10 tendances à surveiller
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10 tendances à surveiller
DOSSIER : PREMIUM 38 39 Technologies de l’information 10 tendances à surveiller Face à l’accélération technologique, les dirigeants d’entreprise ont tout intérêt à surveiller ces dix tendances, qui leur permettront non seulement de se réinventer, mais aussi de conserver une longueur d’avance sur leurs concurrents les plus novateurs. . Auteurs : Jacques Bughin, Michael Chui et James Manyika McKinsey Quarterly Le paysage technologique évolue à un rythme effarant. Par exemple, en un peu plus de deux ans, la taille de Facebook a quintuplé, et son réseau compte désormais plus de 500 millions d’utilisateurs ; quelque quatre milliards de personnes se servent maintenant d’un cellulaire, et 450 millions d’entre elles restent connectées à Internet. Le mode de déploiement des technologies change également : des nouveautés comme les univers virtuels et l’informatique en nuage modifient, dans les entreprises, les façons d’organiser les budgets et les ressources en matière de technologies, tout en offrant aux consommateurs de nouvelles manières d’utiliser biens et services et, aux entreprises, d’autres possibilités de rentabiliser leur modèle d’affaires. Nous avons donc tenté de décortiquer les effets de ces changements qui touchent les entreprises aujourd’hui de plus en plus propulsées par les technologies, et nous avons ainsi défini dix grandes tendances. Ces bouleversements, en plus d’obliger à revoir les stratégies d’affaires dans bon nombre d’industries, multiplient les nouveaux moyens de gérer les compétences et les actifs, et servent de catalyseurs à une nouvelle vision des structures organisationnelles. Il ne suffit pas, pour les dirigeants d’entreprise, de comprendre ces dix tendances : ils doivent également adopter une approche de gestion qui aidera leur organisation à répondre aux nouveaux besoins qu’elles impliquent. Illustration : Michael Cho X 39 DOSSIER : Technologies de l’information Tendance Tendance 1 2 L’ère de la cocréation Des structures organisationnelles plus ouvertes La mise sur pied de communautés d’internautes qui contribuent à la conception, à la mise en marché et à la promotion de produits et de services était il y a quelques années à peine une pratique commerciale marginale; elle est aujourd’hui devenue une stratégie de masse. L’avenir de cette pratique est déjà bien tracé, puisque 70 % des cadres que nous avons récemment interrogés ont affirmé que leur entreprise crée régulièrement de la valeur grâce à des communautés Web, et que plus de 68 millions de blogueurs publient régulièrement des analyses et des recommandations sur des produits et services. Intuit est une entreprise qui réussit bien à exploiter le Web pour élargir sa portée, tout en réduisant le coût de son service à la clientèle. Elle héberge des communautés de soutien à la clientèle pour tous ses logiciels de services financiers et fiscaux, où des clients expérimentés offrent conseils et appui à ceux qui en ont besoin. Les intervenants les plus actifs se font rapidement connaître, grâce au système qui affiche le nombre de questions auxquelles ils ont répondu et de remerciements qu’ils ont reçus. Selon nos estimations, quand une communauté de clients règle elle-même un problème, le coût par contact représente à peine 10 % de celui qu’implique l’utilisation d’un centre d’appels traditionnel pour résoudre un problème semblable. Bien sûr, il y a aussi des échecs cuisants. Des entreprises bâclent en effet la première étape de ce processus, celle qui permet de trouver des participants potentiels ayant les compétences et la motivation voulues pour collaborer avec elles à long terme. De plus, puisque la cocréation est un processus interactif, les entreprises doivent comprendre qu’il est nécessaire qu’elles réagissent adéquatement aux interventions des internautes pour stimuler leur participation et leur engagement. Elles doivent proposer également des incitatifs appropriés, en sachant que les cocréateurs valorisent davantage la réputation que l’argent. Enfin, il faut établir un degré élevé de confiance entre une entreprise et la communauté d’internautes qui l’appuie si l’on veut que les meilleurs y participent activement. Au cours de recherches antérieures, nous avions constaté que le Web obligeait de plus en plus les entreprises à éliminer certaines de leurs barrières et à permettre à des personnes de l’extérieur (c’est-à-dire autres que leurs employés) d’offrir leur expertise de façon inédite. Mais de nombreuses entreprises vont beaucoup plus loin. La dernière récession a d’ailleurs mis en évidence l’importance de cette nécessaire souplesse pour mieux gérer les tempêtes économiques. En conséquence, nous croyons que les entreprises qui misent sur une structure organisationnelle plus perméable devront articuler le travail autour des tâches essentielles plutôt que de tenter de rattacher celles-ci à la structure organisationnelle en place. Ainsi, Dow Chemical a élaboré un réseau social, auquel participent entre autres d’anciens employés maintenant à la retraite, pour aider ses dirigeants à dénicher les compétences dont ils ont besoin afin de mener à bien certains projets importants. D’autres entreprises exploitent différents réseaux pour accéder à des banques de compétences à l’externe : la section Mechanical Turk d’Amazon.com, ou encore des services de concours, comme Innocentive et Zooppa, peuvent ainsi contribuer à combler un manque de ressources. Toutefois, cette nouvelle pratique ne peut être efficace que si l’on accepte de changer ses habitudes managériales. Un bon moyen pour y arriver consiste à créer d’abord des programmes pilotes qui, par exemple, mettent en contact une entreprise avec des personnes compétentes à l’externe, en suivant des règles bien établies au départ ; par la suite, l’entreprise ainsi déployée en réseau devra se concentrer sur l’orchestration des tâches plutôt que tenter de s’approprier les compétences de ses collaborateurs externes. PREMIUM Tendance 3 40 L’avis de l’expert La collaboration à grande échelle Les technologies collaboratives qui promettent d’améliorer l’efficacité des employés sont en plein essor. Les wikis et les blogues font maintenant partie des outils de masse, et l’utilisation de la vidéoconférence sur Internet est appelée à court terme à croître de 20 % par année. Parmi les exemples les plus intéressants, on peut citer les services secrets américains qui, grâce à des wikis et à des blogues, partagent de plus en plus de documents avec des analystes provenant d’autres agences (en mettant en place, cela va de soi, des mesures de sécurité appropriées). Résultat ? L’information circule beaucoup plus vite entre les différents pays, et chacun accède plus facilement à l’expertise de l’ensemble de la communauté internationale des services d’espionnage. De son côté, la société d’ingénierie américaine Bechtel a créé, afin d’appuyer des projets internationaux, une base de données centralisée dont la particularité est d’être à collaboration libre et de recueillir des renseignements touchant le design et l’ingénierie. Les ingénieurs qui s’attaquent à de nouveaux projets ont vite constaté que cette base de données réduit les coûts et accélère la réalisation des projets, puisqu’ils y trouvent jusqu’à 25 % du matériel dont ils ont besoin pour faire leur travail. Afin de s’approprier cette nouvelle pratique, les entreprises doivent avant tout bien saisir comment le savoir circule. Tout d’abord, elles peuvent répertorier les canaux informels qu’emprunte l’information, ainsi que les modes d’interaction qu’utilisent les employés — et, bien sûr, éviter les goulots d’étranglement. Par la suite, une bonne utilisation des technologies — déjà en place ou à acquérir — et la formation adéquate des employés permettront d’accroître la productivité de ces travailleurs du savoir. Des choix stratégiques, comme la décision d’intégrer ou non au réseau les clients et les fournisseurs, joueront un rôle déterminant dans le succès de l’implantation de cette nouvelle pratique. Illustrations : Martin Gagnon William Dutton Directeur, Oxford Internet Institute, université d’Oxford, Royaume-Uni « Le plus grand changement qui touche actuellement les entreprises, c’est le degré de contrôle qu’ont les individus sur les modalités de réseautage, tant au sein de l’organisation qu’à l’extérieur. C’est une véritable révolution, comparable à celle qu’a déclenchée l’arrivée des ordinateurs personnels au début des années 1980. « Internet permet à tout le monde de se construire des réseaux informels, dans l’entreprise où on travaille comme à l’extérieur. Les chefs d’entreprise doivent saisir l’occasion qu’offre ce changement majeur pour donner plus de responsabilités au personnel de première ligne, en contact avec la clientèle, parce que c’est une façon de permettre aux personnes les mieux informées de prendre des décisions qui seront souvent meilleures que celles que prendrait la haute direction. Autre avantage : les organisations collaboratives qui misent sur Internet favorisent la diffusion de l’information à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur de leur organisation, ce qui élargit les frontières de l’entreprise. « Malheureusement, plusieurs entreprises continuent de faire comme si leurs employés n’étaient pas branchés en réseau : elles se concentrent sur leurs propres systèmes organisationnels et sur les réseaux institutionnels traditionnels. Comme ce nouveau phénomène leur échappe, elles ont alors tendance à y résister en installant plus de barrières au lieu d’en profiter pour s’ouvrir davantage aux apports extérieurs. » 41 DOSSIER : Technologies de l’information Tendance 4 Les débuts de l’« internétisation » Aujourd’hui, les individus ne sont plus les seuls acteurs qui interviennent dans les systèmes d’information des entreprises : les capteurs sont des outils qui peuvent maintenant euxmêmes enregistrer des images, les traiter par ordinateur, et générer et communiquer de l’information à leur sujet — ce que nous appelons « internétisation des objets ». Ces capteurs sont déjà utilisés de multiples façons : dans les voitures, où ils aident les assureurs à établir leurs prix et les conducteurs, à éviter des accidents ; en médecine, où, reliés à des patients, ils aident les médecins à modifier rapidement leurs traitements ; ou encore dans les usines, où ils permettent d’ajuster automatiquement certaines opérations. On commence à peine à explorer les applications possibles de cette technologie et leur incidence sur le fonctionnement des entreprises. Les applications qui visent l’optimisation des processus ou de la consommation d’énergie constituent de bons bancs d’essai. Pour ce qui est des applications plus complexes, des expériences en laboratoire, des projets pilotes à petite échelle et des partenariats avec des entreprises qui utilisent déjà cette technologie seront très utiles. L’avis de l’expert Kris Pister Professeur, université de Californie à Berkeley, États-Unis, et inventeur de l’expression smart dust (particules intelligentes), qui fait référence aux nœuds d’à peine quelques millimètres des réseaux sans fil « Quand on pense maintenant à l’“ internétisation ” des objets, on ne pose plus la question “ est-ce que ça marche vraiment ? ”, mais plutôt “ où, quand et comment est-il avantageux d’y avoir recours ? ”. D’ailleurs, j’ai été le premier surpris de voir que c’est dans le domaine de l’automatisation industrielle qu’on a d’abord utilisé les particules intelligentes : les raffineries, les papetières, les entreprises de traitement des produits chimiques et des eaux usées ont été les premières à utiliser les capteurs sans fil, ce qui leur a permis d’améliorer la productivité et la sécurité, tout en réduisant les temps d’arrêt. De nos jours, tout est câblé, mais il y a fort à parier que le sans-fil prendra la relève, par exemple dans la surveillance des chaînes d’approvisionnement, qui sera ainsi beaucoup plus facile et efficace. C’est la capacité de repérage en temps réel que procurera la nouvelle génération de capteurs sans fil qui entraînera probablement le prochain changement majeur. Les services qui utilisent le repérage et les capacités des cellulaires et d’autres technologies en la matière sont sur le point d’être multipliés par dix, voire par 1 000. Ça permettra de fusionner des bases de données existantes avec des renseignements de repérage venant d’un cellulaire, des données météo et des données historiques provenant de capteurs sans fil. Grâce à l’analyse de l’ensemble de ces informations, on pourra résoudre des problèmes pas toujours évidents — comme trouver un espace de stationnement. Et on sera sûrement surpris de voir qu’il y aura des tas d’autres possibilités.» PREMIUM Tendance 5 L’exploitation de vastes bases de données Les données disponibles sur une foule de sujets se multiplient à un rythme jamais vu — elles doublent tous les 18 mois ! —, et la technologie qui permet d’en tirer profit est largement disponible et à des coûts ridiculement bas. Pourtant, peu d’entreprises font l’effort de s’y intéresser vraiment, même si l’on sait que cela permet de prendre des décisions plus éclairées ou de lancer avec succès de nouveaux produits ou services. Amazon.com, eBay et Google ont été des précurseurs dans ce domaine. Elles ont analysé des tonnes de données afin de choisir, par exemple, l’endroit où placer les boutons dans une page Web ou la séquence à suivre pour permettre d’afficher du contenu. Le commerce de gros en ligne FreshDirect ajuste ainsi ses prix et ses promotions quotidiennement (et parfois même plus d’une fois par jour), en fonction des données qu’il recueille à partir des transactions qui sont faites en ligne, des visites sur son site Web et des échanges entre les internautes et le service à la clientèle. La plupart des entreprises sont encore bien loin de se servir de toutes les données disponibles qui pourraient leur être utiles. Certaines ne maîtrisent même pas les technologies nécessaires pour saisir et analyser l’information à laquelle elles ont déjà accès ; d’autres, plus souvent, n’ont pas développé les habiletés qui leur permettraient de tirer la valeur que cette mer de données pourrait représenter, parce que cela exige de modifier en profondeur la manière dont certains cadres prennent leurs décisions. Du coup, plusieurs dirigeants d’entreprise continuent de miser sur l’intuition et l’expérience, plutôt que de se servir des faits recueillis sur le terrain et de faire une analyse rigoureuse de cette information. Pour modifier ces façons de faire, il faut d’abord que la haute direction reconnaisse la valeur de l’expérimentation et que les cadres supérieurs se mettent eux-mêmes en mode d’apprentissage par essaiserreurs, en devenant ainsi des modèles auprès de l’ensemble des employés. 42 L’avis de l’expert Hal Varian Économiste en chef, Google « Dans les années 1980, c’est quand on voulait augmenter l’efficacité des processus de fabrication qu’on parlait d’amélioration continue. Désormais, l’amélioration continue prend une autre signification : dans une entreprise, on peut utiliser des données recueillies en temps réel et automatiser les changements à apporter à une opération, qui découlent de cette information. « Évidemment, l’information brute n’est pas très utile. Il faut la convertir en données accessibles, manipulables, qu’on peut trier en fonction de certains besoins. Plus important encore, on doit transformer cette information en connaissances qui vont servir à la prise de décisions. Les entreprises qui le font ont d’emblée un net avantage concurrentiel. « On peut par exemple utiliser ce genre de données pour mener des expériences contrôlées, entre autres sur la façon d’optimiser les dépenses publicitaires. De tout temps, les entreprises se sont adonnées à des expérimentations, mais celles-ci coûtaient souvent très cher. Grâce à l’infrastructure informatique d’aujourd’hui, c’est bien plus facile. « L’intuition jouera toujours un rôle essentiel, mais l’important, c’est de ne pas s’en contenter quand on a les éléments nécessaires pour faire une analyse quantitative afin de régler un problème — la couleur de fond la plus appropriée pour une publicité, par exemple. Quand on a accès à ce genre de données, on n’a plus besoin d’y réfléchir longuement : il suffit de demander aux statisticiens de faire des calculs qui permettront d’obtenir la réponse qu’on cherche. C’est une façon de libérer les dirigeants pour qu’ils puissent se concentrer sur des éléments plus difficilement quantifiables. » 43 DOSSIER : Technologies de l’information Tendance Tendance 6 7 de nouveaux modèles d’affaires La création de nouveaux types de services Les modèles d’affaires à multiples facettes sont un moyen de créer de la valeur grâce aux liens qui se nouent entre de nombreux acteurs plutôt qu’entre deux personnes seulement. Pour bien comprendre ce système, il suffit de prendre l’exemple de l’évolution des médias et de la publicité. Traditionnellement, les journaux, les magazines, la radio et la télé offrent à leur clientèle du contenu que celle-ci paie un certain prix, mais tirent la plus grande partie de leurs revenus des annonceurs. Le Web a changé la donne, puisqu’on peut maintenant offrir gratuitement du contenu, auquel se greffe de la pub achetée par des entreprises qui y voient une occasion de rejoindre leur clientèle. Les progrès technologiques ont aussi donné naissance à d’autres formes de modèles d’affaires à multiples facettes : c’est le cas d’entreprises qui revendent à d’autres des informations sur leur clientèle. Prenons le cas de Sermo, une communauté en ligne de médecins à laquelle il est possible de participer gratuitement; les membres peuvent poser des questions aux autres, participer à des groupes de discussion et avoir accès à des articles scientifiques. Des tiers, comme les sociétés pharmaceutiques, des organismes du domaine de la santé, des institutions financières et des instances gouvernementales, paient ainsi pour avoir accès aux échanges anonymes et pour sonder les membres de la communauté. Bien entendu, les modèles d’affaires à multiples facettes ne conviennent pas à tout le monde. Mais, pour les entreprises qui peuvent en bénéficier, un bon point de départ consiste à dresser l’inventaire de toutes les données que leurs activités génèrent (en particulier celles qui proviennent des échanges avec la clientèle), puis à se demander qui pourrait trouver ces renseignements utiles. « Qu’arriverait-il si on offrait gratuitement tel produit ou service ? » ou « Qu’arriverait-il si un concurrent le faisait avant nous ? » : voilà d’autres questions dont les réponses peuvent fournir de bonnes indications sur les possibilités d’évolution du modèle d’affaires d’une entreprise, mais aussi sur les vulnérabilités de celle-ci. La technologie permet maintenant de suivre, de mesurer, de personnaliser et de facturer l’utilisation de produits ou de services d’une façon beaucoup plus précise qu’auparavant. Les entreprises sont donc désormais en mesure d’offrir de nouveaux types de services liés à ce qu’ils vendent traditionnellement à titre de produits. Ainsi, les consommateurs aiment le modèle de l’utilisateur-payeur, qui peut leur éviter des dépenses importantes, en plus d’éliminer le souci d’acheter et d’entretenir un produit. Quant aux entreprises, cela fait aussi leur affaire, parce qu’elles peuvent ainsi ne choisir que les services dont elles ont besoin, et les comptabiliser comme des coûts variables. L’informatique en nuage, par exemple, qui permet d’accéder à des ressources informatiques par l’intermédiaire de réseaux plutôt qu’en faisant tourner ses propres logiciels et son propre disque dur, est un très bon exemple de ce nouveau type de services, et elle est de plus en plus populaire dans le monde. Les consommateurs apprécient d’emblée les services en nuage offerts sur Internet pour à peu près n’importe quel type d’applications — du courriel aux vidéos —, et les entreprises commencent à leur emboîter le pas. La firme de biotechnologie Genentech utilise ainsi Google Apps comme service de courriels, et aussi pour créer des documents et des fichiers de travail, éliminant ainsi l’investissement dans des serveurs et des licences d’utilisation de logiciels. Du coup, son approche des TI a radicalement changé, que ce soit pour l’infrastructure, les plateformes, les applications ou le contenu. PREMIUM Tendance 8 44 L’avis de l’expert Les TI au service du développement durable Les TI sont une source importante d’émissions polluantes, mais aussi un instrument clé pour concevoir des mesures de protection de l’environnement. À l’heure actuelle, la part des TI sur l’empreinte écologique mondiale est en hausse, en raison de la demande croissante d’ordinateurs et d’autres appareils électroniques. De plus, la production d’électricité pour alimenter les centres de données du monde entier génère des gaz à effet de serre et ces émissions risquent de quadrupler d’ici 2020. Une recherche de McKinsey a montré, toutefois, que l’utilisation des TI dans des domaines comme les réseaux électriques intelligents et la domotique pourrait éliminer jusqu’à cinq fois la quantité de gaz carbonique émis par l’industrie des TI. Dans les entreprises, actuellement, on commence à travailler à diminuer l’impact écologique des TI. Certaines prennent des mesures pour réduire les besoins en énergie du nombre toujours grandissant de serveurs requis pour traiter les données générées par de nouvelles pratiques, comme la cocréation et l’internétisation : c’est ce qu’on appelle des centres de données verts. Ceux-ci s’appuient sur diverses technologies, comme les logiciels de virtualisation (qui permettent de mieux répartir les tâches des serveurs), le refroidissement de l’air ambiant des centres de données (pour réduire la consommation d’énergie) et l’hydroélectricité (renouvelable et peu coûteuse). Mais là où les TI peuvent jouer un plus grand rôle encore, c’est dans leur capacité à réduire le stress environnemental causé par des activités comme le transport, par exemple, puisque de puissants logiciels peuvent maintenant améliorer la logistique complexe dans ce secteur — l’itinéraire des avions, des trains et des camions, entre autres — et ainsi réduire l’empreinte écologique de cette industrie. De la même façon, des compteurs intelligents aident les consommateurs à utiliser moins d’électricité en période de pointe. Rob Bernard Chef de la stratégie environnementale, Microsoft « Quand il y a de graves problèmes environnementaux, on se tourne souvent vers les technologies de l’avenir ; pourtant, on devrait d’abord commencer par profiter pleinement de celles qui existent déjà. Par exemple, si seulement 10 % à 15 % des immeubles sont dotés actuellement de compteurs intelligents, on n’a pas besoin d’attendre que ceux-ci soient plus répandus pour en tirer un meilleur parti. « Internet et les autres infrastructures de TI existantes peuvent nous aider à mieux évaluer et comprendre notre consommation d’énergie, et à modifier nos comportements énergivores : on pourrait ainsi réduire de plus de 30 % notre consommation d’énergie. On peut aussi mieux exploiter les possibilités qu’offrent nos cellulaires, qui contiennent nos horaires et permettent de nous retracer grâce à la technologie GPS : pourquoi, alors, ne pas utiliser ces données qui, une fois communiquées au système qui contrôle la température et l’éclairage de l’immeuble à bureaux où on travaille, lui permettraient, quand on n’y est pas, de s’ajuster en conséquence ? « Dans le même ordre d’idées, l’industrie des TI a fait preuve d’une remarquable efficacité pour relier des informations disparates à l’intérieur de réseaux de données, grâce à des outils de collaboration en ligne ou à des services Web comme Facebook. On pourrait aussi utiliser ces moyens à des fins écologiques, par exemple pour inciter des personnes d’un même réseau social et vivant à proximité les unes des autres à faire du covoiturage. » 45 DOSSIER : Technologies de l’information Tendance L’avis de l’expert 9 L’innovation qui vient de la base Rob Salkowitz Auteur de Young World Rising: How Youth, Technology, and Entrepreneurship Are Changing the World from the Bottom Up (Microsoft Executive Leadership Series, 2010) « Un des éléments essentiels de l’innovation sur les marchés émergents est la vitesse à laquelle un fort pourcentage de jeunes adoptent les nouvelles technologies. Dans le cadre de mon travail, j’ai presque tout vu : des jeunes entrepreneurs du Ghana qui utilisent le système de messagerie de leur cellulaire afin de combattre la contrefaçon pharmaceutique, et des entrepreneurs indiens qui développent des applications mobiles pour offrir aux producteurs locaux des données très utiles sur les conditions du marché. « Ces jeunes innovateurs, qui connaissent bien les marchés locaux, tirent profit du faible coût, de la simplicité et de l’accessibilité des nouvelles technologies, et bâtissent ainsi de nouveaux modèles d’affaires. Je pense par exemple à un développeur de logiciels africain qui a donné le nom de “ Tolérance tropicale ” au produit qu’il a créé, si robuste qu’il peut compenser les failles de l’infrastructure, le manque de compétences dans les milieux de travail et le manque de transparence de l’État. « À mesure que les TI se développent dans des pays comme le Brésil, l’Inde, le Mexique, l’Afrique du Sud et le Vietnam, on voit surgir de nouveaux modèles d’affaires et de nouveaux débouchés. Les multinationales peuvent ainsi apprendre beaucoup rien qu’en observant ce qu’y font les jeunes innovateurs. » S’adapter devient une nécessité dans certaines situations extrêmes — demande de la clientèle pour de très bas prix, mauvaise infrastructure, fournisseurs difficiles d’accès, etc. Hors des grands centres en Afrique, par exemple, implanter un réseau bancaire traditionnel est impossible, parce que les clients potentiels ont de très faibles revenus et n’ont parfois pas les documents nécessaires pour ouvrir un compte. C’est pourquoi Safaricom, un fournisseur de services téléphoniques, a décidé d’offrir des services bancaires grâce à son service de téléphonie mobile ; cela permet de plus à un réseau de boutiques et de stations-service qui vendent du temps d’antenne de télécommunications de télécharger de l’argent virtuel sur les cellulaires de leurs clients. Plusieurs PME de par le monde ont de la difficulté à trouver des sous-traitants chinois capables de répondre à des besoins bien précis. Alibaba, le leader des échanges commerciaux interentreprises en Chine, avec plus de 30 millions de membres, tire profit de cette situation en offrant des services comme le partage de données entre partenaires chinois et étrangers et le paiement en ligne. En fait, la mondialisation des affaires et du commerce ainsi que l’évolution foudroyante des TI mettent en concurrence les entreprises du monde entier, y compris celles des pays émergents et celles des pays développés. Pour la plupart des entreprises déjà bien établies des pays développés, il s’agit d’un nouveau type de concurrence : non seulement les nouveaux venus menacent les plans de croissance des acteurs dominants sur les marchés émergents, mais ils exportent aussi leurs modèles d’affaires sur les marchés matures. C’est pourquoi certaines multinationales, comme GE, établissent des centres de recherche dans des pays émergents, afin de profiter de toutes ces nouvelles compétences. D’autres, comme Philips, investissent plutôt dans des entreprises locales pour concevoir de nouveaux produits novateurs destinés à l’exportation, qui viendront compléter leurs principales activités. PREMIUM Tendance 46 10 Du nouveau en urbanisme Au cours des années à venir, la technologie facilitera la création de nouveaux types de biens collectifs et contribuera à les gérer plus efficacement. Considérons par exemple le défi majeur que constitue le développement des villes à l’échelle de la planète : la moitié de la population mondiale vit déjà dans les villes, et ce chiffre devrait grimper à 70 % d’ici 2050. Intégrer davantage l’utilisation des TI à la gestion des villes de plus en plus denses pourrait faciliter la vie de leurs habitants. Déjà, Londres, Singapour et Stockholm utilisent des systèmes électroniques intelligents pour fluidifier la circulation automobile ; d’autres se servent de systèmes similaires pour améliorer l’efficacité de leurs transports en commun. La technologie peut aussi améliorer la prestation de différents services publics. Aujourd’hui, des forces de police se servent de caméras vidéo et de logiciels d’identification des personnes pour enrayer la criminalité dans certains quartiers. Dans d’autres domaines, il est possible d’appliquer des mesures plus transparentes et plus efficaces grâce à des projets qui s’appuient sur l’échange de données : au Royaume-Uni, le site Web FixMyStreet.com permet à des citoyens de signaler des problèmes comme les graffitis ou la mise au rebut illégale de déchets, et d’en parler avec d’autres. Le rythme des changements technologiques ira croissant dans les années à venir, si bien que ces dix tendances gagneront en importance. Pour certaines entreprises, cela se traduira par d’importants avantages concurrentiels, et, pour d’autres, par un défi de taille face aux effets parfois déstabilisants. Toutefois, notre message est simple : peu importe leur situation, les entreprises devraient s’efforcer d’intégrer une bonne compréhension de ces tendances à leur modèle stratégique, afin de trouver de nouveaux débouchés, d’inventer de nouveaux modèles d’affaires et de rester concurrentielles malgré le nombre sans cesse croissant de rivaux innovateurs. 47 Jacques Bughin est associé directeur du bureau de Bruxelles de McKinsey. Michael Chui est directeur de projets au McKinsey Global Institute. James Manyika est associé directeur de McKinsey ainsi qu’au bureau de San Francisco et du McKinsey Global Institute. adapté de : Ce magazine d’affaires est publié par McKinsey & Company, une firme de consultants en management qui a pour ambition de « former des leaders exceptionnels » partout dans le monde.