la jalousie - ecoledepriere
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LA JALOUSIE I. LA JALOUSIE 1. Tristesse de ce qu’est l’autre 2. Un manque d’amour de soi 3. Une passion avant d’être une faute 4. Le contraire de l’amour 5. Une progéniture nombreuse 6. Le jaloux se trompe lui-même II. Comment soigner la jalousie ? 1. La Bible, maîtresse en humanité 2. Reconnaître sa jalousie 3. Nu critiquer nui accuser 4. Eviter d’éviter 5. Accepter que l’autre soit l’autre 6. Eviter la comparaison 7. Accepter le manque 8. Se raisonner 9. L’estime de soi 10. Se faire aider 11. Bénir 12. La communion des saints L'orgueil, l'avarice, la jalousie, la colère, la luxure, la gourmandise et la paresse sont des péchés capitaux parce qu'ils sont générateurs d'autres péchés. La croissance et la guérison de notre incapacité d’aimer passe par la connaissance de notre coeur. Avec Pascal Ide (revue « famille chrétienne)) de l'été 2001), Koinonia poursuit la revue de quelques-uns de ces péchés. Aujourd'hui, « la jalousie », tristesse cachée et honteuse, à propose de laquelle il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise, c'est que nous sommes tous plus ou moins jaloux, et que nous l'ignorons. La bonne, c'est qu'il y a un remède (voir article dans ce numéro)... Cette tristesse mesquine qui survient sans prévenir et nous mord le coeur. Une amertume qui ronge, mine, et contamine l'entourage. L'envie est laide, petite, mesquine. C'est, avec l'orgueil, le péché capital le plus fréquent. « Quand un homme sent qu'il manque d’une qualité qu'il peut avoir, écrit Montesquieu, il se dédommage par jalousie » L'envieux s'attriste de ce que 1'autre possède et qu'il n’a pas : ses qualités, sa gloire, sa richesse, son conjoint, etc. 1 I. LA JALOUSIE 1. TRISTESSE DE CE QU’EST L'AUTRE Des psychanalystes vont plus loin. Le jaloux s'attriste non pas de ce qu'a 1'autre, mais de ce qu'est 1'autre. Les moralistes traditionnels n'ignoraient pas cette subtilité lorsqu'ils distinguaient 1'envie - qui porte sur les choses - et la jalousie - qui porte sur les personnes. Jean, 3 ans, et Ludovic, 5 ans, jouent ensemble. C'est 1'heure du goûter. Maman apporte une tartine au cadet. Ludovic se met en colère: « Et moi ? C'est pas juste ! - La tienne, je te 1'apporte tout de suite». Quelques secondes plus tard, la mère offre une tartine à 1'aîné qui la repousse : « Non, dit-il, je veux celle de Jean». Ludovic exige moins 1'objet du plaisir que le plaisir même qu'éprouve son cadet. Il refuse que celui-ci puisse goûter une délectation sans qu'il en soit, lui, Ludovic, le premier et majeur bénéficiaire. Plus encore, il veut être, seul, au centre de 1'affection maternelle. Justice ne lui sera rendue que lorsqu'il aura reçu une plus grosse part que son frère. C'est aussi vrai de 1'adulte jaloux qui, explique saint Augustin, « redoute de voir 1'autre 1'égaler ou dont 1'égalité le fait souffrir ». 2. UN MANQUE D'AMOUR DE SOI Depuis la chute originelle, un Caïn - le premier jaloux - sommeille en nous. Placez Valentine, 2 ans et demi, an milieu d'autres enfants : il ne faudra pas cinq minutes pour qu'une guerre éclate sur le tas de sable à propos d'un seau convoité. La jalousie jaillit à la vue du bonheur d'autrui. Mais ce spectacle ne nous affecterait pas s'il n'y avait en nous un vide. Pour les amoureux qui se sentent comblés, le bonheur de 1'autre ne les fait pas souffrir - au contraire, il accroît le leur. Inversement, plus on se sent privé, plus la jalousie mord le coeur. Dans le fond, ce qui manque au jaloux, ce n’est pas seulement telle ou telle chose, c'est 1'estime de son propre bien. Dans un de ses romans, Mary Higgins Clark met en scène une ravissante jeune femme; survient, au cours d'une soirée, une superbe créature. Tous les hommes de 1'assistance se tournent vers 1'apparition. « Je ne sais pas si toutes les femmes ont ressenti la même chose que moi, confie 1'héroïne, mais à cet instant précis, je me sentis très fade. » Quel homme, devant qui 1'on dresse 1'éloge d'un confrère pour sa réussite professionnelle, son intelligence, son humour, n’entend pas en lui une voix qui susurre : « Et moi ? Et moi ? » ? Nous touchons ici le fond de la jalousie - tant du péché que de la blessure qui la favorise : le manque d'amour de soi. La jalousie est toujours une ingratitude. Avant de se protéger de la lumière qui rayonne d'autrui, le jaloux s'aveugle sur sa propre capacité à éclairer. 3. UNE PASSION AVANT D'ETRE UNE FAUTE Qu'un célibataire soit frustré en assistant au mariage de son meilleur ami, et se sente jaloux, n'est ce pas légitime ? Que 1'annonce de la naissance du quatrième enfant chez les voisins, alors que nous ne parvenons pas à en avoir, nous serre le coeur, n'est-ce pas humain ? Alors la jalousie est-elle vraiment un péché? Il convient de distinguer la faute du sentiment. La tristesse envieuse est d'abord une passion, une réaction de la sensibilité : elle entre sans frapper, surgit sans prévenir. La faute commence lorsque nous nous acoquinons avec la passion, et devenons son complice. Quand nous la justifions et 2 1'entretenons, par des pensées, des paroles, ou des actions. Au marché, ce matin : « Tu as vu Martine, là-bas elle est toujours pimpante, soignée, avec ses trois enfant impeccables. Oui, mais elle a une aide à domicile et son mari gagne des fortunes. Tu sais, je ne suis pas sur qu'elle soit très heureuse avec lui... » Jalousie : il n'y a qu’un mot pour désigner la blessure et la faute, on peut le regretter. Mais ce terme unique signifie aussi la continuité d'une histoire qui peut aller de la fermeture subie c'est la blessure - à la fermeture consentie - c'est le péché. 4. LE CONTRAIRE DE L'AMOUR N'est-il pas normal d'être jaloux lorsqu'on aime ? « Rien ne ressemble plus à l’amour et rien ne lui est plus contraire, violemment contraire », répond Christian Bohin, dans La plus que vive. « Le jaloux croit témoigner, par ses larmes et ses cris, de la grandeur de son amour. II ne fait qu'exprimer cette préférence archaïque que chacun a pour soi-même […] C'est le petit enfant en moi qui trépignait et faisait valoir sa douleur comme monnaie d’échange. » L'envie réactive 1'amour captatif de 1'enfant pour sa mère. Le jaloux veut être non seulement 1'unique aimé, mais 1'unique cause du bonheur de 1'autre: ce mégalomaniaque exige d'être au centre de 1'amour reçu et de 1'amour donné. « Il y a dans la jalousie plus d'amour propre que d'amour », disait La Rochefoucauld. 5. UNE PROGENITURE NOMBREUSE La jalousie n’est pas seulement un péché, mais un péché capital. Ce « péché de tête » engendre une progéniture nombreuse, moche et rabougrie: malveillance, dénigrement, satisfaction devant les difficultés de l'autre, déception de voir sa réussite, haine... Observez. Dans une équipe, le jaloux dénigre toutes les initiatives dont il n’est pas l’auteur. Il fait perdre un temps et une énergie considérables. Ce pisse-vinaigre est aussi 1'un des pires fomenteurs de division. Accouplée à la cupidité, 1'envie fracture les familles les plus unies à 1'heure de 1'héritage. Poussée à 1'extreme, elle assassine. Le jeune David n’est qu'un berger, mais il vient de tuer le géant Goliath. Alors, « les femmes sortirent de toutes les villes d’Israël [..], dansaient et chantaient ceci : "Saül a tué des milliers, et David des dizaines de milliers" Le roi Saul fut horriblement vexé. « II dit, dépité : "On a donné les dizaines de milliers à David et à moi les milliers, il ne lui manque plus que la royauté!" Et, à partir de ce jour, Saül regarda David d’un regard jaloux. » Il voulut le tuer (1 S 18,6-11). La jalousie peut même joindre le suicide à 1'homicide. 6. LE JALOUX SE TROMPE LUI-MEME Pour au moins quatre raisons, le jaloux se leurre sur lui-même. - La première, c'est la honte. La jalousie est le seul des sept vices capitaux dont on ne se vante pas - sauf si on est amoureux! - D'autre part, 1'envieux pratique la politique de 1'autruche. La jalousie est en effet toujours «spécialisée». Elle s'exerce à 1'egard d'une personne (un frère, un collègue...), d'une catégorie de personnes (des mères de famille, des joueurs de golf.. .), dans un 3 domaine précis (voitures, habits, talents...). Le déni est donc facile : il suffit de regarder où je ne suis pas jaloux pour croire que je ne le suis pas. - Autre justification masquée: « Les jaloux sont des égoïstes, repliés sur eux-mêmes. Moi, je suis généreux ». Creusons un peu: généreux envers qui ? Le jaloux est en effet altruiste ... seulement vis-à-vis de ceux qui sont plus malheureux que lui. Il peut se rendre indispensable, s'il est assuré d'être au coeur du bonheur de 1'autre. - Enfin, cette jalousie qui peut devenir maladive et paranoïaque cache souvent une blessure d'enfance; le péché se greffe alors sur 1'immaturité psychologique. « Le matin, quand mon père était parti travailler, je venais dans le lit de ma mère, raconte la réalisatrice Nadine Trintignant Quand le moment venait où il fallait qu'elle se lève- elle s'occupait de la maison, de ses cinq enfants, de tout -, c'était chaque fois pour moi une terrible souffrance. Je m’en souviens comme d’une violence. » Elle poursuit : « Je continue à la vivre avec les hommes ». L'enfant mal-aimé qui sommeille dans le jaloux vivra tout éloignement de son conjoint comme un rejet insupportable, et les amitiés de ce dernier comme des menaces et des trahisons. « Le jaloux est celui qui ne peut pas croire à la bonté d'autrui, même quand il a des signes de son amour, explique 1’ exégète Paul Beauchamp. La jalousie conduit à considérer tout dire comme un rival et à ne pas croire à l’amitié. » Pascal Ide dans Famille Chrétienne n°1230, août 2001 II. COMMENT SOIGNER LA JALOUSIE ? La jalousie s'attriste de ce que 1'autre est et de ce que 1'autre possède : ses qualités, sa gloire, sa richesse, son conjoint, etc. Le jaloux ne peut croire à la bonté d'autrui, même quand il a des signes de son amour. II en arrive à considérer tout être comme un rival et à ne pas croire à l’amitié. Fréquemment, la racine de la jalousie réside dans une blessure d'enfance. Pas d'hypocrisie : tous, ou presque, nous ressentons de la jalousie. Grosso modo, trois attitudes personnelles sont possibles: critiquer ; éviter 1'autre ; ou bénir. Seule la dernier apporte la paix. C'est souvent le fruit d'un long combat. II reste que la jalousie n’est pas sans remède ... à condition de 1 'avoir reconnue ! 1. LA BIBLE, MAITRESSE EN HUMANITE. La Bible met en scène de nombreux jaloux criminels (Caïn, Saül, Hérode), mais aussi d’admirables contre-exemples : Moïse, Jonathan et David, Jean Baptiste… * Lorsqu’Eldad et Médad se mettent à prophétiser, Josué intervient pour que Moïse les arrête. Celui-ci réagit avec humour : « Serais-tu jaloux pour moi ? Si seulement tout le peuple du Seigneur devenait un peuple de prophètes sur qui le Seigneur aurait mis son Esprit ! » (Nb 11, 28-30). * Dans le Nouveau Testament, on voit les disciples du Baptiste venir lui parler de Jésus « Maître, Celui qui était avec toi de l'autre côté du Jourdain, Celui à qui tu as rendu témoignage, Le voilà qui baptise et tous viennent à Lui.» (Jn 3, 26). Pas moins de cinq 4 comparaisons qui pourraient être autant de raisons de jalousie. Or le cousin de Jésus, loin de se laisser piéger, se dérobe à la tentation par 1'humilité. Sans se nier, il donne à chacun sa juste place : « Il faut que lui grandisse et que moi, je décroisse » (Jn 3, 30). 2. RECONNAITRE SA JALOUSIE. Ne pas nier cette tristesse et 1'appeler par son nom. Elle engendre le plus souvent trois sortes de réactions : la dépression, la culpabilité ou 1'agitation. Pourquoi feuilletez-vous 1'annuaire des Anciens de votre faculté universitaire, dont vous êtes, en vous attardant sur les cursus et les âges ? Avouez que vous comparez, et cherchez à vous rassurer. Quelques signes mettent la puce à 1'oreille : ... des signes qui ne trompent pas… - A 1'annonce d'un heureux événement survenant à quelqu'un (promotion, reconnaissance, mariage etc.), le jaloux est incapable de ressentir la moindre joie : il est soit triste, soit indifférent. - Le jaloux est captatif, exclusif dans la relation. Souvent, il étouffe 1'autre (le conjoint, 1'enfant, l'ami, le collègue) par son besoin exclusif d'être préféré. - Le jaloux cherche à diminuer le bonheur de l'autre. « Allo, Sophie; cela se passe bien ces vacances avec ta famille? - Oui. Les enfants sont adorables. - Et ta belle soeur ? - Elle est charmante. - Et le temps? - Il pleut.» L'amie jalouse raccroche, soulagée par cette ombre au tableau. - L'envieux a spontanément 1'esprit plus critique que laudatif. Il a besoin de dénigrer les personnes brillantes - ceux dont on dit : « Ils ont réussi ». - Le jaloux ne sait pas plus adresser de compliments qu'il n’arrive à les entendre pour autrui. Inversement, il chantera les louanges excessives de quelqu'un en présence de la personne jalousée, pour mieux la dévaluer à ses propres yeux. - L'état intérieur du jaloux varie en fonction de ce qui arrive à 1'autre. Lorsqu'il apprend le malheur d'autrui; il est secrètement joyeux ou étrangement paisible; il peut aussi ressentir une sollicitude soudaine à son égard alors qu’il n’éprouvait qu’indifférence, ou rancoeur. - Le jaloux n'a pas confiance. II n'est jamais rassuré. Il ne veut pas croire, mais savoir : « Chéri, je t’ai dit que je t’aimais ! - Et bien prouve-le ! » Il demande 1'impossible : 1'amour s'éprouve, il ne se prouve pas. - Le jaloux est dispersé. Il ne vit que pour accumuler les garanties de sa valeur. Ce qui rend difficile la prière et la vie intérieure. 3. NI CRITIQUER NI ACCUSER. Si c'est un proche, la critique se transforme en accusation : « Tu n’es pas assez là », « Tu ne m'écoutes jamais », etc. Le jaloux, comme le colérique, s'imagine volontiers que si 1'autre changeait, son état intérieur s'apaiserait. C'est faux. 5 4. EVITER D’EVITER. Nous optons souvent pour 1'evitement de la personne qui suscite notre envie : « C'est fini, je ne passerai plus de vacances avec cette belle-soeur qui arrive à tout assumer, son boulot, ses enfants, son mari... Elle me complexe trop ». La fuite temporaire vaut mieux que la calomnie ou médisance. Mais le contact volontaire avec la personne peut être thérapeutique. 5. ACCEPTER QUE L’AUTRE SOIT AUTRE. Notre besoin de fusion nous fait croire que si 1'on dit - ou si 1'on pense - du bien d'autrui, cela diminue notre propre valeur. Prenons conscience qu’en réalité, la gloire de l' autre ne nous fait pas ombrage. Cloisonnons, distinguons. L'autre est autre, unique lui aussi, avec ses talents propres. 6. EVITER LA COMPARAISON. C'est la racine de la jalousie. Ne donnons pas prise à ceux qui cherchent à susciter votre envie. 7. ACCEPTER LE MANQUE. Sortons de 1'illusion que nous serons un jour comblé par une situation ou par une personne. Même un artiste aussi génial que le peintre Raphaël était jaloux de MichelAnge ... au point d’avoir demandé au pape Jules II de terminer le plafond de la Sixtine à sa place. 8. SE RAISONNER. Si nous atteignons un jour notre objectif d'être le meilleur, notre satisfaction sera mêlée de la crainte constante d'être détrôné. Disons-nous une fois pour toutes qu'il existe, à travers le monde, une personne qui possède ce quelque chose qui nous manque, et que nous courrons toujours le risque de la rencontrer ... 9. L’ESTIME DE SOI. Prenons conscience que la jalousie est un péché d'ingratitude à 1'egard des dons qui sont en nous. 10. SE FAIRE AIDER. Si la jalousie est trop douloureuse et la souffrance trop constante, n'hésitons pas à nous faire accompagner au plan psychologique: il se rejoue probablement des blessures d'enfance sur lesquelles aucun effort de volonté n'a de prise. 11. BENIR Non seulement, arrêtons de minimiser le mérite de celui que nous jalousons, mais demandons à Dieu de le bénir pour qu'il soit plus heureux. « Bénis, Seigneur, cette belle-soeur pour tous les talents que tu lui as donnés, et comble-la de tes bienfaits. » Lorsque nous sentons la tristesse de la comparaison envahir notre coeur, remercions Dieu du bonheur de 1'autre, et louons-Le. Mais ne soyons pas « maso » et ne nous attardons pas trop; la bénédiction pourrait se transformer en son contraire ! 6 12. LA COMMUNION DES SAINTS. Si cela ne suffit pas, le jaloux chronique trouvera une ultime consolation dans la méditation du mystère de la Communion des saints. Probablement, le plus sur remède à 1'envie, avec la louange. Car au Ciel, il n'y aura plus de jaloux. Nous découvrirons avec un soulagement inouï que Dieu a prévu une place différente et unique pour chacun. Davantage, nous nous réjouirons infiniment plus du bonheur de tous que de notre seul bonheur. « Au Ciel, mon plus grand bonheur ne sera pas le mien, confiait un mystique, mais celui de tous les autres. » C'est à devenir jaloux de ceux qui sont déjà au Ciel ! Famille Chrétienne n°1230, août 2001 7