’incubation et de conditionnement imaginé
par Aldous Huxley, il ne serait plus alors nécessaire de plonger les ovules dans un « bouillon
chaud de spermatozoïdes », ni de recourir à la
« bokanovskification » pour que les embryons
issus de cette cuisine deviennent des clones
humains identiques. Il suffirait de fusionner
avec un ovule énucléé n’importe quelle cellule prélevée sur n’importe quel membre de la
caste adéquate, Gamma, Delta ou Epsilon, puis
de faire se développer l’embryon dans une
mère porteuse. À un détail près, mais il est de
taille : les chercheurs du Roslin Institute ont dû
effectuer 277 tentatives pour obtenir une seule
Dolly. Et si plusieurs laboratoires ont depuis lors
reproduit l’expérience (sur des ovins comme
sur des bovins), leur taux de réussite est toujours resté extrêmement bas.
De plus, on ne sait toujours pas faire pousser un embryon de mammifère en dehors d’un
utérus maternel. Sauf à trouver des centaines
de mères porteuses, on voit mal comment le
clonage humain, dans un futur proche, pourrait être appliqué à grande échelle. Mais les progrès de la science sont parfois imprévisibles. Et
le clonage d’êtres humains pratiqué au cas par
cas, quels que soient les moyens nécessaires,
est bel et bien imaginable dès maintenant.
L’éternité pour 200 000 dollars
Ni savant fou ni centre de recherche biomédical : la première institution à s’être officiellement lancée dans la course au clonage humain est la secte Raël, ou Mouvement raélien
international Fondée par l’ex-journaliste français Claude Vorilhon, elle compterait entre 20
et 30 000 fidèles dans le monde. Convaincus
de la pluralité des mondes habités et de l’existence des « Elohim » (« Ceux qui sont venus du
ciel »), les raéliens rêvent d’égaler les prouesses
techniques de ces extraterrestres, notamment
celle qui consiste à pouvoir vivre plusieurs
centaines d’années. Le transfert de la personnalité dans un nouveau corps via le clonage
serait, selon eux, un premier pas vers cette
« recréation », qui pourrait, à terme, permettre
à l’humanité d’accéder à la vie éternelle. La
secte a dans ce but fondé une société de services, nommée Clonaid dont le siège social est
situé aux Bahamas. Moyennant la somme de
200 000 dollars (plus d’un million de francs),
elle offre « l’assistance aux parents potentiels
désirant avoir un enfant qui serait le clone de
l’un d’eux ». Clonaid espère servir plus d’un
million de clients dans le monde.
Un point de non-retour ?
Quels sont donc les objectifs de ceux qui
estiment envisageable de franchir ce « point de
non-retour » ? Les plus sérieux d’entre eux sont
de deux ordres : constituer des banques d’organes parfaitement compatibles avec leurs receveurs, et pallier certaines formes de stérilité.
La première approche, dite « clonage thérapeutique », est de loin celle qui rallie le plus de
suffrages dans le monde biomédical. Il s’agirait
non pas de dupliquer un être humain, mais
d’obtenir par clonage un embryon dont les
cellules, voire les organes, seraient immunologiquement parfaitement compatibles avec
ceux du donneur d’origine. Au plan thérapeutique, les applications d’un tel procédé sont
loin d’être négligeables. Elles permettraient,
par exemple, de greffer de nouveaux neurones
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à un sujet atteint de la maladie de Parkinson,
ou encore de régénérer la moelle osseuse d’un
patient leucémique.
Quel que soit l’organe considéré, l’obstacle
majeur au succès des transplantations reste en
effet l’immunocompatibilité du donneur et du
receveur. Certes, les traitements immunosuppresseurs mis au point ces dernières décennies
ont permis, dans ce domaine, d’enregistrer des
progrès considérables. Mais le moyen le plus
sûr d’éviter tout rejet de greffe continue d’être
la transplantation de tissus et d’organes génétiquement identiques à ceux de son propre
organisme. Une compatibilité parfaite qui
n’est à l’heure actuelle réalisée qu’entre vrais
jumeaux (monozygotes), mais que le clonage
humain permettrait de généraliser. À petite
échelle, et sans passer par le stade embryonnaire, ce clonage « non reproductif » est déjà
mis en oeuvre. Depuis une quinzaine d’années,
la culture in vitro de cellules de peau, prélevées
sur l’épiderme de grands brûlés juste après
leur accident, permet ainsi à ces écorchés vifs
de retrouver une enveloppe cutanée viable et
définitive, sans que le moindre rejet immunologique survienne lors de ces autogreffes. D’où
l’idée, rendue possible par l’existence de Dolly,
et défendue par certains : produire, à partir
d’une cellule adulte de n’importe quel individu,
un embryon qui lui soit génétiquement identique ; cultiver cet embryon in vitro et obtenir
en culture la différenciation de ses cellules en
différents types (neu-ronal, hépatique, pancréatique). Une performance qui reste à ce jour
irréalisable sur les cellules humaines, mais qui
est déjà mise en oeuvre chez la souris. Celle-ci
possède en effet des cellules particulières, dites
ES (embryonic stem cells), qui peuvent, moyennant des conditions de culture adéquates,
adopter n’importe quel type de différenciation.
De telles populations cellulaires pourrontelles être obtenues chez l’homme, comme
certains travaux scientifiques préliminaires
le laissent aujourd’hui penser ? Plus fascinant
encore : pourra-t-on, dans un proche avenir, fabriquer de véritables organes en culture, coeur,
foie ou poumon ? Les avancées en matière
d’embryogenèse sont telles que rien, scientifiquement, n’interdit de le penser. Seraient ainsi
résolus, tout à la fois, les problèmes de compatibilité entre donneurs et receveurs, et le gigantesque déficit d’organes dont souffrent les hôpitaux du monde entier. Mais, si prometteuse
soit-elle pour la médecine, cette perspective
n’en pose pas moins un redoutable problème
éthique. Quel serait, en effet, le statut de l’embryon humain promis à une telle destinée ?
Peut-on considérer celui-ci comme un objet,
uniquement dévolu à un usage médical ? Pour
Axel Kahn, ce simple fait est suffisamment
grave pour justifier que l’on renonce à une telle
démarche, qui aboutirait à « une instrumentalisation pure et simple de la personne humaine, et
même de son projet qu’est l’embryon ».
Autre argument avancé par les défenseurs
du clonage humain : cette technique offrirait
un ultime recours aux couples atteints des
formes de stérilité les plus sévères. À première
vue, rien que de très logique à cela. Vingt ans
après la naissance en Grande-Bretagne de
Louise Brown, le premier bébé-éprouvette, la
capacité d’agir sur la reproduction humaine
ne cesse d’augmenter. Pourquoi pas, dès lors,
y adjoindre les possibilités offertes par cette
nouvelle technique ?
On aurait tort, toutefois, de considérer le
clonage comme une nouvelle étape dans
la longue liste des progrès de la procréation
médicalement assistée. À la différence de
l’insémination artificielle, de la fécondation in
vitro, de la congélation de cellules sexuelles ou
d’embryons humains, il s’agit ici, pour la première fois, de s’affranchir totalement de la reproduction sexuée. Autrement dit de décider
du capital génétique qui sera donné au futur
être humain ainsi conçu.
Même si l’ensemble des potentialités d’un
individu ne se résument pas, loin s’en faut, à
l’ensemble de ses gènes, le recours à la technique du clonage en tant que moyen de reproduction humaine serait, pour Axel Kahn, « un
crime contre la dignité de l’homme ». « Dans les
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
243
contes de fées, il y a souvent un méchant magicien qui transforme le héros, par exemple le prince
charmant, en crapaud. Quand bien même ce
magicien n’a pas d’emprise sur le fond, sur la personnalité, sur l’esprit, son pouvoir est considérable.
Celui qui a la maîtrise de la forme assujettit celui
qui est maîtrisé », précise-t-il.
Le professeur américain Lee Silver (université de Princeton), quant à lui, est favorable au
clonage humain pour résoudre certains cas de
stérilité. Mais il dénonce un autre danger : celui
de voir le clonage associé au génie génétique,
cette technique redoutablement puissante
qui permet désormais de « bricoler » à sa guise
n’importe quel patrimoine héréditaire. « Avec le
génie génétique, les riches pourront offrir à leurs
enfants des avantages génétiques, tandis que
les pauvres ne pourront pas avoir accès à cette
technologie, prévient-il. Ces deux classes sociales
pourraient ainsi se transformer en deux classes
génétiques, et l’on pourrait même aboutir à deux
races différentes d’êtres humains ; ceux qui ont été
améliorés génétiquement et les autres. Pour la
première fois, nous avons la perspective de façonner notre propre évolution, de choisir les gènes
que nous voulons transmettre à nos enfants. Avec
le clonage, nous avons le pouvoir d’entamer cette
transformation dès maintenant. » Le pouvoir,
autrement dit, d’effectuer un choix de société
d’une gravité et d’une portée philosophique
sans précédents.
CATHERINE VINCENT
JOURNALISTE AU Monde
Bibliographie
Axel Kahn et Fabrice Papillon, Copies
conformes, le clonage en question, Nil
Editions, 1998.
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
244
La volcanologie
Par ses ouvrages et plus encore,
peut-être, par ses films, Haroun
Tazieff a incarné les volcans
pendant près de cinquante ans.
Faisant partie des personnalités
étrangères les plus connues aux
États-Unis, il a illustré les trois
aspects fondamentaux des volcans :
la beauté du paysage, l’effort
sportif pour y accéder et l’intérêt
de leur étude scientifique. Haroun
Tazieff est décédé le 2 décembre
1997. Que restera-t-il de son
oeuvre et comment la volcanologie
évolue-t-elle ?
La volcanologie est une discipline
des sciences de la Terre qui attire
et fascine l’homme depuis longtemps. Dans l’Antiquité déjà, l’éruption catastrophique du Santorin devint dans
l’inconscient collectif le mythe de l’Atlantide.
Le Grec Empédocle pénétra dans le cratère
actif de l’Etna, supposé représenter la cheminée des forges d’Héphaïstos, pour observer ce
qui s’y passait. Plus près de nous, les volcans
éteints de la chaîne des Puys furent reconnus
par Montlosier par comparaison avec les volcans actifs de l’Italie. Au milieu du XIXe siècle,
Fouqué effectua la première étude d’une
éruption volcanique sur le Santorin. Après la
catastrophe de Saint-Pierre en Martinique le
8 mai 1902, Lacroix fut envoyé par l’Académie
des sciences de Paris sur la montagne Pelée et
en rapporta les premières photographies de
l’émission d’une nuée ardente. Persuadé de
l’importance de l’étude des volcans et du rôle
des géologues dans la prévention des risques,
Lacroix fonda en 1922 avec Malladra (Italie) et
Washington (États-Unis) la section de volcanologie de l’Union internationale de géodésie
et de géophysique (IUGG), devenue en 1967
l’Association internationale de volcanologie
et de chimie de l’intérieur de la Terre (IAVCEI).
Cependant, la volcanologie resta une discipline marginale et les volcans étaient rarement
pris en compte dans l’évolution de la surface
du globe. Par exemple, jusque dans les années
70, le certificat universitaire de « géologie historique » ne traitait que l’histoire des bassins
sédimentaires et des chaînes de montagnes.
Un trio célèbre
Avec Jacques-Yves Cousteau et Paul-Émile
Victor, Haroun Tazieff a formé un trio célèbre
dans le monde entier pour leur goût de la vulgarisation et du contact avec le grand public.
Il a eu le mérite d’avoir popularisé l’idée que
les volcans constituent une manifestation,
certes spectaculaire mais essentielle, d’une
planète en constante évolution. Sur le plan
scientifique, il a, dès les années 50, reconnu
l’importance des gaz dans la dynamique des
éruptions et développé des appareillages spécifiques. Ensuite, il s’est impliqué avec fougue
dans la prévention des risques naturels, pas
uniquement volcaniques, et c’est dans ce
domaine qu’il a certainement été le plus discuté et critiqué. Parallèlement aux activités
d’Haroun Tazieff, la communauté scientifique
internationale s’est aussi préoccupée des dangers présentés par les volcans et des moyens
pour les prévenir. À partir du choc provoqué
par l’activité de la Soufrière de Guadeloupe en
1976, les volcanologues ont mieux compris la
nécessité de mettre en commun leur savoirfaire. Le résultat paradoxal de cette crise où
les questions de personnes ont été centrales
a été de favoriser les études pluridisciplinaires
et de réunir les compétences des différentes
équipes internationales.
Dans cette évolution, l’IAVCEI joue un rôle
majeur à travers ses comités et ses commissions. Les comités sont créés pour une durée
limitée avec un but bien défini, par exemple
les protocoles de crises, l’alerte volcanique et
la mise en garde de la population, l’annuaire
des experts volcanologues. Les commissions
permanentes regroupent les scientifiques,
qui exposent leurs résultats dans les sessions
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
245
qu’elles organisent au sein des congrès annuels de l’IAVCEI et d’autres manifestations
internationales, et concernent des disciplines
variées, comme la géologie, la pétrologie, la
géochimie, la géophysique et la télédétection.
L’IAVCEI est l’organisation non gouvernementale la plus importante s’occupant de l’étude
des risques volcaniques et de l’éducation des
populations. Elle encourage la coopération
entre ses membres et participe à la décennie
des risques naturels proclamée par l’ONU par
le choix des « volcans de la décennie ».
Les volcans de la décennie
Les Nations unies ont lance un programme
de réduction des désastres naturels de 1990 à
1999. L’IAVCEI y prend part en éditant des vidéos sur les risques volcaniques afin de mettre
en garde les populations concernées, en élaborant des systèmes d’alerte et des protocoles
de conduite pour la gestion d’une crise et la
sauvegarde des personnes.
Enfin, pour comprendre comment fonctionne
un volcan à hauts risques, un groupe de travail a sélectionné les volcans de la décennie,
seize volcans actifs à travers le monde. Six
sont situés en Asie (Kamtchatka, Sakurajima et Unzen, Taal, Merapi, Ulwun), cinq en
Amérique (Mauna Loa et Rainier, Colima,
Santiaguito, Galeras), trois en Europe (Etna,
Vésuve, Santorin), deux en Afrique (Canaries,
Niragongo).
Volcanologues et pétrologues
Les volcans sont le résultat et l’expression de
surface d’anomalies thermiques dans la croûte
et le manteau, certaines pouvant s’enraciner
à plus de 2 900 km de profondeur, à la limite
entre noyau et manteau. Les magmas formés
par la fusion partielle de matériaux solides sont
relativement légers et montent vers la surface.
Ils constituent un moyen efficace de transport
de la matière et de la chaleur dans les planètes
comme la Terre. D’importants phénomènes de
contamination et de modification chimiques
se produisent au cours de l’ascension à travers
les niveaux superficiels de la lithosphère. Les
magmas réagissent aussi au contact de l’eau
avant et pendant les éruptions explosives.
Enfin, les éléments volatils des gaz volcaniques
jouent un rôle essentiel dans la composition
de l’atmosphère terrestre actuelle. À chaque
éruption, un panache de volume important
(plusieurs milliards de m 3) est libéré dans la
troposphère et parfois la stratosphère. Les
poussières et les aérosols d’acide sulfurique
qui circulent en altitude contribuent puissamment à modifier les paramètres climatiques
mondiaux et, par conséquent, la biosphère
pendant au moins quelques années. Des éruptions volcaniques répétées et hypertrophiées
ont dû jouer un certain rôle dans l’extinction
en masse d’êtres vivants au cours des temps
géologiques. Tous ces éléments sont pris en
compte par les commissions de l’IAVCEI. En
effet, le domaine de la volcanologie devient si
large que les chercheurs scientifiques de nombreuses disciplines des sciences de la Terre
doivent coopérer pour étudier et comprendre
les volcans.
Les commissions sur la chimie des gaz, le
volcanisme explosif, la réduction des désastres,
les lacs et les sédiments volcaniques, les liens
avec l’atmosphère, la sismologie en terrain volcanique, la télédétection et l’organisation des
observatoires ont de ; objets purement volcaniques et évaluent leurs impacts sur l’environnement et l’activité biologique. Cependant,
depuis 1991, tout en conservant ses activités
traditionnelles, l’IAVCEI se recentre progressivement sur les relations entre les matériaux de
l’intérieur de la Terre, l’hydrosphère et l’atmosphère. Les commissions récemment créées
sur les provinces basaltiques, les granités et les
propriétés physico-chimiques des matériaux
de l’intérieur de la Terre illustrent le souci de
mettre en relation les éruptions volcaniques,
manifestations de surface, et les phénomènes
profonds qui les ont provoquées. L’évolution
est à peine amorcée et, actuellement, deux
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populations distinctes coexistent au sein de
l’IAVCEI, celle des volcanologues, intéressés au
premier chef par la dynamique des éruptions,
les produits volcaniques, l’histoire des volcans
et la détermination des risques encourus dans
les régions peuplées, et celle des pétrologues,
étudiant les magmas et l’évolution de la Terre
à partir des objets géologiques plus anciens
ou des expériences en laboratoire. Cette apparente dichotomie se marque dans les deux
congrès organisés par l’association en 1998 :
« Cités sur des volcans » à Rome et Naples
(Italie) et « Diversité magmatique – Volcans et
leurs racines » au Cap (Afrique du Sud). À terme,
elle est appelée à disparaître, car la prévention
des risques et la compréhension physique des
éruptions ne peuvent se concevoir sans la
connaissance des phénomènes de formation
et d’ascension des magmas. Les branches de la
science, surtout les disciplines de la nature, ne
peuvent se développer sans l’intérêt, la compréhension et le soutien du public. La volcanologie comptait il y a plus de cinquante ans peu
de professionnels, travaillant individuellement
et souvent considérés comme des personnalités excentriques. Depuis, la situation a évolué
considérablement. L’activité de vulgarisation
auprès du public de personnalités comme Haroun Tazieff ou les Krafft a suscité des vocations.
Les moyens attribués à la volcanologie ont, en
outre, bénéficié du choc émotionnel provoqué par des événements tragiques, comme la
destruction de Saint-Pierre à la Martinique et
d’Armero en Colombie, et de l’impact médiatique des éruptions du St. Helens, du Chichon
et du Pinatubo.
La communauté des volcanologues s’est
agrandie, avec un financement assuré par de
nombreux organismes internationaux. Des
milliers de chercheurs utilisent maintenant une
gamme de techniques allant de la physique à
la sociologie et les méthodes de stockage des
données permettent la communication rapide
des informations. Grâce à elles, des milliers de
vies humaines ont été sauvées au cours de
l’éruption du Pinatubo, l’une des deux plus importantes du XXe siècle. Mais il existe un revers
de la médaille : plus les connaissances s’accumulent, plus les systèmes volcaniques apparaissent complexes, chacun semblant unique,
et plus l’impression de savoir peu de choses
augmente.
Les catastrophes volcaniques
dans les zones peuplées
Si la fréquence des catastrophes volcaniques
est faible, même si les conséquences sont
importantes, la population oublie le risque.
C’est ce qui est arrive au cours des deux catastrophes majeures du XXe siècle, en 1902
à Saint-Pierre, en Martinique, et en 1985 à
Armero, en Colombie, où les précautions n’ont
pas été prises par ignorance. La montagne
Pelée était entrée en éruption avant l’arrivée
des Européens et, lorsqu’elle a montré des
signes précurseurs, ils n’ont pas été compris.
Des catastrophes pires encore surviendront
à l’avenir. Le Toba, en Indonésie, a éjecte il y
a 75 000 ans plus de 1 000 km 3 de matériaux.
Aucune autre éruption hypertrophiée n’a été
observée, alors qu’il en existe beaucoup dans
le passé géologique. Le problème n’est donc
pas de savoir si une telle éruption arrivera,
mais où et quand.
BERNARD BONIN
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Police : les
biologistes à la
rescousse
Depuis une dizaine d’années, la
police dispose d’indices précieux
pour l’identification des criminels :
les empreintes génétiques. Extraites
de l’ADN, ces empreintes sont
strictement personnelles. Un outil
qui prend de plus en plus d’ampleur
dans les procédures judiciaires...
Paris, jeudi 26 mars 1998 : les enquêteurs de la Brigade criminelle arrêtent Guy Georges, l’auteur présumé de plusieurs viols et meurtres
commis entre 1991 et 1997 dans différents
arrondissements de l’est de la capitale. Sur
le lieu de certains de ses crimes, le suspect a
laissé une trace incontestable de son identité :
son ADN (acide désoxyribonucléique). En effet,
de cette molécule, support de l’information
génétique, les biologistes savent aujourd’hui
extraire une carte d’identité biologique propre
à chacun de nous, les empreintes génétiques.
Depuis huit ans maintenant, les affaires résolues grâce à ce nouvel outil se succèdent à vive
allure. En France, la technique d’identification
par empreintes génétiques est devenue pratique courante dans les affaires criminelles
comme dans les recherches en paternité. Mise
en oeuvre par cinq laboratoires de police scientifique et plusieurs laboratoires hospitalo-universitaires, elle a permis en 1997 de résoudre
près de 3 500 affaires pénales et civiles.
Dans certains cas, les empreintes génétiques sont le seul moyen de classer une affaire
judiciaire. Ainsi, le 6 novembre 1997, la cour
d’appel de Paris a, en dernier recours, ordonné
l’exhumation du corps d’Yves Montand, mort
six ans plus tôt, afin de comparer son ADN à
celui d’Aurore Drossart qui prétendait être sa
fille. Mais, sept mois plus tard, les résultats sont
là : la jeune femme n’est pas la fille de l’acteur.
Cette procédure de recherche en paternité
post mortem, pratiquée pour la deuxième fois
en France, a suscité une réelle émotion. Cependant, la vérité n’aurait jamais pu éclater sans
l’aide des techniques génétiques.
L’ADN du noyau,
une preuve irréfutable
Le principe de la technique, née en 1985
des travaux d’Alec Jeffreys à l’université de Leicester (Grande-Bretagne), repose sur la diversité génétique qui confère son unicité à chaque
être vivant. Si la grande majorité des gènes,
ces séquences impliquées dans la synthèse de
protéines, se retrouve chez tous les hommes,
ils sont sépares par des zones hypervariables,
très différentes d’une personne à l’autre, et
dont la fonction n’est pas clairement définie.
Parmi ces zones (et parfois même à l’intérieur
des gènes), les scientifiques étudient généralement les « microsatellites », des répétitions
de mini-séquences d’ADN qui diffèrent par leur
taille. Grâce à cette technique, un simple mégot de cigarette, une tache de sang, de salive,
de sperme ou même un cheveu garni de ses
cellules basales peuvent trahir un criminel, car
l’ADN est présent dans toutes les cellules de
notre corps. Cependant, la quantité de matériel
génétique récupérée à partir de telles sources
est en général insuffisante pour en extraire une
empreinte génétique. Aussi, l’apparition, toujours en 1985, de la « Polymerase Chain Reaction » (PCR), une technique d’amplification de
l’ADN, a-t-elle joué un rôle déterminant dans le
succès de cet outil.
Mais, plus que la profusion d’indices qu’elle
révèle, c’est sa fiabilité, longtemps contestée,
qui fait aujourd’hui le succès de l’identification
par empreinte génétique auprès des services
de police. La probabilité que deux personnes
possèdent la même empreinte génétique
est en effet extrêmement faible. Et, plus les
microsatellites analysés sont nombreux, plus
le risque d’erreur est réduit. Pour Jean-Paul
Moisan, professeur de génétique moléculaire
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à Nantes, « le risque d’erreur ne repose pas tant
sur le principe de la méthode que sur la qualité
du matériel dont disposent les laboratoires et le
savoir-faire des manipulateurs ».
L’ADN des mitochondries :
des indices précieux
Durant la dernière décennie, la fiabilité
et la relative facilité de mise en oeuvre de
cet outil ont également conquis les magistrats. À tel point qu’il n’est pas rare de voir
les scientifiques sommés de fournir un résultat, quelle que soit la qualité des échantillons biologiques disponibles. Aussi, pour
répondre à cette exigence, un nouveau type
d’empreintes génétiques a vu le jour récemment. Lorsque l’ADN des noyaux cellulaires
est dégradé ou absent de l’échantillon, les
biologistes peuvent en effet analyser l’ADN
contenu dans les mitochondries, les centrales
énergétiques des cellules. Mieux protégé que
l’ADN nucléaire, on retrouve facilement de
l’ADN mitochondrial dans un échantillon de
mauvaise qualité. Néanmoins, le champ d’application de ce type d’empreintes génétiques
est plus restreint que celui des empreintes génétiques classiques, car son interprétation est
plus délicate. Contrairement à l’ADN nucléaire,
hérité des deux parents, l’ADN mitochondrial
est intégralement et uniquement transmis
par la mère. Les frères, les soeurs et les cousins maternels possèdent par conséquent le
même ADN mitochondrial. Aussi, si l’étude de
ce dernier peut permettre de resserrer une
enquête en innocentant un suspect, elle ne
peut en aucun cas être l’unique motif d’une
condamnation. En outre, du fait de sa transmission maternelle, l’ADN mitochondrial ne
peut être utilisé lors des tests de recherche en
paternité. Cet outil a permis de résoudre certaines des plus grandes énigmes de l’histoire.
Ainsi, en mai dernier, les généticiens de l’université catholique de Louvain (Belgique) et de
Nantes (Loire-Atlantique) ont enfin établi que
Karl Wilhelm Naundorff, qui prétendait être
Charles-Louis, le Fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, était un imposteur. L’analyse
des fragments d’ADN mitochondrial extraits
d’une mèche de cheveux et de l’humérus
droit prélevé sur le squelette de l’ex-prétendant au trône n’a révélé aucun lien de parenté
avec celui provenant des cheveux de MarieAntoinette et de ses deux soeurs, JohannaGabriela et Maria-Josepha. C’est également
grâce à l’analyse de leur ADN mitochondrial
que les ossements retrouvés en 1991 près
d’Iekaterinbourg, en Russie, ont pu être identifiés avec certitude : il s’agit bien des restes
des Romanov, massacrés à la suite de la révolution russe. Le 17 juillet 1998, 80 ans après
leur assassinat, les membres de la famille de
Nicolas II ont enfin été inhumés au côté de
leurs ancêtres.
Les Romanov, un cas complexe
Le résultat des premières analyses de l’ADN
mitochondrial des ossements présumés de
la famille Romanov sème le doute : l’ADN
supposé de Nicolas II présente une infime différence avec celui de ses parents vivants, notamment le prince Philip, duc d’Edimbourg,
petit-neveu de la tsarine par sa mère. Mais,
en 1996, l’étude des restes du frère de Nicolas II, le grand-duc Georges, montre que lui
aussi présente cette infime différence. Ainsi,
leur grand-mère maternelle a-t-elle transmis
à ses descendants deux types d’ADN mitochondrial différents. Ce phénomène, appelé
« hétéroplasmie », serait beaucoup plus fréquent qu’on ne le pensait jusqu’à présent :
jusqu’à 20 % de la population posséderait
deux types d’ADN mitochondrial. Aussi, a
famille du dernier tsar de toutes les Russies a
bien failli ne jamais être identifiée.
La police disposera bientôt de
fichiers informatisés d’empreintes
génétiques
Actuellement, en France, les empreintes
génétiques ne permettent que d’infirmer ou
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de confirmer les résultats d’une enquête judiciaire. En effet, pour confondre un coupable,
il ne suffit pas de retrouver du matériel génétique sur le lieu du crime, encore faut-il pouvoir comparer cette empreinte à celle d’un
suspect. Or, s’il existe un « fichier automatisé
des empreintes digitales » (FAED), qui centralise des centaines de milliers d’empreintes de
personnes déjà interpellées pour des crimes
ou délits, la police scientifique française ne
dispose pas de fichier recensant les empreintes génétiques. Ainsi, ce n’est qu’après
avoir repris un à un les dossiers des délinquants sexuels de la région parisienne que
les enquêteurs ont finalement pu confondre
Guy Georges. De la même façon, les policiers
chargés de l’enquête sur le meurtre de Caroline Dickinson, la jeune Anglaise violée et
assassinée à Pleine-Fougères (Ille-et-Vilaine)
en juillet 1996, ont dû comparer l’empreinte
génétique de tous les hommes de la commune âgés de 15 à 35 ans à celle du violeur.
Sans succès.
Dans les deux cas, l’existence d’un fichier
central d’empreintes génétiques aurait permis aux enquêteurs de gagner un temps
précieux, même si des prélèvements supplémentaires sur d’autres suspects auraient été
nécessaires en cas d’échec.
Dans les pays anglo-saxons, la loi est
moins restrictive quant à l’utilisation des
techniques génétiques. Ainsi, depuis 1994, il
existe en Grande-Bretagne un fichier national regroupant les empreintes génétiques
de toutes les personnes arrêtées pour un
délit passible d’une peine de prison. Cependant, face à la recrudescence des crimes à
caractère sexuel, les législateurs français sont
revenus sur leur position : le 30 septembre
1998, l’Assemblée nationale a proposé un
projet de loi visant à établir un fichier national d’empreintes génétiques. Contrairement
à celui de Grande-Bretagne, il se limiterait
à celles des personnes condamnées pour
crimes et délits sexuels. Le 4 juin 1998, le
Parlement a définitivement adopté cette
proposition. Une décision qui ne fait pas
l’unanimité.
Craignant une utilisation abusive de
l’information génétique, certains voient
d’un mauvais oeil la création d’un tel fichier.
D’autres, en revanche, considèrent qu’elle
répond à un besoin urgent et ne constitue
pas une atteinte aux libertés individuelles.
« Basées sur l’étude d’ADN non codant, les
empreintes génétiques – une sorte de codebarres – ne donnent aucune information sur les
caractéristiques physiques ou intellectuelles de
l’individu, ni sur ses goûts et sa santé », déclare
Michel Sicard, professeur de génétique à
l’université Paul-Sabatier de Toulouse.
Les empreintes génétiques ont déjà révolutionné le monde judiciaire et permis de
résoudre quelques-unes des plus grandes
énigmes de l’histoire. Ce n’est qu’un début.
D’autant que les progrès technologiques
vont bon train : la récente mise au point
des puces à ADN devrait permettre aux
biologistes d’élaborer des empreintes génétiques fondées, non plus sur l’analyse de la
taille des microsatellites ou l’étude de l’ADN
mitochondrial, mais sur celle des mutations
ponctuelles des gènes. Toujours plus rapides
et plus efficaces, ces techniques génétiques
de pointe suscitent un intérêt grandissant.
Polémique autour des fichiers
d’ADN « nucléaire »
En France, les lois de bioéthique du 29 juillet 1994 protègent normalement toute
personne contre une utilisation abusive
des « informations recueillies au moyen de
l’étude de ses caractéristiques génétiques ».
Mais, si les laboratoires de police scientifique
sont censés se limiter à produire des « cartes
d’identité génétique », les échantillons biologiques dont celles-ci sont issues peuvent être
conservés pendant 20 ans dans l’éventualité
d’une révision du procès. Avec les progrès des
connaissances sur notre patrimoine génédownloadModeText.vue.download 251 sur 417
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tique (le projet Génome humain prévoit de
décrypter l’ensemble de nos gènes d’ici à
2005), le nombre d’informations intimes que
l’on peut extraire de l’ADN va croissant. En
particulier, il devrait être possible de prévoir
le risque d’apparition de certaines maladies
chez une personne rien qu’en étudiant ses
gènes. On imagine alors toutes les dérives
potentielles, par les employeurs et les assureurs notamment...
CLOTILDE LÉGER
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
251
Les vols
spatiaux habités
L’année 1998 a marqué une nouvelle
étape de la grande aventure que
constituent la construction et
l’assemblage en orbite, autour de
la Terre, d’une station spatiale
internationale où se relaieront
périodiquement des équipages
d’astronautes. D’une part, l’accord
intergouvernemental sur la station a
été signé le 29 janvier à Washington
par les représentants des
gouvernements des quatorze pays
participant au programme. D’autre
part, en juin, a eu lieu l’ultime vol du
programme Shuttle-Mir inauguré en
1994, qui a permis aux Américains et
aux Russes de se préparer ensemble
à l’assemblage de la station, grâce
notamment au séjour de sept
astronautes américains successifs
pendant un total de 977 jours à
bord de la station russe Mir et à la
participation de quatre cosmonautes
russes à des vols de la navette
américaine.
Selon le calendrier désormais prévu,
l’assemblage de la station devait
commencer en novembre pour
s’achever en 2003, après avoir nécessité 45 missions spatiales impliquant, du
côté américain, 33 vols de la navette, et, du
côté russe, 9 vaisseaux Soyouz pour le transport des équipages et 21 vaisseaux Progress
pour l’approvisionnement. La station sera occupée par trois personnes à partir de 1999, puis
par sept à partir de 2003.
Est-il utile d’envoyer des hommes
dans l’espace ?
Depuis son lancement, en 1984, par le président américain Reagan, le projet d’une station
spatiale internationale n’a cessé d’alimenter les
polémiques. De nombreux chercheurs ont, dès
l’origine, exprimé leurs plus vives réserves sur
l’intérêt scientifique d’un projet qui s’annonçait
extrêmement coûteux et qui laissait présager
l’abandon ou la réduction, pour des raisons
budgétaires, de missions spatiales moins ambitieuses mais mieux ciblées. Les critiques se
sont amplifiées depuis que l’effondrement de
l’URSS a entraîné une redéfinition du projet afin
d’y associer la Russie, au prix d’un important
surcoût (évaluée primitivement à 8 milliards de
dollars, la construction de la station est estimée
à présent à 17,4 milliards de dollars, malgré une
configuration sensiblement réduite).
En fait, depuis la fin de l’épopée des missions
Apollo, qui ont amené l’homme sur la Lune, le
débat autour de l’utilité des vols spatiaux habités s’instaure de façon récurrente. La part de
rêve que véhiculait l’exploration spatiale dans
les années 60 s’est largement estompée au
cours des décennies suivantes en raison des
graves problèmes économiques auxquels le
monde a dû faire face. Depuis la fin des années
80, avec l’effondrement de l’URSS et la fin de la
rivalité américano-soviétique, l’astronautique a
perdu son plus puissant stimulant. Ce nouveau
contexte n’est guère favorable aux vols spatiaux
habités. Dans le camp de ceux qui estiment
que la présence de l’homme dans l’espace est
indispensable, on souligne que les capacités
d’initiative et d’habileté humaines permettent
de valoriser au mieux l’acquisition de données
scientifiques, comme l’ont amplement prouvé
les missions lunaires Apollo. Sans intervention
humaine, le télescope spatial Hubble serait
certainement resté « myope », privant les astronomes des extraordinaires photographies
qu’il fournit depuis sa réparation dans l’espace.
« Christophe Colomb, s’il avait été robot, n’aurait
pas découvert de continent nouveau. Programmé comme un ordinateur, il aurait arrêté son
exploration et rebroussé chemin, considérant que
sa mission avait échoué lorsque, là où d’après ses
calculs devait se trouver une terre, il n’en voyait aucune », faisait-on remarquer, en 1988, dans un
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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document diffusé par le service des relations
publiques de l’Agence spatiale européenne. À
l’opposé, les adversaires des vols habités font
valoir que tous les équipements supplémentaires qu’imposent la sécurité et la survie des
équipages grèvent trop lourdement le budget
des missions spatiales alors que les progrès
récents en matière de robotique et de téléopération permettent désormais d’effectuer une
grande variété de missions de manière automatique : le succès de la mission du véhicule
robotisé Sojourner sur Mars en 1997 en fournit
un bel exemple.
La disparition d’Alan Shepard et le
retour de John Glenn
Clin d’oeil de l’histoire : deux héros américains
de l’astronautique sont venus, chacun à sa
manière, se rappeler au bon souvenir du pu-
blic à l’heure où la station spatiale internationale alimente de nouveaux débats sur l’intérêt
des vols spatiaux humains.
Alan Shepard, premier Américain à avoir effectué un vol spatial, est décédé le 21 juillet à
son domicile de Monterey (Californie), à l’âge
de 74 ans. Membre de l’équipe des sept premiers astronautes sélectionnés en 1959 pour
le programme Mercury de la NASA, ce pilote
d’essai de l’Aéronavale est entré dans l’histoire
le 5 mai 1961 en effectuant à bord de la capsule Mercury Freedom 7 un vol suborbital de
15 min 22 s, culminant à 187 km d’altitude,
avant de retomber dans l’Atlantique. C’était
23 jours après le vol du Russe Iouri Gagarine,
mais ce dernier avait accompli un tour complet de la Terre. Ce vol marquait le départ de
l’âpre compétition américano-soviétique
pour envoyer des hommes sur la Lune. Par
la suite, Shepard fut interdit de mission dans
l’espace durant 6 ans en raison d’une affection de l’oreille interne. Guéri, il put réintégrer
le corps des astronautes et alla sur la Lune en
1971, comme commandant de bord de la mission Apollo 14. Il quitta la NASA en 1974 et se
reconvertit dans les affaires, notamment dans
le commerce de la bière et l’immobilier.
John Glenn, lui aussi ancien pilote de l’Aéronavale, sélectionné en 1959 comme astronaute, a été le premier Américain à accomplir
un vol orbital, le 20 février 1962, en effectuant
trois révolutions autour de la Terre en 4 h
55 min à bord de la cabine Mercury MA-6. En
1964, il a quitté la NASA mais, sénateur démocrate de l’Ohio depuis 1974, il est l’un des plus
vigoureux défenseurs, aux États-Unis, des
programmes de vols spatiaux habités. C’est
pourquoi, malgré son âge, il s’est entraîné en
vue d’un second vol dans l’espace. En embarquant à bord de la navette, en octobre, à l’âge
de 77 ans, il a ravi à son compatriote Bruce
McCandless, alors âgé de 61 ans, le record de
l’âge le plus avancé pour une mission spatiale.
Bien que soit mis en avant l’intérêt médical de
ce vol, il s’est agi surtout d’un geste politique
et médiatique pour soutenir les vols spatiaux
habités.
La politique fluctuante de la France
Pour une puissance spatiale, le fait de s’engager dans les vols habités relève d’une décision politique. Aussi, le moins que l’on puisse
dire est que la position officielle de la France
en ce domaine n’a pas été exempte de volteface. Ainsi, au début des années 80, l’agence
spatiale française, le CNES, tout en préparant
des spationautes (Jean-Loup Chrétien, Patrick
Baudry) à voler à bord d’une station orbitale
soviétique et de la navette américaine, menait
une réflexion prospective sur la plate-forme
orbitale automatique Solaris, qui aurait eu pour
fonction de réaliser sans intervention humaine
directe, mais en faisant largement appel à la robotique, les activités que la NASA se proposait
d’effectuer avec sa navette habitée.
Puis, de 1986 à 1992, sous la pression de
ses industriels, la France a défendu jusqu’audelà du raisonnable le projet de mini-navette
habitée Hermès. Après l’abandon de ce projet,
trop coûteux pour l’Europe, elle a insisté pour
que l’Agence spatiale européenne engage
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
253
des études préliminaires à la mise au point
d’une capsule récupérable capable d’assurer
le transport d’équipages à destination ou à
partir d’une station orbitale. Et, à l’automne
1995, lors de la conférence des ministres européens de l’espace, à Toulouse, c’est grâce aux
efforts du ministre français François Fillon que
fut arrachée la décision de la participation
européenne à la station spatiale internationale. Pourtant, deux ans plus tard, le nouveau
ministre français Claude Allègre, opposant
déclaré aux vols spatiaux humains, à défaut de
pouvoir remettre en cause la participation de
la France à la construction de la station spatiale
internationale, soulignait que cet engagement
n’impliquait pas une participation ultérieure à
l’exploitation de la station. Il décidait aussi le
retrait de la France du programme européen
de capsule récupérable habitée et le raccourcissement à trois semaines (au lieu des quatre
mois prévus) de la durée du dernier vol d’un
spationaute français à bord de la station russe
Mir, en 1999.
Le rêve d’une expédition vers Mars
L’homme dans l’espace, pour quoi faire ?
Telle est, en fait, la question fondamentale.
Les rêves d’antan sont loin d’avoir été atteints.
En 37 ans de vols habités, moins de 400 personnes sont allées dans l’espace et les puissances spatiales se comptent sur les doigts des
deux mains. Les chemins de l’espace restent
difficiles et coûteux. Bien des retombées escomptées naguère – telles les usines spatiales
– n’ont pas quitté le domaine de l’utopie.
La station spatiale internationale sera essentiellement un laboratoire permanent pour des
expérimentations scientifiques ou technologiques en apesanteur ainsi que pour l’observation de la Terre et de l’Univers. Sans doute représentera-t-elle aussi une étape préparatoire
pour une future expédition humaine vers Mars.
Celle-ci pourrait intervenir entre 2020 et 2030.
Toutefois, ce type de mission pose un grand
nombre de problèmes.
Il y a d’abord la masse initiale emportée,
qui dépend grandement du type de propulsion utilisé. Certains préconisent la propulsion
électronucléaire de préférence à la propulsion chimique. Mais il faudra convaincre les
adversaires du nucléaire qu’un tel lancement
ne comporte aucun risque de pollution radioactive. La durée du vol pose également
un problème : le record actuel de temps de
séjour dans l’espace, détenu par le Russe Valéry
Poliakov, est de 14 mois, alors qu’une mission
martienne durera de 18 mois à 3 ans.
Autre difficulté : alors que, en orbite terrestre, il est toujours possible de revenir rapidement en cas d’urgence, une mission martienne devra faire face à toutes les situations
(pannes, intervention chirurgicale d’urgence,
etc.). Il faudra aussi déterminer soigneusement
la composition de l’équipage : celui-ci devra-t-il
être unisexe ou mixte ? avec ou sans couples ?
De même, le bon déroulement de la mission
exigera de ne pas sous-estimer le problème
psychologique que posera la disparition de la
Terre du champ visuel des astronautes, pour
lesquels il n’y aura plus d’autre lien avec la planète que les liaisons radio-électriques.
Le dernier problème, et non le moindre,
sera le coût exorbitant de la mission. Une étude
présentée au congrès de la Fédération internationale d’astronautique, à l’automne 1997, chiffrait ce coût, selon le scénario envisagé, entre
40 et 60 millions de dollars (soit 240 à 360 millions de francs). Sur une période de dix ans,
cela représente une dépense de 30 millions de
francs par an, soit environ 15 % des budgets
spatiaux civils dans le monde. Il est évident que
le financement ne pourra être assuré que dans
un cadre international. Or, dans le contexte
géopolitique et économique actuel, on voit
mal les dirigeants des grandes puissances spatiales décider un tel investissement pour des
objectifs purement scientifiques.
PHILIPPE DE LA COCARDIÈRE
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La violence en
milieu scolaire
Devant la gravité et la fréquence
accrue des faits de violence dans
les établissements scolaires, le
gouvernement a lancé en novembre
1997 un plan ambitieux pour
ramener la sécurité à l’intérieur
et aux abords des établissements,
organiser la prévention et s’attaquer
aux causes de ce fléau. Il importe
toutefois, pour ne pas céder à une
psychose sociale surmédiatisée,
de resituer ce phénomène dans
l’évolution générale de la violence de
la société, et, à travers les échecs et
les réussites passés, d’approfondir
la réflexion.
La plupart des études et recherches
diachroniques sur la violence
montrent que nos sociétés, loin
d’être actuellement déstabilisées
par une croissance de la violence, sont, si on
les compare à celles du passé, des espaces
relativement sûrs. Si nous prenons en compte
la violence physique qui porte atteinte à l’intégrité des personnes, qui menace leur santé et
leur vie, qui fait courir un risque mortel, nous
constatons que le nombre des homicides volontaires et des viols n’a jamais été aussi faible.
En un siècle, avec une population qui a plus
que doublé, le nombre d’accusations pour
coups et blessures portées devant les assises
est aujourd’hui huit fois moindre. Le nombre
de condamnations criminelles est quatre fois
moindre, et celui des accusations pour viol
(en dépit du secret plus profond hier qu’aujourd’hui), cinq fois moindre.
Pourtant, malgré ces éléments objectifs
« apaisants », on constate une psychose sociale,
un repli sécuritaire qui ne cesse d’augmenter
dans la population française. Les facteurs explicatifs sont à rechercher à l’intersection de l’objectif et du subjectif.
En fait, l’insécurité n’a pas besoin d’être avérée pour s’exprimer. Les statistiques fournissent
à ce propos quelques précisions. Les crimes
et délits ont régulièrement augmenté depuis
1990. Sur les 3 600 000 délits constatés, les
deux tiers sont des vols ou des cambriolages.
La délinquance sur les personnes représente
5 %. Ce pourcentage apparaît faible quantitativement, mais révèle un impact fortement
influent. Quant aux petits délits, vols à la tire,
atteintes aux biens, on note que c’est la catégorie qui a le plus progressé et qui apparaît à
l’origine de cette crispation protectionniste sur
la propriété privée.
Ce sentiment d’insécurité n’est donc pas
dénué de toute réalité, mais il est exagérément
amplifié et dramatisé au regard des risques vitaux encourus. L’intrusion croissante, à la limite
de l’omniprésence, et l’omnipotence des médias dans la sphère de l’individu et de la famille
accentuent encore cet impact, notamment
pour certaines populations plus perméables à
la peur, comme il en est des personnes âgées
ou isolées. En fait, il semble que notre société
se trouve dans une situation où, la sécurité
objective ayant augmenté, la sécurité subjective s’en trouve diminuée. La question qui se
pose dès lors est celle-ci : serions-nous à ce
propos entrés de plain-pied dans le paradoxe
de Tocqueville, pour qui « plus un phénomène
désagréable diminue, plus ce qui en reste devient
insupportable » ? Qu’en est-il exactement pour
la violence à l’école ?
Une reconnaissance récente
Même actuellement, malgré les efforts
de construction d’instruments statistiques
nationaux fiables et pertinents, il est difficile
de quantifier et qualifier de façon normative
la violence en milieu scolaire. Il faut se limiter,
pour une approche plus homogène et de caractère longitudinal, aux informations déclaratives émanant des inspections d’académie, qui
ont mis en place depuis plusieurs années leur
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
255
propre dispositif de détection, d’observation et
d’enregistrement des faits violents.
À cet égard, prenons un exemple dans le
département d’une grande agglomération. Il
apparaît que le nombre d’incidents en milieu
scolaire déclarés passe de 294 en 1994 à 2 975,
soit une augmentation de plus de 900 %.
Ceux-ci se répartissent ainsi : port d’arme (7 %),
violence sexuelle (1,5 %), agression sans arme
(22,5 %), agression avec arme (4,6 %), agression
verbale (42 %), incendie (1,8 %), atteinte aux
biens (10,5 %), racket (4 %), vol et trafic (6 %).
Ces incidents se sont déroulés dans les collèges (65 %), les lycées surtout professionnels
(20 %) et dans les écoles primaires (15 %) ;
durant les cours du matin (28 %), de l’aprèsmidi (15 %), la récréation du matin (18 %), celle
du soir (8 %) ; aux heures d’entrée (10 %), aux
heures de sortie (20 %), durant les sorties pédagogiques (1 %).
À noter, l’émergence d’un phénomène
nouveau, la violence scolaire à l’école maternelle et primaire. Ce signal « à bas bruit » peut
être analysé comme un fait « signifiant » de
l’évolution récente de notre société. En 1997,
dans ce département, plus de 500 agressions
ont été signalées, dont les trois quarts à l’école
élémentaire et un quart à l’école maternelle.
Elles se répartissent ainsi : vol et trafic (11 %),
violence aux personnes (63 %), atteinte aux
biens (23 %), port d’arme (3 %).
En résumé, il est évident que les violences
« à bas bruit » et les « incivilités » se développent
de façon rapide et particulièrement importante depuis quelques années, mais que les
« violences physiques graves » sont beaucoup
plus exceptionnelles que les médias ne
l’affirment.
Un constat brutal
Ce constat brutal et ces chiffres « apocalyptiques » doivent être tempérés et expliqués par l’apparition d’un nouveau comportement des différents acteurs du système
éducatif (chefs d’établissement, enseignants
et élèves), qui n’hésitent plus à rompre la loi
du silence, cette « omerta » qui, pendant des
années, a occulté la réalité de la violence dans
les établissements scolaires.
Cette « libération de la parole » provient en
très grande partie de l’institution elle-même,
qui, progressivement, a reconnu l’existence
de ces comportements agressifs et a mis en
place des politiques de plus en plus précises
et adaptées. Cinq textes peuvent être considérés comme marquant cette évolution
avant le récent plan gouvernemental.
– La circulaire « opération Éducation nationale-Justice » (1991), qui sensibilise les personnels enseignants et les élèves au fonctionnement des juridictions dans un but de
prévention.
– La circulaire Éducation nationale-Police
« Amélioration de la sécurité des établissements
scolaires » (1992), qui établit pour la première
fois en France une coopération entre ces deux
départements ministériels et met en place
des dispositifs locaux et départementaux de
prévention et de répression.
– Le rapport de l’Inspection générale de
l’éducation nationale « La violence à l’école :
état de la situation en 1994, analyse et recommandations », qui met en évidence une
grande carence des différents services centraux et déconcentrés et fait ressortir un certain nombre d’actions exemplaires tant dans
le domaine de la formation qu’au niveau des
collèges.
– Les 19 mesures gouvernementales de
1996 prenant appui sur le rapport de l’Inspection générale qui poursuivent trois objectifs : renforcer et améliorer l’encadrement
des élèves, aider les élèves et les parents,
protéger les établissements et améliorer leur
environnement.
– Les 14 recherches universitaires sur les
violences à l’école réalisées en 1997 à l’initiative conjointe du ministère de l’Intérieur (Institut des hautes études de sécurité intérieure)
et du ministère de l’Éducation nationale (Direction de l’évaluation et de la prospective).
Ces travaux pluridisciplinaires marquent un
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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progrès très important dans la compréhension de ce phénomène et pointent des types
d’action susceptibles d’être instrumentalisés.
Le « plan Allègre-Royal »
Ce plan, contrairement aux politiques déjà
expérimentées, est pluriannuel et fondé en
priorité sur la nécessité de concentrer des
moyens supplémentaires en personnels qua-
lifiés sur des zones scolaires recensées par
les autorités académiques, aidées par les services de justice et de police, comme « zones
violentes ».
Dix sites d’intervention situés sur six académies (Aix, Marseille, Lyon, Versailles, Créteil, Amiens, Lille) ont été retenus. Plus de
270 000 élèves de l’enseignement du secondaire et 640 000 de l’enseignement primaire
sont concernés par cette opération.
Les 3 objectifs assignés à ce plan à étapes
sont de soutenir les victimes, renforcer la
capacité d’intervention des établissements et
conduire une action éducative globale. Pour ce
faire, les principales mesures concernent une
concentration très importante des ressources
sur ces sites (15 000 emplois-jeunes comme
aides-éducateurs, personnel d’éducation,
personnel médico-social, appelés du contingent...), un dispositif d’observation permanent,
une gestion des ressources humaines adaptée, des sanctions aggravées, une formation
spécifique des personnels, un partenariat renforcé, notamment par la création des contrats
locaux de sécurité élaborés conjointement
par le préfet, le procureur de la République et
le maire en association avec le recteur. Cette
expérimentation est suivie et évaluée par l’Inspection générale de l’éducation nationale et
des équipes de chercheurs. Elle s’intègre dans
le plan ministériel d’ensemble de lutte contre
le fléau placé sous la responsabilité des directions du ministère.
Une augmentation de la violence « à
bas bruit » et des « incivilités »
Les premiers résultats de ces actions
montrent que, sur le plan statistique, les
faits de violence graves sont en diminution, mais que la violence « à bas bruit » et
les « incivilités » ont tendance à augmenter
fortement, surtout chez les plus jeunes. Les
chercheurs mettent plus particulièrement
en évidence les phénomènes suivants :
– un durcissement de terrain tant dans la relation entre élèves qu’entre élèves et enseignants
– le sentiment d’agressivité croît fortement ;
– un effet « établissement » réel, qui
permet, dans des conditions « défavorables » équivalentes, à certains établissements de lutter avec succès contre la violence – mais l’effet « classe », qui reste à
étudier, ne serait-il pas plus performant ? ;
– l’arrivée et l’intégration réussie au collège
des emplois-jeunes, aides-éducateurs, particulièrement dans leur mission d’aide, d’écoute,
d’encadrement des jeunes et dans celle de
« participant » à la médiation dans le cadre de
la prévention et de la gestion de crise entre
élèves.
Des modèles explicatifs
Il serait illusoire et même irresponsable de
proposer des actions de lutte contre la violence dans les établissements scolaires sans
les faire précéder d’esquisses de modèles explicatifs qui situent mieux les causes selon les
contextes multifactoriels dont cette violence
est issue.
En premier lieu, il faut souligner ce que
la plupart des enquêtes et des recherches
mettent en évidence : le coeur des solutions
se trouve au sein même de l’établissement
scolaire, quelles que soient la volonté de participation des partenaires et l’efficacité de
leurs interventions. La confrontation d’un certain nombre de monographies a mis en évidence de façon presque « caricaturale » deux
constats. L’un prouve par ses réussites la nécesdownloadModeText.vue.download 258 sur 417
DOSSIERS DE L’ANNÉE
257
sité absolue d’une prise en compte éducative
et pédagogique, à titre préventif et curatif, des
comportements violents. L’autre, qui est une
démonstration a contrario, se caractérise par
ses échecs dus essentiellement à la non-reconnaissance et à la négation des faits ainsi qu’au
recours systématique, tant comme cause invoquée que comme remède effectif, à « l’autrui de
l’extérieur ».
Cette conception fataliste, sous-tendue par
l’argument (réel) que la violence est un fait de
société et celui (discutable) qui veut que ses
racines et ses causes soient exclusivement
« exogènes », entraîne les « démissions successives et en cascade » des différents niveaux de
responsabilité institutionnels et instaure alors
les conditions les plus favorables au développement de la violence à l’école. Laisser se développer ce « laxisme », c’est faire son deuil de
toute politique préventive secondaire et laisser
le champ à la seule répression.
Il est évident que l’école ne peut supprimer
les composantes sociales et économiques de
la violence « importée », mais qu’elle doit les intégrer dans la construction de ses actes éducatifs. Les enseignants qui refusent de les reconnaître sont alors complètement désarmés sur
le plan éducatif. Demandeurs de répression et
de protection, ils contribuent alors à renforcer
les phénomènes d’exclusion et d’affrontement.
Il faut toutefois ici remarquer que cette
violence se déclenche en des lieux et selon
des circonstances précises situés à l’intérieur
de l’école. Ce qui signifie que cette dernière
produit pour certains élèves des « effets déclencheurs » et qu’elle n’est pas le reflet d’une
réalité « hors les murs », comme certaines simplifications le laissent aujourd’hui accroire.
Les contenus d’enseignement, les méthodes,
les comportements de certains enseignants
sont donc, dans certains contextes, sources
de comportements violents. L’échec scolaire
dans tous ses composants et sous toutes ses
formes apparaît ainsi comme une des causes
majeures de ces situations.
Cet important corpus d’informations
permet désormais d’esquisser des modèles
théoriques. Celui qui est proposé par le rapport de l’IGEN prend en compte deux types
de conduite, les agissements « anomiques »
(absence des règles et de normes) et « antagonistes » (des comportements francs d’opposition et/ou de haine), et il facilite la mise en
oeuvre des politiques de gestion de la violence,
avec une prévention « secondaire ».
D’une façon générale, la réflexion en France
sur la violence scolaire – et sa traduction sur le
terrain – est très récente, et elle s’est orientée
sous la pression de l’urgence dans l’élaboration
de programmes de gestion de ce phénomène.
Le rapport de l’IGEN
Ce modèle proposé par l’IGEN part de l’analyse que les actions mises en oeuvre face à
la violence sont marquées par trois grandes
tendances que l’on peut qualifier de sécuritaire, identitaire et solidaire. Le sécuritaire
est fortement construit sur des mesures de
protection et de répression ; c’est le syndrome
de « la citadelle assiégée ». L’identitaire repose
sur des priorités d’actions qui maintiennent
et améliorent l’identité de l’établissement où
la prévention pédagogique est dominante ;
c’est le type de « l’établissement-sanctuaire ».
Le solidaire est construit sur la recherche d’un
équilibre en osmose avec l’environnement ; la
prévention partenariale le sous-tend : c’est le
modèle de « l’espace éducatif concerté ». Cette
clarification est une approche qui permet,
d’une part, aux acteurs eux-mêmes défaire un
constat et de se situer lucidement dans leur
pratique, éventuellement de la modifier, et,
d’autre part, aux décideurs d’élaborer des po-
litiques en adéquation avec les missions édudownloadModeText.vue.download 259 sur 417
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catives nationales qui intègrent à des degrés
divers ces différentes composants.
Gérer et/ou prévenir la violence ?
En relation directe avec la prégnance administrative et l’importance historique accordée
à l’efficacité de la « planification » en France, la
première réponse a été de mettre en oeuvre
des programmes d’ordre structurel infra-, périet post-scolaires. La seconde réponse, encore
très timide, concerne des programmes destinés aux élèves et aux enseignants.
Pour les élèves du primaire et du secondaire, ces programmes sont construits sur
l’apprentissage de la médiation, de la négociation, et de démarches de résolution de conflits.
Pour les enseignants en formation initiale, ce
sont surtout des modules de formation qui les
préparent à enseigner dans des situations difficiles (connaissance des milieux et des élèves
« à risque », adaptabilité des réponses pédagogiques...) et des stages pratiques en situation
sous tutorat renforcé, dans des établissements
« sensibles ».
L’orientation d’action de la formation continue, quant à elle, est plus de répondre aux
demandes « du terrain » autour d’une situation
de crise passée ou présente et de privilégier les
stages sur les lieux d’exercice.
On remarquera dans cette panoplie de programmes l’absence quasi complète d’actions
concernant des acteurs principaux : les parents.
Ces programmes ont toutefois leur propre
limite. D’une part, même réussis, ils sont porteurs pour certains élèves de tendances « schizophréniques », ceux-ci retrouvant souvent leur
comportement agressif dès le franchissement
du seuil de l’établissement ; d’autre part, ils
sont tardifs et paraissent « asymptotiques » aux
causes profondes de ces agissements.
Pour remédier à cette situation dans un avenir proche, et en complément des actions déjà
menées, la France ne devrait-elle pas s’inspirer
de certaines recherches en cours au Canada et
aux États-Unis qui partent de l’évidence que la
violence d’un adolescent n’est pas un phéno-
mène spontané, mais le fruit de sa longue histoire personnelle, et qui mettent en place des
dispositifs de prévention « primaire » à l’école
maternelle et élémentaire ?
De 1982 à 1998, la violence scolaire, « phénomène » marginal selon le ministre Alain
Savary, est devenue « un enjeu majeur de notre
société » pour les ministres Claude Allègre et
Ségolène Royal.
L’école, par son action éducative et intégrative, son caractère républicain et laïc, avec un
partenariat approprié, semble en position de
relever ce défi. Son fonctionnement harmonieux et ses progrès ainsi que l’équilibre de
notre démocratie en dépendent certainement.
GEORGES FOTINOS
Bibliographie
La violence à l’école : état de la situation
en 1994, analyse et recommandations,
rapport de l’Inspection générale de
l’éducation nationale au ministre
(rapporteur Georges Fotinos). Rapport
annuel de l’IGEN, la Documentation
française, juin 1995.
Bernard Charlot et Jean-Claude Emi,
Violences à l’école. État des savoirs,
Armand Colin, août 1997.
Georges Fotinos, François Testu,
Aménager le temps scolaire, Hachette
Éducation, 2e édition, Paris, 1997.
Absentéisme et violence à l’école, CRDP
de Grenoble. 1995.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
259
Le cannabis en
thérapeutique
Depuis une période très reculée,
le cannabis – ou chanvre indien –
a été utilisé par l’homme comme
traitement de la douleur et
d’innombrables pathologies. Le
cannabis compte ainsi au nombre
des panacées dont l’intérêt en
thérapeutique s’imposa pendant
des siècles. Si les médecins
sont longtemps demeurés libres
de prescrire de l’extrait ou
de la teinture de cannabis, la
prohibition mondiale portant sur
cette plante, inscrite sur la liste
des stupéfiants, a interdit cette
pratique que consacrait l’histoire.
Cependant, depuis une quinzaine
d’années environ, des demandes
de patients comme de médecins se
font pressantes pour voir reconnu
officiellement l’intérêt thérapeutique
du cannabis et de ses principes
actifs, les cannabinoïdes.
Cannabis est le nom scientifique du
chanvre, une plante connue sous
deux formes étroitement liées.
Les variétés dites « textiles » sont
cultivées pour leurs fibres, matière première
de la production de tissus et de cordages. Les
variétés communément désignées comme
chanvre « indien » produisent quant à elles
une sécrétion glandulaire, ou « résine », riche
en substances chimiques de la famille des cannabinoïdes (cf. encadré). Ces variétés sont couramment utilisées en raison de leurs propriétés
psychoactives bien qu’elles soient inscrites sur
la liste des stupéfiants.
Une ancienne panacée
Si diverses sociétés traditionnelles, notamment en Afrique, recourent encore au cannabis pour essayer, par exemple, de traiter les
morsures de serpents ou pour insensibiliser
les femmes lors d’un accouchement difficile,
notre culture a renoncé à utiliser cette plante
en thérapeutique. Pourtant, 2 000 ans avant
Jésus-Christ, on trouve déjà trace de l’usage
du cannabis en Chine dans des indications
variées : fièvre du paludisme, douleurs rhumatismales, douleurs menstruelles, constipation.
En Inde, la résine de cannabis était administrée comme antipyrétique, mais également
pour lutter contre l’insomnie, la dysenterie,
comme antimigraineux et pour stimuler l’appétit. Les témoignages sur l’usage du chanvre
indien en médecine occidentale demeurent
rares jusqu’au XIXe siècle, qui constitua l’âge d’or
de son utilisation médicale, dans la foulée de
l’intérêt que lui vouèrent alors nombre d’artistes et d’amateurs d’orientalisme.
Ce fut un médecin britannique, William
B. O’Shaughnessey, en poste à Calcutta, qui
réalisa les premières études expérimentales
sur l’usage thérapeutique du cannabis cultivé
en Inde. Le cannabis apparut en 1854 dans
la Pharmacopée américaine. Indiqué dans le
traitement d’une centaine de maladies, il était
alors disponible dans toutes les pharmacies.
Ses indications gagnèrent un domaine de la
thérapeutique jusqu’alors réservé à l’opium,
car il donnait moins d’effets psychiques indésirables et moins de risque de dépendance.
Toutefois, un désintérêt se manifesta à la fin
du XIXe siècle pour cette plante, car les jeunes
médecins privilégiaient les médicaments d’origine industrielle, notamment les alcaloïdes
injectables (morphine, cocaïne), aux effets
plus rapides et plus spectaculaires. De plus, les
mesures de prohibition prises aux États-Unis
dans les années 30 à rencontre du cannabis,
accusé de constituer, sous la désignation de
marijuana, une drogue puissante et toxique,
vinrent limiter puis empêcher son utilisation
en thérapeutique. La prescription de cannabis
y fut interdite à partir de 1937. Il fut supprimé
de la Pharmacopée de ce pays en 1941 puis de
la Pharmacopée française en 1953. En 1960,
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
260
l’OMS avisa la commission des stupéfiants de
l’ONU qu’il n’existait plus de raisons scientifiques à valider la prescription de préparations
à base de cannabis.
Des bénéfices à évaluer
La banalisation actuelle de l’utilisation du
cannabis comme « drogue » n’explique que
pour partie la popularité dont bénéficie son
usage thérapeutique. Des améliorations parfois spectaculaires que l’usage du cannabis a
apporté à des patients souffrant de pathologies
graves et invalidantes, pour empiriques qu’elles
soient, sont venues justifier le regain d’intérêt
porté à cette plante. Des témoignages nombreux, d’origine essentiellement américaine,
soulignent l’intérêt du cannabis dans l’amélioration de certaines pathologies. Les indications
essentielles ciblées par la recherche clinique
sur les propriétés du cannabis sont l’anorexie
des patients atteints du sida, le traitement de
certains types de douleur (celle des membres
fantômes des amputés, notamment), des
maladies neurologiques que caractérise une
spasticité musculaire difficilement contrôlable
par les thérapeutiques conventionnelles (sclérose en plaques, par exemple) et, peut-être, le
glaucome résistant aux traitements conventionnels. Le traitement des nausées et vomissements des patients cancéreux a fait l’objet
d’investigations maintenant anciennes. Dans
la pratique, de nombreux pays commencent à
autoriser des essais thérapeutiques ciblés sur le
cannabis et ses principes actifs. Aux États-Unis,
ce sont plus de 35 États qui admettent aujourd’hui la possibilité de recourir au cannabis
en médecine, mais le principe n’est cependant
pas reconnu au niveau fédéral. Dans la plupart
des cas, il s’agit de protocoles « compassionnels » pour lesquels le médecin ne prescrit
pas, au sens strict, le produit, mais le conseille
seulement. Les patients peuvent se le procurer
auprès de « clubs » spécialisés. En Angleterre,
la British Médical Association a demandé officiellement en novembre 1997 une modification des lois afin d’autoriser les scientifiques
à utiliser certains dérivés du cannabis dans
les indications sensibles. De fait, les premiers
essais cliniques destinés à évaluer l’efficacité
des cannabinoïdes chez des patients souffrant
de douleurs postopératoires et de sclérose en
plaques y sont maintenant programmés.
Médicaments à base de
cannabinoïdes et thérapeutique
Des programmes de recherche ont permis
de mieux comprendre les mécanismes d’action des cannabinoïdes et de développer des
analogues de synthèse, dont, notamment, la
nabilone, un produit commercialisé aux ÉtatsUnis et en Angleterre dans la prévention et le
traitement des vomissements chez les patients
cancéreux (Cesamet®). L’un des produits les
plus actifs du cannabis, le THC, sous forme d’un
produit pur, administré par voie orale à la dose
de 15 à 20 mg, est utilisé en thérapeutique. Il est
synthétisé par l’industrie sous la dénomination
internationale de dronabinol (la spécialité est
le Marinol®). Commercialisé depuis 1985 aux
États-Unis, il permet de contrôler les nausées et
les vomissements chez des patients qui ne répondent pas aux traitements conventionnels.
L’utilisation de cette spécialité est autorisée
depuis 1992 dans le traitement de l’anorexie
des patients atteints de sida. La posologie
varie selon l’indication et le patient entre 2,5
et 20 mg/j. Ce traitement peut donner lieu à
une dépendance psychologique, comme pour
toute substance anxiolytique. Il n’induit pas de
modifications de l’humeur. Depuis février 1998,
une modification des textes allemands concernant la prescription des stupéfiants autorise
les médecins à prescrire du dronabinol dans
le traitement des douleurs et de l’anorexie du
sujet sidéen. Depuis mars 1998, les malades du
sida ou du cancer peuvent, dans le cadre d’une
mesure expérimentale, se procurer des capsules à base de THC dans certaines pharmacies
néerlandaises.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
261
Cannabinoïdes, les principes actifs
du cannabis
Le cannabis produit environ 400 composés
chimiques dont une soixantaine de cannabinoïdes, un groupe de substances que l’on n’a
pu retrouver que dans cette plante. Les propriétés pharmacologiques de la plupart de
ces composés demeurent totalement inconnues. L’un de ces cannabinoïdes, le tétrahydrocannabinol (D9THC), fait toutefois l’objet
des études les plus avancées en raison de ses
propriétés psychoactives puissantes. Elles ont
prouvé qu’il n’est pas seulement responsable
des effets du cannabis sur le psychisme mais
également de la majorité de ses autres actions
pharmacologiques. Il existe par ailleurs des
cannabinoïdes de synthèse utilisés déjà en
médecine (nabilone, dronabinol, ce dernier
est en/ait un THC produit en laboratoire). Les
cannabinoïdes agissent en se fixant sur des
structures spécifiques de la membrane des
cellules nerveuses, les neurones. Une fois fixés,
ils modifient les échanges d’informations
entre les cellules, d’où leurs effets psychiques
(euphorisants, tranquillisants, amnésiants,
etc.) ou physiques (décontracturants musculaires, bronchodilatateurs, etc.).
Préparations à base de cannabis et
thérapeutique
Nombre d’usagers ayant expérimenté le
cannabis et les cannabinoïdes de synthèse
jugent ces derniers moins puissants. L’association de plusieurs principes actifs dans le
cannabis pourrait, selon eux, expliquer ces observations. Peut-être faut-il y voir aussi le rôle
de l’habitude de fumer de la marijuana et la
dimension hédoniste de la consommation de
cannabis ou de haschisch ?
L’inhalation de la fumée du cannabis – souvent mélangé à du tabac – est préjudiciable à
la santé. Elle expose à des risques de cancérogenèse et d’infections non négligeables – notamment chez des patients dont les réactions
immunitaires sont affaiblies. Les médecins
favorables à son usage préconisent donc d’administrer le cannabis par d’autres méthodes.
Les utilisateurs de la plante privilégient le
recours à un vaporisateur (dispositif destiné à
vaporiser, sans combustion, les principes actifs
du cannabis, qui sont alors inhalés sous une
forme presque pure, ce qui exclut l’inhalation
de goudrons mais ne prévient pas chez certains patients une irritation bronchique).
Des problèmes en suspens
Les partisans de l’usage du cannabis soulignent son excellente tolérance, son faible
pouvoir addictif (d’ailleurs, font-ils valoir, hésitet-on à prescrire de la morphine, dont le pouvoir toxicomanogène est également reconnu,
sachant que le déterminisme de la survenue
d’une toxicomanie est avant tout psychologique et social ?), la possibilité de l’utiliser à
l’aide de vaporisateurs. Surtout, ils rappellent
le caractère coercitif d’une législation qui empêche la réalisation d’études susceptibles de
prouver l’intérêt médical du cannabis.
Les détracteurs de l’utilisation du cannabis
avancent le manque d’études scientifiquement valides (il est d’ailleurs impossible de
conduire de telles études car les échantillons
de plante sont trop différents), la possibilité de
recourir à d’autres médicaments dans toutes
les indications évoquées, l’impossibilité d’évaluer correctement et de façon reproductive les
effets d’une plante si riche en composés pharmacologiquement actifs, les dangers d’une
consommation sous forme d’un mélange à du
tabac. De plus, la coexistence d’un cannabis
« thérapeutique » et d’un cannabis « drogue »
risque d’entraîner une incompréhension de
la législation actuelle. S’agissant des médicaments à base de THC pur, ils rappellent le
pouvoir toxicomanogène de ce cannabinoïde
et son élimination très lente de l’organisme,
à l’origine d’une rapide accumulation dans le
cerveau notamment et d’effets indésirables
nombreux.
Les préparations fumables à base de cannabis (type marijuana ou haschisch) sont totadownloadModeText.vue.download 263 sur 417
JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
262
lement prohibées aux États-Unis, mais le THC
peut être utilisé sous forme de médicaments
oraux prescrits par un médecin. Cette disposition est conforme au droit international.
En revanche, le droit interne français se singularise par une grande sévérité à l’égard du
cannabis puisque le THC lui-même est considéré comme un stupéfiant, quel que soit son
mode d’administration. À ce titre, l’Académie
nationale de médecine a réaffirmé en juin
1998 que le cannabis était un produit dangereux dont les effets psychotropes pouvaient se
révéler graves chez de jeunes consommateurs,
en écho à la publication du rapport remis au
gouvernement par le professeur Bernard
Roques, qui soulignait que l’usage de cannabis
n’avait aucune neurotoxicité. Selon l’Académie,
les applications thérapeutiques du cannabis
comme de ses dérivés de synthèse n’ont démontré « aucune supériorité par rapport à des
médicaments ».
La controverse demeure donc passionnelle autour du cannabis. Elle ne contribue
pas à clarifier le débat scientifique portant sur
sa valeur thérapeutique ni même sur celle de
ses dérivés de synthèse, seuls aptes à autoriser
une appréciation scientifique conforme aux
normes internationales usuelles d’évaluation
des médicaments.
DENIS RICHARD, FRANÇOIS-GUILLAUME RIVIÈRE
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
263
L’euro et ses
défis
Après dix ans de polémiques et
d’efforts, l’euro est enfin né à la
date prévue, le 1er janvier 1999. Son
arrivée, qui a déjà permis de
préserver l’Europe de la tourmente
financière venue d’Asie, est
prometteuse, mais également lourde
de défis. Pour réussir le pari de
l’euro, une seule voie est possible :
le fédéralisme.
La grande révolution monétaire a
finalement eu lieu, comme prévu,
pendant le premier week-end de
l’année 1999. L’euro est là, même
si, concrètement, la plupart des citoyens des
onze pays qui le partagent (Allemagne, France,
Italie, Espagne, Autriche, Pays-Bas, Irlande, Portugal, Belgique, Finlande et Luxembourg) n’en
voient pas encore la couleur. Ils devront en effet attendre le début de l’année 2002, lorsque
apparaîtront les premiers billets et pièces libellés en euros.
Mais, d’ores et déjà, les marchés financiers
(monétaires, interbancaires, boursiers...) ont
basculé dans la nouvelle monnaie. Et, dans
toute la zone euro – rebaptisée par la presse
« Euroland » –, il est possible à quiconque d’ouvrir un compte bancaire en euros. En réalité la
monnaie « franc » n’existe plus. Certes, la plupart des gens continuent à payer leurs achats
en francs, à signer des chèques en francs, à
toucher leurs revenus en francs. Mais le franc
n’est plus qu’un déguisement de l’euro, une
déclinaison de la monnaie européenne, une
subdivision non décimale de cette dernière.
En tant que monnaie, le franc n’a pas plus
d’existence que n’en ont le centime, le penny
ou le kopeck. La vraie et la seule monnaie, en
France, comme dans les dix autres pays d’Eu-
roland, c’est l’euro. La politique monétaire est
désormais définie a Francfort, dans les locaux
de la Banque centrale européenne (BCE) : là se
décident le cours de l’euro par rapport au dollar ou au yen, le volume de la masse monétaire,
le niveau des taux d’intérêt à court terme du
continent. La Banque de France n’est qu’une
courroie de transmission de la Banque centrale
européenne, et son Conseil de politique monétaire est à peu près aussi utile qu’une rangée
de potiches.
C’est le 2 mai 1998, à Bruxelles, que les
quinze pays membres de l’Union européenne
(UE) ont finalement franchi le pas.
Au terme d’un week-end particulièrement
mouvementé, ils ont solennellement annoncé
qu’ils iraient jusqu’au bout de leur projet, et
que onze d’entre eux commenceraient l’aventure comme il avait été prévu, c’est-à-dire le
1er janvier 1999.
Dès lors, les marchés financiers ont totalement cessé de parier sur un échec de l’euro.
Les monnaies des onze pays formant l’Euroland se sont « coagulées », pour reprendre la
charmante expression d’un banquier central.
Aucun spéculateur ne s’est avisé, par la suite,
de tenter de les diviser.
1. Le cadeau de naissance de l’euro.
Il s’est produit un petit miracle : l’euro a protégé le continent contre les tempêtes financières venues d’Asie et de Russie.
En d’autres temps, une crise financière telle
que celle que le monde a connue en 1997
et 1998 aurait tiré à hue et à dia le système
monétaire européen, créant de grandes perturbations entre le franc, le mark, la lire. Pour
défendre leurs devises, les banques centrales
des pays européens auraient relevé leurs taux
d’intérêt à court terme, ce qui n’aurait pas
manqué de freiner l’investissement et donc la
croissance – les spéculateurs empruntent des
francs, les vendent contre des marks, attendent
la dévaluation. Ils remboursent alors des francs
dévalués et empochent un gain. Relever les
taux d’intérêt rend donc plus coûteuses ces
opérations. Mais rien de tel n’est arrivé cette
année. Le franc, par exemple, est resté collé
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
264
à son cours pivot : 3,35 francs pour un mark.
Mieux : des milliards de dollars de capitaux baladeurs, fuyant les zones à risques, sont venus
se réfugier dans les pays d’Euroland, considérés
comme une zone monétaire sûre. Cette « fuite
vers la qualité » (fight to quality), ainsi que l’ont
baptisée les boursiers, a contribué à faire baisser les taux d’intérêt à long terme : quand l’argent est moins rare, il est en effet moins cher.
Cette baisse des taux a permis de donner des
vitamines à une croissance qui, sinon, risquait
de pâtir de la baisse des exportations vers l’Asie.
L’euro a donc permis sinon de neutraliser,
du moins d’atténuer le choc de la crise financière mondiale. En revanche, les monnaies
européennes qui ne font pas partie des onze
« partants » pour la monnaie unique n’ont pas
pu, elles, profiter de ce « bouclier ». C’est le cas
par exemple de la couronne suédoise ou de
la drachme grecque. Quant à la Norvège, qui
n’est pas membre de l’Union européenne, elle
n’est pas parvenue à défendre sa monnaie face
à la spéculation : en août, elle s’est sagement
résignée, après plusieurs hausses de ses taux
d’intérêt, à laisser flotter sa devise.
Ainsi, avant même de voir le jour, l’euro a
prouvé son utilité. Il faut dire qu’il devait bien
aux Européens ce « cadeau de naissance ».
Sa gestation, qui aura duré dix ans, n’a été ni
simple, ni indolore.
2. Une gestation douloureuse.
Politiquement, d’abord, la question a déchiré les opinions de plusieurs pays. En Allemagne, c’est contre l’avis de son peuple que
le gouvernement a décidé de rejoindre la
monnaie unique. En France, le clivage maastricht-antimaastricht a divisé le principal parti
de droite – le RPR -et créé des tensions dans
le principal parti de gauche – le Parti socialiste.
Résultat : que ce soit en France ou en Allemagne, les grands partis politiques, qui prodiguaient naguère des convictions européennes
bien ancrées, sont devenu des « europhiles
honteux ». Ce changement de discours risque
de rendre la construction européenne plus difficile à faire avancer que par le passé.
Surtout, sur le plan économique et social, la
préparation de la monnaie unique n’a pas été
non plus un chemin pavé de pétales de rosés.
La voie choisie pour faire cette monnaie unique
– la fameuse « convergence » – a entraîné des
politiques souvent lourdes à supporter.
Sur l’insistance des Allemands, le traité de
Maastricht a en effet prévu des conditions draconiennes à l’entrée dans la monnaie unique.
Les devises devaient être stables, notamment
face au mark, l’inflation devait être vaincue, les
déficits réduits à 3 % du PIB (Produit intérieur
brut), la dette en voie de résorption rapide,
etc. Douze pays – et même quinze à partir de
l’élargissement de l’Union, en 1995, à la Suède,
la Finlande et l’Autriche – ont décidé de suivre
tous ensemble la même politique de rigueur
monétaire et d’austérité budgétaire. Ce mouvement d’ensemble, sorte de grande purge
collective, n’a pas manqué d’aggraver la récession européenne du début des années 90. Les
marchés financiers n’ont pas, par ailleurs, facilité la tâche des Européens : doutant du succès du projet de monnaie unique, ils ont en
1992 et 1993 harcelé les monnaies du système
monétaire européen, spéculant contre la lire,
la peseta, le franc... Dans un premier temps, les
banques centrales des pays dont les monnaies
étaient attaquées ont réagi en relevant leurs
taux d’intérêt à court terme, ce qui a contribué
à décourager l’investissement. Ce n’est qu’à
partir d’août 1993, après l’élargissement de la
bande autorisée de fluctuations des monnaies
européennes entre elles, que ces turbulences
se sont peu à peu calmées.
3. D’une souveraineté confisquée à
une souveraineté partagée.
L’euro présente des avantages évidents : la
fin des commissions et des frais de changes,
coûteux pour les entreprises comme pour les
touristes ; la fin des incertitudes de changes,
qui freinent le commerce intraeuropéen ; l’affichage, enfin, d’un symbole européen fort : la
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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monnaie « crée du lien social », comme disent
les sociologues, et ne peut que contribuer à
faire naître chez les européens un sentiment
de communauté...
Mais là n’est pas l’essentiel. Les principaux
avantages attendus de l’euro sont plus politiques que commerciaux ou symboliques. Le
premier objectif de l’euro, celui qui fut à l’origine du projet, est de partager entre tous les
États de l’Union européenne un pouvoir monétaire qui, de fait, leur avait échappé au profit
d’un seul d’entre eux : l’Allemagne.
Un petit retour aux origines. Vers la fin des
années 80, la France démantèle ses contrôles
des changes. Elle prend du même coup
conscience des conséquences de ce choix :
elle perd totalement l’autonomie de sa politique monétaire. En effet, si la Bundesbank allemande augmente ses taux d’intérêt, la Banque
de France n’a de choix que de l’imiter. Cela ne
va pas toujours forcément dans l’intérêt de
l’économie française, mais la banque centrale
ne peut faire autrement : si elle ne « suit » pas
la Bundesbank, les capitaux, désormais totalement libres d’entrer et sortir de l’Hexagone,
filent en Allemagne où le mark est mieux rémunéré. Et le franc ne peut alors qu’être dévalué. Pour Paris, la situation est vite jugée insupportable. La Bundesbank a pris le contrôle de
l’Europe, et le seul moyen de modifier la donne
est de faire en sorte que l’Europe prenne le
contrôle de la Bundesbank. Comment ?
En remplaçant la « Buba », au conseil de
laquelle ne siègent que des Allemands, par
une nouvelle banque, représentant les intérêts
de l’ensemble des pays européens. En janvier
1988, le ministre de l’Économie et des Finances
Edouard Balladur lance l’idée publiquement.
Le pari est fou, mais le chancelier Kohl, au nom
de l’intérêt européen, accepte ce sacrifice. Évidemment, il pose ses conditions : la Banque
centrale européenne devra ressembler comme
une soeur jumelle à la Bundesbank allemande.
Malgré de nombreux bras de fer, il a eu gain
de cause sur toute la ligne : le siège de la BCE
est à Francfort, ses statuts sont un carbone de
ceux de la Bundesbank, et le culte de la stabilité chère aux Allemands est verrouillé par un
« pacte ».
La BCE, au conseil de laquelle chacun des
Onze est représenté, n’est rien d’autre qu’une
« Buba » mise au service de l’Europe. Lorsqu’elle
aura à relever ou à baisser ses taux d’intérêt,
elle tiendra compte de l’intérêt commun de
l’ensemble du continent, et non plus de celui
de la seule Allemagne. C’est le principal acquis
de l’euro.
À partir du moment où les pays européens
ne sont plus obnubilés par leurs taux de
change, ils sont plus libres de suivre la politique
économique qu’ils souhaitent. Ils retrouvent de
ce fait de réelles marges de manoeuvre, et tout
les pousse à coordonner soigneusement leurs
actions. De cette manière, leurs taux d’intérêt
n’ont pas à être aussi élevés qu’auparavant : les
prêteurs internationaux n’ont plus à demander
une « prime » pour les risques de change. Ce
qui ne peut que faciliter la croissance.
4. La monnaie de tous les dangers.
En se lançant dans cette aventure, les Européens n’ont pas pour autant fait un pari facile.
L’euro peut être la meilleure comme la pire des
choses.
Mais, décider de se doter d’une unité de
compte commune et de suivre une politique
monétaire uniforme sur tout un continent
n’est en effet pas sans risques. Le premier,
c’est que l’euro génère une brutale course à la
compétition entre les entreprises, mais aussi
et surtout entre les régions et les États. Avec
l’euro, le marché européen est en effet totalement unifié et transparent. On peut comparer
instantanément les prix des produits, quelle
que soit leur origine. Prendre un crédit ou un
contrat d’assurance-vie dans une banque allemande n’est plus un casse-tête, de même qu’il
est très aisé de commander des vêtements
par correspondance dans un catalogue italien.
Les entreprises peuvent également comparer
beaucoup plus aisément les coûts de production dans les différentes parties de l’Europe :
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
266
coût de la main-d’oeuvre, charges sociales et
fiscales, etc. Cette transparence ne peut qu’attiser la concurrence. En soi, c’est plutôt une
bonne nouvelle. La concurrence est toujours la
bienvenue dans une économie de marché. Elle
pousse les producteurs à baisser au maximum
leurs prix ou bien à élever au maximum la
qualité de leurs produits. Au bout du compte,
elle profite toujours au consommateur. Mais
une concurrence brutalement débridée par
l’arrivée de la monnaie unique peut être, au
moins dans un premier temps, déstabilisante.
Certaines entreprises fragiles n’y survivront pas.
Les autres peuvent être tentées de comprimer
leurs effectifs pour « s’adapter à l’euro »: plusieurs groupes industriels allemands ont déjà
opté pour cette stratégie. Mais le danger le
plus grand, c’est le risque de compétition entre
les pays et les régions. Ils seront tentés de se
lancer dans une concurrence fiscale et sociale
pour attirer les investisseurs, les usines, certains
travailleurs très qualifiés. Les Quinze devront
veiller à ce que l’euro n’entraîne pas la jungle.
L’harmonisation de la fiscalité (sur les sociétés
et sur l’épargne, notamment) doit être l’un des
chantiers prioritaires de l’Union, faute de quoi
la monnaie unique tournerait au mauvais cau-
chemar. De même, il faudra peu à peu harmoniser les règles sociales européennes. Sinon,
sous la pression de la concurrence, l’harmonisation se fera « par le bas » : salaires plus bas,
protection sociale réduite, garde-fous réglementaires amoindris.
L’euro, si l’on n’y prend garde, menace également de créer des tensions entre les pays
membres de l’Union. Si l’ensemble de la zone
connaît une surchauffe économique (montée
de l’inflation), la réponse de la Banque centrale est évidente : elle augmentera les taux
d’intérêt, ce qui a pour effet de « refroidir » la
machine et de calmer les tensions sur les prix.
De façon symétrique, si l’Europe est en train de
glisser vers une récession, la Banque centrale
baissera les taux d’intérêt pour requinquer le
crédit, et donc la consommation et l’investissement. Cela, c’est le b.a.ba de son métier.
Mais comment agira-t-elle lorsque certains
pays seront déprimés et que d’autres seront en
plein boom ? Il faudra qu’elle trouve une voie
médiane, qui mécontentera probablement
les uns ou les autres. Elle devra choisir le bien
commun, quitte à sacrifier les intérêts d’un ou
de deux des membres de l’union monétaire.
Ces derniers l’accepteront-ils ?
Parfois, des chocs inattendus toucheront
un pays sans affecter les autres. Lorsque cela
se produisait jusque-là, le pays concerné dévaluait sa monnaie, ce qui atténuait le choc. La
France le fit par exemple en 1969, pour éponger les hausses de salaires décidées lors des
accords de Grenelle en 1968. Mais, avec l’euro,
un pays ne peut plus, par définition, recourir à
cet « amortisseur de chocs » qu’est la manipulation du taux de change.
Certes, cette nouvelle situation n’est pas
complètement inconnue. À l’intérieur d’un
pays, de tels chocs affectent parfois des régions
qui, elles non plus, ne peuvent compter sur la
dépréciation d’une monnaie. Mais, dans ce cas,
la population se déplace vers des régions plus
dynamiques, et l’équilibre revient. C’est ainsi
que, après la chute des prix du pétrole en 1986,
des dizaines de milliers de Texans sont partis
vers la Californie ou ailleurs. De même, dans
les années 70 et 80, une partie des Lorrains ont
préféré fuir leur région sinistrée, et, aujourd’hui,
le taux de chômage en Lorraine est en fait passé sous la moyenne nationale.
Le problème, en Europe, est que les
hommes ne se déplacent pas facilement
d’un pays à l’autre. Les barrières de langue et
de culture restent très fortes. La gestion des
« chocs asymétriques » (c’est ainsi que les
appellent les économistes) risque donc d’être
extrêmement délicate. Les pays affectés auront
la tentation très forte de se retirer de l’union
monétaire, de reprendre leurs billes et restaurer leur ancienne devise. Pour éviter d’en arriver
à une telle situation, il n’existe qu’un moyen :
aider financièrement ces pays à se sortir du
pétrin. Ce qui signifie qu’un jour ou l’autre les
contribuables des pays « sans problèmes »
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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seront appelés à soutenir ceux qui ont des
difficultés. Ce type de transfert financier a lieu
chaque jour à l’intérieur des nations au profit
des régions retardataires. Sans que les citoyens,
qui en acceptent le principe, ne s’en soucient.
Avec l’Europe monétaire, il faudra faire accepter l’idée d’une solidarité entre les citoyens de
nations différentes. Il faudra créer une véritable
citoyenneté européenne.
5. La fatalité du fédéralisme.
Récapitulons : l’euro ne fonctionnera que si
les pays membres parviennent à faire converger leurs systèmes fiscaux (TVA, fiscalité des
entreprises, fiscalité de l’épargne...). Sauf à
vouloir faire de l’Europe un marché ouvert aux
grands vents du libéralisme, il faudra également harmoniser les systèmes sociaux (niveau
des charges, réglementation du travail...). Enfin, l’Euroland ne connaîtra de crise que si les
onze pays qui le composent ne prévoient pas
d’aides financières vers les pays ou les régions
connaissant des coups durs. On le voit, avec la
monnaie unique, tout plaide pour aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin dans la
construction de l’Europe. Au bout du chemin
qu’ils ont emprunté, les Européens ns peuvent
que déboucher sur une forme de fédéralisme.
Aujourd’hui, dans les discours sur l’Europe,
le mot « fédéral » semble tabou. Pourtant, à
l’origine du projet de monnaie unique, ni le
mot, ni l’idée ne choquaient, bien au contraire.
Au début des années 90, le gouvernement
français n’exigeait-il pas un « gouvernement
économique » européen ? Le gouvernement
allemand, quant à lui, ne réclamait-il pas une
véritable « union politique », qui aurait fait
pendant à l’union monétaire ? Le préambule
du traite de Maastricht ne parlait-il pas de la
« vocation fédérale de l’Europe », expression
finalement retirée à la demande des Britan-
niques ? Mais ce souffle fédéral s’est éteint
depuis. Plus personne, en France comme en
Allemagne, n’ose prononcer ce « gros mot en
F », comme l’appellent les Anglais, qui, dans
leur vocabulaire, en comptent déjà, quelquesuns de ce type. Tout se passe comme si les responsables politiques, traumatisés par le rejet
de Maastricht par la moitié des Français (selon
les résultats du référendum de 1992) et par les
deux tiers des Allemands (selon les sondages
jusqu’en mai 1998), n’osaient plus dire à leurs
peuples quel était le véritable but de l’aventure
européenne.
Le fédéralisme est pourtant non seulement l’issue logique, mais la raison d’être de la
construction européenne. Celle-ci continue à
se faire – quoi qu’on en dise – par la « méthode
Monnet », chaque étape portant en elle-même
la nécessité de passer à la suivante. La Communauté européenne du charbon et de l’acier a
débouché sur le marché commun ; le marché
commun s’est transformé en marché unique
(liberté totale de circulation des hommes, des
produits et des capitaux) ; le marché unique
a conduit tout droit à l’union monétaire ; la
zone euro, enfin, ne fonctionnera pas sans
solidarité financière, sans règles budgétaires
et fiscales communes, sans une représentation
extérieure commune d’Euroland. Il ne faut pas
se leurrer : la prochaine étape, c’est la mise en
place d’un pouvoir supranational organisé. Le
défi est exaltant, il pourrait redonner goût à
la politique. En revanche, le relever avec frilosité, agir en catimini en s’abritant derrière des
argumentations techniques (« la contrainte de
l’euro exige que... »), ne pourra qu’éloigner un
peu plus les peuples de leurs élites et de leur
nouvelle monnaie.
PASCAL RICHE
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JOURNAL DE L’ANNÉE - ÉDITION 1999
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L’année
littéraire
En 1998, l’auteur se retrouve
à l’écart des « écoles » qui
appartiennent maintenant à
l’histoire de la littérature. Il n’a pas
de maîtres à honorer, à moins qu’il
ne le souhaite, et, face aux paroles
autorisées se réclamant de l’esprit
scientifique, il ne revendique pour
domaine privilégié que l’affectif,
l’imaginaire ou, de façon comparable
à la philosophie, s’interroge sur
la forme romanesque elle-même.
Cette image, aujourd’hui fallacieuse,
est essentiellement façonnée par
les émissions télévisées, qui ne
retiennent que cet aspect de la
manifestation. Exactement comme
si les journalistes de l’audiovisuel
commentaient l’actualité politique
avec la langue de bois qui prévalait à
l’époque de la guerre froide.
Le poids du corps
Lorsque les fables qui tramaient la
cohésion sociale se délitent, l’être
est renvoyé à sa propre singularité
et de nombreux auteurs ressentent
d’abord la pesanteur du corps devenu le seul
intermédiaire. L’accent est mis tantôt sur ce
qui est touché, éprouvé, tantôt sur le bouillonnement intérieur, où se brassent les souvenirs, où oeuvrent les forces thanatiques. Sur
ce « divan de l’écrit » où un « je » s’exprime et
parfois s’égare, conscient de l’inadéquation du
langage, se révèlent aussi bien la pure désespérance que la tentative d’une réconciliation
singulière – serait-elle imparfaite –, avec la destinée humaine.
Erik Orsenna dans Longtemps, raconte
l’histoire d’une passion adultère qui durera
quarante ans ! Il emmène son lecteur à Buenos Aires, en Chine, mais ce n’est qu’une toile
de fond mouvante pour une quête du bonheur impossible. Quête non plus du bonheur
mais de l’équilibre personnel lorsque Hélène
Lenoir (Son nom d’avant) plonge son héroïne
Britt dans le désarroi : elle retrouve vers la quarantaine l’inconnu dont elle avait, jeune fille
pauvre, croisé le regard. L’auteur joue des références photographiques, du flou, de la mise au
point.
Cette recherche d’un équilibre intérieur est
interdite à la narratrice d’Isabelle Rossignol
(Petites Morts), qui s’égare dans les méandres
labyrinthiques d’une sexualité défaillante. Pire
encore, avec Parole de ventriloque, Bénédicte
Fayet, inspirée par un fait divers, conduit une
femme à l’horreur de l’infanticide.
L’introspection peut se faire également sous
forme de conversation, titre que Lorette Nobecourt donne à son livre, Conversation, où se
noue une rencontre entre deux femmes dont
l’une confie : « Voilà ma vie de sensations, un
corps et tous ses composants ». Paule Constant
(Confidence pour confidence) croise les paroles
de quatre femmes proches de la cinquantaine.
Plus que leurs jugements sur les événements
dont elles furent témoins demeure la blessure
d’un échec amoureux.
Voix de femmes qui évoquent le désarroi de
la séparation inscrit dans la chair. Des hommes
aussi font de cette souffrance leur sujet. Ainsi
Jacques Tournier qui, dans Des persiennes vert
perroquet, nous offre dix portraits féminins.
Pour certains, l’amour physique peut avoir une
vertu, tel Christian Oster (Loin d’Odile), dont
le héros skie sur les pistes où la mort guette,
tandis que l’amour retarde l’instant fatal. La rencontre permet à Mario Pasa (Une heure à tuer)
de tramer l’initiation amoureuse et littéraire. Si
la littérature n’intervient pas, la mathématique
peut aujourd’hui s’y substituer : dans Kurtz,
Marc Aubert met en équation une relation
amoureuse.
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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Emprisonnement
Ce corps de jouissance et de souffrance
devient aisément le lieu de l’emprisonnement.
Torturé, il ne parvient même plus à crier dans
Voix une crise de Linda Lê, un texte court, mais
où l’écriture brisée, hachée, tente de rendre audible la voix brisée. Il est difficile de mettre en
parallèle le remarquable Ostinato de Louis-René Des Forêts, cependant là aussi le corps est
prison et l’impossibilité de dire, un leitmotiv.
Fernando Arrabal, fidèle à lui-même, se
complaît à nous faire vivre les souffrances d’un
vieillard paralysé (Funambule de Dieu) dont
le corps martyrisé ne peut dire les tortures
infligées par deux infirmières. Frédérique Clémençon (Une saleté) enferme ses personnages
dans une maison en décomposition où Édith,
vieille jeune fille de quarante ans claustrée, n’a
d’autre ressource que de rêver de purification
par le feu.
Ce thème de la prison peut s’inspirer de la
réalité : Dominique Sigaud, dans Blue Moon,
fait revivre un Noir condamné à mort pour
viol au Texas. Et, de la reconstruction littéraire
on passe à la violence du témoignage à peine
réécrit avec, par exemple, la Cité du précipice de
Sadek Aïssat, où le narrateur ne parvient à crier
que devant le fusil mitrailleur qui va l’abattre –
un hurlement que personne n’entendra. Ici, le
monde-prison s’est refermé sur sa victime.
Un monde carcéral
Les images violentes de l’information
influencent de nombreuses oeuvres romanesques qui oscillent entre la tentative de dire
la parole emprisonnée dans le corps ou de
décrire l’être incapable d’échapper à un univers
vécu comme carcéral. Ainsi dans le roman de
Catherine Lépront, l’Affaire du muséum, nous
suivons le récit d’un gardien, pris au piège
des intrigues criminelles qui s’ourdissent dans
les couloirs et les salles d’exposition. Le livre
devient une parabole de l’Algérie – ce pays
proche où se joue un drame si terrible qu’il
obscurcit la compréhension. Une lecture que
pourraient compléter des oeuvres écrites par
des Algériens : À l’ombre de soi de Karim Sarroub, où l’on vit pas à pas le désarroi d’une
sortie de prison pour découvrir que l’on reste
« enfermé ». Citons encore les Agneaux du Seigneur de Yasmina Khadia, suggérant l’implacable engrenage du crime collectif.
Le livre ambitieux de Janine Matillon, la Dernière Migration, réunit les deux enfermements :
l’intérieur et l’extérieur – son héros, saisi par la
folie, s’enferme dans un souterrain tandis que
déferle la longue marche des victimes de la
faim dans le monde. Fantasmatique serait plutôt le livre de Marie Darrieussecq, Naissance des
fantômes, où l’héroïne, ne voyant pas son mari
rentrer, est prise au piège de l’angoisse face à
l’absence incompréhensible.
La transposition onirique
Une des façons de transposer cette agression du monde, c’est soit de bâtir un univers
proche mais imaginaire, soit de suggérer
par-delà la réalité le bruissement d’une autre
dimension que nous ne pouvons qu’effleurer.
Rezvani (la Cite Potemkine, ou les géométries
de Dieu) imagine un Tchernobyl définitif et,
dans cet holocauste, fait intervenir une dimension métaphysique. Antoine Volodine (Vue sur
l’ossuaire) bâtit avec délectation le labyrinthe
de son univers cauchemardesque. Cet objet,
romanesque par ses références aux méfaits
sanglants des polices secrètes, a une certaine
force, mais combien plus de charmes possède
le petit livre : Invisible, de Nicolas Kieffer, où un
homme mutique rencontre une petite fille, lui
fait entrapercevoir l’invisible, après quoi la rencontre s’évapore, à la lisière de la page, le mys-
tère fait signe qui plane sur un univers conventionnel de banlieue pavillonnaire.
L’élaboration romanesque
Pierre Péju dans Naissances, s’interrogeant
sur la nécessité d’écrire, y voit un désir de dire
le cours de la vie – cette réalité illusoire -, mais
il insiste sur une autre exigence : « Écrire, c’est
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vouloir distinguer à travers les mots ce qu’en réalité on ne peut voir : naissance et mort, apparition
et disparition fulgurantes des êtres. » Son livre est,
par ailleurs, une suite de cinq récits où mort et
naissance se conjuguent.
Cependant, l’élaboration romanesque peut
se présenter sous des formes multiples, mais
toutes interrogent le rapport même de l’écriture aux possibilités de recréation d’un réel et
suggèrent, à défaut des certitudes disparues,
ces résonances de l’inconcevable que l’on baptise absence ou néant. Toutes suggèrent une
exigence de l’esprit qui demeure à l’affût des
reflets sur le miroir de la page où s’inscrit déjà
notre disparition.
Dans Missing de Claude Ollier, la traversée
du Canada ne fait que confirmer la mouvance
de l’existence et la seule recherche possible est
celle de « l’essence du lieu de l’éphémère ». Olivier
Rolin, avec un livre remarquable, Méroé, nous
conduit au Soudan, tissant l’histoire de trois
exils et la recherche d’une femme imaginaire.
L’intrigue a son épicentre en un lieu où la civilisation de l’Égypte pharaonique survécut et
dissimule « une histoire qui a autant de sources
que le Nil ».
Face à ce livre sinueux qui mêle le lyrique
au trivial, on pourrait confronter une autre
complexité, celle du livre de Patrick Roegiers,
la Géométrie des sentiments, où se succèdent
neuf histoires de couples saisis dans des toiles
signées Van Eyck, Titien, Rubens, etc. L’auteur
entreprend de pénétrer dans l’immobilité picturale afin de réinventer une autre ligne de
fuite, celle du roman secret de ces couples, et,
pour ce faire, il a recours aux artifices de l’écriture, à la pyrotechnie de vocabulaires empruntés à chaque époque. La distance ironique fait
le charme du Bonheur de l’imposture d’Hubert
Nyssen : un fils y cherche en vain la sortie du
labyrinthe des souvenirs, mais au centre de
cette histoire à tiroirs est campé un « paysagiste » capable, du moins le croit-il, de tracer
dans ce désordre un jardin « à la française ». Le
livre vaut par la satire et le toucher amusé, mais
nous rappelle aussi que certains critiques, jugeant sévèrement le « romanesque », veulent
y voir l’incapacité du roman à se renouveler ;
ce sont ces mêmes critiques qui ont proclamé
la venue d’un « prophète » en la personne de
Michel Houellebecq avant même la parution
de son deuxième roman, les Particules élémentaires, un ouvrage qui a des qualités et une originalité certaine dans son refus de recourir aux
afféteries de l’écriture.
La juxtaposition de plusieurs « styles », celui
de la théorisation scientifique face à la parole
répétitive inspirée du film pornographique,
sans compter celui de la réflexion sur notre
société, qualifiée de « post-matérialiste », révèle l’ambition du propos, mais cela rejette-t-il
aux oubliettes toute orchestration de l’écriture
comme appartenant à un passé révolu ?
Déplacements dans l’espace et
le temps
Faut-il rejeter en bloc tous ces ouvrages qui
prennent plaisir à emprunter les chemins de
l’aventure, tel les Flibustiers de la Sonore de Michel Le Bris, à nouer des intrigues à résonances
policières dans une Égypte contemporaine
chargée encore de vibrations métaphysiques,
que ce soit François Sureau (Lambert Pacha)
ou Pierre Combescot (le Songe des pharaons) ?
Faudrait-il se priver de reculer dans le temps
et d’accompagner l’épopée de Gengis Khan
revisitée par le Loup mongol d’Homeric ? Faudrait-il ne pas lire Aïssé de Pierre Gascar, où l’on
suit la destinée d’une jeune esclave achetée à
Istanbul par un diplomate en plein Siècle des
lumières ?
Littérature d’évasion peut-être, mais
qui permet, quand les livres sont bien faits,
quelques rapprochements avec notre monde
en désarroi. Certains écrivains précisent d’ailleurs le parallèle, tel James Gressier (le Retour du
chasseur), où un historien cherchant à décrire
la vie agitée de Frédégonde, reine criminelle
du VIe siècle, exhume les analogies entre cette
époque de désordres et la nôtre.
Ce déplacement dans le temps permet à
Philippe Sollers d’écrire par séquences brisées,
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notules, interjections, citations, son plaidoyer
pour l’écrivain « clandestin » Casanova, l’admirable, tant et si bien qu’il se confond lui-même
avec ce séducteur dont il reprend la belle et
provocante déclaration liminaire : « Membre de
l’univers, je parle à l’air ».
La simplicité apparente peut elle-même
receler ce questionnement sur la condition
humaine comme le montre le livre subtil d’Éric
Holder Bienvenue parmi nous, où un peintre
âgé en mal d’inspiration prépare son suicide,
rencontre et voyage avec une jeune fille livrée
à elle-même. D’être l’un à côté de l’autre suffit à chacun et le chemin parcouru ensemble
les conduit à l’apaisement. Quant au déplacement dans ce livre, il se trouve dans cette
sereine lumière à la Vermeer qui infuse le récit.
Autre ouverture sur le monde :
la littérature étrangère
La littérature étrangère est censée proposer
une ouverture sur d’autres visions du monde,
sur d’autres approches de la littérature. La difficulté est que la confusion impliquée par la
multiplicité des ouvrages s’accroît par suite
de l’incohérence chronologique des oeuvres
proposées.
Lion britannique
Pourquoi ne pas mettre en exergue un
auteur du XVIIIe siècle, Laurence Stern, avec
la publication du premier tome de la Vie et
les opinions de Tristram Shandy, dans une traduction enfin satisfaisante ? La digression y
est élevée à la hauteur d’un art et toutes les
techniques novatrices revendiquées par la littérature contemporaine sont déjà à l’oeuvre :
blancs, incises, dispositions typographiques,
réflexions inattendues, disparition de l’intrigue,
etc. Non moins fascinants sont les Essais d’Elia
de Charles Lamb, promeneur solitaire dans les
rues du Londres du siècle suivant, évoquant les
ombres de notre condition éphémère. Passons
au XXe siècle avec la poursuite de la publication
de la fresque en douze volumes de la Ronde de
la musique du temps, titre inspiré d’un tableau
de Poussin, la Danse des âges du temps. On a
comparé son auteur, Anthony Powell, à Proust,
mais c’est un travail différent où l’on scrute
avec un détachement légèrement ironique les
agitations de personnages de bonne famille,
tandis que les références à la peinture introduisent des sortes de plan fixe.
L’Homme sans douleur (1997) d’Andrew Miller suit la destinée d’un homme au XVIIIe siècle
qui ne ressent pas la douleur – livre représentatif de cette tendance du roman anglais du retour au passé. Plusieurs écrivains anglo-saxons
jouent ainsi avec les thèmes de la violence, du
macabre, éventuellement de l’occulte, avides
de parcourir les salles obscures de l’imaginaire
examinées avec une précision clinique.
Politiquement incorrect
Des États-Unis nous revient la présence de
Jack Kerouac, qui fut parmi les premiers à transmettre la fable de l’errance – réponse à l’angoisse du vide de l’existence. Dans les Anges de
la désolation (1965) on le voit face à la présence
du néant : « le son du silence seule leçon que tu
reçois ». La passion de l’auteur de Sur la route
pour la marge se retrouve en filigrane dans
le grouillement que dépeint Jérôme Charyn
(Capitaine Kidd et Sinbad, 1995) dans les rues de
New York, avec en particulier ces personnages
de gosses mal insérés dans la société.
Le retour sur le passé se retrouve avec le copieux Pourfendeur de nuages (1997) de Russell
Banks qui, par l’entremise d’une lettre fleuve
adressée par un fils survivant à une jeune historienne, dessine la figure mythique de John
Brown (exécuté avant la guerre de Sécession
pour son action armée contre l’esclavagisme).
L’auteur recrée avec talent les conditions de
vie, les croyances et les comportements de
l’époque.
John Updike se livre, lui aussi, à l’art de
la fresque (Dans la splendeur des lis, 1996). Il
entreprend de retracer l’histoire de quatre
générations, avec en toile de fond le début
de la Première Guerre mondiale, le krach de
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l’après-guerre, etc. C’est l’oeuvre d’un écrivain
qui a la maîtrise de son métier, mais avec un
détachement désabusé que l’on retrouve sous
une forme plus mélancolique dans Un été à Key
West (1995), d’Alison Lurie.
Il faut remonter vers le Canada pour découvrir une artiste accomplie avec Jane Urqhart (le
Peintre du lac, 1997), qui ne se contente pas de
faire surgir l’âme du Canada anglophone, mais
recrée l’aventure esthétique de notre siècle.
Latino-américanité
Plus de grande révélation littéraire venue de
ce continent, mais il convient de mentionner la
vitalité de Fernando Vallejo (le Feu secret, 1986),
natif de Medellin et qui affirme : « J’écris pour
inquiéter. » Ce n’est qu’un volet d’une « saga
autobiographique », carnaval et danse de mort
où les propos les plus crus peuvent se changer en poésie. Le Brésilien Joâo Guimanaes
Rosa tentait d’écrire un portugais mélangé de
mots indiens, d’onomatopées et d’harmonies
imitatives afin de recréer la présence ancienne
de l’homme animal : Mon oncle le jaguar (posthume, 1985). À cette vigueur « primitive » on
pourrait opposer le dernier livre – inachevé (Un
souffle de vie, 1996), de Clarice Lispector, brésilienne également, qui médite sur sa propre disparition jusqu’à ce que la mort se glisse entre
les pages.
À l’est
L’Autrichien Peter Handke conduit son narrateur George Keuschnig (Mon année dans la
baie de personne, 1993) à faire étape dans une
maison de la banlieue parisienne qui devient
« une baie ou nous jouerions le rôle d’objets
échoués sur le rivage », une peinture tranquille
de la « désertification urbaine ».
Cette année a disparu l’Allemand Ernst Jünger qui, à près de cent trois ans, était le doyen
des écrivains. Son oeuvre considérable a parfois été dénoncée comme recelant une apologie de la guerre. Feu et sang (1925) montre
combien il a su évoquer la profondeur des
blessures infligées par les « nouveaux instruments de mort de la tuerie de « masse ».
Extrême-Orient
Difficile de ne pas retrouver les traces des
deux grandes conflagrations du siècle, irait-on
en Chine ! De ce pays nous vient un énorme
ouvrage mi-roman mi-témoignage, Quatre Générations sous un même toit (1946), dont paraît
le 2e tome Survivre à tout prix, qui entreprit de
peindre la période de l’occupation japonaise.
Les traces de la guerre et la brûlure atomique
réapparaissent souvent dans la littérature japonaise, mais le très beau récit de Oé Kenzaburô,
Une famille en voie de guérison, conduit avec
simplicité à une acceptation lumineuse des
blessures, familiales ou nationales. Cependant
le Japon, c’est aussi le record du taux de lecture
dans le monde et, de ces publications popu-
laires, nous disposons de plusieurs exemples
de qualité avec, par exemple, le recueil de 17
nouvelles d’Haruki Murakami (L’éléphant s’évapore, 1990-1993), où s’estompent dans la rêverie, de façon parfois tragique, les contraintes
d’une réalité étouffant l’individu.
Russie
Un des grands témoins du destin tragique
du peuple russe est assurément Alexandre Soljenitsyne, dont paraissent le Grain tombé entre
deux mondes (1978), le récit d’un exil de 1974
à 1978, de l’Allemagne au Vermont, et la Russie
sous l’avalanche (1996), écrit après son retour
en 1994 – un jugement sans concession. Dans
un discours de 1967, Soljenitsyne disait : « Une
littérature qui ne joue pas son rôle d’oxygène pour
la société contemporaine, qui n’ose pas transmettre sa douleur et son inquiétude... ne mérite
pas le nom de littérature mais simplement de
cosmétique. »
Essais, documents
À placer en tête, Une histoire de la lecture
d’Alberto Manguel. Elle remet en mémoire
cette évolution qui, partant du texte proféré,
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conduisit à la lecture silencieuse, une histoire
liée au développement de la notion d’individu,
le livre jouant le rôle de refuge ou, au contraire,
de moyen de lutte.
Féminisme
Au moment où on débat encore en France
de la représentation paritaire apparaît l’étude
du sociologue Pierre Bourdieu la Domination
masculine. Il définit ce règne du mâle comme
le produit d’une construction historique et en
tire la conclusion que la libération de la femme
dépend de la reconnaissance de la complémentarité des sexes.
Violences et holocauste
Si l’oppression de la femme est légale dans
de nombreuses sociétés, aucune n’échappe
cette année encore d’une façon ou d’une
autre à la violence, ce que rappelle le Traité de
la violence (traduit de l’allemand) de Wolfgang
Sofsky, qui tente de définir des constantes
dans le comportement des agresseurs et des
bourreaux et montre la démultiplication de
la violence liée aux progrès technologiques.
Marcel Détienne (Apollon le couteau à la main)
traite des violences rituelles de l’Antiquité et
fait tomber le masque de sérénité du dieu.
De nombreux essais sont toujours consacrés à la béance du siècle – la shoah – mot
hébreu qui signifie catastrophe, mais aussi
tourmente. Il faut revenir à Primo Levi, dont on
publie Conversation et entretien (1987).
Oubli et commémoration
Tout tombe dans l’oubli et surtout les victimes
des tourmentes sanglantes du siècle. Annette
Becker examine, dans les Oubliés de la Grande
Guerre, les souffrances des civils occupés, les
évacuations forcées, les camps de représailles,
– annonce d’autres camps à venir. Pierre Miquel (les Poilus d’Orient) s’intéresse à ces combattants perdus, qui moururent sur le front en
Orient de 1915 à 1919.
Face à l’oubli, les commémorations sont déplus en plus nombreuses et de moins en moins
objet d’intérêt. On peut lire à ce propos un livre
intéressant : Naissance du Panthéon, de Jean
Claude Bonnet, qui considère que le culte des
grands hommes développé au XVIIIe siècle a
contribué à la chute de la monarchie et que ce
culte décline au moment où l’image protectrice du père s’efface.
Dans cette perspective, l’anniversaire de la
proclamation française de l’abolition de l’esclavage (1848) est passé presque inaperçu,
mais il nous vaut un livre remarquablement
illustré. De l’esclavage aux abolitions, de Jean
Metellus et Marcel Dorigny, sur les autres
oubliés d’une pratique qui fit au moins 50 millions de morts.
D’autres formes d’esclavage sont toujours
pratiquées, comme le rappellent les auteurs.
Ainsi que le souligne Claude Romano dans
sa remarquable étude à dimension philosophique, l’Événement et le monde, l’excès
d’information donne aujourd’hui une forme
éphémère à l’événement et la nouvelle nous
bouscule sans nous atteindre.
Disparition
Le dernier livre, inachevé, de Jean-François
Lyotard, la Confession d’Augustin, est paru
après sa mort survenue en avril. Le philosophe en tête-à-tête avec l’inventeur de notre
conception du temps accompagne et affronte
dans ce dernier combat les mystères auxquels
saint Augustin s’était converti. On peut voir
dans ce livre un retour de l’auteur au temps
de sa jeunesse où il avait connu la tentation
du couvent et où il cherchait déjà comme
l’enfant Augustin – et comme la littérature
– « des signes pour traduire à d’autres ses
impressions ».
G. H. DURAND
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Année du
théâtre 1998
« À Paris, trop de spectacles ;
en province, trop de festivals ?
On s’y rue ou l’on s’y perd, on
s’y passionne ou l’on s’y use. Et
durant ces mois de mai, de juin
surtout, rive droite ou rive gauche,
trop de vernissages – donc trop
de peintures et de peintres ? –,
trop de lancements de livres –
donc trop d’écrivains ? Coiffons
le problème : trop d’intelligences,
trop d’art, trop de pensée ? Non !
Mieux vaut passer pour un pays
le travers du pullulement que la
tare de la carence, mieux vaut
l’effervescence turbulente que la
noble stagnation. »
Placées en exergue d’un ouvrage
revenant sur la saison théâtrale, ces
lignes ont été écrites en 1954. Elles
laissent songeur. Comment réagirait leur auteur quarante-quatre ans après alors
qu’au fil des années le nombre de spectacles
n’a cessé de se démultiplier ? Du nord au sud,
de l’est à l’ouest, c’est une profusion sans fin.
Compagnies indépendantes, scènes nationales, centres dramatiques et théâtres nationaux, théâtres privés, rivalisent en propositions
nourries par des comédiens de plus en plus
nombreux – 6 000 en 1986, 12 000 en 1994 !
Chacun affiche, produit, crée jusqu’à provoquer parfois un sentiment de trop-plein chez le
spectateur qui n’en peut mais. Que dire devant
les plus de 200 spectacles recensés (dont 16
créations) uniquement dans Paris et sa banlieue pour la seule semaine du 4 au 10 mars
1998 ? Huit mois après, pour la semaine du 11
au 17 novembre, ils étaient près de 240, dont
17 créations !
Certains ne manqueront pas de dénoncer cette profusion, relevant, à juste titre, que
dans cette masse nombre de spectacles ne
méritaient pas d’être joués, qu’ils ne portaient
de théâtre que le nom, voire – s’il est vrai que
« la fausse monnaie chasse la bonne » – étaient
dangereux. Pourtant, bien qu’il soit évident
que la quantité n’est pas garante de qualité, le
« pullulement » vaut mieux que la « carence »,
« l’effervescence turbulente » que « la noble
stagnation » – en 1998 comme en 1954 ! Avec
tous ses aléas, ses déceptions, ses inutilités,
l’année écoulée s’est révélée aussi riche que
les précédentes en vraies réussites, en grands
événements. À commencer – coup d’envoi de
l’année, dès janvier – par la nouvelle création
d’Ariane Mnouchkine et du Théâtre du Soleil :
Et soudain, des nuits d’éveil.
Sous le Soleil d’Ariane
Réalisé en quelques mois dans une urgence
née du travail d’improvisation, le spectacle racontait l’irruption d’une délégation de Tibétains
en exil dans un théâtre, un soir de représentation. Sous le regard des quelque 400 bouddhas
peints formant une fresque immense, on a pu
retrouver tout ce qui fait la force du Théâtre du
Soleil – invention, lyrisme, allégresse de la mise
en scène, du jeu des acteurs, de la musique de
Jean-Jacques Lemêtre. Mais, surtout, par-delà
la rencontre de l’Asie et de l’Occident, par-delà
le mariage de la commedia dell’arte et des
danses tibétaines, ce qui a le plus marqué, ici,
c’est, en même temps que l’évidence politique
du propos abordant aussi bien le drame du
Tibet que celui des « sans-papiers » accueillis
quelques mois plus tôt à la Cartoucherie, la
mise au jour d’une autre vérité profonde : celle
de la vie du théâtre, d’une troupe. Comme elle
l’avait fait avec son film Molière, Mnouchkine
réussit le tour de force de parler, à travers son
sujet – et sans le sacrifier jamais – d’elle-même
et du Soleil avec tendresse et humilité, tout en
maintenant à son plus haut l’exigence d’un art
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DOSSIERS DE L’ANNÉE
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civique et populaire, inscrit de plain-pied dans
la cité.
Le Théâtre dans la Cité
C’est ce théâtre, cette exigence que l’on a
pu retrouver tout au long de l’année avec les
hérauts de la décentralisation. Au Centre dramatique national de Gennevilliers, Bernard
Sobel a « ressuscité » la Tragédie optimiste du
Russe Vichnevsky posant, dans les années 30,
les contradictions essentielles du communisme et de la révolution. Au Volcan du Havre,
Alain Milianti a célébré dans un même élan Genêt, Fanny Mentré et Robespierre avec Le festin
où s’ouvrent les coeurs, tandis que Jeanne Champagne, un peu partout en France, a présenté
devant un public d’adultes et de lycéens son
triptyque réalisé sur le mode du théâtre de tréteaux à partir des trois récits autobiographiques
de Jules Vallès (l’Enfant, le Bachelier, l’Insurgé).
Au Théâtre des Amandiers, à Nanterre, JeanPierre Vincent, un an après s’être penché sur la
figure de Marx avec Karl Marx, Théâtre inédit, est
revenu par deux fois à son exploration minutieuse et fine de l’identité française par le biais
de deux « classiques » – le Jeu de l’amour et du
hasard de Marivaux et un Tartuffe de Molière à
la violence inaccoutumée. Roger Planchon, lui,
a repris sa mise en scène d’un autre Marivaux
créée la saison précédente au Théâtre national à Villeurbanne – le Triomphe de l’Amour. Si,
pour le coup, l’essentiel de la réussite tenait à la
liberté et à l’acuité du regard porté sur l’oeuvre
et son auteur, les mécanismes du pouvoir et de
la pression sociale, des rapports entre princes
et sujets, maîtres et valets, étaient, là encore,
parfaitement démontés.
La politique et l’histoire sur
le plateau
Plus explicite, Jean-Louis Benoît, au Théâtre
de l’Aquarium, à Vincennes, n’a pas hésité à
porter directement la parole politique sur la
scène avec Une nuit à l’Élysée réunissant autour d’un François Mitterrand quasi à l’agonie
devant son ortolan au soir du 31 décembre
plusieurs membres de sa « cour » et une litanie
de « visiteurs » nommés Jacques Chirac, Alain
Juppé, Lionel Jospin ou Michel Rocard. Le texte
était composé exclusivement d’extraits de
confessions, Mémoires, déclarations, discours
prononcés par ces derniers.
Grotesque mais d’une lucidité extrême
sur le pouvoir et ceux qui l’ont conquis, cette
« farce » prenait des allures de leçon de civisme roborative, dans la lignée des Voeux du
Président, autre création de Jean-Louis Benoît
conçue en 1996 à partir des voeux de Nouvel
An réellement présentés à la télévision par
François Mitterrand lors de son premier septennat... Quelques mois auparavant, Jean-Louis
Benoît avait signé avec les Fourberies de Scapin
l’une des rares productions marquantes de la
Comédie-Française – avec l’explosive version
de Nathan le Sage de Lessing par l’Allemand
Alexander Lang et la magnifique Cerisaie de
Tchékhov « dérussifiée » par Alain Françon.
Faut-il y voir un hasard ? Évidemment non.
Les Fourberies de Scapin aussi bien qu’Une nuit
à l’Élysée s’inscrivent tous deux à leur manière
dans le droit fil du travail mené à l’Aquarium
depuis 1972 – depuis sa création.
Membre fondateur et codirecteur de la
troupe aux côtés de Jean-Louis Benoît, Didier
Bezace y a pleinement participé, proposant
notamment un triptyque embrassant l’histoire
de la France, du Portugal et de l’Allemagne
à l’heure du fascisme et composé du Piège
d’Emmanuel Bove, de Peirera prétend... d’après
Tabucchi, ainsi que de la Noce chez les petitsbourgeois suivie de Grand’ Peur et misère du
IIIe Reich de Brecht. Réalisé sur plusieurs années,
ce triptyque a été repris fin 1997 - début 1998
au Théâtre de la Commune, le Centre dramatique national d’Aubervilliers dont Didier Bezace a été nommé alors le nouveau directeur.
Le renouveau du théâtre « d’art » et
de « service public »
Cette nomination aurait pu n’être qu’anecdotique Elle constitue l’un des temps les plus
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forts de l’année 1998. De même que les nominations, à la même époque, d’Alain Françon à
la tête du Théâtre national de la Colline, à Paris,
et de Stanislas Nordey à celle du Théâtre Gérard-Philipe, le Centre dramatique national de
Saint-Denis. Elle marque un retour en force des
metteurs en scène décidés à remettre à l’ordre
du jour la notion de « théâtre d’art » et celle de
« service public ».
Par-delà les différences de personnalités et
d’esthétiques, chacun des trois metteurs en
scène professe, en effet, un même désir de
rendre sa dynamique à une institution que
l’on a dit trop souvent essoufflée, sinon usée.
De même qu’il n’est pas innocent que Didier
Bezace ait inauguré son entrée en fonction par
la reprise de son triptyque ancrant le théâtre –
et le spectateur – dans l’histoire, la mémoire, la
société, de même il ne l’est pas moins qu’Alain
Françon ait, pour sa première mise en scène
en tant que directeur de la Colline, choisi de
revenir sur une pièce de l’Anglais Edward Bond
– la Compagnie des hommes – qu’il avait créée
en 1992. À chaque fois, il s’agit de véritables
« manifestes ». Manifeste, pour Didier Bezace,
de défense et illustration d’un théâtre libre qui
soit « un lieu d’exception », comme il dit, « où
des gens sont invités à s’asseoir pour regarder
le monde et se regarder eux-mêmes à travers
les histoires plus ou moins loufoques qu’on
leur propose ». Manifeste, pour Alain Françon,
en faveur d’un théâtre « d’art » et « du texte »,
« utile » et ou, précise-t-il, « chaque représentation permette à chacun d’arracher au chaos un
peu de sens ».
Pour le premier, cela s’est traduit par le refus d’une programmation figée à l’avance au
profit d’une suite de cycles décidés en cours
d’année, comme celui des Contes de la vie ordinaire, s’attachant à l’existence quotidienne des
êtres au travers de diverses propositions, dont
une adaptation d’extraits de la Misère du monde
de Bourdieu. Pour le second, cela a donné la
présentation d’écritures exclusivement du
XXe siècle, signées Brecht (Dans la jungle des
villes, mis en scène par Stéphane Braunschweig), Ibsen (Un ennemi du peuple, ressuscité
par Claude Stratz), le Hongrois Schvvajda (le
Miracle, révélé par Michel Didym), l’Américain
Charles Reznikoff (Holocauste, découvert par
Claude Régy) et Heiner Muller (Germania 3,
repris par Jean-Louis Martinelli, directeur du
Théâtre national de Strasbourg, où il l’avait
créé).
L’exemple de Saint-Denis
Cependant, c’est Stanislas Nordey, au
Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, qui s’est
montré le plus radical dans sa volonté de rupture avec les habitudes pratiquées. Formé au
Conservatoire, révélé dès sa première mise en
scène à vingt-cinq ans (la Dispute, de Marivaux),
habitué des écritures contemporaines (Pasolini, Genêt. Hervé Guibert, Heiner Müller...), il a
pris la direction du Centre national dramatique,
à trente et un ans tout juste, après avoir passé
trois ans à Nanterre, comme directeur associé
de Jean-Pierre Vincent au Théâtre des Amandiers. Entouré d’une équipe de comédiens
dont la plupart sont des comparses depuis
ses débuts, il se réfère aussi bien au Cartel
qu’aux pionniers de la décentralisation (Hubert
Gignoux, Gabriel Monnet...) et revendique,
dans un manifeste, un théâtre citoyen rendu à
son public – en l’occurrence les habitants de
Saint-Denis. « Il ne s’agit que d’un retour aux
origines, déclare-t-il. Des centres dramatiques
comme celui de Saint-Denis n’ont pas été
créés pour les spectateurs de Paris mais pour
les gens qui vivent ici. Il faut qu’ils puissent y
venir, qu’ils sachent que ce théâtre est fait pour
eux. » Concrètement, cela a signifié, en plus
d’un travail de « ratissage » sur le terrain auprès
des associations, des lycéens, des enseignants,
etc..., la décision d’ouvrir le théâtre à tous, tous
les jours, douze mois sur douze, sans fermeture
pendant les vacances. Cela a signifié aussi, sur
le modèle de Vilar à Suresnes, l’organisation,
un dimanche par mois, d’une journée « porte
ouverte » permettant à chacun de découvrir
le théâtre, des coulisses au grenier. Un prix
unique des places (50 francs) a été instauré,
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sans exonération ni exception. Si un système
d’abonnement a autorisé, du 1er janvier au
31 décembre, à assister à 10 spectacles pour
200 francs, les habitants de Saint-Denis ont bénéficié d’une faveur. Pour la même somme, ils
ont eu droit à l’ensemble de la programmation
– soit 24 spectacles, dont les trois quarts ont
été, pour la plupart, le fait de jeunes compagnies invitées ou coproduites, suivant le principe cher à Nordey : « Si l’État nous donne de
l’argent, c’est pour le redistribuer. »
En quelques mois, le Théâtre Gérard-Philipe s’est imposé comme un haut lieu des
expériences et des découvertes au service
d’auteurs, d’acteurs et de metteurs en scène
souvent en marge du système, mais toujours
– ou presque – porteurs d’émotions, de pratiques et de formes nouvelles. Tel Daniel Émilfork se racontant avec la complicité de Frédéric
Leigdens dans Comment te dire ? ; tel Éric Ruf,
comédien échappé de la Comédie-Française
le temps d’un étrange Du désavantage du vent
aux images prégnantes et au langage imaginaire, créé d’abord au Théâtre de Lorient ; tel,
encore, le groupe Sentimental Bourreau avec
Tout ce qui vit s’oppose à quelque chose, objet
théâtral non identifié qui mêle musique, danse,
théâtre, texte et signe sur le mode joyeux de la
confusion et de l’excitation des sens ; tel, enfin,
Thierry Bédard s’attaquant à l’Encyclopédie des
morts, variation de l’écrivain serbo-croate Danilo Kis sur la « fabrication » par la police secrète
russe des Protocoles des sages de Sion.
Poursuivant le même but, Stanislas Nordey,
Alain Françon et Didier Bezace prouvent, chacun à sa façon, qu’il est possible de réformer
la pratique théâtrale. Tout au moins d’essayer.
S’il n’est pas question de les instituer modèle
idéal, on ne peut que reconnaître leur mérite
à tenter l’aventure, en discours et en actes. En
cela, ils font figure de quasi-révolutionnaires et
marquent, du même coup, 1998 d’une pierre
blanche.
Manifeste pour un théâtre citoyen de
Stanislas Nordey (extraits)
« Pour que le citoyen puisse considérer le moment de la venue au théâtre comme un geste
simple, nécessaire, une joie, un petit bonheur,
il faut reconsidérer la façon dont le théâtre
s’adresse à lui.
Pour que le théâtre public garde une identité
forte, il faut réaffirmer ses missions, ses enjeux
et savoir raconter en quoi, pour quoi et pour
qui il est fondamental qu’il existe, qu’il perdure
et se fortifie.
Pour que, jour après jour, tous ceux qui travaillent dans des théâtres (artistes, techniciens, administratifs) restent des militants actifs d’une certaine idée de ce que sont l’espace
et le service public, il leur faut sans cesse réinventer cet outil, l’affiner inlassablement et le
regarder à la lumière d’une société qui bouge,
qui bouillonne. Il ne s’agit pas d’être dans l’air
du temps mais plutôt de ne jamais se trouver
en décalage involontaire avec ce qui se joue
autour de nous. Le théâtre public se doit de
prendre en compte les vagues de l’histoire et
l’histoire.
Nous pensons que c’est maintenant, je veux
dire aujourd’hui, qu’il faut réinterroger nos
pratiques et, sans se payer de mots, proposer,
agir, faire, tenter en tout cas d’accomplir une
révolution sur nous-mêmes. (...) »
« Voici maintenant comment nous voulons et
nous allons agir, concrètement, au-delà des
mots :
un théâtre de service public
un théâtre pour tous
à partir de poètes
pour le public
pour les artistes
aujourd’hui. »
Expériences et découvertes
De là à dire qu’ils détiennent le monopole
des révélations et des expériences, il y a un
pas à ne pas franchir. D’autres lieux se sont
imposés tout au long de l’année comme d’irdownloadModeText.vue.download 279 sur 417
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remplaçables havres – le théâtre Garonne à
Toulouse, le Théâtre du Point-du-Jour à Lyon,
le Théâtre de Lorient, le Maillon à Strasbourg,
la Manufacture à Mulhouse. À Paris, de petites
salles comme le Lavoir moderne parisien et le
Théâtre du Lierre – où Farid Paya poursuit un
travail original alliant musique et voix avec le
cycle tragique grec le Sang des Labdaccides –
ont fait preuve du même esprit de recherche,
au même titre que des scènes plus institutionnelles, tels le Théâtre du Jardin-d’Hiver, le
Théâtre Ouvert et le Théâtre de la Bastille, qui a
accueilli Julie Brochen avec une version de Penthésilée de Kleist quasi exclusivement interprétée par des femmes jouant les rôles d’hommes
dans une atmosphère de passion pour la passion, de sensualité animale et envoûtante – un