Les conditions sociales et politiques du recours aux

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Les conditions sociales et politiques du recours aux
Ulrike Lepont – Centre de sociologie des organisations – [email protected]
Les conditions sociales et politiques du recours aux économistes de la santé
dans l’élaboration des réformes de protection maladie aux Etats-Unis dans
la décennie 1970
WORK IN PROGRESS !!
La littérature sur la libéralisation des politiques publiques, devenue depuis une
trentaine d’année l’un des thèmes dominants de la science politique (Thelen, 2014), associe
généralement le « tournant néo-libéral » à la décennie des années 1970 et à la crise
économique qui l’a caractérisée. Les deux principales références qui font aujourd’hui encore
autorité sur le sujet, celles de Peter Hall d’une part (Hall, 1993) et de Bruno Jobert et Bruno
Théret d’autre part (Jobert, Theret, 1994), ont en effet expliqué l’introduction et le succès
d’idées nouvelles, qualifiées de « néo-libérales », par l’incapacité des recettes prévalant
depuis l’après-guerre à résoudre les problèmes survenus à la suite de cette crise économique,
et en particulier le maintien conjoint d’un niveau élevé et non maîtrisé d’inflation et de
chômage (stagflation), situation incitant les décideurs politiques à rechercher des solutions
alternatives. Dans ces travaux, l’émergence d’experts d’un type nouveau joue un rôle crucial
puisque ce sont ces acteurs qui soumettent aux hommes politiques les idées nouvelles sur
lesquels ils pourront s’appuyer. Le tournant « néo-libéral » observé dans les programmes
d’action publique coïncide donc avec un renouvellement des experts consultés par les
décideurs politiques. Ce processus se retrouve également en bonne part dans l’analyse de
Pierre Muller du changement de référentiel, les experts étant souvent associés au rôle de
« médiateurs », diffusant le changement de référentiel global au niveau sectoriel (Muller,
2006).
Mais d’où viennent alors ces experts ? Comment comprendre leur disponibilité à ce
moment précis ? Et comment comprendre que ce soit eux, et pas d’autres, qui aient émergé ?
Car rien n’indique que la « crise » économique et budgétaire soit en elle-même génératrice
d’experts et d’idées nouvelles. Ces questions ont finalement été assez peu abordées dans les
travaux sur le changement de paradigme, qui ont rarement cherché à remonter en amont des
décennies 1970 ou 1980 pour comprendre les conditions sociales de l’émergence de ces
nouveaux experts et des idées qu’ils portent. Elle constitue pourtant une pièce essentielle du
puzzle pour mieux comprendre la nature du changement engagé. C’est aussi une piste
intéressante pour approfondir notre compréhension des conditions du changement : car il n’est
pas sûr que, sans le renouvellement de l’expertise, le changement de paradigme ait lieu.
Le présent papier propose de suivre ce questionnement à partir du cas des politiques de
protection maladie aux Etats-Unis. Les Etats-Unis sont le seul pays industrialisé occidental à
ne pas s’être engagé après 1945 dans la mise en place d’un système de protection maladie
publique universelle. On ne peut donc, a priori, pas parler de tournant néo-libéral des
politiques de santé, si ce n’est pour les deux assurances publiques existantes, Medicare et
Medicaid, qui depuis la fin des années 1980 sont régulièrement remises en cause par des
projets de privatisation, qui ont plus ou moins aboutis (Oberlander, 2003). La décennie 1970 a
cependant été un tournant majeur pour les politiques de santé américaines si l’on considère le
1
programme démocrate1. C’est à cette période en effet que les démocrates abandonnent le
projet d’instauration d’une assurance maladie publique universelle aux Etats-Unis, dans
lequel l’accès à la santé était la priorité absolue ; ils se tournent vers la promotion d’un
système basé sur le marché des assurances privées et lient la question de l’élargissement de
l’accès aux soins à celle de la maîtrise des dépenses de santé. Or, comme cela a été observé
ailleurs, ce changement – qualifié de « tournant néo-libéral » du programme démocrate –,
s’accompagne également du renouvellement des experts qu’ils consultent. Mais, en
s’intéressant aux conditions d’émergence et de disponibilité des nouveaux experts vers
lesquels les démocrates se tournent – principalement des économistes de la santé –, nous
montrerons que leur émergence dans les années 1970 a été très largement précédée et
préparée par des transformations dans les sphères académiques et d’expertise dans les
décennies 1950 et 1960, transformations qui ont donc eu lieu bien avant que n’interviennent
les crises économiques des années 1970, ou même l’explosion des prévisions budgétaires du
programme Medicare.
Ce résultat rejoint ceux de travaux récents sur le cas français qui montrent que des
transformations « discrètes » dans la sphère administratives avaient réintroduit dès les années
1960 des raisonnements d’orientation monétariste dans la conception des politiques publiques,
remettant en cause les limites chronologiques du « tournant néolibéral » (Bezes, 2009 ;
Mazoyer, 2012 ; Lemoine, 2016), voir l’idée même de « tournant » (Gaïti, 2014). Au-delà de
cette question, ces éléments qui renvoient au contexte intellectuel et à la configuration de
l’expertise dans les années 1970, permettent de mieux comprendre les conditions de
l’émergence et de la diffusion des idées que l’on a l’habitude d’associer au tournant néolibéral.
Dans un premier temps, nous reviendrons sur les transformations observées dans le
programme démocrate sur la protection maladie dans les années 1970 et sur leur
concomitance avec le renouvellement des experts consultés, dont les savoirs, les postulats et
les savoirs changent profondément.
Dans un deuxième temps, nous montrerons que ce changement dans les savoirs
dominants observés dans la sphère de l’expertise dans les années 1970 ne se produit pas de
manière isolée mais intervient dans un environnement académique et intellectuel radicalement
transformé par rapport à celui d’avant-guerre.
Enfin, nous mettrons en évidence que la pénétration de ces savoirs dans la sphère de
l’expertise a été amorcée dès les années 1960, sous l’effet de la politique de l’administration
Johnson de généralisation des programmes d’évaluation et de planification des politiques
publiques, valorisant les savoirs micro-économiques et favorisant donc l’arrivée à
Washington des économistes de la santé.
1
Par démocrate, nous désignons la majorité démocrate. Il existe cependant des démocrates conservateurs (du
Sud) qui votent généralement avec les Républicains sur les questions sociales et qui sont hostiles aux assurances
sociales publiques.
2
I. Le « tournant néo-libéral » du programme démocrate de protection
maladie dans les années 1970
Au cours des années 1970, le changement de programme des démocrates sur la
protection maladie est concomitant du renouvellement des acteurs qu’ils consultent. Jusque-là
quasi exclusivement assistés par les fonctionnaires de la Social Security Administration, ils se
tournent vers les économistes de la santé, dont les savoirs, postulats et types de raisonnement
sont bien différents, faisant de la rationalisation des dépenses une question centrale, dont doit
dépendre l’élargissement de l’accès. Ces transformations interviennent dans un contexte de
crise économique et de remise en cause du bien fondé des dépenses publiques, accentué dans
le domaine de la santé par la crise budgétaire que traverse l’assurance maladie publique,
Medicare.
1. L’abandon du programme d’assurance maladie universelle et le renouvellement des experts
a. De Truman à Johnson : le projet d’assurance publique universelle et l’alliance avec les
fonctionnaires de la Social Security Administration
A l’instar du président Truman qui s’engage activement en ce sens dès 1948, les
démocrates promeuvent, de 1945 au début des années 1970, l’instauration d’une assurance
maladie publique universelle. Ce programme est mis en échec par l’opposition virulente des
médecins, représentés par leur puissante association professionnelle, l’American Medical
Association (AMA), et soutenus par les milieux conservateurs (Quadagno, 2005). Il aboutit
néanmoins en 1965, sous la présidence Johnson, à une réforme majeure : l’instauration de
deux assurances publiques, Medicare et Medicaid, l’une à destination des personnes âgées
(plus de 65 ans), et l’autre des pauvres. Bien que la couverture soit encore très partielle, cette
réforme constitue pour le camp démocrate une première victoire, qui est envisagée comme
une première étape dans la marche vers une assurance maladie publique universelle (Marmor,
2000).
Pour les épauler dans la défense de leur position et les assister dans la formulation
d’éventuels projets de réformes, les démocrates font quasi exclusivement appel aux
fonctionnaires de la Social Security Administration (SSA), une administration créée durant le
New Deal, par la loi de 1935, pour mettre en œuvre et gérer les nouvelles assurances chômage
et de vieillesse, mais à qui fut également confiée la charge de mener des études en vue de
futurs projets de réforme dans le domaine de la protection maladie (Derthick, 1979, p. 24). La
SSA développe ainsi une activité d’expertise en ce domaine qui prend rapidement de
l’ampleur2 et qui devient quasi hégémonique. Quelques autres services de l’administration
fédérale – principalement le Public Health Service et le Bureau of Labor Statistic – apportent
leur concours mais de manière plus marginale et toujours sous le contrôle de la SSA (idem).
En dehors de l’administration, les universitaires, sous l’effet du déclin du courant
institutionnaliste après 1940, ont massivement désinvesti les questions de protection sociale
(voir infra). Les fondations, dont le rôle avait toujours été limité, ont, elles aussi, abandonné
leur activité d’expertise en ce domaine (Fox, 2010). Quant aux quelques think tanks qui
2
Le service auquel incombe principalement la tâche d’études et de recommandation sur la protection maladie, le
Bureau of Research and Statistic, passe de quarante-quatre experts techniques (économistes, statisticiens,
sociologues) en 1937 à plus de deux cent dans les années 1950.
3
existent à cette période, ils sont essentiellement focalisés sur les questions de politiques
extérieures et militaires.
De fait, de la fin des années 1930 à la Great Society, les fonctionnaires de la SSA sont
les chevilles ouvrières de presque tous les projets de loi déposés au Congrès par les
démocrates durant cette période (Marmor, 2000, p. 9 et note p. 21). Cette étroite collaboration
entre les fonctionnaires de la SSA et les démocrates repose sur une compétence technique de
maîtrise des dossiers et des instruments d’action publique dans ce secteur ainsi que sur des
compétences stratégiques de la part de ses principaux représentants. Mais elle repose
également sur une communauté de vues. Les fonctionnaires de la SSA, qui s’inscrivent dans
la filiation directe des courants réformateurs progressistes de l’entre-deux-guerres, forment en
effet une administration soudée autour de la promotion des assurances sociales, qu’ils
souhaitaient universelles et obligatoires, gérées par l’Etat fédéral (pour garantir l’égalité des
citoyens), et financées par contributions sociales (pour renforcer leur légitimité et leur
pérennité).
b. La réorientation du programme démocrate sous Carter et le recours aux économistes de la
santé
Au cours des années 1970, le programme des démocrates change, renonçant petit à
petit à l’idée d’une assurance publique universelle. Ainsi, l’administration Carter est la
première administration démocrate à se rallier à un système intégrant le marché des
assurances privées. En outre, la limitation des dépenses de santé devient prioritaire par rapport
à l’universalisation de la couverture. Cette refonte du programme démocrate sur la protection
maladie est déterminante puisque la nouvelle orientation sera celle suivie par la majorité des
démocrates durant les 30 années suivantes, jusqu'à la réforme Obama de 2010 qui en est
l’aboutissement. De fait, mis à part quelques groupes minoritaires qui continuent à militer
pour un « Medicare for all », la création d’une assurance publique universelle ne sera plus,
jusqu’à nouvel ordre, à l’agenda démocrate.
A ce changement de programme correspond également une période de changement
des experts qu’ils consultent. Ils se détournent en effet des fonctionnaires de la SSA et
consultent désormais des experts employés dans des centres d’expertise non
gouvernementaux (think tank, fondation, cabinet de conseil, université), qui sont pour la
plupart de jeunes économistes de la santé (Lepont, 2014). La Social Security Administration
est marginalisée au profit d’autres services, en particulier l’Office of Assistant Secretary for
Planning and Evaluation (ASPE), nouveau bureau positionné à proximité du cabinet du
Ministre, qui, à partir du début des années 1970, se trouve au cœur de l’élaboration des projets
de réformes dans le domaine de la protection maladie (Brown, 1995).
2. Des fonctionnaires de la Social Security aux économistes de la santé : le renversement des
postulats
Ces nouveaux experts sont, de par leur formation, porteurs de postulats, de
raisonnements et de savoirs bien différents de ceux des fonctionnaires de la SSA et bien plus
en phase avec la réorientation du programme démocrate, autant sur la question du marché que
sur la question des coûts.
4
a. La santé : d’un bien incommensurable…
Les fonctionnaires de la SSA s’inscrivaient dans la filiation directe des courants
réformateurs progressistes de l’entre-deux-guerres, rattachés au courant institutionnaliste, bien
représenté dans le paysage intellectuel américain jusqu’aux années 1930. Selon les
institutionnalistes, pour qui la forme prise par les phénomènes économiques dans une société
donnée ne dépend pas de lois universelles mais des institutions politiques et sociales qui
régissent cette société, le marché n’est pas nécessairement la forme la plus souhaitable de
répartition des biens entre les individus. Certains biens en particulier sont des droits
fondamentaux qui doivent être équitablement répartis sans être soumis à une régulation par
l’offre et la demande (modèle des droits sociaux). La santé en fait partie au premier chef.
Cette perception de la santé a un impact sur la manière dont est envisagée non
seulement la question de la place du marché, mais aussi celle des coûts. La santé étant un bien
en soi, sa valeur est non commensurable. Par conséquent, toute dépense qui permet
d’améliorer la santé est légitime et leur augmentation est interprétée comme le signe positif
d’une meilleure prise en charge médicale. Les analyses économiques sur lesquelles les
fonctionnaires de la SSA s’appuient s’inscrivent dans le champ de l’« économie médicale »,
qui consiste essentiellement en la production de statistiques médicales visant à décrire les
besoins pour évaluer les investissements nécessaires (Serré, 2002, p. 7 ; Benamouzig, 2005,
p. 2). Dans un contexte de diffusion des idées keynésiennes, les fonctionnaires de la SSA
peuvent également justifier leur position par les retombées positives des investissements
publics dans le secteur de la santé en termes de dynamisme économique.
Cette vision des dépenses reposent également fondamentalement sur une confiance
dans la médecine et dans les progrès qu’elle génère ainsi que sur la reconnaissance de
l’autonomie du jugement médical : le médecin est seul à savoir ce qui est nécessaire pour
guérir son patient et rien ne doit interférer dans son jugement.
b. … à un bien rationalisable
Les économistes vers lesquels se tournent les démocrates dans les années 1970 ont des
postulats et des modes de raisonnements sur la santé bien différents. L’économie de la santé à
laquelle ils se rattachent consiste en l’application des principes de la micro-économie néoclassique au domaine de la santé (Forget, 2004).
Cette perspective opère une rupture fondamentale avec la perspective
institutionnaliste : revendiquant une posture de neutralité scientifique dénuée de jugement de
valeur, l’économie de la santé ne présuppose pas que les services de santé sont un bien en soi,
mais leur applique le même traitement qu’à tout autre objet de science sociale, en les étudiant
« comme des choses » (Fox, 1979, p. 309-311). De fait, le premier changement majeur
introduit par l’économie de la santé est de rompre avec la confiance fondamentale dans la
médecine et dans le savoir médical : les décisions médicales peuvent être remises en cause par
le savoir économique, au nom de l’efficacité de l’allocation des ressources. Les dépenses
médicales n’échappent pas au problème du caractère fini des ressources et il est nécessaire de
réfléchir à l’usage des ressources engagées pour la santé. Ce passage d’un article de 1971 de
l’économiste de la santé, Joseph Newhouse, et de l’un de ses collègues, éclaire bien ce point
de vue :
[Medical care has come to be viewed] as an absolute ‘right’ and not simply as another
service. Yet while medical care in many ways is different from the typical service, it
does resemble other services to the extent that more medical care means less of the
others (that is, imposes opportunity costs). Some elements of medical care may be
5
sufficiently expensive that we would rather do without them and consume other goods
and services. The present health insurance schemes fail precisely in the major respect
that they do not give us any clue as to what consumers really are willing to pay for.3
Comme le suggère la dernière partie de l’extrait, la croyance fondamentale partagée
par les micro-économistes est qu’une rationalisation des dépenses, permettant une meilleure
allocation des ressources, est possible grâce à l’analyse économique, qui se substitue ainsi, au
moins en partie, à l’analyse médicale. Cela ne signifie pas que les économistes de la santé se
désintéressent de la question de l’accès aux soins. Cependant, pour eux, cette question est
dépendante de la question de l’allocation des ressources : compte tenu du caractère limité des
ressources, l’universalisation de l’accès aux soins nécessite leur répartition rationnelle selon le
calcul économique.
Les économistes de la santé ne sont pas nécessairement favorables à l’instauration des
règles du marché, reconnaissant un certain nombre de défaillance au marché dans ce secteur.
En revanche, la « rationalisation » des dépenses de santé est envisagée par les économistes de
la santé à partir des hypothèses et outils de base de l’économie néoclassique, en premier lieu
celui du choix rationnel des agents économiques dont les comportements visent à maximiser
leurs intérêts et qu’il est possible de comprendre – et de modifier – à partir du principe des
« incitations » économiques. Cette perspective est elle aussi à l’opposée de celle des
institutionnalistes qui privilégient, comme levier d’action, l’échelle, non pas des
comportements individuels, mais des institutions.
Ces transformations peuvent être lues comme une réponse à un contexte économique
et budgétaire bouleversé. L’attractivité des décideurs pour des savoirs qui mettent en avant la
rationalisation des dépenses et sont relativement ouverts au marché peut s’expliquer par les
inquiétudes grandissantes face à l’augmentation conjuguée des déficits publics et du chômage.
De plus, la santé est considérée comme un secteur particulièrement dangereux du point de vue
des déficits, puisque, dès 1968, soit trois ans après l’instauration de Medicare, l’Etat fédéral
ainsi que plusieurs états fédérés font état d’une augmentation des dépenses inattendue et
incontrôlée de Medicare (Kingdon, 2003, p. 5). En 1969, les commissaires aux comptes
sociaux (actuaries) du Trésor rendent public une estimation selon laquelle l’équilibre des
recettes et des dépenses (trust fund) devrait être négatif non pas d’ici 24 ans comme cela avait
été annoncé mais d’ici sept ans, et alertent sur la « crise » financière qui frappe le programme
(Oberlander, 2003, p. 89).
Dans ce contexte, le programme d’extension des assurances publiques a pu sembler
inadéquat aux démocrates, ce qui expliquerait leur détournement des fonctionnaires de la SSA.
Les économistes de la santé, dont le discours était focalisé sur l’allocation des ressources et la
« rationalisation » des dépenses, apportaient en revanche une réponse à la principale
préoccupation des décideurs, celle des déficits.
Les deux parties suivantes cherchent à rendre compte des conditions qui ont rendu
possible la disponibilité de ces nouveaux experts auprès des démocrates dans la décennie
1970. Nous montrons que leur émergence est antérieure aux crises économiques et
budgétaires, les économistes de la santé s’étant imposés dans la sphère académique et ayant
commencé à pénétrer l’espace de l’expertise publique dès les années 1960.
3
Voir Joseph P. Newhouse et Vincent D. Taylor, 1971, « How Shall We Pay for Hospital Care ? », The Public
Interest, 23 (2), p. 86.
6
Tableau récapitulatif des postulats, raisonnements et savoirs portés par les fonctionnaires de la
SSA et les économistes de la santé
Proximité avec les
démocrates
Modèle d’action
publique
Référence intellectuelle
Registre de légitimité
Postulat fondamental
Principale variable
explicative de l’économie
Type d’analyse
Fonctionnaires de la SSA
Economistes de la santé
– 1930s-1960s –
– à partir des 1970s –
– Droits sociaux –
Assurance maladie publique et
universelle
– Institutionnalisme –
– Statistiques –
(économie médicale)
– Rationalisation –
1) les ressources sont limitées
2) il faut améliorer leur allocation
– Micro-économie –
– Mathématique –
(économie de la santé)
Courant institutionnaliste
Courant néoclassique
Les faits économiques sont des
institutions, résultats de valeurs et de
choix politiques
Les structures (institutions) sociales
et politiques
Analyse compréhensive des faits
économiques en tenant compte du
contexte social
et politique
Approche qualitative,
Déductive, historique, sociologique
Statistiques descriptives
Les faits économiques sont des
vérités anthropologiques
(homo economicus)
Les comportements individuels
Registre de légitimité
auprès des décideurs
Priorité affichée
Revendication de valeurs et d’une
éthique humaniste
Equité de l’allocation des ressources
Ecole emblématique
Ecole du Wisconsin
Recherche de
lois universelles sur les
comportements humains
(choix rationnel)
Approche quantitatives
Inductive, anhistorique
Modélisations mathématiques
Statistiques régressives
Revendication d’objectivité
scientifique
Efficacité de l’allocation des
ressources
Ecole de Chicago
Economie médicale
Economie de la santé
Information statistique descriptive
Pluridisciplinaire
Confiance dans la médecine et les
progrès qu’elle génère Les économistes n’ont pas à se
prononcer sur les besoins en services
médicaux
Approche déductive
à partir d’enquête statistiques et
monographiques
Modèles interprétatifs et explicatifs
Discipline strictement économique
Les médecins ne sont pas les seuls
dépositaires de l’autorité - Les
économistes peuvent se prononcer
sur la pertinence des décisions des
médecins
Approche inductive
à partir des théories
micro-économiques
Méthodologie
Type de savoir
Frontière disciplinaire
Postulat sur le savoir
médical
Méthodologie
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II. Les mutations de l’espace académique après 1945
La forte présence des économistes de la santé à Washington dans les années 1970 doit
d’abord être mise en perspective avec les transformations qui ont affecté la sphère
académique depuis 1945. Alors que les fonctionnaires de la SSA avaient été formés à
l’économie institutionnaliste, seul courant à s’intéresser à la protection maladie dans l’entredeux-guerres, celui-ci se trouve complètement marginalisé après 1945 au sein de la discipline
économique américaine (section 1) (Fourcade, 2009). Le courant néo-classique est désormais
dominant et investit de nouveaux sujets, dont la santé (section 2) (idem). Le contexte
intellectuel dans lequel sont formés ceux qui commencent à s’intéresser à la protection
maladie après 1945, et qui occuperont plus tard les positions d’expertise sur ces sujets, a, par
conséquent, radicalement changé. Les mutations dans l’espace académique après 1945 sont
donc cruciales pour comprendre les conditions d’émergence des économistes de la santé en
tant qu’experts dominants des politiques de protection maladie dans les années 1970. Nous en
retraçons ici les principales dynamiques, qui renvoient tant à des enjeux professionnels propre
à la discipline économique qu’à des enjeux politiques.
1. La marginalisation du courant institutionnaliste et l’homogénéisation de la science
économique sur les standards néo-classiques
Après la Seconde Guerre mondiale, le courant institutionnaliste est marginalisé au sein
de la discipline économique, tandis le courant néoclassique devient hégémonique. Se
développent les approches qui deviennent dominantes, telles que la « synthèse néo-classique »,
l’économie du bien-être (welfare economics), la théorie du capital humain, ou la théorie du
choix public, qui mettent l’accent sur la question de l’allocation des ressources ainsi que sur
les comportements individuels.
a. La valorisation de la quantification
Les nombreux travaux cherchant à expliquer l’homogénéisation de la science
économique sur les standards néoclassiques ont mis l’accent sur des facteurs internes à la
discipline de valorisation de la mathématisation qui devient progressivement à partir des
années 1930 la seule forme reconnue comme scientifique par la discipline. En reprenant
l’analyse qu’en a fait Theodore Porter (1995, p. IX), ce phénomène peut être expliqué par une
propriété propre aux nombres et aux calculs qui jouent, pour la science économique, comme
une « technologie de la distance », parvenant à parer les analyses de l’apparence de neutralité
et, donc d’« objectivité » et de « scientificité » (voir aussi Desrosières, 1993). En quête
d’autonomie professionnelle, la discipline économique valorise ainsi l’usage des statistiques
et de la modélisation mathématique, si efficace pour lui faire reconnaître sa scientificité
(Fourcade, 2009, p. 128). Cette tendance gagne, dès les années 1920, l’ensemble des courants
de la science économique américaine, y compris le courant institutionnaliste. Celui-ci
s’engage dans l’usage de la statistique et la recherche de l’accumulation de données mais ne
survit pas à la modélisation mathématique qui est une étape de plus dans la logique de
quantification, qui se renforce et s’impose définitivement après guerre (Fourcade, 2009, p. 8184). Ce mouvement valorise en revanche la microéconomie et le courant néoclassique, qui
sont très adaptés aux modélisations mathématiques (O’Connor, 2001, p. 140-143).
Il faut noter que, si la revendication de scientificité par la logique de quantification
pour accroître leur autonomie est commune à toutes les dynamiques de construction et de
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développement des disciplines académiques, elle a, selon Marion Fourcade, une dimension
particulière dans le cas de l’économie américaine, liée au contexte institutionnel de
construction de cette discipline. Dans le cas de la France ou de la Grande-Bretagne, une
expertise économique au service de l’Etat et interne à celui-ci se construit avant l’émergence
de la discipline académique, ce qui laisse à cette dernière, pour se construire, une autonomie
relativement forte vis-à-vis de l’Etat. Dans le cas américain au contraire, la mise en place
tardive d’une bureaucratie au niveau fédéral, ainsi que l’absence d’une élite politicoadministrative permanente du fait du système de nomination des postes à responsabilité dans
l’administration à chaque nouvelle élection présidentielle, font que les deux pôles,
bureaucratique et académique, se construisent de manière concomitante et liée,
l’administration employant très tôt des économistes. Ce faisant, l’administration impose ses
exigences en termes de « neutralité », exigences qui sont d’autant plus élevées que la culture
politique américaine est méfiante envers l’action de l’Etat fédéral. Cette exigence de
neutralité encourage la discipline économique à privilégier la forme statistique et
mathématique (Fourcade, 2009, op. cit., p. 8-9, 61, 90, 128). Ainsi, dès les années 1920, le
tournant mathématique de l’économie aux Etats-Unis n’est pas sans lien avec des contraintes
politiques.
b. Le contexte politique d’après-guerre
Après 1940, le contexte politique renforce encore la valorisation de la forme
mathématique, en apparence neutre, et de la micro-économie. Lors la Seconde Guerre
mondiale tout d’abord, l’usage par le Department of Defense et par l’armée d’analyses microéconomiques oriente les financements vers ce courant.
Outre la forme mathématique, ces analyses ont une autre caractéristique qui leur donne
l’apparence de la neutralité : elles traitent de questions restreintes, qui n’interrogent pas les
structures sociales et politiques existantes. Cette caractéristique est fortement valorisée dans le
contexte politique d’après-guerre marqué par la peur du communisme et le maccarthisme, à
l’origine d’une grande défiance envers les sciences sociales aux Etats-Unis. Celles-ci sont, en
effet, associées à la remise en cause de l’ordre social, que ce soit au niveau des rapports de
classe, de genre ou de race (Huret, 2008, p. 25-30).
Ce rejet des sciences sociales contraste avec l’extrême valorisation des sciences dures
perçues comme le vecteur de tous les progrès pour la société américaine (Rossiter, 1986).
Dans la nouvelle National Science Foundation, créée en 1950 et que le Congrès contrôle
étroitement, les sciences sociales ne sont mentionnées qu’au titre d’« autres sciences » (other
sciences) et reçoivent des budgets infimes comparés aux sciences dures. D’autre part, les
fondations privées qui, dans la première moitié du siècle, avaient été les principales sources
de financement pour les sciences sociales, sont elles aussi mises sur la sellette, certains de
leurs dirigeants étant directement accusés de connivence avec le communisme (Huret, 2008,
p. 57-60).
Cette méfiance vis-à-vis des sciences sociales conduit certains des principaux
représentants des sciences sociales dans les universités et dans les fondations à trouver les
arguments qui pourraient rassurer les hommes politiques. Devant le Congrès ou lors de
conférences, les dirigeants des fondations Russell Sage, Ford, Carnegie ou du Social Science
Research Council tentent de convaincre les élus que les sciences sociales, parce qu’elles
permettent d’améliorer les relations humaines, ne visent pas à subvertir l’ordre social mais à
le renforcer. La communauté scientifique cherche, elle, à clarifier ses méthodes et son
positionnement scientifique comme garantie de sa neutralité et de son objectivité scientifique.
Dans le rapport produit par le sociologue Harry Alpert pour la National Science Foundation,
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l’expérimentation, inspirée des sciences dures, devient le modèle de référence. La prudence
est recommandée envers des thèmes de recherche qui s’immiscent dans le processus politique
et qui, ainsi, pourraient nuire à l’ensemble de la profession :
Les sciences sociales doivent fortement éviter toute forme de raisonnement spéculatif
et intuitif sur le comportement de l’homme en société. De façon similaire, elles
doivent éviter toute forme d’identification avec les mouvements de réforme sociale et
les activités liées au welfare, et surtout, la malencontreuse relation phonétique avec le
terme de socialisme.4
Dans ce contexte, l’approche behavioraliste, centrée sur les comportements individuels
et non sur les effets des structures sociales et politiques, est largement favorisée, stratégie qui
porte ses fruits et qui permet la revalorisation des fonds gouvernementaux destinés aux
science sociales5. Les fondations, quant à elles, orientent désormais, elles aussi, la majorité de
leurs financements vers les études béhavioristes (Huret, 2008, p. 57-59). Ceci a un impact sur
les think tanks financés par les fondations, en particulier la Brookings Institution qui reçoit
par exemple de la Foundation Ford 14 millions de dollars par an au milieu des années 1960
(Critchlow, 1993, p. 283).
Dans ce contexte, l’association des économistes américains invite ses membres à
différencier leur discipline des sciences sociales décrites comme « molles » (soft social
sciences), comme l’anthropologie, la sociologie et la science politique (Kleinman, Solovey,
1995). Le contenu des enseignements est modifié dans les départements d’économie.
L’analyse de Joseph Schumpeter, Thornstein Veblen ou Karl Polanyi est remplacée par des
cours de statistiques et de mathématique appliquée (Huret, 2008, p. 28). La microéconomie et
la théorie néoclassique s’accordent bien avec l’approche behavioraliste, puisque les postulats
de base auxquels elles se réfèrent pour comprendre les phénomènes sociaux, concernent aussi
les comportements individuels.
2. L’émergence de l’économie de la santé
Les travaux économiques qui sont menés sur les problématiques de protection maladie
après 1945 reflètent ces évolutions de la science économique. C’est durant la Seconde Guerre
mondiale que quelques micro-économistes commencent à s’intéresser à ce sujet, investi
jusqu’ici par les institutionnalistes et des approches statistiques descriptives (économie
médicale). Ces derniers sont, au cours des années 1950 et 1960, progressivement marginalisés.
a. Le renouveau de légitimité des sujets « non économiques » dans la science économique
L’implication des économistes formés à la micro-économie auprès des autorités
publiques pendant la guerre les engage à s’intéresser à des sujets nouveaux, jusqu’ici
déconsidérés parce que trop « appliqués », tels que l’éducation ou la santé (Fox, 1979). Ainsi,
plusieurs micro-économistes commencent à s’intéresser à la santé, et à la protection maladie,
via un intérêt initial pour l’application des méthodes économiques aux problèmes posés par la
guerre. Eli Ginzberg, professeur d’économie à Columbia, travaille pour le Department of
4
Voir Harry Alpert, 1954, « The National Science Foundation and Social Science Research », American
Sociological Review, 29 (2), p. 210. Cité dans Huret, 2008, p. 28.
5
Les fonds de la National Science Foundation passent de 300 000$ en 1952 à 730 000 en 1958 et atteignent
deux millions en 1960 (Huret, 2008).
10
Defense pendant la guerre et est chargé des questions de disponibilité de la main d’œuvre.
C’est à ce titre qu’il réalise une étude sur l’impact de différents facteurs sur l’état de la santé
de la population. Par la suite, il se spécialise sur le secteur de la santé. Cette trajectoire est
aussi celle de Herbert Klarman. Pendant la guerre, alors qu’il est encore doctorant à
l’université du Wisconsin, ce dernier travaille comme économiste assistant au Department of
Treasury puis au cabinet du médecin général (surgeon general) de l’US Army. Il quitte
l’armée en 1946 avec le grade de général.
Les économistes du travail, qui, déjà durant l’ère progressiste, avaient été parmi les
premiers à s’intéresser aux questions de protection maladie, sont aussi encouragés à se
pencher sur le problème de la santé de la main d’œuvre6. C’est le cas de John Dunlop,
l’économiste du travail le plus influent de sa génération et qui est sensibilisé à la question de
l’assurance maladie durant son passage au War Labor Board. Après la guerre, il est ainsi de
ceux qui cherchent à faire reconnaître les subventions publiques à la souscription d’une
assurance maladie comme des prestations sociales indirectes (fringe benefit)7.
Enfin, la guerre redonne aussi du crédit à l’analyse économique des finances publiques,
qui est la seconde spécialité à entretenir des liens historiques avec la problématique des
assurances sociales. Après la guerre, les économistes reconsidèrent ce secteur et en font un
domaine d’application privilégié pour les nouvelles théories et méthodes de l’économie du
bien-être (welfare economics), de la micro-économie et de l’économétrie, pour lesquelles le
secteur de la santé apparaît comme particulièrement riche. C’est la trajectoire d’un
économiste comme Martin Feldstein.
Ce regain d’intérêt des économistes pour le secteur de la santé est aussi encouragé par
le développement du secteur de la santé dans l’économie au cours des années 1940 et 1950,
ainsi que par la disponibilité d’un plus grand nombre de données utilisables par les
économistes, produites grâce au travail de collecte d’informations réalisé par l’administration
et le secteur privé pour justifier de nouveaux investissements dans le secteur (Fox, 1979,
p. 316-317).
b. Une progressive standardisation sur les principes de la micro-économie
Au cours des décennies 1950 et 1960, la perspective micro-économique sur la
protection maladie s’impose progressivement dans la sphère académique face à l’économie
médicale et au courant institutionnaliste. Ce phénomène est particulièrement flagrant au
regard de l’évolution des trois premiers panels et conférences d’économie sur le secteur de la
santé ayant lieu entre le début des années 1950 et la fin des années 1960 (Fox, 1979).
! La décennie 1950, ou l’éviction de l’économie médicale
En 1950, au Congrès annuel de l’American Economic Association (AEA), deux panels
sur le secteur de la santé sont organisés pour la première fois. Chapeautés par l’économiste
néoclassique Milton Friedman, ils signalent l’intérêt nouveau que ce courant commence à
porter à ce secteur. De même, plusieurs articles sur le sujet paraissent dans des revues
académiques généralistes telles que l’American Economic Review ou le Quarterly Journal of
Economics.
Cependant, cet événement reflète aussi les divisions qui existent à ce moment-là dans
les orientations et dans la manière d’envisager l’application de l’économie au secteur de la
6
L’économie du travail (labor economics) s’intéresse très tôt à la protection maladie au titre des assurances
sociales associées au contrat de travail, qui peuvent être considérées comme du salaire indirect. De plus, la santé
est un paramètre important dans la productivité de la main d’œuvre.
7
Voir entretien avec Joseph Newhouse réalisé par Edward Berkowitz, 1998.
11
santé, partagées entre la tradition de l’économie médicale et la promotion des outils de la
science économique « moderne ». Ces ambivalences se reflètent dans le nom même donné
aux panels de l’AEA de 1950, « economics of medical care » : le terme de « medical
economics » est récusé mais celui de « health economics » ne s’est pas encore imposé.
Chacun des panels reflète l’une des deux approches, celle des micro-économistes centrée sur
l’allocation des ressources et l’analyse des comportements des acteurs dans le domaine de la
santé, et celle qui cherche à montrer l’importance d’une réforme pour une assurance
universelle. Héritiers des réformateurs progressistes institutionnalistes, les économistes
présents dans le deuxième panel pensent que suffisamment de connaissances économiques
sont disponibles (statistiques), que les solutions pour améliorer l’accès aux soins sont connues,
et que les économistes doivent avant tout promouvoir la mise en place d’une assurance
universelle.
Le premier panel au contraire est dominé par l’idée selon laquelle les comportements
des agents économiques dans le secteur de la santé sont très mal connus et que l’analyse
économique a tout à faire. Fondamentalement, ces économistes remettent en cause le postulat
du bien fondé des soins médicaux. En s’appuyant sur des données recueillies pendant la
guerre, Eli Ginzberg, de Columbia, défend l’idée selon laquelle d’autres facteurs, comme
l’hygiène ou l’augmentation globale du niveau de vie, sont plus importants que les services
médicaux pour améliorer le niveau de santé de la population. Quant à Herbert Klarman, de
Harvard, il remet en cause les chiffres établis dans les années 1930 par les rapports du
Committee on the Costs of Medical Care, dirigé par des institutionnalistes et qui s’était sur les
avis des médecins pour évaluer les besoins en infrastructure et en personnel médical. Pour
Klarman, la science médicale n’est pas la seule apte à évaluer le besoin en services de soins.
Enfin, Jerome Rothenberg, du Amherst College, applique la théorie de l’économie du bienêtre (welfare economics) au problème du financement des soins médicaux et, en montrant ses
limites, réalise les premiers développements de l’économie de l’incertitude formalisée par
Kenneth Arrow. Ce débat a aussi lieu dans des revues, comme dans le American Economic
Review entre Eli Ginzberg et Seymour Harris, ou dans le Quarterly Journal of Economics
entre Glen et Rita Campbell et Falk.
En revanche, en 1962, lors de la première Conférence nationale sur l’économie de la
santé, les perspectives proches de l’économie médicale ont quasiment disparu et celles de la
micro-économie se sont imposées.
! La décennie 1960, ou l’alignement sur les standards de la micro-économie néoclassique
et mathématique
Si la Conférence nationale sur l’économie de la santé de 1962 avait déjà, par rapport
aux premiers panels de 1950, rejeté les approches considérées comme trop descriptives,
normatives, et associées à l’économie médicale, la seconde Conférence nationale, qui a lieu
en 1968, marque une inflexion supplémentaire de l’économie de la santé en direction d’un
alignement sur les standards de la micro-économie classique et mathématique.
En effet, la première conférence nationale, organisée par Selma J. Mushkin et Burton
A. Weisbrod, est dominée par la question du capital humain et du développement économique.
Les discussions portent sur des questions d’organisation et de financement de la protection
maladie, de coût et d’efficacité des hôpitaux, de l’évaluation des programmes et les méthodes
utilisées sont surtout qualitatives. Parmi les intervenants, on ne compte pas exclusivement des
économistes, mais aussi des spécialistes de santé publique.
En 1968 en revanche, Herbert Klarman, qui préside la conférence, note que les
contributions utilisent quasi exclusivement les concepts et les méthodes désormais
dominantes de la discipline économique. Les questions de financement de la protection
maladie – assurances publiques ou privées ? – sont délibérément ignorées. Aucun des
12
participants à la conférence de 1962 ne fait de communication et beaucoup se plaignent du
manque de liens avec les politiques publiques. Les analyses se concentrent sur l’analyse de la
relation économique patient (consommateur) - médecin, hôpital (vendeur) - compagnie
d’assurance, ainsi que sur l’amélioration de l’efficacité de l’allocation des ressources par les
analyses coût-bénéfice. Ces contributions doivent beaucoup à l’article de 1963 de Kenneth
Arrow, qui, tout en théorisant le problème de l’asymétrie d’information dans le secteur de la
santé, ancre ce secteur dans une analyse du marché et le connecte à l’analyse économique
mathématique et à l’économie du bien-être (Fox, 1979, p. 322)8.
Parmi ces travaux, qui dessinent les contours d’une sous-discipline qui en est encore à
ses balbutiements, différentes branches commencent à se distinguer. Conçus comme
complémentaires, elles renvoient chacune aux différentes manières qu’a la micro-économie
d’envisager le problème de l’allocation et de la « rationalisation » des ressources (Rhoads,
1981). La première branche, représentée par Herbert Klarman, s’intéresse aux calculs coûtbénéfice, qui sont la section appliquée de l’économie du bien-être. La seconde, représentée
par Michael Grossman, se réfère à la théorie du capital humain et s’intéresse à la rentabilité
des investissements dans la santé en prenant en compte l’ensemble des coûts et bénéfices que
cela représente pour la société prise dans son ensemble (analyse des coûts d’opportunité et des
coûts marginaux). La troisième, représentée par Martin Feldstein, s’intéresse à l’analyse des
comportements des agents économiques, en particulier via la question des incitations,
s’appuyant sur les pistes données par Kenneth Arrow dans son article de 1963. Les
principales questions portent sur les incitations économiques et le problème de l’information
dans l’échange économique.
Figure 1
Les trois branches de l’économie de la santé
8
Arrow Kenneth J., 1963, « Uncertainty and Welfare Economics of Medical Care », American Economic Review,
53 (5), p. 941-973. Considéré comme l’un des plus grands économistes de son époque, Kenneth Arrow apporte à
l’analyse micro-économique de la santé ses lettres de noblesse. De fait, dans l’une des premières bibliographies
de la sous-discipline, datant de 1977, seule 10% des entrées sont antérieures à 1963. Voir A. J. Culyer, Jack
Wiseman, et Arthur Wlaker, 1977, An Annoted Bibligraphie of Health Economics, Londres, Martin Robinson.
13
! Le soutien des fondations
Le développement de l’économie de la santé dans les années 1950 et 1960 doit aussi
au soutien des fondations et des instances dominantes de la discipline économique, dont on a
vu qu’elles encourageaient après 1945 les approches behavioralistes et micro-économiques.
La fondation Ford finance ainsi par exemple, à la fin des années 1950, un programme de
recherche économique sur la santé confié à Victor Fuchs, un jeune micro-économiste. Celui-ci
est en même temps vice-président du National Bureau of Economic Research, une institution
centrale pour la discipline économique. Au sein de l’institution, il a le soutien de Gary Becker,
microéconomiste néoclassique, à l’origine de la formulation de la théorie du capital humain.
Grâce à ces soutiens, Victor Fuchs finance onze projets de recherche en économie, centrés sur
la question de l’allocation des ressources dans le domaine de la santé, dont l’article majeur de
Kenneth Arrow de 1963, ainsi que l’ouvrage de Klarman publié en 1965, qui est l’un des
premiers à exposer les règles et méthodes de l’analyse coût-bénéfice dans le secteur de la
santé. Durant les années 1960, la fondation Ford finance aussi un programme de séjours à la
Brookings Institution pour des économistes de la santé9.
Ainsi, au cours des décennies 1950 et 1960, les références intellectuelles des
fonctionnaires de la SSA sont progressivement déconsidérées et marginalisées dans l’espace
académique au profit d’un nouveau type de savoir sur la protection maladie, l’économie de la
santé. Or les économistes de la santé trouvent des voies d’accès dans la sphère de l’expertise
administrative et politique dès les années 1960, venant déstabiliser le monopole que la Social
Security Administration avait acquis sur les questions de protection maladie.
III. Les transformations de l’espace de l’expertise sous l’administration
Johnson
Le vote en 1965 de la loi instaurant le deux assurances publiques Medicare et
Medicaid signe une victoire sans précédent pour les tenants de l’investissement de l’Etat
fédéral dans des assurances publiques visant l’universalisation de la couverture maladie. Pour
les fonctionnaires de la SSA, qui s’étaient très fortement investis autour de cette réforme10,
cela constitue une véritable consécration, qui réaffirme leur position dominante dans
l’expertise publique sur la protection maladie auprès des démocrates.
Pourtant, de manière quelque peu paradoxale, c’est aussi l’administration Johnson qui,
à la faveur de la politique d’évaluation et de planification des politiques publiques (PPBS),
donne l’impulsion à des changements importants dans la configuration de l’expertise publique
sur la protection maladie, changements qui offrent aux économistes de la santé leurs
premières voies d’accès au monde politique et administratif, et qui remettent ainsi en cause le
monopole de l’expertise qu’avaient acquis les fonctionnaires de la SSA.
9
Entretien avec Karen Davis, réalisé par Edward Berkowitz, 1998.
Ils sont directement impliqués dans l’écriture de la réforme de 1965, qui repose sur une stratégie – le ciblage
des personnes âgées – qu’ils avaient commencé à élaborer dès les années 1940 (Marmor, 2000).
10
14
1. La généralisation de la politique d’évaluation et de planification des politiques publique
(PPBS)
Les programmes sociaux initiés par l’administration Johnson, dont Medicare et
Medicaid sont les plus ambitieux, s’accompagnent d’une politique de financement de
l’expertise publique sans précédent à travers la généralisation des programmes d’évaluation et
de planification des politiques publiques, jusque-là réservée aux politiques de défense (Porter,
1995). Une obligation à la prévision de fonds de financement pour l’évaluation des
programmes est même généralement incluse dans les textes de lois votés à cette époque (Rich,
2004, p. 48). La santé étant, à travers Medicare et Medicaid, le principal secteur d’action
publique investi, le Department of Health, Education, and Welfare (DHEW) est le ministère
qui a, de très loin, le plus gros budget consacré à la recherche et aux études d’évaluation11.
Cette démarche s’inscrit dans la tradition progressiste de confiance dans les sciences sociales
pour améliorer l’efficacité de l’action publique. Mais l’évaluation est aussi un instrument
politique de légitimation qui permet de répondre aux critiques qui s’élèvent face à l’explosion
budgétaire (Scharpf, 2000)12.
Cette politique d’évaluation et de planification des politiques publique conduite par
l’administration Johnson est dominée par la problématique de la maximisation de l’efficacité
dans l’allocation des ressources. L’objectif est d’évaluer les coûts et les résultats des
programmes avant, ou après, que les décisions soient prises (Latham, 2000 ; Spenlehauer,
1998). Dans le premier cas, les études sont censées aider à choisir les alternatives les plus
efficaces pour réaliser les objectifs politiques établis par le gouvernement. Dans le second, à
ajuster les programmes en fonction des résultats effectifs obtenus lors de leur mise en œuvre.
En se donnant pour objectif la rationalisation de l’allocation des dépenses, cette
politique s’inscrit directement dans le programme de la micro-économie, dont elle emprunte
les principaux concepts et outils. L’analyse coût-bénéfice en particulier est au centre de cette
politique. Elle est systématisée par la mise en place d’une méthodologie élaborée par la Rand
Corporation dans les années 1950 et utilisée au départ par le ministère de la défense, le
Program Planning and Budgeting System (PPBS), entièrement basé sur les principes de la
micro-économie (Amadae, 2003 ; Fleury, 2010, p. 320-323 ; Nelson, 1987, p. 49-91).
Si certains instruments comme le PPBS sont progressivement abandonnés dans les
années 1970, la politique d’évaluation et de planification de l’administration Johnson a des
effets particulièrement durables. Elle encourage le développement d’une forme de policy
analysis qui s’inspire principalement de la microéconomie et de théorie néoclassique, dont les
« outils et les concepts (efficacité, opportunité coûts-bénéfices, incitations) [deviennent] le
langage standard des politiques publiques » (Fourcade, 2009, p. 109 ; voir aussi Rhoads,
11
D’après l’enquête menée par Mark A. Abramson pour les années 1975, 1976 et 1977, la santé représente un
quart des investissements fédéraux dans la recherche en science sociale, juste avant l’éducation qui en représente
un cinquième. Le DHEW consacre 717,9 millions de dollars en 1977 aux recherches et études d’évaluation des
politiques publiques, suivi par le ministère de l’agriculture (285,7 millions), puis le ministère du
commerce (129,6 millions). Cependant, il faut reconnaître qu’une petite partie du budget consacrée aux
politiques de santé est consacrée aux politiques de protection maladie. Comme le montre la répartition des
sommes investies par agences et services ministériels, la plus grosse partie du budget évalue des programmes de
santé publique (Alcohol, Drug Abuse and Mental Health Administration : 79,5 millions ; National Institute of
Health : 68,1 ; Health Resources Administration : 62,5 ; Health Services Administration : 45, 4 ; Office of the
Assistant Secretary for Planning and Evaluation : 34,6 ; Social Security Administration : 27,6) (Abramson, p. 3135).
12
Ces critiques viennent autant de la gauche que de la droite. La première a foi dans l’action fédérale mais craint
qu’elle soit manipulée par l’action des groupes d’intérêt. L’autre postule au contraire l’inefficacité de l’action de
l’Etat. Il y a de fait un consensus politique sur la nécessité des programmes d’évaluation, ce qui explique
l’importance des crédits qui leurs sont systématiquement alloués au cours de cette décennie. Voir par exemple
Campbell, Morgan, 2005.
15
1985)13. Elle introduit les analyses microéconomiques dans les administrations gérant des
secteurs, les politiques sociales, où elles n’avaient jusque-là pas cours (Fourcade, 2009, p.
111 ; O’Connor, 2001, p. 175).
Bien loin d’être à contre-courant des évolutions de l’espace académique, les choix de
l’administration Johnson – et avant elle, de l’administration Kennedy – sont en réalité
pleinement en phase avec les tendances dominantes de la science économique américaine de
son époque et font donc une large place aux approches micro-économiques. Ceci a été
souligné à maintes reprises concernant la politique macro-économique dont la référence n’est
pas le keynésianisme, comme pourrait le laisser penser de prime abord les investissements
publics massifs, mais la « synthèse néoclassique », théorisée par des économistes comme
Kenneth Arrow (Katznelson, 1980; Tobin et Robert M. Solow, 1988; Skocpol et Edwin
Amenta, 1988). Cette place accordée aux approches micro-économiques, bien que plus
discrète que les grands programmes de redistribution, se retrouve de la même façon dans les
politiques sociales.
2. Les transformations de la configuration de l’expertise sur la protection maladie
a. De nouvelles agences concurrençant la Social Security Administration
La politique de généralisation de l’évaluation et de la planification a pour conséquence
la création au sein du Department of Health, Education, and Welfare (DHEW) de plusieurs
services ayant pour mission la production, ou la supervision, d’une expertise sur la protection
maladie, ce qui fait directement concurrence à la Social Security Adminsitration (SSA). C’est
dans ce contexte en particulier qu’est fondé, dès 1965, l’Office of Assistant Secretary for
Planning and Evaluation (ASPE) et l’Office of the Assistant Secretary for Program
Coordination. Positionnés à proximité du cabinet du Ministre, ils ont pour mandat de
participer directement à l’élaboration de propositions de politiques publiques et sont conçus
pour avoir une influence directe sur le ministre et, par conséquent, un rôle politique fort.
D’autres services plus techniques sont aussi créés, comme le National Center For
Health Services Research et le Health Care Technology Assessment (1968), ayant tous deux
pour but de mener des études coûts-bénéfices (Brown, 1991, p. 35). Cette multiplication des
centres d’expertise ne se limite pas aux frontières du DHEW. D’autres structures
administratives nouvellement créées à l’extérieur du DHEW ont des compétences sur les
politiques de protection maladie. C’est le cas de l’Office of Economic Opportunity (OEO),
(1964) doté d’un fond initial de 1,5 milliard de dollars afin de coordonner la mise en œuvre
des programmes de lutte contre la pauvreté (Derthick, 1979, p. 168 ; Fleury, 2010, p. 319). A
la Maison Blanche, le Council of Economic Advisers (CEA) dont les rapports, jusqu’au début
des années 1960, ne traitaient que de questions macro-économiques et de politique extérieure,
publie de nombreux rapports sur les questions sociales, dont la protection maladie (Fleury,
2010, p. 318). C’est aussi le cas du Bureau of Budget (ancien Office of Management and
Budget, OMB), qui, sous l’impulsion de son directeur, l’économiste Charles Schultz (19651968), devient le fer de lance de l’adoption du Program Planning and Budgeting System
(PPBS) (Nelson, 1987). Enfin, plusieurs groupes de travail visant à produire des rapports
d’expertise et des recommandations de politiques publiques sont créés à l’intérieur de la
Maison Blanche, comme la Commission on Income Maintenance Programs. Ce type de
13
Cette forme de policy analysis est dénoncée par les politistes américains comme Aaron Wildavsky qui ont
promu le développement de la policy analysis, ou policy science, mais qui ne se retrouve pas dans l’usage
systématique des outils micro-économiques (Wildavsky, 1969 ; Wildavsky, 1979).
16
commission est à l’origine d’un autre changement institutionnel qui affecte fortement
l’autonomie des fonctionnaires de la SSA à la fin des années 1960 : la réforme budgétaire de
1969, qui instaure l’« unification » du budget de l’Etat fédéral, celui-ci incluant alors le
budget de la Social Security qui en était jusqu’ici exclu. Cette réforme, rejetée par les
fonctionnaires de la SSA, a pour effet de renforcer le contrôle de la SSA par des
« généralistes », en particulier du Department of Treasury (Derthick, 1979, p. 169).
D’autre part, la plus grande partie des études financées par l’Etat fédéral pour évaluer
les politiques publiques n’est pas réalisée par des services internes à l’administration mais est
confiée à des structures indépendantes qui, pour la plupart, n’avaient pas de compétence
spécifique sur la protection maladie, mais se saisissent de cette opportunité pour se
développer (Banfield, 1980)14. Les opportunités se multiplient donc pour les organismes
d’expertise indépendants, comme les think tanks, cabinets de conseil, ou centres rattachés à
des universités, dont le nombre croît très fortement à partir de la fin des années 196015.
Certaines, comme l’Urban Institute conçu sur le modèle de la Rand Corporation, sont
directement créées pour répondre à cette demande nouvelle dans le domaine domestique. Les
nouvelles opportunités professionnelles à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement
conduisent au développement de ce que certains appellent déjà à l’époque une « industrie » de
la « policy analysis » 16.
b. L’accès des économistes de la santé à l’administration fédérale
Dès la seconde moitié des années 1960, le développement de ces nouvelles institutions
offre aux économistes qui appliquent les principes de la micro-économie au secteur de la
santé leurs premières voies d’accès aux sphères administratives et politiques. Les services qui
mettent en œuvre le PPBS en particulier, tels que le Bureau of Budget17 et l’Office of
Planning and Evaluation du DHEW, font exclusivement appel à eux. Ainsi, par exemple, les
experts présents dans le Committee on Chronic Kidney Disease, comité créé par le Bureau of
the Budget, sont Herbert Klarman et Gerald Rosenthal. De cette position, ils recommandent
l’adoption des analyses coût-bénéfice pour comparer les méthodes de traitement des maladies
rénales, proposition qui est retenue.
Les économistes de la santé sont aussi contactés pour la rédaction de rapports
indépendants remis au gouvernement. Ainsi, c’est Martin Feldstein qui rédige le chapitre
« santé » du rapport Toward a Social Report, chapeauté par l’économiste néoclassique
14
Selon Edward Banfield, deux-tiers du budget fédéral consacré aux recherches en science sociale appliquée,
soit 7,4 milliards de dollars, a été alloué à des organismes indépendants. Cette stratégie de délégation à des
organisations intermédiaires (structures administratives des états et des collectivités locales, mais aussi à des
structures privées) de la part de l’Etat fédéral ne concerne pas que le recherche.
15
Le nombre de think tanks avait commencé à augmenter après la Seconde Guerre mondiale, ce que Nelson
Polsby interprète comme une conséquence de la poursuite de larges programmes de défense pendant la guerre
ainsi que l’expansion des programmes sociaux initiés par le New Deal. Cependant, cette augmentation s’accélère
considérablement à partir des années 1970 (Polsby, 1983). Ainsi, plusieurs auteurs estiment que le nombre de
think tanks en particulier quadruple entre 1970 et la fin des années 1990 (Rich, 2004, p. 4; McGann, Weaver,
2006).
16
L’expression est utilisée par William Gorham dans les années 1960 (Rich, 2004, p. 48 ; voir aussi Drucker,
1968) et a depuis fait recette (Banfield, 1980; O’Connor, 2000).
17
Le PPBS est mis en œuvre au Bureau of Budget en 1965, sous la direction de l’économiste Charles Schultze.
Selon Jean-Baptiste Fleury, qui cite Robert H. Nelson (1987), il en résulta un changement de positionnement du
Bureau of Budget : « It resulted in shifting the bureau’s focus from the sole concern for administrative efficiency
without any implication on political decisions to the advocacy of an economic approach applied to policymaking.
The implementation of PPBS reinforced the bureau’s influence (and that of economists) on the formulation of
social policies and their evaluation. » (Fleury, 2010, p. 321).
17
Mancur Olson18. Ce rapport vise à la création de nouveaux indicateurs d’évaluation des
politiques sociales. L’un des problèmes majeurs de l’administration est que l’augmentation
des coûts de Medicare menace d’après elle les autres programmes sociaux menés dans le
cadre de la War on Poverty. Le rapport conclut à l’importance d’accroître l’efficacité dans
l’allocation des ressources, pointant notamment les faiblesses des indicateurs de santé aux
Etats-Unis par rapport aux autres pays (au 16e rang). De manière peu surprenante, il met en
cause notamment les incitations économiques générées par le système de protection maladie
américain, qui favorise les soins curatifs plutôt que préventifs. Les médecins n’ont pas
d’incitation financière à éviter les soins non nécessaires, à l’inverse de l’ancien système
chinois dans lequel les médecins étaient payés quand les patients n’étaient pas malades,
système qui sert de référence dans le rapport.
Face à l’augmentation des prix des soins médicaux qui s’accroissent plus rapidement
que l’inflation au milieu des années 1960, c’est Bill Gorham, l’Assistant Secretary du DHEW
en charge de la mise en œuvre du PPBS, que l’administration Johnson nomme pour réaliser le
Report to the President on Medical Care Prices, connu sous le nom de Gorham Report
(1967)19. Le rapport recommande la tenue d’une conférence nationale sur les coûts de la santé,
qui eu lieu en juin 1967 à Washington. Lors de cette conférence est décidée la création du
National Center for Health Services Research dont la mission première est de réaliser des
analyses coût-bénéfice dans le domaine de la santé.
3. Les économistes de la santé et le programme de la Great Society
a. La complexité des clivages
Les économistes qui défendent une application plus stricte et plus approfondie des
théories micro-économiques au domaine de la santé se retrouvent sur l’idée d’une
rationalisation possible et nécessaire des dépenses dans ce secteur. En revanche, leur opinion
sur la place que doit occuper le marché, qui détermine leur position vis-à-vis programme de la
Great Society et des assurances publiques Medicare et Medicaid, n’est pas uniforme. Certains,
dénonçant l’« irrationalité » et les incohérences de la Social Security, préconisent le
remplacement des assurances sociales publiques par des aides fédérales sous forme de crédits
d’impôt20, ce qui se trouve aux antipodes du projet des fonctionnaires de la SSA. D’autres,
comme Herbert Klarman, sont au contraire favorable à l’idée d’une assurance publique
universelle et se considèrent aussi, à certains égards, comme les héritiers de l’école du
Wisconsin. Herbert Klarman a fait sa thèse dans cette même université. L’influence de cette
école est aussi très forte dans les travaux d’autres économistes comme Lampman, Weisbrod,
et Selma Mushkin mais aussi dans ceux de John Dunlop, dont le directeur de thèse, Summer
Slichter, avait été formé à l’université du Wisconsin. L’apport de la micro-économie, et de
l’économie du bien-être à laquelle ils s’intéressent, est de rendre plus efficace l’allocation des
ressources, en particulier par les analyses coût-bénéfice, qui sont la branche appliquée de
l’économie du bien-être. Quant à ceux qui s’intéressent à la théorie du capital humain, qui
repose aussi sur la micro-économie, ils s’en saisissent également pour faire le pont entre
18
Department of Health, Education, and Welfare, 1969, Toward a Social Report, Washington, DC, U.S.
Government Printing Office.
19
Department of Health, Education, and Welfare, 1967, Report to the President on Medical Care Prices,
Washington, DC, U.S. Government Printing Office.
20
Voir Daniel P. Moynihan, 1973, The Politics of a Guaranteed Income: The Nixon Administration and the
Family Assistance Plan, Random House; Vincent J. and Vee Burke, 1974, Nixon’s Good Deed, New York,
Columbia University Press.
18
l’analyse économique moderne et la tradition progressiste, et justifier l’investissement public
massif dans le développement de l’accès aux soins. Ainsi, dans The Economics of Mental
Illness (1958), Rashi Fein entend montrer que l’augmentation des dépenses dans la santé ne se
fait pas aux dépens d’autres secteurs mais qu’elle augmente, au contraire, le nombre des
ressources disponibles21. Ceci n’échappe pas aux fonctionnaires de la SSA qui collaborent
avec ces économistes en publiant plusieurs études sur la théorie du capital humain. Cette
approche est aussi très présente dans la section « Medical care » des congrès annuels de
l’Association américaine de santé publique.
b. Des relations conflictuelles avec les fonctionnaires de la SSA
Cependant, les fonctionnaires de la SSA sont globalement méfiants vis-à-vis de cette
génération émergente d’économistes nommés au DHEW, qui introduisent un nouveau regard
sur la santé et sur les priorités de l’action publique et dont certains sont ouvertement critiques
vis-à-vis du principe des assurances sociales. Comme le rapporte Victor Fuchs, qui fait partie
de cette génération de jeunes économistes de la santé, les conflits avec les fonctionnaires en
place émergent dès la seconde moitié des années 1960 :
Nevertheless, my appointments to the President’s Committee on Mental Retardation
and the U.S. Health Services Research Study Section in the mid-1960s were greeted
with some surprise and suspicion by the physicians, sociologists, psychologists, and
other traditional guardians of those domains.22
D’après Martha Derthick, les fonctionnaires de la SSA parvinrent à contenir la place
des économistes de la santé et leur voix potentiellement critiques jusqu’à la fin des années
1960 (Derwick, 1979). Under-secretary puis ministre du DHEW entre 1965 et 1969, Wilbur
Cohen, l’un des représentants les plus charismatiques de ces puissants fonctionnaires, fait en
sorte de sélectionner les rapports publiés par le DHEW, ainsi que les individus qui vont
témoigner devant le Congrès ou à la Maison Blanche. Par exemple, pour le rapport de la
Heineman Commission devant le Congrès, il fait appel à son collègue Robert Ball et refuse
l’intervention des économistes de l’Office of Program Coordination23.
Après l’élection de Nixon en revanche, ce garde-fou n’existe plus et le nouveau
ministre n’affiche pas les mêmes réticences quant aux prises de position des nouveaux experts.
De plus, son arrivée se conjugue avec le départ de nombreux fonctionnaires « historiques » de
la SSA (Campbell, Morgan, 2005, p. 173-195). Au cours de la première moitié des années
1970, tous les cadres dirigeants de la SSA, en poste depuis les années 1930, se retirent de la
fonction publique. A la suite de Wilbur Cohen qui, après l’alternance en 1969, rejoint
l’université, Robert Ball quitte sa fonction de directeur de la SSA en 1973. D’autres figures
importantes les suivent, comme Ida Merriam, qui avait passé toute sa carrière au Bureau of
Research and Statistic, et qui part en retraite en 1972, après trente-six ans de service (Huret,
2008, p. 22-25). Certains, comme Wilbur Cohen et Robert Ball, continuent à promouvoir le
programme de la Social Security jusque dans les années 1980, mais de l’extérieur, depuis
l’université pour le premier, au sein de think tanks et de fondations basés à Washington pour
le second (Marmor, 1987).
21
Voir Rashi Fein, 1958, The Economics of Mental Illness, New York, Basic Books.
Voir Victor R. Fuchs, 1994, The Future of Health Policy, Cambridge, Harvard University Press, p. 1-2.
23
Voir Vincent J. Burke et Vee Burke, 1974, Nixon’s Good Deed, New York and London, Columbia University
Press, p. 15-16, 36-39. Cité dans Derthick, 1979, p. 168.
22
19
Ainsi, la politique de planification et d’évaluation des politiques publiques de
l’administration Johnson, en valorisant un nouveau type d’expertise fondé sur la microéconomie, favorise, de manière paradoxale, le déclin de ceux à qui elle avait offert la plus
belle victoire, l’instauration de Medicare et Medicaid.
Conclusion
Les travaux cherchant à expliquer le changement de paradigme dans les politiques
publiques qui a suivi les années 1970 ont généralement insisté sur l’impact des crises
économiques dans la déstabilisation des registres de solutions qui s’étaient imposés après la
Seconde Guerre mondiale, les décideurs étant à la recherche d’idées nouvelles permettant de
répondre à des situations inédites. Le cas du changement de programme démocrate sur les
questions de protection maladie dans les années 1970 correspond en bien des points à ce
modèle : dans un double contexte d’explosion du budget de Medicare et Medicaid d’une part,
et d’augmentation plus général des déficits publics d’autre part, les démocrates, qui, depuis
1945, avaient promus les assurances publiques en s’appuyant sur l’expertise des hauts
fonctionnaires de la SSA favorables à ce programme, se tournent vers d’autres types d’experts,
formés à la micro-économie, qui insistent sur la nécessité de rationaliser les dépenses de santé
et qui sont également moins hostiles aux assurances privées.
En s’intéressant aux conditions d’émergence et de disponibilité auprès des démocrates
des économistes de la santé, porteurs de savoirs, de postulats et de types de raisonnement
nouveaux, nous avons montré néanmoins que l’émergence des économistes de la santé,
prenant la place des fonctionnaires de la SSA auprès des démocrates, avait été largement
préparée par des transformations qui avaient d’abord eu lieu dans l’espace académique. Après
1945, celui-ci est marqué par l’affaiblissement du courant institutionnaliste au sein des
sciences sociales au profit du courant behavioraliste, qui, au sein de la science économique,
favorise le développement quasi hégémonique des approches micro-économiques. C’est dans
ce contexte que l’économie de la santé s’épanouit. Ces mutations ne sont pas sans
conséquence pour l’espace de l’expertise : elles déterminent tout d’abord le contexte dans
lequel sont formés la future génération de spécialistes des politiques de protection maladie.
De plus, elles dressent les contours d’un contexte intellectuel général qui participe à la
légitimation de certaines orientations plutôt que d’autres, au-delà de l’espace académique.
Ceci est d’autant plus le cas que le système américain de nomination des postes de direction
de l’administration favorise les ponts entre l’espace académique et l’espace politicoadministratif et rend ce dernier plus sensibles aux évolutions qui traversent le premier
(Fourcade, 2009). De fait, bien qu’ayant mené une politique de redistribution massive aux
allures de politique keynésienne, les administrations démocrates de la décennie 1960 avait
pour principaux conseillers économiques des micro-économistes partisans de la « synthèse
néo-classique » (Tobin et Robert M. Solow, 1988), courant dominant dans la science
économique de l’époque. De même, en même temps qu’elle instaure les deux premières (et
jusqu’ici, dernières) assurances maladie publiques américaines, l’administration Johnson
introduit dans le secteur des politiques de santé la logique de rationalisation des dépenses
médicales par les instruments micro-économiques, et en particulier les analyses coûtsbénéfices. C’est par ce biais que les premiers économistes de la santé pénètrent l’espace de
l’expertise publique et déstabilisent le quasi monopole qu’avaient acquis les fonctionnaires de
la SSA auprès des démocrates. Ces changements ont lieu dès la seconde moitié des années
1960, avant les crises économiques et budgétaires des années 1970. De fait, les économistes
20
de la santé étaient déjà bien implantés sur le terrain de la production des savoirs dans le
domaine de la protection maladie quand les démocrates se tournent vers eux pour élaborer les
projets de réforme dans ce secteur.
Ce résultat apporte des éléments intéressants pour comprendre le changement de
politique qui se produit dans les années 1970 et par la suite. Tout d’abord, comme certains
travaux récents l’ont montré dans le cas français, cela nuance l’idée de la rupture radicale que
sous-entend l’expression de « tournant néo-libéral ». Tout comme certains travaux récents
l’ont montré à propos de l’administration française (Bezes, 2009 ; Gaïti, 2014 ; Lemoine,
2016 ; Mazoyer, 2012), l’introduction de la logique de rationalisation des dépenses et des
outils micro-économiques, ouvrant la porte de l’espace politico-administratif à de nouveaux
types d’experts, sont introduits dès les années 1960.
D’autre part, la restitution de cette histoire de l’émergence des économistes de la santé
permet de mieux comprendre pourquoi les démocrates se sont, dans les années 1970, dirigés
vers eux, plutôt que vers d’autres experts qui auraient pu également proposer un discours
alternatif à celui des fonctionnaires de la SSA. D’après notre analyse, nous pouvons faire
l’hypothèse que ce sont eux qui se sont imposés car c’était eux qui étaient déjà bien implantés
dans la production des savoirs sur la protection maladie.
La forte présence d’un discours alternatif à celui des experts jusque-là en place, les
fonctionnaires de la SSA, pourrait bien par ailleurs être en lui-même un facteur au
changement de paradigme. Dans un article de 2013 s’interrogeant sur le non changement
après 2008, Peter Hall invoquait justement l’absence de discours cohérent disponible pour les
décideurs (Hall, 2013). Cette hypothèse mériterait d’être développée plus avant ; elle pointe
néanmoins elle aussi l’importance de tenir compte du contexte intellectuel (espace
académique et de l’expertise) et des conditions de production et de diffusion des savoirs pour
comprendre le changement – ou le non changement – dans les politiques publiques.
Figure 2 Dynamique des relations entre l’espace de l’expertise, l’espace académique et
l’espace politique (1950s-1970s)
21
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