quand les series animees s`emparent de la politique
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quand les series animees s`emparent de la politique
QUAND LES SERIES ANIMEES S’EMPARENT DE LA POLITIQUE “One of Matt Groening’s intentions in creating The Simpsons was to make the audience forget they are watching a cartoon by portraying a fuller range of human emotion than that presented in most live-action sit-coms, emphasizing individual responses to moral dilemmas and specific character traits. In doing so, he is able to convey his own politics through the Simpsons’ daily activities. “(Korte, 1997) Mathilde Arrivé dans son article « L’intelligence des images - l’intericonicité, enjeux et méthodes »1 montre que les Etats-Unis sont marqués par leur culture visuelle tant et si bien qu’on parle de « démocratie visuelle » ou de « civilisation de l’image ». Elle se propose d’analyser les comportements visuels propres à cette culture et notamment les logiques de reproduction et de citation propre à l’intericonicité2 très prégnante aux Etats-Unis. Dans le contexte de la campagne des primaires en vue des élections américaines de 2016, on remarque que les candidats font l’objet d’une prolifération d’images de toute sorte qui alimentent un régime de visibilité parfois confus : c’est ici que la fiction et les séries animées prennent toute leur place. Le journaliste structure et organise la réalité, les récits médiatiques constituent un horizon normatif à part entière. Cependant rien ne garantit l’indépendance, la partialité et la justesse de ces récits. C’est pour remédier à ces problèmes et proposer une autre vision du réel que se développent les récits de fiction. Les séries animées telles que South Park ou Les Simpsons ont cette spécificité de proposer une réflexion sur la campagne et les candidats, en particulier Donald Trump, par le biais du divertissement dans une grande liberté de ton (humoristique). Personnages publics surmédiatisés au discours affirmé, répété et reconnus, les candidats sont l’objet de fiction en ce qu’ils sont reconnaissables d’un regard. Les séries animées notamment au moyen de l’humour tendent à brouiller les frontières entre la fiction et le réel afin d’élargir ce regard posé sur l’actualité politique des élections. Ces fictions permettent de compléter l’information médiatique en proposant une autre vision des élections et des candidats. 1 ARRIVE Mathilde, « L’intelligence des images - l’intericonicité, enjeux et méthodes », E-rea [Online], 13.1, 2015. 2 L’intericonicité est un procédé qui consiste à faire reconnaitre une image connue dans une image nouvelle. Tout en gardant en mémoire notre questionnement autour de l’humour comme moyen de démocratiser la critique politique et d’ouvrir un espace de réflexion accessible au plus grand nombre, notre travail consiste à analyser pourquoi et comment les séries animées South Park et Les Simpsons se présentent comme un prolongement et une relecture critique de l’information médiatique et des candidats à la présidentielle (essentiellement Donald Trump) en vue des élections américaines de 2016 afin de mieux les penser. Pour la série animée Les Simpsons, notre choix de corpus s’est porté sur deux trailers diffusés sur la chaine YouTube de la « Fox Animation » qui est la chaine sur laquelle les Simpsons sont diffusés. On est face à un format particulier mais tout aussi intéressant pour notre analyse car nous sommes installés dans un dispositif similaire à celui des épisodes classique avec le même univers, seulement plus concentré en terme de contenu car plus court. Le premier des trailers s’intitule « Trumptastic Voyage »3, diffusé le 7 juillet 2015. Cette vidéo qui met en scène une rencontre avec le postiche de Donald Trump envoie Homer dans un voyage extraordinaire dans l’univers du candidat républicain. Cette publication s’insère dans le contexte de candidature de Donald Trump pour la nomination présidentielle républicaine. Ensuite, nous avons le trailer « The Debateful Eight »4, diffusé le 20 Février 2016. Cette vidéo est une référence directe aux débats menés entre Républicains et Démocrates dans le courant du mois de Février en vue de la campagne des élections présidentielles américaines de 2016. Marge se réveille après un cauchemar sur les candidats s’accusant les uns les autres lors du débat. Homer conforte alors Marge lui suggérant de rêver d’un monde où les candidats s’entendent. On retrouve ainsi les huit ténors de l’élection (Hillary Clinton, Bernie Sanders, Donald Trump, Jeb Bush, Ted Cruz, Marco Rubio, Ben Carson et John Kasich) d'abord en train de chanter à l'unisson le « How sweet is to be loved by you » de James Taylor, puis engagés dans une violente bagarre de chiffoniers. Les réalisateurs de cette vidéo appuient les singeries des candidats sur des éléments déjà aperçus lors de cette campagne. L’idée principale : la course à l'investiture n'est rien d'autre qu'un jeu de massacre. D’ailleurs, le 3 Youtube, Trumptastic Voyage, publié le 7 juillet 2015, [https://www.youtube.com/watch?v=oz7_JP7ROvA], (page consultée le 7/05/2016). 4 Youtube, The Debateful Eigh, publié le 20 Février 2016, [https://www.youtube.com/watch?v=3CHQlZiJ8YM], (page consultée le 7/05/2016). titre « The Debateful Eight » est un clin d'œil au dernier film de Quentin Tarantino (The Hateful Height) avec association entre « Les Huit Salopards » et les candidats. Nous nous appuierons aussi sur un épisode des Simpson sans pour autant l’analyser, à savoir « Bart to the Future », épisode 17 de la saison 11 diffusé le 19 Mars 2000. Celui-ci relève d’un intérêt particulier pour nous puisqu’il plonge Bart dans son avenir. On découvre alors que sa sœur Lisa, qui est devenue Présidente des Etats-Unis, fait référence à Donald Trump dans son speech et sa crise du budget lors du mandat précédent le sien. Cet épisode fait écho à l’intérêt pour les liens « prophétiques » entre réalité et fiction à travers certains épisodes de ces séries animées. Enfin, pour la série South Park, nous avons choisi de nous intéresser à l’épisode « Where my country gone »5, épisode 2 de la saison 19 diffusé le 23 Septembre 2015 sur la chaine américaine Comedy Central. Cet épisode rebondit sur l’actualité des élections en insistant sur le personnage de Donald Trump. En effet, celui-ci vise à critiquer la campagne de Trump en se moquant de sa politique migratoire. Le candidat Républicain a soulevé les foules lorsqu’il a annoncé sa volonté de construire un mur à la frontière sud du pays afin d’empêcher l’immigration venant du Mexique. Dans l’épisode, nous voyons des habitants se révolter de l’augmentation des immigrés clandestins Canadiens. Nous assistons à des discours incroyablement intolérants jusqu’à ce qu’un candidat décide de construire un mur pour se séparer du Canada. Le seul problème est que, quand ils s’y rendent, le mur est déjà là, construit dans l’autre sens. De l’autre côté du mur, un Canada en ruine est montré. Le président aurait détruit le pays par ses mauvais choix. Ainsi, dans un cadre postapocalyptique, le président est montré: une version Canadienne de Trump. A noter que le titre de l’épisode fait référence au slogan de Donald rump « Make America great again ». Cet article propose une analyse comparative des différents objets du corpus en insistant sur la représentation des discours et des personnages (principalement Donald Trump) de cette campagne au prisme des notions d’intericonicité, d’intermédialité, de re-enactment ou encore d’édutainment. Il convient d’expliciter le caractère universel de ces séries animées en tant que lieu de vraisemblance fédérateur qui initie une relation de promiscuité avec le réel, expression de la vocation anticipatrice de ces séries (avec l’exploration des possibles). Pour ce faire il est nécessaire d’observer quels éléments spécifiques tirés du réel vont être incorporés dans ces 5 SouthParkstreaming, Where my country gone, publié le 23 septembre 2015, [http://south-parkstreaming.com/saison-19/episode-2/where-my-country-gone], (page consultée le 09/05/2016). fictions et quels usages vont en être fait. On pense notamment à la figure de Donald Trump ,véritable caricature de lui-même dans les médias, pour voir de quelle façon South Park et Les Simpson tente de dévier/détourner l’image du candidat. De plus, il parait pertinent d’invoquer la notion de re-enactment spécifique à travers ces séries animée qui mettent en place une relecture de l’actualité politique et des candidats avec une réflexion critique. Pour finir, il faut mettre en lumière la fonction de l’humour au sein de ces séries qui mettent en place une forme d’ « édutainment politique ». A noter que la transversalité des objets du corpus nous amène les solliciter plusieurs fois au sein des différentes parties de notre développement. I- Caractère universel de ces séries animées : lieu de vraisemblance fédérateur qui initie une relation de promiscuité avec le réel Selon Mathilde Arrivé, l’image, par le biais de l’intericonicité, a une fonction rituelle permettant de fédérer les individus6. Les séries animées telles que South Park ou Les Simpson semblent être l’incarnation de la fonction socialisatrice et fédératrice de la pop culture en ce sens qu’elles rassemblent les individus autour de lieux et figures communes présentent dans leurs univers. Elles vont fédérer les individus autour d’une certaine vision des élections et des candidats. C’est ce caractère universel qui permet de créer un lien particulier avec le réel. Ce qui nous intéresse ici c’est la vocation anticipatrice des séries animées qui vise à l’exploration des possibles en lien avec le contexte de campagne. La fiction permet de penser le réel, c’est la forme que nous donnons à notre perception du réel, à nos vérités, pour mieux les comprendre. Aussi la fiction s’inspire toujours du réel. Par ailleurs, il faut préciser qu’avoir recours à la pop culture, c’est assurer de mobiliser un langage que tout le monde comprend. D’ailleurs le récit de fiction doit impérativement être vraisemblable et répondre à des règles de cohérence. La « base », théorisée par Thomas Pavel7, mobilise un monde connu ou compréhensible par le lecteur qu’il soit fictif ou réel. Il est nécessaire de construire des repères avant de développer l’intrigue afin de développer un regard critique. C’est pourquoi les séries comme South Park ou Les Simpson se présentent comme de véritables lieux de vraisemblance qui n’ont pas d’identité propre. C’est ce que Marc Augé appelle le non lieu critique8 qui rassemble car il permet la création d’une identité singulière qui vient puiser dans le réel à travers références et lieux communs. C’est cette volonté d’absence d’identité qui permet l’identification. Ainsi, que nous soyons transportés dans l’univers de South Park ou Springfield, ces villes peuvent toutes être vues comme des microcosmes de la société américaine. C’est ce qui permet aux téléspectateurs de s’identifier aux personnages et de prendre conscience des problèmes de la société américaine et d’y réfléchir. South Park et les Simpsons se présentent comme des non lieux communs permettant de glisser des 6 ARRIVE Mathilde, « L’intelligence des images - l’intericonicité, enjeux et méthodes », E-rea [Online], 13.1, 2015. 7 COULOMB GULLY Marlène et ESQUENAZI Jean-Pierre, « Fiction et politique : doubles jeux », Mots. Les langages du politique 8 AUGE Marc , Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, coll. «La librairie du XXIesiècle», 1992, 149 p critiques de la société et jeter un certain regard sur l’actualité politique et les candidats comme Donald Trump avec une grande liberté dans le registre de l’humour utilisé. De cette façon, ces séries animées vont s’appuyer sur l’identification de figures sociales dans des situations concrètes. Le sujet récepteur va être capable de repérer ces figures dans le récit grâce à leurs caractéristiques identitaires et sociales. L’intégration de la figure de Donald Trump dans des situations fictives permet d’identifier et de réfléchir à la réalité du candidat. La représentation fait alors sens pour le récepteur qui l’identifie car il a déjà fait l’expérience de Trump via les médias d’information au cours de la campagne. Promiscuité / Interface entre réel et fiction C’est cette universalité des séries animées qui permet à celles-ci de se rapprocher du réel et d’anticiper l’avenir. L’épisode des Simpson « Bart to the future » diffusé en 2000 est l’expression des liens « prophétiques » pouvant exister entre réalité et fiction à travers certains épisodes. Ainsi, comme évoqué dans l’introduction, dans cet épisode Bart a une vision de son avenir de « loser ». Ce qui nous intéresse est que sa sœur Lisa en revanche devient la première femme présidente des Etats-Unis en succédant au « président Trump »qui a laissé le pays dans une situation budgétaire dramatique. Le milliardaire avait déjà évoqué à l’époque, son envie de se présenter à la Maison Blanche, et selon l’un des scénaristes interrogé par le Hollywood Reporter, c’était une manière d’envoyer un "avertissement" à l’Amérique : "Et ça nous semblait simplement être la dernière étape logique avant de toucher le fond. On a lancé l’idée parce que ça correspondait avec la vision d’une Amérique qui devient folle"9. On est alors très proche du contexte actuel et de la crainte que suscite une potentielle élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Mais encore, la vidéo « Trumptastic Voyage » met en avant cette idée de promiscuité avec le réel qui aboutit à une forte probabilité de similitudes. Comme on peut le voir ci-dessous, on remarque que la fiction parait être entièrement calquée sur la réalité avec des scènes quasiment similaires notamment le discours de Donald Trump annonçant sa candidature pour les primaires ; même si le détournement 9 RTL.fr, Présidentielle américaine 2016 : la série "Simpsons" annonçait la présidence de Donald Trump en /l'an 2000, publié le 17/03/2016, [http://www.rtl.fr/actu/international/video-presidentielle-americaine-2016-laserie-simpsons-annoncait-la-presidence-de-donald-trump-en-l-an-2000-7782418548], (page consultée le 07/05/2016). humoristique est visible avec le parallèle entre les deux slogans : « America you can be my ex-wife » et « Make America great again ». Ces quelques exemples montrent que ce genre de séries animées sont plus qu’une simple inspiration du réel. Les images sont liées à un contexte social et culturel qu’elles influencent à leur guise. Il existe donc un prolongement de la fiction des séries animées dans le réel. Mais cette idée peut également aller dans l’autre sens puisque ces fictions peuvent avoir un véritable impact sur la vie réelle. En effet, suite au succès de Donald Trump lors du Super Tuesday du 1 er mars dans la course à l’investiture républicaine, un phénomène de ruée des Américains sur Google pour taper la recherche « comment émigré » a été constaté : «Vers minuit, la hausse de la recherche a atteint 1 150 % [par rapport à la moyenne du jour], explique le site d’information Mashable, avant de se stabiliser autour de + 500 % dans les heures suivantes. »10 Dans le même esprit, une petite île canadienne est devenue célèbre il y a quelques jours en offrant l’asile aux Américains en cas de victoire de Donald Trump. Ce phénomène peut paraitre anodin sauf qu’il n’est pas sans rappeler l’intrigue de l’épisode « Where my country 10 COurrierinternational.fr, Trump déclenche un pic de requêtes « comment déménager au canada ? », publié le 03/02/2016, [http://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-trump-declenche-un-pic-de-requetescomment-demenager-au-canada], (page consultée le 08/05/2016). gone » de South Park. Dans celui-ci, des habitants se révoltent de l’augmentation des immigrés clandestins Canadiens jusqu’à ce qu’un candidat, en la personne de Mr Garrison, décide de construire un mur pour se séparer du Canada. Le problème est que ce mur a déjà été construit dans l’autre sens, la faute à un président canadien nouvellement élu qui aurait causé la destruction du pays et la fuite de ses habitants : une version Canadienne de Trump. On retrouve donc une inversion de l’intrigue de South Park dans la vie réelle avec un pic de requête « comment immigrer au Canada » de la part des Américains qui coincide avec le succès de Trump lors du Super Tuesday. Nous reviendrons plus tard sur cette vocation « alarmante » des séries animées vis-à-vis de la potentielle élection de Donald Trump. De plus, plus récemment, toujours aux Etats-Unis, un site de rencontre vient d’être créé pour trouver l’amour au Canada et fuir Trump. En effet, Maple Match 11 promet aux Américaine de leur faire « rencontre facilement le Canadien idéal afin de les sauver de l’insondable horreur d’une présidence Trump ». Ce phénomène n’est pas sans rappeler ce que l’on vient d’expliciter plus haut sauf qu’il est aussi nécessaire de le relier à un autre élément de 11 LePoint.fr, États-Unis : un site de rencontre pour trouver l'amour au Canada et fuir Trump, publié le 10/05/2016, [http://www.lepoint.fr/high-tech-internet/etats-unis-un-site-de-rencontre-pour-trouver-l-amour-aucanada-et-fuir-trump-10-05-2016-2038251_47.php], (page consultée le 13/05/2016). l’intrigue de ce même épisode. Effectivement, à un moment donné, les principaux protagonistes de South Park sont à table et discutent de la proportion croissante des élèves canadiens avant qu’Eric Cartman évoque l’idée d’une conspiration. Sa solution ? Aller à la rencontre d’une canadienne pour tomber amoureux d’elle afin de mettre fin à tout cela et d’éviter toute rébellion. C’est d’ailleurs le personnage de Butters qui est désigné, ce qui lui permet par ailleurs de discuter avec les parents de sa petite amie canadienne qui lui expliquent de quelle façon leur président, la version Canadienne de Trump, a mené leur pays à sa perte, élément sur lequel nous reviendrons par la suite. Exploration des possible et anticipation critique de l’avenir C’est cette relation particulière que ce genre de fictions entretient avec le réel qui permet aux séries animées d’offrir au public une anticipation de l’avenir en s’inspirant de l’actualité médiatique relative à la campagne des primaires pour les élections américaines de 2016. On retrouve cette vertu heuristique de façon marquée, toujours à travers ce même épisode de South Park, où l’on fait directement allusion à la politique que Trump entend mener contre l’immigration mexicaine. Depuis le début de sa campagne, Donald Trump défend une politique anti immigration vis-à-vis du Mexique. D’ailleurs, il n’hésite pas à affirmer sur son site de campagne vouloir construire un mur entre le Mexique et les EtatsUnis pour mettre fin à cette immigration illégale. L’épisode de South Park va rebondir sur cette actualité en critiquant la campagne de Donald Trump en détournant sa politique migratoire. Les histoires racontées dans ces séries sont basées à la fois sur des éléments calqués sur la réalité et des éléments fictifs. De ce fait, les personnalités publiques ou politiques sont souvent dépeintes mais les histoires racontées n’ont pas toujours de lien direct avec la réalité. Pour notre épisode, on s’appuie sur une histoire fictive qui s’apparente au discours de Trump sur l’immigration en le détournant à travers l’univers de South Park avec ses protagonistes et sa propre intrigue. Dans un premier temps, South Park cadre dès les premières minutes le sujet central de l’épisode que l’on reconnait immédiatement lorsque Mr Garrison prend la parole : « Vous Voyez ? Voilà pourquoi ça nous arrive. Tout le monde prêche l’ouverture et l’acceptation et il y a désormais des millions de putain d’immigrants qui arrivent à nos frontières et tout le monde s’en fout ! » Puis la discussion continue autour de la table au sujet des « immigrants illégaux », avant que Mr Garrison ne reprenne : « C’est comme si tout le monde s’en foutait, ils continuent de venir, passent la frontière avec leur sale famille en jouant leur musique stupide. Regardez moi ça ! Je parie qu’aucun d’entre eux n’est là légalement ». Ensuite vient la phrase qui termine de définir le sujet de l’épisode « On aurait du construire un mur ». L’intermédialité12 est parfaitement visible ici puisque l’on s’inspire du discours de Trump sur 12 L'intermédialité est une approche conceptuelle qui s'intéresse aux relations et aux interactions à l'intérieur d’œuvres ou de pratiques multimédias, entre des médias distincts. l’immigration mexicaine et le projet de construction d’un mur afin de l’adapter à l’univers de South Park avec les Canadiens. Cette intermédialité prend de l’ampleur lorsque Mr Garrison entame sa chanson « Where my country gone » qui fait écho au slogan de Donald Trump « Make America Great again ». On va s’inspirer du discours de Donald Trump tout en l’adaptant à l’intrigue de la série. Paroles de la chanson « Where my country gone » tirées de l’épisode de South Park « Où est parti mon pays ? C’était le pays des opportunités que l’on tenait pour cher. Mais maintenant tous ces connards nous envahissent. Mais où est parti mon pays ? Il était encore là il y a genre deux secondes. Quand ils ont dit qu’ici c’était le pays des gens libres je suis quasi sur qu’ils parlaient de moi. Et mon pays est parti. Il s’est fâché et il a foutu le camp. Il a fallu 43 présidents pour nous rendre grands, et rien qu’un noir pour tout réduire à néant. Pays disparu ! Dites lui s’il vous plait qu’on a besoin de lui à la maison, qu’il y a un trou sans fond dans le sceau de la liberté parce que quelqu’un a oublié d’envoyer se faire voir les étrangers et maintenant ils sont tous à se balader dans mon jardin. Et maintenant ils sont tous en train de détruire ma chanson en la faisant sonner comme du Chuck Mangione. Mais où est parti mon pays ? C’est alors que le fameux mur fait son apparition : le journal télévisé annonce qu’un mouvement prend de l’ampleur ; un activiste politique, en l’occurrence Mr Garrison, propose une solution pour lutter contre l’immigration canadienne et rendre gloire à la nation américaine « Une fois qu’on les aura tous *** jusqu’à la mort, nous construirons un grand mur et si quelqu’un passe ce mur, on *** jusqu’à la mort lui aussi ». A ce moment là, on retourne sur plateau et le présentateur annonce qu’un mur a déjà été construit « CNN confirme que le canada a déjà construit un mur pour nous empêcher d’entrer ». Les activistes se rendent alors vers ce mur afin de trouver le moyen de le franchir pour comprendre ce qu’il se passe de l’autre côté et qui est ce mystérieux président à l’origine de sa construction. A noter qu’à la fin de l’épisode, Mr Garrison est acclamé pour ce qu’il a accompli et il annonce vouloir continuer sa politique jusqu’à la Maison Blanche. On se trouve donc face à une superposition exacte sur l’actualité politique à savoir la campagne des primaires. On retrouve la problématique de la promiscuité dun réel. Avec cet episode, on se concentre plus sur le discours de Trump vis-à-vis de l’immigration en le détournant afin de faire émerger une réflexion critique sur ce type de discours mais aussi plus généralement sur l’élection d’un président capable de construire un mur entre deux pays pour lutter contre cette immigration. Ce qui nous intéresse ici c’est d’avoir d’un côté Mr Garrison, personnage fictif de South Park qui incarne le discours de Trump dans la vie réelle alors que l’on retoruve une représentation de Donald Trump en tant que président dans l’épisode. Le discours sur l’immigration sert enfaite de fil conducteur et livre une réflexion avec Trump Canadien qui a déjà construit son mur. C’est l’univers des séries animées en tant que non lieu critique qui permet ici d’intégrer le discours de Trump en le détournant afin de le penser autrement. Il s’avère alors que ce président n’est autre qu’une version canadienne de Donald Trump. Ainsi, avec cet episode, on se concentre plus sur le discours de Trump vis-à-vis de l’immigration en le détournant afin de faire émerger une réflexion critique sur ce type de discours mais aussi plus généralement sur l’élection d’un président capable de construire un mur entre deux pays pour lutter contre cette immigration. Ce qui nous intéresse ici c’est d’avoir d’un côté Mr Garrison, personnage fictif de South Park incanrnat le discours de Trump dans la vie réelle, face à une version canadienne de Trump en tant que président dans l’épisode. Le discours sur l’immigration sert enfaite de fil conducteur et sert une réflexion plus poussée sur les dangers d’une potentielle élection de Trump en montrant les effets d’une politique de tolérance zéro. II- Re-enactment spécifique de l’actualité politique relative aux élections américaines de 2016 Aux Etats-Unis, les campagnes fonctionnent bien différemment que ce que nous avons l’habitude de connaître, tout est à plus grande échelle. Chaque candidat sort plusieurs nouveaux spots de campagnes tous les mois, les campagnes sont beaucoup plus longues, les candidats plus nombreux et le moindre événement politique se transforme en spectacularisation médiatique. Le traitement médiatique classique va même utiliser la fiction pour parler du réel. Ces campagnes sont donc le fruit d’interactions entre la fiction qui se nourrit du réel et le réel de la fiction par un processus d’intericonicité et d’intertextualité13. Les séries animées comme South Park ou Les Simpson se présentent comme les portes paroles d’un prolongement et d’une relecture critique de l’actualité en puisant dans les différentes ramifications du discours politique de chaque candidat, ainsi que leurs représentations. De cette façon, on peut dire qu’elles proposent une certaine forme de re-enactment14 spécifique de l’actualité politique visant à faire émerger une réflexion critique chez le public en s’appuyant sur des éléments distinctifs tirés du réel. Notre travail consiste à analyser la façon dont les séries animées South Park et Les Simpson citent et recontextualisent les images réelles de Donald Trump et des élections pour concevoir un récit qui permet de mieux appréhender le discours du candidat tout en proposant une version alternative et réflexive qui dépasse le cadre du réel. 13 L'intertextualité est le caractère et l'étude de l'intertexte, qui est l'ensemble des textes mis en relation dans un texte donné. 14 Ce phénomène social et concept en sciences sociales et en histoire consiste en une reconstitution spécifique des événements du passé qui ne doit et ne veut pas se confondre avec l’idée d’une réactualisation ou reprise fidèle de ces derniers, mais comme une « revitalisation », pour reprendre la notion de Pierre Nora. Le reenactment peut etre aussi une relecture critique et créative, artistique, qui relit l’histoire ou l’actualité déjà écrite, parfois avec un caractère de contre récit, en récupérant par exemple des images, des textes, des documents dans les discours médiatiques. Re-enactment du discours politique de la campagne La vidéo des Simpsons « The Debateful Eight » présente un intérêt particulier dans la mesure où elle est une référence directr aux débats menés entre Républicains et Démocrates dans le courant du mois de Févier en vue de la campagne des élections présidentielles de 2016. On retrouve les huit principaux protagonistes d’abord en train de chanter à l’unisson « How sweet is to be love by you » de James Taylor avant de s’engager dans une violente bagarre de chiffonniers. Il est intéressant d’observer sur quels éléments aperçus lors de la campagne les réalisateurs de cette vidéo se sont appuyés afin d’appréhender les discours des candidats. Tout d’abord, il est pertinent de noter que l’intermédialité s’exprime par une incrustation du réel avec les paroles tirées des véritables débats des différents candidats énoncés par leurs homologues fictionnels. Ici c’est Donald Trump qui prend la parole et fait des éloges à l’égard de Ted Cruz. Puis Ted Cruz renchérit avec des éloges à propos de Bernie Sanders. On est face à une vision utopique et ironique du débat présidentiel. Puis on bascule dans la réalité avec les candidats qui commencent à se faire des réflexions et à s’engager dans une bataille verbale : on s’appuie sur une caractéristique particulière des différents candidats issue de la réalité médiatique pour en faire des archétypes. Ici, Donald Trump prend la parole « J’étais parfait mais le reste d’entre vous, crétins, étiez plat », avec la marque des lunettes de bronzage autour des yeux. Ted Cruz répond en retour « Plat, ou plat cassé comme tes casinos ? ». Donald Trump rétorque alors en disant « Plat comme les prairies canadiennes où tu es né » avant de soulever la veste de Cruz pour montrer que sa théorie est vraie : on voit apparaitre une fleur d’érable rouge décorée sur le dos de la chemise de Cruz. On s’inspire directement des faits issues de la campagne que l’on intègre dans l’univers des Simpson : il s’agit ici de la question de la légalité de la candidature de Ted Cruz qui est né au Canada15. Puis on bascule sur Marco Rubio que l’on voit bouger tel un automate avec en fond un discours de lui-même tiré de la vie réelle à propos d’Obama qui sait « exactement ce qu’il fait ». Trump vient retirer le disque du dos de Rubio répétant inlassablement cette même phrase, ce dernier s’arrêtant donc avant de sortir un « Oups ! ». On fait référence ici aux « bugs » de Rubio lors du débat du 6 Février 2016 avant les primaires du New Hampshire au cours duquel le sénateur de Floride a répondu complètement à côté d'une question en répétant quatre fois de suite les mêmes éléments de langage16. 15 Slate.fr, Pour Donald Trump, que Ted Cruz soit né au Canada peut-être un problème, publié le 07/01/2016, [http://www.slate.fr/story/112423/trump-cruz-canada ], (page consultée le 10/05/2016). 16 Arretsurimages.net, US / Primaires : la presse guette les bugs de Rubio, publié le 10/02/2016, [http://www.arretsurimages.net/breves/2016-02-10/US-Primaires-la-presse-guette-les-bugs-de-Rubio-id19662], (page consultée le 10/05/2016) Pendant ce temps, Clinton étrangle Sanders avec son brin de perles en grondant « Goldman Sachs te dit bonjour ! » alors que Sanders halète « Hillary, si je suis élu, me diras tu quoi faire ? ». Il s’agit là de la polémique des 600 000 euros perçus par Hillary Clinton en 2013 pour donner des conférences devant les membres de la banque d'investissement Goldman Sachs utilisé par son adversaire Bernie Sanders17. 17 U.S.Uncut, Hillary Clinton Earned More from One Speech Than Bernie Sanders Did in One Year, publié le 15/04/2016, [http://usuncut.com/politics/hillary-clinton-goldman-sachs-speech/], (page consultée le 10/05/2016). Les processus d’intermédialité et d’intertextualité permettent d’intégrer le réel médiatique, à savoir les discours des différents candidats de la campagne, dans le dispositif fictionnel de la série animée Les Simpson : on accentue les traits et ou scandales associés aux différents candidats pour les moquer afin de mieux les penser. La promiscuité avec le réel à travers l’insertion des véritables discours des candidats renforce la proximité entre la fiction et la réalité. Quelle représentation de Trump dans les séries animées South Park et Les Simpsons ? L’intégration de l’image de Trump au sein de ces séries animées permet de réaliser à quel point ce dernier s’insère si bien dans un univers fictif. Il convient alors d’étudier quelles caractéristiques de la figure de Donald Trump vont être convoquées dans les univers de South Park et des Simpons et dans quelle but. Loufoquerie de Donald Trump En tête d’affiche, on insiste surtout sur la loufoquerie du personnage de Trump. C’est d’ailleurs sa chevelure qui incarne parfaitement cette caractéristique du candidat. Elle devient même l’archétype de la représentation médiatique de Trump puisqu’elle porte en elle un aspect « show off » qui joue un rôle significatif pour la figure du candidat républicain. Cette caricature de l’aspect spectaculaire de Trump qui ne se prend pas au sérieux tend à disqualifier et discréditer le rôle politique réel du candidat et mettre en garde le rôle qu’il compte jouer. Encore une fois, la fiction tente de rendre crédible la figure de Trump par la réintégration de ce dernier dans un autre univers afin de court-circuiter le pouvoir d’autodérision de celui-ci qui vise à désamorcer la critique humoristique en se présentant luimême comme une caricature. Cela permet de poser un regard critique sur la réalité du candidat qui parait plus vrai dans la fiction. Donald Trump et sa politique migratoire Le trailer des Simpsons « Trumptastic Voyage » est principalement axé sur la personne de Trump. On nous présente une sorte de carte d’identité du personnage en insistant sur certains traits de caractère particuliers en jouant sur l’intericonicité. Homer se retrouve en face à face la chevelure de Donald Trump et, après hésitation et discussion en interne, il décide de la toucher et cette chevelure l’attrape et l’embarque pour un voyage fantastique dans l’univers de Trump. Durant ce voyage, on découvre plusieurs éléments marquants de la vie de Donald Trump toujours détournés dans un ton humoristique. Parmi ceux-ci, on reconnait par exemple l’épisode de son renvoi de la chaine américaine NBC 18 à la suite désobligeantes sur les immigrants mexicains. de ses déclarations La chaine a même annoncé qu’elle ne diffuserait plus les concours Miss Univers et Miss USA habituellement préparés en partenaiat avec le milliardaire. On retrouve aussi les déboires du candidat avec la chaine de vêtement Macy’s19, suite à des déclarations similaires. La société a mis fin au partenariat avec le candidat qui a demandé par la suite le boycott de la chaine de vêtement. Par un processus d’intericonicité couplé au détournement des Simpson par l’ironie, la série parvient à glisser une critique envers Trump et ses déclarations concernant l’immigration mexicaine. 18 Huffingtonpost.fr, Donald Trump et ses propos racistes enragent la chaîne NBC qui le renvoie et prive ainsi les Américains de Miss USA, publié le 30/06/2015, [http://www.huffingtonpost.fr/2015/06/30/donald-trumpnbc-renvoie-miss-usa-miss-univers_n_7693452.html], (page consultée le 10/05/2016). 19 Fortune.com, Donald Trump Renews Attacks on Macy's, [http://fortune.com/2016/02/23/macys-trump/], (page consultée le 10/05/2016). publié le 23/02/2016, Trump le machiste Par la suite, on retrouve des éléments spécifiques qui évoquent une opposition entre la virilité et la féminité que l’on peut interpréter comme le symbole du sexisme et du machisme de Donald Trump. Ainsi, durant son voyage, Homer croise l’aviatrice Amelia Earhart, un des symboles de la réussite féminine puisqu’elle est la première femme à traverser l’Atlantique en avion, qui est en train de se remaquiller, en opposition à une figure semblable à un gorille sauvage et viril. D’après l’intervention de Nelly Quemener, cette monstration de l’excès de virilité de Trump permet de pointer la dimension artificielle de l’autorité de ce dernier afin de le disqualifier. Trump le rusé De plus, on retrouve une figure assez énigmatique représentant un mime habillé aux couleurs du drapeau américain, d’apparence plutôt malicieuse avec un sourire mesquin entouré de plusieurs chimpanzés portant la même chevelure que Donald Trump. Tous les personnages sont rassemblés autour d’une stèle noire avec une main posée dessus. La référence est subtile puisque l’on reconnait la stèle du film L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Le monolithe représente la première étape de la transformation vers le surhumain, il s’agit d’une référence à Nietzche et de la première étape pour sortir de l’aliénation. Il y a même une mise en abime avec la stèle qui est semblable à un domino, ce qui évoque une certaine reproduction du mouvement, un côté suiveur. On peut interpréter cette figure comme une mise en alerte à l’encontre de Trump qui continue de rassembler un certain nombre d’adeptes autour de lui. Trump le milliardaire Enfin, on retrouve à travers les différents objets du corpus des références à la richesse de Trump et à la notion de possession. Dans « Trumptastic voyage », un monsieur vient interroger Homer pour savoir s’il veut bien signer un formulaire et prétendre être un partisan de Trump pour de l’argent « Can You hold me a sign ? – You know it ! – You want 50 box ? – Wouhou ! ». Homer se retrouve alors pris dans une manifestation avec des partisans de Donald Trump qui tiennent dans leurs mains des pancartes « Paid » et « Vote ». On est directement plongé dans ce rapport à l’argent que l’on associe directement au candidat républicain. Le message sous-entendu est alors : « Donald Trump achète ses partisans ». A la fin de son voyage extraordinaire, Homer est éjecté dehors par les gardes du corps de Trump mais il est parvenu à capturer un cheveu provenant du milliardaire, cheveux entouré d’une aura de lumière qui s’envole en direction de la tour « Trump ». Cette scène n’est pas sans rappeler l’adage « Il faut rendre à César ce qui appartient à César » ou plutôt ici « Il faut rendre à Trump ce qui appartient à Trump ». On est toujours dans ce rapport à l’argent exprimé ici par la figure de la chevelure de Trump qui se trouve magnifié et qui revient à lui vers son building. On retrouve d’ailleurs ce building dans South Park lorsque Mr Garrison parvient à atteindre le Canada qu’il retrouve désert et abandonné, sauf une tour géante qui s’avère être le QG de la version canadienne de Trump. Ces différents éléments tirés de l’univers de South Park et des Simpsons sont principalement axés sur la personne de Donald Trump. Ils insistent sur des caractéristiques particulières personnelles du personnage mais aussi de la campagne. Ce qui est important encore une fois, c’est de voir que l’on s’appuie sur des traits provenant des médias et du personnage médiatique de Donald Trump. On est encore dans cette idée de prolongement du réel par des processus d’intericonicité et d’intermédialité qui forme une relecture spécifique du personnage. Ces séries animées forment des archétypes de Trump visant à moquer le candidat au moyen de l’humour spécifique de l’univers dans lequel on l’intègre. Une nouvelle fois, l’essentiel n’est pas de lier Trump à un personnage fictif mais de l’intégrer dans un univers où l’ironie permet la critique de son discours politique. La présidence des Etats Unis implique des responsabilités considérables, montrer que Trump est un stéréotype fictif c’est dénoncer son incapacité à gouverner dans une situation réelle. III- Edutainment politique : l’humour des séries animées au service de la relecture critique de l’actualité politique des élections Les fictions politiques se présentent comme un espace de reconfiguration du politique et de la politique. Quand elle donne des pistes de réflexions et des clefs de compréhension sur des questions politiques, peu importe l’univers, elle traite le politique20. Ce qui nous intéresse ici, c’est le rôle des séries animées dans ce processus de relecture critique de l’actualité par le biais du divertissement : une certaine forme d’ « édutainment politique ». Le principe d’ «édutainment » peut être un moyen très efficace d’aborder des thèmes à caractère social ou politique dans les émissions de fiction. Il convient de s’intéresser à l’humour , omniprésent dans ces récits, qui a non seulement des vertus cathartiques permettant de tourner en dérision le politique mais qui est également au centre de ce processus critique en mettant à distance des objets réels, afin de faire émerger de véritables réflexions critiques. Il peut alors être envisagé comme un véritable acte politique car il suggère une volonté politique. Ici, il génère une pensée critique sur les primaires américaines mais surtout une prise de conscience envers le candidat républicain Donald Trump. Les séries animées South Park et les Simpson se présentent alors comme de véritables véhicules politiques à vocation critique. La satire pour discréditer le discours de Trump Au-delà de l’accumulation de moqueries et parfois de grossièretés, les séries comme South Park ou Les Simpsons sont avant tout une satire de la société américaine avec une liberté de ton absolument inédite qui leur permet d’offrir une critique sans limites. Comme le soulignent plusieurs auteurs qui se sont intéressés à l’humour, dont Sigmund Freud (1960) et Mikhail Bakhtine (1984), des formes d’humour comme la satire, l’ironie, le cynisme ou la parodie permettent de susciter la réflexion, l’analyse et la critique à l’égard des discours dominants ou de certaines normes. Les travaux de Jonathan Gray, Jeffrey Jones et Ethan Thompson sur la satire politique dans les produits de la culture populaire montrent qu’elle est une forme d’humour et de communication qui permet de se conforter au pouvoir et de le remettre en question. Ils définissent la satire politique comme « une forme d’agression 20 COULOMB GULLY Marlène et ESQUENAZI Jean-Pierre, « Fiction et politique : doubles jeux », Mots. Les langages du politique verbale ou visuelle servant à exposer le caractère ridicule d’une réalité sociale ou d’un acteur politique, à porter un jugement sur ceux-ci et à promouvoir certaines normes sociales ou politiques »21. Ces séries sont des cas d’étude intéressants à cet égard car on s’y moque régulièrement des positions de divers acteurs politiques, du caractère prétendument ridicule de leurs positions ou encore de l’absurdité de certains débats de société. Dans l’épisode de South Park « Where my country gone » dont le titre fait référence au slogan du candidat républicain « Make America great again », on va moquer la politique migratoire de Trump afin de créer un effet miroir pour retourner sa politique contre lui. Cet épisode réitère également les blagues préexistantes sur la brusquerie et la xénophobie de Trump. Lorsqu’on aperçoit pour la première fois la version canadienne de Trump reconnaissable par sa chevelure atypique, celui-ci s’exprime de façon vulgaire avec une pointe d’homophobie : « Si des gens veulent quitter ce pays laissez-les ! Vous pouvez dire à ces pédales d’homo qu’ils peuvent me sucer les couilles. Et dites au premier ministre chinois qu’il peut me sucer les couilles ! Oh et Mr Johnson ? Mr le Prédisent ? Sucez-moi les couilles ». Le processus est le même pour les Simpson qui va insister d’avantage sur des éléments caractéristiques du personnage de Trump, ceux qui ressortent le plus notamment dans les médias, et on les détourne pour installer une portée critique. Dans la vidéo « The Debateful Eight », après que l’ensemble des candidats aient entamé la chanson « How sweet is to be loved » en chœur, on aperçoit Donald Trump qui se lance dans une démonstration de breakdance en usant de son gel pour les cheveux afin de tourner sur la tête sur le plancher. Cet épisode parait anodin sauf qu’il exprime une volonté de distinction de la part de Trump par 21 GRAY Jonathan, JEFFREY P. Jones et ETHAN Thompson (sous la dir. de), , Satire TV : Politics and Comedy in the Post-Network Era, New York, New York University Press, 2009. rapport au reste des candidats que l’on retrouve dans la vie réelle. Cette séquence met en lumière l’égo surdimensionné de Donald Trump qui se met en scène comme dans un spectacle. Néanmoins, on remarque la plupart du temps que ce genre de moquerie ne fait que réitérer des blagues préexistantes sur la personne de Trump. D’autant plus que ce dernier désamorce la critique humoristique au moyen d’une « je m’en tape attitude » quasiment imbattable. En effet, on pourrait penser que ces séries animées ne font qu’alimenter la popularité du candidat qui s’appuie sur l’auto parodie pour nourrir sa communication. Il est difficile de critiquer un personnage qui est déjà un cartoon dans la vraie vie. Mais l’humour au sein de ces séries peut aussi être un moyen de faire émerger un véritable questionnement politique en tournant le réel en dérision. L’humour des séries animées comme lanceur d’alerte En effet, l’humour à travers ces séries animées peut s’avérer efficace lorsqu’il s’agit de produire une figure repoussoir du discours politique de Trump et de faire réfléchir aux conséquences d’une potentielle élection de ce dernier. Ces « alertes » peuvent alors prendre différente formes dans l’intensité de la critique émise. Dans « Trumptastic Voyage », cette critique demeure succincte et peu visible mais bel et bien présente. Ainsi, au début de la vidéo, lorsqu’un monsieur vient interroger Homer pour savoir s’il veut bien lui signer un formulaire pour prétendre être un partisan de Trump, celui-ci lui demande en plus s’il se soucie du prochain président qui sera élu. Ce passage est important car il est l’expression d’un discours alarmiste concernant la crédibilité de Donald Trump en tant que futur président. Ensuite, lorsque l’on retrouve Homer plongé dans l’univers de Trump, on voit celui-ci survoler dans un premier temps la statut de la liberté, symbole de la nation américaine et peutêtre de la présidence, ensevelie avec un panneau « Trump » associé à des années qui défilent « 2016 », « 2020 », « 2024 ». On retrouve cette figure de la statut de la liberté postapocalyptique dans pleins de fictions (Ex : film Le Jour d’après) ; on peut alors interpréter cela comme les années de réflexion de Donald Trump quand à la possibilité de candidater au poste de président des Etats-Unis mais aussi une critique à l’encontre de la possible élection de ce dernier avec une détérioration du pays. La critique la plus cinglante se trouve dans l’épisode de South Park « Where my country gone » qui nous met en garde : il ne faut pas toujours rire des blagues et considérer sérieusement les candidats car le pire peut toujours arriver. L’épisode vise à moquer la politique de Trump et son idée de la construction d’un mur à la frontière mexicaine mais il montre aussi les effets d’une politique de tolérance zéro et les conséquences que cela suggère. Dans l’épisode, une scène importante montre un canadien qui explique de quelle façon ils ont laissé la version canadienne du président Trump se faire élire. On est dans la maison de la nouvelle copine canadienne de Butters et tout le monde est à table. Petit à petit, on voit le discours apparaitre : « Vous ne voulez pas être ici ? - Pourquoi voudrions nous etre ici, le Canada est la plus grande nation sur terre nous avons tout ce que nous voulons. - Mais alors pourquoi être parti ? ». S’en suit un discours du père qui se lève de table et raconte une histoire : « il y avait plusieurs candidats pendant les élections canadiennes. L’un d’entre eux était ce trou du cul impétueux qui disait ce qu’il pensait. Il n’a jamais vraiment proposé aucune solution. Il disait juste des chose outrageuses. On trouvait ça marrant. Personne n’a jamais pensé qu’il deviendrait un jour président. C’était une blague. Mais on a laissé la blague durer trop longtemps. Il a continué à gagner de l’avance et avant qu’on soit tous prêt à dire « Ok soyons sérieux un instant. Qui devrait vraiment être Président ? ». Il avait déjà prêté serment pour le Bureau. On ne faisait pas attention. On ne faisait pas attention ! ». C’est le moment où Butters face à cela lance « A quel point un président peut-être mauvais ? ». Cette scène est très intéressante car on parvient à détourner le réel et à le prolonger à travers l’univers de South Park afin de susciter une vraie réflexion critique par le biais d’une mise garde à l’encontre des conséquences possibles de l’élection de Trump à la présidence. On est de nouveau ici au cœur de la portée anticipatrice et heuristique de la série. Cette mise en garde est complétée par le discours moralisateur récurrent du personnage de Kyle qui souhaite faire réfléchir sur les modalités du discours de Trump : « Attendez Stop ! ce n’était pas moi ! Ce n’était pas moi qui ai amené les Canadiens ici ! C’était à cause de choses comme celles-ci ! Vous ne voyez pas ? Si on a bien appris quelque chose, c’est qu’il faut arrêter ce genre de politiques sensationnalistes, avant que la même chose nous arrive, parce qu’on aura laissé ce genre de… ce … genre de choses … » et il ne termine pas son discours, ne trouvant pas les mots, les personnes dans l’assemblée restent bouche-bée. Cette incapacité à nommer « ce genre de chose » est tout aussi importante puisqu’elle exprime la difficulté à désigner la politique menée par Donald Trump et ce que cela peut donner concrètement dans un futur proche. Cet épisode est intéressant dans la mesure où il fait émerger une réflexion sur l’élection d’un président, en la personne de Donald Trump, capable de construire un mur entre deux pays pour lutter contre l’immigration et de mener son pays au chaos. On produit ainsi une certaine forme de figure repoussoir de Trump en affichant les conséquences possibles de son élection. L’humour permet ainsi de rendre visible et de générer une critique à l’encontre de l’actualité politique actuelle et du candidat Donald Trump tout en conservant une fonction divertissante et cathartique. Le pouvoir consensuel du langage humoristique associé à la popularité de ces séries animées constitue un moyen efficace de lutter contre l’auto dérision du candidat pour laisser place à une réflexion plus sérieuse. Conclusion La fiction ne connait pas les contraintes du récit d’information. En s’inspirant de tout ce qui ne peut être développé par ces derniers, elle parait plus authentique. Ainsi, avec les séries animées, on assiste à une inversion des polarités où le fictionnel peut devenir porteur de vérité pour le public. Les croyances en la véracité de la fiction sont renforcées par les procédés de scénarisation qui tendent de ce fait à brouiller la frontière entre les genres. Les séries South Park ou Les Simpsons sont des lieux de vraisemblance qui créent ainsi un pont entre fiction et réel. Un dialogue s’instaure alors entre les différentes instances discursives publiques. De cette façon, Donald Trump n’est pas moins vrai dans les Simpsons qu’il ne l’est sur Twitter et son discours prend parfois plus de sens dans un espace discursif fictionnel. Donald Trump porte en lui un fort capital symbolique, ce qui en fait à la fois une icone et une figure médiagénique22. L’utilisation du registre de l’humour permet de détourner et de moquer le réel et cette représentation de Trump pour mieux l’apprivoiser et mieux la comprendre. On montre que Trump est finalement plus crédible dans un univers fictif que dans la vie réelle de part son extravagance outrancière. Mais ces séries se livrent aussi à des critiques plus profondes sur la crédibilité de l’élection d’un tel personnage. Les séries animées parviennent par le biais du divertissement à répondre aux attentes de l’auditoire tout en l’incitant à réfléchir sur les grands enjeux politiques. Tel est l’enjeu de ces fictions : tourner en dérision le politique tout en créant du lien social. Plus que de simples objets de divertissement, ces séries offrent ainsi un espace discursif singulier où l’humour permet d’installer une autre grille de lecture de l’actualité politique et des candidats en vue des élections américaines de 2016, véhiculant ainsi des discours éminemment politiques. 22 Le concept de médiagénie est définit par l’auteur Philippe Marion en 1991 qui l’explicite notamment dans son article Narratologie médiatique et médiagénie des récits. Philippe Marion présente la médiagénie comme la désignation de tout objet qui possède une facilité de réception et qui se trouve mis en valeur dans les médias