Mémoire Donner sens à l`interprétation musicale
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Mémoire Donner sens à l`interprétation musicale
CEFEDEM Bretagne - Pays de la Loire Mémoire Donner sens à l’interprétation musicale Nom : Laurent Formation initiale Prénom : Camille Promotion 2010-2011 Diplôme d’état Session : Juin 2011 Professeur de Musique Référent : M. Le Corf Spécialité : Flûte traversière Qualité : Musicologue Remerciements Je souhaite remercier Monsieur Philippe Le Corf pour sa disponibilité ainsi que pour ses conseils dans l’élaboration de ce mémoire. 2 Sommaire Introduction ......................................................................................... 4 I. L’écoute musicale .......................................................................... 5 A. Anatomie et physiologie du système auditif ............................................. 5 B. Les différentes attitudes envers la musique ............................................. 6 1. La captation sonore .................................................................................. 6 2. L’écoute musicale ..................................................................................... 7 3. Entendre.................................................................................................... 8 4. L’équilibre entre une conscience extérieure et intérieure......................... 8 C. La relation entre l’individu et l’œuvre ................................................... 10 1. L’organisation de l’écoute musicale ....................................................... 10 2. Le souvenir d’une écoute ....................................................................... 12 II. L’enjeu de l’écoute musicale ...................................................... 14 A. Faire advenir une œuvre musicale .......................................................... 14 B. Une intersubjectivité qui a ses limites .................................................... 15 1. Le rôle du compositeur dans l’acte d’interpréter .................................... 15 2. L’œuvre et ses mystères insaisissables ................................................... 18 III. Une interprétation sensible ........................................................ 19 A. Position éthique de l’interprète ............................................................... 19 1. L’écoute intuitive et ses limites .............................................................. 19 2. L’écoute analytique et de jugement pour diriger son interprétation....... 21 B. L’expression sensible de l’interprète à travers une affirmation de l’œuvre .............................................................................................................. 24 1. Flexibilité et stabilité du temps dans l’interprétation ............................. 24 C. Position du pédagogue ............................................................................. 28 1. L’écoute musicale au service de l’acte d’interpréter .............................. 28 2. Faire advenir une interprétation sensible ................................................ 29 Conclusion .......................................................................................... 32 Bibliographie ..................................................................................... 34 Annexes .............................................................................................. 36 3 Introduction Une œuvre n’est jamais entendue ni interprétée de la même manière. Elle est sans cesse renouvelée par les différents regards que nous lui portons. La signification donnée à une œuvre d’art dépend de celui qui écoute, cependant, chaque individu, que ce soit l’interprète, le compositeur ou l’auditeur, affirme sa sensibilité, tout en étant à l’écoute de l’autre et du monde extérieur. « Apprendre à écouter, est en fait apprendre à recevoir les impressions extérieures » 1 . Cette écoute de l’autre demande un certain travail sur soi-même, c’est d’abord accepter l’autre, le comprendre pour pouvoir juger, adhérer ou réfuter. L’individu doit admettre que chaque être humain possède sa propre sensibilité et en accepte de ce fait la grande diversité. Chacun cherche un équilibre entre soi-même et l’autre. L’écoute musicale n’est pas un acte dans lequel l’individu reste neutre, il doit s’impliquer et mettre en action son âme et son corps. Elle est l’attitude commune de chacun des acteurs et permet à l’œuvre d’exister. L’interprète est à l’écoute d’une pensée musicale et cherche à interagir avec celle-ci pour déceler l’œuvre. J’ai choisi d’aborder la notion d’interprétation au travers de l’écoute musicale, en me demandant comment cette attitude face à la musique peut-elle devenir un acte sensible qui permet de percevoir et construire notre interprétation d’une œuvre. Dans une première partie, nous allons réfléchir sur ce qu’est l’écoute musicale, puis nous déterminerons les enjeux de cette attitude face à la musique. Nous finirons par mettre en évidence la manière dont l’écoute musicale permet de diriger une interprétation sensible et comment l’enseignant guide l’élève vers une démarche d’interprétation. 1 Edgar Willems, L’oreille musicale, tome I. La préparation auditive de l’enfant, p.34. 4 I. L’écoute musicale A. Anatomie et physiologie du système auditif Il me semble important de commencer cette partie en vous décrivant l’anatomie du système auditif et en vous expliquant son fonctionnement. Le système auditif (cf. annexe 1) est divisé en trois parties : L’oreille externe est constituée du pavillon et du conduit auditif externe. Le pavillon capte les vibrations de l’air pour qu’elles soient transmises par le conduit auditif jusqu’au tympan. Le conduit auditif a la forme d’un cylindre et protège le tympan, membrane fine et très fragile. L’oreille moyenne est composée de trois parties : la trompe d’Eustache, la caisse du tympan et les cellules mastoïdiennes. La caisse du tympan est remplie d’air et contient la chaîne des osselets (le marteau, l’enclume et l’étrier) qui assure 2 « la transmission des vibrations jusqu’aux liquides de l’oreille interne » en transformant les ondes sonores en oscillations mécaniques. « L’étrier transmet ces oscillations au limaçon 3 par la fenêtre ovale » . L’oreille interne est composée de deux parties : Le labyrinthe osseux et membraneux. Rempli d’un liquide appelé la périlymphe, le labyrinthe osseux est constitué du limaçon contenant la cochlée et des organes du vestibule qui renseignent le système nerveux sur notre position dans l’espace. A l’intérieur de la cochlée, l’organe de Corti est constitué de différents types de cellules dont celles que nous appelons les cellules ciliées qui « sont responsables de la transformation de la vibration sonore liquidienne en signaux électrophysiologiques qui vont prendre naissance dans le 4 nerf auditif » . La cochlée code les informations en un langage compréhensible par le cerveau et sont ensuite dirigées par le nerf cochléaire vers le système nerveux. 2 Claude-Henry Chouard L’oreille musicienne, p.170. Gilles, Léothaud, Acoustique musicale, «II-Psychoacoustique », p.82. 4 Claude-Henry Chouard L’oreille musicienne, p.325. 3 5 En suspension dans ce liquide et en épousant les contours du labyrinthe osseux, le labyrinthe membraneux « est constitué de petits sacs communiquant les uns avec les autres et 5 qui contiennent eux aussi un liquide appelé endolymphe » . Après le codage effectué par l’oreille interne, les informations sont transmises au cerveau par le nerf auditif et les relais étagés du tronc cérébral. Les informations sont examinées et diffusées dans tout le cerveau. Le message est ensuite transmis au niveau des deux hémisphères où il est décodé. C’est durant cette dernière étape que l’auditeur recherche les caractéristiques du signal sonore en s’appuyant sur ce qu’il a déjà entendu auparavant. L’écoute ne se limite pas à une activité du système auditif. De multiples informations nous viennent des autres sens. « La sensibilité de la peau est telle qu’elle 6 réagit aux ondes sonores autant qu’aux pressions physiques » et c’est pour cette raison que des musiciens sourds, comme Christian Guyot, percussionniste, sont devenus des interprètes professionnels. Ils développent une sensibilité vibratoire qui leur permet de ressentir la matière sonore. Nous venons de présenter l’anatomie, le fonctionnement du système auditif et de mettre en exergue le fait que l’écoute ne dépend pas seulement de l’activité de l’oreille. Mais comment différencie-t-on la captation sonore de l’écoute musicale et de ce que nous désignons comme l’action d’entendre ? B. Les différentes attitudes envers la musique Pour un même objet sonore, les auditeurs adoptent des attitudes différentes. 1. La captation sonore Le verbe Ouïr désigne « la fonction sensorielle de l’organe auditif, qui consiste à 7 recevoir les sons, à les toucher » . Si l’individu adopte une posture passive et désintéressée envers les stimulations auditives extérieures, les vibrations captées par l’oreille externe resteront des sensations auditives inconscientes et s’apparenteront à un signal ou à un bruit sans aucune expression. 5 Gilles, Léothaud, Acoustique musicale, « II-Psychoacoustique », p.77. Dominique Dupuy, « A bon écouteur, salut » paru dans Marsyas n°23, L’écoute, p.33. 7 Edgar Willems, « L’oreille musicale » paru dans Les bases de la psychologie de l’éducation musicale. p.36. 6 6 Si cette stimulation sonore est inintelligible pour l’individu, il ne va pas prendre conscience de l’objet musical. Dans ce cas, nous sommes dans une attitude passive d’ouïr. Les « auditeurs de musique de fond »8, décrit par T.W. Adorno dans l’Introduction à la sociologie de la musique, sont des personnes ne portant aucun intérêt à une œuvre et qui la considère comme un stimulus sonore extérieur. « Pour l’auditeur de musique de fond, la musique doit couler comme une source, c’est 9 un calmant légèrement euphorisant » . Certaines musiques incitent à une passivité auditive et n’ont pour fonction que de créer un environnement sonore qui détend. Par exemple, la compagnie Muzak, fondée en 1934 à New York, crée des musiques d’ambiance diffusées dans des endroits publics, des usines ou des bureaux. Ces produits musicaux ont pour fonction de créer un environnement agréable pour l’individu. 2. L’écoute musicale L’écoute musicale naît de la relation ainsi que de l’interaction entre une personne et une œuvre. « Ecouter, c’est se diriger vers la musique, s’accorder avec elle, se 10 rendre disponible pour elle » 11 à entendre » . L'auditeur adopte une attitude concentrée et « s’applique . Selon E. Willems, « l’acte actif et plus subjectif d’écouter »12 se déclenche lorsqu’une émotion s’ajoute à l’acte d’ouïr. L’auditeur mobilise sa « sensibilité 13 affective auditive » et s’investit physiquement, mentalement et émotionnellement. Il est intrigué par l’œuvre et « poussé par un désir, par une émotion »14. Dans cette disposition d’esprit, l’auditeur prend conscience de l’existence de l’œuvre. Ernest Ansermet15 considère que l’auditeur, grâce à un phénomène de conscience auditive, transforme l’espace sonore en espace musical et se crée un espace fictif, subjectif, dans lequel il est attentif à l’apparition et la disparition des paramètres musicaux (les hauteurs, les durées, les timbres, les intensités). 8 Alfred Willener, Pour une sociologie de l’interprétation musicale. Alfred Willener, Pour une sociologie de l’interprétation musicale, p. 62. 10 Jacques Siron, La partition intérieure, p.30. 11 Alain Rey, Le grand robert de la langue française, 2001. 12 Edgar Willems, L’oreille musicale, p. 38. 13 Edgar Willems, L’oreille musicale, p. 38. 14 Edgar Willems, L’oreille musicale, p. 38. 15 Ernest Ansermet, Les fondements de la musique dans la conscience humaine, 1961. 9 7 3. Entendre L’écoute musicale peut nous amener à comprendre l’œuvre en mobilisant notre intelligence et nos connaissances. Lorsque nous entendons, on « écoute d’une oreille attentive » 16 et nous comprenons ce que nos sens nous transmettent. Entendre est donc une activité mobilisant l’esprit. Rappelons que le verbe Entendre possède la même racine latine que l’entendement (« Intendere » qui signifie « tendre 17 vers » ). 4. L’équilibre entre une conscience extérieure et intérieure L’écoute musicale nécessite une attitude d’ouverture vers le monde, une capacité à recevoir des informations extérieures. « Ecouter une œuvre, ce n’est pas l’examiner, la soupeser, la juger, l’évaluer. C’est plutôt y 18 adhérer, s’y incorporer, l’assumer et la soutenir le temps de l’exposition. » . Avant d’interpréter ce qu’il écoute, l’auditeur cherche à ressentir et à comprendre l’autre sans rejeter d’emblée ce qui lui est étranger. Cependant, lorsqu’un individu ne reconnaît aucun élément repère, il peut être déstabilisé. L’histoire nous a montré qu’il n’est pas facile pour un public de s’adapter et d’être disponible face à une pièce novatrice. Prenons un exemple : la première représentation du Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky a eu lieu au théâtre des Champs-Elysées à Paris en 1913. D’après les témoignages, cette première prestation a suscité des réactions virulentes du public et ces manifestations « d’abord isolées, devinrent bientôt générales et 19 provoquèrent très vite un vacarme épouvantable » . Pourquoi cette œuvre suscita autant de réactions ? Parce que tout d’abord, le Sacre du Printemps est une œuvre musicale et chorégraphique qui met en scène la célébration puis le sacrifice d’une des jeunes filles au dieu du printemps. I. Stravinsky cherche à représenter un rituel sacré menant à une forme de barbarie. 16 Dictionnaire Larousse en couleur, p.385. Dictionnaire Larousse en couleur, 1988.p.385. 18 François Nicolas, « Quand l’œuvre écoute la musique », paru dans, L’écoute, p.151. 19 Pierre Lartigue, « Genèse de l’œuvre »paru dans, Ballet danse, « Le sacre du printemps », p.18. 17 8 Dans la partie musicale, le compositeur organise les rythmes, l’accentuation et les hauteurs d’une façon tout à fait inouïe. Par exemple, dans les Augures printaniers-Danses des adolescentes, le compositeur superpose « deux accords (l’un de fa bémol majeur à l’état fondamental, l’autre de septième de dominante en la 20 bémol), ce qui crée une polytonalité, associée à une rythmique et à un timbre agressif » . Associée à cette musique, la chorégraphie du ballet, créée par Vaslav Nikinsky et interprétée par les ballets Russes de Serge Diaguilev, s’éloigne d’une gestuelle classique, d’une grâce du mouvement et met en scène une certaine barbarie. A cette époque, l’innovation musicale et chorégraphique a perturbé le public pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’auditeur de l’époque était habitué à un contexte esthétique dans lequel la musique tonale et une certaine organisation rythmique prédominaient. Dans le Sacre du Printemps, le compositeur bouleverse tous ces éléments. Cependant, l’auditeur doit-il arrêter pour autant d’être à l’écoute de l’œuvre ? Le public de l’époque n’était pas disposé à recevoir une conception artistique aussi inouïe et n’a pas réussi à s’adapter. Si les auditeurs avaient dépassé leurs premières impressions, ils auraient pu écouter l’œuvre, la découvrir et comprendre ce qui les déstabilisait. Pour équilibrer conscience intérieure et extérieure, l’auditeur doit posséder cette capacité à adapter ses réflexes d’écoute et ne pas rejeter d’emblée une musique inouïe. L’écoute musicale nécessite d’être dans un état de disponibilité et l’auditeur mobilise sensorialité, affectivité et intelligence pour être impliqué. Cependant, l’interaction avec l’œuvre n’est possible que si nous l’acceptons en tant que telle. Le contexte esthétique dans lequel nous vivons influence notre écoute musicale mais ne doit pas la restreindre. 20 Alain Charbonnel, « Commentaire musical » paru dans Ballet danse « Le sacre du printemps » p.23. 9 C. La relation entre l’individu et l’œuvre L’état de disponibilité de l’auditeur est la condition pour créer une interaction avec l’œuvre. Cependant, pour qu’elle soit musicale, l’écoute est organisée. 1. L’organisation de l’écoute musicale a) L’importance de la mémoire durant l’écoute musicale La mémoire (issue du latin : memoria) est cette « aptitude à se souvenir »21. Durant l’écoute musicale, l’auditeur mobilise sa mémoire auditive qui se développe grâce à ses expériences et permet d’identifier, de reconnaître des éléments du langage musical. Cependant, les limites de notre mémoire nous incitent à organiser notre écoute pour réussir à interpréter l’œuvre, pour sélectionner, mettre en lien les éléments musicaux et pouvoir prolonger cette action dans le temps. Les compositeurs ont conscience de cet aspect. Ils structurent leur œuvre et donnent des repères mnésiques à l’auditeur. b) La structure de l’œuvre Lorsque nous mobilisons notre attention envers un objet musical, nous pouvons nous poser les questions suivantes: Qu’allons-nous choisir d’écouter et de quelle manière ? Tout d’abord, l’œuvre musicale est créée par une pensée compositionnelle organisant les différents paramètres sonores (intensité, timbre, hauteur, espace et durée). L’auditeur cherche à comprendre comment ces multiples éléments sont agencés dans le temps. Pour cela, il utilise des stratégies d’écoute puisque « l’organisme ne peut pas traiter à un même niveau toutes les informations qui lui parviennent ; il doit donc procéder à une sélection des informations en fonction de ses besoins »22. L’organisation de l’écoute nécessite une prise de décision personnelle pour sélectionner différents éléments de l’œuvre. L’auditeur met en action des savoirs : savoir trier, récolter et juger. 21 Emmanuèle Baumgartner, Philippe Menard, Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, p. 490. 22 Carolyn Drake, « Ecouter et jouer la musique » paru dans Le cerveau musicien, p152. 10 En repérant les frontières entre les différents groupes unitaires constituant l’œuvre, l’auditeur peut appréhender et comprendre comment le compositeur fait évoluer le discours musical. Pour être perçus, les changements sont relativement importants et s’opèrent au niveau de l’intensité, de la hauteur, de l’articulation, du timbre, de la durée, etc. Pour repérer les différentes frontières, l’auditeur regroupe et segmente en fonction des similitudes et différences. Prenons un exemple : Un auditeur écoute pour la première fois le premier mouvement de la Sonate n °5 pour violon et piano opus 24, L.V. Beethoven. Dans cette œuvre, le compositeur utilise une forme sonate pour structurer ses idées musicales et l’exposition est constituée de deux thèmes. A la première écoute, l’auditeur perçoit un contraste entre le thème A et B et lors de la deuxième, il cherche ce qui les différencie. Le thème A (cf. Annexe 3) adopte un caractère mélodique, simple et chantant. Il est exposé en fa majeur dans une nuance piano et un tempo Allegro. Une transition (le pont) nous amène vers le groupe thématique B (cf. Annexe 3), dans lequel nous percevons d’emblée un changement de caractère lié à l’utilisation de sf, d’une modulation en do majeur et d’une articulation staccato. L’ensemble de ces éléments crée un caractère rythmique et vif. L’organisation des différents paramètres musicaux permet à l’auditeur de ressentir d’emblée un contraste entre les deux thèmes. c) Les repères d’écoute Certains éléments musicaux peuvent apparaître comme des repères qui aident à organiser l’écoute. Prenons un exemple : La Symphonie fantastique de H. Berlioz est composée de cinq scènes. Le compositeur donne un repère à l’auditeur puisque le thème récurrent, appelé l’idée fixe, est exposé dans les cinq parties de différentes manières et qu’il subit des variations en fonction de l’évolution dramaturgique de l’œuvre. Dans la première partie « Rêveries. Passions », l’idée fixe est exposée à la flûte traversière. (Cf. Annexe 4) dans un caractère noble, passionné et symbolise la rencontre de l’artiste avec sa bien-aimée (Cf. Annexe 4). 11 Dans « un Bal », l’idée fixe est réexposée dans une mesure en 3/8 et transposée (Cf. Annexe 4). Dans la dernière partie, le thème revient mesure 21, complètement déformé et adopte un caractère ignoble (Cf. Annexe 4). L’idée fixe est un repère d’écoute qui permet de suivre l’évolution dramaturgique de l’œuvre. L’attention de l’auditeur est entretenue puisque celui-ci reconnaît le thème et compare les différentes variations. Cependant, l’organisation dépend également de nos expériences passées et des souvenirs que nous en gardons. 2. Le souvenir d’une écoute a) Les expériences musicales Chaque expérience passée est encodée sous forme de trace mnésique et mobilisée si l’œuvre écoutée stimule l’une d’elles. L’ensemble de nos souvenirs influence notre manière d’appréhender l’œuvre et d’organiser notre écoute. Nos expériences musicales nous permettent d’acquérir des réflexes pour mieux comprendre une pièce et guider nos oreilles. Nous pouvons écouter globalement l’œuvre ou cibler notre attention sur une séquence, un paramètre du son ou un autre aspect de la musique qui nous intéresse et nous paraît important. L’individu ne mobilise pas le même type d’écoute lorsque l’objet musical lui est inconnu, il apprend à adapter ses réflexes en fonction des œuvres, des styles. Les informations mémorisées ne sont pas seulement auditives. L’expérience d’écoute est dépendante d’un contexte (lieu, temps), d’un état émotionnel, de sensations. L’écoute peut évoquer des souvenirs divers et faire référence à diverses expériences affectives et sensorielles. Nos expériences auditives nous permettent de garder une trace intérieure des pièces musicales. 12 b) L’écoute intérieure L’écoute intérieure permet de réaliser une imitation mentale de l’œuvre qui ne représente pas une réalité mais qui s’en rapproche plus ou moins. Elle résulte d’une concentration « qui nous permet […] d’entendre exactement ce que nous allons jouer et nous implique dans une disposition affective puissante vis-à-vis de la musique »23. L’individu « reproduit mentalement le discours musical par la seule puissance d’évocation et de suggestion de l’image auditive »24. Cette attitude d’intériorisation de la musique existe grâce à notre mémoire auditive, à notre imagination et permet à la personne de créer intérieurement des images sonores. Elle permet de se remémorer une œuvre déjà entendue grâce aux souvenirs que nous en gardons, et dépend des expériences musicales vécues. La représentation mentale des sons nécessite d’avoir atteint un certain stade de développement des capacités cognitives pour pouvoir se libérer du concret, penser un objet sans qu’il soit présent, et raisonner abstraitement. Cependant, cette attitude nous éloigne d’une réalité, puisque l’objet intériorisé est idéalisé. L’alternance entre l’écoute intérieure et extérieure permet de rester connecté à une réalité musicale. Le compositeur cherche à donner un sens à l’organisation du temps et des différents paramètres musicaux. L’écoute musicale nous amène à mieux comprendre comment le compositeur a structuré ses idées. Cependant, peut-on dire que l’œuvre se limite à cette organisation ? L’enjeu de l’écoute musicale n’est-il pas d’aller au-delà de la perception d’un langage compositionnel ? 23 24 Dominique Hoppenot, Le violon intérieur, p.136. Dominique Hoppenot, Le violon intérieur, p.136. 13 II. L’enjeu de l’écoute musicale La définition de l’écoute nous montre que l’enjeu de cette action est 25 « d’attribuer un sens ou une valeur» . Comment l’auditeur attribue-t-il une signification à l’œuvre ? Le compositeur peut-il contrôler l’acte d’interprétation ? A. Faire advenir une œuvre musicale L’écoute musicale permet d’entrevoir la structure d’une œuvre et de déduire des hypothèses d’après les indices recueillis. Notre interprétation de l’écoute naît de cette volonté de percevoir les intentions du compositeur et de comprendre ce qu’il a voulu signifier au travers de sa musique. Le créateur d’une pièce structure ses idées musicales pour qu’elles soient lisibles par d’autres et il accepte de voir son œuvre être transformée en fonction des sensibilités. L’interprète effectue une activité de sélection durant sa lecture de la pièce qui « le conduit à montrer certains traits de l’œuvre, à en cacher d’autres »26. L’auditeur 27 « construit à travers son écoute sa propre représentation de l’œuvre » en cherchant ce « que l’interprète a voulu dire par rapport à un texte qui manifeste le vouloir dire d’un compositeur »28. L’enjeu de l’écoute est de faire advenir un objet musical intersubjectif, mis en partage par la communication entre compositeur, interprète et auditeur. L’œuvre ne possèderait pas de vérité absolue mais serait un objet de partage. La pièce écoutée ne serait pas fixe mais en constante transformation. Cette interaction permet donc de donner une signification à notre interprétation de l’œuvre. En effet, dans cette communication, « il n’est guère question de Vérité mais bien de Sens »29. 25 Alain Rey, Le grand robert de la langue française. Guyslaine Guertin, « A propos de « Glenn Gould et les variations Golberg » : une approche sémiologique de l’interprétation, » paru dans 7-Analyse musicale, p.17. 27 Guyslaine Guertin, « A propos de « Glenn Gould et les variations Golberg » : une approche sémiologique de l’interprétation, » paru dans 7-Analyse musicale, p.17. 28 Guyslaine Guertin, « A propos de « Glenn Gould et les variations Golberg » : une approche sémiologique de l’interprétation, » paru dans 7-Analyse musicale, p.17. 29 Luc Pareydt, « Qu’est-ce qu’interpréter ? », paru dans 7-Analyse musicale p.10. 26 14 L’œuvre a été composée par une personne influencée par le contexte historique, culturel de son présent .Lorsque nous interprétons notre écoute, certaines informations extrinsèques (la vie du compositeur, l’époque, le style) à l’œuvre permettent de mieux la comprendre. Cependant, elles n’ont d’intérêt que si elles aident à l’attribution de sens à l’œuvre. L’interaction entre interprète, auditeur et compositeur est nécessaire pour faire advenir l’œuvre. B. Une intersubjectivité qui a ses limites Si le musicien ne prend pas en considération la pensée du compositeur et décide d’imposer la sienne, il n’interprète pas mais crée un autre objet à partir de ce qu’il a perçu de l’œuvre. Il donne une signification à la pièce, fondée sur des impressions intuitives éloignées de toutes réalités et l’auditeur sera trompé. C’est pourquoi le compositeur peut vouloir imposer sa volonté en cherchant à contrôler l’acte d’interpréter. 1. Le rôle du compositeur dans l’acte d’interpréter Le compositeur peut vouloir imposer son pouvoir en essayant de contrôler l’interprétation de ses œuvres pour qu’elles restent à l’image de ce qu’il a conçu. Pour cela, il peut adopter une écriture très précise ou bien travailler avec les musiciens. Mais peut-il contrôler l’interprétation de son œuvre ? Pour réfléchir à cette question, prenons l’exemple de trois compositeurs. a) K. Stockhausen K. Stockhausen a exploré de multiples styles musicaux (de l’œuvre électronique fixée sur bande à la musique intuitive) dans lesquelles la liberté de l’interprète varie. Pour certaines de ses œuvres, l’exigence quant à leur réalisation et l’extrême précision témoigne de cette volonté de contrôler leur devenir. Certaines de ces pièces sont accompagnées d’un planning de répétitions et quelquefois la disposition scénique est imposée « De la hauteur précise des podiums sur scène, jusqu'aux horaires des répétitions, en passant par les types de microphones et d'éclairages, tout est consigné dans les partitions 30 http://etincelle.ircam.fr/751.html, le 8 mars 2011. 15 »30. De plus, K. Stockhausen développe sa propre édition de disques et de partitions, ce qui lui permet de contrôler la diffusion de ses œuvres. Dans certains cas, la collaboration avec des architectes lui a permis de construire un lieu adapté à son œuvre. Par exemple, en 1968, pour l’exposition d’Osaka au Japon, K. Stockhausen a été sollicité pour créer l’animation artistique du pavillon de l’exposition et a construit un auditorium avec la collaboration d’un plasticien spécialiste de la lumière, O. Piene et de l’architecte F. Borneman. L’ensemble crée une cohérence artistique. « K. Stockhausen prétendait élaborer une œuvre totale dans laquelle sons, couleurs, chiffres, signes du zodiaque, gestes, configurations stellaires, saisons, jours, heures, minutes, et même plus récemment, odeurs, étaient organisées selon des procédures très formalisées afin de participer du grand TOUT »31. Les principaux interprètes de ses œuvres sont des proches. Par exemple, l’intégralité du répertoire pour flûte traversière du compositeur a été interprétée par K. Pasveer. De plus, chaque été, le compositeur organisait des stages pour les musiciens souhaitant interpréter ses pièces. Cette relation entre compositeur et interprète a permis aux interprètes de mieux comprendre les œuvres de K. Stockhausen. Dans la revue officielle de l’association française de la flûte La traversière n° 95 intitulée « Stockhausen et la flûte », Marie-Hélène Rondeau, qui a travaillé avec K. Pasveer et K. Stockhausen sur Freia, une de ses œuvres, constate « l’extrême rigidité de leur travail, qu’ils œuvrent ensemble ou en collaboration. Tout a été pensé et travaillé 32 dans les moindres détails, dans la composition comme dans l’interprétation » . Est-ce que cette directionalité ne limite pas le rôle de l’interprète ? Le compositeur ne peut entièrement contrôler la réalisation de son œuvre et l’interprète reste le seul maître de son jeu instrumental. 31 http://etincelle.ircam.fr/751.html l e 8 mars 2011. 32 Traversière n°95, la revue officielle de l’association française de la flûte, Stockhausen et la flûte, p.10. 16 b) K. Saariaho Le compositeur ne peut reproduire à l’identique ce qu’il imagine intérieurement. Beaucoup d’entre eux, comme K. Saariaho, expriment l’importance de travailler avec des musiciens puisque «c’est l’un des rares cas où 33 quelque chose de concret sur ma musique ou sur moi-même m’est renvoyé.» . La compositrice revendique l’importance de laisser une certaine liberté aux musiciens pour qu’ils puissent « vivre une expérience. C’est pour cela que les interprétations sont différentes. A travers elles, ce sont les œuvres qui se mettent à respirer, la musique à vivre. » 34 . L’interprète doit être dans un état de disponibilité et la musique de K. Saariaho nous invite à un état de décision. C’est la musique qui nous guide, qui surpasse notre volonté. Cette mise en état est indispensable pour interpréter sa musique. La compositrice veut voir transparaître sa pensée au travers l’interprétation et elle accepte le partage de ses œuvres. c) Y. Taira Y. Taira laisse une certaine liberté à l’interprète dans l’organisation du temps de ses œuvres. Dans Pentalpha, l’une de ses pièces composées pour un quintette de solistes (flûte traversière. clarinette, contrebasse, marimba et percussions), nous trouvons plusieurs organisations temporelles (un temps étiré qui est composé de longues séquences, un temps stable divisé en fragments de deux secondes et enfin un temps libre) dans lesquelles le compositeur laisse la liberté à l’interprète de gérer la distribution interne des évènements. Cependant, l’ensemble des musiciens doit s’accorder pour avoir une organisation temporelle commune tout en gardant une certaine souplesse individuelle qui permet à chacun d’être à l’aise. Cette flexibilité a des limites. Un dialogue incessant entre une pensée compositionnelle et interprétative permet de trouver une stabilité. 33 Pierre Michel, « Entretien avec Kaija Saariaho »paru dans, Kaija Saariaho, p.13. Seize questions à Kaija Saariaho : Propos recueillis par Gilles de Talhouët Paris, décembre 2010. 34 17 Les trois exemples cités mettent en évidence les limites de l’intersubjectivité. Cependant, même si le lien entre interprète, compositeur et auditeur est primordial, permet-il de percevoir l’intégralité d’une œuvre ? 2. L’œuvre et ses mystères insaisissables L’écoute musicale est une activité de sélection qui nous amène à interpréter une musique et lui attribuer un sens. L’interaction entre les acteurs permet de faire advenir une œuvre, mais peut-on la percevoir dans son intégralité? Lors de nombreux entretiens, P. Boulez cite P. Diderot qui écrit ceci : « D’abord, on est dans la pénombre quand on lit quelque chose, ensuite on le comprend et 35 on croit avoir une illumination. Mais en poursuivant, on retombe dans l’obscurité » . Pierre Boulez revendique l’imperceptibilité de l’œuvre. Nous pouvons la comprendre mais une partie reste un mystère. L’enjeu de l’écoute musicale n’est pas de percevoir l’œuvre mais bien de la faire advenir en lui attribuant un sens et en prenant en considération les acteurs impliqués (interprète, compositeur, auditeur). Ce processus intersubjectif permet à l’individu de former une vérité hypothétique qui se modifie en fonction du temps et des rencontres. L’absence de vérité absolue et le côté mystérieux d’une œuvre d’art permettent d’être face à un objet artistique non figé et qui se transforme. Cependant, l’écoute musicale possède des limites et peut amener l’auditeur à effectuer des contresens. Dans l’acte d’interpréter, le musicien ne peut prendre le risque de déformer l’œuvre. C’est pourquoi son rôle est de dépasser les limites de l’écoute musicale, en recherchant une interprétation sensible. 35 http://www.arte.tv/fr/Artistes-A-K/411200,CmC=821164.html: le 14 Avril 2010.Denis Diderot dans « Pierre Boulez s’entretient avec Barry Gavin à Bayreuth en 2004 ». 18 III. Une interprétation sensible Le rôle de l’interprète est « de restituer non seulement la matérialité sonore des signes graphiques, mais aussi et surtout la pensée vivante formelle et expressive qui s’y trouve virtuellement contenue »36. Le musicien perçoit une pensée compositionnelle, la recrée en fonction de sa sensibilité, « ce pouvoir grâce auquel il y a effectivement du divers : diversité des phénomènes, mais aussi diversité des significations et diversité des valeurs. »37. L’écoute musicale lui permet de diriger son interprétation et de la communiquer aux auditeurs. A. Position éthique de l’interprète 1. L’écoute intuitive et ses limites L’intuition (issue du latin intuitio, de intueri, regarder) est considérée comme une « 1-Saisie immédiate de la vérité sans l’aide du raisonnement »38. Elle est issue d’actions passées qui sont devenues inconscientes et reste quelque chose de personnel, une image ou une idée créée par notre imagination. L’individu ne peut pas la contrôler puisqu’elle lui apparaît spontanément. D’après la définition de l’interprétation, « quel que soit le style de l’œuvre que l’interprète exécute, seul un instinct musical authentique […] lui livrera accès à l’ « au-delà des notes », à l’esprit vivifiant »39. L’interprète possède une écoute intuitive qui lui permet de donner vie à une œuvre. Les intuitions premières permettent d’orienter, d’enrichir et de sensibiliser notre interprétation. Comme nous l’avons évoqué en seconde partie, l’œuvre musicale est un objet intersubjectif. Si l’interprète ne cherche pas à percevoir et à communiquer avec une pensée extérieure, il risque de déformer l’œuvre et s’imposer. En se fondant seulement sur ses intuitions, l’interprète ne fait pas advenir un objet musical, il le crée en fonction d’hypothèses intuitives qui ne lui assurent pas d’être en harmonie avec la pensée du compositeur. 36 Marc, Honegger, Science de la musique : Techniques, formes, instruments de A à K, p.500. Roger, Bruyeron, La sensibilité, p.8. 38 Dictionnaire Larousse en couleurs, p.548. 39 Marc Honegger, Science de la musique : Techniques, formes, instrument de A à K, p. 500. 37 19 En effet, l’appréhension d’une œuvre ne fait pas toujours naître en nous des intuitions. Dans cette situation, l’interprète doit avoir d’autres recours. Dominique HOPPENOT, dans le violon intérieur, nous décrit le profil du musicien ayant une approche instinctive de la musique. En voici un extrait : Les musiciens ayant une approche purement instinctive « admettent généralement mal que le travail puisse être régi par des lois ou par un processus, ils n’accordent de crédit qu’à leur génie pour la création. Ils n’ont d’ailleurs pas tort dans leur cas personnel puisque n’ayant à disposition aucune science de l’instrument mais seulement un habile et invérifiable « savoirfaire », la moindre prise de conscience les trouble et les démonte. »40 Dans ce cas, l’interprète ne prend pas en compte l’organisation de l’œuvre en effectuant un travail d’analyse et ne cherche pas à la comprendre. Il ne prend pas conscience de son interprétation, ne la contrôle pas et reste dépendant de ses intuitions. De plus, il prend le risque d’effectuer un contresens. Prenons un exemple pour illustrer ces propos. L’interprète déchiffre l’« Allemande » premier mouvement de la Partita pour flûte seule en la mineur. BWV 1013 de J-S Bach. Durant cette première lecture, il constate que ses intentions premières ont été de ressentir des appuis répartis de manière irrégulière (soit à la blanche soit à la noire). Ensuite, il constate qu’il a changé intuitivement de couleur de timbre à la mesure 9. Dans cet exemple, l’interprète a plutôt une bonne appréhension de l’œuvre. Maintenant, s’il avait ressenti des appuis sur chaque temps, son écoute intuitive l’aurait amené à effectuer un contresens. Il est donc nécessaire pour l’interprète d’aller au-delà de ses intuitions en effectuant une analyse et une recherche venant acquiescer ou réfuter ses impressions premières. Nous examinerons dans la partie suivante comment le compositeur organise divers éléments constituant l’œuvre. L’écoute intuitive permet au musicien de construire une interprétation sensible. Cependant, elle est connectée à d’autres approches comme par exemple la démarche analytique. 40 Dominique, Hoppenot, Le violon intérieur, p.18. 20 2. L’écoute analytique et de jugement pour diriger son interprétation La définition de l’analyse « issue du grec analusis, décomposition»41, montre que c’est un acte qui consiste à décomposer les éléments d’un ensemble pour mieux comprendre l’organisation de l’œuvre. L’interprète adopte une démarche analytique qui lui permet de trouver des indices concrets pour étayer ou réfuter les différentes intentions intuitives exprimées durant son appréhension de l’œuvre. En partant de ses impressions premières, il donne un sens personnel à sa démarche analytique. Reprenons l’exemple de « l’Allemande », extrait de la Partita pour flûte seule en la mineur. BWV 1013 composée par J-S Bach. L’écoute intuitive de l’interprète lui a permis d’orienter ses recherches analytiques. Très vite, il comprend que l’ensemble de l’œuvre est constitué d’accords égrenés et que l’organisation harmonique détermine les changements d’appui. Il va donc rechercher le plan tonal de l’œuvre et analyser l’évolution harmonique. En effectuant cette démarche analytique, l’interprète entrevoit la spécificité de l’écriture de cette pièce, qui réside dans le traitement polyphonique de la flûte traversière, puisque toute une harmonie est conçue dans la monodie et qu’à l’intérieur, nous percevons plusieurs voix. L’interprète repère les différentes parties mélodiques superposées. Voici les trois parties présentes dans la monodie : L’interprète repère la voix inférieure qui détermine le rythme harmonique et les appuis à la blanche ou à la noire. 41 Dictionnaire Larousse en couleurs, p.63. 21 Lors de son écoute intuitive, le musicien percevait des appuis à la blanche dans la première mesure. L’analyse lui a permis de confirmer son ressenti et de le comprendre. A la 9ème mesure, la modulation en do majeur apparait comme un argument venant confirmer les intentions premières de l’interprète. Voici la mesure. 8 et 9 : En effet, les changements de tonalité sont des facteurs d’expression musicale. Les différents éléments ressentis durant le déchiffrage sont confirmés par cette démarche analytique. L’interprète donne un sens à sa démarche analytique de l’œuvre. Cependant, n’y a-t-il pas des éléments extrinsèques à l’œuvre que le musicien prend en considération pour interpréter l’œuvre ? Toujours dans cette recherche autour de l’organisation des appuis, l’interprète s’interroge sur la signification du titre de la pièce. En effet, le compositeur a attribué des noms de danses aux quatre pièces de la Partita. D’après Claude Abromont, l’Allemande « se caractérise par sa coupe binaire à reprise ( aabb) et le parcours tonal caractéristique de la plupart des danses baroques) » 42 . La Partita pour flûte seule en la mineur BWV 1013 a été écrite entre 1722 et 1723, époque associée au baroque tardif et n’a pas été composée pour être dansée. L’interprète prend en considération cette indication et garde le caractère spécifique de cette danse en cherchant ce qui la différencie, du point de vue de la métrique, des points d’appuis et du rythme. L’Allemande se caractérise par la présence d’une levée, qui donne un certain élan au discours musical et par la cellule rythmique : . Si nous écoutons la première mesure de la pièce écrite par J-S Bach, nous ressentons cet élan qui nous amène vers le point d’appui, et qui sert de rebond pour élancer les notes de l’accord : 42 Claude Abromont, Guide des genres de la musique occidentale. p. 33. 22 . L’identification de la danse permet de placer les temps forts, de trouver le tempo et le caractère. L’interprète cherche un moyen de faire ressentir à l’auditeur la vie rythmique inhérent à la pièce de danse. Lorsque le musicien comprend les intentions du compositeur, il entrevoit quels sont ses droits. Il nous communique sa propre lecture de l’œuvre et choisit un axe spécifique pour diriger son interprétation. Mais l’œuvre contient de multiples éléments qui peuvent être l’objet d’une interprétation sensible. Comment le musicien choisit-il un ou plusieurs axes d’interprétation ? La force d’une interprétation sensible réside dans l’affirmation d’une prise de position du musicien « Etre sensible, c’est exercer le pouvoir de qualifier »43. Pour cela, l’interprète effectue des choix grâce à une écoute de jugement et peut alors affirmer une interprétation puisque l’acte en lui-même : « est fondamentalement porter un jugement c'est-à-dire établir une relation entre une interprétation donnée et […] certains aspects spécifiques de l’univers d’un compositeur ou d’un style du passé tel qu’il se manifeste à travers une œuvre particulière »44. L’écoute de jugement met en action une sensibilité à condition de ne pas se limiter à un jugement précipité. L’auditeur adopte une écoute de jugement influencée par son histoire (culture, influences diverses, etc.) et ses expériences vécues. S’il accepte d’entendre l’autre, il peut comprendre pourquoi il réfute ou approuve une interprétation. L’écoute musicale s’accompagne d’une capacité à comprendre et juger une interprétation, à effectuer des comparaisons et prendre position en affirmant son jugement. La position éthique de l’interprète réside dans cette capacité à faire interagir l’écoute intuitive, analytique et de jugement pour trouver un équilibre et adopter une écoute musicale synthétique. Cette position permet de faire advenir une œuvre en acceptant de la partager avec d’autres individualités et en étant à l’écoute d’une pensée compositionnelle. Mais comment l’interprète exprime-t-il sa sensibilité ? 43 Roger Bruyeron, La sensibilité, p.13. Jean-Jacques Nattiez« Interprétation et authenticité »paru dans Encyclopédie pour le XXIe siècle, tome 2 « les savoirs musicaux », p. 1142. 44 23 B. L’expression sensible de l’interprète à travers une affirmation de l’œuvre L’interprète met en action une expression (« action de faire sortir en pressant »45) sensible pour affirmer l’œuvre et la soutenir le temps de son interprétation. L’écoute musicale synthétique permet au musicien de construire sa propre interprétation en ayant une conscience de la pensée compositionnelle. Pour affirmer sa personnalité musicale, l’interprète met en action sa sensibilité au service de l’œuvre, en choisissant diverses intentions expressives. 1. Flexibilité et stabilité du temps dans l’interprétation a) Les intentions expressives Les compétences expressives « valorisent l’exécution en attirant l’attention sur les 46 caractéristiques de la musique » . Elles représentent les micro-variations de durée, de dynamique et de hauteur et sont choisies par l’interprète en fonction de sa sensibilité artistique. Elles peuvent apparaître instinctivement chez le musicien ou après qu’il ait pris conscience de la structure de l’œuvre. Dans les deux cas, l’interprète apprend à les maîtriser en vérifiant qu’elles ne viennent pas altérer le discours musical. L’écoute musicale permet de contrôler les intentions expressives utilisées. Selon J. Sloboda47, l’interprète cherche une stabilité dans son jeu instrumental tout en gardant une certaine flexibilité. Durant l’interprétation, « c’est la première responsabilité de l’interprète d’établir un ordre assez strict pour que les libertés qu’il prendra dans 48 ce cadre soient ressenties par l’auditeur […]. » . Si l’auditeur ne ressent pas une stabilité, il n’entendra pas les intentions expressives utilisées. 45 Emmanuel Baumgartner et Philippe Ménard, Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, p.310. 46 John Sloboda et Irène Deliège, « L’interprète en herbe » paru dans Naissance et développement du sens musical, p.201. 47 John Sloboda et Irène Deliège , « L’interprète en herbe »paru dans Naissance et développement du sens musical p.201. 48 Michel Debost, Une simple flûte, p 305. 24 Reprenons l’exemple de l’ «Allemande » extrait de la Partita pour flûte seule BWV 1013 en la mineur de J-S Bach. Dans un premier temps, l’interprète a effectué une démarche analytique conduite par son écoute intuitive. Il a conscience du rythme harmonique. Il réfléchit, expérimente pour choisir la manière de conduire la voix inférieure de l’œuvre. De nombreux choix sont possibles. Le musicien va donc mobiliser son écoute de jugement pour choisir ce qu’il préfère. Si nous comparons deux interprétations, il me semble que la version interprétée par James Galway nous fait perdre le caractère de la danse, puisque les appuis deviennent des temps d’arrêt où la note est beaucoup trop posée et allongée. Dans la version d’Emmanuel Pahud, l’interprète garde une régularité du débit des doubles croches et fait ressortir les points d’appui en renforçant le son. En ayant comparé les deux versions, je mets en action mon écoute de jugement et j’en conclue que l’interprétation de James Galway me déstabilise, puisque les arrêts systématiques m’empêchent de suivre le discours musical jusqu’à la fin de la pièce. b) Le rôle de l’écoute musicale durant l’interprétation Nous avons évoqué précédemment l’importance de mobiliser une écoute synthétique avec laquelle l’interprète fait dialoguer intuition, analyse, jugement et qui lui permet de comprendre l’œuvre. Cependant, le musicien reste à l’écoute de son jeu instrumental. Lorsque l’interprète recherche des intentions expressives, sa prise de décision n’est pas immédiate. En effet, le musicien a besoin d’expérimenter les diverses idées musicales qu’il imagine grâce à son écoute intérieure. Il compose « 49 intérieurement leur valeur avant de les extérioriser » , puis il contrôle le résultat obtenu grâce à une écoute extérieure. La maîtrise des gestes instrumentaux est indispensable pour exprimer son interprétation sensible de l’œuvre. En associant écoute intérieure et extérieure, le musicien compare ce qu’il a imaginé avec ce qui devient réel, il « vérifie que la note obtenue est bien conforme au résultat escompté et en assure la vérification » 50 . Il peut alors choisir les intentions expressives qu’il préfère. 49 50 Dominique Hoppenot Le violon intérieur, p.186. Dominique Hoppenot, Le Violon intérieur, p.136 à 137. 25 Reprenons l’exemple de l’ « Allemande », extrait de la Partita de J-S Bach. Nous avons constaté à la mesure 16 la présence d’une marche harmonique par demi-ton en mouvement ascendant (entouré en vert) qui nous amène à la note sensible de mi mineur (flèche). Le chromatisme présent à la voix inférieure vient ajouter une tension musicale. Voici la mesure16 : Ce mouvement ascendant est suivi d’une marche harmonique descendante (mesure .17 à 19) L’ensemble (m.16 à 19) fait évoluer le discours musical jusqu’à la cadence parfaite en mi mineur. Pour l’interpréter, plusieurs solutions sont possibles. Le musicien débute un crescendo à la mesure16 jusqu’à la mesure 17 et met plus de poids sur chaque temps pour accentuer la progression chromatique par mouvement ascendant. Ou bien, il peut choisir d’accélérer progressivement la montée. L’interprète cherche à être maître de son interprétation. Pour cela, il est primordial qu’il mobilise une écoute musicale pour maîtriser ses intentions expressives. c) L’organisation du temps comme expression d’une sensibilité La gestion du temps apparaît comme un geste sensible propre à chaque interprète. En effet, diverses études ont été menées par J.A. Sloboda et d’autres comme E.F. Clarke, C. Palmer, pour montrer qu’il existe bien une différence dans la gestion du temps entre diverses interprétations. Le schéma51 (Cf. annexe 3) compare une exécution mécanique avec une interprétation musicale pour déterminer les profils temporels de chacun. Les interprètes ne jouent pas d’une façon régulière. En effet, le musicien cherche à ressentir le temps de l’œuvre et à comprendre comment le discours musical évolue pour pouvoir ensuite s’en détacher et effectuer des variations temporelles. 51 Carolyne Drake, « Ecouter et jouer la musique » paru dans Le cerveau musicien, p.156. 26 Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’écoute analytique permet de guider l’interprétation. Si le musicien a conscience de l’organisation structurelle de la pièce, il peut alors choisir des variations temporelles, mais n’a-t-il pas le devoir d’adopter une démarche interprétative qui viendrait soutenir et sensibiliser l’organisation temporelle de l’œuvre ? En musique, l’interprète peut trouver différentes indications qui vont lui permettre de déterminer le tempo de l’œuvre. A l’intérieur de la musique, diverses fluctuations sont utilisées par l’interprète. L’agogique, terme utilisé pour la première fois par Hugo Riemann, musicologue allemand, dans Musikalische Dynamik und Agogik (1884), est défini par Michel Debost comme étant « 52 l’ensemble des légères modifications qui sont inhérentes à une exécution musicale » , et qui sont déterminées en fonction de l’esthétique de l’œuvre. Le rubato est une agogique et signifie en italien « temps volé ». L’interprète utilise un tempo régulier dans lequel « l’énoncé comporte plus ou moins d’avance ou de retard sur la pulsation de base »53. L’interprète sensibilise le discours musical en utilisant différentes fluctuations qu’il choisit et maîtrise. Le devoir de l’interprète est d’adopter une écoute synthétique pour rendre sensible un texte musical émanant d’une pensée compositionnelle. Les différents exemples extraits de l’ « Allemande » nous ont permis d’illustrer nos propos. Cependant, l’interprétation de pièces issues de la musique Baroque est sujette à de nombreux questionnements et débats que nous n’aborderons pas. En tant qu’enseignant, il me semble primordial de réfléchir aux moyens pédagogiques à employer, pour que l’élève puisse s’affirmer en tant qu’interprète sensible. Dans cette dernière sous-partie, nous allons donc exposer comment guider un élève vers une démarche d’interprétation. 52 53 Michel Debost, Une simple flûte, p.23. Michel Debost, Une simple flûte, p.266. 27 C. Position du pédagogue 1. L’écoute musicale au service de l’acte d’interpréter Comme nous l’avons évoqué en première partie, l’écoute musicale nécessite une concentration et une implication active de la part de l’auditeur. L’interaction avec d’autres musiciens mobilise la sensibilité. L’enseignant confronte l’élève à diverses expériences d’écoute suivies d’un dialogue où chacun émet un avis sur ce qu’il vient d’entendre. La pédagogie de groupe crée une interaction autour de la musique où les oreilles sont sans cesse mobilisées. Ensemble, les élèves apprennent à être à l’écoute de l’autre, d’eux– même et développent un esprit critique. Différentes écoutes sont mobilisées : L’écoute globale d’une pièce. L’écoute ciblée sur un aspect de l’œuvre ou de l’interprétation. Elle permet de guider un travail technique ainsi qu’une recherche d’intentions expressives. L’écoute intérieure par laquelle nous imaginons mentalement l’œuvre. Durant l’écoute comparative, l’élève classifie les éléments écoutés, met en parallèle les œuvres et recherche des ressemblances et différences pour émettre une critique argumentée. Durant l’écoute de jugement, l’élève recherche les axes d’interprétation choisis par le musicien, et réfléchit à comment il aimerait interpréter tel ou tel passage. Cette attitude met en action son esprit critique et développe ses facultés à argumenter ses opinions, justifier une prise de position face à une œuvre. Les expériences d’écoute active participent à la construction progressive d’un jugement artistique. L’enseignant n’impose pas son écoute musicale et laisse l’élève aborder l’œuvre en fonction de ses premières appréhensions. Un élève constate que la pièce qu’il vient d’écouter, l’Andante en Do majeur K.315 pour flûte et piano de W.A. Mozart, adopte un caractère léger mais qu’à certains moments, s’installe une atmosphère plus dramatique. Son écoute de la pièce est globale, il n’en retient qu’une impression générale. La démarche première est de chercher avec lui pour quelles raisons il perçoit un caractère léger avec des moments plus dramatiques. 28 Donc l’élève adopte une écoute plus ciblée pour comprendre son ressenti et pour trouver des indices lui permettant d’affirmer ou de réfuter une appréhension première. En cas de difficulté, l’enseignant donne à l’élève quelques indices qui l’aideront dans sa compréhension de l’œuvre : par exemple, dans cette pièce, l’enseignant aide l’élève à trouver les moyens employées par le compositeur pour réaliser ce contraste entre les différentes parties de la pièce en lui faisant remarquer les changements de tonalité. Par exemple entre la mesure 33 et mesure 40, nous modulons d’une tonalité majeur (do majeur) à mineur (sol mineur). Pour cela, il peut lui faire réécouter le passage pour mettre en évidence les contrastes. Ensuite, il s’agira de vérifier les hypothèses en adoptant une écoute analytique. L’œuvre étant pour flûte traversière et piano, il est indispensable d’effectuer le travail en prenant en considération la partie d’accompagnement. Cela permettra d’avoir une écoute harmonique et de mieux comprendre l’évolution du discours musical et les contrastes. L’élève apprend à étayer ses impressions premières de l’œuvre en cherchant des arguments musicaux. Même si son appréhension l’amène à se tromper, l’élève a utilisé une démarche primordiale pour créer sa propre interprétation et être beaucoup plus autonome. Dans cette démarche, l’enseignant n’impose pas sa vision de l’œuvre. Il rend l’élève acteur et celui-ci peut commencer sa recherche d’interprétation en partant de ce que son écoute musicale lui a appris. L’élève va ensuite rechercher à exprimer sa propre sensibilité. 2. Faire advenir une interprétation sensible a) L’expérimentation et la recherche de l’élève L’enjeu pour l’enseignant est que l’élève se forme un répertoire d’intentions expressives. Pour cela, la démarche du professeur est de guider sans imposer son interprétation en lui proposant différentes versions et en étant à l’écoute des propositions de l’élève. Une première séance de déchiffrage permet à l’élève d’appréhender l’œuvre sans avoir effectué de démarche analytique et d’écouter ses premières intentions expressives instinctives, pour ensuite prolonger le travail par une recherche analytique. 29 Pour ne pas imposer un modèle d’interprétation, l’enseignant laisse l’élève expérimenter et rechercher diverses possibilités, par exemple en lui demandant de jouer plusieurs fois la même phrase avec une organisation différente des nuances ou de la conduite des phrases. L’enseignant aide l’élève à déterminer si la proposition vient renforcer l’idée musicale ou si cela crée un contresens. Par exemple, dans l’Andante pour flûte et piano de W.A. Mozart, le changement de caractère s’effectue progressivement à partir de la mesure 37 et à la mesure 40, la septième diminuée et l’utilisation d’un intervalle disjoint participent à la création d’une atmosphère dramatique. Si l’élève ne conduit pas sa phrase et s’il choisit une nuance piano sur la mesure 40, son choix ne renforce pas la tension musicale. En expérimentant, l’élève mobilise son écoute synthétique pour choisir. De plus, il entrevoit les multiples possibilités d’interprétation d’une pièce musicale. b) La maîtrise des intentions expressives grâce à une écoute musicale de l’œuvre L’une des difficultés pour l’élève est de garder une stabilité de la pulsation tout en trouvant une souplesse de jeu. Les intentions expressives utilisées incitent à étirer ou raccourcir le temps. Si l’élève a pour idée de jouer un ralenti pour effectuer la transition entre la fin du développement de la pièce et la réexposition des thèmes, l’enseignant l’aide à interpréter le ralenti pour que l’intention reste cohérente avec l’ensemble de l’œuvre. Les intentions expressives doivent être cohérentes vis-à-vis du texte musical et ne doivent pas venir déformer le discours. Prenons l’exemple du vibrato qui était à l’origine un simple ornement. Depuis le XIXe siècle, il agrémente l’émission de toutes les notes des instruments et « permet […] de gagner en niveau d’intensité subjective sans dépense d’énergie supplémentaire »54. Cependant, un vibrato fortement exagéré ou déréglé gêne l’auditeur qui focalise son attention sur cet élément et n’écoute plus l’œuvre. 54 Gilles, Léothaud, « La sensation de hauteur » Acoustique musicale, p.120. 30 Une interprétation sensible dépend de l’individu, elle ne peut être imitée ou imposée sans risquer d’être « superficielle ». L’enseignant guide l’élève en lui faisant prendre conscience de l’importance de faire advenir une œuvre en adoptant une écoute synthétique. Il rend l’élève acteur dans sa recherche, son expérimentation et son affirmation d’une prise de décision, pour le guider vers une démarche d’interprétation autonome. 31 Conclusion L’interprétation musicale est un vaste sujet sur lequel chaque musicien s’interroge et qui suscite de nombreux débats. Dans ce mémoire, nous avons choisi de réfléchir au sens que nous donnons à notre interprétation musicale. L’écoute musicale permet au musicien de personnaliser sa démarche d’interprète vers une expression sensible et une affirmation de sa personnalité. L’interprète part de son écoute musicale pour diriger l’acte plus intellectuel de recherche. Il expérimente et choisit grâce à son écoute de jugement. Une démarche d’interprétation permet de mieux affirmer sa sensibilité tout en respectant l’œuvre. La recherche du musicien est constante puisque le regard qu’il porte sur l’œuvre évolue au fils du temps. En effet, l’interprétation musicale est sans cesse en mouvement et le musicien doit être à l’écoute du temps présent et de ses expériences passées qui viennent enrichir l’instant présent. En tant qu’enseignants, nous accompagnions l’élève lors de sa recherche et dans l’affirmation de sa personnalité artistique. Nous l’aidons à construire une interprétation cohérente vis-à-vis de l’œuvre. Ensemble l’élève et l’enseignant font advenir une œuvre et progressivement l’élève acquière une démarche autonome. La réflexion menée nous amène vers d’autres problématiques qui peuvent s’inscrire dans le prolongement de ce mémoire. Tout d’abord, nous n’avons pas pris en considération la question de la notation musicale. La partition est une transcription par écrit de l’œuvre, effectuée par différentes maisons d’édition. Lorsque le musicien est face à une partition, il décode des signes qui lui permettent d’approfondir son écoute musicale et d’interpréter l’œuvre. Mais comment traduit-il les signes musicaux? N’est-il pas influencé par le choix effectué par les maisons d’édition ? Par exemple, la Partita pour flûte seule en la mineur BWV 1039 de J-S Bach a été publiée par la maison d’édition Billaudot, Bärenreiter ou Leduc et des différences sont observables. Ne faut-il effectuer une analyse critique et des recherches pour vérifier la nature des informations que contient la partition ? 32 Un autre élément me pose question c’est le rapport entre le chef d’orchestre, les musiciens, l’œuvre et le compositeur. Le chef d’orchestre choisit des axes d’interprétation mais quelle place reste-il aux interprètes et peuvent-ils affirmer leur sensibilité ? Quelles sont les problématiques que rencontrent un orchestre pour établir un équilibre et une homogénéité dans les rapports entre chef d’orchestre et interprètes ? Chaque musicien est amené à réfléchir à ces questions qui font partie de la recherche de l’interprète. L’acte sensible du musicien réside dans une affirmation de son interprétation de l’œuvre grâce à une recherche, un questionnement constant et dans cette volonté d’être au service de la musique. 33 Bibliographie ADORNO, Theodor W. , Introduction à la sociologie de la musique, 1962, Mésigny, Ed.Contrechamps, 1994,[1962]. CHOUARD, Claude-Henry, L'Oreille musicienne : Les chemins de la musique de l'oreille au cerveau, Ed. Gallimard, coll. folio, Paris, 2009. BAYLE, Laurent, Kaija Saariaho, Ed. Ircam, 1994. BRUYERON, Roger, La sensibilité, Ed. Armand Colin, 2004. DEBOST, Michel, Une simple flûte…, Ed. Van de Velde, 1996. HOPPENOT, Dominique, Le violon intérieur, Ed. Van de Velde, 1981, Paris. MEEUS, Nicolas, « L’œuvre musicale comme audition et comme lecture », paru dans De l’écoute à l’œuvre, dir. de IMBERTY, Michel, études interdisciplinaires, L’Harmattan, actes du colloque tenu en Sorbonne les 19 et 20 février. 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Bärenreiter urtext, Allemagne, 1961. 35 36 Annexe1 Le système auditif 55 55 VIBERT Jean-François, SEBILLE Alain, LAVALLARD-ROUSSEAU Marie-Claude, BOURREAU François, Neurophysiologie, De la physiologie à l’exploration fonctionnelle. 37 L’oreille moyenne56 L’oreille interne (Schéma simplifié de l’oreille interne) 57 56 57 Gilles Léothaud, Acoustique musicale, II-Psychoacoustique,, p 75 Gilles Léothaud, Acoustique musicale, II-Psychoacoustique,, p.76 38 Annexe 2: Variation temporelle durant l’interprétation.58 58 Carolyn Clarke, « Ecouter et jouer la musique » » paru dans Le cerveau musicien p. 156. 39 Annexe 3 : Premier mouvement de la Sonate n °5 pour violon et piano opus 24, L.V. Beethoven. le thème A exposé au violon (m.1 à 10) b1 b2 40 Annexe 4: La symphonie Fantastique, H. Berlioz. « Rêveries. Passions », Voici le début de l’idée fixe (mesure 72) : « Un Bal », l’idée fixe (mesure 119) : « V. Songe d’une nuit de Sabbat », mesure 21 le thème revient complètement déformé et adopte un caractère ignoble : 41 Annexe 5 : « l’Allemande » extrait de la Partita pour flûte seule en la m. BWV 1013, J-S Bach. 42 43 Annexe 6 : Andante en Do majeur pour flûte et piano, K.315 de W.A. Mozart. 44 45