1. Le Nu
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1. Le Nu
Section : MART 1 Année : 2009/2010 Histoire de l’ART III – Christina TSCHECH III. La Beauté représentée : le canon de beauté dans l’art 1. Le Nu LA PERCEPTION DU CORPS AU MOYEN AGE (Rapports du corps au monde dans les civilisations médiévales et renaissantes de l’Europe occidentale) Une anthropologie cosmique régit les relations de l’homme au monde. L’homme ne se sent pas distinct les autres au sein de la communauté sociale et du cosmos qui l’enveloppe. Il est mêlé à la foule de ses semblables sans que sa singularité fasse de lui un individu au sens moderne du mot. La vie médiévale implique en permanence la présence des autres. L’espace ne prévoit pas l’intimité, les hommes ne peuvent vivre qu’ensemble. L’homme prend conscience de son identité et de son enracinement au sein du monde à travers un étroit réseau de correspondances. La culture populaire du Moyen Age et de la Renaissance refuse le principe d’individuation, la séparation de l’homme avec les éléments, la coupure de l’homme et de son corps, elle affirme en permanence le contact physique avec les autres. Dans ce contexte, le visage, s’il est utile pour reconnaître plus aisément l’autre, n’est pas l’objet d’une valeur. Quelques décennies plus tard la philosophie mécaniste, notamment celle de Descartes, parachève la dissociation du corps de ses liens symboliques avec le cosmos pour en faire le lieu sans équivoque de l’individuation, c’est-à-dire de l’homme coupé des autres. Au sortir de la Renaissance, le corps humain est de plus en plus envisagé comme extérieur au monde environnant, non plus tissé de la matière qui donne sa consistance au monde et au cosmos, mais comme structure de chair et d’os marquant la présence d’un individu dont il trace les limites de la souveraineté. LA BEAUTE FEMININE Les philosophes, théologiens et mystiques s’occupent peu de la beauté féminine. Le moralisme médiéval invitait à se méfier des plaisirs de la chair. Cependant, en dehors du milieu doctrinal, délicieuses descriptions de Beautés féminines dans chants estudiantins (les Carmina Burana) et dans compositions poétiques (Pastourelles). =>> La femme idéale est alors virginale, elle est jeune, elle a quatorze ans, elle est juste nubile et possède un corps gracile et fin, des attaches très fines, des cuisses longues, des petites mains dodues, des fossettes. Les codes iconographiques du MA tranchent avec ceux de l’Antiquité et de la Renaissance. Parfois il est difficile de reconnaître s’il s’agit d’un homme ou d’une femme, ni figuration du vêtement, de la chevelure ou du corps donnent certitude. Le physique importe moins que le moral ou le social. Confusion masc./fém. concerne surtout MA central qui s’étend du début e XII s. au milieu XIV e siècle : Les hommes s’habillent en long et renoncent aux cheveux ras. La mode féminine est aux poitrines hautes et menues, aux hanches étroites, aux corps élancés. Tandis que le costume masculin se féminise, le corps féminin toute proportion gardée se virilise. Nous sommes alors très loin des déesses-mères du Néolithique et des matrones opulentes de l’Antiquité biblique (le nom hébreu de la Vierge, Myriam, signifie à la fois « grasse « et « belle »). Quant à la distinction physique entre les sexes, le savoir médiéval s’appuie sur Aristote: dans son syst. la distinction relève plus de l’accident que de la substance. Le corps féminin se décline donc par rapport au corps masculin, dont il apparaît comme le double imparfait, inachevé, défectueux : proportions moins harmonieuses, la stature plus petite, la constitution plus fragile, le cerveau moins développé. Pour la culture médiévale, le texte de la Genèse semble confirmer ce caractère imparfait et subalterne du corps féminin. Les clercs observent que l’Écriture place la création d’Ève après celle de l’homme. Dès l’origine, la femme a donc été dépendante de l’homme. Ève n’est donc qu’un double plus petit, plus fragile, moins achevé de l’Adam primitif, parfois imaginé comme androgyne ou hermaphrodite. Cette imperfection du corps correspond évidemment une imperfection de l’âme ; pour la théologie scolastique, la femme, être faible de corps et d’esprit, est esclave de ses sens ; elle est sujette au péché. Au fil des siècles, en effet Eve demeure la grande Pécheresse. Elle effraie plus qu’elle ne séduit, même lorsque les artistes s’efforcent de lui donner un corps jeune et beau : cette beauté, qui à la fin du Moyen Âge peut devenir lascive, est celle du diable. Elle prend l’apparence de jeune fille pour mieux tromper les hommes. Dans les images du Moyen Age finissant la représentation des Saintes se diversifie, se fait plus féminine, plus « réaliste ». Le corps de la femme se transforme, s’arrondit, se dénude, devient plus charnel, plus séducteur, plus lascif. La mise en images de la passion des saintes est l’occasion de les dévêtir, d’exposer leur corps et leur féminité, de transformer une iconographie, hagiographique en une scène profane. Pour la morale médiévale, il est souvent plus inconvenant de montrer quelqu’un en chemise, signe d’infamie ou de déchéance sociale, que de le monter tout nu, c’est-à-dire tel que l’a fait le Créateur : artistes du 15e siècle en profitent; c’est le moment où la sensibilité est en pleine mutation et où les systèmes de valeurs articulés autour du corps se transforment profondément. Dorénavant, on n’hésite plus à mettre en scène la nudité pour elle-même, à multiplier les scènes de bain, de luxure, voire de véritable commerce charnel. Marie reste pleinement vierge et mère – mais thème de la Vierge allaitant peut parfois donner lieu à une ostension quelque peu ambiguë du sein virginal ; Eve se paganise ; une ancienne déesse joue un rôle croissant : Vénus : une authentique incarnation de la femme Vénus se transforme bien avant la Renaissance en un séduisant être de chair. Une sensibilité nouvelle commence à tourner le dos à l’aristotélisme antiféminin de l’esthétique scolastique. On préfère la philosophie néo-platonicienne, pour laquelle le bon et le beau tendent à se confondre : Un beau corps n’est plus nécessairement trompeur, il peut abriter une belle âme. Le beau rapproche de Dieu, appartient à Dieu, est une émanation de Dieu. C’est le laid qui est désormais perçu comme diabolique. En soulignant comme tout amour est désir de beauté, philosophes et théologiens ouvrent la porte à un courant sensualiste, qui va permettre dans l’image de passer du divin au profane et de l’amour à l’érotisme. L’Ancien Testament, l’hagiographie et la mythologie regorgent d’épisodes qui se prêtent à dévêtir avec sensualité le corps féminin : Eve n’est plus seule à montrer sa nudité. Bethsabée au bain, Suzanne devant les vieillards, Catherine sur la roue, Marie-Madeleine sous ses cheveux et surtout Vénus en de multiples occasions éveillent, elles aussi, la concupiscence. Et aussi : Muses, nymphes, grâces, vertus personnifiées et déesses païennes de toutes natures. L’ELEGANCE D’UN BEAU CORPS A LA RENAISSANCE Dans la 2e moitié, du e XIII commence à se manifester l’importance de la statuaire antique. Le canon des mesures n’obéit ni à Vitruve, ni à aucun système médiéval. La tonalité classique est due à la nudité et à la musculature, rendue avec une maîtrise étonnante. Elle résulte aussi de la pose : statue prend appui sur la seule jambe droite, dans une attitude nonchalante qui laisse inerte l’autre jambe, légèrement repliée et touchant à peine le sol : ce contrapposto antique donne au corps, tout musclé, une souple élégance. La nudité de nouveau exhibée se combine avec une pose copiée de la Vénus pudique : une main cache la poitrine, l’autre dissimule le sexe. Les artistes qui veulent représenter des nus en les dotant de cette beauté idéale qui semble l’apanage des statues antiques leur donnent une attitude de hanchement contrarié ; en même temps ils tâchent de rapprocher leurs proportions du schéma conventionnel de Vitruve LE 15E SIECLE : LA BEAUTE REVELE Vertus terrestres et « beautés de l’âme (Portraits dans la Florence du Quattrocento) La beauté est au centre d’innombrables dialogues et discours à l’aube de la modernité. Une certitude les accompagne : celle d’une perfection installée au cœur du monde. Cette beauté serait aussi modèle unique, ensemble achevé : « Marque des choses célestes », « ange descendu du ciel ». Les principes théoriques, apparemment éloignés de tout comportement concret, infléchissent pourtant la manière quotidienne de regarder le corps, privilégiant ses parties « hautes », le buste, le visage, l’œil et son ferment divin, celles censées manifester la seule et vraie beauté, la plus parfaite aussi, parce que la plus « élevée » Autre conséquence : l’absolu ne saurait être corrigé, la beauté ne saurait être « retravaillée » : inévitable ambiguïté d’embellir le corps, l’interminable contestation de tout artifice La femme en particulier avec « ses chairs tendres et son teint d’un blanc éclatant » est conçue comme un modèle de beauté : une vision des perfections, vision des différences sexuées : mêlent ici confusément l’expérience de l’excellence extrême à la certitude d’un assujettissement LES VENUS C’est précisément sur l’image de Vénus que se concentre le symbolisme néoplatonicien ; elle plonge ses racines dans la relecture que fait Ficin de la mythologie ; il suffit de songer aux « Vénus Jumelles » du Banquet qui expriment deux degrés de l’amour également comme honorables et dignes de louanges ». Titien fait référence de manière explicite aux Vénus Jumelles, dans son Amour sacré et amour profane, pour symboliser la Vénus Céleste et la Vénus Vulgaire, deux manifestations distinctes d’un unique idéal de Beauté. Botticelli, en revanche, spirituellement proche de Savonarole (pour qui la Beauté n’est pas une qualité qui se dégage de la proportion des parties, mais resplendit avec d’autant plus de lumière qu’elle s’approche davantage de la Beauté divine, place la Venus Genitrix au centre de la double allégorie du Printemps et de La Naissance de Vénus. La Vénus terrestre va l’emporter sur la Vénus céleste: sa chair blonde, ses poses de courtisane vont se laisser envahir, de Giorgione à Titien et au Corrège, d’un abandon de plus en plus sensuel. Le triomphe durera peu, car cette nudité finira par paraître scandaleuse. Rubens et Rembrandt n’hésiteront pas à montrer, de façon tendre, chairs fanées ou alourdies. Le nu idéalisé est un genre qui prend son essor en Italie avec la Renaissance. Il s’exporte par la suite dans le Nord en même temps que l’humanisme italien. Le nu féminin devient alors un des thèmes privilégié de la Renaissance allemande et se décline aussi bien en peinture qu’en sculpture. Il prend une apparence plus robuste et une anatomie plus schématique. Dans ce domaine, Cranach est le seul qui donne une certaine fluidité à ses personnages. Dans la plupart des cas, ses représentations conservent une valeur morale. Dotées de chapeaux et de bijoux, les beautés de Cranach apparaissent comme une mise en garde contre la concupiscence. Lucas CRANACH dit l'Ancien - Kronach, Vénus debout dans un paysage, 1529. Cette gracieuse Vénus debout est caractéristique du type de nu féminin de Lucas Cranach L’Ancien, peintre attitré des princes électeurs de Saxe et l’un des grands noms de la peinture allemande du XVI e siècle avec Dürer et Holbein Le corps pâle de la jeune femme debout se détache du paysage sombre en fond. Son visage poupon, ses yeux en amande, son corps d’adolescente et sa blancheur glaciale sont des traits constants dans les personnages féminins de Cranach. Ces peintures magnifiant le nu féminin constituent la partie la plus célèbre de la production du peintre, elles ont connu un grand succès sous le règne de l’Electeur de Saxe Jean le Constant. Vénus, déesse de la beauté, apparaît souriante, vêtue de ce grand chapeau que l’on retrouve dans la plupart des œuvres du peintre. Ce dernier déclinera ce thème à de multiples reprises. LA BEAUTE DES CORPS AU XVIe SIECLE : UN EROTISME AFFIRMEE La beauté médiévale existe : visage symétrique et blanc, seins marqués, taille resserrée. Les corps évoqués par les mots du 16e, en revanche semblent revisités : les chairs se soulignent, les termes se diversifient. Le corps féminin en particulier y gagne une épaisseur et une carnation qu’il n’avait pas. L’apparence y devient plus pulpeuse, le galbe plus consistant. C’est l’importance du sensible qui a grandi, un attachement plus étroit et surtout plus accepté à l’esthétique et au plaisir. Les valeurs mondaines se sont davantage imposées, celles des agréments quotidiens, celles de la vie, de l’immédiat. TITIEN, La Vénus d’Urbino, vers 1538 Titien s’est, à l’évidence, inspiré de la Vénus de Giorgione(achevée 28 ans plus tôt (1510), après la mort de l’artiste de Castelfranco, par son élève, le Titien lui-même). L’œuvre, peinte à l’apogée de la Contre-Réforme a sans doute été renommée « Vénus » par Vasari, afin de lui éviter les foudres du Pontificat. Montre surtout à quel point Titien s’éloigne de l’illustre Vénus de Dresde (1507) de Giorgione : à la beauté idéale, source de contemplation et de sérénité se substitue une image chargée de sensualité. Si la Vénus « céleste » de Giorgione semble classiquement belle, inaccessible, celle du Titien se veut érotique, accueillante. La ligne « chaste » est brisée et par l’intensité érotique qui s’en dégage, l’œuvre du Titien annonce déjà cette Vénus « naturalis », dont il s’en révélera l’un des deux maîtres incontestés. Avec Pierre-Paul Rubens. L’APOTHEOSE DE LA CHAIR AU XVIIe SIECLE Dans le vocabulaire esthétique, le terme de morbidezza évolue rapidement : après avoir qualifié l’attitude des corps, il s’applique maintenant aux chairs. Il en définit les qualités moelleuses et suaves. Ce glissement sémantique marque un changement des valeurs esthétiques. Les critères de beauté se déplacent : on considère moins le dessin des contours du corps que le rendu des carnations. Ou bien l’artiste prend pour guide la statuaire, privilégiant l’anatomie, les proportions ou l’attitude en insistant sur les contours et modelé, ou il recourt à des moyens purement picturaux pour donner aux chairs des qualités de souplesse, de douceur, et la subtilité de tons des carnations variables. L’opposition réside dans le rendu de la peau, opaque ou diaphane, dans les jeux d’ombre, nets ou subtils, et dans la ligne de contour ; l’opposition entre le beau emprunté à la statue et celui propre à la chair. PIERRE PAUL RUBENS, Les Trois Grâces, 1625-1630 Les corps des femmes sont des corps opulents et massifs, du goût du peintre. Il faut aussi souligner la chair nacrée et fine, presque transparente, l’élégance des pauses et les attitudes des femmes, en plus de leur sérénité paisible. L’atmosphère et l’ambiance du paysage sont aussi agréables et en harmonie avec les attitudes des déesses, pleines elles aussi de sensualité. REMBRANDT HARMENSZ, Bethsabée au bain tenant la lettre de David, 1654 L'un des tableaux majeurs de l'artiste qui a concentré la représentation de l'épisode sur Bethsabée à sa toilette, infiniment troublée par le message royal, à la fois victime et pécheresse. Il peint Bethsabée d'après un modèle vivant, sa compagne Hendrickje Stoffels. La sensualité offerte à notre regard, cause du péché imminent, contraste avec l'air profondément triste de la jeune femme. Le jeu velouté du clair-obscur, tout en conférant un caractère dramatique à la scène, est entièrement dévolu à la mise en valeur du corps de Bethsabée. LE THEME DE L’ODALISQUE JEAN-AUGUSTE-DOMINIQUE INGRES, Une Odalisque, 1814 Ingres a peint ici un nu aux lignes allongées et sinueuses sans tenir compte de la vérité anatomique, mais les détails comme la texture des tissus sont rendus avec une grande précision. Le thème du nu, majeur en Occident, était surtout lié à la mythologie depuis la Renaissance, mais Ingres le transpose ici dans un ailleurs géographique. De nombreuses oeuvres du maître se rattachent à l'orientalisme, tout au long de sa carrière, notamment Le Bain turc (musée du Louvre) peint à la fin de sa vie. L'exposition de La Grande Odalisque au Salon de 1819 a confirmé l'incompréhension des critiques envers son style. On lui reproche son mépris de la vérité anatomique qui le distinguait de son maître Jacques Louis David (1748-1825) Dans son oeuvre, Ingres donne la première place au dessin. En contraste avec cette abstraction des lignes, le rendu des détails, des matières des tissus par exemple, est illusionniste. L'oeuvre se distingue encore par sa subtile économie de couleurs. Ce motif sensuel est traité dans une harmonie froide soutenue par les draperies bleues. L'or des autres tissus fait de cette odalisque une figure de rêve et de mystère. 2. Le portrait Le visage est une matière de symbole. Mais pour l’homme lui-même, il est souvent un lieu problématique, ambigu. [Rimbaud : « Je est un autre»] Certaines sociétés érigent des tabous envers tout portrait. Relation problématique avec le temps qui passe et laisse ses traces sur un visage éminemment vulnérable. Vieillir, pour beaucoup d’occidentaux, c’est perdre peu à peu son visage, et se voir un jour sous des traits étrangers avec le sentiment d’avoir été dépossédé de l’essentiel. [« On meurt avec un masque »] Les hommes n’ont pas contemplé leur visage de toute éternité et sous tous les climats avec les mêmes frémissements et les mêmes craintes. Le sentiment du visage est l’objet d’une construction culturelle, il est déterminé par le statut socialement accordé à la personne. LA BEAUTE MAGIQUE ENTRE LE XVE ET LE XVIE SIECLE ENTRE INVENTION ET IMITATION DE LA NATURE La perspective est découverte en Italie. De nouvelles techniques picturales sont diffusées dans les Flandres. Le concept de la Beauté prend une double orientation qui nous paraît aujourd’hui contradictoire : La Beauté est entendue soit comme imitation de la nature selon les règles scientifiquement prouvées, soit comme contemplation d’un degré de perfection surnaturelle, non perceptible par la vue car non entièrement réalisé dans le monde sublunaire. La connaissance du monde visible devient le moyen d’appréhender une réalité suprasensible ordonnée selon des règles logiques et cohérentes. L’artiste est donc à la fois – et sans que cela paraisse contradictoire – créateur de nouveauté et imitateur de la nature. Léonard affirme que l’imitation est, d’une part, étude et inventivité restant fidèle à la nature car elle recrée l’intégration de chaque figure avec l’élément naturel, d’autre part, activité nécessitant une innovation technique (par exemple, le célèbre sfumato de Léonard, qui rend énigmatique la Beauté des visages féminins) et non pas répétition passive des formes. Selon Léonard, le peintre est créateur de la Beauté : « Le peintre est maître de toute sorte de gens et de toute chose. Si le peintre veut voir des beautés capables de lui inspirer l’amour, il a la faculté de les créer, et s’il veut voir les choses monstrueuses qui font peur, ou bouffonnes pour faire rire, ou encore propres à inspirer la pitié, il est leur maître et dieu...» [Traité de Peinture, 1498] Nombre de portraits féminins restent au visage de profil, dépourvu de ce rapport direct avec l’observateur que commencent en revanche à introduire les portraits masculins au regard décidé de Botticelli et de Filippino Lippi : passent du trois quarts à une position de plus en plus frontale. Dans son premier essai de portraitiste sur le thème de la beauté féminine, la merveilleuse Ginevra de’ Benci, Léonard de Vinci rappelle, par une inscription au verso du tableau, que la beauté orne la vertu : « Virtutem forma decorat » ? LEONARD DE VINCI, Ginevra de’ Benci, recto, vers 1475 Piero di Cosimo, PORTRAIT DIT DE SIMONETTA VESPUCCI, VERS 1485-1490 Célèbre pour sa beauté, Simonetta Vespucci (1453-1476), morte jeune de phtisie, entra dans la légende pour avoir été aimée par Julien de Médicis, qui ne lui survécut que deux ans. Depuis le milieu du 15e, la beauté a brusquement gagné en on insistance et en immédiateté. I y a une manière nouvelle de restituer la présence charnelle, le jeu avec les masses physiques, la couleur, l’épaisseur des formes et des arrondis. La beauté est rentrée dans la modernité avec le brusque réalisme des formes prises par les corps peints dans la Toscane du 15e. Il y a une hiérarchie du visible et du corps donné dans le quotidien : le privilège donné aux parties hautes, l’intense investissement sur le visage, orientation très focalisée sur le regard que nombre de contraintes ont su imposer. Dès le 15e siècle s’accumulent dans ateliers portraits de femmes retenues moins pour leur prestige ou pour leur statut soc que pour leur B Titien, LA BELLA , 1536 Personnage sans nom, mais beauté parfaite, cette f est peinte pour cette raison même, elle conduisant le duc d’Urbino à acquérir le tableau pour admirer une « Beauté idéale ». Une beauté retenue « pour son seul intérêt » Les collections des premiers amateurs d’art changent d’ailleurs d’objet : leur but n’est plus seulement d’accumuler les grands scènes religieuses, les curiosités, les portraits de personnages privés ou publics, leur but est aussi d’illustrer les principes mêmes de la beauté. Teint lumineux et blanc pour l’une, teint sombre et plombé pour l’autre, la femme incarne par rapport à l’homme, au XVI e siècle, l’absolu de la beauté. La beauté absolue, incontestable, fige le spectateur, agit sur lui. RAPHAEL, Portrait de Femme (La Donna velata), 1513 Dans le processus de réhabilitation du concept de beauté comme imitation de la nature que Platon avait condamné, le néoplatonisme, lancé à Florence aux accents mystiques d’un Tout ordonné en sphères harmonieuses et graduées, se propose un triple devoir : diffuser et rendre actuelle l’antique à l’intérieur d’un système symbolique cohérent et intelligible, montrer l’harmonie de ce système avec le symbolisme chrétien. La Beauté acquiert ainsi une haute valeur symbolique, qui s’oppose à la conception de la Beauté comme proportion et harmonie. La Beauté divine se diffuserait dans la créature humaine mais aussi dans la nature. LEONARD DE VINCI, Portrait de Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, dite Monna Lisa, la Gioconda ou la Joconde, vers 1503 - 1506 Il s'agirait du portrait de Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, marchand d’étoffes florentin, dont le nom féminisé lui valut le "surnom" de Gioconda, francisé en "Joconde". Le sourire du modèle est son attribut ». Léonard en a fait le motif essentiel de son portrait. LE TRIOMPHE DU HAUT La beauté sociale, celle des espaces quotidiens, obéit au e siècle à des normes pressantes qui XVI commandent l’apparence Le critère du découvert et du caché : l’existence des zones avilies et des zones ennoblies ; membres honorables et membres dépréciés Selon les traités de beauté, il faut se tenir qu’aux parties découvertes. Les robes du 16e s’échappent quasiment à l’horizontale. Le bas peut même être objet de luxe pour mieux effacer la forme physique. Le bas demeure support, socle quasi immobile du haut. L’ordre esthétique est orienté par l’ordre cosmique : la beauté du monde sert de modèle à la beauté du corps. Le ciel cosmique et le ciel corporel se confondent au XVI e siècle Le buste, visage et mains sont les lieux appelant l’esthétique physique. Les parties supérieures sont en proximité avec la nature des anges, elles s’imposent par leur emplacement, dont l’éminence permet à mieux les contempler. Ces références sont encore identiques au e XVII siècle. Il s’agit d’une anatomie orientée, déclinée du noble au moins noble, du délicat au grossier. LE TITIEN, La Femme au miroir, 1512-1515 Titien donne ici le prototype de l'idéal féminin caractéristique de la peinture vénitienne. Le visage incliné, les yeux bleus, la carnation claire, les épaules nues, les cheveux blonds, ondulés et détachés sont autant de détails qui fixent l'idéal féminin à Venise au début du XVIe siècle. Jean-Auguste-Dominique INGRES, MADEMOISELLE CAROLINE RIVIERE, 1806 Ce portrait est exposé au Salon de 1806. La critique reproche à Ingres d'être « gothique ». On faisait un parallèle entre son style et celui des peintres primitifs, comme Van Eyck. Ingres, ulcéré par ces critiques, était toutefois prêt à devenir le "révolutionnaire" de l’art. La pose de la jeune fille évoque les portraits de Raphaël, un "dieu" pour Ingres. Mais les caractéristiques du dessin, laissant de côté l'exactitude anatomique, sont propres au jeune artiste novateur. LA RELIGION DE LA BEAUTE XIXe SIECLE Les grands thèmes de la sensibilité décadente tournent tous autour de l’idée d’une Beauté née de l’altération des puissances naturelles. Les esthètes anglais et français lancent une redécouverte de la Renaissance vue comme réserve inépuisée des rêves cruels et doucement malades : dans les visages léonardiens ou botticelliens, on cherche la physionomie imprécise de l’androgyne, de l’hommefemme à la Beauté innaturelle et indéfinissable. Les Beautés des peintures des symbolistes sont des beautés rêvées, idéalisées, dont on ne peut saisir le charme que si elle est référée à un modèle artificiel, à son aïeule idéale dans un tableau, un livre, une légende. Dans cet art obsédé par la fleur [Symbolisme, Préraphaélites, Art nouveau] le sens de la fragilité et de la dégénérescence qui traverse le monde végétal, l’éphémère, sont au premier plan. [voir Dandy, Wilde, Baudelaire, D’Annunzio, Huysmans...] La Beauté du décadentisme est imprégnée du sentiment de décomposition, de déliquescence, d’épuisement, de langueur. DANTE GABRIEL ROSSETTI, Beata Béatrix, 1865 Il s’agit d’un portrait posthume d’Elisabeth Siddal, la compagne de l’artiste un an après son suicide. Rossetti la représente au moment de sa mort « heureux ». DANTE GABRIEL ROSSETTI, Venus Verticordia, 1864-1868 DANTE GABRIEL ROSSETTI, Lady Lilith, 1867 FERNAND KHNOPFF, L’art, les caresses ou le Sphinx, 1896 Ce fils d’un aristocrate autrichien installé en Belgique devient un dandy impressionnant et un portraitiste de société à Bruxelles. L’amour excessif pour sa soeur semble être la clef pour l’ambivalence ambiguë de ses peintures de femmes imaginaires. Cette peinture représente également le rapport étrange que l’artiste entretient dans sa solitude avec l’imaginaire.