10 tendances à surveiller

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10 tendances à surveiller
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Technologies de l’information
10 tendances
à surveiller
Face à l’accélération technologique, les dirigeants d’entreprise ont tout intérêt à surveiller
ces dix tendances, qui leur permettront non seulement de se réinventer, mais aussi de conserver
une longueur d’avance sur leurs concurrents les plus novateurs.
.
Auteurs : Jacques Bughin, Michael Chui et James Manyika
McKinsey Quarterly
Le paysage technologique évolue à un rythme effarant. Par exemple, en un
peu plus de deux ans, la taille de Facebook a quintuplé, et son réseau compte désormais plus de 500 millions d’utilisateurs ; quelque quatre milliards de personnes
se servent maintenant d’un cellulaire, et 450 millions d’entre elles restent connectées à Internet. Le mode de déploiement des technologies change également : des
nouveautés comme les univers virtuels et l’informatique en nuage modifient, dans
les entreprises, les façons d’organiser les budgets et les ressources en matière
de technologies, tout en offrant aux consommateurs de nouvelles manières d’utiliser biens et services et, aux entreprises, d’autres possibilités de rentabiliser leur
modèle d’affaires.
Nous avons donc tenté de décortiquer les effets de ces changements qui touchent les entreprises aujourd’hui de plus en plus propulsées par les technologies,
et nous avons ainsi défini dix grandes tendances. Ces bouleversements, en plus
d’obliger à revoir les stratégies d’affaires dans bon nombre d’industries, multiplient
les nouveaux moyens de gérer les compétences et les actifs, et servent de catalyseurs à une nouvelle vision des structures organisationnelles. Il ne suffit pas, pour
les dirigeants d’entreprise, de comprendre ces dix tendances : ils doivent également
adopter une approche de gestion qui aidera leur organisation à répondre aux nouveaux besoins qu’elles impliquent.
Illustration : Michael Cho
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L’ère de
la cocréation
Des structures
organisationnelles
plus ouvertes
La mise sur pied de communautés d’internautes
qui contribuent à la conception, à la mise en marché et à la promotion de produits et de services
était il y a quelques années à peine une pratique
commerciale marginale; elle est aujourd’hui
devenue une stratégie de masse.
L’avenir de cette pratique est déjà bien tracé,
puisque 70 % des cadres que nous avons récemment interrogés ont affirmé que leur entreprise
crée régulièrement de la valeur grâce à des communautés Web, et que plus de 68 millions de blogueurs publient régulièrement des analyses et des
recommandations sur des produits et services.
Intuit est une entreprise qui réussit bien à exploiter le Web pour élargir sa portée, tout en
réduisant le coût de son service à la clientèle. Elle
héberge des communautés de soutien à la clientèle pour tous ses logiciels de services financiers
et fiscaux, où des clients expérimentés offrent
conseils et appui à ceux qui en ont besoin. Les intervenants les plus actifs se font rapidement
connaître, grâce au système qui affiche le nombre
de questions auxquelles ils ont répondu et de
remerciements qu’ils ont reçus. Selon nos
estimations, quand une communauté de clients
règle elle-même un problème, le coût par contact
représente à peine 10 % de celui qu’implique
l’utilisation d’un centre d’appels traditionnel
pour résoudre un problème semblable.
Bien sûr, il y a aussi des échecs cuisants. Des
entreprises bâclent en effet la première étape de
ce processus, celle qui permet de trouver des participants potentiels ayant les compétences et la
motivation voulues pour collaborer avec elles à
long terme. De plus, puisque la cocréation est un
processus interactif, les entreprises doivent comprendre qu’il est nécessaire qu’elles réagissent
adéquatement aux interventions des internautes
pour stimuler leur participation et leur engagement. Elles doivent proposer également des incitatifs appropriés, en sachant que les cocréateurs
valorisent davantage la réputation que l’argent.
Enfin, il faut établir un degré élevé de confiance
entre une entreprise et la communauté d’internautes qui l’appuie si l’on veut que les meilleurs
y participent activement.
Au cours de recherches antérieures, nous avions
constaté que le Web obligeait de plus en plus les
entreprises à éliminer certaines de leurs barrières et à permettre à des personnes de l’extérieur
(c’est-à-dire autres que leurs employés) d’offrir
leur expertise de façon inédite. Mais de nombreuses entreprises vont beaucoup plus loin. La
dernière récession a d’ailleurs mis en évidence
l’importance de cette nécessaire souplesse pour
mieux gérer les tempêtes économiques. En
conséquence, nous croyons que les entreprises
qui misent sur une structure organisationnelle
plus perméable devront articuler le travail
autour des tâches essentielles plutôt que de tenter de rattacher celles-ci à la structure organisationnelle en place.
Ainsi, Dow Chemical a élaboré un réseau social, auquel participent entre autres d’anciens
employés maintenant à la retraite, pour aider ses
dirigeants à dénicher les compétences dont ils
ont besoin afin de mener à bien certains projets
importants. D’autres entreprises exploitent différents réseaux pour accéder à des banques de
compétences à l’externe : la section Mechanical
Turk d’Amazon.com, ou encore des services de
concours, comme Innocentive et Zooppa, peuvent ainsi contribuer à combler un manque de
ressources.
Toutefois, cette nouvelle pratique ne peut
être efficace que si l’on accepte de changer ses
habitudes managériales. Un bon moyen pour y
arriver consiste à créer d’abord des programmes
pilotes qui, par exemple, mettent en contact
une entreprise avec des personnes compétentes
à l’externe, en suivant des règles bien établies
au départ ; par la suite, l’entreprise ainsi
déployée en réseau devra se concentrer sur
l’orchestration des tâches plutôt que tenter de
s’approprier les compétences de ses collaborateurs externes.
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L’avis de l’expert
La collaboration
à grande échelle
Les technologies collaboratives qui promettent
d’améliorer l’efficacité des employés sont en
plein essor. Les wikis et les blogues font maintenant partie des outils de masse, et l’utilisation de
la vidéoconférence sur Internet est appelée à
court terme à croître de 20 % par année.
Parmi les exemples les plus intéressants, on
peut citer les services secrets américains qui,
grâce à des wikis et à des blogues, partagent de
plus en plus de documents avec des analystes
provenant d’autres agences (en mettant en
place, cela va de soi, des mesures de sécurité
appropriées). Résultat ? L’information circule
beaucoup plus vite entre les différents pays, et
chacun accède plus facilement à l’expertise de
l’ensemble de la communauté internationale des
services d’espionnage.
De son côté, la société d’ingénierie américaine Bechtel a créé, afin d’appuyer des projets
internationaux, une base de données centralisée
dont la particularité est d’être à collaboration
libre et de recueillir des renseignements touchant le design et l’ingénierie. Les ingénieurs qui
s’attaquent à de nouveaux projets ont vite
constaté que cette base de données réduit les
coûts et accélère la réalisation des projets,
puisqu’ils y trouvent jusqu’à 25 % du matériel
dont ils ont besoin pour faire leur travail.
Afin de s’approprier cette nouvelle pratique,
les entreprises doivent avant tout bien saisir
comment le savoir circule. Tout d’abord, elles
peuvent répertorier les canaux informels qu’emprunte l’information, ainsi que les modes
d’interaction qu’utilisent les employés — et,
bien sûr, éviter les goulots d’étranglement. Par
la suite, une bonne utilisation des technologies
— déjà en place ou à acquérir — et la formation
adéquate des employés permettront d’accroître
la productivité de ces travailleurs du savoir. Des
choix stratégiques, comme la décision d’intégrer
ou non au réseau les clients et les fournisseurs,
joueront un rôle déterminant dans le succès de
l’implantation de cette nouvelle pratique.
Illustrations : Martin Gagnon
William Dutton
Directeur, Oxford Internet Institute,
université d’Oxford, Royaume-Uni
« Le plus grand changement qui touche
actuellement les entreprises, c’est le degré de
contrôle qu’ont les individus sur les modalités de
réseautage, tant au sein de l’organisation qu’à
l’extérieur. C’est une véritable révolution,
comparable à celle qu’a déclenchée l’arrivée des
ordinateurs personnels au début des années 1980.
« Internet permet à tout le monde de se
construire des réseaux informels, dans l’entreprise
où on travaille comme à l’extérieur. Les chefs
d’entreprise doivent saisir l’occasion qu’offre ce
changement majeur pour donner plus de responsabilités au personnel de première ligne, en contact
avec la clientèle, parce que c’est une façon de
permettre aux personnes les mieux informées de
prendre des décisions qui seront souvent meilleures
que celles que prendrait la haute direction. Autre
avantage : les organisations collaboratives qui
misent sur Internet favorisent la diffusion de
l’information à l’intérieur, mais aussi à l’extérieur
de leur organisation, ce qui élargit les frontières
de l’entreprise.
« Malheureusement, plusieurs entreprises
continuent de faire comme si leurs employés
n’étaient pas branchés en réseau : elles se concentrent sur leurs propres systèmes organisationnels
et sur les réseaux institutionnels traditionnels.
Comme ce nouveau phénomène leur échappe,
elles ont alors tendance à y résister en installant
plus de barrières au lieu d’en profiter pour s’ouvrir
davantage aux apports extérieurs. »
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DOSSIER : Technologies
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Les débuts de
l’« internétisation »
Aujourd’hui, les individus ne sont plus les seuls
acteurs qui interviennent dans les systèmes
d’information des entreprises : les capteurs
sont des outils qui peuvent maintenant euxmêmes enregistrer des images, les traiter par
ordinateur, et générer et communiquer de
l’information à leur sujet — ce que nous
appelons « internétisation des objets ». Ces capteurs sont déjà utilisés de multiples façons : dans
les voitures, où ils aident les assureurs à établir
leurs prix et les conducteurs, à éviter des accidents ; en médecine, où, reliés à des patients, ils
aident les médecins à modifier rapidement leurs
traitements ; ou encore dans les usines, où ils
permettent d’ajuster automatiquement certaines opérations. On commence à peine à explorer
les applications possibles de cette technologie
et leur incidence sur le fonctionnement des
entreprises.
Les applications qui visent l’optimisation des
processus ou de la consommation d’énergie
constituent de bons bancs d’essai. Pour ce
qui est des applications plus complexes, des
expériences en laboratoire, des projets pilotes à
petite échelle et des partenariats avec des entreprises qui utilisent déjà cette technologie seront
très utiles.
L’avis de l’expert
Kris Pister
Professeur, université de Californie à Berkeley,
États-Unis, et inventeur de l’expression
smart dust (particules intelligentes), qui fait
référence aux nœuds d’à peine quelques
millimètres des réseaux sans fil
« Quand on pense maintenant à l’“ internétisation ” des objets, on ne pose plus la question
“ est-ce que ça marche vraiment ? ”, mais plutôt
“ où, quand et comment est-il avantageux d’y
avoir recours ? ”. D’ailleurs, j’ai été le premier
surpris de voir que c’est dans le domaine de
l’automatisation industrielle qu’on a d’abord
utilisé les particules intelligentes : les raffineries,
les papetières, les entreprises de traitement des
produits chimiques et des eaux usées ont été les
premières à utiliser les capteurs sans fil, ce qui
leur a permis d’améliorer la productivité et la
sécurité, tout en réduisant les temps d’arrêt.
De nos jours, tout est câblé, mais il y a fort à
parier que le sans-fil prendra la relève, par
exemple dans la surveillance des chaînes
d’approvisionnement, qui sera ainsi beaucoup
plus facile et efficace. C’est la capacité de
repérage en temps réel que procurera la nouvelle
génération de capteurs sans fil qui entraînera
probablement le prochain changement majeur.
Les services qui utilisent le repérage et les
capacités des cellulaires et d’autres technologies
en la matière sont sur le point d’être multipliés
par dix, voire par 1 000. Ça permettra de
fusionner des bases de données existantes avec
des renseignements de repérage venant d’un
cellulaire, des données météo et des données
historiques provenant de capteurs sans fil. Grâce
à l’analyse de l’ensemble de ces informations,
on pourra résoudre des problèmes pas toujours
évidents — comme trouver un espace de
stationnement. Et on sera sûrement surpris de
voir qu’il y aura des tas d’autres possibilités.»
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L’exploitation
de vastes
bases de données
Les données disponibles sur une foule de sujets se
multiplient à un rythme jamais vu — elles doublent tous les 18 mois ! —, et la technologie qui
permet d’en tirer profit est largement disponible
et à des coûts ridiculement bas. Pourtant, peu
d’entreprises font l’effort de s’y intéresser vraiment, même si l’on sait que cela permet de prendre des décisions plus éclairées ou de lancer avec
succès de nouveaux produits ou services.
Amazon.com, eBay et Google ont été des
précurseurs dans ce domaine. Elles ont analysé
des tonnes de données afin de choisir, par exemple, l’endroit où placer les boutons dans une page
Web ou la séquence à suivre pour permettre d’afficher du contenu. Le commerce de gros en ligne
FreshDirect ajuste ainsi ses prix et ses promotions
quotidiennement (et parfois même plus d’une fois
par jour), en fonction des données qu’il recueille
à partir des transactions qui sont faites en ligne,
des visites sur son site Web et des échanges entre
les internautes et le service à la clientèle.
La plupart des entreprises sont encore bien
loin de se servir de toutes les données disponibles
qui pourraient leur être utiles. Certaines ne maîtrisent même pas les technologies nécessaires
pour saisir et analyser l’information à laquelle
elles ont déjà accès ; d’autres, plus souvent, n’ont
pas développé les habiletés qui leur permettraient
de tirer la valeur que cette mer de données pourrait représenter, parce que cela exige de modifier
en profondeur la manière dont certains cadres
prennent leurs décisions. Du coup, plusieurs
dirigeants d’entreprise continuent de miser sur
l’intuition et l’expérience, plutôt que de se servir
des faits recueillis sur le terrain et de faire une
analyse rigoureuse de cette information. Pour
modifier ces façons de faire, il faut d’abord que la
haute direction reconnaisse la valeur de l’expérimentation et que les cadres supérieurs se mettent
eux-mêmes en mode d’apprentissage par essaiserreurs, en devenant ainsi des modèles auprès de
l’ensemble des employés.
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L’avis de l’expert
Hal Varian
Économiste en chef, Google
« Dans les années 1980, c’est quand on voulait
augmenter l’efficacité des processus de
fabrication qu’on parlait d’amélioration continue.
Désormais, l’amélioration continue prend une
autre signification : dans une entreprise, on peut
utiliser des données recueillies en temps réel et
automatiser les changements à apporter à une
opération, qui découlent de cette information.
« Évidemment, l’information brute n’est pas
très utile. Il faut la convertir en données
accessibles, manipulables, qu’on peut trier en
fonction de certains besoins. Plus important
encore, on doit transformer cette information en
connaissances qui vont servir à la prise de
décisions. Les entreprises qui le font ont d’emblée
un net avantage concurrentiel.
« On peut par exemple utiliser ce genre de
données pour mener des expériences contrôlées,
entre autres sur la façon d’optimiser les dépenses
publicitaires. De tout temps, les entreprises se
sont adonnées à des expérimentations, mais
celles-ci coûtaient souvent très cher. Grâce à
l’infrastructure informatique d’aujourd’hui,
c’est bien plus facile.
« L’intuition jouera toujours un rôle essentiel,
mais l’important, c’est de ne pas s’en contenter
quand on a les éléments nécessaires pour faire
une analyse quantitative afin de régler un
problème — la couleur de fond la plus appropriée
pour une publicité, par exemple. Quand on a
accès à ce genre de données, on n’a plus besoin
d’y réfléchir longuement : il suffit de demander
aux statisticiens de faire des calculs qui
permettront d’obtenir la réponse qu’on cherche.
C’est une façon de libérer les dirigeants pour
qu’ils puissent se concentrer sur des éléments
plus difficilement quantifiables. »
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DOSSIER : Technologies
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de nouveaux
modèles d’affaires
La création de
nouveaux
types de services
Les modèles d’affaires à multiples facettes sont
un moyen de créer de la valeur grâce aux liens
qui se nouent entre de nombreux acteurs plutôt
qu’entre deux personnes seulement. Pour bien
comprendre ce système, il suffit de prendre
l’exemple de l’évolution des médias et de la
publicité. Traditionnellement, les journaux, les
magazines, la radio et la télé offrent à leur clientèle du contenu que celle-ci paie un certain prix,
mais tirent la plus grande partie de leurs revenus
des annonceurs. Le Web a changé la donne,
puisqu’on peut maintenant offrir gratuitement
du contenu, auquel se greffe de la pub achetée
par des entreprises qui y voient une occasion de
rejoindre leur clientèle.
Les progrès technologiques ont aussi donné
naissance à d’autres formes de modèles d’affaires à multiples facettes : c’est le cas d’entreprises
qui revendent à d’autres des informations sur
leur clientèle. Prenons le cas de Sermo, une
communauté en ligne de médecins à laquelle il
est possible de participer gratuitement; les
membres peuvent poser des questions aux
autres, participer à des groupes de discussion et
avoir accès à des articles scientifiques. Des tiers,
comme les sociétés pharmaceutiques, des organismes du domaine de la santé, des institutions
financières et des instances gouvernementales,
paient ainsi pour avoir accès aux échanges
anonymes et pour sonder les membres de la
communauté.
Bien entendu, les modèles d’affaires à multiples facettes ne conviennent pas à tout le monde.
Mais, pour les entreprises qui peuvent en bénéficier, un bon point de départ consiste à dresser
l’inventaire de toutes les données que leurs
activités génèrent (en particulier celles qui proviennent des échanges avec la clientèle), puis à
se demander qui pourrait trouver ces renseignements utiles. « Qu’arriverait-il si on offrait
gratuitement tel produit ou service ? » ou
« Qu’arriverait-il si un concurrent le faisait
avant nous ? » : voilà d’autres questions dont les
réponses peuvent fournir de bonnes indications
sur les possibilités d’évolution du modèle
d’affaires d’une entreprise, mais aussi sur les
vulnérabilités de celle-ci.
La technologie permet maintenant de suivre, de
mesurer, de personnaliser et de facturer l’utilisation de produits ou de services d’une façon beaucoup plus précise qu’auparavant. Les entreprises
sont donc désormais en mesure d’offrir de
nouveaux types de services liés à ce qu’ils
vendent traditionnellement à titre de produits.
Ainsi, les consommateurs aiment le modèle de
l’utilisateur-payeur, qui peut leur éviter des
dépenses importantes, en plus d’éliminer le
souci d’acheter et d’entretenir un produit. Quant
aux entreprises, cela fait aussi leur affaire, parce
qu’elles peuvent ainsi ne choisir que les services
dont elles ont besoin, et les comptabiliser comme
des coûts variables.
L’informatique en nuage, par exemple, qui
permet d’accéder à des ressources informatiques
par l’intermédiaire de réseaux plutôt qu’en faisant tourner ses propres logiciels et son propre
disque dur, est un très bon exemple de ce nouveau type de services, et elle est de plus en plus
populaire dans le monde. Les consommateurs
apprécient d’emblée les services en nuage offerts
sur Internet pour à peu près n’importe quel type
d’applications — du courriel aux vidéos —, et les
entreprises commencent à leur emboîter le pas.
La firme de biotechnologie Genentech utilise
ainsi Google Apps comme service de courriels, et
aussi pour créer des documents et des fichiers de
travail, éliminant ainsi l’investissement dans des
serveurs et des licences d’utilisation de logiciels.
Du coup, son approche des TI a radicalement
changé, que ce soit pour l’infrastructure, les
plateformes, les applications ou le contenu.
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L’avis de l’expert
Les TI au service
du développement
durable
Les TI sont une source importante d’émissions
polluantes, mais aussi un instrument clé pour
concevoir des mesures de protection de l’environnement. À l’heure actuelle, la part des TI sur
l’empreinte écologique mondiale est en hausse,
en raison de la demande croissante d’ordinateurs
et d’autres appareils électroniques. De plus, la
production d’électricité pour alimenter les centres de données du monde entier génère des gaz
à effet de serre et ces émissions risquent de quadrupler d’ici 2020. Une recherche de McKinsey a
montré, toutefois, que l’utilisation des TI dans
des domaines comme les réseaux électriques intelligents et la domotique pourrait éliminer
jusqu’à cinq fois la quantité de gaz carbonique
émis par l’industrie des TI.
Dans les entreprises, actuellement, on commence à travailler à diminuer l’impact écologique
des TI. Certaines prennent des mesures pour réduire les besoins en énergie du nombre toujours
grandissant de serveurs requis pour traiter les
données générées par de nouvelles pratiques,
comme la cocréation et l’internétisation : c’est ce
qu’on appelle des centres de données verts.
Ceux-ci s’appuient sur diverses technologies,
comme les logiciels de virtualisation (qui permettent de mieux répartir les tâches des serveurs), le
refroidissement de l’air ambiant des centres
de données (pour réduire la consommation
d’énergie) et l’hydroélectricité (renouvelable et
peu coûteuse).
Mais là où les TI peuvent jouer un plus grand
rôle encore, c’est dans leur capacité à réduire le
stress environnemental causé par des activités
comme le transport, par exemple, puisque de
puissants logiciels peuvent maintenant améliorer
la logistique complexe dans ce secteur — l’itinéraire des avions, des trains et des camions, entre
autres — et ainsi réduire l’empreinte écologique
de cette industrie. De la même façon, des compteurs intelligents aident les consommateurs à
utiliser moins d’électricité en période de pointe.
Rob Bernard
Chef de la stratégie environnementale, Microsoft
« Quand il y a de graves problèmes environnementaux, on se tourne souvent vers les
technologies de l’avenir ; pourtant, on devrait
d’abord commencer par profiter pleinement de
celles qui existent déjà. Par exemple, si
seulement 10 % à 15 % des immeubles sont
dotés actuellement de compteurs intelligents, on
n’a pas besoin d’attendre que ceux-ci soient plus
répandus pour en tirer un meilleur parti.
« Internet et les autres infrastructures de TI
existantes peuvent nous aider à mieux évaluer et
comprendre notre consommation d’énergie, et
à modifier nos comportements énergivores :
on pourrait ainsi réduire de plus de 30 % notre
consommation d’énergie. On peut aussi mieux
exploiter les possibilités qu’offrent nos cellulaires, qui contiennent nos horaires et permettent
de nous retracer grâce à la technologie GPS :
pourquoi, alors, ne pas utiliser ces données qui,
une fois communiquées au système qui contrôle
la température et l’éclairage de l’immeuble à
bureaux où on travaille, lui permettraient, quand
on n’y est pas, de s’ajuster en conséquence ?
« Dans le même ordre d’idées, l’industrie des
TI a fait preuve d’une remarquable efficacité
pour relier des informations disparates à
l’intérieur de réseaux de données, grâce à des
outils de collaboration en ligne ou à des services
Web comme Facebook. On pourrait aussi utiliser
ces moyens à des fins écologiques, par exemple
pour inciter des personnes d’un même réseau
social et vivant à proximité les unes des autres
à faire du covoiturage. »
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DOSSIER : Technologies
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L’avis de l’expert
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L’innovation qui vient
de la base
Rob Salkowitz
Auteur de Young World Rising: How Youth,
Technology, and Entrepreneurship Are Changing
the World from the Bottom Up (Microsoft
Executive Leadership Series, 2010)
« Un des éléments essentiels de l’innovation
sur les marchés émergents est la vitesse à
laquelle un fort pourcentage de jeunes adoptent
les nouvelles technologies. Dans le cadre de mon
travail, j’ai presque tout vu : des jeunes entrepreneurs du Ghana qui utilisent le système de
messagerie de leur cellulaire afin de combattre la
contrefaçon pharmaceutique, et des entrepreneurs indiens qui développent des applications
mobiles pour offrir aux producteurs locaux des
données très utiles sur les conditions du marché.
« Ces jeunes innovateurs, qui connaissent
bien les marchés locaux, tirent profit du faible
coût, de la simplicité et de l’accessibilité des
nouvelles technologies, et bâtissent ainsi de
nouveaux modèles d’affaires. Je pense par
exemple à un développeur de logiciels africain
qui a donné le nom de “ Tolérance tropicale ”
au produit qu’il a créé, si robuste qu’il peut
compenser les failles de l’infrastructure, le
manque de compétences dans les milieux de
travail et le manque de transparence de l’État.
« À mesure que les TI se développent dans
des pays comme le Brésil, l’Inde, le Mexique,
l’Afrique du Sud et le Vietnam, on voit surgir de
nouveaux modèles d’affaires et de nouveaux
débouchés. Les multinationales peuvent ainsi
apprendre beaucoup rien qu’en observant ce
qu’y font les jeunes innovateurs. »
S’adapter devient une nécessité dans certaines
situations extrêmes — demande de la clientèle
pour de très bas prix, mauvaise infrastructure,
fournisseurs difficiles d’accès, etc. Hors des
grands centres en Afrique, par exemple, implanter un réseau bancaire traditionnel est impossible, parce que les clients potentiels ont de très
faibles revenus et n’ont parfois pas les documents nécessaires pour ouvrir un compte.
C’est pourquoi Safaricom, un fournisseur de
services téléphoniques, a décidé d’offrir des
services bancaires grâce à son service de téléphonie mobile ; cela permet de plus à un réseau
de boutiques et de stations-service qui vendent
du temps d’antenne de télécommunications de
télécharger de l’argent virtuel sur les cellulaires
de leurs clients.
Plusieurs PME de par le monde ont de la
difficulté à trouver des sous-traitants chinois
capables de répondre à des besoins bien précis.
Alibaba, le leader des échanges commerciaux
interentreprises en Chine, avec plus de
30 millions de membres, tire profit de cette
situation en offrant des services comme le partage de données entre partenaires chinois et
étrangers et le paiement en ligne.
En fait, la mondialisation des affaires et du
commerce ainsi que l’évolution foudroyante des
TI mettent en concurrence les entreprises du
monde entier, y compris celles des pays émergents et celles des pays développés. Pour la
plupart des entreprises déjà bien établies des
pays développés, il s’agit d’un nouveau type de
concurrence : non seulement les nouveaux venus
menacent les plans de croissance des acteurs
dominants sur les marchés émergents, mais ils
exportent aussi leurs modèles d’affaires sur les
marchés matures. C’est pourquoi certaines multinationales, comme GE, établissent des centres
de recherche dans des pays émergents, afin de
profiter de toutes ces nouvelles compétences.
D’autres, comme Philips, investissent plutôt
dans des entreprises locales pour concevoir
de nouveaux produits novateurs destinés à
l’exportation, qui viendront compléter leurs
principales activités.
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Du nouveau
en urbanisme
Au cours des années à venir, la technologie facilitera la création de nouveaux types de biens
collectifs et contribuera à les gérer plus efficacement. Considérons par exemple le défi majeur
que constitue le développement des villes à
l’échelle de la planète : la moitié de la population
mondiale vit déjà dans les villes, et ce chiffre
devrait grimper à 70 % d’ici 2050.
Intégrer davantage l’utilisation des TI à la
gestion des villes de plus en plus denses pourrait
faciliter la vie de leurs habitants. Déjà, Londres,
Singapour et Stockholm utilisent des systèmes
électroniques intelligents pour fluidifier la
circulation automobile ; d’autres se servent de
systèmes similaires pour améliorer l’efficacité de
leurs transports en commun.
La technologie peut aussi améliorer la prestation de différents services publics. Aujourd’hui,
des forces de police se servent de caméras vidéo
et de logiciels d’identification des personnes pour
enrayer la criminalité dans certains quartiers.
Dans d’autres domaines, il est possible d’appliquer des mesures plus transparentes et plus
efficaces grâce à des projets qui s’appuient sur
l’échange de données : au Royaume-Uni, le site
Web FixMyStreet.com permet à des citoyens de
signaler des problèmes comme les graffitis ou la
mise au rebut illégale de déchets, et d’en parler
avec d’autres.
Le rythme des changements technologiques
ira croissant dans les années à venir, si bien que
ces dix tendances gagneront en importance.
Pour certaines entreprises, cela se traduira par
d’importants avantages concurrentiels, et, pour
d’autres, par un défi de taille face aux effets
parfois déstabilisants. Toutefois, notre message
est simple : peu importe leur situation, les entreprises devraient s’efforcer d’intégrer une bonne
compréhension de ces tendances à leur modèle
stratégique, afin de trouver de nouveaux débouchés, d’inventer de nouveaux modèles d’affaires
et de rester concurrentielles malgré le nombre
sans cesse croissant de rivaux innovateurs.
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Jacques Bughin est associé
directeur du bureau de Bruxelles
de McKinsey.
Michael Chui est directeur de
projets au McKinsey Global Institute.
James Manyika est associé
directeur de McKinsey ainsi qu’au
bureau de San Francisco et du
McKinsey Global Institute.
adapté de :
Ce magazine d’affaires est publié par
McKinsey & Company, une firme de consultants
en management qui a pour ambition de « former
des leaders exceptionnels » partout dans le
monde.