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6(0,1$,5(©(FROH(QYLURQQHPHQWVRFLDOª
qPHDQQLYHUVDLUH
±±PDUV
Intervention de
Bruno HUMBEECK
/¶pFRXWHVRFLDOH
1
Nous allons continuer nos travaux avec Bruno HUMBEECK que nous connaissons déjà, car ce n'est
pas sa première apparition dans notre séminaire.
Nous avons invité cette année des intervenants en raison de la qualité de leurs précédents exposés.
En effet, nous avons jugé important de les rencontrer de nouveau, et notamment Bruno
HUMBEECK, sur le thème de l'écoute sociale. Nous avons parlé de reliance tout à l'heure. Nous
allons y revenir. Dans ce domaine, Bruno est, lui aussi, un praticien.
Et puisque que la journée avance, nous n'aurons pas d'intervention trop longue, afin de vous donner
la parole et de maintenir le dialogue entre nous. On essayera ainsi de terminer dans les temps,
comme prévu. Bruno, tu as la parole.
Je vais m'efforcer d'être le moins théorique possible, tout en sachant que, par rapport à une notion
aussi complexe que la notion d'écoute, nous allons devoir tout d'abord établir un cadre pour situer
notre propos.
On m'a proposé ce sujet d'intervention. Ce n'est pas moi qui ai choisi le titre (FRXWHVRFLDOH En
fait, je ne pense pas qu'il y ait une écoute autre que VRFLDOH
Dans ma pratique, je me suis posé la question de savoir, « ILQDOHPHQWSRXUTXRLHVWFHTXHMHVXLV
SD\p"». Je suis sans doute payé pour écouter. Mais qu'est-ce que je fais quand j'écoute ? Et est-ce
raisonnable de prétendre être payé pour écouter des gens à longueur de temps ?
Hier, pour vous faire une confidence, je faisais changer les pneus de ma voiture. Je me suis dit
YRLOjXQKRPPHELHQKHXUHX[ Je lui paie deux pneus, il me met deux pneus. Il sait ce qu'il m'a
donné et je sais ce que je lui ai donné en compensation. Finalement, on est là dans un mécanisme
très simple. Cet homme rentrera chez lui, satisfait de sa journée, s'il a vendu plus de soixante pneus.
Et moi, je suis content : j'ai mes deux pneus.
Mais quand je suis payé pour écouter quelqu'un, au bout de ma journée, après avoir écouté dix,
quinze ou vingt personnes.., je ne sais pas très bien ce que j'ai fait. Je ne sais pas très bien ce que
j'ai apporté. Et si je n'arrive pas à quantifier cela, je vais très vite me décourager et, peut-être, ne
plus savoir écouter mes proches. Parce que je fais du bénévolat dans l'écoute : j'écoute aussi ma
femme... Je ne suis pas payé pour faire cela et, pourtant, je vous assure que, parfois, il faudrait... Et
parfois, j'essaie aussi d'écouter mes enfants. Vous voyez donc que l'écoute est quelque chose de très
complexe que nous faisons en permanence. -HW
pFRXWH dit-on.
C'est quoi une écoute professionnelle ? A partir de quand vais-je pouvoir dire « MHYRXVpFRXWH HWoD
YDYRXVFR€WHUGHO
DUJHQW"3HXWrWUHSDVjYRXVGLUHFWHPHQWPDLVjO
HPSOR\HXUTXLPHSDLHSRXU
YRXVpFRXWHU«ª Comment vais-je justifier cette écoute ?
J'écoutais avec beaucoup d'attention l'intervention de Monsieur Lebreton. Il est plus pessimiste que
moi. Sur la crise du sens, je suis entièrement d'accord. Mais c'est quoi écouter ? Si je m'en réfère
au dictionnaire, c'est simplement HQWHQGUH DYHF DSSOLFDWLRQ J'entends un bruit... Si ce bruit
m'interpelle, je l'écoute. Pourquoi ? Pour lui donner un sens. L'écoute n'est jamais que la manière
de donner un sens à ce qu'on entend. Prenons Stockhausen, par exemple. C'est un grand musicien,
pour certains. Personnellement, je ne comprends pas très bien ce genre de musique. Pour quelqu'un
qui ne donne pas de sens à cette musique-là, elle pourrait être assimilée à du bruit. Du bruit
organisé… qui devient de a musique. Parce que la musique, ce n'est rien d'autre que cela. J'écoute
GHODPXVLTXHparce que je donne un sens à ce qui m'est donné d'entendre.
Nous entendons énormément. Mais écoutons-nous souvent ? Quand peut-on se dire : maintenant,
je suis dans une attitude d'écoute ? La manière dont j'écoute a pour effet d'élever l'autre. Et de faire
en sorte, parce que je l'écoute, d'être capable de l'aider à dépasser son problème.
2
Quand j'ai reçu le titre qui m'a été proposé, /
pFRXWHVRFLDOH, je me suis dit \DWLOGHVpFRXWHV
DVRFLDOHV" Probablement oui. Et d'ailleurs, nous avons été formés dans nos professions à ce type
d'écoute-là aussi. C'est, par exemple, l'écoute psychanalytique qui laisse l'autre discourir. C'est une
écoute intra psychique. Je t'écoute et tout ce que tu vas me dire va trouver un sens pour toi.
Simplement parce que tu le dis. Effectivement, cette écoute va faire ressortir ce qu'on appelle des
traumatismes. C'est-à-dire qu'on va dépasser le trauma. C’est quoi, le trauma ? Le trauma, c'est le
choc. Vous entendez un bruit : c'est un accident, c'est un trauma. Quelqu'un qui fracasse sa voiture
contre la voiture d'un autre. Vient ensuite le traumatisme, à savoir la UHSUpVHQWDWLRQ de ce trauma.
Le traumatisme n'arrive que lorsque la personne se raconte ce qui s'est passé dans cet accident, et
pourquoi, et comment il l'a vécu. La manière dont il va raconter l'accident et dont il va se le
représenter : voilà le traumatisme. Le traumatisme, ce n'est pas l'accident. Si vous avez un accident
et que vous ne vous en relevez pas du tout, cela restera un trauma. Ce sera un traumatisme pour vos
proches, mais ce ne sera qu'un trauma pour vous. Vous aurez eu un choc. Le traumatisme, c'est la
représentation de ce trauma. Et, à un moment donné, la représentation s'exprimera notamment en
paroles et en gestes.
On verra comment on peut avoir une attitude d'écoute qui ne rajoute pas son propre traumatisme à
celui de l'autre. C'est fondamental dans l'écoute. Le but de l'écoute n'est pas de rajouter son propre
traumatisme. Prenons un exemple d'écoute, banalisé par la télévision. On écoute beaucoup de
traumatismes à la télévision. Les émissions de Delarue sont basées sur l'écoute collective de
traumatismes individuels. Vous vous mettez sur un plateau, vous racontez votre traumatisme et on
suppose que le fait d'en avoir parlé arrange les choses, comme le dit Delarue avec sa bonne
conscience apparente. ©9RXVHQDYH]SDUOp0DLQWHQDQWoDYDPLHX[MHVXSSRVHª Il ne peut
vraiment que supposer. Mais que penser du drame qui survient après ce télé-spectacle ? Lorsqu'on
interroge les personnes qui ont participé à ce type de manifestation, on constate que c'est
profondément difficile pour eux... Finalement, qu'est-ce qu'on a fait avec leur traumatisme ? Qu'estce qu'on a fait, si ce n'est parfois y rajouter d'autres traumatismes ?
Je me souviens d'une émission de Delarue, précisément, où une comédienne (que je déteste depuis,
mais cela, c'est personnel) Clémentine Célarié, pour ne pas la nommer, rajoutait systématiquement
son traumatisme à celui de l'autre. Elle voulait sans doute montrer beaucoup d'humanité. Chaque
fois qu'une personne racontait son inceste (c'était une émission principalement axée sur l'inceste et
ses traumatismes), elle se remettait à pleurer de plus belle. Et elle pleurait. Et elle pleurait. Et
effectivement, elle manifestait une qualité d'écoute... Mais cette écoute était tout, sauf contenante.
Les cinq émotions fondamentales qui sont la peur, la colère, la joie, le dégoût ou l'étonnement, nous
allons tous, à un moment donné, les manifester sur notre visage. Ce qui va nous amener à
manifester ce que nous vivons en écoutant l'autre. Ces émotions vont effectivement, au moment de
l'écoute, révéler notre propre traumatisme. 7XDVYpFXXQLQFHVWH"3DXYUHILOOH7
HVIRXWXH&
HVW
XQHFDWDVWURSKH Et vous souriez joliment... Vous manifestez votre joie. Vous êtes aussi ambigu,
parce que vous manifestez peut-être une émotion qui n'est pas celle que l'autre veut manifester. Le
dégoût ? Un inceste, c'est dégueulasse comme histoire. En fait, vous jetez tout quand vous faites
cela.
Malheureusement, dans les écoles sociales et dans les écoles où l'on apprend à écouter, on apprend
surtout beaucoup à parler. On apprend parfois à classer ce qu'on écoute. On apprend très peu les
mimiques et les gestuelles que nous faisons quand nous recevons le discours de l'autre. D’accord
pour le laisser manifester une émotion, mais une émotion qu'on est soi-même censé contenir. Si
vous manifestez une émotion en retour, vous montrez très clairement que vous n'allez pas pouvoir
contenir l'émotion de l'autre, mais qu'au contraire vous allez rajouter votre propre émotion.
C'est la même chose dans toutes les attitudes qui accompagnent un traumatisme. Prenons l'exemple
d'un médecin qui doit annoncer un cancer. On sait que les cancers les mieux "reçus" sont ceux qui
3
ont été annoncés par un médecin qui manifestait une empathie suffisante, sans froideur, avec ce
qu'on appelait autrefois en psychanalyse une "neutralité bienveillante" ; mais qui, surtout, ne
manifestait aucune émotion. C'est tout autre chose si le médecin vous annonce un cancer en étant
triste à votre place... Ne jamais se mettre à la place des autres ! Si vous vous mettez à la place des
autres, ... les autres, alors.., où voulez-vous qu'ils aillent ? Tout le problème est là : le médecin n'a
pas à être triste à votre place. Idem pour le médecin qui est en colère. Imaginez-le : il regarde vos
radios et puis, il râle : 3XWDLQ8QFDQFHUTXHOOHKRUUHXU&
HVWPRQVWUXHX[Imaginiez qu'en
plus il montre une mimique de dégoût...
Tout ce qui véhicule, au-delà du message, une émotion qui n'est pas celle de l'autre, qui est la vôtre,
risque de bloquer son expression. Et surtout, de montrer par les signes de votre écoute que vous
n’êtes pas contenant.
Je me souviens d'une anecdote : une jeune fille avait vécu un inceste assez épouvantable, il faut bien
le dire. Je rentre dans le bureau. La psychologue et l'éducatrice pleuraient. Abondamment. A la
Clémentine Célarié... Rassurez-vous, je ne les ai pas frappées. Je me suis dit 7LHQV2QHVWGDQV
TXHOTXHFKRVHTXLQHIRQFWLRQQHSDV. Dans un trop-plein d'émotions.
Quand on montre ses émotions, dans un premier temps, tout le monde est content. Et beaucoup de
thérapeutes le diront comme moi. Lorsqu'on partage des émotions, cela donne le sentiment que les
choses se sont bien passées. Donc, juste après, si je demande à la jeune fille &
pWDLWFRPPHQW"
elle me dira &
pWDLW ELHQ MH PH VXLV VHQWLH ELHQ pSDXOpH SDU OD SV\FKRORJXH HW SDU O
pGXFDWULFH
(OOHVRQWEHDXFRXSSOHXUp'RQFHOOHVRQWFRPSULVPRQPHVVDJH L'éducatrice et la psychologue
avaient elles-mêmes manifesté cette émotion. D’où, d'une certaine manière, le sentiment d'une
émotion partagée.
Le problème, c'est qu'on ne va pas mettre de mots sur cette émotion. Ce n'est pas gênant en soi de
partager l'émotion... Simplement, dans la séance suivante, la psychologue doit exprimer pourquoi,
en tant que psychologue, malgré son écoute professionnelle, elle s'est laissé submerger par
l'émotion. Parce que ce n'était pas la même émotion ! Cette psychologue a effectivement un père
particulièrement aimant. Elle était en difficulté avec lui, à ce moment-là, et elle vivait tout cela
comme une trahison de plus de la part GHVSqUHV©/HVSqUHVVRQWIRQGDPHQWDOHPHQWGpFHYDQWV. »
Et elle a donc rajouté sa propre émotion.
La séance suivante a d'abord été une mise au point. 3RXUTXRLDLMHWURXYpDWURFHFHTXHWXYLYDLV"
3DUFH TXH VL PRQ SqUH PH IDLVDLW oD MH WURXYHUDLV oD DWURFH Il y a là une forme de solidarité
féminine. -H Q
DFFHSWH SDV TX
XQ KRPPH XWLOLVH FRPPH oD VD SURSUH ILOOH HQ O
LGHQWLILDQW j XQH
IHPPH. Quand vous manifestez les choses comme ça, vous récupérez le gros problème. C'est une
mimique qui vous classe et dont on ne parle plus.
Quand vous recevez le discours de l'autre, cela vous semble naturel. Méfiez-vous de tout ce qui
vous semble naturel. Une réaction de dégoût, c'est d'ailleurs naturel. C'est universel. La réaction de
dégoût, vous pouvez l'avoir. Mais attention de bien décoder. Le premier message qui, finalement,
amène à écouter l'autre, c'est le message des corps. C'est le moment où les gens se télescopent. C'est
le moment où l'on va manifester une réaction à ce que l'autre nous dit. Parce que, contrairement aux
psychanalystes, je ne peux pas me contenter d'écouter en roupillant à moitié devant un divan.
En psychanalyse, l'écoute se suffit en quelque sorte à elle-même. C'est pour cela que j'ai finalement
beaucoup apprécié ce titre (FRXWH VRFLDOH parce que c'est une écoute toute différente. C'est
l'écoute pédagogique. C'est l'écoute de l'enseignant. C'est celle du travailleur social qui ne peut
malheureusement pas se contenter de direM
DLpFRXWpHWOHVFKRVHVRQWIDLWOHXUFKHPLQ
Cette jeune fille me parle d'un inceste. Je l'écoute. Je dois en faire quelque chose. C'est là qu'on va
parler de la dimension professionnelle de l'écoute. Mais aussi de la dimension sociale,
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nécessairement active. Je ne peux pas me contenter de dire -H O
DL HQWHQGXH -
DL pFRXWp
(YHQWXHOOHPHQWM
DLGpSDVVpOHVLPSOHIDLWGHO
HQWHQGUH-
\DLPLVXQVHQVSDUWLFXOLHU.
J'écoute aussi mes enfants. J'écoute aussi mon épouse (même si j'en ai souri tantôt). J'écoute les
gens de ma famille. Qu'est-ce qui fait la différence dans la qualité d'écoute que je leur porte ? Très
souvent, ils me le disent : ©WHVFOLHQWVWXOHVpFRXWHVSOXVTXHQRXV7XSUHQGVSOXVGHWHPSVSRXU
HX[ª Qu'est-ce qui fait la différence entre les conversations que j'ai avec les membres de ma
famille et les entretiens que j'ai dans mon cadre professionnel ? Qu'est-ce qui fait que, dans le cadre
professionnel, on va au-delà du simple &RPPHQWoDYD" Imaginez un médecin qui demande à
son patient qui vient de s'asseoir &RPPHQWoDYD" Le patient s'assied et lui dit : %LHQHWWRL".
Là, on n'est plus dans la relation médicale, on est tout à fait dans autre chose. Effectivement, les
gens ne sont pas là, généralement, pour s'occuper de nous. Par contre, dans un entretien, on est là à
un moment précis, particulier, qu'on accorde à l'autre.
Je suis un peu sceptique quand j'entends dire : ©QRVDGROHVFHQWVTXLYLYHQWGDQVOHSUpVHQWF
HVW
XQ SUREOqPHª Je prétends tout à fait l'inverse. S'il vous plaît… laissez un peu d'espace aux
adolescents, pour qu’ils puissent glander ; mais savamment : en sachant ce qu'ils font. Ne les
mettez pas toujours dans l'avenir, dans le passé, dans des projets. ©7XHVOjjULHQIDLUH&¶HVW2.
VLWXOHIDLVELHQ&
HVWELHQGHQHULHQIDLUHPDLVDYHFWDOHQWª
L'adolescent a besoin de cet espace pendant lequel il va se réapproprier le quotidien. Je me
souviens d'une personne (avec laquelle je travaille) qui m'a donné une leçon énorme. Enorme ! J'en
avais marre de voir glander ce fainéant professionnel, capable de ne rien faire avec énormément de
talent. Nous, quand nous ne faisons rien, nous nous disons SDVpYLGHQWRQIHUDLWPLHX[GHIDLUH
TXHOTXHFKRVH Lui, non ! Il ne faisait rien et il assumait pleinement. -HQHIDLVULHQ Un jour,
sous la pression de l'équipe (et aussi sous la pression de ce que je voyais au quotidien), j'en ai eu ras
le bol de voir ce type ne rien faire ; alors que moi, je courais comme un malade. Je l'appelle et je lui
dis PRQ JDUoRQ WX YDV IDLUH XQ SURMHW SDUFH TXH PDLQWHQDQW oD FRPPHQFH j ELHQ IDLUH WD
PDQLqUHGHWHFRPSRUWHUGDQVOHTXRWLGLHQ A force de le seriner maladroitement de cette manièrelà, il se lève... Ce garçon était un vrai phénomène. A vingt-deux ans, il est toujours imberbe...
Même laisser pousser sa barbe, ça lui semble sans doute fatigant... Je le trouvais vraiment
phénoménal. Il se lève soudainement et il envoie son poing dans le mur, mais de façon tellement
ridicule que je me mets à rire. Vous savez quand quelqu'un met son poing dans le mur, c'est censé
produire un effet. C'est censé être quelque chose que j'allais écouter, du genre : "MHVXLVIXULHX[". Et
puis, il se retourne et dit :F
HVWSDVPRQSRLQJTXHM
DLPLVGDQVOHPXUF
HVWOHWLHQSDUFHTXHF
HVW
WRL TXL HV IkFKp 0RL M
DL DXFXQ SUREOqPH DYHF OD YLH 7RL WX VXSSRUWHV SDV XQH DEVHQFH GH FH
TX
RQDSSHOOHHQVRFLRORJLHXQHSURWHQVLRQ'qVTXHWXIDLVTXHOTXHFKRVHWXSHQVHVjFHTXHWX
DXUDLVSXIDLUHjODSODFH
Que faisait ce garçon ? Une leçon à la Montaigne. Quand je marche, je marche. Quand je mange, je
mange. Quand je bois, je bois. Ce garçon, traumatisé par une vie difficile, a besoin tout simplement
de se réapproprier le quotidien. Cela prend un certain temps. Mais n'enlevez surtout pas la valeur
du quotidien. Quand Montaigne nous le dit, on l'écoute. Quand ce garçon nous le dit, ça secoue.
Parce que ce qu'il nous faisait, c'était ça. Pas de protension.
Les recherches de Kaufman sont vraiment très intéressantes sur la protension, sur la manière dont
on vit le quotidien en le contaminant en permanence par le passé et par l'avenir. Il explique très
bien comment beaucoup de femmes vivent très mal le moment de la vaisselle (les hommes aussi
d'ailleurs), parce que le discours féministe leur ditPDLVYRXVSRXYH]IDLUHDXWUHFKRVHTXHoDV
LO
YRXVSODvW9RXVQ
DYH]SDVjYRXVFRQWHQWHUGHoD Et chaque fois qu'on fait une vaisselle, on en
fait un moment perdu, alors que (comme nous dit Kaufman) il faut le vivre dans le présent. Peutêtre en l'aménageant, en mettant de la musique, en écoutant la radio, pour que ce ne soit pas
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systématiquement un moment où on se pose la question de savoir ce qu'on aurait pu faire
d'intéressant à la place ; un moment où on se dit : PDLVMHGHYUDLVSOXW{WrWUHDLOOHXUV.
Nous sommes constamment dans cet état de protension. J'étais un peu sceptique quand j'entendais
Monsieur Lebreton dire OHVMHXQHVYLYHQWWURSDXSUpVHQW C'est pourtant la leçon qu'ils donnent à
une génération qui est incapable de vivre au présent. Notre génération est en grosse difficulté par
rapport au présent. Elle a toujours une tendance à fuir en avant, à faire des projets ou à vivre dans le
passé, parce que le passé nous condamne, parce que le passé, suivant les psychanalystes, est censé
nous expliquer tout ce qu'on fait dans le présent. Nos travaux sur la résilience montrent très bien
qu'on peut dépasser ce qu'on a vécu. ©7RXWVHMRXHDYDQWVL[DQVª C'est faux, on le sait. On peut
avoir vécu des choses atroces avant six ans et vivre une vie tout à fait pleine de sens. C'est ça la
notion de résilience. Ce n'est pas (je l'ai entendu vaguement tout à l'heure) rebondir au-dessus de ses
malheurs avec des bottes de sept lieues. Ce n'est pas une formule magique. C'est une construction
que l'on fait en prenant son temps.
Nos adolescents ont besoin de prendre ce temps. Avec leurs pieds beaucoup trop grands, ils traînent
leurs savates d'un fauteuil à l'autre, en regardant des séries débiles. On ne cesse de leur dire DUUrWH
GH WUDvQHU WHV SLHGV Or, savez-vous que le pied est le premier organe qui pousse chez l'être
humain ? Et qu'il grandit plus vite que le reste du corps ? Ce qui explique que les adolescents vont
avoir physiologiquement les pieds plus grands que le reste du corps... Donc, leur tendance naturelle
à traîner les pieds est tout à fait normale. D’où cette tendance à devoir prendre son temps pour faire
le bond en avant vers l'âge adulte...
En tout cas, tout cela ne doit pas être déterminé en termes de F
HVW ELHQ F
HVW PDO On doit
simplement le constater. On a une société dans laquelle les adolescents vont courir comme des fous
entre dix mille activités, pour se vautrer ensuite devant la télé et regarder d'autres adolescents
glander dans un loft. Problème : le glandage.., il ne l'ont plus qu'en spectacle. Ils ne peuvent même
pas en profiter eux-mêmes. Alors qu'on sait que c'est quelque chose d'important. C'est important de
se réapproprier le temps.
J'en reviens à l'écoute, qui est nécessairement rivé au quotidien. Si vous écoutez quelqu'un avec
l'idée que vous devriez être ailleurs, votre qualité d'écoute va fort diminuer. L'écoute est un
comportement qu'on a par rapport à l'autre. Et qui implique un temps présent. Quand les gens
viennent me voir, ce n'est pas automatiquement comme dans une cure psychanalytique pour me
parler de leur passé. Ils peuvent l'envisager, mais c'est d'abord pour se réapproprier un moment
présent, ce qui va nous permettre éventuellement de donner du sens à un certain nombre d'éléments
passés et, certainement, d’envisager l'avenir. Mais si on est uniquement dans l'avenir ou dans le
passé, on va négliger tout ce qui fait le quotidien de l'écoute, tout ce qui fait l'enracinement dans le
présent. -HVXLVOjSRXUWRLMHW
pFRXWH C'est ça, le message de l'écoute. C'est prendre un temps
suffisant pour l'autre.
L'écoute est d'abord un comportement. Quand je suis payé pour écouter quelqu'un, je suis payé
aussi pour lui réserver une partie de mon temps. Pour faire quoi, finalement ? Pour donner du sens.
J'ai beaucoup entendu parler ici de FULVHGHVHQVC'est vrai. Tout cela est vrai. Je suis pourtant
beaucoup moins pessimiste, parce que dans toute société humaine, depuis que le monde est monde,
on a parlé de crise de sens.
Vous savez, nos adolescents ... un peu détachés, un peu parodiques, un peu ironiques, ressemblent
furieusement à ces nobles du XVIIe siècle, un peu désoeuvrés et qui ironisaient sur tout, qui
parodiaient systématiquement tout, en réaction à une génération sans doute trop concernée par un
certain nombre de difficultés...
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A propos de parodie... Quand nos enfants regardent des séries comme "H" (vous connaissez "H" :
Eric et Ramzy qui font les andouilles dans un hôpital)... qu'est-ce qu'ils nous enseignent ? Ils nous
enseignent simplement que, nous aussi, nous avons perdu beaucoup de temps, comme adultes, à
regarder (avec beaucoup plus de sérieux) les mêmes personnes travailler avec l'angoisse de la mort
et de la maladie dans les urgences d'un hôpital new-yorkais. Nous nous sommes tapé des séries
d'"Urgences" à n'en plus finir. Eux, ils disent : 7LHQV1RVSDUHQWVRQWGHVDQJRLVVHV/DPRUW
WRXWoD1RXVRQYDDOOHUDXGHOjSRXUJpUHUFHVDQJRLVVHV2QYDGRQFOHVSDURGLHU.
Les recherches qu'on fait sur ces adolescents-là (qui sont des adolescents en grosses difficultés
sociales) montrent qu'ils ne sont pas dupes. Non ! Ils ne prennent pas la mort par-dessus la jambe.
Mais il y a pour eux un principe (et on va en parler abondamment) qui est le principe de séparation,
qui est le principe de partage des règles. Et qui, finalement, introduit le jeu, l'humour, tout ce qui va
faire la résilience, et notamment l'aptitude à rire de la mort pendant un temps déterminé. Pas à tout
bout de champ ! Mais pendant un temps qui est marqué par le générique d'entrée et par le générique
de fin.
Cette aptitude-là est vraiment fondamentale. Elle indique des traces de résilience. Nous
l'envisagions sans doute avec beaucoup plus de sérieux lorsqu'on regardait 8UJHQFHV, parfois trois
ou quatre fois de suite... C'est le même mécanisme, mais qui utilise la même forme de résilience
complémentaire qu’est l'humour, qui est la parodie.
Notre travail n'est pas de dire F
HVWELHQF
HVWPDO. J'avoue avoir été un peu gêné, lors de l'exposé
précédent, par cette tendance à classifier en bien et en mal. Chez l'adolescent et chez l'enfant, dans
ce qui les regarde, je ne me préoccupe pas de savoir si c'est bien ou si c'est mal ; mais quel sens cela
a pour lui. Quel sens cela a-t-il dans une société qui perd (on l'a dit aussi dans l'exposé précédent)
la notion du bien et du mal, quand il s'agit de se taper trois heures durant, PDNLQJRI non compris, le
Seigneur des Anneaux, dans lequel on va les seriner en permanence avec ces fameuses notions du
Bien et du Mal.
Le Bien, le Mal... Où se trouvent-ils ? Ils sont aussi en nous, en partie.
Nous avons réalisé un travail avec des jeunes qui ont subi une privation de liberté avant la majorité
et qui sont en centre fermé. Les notions de bien et de mal, et l'éthique, vous savez.., c'est très
complexe pour eux. On a l'impression qu'ils sont complètement dépourvus d'éthique. On nous a dit
9RLOj7UDYDLOOH]DYHFHX[V
LOYRXVSODvW)DLWHVXQHDQLPDWLRQVXUODPRUDOHVXUODQRWLRQGH
ELHQ HW GH PDO Imaginez-vous qu'on rentre en contact avec eux avec un discours moralisateur
F
HVWTXRLOHELHQF
HVWTXRLOHPDO" On a dit non. Aux jeunes, on leur a dit : « RQYDUHJDUGHU
XQILOP9RXVDOOH]VLPSOHPHQWQRXVGLUHFHTXHYRXVHQSHQVH] 9RXVDOOH]YRXVWDSHUWURLVKHXUHV
GX6HLJQHXUGHV$QQHDX[0DLVRQYDHQSDUOHUDYHFYRXVDSUqV(WF
HVWYRXVTXLDOOH]QRXVGLUH
FHTXHYRXV\WURXYH]ª
Trois heures, voire quatre pour d'autres épisodes. Ce qui était tout à fait étonnant, c'est qu'en début
de séance, il y en a deux ou trois qui ont commencé à faire les andouilles. Parce que c'est un peu
long, le Hobbit... Vous savez, au début, il faut vraiment rentrer dedans. C'est le groupe lui-même
qui a dit )HUPH WD JXHXOH 7DLVWRL 2Q pFRXWH On était là dans quelque chose de tout à fait
particulier. Tous ceux qui regardent le Seigneur des Anneaux le savent. Ils vous diront TXDQGMHOH
UHJDUGHjODWpOpoDPHSDUDvWSOXVQXO$XFLQpPDF
HVWTXHOTXHFKRVH Et le home cinéma, c'est
encore autre chose. C'est ça donner du sens. La télé est quelque chose qui vient chez vous au
quotidien. C'est une lumière qui vient et qui, finalement, vous envahit. Le home cinéma ou le
cinéma vous enveloppent à l'intérieur d'un spectacle. Pourquoi pensez-vous que les gens se
préoccupent tellement d'acheter des home cinémas ? C'est pour être enveloppé par un son qui vous
rend concerné par ce qui arrive. Et, effectivement, si un jour vous avez à visionner le Silence des
7
Anneaux, il convient que les gens se sentent tout à fait concernés par ce qu’ils voient. Qu'ils soient
donc à l'intérieur du spectacle. Le home cinéma sert à ça.
Très vite, on a constaté qu'on allait pouvoir parler par média interposé, du bien, du mal, de la
moralité. Sans que nous ayions besoin d'ouvrir la bouche. En les laissant faire. Où est le bien ?
Où est le mal ? C'est quoi, le principe pour lequel les personnages agissent ? Qu'est-ce qu'ils
cherchent à faire ? Ils veulent sauver l'humanité ! Ils sont dans ce principe, qu'on appelle
l'humanisation : le sens de l'humain qui impose parfois le sacrifice des plus petits. Ce n'est pas
parce qu'on est plus fort qu'on réussit.
Nous détenons une cassette que nous pouvons éventuellement mettre à votre disposition ou que
nous pourrions vous faire visionner. Vous seriez étonnés du sens de l'éthique qui peut en ressortir.
Je ne dis pas que c'est miraculeux.. Je ne dis pas, qu'après ça, ces comédiens sont devenus des
évangélisateurs. Loin de là. Tolkien était un grand catholique et ce qu'il a voulu faire, c'est
simplement faire passer ce message du bien et du mal, avec une petite sauce catholique. Un peu
déplaisante, d'ailleurs... Mais qui, en tout cas, passe à l'intérieur, avecOHPDOH[LVWHHQFKDFXQGH
QRXV Il faut s'en expurger. Et c'est l'anneau, qu'on va jeter quelque part. On peut être dans le bien
et puis, à un moment donné dans sa vie, faire le mal. Le mal n'existe pas en soi ; il se crée. Il
devient quelque chose. D'où l'image que rien n'est une fatalité. Tout cela est travaillé avec les
jeunes et on va ainsi pouvoir donner du sens.
C'est là le point essentiel : écouter. C'est simplement entendre avec application. Et entendre avec
application, c'est donner du sens. C’est cela qu'on attend. Lorsque vous observez quelqu'un qui
regarde le Seigneur des Anneaux, il est important de l'aider à donner du sens à ce qu'il voit. De le
laisser s'exprimer par rapport à ce qu'il voit. Ne surtout pas le lui imposer.
C'est vrai que nos sociétés ne se racontent plus aux enfants. C'est vrai qu'on ne leur raconte plus
d'histoires. C'est vrai que tout cela se fait par médias interposés. Alors, on peut se lamenter et dire
OHPRQGHHVWSRXUULULHQQHYD
Crise de sens. Crise de ceci, crise de cela. Mais on peut aussi dire : 3RXUPRLQRQ&HQ
HVWSDV
XQHIDWDOLWp.
C'est vrai que je ne raconte plus d'histoires à mes enfants. C'est vrai que je regarde énormément de
vidéos avec eux. Précisément, la relation pédagogique que l'on peut établir à partir de ce matériel-là
favorise l'écoute. Ce sont mes enfants qui m'apportent les cassettes. Je les regarde aimer quelque
chose et je me dis : PDLV SRXUTXRL DLPH]YRXV FHOD " ([SOLTXH]PRL Que penser de toutes ces
scènes parodiques sur l'angoisse de la mort, sur l'angoisse de la maladie, que l'on voit dans H, dans
Six Feet under, etc ? C'est toujours le même mécanisme. Ce sont les adolescents eux-mêmes qui
nous le disent. Ils nous disent : PDLVLOIDXWVDYRLUHQULUH! Il faut en rire.
On peut considérer qu'il y a une crise du sacré. Il n'y a plus de grande idéologie et il n'y a plus de
marqueurs idéologiques d'identité. Je suis chrétien, je suis musulman... Là, c'est bien net. Mais MH
VXLV PDU[LVWH par exemple... On observe beaucoup moins ce marqueur d'identité. Il existe
pourtant des appels d'air essentiels qui sont tout ce que l'adolescent va regarder.
On n'a pas parlé ici de la figure emblématique de la scarification qu'est Marilyn Manson. Vous la
connaissez ? Cette personne a institué la scarification comme une pratique ordinaire. Je suis allé
voir personnellement un concert de Marilyn Manson, pour des raisons de recherche, je vous le dis
tout de suite. Je m'y suis trouvé très mal. C'était à Forest National. Il y avait énormément de monde
et étonnamment, autour de moi, il y avait un grand cercle. Personne ne m'approchait. J'étais une
espèce d'Alien. Je me suis posé certaines questions. Ils étaient tous rassemblés et il faisait
particulièrement chaud. Ils m'avaient laissé une espèce d'espace vital. C'était moi l'étranger làdedans. Parce que je ne me scarifiais pas... Parce que je n'avais pas les marques ordinaires qui font
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finalement l'identité. Je suis à la fois le même et différent. On parlait des GSM tout à l'heure, en les
présentant comme des marqueurs d'identité. Oui, ... marqueurs d'identité, mais tout à fait
paradoxaux. Nokia a compris avec génie l'adolescence sur ce plan-là. Tout le monde veut un Nokia,
mais avec une sonnerie individualisée et un boîtier différent. Et la combinaison de votre Nokia avec
votre sonnerie font qu'il est probablement unique. Sinon, quel serait l'intérêt de démultiplier les
sonneries et les boîtiers ? Nokia a bien compris ce double mécanisme adolescent : l'individuation
et, en même temps, l'humanisation. Je veux être humain, comme les autres. Mais je veux aussi être
individualisé, donc différent, par rapport à eux.
Ces marqueurs (l'exposé de tout à l'heure a été d'une grande richesse) ne sont effectivement pas que
des traces de souffrance. Dans ce concert, on vendait des lames de rasoir qui ne faisaient pas mal.
Quel était le but du jeu ? Ces lames étaient usées, de façon telle que lorsque vous les utilisez (je ne
l'ai pas fait, mais les gens me l'ont dit), cela ne fait pas mal. Le but n'est donc pas la douleur,
contrairement à ce qu'on croit. Oui, le but peut être la douleur dans certains cas... Mais il peut aussi
être simplement un marqueur d'identité. C'est là où je veux en venir : dans le sens particulier que
l'on va donner au comportement. C'est cela l'écoute.
J'ai connu une adolescente qui se scarifiait parce qu'elle avait connu un inceste. Là, on retrouve le
témoignage qui dit très clairement une douleur objective. C'est tellement plus simple pour dire sa
douleur. L'adolescente se disait en quelque sorte : « MHPDvWULVHPDGRXOHXU-HIDLVFHTXHMHYHX[
DYHFPRQFRUSV2QDIDLWFHTX
RQYRXODLWGHPRQFRUSV0RLjPRQWRXUMHIDLVFHTXHMHYHX[
GH PRQ FRUSVª Et il peut en être ainsi tant qu'on n'aura pas compris cette jeune fille. Elle s'est
retrouvée trois fois victime. Victime d'un inceste, victime ensuite de sa mère qui n'avait pas cru à cet
inceste et qui l'avait rejetée, et victime une troisième fois parce qu'elle (bien que vivant dans une
structure que j'anime et où elle avait trouvé sa place) a été placée contre son gré. Elle m'avait dit
(FRXWHMHYDLVWHUDFRQWHUoDPDLVMHW
HQSULHMHQHYHX[SDVYRXVTXLWWHU-HQHYHX[SDVrWUH
SODFpH Mais les institutions sont ce qu'elles sont. Je n'ai rien pu lui promettre. Et heureusement,
parce que, finalement, elle a été placée.
Suite à cela, on a eu affaire à des comportements de scarification massive dont le but était de donner
un sens. Lorsqu'on l'a interrogée, elle a dit : /HVJHQVGHODPDLVRQ R M
DL pWp SODFpH QH VH VRQW
PrPHSDVSRVLWLRQQpVSDUUDSSRUWjO
LQFHVWH4X
LOVGLVHQWTX
LOVQ
\FURLHQWSDVMHP
HQIRXV0DLV
TX
LOV OH GLVHQW DX PRLQV. Le silence peut apparaître comme une attitude d'écoute bienveillante.
Mais autre chose est l'absence de position claire par rapport à ce que l'autre vit : « MH WH FURLV
M
DLPHUDLVWHFURLUHMHQHWHFURLVSDVª D'où la souffrance, due avant tout à l'absence de sens.
N'écoutez pas quelqu'un si vous ne trouvez pas le sens de ce qu'il dit. Ecouter un paranoïaque ou
écouter un psychotique n'a, à priori, aucun sens si vous n'êtes capable de donner sens à ce qu'il dit.
Vous avez affaire à un type qui vous dit 7RXWOHPRQGHP
HQYHXWOHPRQGHHQWLHUP
HQYHXW Cette
personne fait un délire paranoïaque qui est une maladie bien caractérisée et qu'il convient
nécessairement de soigner. Quelle peut être votre position ? "(FRXWHPRLMHVXLVWRQDPL? Plus
vous allez lui dire ça, plus il va dire &HOXLOjLOHVWHQWUDLQGHPHPDQLSXOHU C'est le moment de
lui répondre :2NWRLWXYRLVoDFRPPHoD&
HVWWDYLVLRQGHVFKRVHV-HQHSHX[SDVFKDQJHU
FHWWHYLVLRQGHVFKRVHV7
HVGDQVXQFKDPSGHPLQHV$ORUVW
DVSDVOHFKRL[&RPPHWXQ
DVTXH
GHVHQQHPLVIDXGUDELHQTXHWXVXLYHVTXHOTX
XQ7XYLHQVDYHFPRLHWRQYDDOOHUpYHQWXHOOHPHQW
GDQV XQ K{SLWDO SRXU WH VRLJQHU Voilà ce qu'on fait avec un paranoïaque. On ne cherche pas à
trouver un sens là où il n'est pas.
Dans la maladie mentale, l'écoute du malade est une écoute tout à fait particulière. On ne peut pas
donner du sens à ce qui n'en a pas. Mais dans toutes les autres formes d'écoute, lorsqu'on n'est pas
dans le délire, notre travail n'est pas de juger :F
HVWELHQF
HVWPDO C'est de nous positionner. De
9
donner un sens par rapport à ce qu'on entend. Tout est là : dans le transfert des émotions ; dans tout
ce qui, à un moment donné, va permettre de mettre en place les conditions d'une résilience.
Quand cette jeune fille me dit M
DL YpFX XQ LQFHVWH je peux et je dois maîtriser mon corps, mes
attitudes, de façon à ce que ses émotions ne soient pas nécessairement en phase avec les miennes.
Si je suis dégoûté (parce que je peux l'être), je dois absolument arriver à contrôler ce que j'émets de
façon à ce que tout le registre des émotions soit possible et, surtout, à ne pas enfermer l'autre dans
un statut de victime. Vient ensuite la question de savoir ce qu'on va faire avec cela. Voilà la
question qu'on se pose. Ce n'est pas 5DFRQWHPRLoD C'est TX
HVWFHTX
RQIDLWDYHFoD Arrêtet-on de vivre ? Ou continue-t-on et construit-on quelque chose au-dessus de ça ?
Dans le procès très médiatique de Dutroux, l'avocat de Sabine Dardenne (qui par ailleurs m'a
contacté) fait de la résilience au fond de son approche. Il fait de la résilience, sans le savoir ; par
exemple, quand il fait des pieds et des mains pour que sa cliente parle et qu'elle soit debout dans le
tribunal. Ne fait-il pas effectivement ce que tout avocat devrait faire ? Le but du jeu, c'est d'être
debout et de pouvoir dire des choses. Sa cliente a le courage de le faire. Etonnamment, cela a parfois
été vécu comme une maladresse. Cet avocat avait tous ses confrères sur le dos... Eh bien non ! il y
a chez cette jeune fille la volonté réelle de se construire, en s'affirmant debout ; pas en se traînant
couchée.
Il en va tout autrement quand on filme, par exemple, la jeune fille Laetitia, sans doute avec les
meilleures intentions. Ah ! la pauvre ! Elle est courbée. Elle ne va pas bien. Elle a beaucoup de
mal. Eh bien non ! Le mieux est effectivement de ne pas l'enfermer dans un statut de victime.
Beaucoup d'avocats disent 5HJDUGH]PDFOLHQWHHOOHHVWIRXWXH Ils font ça parce que la logique
juridique veut qu'ils affirment cela, pour pouvoir obtenir plus de réparations au moment de spécifier
les dégâts constatés. Mais, ce faisant, ils commettent un énorme dégât en signalant que quelqu'un est
foutu. On n'est pas foutu, même face à l'insensé. Sabine Dardenne est quelqu'un qui se relève, qui
vit une vie tout à fait pleine de sens, parce qu'elle a vécu l'insensé et qu'elle n'est pas restée dedans.
Tout a été vers une quête de sens. Notamment grâce au travail de son avocat. Je le cite
régulièrement. Ce n'est pas du tout un ami personnel. C'est devenu une connaissance au moment de
découvrir sa façon de travailler. Ne pensez donc pas que je le défends. Mais je trouve que sa
manière de fonctionner en tant que défenseur est remarquable sur ce plan-là. Un tribunal n'est pas
fait pour qu'on y traîne les victimes couchées. Il est fait pour qu'une victime puisse écouter en étant
debout. L'écoute, c'est aussi ce qui met les gens debout.
Tel est le fondement du travail. Dans le travail social, je dirais classique, on a trop tendance à traîner
les gens couchés. C'est très fatigant et on ne va pas très loin. Tout le monde peut se mettre debout si
on utilise les bonnes méthodes, les bonnes attitudes d'écoute. Et si on n'enferme pas les gens dans
des statuts de victimes. Alors les gens se lèvent, ils marchent et ils vont plus loin.
Je vais vous faire un aveu : c'est beaucoup moins fatigant lorsque les gens se mettent debout, et
qu'ils vous accompagnent, et que vous les accompagnez. Vous avez alors vraiment le sentiment que
certaines choses se font tousses seules. Dans les centres que j'anime, on a parfois l'impression que,
finalement, les choses se font toutes seules. Simplement, il y a ce qui caractérise l'écoute et qui
consiste à dire : DWWHQWLRQ2QQ
HVWSDVSULVRQQLHUGHVRQSDVVp&HQ
HVWSDVSDUFHTXHWXDVYpFX
XQ LQFHVWH FH Q
HVW SDV SDUFH TXH WHV SDUHQWV W
RQW PDOWUDLWpH TXH WX GRLV QpFHVVDLUHPHQW WH
FRQGDPQHUjXQHYLHGHPHUGH
Il y a une manière d'écouter qui ne consiste pas à dire5DFRQWHPRLODYpULWp mais 5DFRQWHPRLWD
YLHMa vie, ce n'est pas ce que j'ai vécu, c'est ce dont je me souviens. C'est cela, une biographie.
Peu importe si elle est vraie ou fausse. Il y a des gens qui me racontent des trucs : je ne suis pas sûr
qu'ils les ont vraiment vécus. Je peux très bien vous raconter un accident que j'ai vécu. J'ai trois
versions : une version humoristique, une version tragique et une version classique. Je ne suis pas
10
très sûr de la manière dont cela s'est réellement passé. Je sais qu'en fonction des circonstances et de
la manière dont je me positionne, je vais le raconter de façon très différente. Dans la narration, il y a
aussi le droit de chacun de reconstruire sa vie.
On a aussi parlé de la fatigue d'être soi. Cette fameuse nouvelle dépression... C'est vrai qu'on peut
être fatigué d'être soi. C'est très lourd, la responsabilité de devenir soi. D'où le refuge dans le
virtuel. Quand on est fatigué d'être soi, le virtuel devient important. Vous, Monsieur, vous posiez la
question de savoir si le virtuel ne tuait pas nos enfants. Il peut le faire ! Il peut le faire, si on
considère que c'est bien ou mal. Si on considère que c'est un nouvel apprentissage. On a tous cette
propension à rêver, de temps en temps, qu'on est quelqu'un d'autre. Et c'est une nécessité. Je lisais
dans le journal, après le onze septembre, que nonante pour cent des Américains avouaient avoir fait
des rêves éveillés. Ce n'est pas ce chiffre qui est étonnant, et ce n'est pas le fait que ce sont des
Américains ; c'est le fait qu'ils l'avouent. Comme si on devait avouer ses rêves éveillés, alors que
c'est ce qui nous construit. Lorsqu'on s'est fait emmerder par quelqu'un, c'est quand même bien
simple de rêver qu'on peut lui faire pousser une queue de cochon, si on veut. C'est ce que fait Harry
Potter. Il rêve qu'il est un sorcier, alors qu'il n'en est pas un.
Le rêve de toute-puissance n'est pas un problème. Le problème, c'est l'illusion de toute-puissance.
Là, je rejoins votre inquiétude. Le problème survient quand on n'est plus très sûr de pouvoir
maîtriser son retour à la réalité. Comme le dit Raymond Devos beaucoup mieux que moi :TXDQGRQ
HPPqQH TXHOTX
XQ GDQV O
LPDJLQDLUH RQ D OD UHVSRQVDELOLWp GH OH UDPHQHU j OD UpDOLWp Voilà
réellement le sens d'être adulte. Dans la narration de soi, on est toujours dans le symbolique, le réel
et l'imaginaire. Nos enfants vont devoir fonctionner avec tout cela. Avec des frontières qui sont très
complexes à cerner et qui vont faire leur richesse, dès lors qu'ils se construisent comme cela. Ils se
construisent parfois un autre monde.
Voici une anecdote tout à fait personnelle. Je me baladais avec mon petit garçon et il me dit
$UUrWHWRLIl a cinq ans. Jusque-là, c'est relativement normal. Je m'arrête. ,O\D%XJV%XQQ\
TXLGRLWUHQWUHU Je fais rentrer Bugs Bunny. Bien entendu, il n'était pas là, c'était un jeu. Donc je
le fais rentrer et nous continuons notre route. 0DLVFHW\SHHVWFRPSOqWHPHQWLUUHVSRQVDEOH En
tant que père, il devrait expliquer à son fils que Bugs Bunny, ce n'est qu'un dessin animé. 2XL
PDLV dira mon fils : %XJV%XQQ\MHO
DLYXDYHF0LFKDHO-RUGDQTXLHVWELHQYUDLHWVLMH YDLV
GDQVXQSDUFG
DWWUDFWLRQVMHYDLVYRLUOHYUDL%XJV%XQQ\
Tous ceux qui fréquentent Eurodisney savent qu'on est constamment dans cette magie de
l'imaginaire, entre le virtuel et le réel. Tous les thèmes des nouveaux parcs montrent cela : un
homme qui tombe dans un écran et qui participe à la vie d'un film, puis qui retombe de l'autre côté.
Pourquoi pensez-vous que tant de gens achètent des PDNLQJRI qu'ils ne regarderont pas ? Vous êtes
certainement nombreux dans l'assemblée à dire :RQDDFKHWpXQILOPLO\DYDLWXQPDNLQJRI&
HVW
WUqVELHQTX¶LO\DLWXQPDNLQJM
DFKqWHTXDQGPrPH3DUFHTX
LO\DOHPDNLQJRI0rPHVLQHOH
UHJDUGHSDV2QV
HQIRXWGHVDYRLUFRPPHQWRQDFRQoXOH*RXORXP&HODQRXVHVWFRPSOqWHPHQW
pJDO PDLV F
HVW TXDQG PrPH UDVVXUDQW GH VDYRLU TXH FH Q
HVW SDV WRXW j IDLW UpHO (W TXH OH
*RXORXP F
HVW XQH FUpDWLRQ Voilà comment on teste notre rapport à l'imaginaire, au réel, au
symbolique...
Mais je reviens à mon petit garçon, parce que je vous sens tracassés par l'éducation que je lui
donne... Je pourrais lui dire PRQJDUoRQ%XJV%XQQ\Q
H[LVWHSDVRassurez-vous, la vie va faire
le nécessaire. Un peu après, j'étais immensément pressé. Il me dit $UUrWHWRL%XJV%XQQ\HVWOj
Je lui ai ditWXQHYDVSDVFRPPHQFHUjP
HPPHUGHUDYHFWRQ%XJV%XQQ\ Il s'arrête tout aussi
vite. Il sait qu'on n'est plus dans le jeu. Parce que l'enfant le sait, quand on est dans le jeu et quand
on n'y est pas.$KOjSDSDQHMRXHSDV Il sait très bien quand on est dans le jeu. Quand on y
est, on doit pouvoir l'exprimer avec les trois principes qu'il faut absolument retenir : le jeu, le rêve et
l'imaginaire. C'est le principe de séparation. Ou encore : l'humour. On ne rit pas tout le temps, à
11
tout bout de champ ; il y a des moments pour cela. Suit le principe d'ancrage à la réalité. Car on
doit revenir à la réalité.
J'ai tendance à dire : ne vous tracassez pas... Vos enfants sont souvent devant des jeux vidéo ? Eh
bien ! d’une certaine manière, ils profitent du progrès. Mais, je vous en prie, laissez-les éteindre
eux-mêmes la télévision, parce que ce geste symbolique, qui n'a l'air de rien, est celui qui fait le
retour à la réalité. Quand je vois des play stations ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre,
parce que l'enfant ne la ferme même plus, là je suis plus tracassé. Il y a des gestes symboliques qui
manquent cruellement et qui marquent le passage d'une réalité à une autre. C'est à ça que servent les
génériques : pas simplement à vous dire qui a conçu le scénario... Un son, un bruit, une musique
particulière indiquent que vous entrez dans un hôpital qui s'appelle H, qui est un hôpital
complètement déjanté et où les choses ne sont pas suivies selon les règles habituelles de la réalité.
Là, il n'y a pas de problème. Si, par contre, vous entrez dans un hôpital, parce que vous venez de
vous casser le bras, et que vous cherchez Eric et Ramzy, vous avez un gros problème. Mais la
majorité des adolescents ne le font pas, sauf grosse pathologie.
On sait qu'il y a donc ces trois principes. Il y a des règles qu'on partage. Les adolescents vous le
diront mieux que moi : RQVDLWTX
RQHVWOjSRXUGpFRQQHU&
HVWWURS&
HVWWRRPXFK&
HVWWRXW
FH TX
RQ YHXW &
HVW PpJD FRRO JpDQW Mais c'est un moment précis où on joue avec des règles
particulières : partage des règles - principe de séparation - ancrage dans la réalité. Si vous avez ces
trois principes-là, vous pouvez alors utiliser les formidables leviers que sont l'humour, le rêve, la
créativité et le jeu.
Même dans la scarification, il y a un aspect ludique. Je me souviens de l'adolescente qui me
montrait ses scarifications en jouant. Là, effectivement, notre rôle est de dire : DWWHQWLRQ RQ HVW
GDQVTXHOOHUpDOLWpOj"7XGRLVSRXYRLUUHYHQLUjODUpDOLWp D'où le côté tout à fait pertinent de ce
qui a été dit tantôt : la scarification permet un retour à la réalité, parce qu'il ne s'agit pas, comme
chez le psychotique, d'auto mutilation. On est dans quelque chose qui va durer un certain temps, un
temps déterminé. Puis, vous revenez avec votre épiderme normal. Et là, on peut en reparler comme
étant un jeu.
Chez certains, il ne convient pas de dramatiser le phénomène de scarification. Parce que c'est un
phénomène très répandu, on a effectivement considéré que c'était un jeu. 7XSHX[WHJUDWWHU. Vous
savez, quand on se ronge les ongles, on est proche de la scarification. Idem pour tous ces petits
gestes quotidiens... Si on a une croûte (vous n'allez peut-être pas l'avouer ici publiquement), on a
tous tendance à l'ouvrir une nouvelle fois, et encore, et encore. Nous sommes tous des petits
scarificateurs potentiels, d'une certaine manière. Mais on ne donne pas toujours un sens précis à
cela. On peut être simplement dans le ludique : on se gratte un petit peu.., et cela n’a pas tellement
d'importance.
Méfiez-vous aussi de l'écoute qui prend tout trop au sérieux et qui met du tragique partout. Ecouter,
c'est bien entendu prendre l’autre au sérieux, parce qu'on en prend le temps. Mais cela laisse place à
plein d'autres choses. La scarification peut être ludique. J'ai connu des scarifications ludiques. Et
quand il s'agit d'elles, il doit toujours y avoir dans l'écoute une place pour ces différents éléments
que sont les mots, le rêve, la créativité.
Je reviens à la personne qui me raconte des choses qui ne sont peut-être pas la réalité. Peu importe,
s'il me raconte TXLOYHXWLOrWUH ou TXLDXUDLWLOYRXOXrWUH, plutôt que TXLDWLOpWpUpHOOHPHQW
Ce n'est pas un problème. Le temps de l'entretien, cela rehausse probablement son estime de soi.
Après, il sera temps de le confronter à des images qui font la réalité.
Je me souviens d'un jeune homme qui est arrivé chez nous et que tout le monde appelait un 'mytho'.
C'est devenu un des points essentiels de tous les diagnostics psychiatriques : ces mots communs,
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mais un peu raccourcis : vous êtes un 'parano', vous êtes un 'mytho', vous êtes un 'schizo'.. Et tout
cela s'est dilué dans le sens commun pour caractériser des petits problèmes, finalement totalement
intégrés. Donc ce jeune était un 'mytho'. Il se la pétait. Il se prenait pour quelqu'un d'autre.
Spontanément, dans la première écoute de son problème, on est tenté de se dire : PRQYLHX[W
HV
XQ P\WKR W
DVMDPDLVIDLWWRXWoDTX
HVWFHTXHF
HVWTXHFHWWHKLVWRLUH" Eh bien non ! On le
laisse dire ces choses. Et puis, on lui dit oDF
HVWWDUpDOLWpF
HVWSDVYUDLPHQWODPLHQQH(VWFH
TXHWXFURLVYUDLPHQWjoD"Il y a en effet une grosse différence entre un vrai 'mytho' et quelqu'un
qui vous raconte un truc pour se rehausser. Le vrai 'mytho' y croit vraiment. Ici, c'était un jeune
homme qui, par exemple, racontait qu'il était formateur, alors qu'il était en formation. Je lui ai dit
1RQGDQVPDUpDOLWpWXHVHQIRUPDWLRQ2XLMHVDLVELHQMHVDLVELHQ Mais tout le monde,
dans son environnement familial, faisait semblant de croire qu'il était effectivement formateur, parce
qu'il était un peu trop âgé pour être en formation... Et cela était une grosse blessure narcissique pour
l'ensemble des membres de la famille. C'est ce qu'on appelle le syndrome de Roman (celui qui s'est
pris pour un médecin, et qui a fini par le devenir dans les apparences, et qui a massacré toute sa
famille).
C'est cela les dangers du virtuel. Etait-il 'mytho' ? Je ne pense pas. Il n'y croyait pas à son
problème. Le problème est que son environnement était très crédule. Le principe d'un
environnement qui écoute bien (et on reprend la phrase utilisée tout à l'heure), c'est d'être contenant.
9RLOjPDUpDOLWp Je peux la confronter avec ta réalité lorsque tu seras sûr que cette confrontation
ne sera pas une manière de te descendre, de diminuer ton estime de soi. 7X DV GH OD YDOHXU
'RPLQLTXH-
DLPHELHQOHW\SHTXHWXHV-
DLPHELHQFHTXHWXHV-
DLSDVEHVRLQTXHWXVRLVXQ
IRUPDWHXU SRXUWHWURXYHUXQ W\SH ELHQ Et là, vous allez avoir une écoute beaucoup plus vraie.
C'est ça, pour moi, une écoute professionnelle
Une écoute professionnelle est attentive aux besoins de l'autre, à tous les besoins qui font ce qu'il est
et ce qu'il va devenir. Si la personne a besoin de considération, il le met en jeu en disant : MHVXLV
IRUPDWHXU Pourquoi dois-je dire QRQW
HVSDVIRUPDWHXUJe dois d'abord vérifier si ce besoin de
considération est suffisamment en phase. S'il s'exprime suffisamment dans la relation que j'ai avec
lui, pour que je puisse le confronter à cette réalité. Vous savez des petits 'mythos' comme ça, il y en
a tout plein Un autre gars me prétendait avoir été voir Anderlecht - Real de Madrid. Mais il ne
savait pas très bien où était l'Espagne. Je suppose qu'il n'a jamais été voir ce match, mais il me l'a
raconté. Entièrement. Il l'a vu à la télé. Je ne vais pas lui dire pFRXWHPRQYLHX[W
DVMDPDLVpWpWX
O
DV YX j OD WpOp Non, pour lui c'était important. Sachant que j'étais amateur de foot, c'était
important pour lui de se donner cette valeur-là. D'y être allé. Il y a participé avec tellement
d'attention, avec tellement d'application, que finalement, il se souvient encore dans les détails de ce
match qui a eu lieu il y a quelques années. C'est un match significatif pour lui. A quel titre vais-je
lui enlever cet élément-là ? Au nom de ce qu'on appelle la vérité ?
Mon histoire, c'est ce dont je me souviens. J'ai effectivement été à ce match de manière tellement
intense, que c'est comme si j'y étais. Je peux donc le raconter de cette manière-là. Les enfants le
font. Certains adultes continuent à le faire, parce qu'ils sont en déficit par rapport à leur image. Ils
vont avoir besoin de la rehausser. L'important, dans l'écoute, ce n'est pas de vérifier si c'est vrai ou
si ce n'est pas vrai. C'est de vérifier quel sens cela a pour ce garçon-là de me dire qu'il a été au Real
de Madrid et qu'il a effectivement vu ce match. Quel sens cela a-t-il par rapport à son besoin de
considération ?
Lorsque j'émets un comportement d'écoute, mon comportement va être aussi interprété par l'autre. Il
m'écoute parce qu'il m'aime bien. Besoin d'attachement. Vous savez que le besoin d'attachement est
fort lié à l'écoute, même sur le plan phylogénétique. Les chauves-souris reconnaissent l'ultrason de
leur petit. C'est de l'écoute qui signe l'attachement.
13
On écoute les gens aussi parce que, d'une manière ou d'une autre, on manifeste une relation
d'attachement ou de détachement. 7XQHP
pFRXWHVSDV dira ma femme, WXQHP
pFRXWHVMDPDLV
Parfois, cela veut dire WXQHP
DLPHVSDVWXQHPHFRQVLGqUHVSDVWXPHSUHQGVSRXUULHQ Cela
peut vouloir dire plein de choses différentes. Lorsque votre conjoint prétend que vous ne l'écoutez
pas, demandez-vous ce qu'il y a derrière ? Ce n'est pas simplement PDLV VL MH W
pFRXWH YDV\
FDXVH. Pour dire ça, fallait pas se lever. Mais vous voyez comme on peut arriver à des scènes
comme celle-là. Si elle vous dit "7XQHP
pFRXWHVMDPDLV cela peut être WXQ
HVSDVDWWDFKpjPRL
WXQHP
DFFHSWHVSDVWXpFRXWHVWRXVOHVDXWUHVPDLVSDVPRL Cela veut dire que cet attachement
n'est pas réservé à moi-même.
Chez l'enfant, le besoin d'attachement est très souvent relié au besoin d'acceptation. Si vous êtes
enseignant, vous vous dites peut-être PRL M
DLPH OHV HQIDQWV M
DLPH WRXV OHV HQIDQWV Cela, les
gosses s'en foutent royalement. Ce qu'ils veulent savoir, c'est si vous les aimez, eux. Les enseignants
qui ont été significatifs, ce ne sont pas les grands humanistes, ce sont ceux qui ont donné à chaque
enfant l'impression qu'il était aimé pour ce qu'il était. D'où l'image emblématique de "l'instit".
"L'instit" donne cette impression d'aimer individuellement chaque enfant. Vous allez me dire F
HVW
GHO
LOOXVLRQ S'il y a un enfant à problèmes et que tous les autres sont parfaits, l'instit va sans doute
ne se préoccuper que de celui-là. C'est vrai que c'est de l'illusion. Mais c'est dans et grâce à cette
l'illusion que l'enfant va grandir et trouver que l'école est significative. Parce que l'école sera
significative pour l'enfant, non pas si elle a un sens pour lui, mais s'il a, lui, un sens pour elle. Ou
encore si, étant à l'école, au moment d'être à l'école, il se sent investi d'un sens particulier. D'où ce
moment béni de la première séance où l'enseignant cherche à vérifier les prénoms de chacun et fait
ce petit exercice particulier que vous connaissez tous.
L'enfant ne doit pas être dans le cœur de son enseignant. Il veut être dans son cerveau, identifié à un
nom. Je pense que ce sont là des moments forts qui sont très peu enseignés aux enseignants. Je ne
sais pas si on insiste beaucoup, dans les formations à l'Ecole Normale, sur ces moments
d'identification : TXLHVWXWRL " &RPPHQW HVWFH TXH MH YDLV UHSpUHU OHV QRPV GH FKDFXQ " C'est
vraiment fondamental d'être identifié de façon à favoriser cette relation d'écoute, qui est une relation
dans laquelle on peut mettre en jeu ce besoin d'attachement, ce besoin d'acceptation, ce besoin
d'investissement. -HFURLVHQWRL-HFURLVVXIILVDPPHQWHQWRQDYHQLUSRXUSHUGUHRXSRXUJDJQHU
XQHGHX[WURLVKHXUHVGHPRQWHPSVjW
pFRXWHU&
HVWSDUFHTXHMHFURLVTXHWXYDVIDLUHTXHOTXH
FKRVHDYHFFHTX
RQHVWHQWUDLQGHYLYUH7XPHGLVM
DLYpFXXQLQFHVWHHWPRLMHFURLVTX
RQ
SHXWFRQWLQXHUjYLYUHDXGHOjGHFHWLQFHVWH
Si vous avez la certitude ou l'illusion que, quand on a vécu un inceste, on est foutu, et si vous n'êtes
pas convaincus du bien-fondé de la résilience, alors, de grâce, ne perdez pas votre temps à écouter
quelqu'un qui l'a vécu, parce que vous perdriez sa vie dans ce que vous faites à ce moment-là. Car
le but du jeu, c'est aussi que l'écoute suspende le besoin d'investissement. "-H FURLV HQ WRQ
GpYHORSSHPHQW&HQ
HVWSDVSDUFHTXHWXYLVXQWUDXPDWLVPHTX
RQYDW
HQIHUPHUGHGDQV4X
HVW
FH TX
RQ IDLW DYHF oD PDLQWHQDQW " L'écoute va finalement véhiculer tous ces besoins affectifs.
Elle va véhiculer tous ces éléments cognitifs dans lesquelles l'humour, le jeu, le rêve, la créativité
vont prendre place.
Sur le plan social, il y a des règles à l'écoute. Il y a des règles qui sont : PRLMHVXLVSD\pSRXUrWUH
HQUHODWLRQDYHFWRL(WFHQ
HVWSDVPRLTXLYDLVSDUOHUGHPRL Souvenez-vous du médecin de tout
à l'heure :©oDYD"(WWRLoDYD"ª On n'est pas là pour ça. « -HVXLVSD\pSRXUrWUHGDQVXQH
UHODWLRQ-HYDLVPHSUpRFFXSHUGHWHVEHVRLQVjWRLª
Quand je dis que mon écoute est différente dans ma famille et dans ma relation professionnelle, c'est
probablement parce que, au sein de ma famille, je mets en jeu mes propres besoins. J'ai, moi aussi,
besoin de considération, d'affection, d'attachement, d'acceptation, etc. Et tout cela, dans la relation
14
d'écoute que je mets en place avec mes enfants ou les membres de ma famille. Je n'ai absolument
pas à m'occuper de cela. Mais je ne peux pas le faire dans une relation éducative. Je reçois un
salaire. Je suis donc motivé pour être en relation avec quelqu'un et je vais devoir me préoccuper de
ses besoins. Par contre, je ne suis pas payé pour écouter ma femme. Elle doit donc aussi, dans cette
relation-là, se préoccuper de mes besoins. Mon écoute peut évidemment être de la même qualité sur
le plan de l'application, même si ce n'est pas une écoute professionnelle. Et heureusement, parce
que je crois que je recevrais très vite mon C4. Je serais insupportable si je faisais des entretiens
avec ma femme et avec mes enfants...
Le but de l'éducation, retenez toujours cela, c'est quand même - aussi - de faire des erreurs. Sans
erreurs, nous serions tous de parfaits crétins. Nous sommes tous des gens plus ou moins intelligents
(je ne vous connais pas suffisamment...). Mais nous sommes tous capables, en tout cas, de
réflexion, parce que nos parents ont multiplié les erreurs éducatives à notre sujet. Si, dès que vous
aviez rêvé d'un biberon, on vous l'avait mis dans la bouche ; si, dès que vous aviez rêvé d'un sein,
vous l'aviez trouvé sous le nez.., vous auriez été incapables de vous mentaliser. Ce qui a fait de
nous, de chacun de nous, des êtres humains, c'est la faculté bienheureuse qu'ont eue nos parents de
se tromper régulièrement. Vous savez que pour une mère, peu après la naissance, il y a trois
registres de pleurs : l'angoisse, l'inconfort et la faim. Les mères qui sont dans ce que Winnicott
appelle un processus de préoccupation maternelle primaire arrivent à les identifier à cent pour cent.
Les pères, eux, soulignent moins les différences. A ce propos, je ne suis pas trop d'accord non plus
avec l'idée que les mères ont toute la responsabilité dans la manière dont les adolescents se
comportent Je pense effectivement que chacun a des rôles particuliers. Que chacun a des rôles
(qu'on fuit un petit peu pour le moment..). Mais tout le monde s'en sort plus ou moins bien quand
même.
Ceci dit, à priori, nous, pauvres pères, nous nous trompons régulièrement, question pleurs... Mais
nous aurons notre revanche, parce que l'éventail de l'enfant va augmenter prodigieusement en
quelques semaines, de sorte que la mère, la super maman, capable de tout, va heureusement perdre
ce processus de préoccupation maternelle primaire et va devenir, comme Winnicott le dit, apte à
défaillir. C'est ce qui va permettre à l'enfant de perdre l'illusion de toute puissance de sa mère et de
mentaliser, de mettre à sa juste place l'image du biberon, de découvrir qu'on peut postposer les
désirs. Oui, cela sert aussi à ça, de se tromper en éducation : d'apprendre à nos enfants l'injustice et
tout ce qui va être la vie.
Ainsi, nous sommes tout le temps en erreur, dans l'éducation. Parce qu'on n'y est pas des
professionnels. C'est ce qui fait de nous de bons parents. Nous multiplions les erreurs lorsque nous
sommes injustes avec nos enfants, de sorte qu'ils mentalisent aussi l'injustice et que, dans la vie, ils
s'apprêtent à la vivre tous les jours. Personne ici ne peut en effet promettre à ses enfants une vie
éternellement juste. Soyons donc déjà injustes, très tôt. Ne faisons pas exprès, bien entendu.
Comprenez bien ce que je dis... Mais l'éducation est une suite d'erreurs rattrapées. Par contre,
lorsque je suis professionnel, je suis censé donner un sens aux erreurs que les autres commettent.
Je dis souvent que les éducateurs avec lesquels je travaille sont génialement médiocres. Ils
multiplient les gaffes, et c'est génial, parce qu'ils font de la vraie éducation. Ils ne connaissent pas
les besoins... Ils ne connaissent rien. Mais, à un moment donné, il y a un endroit dans lequel on
discute du sens de tous ces gestes éducatifs, y compris des plus inappropriés. Et on réintroduit du
sens. C'est ça, un professionnel de l'écoute. C'est de réintroduire du sens. C'est pas être infaillible et
ne jamais se tromper dans l'éducation. Parce que l'éducation, c'est nécessairement des erreurs. Mais
des erreurs plus ou moins corrigées.
15
Merci, Bruno. Ce qui est toujours agréable, c'est de sentir chez l'intervenant cette pratique, cette
réflexion sur ce qu'il fait ; ce qui crée une proximité avec lui. Je vous donne à présent la parole
pour vos questions et vos interventions.
- Je me suis tu depuis longtemps… Je vais donc de nouveau faire mon agitateur…
- Je croyais que tu étais malade, d'ailleurs…
- Mais oui. J'ai d'abord dormi et puis, maintenant, j'ai beaucoup apprécié Bruno. J’ai une
simple question : existe-t-il également une écoute de la distance et de l'espace ? Parce que, pour
essayer d'être concret, je vois souvent dans les écoles certains étudiants qui font une montagne avec
leur sac et leurs vêtements sur la chaise de gauche, et puis une autre montagne sur le banc… Je
voulais savoir si, moi aussi, j'étais dans l'utopie en croyant que la dimension spatiale était quelque
chose d'important.
- Ce n'est pas du tout une utopie. C'est même un principe qu'on va retrouver, par exemple, chez les
sans-abri dont je m’occupe dans l’une des maisons. Là, on n’empile pas forcément des sacs,
puisqu'on n'a pas nécessairement le matériel pour le faire. Curieusement, ce qui va manifester la
distance, c'est l'odeur. C’est ce qui se passe quand quelqu'un vient de la rue et y a vécu un certain
temps. Mais ce ne sont pas des infra-humains, vous savez… Tous, autant que nous sommes, si on
nous abandonnait sur une île déserte, nous produirions le même effet … Ce qui nous amène à nous
laver et à nous maquiller, c’est aussi, finalement, la considération des autres, le regard des autres.
Sans le regard des autres, on se laisserait parfois aller. Tous autant que nous sommes ici, on se
laisserait aller. Ce mécanisme va profiter aux personnes qui vivent dans la rue. En effet, si vous
allez par exemple à Bruxelles, vous allez voir que les sans abri ne sont pas collés les uns aux autres.
Il y a effectivement une distance qui s'instaure par l'odeur, notamment. Curieusement, nous sommes
très peu incommodés par nos propres odeurs, et beaucoup plus par celles des autres. C'est un
mécanisme qui maintient à distance. Or, on sait que dans la rue, si vous ne vous maintenez pas à
distance, on va vous voler vos affaires. Dans le même contexte, on sait que la distance d'écoute,
par exemple, n'est pas nécessairement d'écoute de proximité... Lorsque vous approchez votre visage
d'un autre, dans une relation d'écoute intime (par exemple, dans une relation amoureuse), vous allez
curieusement baisser le volume…. Vous avez une qualité d'écoute qui sera la même que dans la
distance, mais vous êtes dans une relation bien précise qui est la relation amoureuse.
Essayez un peu, pour vous en convaincre, de parler ou d'écouter dans un métro. Ne pensez pas que,
dans le métro ou dans le tram bondé, interviennent des problèmes liés à la crise du sens… C'est
impossible de parler à quelqu'un si vous êtes collé à lui et si vous n'avez pas avec lui une relation
intime. Ce n’est pas possible. Vous ne pouvez pas l'écouter. Les gens ont effectivement besoin
d’une distance qui doit être respectée, et notamment chez l'adolescent. D’où sa manière de mettre
des sacs, de mettre des distances par rapport à vous, y compris dans son look. Il ne veut pas vous
ressembler. Si vous vous mettez à lui ressembler, il ne va plus vouloir de vous.
Quand je vois ce Monsieur, prêtre chez les loubards, vous le connaissez aussi… J'ai beaucoup de
difficultés avec lui, je ne vous le cache pas. Parce que je ne crois pas qu'on ait nécessairement
besoin d'adopter le look des personnes avec lesquelles on veut être en proximité. Au contraire, si je
façonne mon look, si j’entre dans une maison de jeunes avec une casquette à l'américaine, il est
probable qu'ils vont tous se marrer. Cela ne les intéresse pas. Ne vous mettez pas à la place des
adolescents. N'aimez pas à leur place.
J'ai beaucoup travaillé sur Eminem et sur Marilyn Manson. Je suis allé voir leur concert de façon à
comprendre ce que les jeunes aimaient. Je n'ai jamais aimé à leur place. Lorsque je leur parle
16
d'Eminem, cela me permet d'envisager des problèmes aussi douloureux que la haine de la mère, que
l'absence du père, que tout ce qui a été évoqué… D’ailleurs, je leur demande alors : 7LHQVFHWWH
PXVLTXHYRXVDOOH]PHO
H[SOLTXHU" Je n'aime pas cette musique, mais on finit par la supporter,
vous savez. Quand on trouve le sens, on finit par supporter. Je vous avoue que, de temps en temps,
j'écoute en cachette. Mais c'est vraiment en cachette… Parce que je n'ai pas le droit…
Toute cette culture adolescente, toute cette mise à distance par les goûts personnels, par la manière
dont on aime telle ou telle chose, c'est aussi une façon de s'individualiser. Il existe des attitudes
d'écoute. Et, pour vous dire la vérité, mon grand rêve … ce sont des cours qu'on donnerait dans les
écoles normales et aux futurs travailleurs sociaux sur la gestuelle. Que fait-on pour être en
proximité physique avec quelqu'un, sans le gêner ? Il y a une petite technique tout à fait simple à
laquelle les éducateurs (qui ont une certaine expérience) recourrent spontanément : si vous avez
affaire à un enfant qui vit une carence relationnelle, vous allez le prendre dans vos bras. Il va se
coller à vous. Il va vous embrasser avec une espèce d'avidité incroyable. Cela peut durer deux,
trois, quatre minutes. Vous allez vous dire alors MHVXLVO
LGROHGHVHQIDQWVTX
HVWFHTXHOHVHQIDQWV
P
DLPHQW Manque de bol, il va vous bouffer l'oreille après, ou vous mordre la joue, ou se jeter
par terre et bouger sa tête dans tous les sens.
C'est cela, le carencé relationnel. C'est l'enfant qui se dit M
DLEHVRLQG
XQHUHODWLRQG
DWWDFKHPHQW
0DLVVLMHVXLVGDQVFHWWHUHODWLRQOjHOOHYDVHEULVHU-HYDLVHQVRXIIULU'RQFMHYDLVDQWLFLSHU
PRLPrPHODUXSWXUH-HYDLVPRUGUH«Et cet enfant va se jeter par terre…
On peut très bien comprendre cela, théoriquement, comme je vous le dis. Alors, certains éducateurs
en formation me disent PDLVLOVXIILWG
H[SOLTXHULOIDXWOHGLUHjO
HQIDQWLes mots ne servent à
rien ! L'enfant ne vous entend plus. On est là complètement dans l'affectif. Un tel attachement
pose problème ? Certains me disent : MHOHSUHQGVGDQVOHVEUDV Mais alors, vous en remettez
une couche. Non ! Mettez plutôt votre main sur la tête de l'enfant et caressez-lui un petit peu les
cheveux, pour lui dire que l'acceptation est toujours possible. L'attachement, c'est encore trop dur
pour lui… Voilà les gestes qui calment. On les connaît.
Des expériences montrent qu'on y arrive, d'une manière systématique. On laisse pourtant à
l'éducateur l'intuition de connaître ce geste… On ne l'enseigne jamais. Je ne connais pas de cours
où l’on dit : PHWWH]YRVPDLQVGDQVOHVFKHYHX[GHVHQIDQWV&
HVWXQJHVWHUHODWLRQQHOORUVTX
LOV
VRQW HQ FULVH SDU UDSSRUW j XQH UHODWLRQ G
DWWDFKHPHQW Tout cela est vraiment important : la
distance de ce que vous dites par rapport à la distance qu'il convient de maintenir et qui, finalement,
est une distance nécessaire. Sinon, … c’est l'intrusion chez l'autre.
Tout autre chose : la distance excessive, avec un grand bureau où je suis, et l'autre, à des kilomètres
de moi. Dans l'école que je connais un peu, la directrice voit les élèves comme cela. Ils rentrent…,
ils sortent…, ils rentrent…. Ce n'est peut-être pas vraiment la meilleure manière de mettre un cadre
l'écoute.
Vous avez aussi des écoutes individuelles. Les psychologues qui travaillent chez nous peuvent très
bien se retrouver avec un enfant sur les genoux, si l'enfant le demande. On ne va pas
nécessairement imposer la distance parce que nous, en tant que professionnels, nous en avons
besoin. Elle est sans doute nécessaire à un certain nombre de personnes et elle l’est moins pour
d'autres. On sait que, par exemple, les enfants ont tendance à se confier beaucoup plus facilement à
un adulte qui se met à genoux, devant eux. Qui se met donc à leur niveau. Et qui, à un moment
donné, va se mettre très proche d'eux.
Un petit enfant ne va rien dire devant une psychologue qui se tient derrière un bureau, à quatre
mettre cinquante. Il y a des points essentiels qui favorisent ce qu'on appelle les attitudes d'écoute.
17
La gestion de la proximité, ce n'est pas moi qui la fige. C'est l'autre, qui va accepter ou ne pas
accepter une certaine proximité. C'est lui qui va me maintenir à distance.
Observons tous nos gestes de rituels. Les adolescents, par exemple, se font la bise. Dans ma
génération, on se serrait la main, pour être sûrs qu'on avait une distance suffisante. Ce sont des
gestes qui ont un sens phylogénétique. C'est une manière de dire : je n'ai pas d'armes. Vous faites
autrement… ? Vous dites alors : MHVXLVGpVDUPp La bise, c'est vraiment la proximité. Pour les
adultes de ma génération, c'est une relation de confiance intime.
Actuellement (et alors qu’on se trouve dans une situation où l’on parle beaucoup d'individuation et
où les gens seraient peu sensibles les uns par rapport aux autres), curieusement les rituels sont des
rituels de proximité. Les adolescents, y compris les garçons, se font la bise. Pourquoi pensez-vous
que, pendant des années, on a fait la bise aux filles, et pas aux garçons ? Parce qu'elles étaient
considérées comme inoffensives. Il n'y avait pas de lutte possible. Maintenant, on est dans un
climat très pacificateur. Etonnamment, les garçons qui se font la bise.., cela a commencé dans les
cités. Dans des endroits de haute violence et par des groupes qui s’étaient exclus entre eux. Cela a
commencé il y a sept ou huit ans, dans les cités, de manière très massive, avec des populations qui
étaient exclues.
Vous voyez donc que les distances vont varier d'après les individus, les cultures, les groupes
sociaux. Il faut chaque fois, non pas tenir compte de ce que je suis, mais de ce que l'autre est ; de
ce que l'autre pense être par rapport à moi. Il y a beaucoup d'adolescents qui me font la bise dans les
structures que j'anime, parce qu’ils le souhaitent. Ce n'est pas moi qui leur fait la bise. J'attends…
D'autres me serrent la main. Certains font la bise aux éducateurs, et puis me serrent la main. C'est à
eux de gérer cela.
Vous savez, je n'impose jamais rien. En termes de relations, on pêche. On lance sa ligne. Il y a des
gens qui mordent. Il y a des gens qui ne mordent pas. Quand on prétend vouloir travailler comme
tuteur de résilience, on ne s'impose pas. On propose, à un moment donné, tout simplement. Cela
mord ; cela ne mord pas. Certains mordent, et on arrive à les aider. D'autres mordront plus tard.
Mais, en tout cas, on ne peut rien imposer. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question.
- La réponse était complète. D'autres questions ? D'autres avis ?
- Je suis tout à fait d'accord avec votre principe. L'écoute a ses règles. C'est absolument
évident. Mais, à mon avis, vous avez passé sous silence un fait qui, à mes yeux, est important :
c'est que dans l'écoute, il y a toujours deux personnes. Celle qui parle et celle qui écoute. Et les
rôles seront de temps en temps inversés. Celle qui écoute doit être absolument attentive à tout,
comme vous l'avez dit. Et je crois qu'il faut même aller plus loin. A un moment donné, il faut
savoir dire stop ! Ensuite, quand quelqu'un parle et a envie d'être écouté, il y a un moyen
extraordinaire (à mes yeux) de susciter l'attention de l'autre… C'est quand on sent que l'attention
n'est plus là, de faire petit blanc… Cinq secondes… Et automatiquement, l'autre va dire RXLRXL
M
DL pFRXWp. C'était une première remarque. J'ai deux questions à vous poser. Je suis d'un avis
totalement différent du vôtre : vous avez dit, en ce qui concerne Sabine Dardenne, la justice est là,
Sabine pourra s'exprimer. Et, vu le contexte dans lequel cela a été fait, cela ira probablement
mieux….
- Je répondrai, mais je n'ai pas du tout dit cela. Enfin, je ne suis pas sûr.
- Ah bon ! C'était quoi alors ?
- Je n’ai pas dit que ça ira mieux.. Je ne sais pas ce qui en adviendra… D'ailleurs, franchement,
son avocat est très tracassé pour la suite… Il nous a même demandé (il y a un bureau d'aide aux
victimes qui s'en préoccupe) une gestion de l'après témoignage. Je ne suis donc pas du tout
18
convaincu. Si je l'ai dit comme cela, je me suis mal fait comprendre. Mais je considère que cela est
important.
- La seconde remarque concerne la télévision. Vous avez dit avoir fait une étude du
Seigneur des Anneaux avec un groupe. Personnellement, je crois qu'on passe tellement de
mauvaises choses à la TV. Vous avez dit que les jeunes d'aujourd'hui sont en fait en quête d’un
petit peu de naturel. Je pense que vous avez tout à fait raison. Mais alors, puisque vous habitez
Peruwelz, pour leur montrer quelque chose…, pourquoi ne pas aller voir la mère Labiaux ?
-
La mère Labiaux ? C'est peut-être risqué avec les adolescents dont je m'occupe…
-
Oui, mais ils auraient vu quelqu'un qui a une main en moins
-
Oui, c'est sûr ! Mais il y a aussi le risque qu'ils profitent de la mère Labiaux…
- Oui, mais je suis certain que cela les frapperait d'autant plus. La TV n'est pas toujours le bon
moyen !
- On va prendre d'autres questions. Est-ce que vous avez d'autres questions à poser ? Profitezen …, parce que c'est le dernier train..
- Ce sera très bref. Je suis psychologue dans une institution. J'ai été très interpellée par votre
intervention sur Marilyn Manson, parce que c'est une personne que j'apprécie énormément depuis
des années. Je n'ai pas du tout l'impression de prendre la place des jeunes quand ils l'écoutent.
Parce qu'avec mes repères, par rapport à ce que d'autres ont pu faire avant lui, je peux aussi
relativiser… Je peux aussi avoir un sujet de conversation avec eux. Ils y trouvent leur place, avec
leur vue d'adolescent ; et moi j’y trouve la mienne, avec ma vue d'adulte….
- Tout à fait.
- Merci. Est-ce qu'il y a d'autres questions?
- Je crois effectivement que Marilyn Manson est quelqu'un qui peut vous amener, par des voies
détournées (qui sont d’ailleurs des voies de la résilience) vers Schopenhauer, vers Nietzsche, vers
des tas de choses intéressantes. Mais vous voyant tel que vous vous présentez, je constate que vous
n'avez pas du tout le look de Marilyn Manson. C'est cela, être à sa place. Tel que je vous vois là, je
vous trouve au moins aussi atypique dans un concert de Marylin Manson que moi. Se mettre à la
place des jeunes, c'est aimer de la même manière. Effectivement, beaucoup d'adultes commencent à
aimer Eminem… Ce qui pose problème, y compris à Eminem lui-même. Quand il dit des phrases
du style : « DOOH]YRLUYRVSDUHQWVHQWUDLQGHEDLVHUoDYRXVIHUDGXELHQHWoDOHXUIHUDGXWRUWª
quand le parent se met à aimer une chanson qui dit çà, cela pose des problèmes à l'adolescent et
cela pose des problèmes à l'auteur. A l’auteur, qui se dit : DWWHQWLRQMHQHYHX[SDVILQLUFRPPH
(OYLV 3UHVOH\ TXL D LQFDUQp GH OD PrPH PDQLqUH OHV IDQWDVPHV DGROHVFHQWV HW OD UpYROXWLRQ
DGROHVFHQWHDYHFG
DXWUHVSULQFLSHVFRPPHO
KpGRQLVPHOHSODLVLUOHFRQVXPpULVPH
Ce que j'ai entendu tantôt sur la société de consommation, ce ne sont plus les valeurs actuelles.
J'aurais voulu en débattre avec Monsieur Lebreton. Ce sont les valeurs des années cinquante, mises
en avant notamment par Elvis Presley lorsque, par exemple, il achète à sa mère une Cadillac, alors
que sa mère ne sait pas conduire. Cela, c'est consommer pour consommer%OXHVXHGHVKRHV est
une chanson sur la consommation. On n’est plus dans une société de consumérisme et d'hédonisme,
mais dans une société qui se pose des questions de sens, en faisant appel à Nietzsche, à
Schopenhauer. On peut effectivement faire des cours sur Schopenhauer à partir de Marilyn
Manson. Mais pour cela, il faut prendre le temps.
C'est le rôle et la responsabilité d'un adulte de se préoccuper de TX
HVWFH TX
LOV VRQW HQ WUDLQ GH
QRXVGLUH". Que vous dit ce type, pour parler d'Eminem, quand il vous dit : -
HQWHUUHPDSURSUH
19
PqUH" Et de faire effectivement un clip dans lequel il enterre sa propre mère… Et lorsqu'il vous
dit : 1
HQYR\H] SDV GHV ERPEHV FUDFKH] GDQV XQ KDPEXUJHU VL YRXV WUDYDLOOH] GDQV XQ 0DF
'RQDOG Qu'est-ce qu'il fait ? Les mêmes petites révoltes d'incivilité ordinaire, qu'on retrouve
d’ailleurs chez l'adolescent.
Vous savez …, une quinzaine d'adolescents dans la région travaillent dans les Mc Donald et
passent peut-être leur temps à cracher dans les hamburgers… Cela fait beaucoup plus de tort à Mac
Donald que José Bové. Or, il est probable que le combat d’Eminem, c'est de mettre en jeu tout ce
qui est consumérisme. D’où un petit peu de décalage… Elvis Presley a, lui aussi, induit cette
révolte-là. Puis, il a été récupéré et apprécié par les adultes… Et il est devenu un gros bouffi qui
chantait à Hawaï, aimé par les parents… C'est probablement le sort d'Eminem… C'est le sort
probable aussi de Marilyn Manson, parce qu'il est actuellement occupé de faire des spectacles dans
lesquels on s’attend tellement à de la provocation qu’on se dit que ce n'est plus ce que c'était... Parce
que cela ne va plus assez loin. Parce qu'il flirte avec les limites.
Tout à fait d'accord qu'on aime Marilyn Manson… Mais autre chose est de prendre les mêmes
postures. Si vous avez une posture d'adolescent, vous ne serez plus crédible à leurs yeux. Si vous
aimez Marilyn Manson, vous serez d'autant plus crédible si vous gardez votre posture d’adulte. C'est
cela être responsable. Cela a été dit tantôt, d'une manière très intéressante, quand on a dit : MHQH
VXLV SDV G
DFFRUG TX
RQ VRLW FRSDLQ DYHF VHV HQIDQWV Moi, je n'ai rien contre le fait qu'on soit
copain… Mais tout en restant adulte. Je pense être le copain de mes enfants adolescents. Mais je
pense aussi être l'adulte, à savoir celui qui met du sens et qui met des règles.
On peut très bien être un copain qui met des règles. Et, effectivement, puisqu'on parle de musique..,
c'est précisement ce que David Bowie disait. A son époque, les goûts des adultes étaient très
différents des goûts des enfants. L'adolescent n'avait aucune difficulté à se séparer. Vous aimiez
Frank Sinatra, si vous étiez plus âgé ; et vous aimiez Elvis Presley, si vous étiez plus jeune.
Actuellement, les adolescents vont piocher dans les vieux disques de leurs parents pour voir ce qu'il
y aurait éventuellement d'intéressant. Est-ce un tort, ce nouveau copinage ? Cette génération dans
laquelle les frontières s'estompent et qui font que, peut-être, les enfants sont actuellement
préoccupés par des sujets adultes ?
A douze ans, vous rigolez de Titeuf qui vous parle de sexe, de maladie et de mort… Et qui vous fait
des blagues du style VLWXFRQWLQXHVjP
HPPHUGHUW
DXUDVXQHOHXFpPLHRQWHEU€OHUDOHVJOREXOHV
EODQFV GH WRQ ]L]L Voilà le genre d'humour à la Titeuf. Ce qui permet à un enfant de se
positionner. Le danger actuel n'est pas le fait que les enfants se préoccupent de cela. C'est le fait
qu'il n'y ait plus de frontière en termes de préoccupation. On ne protège plus nos enfants de la mort,
de la maladie. Cela fait partie de leur monde... Je l'expliquais l'année passée dans une conférence
relative à Bambi : on expose les enfants, dès trois ou quatre ans, à l'image symbolique ou à
l’imaginaire de la mort, sans plus leur donner d'explication, plus rien ! Pan ! Ta mère est morte.
Va voir ta tante. Et tâche de grandir. Et voilà tout ce que le petit enfant reçoit. Les films qu'on fait
montrent qu'on est dans le traumatisme… Or, les petits enfants ne savent pas soutenir cette scènelà… Ils font tout à fait autre chose au moment où elle passe à la télévision.
Je vais répondre à vos trois questions qui sont terriblement importantes.
L'écoute c'est d'abord deux personnes parce que c'est de l'interpsychique. L'écoute psychanalytique
donne l'impression qu'il n'y a qu'une personne dans l'écoute. Il y a des règles figées : il n'y a qu'une
personne qui écoute l'autre, et on est dans l'intrapsychique. L'écoute dont on parle ici, l'écoute
sociale, est une écoute interpsychique. C'est toujours le même principe de séparation… On est
extrait de la vie quotidienne quand on écoute quelqu'un. Au moment de prendre le temps de
l'écoute, vous pouvez bien être dans un grand magasin…, vous n'êtes plus dans ce grand magasin.
Vous êtes à deux dans un espace qui est le vôtre : l'espace interpsychique. Vous avez les mêmes
20
principes : principe de séparation et partage des règles. Il y a dans la communication des règles à
respecter. Il est impossible de parler à quelqu'un qui ne bouge absolument pas son visage. Qui, par
exemple, ne cligne pas des yeux régulièrement, ou ne fait pas, de temps en temps, ce qu'on appelle
des encouragements à la communication : un petit geste, un petit oui, etc.
La psychanalyse a poussé les règles très loin en disant : on ne regarde pas le psychanalyste, on parle
quand même. Je vous assure que ce n'est pas donné à tout le monde de le faire.
Dans la majorité des cas, les règles sont qu’on parle dans un espèce d'aller-retour. On n'interrompt
pas l'autre quand il est en train de parler de ses malheurs. Il y a des gestes qu'on a et des gestes
qu'on n'a pas. Même chose : partage des règles et ancrage dans la réalité. Après…, quand j'aurai
fini de t'écouter, il sera toujours temps qu'on s'entende bien. Cela veut dire que je ne prendrai pas
mon temps à t'écouter tout le temps. Parce que c'est un effort intense d'écouter l'autre. Et même
dans nos relations familiales, on s'entend bien parce qu'on ne s'écoute pas trop. Si on se mettait à
s'écouter tout le temps, je crois qu'on ne s'entendrait plus. Parce qu'il y a un moment où on ne
donne plus de sens, où on a besoin de ces conversations qui ne sont pas des entretiens et dans
lesquelles le sens se perd un peu… Et alors, on parle de tout et de rien. Surtout de rien. Cela est
aussi fondamental lorsque vous travaillez à un processus d'écoute avec un adolescent dans une
classe ou avec un jeune en difficulté dans une structure d'aide : c'est de mettre des temps à l'écoute.
Des temps où on ne fait que s'entendre et où on parle de choses et d'autres.
J'ai passé un temps fou à parler foot, à parler musique… Je n'ai pas eu l'impression de perdre mon
temps parce qu'on parlait de tout, tout en ne parlant de rien… Puis, vient le moment d’aborder les
vrais problèmes, avec une qualité d'écoute particulière. Lorsque les jeunes me disent M
DLPH WD
PXVLTXH, moi je peux dire PRL M
DLPH FHOOHOj. Là, on est effectivement dans la conversation.
Puis, je repère par exemple un jeune adolescent qui (étonnamment) aimait Aznavour.
Profondément. Je l'entends parler d'Aznavour lors de l'entretien que j'ai avec lui. Je lui dit WLHQV
HVVDLHXQSHXGHP
H[SOLTXHU$]QDYRXU3RXUTXRLWXDLPHVWDQW" Et ce garçon m'explique qu'il
est algérien, qu'il a une peur bleue de la misère, qu'il a l'illusion qu'il est quelqu'un de très important:
MHPHYR\DLVGpMj«Chez lui, c'était très fort… Il est toxicomane et quand il prend de la drogue,
il s'imagine qu'il est en haut de l'affiche. Et quand il arrête sa drogue, il devient la pédale qui est
devant sa propre image et il devient un moins que rien. Le choix d'Aznavour est tout à fait atypique,
j'en conviens, pour un adolescent. Pas Marilyn Manson… C’est vraiment le choix particulier d'un
individu, à un moment donné.
A partir d'une conversation, je fais un entretien dans lequel il y a des règles et dans lequel on va
parler de lui, pas de moi. Il ne va pas me dire HWWRL" Non, c'est de lui qu'on va parler. Dans la
conversation courante, les règles sont différentes.
Vous m'avez aussi parlé de Sabine Dardenne… Je me suis fait mal comprendre si j'ai laissé
l'impression qu’il suffisait de la laisser parler devant le tribunal et que tout irait bien. Non ! Son
avocat a pris la voie la plus complexe, la plus difficile. Mais ce n'est pas lui qui a pris cette optionlà. C'est ensemble ! Parce que l’avocat a une relation de proximité avec sa cliente. Il en résulte
qu’ils ont construit ensemble la voie choisie. L’avocat devient ainsi un tuteur de résilience pour elle
et, ce faisant, depuis des années, il essaie de participer à sa (re)construction.
Et dans cette (re)construction, vient l’idée que, témoigner debout, ce sera plus profitable. Mais
l’avocat sait très bien que le travail va commencer après. Est-ce que la justice sera ainsi mieux
rendue ? C’est ce qu'on attend, dans ces cas-là… Mais, cela, Sabine Dardenne ne l'aura
probablement pas. On sait qu'une victime, quand elle est au tribunal, attend le repentir sincère de
l'auteur et la manifestation de regrets. Et aussi que l’auteur des faits ait une peine proportionnelle à
ce qu'on a subi. Il est très probable que Sabine Dardenne n'obtiendra pas tout cela. Qu'il n'y aura
pas d'excuses. Qu'il n'y aura pas une manière de nettoyer la faute qui permet à la victime de se
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relever. Mais il y aura eu, au moins, le mérite de le dire, de travailler là-dessus, plutôt que de vivre
dans l'illusion que tout cela était impossible. C'est ce qui explique l'acharnement de Sabine
Dardenne - et de son avocat - à vouloir absolument témoigner.
L'éducation de nos enfants est actuellement une éducation implicite. Ils apprennent des choses par
eux-mêmes. Ils apprennent plein de choses. Il n'y a plus d'éducation sexuelle. Où se fait
l'éducation sexuelle ? Elle ne se fait plus dans les familles. Elle ne se fait plus à l'école non plus. A
mon époque, on négociait entre les familles et l'école. Maintenant non. Ce n'est plus le rôle de
personne. C'est le rôle de la télévision, par exemple. Ou de tout ce qui fait qu’à travers les médias
ou dans la rue, on va apprendre des choses.
Je vais peut-être vous choquer en disant cela, mais la pornographie est beaucoup moins nocive pour
les adolescents que l'érotisme tel qu'on le montre actuellement dans des scènes où l’on voit une
femme qui dit QRQ QRQ QRQ RXL RXL RXL Qu'est-ce qu'il enregistre, le brave garçon ? Il
enregistre que le plaisir, ça ne vient pas tout seul… Mais que si on insiste un peu, ça finit bien par
venir. Je pense à un film que j'ai auditionné avec un jeune adolescent qu'on poursuivait parce qu’il
avait violé une jeune fille. Cette jeune fille a dit soixante fois non. Il s'était filmé dans ses ébats.
Lui, il n'avait pas l'impression de faire quelque chose de mal. Cette jeune fille a dit soixante fois
non. Au terme de l'entretien, il continuait de dire PDLVHOOHDXUDLWILQLSDUGLUHRXL3DUFHTX
HOOH
DXUDLWDLPpjODILQ$XGpEXWHOOHVDLPHQWSDV(WSXLVHOOHVILQLVVHQWSDUDLPHU
Voilà l'érotisme, tel qu'on le présente On a filmé des familles… et c'est relativement drôle.
Lorsque vous mettez une caméra devant la télévision pendant que les gens la regardent, on peut
saisir leurs réactions. Devant la scène érotique, la famille est quelque chose de tout à fait drôle…
Elle n'en parle pas… Il n'y a pas de contenance. Le père rigole, sort une blague, à tous les coups,
un peu salace. La mère regarde ailleurs. Elle fait autre chose. Elle est profondément gênée. Les
petits regardent en décodant. Mais personne n'en reparle. Et puis, à un moment donné DK EHQ
YRLOj&
HVWYXF
HVWSDVVp On sait que dans tous les films, il y aura une paire de scènes comme
ça. Et on passe au-dessus. Et on n'en parle plus. Et l'éducation va se faire en permanence, comme
ça, dans l'implicite. Et la télévision va vous présenter un tas de choses comme ça.
Vous savez, quand vous avez une telle idée du plaisir absolu, … vous l'avez dans tout, dans les
publicités, partout. Vous allez voir une femme manger une glace et cette glace devient un
instrument intense de plaisir. Cela veut dire aussi que le plaisir est quelque chose de très simple.
C'est au moins aussi simple qu'un cornet de glace. A partir de là…, vous entrez dans une vie
sexuelle un peu complexe (comme toutes les vies sexuelles). Et vous voici, adolescent de quinze,
seize, dix-sept ans, qui se retrouve avec des relations où le plaisir n'a pas l'air de s'être dilué de cette
façon-là… Et de se dire alors : SXWDLQ MH VXLV HQFRUH SOXV PDXYDLV TX
XQ FRUQHW GH JODFH Parce qu'il n'arrive même pas au résultat du cornet de glace. Parce que le plaisir semblait si facile.
Là, c'est notre rôle de parents de regarder avec eux et d'aborder les thèmes qui sont véhiculés.
L'éducation se fait comme cela. Priver de télé, ça sert à rien. Parce qu'à un moment donné, les
choses vont quand même se diluer de cette manière-là. Notre rôle de parents, ce n'est pas de dire
©ODWpOpF
HVWQXOª C'est dire : ©ODWpOpRQYDHVVD\HUG
HQIDLUHXQVXSSRUWSRXUrWUHFRQWHQDQW
SDUUDSSRUWjFHTX
RQUHJDUGHª C'est vraiment cela, pour moi, la responsabilité parentale. C'est
ce qu'on appelle actuellement l'éducation à l'image, à la toute-puissance de l'image. Tel est notre
rôle.
Une image, ce n'est pas la vérité. Une image, ce n'est pas vrai. Pas comme on le disait à notre
époque : F
HVWYUDLMHO
DLYXjOD79 D’autant que, maintenant, vous voyez des tas de choses à la
télévision qui ne sont que des images virtuelles…. C'est à nous à apprendre à nos enfants de se
détacher de la toute-puissance de l'image.
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- C'est sur cette image, ce détachement de l'image et cette maîtrise de l'image que nous
terminerons la séance d'aujourd'hui. Il me reste, en votre nom, à remercier Bruno de ce travail avec
nous.
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