Segmenter par l`acculturation

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Segmenter par l`acculturation
Session 14 - 62
Segmenter par l’acculturation
Mounia BENABDALLAH
Doctorante
CERAG, UMR CNRS 5820.
Université Pierre Mendès France. 150, rue de la Chimie BP 47
38040 GRENOBLE Cédex 9
[email protected]
Alain JOLIBERT
Professeur des universités
[email protected]
CERAG, UMR CNRS 5820.
Université Pierre Mendès France.
150, rue de la Chimie BP 47
38040 GRENOBLE Cédex 9
Résumé : Cet article concerne l’acculturation comme variable de segmentation de la
population immigrée et souligne l’importance des sous-cultures ethniques des
consommateurs. Le domaine d’application est la communauté immigrée algérienne en France.
Deux études empiriques ont été menées. La première, une étude qualitative, nous a servi à
mieux comprendre le phénomène d’acculturation et à extraire des verbatims pour la
construction de nos échelles de mesure. La seconde est une étude quantitative qui montre que
l’acculturation du consommateur influence son mode de consommation mais de façon
différente selon les sous-cultures.
Abstract: This article focuses on acculturation as a segmentation variable and study it based
on ethnic subcultures of consumers. The segmentation of the largest immigrant community in
France: the Algerian community. Segmentation based upon acculturation is applied on the
Algerian immigrant community in France. Two empirical studies were conducted. The first
one is qualitative. It was used to better understand the phenomenon of acculturation and
extract verbatims for building our measurement scale. The second is a quantitative study
showing that consumer acculturation influences consumption behavior but in different ways
depending on the sub-cultures. Different levels of acculturation lead to different consumption
patterns.
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Segmenter par l’acculturation
Introduction
D’après l’INSEE, la France compte près de cinq millions d’immigrés, soit plus de 8%
de la population. Ces chiffres augmentent d’une année à l’autre et ne reflètent pas la réalité
des minorités ethniques. Ces statistiques pourraient passer à 12 millions de personnes
atteignant 20% de la population si elles prenaient en compte les français d’origine étrangère.
Cette proportion, loin d’être négligeable, nécessite une plus grande attention de la part des
responsables marketing afin d’analyser s’il existe des besoins spécifiques de ces
consommateurs.
En effet, les personnes appartenant à un groupe ethnique partagent une culture
d’origine commune, le plus souvent différente de la culture d’accueil et caractérisée
essentiellement par une langue, des traditions et des coutumes auxquelles nombre d’entre eux
restent attachés. Cependant, ce degré d’attachement diverge d’un consommateur à l’autre. Les
changements culturels que subit le consommateur après l’immigration sont connus dans la
littérature sous le terme « acculturation ». Ce papier a pour objectif d’étudier l’acculturation
de la communauté immigrée algérienne de France afin de segmenter ces consommateurs sur
la base de leur niveau d’acculturation. Il montre également que l’acculturation doit être
étudiée sur la base des sous-cultures ethniques et non pas de manière globale. Dans la
première section, nous présentons le phénomène d’acculturation. La seconde section est
consacrée à deux études (qualitative et quantitative) menées pour étudier la relation entre
‘auto-identification ethnique à une sous-culture et l’acculturation. Dans la dernière section,
nous discutons des résultats et montrons les étapes à suivre pour segmenter la population
immigrée sur la base de l’acculturation du consommateur.
1. L’acculturation
L’acculturation décrit des changements dans les attitudes, les valeurs ou les comportements
que des membres d’un groupe culturel manifestent quand ils s’inspirent des normes d’une
autre culture, d’un autre groupe. Berry et al (2006) définissent l’acculturation comme le
processus général des contacts interculturels et leurs résultats. Plus le contact est grand plus
l’acculturation s’accroît (O’guinn, Lee et Faber 1986).
L’acculturation du consommateur est un sous ensemble de l’acculturation (O’guinn,
Lee et Faber 1986). Elle reflète le processus total d’acculturation concernant la consommation
et qui a trait aux changements d’attitudes, de valeurs et de comportements (Lee 1989).
Peñaloza (1994) la définit comme «le mouvement et l'adaptation à l'environnement culturel du
consommateur dans un pays par des personnes d'un autre pays». Les recherches portant sur
l’acculturation et la consommation n’ont commencé qu’en 1980, s’inspirant des études sur
l’acculturation en psychologie et en sociologie. Nous la retrouvons par exemple dans des
recherches sur le comportement du consommateur et la prise de décision (Dato-on 2000), la
perception de la publicité et les attributs des produits (Khairullah et Khairullah 1999) ainsi
que la négociation des prix (Nyer et Gopinath 2001).
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Les modèles d’acculturation
1.1.
Il existe de nombreux modèles d’acculturation. Nous présentons ci-dessous les
trois principaux modèles mis en avant dans la littérature.
Le modèle unidirectionnel
Dans ce modèle, les individus peuvent varier dans la vitesse d’acculturation, mais le
résultat est toujours le même, à savoir l’adaptation à la culture d’accueil. Ce courant de
recherche appelé assimilationniste, suppose que les individus d’origine étrangère s’adapteront
à la culture d’accueil et abandonneront progressivement leur culture d’origine ( Wallendorf et
Reilly 1983; La Framboise, Coleman et Gerton 1993).
Lors des dernières décennies, le modèle unidirectionnel a fait l’objet de plusieurs
critiques. En effet, les immigrés ont d’autres options que de s’adapter totalement à la culture
d’accueil. Ils peuvent développer une identité biculturelle ou bien s’attacher à leur culture
d’origine sans trop s’accommoder à celle de la culture d’accueil. C’est la raison pour laquelle
les modèles multidirectionnels ont été développés dont le plus utilisé, le modèle
bidirectionnel.
Le modèle bidirectionnel
Ce modèle prend en compte plusieurs directions d’acculturation (Berry 1980, 1989;
Mendoza 1989; Jun, Ball et Gentry 1993; Peñaloza 1994). Son hypothèse de base suggère qu’en
plus d’adopter la culture d’accueil, les membres d’un groupe culturel minoritaire ont la
possibilité de conserver leur culture d’origine. Ses défenseurs considèrent le maintien de la
culture d’origine et le désir de s’adapter à la culture d’accueil comme deux directions
orthogonales et indépendantes. Le modèle de Berry (1989) est le plus utilisé des modèles
bidirectionnels (Rudmin 2003), il propose quatre types d’acculturation : l’intégration,
l’assimilation, la séparation et la marginalisation.
-L’intégration inclut le maintien de l’héritage culturel tout en adoptant les valeurs
culturelles de la société d’accueil.
-Dans la séparation, l’individu évite les interactions avec la culture du pays d’accueil, il
valorise sa culture identitaire, celle de son pays d’origine.
-Le consommateur assimilé abandonne sa culture d’origine au profit de l’adoption de la
nouvelle culture.
-La marginalisation dans laquelle l’individu acculturé se sent rejeté par la culture du pays
d’accueil et il n’a aucun désir de maintenir sa culture d’origine.
Le modèle post-assimilationniste
Une récente lignée de travaux (Peñaloza 1994 ; Bouchet 1995 ; Oswald 1999 ; Askegaard,
Arnould et Kjeldgaard 2005) considère que l’acculturation est plutôt situationnelle. Sur la
base d’études qualitatives, les chercheurs ont montré que le consommateur choisi son mode
d’acculturation en fonction du contexte dans lequel il se trouve. Ce courant de recherche met
en avant l’aspect non figé de l’acculturation du consommateur. Les chercheurs préfèrent
parler de positions identitaires plutôt que de type d’acculturation et mettent en doute la
segmentation de Berry (Askegaard, Arnould et Kjeldgaard 2005).
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1.2.
Les limites des modèles d’acculturation
Plusieurs limites ont été adressées aux trois modèles d’acculturation. Les plus
importantes critiques sont :
- La prise en compte de seulement deux cultures (celle d’origine et celle d’accueil) alors
qu’il peut y voir d’autres cultures dans l’environnement du consommateur et
notamment des sous-cultures.
- Les types d’acculturation de Berry (1989) ont été remis en question par de nombreux
travaux car ils ne correspondent pas à la réalité des aspects cultures des individus
(Rudmin et Ahmadzadeh 2001).
- Une distinction entre le domaine privé et le domaine publique de l’acculturation doit
être prise en compte.
- Les modèles post-assimilationnistes ne sont fondés que sur des études qualitatives.
Aucune étude empirique n’a été menée pour valider ce type de modèle.
1.3 Les mesures d’acculturation
Dans les modèles ci-dessus, les chercheurs évaluent l’acculturation au moyen
d’échelles qui sont adaptées à chaque culture car le processus d’acculturation se produit
pendant des contacts entre cultures et de ce fait varie d’une situation de contact interculturel à
une autre. Pour mesurer l’acculturation du consommateur, les chercheurs utilisent différents
indicateurs. Ceux-ci se basent généralement sur les éléments caractéristique d’une la culture :
- Les préférences de pratique de la langue de la culture d’origine versus de la culture
d’accueil.
- La nourriture ethnique. Plus une personne préfère consommer des plats de son pays
d’origine moins elle est acculturée.
- Les medias lus et vus. Un consommateur qui ne regarde et ne lit que les médias de son
pays de provenance prouve son fort attachement à sa culture d’origine.
- Le choix des attributs des produits comme les voitures, le café, les films, la musique.
Changer d’attribut traduit alors un phénomène d’acculturation.
- L’auto-identification ethnique à sa culture d’origine. Plus le consommateur s’autoidentifie à sa culture d’origine, moins il s’identifiera à la culture d’accueil et moins il
s’acculturera.
2. Les études empiriques
La complexité de la notion d’acculturation et l’inexistence d’une mesure fiable et
valide pour mesurer le degré d’acculturation nous ont conduits à mener une étude
qualitative exploratoire. Par ailleurs, nous avons tenté d’étudier ce phénomène en
prenant en considération les différentes sous-cultures ethniques d’un pays.
2.1 L’étude qualitative
Nous avons cherché à étudier l’acculturation des immigrés algériens en France en
faisant attention aux différences culturelles de la société d’origine. En effet, la culture
d’origine des algériens diffère selon la région d’où ils proviennent. Notre choix s’est porté sur
deux sous-cultures ethniques différentes : la culture oranaise arabo-musulmane et la culture
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kabyle. Ces deux segments se distinguent sur de nombreuses caractéristiques de
consommation.
Tout d’abord, en plus de la séparation géographique, ils ne parlent pas la même
langue. Bien que l’arabe soit la langue officielle de l’Algérie, les Kabyles ont un dialecte qui
dérive du berbère pratiqué au quotidien. Les coutumes diffèrent et les modes de
consommation aussi. Le tableau 1 résume les principales caractéristiques de chacune de ces
sous-cultures et met l’accent sur les divergences.
Tableau 1 : les principales caractéristiques des sous-cultures kabyle et oranaise.
Kabylie
Délimitation
géographique
Langue pratiquée
Religion
Drapeau
Fêtes et rituels
Aliments
spécifiques
Habits féminins
Musique
 Nord centre et Nord-est.
 Kabyle, langue maternelle
(plus parlée qu’écrite).
 Français.
 Arabe classique à l’école.
 70% Musulmans
30% Chrétiens
 Drapeau national.
 Drapeau kabyle
 Jour de l’an Yennayer
(Ancien an berbère).
 Printemps berbère.
 Fêtes nationales comme le
jour de l’indépendance.
 Fêtes musulmanes comme
l’Aïd.
 Fêtes chrétiennes comme
Noël.
 Huile d’olives,
 Figues séchées
 Robe kabyle traditionnelle
portée au quotidien par les
femmes, à l’extérieur comme
à l’intérieur de la maison.
Musique kabyle.
Oranie
 Nord-ouest.
 Arabe dialectal, langue maternelle
 Français
 Arabe classique à l’école
 99% Musulmans
 1% autre
 Drapeau national.
 Fêtes nationales comme le jour de
l’indépendance.
 Fêtes musulmanes comme l’Aïd.
 pas de spécificités mais une
préférence pour les dattes.
 Robe traditionnelle portée
uniquement lors des mariages.
Rai et Rai n’b.
Une enquête qualitative a été menée. Nous avons effectué 40 entretiens semi directifs
(20 individus d’origine oranaise et 20 individus d’origine kabyle). Elle a été réalisée en
Janvier 2007, sur Paris, Grenoble et Lyon. Notre échantillon est un échantillon de convenance
car nous avons fait l’effort de recruter des personnes présentant des caractéristiques
différentes : sexe, âge, situation familiale, revenu, provenant de région urbaine et rurale. La
durée moyenne des entretiens est d’une heure. Les entretiens ont été effectués en français et
en arabe sauf pour deux personnes âgées kabyles pour lesquelles nous avons fait appel à un
traducteur car ces personnes ne pouvaient pas s’exprimer aisément en français et ne parlaient
pas l’arabe. Les entretiens ont été enregistrés, retranscrits et ont fait l’objet d’une analyse de
contenu.
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Résultats de l’étude qualitative
Nous avons relevé des différences entre les deux segments dans l’auto-identification
ethnique. En effet, les Kabyles ne s’identifient pas comme arabes et vice versa. Cette
identification se traduit par des comportements de consommation comme la préférence de la
musique kabyle et française, l’achat de bijoux en argent ou encore d’huile d’olives provenant
de Kabylie car cette région est riche en oliviers.
Les Oranais quant à eux, semblent attachés à la culture Arabo-musulmane. A travers
les entretiens, les sujets de consommation de viande « Hallal » (Bonne et al 2007), de
bonbons sans gélatine porcine ont souvent été cités. La langue arabe est parlée à la maison et
les immigrés Oranais cherchent à ce que leurs enfants l’apprennent aussi. Les Oranais aiment
consommer tout produit qui provient d’Algérie. Certaines femmes Oranaises veulent
s’assimiler aux françaises et consomment des produits pour atteindre cet objectif comme les
teintures blondes, le défrisage des cheveux et tout produit qui rend les cheveux raides.
Nous avons relevé à la fois dans les deux communautés d’immigrés des
comportements de consommations différents liés à des types d’acculturation différents: une
acculturation obligatoire, une acculturation choisie et un maintien de la culture d’origine de
peur de la perdre.
L’acculturation obligatoire : consiste en l’obligation du consommateur à s’adapter à
certaines règles de vie de la société d’accueil. Par exemple, une femme qui va accoucher est
obligée d’acheter certains produits que lui demande la clinique alors que ces produits ne sont
pas exigés en Algérie. Citons par exemple les culottes jetables, les gigoteuses, …etc. En
voiture le siège pour bébé est obligatoire. Quand on habite en montagne, et que l’école de
l’enfant organise une sortie de ski, les parents sont obligés de lui fournir une combinaison
pour l’occasion. Ces règles de vie de la société d’accueil obligent l’immigré à consommer des
produits dont il n’avait pas l’habitude dans son pays d’origine.
L’acculturation choisie : pour mieux intégrer la vie en France, certains consommateurs
font le choix d’adopter des comportements culturels du pays d’accueil. Il s’agit de
l’acculturation choisie. Noël est un évènement que les Oranais et les Kabyles musulmans
n’ont pas coutumes de fêter. Cependant, comme c’est une occasion où l’on offre des cadeaux
aux enfants, de nombreux immigrés choisissent de le célébrer pour faire plaisir à leurs
enfants.
Des niveaux d’acculturation différents conduisant à différents modes de
consommation: certains consommateurs que nous avons considérés comme fortement
acculturés (parlent la langue française, regardent et lisent les médias français, n’affichent pas
d’attachement à la culture d’origine) diffèrent dans leur consommation des consommateurs les
moins acculturés. Les plus acculturés font par exemple les courses dans la grande distribution
et achètent des produits Bio. Les moins acculturés quant à eux, préfèrent les épiceries
orientales. Les plus acculturés préfèrent fréquenter les restaurants, les moins acculturés se
dirigent vers les restaurant de type Kebab ou la restauration rapide.
Il existe par ailleurs des immigrés qui souhaitent maintenir leur culture d’origine. Ils
consomment tout produit les reliant à l’Algérie. Dans ce cas aussi, nous avons noté des
différences entre les deux sous-cultures. Ainsi, les Oranais achètent souvent les dattes et les
boissons algériennes trouvant en ces produits « l’odeur du Bled ». Les Kabyles quant à eux,
préfèrent les figues séchées, les robes kabyles et les CD de musique kabyle.
Les résultats de notre étude qualitative montrent qu’il est nécessaire de prendre en compte
les sous-cultures ethniques du pays d’origine lors de l’étude du processus d’acculturation des
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immigrés. Elle montre aussi que l’acculturation est une variable qui met en évidence
différents niveaux d’adaptation à la culture d’accueil ce qui engendre différents modes de
consommation. L’acculturation peut ainsi servir à segmenter la population immigrée.
2.2 L’étude quantitative
Nous présentons dans ce point la construction de l’échelle d’acculturation. Nous présentons
également les indices de fiabilité et de validité de cette échelle. Par la suite, nous analysons
l’impact de l’acculturation sur le comportement du consommateur.
L’échelle d’acculturation des algériens immigrés en France devrait prendre en compte
les changements d’attitudes, valeurs et comportements de ces consommateurs après
l’immigration. De ce fait, les échelles d’acculturation doivent être adaptées aux populations
étudiées, soit ici les modes de consommation des populations kabyles, oranaises et françaises.
L’étude qualitative citée auparavant montre qu’il existe de nombreuses différences entre les
deux sous-cultures algériennes. En effet, la langue est différente, les traditions de
consommation le sont aussi. L’étude qualitative nous a permis d’avoir une meilleure
compréhension du concept d’acculturation. Elle a notamment mis en évidence l’intérêt des
langues (arabe, françaises et kabyles) dans trois contextes différents de la vie quotidienne du
consommateur (à la maison, avec les amis et au travail avec les collègues), de la télévision, de
la musique, de la religion, des valeurs familiales, de l’habillement et de produits
l’alimentaires. Les journaux ont été délibérément écartés car la langue française est utilisée
dans les principaux journaux algériens. Nous avons créé les items de ces différentes rubriques
pour les deux sous-cultures de la société d’origine et ceux de la culture du pays d’accueil.
Les items de nos échelles résultent de l’extraction de verbatim du corpus qualitatif à
l’aide du logiciel sphinx Lexica. Afin d’en réduire le nombre, deux juges ont évalués chaque
item à l’aide d’une échelle de 1 à 5 (1 = Pas du tout applicable pour mesurer l’acculturation ;
5 = Parfaitement applicable pour mesurer de l’acculturation). Seuls les items ayant obtenu une
note de 4 ou 5 ont été conservés. Les deux juges ont évalué différemment deux items. Après
discussion, nous avons décidé de les supprimer.
Collecte des données pour la création de l’échelle
Notre enquête a été menée auprès d’algériens immigrés en France et auprès de
Français d’origine algérienne (enfants d’immigrés Algériens). Nous avons interrogé des
personnes résidant à Paris, Grenoble, Marseille, Lyon, Saint-Etienne et Bordeaux. Nous
avons distribué des questionnaires en français et en arabe (L’écriture kabyle n’est
majoritairement pas utilisée par les Kabyles) dans différents endroits où se regroupent les
Kabyles et les Oranais comme des associations et des cafés. 339 questionnaires entièrement
complétés ont été collectés (54% oranais et 46% kabyles). L’échantillon final est constitué
pour une part d’étudiants (19%), mais aussi de cadres et professions intellectuelles supérieures
(21%), d’employés (35%), etc. Les femmes représentent 52 % des répondants.
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Structure, fiabilité et validités du modèle
Des analyses factorielles exploratoires ont d’abord été réalisées. La première a permis
tout d’abord de déterminer les items à retenir et une deuxième étape destinée à étudier la
fiabilité. Cette opération nous a permis d’éliminer deux catégories d’items :
(1) les items ayant des saturations trop faibles (inférieur à 0,5)
(2) les items présents sur plusieurs facteurs.
Les analyses factorielles exploratoires et le retrait de certains items permettent de ne
conserver que 23 items pour l’acculturation. Ceux-ci peuvent être regroupés en cinq thèmes.
Nous avons procédé à une rotation Varimax, la rotation oblique ayant indiqué une très faible
corrélation des facteurs dégagés. Le tableau ci après présente les items retenus.
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Tableau 2 : les items retenus suite à l’analyse factorielle exploratoire pour l’échelle d’acculturation
Dimension
Facteur
Langue
Kabyle
Items
Je parle à la maison en kabyle
Je parle avec mes amis en kabyle
Bilingue Je parle à la maison en arabe
Je parle avec mes amis en arabe
Je parle avec mes amis en français
Média
Arabe
Je regarde la chaine Algérie 3
Je regarde les chaines orientales (El Jazzera, Dubaï,
ART…etc)
J’aime écouter la musique algérienne arabe
Kabyle
Je regarde berbère TV
J’aime écouter la musique kabyle
Je n’aime pas écouter la musique arabe orientale
Religion
Islam
Je pratique le Ramadhan (Jeûne)
Je fête l’Aid el Ad’ha (sacrifice du mouton)
Je suis les principes de la religion musulmane
Noël
J’achète des cadeaux à mes enfants pour Noël
J’achète des cadeaux à mes parents pour Noël
Valeurs
Algérien Celui qui prend les décisions à la maison, c’est l’homme
familiales
Les travaux ménagers (Linge, vaisselle…) sont à la charge
de la femme
Les jeunes personnes doivent prendre en considération les
conseils de leurs parents quand ils prennent des décisions
concernant leur avenir.
La personne qui s’occupe des achats à la maison, c’est la
femme
Français Les travaux ménagers sont à la charge des deux époux
Les enfants doivent quitter le domicile parental pour faire
leur vie
L’épouse n’est pas obligée d’obéir à son mari
Habillement Français J’aime suivre la mode française
Je porte le même type d’habits que les français
Kabyle
J’aime porter les habits traditionnels kabyles à la maison
Je n’aime pas porter les habits traditionnels oranais dans les
fêtes de mariage
Alimentaire Français Les plats préparés à la maison sont français
J’aime fréquenter les restaurants
Je ne fréquente pas les Kebabs
Hallal
Je ne consomme que de la viande Hallal
Je ne consomme que du poisson dans les Fast-food (Mc
Donald’, Quick...etc.) car la viande n’est pas Hallal
Code de
l’item
L1
L2
L3
L4
L5
M1
M2
M3
M5
M6
M7
R1
R2
R3
R4
R5
V1
V2
V3
V4
V5
V6
V7
H1
H2
H3
H4
N1
N2
N3
N4
N5
Session 14 - 71
Nous avons réalisé par la suite des analyses factorielles confirmatoires utilisant les
modèles d’équations structurelles pour s’assurer de la validité de la solution présentée pour
chaque dimension. Les résultats témoignent de l’ajustement du modèle. Les coefficients GFI
et AGFI sont supérieurs de 0.9 ce qui confirme le bon ajustement du modèle. Le RMSEA est
inférieur ou égal à 0.06. Le SRMR est toujours inférieur à 0.03. Le X²/ddl est inférieur à 3
pour chaque groupe de facteur. (Voir tableau 3)
Tableau3 : les principaux coefficients de l’analyse factorielle confirmatoire.
X²
ddl
X²/ddl GFI
AGFI
RMSEA
SRMR
Langue
9,575
4
2,39
0,989
0,959
0,064
0365
Média
Valeurs
familiales
Religion
Habillement
Alimentaire
9,559
9,32
8
4
1,19
2,33
0,991
0,990
0,975
0,953
0,024
0,050
,0258
,0214
4,524
8,717
6,163
4
4
3
1,31
2,17
2,05
0,995
0,985
0,993
0,980
0,989
0,928
0,020
0,023
0,010
,0120
,0195
,0182
Fiabilité de l’échelle
Concernant le test de la fiabilité, nous avons utilisé le coefficient Alpha de Cronbach.
Tous les facteurs ont un coefficient voisin ou supérieur à 0,7 ce qui permet de juger les
échelles satisfaisantes et de conclure à une bonne fiabilité.
Validité convergente
La variance partagée entre chaque facteur et ses indicateurs a été calculée à partir des
poids factoriels pour vérifier la validité convergente. Il est habituellement recommandé
d’avoir une validité convergente supérieure à 0,5. Nos résultats indiquent une bonne validité
convergente de l’échelle pour tous les facteurs. Par ailleurs, tous les tests t sont supérieurs à 2
confirmant la bonne validité convergente des instruments proposés. Le tableau 4 résume le
poids factoriel, la fiabilité et la validité convergente des dimensions étudiées.
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Tableau 4 : Poids factoriels, fiabilité et validité convergente
Dimension
Facteur
Kabyle
Langue
Bilingue
Arabe
Média
Kabyle
Français
Valeurs
familiales
Algérien
Islam
Religion
Noël
Français
Habillement
Kabyle
Français
Alimentaire
Hallal
Item
Poids factoriels Fiabilité
L1
L2
L3
L4
L5
M1
M2
M3
M4
M5
M6
V1
V2
V3
V4
V5
V6
V7
,811
R1
R2
R3
R4
R5
H1
H2
H3
H4
N1
N2
N3
N4
N5
,906
Validité
convergente
0,753
,814
,742
0,742
,647
,675
,768
,747
0,878
,771
,794
0,589
,748
,602
0,779
,787
,732
0,743
,785
,764
,821
,746
0,768
0,712
,832
,751
0,912
,897
,932
,924
0,827
0,867
,828
,799
0,756
,798
,802
0,691
0,644
,641
,842
0,796
,792
0,853
,837
,916
0,927
,937
Validité discriminante
La validité discriminante a été testée en comparant les Chi-deux d’un modèle contraint
(la corrélation des facteurs étant contrainte à 1) et ceux d’un modèle libre (les corrélations
entre facteurs sont libres) (Bagozzi et Yi 1991). La différence des Chi-deux entre le modèle
contraint et le modèle libre est toujours supérieure au Chi-deux théorique. La bonne validité
discriminante de chaque dimension est alors confirmée.
Session 14 - 73
Après avoir constaté la bonne structure du modèle ainsi que les qualités
psychométriques des échelles, il convient d’en interpréter les dimensions.
La langue et les média révèlent chacune l’existence de deux dimensions. La langue se
divise en deux facteurs : une dimension kabyle et une dimension bilingue. Les médias
regroupent les médias arabes d’un coté et les médias kabyles de l’autre. Les items
représentant les médias français ont été éliminé lors des deux études factorielles. La religion
se divise en deux facteurs. D’un coté, nous distinguons clairement les items représentant la
religion musulmane. De l’autre coté, les items conservés présentent un rituel catholique que
nous n’avons pas préféré appeler religion catholique étant donné que l’étude qualitative nous
a montré que des Musulmans peuvent fêter Noël pour ne pas décevoir leurs enfants en les
privant de cadeaux. L’habillement fait ressortir lui aussi deux facteurs un facteur français et
un facteur kabyle. Les oranais s’habillent au quotidien comme les français sauf lors des
mariages, raison pour laquelle nous n’avons pas distingué de style d’habilement propre à la
culture oranaise. En revanche, les kabyles (femmes) ont des tenues traditionnelles portées au
quotidien, mais cela n’élimine pas l’usage du style français. Enfin, l’alimentaire se scinde en
deux facteur un représentant la France et le second représentant la nourriture Hallal. L’item
inversé relatif à la fréquentation des Kebabs figure dans le facteur français, car les Kebabs ne
fon pas partie de la culture française « traditionnelle ».
A la suite de la construction de l’échelle, nous avons étudié l’impact de l’acculturation
sur le comportement du consommateur. Pour ce faire, notre choix s’est porté sur la
consommation de produits relatifs à l’image du corps et de produits fabriqués dans la culture
d’origine des consommateurs immigrés. En effet, notre étude qualitative a révélé que la
consommation de ces deux catégories de produits pouvait dépendre de l’acculturation du
consommateur. L’image du corps diffère selon les cultures. Les cultures occidentales
idéalisent un corps « mince » pour les femmes et « sportif -sculpté » pour les hommes. Les
personnes fortement acculturées peuvent idéaliser la même image du corps que les
consommateurs de la société d’accueil. Ils consommeront en conséquence des produits les
aidant à modifier leur image du corps pur atteindre le corps « idéal ». A l’inverse, les
consommateurs les moins acculturés auront une image du corps semblable à leur culture
d’origine. Notre étude qualitative a montré que l’image du corps idéale est plus reliée à la
notion de « propreté » que de « minceur ». De ce faite, les consommateurs les moins
acculturés ne consommeront pas de produits amincissants.
Nous avons trouvé également que la consommation de certains types de produits
dépendait de leur lieu de fabrication. Les consommateurs immigrés portent leur choix sur les
produits fabriqués dans leur culture d’origine lorsqu’ils y sont encore attachés. En d’autres
termes, si leur niveau d’acculturation est faible, ces consommateurs consomment les produits
fabriqués dans leur culture d’origine. Nous précisons que ces produits sont issus de la culture
d’origine et non pas du pays d’origine car nous avons trouvé des différences des choix des
produits selon les sous-cultures. Les produits en question consistent en des boissons gazeuses
dans la sous-culture oranaise et de l’huile d’olives dans la sous-culture kabyle. La figure1
schématise le lien entre l’acculturation et le comportement du consommateur.
Session 14 - 74
Figure1 : Impact de l’acculturation sur le comportement du consommateur
Image du
corps
L’acculturation
Produits de la
culture
d’origine
Nous avons analysé ce modèle au moyen de régression. Les résultats exposés dans les
tableaux 5 et 6 montrent que les dimensions de l’acculturation prédisent différemment l’achat
de produits relatifs à l’image du corps et de produits de la culture d’origine selon les sous
cultures oranaises et Kabyle
Tableau 5 : Pouvoir prédictif de l’échelle d’acculturation pour la sous-culture kabyle.
Image du corps
R2
β
ajusté
Acculturation 0,588
Langue
0,325
Media
0,309
Valeurs
0,350
familiales
religion
0,657
Habillement
0,250
Alimentaire
0,479
Produits de la culture d’origine
t
signification R2
β
t
signification
ajusté
0,000(F)
0,29
0,000(F)
10,421 0,000(t)
0,320 11,656 0,000(t)
10,506 0,000(t)
0,497 12,623 0,000(t)
12,023 0,000(t)
0,386 11,674 0,000(t)
15,429 0,000(t)
11,324 0,000(t)
19,568 0,000(t)
0,239
0,350
0,246
10,609 0,000(t)
13,425 0,000(t)
12,643 0,000(t)
Tableau 6 : Pouvoir prédictif de l’échelle d’acculturation pour la sous-culture oranaise.
Image du corps
R2
β
t
ajusté
Acculturation 0,312
Langue
0,434
Media
0,542 9,794
Valeurs
0,497 14,609
familiales
religion
0,398 12,549
Habillement
0,476 13,689
Alimentaire
0,216 17,367
Produits de la culture d’origine
signification R2
β
t
signification
ajusté
0,000(F)
,594
0,000(F)
0,000(t)
0,486 14,609 0,000(t)
0,000(t)
0,644 15,596 0,000(t)
0,000(t)
0,362 11,676 0,000(t)
0,000(t)
0,000(t)
0,000(t)
0,531
0,326
0,435
17,499 0,000(t)
14,609 0,000(t)
12,689 0,000(t)
Session 14 - 75
3. Résultats
Les résultats de notre étude montrent tout d’abord que l’acculturation ne se produit pas
de manière globale mais par sous-culture. Les dimensions de notre échelle d’acculturation
montrent l’existence de deux sous-cultures. Notre étude a montré également que
l’acculturation a un impact sur le comportement du consommateur et est donc une variable de
segmentation de la population immigrée.
Conclusion
La France compte une population non négligeable de consommateurs immigrés qui
nécessitent des efforts marketing spécifiques pour les cibler. En effet, provenant d’une culture
différente de la culture d’accueil, ces consommateurs ont un mode de consommation d’origine
distinct de celui des français.
Dans ce papier, nous avons mis en évidence le phénomène d’acculturation ethnique et
soulignons l’importance des sous-cultures. Naturellement, l’acculturation peut aussi concerner
toute culture, qu’elle soit régionale ou de consommation telle les marques ou les clubs de
football ou de rugby. Nous avons également montré que l’acculturation avait un impact sur le
comportement du consommateur. Soulignons cependant que cette segmentation n’est pas
définitive ni valable pour toutes les catégories de produits et de services. En effet,
l’acculturation est un processus évolutif, situationnel, non figé.
La segmentation sur la base de critère d’acculturation ethnique s’avère pertinente pour
l’entreprise. Elle nécessite l’identification du ou des segments ayant des acculturations
différentes. Une fois ces segments identifiés, il s’agit alors d’identifier les critères les plus
déterminants des choix de consommation pour les utiliser dans toute démarche commerciale.
Session 14 - 76
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