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6(0,1$,5(©(FROH(QYLURQQHPHQWVRFLDOª qPHDQQLYHUVDLUH ±±PDUV Intervention de Bruno HUMBEECK /¶pFRXWHVRFLDOH 1 Nous allons continuer nos travaux avec Bruno HUMBEECK que nous connaissons déjà, car ce n'est pas sa première apparition dans notre séminaire. Nous avons invité cette année des intervenants en raison de la qualité de leurs précédents exposés. En effet, nous avons jugé important de les rencontrer de nouveau, et notamment Bruno HUMBEECK, sur le thème de l'écoute sociale. Nous avons parlé de reliance tout à l'heure. Nous allons y revenir. Dans ce domaine, Bruno est, lui aussi, un praticien. Et puisque que la journée avance, nous n'aurons pas d'intervention trop longue, afin de vous donner la parole et de maintenir le dialogue entre nous. On essayera ainsi de terminer dans les temps, comme prévu. Bruno, tu as la parole. Je vais m'efforcer d'être le moins théorique possible, tout en sachant que, par rapport à une notion aussi complexe que la notion d'écoute, nous allons devoir tout d'abord établir un cadre pour situer notre propos. On m'a proposé ce sujet d'intervention. Ce n'est pas moi qui ai choisi le titre (FRXWHVRFLDOH En fait, je ne pense pas qu'il y ait une écoute autre que VRFLDOH Dans ma pratique, je me suis posé la question de savoir, « ILQDOHPHQWSRXUTXRLHVWFHTXHMHVXLV SD\p"». Je suis sans doute payé pour écouter. Mais qu'est-ce que je fais quand j'écoute ? Et est-ce raisonnable de prétendre être payé pour écouter des gens à longueur de temps ? Hier, pour vous faire une confidence, je faisais changer les pneus de ma voiture. Je me suis dit YRLOjXQKRPPHELHQKHXUHX[ Je lui paie deux pneus, il me met deux pneus. Il sait ce qu'il m'a donné et je sais ce que je lui ai donné en compensation. Finalement, on est là dans un mécanisme très simple. Cet homme rentrera chez lui, satisfait de sa journée, s'il a vendu plus de soixante pneus. Et moi, je suis content : j'ai mes deux pneus. Mais quand je suis payé pour écouter quelqu'un, au bout de ma journée, après avoir écouté dix, quinze ou vingt personnes.., je ne sais pas très bien ce que j'ai fait. Je ne sais pas très bien ce que j'ai apporté. Et si je n'arrive pas à quantifier cela, je vais très vite me décourager et, peut-être, ne plus savoir écouter mes proches. Parce que je fais du bénévolat dans l'écoute : j'écoute aussi ma femme... Je ne suis pas payé pour faire cela et, pourtant, je vous assure que, parfois, il faudrait... Et parfois, j'essaie aussi d'écouter mes enfants. Vous voyez donc que l'écoute est quelque chose de très complexe que nous faisons en permanence. -HW pFRXWH dit-on. C'est quoi une écoute professionnelle ? A partir de quand vais-je pouvoir dire « MHYRXVpFRXWH HWoD YDYRXVFRWHUGHO DUJHQW"3HXWrWUHSDVjYRXVGLUHFWHPHQWPDLVjO HPSOR\HXUTXLPHSDLHSRXU YRXVpFRXWHU«ª Comment vais-je justifier cette écoute ? J'écoutais avec beaucoup d'attention l'intervention de Monsieur Lebreton. Il est plus pessimiste que moi. Sur la crise du sens, je suis entièrement d'accord. Mais c'est quoi écouter ? Si je m'en réfère au dictionnaire, c'est simplement HQWHQGUH DYHF DSSOLFDWLRQ J'entends un bruit... Si ce bruit m'interpelle, je l'écoute. Pourquoi ? Pour lui donner un sens. L'écoute n'est jamais que la manière de donner un sens à ce qu'on entend. Prenons Stockhausen, par exemple. C'est un grand musicien, pour certains. Personnellement, je ne comprends pas très bien ce genre de musique. Pour quelqu'un qui ne donne pas de sens à cette musique-là, elle pourrait être assimilée à du bruit. Du bruit organisé… qui devient de a musique. Parce que la musique, ce n'est rien d'autre que cela. J'écoute GHODPXVLTXHparce que je donne un sens à ce qui m'est donné d'entendre. Nous entendons énormément. Mais écoutons-nous souvent ? Quand peut-on se dire : maintenant, je suis dans une attitude d'écoute ? La manière dont j'écoute a pour effet d'élever l'autre. Et de faire en sorte, parce que je l'écoute, d'être capable de l'aider à dépasser son problème. 2 Quand j'ai reçu le titre qui m'a été proposé, / pFRXWHVRFLDOH, je me suis dit \DWLOGHVpFRXWHV DVRFLDOHV" Probablement oui. Et d'ailleurs, nous avons été formés dans nos professions à ce type d'écoute-là aussi. C'est, par exemple, l'écoute psychanalytique qui laisse l'autre discourir. C'est une écoute intra psychique. Je t'écoute et tout ce que tu vas me dire va trouver un sens pour toi. Simplement parce que tu le dis. Effectivement, cette écoute va faire ressortir ce qu'on appelle des traumatismes. C'est-à-dire qu'on va dépasser le trauma. C’est quoi, le trauma ? Le trauma, c'est le choc. Vous entendez un bruit : c'est un accident, c'est un trauma. Quelqu'un qui fracasse sa voiture contre la voiture d'un autre. Vient ensuite le traumatisme, à savoir la UHSUpVHQWDWLRQ de ce trauma. Le traumatisme n'arrive que lorsque la personne se raconte ce qui s'est passé dans cet accident, et pourquoi, et comment il l'a vécu. La manière dont il va raconter l'accident et dont il va se le représenter : voilà le traumatisme. Le traumatisme, ce n'est pas l'accident. Si vous avez un accident et que vous ne vous en relevez pas du tout, cela restera un trauma. Ce sera un traumatisme pour vos proches, mais ce ne sera qu'un trauma pour vous. Vous aurez eu un choc. Le traumatisme, c'est la représentation de ce trauma. Et, à un moment donné, la représentation s'exprimera notamment en paroles et en gestes. On verra comment on peut avoir une attitude d'écoute qui ne rajoute pas son propre traumatisme à celui de l'autre. C'est fondamental dans l'écoute. Le but de l'écoute n'est pas de rajouter son propre traumatisme. Prenons un exemple d'écoute, banalisé par la télévision. On écoute beaucoup de traumatismes à la télévision. Les émissions de Delarue sont basées sur l'écoute collective de traumatismes individuels. Vous vous mettez sur un plateau, vous racontez votre traumatisme et on suppose que le fait d'en avoir parlé arrange les choses, comme le dit Delarue avec sa bonne conscience apparente. ©9RXVHQDYH]SDUOp0DLQWHQDQWoDYDPLHX[MHVXSSRVHª Il ne peut vraiment que supposer. Mais que penser du drame qui survient après ce télé-spectacle ? Lorsqu'on interroge les personnes qui ont participé à ce type de manifestation, on constate que c'est profondément difficile pour eux... Finalement, qu'est-ce qu'on a fait avec leur traumatisme ? Qu'estce qu'on a fait, si ce n'est parfois y rajouter d'autres traumatismes ? Je me souviens d'une émission de Delarue, précisément, où une comédienne (que je déteste depuis, mais cela, c'est personnel) Clémentine Célarié, pour ne pas la nommer, rajoutait systématiquement son traumatisme à celui de l'autre. Elle voulait sans doute montrer beaucoup d'humanité. Chaque fois qu'une personne racontait son inceste (c'était une émission principalement axée sur l'inceste et ses traumatismes), elle se remettait à pleurer de plus belle. Et elle pleurait. Et elle pleurait. Et effectivement, elle manifestait une qualité d'écoute... Mais cette écoute était tout, sauf contenante. Les cinq émotions fondamentales qui sont la peur, la colère, la joie, le dégoût ou l'étonnement, nous allons tous, à un moment donné, les manifester sur notre visage. Ce qui va nous amener à manifester ce que nous vivons en écoutant l'autre. Ces émotions vont effectivement, au moment de l'écoute, révéler notre propre traumatisme. 7XDVYpFXXQLQFHVWH"3DXYUHILOOH7 HVIRXWXH& HVW XQHFDWDVWURSKH Et vous souriez joliment... Vous manifestez votre joie. Vous êtes aussi ambigu, parce que vous manifestez peut-être une émotion qui n'est pas celle que l'autre veut manifester. Le dégoût ? Un inceste, c'est dégueulasse comme histoire. En fait, vous jetez tout quand vous faites cela. Malheureusement, dans les écoles sociales et dans les écoles où l'on apprend à écouter, on apprend surtout beaucoup à parler. On apprend parfois à classer ce qu'on écoute. On apprend très peu les mimiques et les gestuelles que nous faisons quand nous recevons le discours de l'autre. D’accord pour le laisser manifester une émotion, mais une émotion qu'on est soi-même censé contenir. Si vous manifestez une émotion en retour, vous montrez très clairement que vous n'allez pas pouvoir contenir l'émotion de l'autre, mais qu'au contraire vous allez rajouter votre propre émotion. C'est la même chose dans toutes les attitudes qui accompagnent un traumatisme. Prenons l'exemple d'un médecin qui doit annoncer un cancer. On sait que les cancers les mieux "reçus" sont ceux qui 3 ont été annoncés par un médecin qui manifestait une empathie suffisante, sans froideur, avec ce qu'on appelait autrefois en psychanalyse une "neutralité bienveillante" ; mais qui, surtout, ne manifestait aucune émotion. C'est tout autre chose si le médecin vous annonce un cancer en étant triste à votre place... Ne jamais se mettre à la place des autres ! Si vous vous mettez à la place des autres, ... les autres, alors.., où voulez-vous qu'ils aillent ? Tout le problème est là : le médecin n'a pas à être triste à votre place. Idem pour le médecin qui est en colère. Imaginez-le : il regarde vos radios et puis, il râle : 3XWDLQ8QFDQFHUTXHOOHKRUUHXU& HVWPRQVWUXHX[Imaginiez qu'en plus il montre une mimique de dégoût... Tout ce qui véhicule, au-delà du message, une émotion qui n'est pas celle de l'autre, qui est la vôtre, risque de bloquer son expression. Et surtout, de montrer par les signes de votre écoute que vous n’êtes pas contenant. Je me souviens d'une anecdote : une jeune fille avait vécu un inceste assez épouvantable, il faut bien le dire. Je rentre dans le bureau. La psychologue et l'éducatrice pleuraient. Abondamment. A la Clémentine Célarié... Rassurez-vous, je ne les ai pas frappées. Je me suis dit 7LHQV2QHVWGDQV TXHOTXHFKRVHTXLQHIRQFWLRQQHSDV. Dans un trop-plein d'émotions. Quand on montre ses émotions, dans un premier temps, tout le monde est content. Et beaucoup de thérapeutes le diront comme moi. Lorsqu'on partage des émotions, cela donne le sentiment que les choses se sont bien passées. Donc, juste après, si je demande à la jeune fille & pWDLWFRPPHQW" elle me dira & pWDLW ELHQ MH PH VXLV VHQWLH ELHQ pSDXOpH SDU OD SV\FKRORJXH HW SDU O pGXFDWULFH (OOHVRQWEHDXFRXSSOHXUp'RQFHOOHVRQWFRPSULVPRQPHVVDJH L'éducatrice et la psychologue avaient elles-mêmes manifesté cette émotion. D’où, d'une certaine manière, le sentiment d'une émotion partagée. Le problème, c'est qu'on ne va pas mettre de mots sur cette émotion. Ce n'est pas gênant en soi de partager l'émotion... Simplement, dans la séance suivante, la psychologue doit exprimer pourquoi, en tant que psychologue, malgré son écoute professionnelle, elle s'est laissé submerger par l'émotion. Parce que ce n'était pas la même émotion ! Cette psychologue a effectivement un père particulièrement aimant. Elle était en difficulté avec lui, à ce moment-là, et elle vivait tout cela comme une trahison de plus de la part GHVSqUHV©/HVSqUHVVRQWIRQGDPHQWDOHPHQWGpFHYDQWV. » Et elle a donc rajouté sa propre émotion. La séance suivante a d'abord été une mise au point. 3RXUTXRLDLMHWURXYpDWURFHFHTXHWXYLYDLV" 3DUFH TXH VL PRQ SqUH PH IDLVDLW oD MH WURXYHUDLV oD DWURFH Il y a là une forme de solidarité féminine. -H Q DFFHSWH SDV TX XQ KRPPH XWLOLVH FRPPH oD VD SURSUH ILOOH HQ O LGHQWLILDQW j XQH IHPPH. Quand vous manifestez les choses comme ça, vous récupérez le gros problème. C'est une mimique qui vous classe et dont on ne parle plus. Quand vous recevez le discours de l'autre, cela vous semble naturel. Méfiez-vous de tout ce qui vous semble naturel. Une réaction de dégoût, c'est d'ailleurs naturel. C'est universel. La réaction de dégoût, vous pouvez l'avoir. Mais attention de bien décoder. Le premier message qui, finalement, amène à écouter l'autre, c'est le message des corps. C'est le moment où les gens se télescopent. C'est le moment où l'on va manifester une réaction à ce que l'autre nous dit. Parce que, contrairement aux psychanalystes, je ne peux pas me contenter d'écouter en roupillant à moitié devant un divan. En psychanalyse, l'écoute se suffit en quelque sorte à elle-même. C'est pour cela que j'ai finalement beaucoup apprécié ce titre (FRXWH VRFLDOH parce que c'est une écoute toute différente. C'est l'écoute pédagogique. C'est l'écoute de l'enseignant. C'est celle du travailleur social qui ne peut malheureusement pas se contenter de direM DLpFRXWpHWOHVFKRVHVRQWIDLWOHXUFKHPLQ Cette jeune fille me parle d'un inceste. Je l'écoute. Je dois en faire quelque chose. C'est là qu'on va parler de la dimension professionnelle de l'écoute. Mais aussi de la dimension sociale, 4 nécessairement active. Je ne peux pas me contenter de dire -H O DL HQWHQGXH - DL pFRXWp (YHQWXHOOHPHQWM DLGpSDVVpOHVLPSOHIDLWGHO HQWHQGUH- \DLPLVXQVHQVSDUWLFXOLHU. J'écoute aussi mes enfants. J'écoute aussi mon épouse (même si j'en ai souri tantôt). J'écoute les gens de ma famille. Qu'est-ce qui fait la différence dans la qualité d'écoute que je leur porte ? Très souvent, ils me le disent : ©WHVFOLHQWVWXOHVpFRXWHVSOXVTXHQRXV7XSUHQGVSOXVGHWHPSVSRXU HX[ª Qu'est-ce qui fait la différence entre les conversations que j'ai avec les membres de ma famille et les entretiens que j'ai dans mon cadre professionnel ? Qu'est-ce qui fait que, dans le cadre professionnel, on va au-delà du simple &RPPHQWoDYD" Imaginez un médecin qui demande à son patient qui vient de s'asseoir &RPPHQWoDYD" Le patient s'assied et lui dit : %LHQHWWRL". Là, on n'est plus dans la relation médicale, on est tout à fait dans autre chose. Effectivement, les gens ne sont pas là, généralement, pour s'occuper de nous. Par contre, dans un entretien, on est là à un moment précis, particulier, qu'on accorde à l'autre. Je suis un peu sceptique quand j'entends dire : ©QRVDGROHVFHQWVTXLYLYHQWGDQVOHSUpVHQWF HVW XQ SUREOqPHª Je prétends tout à fait l'inverse. S'il vous plaît… laissez un peu d'espace aux adolescents, pour qu’ils puissent glander ; mais savamment : en sachant ce qu'ils font. Ne les mettez pas toujours dans l'avenir, dans le passé, dans des projets. ©7XHVOjjULHQIDLUH&¶HVW2. VLWXOHIDLVELHQ& HVWELHQGHQHULHQIDLUHPDLVDYHFWDOHQWª L'adolescent a besoin de cet espace pendant lequel il va se réapproprier le quotidien. Je me souviens d'une personne (avec laquelle je travaille) qui m'a donné une leçon énorme. Enorme ! J'en avais marre de voir glander ce fainéant professionnel, capable de ne rien faire avec énormément de talent. Nous, quand nous ne faisons rien, nous nous disons SDVpYLGHQWRQIHUDLWPLHX[GHIDLUH TXHOTXHFKRVH Lui, non ! Il ne faisait rien et il assumait pleinement. -HQHIDLVULHQ Un jour, sous la pression de l'équipe (et aussi sous la pression de ce que je voyais au quotidien), j'en ai eu ras le bol de voir ce type ne rien faire ; alors que moi, je courais comme un malade. Je l'appelle et je lui dis PRQ JDUoRQ WX YDV IDLUH XQ SURMHW SDUFH TXH PDLQWHQDQW oD FRPPHQFH j ELHQ IDLUH WD PDQLqUHGHWHFRPSRUWHUGDQVOHTXRWLGLHQ A force de le seriner maladroitement de cette manièrelà, il se lève... Ce garçon était un vrai phénomène. A vingt-deux ans, il est toujours imberbe... Même laisser pousser sa barbe, ça lui semble sans doute fatigant... Je le trouvais vraiment phénoménal. Il se lève soudainement et il envoie son poing dans le mur, mais de façon tellement ridicule que je me mets à rire. Vous savez quand quelqu'un met son poing dans le mur, c'est censé produire un effet. C'est censé être quelque chose que j'allais écouter, du genre : "MHVXLVIXULHX[". Et puis, il se retourne et dit :F HVWSDVPRQSRLQJTXHM DLPLVGDQVOHPXUF HVWOHWLHQSDUFHTXHF HVW WRL TXL HV IkFKp 0RL M DL DXFXQ SUREOqPH DYHF OD YLH 7RL WX VXSSRUWHV SDV XQH DEVHQFH GH FH TX RQDSSHOOHHQVRFLRORJLHXQHSURWHQVLRQ'qVTXHWXIDLVTXHOTXHFKRVHWXSHQVHVjFHTXHWX DXUDLVSXIDLUHjODSODFH Que faisait ce garçon ? Une leçon à la Montaigne. Quand je marche, je marche. Quand je mange, je mange. Quand je bois, je bois. Ce garçon, traumatisé par une vie difficile, a besoin tout simplement de se réapproprier le quotidien. Cela prend un certain temps. Mais n'enlevez surtout pas la valeur du quotidien. Quand Montaigne nous le dit, on l'écoute. Quand ce garçon nous le dit, ça secoue. Parce que ce qu'il nous faisait, c'était ça. Pas de protension. Les recherches de Kaufman sont vraiment très intéressantes sur la protension, sur la manière dont on vit le quotidien en le contaminant en permanence par le passé et par l'avenir. Il explique très bien comment beaucoup de femmes vivent très mal le moment de la vaisselle (les hommes aussi d'ailleurs), parce que le discours féministe leur ditPDLVYRXVSRXYH]IDLUHDXWUHFKRVHTXHoDV LO YRXVSODvW9RXVQ DYH]SDVjYRXVFRQWHQWHUGHoD Et chaque fois qu'on fait une vaisselle, on en fait un moment perdu, alors que (comme nous dit Kaufman) il faut le vivre dans le présent. Peutêtre en l'aménageant, en mettant de la musique, en écoutant la radio, pour que ce ne soit pas 5 systématiquement un moment où on se pose la question de savoir ce qu'on aurait pu faire d'intéressant à la place ; un moment où on se dit : PDLVMHGHYUDLVSOXW{WrWUHDLOOHXUV. Nous sommes constamment dans cet état de protension. J'étais un peu sceptique quand j'entendais Monsieur Lebreton dire OHVMHXQHVYLYHQWWURSDXSUpVHQW C'est pourtant la leçon qu'ils donnent à une génération qui est incapable de vivre au présent. Notre génération est en grosse difficulté par rapport au présent. Elle a toujours une tendance à fuir en avant, à faire des projets ou à vivre dans le passé, parce que le passé nous condamne, parce que le passé, suivant les psychanalystes, est censé nous expliquer tout ce qu'on fait dans le présent. Nos travaux sur la résilience montrent très bien qu'on peut dépasser ce qu'on a vécu. ©7RXWVHMRXHDYDQWVL[DQVª C'est faux, on le sait. On peut avoir vécu des choses atroces avant six ans et vivre une vie tout à fait pleine de sens. C'est ça la notion de résilience. Ce n'est pas (je l'ai entendu vaguement tout à l'heure) rebondir au-dessus de ses malheurs avec des bottes de sept lieues. Ce n'est pas une formule magique. C'est une construction que l'on fait en prenant son temps. Nos adolescents ont besoin de prendre ce temps. Avec leurs pieds beaucoup trop grands, ils traînent leurs savates d'un fauteuil à l'autre, en regardant des séries débiles. On ne cesse de leur dire DUUrWH GH WUDvQHU WHV SLHGV Or, savez-vous que le pied est le premier organe qui pousse chez l'être humain ? Et qu'il grandit plus vite que le reste du corps ? Ce qui explique que les adolescents vont avoir physiologiquement les pieds plus grands que le reste du corps... Donc, leur tendance naturelle à traîner les pieds est tout à fait normale. D’où cette tendance à devoir prendre son temps pour faire le bond en avant vers l'âge adulte... En tout cas, tout cela ne doit pas être déterminé en termes de F HVW ELHQ F HVW PDO On doit simplement le constater. On a une société dans laquelle les adolescents vont courir comme des fous entre dix mille activités, pour se vautrer ensuite devant la télé et regarder d'autres adolescents glander dans un loft. Problème : le glandage.., il ne l'ont plus qu'en spectacle. Ils ne peuvent même pas en profiter eux-mêmes. Alors qu'on sait que c'est quelque chose d'important. C'est important de se réapproprier le temps. J'en reviens à l'écoute, qui est nécessairement rivé au quotidien. Si vous écoutez quelqu'un avec l'idée que vous devriez être ailleurs, votre qualité d'écoute va fort diminuer. L'écoute est un comportement qu'on a par rapport à l'autre. Et qui implique un temps présent. Quand les gens viennent me voir, ce n'est pas automatiquement comme dans une cure psychanalytique pour me parler de leur passé. Ils peuvent l'envisager, mais c'est d'abord pour se réapproprier un moment présent, ce qui va nous permettre éventuellement de donner du sens à un certain nombre d'éléments passés et, certainement, d’envisager l'avenir. Mais si on est uniquement dans l'avenir ou dans le passé, on va négliger tout ce qui fait le quotidien de l'écoute, tout ce qui fait l'enracinement dans le présent. -HVXLVOjSRXUWRLMHW pFRXWH C'est ça, le message de l'écoute. C'est prendre un temps suffisant pour l'autre. L'écoute est d'abord un comportement. Quand je suis payé pour écouter quelqu'un, je suis payé aussi pour lui réserver une partie de mon temps. Pour faire quoi, finalement ? Pour donner du sens. J'ai beaucoup entendu parler ici de FULVHGHVHQVC'est vrai. Tout cela est vrai. Je suis pourtant beaucoup moins pessimiste, parce que dans toute société humaine, depuis que le monde est monde, on a parlé de crise de sens. Vous savez, nos adolescents ... un peu détachés, un peu parodiques, un peu ironiques, ressemblent furieusement à ces nobles du XVIIe siècle, un peu désoeuvrés et qui ironisaient sur tout, qui parodiaient systématiquement tout, en réaction à une génération sans doute trop concernée par un certain nombre de difficultés... 6 A propos de parodie... Quand nos enfants regardent des séries comme "H" (vous connaissez "H" : Eric et Ramzy qui font les andouilles dans un hôpital)... qu'est-ce qu'ils nous enseignent ? Ils nous enseignent simplement que, nous aussi, nous avons perdu beaucoup de temps, comme adultes, à regarder (avec beaucoup plus de sérieux) les mêmes personnes travailler avec l'angoisse de la mort et de la maladie dans les urgences d'un hôpital new-yorkais. Nous nous sommes tapé des séries d'"Urgences" à n'en plus finir. Eux, ils disent : 7LHQV1RVSDUHQWVRQWGHVDQJRLVVHV/DPRUW WRXWoD1RXVRQYDDOOHUDXGHOjSRXUJpUHUFHVDQJRLVVHV2QYDGRQFOHVSDURGLHU. Les recherches qu'on fait sur ces adolescents-là (qui sont des adolescents en grosses difficultés sociales) montrent qu'ils ne sont pas dupes. Non ! Ils ne prennent pas la mort par-dessus la jambe. Mais il y a pour eux un principe (et on va en parler abondamment) qui est le principe de séparation, qui est le principe de partage des règles. Et qui, finalement, introduit le jeu, l'humour, tout ce qui va faire la résilience, et notamment l'aptitude à rire de la mort pendant un temps déterminé. Pas à tout bout de champ ! Mais pendant un temps qui est marqué par le générique d'entrée et par le générique de fin. Cette aptitude-là est vraiment fondamentale. Elle indique des traces de résilience. Nous l'envisagions sans doute avec beaucoup plus de sérieux lorsqu'on regardait 8UJHQFHV, parfois trois ou quatre fois de suite... C'est le même mécanisme, mais qui utilise la même forme de résilience complémentaire qu’est l'humour, qui est la parodie. Notre travail n'est pas de dire F HVWELHQF HVWPDO. J'avoue avoir été un peu gêné, lors de l'exposé précédent, par cette tendance à classifier en bien et en mal. Chez l'adolescent et chez l'enfant, dans ce qui les regarde, je ne me préoccupe pas de savoir si c'est bien ou si c'est mal ; mais quel sens cela a pour lui. Quel sens cela a-t-il dans une société qui perd (on l'a dit aussi dans l'exposé précédent) la notion du bien et du mal, quand il s'agit de se taper trois heures durant, PDNLQJRI non compris, le Seigneur des Anneaux, dans lequel on va les seriner en permanence avec ces fameuses notions du Bien et du Mal. Le Bien, le Mal... Où se trouvent-ils ? Ils sont aussi en nous, en partie. Nous avons réalisé un travail avec des jeunes qui ont subi une privation de liberté avant la majorité et qui sont en centre fermé. Les notions de bien et de mal, et l'éthique, vous savez.., c'est très complexe pour eux. On a l'impression qu'ils sont complètement dépourvus d'éthique. On nous a dit 9RLOj7UDYDLOOH]DYHFHX[V LOYRXVSODvW)DLWHVXQHDQLPDWLRQVXUODPRUDOHVXUODQRWLRQGH ELHQ HW GH PDO Imaginez-vous qu'on rentre en contact avec eux avec un discours moralisateur F HVWTXRLOHELHQF HVWTXRLOHPDO" On a dit non. Aux jeunes, on leur a dit : « RQYDUHJDUGHU XQILOP9RXVDOOH]VLPSOHPHQWQRXVGLUHFHTXHYRXVHQSHQVH] 9RXVDOOH]YRXVWDSHUWURLVKHXUHV GX6HLJQHXUGHV$QQHDX[0DLVRQYDHQSDUOHUDYHFYRXVDSUqV(WF HVWYRXVTXLDOOH]QRXVGLUH FHTXHYRXV\WURXYH]ª Trois heures, voire quatre pour d'autres épisodes. Ce qui était tout à fait étonnant, c'est qu'en début de séance, il y en a deux ou trois qui ont commencé à faire les andouilles. Parce que c'est un peu long, le Hobbit... Vous savez, au début, il faut vraiment rentrer dedans. C'est le groupe lui-même qui a dit )HUPH WD JXHXOH 7DLVWRL 2Q pFRXWH On était là dans quelque chose de tout à fait particulier. Tous ceux qui regardent le Seigneur des Anneaux le savent. Ils vous diront TXDQGMHOH UHJDUGHjODWpOpoDPHSDUDvWSOXVQXO$XFLQpPDF HVWTXHOTXHFKRVH Et le home cinéma, c'est encore autre chose. C'est ça donner du sens. La télé est quelque chose qui vient chez vous au quotidien. C'est une lumière qui vient et qui, finalement, vous envahit. Le home cinéma ou le cinéma vous enveloppent à l'intérieur d'un spectacle. Pourquoi pensez-vous que les gens se préoccupent tellement d'acheter des home cinémas ? C'est pour être enveloppé par un son qui vous rend concerné par ce qui arrive. Et, effectivement, si un jour vous avez à visionner le Silence des 7 Anneaux, il convient que les gens se sentent tout à fait concernés par ce qu’ils voient. Qu'ils soient donc à l'intérieur du spectacle. Le home cinéma sert à ça. Très vite, on a constaté qu'on allait pouvoir parler par média interposé, du bien, du mal, de la moralité. Sans que nous ayions besoin d'ouvrir la bouche. En les laissant faire. Où est le bien ? Où est le mal ? C'est quoi, le principe pour lequel les personnages agissent ? Qu'est-ce qu'ils cherchent à faire ? Ils veulent sauver l'humanité ! Ils sont dans ce principe, qu'on appelle l'humanisation : le sens de l'humain qui impose parfois le sacrifice des plus petits. Ce n'est pas parce qu'on est plus fort qu'on réussit. Nous détenons une cassette que nous pouvons éventuellement mettre à votre disposition ou que nous pourrions vous faire visionner. Vous seriez étonnés du sens de l'éthique qui peut en ressortir. Je ne dis pas que c'est miraculeux.. Je ne dis pas, qu'après ça, ces comédiens sont devenus des évangélisateurs. Loin de là. Tolkien était un grand catholique et ce qu'il a voulu faire, c'est simplement faire passer ce message du bien et du mal, avec une petite sauce catholique. Un peu déplaisante, d'ailleurs... Mais qui, en tout cas, passe à l'intérieur, avecOHPDOH[LVWHHQFKDFXQGH QRXV Il faut s'en expurger. Et c'est l'anneau, qu'on va jeter quelque part. On peut être dans le bien et puis, à un moment donné dans sa vie, faire le mal. Le mal n'existe pas en soi ; il se crée. Il devient quelque chose. D'où l'image que rien n'est une fatalité. Tout cela est travaillé avec les jeunes et on va ainsi pouvoir donner du sens. C'est là le point essentiel : écouter. C'est simplement entendre avec application. Et entendre avec application, c'est donner du sens. C’est cela qu'on attend. Lorsque vous observez quelqu'un qui regarde le Seigneur des Anneaux, il est important de l'aider à donner du sens à ce qu'il voit. De le laisser s'exprimer par rapport à ce qu'il voit. Ne surtout pas le lui imposer. C'est vrai que nos sociétés ne se racontent plus aux enfants. C'est vrai qu'on ne leur raconte plus d'histoires. C'est vrai que tout cela se fait par médias interposés. Alors, on peut se lamenter et dire OHPRQGHHVWSRXUULULHQQHYD Crise de sens. Crise de ceci, crise de cela. Mais on peut aussi dire : 3RXUPRLQRQ&HQ HVWSDV XQHIDWDOLWp. C'est vrai que je ne raconte plus d'histoires à mes enfants. C'est vrai que je regarde énormément de vidéos avec eux. Précisément, la relation pédagogique que l'on peut établir à partir de ce matériel-là favorise l'écoute. Ce sont mes enfants qui m'apportent les cassettes. Je les regarde aimer quelque chose et je me dis : PDLV SRXUTXRL DLPH]YRXV FHOD " ([SOLTXH]PRL Que penser de toutes ces scènes parodiques sur l'angoisse de la mort, sur l'angoisse de la maladie, que l'on voit dans H, dans Six Feet under, etc ? C'est toujours le même mécanisme. Ce sont les adolescents eux-mêmes qui nous le disent. Ils nous disent : PDLVLOIDXWVDYRLUHQULUH! Il faut en rire. On peut considérer qu'il y a une crise du sacré. Il n'y a plus de grande idéologie et il n'y a plus de marqueurs idéologiques d'identité. Je suis chrétien, je suis musulman... Là, c'est bien net. Mais MH VXLV PDU[LVWH par exemple... On observe beaucoup moins ce marqueur d'identité. Il existe pourtant des appels d'air essentiels qui sont tout ce que l'adolescent va regarder. On n'a pas parlé ici de la figure emblématique de la scarification qu'est Marilyn Manson. Vous la connaissez ? Cette personne a institué la scarification comme une pratique ordinaire. Je suis allé voir personnellement un concert de Marilyn Manson, pour des raisons de recherche, je vous le dis tout de suite. Je m'y suis trouvé très mal. C'était à Forest National. Il y avait énormément de monde et étonnamment, autour de moi, il y avait un grand cercle. Personne ne m'approchait. J'étais une espèce d'Alien. Je me suis posé certaines questions. Ils étaient tous rassemblés et il faisait particulièrement chaud. Ils m'avaient laissé une espèce d'espace vital. C'était moi l'étranger làdedans. Parce que je ne me scarifiais pas... Parce que je n'avais pas les marques ordinaires qui font 8 finalement l'identité. Je suis à la fois le même et différent. On parlait des GSM tout à l'heure, en les présentant comme des marqueurs d'identité. Oui, ... marqueurs d'identité, mais tout à fait paradoxaux. Nokia a compris avec génie l'adolescence sur ce plan-là. Tout le monde veut un Nokia, mais avec une sonnerie individualisée et un boîtier différent. Et la combinaison de votre Nokia avec votre sonnerie font qu'il est probablement unique. Sinon, quel serait l'intérêt de démultiplier les sonneries et les boîtiers ? Nokia a bien compris ce double mécanisme adolescent : l'individuation et, en même temps, l'humanisation. Je veux être humain, comme les autres. Mais je veux aussi être individualisé, donc différent, par rapport à eux. Ces marqueurs (l'exposé de tout à l'heure a été d'une grande richesse) ne sont effectivement pas que des traces de souffrance. Dans ce concert, on vendait des lames de rasoir qui ne faisaient pas mal. Quel était le but du jeu ? Ces lames étaient usées, de façon telle que lorsque vous les utilisez (je ne l'ai pas fait, mais les gens me l'ont dit), cela ne fait pas mal. Le but n'est donc pas la douleur, contrairement à ce qu'on croit. Oui, le but peut être la douleur dans certains cas... Mais il peut aussi être simplement un marqueur d'identité. C'est là où je veux en venir : dans le sens particulier que l'on va donner au comportement. C'est cela l'écoute. J'ai connu une adolescente qui se scarifiait parce qu'elle avait connu un inceste. Là, on retrouve le témoignage qui dit très clairement une douleur objective. C'est tellement plus simple pour dire sa douleur. L'adolescente se disait en quelque sorte : « MHPDvWULVHPDGRXOHXU-HIDLVFHTXHMHYHX[ DYHFPRQFRUSV2QDIDLWFHTX RQYRXODLWGHPRQFRUSV0RLjPRQWRXUMHIDLVFHTXHMHYHX[ GH PRQ FRUSVª Et il peut en être ainsi tant qu'on n'aura pas compris cette jeune fille. Elle s'est retrouvée trois fois victime. Victime d'un inceste, victime ensuite de sa mère qui n'avait pas cru à cet inceste et qui l'avait rejetée, et victime une troisième fois parce qu'elle (bien que vivant dans une structure que j'anime et où elle avait trouvé sa place) a été placée contre son gré. Elle m'avait dit (FRXWHMHYDLVWHUDFRQWHUoDPDLVMHW HQSULHMHQHYHX[SDVYRXVTXLWWHU-HQHYHX[SDVrWUH SODFpH Mais les institutions sont ce qu'elles sont. Je n'ai rien pu lui promettre. Et heureusement, parce que, finalement, elle a été placée. Suite à cela, on a eu affaire à des comportements de scarification massive dont le but était de donner un sens. Lorsqu'on l'a interrogée, elle a dit : /HVJHQVGHODPDLVRQ R M DL pWp SODFpH QH VH VRQW PrPHSDVSRVLWLRQQpVSDUUDSSRUWjO LQFHVWH4X LOVGLVHQWTX LOVQ \FURLHQWSDVMHP HQIRXV0DLV TX LOV OH GLVHQW DX PRLQV. Le silence peut apparaître comme une attitude d'écoute bienveillante. Mais autre chose est l'absence de position claire par rapport à ce que l'autre vit : « MH WH FURLV M DLPHUDLVWHFURLUHMHQHWHFURLVSDVª D'où la souffrance, due avant tout à l'absence de sens. N'écoutez pas quelqu'un si vous ne trouvez pas le sens de ce qu'il dit. Ecouter un paranoïaque ou écouter un psychotique n'a, à priori, aucun sens si vous n'êtes capable de donner sens à ce qu'il dit. Vous avez affaire à un type qui vous dit 7RXWOHPRQGHP HQYHXWOHPRQGHHQWLHUP HQYHXW Cette personne fait un délire paranoïaque qui est une maladie bien caractérisée et qu'il convient nécessairement de soigner. Quelle peut être votre position ? "(FRXWHPRLMHVXLVWRQDPL? Plus vous allez lui dire ça, plus il va dire &HOXLOjLOHVWHQWUDLQGHPHPDQLSXOHU C'est le moment de lui répondre :2NWRLWXYRLVoDFRPPHoD& HVWWDYLVLRQGHVFKRVHV-HQHSHX[SDVFKDQJHU FHWWHYLVLRQGHVFKRVHV7 HVGDQVXQFKDPSGHPLQHV$ORUVW DVSDVOHFKRL[&RPPHWXQ DVTXH GHVHQQHPLVIDXGUDELHQTXHWXVXLYHVTXHOTX XQ7XYLHQVDYHFPRLHWRQYDDOOHUpYHQWXHOOHPHQW GDQV XQ K{SLWDO SRXU WH VRLJQHU Voilà ce qu'on fait avec un paranoïaque. On ne cherche pas à trouver un sens là où il n'est pas. Dans la maladie mentale, l'écoute du malade est une écoute tout à fait particulière. On ne peut pas donner du sens à ce qui n'en a pas. Mais dans toutes les autres formes d'écoute, lorsqu'on n'est pas dans le délire, notre travail n'est pas de juger :F HVWELHQF HVWPDO C'est de nous positionner. De 9 donner un sens par rapport à ce qu'on entend. Tout est là : dans le transfert des émotions ; dans tout ce qui, à un moment donné, va permettre de mettre en place les conditions d'une résilience. Quand cette jeune fille me dit M DL YpFX XQ LQFHVWH je peux et je dois maîtriser mon corps, mes attitudes, de façon à ce que ses émotions ne soient pas nécessairement en phase avec les miennes. Si je suis dégoûté (parce que je peux l'être), je dois absolument arriver à contrôler ce que j'émets de façon à ce que tout le registre des émotions soit possible et, surtout, à ne pas enfermer l'autre dans un statut de victime. Vient ensuite la question de savoir ce qu'on va faire avec cela. Voilà la question qu'on se pose. Ce n'est pas 5DFRQWHPRLoD C'est TX HVWFHTX RQIDLWDYHFoD Arrêtet-on de vivre ? Ou continue-t-on et construit-on quelque chose au-dessus de ça ? Dans le procès très médiatique de Dutroux, l'avocat de Sabine Dardenne (qui par ailleurs m'a contacté) fait de la résilience au fond de son approche. Il fait de la résilience, sans le savoir ; par exemple, quand il fait des pieds et des mains pour que sa cliente parle et qu'elle soit debout dans le tribunal. Ne fait-il pas effectivement ce que tout avocat devrait faire ? Le but du jeu, c'est d'être debout et de pouvoir dire des choses. Sa cliente a le courage de le faire. Etonnamment, cela a parfois été vécu comme une maladresse. Cet avocat avait tous ses confrères sur le dos... Eh bien non ! il y a chez cette jeune fille la volonté réelle de se construire, en s'affirmant debout ; pas en se traînant couchée. Il en va tout autrement quand on filme, par exemple, la jeune fille Laetitia, sans doute avec les meilleures intentions. Ah ! la pauvre ! Elle est courbée. Elle ne va pas bien. Elle a beaucoup de mal. Eh bien non ! Le mieux est effectivement de ne pas l'enfermer dans un statut de victime. Beaucoup d'avocats disent 5HJDUGH]PDFOLHQWHHOOHHVWIRXWXH Ils font ça parce que la logique juridique veut qu'ils affirment cela, pour pouvoir obtenir plus de réparations au moment de spécifier les dégâts constatés. Mais, ce faisant, ils commettent un énorme dégât en signalant que quelqu'un est foutu. On n'est pas foutu, même face à l'insensé. Sabine Dardenne est quelqu'un qui se relève, qui vit une vie tout à fait pleine de sens, parce qu'elle a vécu l'insensé et qu'elle n'est pas restée dedans. Tout a été vers une quête de sens. Notamment grâce au travail de son avocat. Je le cite régulièrement. Ce n'est pas du tout un ami personnel. C'est devenu une connaissance au moment de découvrir sa façon de travailler. Ne pensez donc pas que je le défends. Mais je trouve que sa manière de fonctionner en tant que défenseur est remarquable sur ce plan-là. Un tribunal n'est pas fait pour qu'on y traîne les victimes couchées. Il est fait pour qu'une victime puisse écouter en étant debout. L'écoute, c'est aussi ce qui met les gens debout. Tel est le fondement du travail. Dans le travail social, je dirais classique, on a trop tendance à traîner les gens couchés. C'est très fatigant et on ne va pas très loin. Tout le monde peut se mettre debout si on utilise les bonnes méthodes, les bonnes attitudes d'écoute. Et si on n'enferme pas les gens dans des statuts de victimes. Alors les gens se lèvent, ils marchent et ils vont plus loin. Je vais vous faire un aveu : c'est beaucoup moins fatigant lorsque les gens se mettent debout, et qu'ils vous accompagnent, et que vous les accompagnez. Vous avez alors vraiment le sentiment que certaines choses se font tousses seules. Dans les centres que j'anime, on a parfois l'impression que, finalement, les choses se font toutes seules. Simplement, il y a ce qui caractérise l'écoute et qui consiste à dire : DWWHQWLRQ2QQ HVWSDVSULVRQQLHUGHVRQSDVVp&HQ HVWSDVSDUFHTXHWXDVYpFX XQ LQFHVWH FH Q HVW SDV SDUFH TXH WHV SDUHQWV W RQW PDOWUDLWpH TXH WX GRLV QpFHVVDLUHPHQW WH FRQGDPQHUjXQHYLHGHPHUGH Il y a une manière d'écouter qui ne consiste pas à dire5DFRQWHPRLODYpULWp mais 5DFRQWHPRLWD YLHMa vie, ce n'est pas ce que j'ai vécu, c'est ce dont je me souviens. C'est cela, une biographie. Peu importe si elle est vraie ou fausse. Il y a des gens qui me racontent des trucs : je ne suis pas sûr qu'ils les ont vraiment vécus. Je peux très bien vous raconter un accident que j'ai vécu. J'ai trois versions : une version humoristique, une version tragique et une version classique. Je ne suis pas 10 très sûr de la manière dont cela s'est réellement passé. Je sais qu'en fonction des circonstances et de la manière dont je me positionne, je vais le raconter de façon très différente. Dans la narration, il y a aussi le droit de chacun de reconstruire sa vie. On a aussi parlé de la fatigue d'être soi. Cette fameuse nouvelle dépression... C'est vrai qu'on peut être fatigué d'être soi. C'est très lourd, la responsabilité de devenir soi. D'où le refuge dans le virtuel. Quand on est fatigué d'être soi, le virtuel devient important. Vous, Monsieur, vous posiez la question de savoir si le virtuel ne tuait pas nos enfants. Il peut le faire ! Il peut le faire, si on considère que c'est bien ou mal. Si on considère que c'est un nouvel apprentissage. On a tous cette propension à rêver, de temps en temps, qu'on est quelqu'un d'autre. Et c'est une nécessité. Je lisais dans le journal, après le onze septembre, que nonante pour cent des Américains avouaient avoir fait des rêves éveillés. Ce n'est pas ce chiffre qui est étonnant, et ce n'est pas le fait que ce sont des Américains ; c'est le fait qu'ils l'avouent. Comme si on devait avouer ses rêves éveillés, alors que c'est ce qui nous construit. Lorsqu'on s'est fait emmerder par quelqu'un, c'est quand même bien simple de rêver qu'on peut lui faire pousser une queue de cochon, si on veut. C'est ce que fait Harry Potter. Il rêve qu'il est un sorcier, alors qu'il n'en est pas un. Le rêve de toute-puissance n'est pas un problème. Le problème, c'est l'illusion de toute-puissance. Là, je rejoins votre inquiétude. Le problème survient quand on n'est plus très sûr de pouvoir maîtriser son retour à la réalité. Comme le dit Raymond Devos beaucoup mieux que moi :TXDQGRQ HPPqQH TXHOTX XQ GDQV O LPDJLQDLUH RQ D OD UHVSRQVDELOLWp GH OH UDPHQHU j OD UpDOLWp Voilà réellement le sens d'être adulte. Dans la narration de soi, on est toujours dans le symbolique, le réel et l'imaginaire. Nos enfants vont devoir fonctionner avec tout cela. Avec des frontières qui sont très complexes à cerner et qui vont faire leur richesse, dès lors qu'ils se construisent comme cela. Ils se construisent parfois un autre monde. Voici une anecdote tout à fait personnelle. Je me baladais avec mon petit garçon et il me dit $UUrWHWRLIl a cinq ans. Jusque-là, c'est relativement normal. Je m'arrête. ,O\D%XJV%XQQ\ TXLGRLWUHQWUHU Je fais rentrer Bugs Bunny. Bien entendu, il n'était pas là, c'était un jeu. Donc je le fais rentrer et nous continuons notre route. 0DLVFHW\SHHVWFRPSOqWHPHQWLUUHVSRQVDEOH En tant que père, il devrait expliquer à son fils que Bugs Bunny, ce n'est qu'un dessin animé. 2XL PDLV dira mon fils : %XJV%XQQ\MHO DLYXDYHF0LFKDHO-RUGDQTXLHVWELHQYUDLHWVLMH YDLV GDQVXQSDUFG DWWUDFWLRQVMHYDLVYRLUOHYUDL%XJV%XQQ\ Tous ceux qui fréquentent Eurodisney savent qu'on est constamment dans cette magie de l'imaginaire, entre le virtuel et le réel. Tous les thèmes des nouveaux parcs montrent cela : un homme qui tombe dans un écran et qui participe à la vie d'un film, puis qui retombe de l'autre côté. Pourquoi pensez-vous que tant de gens achètent des PDNLQJRI qu'ils ne regarderont pas ? Vous êtes certainement nombreux dans l'assemblée à dire :RQDDFKHWpXQILOPLO\DYDLWXQPDNLQJRI& HVW WUqVELHQTX¶LO\DLWXQPDNLQJM DFKqWHTXDQGPrPH3DUFHTX LO\DOHPDNLQJRI0rPHVLQHOH UHJDUGHSDV2QV HQIRXWGHVDYRLUFRPPHQWRQDFRQoXOH*RXORXP&HODQRXVHVWFRPSOqWHPHQW pJDO PDLV F HVW TXDQG PrPH UDVVXUDQW GH VDYRLU TXH FH Q HVW SDV WRXW j IDLW UpHO (W TXH OH *RXORXP F HVW XQH FUpDWLRQ Voilà comment on teste notre rapport à l'imaginaire, au réel, au symbolique... Mais je reviens à mon petit garçon, parce que je vous sens tracassés par l'éducation que je lui donne... Je pourrais lui dire PRQJDUoRQ%XJV%XQQ\Q H[LVWHSDVRassurez-vous, la vie va faire le nécessaire. Un peu après, j'étais immensément pressé. Il me dit $UUrWHWRL%XJV%XQQ\HVWOj Je lui ai ditWXQHYDVSDVFRPPHQFHUjP HPPHUGHUDYHFWRQ%XJV%XQQ\ Il s'arrête tout aussi vite. Il sait qu'on n'est plus dans le jeu. Parce que l'enfant le sait, quand on est dans le jeu et quand on n'y est pas.$KOjSDSDQHMRXHSDV Il sait très bien quand on est dans le jeu. Quand on y est, on doit pouvoir l'exprimer avec les trois principes qu'il faut absolument retenir : le jeu, le rêve et l'imaginaire. C'est le principe de séparation. Ou encore : l'humour. On ne rit pas tout le temps, à 11 tout bout de champ ; il y a des moments pour cela. Suit le principe d'ancrage à la réalité. Car on doit revenir à la réalité. J'ai tendance à dire : ne vous tracassez pas... Vos enfants sont souvent devant des jeux vidéo ? Eh bien ! d’une certaine manière, ils profitent du progrès. Mais, je vous en prie, laissez-les éteindre eux-mêmes la télévision, parce que ce geste symbolique, qui n'a l'air de rien, est celui qui fait le retour à la réalité. Quand je vois des play stations ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, parce que l'enfant ne la ferme même plus, là je suis plus tracassé. Il y a des gestes symboliques qui manquent cruellement et qui marquent le passage d'une réalité à une autre. C'est à ça que servent les génériques : pas simplement à vous dire qui a conçu le scénario... Un son, un bruit, une musique particulière indiquent que vous entrez dans un hôpital qui s'appelle H, qui est un hôpital complètement déjanté et où les choses ne sont pas suivies selon les règles habituelles de la réalité. Là, il n'y a pas de problème. Si, par contre, vous entrez dans un hôpital, parce que vous venez de vous casser le bras, et que vous cherchez Eric et Ramzy, vous avez un gros problème. Mais la majorité des adolescents ne le font pas, sauf grosse pathologie. On sait qu'il y a donc ces trois principes. Il y a des règles qu'on partage. Les adolescents vous le diront mieux que moi : RQVDLWTX RQHVWOjSRXUGpFRQQHU& HVWWURS& HVWWRRPXFK& HVWWRXW FH TX RQ YHXW & HVW PpJD FRRO JpDQW Mais c'est un moment précis où on joue avec des règles particulières : partage des règles - principe de séparation - ancrage dans la réalité. Si vous avez ces trois principes-là, vous pouvez alors utiliser les formidables leviers que sont l'humour, le rêve, la créativité et le jeu. Même dans la scarification, il y a un aspect ludique. Je me souviens de l'adolescente qui me montrait ses scarifications en jouant. Là, effectivement, notre rôle est de dire : DWWHQWLRQ RQ HVW GDQVTXHOOHUpDOLWpOj"7XGRLVSRXYRLUUHYHQLUjODUpDOLWp D'où le côté tout à fait pertinent de ce qui a été dit tantôt : la scarification permet un retour à la réalité, parce qu'il ne s'agit pas, comme chez le psychotique, d'auto mutilation. On est dans quelque chose qui va durer un certain temps, un temps déterminé. Puis, vous revenez avec votre épiderme normal. Et là, on peut en reparler comme étant un jeu. Chez certains, il ne convient pas de dramatiser le phénomène de scarification. Parce que c'est un phénomène très répandu, on a effectivement considéré que c'était un jeu. 7XSHX[WHJUDWWHU. Vous savez, quand on se ronge les ongles, on est proche de la scarification. Idem pour tous ces petits gestes quotidiens... Si on a une croûte (vous n'allez peut-être pas l'avouer ici publiquement), on a tous tendance à l'ouvrir une nouvelle fois, et encore, et encore. Nous sommes tous des petits scarificateurs potentiels, d'une certaine manière. Mais on ne donne pas toujours un sens précis à cela. On peut être simplement dans le ludique : on se gratte un petit peu.., et cela n’a pas tellement d'importance. Méfiez-vous aussi de l'écoute qui prend tout trop au sérieux et qui met du tragique partout. Ecouter, c'est bien entendu prendre l’autre au sérieux, parce qu'on en prend le temps. Mais cela laisse place à plein d'autres choses. La scarification peut être ludique. J'ai connu des scarifications ludiques. Et quand il s'agit d'elles, il doit toujours y avoir dans l'écoute une place pour ces différents éléments que sont les mots, le rêve, la créativité. Je reviens à la personne qui me raconte des choses qui ne sont peut-être pas la réalité. Peu importe, s'il me raconte TXLOYHXWLOrWUH ou TXLDXUDLWLOYRXOXrWUH, plutôt que TXLDWLOpWpUpHOOHPHQW Ce n'est pas un problème. Le temps de l'entretien, cela rehausse probablement son estime de soi. Après, il sera temps de le confronter à des images qui font la réalité. Je me souviens d'un jeune homme qui est arrivé chez nous et que tout le monde appelait un 'mytho'. C'est devenu un des points essentiels de tous les diagnostics psychiatriques : ces mots communs, 12 mais un peu raccourcis : vous êtes un 'parano', vous êtes un 'mytho', vous êtes un 'schizo'.. Et tout cela s'est dilué dans le sens commun pour caractériser des petits problèmes, finalement totalement intégrés. Donc ce jeune était un 'mytho'. Il se la pétait. Il se prenait pour quelqu'un d'autre. Spontanément, dans la première écoute de son problème, on est tenté de se dire : PRQYLHX[W HV XQ P\WKR W DVMDPDLVIDLWWRXWoDTX HVWFHTXHF HVWTXHFHWWHKLVWRLUH" Eh bien non ! On le laisse dire ces choses. Et puis, on lui dit oDF HVWWDUpDOLWpF HVWSDVYUDLPHQWODPLHQQH(VWFH TXHWXFURLVYUDLPHQWjoD"Il y a en effet une grosse différence entre un vrai 'mytho' et quelqu'un qui vous raconte un truc pour se rehausser. Le vrai 'mytho' y croit vraiment. Ici, c'était un jeune homme qui, par exemple, racontait qu'il était formateur, alors qu'il était en formation. Je lui ai dit 1RQGDQVPDUpDOLWpWXHVHQIRUPDWLRQ2XLMHVDLVELHQMHVDLVELHQ Mais tout le monde, dans son environnement familial, faisait semblant de croire qu'il était effectivement formateur, parce qu'il était un peu trop âgé pour être en formation... Et cela était une grosse blessure narcissique pour l'ensemble des membres de la famille. C'est ce qu'on appelle le syndrome de Roman (celui qui s'est pris pour un médecin, et qui a fini par le devenir dans les apparences, et qui a massacré toute sa famille). C'est cela les dangers du virtuel. Etait-il 'mytho' ? Je ne pense pas. Il n'y croyait pas à son problème. Le problème est que son environnement était très crédule. Le principe d'un environnement qui écoute bien (et on reprend la phrase utilisée tout à l'heure), c'est d'être contenant. 9RLOjPDUpDOLWp Je peux la confronter avec ta réalité lorsque tu seras sûr que cette confrontation ne sera pas une manière de te descendre, de diminuer ton estime de soi. 7X DV GH OD YDOHXU 'RPLQLTXH- DLPHELHQOHW\SHTXHWXHV- DLPHELHQFHTXHWXHV- DLSDVEHVRLQTXHWXVRLVXQ IRUPDWHXU SRXUWHWURXYHUXQ W\SH ELHQ Et là, vous allez avoir une écoute beaucoup plus vraie. C'est ça, pour moi, une écoute professionnelle Une écoute professionnelle est attentive aux besoins de l'autre, à tous les besoins qui font ce qu'il est et ce qu'il va devenir. Si la personne a besoin de considération, il le met en jeu en disant : MHVXLV IRUPDWHXU Pourquoi dois-je dire QRQW HVSDVIRUPDWHXUJe dois d'abord vérifier si ce besoin de considération est suffisamment en phase. S'il s'exprime suffisamment dans la relation que j'ai avec lui, pour que je puisse le confronter à cette réalité. Vous savez des petits 'mythos' comme ça, il y en a tout plein Un autre gars me prétendait avoir été voir Anderlecht - Real de Madrid. Mais il ne savait pas très bien où était l'Espagne. Je suppose qu'il n'a jamais été voir ce match, mais il me l'a raconté. Entièrement. Il l'a vu à la télé. Je ne vais pas lui dire pFRXWHPRQYLHX[W DVMDPDLVpWpWX O DV YX j OD WpOp Non, pour lui c'était important. Sachant que j'étais amateur de foot, c'était important pour lui de se donner cette valeur-là. D'y être allé. Il y a participé avec tellement d'attention, avec tellement d'application, que finalement, il se souvient encore dans les détails de ce match qui a eu lieu il y a quelques années. C'est un match significatif pour lui. A quel titre vais-je lui enlever cet élément-là ? Au nom de ce qu'on appelle la vérité ? Mon histoire, c'est ce dont je me souviens. J'ai effectivement été à ce match de manière tellement intense, que c'est comme si j'y étais. Je peux donc le raconter de cette manière-là. Les enfants le font. Certains adultes continuent à le faire, parce qu'ils sont en déficit par rapport à leur image. Ils vont avoir besoin de la rehausser. L'important, dans l'écoute, ce n'est pas de vérifier si c'est vrai ou si ce n'est pas vrai. C'est de vérifier quel sens cela a pour ce garçon-là de me dire qu'il a été au Real de Madrid et qu'il a effectivement vu ce match. Quel sens cela a-t-il par rapport à son besoin de considération ? Lorsque j'émets un comportement d'écoute, mon comportement va être aussi interprété par l'autre. Il m'écoute parce qu'il m'aime bien. Besoin d'attachement. Vous savez que le besoin d'attachement est fort lié à l'écoute, même sur le plan phylogénétique. Les chauves-souris reconnaissent l'ultrason de leur petit. C'est de l'écoute qui signe l'attachement. 13 On écoute les gens aussi parce que, d'une manière ou d'une autre, on manifeste une relation d'attachement ou de détachement. 7XQHP pFRXWHVSDV dira ma femme, WXQHP pFRXWHVMDPDLV Parfois, cela veut dire WXQHP DLPHVSDVWXQHPHFRQVLGqUHVSDVWXPHSUHQGVSRXUULHQ Cela peut vouloir dire plein de choses différentes. Lorsque votre conjoint prétend que vous ne l'écoutez pas, demandez-vous ce qu'il y a derrière ? Ce n'est pas simplement PDLV VL MH W pFRXWH YDV\ FDXVH. Pour dire ça, fallait pas se lever. Mais vous voyez comme on peut arriver à des scènes comme celle-là. Si elle vous dit "7XQHP pFRXWHVMDPDLV cela peut être WXQ HVSDVDWWDFKpjPRL WXQHP DFFHSWHVSDVWXpFRXWHVWRXVOHVDXWUHVPDLVSDVPRL Cela veut dire que cet attachement n'est pas réservé à moi-même. Chez l'enfant, le besoin d'attachement est très souvent relié au besoin d'acceptation. Si vous êtes enseignant, vous vous dites peut-être PRL M DLPH OHV HQIDQWV M DLPH WRXV OHV HQIDQWV Cela, les gosses s'en foutent royalement. Ce qu'ils veulent savoir, c'est si vous les aimez, eux. Les enseignants qui ont été significatifs, ce ne sont pas les grands humanistes, ce sont ceux qui ont donné à chaque enfant l'impression qu'il était aimé pour ce qu'il était. D'où l'image emblématique de "l'instit". "L'instit" donne cette impression d'aimer individuellement chaque enfant. Vous allez me dire F HVW GHO LOOXVLRQ S'il y a un enfant à problèmes et que tous les autres sont parfaits, l'instit va sans doute ne se préoccuper que de celui-là. C'est vrai que c'est de l'illusion. Mais c'est dans et grâce à cette l'illusion que l'enfant va grandir et trouver que l'école est significative. Parce que l'école sera significative pour l'enfant, non pas si elle a un sens pour lui, mais s'il a, lui, un sens pour elle. Ou encore si, étant à l'école, au moment d'être à l'école, il se sent investi d'un sens particulier. D'où ce moment béni de la première séance où l'enseignant cherche à vérifier les prénoms de chacun et fait ce petit exercice particulier que vous connaissez tous. L'enfant ne doit pas être dans le cœur de son enseignant. Il veut être dans son cerveau, identifié à un nom. Je pense que ce sont là des moments forts qui sont très peu enseignés aux enseignants. Je ne sais pas si on insiste beaucoup, dans les formations à l'Ecole Normale, sur ces moments d'identification : TXLHVWXWRL " &RPPHQW HVWFH TXH MH YDLV UHSpUHU OHV QRPV GH FKDFXQ " C'est vraiment fondamental d'être identifié de façon à favoriser cette relation d'écoute, qui est une relation dans laquelle on peut mettre en jeu ce besoin d'attachement, ce besoin d'acceptation, ce besoin d'investissement. -HFURLVHQWRL-HFURLVVXIILVDPPHQWHQWRQDYHQLUSRXUSHUGUHRXSRXUJDJQHU XQHGHX[WURLVKHXUHVGHPRQWHPSVjW pFRXWHU& HVWSDUFHTXHMHFURLVTXHWXYDVIDLUHTXHOTXH FKRVHDYHFFHTX RQHVWHQWUDLQGHYLYUH7XPHGLVM DLYpFXXQLQFHVWHHWPRLMHFURLVTX RQ SHXWFRQWLQXHUjYLYUHDXGHOjGHFHWLQFHVWH Si vous avez la certitude ou l'illusion que, quand on a vécu un inceste, on est foutu, et si vous n'êtes pas convaincus du bien-fondé de la résilience, alors, de grâce, ne perdez pas votre temps à écouter quelqu'un qui l'a vécu, parce que vous perdriez sa vie dans ce que vous faites à ce moment-là. Car le but du jeu, c'est aussi que l'écoute suspende le besoin d'investissement. "-H FURLV HQ WRQ GpYHORSSHPHQW&HQ HVWSDVSDUFHTXHWXYLVXQWUDXPDWLVPHTX RQYDW HQIHUPHUGHGDQV4X HVW FH TX RQ IDLW DYHF oD PDLQWHQDQW " L'écoute va finalement véhiculer tous ces besoins affectifs. Elle va véhiculer tous ces éléments cognitifs dans lesquelles l'humour, le jeu, le rêve, la créativité vont prendre place. Sur le plan social, il y a des règles à l'écoute. Il y a des règles qui sont : PRLMHVXLVSD\pSRXUrWUH HQUHODWLRQDYHFWRL(WFHQ HVWSDVPRLTXLYDLVSDUOHUGHPRL Souvenez-vous du médecin de tout à l'heure :©oDYD"(WWRLoDYD"ª On n'est pas là pour ça. « -HVXLVSD\pSRXUrWUHGDQVXQH UHODWLRQ-HYDLVPHSUpRFFXSHUGHWHVEHVRLQVjWRLª Quand je dis que mon écoute est différente dans ma famille et dans ma relation professionnelle, c'est probablement parce que, au sein de ma famille, je mets en jeu mes propres besoins. J'ai, moi aussi, besoin de considération, d'affection, d'attachement, d'acceptation, etc. Et tout cela, dans la relation 14 d'écoute que je mets en place avec mes enfants ou les membres de ma famille. Je n'ai absolument pas à m'occuper de cela. Mais je ne peux pas le faire dans une relation éducative. Je reçois un salaire. Je suis donc motivé pour être en relation avec quelqu'un et je vais devoir me préoccuper de ses besoins. Par contre, je ne suis pas payé pour écouter ma femme. Elle doit donc aussi, dans cette relation-là, se préoccuper de mes besoins. Mon écoute peut évidemment être de la même qualité sur le plan de l'application, même si ce n'est pas une écoute professionnelle. Et heureusement, parce que je crois que je recevrais très vite mon C4. Je serais insupportable si je faisais des entretiens avec ma femme et avec mes enfants... Le but de l'éducation, retenez toujours cela, c'est quand même - aussi - de faire des erreurs. Sans erreurs, nous serions tous de parfaits crétins. Nous sommes tous des gens plus ou moins intelligents (je ne vous connais pas suffisamment...). Mais nous sommes tous capables, en tout cas, de réflexion, parce que nos parents ont multiplié les erreurs éducatives à notre sujet. Si, dès que vous aviez rêvé d'un biberon, on vous l'avait mis dans la bouche ; si, dès que vous aviez rêvé d'un sein, vous l'aviez trouvé sous le nez.., vous auriez été incapables de vous mentaliser. Ce qui a fait de nous, de chacun de nous, des êtres humains, c'est la faculté bienheureuse qu'ont eue nos parents de se tromper régulièrement. Vous savez que pour une mère, peu après la naissance, il y a trois registres de pleurs : l'angoisse, l'inconfort et la faim. Les mères qui sont dans ce que Winnicott appelle un processus de préoccupation maternelle primaire arrivent à les identifier à cent pour cent. Les pères, eux, soulignent moins les différences. A ce propos, je ne suis pas trop d'accord non plus avec l'idée que les mères ont toute la responsabilité dans la manière dont les adolescents se comportent Je pense effectivement que chacun a des rôles particuliers. Que chacun a des rôles (qu'on fuit un petit peu pour le moment..). Mais tout le monde s'en sort plus ou moins bien quand même. Ceci dit, à priori, nous, pauvres pères, nous nous trompons régulièrement, question pleurs... Mais nous aurons notre revanche, parce que l'éventail de l'enfant va augmenter prodigieusement en quelques semaines, de sorte que la mère, la super maman, capable de tout, va heureusement perdre ce processus de préoccupation maternelle primaire et va devenir, comme Winnicott le dit, apte à défaillir. C'est ce qui va permettre à l'enfant de perdre l'illusion de toute puissance de sa mère et de mentaliser, de mettre à sa juste place l'image du biberon, de découvrir qu'on peut postposer les désirs. Oui, cela sert aussi à ça, de se tromper en éducation : d'apprendre à nos enfants l'injustice et tout ce qui va être la vie. Ainsi, nous sommes tout le temps en erreur, dans l'éducation. Parce qu'on n'y est pas des professionnels. C'est ce qui fait de nous de bons parents. Nous multiplions les erreurs lorsque nous sommes injustes avec nos enfants, de sorte qu'ils mentalisent aussi l'injustice et que, dans la vie, ils s'apprêtent à la vivre tous les jours. Personne ici ne peut en effet promettre à ses enfants une vie éternellement juste. Soyons donc déjà injustes, très tôt. Ne faisons pas exprès, bien entendu. Comprenez bien ce que je dis... Mais l'éducation est une suite d'erreurs rattrapées. Par contre, lorsque je suis professionnel, je suis censé donner un sens aux erreurs que les autres commettent. Je dis souvent que les éducateurs avec lesquels je travaille sont génialement médiocres. Ils multiplient les gaffes, et c'est génial, parce qu'ils font de la vraie éducation. Ils ne connaissent pas les besoins... Ils ne connaissent rien. Mais, à un moment donné, il y a un endroit dans lequel on discute du sens de tous ces gestes éducatifs, y compris des plus inappropriés. Et on réintroduit du sens. C'est ça, un professionnel de l'écoute. C'est de réintroduire du sens. C'est pas être infaillible et ne jamais se tromper dans l'éducation. Parce que l'éducation, c'est nécessairement des erreurs. Mais des erreurs plus ou moins corrigées. 15 Merci, Bruno. Ce qui est toujours agréable, c'est de sentir chez l'intervenant cette pratique, cette réflexion sur ce qu'il fait ; ce qui crée une proximité avec lui. Je vous donne à présent la parole pour vos questions et vos interventions. - Je me suis tu depuis longtemps… Je vais donc de nouveau faire mon agitateur… - Je croyais que tu étais malade, d'ailleurs… - Mais oui. J'ai d'abord dormi et puis, maintenant, j'ai beaucoup apprécié Bruno. J’ai une simple question : existe-t-il également une écoute de la distance et de l'espace ? Parce que, pour essayer d'être concret, je vois souvent dans les écoles certains étudiants qui font une montagne avec leur sac et leurs vêtements sur la chaise de gauche, et puis une autre montagne sur le banc… Je voulais savoir si, moi aussi, j'étais dans l'utopie en croyant que la dimension spatiale était quelque chose d'important. - Ce n'est pas du tout une utopie. C'est même un principe qu'on va retrouver, par exemple, chez les sans-abri dont je m’occupe dans l’une des maisons. Là, on n’empile pas forcément des sacs, puisqu'on n'a pas nécessairement le matériel pour le faire. Curieusement, ce qui va manifester la distance, c'est l'odeur. C’est ce qui se passe quand quelqu'un vient de la rue et y a vécu un certain temps. Mais ce ne sont pas des infra-humains, vous savez… Tous, autant que nous sommes, si on nous abandonnait sur une île déserte, nous produirions le même effet … Ce qui nous amène à nous laver et à nous maquiller, c’est aussi, finalement, la considération des autres, le regard des autres. Sans le regard des autres, on se laisserait parfois aller. Tous autant que nous sommes ici, on se laisserait aller. Ce mécanisme va profiter aux personnes qui vivent dans la rue. En effet, si vous allez par exemple à Bruxelles, vous allez voir que les sans abri ne sont pas collés les uns aux autres. Il y a effectivement une distance qui s'instaure par l'odeur, notamment. Curieusement, nous sommes très peu incommodés par nos propres odeurs, et beaucoup plus par celles des autres. C'est un mécanisme qui maintient à distance. Or, on sait que dans la rue, si vous ne vous maintenez pas à distance, on va vous voler vos affaires. Dans le même contexte, on sait que la distance d'écoute, par exemple, n'est pas nécessairement d'écoute de proximité... Lorsque vous approchez votre visage d'un autre, dans une relation d'écoute intime (par exemple, dans une relation amoureuse), vous allez curieusement baisser le volume…. Vous avez une qualité d'écoute qui sera la même que dans la distance, mais vous êtes dans une relation bien précise qui est la relation amoureuse. Essayez un peu, pour vous en convaincre, de parler ou d'écouter dans un métro. Ne pensez pas que, dans le métro ou dans le tram bondé, interviennent des problèmes liés à la crise du sens… C'est impossible de parler à quelqu'un si vous êtes collé à lui et si vous n'avez pas avec lui une relation intime. Ce n’est pas possible. Vous ne pouvez pas l'écouter. Les gens ont effectivement besoin d’une distance qui doit être respectée, et notamment chez l'adolescent. D’où sa manière de mettre des sacs, de mettre des distances par rapport à vous, y compris dans son look. Il ne veut pas vous ressembler. Si vous vous mettez à lui ressembler, il ne va plus vouloir de vous. Quand je vois ce Monsieur, prêtre chez les loubards, vous le connaissez aussi… J'ai beaucoup de difficultés avec lui, je ne vous le cache pas. Parce que je ne crois pas qu'on ait nécessairement besoin d'adopter le look des personnes avec lesquelles on veut être en proximité. Au contraire, si je façonne mon look, si j’entre dans une maison de jeunes avec une casquette à l'américaine, il est probable qu'ils vont tous se marrer. Cela ne les intéresse pas. Ne vous mettez pas à la place des adolescents. N'aimez pas à leur place. J'ai beaucoup travaillé sur Eminem et sur Marilyn Manson. Je suis allé voir leur concert de façon à comprendre ce que les jeunes aimaient. Je n'ai jamais aimé à leur place. Lorsque je leur parle 16 d'Eminem, cela me permet d'envisager des problèmes aussi douloureux que la haine de la mère, que l'absence du père, que tout ce qui a été évoqué… D’ailleurs, je leur demande alors : 7LHQVFHWWH PXVLTXHYRXVDOOH]PHO H[SOLTXHU" Je n'aime pas cette musique, mais on finit par la supporter, vous savez. Quand on trouve le sens, on finit par supporter. Je vous avoue que, de temps en temps, j'écoute en cachette. Mais c'est vraiment en cachette… Parce que je n'ai pas le droit… Toute cette culture adolescente, toute cette mise à distance par les goûts personnels, par la manière dont on aime telle ou telle chose, c'est aussi une façon de s'individualiser. Il existe des attitudes d'écoute. Et, pour vous dire la vérité, mon grand rêve … ce sont des cours qu'on donnerait dans les écoles normales et aux futurs travailleurs sociaux sur la gestuelle. Que fait-on pour être en proximité physique avec quelqu'un, sans le gêner ? Il y a une petite technique tout à fait simple à laquelle les éducateurs (qui ont une certaine expérience) recourrent spontanément : si vous avez affaire à un enfant qui vit une carence relationnelle, vous allez le prendre dans vos bras. Il va se coller à vous. Il va vous embrasser avec une espèce d'avidité incroyable. Cela peut durer deux, trois, quatre minutes. Vous allez vous dire alors MHVXLVO LGROHGHVHQIDQWVTX HVWFHTXHOHVHQIDQWV P DLPHQW Manque de bol, il va vous bouffer l'oreille après, ou vous mordre la joue, ou se jeter par terre et bouger sa tête dans tous les sens. C'est cela, le carencé relationnel. C'est l'enfant qui se dit M DLEHVRLQG XQHUHODWLRQG DWWDFKHPHQW 0DLVVLMHVXLVGDQVFHWWHUHODWLRQOjHOOHYDVHEULVHU-HYDLVHQVRXIIULU'RQFMHYDLVDQWLFLSHU PRLPrPHODUXSWXUH-HYDLVPRUGUH«Et cet enfant va se jeter par terre… On peut très bien comprendre cela, théoriquement, comme je vous le dis. Alors, certains éducateurs en formation me disent PDLVLOVXIILWG H[SOLTXHULOIDXWOHGLUHjO HQIDQWLes mots ne servent à rien ! L'enfant ne vous entend plus. On est là complètement dans l'affectif. Un tel attachement pose problème ? Certains me disent : MHOHSUHQGVGDQVOHVEUDV Mais alors, vous en remettez une couche. Non ! Mettez plutôt votre main sur la tête de l'enfant et caressez-lui un petit peu les cheveux, pour lui dire que l'acceptation est toujours possible. L'attachement, c'est encore trop dur pour lui… Voilà les gestes qui calment. On les connaît. Des expériences montrent qu'on y arrive, d'une manière systématique. On laisse pourtant à l'éducateur l'intuition de connaître ce geste… On ne l'enseigne jamais. Je ne connais pas de cours où l’on dit : PHWWH]YRVPDLQVGDQVOHVFKHYHX[GHVHQIDQWV& HVWXQJHVWHUHODWLRQQHOORUVTX LOV VRQW HQ FULVH SDU UDSSRUW j XQH UHODWLRQ G DWWDFKHPHQW Tout cela est vraiment important : la distance de ce que vous dites par rapport à la distance qu'il convient de maintenir et qui, finalement, est une distance nécessaire. Sinon, … c’est l'intrusion chez l'autre. Tout autre chose : la distance excessive, avec un grand bureau où je suis, et l'autre, à des kilomètres de moi. Dans l'école que je connais un peu, la directrice voit les élèves comme cela. Ils rentrent…, ils sortent…, ils rentrent…. Ce n'est peut-être pas vraiment la meilleure manière de mettre un cadre l'écoute. Vous avez aussi des écoutes individuelles. Les psychologues qui travaillent chez nous peuvent très bien se retrouver avec un enfant sur les genoux, si l'enfant le demande. On ne va pas nécessairement imposer la distance parce que nous, en tant que professionnels, nous en avons besoin. Elle est sans doute nécessaire à un certain nombre de personnes et elle l’est moins pour d'autres. On sait que, par exemple, les enfants ont tendance à se confier beaucoup plus facilement à un adulte qui se met à genoux, devant eux. Qui se met donc à leur niveau. Et qui, à un moment donné, va se mettre très proche d'eux. Un petit enfant ne va rien dire devant une psychologue qui se tient derrière un bureau, à quatre mettre cinquante. Il y a des points essentiels qui favorisent ce qu'on appelle les attitudes d'écoute. 17 La gestion de la proximité, ce n'est pas moi qui la fige. C'est l'autre, qui va accepter ou ne pas accepter une certaine proximité. C'est lui qui va me maintenir à distance. Observons tous nos gestes de rituels. Les adolescents, par exemple, se font la bise. Dans ma génération, on se serrait la main, pour être sûrs qu'on avait une distance suffisante. Ce sont des gestes qui ont un sens phylogénétique. C'est une manière de dire : je n'ai pas d'armes. Vous faites autrement… ? Vous dites alors : MHVXLVGpVDUPp La bise, c'est vraiment la proximité. Pour les adultes de ma génération, c'est une relation de confiance intime. Actuellement (et alors qu’on se trouve dans une situation où l’on parle beaucoup d'individuation et où les gens seraient peu sensibles les uns par rapport aux autres), curieusement les rituels sont des rituels de proximité. Les adolescents, y compris les garçons, se font la bise. Pourquoi pensez-vous que, pendant des années, on a fait la bise aux filles, et pas aux garçons ? Parce qu'elles étaient considérées comme inoffensives. Il n'y avait pas de lutte possible. Maintenant, on est dans un climat très pacificateur. Etonnamment, les garçons qui se font la bise.., cela a commencé dans les cités. Dans des endroits de haute violence et par des groupes qui s’étaient exclus entre eux. Cela a commencé il y a sept ou huit ans, dans les cités, de manière très massive, avec des populations qui étaient exclues. Vous voyez donc que les distances vont varier d'après les individus, les cultures, les groupes sociaux. Il faut chaque fois, non pas tenir compte de ce que je suis, mais de ce que l'autre est ; de ce que l'autre pense être par rapport à moi. Il y a beaucoup d'adolescents qui me font la bise dans les structures que j'anime, parce qu’ils le souhaitent. Ce n'est pas moi qui leur fait la bise. J'attends… D'autres me serrent la main. Certains font la bise aux éducateurs, et puis me serrent la main. C'est à eux de gérer cela. Vous savez, je n'impose jamais rien. En termes de relations, on pêche. On lance sa ligne. Il y a des gens qui mordent. Il y a des gens qui ne mordent pas. Quand on prétend vouloir travailler comme tuteur de résilience, on ne s'impose pas. On propose, à un moment donné, tout simplement. Cela mord ; cela ne mord pas. Certains mordent, et on arrive à les aider. D'autres mordront plus tard. Mais, en tout cas, on ne peut rien imposer. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. - La réponse était complète. D'autres questions ? D'autres avis ? - Je suis tout à fait d'accord avec votre principe. L'écoute a ses règles. C'est absolument évident. Mais, à mon avis, vous avez passé sous silence un fait qui, à mes yeux, est important : c'est que dans l'écoute, il y a toujours deux personnes. Celle qui parle et celle qui écoute. Et les rôles seront de temps en temps inversés. Celle qui écoute doit être absolument attentive à tout, comme vous l'avez dit. Et je crois qu'il faut même aller plus loin. A un moment donné, il faut savoir dire stop ! Ensuite, quand quelqu'un parle et a envie d'être écouté, il y a un moyen extraordinaire (à mes yeux) de susciter l'attention de l'autre… C'est quand on sent que l'attention n'est plus là, de faire petit blanc… Cinq secondes… Et automatiquement, l'autre va dire RXLRXL M DL pFRXWp. C'était une première remarque. J'ai deux questions à vous poser. Je suis d'un avis totalement différent du vôtre : vous avez dit, en ce qui concerne Sabine Dardenne, la justice est là, Sabine pourra s'exprimer. Et, vu le contexte dans lequel cela a été fait, cela ira probablement mieux…. - Je répondrai, mais je n'ai pas du tout dit cela. Enfin, je ne suis pas sûr. - Ah bon ! C'était quoi alors ? - Je n’ai pas dit que ça ira mieux.. Je ne sais pas ce qui en adviendra… D'ailleurs, franchement, son avocat est très tracassé pour la suite… Il nous a même demandé (il y a un bureau d'aide aux victimes qui s'en préoccupe) une gestion de l'après témoignage. Je ne suis donc pas du tout 18 convaincu. Si je l'ai dit comme cela, je me suis mal fait comprendre. Mais je considère que cela est important. - La seconde remarque concerne la télévision. Vous avez dit avoir fait une étude du Seigneur des Anneaux avec un groupe. Personnellement, je crois qu'on passe tellement de mauvaises choses à la TV. Vous avez dit que les jeunes d'aujourd'hui sont en fait en quête d’un petit peu de naturel. Je pense que vous avez tout à fait raison. Mais alors, puisque vous habitez Peruwelz, pour leur montrer quelque chose…, pourquoi ne pas aller voir la mère Labiaux ? - La mère Labiaux ? C'est peut-être risqué avec les adolescents dont je m'occupe… - Oui, mais ils auraient vu quelqu'un qui a une main en moins - Oui, c'est sûr ! Mais il y a aussi le risque qu'ils profitent de la mère Labiaux… - Oui, mais je suis certain que cela les frapperait d'autant plus. La TV n'est pas toujours le bon moyen ! - On va prendre d'autres questions. Est-ce que vous avez d'autres questions à poser ? Profitezen …, parce que c'est le dernier train.. - Ce sera très bref. Je suis psychologue dans une institution. J'ai été très interpellée par votre intervention sur Marilyn Manson, parce que c'est une personne que j'apprécie énormément depuis des années. Je n'ai pas du tout l'impression de prendre la place des jeunes quand ils l'écoutent. Parce qu'avec mes repères, par rapport à ce que d'autres ont pu faire avant lui, je peux aussi relativiser… Je peux aussi avoir un sujet de conversation avec eux. Ils y trouvent leur place, avec leur vue d'adolescent ; et moi j’y trouve la mienne, avec ma vue d'adulte…. - Tout à fait. - Merci. Est-ce qu'il y a d'autres questions? - Je crois effectivement que Marilyn Manson est quelqu'un qui peut vous amener, par des voies détournées (qui sont d’ailleurs des voies de la résilience) vers Schopenhauer, vers Nietzsche, vers des tas de choses intéressantes. Mais vous voyant tel que vous vous présentez, je constate que vous n'avez pas du tout le look de Marilyn Manson. C'est cela, être à sa place. Tel que je vous vois là, je vous trouve au moins aussi atypique dans un concert de Marylin Manson que moi. Se mettre à la place des jeunes, c'est aimer de la même manière. Effectivement, beaucoup d'adultes commencent à aimer Eminem… Ce qui pose problème, y compris à Eminem lui-même. Quand il dit des phrases du style : « DOOH]YRLUYRVSDUHQWVHQWUDLQGHEDLVHUoDYRXVIHUDGXELHQHWoDOHXUIHUDGXWRUWª quand le parent se met à aimer une chanson qui dit çà, cela pose des problèmes à l'adolescent et cela pose des problèmes à l'auteur. A l’auteur, qui se dit : DWWHQWLRQMHQHYHX[SDVILQLUFRPPH (OYLV 3UHVOH\ TXL D LQFDUQp GH OD PrPH PDQLqUH OHV IDQWDVPHV DGROHVFHQWV HW OD UpYROXWLRQ DGROHVFHQWHDYHFG DXWUHVSULQFLSHVFRPPHO KpGRQLVPHOHSODLVLUOHFRQVXPpULVPH Ce que j'ai entendu tantôt sur la société de consommation, ce ne sont plus les valeurs actuelles. J'aurais voulu en débattre avec Monsieur Lebreton. Ce sont les valeurs des années cinquante, mises en avant notamment par Elvis Presley lorsque, par exemple, il achète à sa mère une Cadillac, alors que sa mère ne sait pas conduire. Cela, c'est consommer pour consommer%OXHVXHGHVKRHV est une chanson sur la consommation. On n’est plus dans une société de consumérisme et d'hédonisme, mais dans une société qui se pose des questions de sens, en faisant appel à Nietzsche, à Schopenhauer. On peut effectivement faire des cours sur Schopenhauer à partir de Marilyn Manson. Mais pour cela, il faut prendre le temps. C'est le rôle et la responsabilité d'un adulte de se préoccuper de TX HVWFH TX LOV VRQW HQ WUDLQ GH QRXVGLUH". Que vous dit ce type, pour parler d'Eminem, quand il vous dit : - HQWHUUHPDSURSUH 19 PqUH" Et de faire effectivement un clip dans lequel il enterre sa propre mère… Et lorsqu'il vous dit : 1 HQYR\H] SDV GHV ERPEHV FUDFKH] GDQV XQ KDPEXUJHU VL YRXV WUDYDLOOH] GDQV XQ 0DF 'RQDOG Qu'est-ce qu'il fait ? Les mêmes petites révoltes d'incivilité ordinaire, qu'on retrouve d’ailleurs chez l'adolescent. Vous savez …, une quinzaine d'adolescents dans la région travaillent dans les Mc Donald et passent peut-être leur temps à cracher dans les hamburgers… Cela fait beaucoup plus de tort à Mac Donald que José Bové. Or, il est probable que le combat d’Eminem, c'est de mettre en jeu tout ce qui est consumérisme. D’où un petit peu de décalage… Elvis Presley a, lui aussi, induit cette révolte-là. Puis, il a été récupéré et apprécié par les adultes… Et il est devenu un gros bouffi qui chantait à Hawaï, aimé par les parents… C'est probablement le sort d'Eminem… C'est le sort probable aussi de Marilyn Manson, parce qu'il est actuellement occupé de faire des spectacles dans lesquels on s’attend tellement à de la provocation qu’on se dit que ce n'est plus ce que c'était... Parce que cela ne va plus assez loin. Parce qu'il flirte avec les limites. Tout à fait d'accord qu'on aime Marilyn Manson… Mais autre chose est de prendre les mêmes postures. Si vous avez une posture d'adolescent, vous ne serez plus crédible à leurs yeux. Si vous aimez Marilyn Manson, vous serez d'autant plus crédible si vous gardez votre posture d’adulte. C'est cela être responsable. Cela a été dit tantôt, d'une manière très intéressante, quand on a dit : MHQH VXLV SDV G DFFRUG TX RQ VRLW FRSDLQ DYHF VHV HQIDQWV Moi, je n'ai rien contre le fait qu'on soit copain… Mais tout en restant adulte. Je pense être le copain de mes enfants adolescents. Mais je pense aussi être l'adulte, à savoir celui qui met du sens et qui met des règles. On peut très bien être un copain qui met des règles. Et, effectivement, puisqu'on parle de musique.., c'est précisement ce que David Bowie disait. A son époque, les goûts des adultes étaient très différents des goûts des enfants. L'adolescent n'avait aucune difficulté à se séparer. Vous aimiez Frank Sinatra, si vous étiez plus âgé ; et vous aimiez Elvis Presley, si vous étiez plus jeune. Actuellement, les adolescents vont piocher dans les vieux disques de leurs parents pour voir ce qu'il y aurait éventuellement d'intéressant. Est-ce un tort, ce nouveau copinage ? Cette génération dans laquelle les frontières s'estompent et qui font que, peut-être, les enfants sont actuellement préoccupés par des sujets adultes ? A douze ans, vous rigolez de Titeuf qui vous parle de sexe, de maladie et de mort… Et qui vous fait des blagues du style VLWXFRQWLQXHVjP HPPHUGHUW DXUDVXQHOHXFpPLHRQWHEUOHUDOHVJOREXOHV EODQFV GH WRQ ]L]L Voilà le genre d'humour à la Titeuf. Ce qui permet à un enfant de se positionner. Le danger actuel n'est pas le fait que les enfants se préoccupent de cela. C'est le fait qu'il n'y ait plus de frontière en termes de préoccupation. On ne protège plus nos enfants de la mort, de la maladie. Cela fait partie de leur monde... Je l'expliquais l'année passée dans une conférence relative à Bambi : on expose les enfants, dès trois ou quatre ans, à l'image symbolique ou à l’imaginaire de la mort, sans plus leur donner d'explication, plus rien ! Pan ! Ta mère est morte. Va voir ta tante. Et tâche de grandir. Et voilà tout ce que le petit enfant reçoit. Les films qu'on fait montrent qu'on est dans le traumatisme… Or, les petits enfants ne savent pas soutenir cette scènelà… Ils font tout à fait autre chose au moment où elle passe à la télévision. Je vais répondre à vos trois questions qui sont terriblement importantes. L'écoute c'est d'abord deux personnes parce que c'est de l'interpsychique. L'écoute psychanalytique donne l'impression qu'il n'y a qu'une personne dans l'écoute. Il y a des règles figées : il n'y a qu'une personne qui écoute l'autre, et on est dans l'intrapsychique. L'écoute dont on parle ici, l'écoute sociale, est une écoute interpsychique. C'est toujours le même principe de séparation… On est extrait de la vie quotidienne quand on écoute quelqu'un. Au moment de prendre le temps de l'écoute, vous pouvez bien être dans un grand magasin…, vous n'êtes plus dans ce grand magasin. Vous êtes à deux dans un espace qui est le vôtre : l'espace interpsychique. Vous avez les mêmes 20 principes : principe de séparation et partage des règles. Il y a dans la communication des règles à respecter. Il est impossible de parler à quelqu'un qui ne bouge absolument pas son visage. Qui, par exemple, ne cligne pas des yeux régulièrement, ou ne fait pas, de temps en temps, ce qu'on appelle des encouragements à la communication : un petit geste, un petit oui, etc. La psychanalyse a poussé les règles très loin en disant : on ne regarde pas le psychanalyste, on parle quand même. Je vous assure que ce n'est pas donné à tout le monde de le faire. Dans la majorité des cas, les règles sont qu’on parle dans un espèce d'aller-retour. On n'interrompt pas l'autre quand il est en train de parler de ses malheurs. Il y a des gestes qu'on a et des gestes qu'on n'a pas. Même chose : partage des règles et ancrage dans la réalité. Après…, quand j'aurai fini de t'écouter, il sera toujours temps qu'on s'entende bien. Cela veut dire que je ne prendrai pas mon temps à t'écouter tout le temps. Parce que c'est un effort intense d'écouter l'autre. Et même dans nos relations familiales, on s'entend bien parce qu'on ne s'écoute pas trop. Si on se mettait à s'écouter tout le temps, je crois qu'on ne s'entendrait plus. Parce qu'il y a un moment où on ne donne plus de sens, où on a besoin de ces conversations qui ne sont pas des entretiens et dans lesquelles le sens se perd un peu… Et alors, on parle de tout et de rien. Surtout de rien. Cela est aussi fondamental lorsque vous travaillez à un processus d'écoute avec un adolescent dans une classe ou avec un jeune en difficulté dans une structure d'aide : c'est de mettre des temps à l'écoute. Des temps où on ne fait que s'entendre et où on parle de choses et d'autres. J'ai passé un temps fou à parler foot, à parler musique… Je n'ai pas eu l'impression de perdre mon temps parce qu'on parlait de tout, tout en ne parlant de rien… Puis, vient le moment d’aborder les vrais problèmes, avec une qualité d'écoute particulière. Lorsque les jeunes me disent M DLPH WD PXVLTXH, moi je peux dire PRL M DLPH FHOOHOj. Là, on est effectivement dans la conversation. Puis, je repère par exemple un jeune adolescent qui (étonnamment) aimait Aznavour. Profondément. Je l'entends parler d'Aznavour lors de l'entretien que j'ai avec lui. Je lui dit WLHQV HVVDLHXQSHXGHP H[SOLTXHU$]QDYRXU3RXUTXRLWXDLPHVWDQW" Et ce garçon m'explique qu'il est algérien, qu'il a une peur bleue de la misère, qu'il a l'illusion qu'il est quelqu'un de très important: MHPHYR\DLVGpMj«Chez lui, c'était très fort… Il est toxicomane et quand il prend de la drogue, il s'imagine qu'il est en haut de l'affiche. Et quand il arrête sa drogue, il devient la pédale qui est devant sa propre image et il devient un moins que rien. Le choix d'Aznavour est tout à fait atypique, j'en conviens, pour un adolescent. Pas Marilyn Manson… C’est vraiment le choix particulier d'un individu, à un moment donné. A partir d'une conversation, je fais un entretien dans lequel il y a des règles et dans lequel on va parler de lui, pas de moi. Il ne va pas me dire HWWRL" Non, c'est de lui qu'on va parler. Dans la conversation courante, les règles sont différentes. Vous m'avez aussi parlé de Sabine Dardenne… Je me suis fait mal comprendre si j'ai laissé l'impression qu’il suffisait de la laisser parler devant le tribunal et que tout irait bien. Non ! Son avocat a pris la voie la plus complexe, la plus difficile. Mais ce n'est pas lui qui a pris cette optionlà. C'est ensemble ! Parce que l’avocat a une relation de proximité avec sa cliente. Il en résulte qu’ils ont construit ensemble la voie choisie. L’avocat devient ainsi un tuteur de résilience pour elle et, ce faisant, depuis des années, il essaie de participer à sa (re)construction. Et dans cette (re)construction, vient l’idée que, témoigner debout, ce sera plus profitable. Mais l’avocat sait très bien que le travail va commencer après. Est-ce que la justice sera ainsi mieux rendue ? C’est ce qu'on attend, dans ces cas-là… Mais, cela, Sabine Dardenne ne l'aura probablement pas. On sait qu'une victime, quand elle est au tribunal, attend le repentir sincère de l'auteur et la manifestation de regrets. Et aussi que l’auteur des faits ait une peine proportionnelle à ce qu'on a subi. Il est très probable que Sabine Dardenne n'obtiendra pas tout cela. Qu'il n'y aura pas d'excuses. Qu'il n'y aura pas une manière de nettoyer la faute qui permet à la victime de se 21 relever. Mais il y aura eu, au moins, le mérite de le dire, de travailler là-dessus, plutôt que de vivre dans l'illusion que tout cela était impossible. C'est ce qui explique l'acharnement de Sabine Dardenne - et de son avocat - à vouloir absolument témoigner. L'éducation de nos enfants est actuellement une éducation implicite. Ils apprennent des choses par eux-mêmes. Ils apprennent plein de choses. Il n'y a plus d'éducation sexuelle. Où se fait l'éducation sexuelle ? Elle ne se fait plus dans les familles. Elle ne se fait plus à l'école non plus. A mon époque, on négociait entre les familles et l'école. Maintenant non. Ce n'est plus le rôle de personne. C'est le rôle de la télévision, par exemple. Ou de tout ce qui fait qu’à travers les médias ou dans la rue, on va apprendre des choses. Je vais peut-être vous choquer en disant cela, mais la pornographie est beaucoup moins nocive pour les adolescents que l'érotisme tel qu'on le montre actuellement dans des scènes où l’on voit une femme qui dit QRQ QRQ QRQ RXL RXL RXL Qu'est-ce qu'il enregistre, le brave garçon ? Il enregistre que le plaisir, ça ne vient pas tout seul… Mais que si on insiste un peu, ça finit bien par venir. Je pense à un film que j'ai auditionné avec un jeune adolescent qu'on poursuivait parce qu’il avait violé une jeune fille. Cette jeune fille a dit soixante fois non. Il s'était filmé dans ses ébats. Lui, il n'avait pas l'impression de faire quelque chose de mal. Cette jeune fille a dit soixante fois non. Au terme de l'entretien, il continuait de dire PDLVHOOHDXUDLWILQLSDUGLUHRXL3DUFHTX HOOH DXUDLWDLPpjODILQ$XGpEXWHOOHVDLPHQWSDV(WSXLVHOOHVILQLVVHQWSDUDLPHU Voilà l'érotisme, tel qu'on le présente On a filmé des familles… et c'est relativement drôle. Lorsque vous mettez une caméra devant la télévision pendant que les gens la regardent, on peut saisir leurs réactions. Devant la scène érotique, la famille est quelque chose de tout à fait drôle… Elle n'en parle pas… Il n'y a pas de contenance. Le père rigole, sort une blague, à tous les coups, un peu salace. La mère regarde ailleurs. Elle fait autre chose. Elle est profondément gênée. Les petits regardent en décodant. Mais personne n'en reparle. Et puis, à un moment donné DK EHQ YRLOj& HVWYXF HVWSDVVp On sait que dans tous les films, il y aura une paire de scènes comme ça. Et on passe au-dessus. Et on n'en parle plus. Et l'éducation va se faire en permanence, comme ça, dans l'implicite. Et la télévision va vous présenter un tas de choses comme ça. Vous savez, quand vous avez une telle idée du plaisir absolu, … vous l'avez dans tout, dans les publicités, partout. Vous allez voir une femme manger une glace et cette glace devient un instrument intense de plaisir. Cela veut dire aussi que le plaisir est quelque chose de très simple. C'est au moins aussi simple qu'un cornet de glace. A partir de là…, vous entrez dans une vie sexuelle un peu complexe (comme toutes les vies sexuelles). Et vous voici, adolescent de quinze, seize, dix-sept ans, qui se retrouve avec des relations où le plaisir n'a pas l'air de s'être dilué de cette façon-là… Et de se dire alors : SXWDLQ MH VXLV HQFRUH SOXV PDXYDLV TX XQ FRUQHW GH JODFH Parce qu'il n'arrive même pas au résultat du cornet de glace. Parce que le plaisir semblait si facile. Là, c'est notre rôle de parents de regarder avec eux et d'aborder les thèmes qui sont véhiculés. L'éducation se fait comme cela. Priver de télé, ça sert à rien. Parce qu'à un moment donné, les choses vont quand même se diluer de cette manière-là. Notre rôle de parents, ce n'est pas de dire ©ODWpOpF HVWQXOª C'est dire : ©ODWpOpRQYDHVVD\HUG HQIDLUHXQVXSSRUWSRXUrWUHFRQWHQDQW SDUUDSSRUWjFHTX RQUHJDUGHª C'est vraiment cela, pour moi, la responsabilité parentale. C'est ce qu'on appelle actuellement l'éducation à l'image, à la toute-puissance de l'image. Tel est notre rôle. Une image, ce n'est pas la vérité. Une image, ce n'est pas vrai. Pas comme on le disait à notre époque : F HVWYUDLMHO DLYXjOD79 D’autant que, maintenant, vous voyez des tas de choses à la télévision qui ne sont que des images virtuelles…. C'est à nous à apprendre à nos enfants de se détacher de la toute-puissance de l'image. 22 - C'est sur cette image, ce détachement de l'image et cette maîtrise de l'image que nous terminerons la séance d'aujourd'hui. Il me reste, en votre nom, à remercier Bruno de ce travail avec nous. 23