Économie de la Responsabilité Civile : Principes et Résultats

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Économie de la Responsabilité Civile : Principes et Résultats
Économie de la Responsabilité Civile :
Principes et Résultats
Eric LANGLAIS1
EconomiX-CNRS et Université Paris Ouest,
Octobre 2010
Résumé :
Cet article propose une introduction à l’analyse économique de la responsabilité civile. On présente
d’abord le cadre dit de l’accident unilatéral, puis celui de l’accident bilatéral. On discute enfin les
problèmes posés par l’imperfection de l’information entre les parties, et ceux posés par l’insolvabilité de
l’offenseur du fait du jugement. En conclusion, on ouvre sur des perspectives de recherches actuelles.
1
Ce travail a été réalisé dans le cadre du Projet « iCrisis-Gestion des Crises » (2007-2009), financé par le Ministère
de l'Environnement, de l'Ecologie, du Développement Durable et de la Mer français (programme 2006 ‹‹ RisqueDécision-Territoire ››).
1
Section 1 : Contrôle des activités risquées et droit des accidents
L'objectif de cette synthèse est de proposer au lecteur non familiarisé avec les principes de
l'analyse économique quelques éléments de référence généraux lui permettant de comprendre
comment les économistes -- et l'analyse économique du droit en particulier -- réfléchissent aux
problèmes soulevés par le droit des accidents et la mise en œuvre de la responsabilité civile. Il
s’agit aussi de mettre en évidence les résultats fondamentaux de cette approche – comprendre :
les résultats produits par ce que l’on considère être les modèles canoniques, et qui ont pu faire ou
feront encore l’objet de développements et de débats ultérieurs.
Comme on le constatera, il s'agit bien ici d'analyse économique appliquée aux effets
associés à l'adoption des règles de droit (en l'occurrence, la responsabilité civile), et non pas de
théorie juridique -- il n'est en aucun cas question de substituer une nouvelle doctrine d'inspiration
économique, à la ou aux doctrine(s) développées par les juriste(s), experts incontestables dans ces
matières. Notons toutefois qu'aux États-Unis, l'économie du droit a rapidement été reconnue
comme l'une des innovations les plus significatives dans la pensée juridique elle-même au cours
de ces dernières décennies. Sa diffusion en Europe, et plus spécifiquement en France, a été à la
fois plus tardive et plus lente, que ce soit dans le milieu académique ou dans le milieu des
professionnels juridiques2. Nous n'entrerons pas plus avant dans ces considérations ou débats, qui
inévitablement n'échappent pas à un certain dogmatisme.
Plus modestement, il s'agira ici de proposer un guide de lecture et d'interprétation,
permettant de mettre en évidence les incitations contenues en germe dans les règles du droit de la
responsabilité, et qui inévitablement conditionnent la réponse (le comportement) des individus
qui y sont soumis. Il s'agira aussi de préciser quelques principes méthodologiques qui (dans
certains cas) permettent aux économistes d'évaluer et de comparer les dispositifs utilisés dans la
pratique du droit de la responsabilité. Au sens de l'analyse économique, le droit des accidents
constitue un instrument parmi d'autres (l'assurance, la taxation/redistribution, la régulation en
fournissant d'autres) contribuant à mettre en place une forme de gestion sociale des risques, et ce
dans un grand nombre de domaines variés. Si on se focalise ici surtout sur les accidents liés à des
activités industrielles (par exemple, production et/ou transport de produits dangereux), il est bien
clair que les mêmes principes s'appliquent potentiellement et plus largement à toute activité
risquée: circulation automobile, transport aérien, médecine, mais aussi pratique d'un loisir/sport
etc.
1.1 La problématique des accidents dans l'analyse économique
La première spécificité des accidents d'origine industrielle tient à leur contexte: ils se
produisent dans le cadre d'activités qui ont indubitablement une valeur/utilité sociale reconnue
(production d'un bien ou d'un service: carburant, engrais etc), mais de façon totalement
indissociable de celle-ci. Les économistes parlent alors d'un type de production jointe spécifique,
nommé produit fatal, désignant ainsi non pas le fait que ce produit est nuisible ou dangereux,
mais que sa production ne peut pas être dissociée de celle du produit principal, objet de l'activité
normale de l'entreprise.
La deuxième spécificité est qu'il n'est techniquement pas possible d'en éliminer totalement
2
Pour des points de vue de juristes favorables au dialogue avec les économistes du droit, voir Frison-Roche (2005) ou
Mackaay et Rousseau (2008).
2
l'apparition -- au mieux, sa fréquence d'occurrence peut être contrôlée, ou ses conséquences
dommageables peuvent être atténuées. Les économistes parlent alors d'activités de prévention des
accidents (mais d'autres disciplines auront la même terminologie de ce point de vue), en
distinguant ce qui relève de l'auto-protection (la prévention est supposée contrôler la fréquence
des accidents) de ce qui relève de l'auto-assurance (la prévention est supposée contrôler les
dommages et pertes associés à l'occurrence d'un accident). Nous n'entrerons pas dans le détail à
ce niveau, ni sur la pertinence ni sur le caractère opérationnel d'une telle distinction, et ce pour
une raison très simple: l'analyse économique du droit des accidents n'a que très rarement fait ce
distinguo (à quelques exceptions près : Dari-Mattiacci & de Geest (2005), de Geest & DariMattiacci (2005)) alors qu'il est élémentaire pour les économistes spécialistes des questions
d'assurance. Pourtant, cette distinction est particulièrement pertinente dans le contexte des
accidents à caractère catastrophique (nombre de victimes important, montant des sinistres et
dommages élevés ; voir Dari-Mattiacci & Langlais (2009)). Mais nous nous en tiendrons ici à
notre projet: présenter l'état de l'art des bases de l'analyse économique de la responsabilité civile.
Il nous faut ajouter une troisième spécificité caractérisant les accidents industriels -- en
fait, qui est décisive pour la problématique économique: les dommages consécutifs à l'accident
touchent non seulement l'entreprise, mais aussi son voisinage, riverains, autres entreprises
installées à proximité (le reste de la société de façon générale) ou plus largement,
l'environnement (pollutions accidentelles). Les économistes parlent alors d'effets externes: ils
désignent ainsi une situation où la décision prise de façon libre et autonome (égoïste) par une
entité, a des répercussions sur d'autres entités, effets non désirés par ces dernières; le nœud du
problème est qu'en l'absence de tout dispositif institutionnel, ayant une valeur légale, celles-ci
n'ont pas pu participer ni s'opposer aux décisions de celle-là qui est à l'origine de l'accident.
1.2 Le principe: internaliser le coût social des accidents
A dire vrai, les économistes ont longtemps ignoré comme objet d'étude l'existence des
externalités, bien qu'il leur soit apparu a posteriori qu'elles avaient des conséquences
fondamentales pour le fonctionnement de la concurrence et les processus de marché -- à l'opposé
de la vision idyllique qu'en donne la théorie de la concurrence pure et parfaite. Ce n'est que
tardivement, avec l'article fondateur de Ronald Coase (1960), qu'ils se sont intéressés à la nature
des défaillances des marchés engendrées par ces externalités, et aux instruments permettant d'y
remédier. Coase mettait en évidence que l'existence d'effets externes introduisait une divergence
entre valeurs privées et valeurs sociales associées à la production des biens économiques, que le
système de prix de marché était structurellement dans l'incapacité d'enregistrer et d'éliminer. Cet
écart entre valeurs privées et sociales est pourtant à l'origine d'une perte d'efficacité de la
concurrence, et qu'il convient de réconcilier par des interventions adaptées.
Pour utiliser un exemple, lors d'un accident sur un site industriel (une entreprise du
secteur de la chimie), l'entreprise à l'origine de l'accident peut subir des dommages (certaines de
ses installations et/ou bâtiments peuvent être endommagés, certains personnels peuvent être
blessés): ceci représente les coûts privés de l'accident supportés directement par la firme ellemême. Mais il peut y avoir des répercussions sur l'environnement ou le voisinage (onde de choc
en cas d'explosion, ou propagation de l'incendie; fuites de produits toxiques entraînant des
pollutions): ces conséquences représentent le coût social de l'accident. L'argument est alors qu'en
l'absence de tout mécanisme contraignant pour la firme, qu'il soit légal ou plus informel, l'incitant
3
à prendre en considération (internaliser) les conséquences sur le voisinage et l'environnement de
ses décisions privées, la firme les ignorera la plupart du temps3 et ne se fondera que sur ses coûts
privés pour régler son comportement, que se soient ses décisions de production ou les mesures de
prévention et de sécurisation du site qu'elle sera amenée à prendre. Ceci implique en particulier
que les prix pour sa production ou pour les intrants qu'elles utilisent dans son processus de
production, ne refléteront que ses coûts privés, et non pas les coûts sociaux qui sont pourtant
intimement liés à son activité.
Sur cette question, ce que dit alors l'analyse économique après Coase, c'est que cet état de
fait conduit à une situation qui est socialement inefficace. Par certains aspects, elle est aussi
inéquitable: mais sans oublier cette question (les aspects redistributifs, on y reviendra), le point
essentiel est bien qu'une telle situation conduit globalement, collectivement, à une mauvaise
utilisation des ressources dont dispose la société. L'entreprise, d'une part, n'utilise par
correctement les ressources à sa disposition: si elle avait à supporter aussi le coût externe de
l'accident, puisqu'il résulte de son activité et de ses décisions privées, elle prendrait d'autres
décisions en matière de production et en matière de prévention afin de minimiser le coût total de
l'accident (le risque nul étant impossible à réaliser). D'autre part, les ressources du reste de la
collectivité (en raison des atteintes à l'environnement, ou des dommages au voisinage) sont du
même coup également gaspillées.
La problématique économique des externalités cherche alors à répondre à une double
question: quel est le niveau socialement efficace d'une externalité -- étant entendu que, de la
même façon que le risque zéro n'existe pas d'un point de vue technique, le niveau zéro des
externalités est économiquement inatteignable? Quels sont les instruments qui permettent d'y
parvenir? Sans entrer dans les fondements et la justification du critère retenu (en fait, très
général), les économistes répondent à la première question en partant du critère de maximisation
du bien-être social, qui incorpore le coût social de toute activité y compris le risque d'accident. A
la deuxième question, les économistes répondent qu'il existe en général plusieurs instruments:
économiques (taxes/subventions, permis négociables), réglementaires (normes de conformité,
norme de sécurité ...), et juridiques (responsabilité civile ou pénale). Ils peuvent être équivalents
dans certaines circonstances. Dans d'autres cas, la hiérarchie va s'établir en fonction des coûts de
mise en œuvre (coûts de transaction) associés à chacun d'entre eux: ces coûts sont aussi des coûts
externes.
Ronald Coase est le premier auteur à aborder le problème des externalités en empruntant
la perspective juridique.
1.3 Une solution: la règle de droit
Notons tout d'abord que d'un point de vue opérationnel, la mise en pratique du principe de
l'internalisation des externalités se fait au prix d'un glissement sémantique, puisqu'on parle alors
3
En pratique, il semble que certaines entreprises ou certains groupes industriels prônent l'adoption de comportements
"éthiques", notamment plus respectueux de l'environnement. Sur cette question, les travaux des économistes
montrent que même dans le domaine des contributions volontaires à la production de biens publics (sécurité,
environnement etc), l'altruisme pur à lui seul ne permet pas de rationaliser les choix effectifs qui peuvent être
observés (voir les travaux d'Andreoni ou de Sugden, datant déjà des années 80). Des travaux plus récents suggèrent
aussi qu'il peut y avoir un pur effet opportuniste, stratégique, à mettre en avant un comportement supposé éthique;
voir par exemple les travaux sur les "éco-labels" (Grolleau et ali (2007) et Ibanez et Grolleau (2008).
4
du niveau socialement acceptable (ou souhaitable) d'une externalité4. La logique de ce glissement
se comprend assez aisément: l'analyse économique formelle des problèmes posés par les
externalités met en évidence que la détermination de leur niveau socialement efficace et donc
souhaitable (implicitement, la valeur sociale de l'externalité), se fait en évaluant les différents
coûts (et bénéfices éventuels) qui lui sont associés et en répartissant leur charge sur l'ensemble de
la collectivité/société en fonction des disponibilités individuelles à payer. Pour le dire autrement,
résoudre les problèmes nés de la présence d'externalités, c'est répondre immanquablement au
problème de la redistribution de l'ensemble des coûts qu'elles occasionnent -- puisque la question
qui émerge rapidement est combien la société est-elle collectivement disposée à payer pour lutter
contre les effets externes5? Pour revenir sur notre problème d'accident industriel, les questions
posées sont: quelle est la valeur sociale de la sécurité? Comment ce coût est-il défini? Comment
va-t-il se répartir sur l'ensemble de la société, de façon à atteindre la situation la meilleure pour la
collectivité?
Remarquons ensuite que l'argumentation développée initialement par R. Coase porte sur
l'importance d'une définition claire, explicite, des droits de propriétés sur les ressources
disponibles d'une société/économie (y compris les ressources environnementales), mais conclut
(un peu paradoxalement) ensuite que la façon dont ces droits de propriété sont distribués importe
peu finalement. Il en est ainsi si les différentes parties concernées ont la possibilité de négocier
entre elles, et de conclure des arrangements mutuellement avantageux: ceci conduira à faire
émerger des décisions collectivement avantageuses, y compris en termes de niveaux atteints pour
les externalités. Le point important est qu'au préalable, les droits de propriétés initiaux doivent
être clairement définis, et garantis par le droit, et que les coûts de transaction doivent être
relativement faibles6.
Dans cette perspective, la solution juridique, comme méthode d'internalisation des effets
externes, s'impose sur la base de l'argument de l'économie des coûts de transaction: l'utilisation
d'une règle de responsabilité est une solution décentralisée (sa mise en œuvre est laissée aux
agents privés, le rôle du législateur/l'Etat se limitant à inscrire ce dispositif dans la loi sur les
accidents) qui permet d'économiser des coûts importants de mise en place, notamment des coûts
administratifs. Au contraire, la voie réglementaire par exemple (l'instauration de normes) est la
plupart du temps associée à des coûts administratifs importants, liés à la création d'une agence
sectorielle de contrôle (le respect de la réglementation n'étant pas a priori garanti) qu'il faut doter
de moyens en personnels de différentes qualifications et de moyens de fonctionnement
importants permettant un contrôle effectif. Il y a aussi des coûts informationnels qui peuvent
s'avérés élevés, puisque la mise en place de normes efficaces suppose d'avoir accès à un volume
d'informations important, permettant d'estimer avec suffisamment de précision les coûts et
bénéfices associés à la réduction de l'externalité (par exemple, connaissance de la technologie des
firmes impliquées, mais aussi connaissance des préférences des dirigeants et du voisinage).
4
Voir par exemple, le débat sur le changement climatique, et la mise en œuvre des instruments tels que les taxes
environnementales (taxes à la Pigou), les permis négociables -- et au préalable, la discussion sur les objectifs
globaux (normes) de réduction des émissions à effet de serre.
5
Renoncer/interdire la production d'un bien qui peut accidentellement causer un préjudice, représente aussi des coûts
privés et sociaux: d'où, l'idée que le niveau zéro d'une externalité est en général inatteignable (en tout cas, à
court/moyen terme).
6
De façon évidente, au regard de l'état d'avancement des discussions depuis Kyoto, les négociations internationales
sur l'adaptation au changement climatique représentent des coûts de transaction élevés: mais, en l'absence d'autorité
supranationale, la solution juridique n’est pas opérationnelle.
5
Si le droit de la responsabilité français considère aujourd'hui que «tout fait quelconque de
l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer»
(article 1382 du Code Civil), ce n'est que tardivement que des auteurs après Calabresi (1970), ont
développé les analyses permettant de lier la règle de responsabilité à la notion de coût externe des
accidents: «the principal function of accident law is to reduce the sum of the cost of accident and
the cost of avoiding accidents» (Calabresi (1970)) -- et d'énoncer alors le principe de
minimisation du coup social des accidents. Calabresi identifiait trois séries de coûts liés à la
problématique des accidents et de la responsabilité civile: 1/ les coûts directs des accidents et
ceux nécessaires à leur prévention (coûts dits primaires); 2/ ceux liés à l'imputation de la charge
des préjudices, en cas d'accidents effectifs (coûts dits secondaires); en fin 3/ les coûts
d'administration de la justice (coûts dits tertiaires). En outre, Calabresi montrait que la
responsabilité avait trois fonctions principales (voir Dari-Mattiacci (2006)). D'abord, une fonction
préventive dans la mesure où la responsabilité peut inciter les agents à prendre des précautions.
Ensuite, une fonction réparatrice car le versement de dommages-intérêts permet d'indemniser les
victimes d'accidents. Enfin, une fonction réallocative, puisqu'elle contribue à redistribuer les
risques dans la société.
1.4 Vers un cadre formel pour l'analyse de la responsabilité
A la suite de Calabresi, les principaux contributeurs du courant de l'analyse économique
du droit, tels Brown (1974), Diamond (1974a,b), Green (1976), Shavell (1987), ont fait évolué
l'économie de la responsabilité en prônant l'adoption d'un cadre ayant une cohérence et une unité
méthodologique explicite, se prêtant alors à des développements plus formels. Outre l'analyse des
règles existant, celle aussi de formes alternatives variées de responsabilité qui pourraient
potentiellement être adoptées a été développée -- l'objectif étant d'étudier les formes les plus
efficaces. Les économistes du droit ont ainsi restreint leur champ d'investigation quant aux
fonctions attribuées aux règles de responsabilité, puisqu'ils privilégient la fonction préventive de
la responsabilité civile. La fonction indemnisatrice de la responsabilité civile est alors reléguée au
second rang -- une règle de responsabilité pouvant être qualifiée d'efficace sans qu'il y ait
compensation des victimes (on y reviendra). Quant à la contribution de la responsabilité au
partage du risque, la littérature justifie habituellement (Shavell (1982)) que les marchés
d'assurance (supposés parfaits) sont bien mieux adaptés à la redistribution des risques, et donc
plus efficaces dans la recherche de solutions concernant le risque d'accident.
Cette synthèse s'inscrit donc dans cette perspective : proposer une clé de lecture fondée
sur le postulat d'une séparation entre les trois fonctions d'une règle de responsabilité, afin de
mettre en évidence les conséquences du prima accordé aux incitations exercées par la règle de
droit sur les comportements individuels, de façon à favoriser les décisions de prévention des
accidents qui sont les plus adaptées d'un point de vue social -- alors même que leur mise en
œuvre est décentralisée, c'est-à-dire, confiée à des entités privées (les entreprises, les ménages).
On étudie dans les sections suivantes les deux situations typiques, l'accident avec
prévention unilatérale (section 2) et l'accident avec prévention multilatérale (section 3),
identifiées par la littérature, et les solutions juridiques adaptées au contrôle du risque d'accident
qui peuvent être choisies. On verra que dans chaque cas, plusieurs règles différentes peuvent
apparaître comme équivalentes en terme de résultat -- quant aux incitations à la prévention. En
revanche, toutes ne conduisent pas à l'indemnisation des victimes. On étudie ensuite différents
6
problèmes susceptibles de remettre en cause l'équivalence des règles de responsabilité: les
problèmes informationnels d'abord (section 4), puis la solvabilité des entités responsables des
accidents (section 5). La conclusion ouvrira sur des développements ultérieurs de la littérature.
Section 2 : Accident avec prévention unilatérale
On considère une situation où l'activité principale d'un individu (l'offenseur -éventuellement, une firme) est à l'origine d'un risque d'accident qui entraîne un préjudice pour un
tiers (la victime). Les deux individus sont supposés neutres vis-à-vis du risque7.
Considérons un cas où le risque est binaire, tel que le dommage subi par la victime en cas
d'accident (qui peut être soit de nature monétaire, soit de nature non monétaire8) a une valeur
notée D > 0 et se réalise avec la probabilité p (x) : la probabilité d'accident dépend des
dépenses (le coût ou l'investissement) de prévention réalisées par l'offenseur, notées x . Elle
résume la technologie de prévention de cette économie, avec les propriétés suivantes:
Hypothèse 1: p (0) > 0,
p ′ < 0,
p ′′ ≥ 0
L'opposé de la dérivée première de la fonction de probabilité − p′ s'interprète comme la
productivité marginale de l'effort de prévention, qui est aussi de façon équivalente l'inverse du
coût marginal de la prévention. L'hypothèse 1 exprime donc que les dépenses de prévention de
l'offenseur réduisent la fréquence des accidents, mais que leur efficacité est décroissante (leur
coût marginal est croissant) avec l'investissement dans la prévention, i.e. les rendements d'échelle
sont décroissants dans l'activité de prévention des accidents.
On traite d'abord le cas où l'output de l'offenseur est déterminé de façon exogène, de
façon à centrer l'analyse sur le fonctionnement du droit des accidents et des règles de
responsabilité. On considère aussi tout d'abord le cas où l'information est parfaite: le dommage
supporté par la victime est observable par les deux individus et vérifiable par un tribunal. Le
niveau d'investissement en prévention est également parfaitement observable. Ces hypothèses
sont ensuite relâchées progressivement, les unes après les autres.
2.1 L'équivalence entre responsabilité stricte et pour faute en information parfaite
Un planificateur parfaitement informé serait amené à déterminer à la fois le niveau
socialement efficace des dépenses de prévention, et la répartition efficace du risque de dommage
entre les parties. En fait, dans la mesure où les deux individus sont neutres vis-à-vis du risque,
7
On peut aussi considérer le cas d'une économie à N individus riscophobes, mais où les aléas d'accident sont de purs
risques microéconomiques. Dans une telle économie, les risques sont alors parfaitement diversifiables, de telle sorte
que l'aversion au risque n'a aucun effet. Voir Shavell (1982).
8
Un dommage non monétaire correspond par exemple à la perte d’un bien qui a une valeur purement affective
(souvenir de famille), ou une atteinte physique (maladie professionnelle, handicap physique). L’hypothèse de
neutralité au risque des agents, implicite à l’analyse, et/ou l’absence de toute imperfection de marché, font que la
distinction importe peu ; voir Arlen (1992b), Dari-Mattiacci et de Geest (2005), Dari-Mattiacci et Mangan (2008),
Dari-Mattiacci et Langlais (2009), Shavell (1987) pour une discussion et un traitement des situations où elle devient
pertinente.
7
toute allocation réalisable du risque de préjudice (du dommage) sera Pareto-optimale. Il ne reste
plus qu'à déterminer le niveau de prévention (first best) qui serait choisi par un planificateur
parfaitement informé; celui-ci est obtenu en minimisant la fonction de coût social suivante:
Cx = x + pxD #
qui est simplement la somme des coûts privés supportés par les deux individus en raison du
risque d'accident, soit : le coût de la prévention pour l'offenseur plus la perte anticipée de la
victime.
Si l'on admet une solution intérieure, l'équilibre centralisé de cette économie conduit au
niveau de dépense de prévention noté x ∗ = x(D) qui est caractérisé par la condition:
− p ′ x ∗ D = 1
Elle signifie que l'effort optimal de premier rang est choisi tel que le bénéfice marginal qui en est
retiré par la victime en raison de la réduction du dommage anticipé qu'elle supporte, soit juste
égal au coût marginal privé de l'effort pour l'offenseur. Il est immédiat que la condition de second
ordre est satisfaite sous l'hypothèse de convexité de la fonction p (x) . Par analogie avec la
littérature sur les comportements individuels en matière de prévention ou concernant le prix de la
vie humaine (Drèze (1987), Jones-Lee (1974)), on peut encore écrire la condition de premier
ordre sous la forme:
−
1
=D
p ′ x ∗ 
Cette condition est aussi aisée à interpréter: elle signifie que les dépenses socialement efficaces
de prévention sont choisies de telle sorte que le coût marginal social de l'activité de prévention
(terme de gauche : c'est l'inverse de la productivité marginale de l'effort) soit juste égal au
bénéfice marginal social de l'activité de prévention, qui est égal ici à la disponibilité marginale à
payer de la victime pour une diminution du risque d'accident - c'est-à-dire, le montant maximum
de sa richesse que la victime est disposée à céder pour réduire la fréquence d'occurrence du
préjudice.
Cette condition est représentée dans le graphique 1. On voit que toute chose égale par
ailleurs, x ∗ est croissant avec le dommage de la victime (la droite D se déplace vers le haut).
Lorsque l'information est parfaite, ce niveau d'effort de first best est facilement
décentralisable à l'aide d'une règle de responsabilité. Une règle de responsabilité spécifie
principalement une règle de compensation des dommages, qui définit comment les dommages
seront réalloués entre les parties en cas d'accident. Une règle de responsabilité induit donc
toujours une règle ex ante de répartition des risques entre les victimes et les offenseurs. Par
ailleurs, la règle de responsabilité peut être plus précise, et par exemple aussi préciser le niveau
requis de prévention que doit respecter l'offenseur pour qu'il ne soit pas considéré comme
8
responsable de l'accident.
Graphique1
-1 /p ’(x )
D
x
x*
On considérera les effets de trois règles de responsabilité élémentaires:
- aucune responsabilité de l'offenseur: dans ce cas, il est facile de comprendre que l'offenseur
ne réalise aucune dépense de prévention (puisqu'elles sont coûteuses), et la victime supporte une
perte anticipée égale à p (0) D , sans pouvoir obtenir réparation du préjudice en cas d'accident.
Cette solution n'est évidemment pas efficace.
- la responsabilité stricte de l'offenseur: cette règle est encore appelée "responsabilité sans
faute", puisque la victime n'a pas à invoquer la négligence de l'offenseur et/ou n'a pas à apporter
la preuve que l'action de l'offenseur est à l'origine de l'accident qui a causé son préjudice, pour
que celui-ci soit reconnu responsable de l'accident et qu'il ait a dédommager la victime pour le
préjudice qu'elle a subi. Sous cette règle de responsabilité stricte, admettons que le juge accorde
la compensation complète du dommage de la victime. Quel sera le niveau d'effort choisi par
l'offenseur à l'équilibre décentralisé, s'il est parfaitement informé? En fait, il est simple de voir
que dans ce cas, l'offenseur fait face à la même fonction de coût ex ante que le planificateur - il va
donc choisir pour lui-même l'effort de prévention de premier rang x ∗ . En cas d'accident, il
compense intégralement le préjudice de la victime, et absorbe donc le dommage D à sa place.
- la règle de négligence: cette règle est aussi appelée "responsabilité pour faute de l'offenseur",
puisque l'offenseur n'est reconnu responsable par le tribunal que dans la mesure où la preuve a été
apportée qu'il a été négligent au sens où il a entrepris des dépenses de prévention insuffisantes,
inférieures à une norme d'effort qui est un niveau minimum prédéterminé que l'on appellera le
"standard de précaution". En revanche, si l'offenseur satisfait au moins le "standard", il échappe
totalement à la responsabilité, et dans ce cas la victime doit absorber toute seule les conséquences
de l'accident (la perte D ). Le coût ex ante de l'offenseur avec la règle de négligence se définit
donc de la façon suivante:
9
cx =
si x ≥ X
x
x + pxD sinon
où X représente le "standard de précaution" défini par le tribunal.
Il est immédiat que si l'offenseur a une information parfaite, le "standard" qui permet la
décentralisation de l'effort de premier rang est simplement donné par X = x ∗ . En effet, la
fonction de coût de l'offenseur et la décision de l'offenseur sont alors représentées dans le
graphique 2; et puisque par définition x ∗ = arg min x ( x + p( x) D) , et que x ∗ < x ∗ + p ( x ∗ ) D , alors
l'offenseur choisit d'adhérer au standard et échappe ainsi à la responsabilité.
Graphique 2
x
x + p(x)D
p(x)D
x
x*
Les deux règles de responsabilité: stricte et pour faute (lorsqu'elle est basée sur le standard de
précaution x ∗ ) permettent donc de décentraliser l'effort de premier rang - elles donnent
exactement les mêmes incitations en faveur de la prévention des accidents. Néanmoins, alors que
la responsabilité stricte décentralise de façon parcimonieuse le first best, au sens où il suffit que la
règle de responsabilité soit promulguée pour que l'offenseur (s'il est parfaitement informé)
choisisse le bon niveau de prévention, en revanche la responsabilité pour faute est plus exigeante
en terme d'information, puisque maintenant le tribunal doit avoir correctement défini le bon
niveau d'effort, et fixer l'effort de premier rang comme standard de précaution auquel l'offenseur
doit se plier, pour que l'optimum de premier rang soit effectivement décentralisé. La règle pour
faute nécessite donc que l'offenseur mais aussi le tribunal soit parfaitement informé, pour que le
premier rang soit décentralisé.
On peut synthétiser cette discussion par la proposition suivante:
Proposition 1. Lorsque l'offenseur et le tribunal sont parfaitement informés, la règle de
10
négligence avec un standard d'effort "efficace", est équivalente à la règle de responsabilité
stricte lorsque l'offenseur est parfaitement informé; toutes deux sont alors efficaces au sens de
Pareto.
Néanmoins, il y a deux différences majeures entre la responsabilité stricte et la
responsabilité pour faute. D'une part, si la responsabilité stricte concilie les deux objectifs d'une
règle de responsabilité identifiés par Calabresi (1970), à savoir indemniser la victime pour le
préjudice qu'elle a subi et inciter l'offenseur à faire des efforts de prévention, en revanche la
responsabilité pour faute ne satisfait que le second objectif, pendant que la victime ne reçoit
aucune compensation en cas d'accident (puisque l'offenseur n'est pas négligent).
D'autre part, les deux règles de responsabilité n'imposent pas les mêmes exigences quant
au statut informationnel du tribunal, comme on l'a déjà mentionné. Notamment les erreurs
commises dans la détermination des standards de précaution et/ou dans l'évaluation des
dommages conduisent à des distorsions par rapport au premier rang, et à la non équivalence entre
les règles de responsabilité.
2.2 Les erreurs et biais des tribunaux
Les erreurs commises par des juges peuvent être "involontaires" - dues au manque
d'information pertinente à la disposition des juges (voir Baumann et Friehe (2009)), DariMattiacci (2005), de Geest & Dari-Mattiacci (2007), Fluet (2010), Feess, Muehleusser et
Wohlschlegel (2009)). Dans d'autres situations, au contraire les "biais" qui apparaissent dans
l'estimation des dommages sont intentionnels, et visent par exemple à accroître la sanction
supportée par l'offenseur.9
2.2.1 les erreurs dans les standards de précaution
La règle de responsabilité stricte ne nécessite pas que le tribunal soit informé des
caractéristiques de l'économie - il est nécessaire en revanche qu'il observe ex post le préjudice de
la victime. On supposera toujours ici que le dommage est correctement observé, et que le juge
accorde la compensation complète de ce dommage à la victime.
Au contraire, pour que le standard soit correctement défini et annoncé ex ante sous la règle de
négligence, il est nécessaire que le tribunal dispose d'une information parfaite: sur la technologie
de prévention, et les dommages en cas d'accident. Sinon, le standard introduit éventuellement des
distorsions par rapport à l'optimum social, puisqu'il fausse les incitations en direction de
l'offenseur.
En fait, les erreurs d'appréciation dans la définition de la norme d'effort n'empêchent pas
systématiquement la réalisation du first best à l'équilibre décentralisé (Diamond (1974a,b),
Shavell (1987)), comme on va le montrer en partant de:
Proposition 2. Sous la règle de négligence: i) si le standard d'effort n'est pas suffisamment
9
Viscusi (2001) met aussi en évidence de façon expérimentale l'existence de biais cognitifs, existant tant chez les
juges que chez les jurés; ces biais influencent leurs décisions dans le domaine du droit des accidents, et limitent leur
capacité à appliquer le calcul économique implicite à l'exercice des règles de responsabilité usuelles.
11
exigeant (X<x*) ou s'il est légèrement supérieur au standard optimal (x*<X), l'offenseur préfère
adhérer au standard pour échapper à la responsabilité - mais ceci empêche la décentralisation
du firstbest; ii) si le standard d'effort est excessivement exigeant (X>>x*), l'offenseur choisit de
ne pas respecter ce standard bien qu'il soit toujours jugé responsable dans ce cas - mais ceci
permet la décentralisation du first best.
Sous la règle de négligence, le coût de l'offenseur s'écrit:
cx =
si x ≥ X
x
x + pxD sinon
Si le standard d'effort est fixé à un niveau trop faible par le tribunal, X < x ∗ , il est immédiat que
l'offenseur va choisir de s'y conformer (il choisit x = X ) plutôt que de choisir le niveau
socialement efficace x ∗ - l'offenseur échappera à la responsabilité (il ne supporte donc pas le coût
de l'accident) mais le premier rang ne sera pas atteint à l'équilibre décentralisé. Si le standard
d'effort est fixé à un niveau trop élevé par le tribunal, X > x ∗ , l'offenseur peut néanmoins s'y
conformer si la condition suivante est respectée: x ∗ < X < x ∗ + p( x ∗ ) D ≡ min x ( x + p( x) D) .
Toutefois, si la différence X − x ∗ devient trop importante ( X − x ∗ > p( x ∗ ) D ), il va choisir de
ne plus adhérer au standard, mais le premier rang x ∗ et supportera toujours le coût total du
dommage en cas d'accident (puisqu'il ne respectera jamais le standard). Ceci est parfaitement
rationnel de sa part puisqu'en n'adhérant pas au standard mais au niveau de premier rang, le coût
de l'accident qu'il supporte est le plus faible. En d'autres termes, l'offenseur sera toujours jugé
responsable, mais le first best sera maintenant décentralisé.
Le second type d'erreurs et/ou de distorsions, concerne l'observation des préjudices des
victimes.
2.2.2 les biais d'évaluation des dommages aux victimes
Jusqu'à présent, on a considéré que les dommages accordés par le juge lorsque la
responsabilité de l'offenseur est engagée correspondent à la valeur du préjudice/de la perte
supportée par la victime. Plusieurs raisons peuvent expliquer que le dommage accordé et le
préjudice vont en fait différer.
Tout d'abord, le préjudice peut être difficile à évaluer, et sa mesure est alors sujette à un
risque d'erreur. C'est le cas à propos des dommages corporels dans le cas des accidents de la
circulation et/ou de la responsabilité médicale (et les compensations accordées par les tribunaux
peuvent fortement diverger), ou dans le cas où la victime invoque un "préjudice moral". Par
exemple, considérons que l'évaluation proposée par le juge peut être représentée par un
estimateur du type: D + ε où ε est l'erreur d'observation.
Si ε est un bruit blanc (les erreurs sont d'espérance nulle, non corrélées, et de faible variance),
l'erreur du juge sera sans conséquence pour les parties, dans la mesure où elles sont supposées
neutres vis-à-vis du risque, puiqu'alors, l'estimateur tend en .moyenne vers le dommage de la
victime.
12
En revanche, si les erreurs sont systématiques, l'estimateur utilisé par le tribunal est biaisé
et son espérance mathématique diffère de la vraie valeur du préjudice de la victime. On montre
que les conséquences diffèrent selon la règle de responsabilité qui est appliquée par le juge
(Cooter (1984), Shavell (1986), Summers (1983)) - d'une façon analogue à ce qu'implique les
erreurs dans la définition des standards de précaution sous la règle de négligence. On supposera
que l'offenseur connaît la distribution des erreurs du juge, mais qu'il ne sait pas quel sera le
dommage accordé à la victime ex post. Notons Dε l'espérance mathématique des dommages
accordés à la victime conditionnellement aux erreurs d'observation du tribunal.
Sous la règle de responsabilité stricte, l'offenseur choisira un niveau de prévention
x( Dε ) = xε = arg min x ( p ( x) Dε + x) : il est immédiat que Dε > D ⇒ xε > x ∗ , et au contraire
Dε < D ⇒ x ε < x ∗ .
Sous la règle de négligence, à supposer que le standard de précaution soit correctement
défini par le tribunal, le coût de l'offenseur s'écrit maintenant:
cx =
si x ≥ x ∗
x
x + pxDε sinon
Considérons d'abord que Dε > D : l'offenseur a alors d'autant plus d'incitations à respecter le
standard que dans ce cas le coût qu'il supporte est toujours plus faible que le coût de la
responsabilité, puisqu'on a la suite d'inégalités suivante: x ∗ < xε < xε + p ( xε ) Dε . Mais même
∗
dans le cas où Dε < D , l'offenseur peut préférer adhérer au standard bien que x > x ε : c'est
par exemple ce qui ce produit lorsque la différence entre le standard et l'effort individuellement
efficace pour l'offenseur est suffisamment faible: x ∗ − xε < p( xε ) Dε . En revanche, si cet écart
entre les niveaux de prévention est suffisamment grand, l'offenseur n'a plus d'incitation à
respecter le standard, et est donc systématiquement jugé responsable.
Proposition 3. Si l'estimation des dommages de la victime réalisée par le tribunal est biaisée,
alors:
i) les règles de responsabilité ne sont plus équivalentes;
ii) la responsabilité stricte n'est plus efficiente; elle conduit l'offenseur à un excès (une
insuffisance) de précaution si les dommages sont surestimés (respectivement, sous-estimés) par le
juge; la victime obtient alors une compensation plus importante (faible) que son vrai préjudice;
iii) la règle de négligence reste efficace dans deux configurations: soit lorsque le dommage est
surestimé par le juge, soit lorsqu'il en donne une sous-estimation qui n'est pas trop importante;
l'offenseur n'est alors jamais responsable, et la victime ne reçoit aucune compensation;
iv) au contraire, si le juge sous-estime de façon trop importante le dommage, l'offenseur ne
respecte plus le standard parce qu'il devient trop coûteux pour lui, et préfère supporter le coût de
la responsabilité; la victime reçoit alors une compensation plus faible que son vrai préjudice.
13
Les dommages accordés peuvent aussi différer du préjudice effectif de la victime parce
que le tribunal manifeste la volonté de punir un individu (une firme) responsable d'un accident,
dans le cas où il a agi de façon intentionnelle, délibérée, en ayant parfaitement conscience des
conséquences dommageables que l'accident occasionnerait pour des tiers, voire parce qu'il a agi
avec la volonté de nuire à une tierce personne. Le juge accorde alors ce que l'on appelle des
"dommages punitifs" à la victime. Ils peuvent aussi se justifier par le risque que l'offenseur
échappe à la responsabilité bien qu'il soit responsable de l'accident, notamment parce que la
détection des délits ou des fraudes n'est pas parfaite mais peut s'avérer défaillante; les dommages
punitifs peuvent alors être utilisés pour renforcer les incitations à la prévention ex ante, en
compensant les erreurs commises ex post dans la détection des infractions.
Par exemple, considérons que la probabilité de détection du responsable d'un accident
occasionnant le préjudice D à une tierce personne, soit β < 1 . Il est immédiat que dans ces
conditions, le tribunal doit accorder à la victime une compensation supérieure à la valeur de son
préjudice, s'il veut fournir des incitations suffisantes à la prévention en direction de l'offenseur, et
principalement, si l'on attend de lui qu'il fournisse l'effort efficace x ∗ : cela signifie que la
compensation additionnelle nécessaire doit être égale à Ω définie par la simple relation:
D = β ( D + Ω) - soit : Ω = 1−ββ D(> ou < D) . On vérifie que les règles de responsabilité pour et
sans faute, associées aux dommages punitifs, permettent la décentralisation de x ∗ .
2.3 L'endogénéisation de l'activité de l'offenseur
Jusqu'à présent, on a raisonné en négligeant l'activité principale de l'offenseur, notamment
son activité de production lorsqu'il s'agit d'une firme par exemple, laquelle produit des bénéfices
privés pour le producteur, mais aussi la plupart du temps des bénéfices sociaux (pour les
consommateurs de son output). D'un point de vue social, le fait d'endogénéiser la décision de
production conduit alors à un arbitrage entre le bénéfice privé et social de l'activité de l'offenseur
et la perte sociale (externalité) qu'elle provoque en cas d'accident, qui n'est supportée que par les
victimes. Limiter l'activité de la firme pour réduire le coût externe de l'accident réduit en même
temps les bénéfices directs tirés de l'activité et de la consommation de l'output.
Sans perte de généralité, on traitera ici le cas extrême où l'activité du producteur ne génère
qu'un simple bénéfice privé.
Considérons que les dépenses d'investissement productif (utilisation d'inputs de
production) permettent à l'offenseur d'accroître d'un côté, son output et son profit, mais de l'autre,
qu'elles augmentent le préjudice de la victime. Par exemple, admettons que le profit d'activité de
l'offenseur soit noté π (z ), où z représente son output, et que le dommage anticipé de la
victime s'écrive p ( x) D( z ) , de telle sorte que l'effort de prévention de l'offenseur affecte la
fréquence de l'accident pendant que son output affecte le montant du préjudice que la victime
subit. La fonction p (x ) a les mêmes caractéristiques que précédemment; pour la fonction de
profit et la fonction de dommage, on aura:
Hypothèse 2:
2.1 π ′ > 0, π ′′ < 0
2.2 D′ > 0, D ′′ < 0
14
La solution en information parfaite correspond maintenant à un niveau de production et
un niveau d'effort de prévention, ( ~z , ~
x ) , qui maximisent le surplus social10:
B = πz − x − pxDz
et qui sont déterminés par les deux conditions de premier ordre (en considérant le cas d'une
solution intérieure à nouveau):
π ′ z̃ = px̃ D′ z̃
− ′ 1 = Dz̃
p x̃ 
La première de ces deux conditions indique que ~
z l'investissement productif socialement
efficace de l'offenseur est tel que le profit marginal qui découle de son activité est juste égal au
coût marginal ex ante de l'accident pour la victime - ce qui montre en particulier que ~z est
inférieur au niveau qui maximiserait son seul profit (i.e. tel que π ′( z ) = 0 ). Clairement, c'est ce
dernier montant d'investissement productif qui sera choisi par l'offenseur s'il n'existe aucune règle
de responsabilité qui le contraint à internaliser le coût externe de l'accident (auquel cas, il choisira
en même temps: x = 0 ).
La seconde condition est analogue à celle déjà rencontrée, à ce détail près que le montant
du dommage en cas d'accident est maintenant fonction de l'activité de l'offenseur: cette condition
indique notamment que plus l'output réalisé par l'offenseur est important, plus le préjudice de la
victime est important et plus les investissements dans la prévention de l'offenseur doivent être
élevés.
Voyons maintenant quel est l'impact de l'introduction d'une règle de responsabilité.
Dans le cas de la responsabilité stricte, à nouveau l'offenseur fait face à la même
structure de bénéfice et de coût que le planificateur, et entreprend donc à l'équilibre centralisé le
même output et le même investissement dans la prévention que le planificateur: le first best
( ~z , ~
x ) est donc bien décentralisé par la règle de responsabilité stricte.
Dans le cas de la règle de négligence, en considérant directement le standard de
précaution efficace X = ~
x , le profit net du coût de l'accident de l'offenseur s'écrit maintenant
sous la forme suivante:
10
La spécification retenue ici pour endogénéiser l'output de l'offenseur repose sur l'hypothèse que le coût de
production de l'output est séparable par rapport au coût de la prévention. On pourra vérifier que les mêmes résultats
qualitatifs seraient obtenus en admettant que les coûts ne sont pas séparables, en choisissant par exemple que le profit
d'activité net du coût de prévention s'écrit π ( z , x ) ; voir Miceli (2001) par exemple. Nussim et Tabbach (2009) en
discutent plus récemment les implications.
15
Πz, x =
πz − x
si x ≥ x̃
πz − x − pxDz sinon
Il est alors simple de voir que l'offenseur va se plier au standard en choisissant l'effort de
prévention optimal, de façon à être face à une structure de coût de production de son output plus
avantageuse. Mais en contrepartie, l'output qui sera obtenu est simplement
z (0) = arg max z (π ( z )) > ~z . La responsabilité pour faute conduit donc l'offenseur à choisir l'effort
optimal, mais en échappant ainsi à la responsabilité, il est incité à choisir un niveau d'output
inefficace, et plus spécifiquement supérieur à l'output de premier rang: dans ces conditions, non
seulement la victime n'est pas compensée pour le préjudice subi, mais elle doit en plus faire face
à un dommage plus élevé qu'au premier rang. Il en est ainsi parce que la règle de négligence ne
spécifie que le niveau requis pour l'effort de prévention - et rien pour le niveau d'activité, qui est
choisi librement par l'offenseur. On a alors la conclusion suivante:
Proposition 4. Lorsqu'on prend en compte de façon endogène l'activité de l'offenseur:
i) les règles de responsabilité stricte et pour faute ne sont plus équivalentes;
ii) elles permettent toutes deux de décentraliser l'effort de prévention socialement efficace;
iii) mais si la règle de responsabilité stricte incite l'offenseur a produire également l'output
socialement efficace, en revanche la règle de négligence l'incite à produire un niveau d'output
excessif par rapport au niveau socialement efficace, ce qui induit un préjudice plus important en
cas d'accident pour la victime.
Deux remarques pour conclure sur ce point. D'abord, la défaillance de la règle de
négligence vient de ce qu'elle est fondée uniquement sur un standard de précaution - et non pas
un standard d'activité. On peut se demander pourquoi n'imposerait-elle aucune exigence quant au
niveau d'ouput de l'offenseur? La justification habituellement fournie repose sur l'information
disponible des tribunaux, notamment celle qu'ils sont raisonnablement en mesure de pouvoir
collecter et analyser. Ainsi, il est communément admis que les tribunaux seront plus enclins à
déterminer avec suffisamment de précision et à un coût raisonnable, les standards d'effort
efficaces en matière de prévention: on peut considérer qu'ils relèvent de leur compétence
habituelle, et/ou qui leur sont délivrés par des experts reconnus et aguerris en matière de
prévention des risques d'accidents. En revanche, il leur sera beaucoup plus difficile et beaucoup
plus coûteux d'accéder à la structure des coûts de production de l'offenseur, de façon à établir les
niveaux d'activités pertinents (le juge n'étant pas un régulateur).
En second lieu, ceci permet de comprendre pourquoi la règle de responsabilité stricte a
fini par s'imposer dans de nombreux domaines du droit des accidents, par exemple dans le
domaine des risques industriels, médicaux et/ou environnementaux, pour lesquels l'activité de
l'offenseur est à l'origine de l'accident qui a entraîné un préjudice pour une autre partie, et lorsque
la victime n'a d'autre solution que de subir de façon passive l'accident.
16
Section 3 : Accident avec prévention multilatérale
Considérons maintenant la situation où l'offenseur mais aussi la victime peuvent toutes
deux réaliser des dépenses de prévention afin de réduire la fréquence de l'accident. La
technologie jointe de précaution est maintenant représentée par la probabilité: p ( x, y ) , où y
représente l'investissement (le coût) dans la prévention de la victime, qui a les propriétés
suivantes:
Hypothèse 3:
3.1 p x < 0, p y < 0 , p xx > 0,
3.2 p xx p yy − ( p xy ) > 0
p yy > 0
2
En particulier, la condition 3.2 correspond à la convexité de la probabilité d'accident, qui est
requise par la suite comme condition suffisante d'existence de solutions intérieures.
3.1 Complémentarité versus substituabilité entre les efforts de prévention
Un planificateur parfaitement informé va déterminer le niveau de prévention de first best
demandé à chaque individu en minimisant la fonction de coût social suivante:
Cx, y = x + y + px, yD #
qui correspond maintenant à la somme des coûts privés de la prévention supportés par les deux
individus, augmenté du coût externe anticipé de l'accident pour la victime.
Si l'on admet l'existence d'une solution intérieure, l'équilibre centralisé de cette économie conduit
aux niveaux de dépense de prévention notés ( x ∗ , y ∗ ), qui sont caractérisés par les conditions:
1
=D
p x x ∗ , y ∗ 
1
−
=D
p y x ∗ , y ∗ 
−
Elles signifient, qu'à l'équilibre centralisé en information parfaite, les dépenses individuelles
optimales de prévention sont telles que leur coût marginal ( − p ( x1∗ , y ∗ ) ou − p ( x1∗ , y∗ ) ) doit être
x
y
égal à la disponibilité à payer pour une réduction du risque d'accident de la victime.
Avant d'examiner dans quelles conditions le first best peut être décentralisé à partir de
règles de responsabilité, on étudie la relation entre le dommage de la victime et les
investissements de chaque partie dans l'activité de prévention.
L'hypothèse 3 est finalement peu exigeante, au sens où elle impose peu de restrictions sur
les comportements de prévention des deux parties. Il est facile de comprendre qu'a priori, il n'y a
aucune raison de penser que l'offenseur doive réaliser ici un effort de prévention plus important
17
que la victime - ce résultat n'est valable que sous certaines conditions concernant les
caractéristiques de la technologie jointe de prévention, qui dépendent d'hypothèses plus
spécifiques que l'hypothèse 1. De la même façon, et paradoxalement, il n'y a aucune raison de
penser que les efforts de chaque partie soient croissants avec la valeur du préjudice subi par la
victime. On examine ici formellement ces deux points.
On peut se demander d'abord quel est l'impact d'une hausse des investissements de
prévention de l'un des individus sur celles de l'autre, pour un niveau donné des dommages à la
victime: en fait, cet effet va dépendre du signe de la dérivée croisée p xy .
Admettons alors que p xy = 0 - ce cas nous servira de référence. Ceci se produit
notamment lorsque la technologie de prévention est additivement séparable entre les niveaux
individuels de prévention: p ( x, y ) = P ( x) + P ( y ) . Dans ces conditions, l'accroissement des
dépenses de prévention de l'une des parties n'a aucun effet sur celle de l'autre puisqu'elles ne
modifient pas le coût marginal des efforts de prévention de l'autre: les investissements dans la
prévention sont indépendants dans la technologie de prévention.
Maintenant, supposons que p xy > 0 , et qu'initialement x = 0 ; alors l'augmentation des
efforts de prévention de l'offenseur va accroître le coût marginal des dépenses de précaution de la
victime, de telle sorte que, pour un x > 0 quelconque: − p x (1x , y ) > − p x (10, y ) . De la même façon,
lorsque la victime accroît son effort de prévention, le coût marginal de la prévention augmente
aussi pour l'offenseur. Ceci a pour conséquence que lorsque l'offenseur (respectivement la
victime) investit plus dans la prévention, alors la victime (l'offenseur) est en contrepartie incitée à
réduire ses propres dépenses de précaution: en d'autres termes, si p xy > 0 , les efforts de
prévention individuels sont substituables dans la technologie de prévention.
Inversement, si p xy < 0 , alors l'accroissement des efforts de prévention de l'offenseur
réduit le coût marginal des dépenses de précaution de la victime, de telle sorte que
− p x (1x , y ) < − px (10, y ) . En conséquence, lorsque l'offenseur (resp. la victime) investit plus dans la
prévention, alors la victime (l'offenseur) est en contrepartie incitée à augmenter maintenant ses
propres dépenses de précaution: en d'autres termes, si p xy < 0 , alors les efforts de prévention
individuels sont complémentaires dans la technologie de prévention.
On peut maintenant étudier la relation entre la valeur du préjudice de la victime et
l'investissement des deux parties dans la prévention. L'étude de la statique comparative montre
que:
dx ∗ = 1 p y p xy − p x p yy
D p xx p yy − p xy  2
dD
p x p xy − p y p xx
dy ∗
= 1
D p xx p yy − p xy  2
dD
de telle sorte que dans chaque cas le signe est celui du numérateur - le dénominateur étant positif
sous l'hypothèse 3.2. Le résultat est alors immédiat:
18
Proposition 5. Toute chose égale par ailleurs,
i) lorsque x et y sont indépendants ou complémentaires dans la technologie de prévention (pxy ≤
0), alors les investissements individuels sont tous deux croissants avec le dommage de la victime.
ii) lorsque x et y sont substituables dans la technologie de prévention (pxy ≥ 0), alors:
- l'effort de prévention de la victime est croissant avec son dommage si px/py > pxy/pyy, et
décroissant sinon;
- l'effort de prévention de l'offenseur est croissant avec le dommage de la victime si px/py <
pxx/pxy, et décroissant sinon.
L'hypothèse 3.2 imposant que
pxx
p xy
>
p xy
p yy
, la proposition 5ii) implique alors que:
Proposition 6. Lorsque x et y sont substituables dans la technologie de prévention:
i) les investissements individuels sont tous deux croissants avec D dès que pxx/pxy > px/py >
pxy/pyy ;
ii) si que pxx/pxy < px/py, l'effort de prévention de la victime est croissant pendant que l'effort de
l'offenseur est décroissant avec D;
iii) si > px/py < pxy/pyy ,l'effort de prévention de la victime est décroissant pendant que l'effort de
l'offenseur est croissant avec D.
En d'autres termes, si l'hypothèse de complémentarité entre les efforts dans la technologie
de prévention entraîne toujours la complémentarité entre les investissements individuels à
l'équilibre (proposition 5i), en revanche la substituabilité dans la technologie peut s'accompagner
de la complémentarité des efforts individuels à l'équilibre (proposition 6i) (voir aussi Friehe
(2009)).
3.2 La comparaison entre les règles de responsabilité
Dès lors que les deux parties, par leur propre comportement en matière de prévention,
affectent la probabilité d'accident, on s'attend à ce que les règles de droit sur les accidents qui
n'engagent que la seule responsabilité de l'offenseur et excluent celle de la victime, ne soient pas
efficaces - qu'elles ne suffisent pas à décentraliser les efforts de premier rang ( x ∗ , y ∗ ) . La
plupart du temps, la responsabilité de la victime doit aussi être engagée. C'est ce que l'on examine
ici.
L'équilibre décentralisé en présence d'activités conjointes de prévention est maintenant
caractérisé par le choix simultané par les deux parties d'un niveau de dépense individuelle de
précaution: chacune des parties choisit l'effort de prévention qu'elle va mettre en oeuvre de façon
à minimiser ex ante le coût total de l'accident qu'elle supporte, tout en tenant compte de l'effort
réalisé par l'autre partie. L'équilibre décentralisé est alors un équilibre de Nash. L'expression du
coût de l'accident ex ante qui est supporté par chaque partie dépend de la règle de responsabilité
19
annoncée par le législateur.
On introduit les différentes règles de responsabilité pertinentes dans un contexte bilatéral.
- aucune responsabilité de l'offenseur: c'est de fait une règle de responsabilité stricte de la
victime; dans ce cas, il est facile de comprendre que l'offenseur ne réalise aucune dépense de
prévention puisqu'elles sont coûteuses ( y = 0 ). La victime sera seule à investir dans la
prévention, et choisira le niveau de précaution yˆ = arg min y ( p (0, y ) D + y ) ; elle supportera la
perte D sans pouvoir obtenir réparation du préjudice en cas d'accident. Le choix de la victime
est alors par construction la meilleure décision de prévention qu'elle peut prendre étant donné le
comportement de l'offenseur ( 0, ŷ ) est un équilibre de Nash); ceci peut la conduire à surinvestir ou au contraire à sous-investir dans la prévention, en fonction des caractéristiques de la
technologie de prévention. On peut ainsi vérifier qu'en l'absence de responsabilité de l'offenseur,
la victime va choisir une dépense de prévention excessive par rapport au first best ( y ∗ ≤ yˆ ) si
p xy > 0 , mais insuffisante ( y ∗ ≥ yˆ ) si p xy < 0 .
- la responsabilité stricte de l'offenseur: c'est de fait une règle d'absence de responsabilité de la
victime: la situation est alors inversée par rapport au cas précédent. La victime n'a plus
d'incitation à réaliser des efforts de prévention, puisqu'elle n'est jamais jugée responsable et que
les efforts de prévention sont coûteux - elle choisit donc y = 0 . De son côté, si le juge accorde la
compensation complète du dommage de la victime, l'offenseur va choisir le niveau de précaution
xˆ = arg min x ( p( x, 0) D + x) . En cas d'accident, il compense intégralement le préjudice de la
victime, et absorbe donc le dommage D à sa place. A nouveau, en raison de l'absence de
responsabilité de la victime, l'offenseur va choisir une dépense de prévention excessive par
rapport au first best ( x ∗ ≤ xˆ ) si p xy > 0 , mais insuffisante ( x ∗ ≥ xˆ ) si p xy < 0 .
- la règle de négligence: admettons que le tribunal fixe comme standard de précaution le niveau
X = x ∗ . Le coût de l'offenseur ex ante se définit dans ce cas de la façon suivante:
cx =
si x ≥ x ∗
x
x + px, yD sinon
Pour tout niveau de prévention y choisi par la victime, l'offenseur choisit l'effort x ( y ) qui
correspond au coût de l'accident le plus faible: c( x( y )) = min( x ∗ , x + p ( x, y ) D) . En respectant le
standard, l'offenseur échappe totalement à la responsabilité; mais si y est choisi de façon
quelconque, la meilleure réponse de l'offenseur n'est pas nécessairement de se conformer à ce
standard dès lors qu'il existe des valeurs de y telles que: x ∗ − x( y ) ≥ p( x( y ), y ) D . Toutefois, si
la victime choisit y ∗ , la meilleure réponse de l'offenseur est de respecter aussi le standard x ∗ .
De son côté, la victime anticipe qu'elle fait face au coût suivant:
20
∁y =
y + px, yD si x ≥ x ∗
y
sinon
puisque l'offenseur échappe à la responsabilité en adhérent au standard. Pour les mêmes raisons
que ci-dessus, la victime ne choisira comme meilleure réponse y ∗ , son effort de premier rang,
que si l'offenseur choisit lui-même x ∗ son niveau de premier rang. Ainsi, sous la règle de
négligence avec un standard d'effort x ∗ , le first best ( x ∗ , y ∗ ) correspond-il à l'équilibre de
Nash en présence de prévention bilatéral de la part de la victime et de l'offenseur.
- la règle de responsabilité stricte avec "une défense de négligence contributive" (defense of
contributory negligence); sous cette règle de responsabilité, l'offenseur échappera à la
responsabilité dès lors que la victime a été elle-même négligente ( y < y ∗ : l'offenseur est
responsable sauf si la victime n'a pas fait son effort). La fonction de coût de l'offenseur s'écrit
maintenant:
cx =
si x ≥ x ∗ et y < y ∗
x
x + px, yD sinon
La fonction de coût de la victime pour sa part est:
∁y =
y + px, yD si x ≥ x ∗ et y < y ∗
y
sinon
Avec cette règle de responsabilité, l'offenseur est strictement responsable conditionnellement au
fait que la victime n'est pas négligente - symétriquement, la victime est strictement responsable
conditionnellement à l'absence de négligence de l'offenseur. Il est alors immédiat que le first best
( x ∗ , y ∗ ) est à nouveau la solution de l'équilibre de Nash de cette économie.
Pour conclure cette discussion:
Proposition 7. En présence d'activités de prévention bilatérales,
i) les règles de responsabilité stricte et pour faute ne sont plus équivalentes;
ii) la règle de responsabilité stricte est sous optimale; en particulier elle impose à l'offenseur
d'investir trop (pas assez) dans la prévention si la technologie de prévention est caractérisée par
des investissements individuels dans la précaution substituables (complémentaires); toutefois,
elle assure que la victime obtiendra une compensation pour son préjudice en cas d'accident.
iii) la règle de négligence et toutes les règles de responsabilité comportant un principe de
"défense en négligence contributive", sont efficaces; mais elles imposent à la victime de
21
supporter toute seule les conséquences de l'accident - elle n'obtient aucune compensation en cas
d'accident.
Il existe d'autres règles de responsabilité incorporant ce principe de "défense en
négligence contributive"11. Par exemple la règle de négligence avec une défense de négligence
contributive (NDNC) : l'offenseur sera considéré responsable en cas d'accident si et seulement si
il a réalisé un effort de prévention inférieur au standard et si la victime a fait un effort au moins
égal au standard : l'offenseur n'est pas responsable s'il a fait son effort ou si la victime n'a pas fait
d'effort. Ou encore, la règle de négligence comparative (NC): l'offenseur sera considéré
responsable pour l'ensemble des dommages de la victime en cas d'accident si et seulement si il a
réalisé un effort de prévention inférieur au standard et la victime a fait un effort au moins égal au
standard; mais il ne supportera qu'une partie des dommages de la victime si tous deux ont été
négligents. Shavell (1987) et Landes et Posner (1987) ont montré qu'elles permettaient aussi la
décentralisation du first best (Miceli (1997), Deffains et Langlais (2000)).
Section 4 : L'inobservabilité du type des parties
Afin de simplifier l'exposé (sans perte de généralité) on peut revenir au cadre de la
prévention unilatérale. On a vu que lorsque l'information disponible pour le tribunal n'était pas
parfaite (cas d'asymétries d'information entre les parties et le juge), les erreurs commises par les
juges pouvaient produire des mauvaises incitations ou des incitations insuffisantes à la
prévention, de telle sorte que le fonctionnement des règles de responsabilité pouvait conduire à
des distorsions dans les niveaux de prévention.
On poursuit ici l'analyse des conséquences de l'imperfection de l'information pour la mise
en oeuvre de la prévention par les règles de responsabilité. L'idée est que le tribunal peut être en
mesure de donner ex post une appréciation de meilleure qualité que celle à laquelle aboutit ex
ante l'offenseur, à propos du préjudice subi par la victime: celui-ci est dans l'incapacité d'observer
le type de la victime, et n'en connaît que le type moyen, compte tenue de l'information globale
disponible sur la population potentielle. La question est alors de savoir quelles règles de
compensation des dommages appliquer. Doit-il individualiser les dommages? Ou doit-il
appliquer une règle de dommages agrégé, par exemple les dommages moyens? Il s'agit aussi
dévaluer les incitations à acquérir de l'information (Kaplow et Shavell 1994b, 1996)) et leurs
conséquences.
On reviendra sur le cas d'une asymétrie d'information entre le juge et les parties,
principalement en considérant le cas d'une asymétrie d'information concernant le type de
l'offenseur.
4.1 Information gratuite pour le tribunal
Considérons que l'accident peut se traduire par plusieurs niveaux de préjudices possibles
11
La défense en négligence contributive (DNC) permet à l'offenseur d'échapper à toute responsabilité dès
lors que la victime s'est montrée négligente. Puisque chaque partie peut faire un effort discret ici (nul ou
positif), on supposera que le standard correspond à l'effort positif.
22
pour la victime. Deux problèmes peuvent alors survenir: soit le tribunal dispose de plus
d'information que l'offenseur, à propos du type de la victime; soit le tribunal comme l'offenseur
n'observent pas le type de la victime.
Par ailleurs, l'information sur le type de la victime (le montant correct de son préjudice)
est rarement gratuite - le tribunal doit utiliser des ressources coûteuses (temps d'investigation et
d'analyse des rapports d'expertise etc...) afin de collecter cette information. Eventuellement,
l'offenseur peut aussi choisir d'acquérir de l'information sur les dommages que son action
occasionne.
Considérons qu'en cas d'accident, la victime subit soit une perte faible D f , avec
probabilité α ∈]0, 1[ , soit une perte élevée DF avec probabilité 1 − α ∈]0, 1[ ; ou encore de
façon équivalente, supposons qu'il existe deux types alternatifs de victimes: certains individus
dont la proportion dans la population totale est α ∈]0,1[ , supportent une perte D f ; le reste de
la population supporte une perte DF > D f .
Si l'information sur le montant des dommages est obtenue ex post sans coût pour le
tribunal, mais que dans le même temps l'offenseur observe ex ante le type de la victime, la
solution qui doit être considérée comme norme à décentraliser est évidemment la solution de
premier rang que l'on a décrite à la section 2, et les règles de responsabilité ont les mêmes
propriétés que celles décrites au paragraphe 2.1. Mais si le type de la victime n'est pas observable
ex ante par l'offenseur, alors cette solution n'est plus pertinente, même dans le cas où le tribunal
dispose d'une information plus précise que l'offenseur (il observe ex post sans coût le type de la
victime): il est préférable que le tribunal se place "derrière le voile d'ignorance" pour établir la
responsabilité de l'offenseur, c'est-à-dire qu'il se mette dans les mêmes conditions
informationnelles que l'offenseur afin de déterminer quel est le montant socialement souhaitable
de l'investissement dans la prévention de l'accident que celui-ci aurait dû mettre en oeuvre.
Supposons alors que le type de la victime constitue une information privée, qui n'est
observée ex ante ni par l'offenseur, ni par le tribunal (le législateur se retranche derrière le voile
d'ignorance). Seule l'information agrégée concernant le montant du préjudice anticipé subi par la
population D = αD f + (1 − α ) DF est publique: c'est le dommage moyen de la population de
victimes. La solution correspondant à cet optimum contraint est obtenue en minimisant le coût
social ex ante de l'accident, qui s'écrit maintenant:
̄
Cx = x + pxD
L'effort de prévention caractérisant cet optimum contraint
suivante:
−
x(D )
est donné par la condition
1
̄
=D
̄ 
p xD
′
Il est alors immédiat que la règle de responsabilité stricte comme la règle de négligence vont
toutes deux permettre de décentraliser ce niveau de prévention si le tribunal annonce que la
victime obtiendra en compensation de son préjudice le dommage moyen D , indépendamment
23
de son type spécifique. Sous la règle de responsabilité stricte et avec compensation au dommage
moyen, l'offenseur a la même structure de coût que le tribunal (le planificateur). Sous la règle de
négligence avec compensation au dommage moyen toujours, l'offenseur choisit alors aussi l'effort
x(D ) puisqu'il minimise son coût c( x) = min( x, p ( x) D + x).
Le tribunal aurait-il intérêt à utiliser une règle de dommage plus précise, i.e. accorder à la
victime une compensation égale à son préjudice effectif (individuel) plutôt que d'accorder le
dommage moyen à toutes les victimes? En fait, le comportement de l'offenseur sera identique
dans l'une ou l'autre solution, puisqu'en l'absence d'une information précise sur le type de la
victime, il raisonnera ex ante en termes de dommage moyen, en utilisant l'information sur la
population totale. Autrement dit, même à supposer que le tribunal applique une règle de
dommage individualisé, la décentralisation par une règle de responsabilité ne conduira pas
l'offenseur à conditionner ses dépenses de précaution sur la base des dommages individuels - il ne
les observe pas - mais il déterminera simplement à l'équilibre décentralisé son effort efficace en
fonction du dommage moyen (compte tenu de son information sur le structure de la population de
victimes potentielles) - et choisira dans tous les cas x(D ) . Comme Shavell (1987) l'indique,
l'information précise sur le type des victimes n'a en fait dans ces conditions aucune valeur sociale.
Pour synthétiser, on a12:
Proposition 8. Lorsque l'offenseur n'observe pas le type de la victime, mais que cette information
est gratuite pour le tribunal,
i) l'optimum social pertinent correspond aux dépenses de prévention
qui minimisent le coût social de l'accident ex ante, exprimé par rapport au dommage moyen des
victimes;
ii) la responsabilité stricte et la règle de négligence, avec compensation du préjudice au
dommage moyen pour toutes les victimes indépendamment de leur type, sont équivalentes, et
efficaces;
iii) l'information précise sur la valeur des dommages individuels a une valeur sociale nulle,
puisque du point de vue de l'offenseur, il est indifférent que le tribunal compense la victime au
dommage individuel ou au contraire au dommage moyen.
Plus généralement, considérons qu'il existe toujours deux types de victimes dans la
population, dont le dommage respectif est D f et DF , mais qu'en cas d'accident, il y a
seulement une proportion θ ∈]0,1[ de victimes du préjudice D f effectivement affectées par
l'accident, pendant que la proportion de victimes effectives du préjudice DF est λ ∈]0,1[ . Le
tribunal peut alors vouloir utiliser cette information plus précise sur le dommage des victimes, en
appliquant par exemple un indice de dommage basé sur le dommage moyen observé des victimes,
c'est-à-dire conditionnellement à l'occurrence de l'accident. Le dommage moyen conditionnel à
l'accident dans ce cas est égal à:
12
Le résultat est généralisable au cas d'un continuum de victimes dont le dommage est distribué selon une loi
représentée par une fonction de répartition F (D ) définie sur [ D f , D F ] .
24
Δ=
αθ
Df +
αθ + 1 − αλ
1 − αλ
DF
αθ + 1 − αλ
Supposons que les proportions (θ , λ ) sont constantes. Il est facile de voir qu'en général, la règle
de dommages moyens conditionnels ∆ n'induira pas le même effort de prévention que la règle
de dommages inconditionnels D , sauf dans le cas particulier où θ = λ , puisqu'alors ∆ = D .
Mais plus généralement, pour θ ≠ λ on aura, en notant x(∆) = arg min x ( x + p ( x)∆) :
̄ ≤ Δ et donc xD
̄  ≤ xΔ
λ≥θD
̄ ≥ Δ et donc x ∗ = xD
̄  ≥ xΔ
λ≤θD
Toutefois, les règles de responsabilité pour et sans faute permettront de façon équivalente la
décentralisation de x(∆ ) , si la règle de dommage ∆ est utilisée par le tribunal.
Quels éléments frictionnels permettraient de faire tomber cette équivalence entre les deux
règles de responsabilité? A nouveau, il est aisé de voir que si l'offenseur ne dispose que d'une
information biaisée sur (θ , λ ) les valeurs prises par la proportion de chaque type de victimes qui
est effectivement affectée par un préjudice en cas d'accident, alors les deux règles n'induiront plus
le même équilibre décentralisé: un résultat analogue à celui de la proposition 8 s'appliquera dans
ce cas.
4.2 Cas de l'information coûteuse pour l'offenseur
Dans le paragraphe précédent, on a considéré que l'offenseur n'observait pas le type de la
victime, et qu'implicitement, il ne pouvait pas l'apprendre avant de choisir son effort de
prévention. Envisageons maintenant la situation où l'offenseur peut apprendre le type de la
victime, i.e. il peut procéder à un test préliminaire afin d'évaluer le montant du préjudice qu'il
pourrait occasionner à la victime (voir Shavell (1992)). Un producteur peut ainsi procéder à des
essais d'un nouveau produit qu'il vient de développer avant de le commercialiser, afin d'évaluer sa
dangerosité pour le consommateur, ou afin d'apprécier les conséquences pour l'utilisateur en cas
de défaillance ou d'utilisation inadéquate13.
Supposons par exemple que le test représente un coût fixe k > 0 . Il permet d'apprendre
ex ante que le dommage de la victime est soit D f , soit DF . Le résultat du test est supposé
fiable14.
Déterminons d'abord l'optimum social. Le planificateur a deux types de décisions à
prendre: dans une première étape, il doit choisir d'acquérir ou pas l'information précise sur le type
13
Cette configuration suppose que le consommateur peut lui-même investir dans la prévention - ce que l'on étudiera
plus précisément à la section suivante.
14
L'analyse peut se généraliser au cas où le test renseigne sur le type de la victime avec une marge d'erreur connue.
25
de la victime; dans une second étape, compte tenue de l'information dont il dispose sur la victime
(précise ou agrégée), il doit choisir l'effort de prévention qui maximise le coût social de
l'accident.
S'il ne procède pas au test, la meilleure décision de prévention qu'un planificateur pourrait
prendre est celle décrite au paragraphe précédent, si on admet que α est sa croyance a priori sur
le type de la victime; x(D ) est alors la meilleure décision de prévention compte tenu de
l'information disponible.
Si le planificateur décide d'acquérir l'information, et que le résultat du test renseigne que
le préjudice est Di (pour i ∈ { f , F } ), l'effort efficace de prévention adéquat est évidemment
̄  < xDF  : l'information
x( D ) = arg min ( x + p( x) D ) , de telle sorte que xDf  < xD
i
x
i
précise obtenue permet d'adapter la décision de prévention au préjudice de la victime, et donc de
prendre une meilleure décision de prévention. Notamment, la dépense de prévention doit être
d'autant plus élevée que le préjudice est important, ce qui permet de minimiser le coût social de
l'accident compte tenu de l'information obtenue, puisque par construction:
̄  + pxD
̄ Df
CxDf  ≡ xDf  + pxDf Df < xD
̄  + pxD
̄ DF
CxDF  ≡ xDF  + pxDF DF < xD
La valeur du test " Di " est alors définie par:
̄  + pxD
̄ Di  − CxDi  ≥ 0
VIDi  = xD
pour i ∈ { f , F } . On peut maintenant calculer la valeur de l'information, et préciser s'il est
socialement optimal de l'acquérir ou pas. De façon usuelle, VI est définie comme la moyenne
pondérée de la valeur du test conditionnellement au fait que le préjudice de la victime est faible et
de la valeur du test conditionnellement au fait que le préjudice est élevé. De façon équivalente,
c'est la différence entre le coût social de l'accident et de la prévention lorsque l'information sur le
type de la victime n'est pas acquise ex ante, et la valeur du coût social lorsque le type de la
victime est appris, soit:
VI ≡ αVIDf  + 1 − αVIDF 
̄  − αCxDf  − 1 − αCxDF 
= CxD
D'après sa construction, il est immédiat que VI ≥ 0 . L'acquisition de l'information est alors
socialement souhaitable dès que VI ≥ k . L'effort de prévention socialement efficace est alors:
( x( D f ) quand le test révèle D f ; x( D F ) quand le test révèle DF ). Sinon, le planificateur n'a
pas intérêt à acquérir une information plus précise - et le niveau de prévention socialement
efficace est x(D ) .
26
Sous la règle de responsabilité stricte, l'offenseur est de fait responsable pour tout
préjudice que son action entraînera. Il fait face au même arbre de décision que le planificateur, à
savoir: il choisit d'acquérir l'information seulement si la valeur de celle-ci est positive; puis
adapte ses dépenses de prévention en fonction de l'information dont il dispose sur la victime. Il
est alors évident que la responsabilité stricte de l'offenseur l'incite à choisir les décisions
socialement efficaces tant en termes d'acquisition d'information, qu'en termes de décision de
prévention - si l'on admet qu'il a la même croyance a priori sur le type de la victime que le
planificateur.
En effet, s'il n'acquiert pas d'information précise, mais n'utilise que l'information initiale,
il choisit l'effort x(D ) pour un coût C ( x( D )) . Au contraire, s'il acquiert l'information, il choisit
x( Di ) pour un coût total C ( x( Di )) + k ce qui est aussi sa meilleure décision compte tenu de
l'information disponible. Ex ante, l'acquisition d'information est alors optimale pour l'offenseur si
C ( x( D )) ≥ αC ( x( D f )) + (1 − α )C ( x( DF )) + k , ce qui est équivalent à VI ≥ k .
Sous la règle de négligence maintenant, admettons que le standard de précaution fixé par
le juge soit X . Le coût de l'offenseur est:
cx =
x+k
si x ≥ X
x + pxDi + k sinon
s'il acquiert de l'information précise sur le type de la victime, et:
cx =
si x ≥ X
x
̄ sinon
x + pxD
s'il utilise l'information disponible a priori, sans acquérir d'information plus précise.
On parvient ici aussi à un résultat analogue à celui de la proposition 8, mais en tenant
compte de la possibilité d'acquérir ou non de l'information.
4 .3 Cas de l'information coûteuse pour le tribunal
Le cas de l'information coûteuse pour le tribunal est distinct du précédent, en raison du
timing d'acquisition de l'information. L'acquisition de l'information par l'offenseur est antérieure à
la décision de prévention. Dans le cas envisagé ici, en revanche, l'acquisition est postérieure à
l'effort de prévention et à l'accident: le juge n'envisage d'acquérir de l'information que dans la
mesure où l'accident s'est produit et que des victimes demandent une compensation pour son
préjudice.
Supposons donc que l'acquisition de l'information sur le type de la victime représente un
coût fixe K > 0 , qui est payé ex post par le tribunal. Le coût social de l'accident avec acquisition
d'information ex post par le tribunal, est donné par:
27
Cx, F = x + pxαDf + K + 1 − αDF + K
̄ + K
= x + pxD
On voit immédiatement quelles sont les conséquences de la modification du timing
d'acquisition de l'information par rapport au paragraphe précédent: le niveau de prévention
socialement optimal dépendra ici du coût de l'information pour le tribunal; (en le notant
x( D + K ) ) il est maintenant déterminé par la condition:
−
1
̄ +K
=D
̄ + K
p ′ xD
L'analyse peut être poursuivie comme précédemment et on parvient aussi à un résultat
analogue en tenant compte de la possibilité d'acquérir ou non de l'information.
Section 5 : L'insolvabilité et la défaillance de la responsabilité civile
Les risques industriels ont potentiellement un caractère catastrophique. Les exemples de
l'Exxon Valdez, de l'Amocco Cadiz ou Union Carbide ou les accidents de transports aérien,
ferroviaire, routier (Tunnel du Mont Blanc), ou encore l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, se
sont traduits par un bilan économique, humain et/ou environnemental très lourd. Ceci expose au
risque d'insolvabilité une firme reconnue responsable et condamnée à verser une compensation
aux victimes. Quoique la fonction d'indemnisation de la règle de droit soit clairement
compromise du fait de l'insolvabilité d'un responsable, la littérature s'est davantage focalisée sur
la dilution des incitations consécutives à l'insolvabilité (voir Deffains & Langlais (2010)).
5.1 La dilution des incitations à la prévention
Soit A la limite de solvabilité de l'agent (actifs mobilisables, "richesse" de l'entreprise) ceci définit la sanction financière maximale qu'on peut lui imposer en cas d'accident, dont elle
peut s'acquitter. Sous la règle de responsabilité stricte, le coût devient :
cx  = x + px minD, A #
Lorsque A < D , on vérifie facilement que l'agent choisira un effort de prévention sous-optimal
x A < x∗ .
Sous un régime de négligence, le coût s'écrit maintenant:
28
cx  =
si x ≥ x ∗
x
x + px  minD, A sinon
#
L'agent pourra maintenant être incité à faire l'effort de prévention optimal même s'il est
insolvable par rapport au montant du dommage. Plus précisément, on voit qu'il existe A < D tel
que l'agent choisira x = x ∗ si A ≥ A . Lorsque A < A , l'agent choisira le même effort de
prévention qu'avec la responsabilité sans faute. En définitive, tant que la solvabilité de l'agent est
assez «forte» (c'est-à-dire A > A ), la responsabilité pour faute apparaît préférable à la
responsabilité sans faute du point de vue des incitations à la prudence (Fluet (1999)). Avec la
règle de la faute, l'agent est incité à adopter le niveau de prévention socialement optimal à cause
de la discontinuité de la fonction de coût en x = x ∗ . Cette discontinuité résulte du fait que le
tribunal observe ex post (après l'accident) le comportement de prévention de l'agent et qu'il le
pénalise s'il y a déviation par rapport au standard de comportement raisonnable. La responsabilité
pour faute permet donc de contourner en partie le problème de l'insolvabilité, mais il n'en
demeure pas moins que le risque de mise en échec du mécanisme incitatif subsiste.
Plus généralement, le problème du «judgment proofness» selon l'expression consacrée par
la littérature (Summers (1983), Shavell (1986)) a trois conséquences majeures : 1) les agents
générateurs de risque ne prennent pas assez de précautions au regard de la prévention optimale
des accidents ; 2) ces mêmes agents choisissent un niveau d'activité socialement excessif et 3) les
décisions en matière d'assurance sont inadaptées. En d'autres termes, l'obligation de dédommager
la victime est moins contraignante pour l'entreprise responsable qui se sait partiellement
insolvable - les incitations résultant de la responsabilité risquent d'être inopérantes, voire de
favoriser l'engagement dans des activités risquées (Lopucki (1997)).
5.2 La dilution de la responsabilité
L'insolvabilité de la firme n'est pas nécessairement un comportement passif, mais peut
être une décision stratégique de la part d'une firme qui peut être à l'origine d'accidents de grande
ampleur. Deffains (2000) regroupe les stratégies d'évasion de la responsabilité en trois catégories
principales: la désagrégation industrielle, la substitution financière et le pillage temporel.
Lorsque l'indemnité réparatrice fixée par le juge est basée sur la valeur de la firme, celle-ci peut
être incitée, dans le but de réduire son exposition à la responsabilité civile en cas d'accident, à
sous-traiter les activités les plus risquées auprès de partenaires industriels financièrement
indépendants (qui ne font pas parties du même groupe, et dans lesquels elle ne détient aucune
participation). L'exemple typique de désagrégation industrielle est celui des compagnies
pétrolières, qui choisissent contracter avec des sous-traitants possédant les tankers plutôt que
d'assurer elles-mêmes le transport du pétrole. Il semble bien que le durcissement des règles de
responsabilité, avec une plus grande sévérité à l'égard des auteurs de dommages, se soit
accompagné d'une diminution de la taille des firmes engagées dans des activités présentant des
risques d'accidents. Ringleb et Wiggins (1990) parviennent même à établir une corrélation entre
l'ampleur du phénomène et l'importance du risque d'accident (mesuré par le montant des
dommages et la longueur des délais entre l'activité et l'accident). Faute de disposition
reconnaissant le phénomène de groupe de société et le principe d'une responsabilité sans faute de
29
la société mère ou donneuse d'ordre, les tribunaux sont le plus souvent impuissants devant les
transferts de risque imposés par les sociétés dominantes à leurs filiales ou partenaires
contractuels.
La firme peut aussi être tentée de réduire artificiellement sa valeur en s'endettant,
substituant ainsi de la dette au capital propre (stratégie de substitution financière). Il y a évasion
au sens où la firme parvient ainsi à exposer un minimum de capitaux propres en empruntant un
maximum auprès d'un créancier externe qui n'a pas à supporter les dommages en cas d'accident.
Ces deux comportements stratégiques permettent à la firme d'externaliser une partie du coût
social des accidents en étant insolvable au moment où elle est déclarée responsable par le
tribunal. Une troisième façon d'échapper à sa responsabilité pour la firme est de se retirer du
marché avant que les effets néfastes de son activité ne se soient manifestés, ce qui lui permettrait
alors à externaliser en totalité le coût social des accidents (pillage temporel; Mason et Swanson
(1996)). Cela consiste pour les actionnaires confrontés au risque de devoir faire face à des
dommages de long terme à liquider l'entreprise avant que la condamnation n'intervienne. Les
conditions favorables à l'adoption d'une telle stratégie repose sur l'existence de faibles économies
d'échelle, d'une forte liquidité des capitaux détenus par la firme et enfin, d'une faible productivité
des dépenses de précaution. Il n'est donc pas à craindre que la dissolution stratégique soit un
phénomène général, mais simplement que dans certains secteurs d'activité, les firmes peuvent
avoir intérêt à tirer le maximum de profits d'une activité et de disparaître avant d'en supporter les
éventuelles conséquences néfastes.
En tout état de cause, une controverse empirique s’est développée, afin d'évaluer la
vraisemblance de ces comportements stratégiques. Le phénomène de «filialisation» aurait été la
stratégie adoptée dans des industries comme le tabac ou le transport de marchandises alors que la
limitation des capitaux et la dissolution se seraient surtout manifestées dans les industries
pétrolière et chimique (déchets toxiques). Lopucki (1996) va jusqu'à conclure par la «mort de la
responsabilité» aux Etats-Unis dans la mesure où les entreprises parviendraient désormais
souvent à échapper à leur responsabilité en usant de ces divers procédés. D'autres auteurs ont un
avis plus nuancé (White (1998)), sans remettre en cause que les firmes aient une utilisation
stratégique de leur insolvabilité afin d'échapper aux conséquences financières de leur
responsabilité en cas de condamnation.
Pour contourner ces difficultés, il est possible d'utiliser conjointement avec la
responsabilité d'autres instruments traditionnels dans la problématique de l'internalisation des
effets externes (voir §1.2). Pour mémoire, on citera la réglementation et les normes de capital
propre.
La réglementation a priori du comportement des firmes fait partie de la boite à outils
identifiés pour résoudre les problèmes posés par les externalités. La régulation des activités
risquées en pratique se heurte au problème de disponibilité de l'information pertinente pour le
régulateur. Par ailleurs, la question du mix optimal entre responsabilité et régulation est
largement ouverte (Burrows (1999), Hiriard et ali (2004), Innes (2004), Kolstad et ali (1990),
Schmitz (2000), Shavell (1984, 2007)).
On peut aussi soumettre les firmes qui s'engagent dans des activités risquées au respect de
certaines normes de solvabilité lui permettant de faire face à leur responsabilité si elle est
engagée. Une telle garantie ex ante permet en outre d'indemniser ex post les victimes en cas
d'accident. Cette solution est aussi exposée à un problème informationnel pusqu'il est la plupart
30
du temps difficile d'établir a priori le montant approprié du capital minimal. Une solution voisine
pour résoudre le problème de l'insolvabilité potentielle consiste à instaurer un régime d'assurance
obligatoire. Toutefois, les risques majeurs (environnementaux) peuvent également fragiliser les
compagnies d'assurances, en compromettant leur solvabilité à la suite d'une succession
d'accidents de grande ampleur. Le problème se double pour les assureurs d'un manque de
données historiques permettant de tarifier correctement les contrats d'assurance, et d'une difficulté
à difficulté d'établir un lien robuste entre les mesures de sécurité et la diminution des risques
d'accident dans des secteurs d'activités très techniques. A l'image des problèmes d'assurabilité des
risques naturels (tremblements de terres, cyclones etc) il y une situation paradoxale pour les
marchés d'assurance, où une forte demande en assurance fait face à une faible offre - la faible
concurrence dans le secteur de l'assurance s'expliquant par les faillites de certaines compagnies
et/ou le retrait de certaines des segments les plus difficiles du marché: d'où des primes
d'assurance prohibitives pour des niveaux de couvertures très faibles. L'assureur par ailleurs
cherchera à échapper à ses obligations d'indemnisation par des clauses multiples très spécifiques.
Une troisième méthode a fait l'objet de travaux spécifiques dans la littérature; il s'agit de:
5.3 L’extension de responsabilité
L'introduction d'un système de responsabilité déléguée (Arlen (1994), Chu & Qian
(1995), Polinsky et Shavell (1993), Shavell (1997)), autorisant l'extension de la responsabilité
vers les partenaires économiques d'une firme en cas d'accident se fonde là aussi sur deux
arguments principaux: 1/ une logique de deep pocket garantissant l'indemnisation des victimes: le
risque d'insolvabilité du Principal/partenaire, auquel est déléguée la responsabilité de
l'Agent/firme, est réputé moindre; 2/ maintenir vis-à-vis de la firme des incitations suffisantes à la
prévention, pour autant que le Principal exerce un contrôle sur le comportement de son Agent -de sorte qu'il ne prenne pas des risques démesurés. Deux types d'extension sont possibles,
potentiellement (voir aussi Deffains (2000) et Deffains et Langlais (2009)): soit vers les
partenaires liés au processus de production (partenaires industriels ou commerciaux); soit vers les
agents extérieurs à ce processus (créanciers: banques ou actionnaires).
Si l'entreprise à risques est un maillon dans une chaîne de production, qu'elle n'intervienne
qu'en une partie du processus de production ou qu'elle délègue certaines opérations, elle peut être
tentée de se décharger d'activités à risques en faisant appel à des sous-traitants et en leur faisant
assumer de fait la responsabilité associée à ces activités, comme on l'a vu précédemment. Par
exemple, dans un cas de dommages causés par un sous-traitant, le tribunal pourra chercher la
responsabilité en amont, du côté du donneur d'ordre; il fera valoir alors que la firme en amont à
peser dans les décisions de son sous-traitant, qu'elle a accès à une information décisive pour la
sécurité, ou tout simplement qu'elle est propriétaire des produits en cause.
Toutefois, l'extension de responsabilité peut s'accompagner d'effets pervers (baisse des
investissements et de la production des firmes solidaires; voir Boyd et Ingberman (1996, 1997)):
une firme exposée potentiellement à la responsabilité étendue, peut choisir de se protéger en
réduisant ses actifs elle-même. On retrouve des stratégies de fuite, mais "au second ordre", qui
diluent les incitations à la prévention, et ne garantissent pas que les victimes seront correctement
indemnisées.
Dans les faits, l'extension de la responsabilité aux banques a été utilisée par les tribunaux
américains et canadiens à partir des années 80 en se basant sur la législation dite "CERCLA"
31
(Comprehensive Environmental Response, Compensation and Liability Act)15. En Europe, c'est
la Convention de Lugano de 1993 qui créée le risque environnement à la charge des banques,
pour autant qu'elles aient une part importante dans le financement des opérations de leurs clients
à l'origine d'accidents (dette ou capital propre).
Mais cette responsabilité conjointe ou déléguée des banques induit là aussi des effets
pervers, comme l'accroissement du coût du crédit (d'où, une réduction du nombre de projets
d'investissements rentables ou une incitation en faveur des plus risqués). Enfin, sans limite a
priori à l'extension de responsabilité, il peut y avoir une dilution complète des incitations à la
prévention des firmes-clientes, dès lors que le contrôle de leur activité par la banque est imparfait
(secteur à haute technologie, à nouveau). Pitchford (1995) montre par exemple qu'il y a un trade
off entre l'équité et l'efficacité, dans la mesure où une meilleure indemnisation (complète) des
victimes peut être associée à un accroissement de la probabilité d'accident. Il semble donc que
des arguments existent en faveur d'une limitation de la responsabilité étendue aux banques, afin
de conserver des effets d'incitation suffisants - mais le niveau optimal de précaution ne peut être
rejoint que dans la mesure où la firme à l'origine de l'accident détient suffisamment d'actifs.
La responsabilité illimitée de l'actionnaire est aussi une solution au problème de judgment
proofness, celui-ci ne se posant finalement que du fait de la responsabilité limitée de l'actionnaire,
qui interdit alors la partie non compensée des dommages restant à la charge de la victime du fait
de l'insolvabilité de la firme. L'argument est que si l'actionnaire est en mesure d'infléchir les
décisions de l'entreprise, il est possible de le rendre responsable en dernier ressort des dommages
causés à des tiers, dans le cadre d'un régime de responsabilité étendue (Hansmann et Kraakman
(1991)). Le critère déterminant est alors in fine la structure de l'actionnariat, concentré ou au
contraire dispersé, ce qui rejoint en partie la question de la taille des firmes responsables
d'accidents. Au niveau d'une petite firme reposant sur un actionnaire majoritaire, il est
vraisemblable que celui-ci pourra davantage peser sur les décisions des dirigeants de la firme, que
dans le cas d'une grande entreprise avec un actionnariat dispersé.
Conclusion
L’objet de cette revue de littérature était de présenter l’approche économique du droit des
accidents, ainsi que ses conclusions principales.
Cette littérature voit dans l'utilisation des règles de responsabilité un instrument de
contrôle des activités risquées. Dans la mesure où la responsabilité stricte comme la règle de
négligence mettent en œuvre le principe de l'internalisation du coût externe des accidents, qui
garantit que les décisions privées sont alignées sur l'intérêt collectif, ces deux règles simples
permettent très généralement de parvenir aux dépenses de prévention/sécurité qui sont
socialement souhaitables. On a vu que ces deux règles se distinguent toutefois quant à leurs
incidences sur la compensation accordée aux victimes et/ou le partage des risques, ou encore sur
les niveaux d'activité des entreprises. Dans un cadre d'accident et de prévention multilatérale, le
résultat d'équivalence des différentes règles (y compris, incluant la défense en négligence
contributive) en terme de niveau de sécurité s'applique aussi, et les réserves concernant les deux
15
Celle-ci étend les moyens de l'American Environmental Protection Agency en vue de décontaminer les sites pollués
par des firmes incapables de faire face à cette obligation.
32
autres fonctions de la responsabilité se retrouvent aussi. Dans le cas des activités risquées à
l'origine de dommages catastrophiques, la cause principale de défaillance de la responsabilité
privée est liée à l'insolvabilité du responsable.
Il convient toutefois de garder présent à l’esprit que cette analyse repose sur le postulat de
séparabilité des trois fonctions de la responsabilité (au sens de Calabresi (1970): séparation entre
incitation, compensation et partage des risques). Ce postulat a permis à la littérature de se
concentrer essentiellement sur l'aspect incitations à la prévention des accidents, délégant à
d'autres institutions (les marchés d'assurance, l'Etat le plus souvent) de mettre en place des
instruments complémentaires de façon à remplir les deux autres objectifs: réglementation,
taxation etc, qui sont également identifiés par la théorie des externalités. Mais il est clair que
l’existence d’asymétrie d’information et/ou d’imperfection sur les marchés du risque remettent en
cause les fondements de cette séparabilité. A ce titre, mentionnons des extensions importantes de
cette littérature et de ses modèles canoniques – sans être exhaustif (pour cela, voir le Handbook
édité sous la direction de Polinsky et Shavell (2007)).
Comme il a déjà été mentionné précédemment, il s’agit par exemple d’étudier la meilleure
combinaison de ces différents instruments -- par exemple, l'analyse du mix optimal entre
réglementation ex ante et responsabilité ex post (voir aussi plus récemment Bhole et Wagner
(2008), Rouillon (2009)).
Une autre question que des travaux plus récents re-examinent (Bigus (2006), DariMattiacci & Langlais (2009), Eide (2005), Nell et Richter (2003), Teitelbaum (2007), Zivin et ali
(2005)), est celle du niveau de sécurité/prévention qu'il faut mettre en œuvre dans le cas des
grands accidents, de la répartition de ses coûts.
Enfin, l’analyse des relations entre innovations technologiques, prévention des accidents
et responsabilité (Endres et Bertram (2006)) connait un renouveau, avec les préoccupations de
préservation de l’environnement et les défis collectifs posés par le changement climatique.
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