LA FEMME MUSULMANE EUROPEENNE, CATEGORİSEE «AUTRE »

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LA FEMME MUSULMANE EUROPEENNE, CATEGORİSEE «AUTRE »
The Journal of Academic Social Science Studies
International Journal of Social Science
Doi number:http://dx.doi.org/10.9761/JASSS2899
Number: 39 , p. 307-315, Autumn III 2015
Yayın Süreci
Yayın Geliş Tarihi
04.05.2015
Yayınlanma Tarihi
25.10.2015
LA FEMME MUSULMANE EUROPEENNE, CATEGORİSEE
«AUTRE »
THE EUROPEAN MUSLIM WOMEN, CATEGORIZED AS «OTHER»
Asst. Prof. Dr. Müşerref YARDIM
Necmettin Erbakan University Sociology Department
Résumé
La femme musulmane devient victime de la vision orientaliste et colonialiste en
Europe qui voit en elle un İslam rétrograde, patriarcal, machiste et discriminatoire. La
pensée orientaliste et impérialiste opère une distinction entre les « eux » et les « nous » et
fait de la femme musulmane « l’Autre » de la société européenne. La femme musulmane
continue à être stigmatisée dans les sociétés européennes, plus particulièrement à travers
le discours médiatique. Les médias véhiculent une image de la femme musulmane qui
s’inspire de l’imaginaire orientaliste. La visibilité de la femme musulmane pose problème à une certaine vision feministe, pour qui la tenue de la femme musulmane doit
être bannie de la sphère publique. Prétendant s’opposer aux principes démocratiques et
laics, le foulard islamique devient le symbole d’une culture inférieure où les femmes
sont réduites au silence et à l’oppression. Le foulard islamique, considéré comme le
symbole de l’inégalité entre la femme et l’homme, est plus particulièrement perçu après
le 11 Septembre comme un élément politique du radicalisme islamique. De fait, nombreux sont ceux qui sont convaincu que l’émancipation de la femme musulmane ne peut
être possible qu’en s’écartant des principes islamiques, c’est-à-dire en la dévoilant.
Mots-clés: Femme Musulmane, Foulard, Europe, Stéréotypes, Autre
Abstract
The Muslim woman becomes a victim of the orientalist and colonialist vision in
Europe which sees it İslam retrograde, patriarchal, sexist and discriminatory. The orientalist and imperialist thinking makes a distinction between "them" and "us" and made
Muslim women the "Other" of European society. Muslim women continue to be stigmatized in European societies, particularly through the media discourse. The media convey
an image of the Muslim woman who is inspired by the Orientalist imagination. The visibility of Muslim women is problematic for some feminist vision, for which the holding
of the Muslim woman should be banished from the public sphere. Claiming to oppose
the democratic principles and laicism, the Islamic headscarf has become the symbol of an
inferior culture where women are silenced and oppression. The Islamic headscarf, regarded as the symbol of the inequality between women and men, is especially seen after
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Müşerref YARDIM
September 11 as a political element of Islamic radicalism. In fact, the emancipation of the
Muslim woman becomes possible only deviating from Islamic principles, that is to say,
the unveiling.
Keywords: Muslim Woman, Scarf, Europe, Stereotypes, Other
Les
Musulman(e)s,
«Eux»
et
«Nous»
La vision de l’İslam dans les sociétés européennes, repose sur les idées reçues de la pensée orientaliste et colonialiste.
“Depuis les Croisades, l’İslam et ses adherents ont été classés en tant que “étranger”
et “Autre” (Fernandez, 2010: 61). Par leur
vision binaire du monde entre “nous” et
“eux”, la philologie, l’histoire, les sciences
naturelles, les théories politiques et économiques et la littérature occidentale portent
également l’empreinte de la pensée impérialiste orientaliste.
L’Orient, d’apres E.Said, «a presque
été une invention de l’Europe, depuis
l’Antiquité lieu de fantaisie, plein d’être
exotiques, de souvenirs et de paysages
obsédants, d’expériences extraordinaires»
(Said, 1980: 13). L’Orientalisme, créant
d’une part le «nous» Européens, et d’autre
part les «ceux-là» non Européens, a transmis l’idée d’une identité européenne
supérieure à tous les peuples et à toutes les
cultures qui ne sont pas européens. De
plus, il y a l’hégémonie des idées européennes sur l’Orient, qui répètent ellesmêmes la supériorité européenne par rapport à l’arriération orientale, l’emportant en
général sur la possibilité pour un penseur
plus indépendant, ou plus sceptique,
d’avoir une autre opinion.» (Said, 1980: 19).
Aujourd’hui encore le poids des idées orientalistes continue à peser sur la mémoire
collective européenne. Les Musulmans
d’Europe
éprouvent
un
sentiment
d’exclusion du fait qu’ils sont perçus comme des «étrangers», qui menacent la société
(Choudhury, 2006: 7).
En effet, les résistances et les discriminations rencontrées par “les populations musulmanes” dans la société́ ne tiennent pas essentiellement, comme on le dit
trop souvent, au déficit d’intégration de ces
populations mais bien à des représentations
et à des attitudes majoritaires qui proviennent en grande partie d’un héritage historique ancien. La première tient à la nonreconnaissance de l’apport de la civilisation
arabo- musulmane à la culture mondiale et
à la culture occidentale. (Achcar, Samary ve
Andersen, 2010: 5).
Dans le contexte occidental, la population musulmane est définie en tant que
«groupe altérisé» (Dorlin, 2005). Par rapport au groupe majoritaire (endogroupe), il
s’agit d’un groupe social minoritaire (exogroupe) qui se différencie ici par l’identité
religieuse. Par exemple dans le cas de la
Belgique — pays qui ne dispose pas de
contentieux colonial auprès des pays musulmans—, la visibilité des musulmans
ressortit essentiellement de deux types de
confrontations. Dans un premier temps, à
travers les contacts sociaux et la reconnaissance des marques de l’islamité dans la cité;
dans un deuxième temps, par la médiatisation des événements dramatiques et conflictuels, à l’échelle nationale ou internationale,
qui sont liés au monde musulman (Meddeb, 2014: 28).
La femme musulmane européenne, à la croisée des stéréotypes
La thématique du voile des femmes
musulmanes est aujourd’hui au cœur du
débat féministe mais aussi de tous les
débats sur la modernité, la liberté et la place
du religieux dans nos sociétés contemporaines (Lamrabet a). En Occident l'image
commune d'une femme musulmane est le
stéréotype d'une femme cachée derrière un
voile, personnage silencieux, dépourvu de
droits. Cette image est devenue familière à
tous, à cause de la façon dont les médias
occidentaux présentent les femmes dans
l'Islam (Arigha). Porter un foulard, ce serait
La Femme Musulmane Europeenne, Categorisee «Autre»
déclarer ostensiblement qu’il n’y a qu’un
livre, qu’une parole et que le vrai est affaire
de révélation, ce serait se retrancher d’un
univers où il y a des livres, des paroles,
d’un univers où le vrai est affaire d’examen
(Kintzler, 1990: 235).
Les perspectives orientalisant de
l’Occident à propos de la femme musulmane ont été historiquement fondées sur des
représentations allant de femmes sexualisées avec des seins dénudés mais visages
masqués ou en pyjama léger de harem et
foulards diaphanes, aux images silencieuses
de victimes opprimées par la brutalité masculine (Haddad, Smith ve Moore, 2006: 22).
En effet, « le voilement » des femmes musulmanes est considéré comme étant le
marqueur de visibilité de l’islamisation
aussi bien dans les pays musulmans qu’en
Occident. La vision néo orientaliste trace le
lieu de séparation entre «voilement» et
« dévoilement » comme étant respectivement les lieux de représentation entre
l’archaïsme de la tradition comme espace
de «voilement» et l’espace modernité comme espace de «dévoilement». C’est que le
voile dessine les frontières d’un « impensé»
entre la question de la visibilité et le corps
féminin et toute la définition de la modernité et de ses expressions. Le corps des
femmes musulmanes aujourd’hui semble
encore incarner le lieu de tension entre les
représentations de la modernité et celles de
l’anti
–
modernité
(Lamrabet
a).
L’élaboration de la différence entre l’İslam
et l’Occident se concentre sur le statut de la
femme dans les sociétés musulmanes. Une
image de la femme oppressée par l’İslam
apparaît très tôt dans le langage médiatique
(Haddad, Smith ve Moore, 2006: 23).
En effet, parmi les clichés les plus
récurrents concernant l’islam, il va sans dire
que celui concernant le statut de la femme
musulmane reste incontestablement le plus
suggestif, puisqu’il prétend à lui seul résu-
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mer l’essentiel du « prêt à penser » envers
cette religion. Le méta discours actuel sur la
musulmane voilée, recluse et opprimée
n’est finalement qu’une reproduction continuelle de la vision orientaliste et colonialiste, toujours en vogue dans les représentations contemporaines postcoloniales. Parmi
les sujets qui reviennent fatalement
lorsqu’on essaie d’amorcer un semblant de
dialogue entre les cultures, celui de la situation de la femme en islam semble prendre
une place primordiale du fait de
l’incroyable nombre de stéréotypes et de
préjugés qui se sont accumulés autour de ce
thème (Lamrabet b). La femme musulmane
est bel et bien héritière des maux auxquels
est confrontée la femme en général dans la
société européenne. Mais sa peine se trouve
décuplée par les stéréotypes et préjugés qui
la ciblent en tant que femme musulmane
(Yardim, 2011 : 19). La perception stéréotype de la femme musulmane influence totalement leur sentiment d’appartenance: sentiment de rejet, de non désiré, d’être confine
à la sphère privée qui engendre un sentiment d’aliénation (Warat, 2011: 250).
Le foulard, cible des préjugés
Les différentes raisons qui pousseraient les femmes et les jeunes filles musulmanes à porter le foulard ont été classées
comme suit:
 Certaines d’entre elles le portent
par conviction religieuse;
 D’autres y sont contraintes par
leur entourage;
 Certaines cherchent à se protéger;
 D’autres le considèrent comme un
outil d’émancipation d’un modèle familial
patriarcal contraignant: «Je porte le foulard,
j’accepte le code culturel et religieux de ma
famille qui m’accorde, dès lors, une plus
grande liberté» ;
 Certaines le portent par réaction
aux préjugés qu’elles subissent et auxquels
elles font face en espérant pouvoir les ren-
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Müşerref YARDIM
verser positivement. Ainsi, parfois, on constate que lorsqu’on encourage les étrangers
issus de l’immigration à s’intégrer totalement, on leur manifeste du mépris ou de
l’hostilité vis-à-vis de leur culture d’origine
et on les pousse à surenchérir et à réagir
radicalement. En effet, pour certains jeunes,
montrer et revendiquer par des signes
extérieurs sa religion peut être compris
comme une façon de sentir qu’on appartient à un groupe quand on se sent menacé
ou rejeté. On observe dans beaucoup de
cultures différentes, dont les cultures occidentales, un repli général vers les valeurs
ancestrales de la communauté ; enfin,
 D’autres le voient comme un accessoire de mode, lié ou pas à la question
identitaire évoquée ci-dessus (Lacode, 2007:
5).
Si, dans ce débat, certaines
intéressées revendiquent porter le voile en
accord avec un choix personnel, elles sont
considérées soit comme des manipulées,
soit comme des manipulatrices; dans les
deux cas elles représenteraient un repli
identitaire menaçant les valeurs rattachées
aux droits humains (Anex, 2006: 73).
En effet, pour certains la question
du foulard ne semble pas s’être réduit pas à
un choix vestimentaire: il est accompagné
de valeurs et de visions du monde qui, bien
que diverses et changeantes, trouvent leur
origine dans une conception plutôt rigide
du dogme religieux, et dont certaines
nécessitent des accommodements aux
règles qui régissent le fonctionnement habituel des institutions en Occident (Antomius) : une société́ qui a intégré́ les droits
fondamentaux de l’être humain ainsi que
les valeurs de liberté́, d’égalité́ entre hommes-femmes et d’humanisme, se doit de
combattre les restes archaïques du religieux
sous toutes ses formes : voiles, excisions et
circoncisions, sacrifices, domination de
l’homme sur l’esclave, de l’homme sur la
femme, etc. » (La Libre 7 Janvier 2004). La
femme musulmane est victime de toutes les
oppressions et à travers ce type de préjugé,
on sous-entend l’oppression de l’homme
arabe ou musulman, des lois intransigeantes et barbares de la Charria, en somme de
cet islam totalitaire, machiste et tyrannique
(Lamrabet b). Une partie de l'Occident conçoit effectivement l'Islam comme politisant
obligatoirement sa pensée religieuse ou
comme un obscurantisme, une volonté
théocratique voulant rétablir la loi de Dieu
contre celle des « hommes » partout où il se
trouve. Il s'agit là d'un à priori réducteur, «
assimilant l'Islam dans un contexte des
Etats musulmans et dans un contexte minoritaire » (Cesari, 2004: 70).
La femme musulmane est victime
de préjuges et de stéréotypes plus
précisément lorsqu’elle porte le hijab, le
foulard. Dans la plupart des cas ce type de
vêtement de la femme musulmane est associe à un aspect politique et social qui ne
peut être compatible avec la vison démocratique et laïque (Spurles: 754). Quand il
s’agit de la question de la visibilité et de la
tenue de la femme musulmane, le débat se
fait avant tout autour la laïcité. La laïcité est
d’après N.Göle « tantôt avancée comme
une valeur universelle, républicaine qui
garantit l’égalité des sexes, et tantôt affirmée avec fierté́ comme un exceptionnalisme français. Cette ambivalence est
présente également quant à la définition de
l’Europe. L’idéal européen qui avait la vertu de se proposer comme universel, donc
comme un modèle de référence qui peut
être pris comme inspiration et émulation
indépendamment de la particularité́ religieuse et culturelle, se défend aujourd’hui
comme une civilisation judéo-chrétienne.
Le débat sur la laïcité́ révèle la difficulté́ de
penser la différence islamique. L’Islam, une
référence externe, devient une référence
endogène en Europe. La visibilité́ des pratiques et des symboles religieux dans les
espaces publics des pays européens témoigne de ce processus d’indigénisation. Les
musulmans pieux se rendent visibles aux
La Femme Musulmane Europeenne, Categorisee «Autre»
yeux des autres citoyens d’Europe. C’est ce
processus de visibilisation qui dérange. En
même temps, cette visibilité́ témoigne de
leur présence et de leur sortie de la phase
de l’immigration: c’est parce qu’ils sont
intégrés qu’ils sont visibles dans les espaces
communs, comme l’école, les lieux de travail, de loisirs, les associations, les médias
(Göle).
«La femme musulmane est opprimée par l’islam» : c’est là, un des adages,
les plus fréquemment admis et unanimement répandus à travers le monde, et qui à
lui seul, semble cristalliser le caractère
irréductible de la civilisation islamique.
L’islam est perçu à travers le prisme
déformé de cette représentation de la
femme musulmane, qui se retrouve, ellemême, au centre d’un débat universel et
polémique concernant le rôle de la religion,
de la tradition, de la liberté et de la modernité (Lamrabet b).
Le sujet de la femme musulmane
est exploité d’une manière excessive et instrumentalisé aussi bien par des politiques
que par des musulmans, notamment dans
le cas du port du foulard. Des milieux qui
se disent «féministes» et déclarent se battre
pour l’émancipation de la femme font également du foulard un outil de répression et
adoptent une attitude discriminatoire vis-àvis des femmes musulmanes qui font le
choix de le porter. Dès lors, une inégalité
perdure non seulement entre hommes et
femmes, mais également entre femmes:
d’une part les «femmes modernes et
libérées» et d’autre part les « femmes
rétrogrades et opprimées» (Yardim, 2011:
20). L’islam est perçu comme une religion
misogyne et violente, et les femmes musulmanes comme soumises et opprimées; la
libération des femmes musulmanes de ce
système supposément patriarcal qu’est
l’islam est considéré comme seule et unique
voie de leur émancipation (Yardim, 2011:
311
19 ; Bullock, 2002 : XXXI).
L’émancipation de la femme musulmane n’a pas cessé de faire la une de
certains discours féministes. La visibilité
des signes religieux de la femme musulmane est interprétée comme une forme
d’oppression et de domination masculine
(Yardim, 2013: 13). A cet égard, la discrimination des femmes et des jeunes filles est un
des arguments les plus souvent évoqués
pour cautionner l’interdiction du port du
foulard. Selon plusieurs auteurs, cet argument est pertinent et, toujours selon eux,
nous ne pouvons qu’être d’accord avec
l’analyse selon laquelle le foulard est un
signe de l’infériorité des femmes (Lacode,
2007: 7). La lutte pour sauver la femme
musulmane de l’homme musulman cache
le racisme binaire qui met en garde contre
les polémiques à propos de l’oppression de
la femme musulmane, et porte plutôt sur
un sentiment inhérent d’inégalité et de liberté, perçu comme le seul apanage de
l’Occident et l’Occidentalisation (Fernandez, 2010: 63).
Le foulard devient également une
expression de la volonté de l’homme de
contrôler le corps de la femme musulmane.
L’interprétation du foulard en ce sens de
C.Djavann est assez explicite: « marquer
visiblement la soumission de la femme. Elle
rappelle surtout sa fonction: cacher l'objet
de tentation et protéger l'homme d'une
pulsion sexuelle qu'il n'apprend pas à
maîtriser. Forte de son expérience personnelle, elle affirme que le voile, imposé aux
enfants, est une maltraitance. Pour elle, le
voile réduit les fillettes à des objets sexuels
qu’il faut protéger du désir des hommes.
C’est pour cela qu’il faut interdire le voile
pour les mineures. Non pas au nom de la
laïc ité mais, plus simplement, par respect
des droits humains» (Diayann).
La thèse du strict lien entre laïcité et
droits des femmes a été élaborée dans un
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contexte européen sécularisé où la religion
continue d’alimenter l’imaginaire qui régit
la perception de soi et de l’autre. Pour reprendre la formulation chère à Monder Kilani « Il faut déconfessionnaliser la laïcité. Le
religieux imprègne encore les imaginaires »
(Kilani, 2005), il y a eu « persistance du
facteur religieux en tant que catégorie de
traduction des différences culturelles ». Cet
imaginaire religieux n’est pas forcément
celui d’une adhésion à un contenu religieux
ou à une confession, mais celui d’une identification culturelle et historique (Tersigni,
2009: 124).
En Occident, les médias et les discours féministes enfermaient la femme musulmane dans un paradigme religieux qui
expliquerait sa victimisation et sa subordination. Régis par les contraintes de
l’écriture journalistique, les médias renforcent, sous cette double caractéristique,
l’ancrage de cette image de la femme musulmane (Lazreg, 2010; Morin, 2009).
Le port d’un signe religieux devient
l’argument d’un combat politique, celui de
l’intégrisme islamique. L’expansion de ce
phénomène politique dans les milieux issus
de l’immigration musulmane en Occident,
après sa forte expansion depuis trente ans
en terre d’Islam, a été, l’argument préféré
des pourfendeurs/ses de foulard islamique
(Achcar, Samary ve Andersen, 2010: 6).
Par ailleurs, le foulard est perçu par
certains comme étant le symbole de l’islam
radical qui confine les femmes dans une
position subalterne, ou du moins comme
un symbole religieux (Antomius). Les
signes extérieurs comme le foulard étant
considérés comme polysémiques signifieraient «orthodoxie » ou «fondamentalisme», mais ils peuvent contribuer à créer
un entourage de facilitation de la radicalisation (Corre). Le lien entre le foulard et le
radicalisme islamique est mis en exergue
par les partisans de l’interdiction du foulard à l’école : le foulard est pour eux le
signe d’une agression contre la société fran-
çaise. Il s’agit de l’islamisme, considéré
comme un courant de pensée n’acceptant
pas la suprématie des lois de la république
(Foray, 2008: 95).
Selon Kepel, la première affaire du
voile dans les années 90’ en France manifeste de manière symbolique que, désormais,
la jeune génération est un enjeu pour
l’affirmation identitaire islamiste. Une partie du paysage politique se recompose alors
autour de l’islam (Beski, Birmant, Benmerzoug, Taibi ve Goignard, 2010: 21). Cette
perception ne semble guère avoir changé
aujourd’hui. Il est prétendu que la mouvance radicale se féminise: ces femmes « radicalisées » entendent reproduire le mode de
vie du prophète et vont au-devant des publics, notamment marginalisés, pour porter
cet islam du pied de la lettre. À la sortie des
écoles, ces femmes entièrement voilées
abordent les mères de famille, proposent
une éducation musulmane, engagent à rejoindre un groupe de lecture du Coran.
Elles forment un groupe soudé et tourné
contre l'Occident. Ces femmes se réunissent
pour vouer aux gémonies la France, les
juifs, qu'il «faut anéantir» et parler de djihad (Le Figaro 5 Décembre 2008).
La représentation de la femme musulmane, perçue comme « primitive »,
rétrograde et subjuguée, a servi à renforcer
et à justifier la mission colonialiste de
l’Occident, venu au secours de la femme
musulmane opprimée et vulnérable. Le
foulard de la femme musulmane, symbolisant l’oppression de la femme par l’Islam,
apparaît comme étant contradictoire aux
principes démocratiques de l’Occident. La
victoire de l’Occident sur l’Afghanistan
signifierait libérer la femme musulmane
afghane de sa burqa (Haddad, Smith ve
Moore, 2006: 22-23). La bataille était mené
au nom de des droits et de la dignité des
femmes.
Bref
la
justification
de
l’intervention en Afghanistan semble aller
dans le sens de libérer la femme « Autre »
humiliée. Cette intervention apparaissait
La Femme Musulmane Europeenne, Categorisee «Autre»
plus comme une mission civilisatrice
qu’une guerre (Haddad, Smith ve Moore,
2006: 32).
Par ailleurs les femmes musulmanes, toutes races et tous niveaux de religiosité confondus, sont confrontées a une forme
unique
de
discrimination
à
l’intersection de la religion, de la race, et du
gendre car les attaques du 11 Septembre
ont transformées la signification du foulard.
Le débat n’est plus centré sur si le foulard
péjoratif sert à opprimer les femmes en
contrôlant leur sexualité et, par extension,
leurs libertés personnelles et leurs modes
de vie; ou si elle symbolise le choix et la
liberté. Actuellement le foulard est considéré comme suspect, intrinsèquement
violent, et pour toujours "l’autre terroriste»
étranger parmi au nous (Aziz, 2002). Le
foulard est devenu le symbole stéréotypé
de la terreur (Washingtontimes 17 Novembre 2010) opposant ainsi un İslam
représentant d’une idéologie politique a un
İslam en tant qu’İslam.
Certains acteurs sociaux pensent,
en effet, que les femmes musulmanes portant le voile peuvent être très militantes,
même si, selon une conception féministe
elles ne sont jamais « sujets » de leurs actions (Nader, 2006). Prétendant que le foulard et la radicalisation se trouvent entrelacés, pour certaines la plupart des femmes
radicalisées ont servi de boîtes aux lettres
dans des réseaux terroristes démantelés :
« les jeunes qui sont en rupture autant avec
la société qu'avec l'islam traditionnel des
parents sont les plus facilement séduits. Ce
n'est plus la génération des filles voilées qui
avaient manifesté contre la loi sur les signes
religieux à l'école. Ces recrues gardent de
leur jeunesse française les outils de la modernité, la revendication d'une place au
même titre que les hommes. Elles s'investissent sur les forums Internet radicaux, organisent leurs propres manifestations. Mais se
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fichent de l'intégration. La plupart étaient «
oppressées dans leur famille, marginalisées
dans la société. Elles transforment leurs
frustrations dans cet islam sectaire où l'on
obtient facilement des bons points » (Le
Figaro 5 Décembre 2008).
Conclusion
La présence de la femme musulmane dans les sociétés européennes n’a pas
cessé de faire polémique. Elle doit affronter
maints obstacles et difficultés, d’abord en
tant que femme, ensuite en tant que membre d’une religion dite patriarcale. La
représentation de la femme musulmane
dans les sociétés européennes repose encore
sur la mémoire historique, la pensée orientaliste. La femme musulmane européenne
se trouve à la croisée des débats sur la
laïcité, la libertés, l’égalité femme-homme.
Elle est catégorisée comme « Autre ». Sa
tenue vestimentaire, et plus particulièrement son foulard, devient la cible des
stéréotypes: image d’une femme « voilée »
intégriste, oppressée, discriminée, radicalisée... De plus, son foulard, jugé politique,
est dit contradictoire avec les valeurs culturelles européennes. Certaines visions féministes perçoivent une femme musulmane
victime des inégalités religieuses et aspirent
à leur émancipation en bannissant leur
foulard de la sphère publique: le foulard
devrait être interdit au nom de la laïcité,
des
libertés…
Bref
au
nom
de
l’émancipation.
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Müşerref YARDIM