Difficultés d`apprentissage - Site de l`adaptation scolaire et sociale
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Pour une définition des difficultés d'apprentissage : du caractère déclaratif à la modalité opérationnelle Jean-Pierre Brunet Ph.D. Il est difficile de comprendre comment un professionnel peut réussir à identifier, diagnostiquer, ordonner un traitement, enseigner ou rééduquer, motiver, ou améliorer de manière générale la vie d'une personne qui présente des difficultés d'apprentissage sans avoir préalablement une idée claire et précise de la nature des difficultés d'apprentissage Hammill (1990) De tous les élèves ayant des besoins particuliers, ceux qui présentent des difficultés d'apprentissage sont sans contredit les plus nombreux. Dans l'ensemble, les définitions trouvées dans la littérature sont assez semblables et se fondent essentiellement sur la présence d'un retard scolaire variant d'une à deux années. Retard qui ne s'expliquerait pas par une déficience intellectuelle, physique, sensorielle ou par une défavorisation culturelle. En général, en Amérique du nord, ceci inclut le Québec, on constate un taux d'incidence de ces difficultés variant, selon les milieux, entre 5 et 10%. Un examen plus détaillé des taux d'incidence à travers les vingt dernières années met en 2 évidence une baisse des difficultés légères au profit malheureusement des difficultés graves. Souvent, les chercheurs, les praticiens et les administrateurs ne partagent pas une même conception des difficultés d'apprentissage. Cette divergence de point de vue et de compréhension a engendré certains problèmes. Parmi, les plus sérieux, mentionnons la difficulté d'établir un diagnostic et un pronostic convergents, d'orienter les interventions, d'évaluer les succès obtenus auprès de ces élèves et enfin, de coordonner la recherche scientifique. Ce champ d'études est à la fois récent, moins de quarante ans, et intense puisque, comme nous le soulignions, ces difficultés touchent une grande partie de la population étudiante. Comme pour tout domaine comportant des retombées sociales importantes, celui des difficultés d'apprentissage a connu un essor considérable. Les associations de parents, les groupes de pression de toutes sortes ainsi que les équipes scientifiques de recherche se sont faits de plus en plus nombreux et actifs et ce, pour le plus grand bien des enfants aux prises avec ces difficultés. La formation spécialisée des maîtres dans ce domaine s'est rapidement développée et les instruments de mesure sont devenus de plus en plus nombreux et complexes. Les expériences menées sur le terrain par des intervenantes et des intervenants dévoués se sont multipliées. La concertation au niveau national et international s'est accrue. Après des efforts intenses et un investissement financier considérable, les chercheurs, d'Amérique du Nord et d'ailleurs dans le monde, ont entrepris, Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 3 depuis le début des années quatre vingt dix, une réflexion concertée sur le phénomène des difficultés d'apprentissage. Leur examen de la question se veut davantage critique et fondamental. Cette remise en question débute avec la définition même de l'expression «difficultés d'apprentissage». Les intentions Le présent texte se veut essentiellement une invitation à la réflexion. Il n'a pas l'intention de dénoncer les pratiques établies ou de révolutionner la vision des difficultés d'apprentissage. Il souhaite plus simplement revisiter ce vaste domaine d'études en mettant l'accent sur la complexité entourant la définition de sa notion centrale. Il s'agit bien évidemment d'une tentative osée et le succès d'une telle entreprise est loin d'être assuré. La synthèse proposée ne pourra malheureusement qu'être partielle et n'a pas la prétention de régler définitivement une problématique qui perdure depuis plusieurs décennies. Le texte tente de baliser le chemin parcouru en rendant évidentes les sources bibliographiques utilisées de manière à permettre une exploration plus personnelle du matériel. Nous nous proposons donc d'examiner, de façon quelque peu approfondie, la complexe réalité de la définition des difficultés d'apprentissage. D'abord, nous explorerons ce qui caractérise la notion même de définition en considérant les différentes logiques qui la déterminent. Ensuite, nous dégagerons les principaux paramètres qui marquent les définitions usuelles en passant en revue leurs liens avec la compréhension que l'on se donne des différentes causes associées à ces difficultés. Enfin, nous considérerons quelques aspects concernant leur évaluation et l'intervention rééducative. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 4 Mais avant d'aborder le contenu, examinons les préoccupations qui ont entouré la présente réflexion ainsi que les positions adoptées. Les préoccupations et les choix Trois préoccupations ou questions ont marqué le parcours de la présente analyse. La première concernait le choix des termes. Allions-nous parler des «difficultés d'apprentissage» ou de «l'inhabileté à apprendre»? Nous faisons ici référence au terme anglais disabilities qui ne se traduit pas par le mot difficultés qui est le terme usuel en français. En deuxième lieu, il s'agissait pour nous de décider si nous allions privilégier une approche mettant l'accent exclusivement sur l'élève et ses caractéristiques ou aborder la problématique d'un point de vue holistique. Enfin, la dernière préoccupation, davantage méthodologique celle-là, portait sur l'importance à accorder au poids absolu des textes traitant de la question. En d'autres mots, allions-nous nous limiter à refléter des positions scientifiques au seul fait qu'ils appartenaient aux tendances lourdes de la littérature? Allions-nous répercuter la voix de la majorité ou plutôt, tenter de dégager et de mettre en évidence des points de vue synthétiques et critiques évidemment moins nombreux? À la première question, nous avons décidé d'utiliser le terme «les difficultés d'apprentissage» plutôt que celui d'«incapacités ou d'«inhabiletés à apprendre». Nous l'avons fait pour ne pas rendre confuse la lecture des textes et surtout, parce que les langues française et espagnole utilisent le terme «difficultés Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 5 d'apprentissage». Nous avons également décidé de ne pas inclure les élèves présentant des troubles de l'apprentissage — en anglais disorders plutôt que disabilities. Cette catégorie comprend trois types d'élèves, à savoir les sousperformants, les sur-performants et les phobiques. De la même façon, nous avons dû trancher entre les expressions «la difficulté d'apprentissage et «les difficultés d'apprentissage». Nous avons opté pour l'expression «les difficultés d'apprentissage» pour les mêmes raisons qu'invoquées précédemment. Nous l'avons également décidé pour ne pas donner l'impression dès le départ de trancher en faveur d'une prise de position sémantique au détriment d'une autre. Quant à la deuxième préoccupation, à savoir choisir entre la réalité des difficultés d'apprentissage considérées strictement du point de vue de l'élève ou l'aborder d'un point de vue holistique, nous avons résolument opté pour une perspective holistique. Nous l'avons fait en sachant bien que la prise en compte simultanée de plusieurs dimensions rendra plus ardue la lecture du phénomène. Enfin, quant à l'importance accordée aux textes scientifiques sur le sujet, il nous a semblé plus riche d'aller au-delà des impacts créés par certaines masses de documents. Nous avons donc tenté de dégager et de privilégier les pistes qui nous apparaissaient plus percutantes parce que formulant de nouvelles questions ou proposant des hypothèses de compréhension qui forcent une nouvelle réflexion. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 6 Il nous est vite apparu qu'une réflexion sur les dimensions fondamentales des difficultés d'apprentissage ne pouvait faire l'économie d'un retour aux éléments conceptuels de base. Les éléments conceptuels Dans la grande majorité des écrits sur le sujet, les auteurs précisent rarement s'il s'agit d'un terme, d'une notion, d'un concept, d'un ensemble de symptômes disparates ou d'un syndrome. L'expression est généralement utilisée pour introduire des préoccupations de diagnostic, d'organisation de services, d'intervention ou de recherche. Même dans les textes consacrés exclusivement à sa définition, les auteurs ne distinguent pas toujours la nature des termes utilisés. Pour aider à nous y retrouver, retournons à l'examen de ce qu'est une définition. La définition de la définition Définir signifie «marquer les limites, délimiter, démarquer, déterminer, préciser, spécifier...». Cette notion a évolué et pris successivement des significations différentes selon qu'elle s'inscrivait dans l'une ou l'autre des trois grandes logiques qui ont marqué la pensée occidentale. Dans la logique ancienne, la définition avait pour fonction de faire connaître son objet, d'exprimer un jugement et de servir d'appui au raisonnement. Dans la logique classique, elle servait à identifier l'essence d'une chose. Dans la logique moderne, elle est utilisée pour élaborer une logique du raisonnement ce qui a souvent pour effet d'éviter le problème de la réalité. (Legendre, 1993 : 311312) Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 7 La préoccupation au coeur de ces différentes logiques est sensiblement la même. Dans tous les cas, on cherche à produire une connaissance valide. Là, où diffèrent les logiques, c'est sur l'importance accordée à la nature de la réalité. La pensée moderne, davantage fonctionnaliste et essentiellement phénoménologique, s'éloigne de l'incontournable nécessité d'en arriver à nommer la nature des choses ou des phénomènes. Il n'est donc pas étonnant que chacune des logiques ait développé sa propre conception de ce qu'était une définition. La notion même de définition s'est transformée et a donné lieu à trois positions à cet égard. Dans la première position où se regroupent des penseurs tels Platon, Aristote ainsi que plusieurs penseurs plus contemporains, les définitions sont vues comme des assertions qui expriment des vérités ou des faussetés sur une réalité pour laquelle l'intuition est l'ultime critère. La deuxième position, représentée par Pascal et Russell et en général par les logiciens modernes, se caractérise par une vision de la définition qui officialiserait le nom à donner aux objets. Enfin, la troisième position considère la définition comme une expression des usages linguistiques où les règles fonctionnelles permettent de juger si celle-ci est bonne ou mauvaise. (Legendre : 313) Gardons en mémoire que les définitions n'existent qu'à l'intérieur de système de pensée qui opèrent selon leur propre logique; qu'elles n'ont de sens que dans la mesure où elles ont été déterminées dans le respect des règles de construction de la connaissance; qu'elles ne peuvent être appréhendées que si leurs réseaux de compréhension sont clairs; qu'enfin, elles ne sont fiables que si l'on connaît les modes d'opération de leurs concepts. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 8 La validité d'une définition passe avant tout par la prise en considération de ses aspects épistémologiques. Ceux-ci peuvent, lorsque mis en jeu dans une définition, s'étendre sur trois réseaux de compréhension différents. Le premier concerne la théorie de la connaissance qui exige que soit validée toute prétention à un savoir donné. Le second touche les méthodes et les notions cruciales qui articulent les sciences et autorisent la production du savoir. Quant au troisième, il réfère aux règles de l'analyse conceptuelle des termes pour en garantir les relations absolument fondamentales à la constitution de la connaissance. (Legendre : 313) Il ne saurait donc y avoir de définition valide que dans la mesure où elle est fondée sur une théorie qui la cautionne et la légitimise, qu'elle a été développée selon une méthodologie et à partir de notions reconnues et enfin, qu'elle est construite en cohérence avec la connaissance déjà établie. Nous aurons donc une définition fiable si les dimensions épistémologiques, à savoir la théorie de la connaissance, les méthodes d'articulation et les liens conceptuels auront été clairement identifiés. Produire une définition équivaut à produire de la connaissance. Certains diraient qu'il s'agit là de la seule activité épistémologique utile et pertinente. La connaissance n'a donc de valeur que dans la mesure où les modalités épistémologiques sont valides et reconnues telles. Lorsque l'on considère une définition du point de vue de la connaissance, il est nécessaire de distinguer les modes mis en cause pour sa construction. La connaissance à laquelle une définition permet d'accéder se révèle par des concepts dont les significations opèrent à trois niveaux juxtaposés. Il s'agit Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 9 plus précisément de trois modes d'opérationnalisation dont la valeur et la pertinence sont à la fois déterminantes et indissociables. Le premier est le mode logique dont la fonction est d'assurer que les significations assignées aux concepts n'entraînent pas de contradictions dans l'énoncé de la définition. Le second est le mode physique qui veille à ce qu'aucune loi naturelle ne soit enfreinte par la signification attribuée aux concepts. Quant au troisième, que l'on nomme le mode technique, son rôle est de voir à ce les concepts que comporte une définition présentent une possibilité de réalisations effectives. (Legendre : 313) En résumé, une bonne définition du point de vue de ses concepts est celle dont les significations conceptuelles ne comportent pas de contradictions logique, physique ou technique. Il n'est donc pas suffisant pour être valable qu'une définition puisse être opérationnalisée. Elle doit également conserver une cohérence interne, c'est-à-dire une logique qui lui est propre, et une cohérence externe, c'est-à-dire une relation avec la réalité qui n'enfreint pas une loi naturelle déjà reconnue. La question de la signification, on le voit bien, est au coeur de la validité d'une définition. Les concepts qui la composent doivent répondre à trois types de signification, soit sémantique, pragmatique et syntactique. Les concepts composant une définition, pour être signifiants, doivent exprimer une réalité qui fait sens. Leur signification est sémantique lorsqu'elle répond à des questions telles que «comment le savez-vous ou que voulez-vous dire». Elle est pragmatique quand elle fait allusion à des actes délibérés ou à des domaines non cognitifs tels que celui des émotions. Finalement, elle est Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 10 syntactique lorsque des constantes logiques sont mises en cause et sont exprimées par des termes tels que «et», «non», «équivalent», «parce que», etc. Le souci épistémologique veut que l'on s'inquiète des conditions dans lesquelles on obtient et maintient une connaissance. C'est-à-dire que l'on s'interroge sur les lois, les hypothèses et les principes d'inférence soutenant les savoirs ou encore que l'on examine les liens unissant les diverses notions gouvernant un champ d'études particulier. (Legendre : 313) Actuellement, on s'entend pour dire qu'une bonne définition doit être précise, rigoureuse, exhaustive et spécifique, qu'elle doit comprendre les caractères essentiels et non accidentels de l'objet défini et enfin, qu'elle doit éviter la circularité et la tautologie. (Legendre : 312) Une bonne définition des difficultés d'apprentissage devra faire état de ses caractères essentiels au sens de dire sa nature et ainsi éviter cette circularité. On verra plus avant dans l'analyse des définitions usuelles à quel point cet aspect est déterminant dans les difficultés rencontrées par les chercheurs et les praticiens dans leurs libellés de ce qu'ils entendent par difficultés d'apprentissage. Maintenant que nous avons quelque peu exploré les fondements épistémologiques de la notion de définition, regardons les différents types de définitions qui existent. Les types de définition On pourrait, à première vue, croire qu'il existe une grand nombre de types de définition. Cela serait certes possible si l'on tenait compte de tous les cadres Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 11 de référence conceptuelle existants. Pour simplifier la compréhension des définitions, limitons-nous à deux grandes catégories, celle de type analytique et celle de type nominal. Dans la catégorie des définitions analytiques, les définitions conceptuelles se caractérisent par l'expression des dispositions ou des prédispositions, d'une personne ou d'une situation, à manifester certaines propriétés. Ces définitions se font par le biais d'un ou de plusieurs termes abstraits plutôt qu'en référence à l'observation de la réalité. Elles procèdent de théories dont elles tirent leurs concepts et à ce titre, elles sont déductives Ce type de définitions permet l'établissement a priori de variables utilisées dans le cadre de recherches habituellement de type vérificatoire. Ces définitions n'ont donc d'existence qu'à l'intérieur d'une théorie, donc d'un ensemble constitué et explicite de concepts. La définition du terme «inconscient» est un exemple de définition conceptuelle. En effet, on ne peut le définir qu'en référence à la théorie psychanalytique freudienne. Une définition conceptuelle peut servir de base à une définition opérationnelle. Celle-ci se caractérise par le recours à «des termes qui permettent de reconnaître explicitement le concept par l'énoncé de ses caractéristiques observables, directement par les sens ou d'une façon plus objective par l'observation instrumentale» Legendre (1993 : 315). La définition opérationnelle, comme son nom l'indique, précise les opérations requises pour rendre compte de la présence d'un objet ou d'une réalité par le biais d'un instrument qui en prend la mesure. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 12 Les opérations, par leurs qualités intrinsèques, devront permettre une reconnaissance valable de l'existence des caractéristiques d'un objet. Toutefois, la réalité ainsi observée n'aura pas plus de valeur que n'en ont les liens supposés entre elle et les caractéristiques considérées. En d'autres mots, ce n'est pas parce que des instruments sont considérés valides et fiables qu'ils mesurent bien la réalité ciblée. La définition opérationnelle du terme «intelligence» passe nécessairement par les instruments qui servent à la mesurer. C'est pour cela que, très souvent, on dit à la blague que l'intelligence n'est que le résultat obtenu à un test et rien d'autre. On constate que les définitions opérationnelles servent souvent à déterminer le sens à donner aux définitions conceptuelles. La définition de type nominal sert quant à elle à la classification, c'est-àdire au regroupement d'objets, ou à l'étymologie, c'est-à-dire la dénomination des objets. Son objectif est de corréler des mots à un objet ou à un type d'objet. Cette catégorie de définitions comporte deux formes de définitions : les définitions lexicales et les définitions stipulatives ou déclaratives. La première renvoie à la signification accordée à un mot ou à une expression dans un contexte historique donné alors que la définition déclarative consiste en l'adoption délibérée et arbitraire d'une relation signifiante entre des mots. Prenons par exemple la définition lexicale du mot «difficulté» telle qu'elle apparaît dans le dictionnaire et qui se lit comme suit : caractère de ce qui est difficile. Il est évident que nous sommes ici dans une tautologie et dans une circularité. Les définitions du dictionnaire, c'est-à-dire les définitions lexicales, sont en fait des définitions circulaires. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 13 Les définitions de type déclaratif sont particulièrement importantes et ce pour deux raisons. D'abord, elles s'opposent à la définition conceptuelle et ensuite, elle sont au coeur des débats sur la question de la définition des difficultés d'apprentissage. Nous retenons comme exemple de définition déclarative celle de «difficultés d'apprentissage». Ces précisions étant apportées, examinons ce qu'il en est «de la» ou devrions-nous dire «des» définitions de l'expression «difficultés d'apprentissage». Les définitions des difficultés d'apprentissage Dans la considération de cette notion, nous avons choisi d'emprunter deux chemins différents. D'abord, nous tenterons d'apprécier l'évolution et la transformation de la définition de la notion de difficultés d'apprentissage d'un point de vue historique et pour être plus précis, du point de vue de l'Amérique du Nord. Nous nous arrêterons à chacune des grandes étapes qui ont marqué son histoire. Puis, nous procéderons à un examen critique des définitions actuelles que nous compléterons avec un regard plus particulier sur des aspects tels que les notions d'hétérogénéité et de sous-groupes distincts d'élèves présentant ces difficultés. L'évolution de la définition : un bref aperçu historique À l'instar de Doris (1993), nous aurions pu qualifier cette partie «une historique d’une vaste recherche de consensus». Les premiers textes scientifiques sur le sujet datent du début du siècle; ils étaient médicaux et Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 14 décrivaient un cas de jeune présentant une incapacité à lire. La recherche d'une explication physiologique prend là toute sa source. L'ère médicale et tout le poids de son influence ont perduré jusqu'au début des années soixante. Ce sont d'abord la psychiatrie et ensuite la neurologie qui ont occupé le devant de la scène. En ce sens, on n'a qu'à se rappeler le rôle important attribué à la dysfonction cérébrale minime à titre de cause des difficultés d'apprentissage. Ce n'est qu'avec la nécessité de développer une intervention pédagogique rééducative qu'apparaîtra l'intérêt pour la dimension comportementale des élèves présentant des difficultés d'apprentissage. Kirk et Bateman ont sûrement été parmi les leaders importants qui ont insisté sur la nécessité d'adopter, face aux difficultés d'apprentissage, une position descriptive à des fins éducatives. Au début des années soixante, Kirk (1962) a été le premier à proposer une définition des difficultés d'apprentissage qui est devenue en quelque sorte la matrice de la majorité des définitions en usage à ce jour. Aux énoncés déjà présents dans la définition des difficultés d'apprentissage sont dorénavant associées les notions d'écart entre le potentiel et le rendement scolaire ainsi que la notion d'exclusivité par rapport aux autres conditions handicapantes qu'elles soient culturelles, émotionnelles, intellectuelles, motrices ou sensorielles. Durant cette décennie, on a commencé à noter les retards dans le langage écrit, les mathématiques et l'orientation spatiale qui, on l'aura noté, se trouve ramenée au même plan que les domaines scolaires. Cette association entre l'orientation spatiale et le rendement scolaire, comprise à l'époque comme une relation causale, aura, pendant un certain temps, un impact considérable sur les pratiques de rééducation. À la même Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 15 période, on assistait au développement d'une vaste panoplie d'instruments d'évaluation et d'exercices destinés à rééduquer les élèves présentant ces difficultés. Des chercheurs tels Strauss, Cruickshank, Kirk ou Frostig y ont largement contribué. L'adoption de quelques lois américaines a également contribué à influencer et à orienter le développement du domaine des difficultés d'apprentissage. Rappelons brièvement qu'en 1970, la loi «Education of the Handicaped Act » est adoptée ainsi que le «Education for all Handicaped Children» en 1976. Ces deux législations ont été marquantes parce qu'elles ont légitimé et financé une multitude de recherches, de programmes de formation et de création de centres modèles pour venir en aide entre autres aux élèves présentant des difficultés d'apprentissage. Cette intervention massive eut toutes sortes d'effets. Par exemple, alors qu'au début des années soixante dix, on dénombrait environ 120,000 élèves américains recevant des services spécialisés pour leurs difficultés d'apprentissage, ce nombre est passé à 796,000 en 1976 et à près de deux millions en 1988 — ce qui représentait alors tout près de 5 % de la population étudiante et presque 45 % de tous les élèves présentant des besoins particuliers. Ces lois sont venues en quelque sorte raffiner et officialiser la définition des difficultés d'apprentissage. Les éléments antérieurement présents dans les définitions — écart entre potentiel et rendement scolaire, exclusivité et association au domaine neurologique — sont demeurés mais enrichis de la notion de processus psychologiques et d'habiletés au plan de l'écoute, de la parole et de la pensée. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 16 La période de 1970 à 1990 a surtout été marquée par l'importance accordée à l'hyperactivité et au déficit d'attention. On a alors assisté, à travers la généralisation des ordonnances du methylphenidate, à une première médicalisation importante au plan de l'intervention thérapeutique. Cette drogue était reconnue pour ses effets sur l'hyperactivité et par voie de conséquence sur l'apprentissage. Safer et Krager (1988) ont évalué qu'au cours des années 1980 environ 750,000 élèves américains prenaient ce médicament sans qu'il ne soit évident que les progrès constatés se maintenaient à long terme. Les études récentes questionnent ses effets sur les fonctions cognitives supérieures, considérées actuellement comme les plus déterminantes dans la réussite des apprentissages. Au cours de la même période, le syndrome du déficit de l'attention connaissait une progression rapide et importante au point de se retrouver inscrit à l'intérieur du DSM-III-R. On le sait, ce syndrome a occupé et occupe toujours une place dominante dans le domaine des difficultés d'apprentissage. Plus récemment, en particulier au cours des années 1990 à 1993, on a été témoin d'une mise sous examen rigoureux du champ d'études des difficultés d'apprentissage et surtout, à une remise en question de sa définition. Des ouvrages importants sont venus marqués ces efforts. Parmi ceux-ci, on peut citer le Handbook on the assessment of learning disabilities de Swanson en 1990, le numéro thématique du Journal of Learning Disabilities en 1991, l'ouvrage intitulé Learning Disabilities. Nature, Theory, and Treatment de Singh et Beale en 1992, et enfin, de Lyon et al en 1993, le collectif intitulé Better Understanding Learning Disabilities. New Views from Research and Their Implications for Education and Public Policies. Dans la partie qui suit, Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 17 nous nous inspirerons de ces différents ouvrages pour enrichir notre analyse critique des définitions actuelles des difficultés d'apprentissage. En résumé, nous pouvons dire que chacune des étapes historiques, profondément déterminée par des éléments conjoncturaux, a introduit dans la définition des aspects ou des énoncés qui ont perduré jusqu'à aujourd'hui. Le bref regard posé sur l'histoire nous indique que la définition actuellement la plus largement reconnue en Amérique du Nord, c'est-à-dire celle proposée par le National Joint Comittee on Learning Disabilities, est le résultat d'une construction où se sont ajoutés, au cours des années, des énoncés qui faisaient l'objet d'un large consensus. Il est clair que, derrière la plupart des définitions historiques, se profilent des postulats qui, même sans avoir été démontrés, ont continué d'influencer la représentation d'une étiologie que les milieux scientifique et scolaire entretiennent au sujet des difficultés d'apprentissage. Reprenons les différents énoncés composant la définition de l'expression «difficultés d'apprentissage» et soumettons-les à un examen critique plus soutenu. L'examen critique des définitions Plusieurs auteurs se sont penchés sur la question de la définition des difficultés d'apprentissage. Ainsi, déjà en 1976, Forman affirmait que le champ d'études était dans une confusion totale faute d'avoir su établir des frontières claires entre les différents syndromes. Kavale et Nye, en 1985, rappelaient qu'il Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 18 fallait considérer les difficultés d'apprentissage comme un phénomène complexe et multivarié qui leur apparaissait difficile à définir à partir d'un seul aspect du fonctionnement de l'élève qu'il soit linguistique, scolaire, neuropsychologique ou comportemental. De leur étude des différentes définitions jusqu'alors données aux difficultés d'apprentissage, Kavale et Forness (1985) dégagent cinq éléments qui leur seraient communs. Il s'agit plus précisément de cinq postulats qui les déterminent. Le premier est à l'effet que les difficultés d'apprentissage répondent à un modèle médical. Le second veut que ces difficultés soient causées par un dysfonctionnement neurologique. Le troisième postulat associe les difficultés à une perturbation des processus psychologiques. Le quatrième dit que les difficultés d'apprentissage sont associées à l'échec scolaire. Et enfin, le dernier postulat affirme qu'elles ne sont pas causées en premier lieu par une autre condition handicapante. Une analyse approfondie de ces cinq postulats amène Kavale et Forness à conclure que chacun pose problème et qu'en conséquence, aucun ne peut être accepté sans équivoque. Ils estiment également, avec de nombreuses preuves à l'appui, que les énoncés présents dans les définitions sont en général non valides et qu'en conséquence leur valeur en tant qu'indicateurs des difficultés d'apprentissage est questionnable. Les définitions en usage sont postulatoires et non validées; ce sont en fait des définitions de type déclaratif. En ce sens, elles n'ont pas à être vraies mais seulement utiles. En réalité, elles n'ont qu'à recueillir un consensus Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 19 suffisamment large quant aux postulats qu'elles véhiculent pour être acceptées et utilisées. Cependant pour être utilisées, elles doivent être traduites en opérations. En réalité, de ces cinq postulats, seulement celui relatif à l'échec scolaire a été largement opérationnalisé donc utilisé dans la pratique. À la base de ce postulat, il y a la notion d'écart ou de retard constaté entre le rendement fourni par un élève et le rendement attendu. Ce critère est dominant, parfois unique, dans l'identification et la classification de ces élèves. Au plan organisationnel, ce critère est demeuré le plus utilisé dans l'identification des élèves ayant droit à des services particuliers. Toutefois, son utilisation soulève une question fondamentale. En effet, il importe de s'entendre sur ce que signifie «ne pas fournir le rendement ou la performance attendue ou ne pas produire à la mesure de ses potentialités». Nous reviendrons plus avant sur cette question. D'autres auteurs, qualifié de plus positifs à l'égard de la définition, se sont également penchés sur cette question. Ainsi, Hammill (1990), dans son étude des onze définitions les plus marquantes1 des difficultés d'apprentissage, a dégagé neuf paramètres qui les caractérisent et les distinguent. On retrouverait, selon son analyse, dans une ou plusieurs définitions, des mentions quant au sous-rendement scolaire, à la dysfonction du système nerveux central, à la dysfonction des processus psychologiques, au fait que la difficulté à apprendre demeure présente tout au long de la vie de la personne, aux troubles spécifiques du langage, aux difficultés particulières en regard d'une discipline scolaire, à 1 Ces 11 définitions sont celles : de Kirk, de Bateman, du National Advisory Committee on Handicapped Children, de la Northwestern University, du CEC/DCLD, de Wepman et als, du U.S. Office of Education (1976 et 1977), du National Joint Committee on Learning Disabilities, de la Learning Disabilities Association of America et du Interagency Committee on Learning Disabilities. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 20 certains problèmes de conceptualisation présentés comme des difficultés d'apprentissage, à la présence d'autres problèmes touchant en particulier les habiletés sociales ou motrices, et enfin, à l'exclusion d'autres difficultés ou conditions handicapantes comme par exemple la déficience intellectuelle, la perturbation émotionnelle ou le handicap moteur. Hammill tire deux conclusions générales de son étude. D'abord, il existe, malgré la croyance populaire contraire, un degré considérable d'accord entre les différentes définitions existantes. Ensuite, il estime que la définition proposée en 1987 par le National Joint Committee on Learning Disabilities (NJCLD) est probablement le meilleur énoncé descriptif au sujet de la nature des difficultés d'apprentissage. Doris (1993) souligne, dans son examen des conclusions de Hammill, que cette forte convergence, chez les professionnels, de la reconnaissance et de l'utilisation d'une même définition ne se traduit pas par une égale convergence dans l'opérationnalisation de celle-ci. Reprenons et examinons de plus près cette définition qui se lit comme suit : Les difficultés d'apprentissage sont un terme générique désignant un ensemble hétérogène de troubles se manifestant par des difficultés persistantes dans l'acquisition et l'utilisation de l'écoute, de la parole, de la lecture, de l'écriture, du raisonnement ou des mathématiques, ou des habiletés sociales. Ces désordres sont intrinsèques à la personne et sont présumément causés par un dysfonctionnement du système nerveux central. Même si une difficulté d'apprentissage peut se manifester en concomitance avec d'autres conditions handicapantes (par exemple, les déficiences sensorielles, le retard mental, les perturbations sociales ou émotionnelles), avec d'autres influences socio-environnementales (par exemple, les différences culturelles, une instruction insuffisante ou inappropriée, des facteurs psychogénétiques), et Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 21 particulièrement avec un trouble de l'attention, qui peuvent toutes causer des difficultés d'apprentissage, les difficultés d'apprentissage ne sont pas la conséquences directes de ces conditions ou influences. En bref, ces difficultés, selon le National Joint Committee on Learning Disabilities (NJCLD), seraient «intrinsèques à la personne, présumément causées par une dysfonction du système nerveux central et possiblement présentes durant toute la durée de la vie. Des difficultés d'autorégulation du comportement, de la perception ou de l'interaction sociale de même que des conditions handicapantes peuvent coexister avec les difficultés d'apprentissage mais n'en sont pas la cause. La définition proposée par le National Joint Committee on Learning Disabilities (NJCLD), selon Swanson (1991), malgré des qualités reconnues, ne serait pas véritablement opérationnelle parce qu'elle ne spécifie pas les opérations ou les procédures par lesquelles le construit des difficultés d'apprentissage peut être reconnu et mesuré. L'auteure rappelle que lorsque l'on veut opérationnaliser la notion de difficultés d'apprentissage, trois paramètres touchant les indicateurs doivent être considérés : leur sélection, leur fonction et leur parcimonie. La sélection des indicateurs préoccupe les chercheurs depuis longtemps. En effet, des études ont tenté de mettre en évidence le rôle joué par des paramètres tels la gestion des apprentissages, le langage, les habiletés métacognitives, la pensée logique ou symbolique, les comportements sociaux, etc. Pour que ces paramètres soient vraiment utiles, il faudrait pouvoir Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 22 s'entendre sur leur choix et leur opérationnalisation ce qui jusqu'à maintenant n'a pas vraiment été fait. La fonction première des indicateurs est de spécifier les éléments qui auront à être opérationnalisés. Rappelons qu'une définition est constituée d'éléments ou d'indicateurs ainsi que de leurs relations et que généralement, les indicateurs sont l'expression d'hypothèses. Pour que les indicateurs puissent être opérationnalisés, il faut qu'ils soient suffisamment précis et ils ne le sont que dans la mesure où une théorie les supporte. La loi de l'économie ou de la simplicité que l'on appelle aussi «loi de la parcimonie» veut que plus on raffine des indicateurs au moyen de la recherche, moins ils devraient être nombreux. Ce processus en est un d'élimination puisque les indicateurs qui influencent peu les résultats doivent être écartés. Comme les définitions successives des difficultés d'apprentissage ont eu tendance à se construire en ajoutant des énoncés ou des indicateurs à ceux déjà existants plutôt qu'en réduisant leur nombre, on est dans l'obligation de conclure que la loi de la parcimonie n'a pas été appliquée. Swanson conclue qu'aucun des trois paramètres ou principes de l'opérationnalisation des indicateurs n'a vraiment été respecté. Dans son vaste exercice pour établir un état de la question relativement à la définition des difficultés d'apprentissage, Swanson identifie quatre conditions pour leur assurer une validité. La première est que les définitions opérationnelles doivent avoir une signification conceptuelle. La seconde condition est que l'on doit questionner les mesures utilisées pour établir les écarts dans le rendement scolaire. La troisième est à l'effet que les approches Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 23 définitionnelles ne doivent pas être restrictives mais plutôt à la recherche de patrons de continuité dans les résultats de recherche. Enfin, la dernière condition demande que la notion de difficulté intrinsèque dans le processus de l'information soit étayée. En conclusion à sa réflexion, Swanson suggère que l'on mette l'accent sur la reformulation des définitions conceptuelles à l'intérieur du contexte des théories de l'apprentissage et que l'on procède tant au plan quantitatif que qualitatif à des validations expérimentales ou quasi expérimentales des diverses dimensions associées aux difficultés d'apprentissage. L'exercice de la critique des définitions des difficultés d'apprentissage a également été réalisé par Kavale, Forness et Lorsbach (1991). Ceux-ci confirment que la majorité des définitions trouvées dans les écrits sur le sujet sont déclaratives ou opérationnelles. Selon eux, quatre conclusions peuvent être dégagées de l'étude de ces définitions. La première est à l'effet que les définitions ne sont ni bonnes ni mauvaises, seulement utiles. La deuxième conclusion est que les définitions donnent peu de renseignements scientifiques sur les difficultés d'apprentissage. La troisième est que l'ajout ou le retrait à la définition d'éléments tels que les habiletés sociales font peu de différence parce qu'il s'agit d'un procédé de type déclaratif. Enfin, la quatrième conclusion est que le problème de la définition des difficultés d'apprentissage est interminable parce que les définitions déclaratives ne permettent pas de clore le débat. Comme les définitions opérationnelles ne sont en fait que le résultat de la transformation de définitions déclaratives et que celles-ci contiennent peu ou pas de véritables définitions de leurs concepts, il n'est pas étonnant de constater Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 24 que c'est, à toutes fins utiles, l'opérationnalisation qui leur donne un sens. Les définitions opérationnelles ne sont en fin de compte que des représentations autrement formulées des définitions déclaratives. Récemment, certains travaux de recherche ont tenté de développer une approche à la définition des difficultés d'apprentissage qui soit davantage opérationnalisée. Ainsi, Shaw et al. (1995) ont revu et précisé l'approche fondée uniquement sur l'écart entre les aptitudes et le rendement. Ils ont opté pour la proposition d'un modèle comportant quatre niveaux et qui, pour l'essentiel, reprend la définition proposée par le National Joint Committee on Learning Disabilities (NJCLD). Le premier niveau, selon Shaw et al, établit les différences qui caractérisent un élève tant au plan de ses difficultés que de ses habiletés. Le second met l'accent sur les écarts qui sont intrinsèques à l'élève et qui pourraient s'expliquer par une dysfonction du système nerveux central ou par un problème dans le traitement de l'information. Le troisième niveau fait état des considérations associées aux difficultés d'apprentissage telles que les habiletés sociales, physiques et sensorielles. Enfin, le quatrième niveau examine différentes explications de l'existence des difficultés d'apprentissage, comme par exemple la présence d'autres difficultés, les influences de l'environnement culturel ou économique, une instruction inappropriée ou inadéquate. Malgré le consensus qui semble s'établir autour de la définition proposée par le National Joint Committee on Learning Disabilities (NJCLD), il semble bien qu'une telle définition n'aide pas à la compréhension de la nature et de l'étiologie des difficultés d'apprentissage. Le recours à une mesure du retard Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 25 scolaire permet une discrimination passablement efficace des élèves qui éprouvent des difficultés d'apprentissage mais n'ajoute rien à la compréhension du phénomène. Parmi les énoncés qui se dégagent des différentes définitions, trois méritent un examen un plus approfondi. Ce sont la spécificité des difficultés d'apprentissage, l'écart entre les aptitudes et le rendement scolaire et l'exclusivité de la difficulté. En fait, cet examen pose trois questions. D'abord, les difficultés d'apprentissage sont-elles spécifiques et en ce sens, peut-on constituer des sous-catégories uniques ou peut-on distinguer ces élèves des autres qui peuvent également présenter des difficultés d'apprentissage? Ensuite, est-il exact que le potentiel intellectuel des élèves présentant des difficultés d'apprentissage est corrélé à son rendement scolaire? Enfin, peut-on définir les difficultés d'apprentissage sur la base de l'exclusion des autres difficultés? Jusqu'à maintenant, on n'a pas réussi, croyons-nous à l'instar de Swanson (1991), à distinguer les difficultés d'apprentissage propres aux élèves identifiés comme tels de celles présentées par les élèves présentant d'autres types de difficultés. On n'a pas non plus réussi à constituer des sous-catégories homogènes d'élèves présentant des difficultés d'apprentissage telles que leur réponse aux interventions variaient significativement en fonction de la souscatégories à laquelle ils appartenaient. Ceci ne signifie pas que les différences intra-individuelles n'existent pas. Plusieurs auteurs, comme par exemple Shaw et al (1995), ont montré que le profil des différences intra-individuelles de l'élève présentant des difficultés d'apprentissage se caractérisait par des écarts importants dans les aspects Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 26 mesurés et se distinguait de celui, davantage linéaire, des autres élèves ayant des besoins particuliers. On pourrait être tenté de croire que les élèves qui présentent des difficultés d'apprentissage sont pour le moins hétérogènes quant à certaines de leur caractéristiques. Cette affirmation, plus ou moins explicite dans les textes sur le sujet, laisse penser que l'hétérogénéité de ces élèves est telle qu'elle se distingue de celle constatée chez les élèves dits normaux. En fait, on a tendance à considérer leur hétérogénéité comme une caractéristique qui leur est propre. Nous estimons cependant, à l'instar de Lloyd (1992), qu'il est plus sage de croire que la diversité trouvée chez ces élèves n'est pas plus marquée que celle rencontrée chez les élèves ordinaires ou chez ceux présentant d'autres besoins particuliers puisque jusqu'à maintenant aucune preuve n'appuie sans équivoque la thèse de l'hétérogénéité. Considérons maintenant la question de l'écart entre le rendement et les aptitudes. La performance est généralement mesurée à l'aide de tests standardisés qui ont été et sont encore l'objet de critiques sévères, principalement quant à la validité de leur construit. Au-delà de cette question, se trouve celle de la spécifité de l'écart retrouvé chez les élèves présentant des difficultés d'apprentissage lorsque comparé aux autres élèves. Encore une fois, on ne réussit pas à dégager une spécificité propre à cette catégorie d'élèves. La dernière question, celle concernant l'exclusivité, soulève un point fondamental. En effet, peut-on fonder une définition sur l'absence de certaines caractéristiques? Concrètement, on ne réussit pas à établir de différences notables. C'est le cas, par exemple, lorsque l'on compare la compétence en Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 27 lecture d'élèves identifiés comme étant des dyslexiques à celle d'élèves qualifiés de mauvais lecteurs mais n'étant pas identifiés comme présentant des difficultés d'apprentissage parce que présentant par ailleurs une lenteur intellectuelle. De la même façon, on constate peu de différences, sinon beaucoup de similarités, entre les élèves présentant des difficultés d'apprentissage et les élèves considérés comme étant défavorisés au plan culturel. Comme on peut le constater, aucun des paramètres, aucune des variables ou aucune des composantes des différentes définitions des difficultés d'apprentissage ne réussit à passer le test de l'analyse critique. À ce point de notre réflexion sur le sujet, nous nous associons à la position de Kavale et Forness (1992) pour affirmer qu'il y a nécessité de procéder à une reconceptualisation de la notion de difficultés d'apprentissage à la lumière de nouvelles connaissances et de nouveaux paradigmes. Certes, mais dans quelle direction devrions-nous orienter nos efforts? Il semble de plus en plus que la piste de l'approche constructiviste et holistique soit à privilégier. Grobecker (1996) estime pour sa part que l'on aurait intérêt à mettre le focus sur les processus mentaux, c'est-à-dire que l'on devrait s'attarder à décrire le plus fidèlement possible l'activité cognitive de construction de la connaissance mise en place par ces élèves dans leur effort pour appréhender le réel. Cette chercheure croit que c'est en examinant ces spirales d'activités de structuration mentale que l'on sera le plus en mesure d'identifier les différences dans les façons d'apprendre. Une telle approche suppose toutefois que l'on accepte de ne pas dissocier les différentes dimensions de la personne humaine donc que l'on accepte de fonctionner de manière Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 28 holistique. Évidemment, la réalité étudiée devient alors moins facile à cerner mais en retour, elle est plus riche de sa complexité même. Dans une optique semblable, Larson et Gerber (1992) mettent l'accent sur la nécessité de développer un modèle d'enseignement à l'intérieur duquel la métacognition serait vue comme un construit social. Cette piste, quoique peu présente dans les milieux scolaires, est une des plus prometteuses parce que, partant du profil cognitif de chaque élève, elle débouche directement sur l'intervention de rééducation. Nous aurons compris qu'avec une approche constructiviste qui met un accent sur la métacognition sociale, les difficultés d'apprentissage ne se situent plus exclusivement à l'intérieur de l'élève mais bien entre lui et son environnement, c'est-à-dire entre ses stratégies de résolution des problèmes et les défis qui lui sont proposés par le milieu scolaire. Dans une telle perspective, l'élève n'est plus le seul propriétaire des difficultés qui sont alors partagées avec l'ensemble du milieu scolaire. Le défi est alors tout autre. En effet, que va-t-on évaluer? Qui va-t-on aider? Que va-t-on chercher à transformer? Et enfin, comment départager les difficultés propres à l'élève des insuffisances didactiques du maître? Une stratégie globale comportant plusieurs gestes à poser pourrait être mise de l'avant. Un premier geste serait de cesser de modifier les définitions et d'accepter que nous en sommes tous à une phase pré-paradigmatique. À ce stade, on le sait, toutes les approches et toutes les conceptualisations sont admises pour décrire la réalité d'un phénomène ce qui pourrait avoir pour effet d'ouvrir des horizons nouveaux aux expériences. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 29 On pourrait, dans un second geste, comme le suggère Swanson (1991), explorer et développer des façons alternatives d'évaluer le potentiel et le rendement. Évidemment, ceci n'a du sens que dans la mesure où les objets à mesurer sont clairement identifiés, donc définis avec suffisamment de précision. On pourrait également, dans un troisième geste, travailler à la reformulation de la définition conceptuelle des difficultés d'apprentissage en s'inspirant des nouvelles théories de l'apprentissage. Dans certains milieux, l'accent est déjà mis sur le rôle de la métacognition dans l'approche aux difficultés d'apprentissage. Des chercheurs comme Larson et Gerber (1992) ont remarquablement bien balisé les fondements théoriques de la métacognition menant à l'analyse des interactions sociales entre les élèves présentant des difficultés d'apprentissage et leurs maîtres. Dans un quatrième geste, on pourrait faire en sorte que la recherche se préoccupe de la validité du construit des différentes mesures utilisées, qu'elle utilise une comparaison plus rigoureuse des élèves présentant des difficultés d'apprentissage aux autres élèves et qu'elle procède à l'évaluation des hypothèses dans des contextes variés. Enfin, dans un dernier geste, si l'on veut continuer à lier les difficultés d'apprentissage à des caractéristiques neuropsychololgiques, il faudra procéder à la démonstration de l'influence de celles-ci. Ces considérations nous amènent tout naturellement à aborder les corollaires de la définition, à savoir l'évaluation ou le diagnostic et l'intervention de rééducation. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 30 L'évaluation des difficultés d'apprentissage Avant d'aborder plus en détail l'évaluation des difficultés d'apprentissage, précisons que nous allons mettre l'accent sur leur évaluation plutôt que sur leur diagnostic. Non pas que nous croyions le diagnostic sans importance ou secondaire, mais bien parce que nous allons tenter d'établir une relation directe et fonctionnelle entre l'activité d'évaluation et l'intervention. Ces deux aspects nous apparaissent directement et naturellement liés. On l'a déjà dit, les données requises pour poser un diagnostic de difficultés d'apprentissage ne servent habituellement qu'aux fins de classement et d'évaluation des services à rendre. Les renseignements sur le retard scolaire ou sur l'absence d'autres conditions handicapantes obtenus dans le cadre de l'évaluation ne sont à peu près d'aucune utilité pour l'intervention. Nous n'insisterons pas non plus sur les interrogations légitimes que soulèvent plusieurs chercheurs2 quant aux qualités des instruments employés pour établir un diagnostic et quant aux habiletés professionnelles utilisées pour interpréter les résultats. Nous nous associons aux propos de Lloyd (1992 : 578) qui estime que «l'évaluation pour l'enseignement devrait se démarquer de l'identification des types d'apprenants sur la base de leurs résultats à des tests d'intelligence ou de personnalité et se rapprocher de l'appréciation de ce que les élèves peuvent ou 2 Pour plus de détails, voir KAVALE, K. A., FORNESS, S. R (1992). History, Definition, and Diagnosis. In : Singh, N. N. and Beale, I. L. (Editors). Learning Disabilities. Nature, Theory, and Treatment. (p3-43). New-York: Springer-Verlag. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 31 ne peuvent pas faire. De là, il n'y a qu'un petit pas à franchir pour fournir des programmes individualisés fondés sur des méthodes idéographiques développées à ce jour». Les nouvelles tendances en évaluation, telles que le précise Meltzer (1994), vont dans le sens des approches dynamiques ou interactives procédant de modèles fondés sur une approche initiée principalement par Feurstein. Ces évaluations se distinguent des modèles psychométriques traditionnels de trois façons. D'abord, elles reconnaissent que les processus d'apprentissage sont modelés de façon importante par le contexte social comme le sous-tend la tradition introduite par Vygotsky. Ensuite, ces approches évaluatives estiment que les apprenants peuvent devenir plus efficaces et que pour cela, l'évaluation doit recourir à de l'apprentissage guidé pour mesurer leur flexibilité. Enfin, celles-ci affirment que leur objectif majeur est l'amélioration de l'enseignement. Dans une telle perspective, les instruments devront mesurer les changements développementaux, les exigences curriculaires et les demandes de la classe. L'évaluation interactive suppose une spirale sans fin de test/enseignement/test pour bien apprécier les différentes réponses de l'élève aux situations d'apprentissage qui lui sont proposées. Une telle approche évaluative s'applique en fin de compte autant aux processus ou aux stratégies de résolution de problèmes mises en place par l'élève qu'à l'enseignement ou aux processus didactiques du maître. Déjà en 1993, Levine et al consentaient des efforts pour conceptualiser un paradigme du développement interactif où interagiraient les tâches scolaires et les processus cognitifs requis. Pour bien identifier les processus susceptibles Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 32 d'être sollicités, ils ont tenu compte des exigences associées aux tâches scolaires ainsi que des facteurs environnementaux et historiques qui influencent la production scolaire. Les effets des nouvelles tendances se font de plus en plus sentir dans les modalités d'évaluation et d'identification. Par exemple, Bateman et Chard (1995) estiment que le jugement éclairé d'une équipe de professionnels comportant au moins un expert dans le domaine des difficultés d'apprentissage devrait primer sur le seul résultat indiquant un écart entre les aptitudes et le rendement. L'absence d'une définition fondée sur des variables théoriquement définies et validées, en plus de rendre l'évaluation incertaine, pose également la difficulté du pronostic. IJzendoorn et Bus (1993), dans leur étude comparative des pronostics établis par trois groupes d'évaluateurs, ont constaté que le pronostic sur le développement à court terme, c'est-à-dire autour de 6 mois, des domaines cognitif et socio-affectif était très imprécis et ce, davantage au plan socio-affectif que cognitif. En résumé, on peut établir que l'absence d'une définition valide entraîne de nombreuses conséquences tant au plan de l'évaluation que ce soit à des fins diagnostiques ou de rééducation qu'à celui du pronostic. Ce n'est en effet que dans la mesure où l'on pourra répondre à la question «que sont les difficultés d'apprentissage» que nous pourrons ultimement répondre à la question «qui sont les élèves présentant des difficultés d'apprentissage». Devant les ambiguïtés qui marquent le domaine, il n'est pas surprenant que toute l'évaluation des difficultés d'apprentissage soit questionnée. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 33 La réflexion sur la définition et sur l'évaluation conduit à son tour tout naturellement à l'intervention de rééducation menée auprès de ces élèves. L'intervention de rééducation Si les instruments utilisés pour mesurer les difficultés d'apprentissage et les renseignements qu'ils produisent sont utiles aux fins de l'identification et de la classification de ces élèves, ils sont par contre très souvent inutiles à l'intervenante et à l'intervenant. Comme le notent Salvia et Ysseldyke (1991), les instruments mesurant les habiletés scolaires, tels les tests de lecture ou de mathématiques, ne fournissent aucune information pertinente à l'élaboration de programmes éducatifs pour aider ces élèves. Actuellement, il n'y aurait pas, selon Lloyd (1992), de modèle d'intervention de rééducation dans le traitement des difficultés d'apprentissage qui soit complet et intégrateur. On serait plutôt en présence d'un multitude d'interventions. Chacune s'adresse à un aspect particulier du problème mais sans établir de liens avec les autres besoins ou les autres approches de rééducation. Les approches de rééducation en elles-mêmes ne sont pas sans valeur ou mal conçues mais leur focus trop pointu les confine à une solitude où la concertation et la coordination sont rendues très difficiles. Nous avons regroupé ces différentes approches en quatre catégories. Ce sont l'approche behaviorale ou comportementaliste, l'approche cognitivobehaviorale dans les domaines de la lecture et de l'écriture dont l'objectif est de former des apprenants auto-régulés, l'approche pharmacologique et enfin, l'approche centrée sur les processus psychologiques déficients. On a vu Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 34 s'ajouter l'enseignement assisté par ordinateur sans que ce ne soit à proprement parler une nouvelle catégorie puisqu'il s'agit plutôt d'une modalité technique s'inscrivant généralement dans une perspective beheviorale ou cognitivobehaviorale. Chacune des orientations données à l'intervention de rééducation est influencée par un ensemble de décisions. D'abord, le choix d'un objet sur lequel portera l'intervention est le résultat d'une croyance en certains postulats quant à la cause les difficultés d'apprentissage. Par exemple, si l'on estime que les difficultés sont dues à un déficit de l'attention ou de la mémoire, on orientera l'intervention dans ce sens. Ensuite, la forme que prendra l'intervention est à son tour le fruit d'une second ensemble de croyances. Cette fois, c'est l'idée que l'on se fait de l'apprentissage et de son corollaire l'enseignement qui influencera la dimension didactique de l'intervention. Enfin, le pronostic ou les attentes face aux interventions sont fonction d'autres croyances, entre autres celles entretenues à l'égard de la personne et de sa capacité de changement. Devant la complexité de certaines situations d'élèves présentant de difficultés d'apprentissage, Lloyd préconise une méga-rééducation qui mettrait simultanément en action plusieurs interventions chacune visant un aspect du fonctionnement de ces élèves ou visant son environnement scolaire et familial. Les enseignantes et les enseignants sont confrontés à une situation tellement complexe et ambiguë qu'il leur est difficile d'en sortir gagnants. En effet, quelles pistes d'intervention choisir pour aider ces élèves? Quelle compréhension développer à l'égard du phénomène? Comment innover dans les techniques d'enseignement? À toutes ces questions absolument légitimes, Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 35 nous ne pouvons proposer de réponses qui soient sûres et satisfaisantes et qui puissent sans équivoque supporter l'intervention de rééducation. En fin de compte, comment juger de l'efficacité du travail? Comment les enseignantes et les enseignant peuvent-ils évaluer les résultats qu'ils obtiennent avec ces élèves? Dans une telle situation, que peut-on leur dire? Nous croyons que le conseil le plus sage consiste à leur suggérer d'accompagner individuellement et personnellement chaque élève, de développer une approche clinique et de maximiser une intervention pédagogique fondée sur la métacognition. Leur travail devrait en être un qui accepte le doute, les remises en question ainsi que les essais et les erreurs. Quant aux chercheurs et aux responsables de l'organisation des services à ces élèves, travaillons à déculpabiliser les enseignantes et les enseignants. On pourrait le faire d'abord en reconnaissant les limites actuelles de nos connaissances. On peut le faire également en les encourageant à expérimenter des approches d'aide auprès de ces élèves qui soient variées et qui incorporent une évaluation suivie du développement des habiletés cognitives des élèves en lien avec les stratégies d'enseignement utilisées. Nous devons enfin concevoir les difficultés d'apprentissage dans une perspective à long terme. Celles-ci ne sont pas l'apanage exclusif des élèves dans les écoles mais bien le fait d'un grand nombre de personnes de tous âges et de toutes conditions sociales et enfin, de tous les continents qu'ils soient très ou peu favorisés. Conclusion Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 36 Nous achevons ici une exploration incomplète et imparfaite de certains aspects du domaine des difficultés d'apprentissage. Les longues démarches de synthèse sont parfois, sinon souvent, porteuses d'accablement. Prendre conscience de l'ampleur des zones grises entourant un champ d'études que l'on pratique avec passion et dévouement pourrait laisser croire que le travail accompli est bien petit comparativement à tout ce qui reste à réaliser. Quand on regarde derrière soi, on a l'impression que le chemin parcouru est minime alors que devant nous, la route se prolonge à l'infini. On a malheureusement tendance à oublier que quelques dizaines d'années sont finalement bien peu de temps quand on sait ce qu'il faut d'énergie, d'efforts, de patience, de remises en question, de doutes, d'espoirs et de professionnalisme pour construire une connaissance valable. Ce court voyage au pays de la définition des difficultés d'apprentissage se conclue non par des réponses, ce qui serait bien prétentieux, mais par des questions qui auront pour effet, nous l'espérons, de stimuler et de relancer la réflexion. Ces questions, sans être nouvelles, méritent d'être rappelées. Débutons par la plus fondamentale. Qu'entend-on par difficultés d'apprentissage? Quelle est la nature de celles-ci? Quelles sont ses caractéristiques exclusives? Quel est son essence? Existe-il des catégories de difficultés? Il s'agit, avec ses variantes, d'une question fort complexe mais il nous apparaît impossible d'en faire l'économie. La seconde interroge la cause des difficultés d'apprentissage. Peut-on parler d'une cause unique ou de causes multiples? Peut-on chercher la cause Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 37 sans d'abord avoir un modèle théorique? Où chercher la cause? Comment distinguer l'antériorité des symptômes ou comment distinguer entre ceux qui sont primaires donc davantage déterminants et les secondaires qui ne sont que les conséquences des premiers? Peut-on ignorer la composante affective comme cause première des difficultés d'apprentissage? En troisième lieu, ne devrions-nous pas distinguer les évaluations qui servent aux fins d'identification et de classement de celles devant servir aux fins de l'intervention? Ne devrions-nous pas favoriser les évaluations qui se mettent au service de l'intervention de rééducation? Ne devrions-nous pas soumettre à l'évaluation tant les manifestations des difficultés que les pratiques pédagogiques? Il convient ici de reconnaître que les évaluations aux fins de classement demeureront nécessaires tant que restera en vigueur l'approche catégorielle aux élèves présentant des besoins particuliers. Finalement, ne devrions-nous pas tenter de développer une approche davantage holistique face aux difficultés d'apprentissage? Devons-nous attendre que les difficultés soient devenues majeures pour intervenir? Pouvons-nous, face aux difficultés d'apprentissage, présentés par plusieurs catégories d'élèves, limiter nos interventions aux seuls élèves identifiés comme présentant de telles difficultés? L'exercice de la formulation des questions est sans fin. Plus la liste des questions est longue et diversifiée, plus cela oblige l'ouverture de la pensée et inversement. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 38 Nous espérons, par ce court examen des écrits sur la complexe question de la définition des difficultés d'apprentissage et de quelques uns de ses corollaires, avoir suscité un intérêt pour la dimension fondamentale de cette problématique. Au bout du compte, nous souhaitons que les fruits de cette réflexion puissent aider dans leur travail les personnes qui se confrontent quotidiennement à cette réalité et ultimement contribuer à faire en sorte que de meilleurs services soient rendus aux élèves aux prises avec cette très difficile dimension de leur vie. Jean-Pierre Brunet, Ph. D. / email : [email protected] 39 Références BATEMAN, B. D. et CHARD, D. J. (1995). Identifying Students Who Have Learning Disabilities, The Oregon Conference Monograph, vol. 7, 10p. 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