tuba de l`Orchestre - Orchestre national d`Île-de

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tuba de l`Orchestre - Orchestre national d`Île-de
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LE COIN DES MUSICIENS
INTERVIEW
Entretien avec André Gilbert,
tuba de l’Orchestre
André Gilbert
est l’unique tuba de l’Orchestre
National d’Île de France.
Il nous fait découvrir,
avec passion, cet instrument
singulier de la grande famille
© DR
des cuivres.
Son parcours
Mon père était tuba ténor amateur
dans une petite harmonie de village
et ma mère m’a appris à lire les notes
de musique en même temps que l’alphabet !
J’ai commencé le tuba à dix ans, sans doute
parce que j’entendais mon père en jouer. Le
professeur de solfège de l’école de musique
du village a dit à mes parents : « Vous savez,
il est doué. Je connais un professeur de tuba
à Paris chez qui il faudrait l’envoyer. » C’est
comme ça qu’à partir de douze ans j’ai fait des
allers et retours de ma petite province jusqu’à
Paris pour prendre des cours particuliers avec
monsieur François Poullot, tuba solo à la
Garde républicaine.
Quelques années plus tard, je suis entré au
CNSM de Paris, puis j’ai intégré l’Orchestre
National d’Île de France en 1984.
La tradition des fanfares
de village
Cette petite harmonie à laquelle vous
faites référence, qu’est-ce ?
C’était une fanfare de village. Je suis originaire
de Touraine, une région de vignobles, où il y
avait des petites fanfares de vignerons.
Malheureusement, cette tradition tend à disparaître. Aujourd’hui, ces petites harmonies
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se regroupent dans de grands ensembles.
Mais, à l’époque, presque tous les villages
dans le canton avaient leur fanfare.
La pratique de l’instrument
Être musicien demande une vraie discipline
par rapport à l’instrument, il faut entretenir sa
technique très régulièrement. Le fait d’enseigner et de faire de la musique de chambre à
côté de l’orchestre y contribue. Je fais partie
d’un brass-band qui a été monté par des musiciens professionnels y participant bénévolement, dans le but de promouvoir en France
ces ensembles amateurs très répandus en
Angleterre et dans les pays anglo-saxons.
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C’est un instrument dont
le son est suffisamment
puissant pour soutenir
l’orchestre.
Le tuba dans l’orchestre
percussions. Dans la danse sacrale du Sacre
du printemps, il relaie la timbale dans la ponctuation, sans parler des effets de résonance sur
une note de timbale. Il peut aussi faire la basse
des bois ce qui équivaut à doubler le basson
ou le contrebasson. Il y a un vrai travail de
recherche de couleurs, il faut réussir à se rapprocher du timbre d’un instrument à anche.
On peut aussi doubler les contrebasses à
l’unisson ou à l’octave. C’est particulièrement
vrai dans la Cinquième symphonie de
Prokofiev. J’adore Prokofiev pour ça, il demande
tellement de timbres différents : on double les
contrebasses puis, la mesure d’après, on fait
la basse des cuivres et on enchaîne sur un
solo… C’est extrêmement varié.
Est-ce un instrument dont le rôle
principal est d’accompagner un
pupitre ?
Le tuba est placé complètement à droite, juste
en dessous des percussions. C’est l’instrument le plus grave de la famille des cuivres.
En fait, il sert à renforcer la puissance du son
d’un pupitre, dans les voix de basse bien sûr.
N’y a-t-il toujours qu’un seul tuba
dans un orchestre symphonique ?
Le tuba ne joue-t-il jamais en soliste ?
Parfois. Le solo de l’ours dans Petrouchka,
par exemple, et aussi le dragon dans L’Or du
Rhin de Wagner – premier solo composé pour
le tuba. C’est marrant parce qu’on prend souvent le tuba pour illustrer des animaux assez
patauds : le Babar de Poulenc pour ne citer
que lui. On peut dire que le tuba est un instrument soliste dans l’orchestre dans la mesure
où j’ai toujours de petites interventions en
dehors, même si ce n’est qu’une note ou un
petit thème qui dure deux mesures.
En général, oui, car c’est un instrument dont
le son est suffisamment puissant pour soutenir l’orchestre.
La famille des tubas est très étendue.
De quels tubas jouez-vous dans le
cadre de l’orchestre ?
Je suis amené à faire le tuba contrebasse et
le tuba basse – je change de tuba en fonction
du répertoire –. Lorsqu’une œuvre nécessite
un tuba ténor, on fait appelle à un musicien
supplémentaire.
Le répertoire
Quel est son rôle ?
C’est principalement un rôle d’accompagnement. Premièrement, il fait la basse du trio de
trombones, pupitre dont il fait plus ou moins
partie. Et par-là même, il est la basse de la
famille des cuivres. Quelquefois, les compositeurs s’en servent spécifiquement comme
basse du pupitre de cors d’harmonie.
En fait, ce que j’aime beaucoup dans le rôle
du tuba, c’est qu’on doit moduler le timbre de
l’instrument suivant les instruments qu’on
double ou accompagne.
Il est parfois utilisé comme instrument de
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Qu’est-ce que vous aimez jouer
dans le répertoire symphonique ?
Ophicléide basse, première moitié du XIXe siécle.
Question répertoire symphonique, on est limité
dans le temps car le tuba tel que nous le
connaissons a été inventé en 1835.
Le compositeur que je préfère est Prokofiev.
Ceci dit, j’aime aussi beaucoup Berlioz, même
s’il a écrit pour l’ophicléide, cet ancêtre du
tuba qui fait penser, au niveau du son, à un
tuba ténor en ut – que l’on appelle aussi tuba
français – qui se jouait dans les orchestres
symphoniques français jusque dans les
années 1970.
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En France, de Berlioz à Messiaen, les compositeurs ont pensé l’orchestre avec ce tuba.
Par exemple le fameux Bydlo des Tableaux
d’une exposition orchestrés par Maurice Ravel.
Et en musique contemporaine,
le tuba est-il très présent ?
Les compositeurs actuels s’en donnent à cœur
joie ! Il est présent dans pratiquement toutes
les œuvres symphoniques contemporaines.
Il est même quelquefois en soliste devant l’orchestre depuis 1954 avec le concerto de
R. Vaughan Williams, ou en récital avec le
Capriccio de K. Penderecki (1980).
L’orchestre et le chef d’orchestre
Le monde de l’orchestre, c’est ma vie.
Actuellement, je retrouve ce qui m’a poussé à
faire ce métier quand j’étais adolescent ; cette
connivence, cette émulation qui peut exister
à l’intérieur d’un groupe. Je trouve qu’il y a une
très bonne ambiance dans cet orchestre.
Quelles sont les qualités que doit avoir
un chef ?
© International Music Company
Je vais donner une image qui va peut-être faire
sourire. Pour moi, un chef est un peintre. On
parle des couleurs de l’orchestre. Eh bien
chaque instrument de l’orchestre amène sa couleur avec son pinceau, le trait est plus ou moins
épais selon l’instrument. Le rôle du chef est de
coordonner tous ses pinceaux pour réaliser
quelque chose d’harmonieux.
Le jeune public
Extrait d’une page de Petrouchka de Igor Stravinski, comprenant un solo de tuba.
Comment voyez-vous l’avenir de
l’orchestre symphonique ?
J’ai un peu peur, quelquefois, quand je vois
l’âge moyen des spectateurs. Je me dis qu’il
est urgent de sensibiliser les jeunes pour que
la musique symphonique ne soit pas quelque
chose qui sente le rance dans un coin. Il faut
démythifier l’orchestre, le rendre accessible.
musiciens. Quand les musiciens se sont donnés à plein et que le chef est de qualité.
Dernièrement, les concerts avec Yoel Levi
étaient de grands moments. Je suis vraiment
heureux lorsque ça sonne bien, qu’il y a beaucoup de volume. C’est le cas avec la musique
romantique ou post-romantique.
Un souvenir de moment musical
Une anecdote
Je serais incapable d’en citer un en particulier. Les bons souvenirs, c’est lorsqu’il y a vraiment une osmose entre le chef et les
On répétait la symphonie de Dvorák Du
Nouveau Monde. Vous savez pourquoi le tuba
y fait quatorze notes ? Au départ, Dvorák
n’avait pas mis de tuba. Un jour, à New York,
il dirigeait son orchestre pour monter cette
symphonie. Comme le trombone basse était
en retard, le tuba a joué sa partition. Dvorák a
dit : « Ah c’est pas mal, ça ! » et il a rajouté au
tuba les notes du trombone basse dans les
deux chorals de cuivres qui encadrent le
deuxième mouvement de la symphonie.
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Propos recueillis
par Emmanuelle Dupin-Lucchini.