Nouvelle méthodologie de recueil et de traitement de données,
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Nouvelle méthodologie de recueil et de traitement de données,
Nouvelle méthodologie de recueil et de traitement de données, en vue de faciliter un changement dans une organisation : Illustration à partir d’une étude portant sur l’amélioration de la sécurité d’une installation à hauts risques. G. Le Cardinal, J-F. Guyonnet, B. Pouzoullic, UTC Costech, E. Plot, INERIS [email protected] [email protected] [email protected] [email protected] L’amélioration du fonctionnement des organisations est une préoccupation constante du Management, lequel procède régulièrement à des audits, de manière à proposer les changements visant à rationaliser l’activité. Recueillir, à cette occasion, l’avis des acteurs de terrain pour les associer aussi bien à l’analyse qu’aux préconisations d’amélioration n’est pas encore une pratique courante. Après avoir décrit une nouvelle méthodologie de recueil et de traitement de données, appelée PAT-Miroir, notre objectif est ici, d’une part, d’en expliciter les fondements épistémologiques et, d’autre part, d’en montrer la pertinence pour un management réellement participatif. Enfin, nous illustrerons cette démarche par les résultats obtenus lors de son application à l’amélioration de la sécurité d’un atelier de dépotage présentant des risques majeurs. - Introduction L’amélioration du fonctionnement des organisations est une préoccupation constante du Management qui procède régulièrement à des audits, de manière à proposer des changements visant à rationaliser l’activité. Recueillir, à cette occasion, l’avis des acteurs de terrain et les associer aussi bien à l’analyse qu’aux préconisations d’amélioration n’est malheureusement pas encore une pratique courante pour plusieurs bonnes raisons : - les instances décisionnelles ne sont pas convaincues de l’intérêt de prendre en compte le point de vue de la base, compte-tenu du coût financier de la démarche et du temps- homme consommé les méthodes d’entretiens, qui mobilisent de façon importante un personnel opérationnel déjà surchargé, ne garantissent pas des recueils de données objectives et des suggestions opérationnelles. Cette opération est aussi suspecte aux yeux du chercheur pour d’autres raisons. La dénomination « Recueil de données » apparaît doublement ambiguë. En effet, les données recueillies auprès des acteurs de terrain ne sont ni gratuites, ni données…On ne va pas à la cueillette de ces fruits visibles que porterait naturellement une organisation et qu’il suffirait de demander aux acteurs pour en recueillir les bienfaits. On va rechercher des informations utiles pour une finalité précise. Cet article se propose d’abord d’identifier les questions que tout chercheur en Sciences Humaines, en quête de « données », doit se poser, puis, plus précisément, à partir des travaux de Pierre Vermersch1, de présenter une épistémologie de l’entretien d’explicitation. Nous proposerons alors, sur la base d’une définition précise de l’unité d’interdépendance, une méthodologie visant à recueillir les ressentis des acteurs d’une organisation, pour faciliter le changement. On exposera enfin les résultats obtenus pour l’amélioration de la sécurité au sein d’un atelier de dépotage, présentant des risques majeurs. 1. La construction des « données » « Les données ne sont pas des données, ce sont des construits », nous dit Jean-Louis Le Moigne2. Il est indispensable pour savoir de quoi on parle de distinguer mesures, observations, avis, résultats d’enquêtes, d’entretiens, de travail en groupe. Il 1 P. VERMERSCH : « Prendre en compte la phénoménalité, propositions pour une psychophénoménologie », Colloque de l’ARCO, décembre 2004, UTC, Compiègne. 2 J-L LE MOIGNE, La Théorie du Système Général, Théorie de la Modélisation, PUF 1977, (rééditions complétées en 1983, 1990, 1994, 2004). convient de plus d’expliciter la modalité choisie pour accéder à l’information recherchée, la raison qui a déclenché cette recherche et l’objectif de la démarche. De telles précautions apparaissent indispensables pour assurer la validité du travail scientifique entrepris. Il convient tout d’abord de préciser le mode de construction de ce que, par simplification de langage, nous continuerons d’appeler « données ». Pour cela, il convient de caractériser la nature et le statut des données. S’agit-il : - d’une mesure qui implique la comparaison à une unité possédant une définition précise, - d’un avis donné par un expert, par un professionnel de terrain ou par le public, directement ou en réponse aux questions d’un enquêteur, - d’une observation réalisée par un chercheur. Il est essentiel de remarquer que la nature des données interagit fortement avec leur traitement et les objectifs de la recherche. 1. Le traitement des données peut être statistique, utiliser les mathématiques du flou, rechercher un classement cardinal ou ordinal, regrouper les données en catégories ou en classes. 2. Les objectifs de la recherche peuvent viser la mise à jour de liens cachés entre les données, d’invariants ou de corrélations, sous l’apparente variété des faits. On peut vouloir identifier les causes profondes des effets perçus, donner des explications des phénomènes observés, identifier leurs paramètres significatifs, réussir à appliquer certaines théories ou en inventer de nouvelles, proposer la modélisation d’un système, construire un tableau de bord en vue de son pilotage, pour atteindre des objectifs définis… Dans l’épistémologie constructiviste qui est la nôtre, nous ne connaissons le réel qu’à travers nos interactions avec lui. S’informer implique d’agir sur le monde, nous ne pouvons donc pas nous informer sans interagir. En effet, information et action sont reliées récursivement, à l’image du couple sensori-moteur, dégagé par Piaget3 et des couples information/action, savoir/savoir-faire, ou, enfin, du couple recherche/action. Reconnaissons toutefois que les effets d’une nouvelle théorie peuvent mettre de longues années à trouver leur domaine d’application. La recherche/action vise précisément à réduire ces délais et à faire tourner la boucle information-action à vitesse accélérée pour modifier l’action en une amélioration permanente des outils, des procédés, des méthodes, des stratégies qui par retour 3 J. PIAGET, Le langage et la pensée chez l’enfant, Denoël, 1984 d’expérience produit à son tour de nouvelles connaissances sur l’objet de recherche. Toute information extraite d’une réalité est une réduction de la complexité de cette réalité car elle ne nous sort que d’une partie de l’incertitude liée à cet objet. Il est essentiel de se poser la question de la légitimité de cette réduction de complexité, et cela en rapport au projet de celui qui a construit cette information. Donnons quelques exemples d’objectifs du recueil de données suivant différentes disciplines : - L’ergonome, par exemple, peut chercher à comparer la tâche prescrite et l’activité réelle d’un opérateur, - Le sociologue voudra mettre en évidence les relations de pouvoir et les régulations qui contrôlent ces relations, - L’expert en management s’appliquera à décrire les processus de décision et leur organisation, - Le spécialiste de la sécurité voudra identifier les scénarios d’accidents et les barrières de prévention et de protection associées. Il existe plusieurs méthodes classiques de recueil des données dans des groupes de travail dont l’objectif est, à partir des différents points de vue réunis, de construire une représentation commune du problème étudié et d’en déduire un programme d’action. La plus ancienne est sans doute « métaplan », confortée par la découverte du post-it, sur lequel les participants peuvent écrire leurs idées, que l’on peut coller sur un tableau et que l’animateur peut rassembler pour constituer des ensembles de sousproblèmes qui génèreront des propositions de solutions, par une méthode similaire. La méthode SWOT (Strength, Weakness, Opportunity, Threat/ Forces, faiblesses, opportunités, menaces) permet de décrire une situation contextualisée permettant aux participants de livrer leurs informations et de les compléter par celles des autres. Une représentation plus complète de la complexité à prendre en compte en résulte et permet l’élaboration d’une stratégie commune. Enfin, la méthode KJ a pour but de repenser une organisation qui permette à chacun d’exprimer, sous forme de faits, son activité, ses contraintes et ses objectifs. Le regroupement par trois des activités élémentaires permet de constituer un premier niveau d’agrégation que l’on renomme ;, puis un niveau 2 regroupant trois thèmes de niveau 1, ainsi de suite, jusqu’à atteindre une finalité constituée de trois objectifs généraux. Toutes ces méthodes possèdent leurs avantages, leurs limites et des fondements théoriques plus ou moins solides. Nous proposons ici une nouvelle approche, dont les fondements épistémologiques et théoriques que nous allons expliciter nous paraissent particulièrement cohérents avec les moyens utiles et les résultats obtenus. L’approche constructiviste des données que nous allons présenter ne cherche pas à remplacer ces méthodes, mais est une approche complémentaire. C’est un point de vue qui cherche à faire participer toutes les parties prenantes d’une situation de travail en prenant comme objet d’étude à la description des interactions qui s’y déroulent, de manière à en construire une représentation commune des différentes logiques qui s’y entrechoquent et en déduire un programme consensuel d’actions satisfaisant les différentes parties prenantes. Puisque les données sont construites et non pas données, il est indispensable que tout chercheur, quels que soient son objectif et sa discipline, se pose les trois questions suivantes : - Comment sont-elles construites ? La réponse est constituée par la description de la méthode de construction des données, des théories sous-jacentes et du paradigme à l’intérieur duquel fonctionne la théorie. - En vue de quoi sont-elles construites ? La réponse implique de décrire à la fois le traitement que l’on va faire subir aux données et les objectifs finaux du travail pour le commanditaire et pour le chercheur. - Qui les a construites et dans quel contexte? La réponse passe par la précision du statut du chercheur, de sa discipline, du programme de recherche de son équipe, de l’appel d’offre auquel il a répondu ou du contrat qui le lie au commanditaire. 2. La prise en compte du caractère unique de chaque être humain et la modélisation de ses processus cognitifs. Plutôt que d’éliminer la subjectivité, l’idée est de tirer parti du caractère unique de chaque être humain, tout en essayant de dégager les processus cognitifs que nous avons tous en commun. La subjectivité conduit à posséder une sensibilité, une forme d’intelligence, une mémoire qui sont uniques. S’il prend en compte toutes les sensibilités de ses membres, un groupe peut accéder ainsi à une appréhension du réel plus complète. On ne cherche pas à trouver le plus petit dénominateur commun entre les individualités au travail dans une même organisation, comme le voudrait un scientifique. Au contraire, on cherche à accroître la perception de chaque acteur et à complexifier sa représentation du réel. Ce changement est réalisable grâce à la richesse du groupe, notamment grâce à l’immense variété des ressentis exprimés. Pour favoriser le changement auquel est confronté chaque être humain, il est important de comprendre Il ne s’agit pas pour nous « d’Une Représentation du Monde », image unique qui serait construite comme la carte d’un territoire. Au contraire, nous pensons qu’il existe en fait plusieurs processus permettant de traiter et de mémoriser les informations que nous allons chercher sur le monde extérieur. L’ensemble de ces fragments ne constitue pas un tout bien organisé et synthétique, mais forme un réseau de mini-systèmes d’interprétation des informations prélevées sur l’extérieur. C’est une sorte de puzzle auquel il manque certaines pièces, qui ne sont pas toutes à la même échelle, qui ne s’emboîtent pas parfaitement et qui sont parfois redondantes, voire contradictoires. L’acte de modélisation est précisément une tentative de mise en cohérence d’un domaine, qui consiste à construire une représentation synthétique d’une partie du réel dans une perspective opérationnelle. 4 E. FRANKO, Du désastre au désir, ouvrage coordonné par G. LE CARDINAL, L’Harmattan, 2003 Dans le modèle de la cognition que nous utilisons, le mot « représentation » est à comprendre comme décrivant le processus d’intériorisation du réel que nous venons de décrire. DIAMANT DE LA COGNITION REPRESENTATION INFORMATION EVALUATION ACTION DECISION Gilles le Cardinal-UTC-COSTECH ce qui motive l’acteur à agir et ré-agir. Pour cela, nous nous appuyons sur ces deux postulats opposés : Postulat 1: « Toute personne développe des comportements qui apparaissent, à ses yeux, comme satisfaisants, compte tenu de ses représentations du monde. » (Erol Franko4) Postulat 2: « Toute personne construit des représentations du monde qui rendent, à ses yeux, ses comportements satisfaisants. » Ces deux postulats signifient tout simplement, s’ils sont vrais, qu’action et représentation sont deux processus cognitifs récursivement reliés, c'est-à-dire qu’ils sont à la fois producteur de l’autre et produit par lui (voir fig.1). Conséquence 1: Il est inadéquat de vouloir imposer un changement de comportement par des obligations ou des interdits, sans changer les représentations du monde. Il est préférable de privilégier un travail sur les représentations du monde, de manière à ce que le changement s’impose dans la nouvelle représentation comme une solution satisfaisante. Conséquence 2: La grande question de l’accompagnement du changement devient : « Comment s’élaborent les représentations du monde? », de manière à agir sur les processus cognitifs correspondants. Précisons maintenant ce que nous appelons nos « représentations du monde ». Le monde se présente à nos sens, mais c’est nous qui allons alors y rechercher ce qui nous permet de sortir de l’incertitude, compte tenu de ce que nous avons déjà intériorisé du réel, sous forme de multiples fragments : objets, faits, indices, repères, procédures, connaissances et de liens entre ces éléments quand ils existent. EMOTION 11 Gilles le Cardinal-UTC-COSTECH Fig 1. Modélisation de la cognition individuelle par six processus récursifs La figure 1 représente les liens ente six processus cognitifs essentiels : -information, représentation, évaluation, décision, émotion et action-. Nous l’avons présentée et justifiée de façon détaillée dans l’ouvrage « La communication organisationnelle en débat5 »; elle permet de comprendre, par exemple, que le processus de représentation du monde s’alimente à cinq sources et alimente en retour les cinq autres processus cognitifs. Les six processus sont liés récursivement ; Nous formons des représentations langagières à partir des informations fournies par nos cinq sens, des représentations éthiques à partir de nos évaluations, des représentations historiques à partir de nos décisions, des représentations artistiques à partir de nos émotions et des représentations opérationnelles (routines, procédures…) à partir de nos actions. Les représentations sont des données construites se fondant sur des prémisses de connaissances déjà présentes. Les émotions subies sont des ressentis qui émergent d’une affectivité présente et sensible. Représentation et émotion, qui sont interdépendantes, se développent par, avec et dans des interactions. Nos ressentis sont donc une façon d’accéder à nos représentations avec l’avantage, si on parvient à les exprimer, qu’ils ne donnent pas lieu à rivalité, compétition et antagonisme comme c’est le cas si 5 Sous la direction d’A. BOUZON, La communication organisationnelle en débat , l’Harmattan, 2006. nous passons par les actions, les représentations, les valeurs. Les ressentis, en effet, ça ne se discute pas,…, c’est comme les goûts et les couleurs ! On peut facilement accepter que les autres aient d’autres ressentis que les nôtres, ce qui facilite leur agrégation. 3- Fondement épistémologique du recueil de données et entretien d’explicitation. Les sciences humaines et sociales ont fait ces dernières années des efforts méritoires pour tenter de limiter dans leur recherche, la subjectivité, le ressenti des chercheurs en premier lieu, des sujets interrogés ensuite, de manière à acquérir la légitimité scientifique qu’elles revendiquent en travaillant, autant que possible, sur des données fondées sur des faits objectifs quantifiables, mesurables. Leur objectif est d’accéder à une description la plus complète et la plus objective possible des phénomènes sociaux. Dans ce but, chaque discipline a développé des techniques de recueil d’information spécifiques qui les caractérisent. Mais certaines informations s’avèrent très difficiles à recueillir par exemple, sur les comportements dangereux, mais rares, sur les stratégies clandestines, sur les dérives lentes sont presque impossibles à observer par les chercheurs, sur le terrain ou en laboratoire ; leur présence même rend plus improbable l’apparition de ces comportements. C’est pourquoi le chercheur est conduit à faire parler le sujet de son étude pour recueillir ses propos et en analyser le contenu avec des outils de plus en plus sophistiqués. Nous savons tous les risques de cette démarche par entretiens : non-sincérité des réponses ou présence de biais aux multiples raisons. Pourtant, connaître les ressentis pour accéder aux motivations et aux représentations des opérateurs travaillant sur le terrain présente un intérêt certain, si l’on cherche à rendre compte du « facteur humain et organisationnel ». Notre but est d’atteindre une description précise et complète possible des ressentis subjectifs des acteurs. Or, il s’avère que le talon d’Achille de ces méthodes d’entretien est le lien incontournable qui relie la réponse obtenue à la question posée. Pierre Vermersch6 s’est attelé à cette question avec tout le sérieux qu’elle mérite, pour essayer de réhabiliter une technique qu’il a appelée « l’entretien d’explicitation » comme source d’information fiable pour la recherche. Cette technique se caractérise par le fait de pouvoir questionner en détail sans pour autant induire les réponses ; c’est une condition essentielle pour que les résultats d’une introspection deviennent « des données » de recherche. Pierre Vermersch a revendiqué une utilisation non philosophique de l’œuvre de Husserl 7, couramment nommée « phénoménologie » et qu’il a appelée la psychologie phénoménologique. « La psychologie s’intéresse à la subjectivité et cherche à s’en informer de la seule façon possible, c’est à dire en demandant au sujet de décrire lui-même le contenu de son expérience. » Or, le problème provient du fait que « les mécanismes cognitifs sont inaccessibles à la conscience du sujet ». Il ne peut donc pas les décrire et il est inutile de les lui demander. On va chercher ce que le sujet est capable de dire lui-même de son vécu. Cela est utile dans de nombreux domaines, en particulier, dans le domaine de la sécurité, où nous travaillons. L’apport de la démarche phénoménologique consiste « à prendre en compte la description du vécu du sujet, en cherchant à repérer et à comprendre les actes et conditions de réalisation de ces actes, qui président à la production de réponses. (…) Pour étudier l’introspection, il faut avoir fait l’introspection de cet acte. S’introspecter comme acte de base ne suppose pas d’apprentissage (…) Mais l’accomplissement de cet acte n’en donne pas la connaissance. Pour en développer la connaissance, il faut le pratiquer, pas seulement en le vivant, mais aussi en le visant intentionnellement. » Quand on demande à quelqu’un de décrire son vécu, chacun croit qu’il sait le faire et s’y engage spontanément. « Mais les choses changent quand il s’agit de décrire finement un vécu », nous dit Pierre Vermersch. « Notre description est alors pauvre, lacunaire et nous pouvons même nous demander ce qu’il y a à décrire dans ce que nous venons de vivre ». Cela se vérifie d’autant plus quand on nous demande de décrire nos interactions et les dangers qu’elles comportent. Il est facile de vérifier qu’un opérateur ne pourra pas s’exprimer longuement en réponse à une telle requête. « Pour chaque personne, l’accès à son vécu est direct, mais cela ne donne pas la connaissance de ce vécu, parce que cette connaissance n’est pas immédiate et doit être basée sur une forme de savoir-faire, de savoir décrire qui doit être appris et exercé. En fait, il s’agit d’une expertise à acquérir. La raison profonde semble être que le vécu est principalement pré-réfléchi et que, pour le re- 6 L'entretien d'explicitation est une technique de questionnement développé à partir des approches théoriques et de pratiques de Pierre VERMERSCH et du GREX (groupe de recherche sur l'explicitation) 7 E.HUSSERL, Psychologie phénoménologique, Paris, Vrin, 2001 connaître et avoir la possibilité de le verbaliser, il faut qu’il devienne réflexivement conscient». Pierre Vermersch propose donc de distinguer la conscience réfléchie et la conscience directe. En effet, nous passons plus de temps à faire attention aux buts, aux moyens et aux résultats obtenus par nos actes que de concentrer notre attention sur nos actes qui s’effectuent de façon réflexe (skill based) ou semi-réflexe (rule based). « Or, pour pouvoir verbaliser nos vécus, il faut qu’ils soient devenus réflexivement conscients. » Ce qui paraît « inconscient » peut n’être en fait que « non réfléchi ». Voilà pourquoi nous avons du mal à en parler. « Pour dépasser cette difficulté, il faut opérer le « réfléchissement » de son vécu ». Les professionnels de la description : peintres, sculpteurs, acteurs ont appris à le faire… Il y aurait, d’après Pierre Vermersch, trois raisons pour dire que l’accès à la connaissance objective de la subjectivité demande une expertise : 1. Notre vécu est largement pré-réfléchi et non réflexivement conscient. 2. Nous sommes incompétents pour dessiner le vécu avec précision. 3. Nous ne pouvons décrire les facettes du réel dont nous ignorons jusqu’à l’existence. Appliquées à la description des interactions, ces raisons peuvent se traduire ainsi : 1- nous ne sommes pas conscients de ce qui est en jeu dans nos interactions, ni des dangers qu’elles recèlent, 2- nous n’avons pas les mots suffisants et adaptés pour décrire nos interactions et nos valeurs, 3- nous ne connaissons pas les différentes facettes des interactions que nous et les autres mettons en œuvre et nous ne voyons que certains dangers parmi tous ceux que nous courons alors. « Pour construire une science de la subjectivité, il faut donc imaginer des méthodes qui permettent de dépasser les obstacles ainsi identifiés. » L’objectif de l’entretien d’explicitation est essentiellement d’aider une personne ou un groupe à verbaliser son vécu relationnel, en accueillant toutes les sensibilités, tous les points de vue, et en mettant en œuvre les précautions qui permettent d’atteindre l’objectif. Se posent alors quatre questions essentielles, auxquelles il nous faudra répondre : 1. Comment aider ? 2. Comment dépasser le manque d’expertise dans la mise en mots ? 3. Comment questionner sans induire les réponses ? 4. Comment assurer la validité des informations recueillies ? 4- Fondement, construction et traitement des données dans la méthode PAT- Miroir. 4-1 . L’unité d’interdépendance En réalité, notre projet s’éloigne de celui que vient d’éclairer si profondément Pierre Vermersch, par le fait que notre objet d’étude est constitué par une organisation comportant de nombreux acteurs et que nous souhaitons prendre comme objectif, non pas la description des activités réelles, mais la description des interactions telles qu’elles sont suscitées et ressenties par les acteurs. Ce ne sont donc pas les faits objectifs que nous visons à reconstituer, ce qui s’est réellement passé, mais les ressentis associés aux processus cognitifs des acteurs de terrain. Ces données subjectives construites pourront être croisées ensuite avec les résultats des audits qui, eux, exploitent les données objectives que nous avons laissées volontairement de côté. C’est alors qu’apparaissent la complémentarité des approches avec leurs limites respectives. Il nous faut donc maintenant préciser notre méthode, dans le cadre des objectifs que nous venons de définir. Le socle théorique de la méthode est constitué par une définition précise de la situation, « unité d’interdépendance », décrite par les figures suivantes : Tableau 1: Unité d’interdépendance TU JE Choix 0 Choix 1 Choix 0 e1 e2 Choix 1 e3 e4 JE ei TU INTERDEPENDANCE Les deux acteurs Je et Tu sont reliés par le fait qu’ils vont vivre solidairement un même événement, que chacun ne peut déterminer que partiellement. Chacun détient une alternative – par exemple, coopérer ou pas -, où il peut se déterminer librement, à partir de ses préférences quant aux évènements qui en découlent. Les préférences entraînent leur classement dans un ordre qui peut être différent pour les deux acteurs. Ce schéma des liens, qui est à la base de la théorie des jeux, génère systématiquement, comme nous l’avons démontré par ailleurs8, chez les deux acteurs, des ressentis de peur, d’attrait et de tentation. Partons de l’idée que toute personne est consciente, libre, unique et défaillante. Interagir avec une autre personne comporte des risques de perte (Peurs), des espérances de gain (Attraits) et des opportunités de gagner davantage encore, mais au détriment de l’autre cette fois (Tentations). - Les peurs proviennent de la présence de sources de dangers qui sont les conséquences des différences de représentations du monde, de façons d’agir, de critères de jugement, de façons de décider, de ressentir les situations … - Les attraits expriment ce qui peut advenir de favorable pour tous dans une interaction. Il y a en effet des gains à coopérer, parce que c’est souvent nécessaire, plus sûr, plus facile et plus agréable, de faire ensemble plutôt que séparément ou, pire, conflictuellement. - Les tentations concrétisent les forces qui poussent à saisir les opportunités de gagner plus, en ayant des comportements non-éthiques, qui transgressent des règles, toutes choses qui nous font gagner au détriment de l’autre, qui privilégient le court terme sur le long terme. L’idée est donc de demander aux différents acteurs en interaction, dans le cadre d’un projet, d’exprimer leurs ressentis sous la forme des peurs, des attraits et des tentations possibles, par exemple : l’agent de production par rapport à l’agent de maintenance, puis, d’inverser les points de vue, en se mettant à la place de l’autre : l’agent de maintenance par rapport à l’agent de production. Mais, ouvrir la voie à l’expression des ressentis des peurs, attraits et tentations possibles des uns vis à vis des autres, implique de mettre en place des conditions sécurisant cette opération, afin qu’elle ne se réduise pas à l’ouverture de la boite de Pandore, ce qui pourrait se révéler dommageable pour tout le monde. 4-2. Quelles précautions indispensables faut-il prendre? Il est demandé à toutes les parties prenantes d’exprimer leurs Peurs, Attraits et Tentations possibles (PAT), mais cela dans le cadre d’un projet précis et d’une interaction bien définie, après avoir construit ensemble le jeu des acteurs, sous forme 8 G. LE CARDINAL, J-F GUYONNET, B. POUZOULLIC, La dynamique de la confiance, Dunod, 1997 d’un tableau carré à double entrée. Les acteurs procèdent alors à l’expression des PAT, pour chaque interaction jugée importante. L’animateur a un rôle d’arbitre pour signaler immédiatement les «horssujet». Les participants apprennent un acte essentiel, celui qui consiste à essayer de se mettre à la place de l’autre ; ceci pour éviter dans la réalité que chacun ne prenne la place de l’autre et permettre aux acteurs en équipe de mieux connaître les ressentis possibles des autres et ainsi de mieux comprendre leurs raisons et leurs façons d’agir. C’est l’animateur, en sa qualité de tiers neutre, et non le supérieur hiérarchique, qui a la charge de réguler l’expression des ressentis. On procède par atelier de créativité, (ou, quand c’est impossible, par entretiens individuels). L’expression est libre et le jugement exprimé sur ce que dit autrui est interdit. Ce qui est dit est simplement enregistré dans l’ordinateur et aucunement discuté pour approbation. L’évaluation est repoussée à l’étape suivante et réalisée isolément et anonymement, sous forme d’une note sur l’importance réelle que chacun donne subjectivement à chaque item. Ces précautions prises, on constate que chacun s’exprime dans son langage quotidien, sur des faits de vie professionnelle et qu’il est écouté par les autres. Il apprend également à écouter, parce que, rapidement, il n’a plus d’idées sur un sujet aussi précisément défini et reçoit alors avec plaisir et intérêt les idées des autres. La méthode complexifie donc les représentations de chacun par l’écoute de celles des autres, avant d’aboutir, par un processus à la fois logique et démocratique, à la construction d’une représentation commune. Mesurer, avons-nous dit, c’est comparer à une unité de mesure. En s’appuyant sur l’unité d’interdépendance, notre méthode consiste en fait à « prendre la mesure » d’une interaction, en scrutant les trois axes définis par les peurs, les attraits et les tentations possibles d’un acteur vis à vis des autres et réciproquement. Cette façon de procéder permet d’apporter de nouvelles réponses aux quatre questions de Pierre Vermersch. 1. Comment aider un acteur à se souvenir de ses ressentis, lors des différentes interactions qu’il met en œuvre dans son travail ? Nos trois questions (PAT) orientent le regard vers une interaction, et aide à la décrire. 2. Comment dépasser son manque d’expertise dans les processus qui régissent les interactions professionnelles ? En fait, les trois questions (PAT), issues de la description structurale de l’interaction, répondent à son manque d’expertise, sans induire de contenus particuliers, en lui permettant d’orienter son attention sur une partie de son vécu et d’y mettre des mots simples. Il découvre alors la multiplicité des peurs, attraits, tentations qu’il est possible de ressentir lors d’une interaction et la qualité de la description obtenue par ses propres mots complétée par les idées des autres, l’étonne et lui ouvre une nouvelle finesse d’analyse. 3. Comment questionner sans induire les réponses ? Les peurs, attraits et tentations possibles ouvrent, d’une part, sur l’imaginaire, (on autorise à inventer des choses qui n’existent pas), mais aussi, d’autre part, et plus sûrement, sur l’expérience. Cet exercice devient rapidement, nous le constatons, un retour d’expérience particulièrement efficace, car que ce qui est arrivé dans le passé est une source de « possibles » pour l’avenir. Ainsi, il est clair qu’on ne cherche pas à dénoncer ou à découvrir des coupables d’actions passées, mais à utiliser ce qui s’est passé pour éviter leur future survenue. Cela enlève le frein qui se manifeste toujours en cas d’appel à la délation! L’objectif est de connaître tous les possibles pour trier, parmi les comportements, ceux que l’on veut voir disparaître et ceux qu’il faut encourager. Le regard est entièrement tourné vers l’avenir, une façon de favoriser les bonnes pratiques et d’éliminer les mauvaises. Cet adjectif « possible » permet donc de dire ce qui était impossible à exprimer ouvertement auparavant à cause de la solidarité professionnelle. L’expérience montre le bien-fondé de cette précaution. On assiste à une véritable libération de la parole qui permet, par exemple, de faire du tabou « des stratégies clandestines », un fonds commun d’évidences qui peut maintenant donner à réfléchir. C’est particulièrement vrai dans les problèmes de sécurité, mais cela fonctionne également pour la résolution d’un conflit, les démarches « qualité », les fusions, les restructurations, l’introduction d’une nouvelle technologie, le lancement d’un projet complexe … 4. A la dernière question : Comment assurer la validité des informations recueillies ? Les sentiments de peurs, attraits, tentations possibles exprimés par un acteur sont ajoutés à ceux exprimés par les autres lorsque le recueil se fait par entretiens individuels. Ils s’élaborent à plusieurs, dans le cadre d’un atelier de créativité, avec l’apport supplémentaire d’un effet de groupe, les idées des uns donnant des idées aux autres. L’objectif est ici de recueillir la plus grande variété d’idées dans une logique du « et ». Cela conduit, non pas à l’exhaustivité, mais à mettre toutes les chances de son côté pour réunir le plus possible d’items PAT, en évitant d’oublier les plus importants. En effet, ce qu’une personne ne peut pas, ne sait pas, ne veut pas, ne doit pas, n’ose pas dire, un autre peut-être pourra, saura, voudra, devra, osera le dire, ce qui contribue à construire le fonds commun d’évidences élargi du groupe ou son « Common Knowledge » sur les interactions. 4-3. Description du traitement des informations ainsi « recueillies » -Le classement général : moyenne, écart-type Il est ensuite demandé à chacun, individuellement et anonymement, de coter l’importance réelle de chaque item « PAT ». Puis, la moyenne de chaque item est calculée sur le groupe de travail, ce qui permet d’objectiver quelque peu les différentes subjectivités. Ce classement constitue une information nouvelle et significative pour comprendre la représentation du groupe de travail. L’écart-type va donner un indice portant sur l’état de consensus ou de dissensus du groupe. - Les thèmes incontournables Partant de l’item PAT classé en tête, le travail consiste à ouvrir des registres qui regroupent par similitude les items portant sur un même problème transversal. Ainsi, plusieurs thèmes incontournables (entre cinq et quinze) sont progressivement créés, puis nommés par le groupe, ce qui constitue un nouveau tableau de bord élaboré en commun. - Les préconisations La construction des préconisations se fait ensuite, thème après thème, item par item, de la façon suivante: - si l’item est une peur, elle signale un danger possible pour lequel le groupe va déduire une précaution à prendre. - s’il s’agit d’un attrait, il signale un objectif pour lequel les acteurs déterminent les moyens les plus appropriés pour l’atteindre et la personne qui en portera la responsabilité. - s’il s’agit d’une tentation, elle signale la transgression d’une valeur qui va permettre de construire, a contrario, une règle de « bon comportement ». Ainsi s’élaborent logiquement, avec ces construits, un management des risques, des objectifs et la construction d’une éthique commune. 4-4. Interprétation de la méthode PAT-Miroir dans le diamant de la cognition automatisme), un chimiste du laboratoire, un stagiaire et trois chercheurs. La production des items, comme leur traitement, a demandé une journée. REPRESENTATION - 3 classement général des PAT et graphiques - 6 Tableau de bord et graphiques 6 3 EVALUATION 7 4 INFORMATION 2 -1 PAT énoncés, imprimés -5 noms donnés aux thèmes incontournables -2 notes des PAT par les participants 5 -7 préconisations d’action -4 Classification des PAT en thèmes EMOTION - PAT Gilles le Cardinal-UTC-COSTECH ACTION 11 Fig 3. Parcours cognitif par PAT-Miroir Les PAT constituent des ressentis que l’atelier de créativité découvre et permet de transformer en information partagée (lien1). La notation constitue une évaluation de l’importance de ces énoncés (lien 2). Le classement général constitue une représentation ordonnée et commune de la situation étudiée telle qu’elle est perçue et interprétée par le groupe (lien 3). La classification en thèmes incontournables est une décision consensuelle du groupe (lien 4) et va permettre de construire un tableau de bord constitué par les différents thèmes (lien 5), nouvelle représentation structurée et élaborée en commun (lien 6). Le travail suivant consiste à proposer des préconisations d’actions cohérentes (lien 7), car issues d’une même représentation. On comprend alors pourquoi et comment se modifient dans le même sens, et donc se couplent, les systèmes cognitifs de tous ceux qui ont participé à ce travail. 5- Illustration de la démarche : étude de la sécurité dans l’atelier de dépotage d’un site à haut risque, classé SEVESO II. Pour illustrer la méthode présentée, nous allons proposer un extrait du travail réalisé dans le cadre d’une recherche régionale sur les aspects humain et organisationnel de la sécurité des sites à hauts risques (programme HTSC, Région Picardie : Projet ATOS). La recherche porte sur la sécurité de l’atelier de dépotage, activité qui consiste à transférer des produits très dangereux d’un camion citerne vers les cuves de stockage de l’usine. Il a regroupé le responsable de la sécurité, le chef dépoteur, deux dépoteurs, le responsable qualité, deux agents de maintenance (mécanique et Gilles le Cardinal-UTC-COSTECH 1 DECISION Six points de vue, (de A1 à F6 :dépotage, service sécurité, maintenance, production, laboratoire, entreprise), ont été retenus lors d’entretiens préalables avec les responsables sécurité, ce qui oriente aussi le choix des participants ; ils forment les lignes et les colonnes d’un tableau à double entrée comportant qui ouvrent 36 interactions possibles . Treize interactions ont été étudiées qui ont donné lieu à 426 items de peurs, attraits et tentations. Sur les 24 premiers items du classement par moyenne, (voir ci-dessous) on note 7 peurs, 14 attraits et 2 tentations. Tableau 2 : Interactions principales entre les acteurs de l’organisation 1 Dépotage 2 S.Sécurité 3 Mainten. 4Produc. 5 Labo. 6 5 4 3 1 9 10 A-Dépotage B-Service Sécurité CMaintenanc e DProduction E-Labo. F-Entreprise 7 6 Entreprise 11 8 13 2 12 Tableau 3 : Début du classement général des PAT ° 1 2 Type P3 A2 3 4 5 6 7 8 T2 A2 A1 A1 A1 A5 Case Libellé Moy A1 Fuite d’une cuve 8,1 B1 Avoir partout des détections et protections en fixe 8, A2 A5 C3 A4 B2 B2 9 P1 A4 10 P4 A3 11 P12 A2 12 T3 A2 13 14 A4 A6 15 Ne pas respecter les règles de sécurité Libérer le produit rapidement Ne faire que du préventif Une bonne planification Travailler sans pression sans la sérénité Une bonne communication entre l’usine et l’extérieur (pompiers, DRIRE, mairie) D’une rupture dans la distribution de matière première 7,9 7,7 7,7 7,6 7,6 7,6 E-T 2,8 1,8 3,4 2,7 2,4 2,7 2,5 2,9 7,5 1,4 Que quelqu’un de la maintenance se blesse 7,5 1,7 Mauvaise manip entraînant une évacuation de la population Ne pas respecter un mode opératoire dépotage 7,5 3,2 7,5 3,2 B2 B2 Réduire le risqué et le rayon de danger Une documentation à jour et accessible à tous (POI, fiches, réflexes, modes opératoires…) 7,5 7,5 2,7 2,6 A2 F6 7,5 2,6 16 A5 A4 7,4 1,6 17 18 P13 P2 A2 A1 Pourvoir faire plus souvent des exercices de sécurité Que les chauffeurs aient leur matériel (raccords adaptés) Des plaints pour mauvaises odeurs Un gros pb technique pendant le dépotage 7,4 7,4 2,4 2,4 19 A2 A1 Domaine de compétence plus large (autorisation de travail par les chefs de poste) 7,4 2,7 20 21 P10 A7 C1 B1 Être aspergé par un produit dangereux Avoir des gens au dépotage capables de faire une analyse de risques approfondie 7,4 7,4 3,2 2,3 22 A10 F6 7,4 2,7 23 A6 C3 7,3 1,2 24 A3 A3 Avoir une cellule communication de crise efficace et entraînée Avoir une formation polyvalente homogène sur tout les service Prise en compte des besoins du dépotage par la maintenance 7,3 2,6 Douze thèmes incontournables ont été dégagés par le groupe. Ils constituent la nouvelle représentation commune des problèmes de Sécurité de l’atelier : « Évènements redoutés ou souhaités », (que suscitent le plus de peurs), « Règles de sécurité », (qui suscite le plus de tentations), « Libération du produit », « Entretien et maintenance », « Planification, Communication externe », « Intégrité des personnes », « Documentation », Infrastructure et matériel », « Formation, compétences et REX », « Concertation interne », « Disponibilité des personnes ». Voici quelques exemples de préconisations, extraites d’une liste de trente : - Les peurs des fausses alarmes et les tentations de ne plus tenir compte de certaines alarmes mal réglées ont généré la préconisation suivante : Recensement des fausses alarmes et mise en place d’un plan d’action pour comprendre et corriger les alarmes ayant des déclenchements intempestifs fréquents. - Les peurs d’intrusions malveillantes, les attraits d’avoir un site sécurisé ont généré la préconisation suivante : Organisation d’audits et d’inspections pour s’assurer du respect des procédures de la cellule d’accueil, contrôle renforcé à l’entrée des identités et des véhicules, investissement dans une clôture sécurisée. - Les peurs concernant l’inadaptation de certaines procédures et d’en voir d’autres importantes transgressées et les attraits d’avoir de bonnes procédures bien respectées ont généré la préconisation suivante : Mettre en place une formation qui montre l’intérêt et la nécessité des différentes procédures et de leur mise en œuvre. Ouvrir des possibilités de débats sur l’opérationnalité des procédures et sur les propositions de modifications (revue de toutes les procédures à organiser tous les trois ans). Demander à un chef de poste de passer en revue tous les modes opératoires actuels. Remettre en cause les procédures qui ne sont pas validés depuis trois ans. Mieux utiliser les formulaires sur lesquels des observations peuvent être notées concernant les procédures et rappeler cette possibilité aux réunions mensuelles de sécurité. Conclusion Nous avons présenté une méthodologie originale de construction de données à recueillir auprès des hommes de terrain d’une organisation, dans le but de préparer et de faciliter un changement. Elle se fonde sur la définition d’une situation « Unité d’interdépendance » qui peut être décrite -et c’est une originalité importante- par ses trois dimensions : les peurs, les attraits et les tentations ressentis par les différents acteurs. Ce recueil d’information consiste à ne poser que trois questions pour chaque interaction à étudier. Il répond aux exigences posées pour garantir la qualité d’un entretien d’explicitation par P. Vermersch. Il permet, en effet d’aider l’acteur d’une part, à inventorier et à décrire les interactions qu’il vit dans son activité et d’autre part, à dépasser son manque d’expertise. En orientant ainsi son attention, nous ne donnons que des indications structurales, valables pour toute interaction, en induisant le moins possible le contenu des réponses. La validité des informations recueillies -plusieurs centaines de réponses produites à partir de seulement trois questions- est obtenue par l’effet de groupe qui conduit à des préconisations pertinentes, visant à définir et à faciliter les changements jugés souhaitables par l’ensemble du groupe. Le processus de traitement des données est en adéquation avec le recueil par une succession d’étapes logiques, comprises par tous et réalisées ensemble. En effet, les modalités du recueil, du traitement et des préconisations forment une chaîne cohérente de processus cognitifs qui s’enchaînent par un chemin bien balisé. Le temps nécessaire à la mise en œuvre de cette méthode est l’un des facteurs limitant son domaine d’application : trois quarts d’heure environ sont en effet nécessaires pour étudier une interaction. Le recueil des PAT dans l’exemple présenté a pris toute une journée et l’ensemble de la méthode deux jours et demi pour huit personnes et l’animateur, sans compter les nombreuses suites à donner aux préconisations du groupe. Le jeu doit en valoir la chandelle. Opérer un changement organisationnel, introduire une nouvelle technologie, lors de la fusion d’entreprises ou de services, de restructurations industrielles, élaborer le programme d’action d’une PME-PMI dans le domaine du développement durable, sont des exemples où l’emploi de la méthode est pleinement justifié. L’application à l’amélioration de la sécurité d’un atelier de dépotage a conduit qui à une trentaine de préconisations pertinentes, élaborées par les hommes de terrain, ouvre une autre catégorie d’applications pertinentes. Rappelons enfin que le groupe de travail n’est pas décideur ; les décisions finales reviennent au manager qui en a la responsabilité et s’engage, et c’est sa seule contrainte, à les exposer et à les justifier devant le groupe. Ainsi, grâce à ce travail, les acteurs de terrain qui complexifient leur vision initiale de l’organisation sont étroitement associés à la conception des changements, ce qui donne plus de sens à leur activité professionnelle. Quoi de plus favorable pour motiver au changement les acteurs de terrain! Quoi de plus démonstratif pour inciter le management à prendre en compte l’avis de la base ! Références bibliographiques - Vermersch, P.: « Prendre en compte la phénoménalité, propositions pour une psychophénoménologie », Colloque de l’ARCO, décembre 2004, UTC, Compiègne. - Le Moigne, J-L. La Théorie du Système Général, Théorie de la Modélisation, PUF 1977, (rééditions complétées en 1983, 1990, 1994, 2004). - Bateson, G. Vers une écologie de l’esprit, Seuil, 1990. - Piaget, J. Le langage et la pensée chez l’enfant, Denoël, 1984 - Franko, E. Du désastre au désir, ouvrage coordonné par G. Le Cardinal, L’Harmattan, 2003. - Sous la direction de Bouzon, A., La communication organisationnelle en débat , l’Harmattan, 2006. - Husserl, E. Psychologie Paris, Vrin, 2001. phénoménologique, - Le Cardinal, G., Guyonnet, J-F, Pouzoullic, B. La dynamique de la confiance, Dunod, 1997 - Plot, E. Quelle organisation pour la maîtrise des risques industriels majeurs ? Mécanismes cognitifs et comportements humains, L’Harmattan, 2007