Décembre 1941 Le Panache et l`Echec Bataille de Mer de Chine
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Décembre 1941 Le Panache et l`Echec Bataille de Mer de Chine
Décembre 1941 2d – La guerre en Asie-Pacifique Le Panache et l’Echec Bataille de Mer de Chine méridionale (30 et 31 décembre 1941) Bataille des îles Anambas, bataille de la Baie de Kuching et autres actions ayant eu lieu durant ces deux journées dans cette région. Ce chapitre est extrait de l’ouvrage “définitif” de Jack Bailey : Un océan de flammes – La Guerre aéronavale dans le Pacifique (Sydney, 1965 – New York, 1966 – Paris, 1969). Prémisses : chacun fera son devoir… A 00h15 le 30 décembre, la Force Z lève l’ancre de Singapour. L’amiral Phillips a décidé de tenter d’infliger un coup sévère à l’apparemment irrésistible machine de guerre de la Marine Impériale Japonaise (IJN). Sa flotte comprend trois cuirassés et un croiseur de bataille (les HMS Prince of Wales, Rodney, Malaya et Repulse), un porte-avions (le HMS Formidable), cinq croiseurs lourds (les HMS Devonshire, Dorsetshire et Exeter, le HMAS Canberra et le MN Tourville), cinq croiseurs légers (les HMS Emerald, Enterprise, Mauritius et les MN Duguay-Trouin et Lamotte-Picquet) et douze destroyers (les HMS Ashanti, Eskimo, Nubian, Encounter, Express, Javelin, Jervis, Jupiter et les MN Mistral, Tempête, Tornade et Trombe). Phillips a choisi de laisser de côté le vieux cuirassé Royal Sovereign, trop lent. Ce dernier, escorté par les DD Amazon, Ambuscade, Active et Electra, quitte Singapour deux heures après la Force Z pour passer le détroit de la Sonde et se diriger vers Colombo à la rencontre du convoi “Long Sword”. Phillips a aussi ordonné aux trois croiseurs légers de la Royal Australian Navy, les Hobart, Perth et Sydney, de partir pour Sœrabaya (Java) afin de renforcer la flotte de l’amiral Karel Doorman. En effet, le raid aérien japonais lancé la veille contre Tarakan, comme ses opérations amphibies à Davao et à Jolo, semblent un sûr indice que l’ennemi se prépare à pousser vers le sud par le détroit de Macassar, entre Bornéo à l’ouest et les Célèbes à l’est, au nord de Java. Or, la protection de la partie est de la Barrière Malaise est une nécessité vitale pour que les renforts américains débarqués à Darwin puissent atteindre Java et Singapour. Si les forces japonaises interdisaient le passage aérien et naval entre Darwin et Java, la situation logistique des Alliés en Indonésie et en Malaisie/Singapour serait gravement compromise. Il ne reste plus guère à Singapour que le croiseur lourd Duquesne (endommagé peu de temps avant), les destroyers MN Lynx et USS Barker et Bulmer (réparés après la bataille de Tourane) et les rapides HMS Abdiel et MN Emile-Bertin (qui viennent d’effectuer un allerretour éclair entre Singapour et Cam Ranh). Mais si la flotte qui se met en route dans la nuit peut paraître puissante, la réalité est quelque peu différente. Sa couverture aérienne est faible. L’unique porte-avions, le Formidable, ne porte que 24 chasseurs Martlet II, huit Swordfish ASM et deux Fulmar (pour la reconnaissance). Quant aux Prince of Wales, Rodney, Malaya et Repulse, ils représentent un remarquable mais disparate échantillon de tout ce qui s’est fait depuis vingt-cinq ans en fait de cuirassés et de croiseurs de bataille. Phillips n’ignore pas ces faiblesses. Mais, comme l’historien naval américain S.M. Morrison l’écrira quelques années plus tard : « A la guerre, ceux qui prennent les décisions pèsent en permanence des risques certains contre des gains seulement possibles. Au déclenchement des hostilités, l’amiral Hart avait envisagé d’envoyer sa petite force au nord de Luçon pour menacer les communications japonaises, mais il avait estimé que les risques dépassaient les espoirs de gains. L’amiral Tom Phillips était confronté au même problème. Devait-il aller au devant du danger pour tenter de détruire la force de soutien du débarquement de Kuching, que son service de renseignement avait identifiée avec précision comme la 2e Flotte de Kondo (mais qu’il avait sous-estimée en ne l’évaluant qu’à deux cuirassés, deux croiseurs de bataille et deux porte-avions légers) ? Si son action réussissait, il pouvait espérer impressionner l’état-major japonais et obtenir un délai considérable avant que l’ennemi ne lançât une opération navale majeure contre la Malaisie. Le temps ainsi gagné – au moins un mois, peut-être deux – pouvait permettre aux renforts déjà envoyés ou prévus d’améliorer significativement les capacités défensives alliées le long de la Barrière Malaise. Alors que les forces britanniques et du Commonwealth, engagées dans une lutte à mort contre un ennemi puissant et appuyé par une aviation très supérieure en nombre, venaient de réussir à arrêter la première poussée japonaise au Kedah, Phillips estima que la Royal Navy ne pouvait être infidèle à ses traditions en demeurant oisivement à l’ancre. Cette décision lui coûta la vie, mais au-delà de l’issue de la bataille, son courage influença certainement le devenir de la région au moment de l’après-guerre, lorsque vint l’heure de la décolonisation. » Il faut ajouter que Phillips, qui ignore que le gros de la Flotte Combinée de Nagumo se rapproche à grande vitesse, compte sur ce qu’il espère être un atout maître : les quatre squadrons du Coastal Command qui ont si efficacement attaqué la flotte de débarquement japonaise dans la Baie de Kuching quelques heures plus tôt. Il est significatif qu’il ait laissé à Singapour son chef d’état-major, le contre-amiral Palliser, pour coordonner ses opérations avec celles de la RAF. Les bombardiers-torpilleurs Beaufort compenseront l’absence de Swordfish et d’Albacore de torpillage. Les chasseurs-bombardiers à long rayon d’action Beaufighter complèteront les chasseurs du Formidable. De plus, les sous-marins français et britanniques, disposés en écran, tenteront de repérer et d’affaiblir l’ennemi. Le service britannique d’interception radio a détecté une augmentation significative du volume de transmissions japonais. Les éléments déjà déchiffrés indiquent une concentration navale à Mako (îles Pescadores) et la préparation d’un grand convoi. Le service “Y” a même identifié la force du contre-amiral Takeo Kurita (CA Kumano, Mikuma, Mogami et Suzuya) et un groupe d’appui conduit par le contre-amiral Shintaro Hashimoto (CA Chokai, CL Sendai, DD Fubuki, Hatsuyuki, Shirayuki, Ayanami, Isonami, Shikinami et Uranami) escortant « un grand nombre de transports » vers Haïnan. Le commandement japonais prépare sans aucun doute soit un convoi de ravitaillement majeur pour la Thaïlande, soit une nouvelle opération amphibie, cette fois contre la côte est de Malaisie, et il est évident qu’une partie de la force qui a attaqué Pearl Harbor va venir appuyer cette opération. A Singapour, les services de renseignements sont divisés sur la situation de la principale force japonaise. Beaucoup d’officiers, relevant que les deux porte-avions qui ont soutenu la seconde attaque japonaise contre Wake viennent d’arriver à Kure, maintiennent que la Flotte Combinée japonaise est encore en Mer Intérieure (Mer du Japon). Mais quelques-uns soupçonnent qu’une partie de ses porte-avions (peut-être deux) pourraient avoir quitté le Japon le 28 décembre. Dans ce cas, le 30 décembre à 00h00, ces navires pourraient se trouver – à la vitesse de 15 nœuds habituelle pour le mouvement stratégique d’une flotte – à la hauteur d’Okinawa. Personne n’a envisagé la possibilité d’un mouvement très rapide, de l’ordre de 25 nœuds, effectué par quatre grands porte-avions et leur escorte, malgré l’impressionnante dépense de mazout que représente un tel sprint sur une longue distance… I – Mouvements d’ouverture : chanceux et malchanceux 31 décembre 1941 00h45. La Force Z file vers le nord à 20 nœuds. Phillips a prévu de suivre ce cap jusqu’à l’aube, comme s’il entamait une nouvelle mission de bombardement de la côte de Thaïlande. Puis, sous la couverture des Beaufighter, il mettra le cap à l’est et passera au milieu des îles Anambas puis des îles Natœna (ou Petites Bœngœran) pour arriver vers minuit au nord de la Baie de Kuching, à l’emplacement supposé de la flotte de Kondo. Il a aussi envisagé d’envoyer au crépuscule un groupe de croiseurs légers rapides, les HMS Emerald et Enterprise et les MN Duguay-Trouin et Lamotte-Picquet, ratisser la rade de Kuching et détruire les transports japonais avant qu’ils puissent finir de débarquer tout leur matériel. 02h25. Le sous-marin japonais I-66 (Kaigun Sh!sa [CC] Zennosuke Yoshitome), en patrouille au nord de Singapour, repère la Force Z et en informe aussitôt sa base par radio. Son message est intercepté par le navire amiral anglais, et Phillips comprend que les Japonais sont maintenant au courant de sa sortie. Cependant, il n’a jamais espéré une surprise complète, et être repéré si tôt est un mal pour un bien, car il fait route à ce moment comme s’il allait de nouveau bombarder Singora. 02h50. La chance sourit vraiment aux Alliés. Par 110°30' Est, 03° Nord, le sous-marin HMS Clyde repère la force de Kondo, qui fait à ce moment route au sud-est, à 15 nœuds, et parvient à se mettre en position de tir. Sur les six torpilles Mk VIII tirées, trois frappent le cuirassé Ise à tribord, et une quatrième touche le destroyer Arashi. L’Ise est atteint au niveau de la tourelle n°1, à la hauteur de la cheminée et à la poupe. Les dommages sont très importants et le navire est stoppé durant près de 90 minutes. Il réussit cependant à reprendre sa route, d’abord à 4, puis à 8 nœuds ; en effet, si les voies d’eau sont énormes, la mer est assez calme, peu troublée par quelques grains. Escorté par le Nowaki et l’Hamakaze (qui a été détaché de la force de Nagumo quelques heures auparavant), le cuirassé met le cap au nord. Quant à l’Arashi, la torpille qui l’a touché l’a amputé de sa proue jusqu’au niveau de la passerelle, mais le destroyer est encore capable de marcher à 12 nœuds ! Kondo décide de l’envoyer à Kuching. Dans la confusion créée par ce doublé, le Clyde s’échappe après ce que son commandant, le Lt-Cdr Ingram, devait appeler « un grenadage modéré ». 03h55. A 160 nautiques au nord-est du point où le Clyde a attaqué la flotte de Kondo une heure plus tôt, le sous-marin français Le Tonnant est beaucoup moins heureux, tout en ayant pourtant la chance de s’en tirer. Le Tonnant a reçu l’ordre de patrouiller à la limite nord de la zone où l’on suppose que peut se trouver la flotte de Kondo. Il navigue tranquillement en surface à 15 nœuds quand, sortant d’un grain un peu plus dense que les autres, il se retrouve « en plein milieu de ce qui semble être toute la flotte japonaise », raconte son commandant, le lieutenant de vaisseau Maurice Paumier. Ce dernier se jette sur l’avertisseur de plongée d’urgence et Le Tonnant s’immerge ; l’opération prend 45 secondes – une éternité ! Enfin submergé, le L.V. Paumier jette un coup d’œil au périscope et découvre « une énorme masse noire, tout près, un peu sur l’arrière, par le travers bâbord. » La « masse noire » en question est tout simplement le porte-avions Akagi. Fébrilement, Paumier ordonne de préparer l’affût orientable et de tirer ses quatre torpilles (deux de 550 mm et deux de 400 mm). Mais la malchance frappe alors : le moteur de l’une des 400 mm se met en marche dans le tube (“hot run”) ; la torpille n’est pas lancée et surtout, un énorme dégagement de bulles d’air signale la présence du sous-marin. Le porte-avions japonais, alerté, peut éviter les trois autres torpilles, tandis que deux destroyers s’acharnent à poursuivre Le Tonnant pendant près de douze heures, ne lâchant prise que vers 15h40. Pour survivre, le sous-marin français doit plonger jusqu’à plus de 120 mètres, alors que le maximum théorique est de 80 mètres. Ce n’est qu’à 16h20 que Le Tonnant réussit à signaler à Singapour « une importante escadre japonaise, comprenant au moins deux cuirassés et deux porte-avions ». De plus, le message capté à Singapour est assez fortement brouillé et finalement, Phillips est informé que l’escadre japonaise a été repérée à « 03h55 PM » (15h55), et non à 03h55 (AM). Dans ces conditions, le commandant de la Force Z peut croire que l’escadre aperçue par Le Tonnant est celle de Kondo, se dirigeant vers le nord et les Paracels après l’attaque du Clyde. De fait, il semble qu’en raison de ce problème de transmission, Phillips ne soupçonne pas, à 16h30, qu’une autre puissante escadre japonaise couvre celle de Kondo. 07h00. Phillips (qui n’a donc reçu à ce moment que le rapport du Clyde) met comme prévu le cap à l’est, dans l’intention de doubler la pointe nord de l’île Matak et d’arriver juste au nord de l’île Subi à 20h00. La présence de Kondo au nord de la baie de Kuching étant confirmée, Phillips entend lui couper la retraite en interposant sa Force Z entre celui qu’il croit être son seul adversaire et les îles Paracels. 07h30. Deux Maryland du GB IV/62 décollent de Tengah (Singapour) pour reconnaître la zone de Kuching. 09h20. L’un d’eux atteint Kuching et signale que de nombreux navires japonais sont dans la baie. Il s’agit essentiellement de transports, dont quelques-uns sont en train de décharger du matériel lourd. Il semble que l’on ne se batte plus aux abords du terrain. 10h00. Le second Maryland explore la zone de l’attaque du Clyde, mais il est intercepté par des chasseurs A5M4 du Zuiho avant de réussir à localiser Kondo avec précision. Les pilotes japonais, qui ont compris que les petits bimoteurs alliés sont plus rapides que leurs vieux chasseurs, montent la garde à haute altitude, à près de 8 000 m. Lorsqu’ils aperçoivent le Maryland, ils l’attaquent en piqué et réussissent à l’endommager dès leur première attaque. L’avion français se dégage en plongeant dans un banc de nuages et s’enfuit. 10h30. Le Maryland endommagé a néanmoins le temps d’envoyer un message à Singapour avant de se poser sur l’eau, près du rivage de l’île Siantan, dans les Anambas. Ce message est capté par le Prince of Wales, et Phillips en déduit que Kondo a bougé, mais pas plus loin que le rayon d’action des chasseurs de ses porte-avions. Au total, l’amiral anglais voit confirmé son espoir d’engager une portion notable, mais quand même “digeste”, de la Marine Impériale. II – A la recherche de l’ennemi : cache-cache mortel Le commandement japonais n’est pas moins anxieux que Phillips d’obtenir des renseignements. Toute l’opération est supervisée par l’amiral Isoroku Yamamoto en personne, dont le vaisseau amiral, le cuirassé Nagato1, est ancré à Okinawa. La station de radio Mako, dans les Pescadores, ne joue qu’un rôle de relais, bien que Yamamoto y ait envoyé deux de ses officiers d’état-major. Les avions de reconnaissance de la Marine basés en Thaïlande, à Bin Dinh et dans les Paracels doivent coopérer pour couvrir l’ensemble du théâtre des opérations. Cinq sous-marins, tous de la classe B1 : les I-15, I-17, I-19, I-21 et I-23, ont reçu l’ordre de patrouiller sur une ligne entre les îles Anambas et les îles Tambelan. En effet, l’état-major de l’IJN présume que, si la flotte alliée veut tenter sa chance contre les forces japonaises à Kuching, le commandement britannique choisira le chemin le plus court permettant à ses navires de rester hors de portée des avions basés à Bin Dinh. Néanmoins, Yamamoto n’exclut pas la possibilité que tout ou partie des forces ennemies puisse lui glisser entre les doigts, grâce notamment aux nombreux grains qui gênent beaucoup les reconnaissances aériennes. 03h15. Lorsqu’il apprend le torpillage de l’Ise, Yamamoto signale immédiatement à Nagumo et à ses porte-avions de ne pas s’aventurer au sud du 4e parallèle. 06h45. Yamamoto ordonne à Nagumo de détacher les croiseurs de bataille (ou cuirassés rapides) Hiei et Kirishima pour soutenir Kondo. Entre temps, Nagumo n’a pas informé son chef de l’attaque du Tonnant, certes pour ne pas rompre le silence radio, mais surtout parce 1 En attendant la mise en service du Yamato, au début de 1942. que son état-major l’a convaincu que le sous-marin français a été coulé sans avoir pu révéler la position de la Flotte Combinée. 08h20. Un C5M2 naval de reconnaissance basé en Thaïlande transmet qu’il n’a pas trouvé trace de la flotte britannique le long de la côte est de la péninsule malaise. 09h35. Le QG de l’aviation de l’Armée en Thaïlande signale à Yamamoto qu’un avion de reconnaissance Type 100 (un Ki-46-II) a survolé Singapour et constaté que le port est pratiquement vide de tout navire de guerre, ce qui signifie que Phillips n’a pas fait demi-tour après avoir été aperçu par le sous-marin I-66 (cette coopération exceptionnellement bonne entre l’Armée et la Marine japonaises est le résultat de la rencontre entre Yamamoto et Terauchi, qui avait déclenché toute l’opération). Toutes les forces aériennes japonaises lancent alors une vaste opération de reconnaissance maritime. 12h00. Cet effort obtient un premier résultat lorsqu’un hydravion lourd Type 97 Modèle 22 de la Marine (un Kawanishi H6K4) est abattu par des Martlet du Formidable, mais non sans avoir pu le signaler à sa base, en donnant sa position exacte : 106°10’ Est, 3°57’ Nord. Yamamoto ordonne alors d’envoyer l’un des deux bimoteurs expérimentaux à long rayon d’action basés à Bin Dinh reconnaître le passage entre les îles Anambas et Natœna. L’avion, un chasseur lourd Nakajima J1N1 de pré-production converti pour la reconnaissance après le rejet du type dans le rôle de chasseur par la Marine en octobre 1941, est estimé assez rapide pour échapper aux chasseurs embarqués. 12h40. Yamamoto ayant ordonné à Nagumo de commencer ses propres recherches, le Tone et le Chikuma lancent à eux deux six hydravions de reconnaissance Aichi E13A1 pour une recherche en éventail. 14h33. Le J1N1 est le premier à trouver ! Son équipage aperçoit le Formidable et son écran de destroyers qui, à ce moment, font route au nord (contre le vent), à l’écart de l’escadre principale, pour récupérer quatre avions de la CAP et lancer deux Swordfish anti-sous-marins. L’avion japonais est immédiatement attaqué par deux Martlet, mais réussit à s’échapper dans un matelas de stratocumulus. Son signal radio, émis à 14h35, parvient à Yamamoto, mais il est aussi intercepté par la flotte japonaise et par le Formidable. Informé, Phillips déduit avec exactitude que sa position est maintenant à peu près connue de l’ennemi, même s’il peut espérer que celui-ci ignore encore la force exacte de son escadre. Il décide de rompre le silence radio et demande à Singapour d’accentuer les efforts de reconnaissance aérienne. 14h55. Le Formidable lance un de ses deux Fulmar pour fouiller la zone entre Kuching et le point où le Clyde a attaqué la flotte de Kondo. 15h00. Yamamoto déclenche l’assaut. Il ordonne à tous les avions ayant un rayon d’action suffisant, qu’ils soient embarqués ou basés à terre, d’attaquer l’escadre alliée qui vient d’être repérée, estimant correctement que la présence d’un porte-avions implique celle d’autres grands bâtiments à proximité. Très rapidement, 27 bombardiers-torpilleurs G4M1 et 18 bombardiers-torpilleurs G3M2 décollent de Bin Dinh (sur la côte de Cochinchine). 15h10. L’un des E13A1 du Chikuma émerge des nuages juste au-dessus du Rodney. Salué par une salve d’obus de DCA, l’hydravion replonge dans la couche nuageuse, mais ne tarde pas à en ressortir un peu plus loin. Cette tentative d’assouvir sa curiosité lui coûte cher : il n’a que le temps d’envoyer un message mentionnant deux cuirassés et leur écran avant d’être balayé du ciel par les Martlet de garde. Néanmoins, son dernier soupir est suffisant pour confirmer les soupçons de Yamamoto. De son côté, Phillips, apprenant qu’un hydravion monomoteur japonais vient d’être abattu, comprend qu’il a été localisé par Kondo, et que ce dernier se trouve probablement dans un rayon de 200 à 300 nautiques. Le repérer devient extrêmement urgent ! De plus, une attaque aérienne japonaise est maintenant à prévoir dans les minutes qui suivent, et Phillips demande à Singapour l’envoi immédiat de Beaufighter pour soutenir les chasseurs du Formidable. 15h45. Un Maryland du GB IV/62 repère l’Ise et ses deux destroyers d’escorte, cap au nord, au voisinage d’un grain violent. L’avion français transmet à Singapour : « Un cuirassé et deux croiseurs, cap au nord, par 110°35’ Est, 4°03’ Nord ». Ce message est interprété, tant par Phillips que par son chef d’état-major, à Singapour, comme une confirmation que Kondo a divisé ses forces. Cependant, à l’insu de l’équipage du Maryland, les porte-avions de Nagumo sont à ce moment à peine plus à l’est, juste sous les nuages… 16h00. En réponse au message du Maryland, une formation d’attaque comptant 18 Beaufort escortés par 8 Beaufighter décolle de Sembawang. 16h15. Les quatre porte-avions de Nagumo – qui n’ont pu lancer plus tôt en raison des mêmes nuages qui les ont cachés à la vue du Maryland de reconnaissance – font décoller 36 bombardiers en piqué D3A1 et 27 chasseurs A6M2. Et ce n’est qu’une première vague… 16h30. Le message du Tonnant est retransmis par Singapour à Phillips. A ce moment, persuadé que le sous-marin français a repéré peu de temps auparavant les « deux porteavions » qu’il mentionne, l’amiral anglais ne peut que supposer qu’il s’agit de Kondo, et il en conclut que l’escadre de ce dernier s’est dirigée vers le nord après l’attaque du Clyde. Il lui faut donc abandonner tout espoir de couper son adversaire de ses bases. 16h48. Phillips, à regret, ordonne à ses navires de retourner à Singapour. 16h59. Alors que la Force Z vient juste de prendre le cap 270, un Hudson de reconnaissance du Sqn 1 de la RAAF signale : « Deux porte-avions, trois cuirassés, 110°15’ Est, 2°35’ Nord ». Ce message provoque une confusion considérable, à Singapour comme sur la passerelle du Prince of Wales. 17h08. L’équipage australien, dont l’avion s’efforce d’éviter les A5M4 de couverture en zigzaguant à travers les nuages, confirme son premier message. Quelques officiers trouvent difficile à croire que deux groupes de deux porte-avions puissent ainsi être repérés presque simultanément à près de 100 milles de distance. 17h15. La flotte de Nagumo lance une seconde vague, cette fois avec 36 bombardiers en piqué D3A1, 48 torpilleurs B5N2 et 18 chasseurs A6M2. Au même moment, les deux porte-avions légers de Kondo lancent une force de 15 torpilleurs B5N2 sans escorte. 17h20. Phillips ordonne à ses navires de remettre le cap à l’est, car il se doute que le message brouillé du Tonnant a dû être mal interprété. Si la flotte découverte par 2°35’ Nord est bien celle de Kondo, il reste une chance de la forcer à un combat de nuit, car le soleil doit se coucher dans moins de trois heures… 17h30. L’amiral Decoux, qui vient d’arriver à Singapour pour y rencontrer les officiers de liaison français des sous-marins et de l’aviation, comprend que le message du Tonnant parlait d’un contact à 03h55 du matin : il explique au contre-amiral Palliser que, si ses compatriotes avaient voulu parler de 03h55 “PM”, ils auraient indiqué 15h55… Singapour demande alors au Tonnant confirmation de l’heure du contact. 17h45. Le Tonnant confirme que son contact a eu lieu la nuit précédente. Phillips réalise alors avec angoisse qu’il y a donc bien face à lui DEUX escadres japonaises, fortes CHACUNE de DEUX porte-avions (au moins), et séparées de 100 à 120 nautiques. 17h47. Les craintes de Phillips se concrétisent : le radar du Formidable détecte d’abord un raid arrivant du nord-est, et quelques instants plus tard un autre venant du nord. La Force Z se prépare à faire face, tandis que le raid du Coastal Command est redirigé vers l’escadre ennemie la plus au nord, celle de Nagumo. III – La bataille des îles Anambas : à six contre un… Le premier raid détecté par radar est la première vague de Nagumo, lancée à 16h30. Le second raid signalé est la formation de G4M1 venant de Bin Dinh. 17h50. Le Formidable lance d’urgence tous les Martlet disponibles (20 en tout), tandis que le Prince of Wales active sa radio-balise pour aider les Beaufighter de Singapour à trouver la Force Z. Yvon Lagadec, alors Enseigne de 1ère classe, pilote ce jour-là l’un des Martlet lancés à la rencontre des vagues d’assaut japonaises. Il a longuement évoqué l’affrontement dans ses souvenirs, bien connus des amateurs d’histoire et d’aviation : « Cette fois, ça y est ! Nous n’avons aucun doute : nous allons enfin rencontrer les hommes qui ont écrasé sous les bombes la puissante flotte américaine du Pacifique. Mais nous sommes sûrs de les valoir, plusieurs d’entre nous ont été du raid sur Tarente ! Tout de même, en les voyant, j’ai un petit coup au cœur. Il y en a vraiment beaucoup… » (Au-dessus des Sept Mers – Souvenirs d’un Marin du Ciel, par le contre-amiral Yvon Lagadec, Editions France-Empire). 17h55. Des averses successives brouillent les plans des attaquants comme des défenseurs. La première formation de 36 D3A1 lancée par Nagumo perd son escorte de 27 A6M2 dans les nuages, d’où elle émerge sur l’arrière de la Force Z. Yvon Lagadec : « J’ai la chance de faire partie des huit chasseurs littéralement téléguidés par radar au-dessus des premiers attaquants. La position est idéale et aucun chasseur ennemi n’est en vue. A nous huit, nous abattons 11 “Val” et nous en endommageons 4, sans subir de pertes (je cite ici les chiffres réels, qui n’ont été connus qu’après la guerre). De mon côté, j’inscris deux nouveaux Soleils rouges à mon tableau de chasse. Mais, à 8 contre 36, nous sommes débordés par le nombre. » 17h58. Une formation de 12 D3A1 (celle du Kaga, conduite par le Lt Saburo Makino) parvient à passer et attaque les deux derniers vaisseaux de la ligne des croiseurs lourds, le HMS Dorsetshire et le MN Tourville. Huit bombes de 250 kg sur 12 touchent leur cible, ce qui donne aux équipages japonais un taux de succès inouï de 66 %. Le Dorsetshire subit six coups directs, qui touchent la tourelle B, la passerelle, la chambre des machines et la plage arrière. Une bombe fait exploser une soute à munitions et le croiseur commence à couler par la poupe avant même de s’être complètement arrêté. Le Tourville, plus heureux, n’est touché que par deux projectiles : l’un détruit la tourelle I, obligeant à noyer la soute à munitions avant, l’autre pénètre dans la salle des machines arrière. Le navire voit sa puissance réduite de moitié, mais peut encore naviguer seul. 18h05. Les 27 bombardiers G4M1 “Betty” venus de Bin Dinh sont interceptés par les 12 derniers Martlet du Formidable. Lagadec : « Nos camarades envoyés contre les Betty n’ont pas notre chance. Ils se jettent sur les bimoteurs, mais sont aperçus par les escorteurs des Val que nous avions attaqués, et qui, les ayant perdus dans les nuages, n’avaient pu les protéger. Ces gars sont d’autant plus furieux qu’ils entendent encore à la radio les appels à l’aide de leurs copains ! Il s’agit de 27 chasseurs A6M2 du Kaga et de l’Akagi, et c’est la première fois que des chasseurs de la FAA rencontrent le “Zéro”. A un contre deux, ce premier contact est catastrophique. » Les Martlet du Formidable détruisent trois bombardiers et quatre Zéro, mais perdent en trois minutes neuf des leurs sur douze, les survivants ne devant le salut qu’à un banc de nuages providentiel. Cependant, le combat a désorganisé la formation des bombardiers et seuls 15 d’entre eux peuvent attaquer, ciblant le Rodney et le Malaya. Les deux cuirassés manœuvrent aussi brutalement qu’ils le peuvent, et leurs canons anti-aériens abattent au moins cinq des attaquants. Le Rodney est touché deux fois à bâbord, une fois à hauteur de la passerelle et une fois au niveau des machines. Le vieux cuirassé ralentit un peu et prend 7° de gîte, vite corrigés, mais reste dans la ligne de bataille. L’encore plus vieux Malaya est touché par deux fois, à bâbord sous la tourelle A et à tribord sous la passerelle ; il ralentit à 12, puis à 10 nœuds. 18h15. Les avions japonais disparaissent. Une courte trêve suit, pendant laquelle arrivent de Singapour quatre Beaufighter. Mais le radar du Formidable ne tarde pas à détecter deux nouveaux raids. Le porte-avions, qui vient de récupérer les 11 Martlet survivants, lance aussitôt ses… trois chasseurs de réserve (le dernier est victime d’une panne de moteur). 18h39. Les premiers attaquants à se présenter sont les 18 torpilleurs G3M2 “Nell” venant de Bin Dinh. Les Beaufighter réussissent en abattre six (plus 4 endommagés) et, ce qui est encore plus important, désorganisent complètement leur attaque. Aucun ne met le moindre coup au but. Mais, à quatre, les pauvres Beaufighter ne peuvent faire plus ! 18h42. Trois Martlet ravitaillés et réarmés à la hâte décollent du Formidable. Yvon Lagadec est parmi eux : « Je me suis précipité sur le premier avion prêt à redécoller. Ce n’est qu’une fois en vol que j’ai compris ce qui me poussait. J’avais au creux de l’estomac la même drôle de sensation que lorsque le brave Ark Royal avait pris la torpille qui allait l’envoyer par le fond… » 18h48. Les avions lancés par le Shokaku et le Zuikaku arrivent. Ils ne sont “plus que” 45, 36 bombardiers en piqué D3A1 et 9 chasseurs A6M2, les autres appareils s’étant dispersés dans les nuages sans pouvoir trouver l’escadre britannique. Mais c’est plus qu’assez pour les six Martlet qui sont tout ce qui peut tenter de les arrêter, sans espoir d’y réussir. La plupart des Val piquent sur le Formidable. Le porte-avions est frappé par huit bombes de 250 kg (sans compter les épaves de deux bombardiers abattus par la DCA). Deux bombes touchent l’avant du pont sans percer son blindage. Une autre détruit le canon AA de 4,5 pouces bâbord avant. La quatrième bombe frappe l’ascenseur avant, la cinquième le pont au niveau de la cheminée (sans percer le blindage), la sixième et la septième perforent le pont devant l’ascenseur arrière, explosant dans le hangar, la huitième, enfin, touche l’extrémité arrière et n’explose pas. Le bâtiment est en feu, mais ses machines sont intactes et il peut manœuvrer normalement, car ses centres vitaux n’ont pas été atteints. Cependant, six bombardiers attaquent le croiseur lourd Exeter, naviguant par bâbord avant du Formidable. Le vétéran du Rio de la Plata reçoit deux bombes : l’une détruit sa catapulte à hydravion, l’autre sa tourelle de 8 pouces arrière. Pendant cette attaque, sept D3A1 sont abattus (quatre par les Martlet et trois par la DCA), plus un A6M2, les Zéro se vengeant sur trois Martlet et un Beaufighter. Lagadec : « Comme j’essaie d’aligner un Val, j’aperçois un Zéro qui me fonce dessus, à 10 heures. Je bascule à gauche, j’ai confiance en la maniabilité de mon petit Grumman, qui a fait ses preuves face aux Bf 109. C’est alors que j’entends une voix dans ma tête – celle d’un pilote de Hurricane de la RAF qui, blessé au-dessus du nord de la Malaisie, était venu à Singapour, avec une jambe dans le plâtre, nous parler des chasseurs japonais qu’il avait affrontés. Et je l’entends nous dire : “If you try to dogfight them, you’re cold meat.” Si vous tentez un combat tournoyant avec eux, vous êtes cuits. A ce moment, je réalise que le Japonais est déjà presque derrière moi – jamais un 109 n’aurait pu faire ça, surtout aussi vite. Et je sais que, dans quelques secondes, je vais être de la viande froide. Ou cuit. Enfin – mort. Paniqué, je tente de m’en sortir en grimpant, je tire sur le manche en voulant mettre les gaz à fond et j’oublie un an de pilotage d’avions aux normes anglo-américaines : au lieu de pousser sur la manette des gaz, je la tire, comme sur les avions français de l’époque, sur lesquels j’avais appris à piloter. Au total, je me retrouve le nez en l’air, moteur réduit à fond, bref j’ai fait tout le contraire de ce que j’aurais dû faire ! Et le Martlet ne me l’envoie pas dire : il fait instantanément une abattée brutale, part en vrille à gauche… et mon ange gardien intervient : je me retrouve dans le douillet coton d’un nuage. Le Zéro a disparu ; sans doute aussi surpris que moi par mon faux pas, il a dû tirer brutalement sur le manche pour ne pas me percuter et en a oublié d’ouvrir le feu. Je repousse la manette des gaz et le manche tout en donnant du pied à droite. Je sors de vrille, je commence à redresser – et mon ange gardien me prouve qu’il n’a pas lâché les commandes : à l’instant où je ressors de mon nuage, en léger piqué et à fond de train, je croise en trombe une bande de Japonais sur le sentier de la guerre, un peu plus bas, les derniers du groupe arrivant vers moi à une heure, les premiers s’éloignant derrière moi à sept heures (notre vitesse cumulée doit être impressionnante !). Pur réflexe : j’enfonce le bouton des mitrailleuses et je suis sidéré de voir un Zéro exploser après avoir reçu une dose de plomb si faible qu’elle aurait tout juste chatouillé un 109. Puis, je suis de nouveau avalé par un stratocumulus bienveillant… Tout ça n’a pas duré plus d’une minute. » 18h53. Les bombardiers japonais se retirent, poursuivis par un violent tir anti-aérien, quand les 15 torpilleurs B5N2 “Kate” du Shoho et du Zuiho arrivent, se glissant sans être remarqués à travers les nuages. Ils se concentrent sur le porte-avions en flammes, qu’ils touchent de quatre torpilles entre 18h54 et 18h59. Trois frappent à tribord et une à bâbord. Le Formidable stoppe à 19h10 avec une gîte de 21° et chavire à 19h30. Yvon Lagadec : « J’ai maintenant neuf victoires, mais je n’en suis pas très fier, n’ayant dû la vie qu’à la chance. Et puis, je n’ai plus nulle part où poser mes roues, et une sorte de colère me saisit. Le pauvre Formidable a succombé après avoir lutté seul contre six porte-avions ennemis – il mérite qu’on le venge. En attendant, je me pose avec grâce sur l’eau, juste à côté d’un torpilleur français, qui me repêche rapidement. C’est la Tornade, qui aura le bon esprit de me ramener sans encombre à Singapour. Je ne leur précise pas que je viens de voir coulé sous moi le troisième porteavions de ma courte carrière – les marins sont gens superstitieux… » Il faut maintenant retourner un peu en arrière – alors que Phillips passe une très mauvaise fin de journée, les avions du Coastal Command le vengent quelque peu. 18h36. Par chance pour eux sans doute, les 18 Beaufort et les 8 Beaufighter qui devaient attaquer la flotte de Nagumo ne la trouvent pas et se rabattent sur l’Ise. Le vieux cuirassé endommagé est littéralement exécuté par au moins sept torpilles. Il coule tandis que les destroyers Nowaki et Hamakaze réussissent à s’échapper, non sans que les mitraillages répétés des Beaufighter leur aient tué beaucoup d’hommes. IV – La bataille de la baie de Kuching : radars contre torpilles C’est l’instant crucial de la bataille, du point de vue stratégique. Avant même que le Formidable ait chaviré, Phillips a pris sa décision. Il peut à ce moment choisir de se replier. Après tout, il fait visiblement face à des forces bien plus nombreuses que prévu, et nul ne pourrait le blâmer de retourner vers Singapour sous le couvert de la nuit. Pourtant, il résout de ne renvoyer vers Singapour que ses navires endommagés (Rodney, Malaya, Exeter, Tourville), escortés par les torpilleurs français Mistral, Tempête, Tornade et Trombe. Avec le reste de ses unités, il va foncer à 25 nœuds vers Kuching, dans l’espoir de surprendre Kondo ou du moins les forces soutenant le débarquement. 19h40. La Force Z se divise. Le cuirassé Prince of Wales, le croiseur de bataille Repulse, les croiseurs lourds Devonshire et Canberra, les croiseurs légers Emerald, Enterprise, Mauritius, Duguay-Trouin et Lamotte-Picquet, escortés par les huit destroyers Ashanti, Eskimo, Nubian, Encounter, Express, Javelin, Jervis et Jupiter, accélèrent et mettent cap à l’est. 19h52. Avant de revenir au silence radio, Phillips signale ses intentions à Singapour. Quelques minutes plus tard, pour éviter de tragiques erreurs d’identification, le contre-amiral Palliser informe les sous-marins alliés de ne pas tirer sur des navires marchant à grande vitesse à l’est du 109° Est et au sud du 4° Nord. ……… Cependant, si Phillips se prépare à un combat de nuit, il n’est pas le seul. L’amiral Yamamoto a suivi par radio les différentes attaques aériennes et a déduit des déclarations divergentes des pilotes qu’un porte-avions et peut-être un croiseur de bataille ont été coulés, mais que plusieurs cuirassés sont encore en état de combattre. Il ordonne à Nagumo de se retirer vers le nord une fois récupérés ses derniers avions pour ne pas faire courir de risque à ses porteavions, mais lui confirme de laisser à Kondo les Hiei et le Kirishima. En fait, à ce moment, Nagumo se dirige déjà vers le nord, laissant à deux de ses destroyers le soin de récupérer les équipages des avions qui n’arriveraient pas à rejoindre leurs porte-avions. Yamamoto rappelle aussi à Kondo de mettre ses porte-avions légers à l’abri et ordonne à Takahashi de fournir à Kondo toute l’aide possible. 21h35. Le Zuiho et le Shoho se retirent vers le nord, longeant la côte ouest de Bornéo, escortés par les destroyers de la force d’attaque du contre-amiral Hara, les Minatsuki, Nagatsuki, Satsuki et Harukaze. Kondo, renforcé par le Hiei et le Kirishima envoyés par Nagumo et par le croiseur lourd Ashigara envoyé par Takahashi, se dirige vers le sud-ouest, venant à 22h30 au cap 225. Il barre ainsi à Phillips l’entrée de la baie de Kuching. Le vice-amiral Kondo organise son escadre en trois groupes. L’Ashigara et les DD Akatsuki, Hibiki, Asashio et Oshio sont envoyés en avant-garde. Lui-même, sur son vaisseau amiral, le croiseur lourd Atago, mène les quatre croiseurs de bataille modernisés (et reclassifiés cuirassés rapides) Haruna, Kongo, Hiei et Kirishima. Suivant le même cap, mais plus près de la côte, vient le “groupe de soutien” formé des trois cuirassés lents, Fuso, Yamashiro et Hyuga, et des deux destroyers Arashio et Misishio. 23h00. Ayant passé le 110° méridien Est, Phillips fait venir au 160, vers Kuching. Il a disposé l’essentiel de ses forces en une longue colonne menée par le Prince of Wales, suivi par le Repulse, le Devonshire, le Canberra et le Mauritius, puis par les Emerald, Enterprise, Duguay-Trouin et Lamotte-Picquet. Cette colonne est flanquée de chaque côté par quatre destroyers, à bâbord les Encounter, Express, Jupiter et Javelin, à tribord les Jervis, Nubian, Ashanti et Eskimo. 23h10. Le radar de détection aérienne du Prince of Wales repère un avion, qui est pris pour un hydravion venu d’un ravitailleur d’hydravions appuyant le débarquement en baie de Kuching. En fait, il s’agit d’un appareil lancé par l’Atago. Dans la nuit, il a aperçu le sillage des navires alliés et a commencé à les suivre. Alerté, Kondo ordonne au groupe de l’Ashigara de changer de cap pour intercepter les navires signalés par l’hydravion. 31 décembre 1941 00h01. Phillips ordonne de venir au 180, toujours à 25 nœuds. 00h37. Le radar du Prince of Wales détecte « au moins deux groupes de navires ennemis par le travers bâbord, cap au 230, se rapprochant ». Les radars britanniques identifient dans le second groupe des navires beaucoup plus gros que dans le premier (le rapport d’identification indique « un destroyer précédant quatre grands bâtiments, croiseurs de bataille ou cuirassés probablement ») et Phillips ordonne à ses destroyers de bâbord de prendre position en avant de son vaisseau amiral pour pouvoir mener une attaque à la torpille contre l’avant-garde japonaise, pendant que le Prince of Wales, le Repulse et les trois croiseurs dans leur sillage ouvriront le feu sur le groupe principal. Les radars de contrôle de tir pistent déjà leurs cibles, mais Phillips préfère attendre pour ouvrir le feu que ses destroyers soient en place. Il gaspille là un temps précieux, car il n’imagine pas que les veilleurs japonais puissent repérer des navires de presque aussi loin que ses propres radars. Les historiens navals se demanderont toujours quelle eût été l’issue du combat si Phillips avait donné l’ordre d’ouvrir le feu à 00h40… 00h41. La formation alliée est détectée et identifiée en visuel par l’Ashigara, qui transmet l’information à Kondo et se prépare à mener une attaque à la torpille avec ses quatre destroyers. 00h44. Kondo autorise l’attaque à la torpille et ordonne à son groupe d’accélérer à 25 nœuds pour réduire l’écart entre lui et l’avant-garde. Il ordonne aussi au groupe de soutien d’accélérer. 00h55. Le radar du Prince of Wales détecte l’accélération des cuirassés rapides japonais. 00h59. Comprenant qu’il a été contre-détecté, Phillips donne (enfin !) l’ordre d’ouvrir le feu. Le Prince of Wales et le Repulse tirent les premiers, respectivement sur le Haruna et le Kongo, à moins de 11 000 m. Il sont vite imités par le Devonshire, le Canberra et le Mauritius, qui visent le Hiei et le Kirishima, entre 12 000 et 13 000 m, alors que l’avant-garde ennemie n’est qu’à 8 000 m. Le Haruna reçoit très vite deux obus de 14 pouces du Prince of Wales, le Kirishima est touché par plusieurs obus du Canberra et du Mauritius, mais le Kongo est beaucoup plus gravement atteint en l’espace de quelques minutes par les canons de 15 pouces du Repulse (dont les canonniers sont parmi les meilleurs de la Royal Navy). ……… Le lieutenant de vaisseau Y. Arakawa, quatrième officier d’artillerie à bord du Kongo, qui se trouvait au poste principal de direction de tir, a décrit ces minutes aux officiers d’état-major qui l’ont interrogé le jour suivant, à l’infirmerie de l’Atago : « Vers 01h00, nous avons repéré les Anglais par tribord avant, à une distance estimée à 14 000 m. J’ai identifié le vaisseau de tête comme un cuirassé moderne et nous nous sommes préparés à ouvrir le feu. Mais avant que nous ayons pu tirer, nous avons été touchés par des obus. Le navire a été violemment secoué et un incendie important s’est déclenché sur l’avant. Nous avons répliqué, mais seules les tourelles arrière ont tiré, et nous n’avons pu joindre les tourelles avant. (…) Nous avons donc continué le combat avec les tourelles arrière et l’artillerie secondaire tribord. Notre navire a été atteint à plusieurs reprises dans les minutes qui ont suivi. Juste après notre quatrième salve, nous avons été privés d’électricité, ce qui a mis hors de combat notre poste de direction de tir. Le Premier Officier d’Artillerie a averti le poste de direction de tir arrière de prendre le relais, ce qu’il a fait jusqu’à ce que les tourelles arrière soient elles aussi mises hors de combat. Nous avons touché l’ennemi au moins deux fois. Il était difficile de savoir comment évoluait la bataille. De nombreux navires, amis et ennemis, tiraient dans toutes les directions. Plusieurs brûlaient, dont le nôtre : un incendie faisait rage juste en dessous de nous, au pied du mât principal, et la chaleur et la fumée ont rendu notre poste intenable. Le Premier Officier d’Artillerie nous a ordonné de l’évacuer, mais ce fut très difficile. Plusieurs hommes ont été perdus pendant cette évacuation, et d’autres ont été plus ou moins gravement brûlés. Il était impossible de se rendre sur l’avant, en raison de la violence de l’incendie. Le Premier Officier d’Artillerie nous a donc conduits du côté bâbord, pour essayer d’atteindre le poste de lutte contre l’incendie arrière. Mais en chemin, le navire a été à nouveau secoué, bien plus brutalement que par les impacts d’obus. J’ai été renversé et presque jeté par dessus bord. J’ai eu du mal à me relever, et nous nous sommes rendu compte que le vaisseau gîtait fortement sur bâbord. Des hommes sont arrivés des ponts inférieurs et l’ordre d’abandonner le navire a été donné. J’ai décidé que, si le navire coulait, il ne fallait pas perdre de temps pour le quitter. J’ai donc enlevé mes chaussures, sauté par dessus bord et commencé à nager pour m’éloigner. J’ai pu couvrir une certaine distance avant d’entendre le tonnerre d’une explosion. J’ai regardé en arrière et je n’ai plus vu qu’une grande colonne d’eau là où avait été notre navire. Le lendemain (hier), j’ai été secouru par l’Atago. » Le LV Arakawa était le plus haut gradé des survivants du Kongo. Gravement brûlé, il mourra trois jours après avoir été recueilli. Parmi les officiers tués figure le contre-amiral Mikawa, qui commandait la Division de Cuirassés rapides regroupant le Kongo et le Haruna. ……… 01h06. Les torpilles japonaises de 24 pouces, qui seront bientôt fameuses sous leur surnom de “Longues Lances”, atteignent leurs cibles. Le Prince of Wales est touché une fois au niveau de sa cheminée arrière. Le Repulse est frappé deux fois, une fois sous la passerelle et une fois juste en avant de sa tourelle X (arrière). « Mon vieux camarade a tremblé de la quille au sommet de ses mâts, et il a quitté la ligne de bataille en titubant comme un homme ivre – mais en direction de l’ennemi ! » racontera après la guerre son commandant, le Captain Tennant (qui sera fait prisonnier le lendemain). Le Devonshire est épargné par pure chance, mais le Canberra reçoit deux torpilles, qui l’éventrent littéralement et l’arrêtent net. Le Mauritius doit abattre brutalement sur bâbord pour éviter le malheureux croiseur australien (qui coulera à 01h44), c’est probablement ce qui le sauve des torpilles qui le visaient. 01h12. Les torpilles japonaises ont jeté la confusion la plus totale dans la ligne alliée. Le Repulse a cessé de tirer. Le Prince se bat toujours, mais la combinaison du choc de la torpille et du recul de ses propres canons a mis hors service son radar de direction de tir. L’ordre est alors donné d’illuminer l’objectif, mais cette solution désespérée offre une cible idéale aux croiseurs japonais Ashigara et Atago, qui arrosent le cuirassé d’une pluie d’obus de 203 mm et de 127 mm. Au moins deux obus atteignent la passerelle, tuant Phillips et plusieurs des officiers présents et blessant presque tous les autres. Cependant, Kondo a ses propres problèmes. Le Kongo est en flammes et les deux tourelles avant du Haruna sont hors de combat. 01h15. Les destroyers du flanc bâbord de la flotte alliée, l’Encounter, l’Express, le Jupiter et le Javelin, tentent de contre-attaquer sous la conduite du premier. Ils se heurtent de plein fouet aux destroyers accompagnant l’Ashigara. L’Akatsuki succombe à deux torpilles anglaises de 21 pouces, mais l’Express et le Jupiter sont laissés pour morts après avoir encaissé une Longue Lance et plusieurs obus de 5 pouces chacun. Voyant son vaisseau amiral sérieusement pilonné à courte portée, le Devonshire charge, forçant l’Atago à changer de cible pour lui faire face. Le Mauritius, sorti de la ligne pour éviter l’épave du Canberra, engage ce que son capitaine croit être le Kongo. Selon certains survivants du Repulse, le Mauritius tire au moins trois salves sur ce qui est en réalité leur navire, à ce moment en flammes et presque arrêté. Le Mauritius change alors de cible et obtient plusieurs coups au but sur le Haruna, bien visible grâce aux incendies allumés par les obus du Prince of Wales. 01h20. Devant le chaos qui se présente à eux, les quatre autres croiseurs légers alliés effectuent une attaque à la torpille mal coordonnée sur la ligne de bataille japonaise. Trois des torpilles de l’Enterprise et de l’Emerald frappent le Kongo, déjà à l’agonie, et l’achèvent (il coule à 01h42). Le Kirishima est atteint à la proue (il est possible qu’il ait en fait été touché par une torpille du Canberra, lancée juste avant que celui-ci ne soit lui-même torpillé). Mais les Japonais ripostent. L’Enterprise voit ses tourelles arrières détruites par l’armement secondaire du Kirishima, tandis que l’Emerald reçoit au moins deux obus de 356 mm et plusieurs de 152 tirés par le Hiei. Par bonheur pour lui, les obus de 356 sont des perforants tirés à relativement courte distance : ils traversent le petit croiseur de part en part et explosent de l’autre côté sans faire de gros dégâts. De leur côté, le Duguay-Trouin et le Lamotte-Picquet préparent leur attaque, quand ils aperçoivent trois massives silhouettes par bâbord avant. Ils dirigent aussitôt leur tir sur les nouveaux venus, le Fuso, le Yamashiro et le Hyuga. Les deux croiseurs français sont bientôt la cible de l’armement secondaire des trois vieux cuirassés (dont une bordée représente au total 14 x 152 mm/50, 8 x 140 mm/50 et 12 x 127 mm/40). Les tourelles avant du DuguayTrouin sont mises hors de combat, et le Lamotte-Picquet perd sa tourelle III. Les deux bâtiments se replient derrière un écran de fumée, mais non sans que chacun ait tiré ses torpilles bâbord, dont deux frappent le Fuso : l’une à la proue et l’autre (qui file malheureusement à faible profondeur) au niveau de la tourelle n°3. Peu après, les deux Français se retrouvent face à « un grand bâtiment à quatre tourelles, avec un violent incendie à l’avant », qu’ils identifient comme un cuirassé rapide de classe Kongo. Ils ouvrent le feu sur lui et obtiennent plusieurs coups au but, d’autant que le navire (probablement le Haruna) ne répond que faiblement. 01h25. Malgré ses blessures, le commandant du Prince of Wales, le Captain John C. Leach, reprend le contrôle de son navire. Le cuirassé brûle en plusieurs endroits, mais pour l’essentiel, ses machines sont opérationnelles et ses deux tourelles quadruples de 14 pouces n’ont pas souffert (seule la tourelle double est hors de combat). Elles reprennent le tir sur le Haruna, qui est touché par deux fois et commence à accuser les coups. 01h30. Le Prince se rapproche du Haruna pour l’achever, lorsque d’énormes gerbes autour de lui annoncent l’arrivée d’autres grands bâtiments. Le Prince of Wales change alors de cible et dirige son tir sur le plus proche de ses nouveaux adversaires, le Yamashiro, qui est atteint trois fois à l’avant. Mais la partie est de plus en plus déséquilibrée et le cuirassé anglais est atteint à sept reprises par son opposant et par le Hyuga (les torpilles françaises ont ralenti le Fuso). L’une après l’autre, les deux tourelles quadruples du Prince sont mises hors de combat. 01h40. Derrière un écran de fumée tendu par l’Encounter et le Javelin, le Prince of Wales se dirige vers le sud-sud-ouest. Les destroyers Misishio et Arashio, qui escortent le Yamashiro et le Hyuga, tirent sur lui toutes leurs Longues Lances… et le ratent, mais aux dépens du Javelin, qui reçoit deux des torpilles destinées au cuirassé et coule en quelques instants. Pendant ce temps, le Devonshire est à la dernière extrémité, sous le feu de l’Atago et de l’Ashigara. Il a perdu trois tourelles de 8 pouces sur quatre (les A, B et X) et ses machines ont subi de graves dommages. Le navire est temporairement sauvé par les destroyers Jervis, Nubian, Ashanti et Eskimo, qui attaquent les croiseurs japonais à la torpille, les obligeant à s’écarter. 01h45. Le Captain Leach, du Prince of Wales, réalisant qu’il est probablement l’officier du grade le plus élevé encore en vie dans la flotte alliée, ordonne à tous les navires alliés de se retirer vers le sud-ouest le plus vite possible. Le Mauritius – à ce moment le seul croiseur encore intact – est le premier à obéir, suivi par l’Emerald et l’Enterprise, puis par les deux croiseurs français. 02h00. Le Repulse n’a pas reçu l’ordre de Leach, mais flotte encore. Il est découvert par l’Atago et l’Ashigara, se dirigeant à 4 nœuds vers le nord. Une dernière torpille de 24 pouces de l’Atago l’arrête, et il coule vers 02h10. Suivant les ordres de Kondo, les croiseurs japonais recueillent les survivants, dont le commandant du navire, le Captain Tennant. 02h15. Le Devonshire ne peut que se hâter lentement. Ses mécaniciens font miracle sur miracle, mais il ne peut dépasser 10 nœuds. Néanmoins, escorté par les Jervis, Nubian, Ashanti et Eskimo, son commandant s’efforce de l’extraire du combat, et il semble un moment que l’ennemi l’ait oublié. 03h10. Le Devonshire croit être sauvé lorsque sa vitesse peut monter à 15 nœuds. Mais juste à ce moment, lui et son escorte sont attaqués par les trois destroyers survivants de l’avant-garde japonaise, Hibiki, Asashio et Oshio. Ayant tiré toutes leurs torpilles, ces derniers attaquent au canon de 127, tout en illuminant brillamment la scène. L’action attire les destroyers Misishio et Arashio, ainsi que le croiseur Ashigara. Ces trois navires tirent leurs torpilles de réserve, touchant le Devonshire et le Nubian d’une Longue Lance chacun à 03h18. Le destroyer coule à 03h25, suivi à 03h34 par le croiseur. Les trois autres destroyers britanniques feignent alors une contre-attaque à la torpille (ils n’en ont plus) et les navires japonais s’éloignent, ce qui leur permet de recueillir les survivants. V – On achève bien les cuirassés 04h00. Les deux camps commencent à reprendre leurs esprits après le chaos de la nuit. L’amiral Yamamoto est le premier à réagir, ordonnant à Nagumo de faire demi-tour vers le sud pour pouvoir lancer un raid à l’aube. Kondo réagit lui aussi avec promptitude : il demande au contre-amiral Hirose de détacher les torpilleurs Chidori, Hatsukari, Manazuru et Tomozuru pour intercepter les Alliés en retraite, mais les quatre bateaux, trop lents, ne pourront parvenir au détroit de Sérasan à temps. Kondo demande lui aussi à ses porte-avions de rebrousser chemin pour lancer leurs avions. Par ailleurs, il commence à organiser la retraite de ses cuirassés endommagés et place les Fuso, Yamashiro, Haruna et Kirishima sous la protection des destroyers Arashio, Asashio, Misishio et Oshio, ne conservant que l’Hibiki avec son vaisseau amiral Atago, l’autre croiseur lourd Ashigara, le cuirassé rapide Hiei et le cuirassé lent Hyuga. A Singapour, le contre-amiral Palliser ordonne aux trois croiseurs australiens Hobart, Perth et Sydney, qui se dirigeaient vers Sœrabaya mais n’avaient pas encore passé le détroit de Karimata, de revenir escorter les survivants de la bataille. Palliser demande à la RAF de préparer un nouveau raid de bombardiers-torpilleurs contre les cuirassés japonais que l’on sait endommagés et d’envoyer au Prince of Wales une couverture de chasse. Dans ce but, l’Air Vice-Marshall Pulford tente de joindre l’état-major de l’aviation hollandaise (ML-KNIL) pour savoir quel type d’essence d’aviation est disponible sur le terrain secret de Singkawang-II, mais ne peut avoir confirmation de la disponibilité d’essence à 100 degrés d’octane. Néanmoins, le ML-KNIL promet d’organiser des patrouilles de couverture avec le 3e Groupe du VLG-V (soit trois Buffalo…) basé à Singkawang-II et de transférer dès l’aube sur ce terrain les 12 Hawk-75A7 du 1er Afdeling (1-VLG-IV) basés à Maospati (Madioen, Java). 05h11. Un nouveau désastre frappe les survivants de la Force Z avant même le lever du jour. Alors que les navires de l’escadre endommagés durant les raids aériens de la veille se replient vers Singapour à 15 nœuds (le mieux que puisse faire le Malaya), ils se heurtent à la ligne de patrouille des sous-marins japonais. Le I-19 (CC Shogo Narahara) tire quatre torpilles sur le Malaya. Deux touchent le vieux cuirassé et une troisième atteint le torpilleur français Mistral. Le Malaya, déjà affaibli par les deux torpilles aériennes de la veille, chavire et coule en vingt minutes. Coupé en deux par l’explosion, le Mistral coule encore plus vite. 06h20. Quinze Beaufort escortés par quatre Beaufighter s’envolent de Singapour. Un quart d’heure plus tôt, quatre autres Beaufighter sont partis protéger la Force Z. 07h20. Salués par les marins épuisés, la patrouille de Beaufighter arrive au-dessus du Prince of Wales et de ses compagnons, qui font route au sud-ouest, un peu au nord de Singkawang, sur la côte ouest de Bornéo. 07h45. Les navires mettent le cap à l’ouest et se dirigent vers Singapour après avoir contourné par le sud les îles Tambelan, pour éviter les sous-marins japonais patrouillant au nord. 07h58. Le radar du Mauritius détecte des avions venant du sud, présumés être des chasseurs hollandais allant de Java à Singkawang-II ou venant de ce terrain “secret”. 08h10. Deux Beaufighter sont envoyés reconnaître un nouveau contact à l’ouest de la formation, qui se révèle être un Do 24 hollandais en patrouille anti-sous-marine. 08h18. De nouveaux avions sont détectés au sud-est et à nouveau considérés comme des chasseurs hollandais. 08h23. Le Prince of Wales entre en contact radio avec un pilote de Buffalo hollandais, demandant la position exacte des navires à protéger. 08h24. De nombreux avions sont signalés à 13 000 pieds, venant du nord. Ce sont 27 D3A1 “Val” escortés par 18 A6M2 “Zéro”, qui ont quitté le Kaga et l’Akagi à 06h10. Ils sont suivis à plus basse altitude par 12 torpilleurs B5N2 “Kate” qui ont décollé du Shoho et du Zuiho à 06h45. Les porte-avions de Nagumo sont encore trop loin pour un raid de B5N2 ; aussi, sur le conseil du commandant Mitsuo Fuchida, Nagumo a décidé d’envoyer sans plus attendre ses bombardiers en piqué. Fuchida lui-même s’est joint au raid dans son B5N2 personnel, équipé de réservoirs auxiliaires, pour superviser toute l’attaque. Menés par les lieutenants Takehiko Chihaya et Shoichi Ogawa, les Val se concentrent contre le Prince of Wales. Le cuirassé reçoit pas moins de treize bombes perforantes de 250 kg et six autres tombent tout près ! Débordés par les A6M2, les Beaufighter ne peuvent intervenir ; trois sont abattus, en échange de deux Zéro. Quelques Val s’en prennent au Mauritius et à l’Eskimo, mais les deux bâtiments s’en tirent sans mal. 08h31. C’est au tour des 12 Kate, qui arrivent en même temps que les trois Buffalo hollandais. Hélas pour ces derniers, les Zéro sont encore là et en abattent deux, le dernier s’enfuyant vers Singkawang. Les avions torpilleurs sont libres d’attaquer le Prince of Wales. Les bombes japonaises n’ont pu atteindre les centres vitaux du cuirassé, mais elles ont déclenché plusieurs incendies et endommagé sérieusement l’artillerie anti-aérienne et ses postes de direction de tir. Les cinq croiseurs légers et les quatre destroyers entourant le Prince tentent en vain de s’interposer et de distraire les équipages japonais. Le Mauritius abat un B5N2 avant qu’il ne puisse lancer ; du coup, il est lui-même attaqué par deux Kate, mais réussit à échapper à leurs torpilles en zigzaguant. Un autre avion est abattu, mais huit torpilles en tout sont lancées sur le Prince of Wales, en une attaque classique menée de deux directions à la fois. Le Prince, toujours dirigé du poste de commande de secours, réussit pourtant à “peigner” cinq torpilles. Il est finalement touché deux fois à tribord, au niveau de la passerelle et du hangar à hydravion, et une fois à bâbord, au niveau du mât principal. Sa vitesse tombe à 12 nœuds, mais il continue sa route ! 08h42. Fuchida transmet à Nagumo qu’une autre attaque est nécessaire pour achever le cuirassé et lui demande d’envoyer les avions torpilleurs, expliquant que les Kate pourront se poser à Kuching pour ravitailler. Mais à ce moment précis, Nagumo doit faire face à sa propre petite crise. 08h38. Les Beaufort de la RAF ont trouvé les éclopés japonais, qui laissent derrière eux une traînée révélatrice de mazout et de fumées, provenant surtout du Haruna. En dépit d’une escorte de neuf A5M4 envoyés par le Zuiho et le Shoho, les bimoteurs placent quatre torpilles dans le Fuso et une dans le Yamashiro. Trois Beaufort sont abattus par l’escorte de chasse et deux par la DCA, pendant que les Beaufighter et les mitrailleurs des Beaufort détruisent cinq chasseurs japonais. Le Fuso, affaibli par les torpilles reçues dans la nuit, est à l’agonie – il coulera vers 11h00, les destroyers d’escorte recueillant la plus grande partie des survivants. Par contre, le Yamashiro digère à peu près bien sa torpille. De toutes parts parviennent à Nagumo des demandes frénétiques pour une meilleure couverture de chasse des navires endommagés et, à 08h45, il envoie à leur aide 18 A6M2. Ne voulant pas laisser ses porteavions sans défense, il déclare à Fuchida qu’il faut attendre le retour de la première vague avant de lancer une nouvelle attaque. Fuchida est bien forcé d’accepter, mais il continue à suivre les restes de la Force Z jusqu’à 10h25 avant d’aller se poser à Kuching pour ravitailler. 09h00. Yamamoto prend les choses en main et ordonne au Kanoya Kokutai basé à Bin Dinh d’attaquer les navires alliés qui font route vers Singapour. A 09h45, 27 G4M1 décollent de Bin Dinh. 09h45. Un des Zéro du Kaga, poursuivant le seul Buffalo survivant, a identifié avec précision le terrain de Singkawang-II. Sitôt informé, Yamamoto ordonne à Nagumo, dont les navires font route au sud-ouest, de laisser le Prince of Wales aux bombardiers basés à terre et de détruire le terrain hollandais pour éviter toute nouvelle interférence. 11h15. Les porte-avions japonais font décoller 33 D3A1 et 27 A6M2. 12h38. Le raid de Nagumo frappe Singkawang-II et dévaste le terrain, dépourvu de toute DCA. Trois Hawk-75A7 en patrouille sont massacrés par les Zéro d’escorte et cinq autres détruits au sol, avec un bombardier Martin WH-3M, le Buffalo survivant et un DC-3 de transport arrivé avec les chasseurs du 1-VLG-IV. Le dépôt de carburant local est détruit par un coup direct et le personnel au sol subit de lourdes pertes. Les trois Hawk-75 alors en couverture de la Force Z sont rappelés, mais deux d’entre eux sont détruits à l’atterrissage en se posant sur le terrain semé de cratères de bombes. 12h50. A Singapour, le Coastal Command réclame au contre-amiral Palliser l’autorisation de lancer un nouveau raid contre les cuirassés japonais, mais Palliser, après avoir consulté le département “Y”, demande l’annulation de l’attaque, expliquant que face à quatre grands porte-avions et deux porte-avions légers, un tel raid serait suicidaire. 13h00. Les avions du Kanoya Kokutai, sous la conduite d’un des deux J1N1 prototypes, attaquent le Prince of Wales et son escorte. Dix-huit G4M1 visent le cuirassé, pendant que les neuf autres s’en prennent à l’Emerald et au Mauritius. Ralenti par ses blessures précédentes, le grand bâtiment ne peut plus réagir aussi vite qu’auparavant. Son escorte s’efforce à nouveau d’arrêter ou de distraire les attaquants, le Lamotte-Picquet allant jusqu’à tirer au 155 mm sur le trajet des torpilles. Le Duguay-Trouin abat un G4M1 qui s’écrase entre les cheminées du croiseur français. Lui-même attaqué, le Mauritius se bat avec rage, abattant deux G4M1 dont l’un tombe à quelques mètres de sa coque. L’Emerald abat lui aussi un G4M1, mais ne peut éviter une torpille qui détruit sa proue ; il stoppe pendant quelques minutes, avant de reprendre sa route à 8, puis à 15 nœuds. Mais il y a tout simplement trop d’attaquants et pas assez de DCA. Le Prince of Wales est touché par quatre torpilles côté bâbord et trois côté tribord2. A 13h15, l’eau atteint la plage avant et le navire commence à couler par la proue en chavirant lentement sur bâbord, les hélices tournant encore. Il sombre à 13h21, emportant beaucoup de ses marins et les corps de l’amiral Phillips et du Captain Leach, qui avait expiré quelques minutes plus tôt. Les destroyers Encounter, Ashanti et Eskimo sauvent en tout 387 hommes sur plus de 1 400. Cette attaque est la dernière que la malheureuse Force Z subisse en ce 31 décembre 1941, journée encore assombrie pour les Britanniques par la nouvelle de la reddition de la garnison de Hong-Kong. Ralentis par deux alertes sous-marines dans l’après-midi, les cinq croiseurs et les quatre destroyers survivants touchent Singapour à 03h10 le 1er janvier. Le groupe de navires endommagés par les attaques aériennes de la journée du 30 décembre a jeté l’ancre quelques heures plus tôt, à 23h05 le 31 décembre. Tous ignorent qu’en fin d’après-midi, un G4M1 du Kanoya Kokutai a survolé la zone où le Prince of Wales a sombré et a lâché une couronne de fleurs dédiée « A nos camarades et à nos vaillants ennemis ». VI – Le rapport J.K. Oxton Le 7 janvier 1942, quelques instants après le lever du jour, une baleinière naviguant à la voile se présenta au débarcadère des officiers du “HMS Terror” (le bâtiment du QG de la Royal Navy à Singapour, construit sur le port). Il pleuvait à torrents – comme il avait plu toute la nuit. Alors que le petit bateau abordait à l’emplacement réservé au canot de l’amiral Layton (commandant du port) et comme celui-ci ne devait pas tarder, l’aide de camp de l’amiral, qui l’attendait, interpella la baleinière, lui intimant l’ordre de dégager la place. Il fut sidéré de s’entendre conseiller d’aller se faire… ou d’aider à porter à terre des blessés graves. Il se précipitait pour porter secours, quand arriva le canot de l’amiral, au grand embarras de chacun (et notamment du barreur du canot en question). Il apparut que la baleinière contenait trois hommes plus ou moins gravement blessés, dont l’un était inconscient, et qui étaient tous couverts de mazout. L’un d’eux salua avec vivacité en apercevant l’amiral Layton, et déclara 2 Ce qui fait six impacts de torpille, dont une Longue Lance, à bâbord, et cinq à tribord. qu’ils étaient des survivants du HMAS Canberra. Tous trois furent promptement portés à terre pour y être soignés, mais le seul officier parmi eux, l’enseigne Jerome Kenneth Oxton, insista pour commencer par faire son rapport, montrant un livre de bord noirci de mazout et demandant ce qu’était devenu le reste de l’équipage du Canberra. Hélas, ces trois hommes furent les seuls à rejoindre un port allié… Le livre de bord et les souvenirs de l’enseigne Oxton sont aujourd’hui le témoignage le plus précis sur la fin tragique et brutale du Canberra. Les lignes qui suivent en sont extraites. ……… 23h59 – Vaisseaux en formation Un, en ligne de file derrière l’Amiral, Canberra numéro 4. 00h01 – Autorisation de se détendre en restant aux postes de combat. Souper léger (sandwiches au singe et thé). 00h07 – Cap/vitesse modifiés : 180/25. 00h09 – Message par projecteur à éclats, ennemi détecté, directeurs de tir et artillerie principale orientés dans l’azimut Rouge 95. (…) 00h37 – Ennemi signalé par Amiral dans le Rouge 85, 19 000 yards. Pas en visuel. 00h40 – Amiral signale deux groupes ennemis. Arrivée croissante d’informations. 00h40 – Circuits vérifiés. 00h41 – Circuits auxiliaires vérifiés. 00h42 – Cibles : cuirassés ennemis conduits par un destroyer. Engager les cuirassés dans l’ordre de formation, le dernier par Canberra et Mauritius. Le commandant Getting3 indique aux officiers sur la passerelle qu’il faudra lancer les torpilles dès que possible, car le Canberra ne restera pas très longtemps en état de combattre s’il doit engager un cuirassé. 00h43 – Nos destroyers doivent attaquer d’abord, ouvrir le feu quand on verra l’impact des torpilles. 00h43 – Correction : quand les torpilles seront lancées. 00h44 – Le commandant Getting informe l’équipage de la situation, et que la ligne ennemie compte quatre cuirassés. Brève rafale d’applaudissements dans tout le navire. (…) 00h55 – Vigie bâbord signale possible contact en visuel. 00h55 – Possibles lames d’étrave dans le Rouge 80, au loin. 00h57 – Ennemi en vue. Directeurs de tir visent l’ennemi le plus à gauche. 00h58 – Ennemi visé : cuirassé, probablement classe Kongo. 00h58 – Portée 11 500 yards. 00h59 – Ouverture du feu contre le cuirassé. Feu de salve. Cible encadrée. 01h00 – Ennemi touché. Feu de bordée. 01h01 – Vaisseau encadré. Petit impact à la base de la catapulte. Incendie. Walrus jeté à la mer. 01h01 – Violent choc à l’arrière. Tourelle X ne répond plus. Tourelle Y rapporte tourelle X détruite, toit et arrière explosés. Violent incendie. GO ordonne noyer soute à munitions X. Ordre passé par circuit auxiliaire. 01h02 – Cuirassé visé en feu. Nouveaux coups au but. Feu de salve. A, B, Y signalent pas de problèmes. S2 rapporte plusieurs impacts derrière lui, mineurs. Des blessés. Incendie important à l’arrière. 01h02 – Torpilles bâbord lancées vers ligne ennemie. 01h03 – Choc violent. Coque touchée au milieu par obus gros calibre. Tirons sur cible, coups au but. Deuxième cuirassé ennemi en feu à l’avant. 3 Le capitaine de vaisseau (Captain) Frank Edmund Getting, ancien commandant du croiseur auxiliaire HMS Kanimbla puis chef d'état-major adjoint de la Marine Royale Australienne, a remplacé le CV H.B. Farncomb au commandement du croiseur lourd HMAS Canberra le 15 décembre 1941. 01h04 – Impact sur la passerelle. Commandant Getting blessé. Suis blessé. Quatre tués. Violent impact à l’arrière. MCR signale chambre des machines bâbord touchée, incendie, voie d’eau. Turbine externe bâbord hors service. Vitesse maintenue. Incendie arrière s’étend. Coups au but sur l’ennemi. 01h05 – Urgence Tango à bâbord. Commandant Getting ordonne bâbord 30. ……… Le livre de bord s’arrête ici… La suite fut racontée par Oxton peu après avoir débarqué à Singapour, et bien des fois depuis, à des journalistes, à des historiens… « A cet instant, deux à quatre chocs très violents ont brutalisé le croiseur, faisant sauter les cloisons de la passerelle de leurs logements, jetant à terre toute l’équipe de la passerelle et tuant plusieurs hommes. Le commandant Getting ne s’est pas relevé. J’ai tenté de lui porter secours, mais il était déjà mort – il s’était sans doute brisé la nuque en tombant. Le haut du mât avant s’est brisé, détruisant le directeur de tir, et le courant a été totalement coupé. Aucune gerbe n’était visible de la passerelle, qui n’avait pas reçu pas une goutte d’eau – ce qui venait de blesser à mort notre Canberra n’était donc sans doute pas une salve d’obus de gros calibre. Vers l’arrière, un dense nuage de fumée et de vapeur empêchait de distinguer quoi que ce fût au delà de la cheminée arrière. Un nouveau choc, encore plus violent, mais plus sourd et plus prolongé que les précédents, ébranla à nouveau le vaisseau. « Une soute à munitions a dû exploser à l’arrière ! » s’est exclamé l’officier d’artillerie, le plus haut gradé survivant. Le navire commençait à prendre de la gîte à bâbord et à s’enfoncer par la poupe. C’est à ce moment que j’ai ramassé le livre de bord ; je l’ai mis dans ma poche que j’ai boutonnée. L’officier d’artillerie m’a demandé d’appeler la salle des machines, mais les tubes acoustiques communiquant avec la salle des machines, celle des auxiliaires et la chaufferie étaient percés. En l’apprenant, l’officier d’artillerie a poussé un cri et a ordonné à tout ce qui restait de l’équipe de la passerelle d’utiliser toutes les tubes acoustiques encore en état pour avertir les hommes d’abandonner le navire. Nous avons fait de notre mieux jusqu’à ce que la gîte atteignît 45 degrés – alors, chacun s’en est tiré comme il a pu. Vers 80 degrés de gîte, j’ai été balayé de la passerelle. Je suis tombé à la mer et lorsque je suis revenu à la surface, j’étais seul – la visibilité ne dépassait pas six ou huit mètres. Accroché à un morceau de cloison qui flottait, j’ai entendu de profonds grondements et des bruits divers, mais ne je n’ai pas véritablement vu sombrer le Canberra. » La bataille s’éloigna rapidement de la zone du naufrage, et Oxton n’en vit plus rien, quoiqu’il continuât à entendre la canonnade et de nombreuses explosions. Puis, le bruit de la bataille s’estompa, la visibilité devint meilleure et il commença à entendre des appels. « Environ une heure après le naufrage, j’aperçus l’une des plus belles choses que j’aie jamais vues : une barque, une belle baleinière en parfait état, sans personne à bord. J’ai oublié mes blessures, j’ai nagé jusqu’à elle et je me suis hissé à bord. » C’était une baleinière du Canberra, qui flottait seule, sans doute grâce à la rupture de ses garants lorsque le croiseur avait été frappé à mort. Oxton sortit deux rames et souqua vers les voix. « Peu après, j’ai découvert un petit groupe d’hommes, dont quatre encore vivants, que j’ai pu tirer à bord. Tous étaient blessés, et l’un est mort peu de temps après. Un seul des trois autres pouvait m’aider à ramer. Nous avons voulu rechercher d’autres survivants, mais nous étions épuisés et la nappe de mazout couvrant la mer nous rendait la tâche difficile. Comme le ciel s’éclaircissait, nous avons vu un destroyer ennemi stoppé à 1 500 yards de nous environ ; il était en train de repêcher des survivants. Mais grâce à cette barque, nous n’avions plus envie d’être repêchés par un Japonais. » L’enseigne ordonna aux trois autres de se coucher dans le fond de la barque pour ne pas être vus et juste avant le lever du soleil, le destroyer repartit, après avoir passé environ une heure à recueillir des survivants du Canberra. Ils étaient seuls. Ils purent alors hisser la voile et explorer la zone où le destroyer s’était arrêté. Ils constatèrent qu’il s’agissait de l’endroit même du naufrage. De nombreux cadavres flottaient sur l’eau, mais aucun autre survivant ne fut retrouvé. « A ce moment, un autre des hommes que j’avais récupérés est mort. Nous restions trois, tous blessés : le matelot artilleur Steele, le quartier-maître artilleur Jones et moi, mais je savais à peu près où nous étions. La baleinière était bien approvisionnée (y compris trois gallons de rhum et douze d’eau), et de nombreuses averses nous ont permis de reconstituer les provisions d’eau. Alors, nous avons fait voile pour la côte malaise, et Bon Dieu ! Nous avons bien marché ! Je manœuvrais le bateau avec l’aide de Steele seulement, car Jones avait le bras et la jambe gauche cassés, ainsi que plusieurs côtes. Steele et lui avaient été blessés en évacuant leur tourelle au moment où le vaisseau basculait. Nous lui avons posé des attelles et nous avons pris soin de lui comme de vraies nounous ! Comme le pauvre gars souffrait en permanence, nous lui avions réservé tout le rhum, et nous lui en faisions boire quand ses douleurs devenaient insupportables. Il a été formidable. Dès qu’il avait moins mal, il nous aidait de son mieux, il plaisantait avec nous et jouait le rôle de vigie – il écopait même de la main droite ! » Pendant six jours et cinq nuits, ils firent voile fers l’ouest sans voir ni un bateau ni un avion. Le six janvier, comme le soir tombait, Oxton vit Horsburgh, sur l’île de Singapour. « J’ai eu beaucoup de chance. Mais dès que j’ai su où nous étions exactement, j’ai pensé que nous allions nous en tirer. Je connaissais bien les eaux, car l’une de mes missions était de tenir à jour les cartes marines secrètes de la région. J’ai pu ainsi naviguer à travers les détroits jusqu’à la base navale. Vous comprenez, je ne voulais pas débarquer sur le rivage, car je savais qu’il était miné, ni au port Keppel, très actif pendant la nuit, car je craignais que notre petite barque se fasse éperonner dans l’obscurité. En fait, j’espérais être repéré par un patrouilleur, mais le temps était très couvert et il pleuvait fort cette nuit-là. C’est ainsi que nous sommes parvenus jusqu’aux quais de la base navale sans avoir été signalés. » La bataille de Mer de Chine Méridionale était terminée. VII – Phillips’ folly : le jugement de l’Histoire (ajout à la deuxième édition) La postérité considère aujourd’hui la bataille de la Mer de Chine Méridionale comme une incontestable victoire japonaise (encore que les avis divergent sur l’amiral auquel accorder les lauriers), mais la plupart des auteurs ajoutent au mot “victoire” l’expression “à la Pyrrhus”. Beaucoup estiment que la présence d’un second grand porte-avions anglais aurait pu tout faire basculer, et les spécialistes se demandent si la bataille des îles Anambas mérite le titre de “première bataille au-delà de l’horizon”, puisque le malheureux Formidable n’a pu riposter que par Coastal Command interposé. Quant à Phillips, si personne ne met en doute sa volonté et son courage, sa décision d’attendre de longues minutes avant d’ordonner l’ouverture du feu est fortement critiquée par différents historiens, américains, australiens ou français, voire japonais. D’autres reconnaissent qu’il était tenu par les strictes règles d’engagement de la Royal Navy de l’époque et qu’il ignorait le danger représenté par les torpilles Longues Lances. Mais tous admettent que l’amiral était en grande partie responsable du fait que le Prince of Wales emportait un grand nombre de documents secrets, dont la récupération, même partielle, par les Japonais les a incontestablement servis durant la deuxième partie de la guerre4. Enfin et surtout, du point de vue stratégique, sa décision de tenter un véritable coup de dés en poursuivant son action 4 NDE – Ce point est détaillé au début de la chronologie de 1942. offensive dans la nuit du 30 au 31 décembre au lieu de mettre à l’abri le gros de sa flotte fait l’objet de débats parfois violents. Au Royaume-Uni, Phillips est dans l’imagerie populaire le type même du héros malheureux, tombé en combattant dans le plus pur esprit de la Royal Navy contre des forces très supérieures, auxquelles il a néanmoins infligé des pertes considérables, qui ont certainement influencé le cours de la Guerre du Pacifique. La propagande britannique avait bien fait son travail : en 1942, il ne fallait pas désespérer l’East End. Mais en revanche, presque sous le manteau, « Phillips’ folly » est accusée par les spécialistes de l’histoire du Commonwealth d’avoir mis en danger la cohésion de l’Empire lui-même en donnant l’impression aux citoyens des Dominions que la protection impériale ne servait à rien ! Il est significatif que le nom du malheureux amiral n’ait jamais été donné à un bâtiment de la Royal Navy… Note de l’édition française (1979) – Nul navire, non plus, ne porte le nom de l’enseigne Oxton. Il est vrai qu’il a survécu au conflit. En 1971, il fut interviewé par des journalistes alors qu’il vivait paisiblement à Sydney. Il ne portait guère les décorations dont il était couvert et continuait à faire de la voile chaque semaine, avec son fils, quel que soit le temps : « On n’a toujours pas fait mieux pour se déplacer sur l’eau, affirma-t-il, même à notre époque de porte-avions atomiques. »