Hamlet - biblio
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Hamlet Shakespeare Livret pédagogique établi par Florence DUJOUR, agrégée de Lettres modernes, professeur en lycée HACHETTE Éducation Conception graphique Couverture et intérieur: Médiamax Mise en page Alinéa Illustration Détail d’une lithographie d’Eugène Delacroix,1843 ©Hachette Livre – Photothèque Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2003. 43, quai de Grenelle, 75905 PARIS Cedex 15. ISBN: 2.01.168536.2 www.hachette-education.com Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122.-4 et L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle,faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause,est illicite». Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit,sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. SOMMAIRE AVA N T - P R O P O S 4 TA B L E 6 D E S CO R P U S RÉPONSES AU X Q U E S T I O N S 10 B i l a n d e p re m i è re l e c t u re . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 0 Ac te I , s c è n e 1 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 3 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 1 5 Ac te I I , s c è n e 2 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 2 3 Ac te I I , s c è n e 2 ( p p. 8 3 à 9 6 ) Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 7 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 2 8 Ac te I I I , s c è n e 1 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 5 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 3 7 Ac te I I I , s c è n e 2 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 2 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 4 2 Ac te I V, s c è n e 7 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 9 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 5 0 Ac te V, s c è n e 1 Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 7 Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 5 8 BIBLIOGRAPHIE CO M P L É M E N TA I R E 64 AVANT-PROPOS Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Hamlet en l’occurence, permettra d’étudier le genre de la tragédie, de réfléchir aux procédés de l’argumentation, de s’initier à l’Humanisme et au Baroque, tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques qui visent à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe. • Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des tableaux donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : 4 – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelques pistes lui sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à construire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion. 5 TABLE DES CORPUS Composition du corpus Corpus La scène d’exposition (p. 31) Texte A : Hamlet, extrait de la scène 1 de l’acte I. Texte B : extrait de la scène 1 de l’acte I des Fourberies de Scapin, Molière. Texte C : extrait de la scène 1 de La Cantatrice chauve, Ionesco. Les ambiguïtés de la folie (p. 78) Texte A : Hamlet, extrait de la scène 2 de l’acte II. Texte B : extrait de l’Éloge de la folie d’Érasme. Document C : reproduction de la Nef des fous de Jérôme Bosch. Un motif dramatique : Ô vengeance ! (p. 97) Texte A : Hamlet, extrait de la scène 2 de l’acte II. Texte B : extrait du Cid de Corneille. Texte C : extrait de Hernani de Victor Hugo. Texte D : extrait de la scène 3 de l’acte III de Lorenzaccio,Alfred de Musset. Méditations métaphysiques (p. 116) Texte A : Hamlet, extrait de la scène 1 de l’acte III. Texte B : extrait des Pensées de Pascal. Texte C : extrait du Discours de la méthode de Descartes. Texte D : extrait de La vie est un songe de Calderón. 6 Objet d’étude et niveau Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Le théâtre : texte et représentation ; la scène d’exposition (Première et Seconde) Question préliminaire De quelle manière les trois textes donnent-ils les informations nécessaires à la compréhension de la pièce ? Commentaire Vous pourrez montrer comment le texte donne plusieurs renseignements tout en ménageant l’attente du spectateur et les effets comiques. Argumenter et convaincre (Première) L’éloge (Seconde) Un mouvement culturel (Première) Question préliminaire Comment est traité le thème de la folie dans les trois documents ? Commentaire Vous pourrez montrer comment l’on comprend que l’énonciateur est la folie elle-même puis quels sont ses arguments et enfin quelles sont ses affirmations paradoxales. Le théâtre : texte et représentation (Première et Seconde) Argumenter et délibérer (Première) Question préliminaire Quelles sont les raisons qui poussent chacun des quatre héros à envisager de commettre un meurtre ? Commentaire Vous pourrez montrer comment Lorenzo justifie le projet criminel puis comment il semble avoir perdu toute illusion et enfin qu’il fait preuve d’un orgueil démesuré. Argumenter et convaincre (Première) Le théâtre : forme et représentation ; le monologue Question préliminaire À quel genre appartient chacun des textes ? Commentaire Après avoir repéré quel est le destinataire ou les destinataires du texte, vous pourrez analyser les moyens utilisés par Pascal pour convaincre et frapper les lecteurs et montrer que l’homme apparaît aveugle dans un univers muet. 7 TABLE DES CORPUS Composition du corpus Corpus La mise en abyme (p. 141) Texte A : Hamlet, extrait de la scène 2 de l’acte III. Texte B : extrait de l’Illusion comique de Corneille. Texte C : extrait de Six personnages en quête d’auteur de Pirandello. Document D : reproduction du Christ chez Marthe et Marie de Vélasquez. L’échappée lyrique : « la blanche Ophélia flotte comme un grand lys » (p. 192) Texte A : Hamlet, extrait la scène 7 de l’acte IV. Texte B : Ophélie, poème d’Arthur Rimbaud. Document iconographique C : Ophélie par Millais. La dernière heure (p. 211) Texte A : Hamlet, extrait la scène 1 de l’acte V. Texte B : extrait du livre I des Essais de Montaigne. Texte C : Ballade des dames du temps jadis de François Villon. Document D : reproduction du Songe du chevalier de Antonio de Pereda. 8 Objet d’étude et niveau Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Le théâtre : forme et représentation ; la mise en abyme (Première et Seconde) Question préliminaire Par quels procédés la pièce est-elle enchâssée dans la pièce et la peinture dans la peinture ? Commentaire Vous pourrez montrer que la scène est une illustration de l’illusion théâtrale avec notamment la mise en abîme puisque par ce biais l’auteur se livre à une apologie du théâtre. La poésie (Première) Question préliminaire En quoi le personnage d’Ophélie peut-il prêter à un traitement poétique ou pictural ? Commentaire Vous pourrez montrer que ce poème peut s’apparenter à une chanson ainsi qu’à une peinture et enfin qu’à travers ce personnage féminin se profile la figure du poète lui-même. Un mouvement littéraire et culturel (Première) Convaincre, persuader (Première) Question préliminaire Montrez que ces textes et cette peinture si différents qu’ils soient traitent exactement du même thème. Commentaire Vous pourrez montrer comment le poème traite du temps passé qui ne revient plus à travers une forme musicale et par l’évocation de femmes disparues. 9 RÉPONSES AUX QUESTIONS B I L A N D E P R E M I È R E L E C T U R E ( p. 2 3 2 ) a Au Danemark, au château d’Elseneur z Les personnages sont terrifiés par la vue du spectre qui apparaît la nuit sur les remparts du château d’Elseneur. e Hamlet est le neveu de Claudius, et comme de plus Claudius a épousé sa mère, il est devenu aussi son beau-fils. r Hamlet est extrêmement violent et ironique avec sa mère, il la compare à un « animal privé du discours de la raison » et lui reproche de s’être remariée beaucoup trop tôt, qui plus est avec l’assassin de son père. Il l’accable de reproches au point que le spectre de son père intervient (scène 3, acte IV). Certains critiques ont proposé une interprétation psychanalytique de la pièce : Hamlet illustrerait le complexe d’Œdipe. Le prince hésiterait ainsi à tuer son oncle qui aurait accompli le souhait inconscient d’Hamlet : tuer le père pour posséder la mère. Quoi qu’il en soit, les femmes, Ophélie ou sa mère, perdent tout prestige à ses yeux et sont comparées plusieurs fois à des prostituées. Dans un dialogue avec sa mère, Hamlet se plaît à imaginer et évoquer des détails très crus de draps souillés. t Polonius est le conseiller de Claudius et le père d’Ophélie et de Laerte. y Hamlet hésite à se venger pour plusieurs raisons, et celles-ci ne sont pas simples. En premier lieu, il n’est pas sûr que le spectre qui lui est apparu soit bien le spectre de son père. Peut-être vient-il des enfers et peut-être n’a t-il pas dit la vérité. Il pourrait aussi être le fruit de l’imagination noire d’Hamlet. Enfin, même si l’on admet qu’il s’agisse bien du spectre de son père et qu’il ait dit la vérité, ce dont Hamlet semble convaincu après la représentation de la pièce intitulée le Meurtre de Gonzague, il ne lui est pas facile de tuer un homme, son oncle. On pourrait trouver d’autres raisons qui sont davantage des interprétations, notamment d’ordre psychanalytique (voir la réponse à la question 5). u Hamlet a l’occasion de tuer son oncle alors que ce dernier est en prière (acte III, scène 3 : « Je puis agir à présent ! Justement, il est en prière : »). C’est justement pour cette raison qu’il renonce à le tuer car il craint de l’envoyer directement au ciel alors que son propre père, lui, n’a pas eu le temps de se confesser avant de mourir et est mort en état de péché. 10 Bilan de première lecture i Hamlet a des sentiments assez ambigus vis-à-vis d’Ophélie. Il semble véritablement l’aimer au début de la pièce puis lui parle avec une grande violence. Est-ce parce qu’il se sent piégé et qu’il a compris les manigances du père de la jeune fille, Polonius, et de son propre oncle Claudius ? Se sent-il trahi par la jeune fille ? L’ambiguïté de ses sentiments apparaît dans la scène 1 de l’acte III : en voyant arriver Ophélie, il semble énoncer en aparté un propos qu’on peut interpréter comme la preuve de son amour (même si certains critiques y voient de l’ironie) : « Nymphe dans tes oraisons, souviens-toi de tous mes péchés. », puis il l’invective et l’insulte. Ophélie ne résistera pas à un tel traitement. o À plusieurs reprises, Hamlet annonce son intention de porter le masque de la folie afin, semble t-il, de faire éclater la vérité. q Hamlet fait jouer une pièce intitulée la Souricière représentant le meurtre du Duc de Gonzague : « Cette pièce est le tableau d’un meurtre commis à Vienne. Le duc s’appelle Gonzague, sa femme Baptista » et plus loin : « il l’empoisonne dans le jardin pour lui prendre ses états. Son nom est Gonzague. L’histoire est véritable et écrite dans le plus pur italien.Vous allez voir comment le meurtrier obtient l’amour de la femme de Gonzague. » (Acte III, scène 2). Cette représentation théâtrale a deux objectifs : d’une part, s’assurer de la vérité des dires du spectre et donc de son origine (maléfique ou non) et, d’autre part, prouver la culpabilité de Claudius. s La culpabilité du roi est prouvée par sa réaction devant la représentation. Il se lève alors que sur scène le personnage verse le poison dans l’oreille du roi endormi. Guildenstern confie à Hamlet qu’il s’est « retiré, prodigieusement indisposé ». Juste après, le roi décide de faire partir au plus vite Hamlet pour l’Angleterre et confie à Rosencrantz et Guildenstern une lettre demandant à ce qu’Hamlet soit exécuté. La reine quant à elle s’inquiète pour le roi, « Comment se trouve monseigneur » et pour son fils, « la reine… dans la profonde affliction de son âme, m’envoie auprès de vous. » d Dans la scène 4 de l’acte III, alors que Hamlet parle à sa mère, Polonius est caché derrière une tenture. Hamlet jure à sa mère de lui présenter un miroir pour voir clair en elle ; se sentant menacée, elle appelle au secours ; Polonius, toujours caché appelle à son tour au secours, et Hamlet feint de le prendre pour un rat et donne un coup d’épée dans la tapisserie. Il est probable qu’Hamlet ait cru qu’il s’agissait de Claudius, à moins qu’il ait compris immédiatement qu’il avait à faire à son courtisan, Polonius. De toute façon, il n’agit pas de façon préméditée. 11 RÉPONSES AUX QUESTIONS f « Voici la pauvre Ophélie étrangère à elle-même et privée de la raison sans laquelle nous sommes des ombres ou de simples bêtes ». La folie chez elle n’est pas feinte. Manipulée par son père, contrainte de jouer un rôle dont Hamlet n’est pas dupe, maltraitée par son amant chez qui elle croit voir la folie : « voir maintenant cette noble et souveraine raison faussée et criarde comme une cloche fêlée » (acte III scène 1). Elle perd peu à peu la raison et se met à délirer. Le spectacle de la folie (feinte) d’Hamlet semble signer son entrée dans la folie réelle : « Oh ! Malheur à moi ! Avoir vu ce que j’ai vu, et voir ce que je vois. » (acte III, scène 1). Son délire est musical, elle chante et s’abandonne à la mort dans cette noyade finale où elle ne semble plus s’appartenir. g Fortinbras est évoqué dès la première scène de l’acte I et il est à nouveau question de lui dans la dernière scène. Il est le fils de Fortinbras, le Roi de Norvège tué par Hamlet père. Il y a donc un effet de symétrie entre ces deux fils et leurs pères. h Horatio est le seul personnage qui ne trahit jamais Hamlet. Hamlet a pour lui une profonde amitié et il le charge à la fin de « justifier sa cause à ceux qui l’ignorent ». j On peut parler de rétablissement de l’ordre à la fin de la pièce, dans la mesure où ce qui était pourri dans le royaume du Danemark a laissé place à une situation claire. Le roi qui avait usurpé son pouvoir et qui n’avait en fait aucune légitimité est mort. C’est Fortinbras, dont il était question dans la scène d’exposition, qui par la mort du roi du Danemark redevient possesseur de ses terres et assure la succession sur le trône du Danemark. k Le thème de la pourriture apparaît d’emblée par la phrase « il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark ». L’État lui même est menacé de mort et cela à cause de l’illégitimité du roi Claudius. On trouve pléthore de ces images : le monde tout entier est comparé à un « noir amas de vapeurs pestilentielles » (acte II, scène 2, l. 88, p. 86). 12 Acte I, scène 1 A C T E I , S C È N E 1 ( p p. 2 1 à 2 7 ) ◆ L ECTURE ANALYTIQUE DE L’ EXTRAIT (pp. 21 à 25) a Le type de personnages sur scène peut d’emblée nous renseigner sur le type de pièce auquel nous avons affaire, or il s’agit ici d’officiers de la garde. Leur fonction et leurs noms latinisants et sérieux (Marcellus, Horatio) rappellent la noblesse et évoquent le personnel de la tragédie. z Le vieil Hamlet dont on découvre d’emblée qu’il est mort quand commence la pièce, est évoqué avant tout de manière guerrière. On apprend qu’il a combattu le roi de Norvège et les Polonais. Il apparaît avant tout comme un roi belliqueux et majestueux. e La première mention du nom Hamlet apparaît tardivement, dans une réplique d’Horatio, précédé d’une épithète qui ressemble aux épithètes homériques, de nature : « notre vaillant Hamlet ». Le père apparaît donc avant le fils, ce qui est lourd de signification symbolique. Le titre éponyme se trouve aussi doublement motivé. Mais comme il est peu probable qu’un personnage mort donne son nom à la pièce, le spectateur continue d’attendre l’arrivée d’un autre Hamlet dont on apprendra qu’il s’agit du fils. La mention d’Hamlet fils n’intervient qu’à la fin de la scène 1 dans la bouche d’Horatio : « faisons part de ce que nous avons vu cette nuit au jeune Hamlet ». Remarquons l’opposition « vaillant » qui concerne le père et « jeune » pour le fils. Hamlet devra lui aussi prouver sa vaillance. L’évocation tardive d’Hamlet produit un effet d’attente et l’adjectif « jeune » aménage plusieurs possibilités dramatiques. r La pièce s’inscrit dans un cadre spatio-temporel très précis. La didascalie indique le lieu de l’action, Elseneur et une terrasse devant le château, tandis que le moment de l’action est révélé par le dialogue, c’est la nuit « minuit vient de sonner » et l’âpre froid dont il est question laisse supposer que c’est l’hiver, ce qui est confirmé par les propos de Marcellus : « on dit qu’aux approches de la saison où l’on célèbre la naissance du Sauveur ». t Certains éléments permettent de rattacher la pièce au genre historique. C’est Horatio qui rappelle les événements militaires qui se sont produits dans le royaume du Danemark peu de temps avant le début de la pièce : « Notre feu 13 RÉPONSES AUX QUESTIONS roi… fut, comme vous savez, défié au combat par Fortinbras de Norvège… ». Ces événements sont bien sûr inventés par Shakespeare, mais ils donnent l’illusion d’un ancrage historique. y La scène d’exposition doit permettre de déterminer le genre d’une pièce. Ici, la conjugaison des éléments spatio-temporels (la nuit, un château) et des personnages nobles ou militaires, et de l’intrigue (guerre entre le roi de Norvège et le roi du Danemark, apparition d’un spectre ayant l’apparence de roi du Danemark) permet de classer Hamlet dans le genre de la tragédie. La mort est déjà omniprésente et donne un climat funeste et inquiétant à la pièce. Enfin, même si le dialogue initial entre les gardes est marqué par un ton qui n’ignore pas la plaisanterie, très vite les répliques sont solennelles et dans un registre de langue très soutenu. u Horatio répond à Marcellus qui s’interroge sur la raison des préparatifs de guerre, ainsi il nous renseigne : Fortinbras, roi de Norvège a été tué au combat par Hamlet et a perdu ses terres. L’héritier du trône de Norvège, le jeune Fortinbras, cherche à récupérer ses terres par la force : « et voilà, je pense, la cause principale de nos préparatifs, la raison de ces tours de garde, et le grand motif du train de poste et du remue-ménage que vous voyez dans ce pays. » i Horatio explique que le jeune Fortinbras de Norvège veut venger son père et récupérer les terres perdues par ce dernier et acquises par le vieil Hamlet, d’où un remue-ménage dans le pays. o La nuit glaciale, les remparts du château produisent un effet d’inquiétude. q Le spectre est désigné en premier lieu par le terme indéfini « la chose » puis par « cette terrible apparition ». Cette incapacité à nommer précisément le spectre renforce l’impression d’inquiétude. s Tout concourt à accroître le climat d’angoisse et d’attente. Le fait que l’apparition du spectre soit d’abord commentée par les gardes augmente l’attente et c’est une attente angoissée. Le suspense est ménagé par ce qui est dit du spectre et les expressions « terrible apparition ». d Selon Horatio, l’apparition du spectre est le présage de « quelque étrange catastrophe dans le royaume ». Plus loin, il rappelle les présages qui ont précédé la chute de Jules César. 14 Acte I, scène 1 ◆ L ECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D ’ ÉCRITURE (pp. 31 à 35) Examen des textes a La scène d’exposition doit donner au public certaines informations indispensables pour comprendre la pièce : ce qu’il s’est passé quelque temps auparavant et quel événement bouleverse la situation. Dans la scène d’exposition des Fourberies de Scapin, on apprend que le père d’Octave revient le jour même, ce qui bouleverse son fils et le valet de celui-ci, Sylvestre. La scène d’exposition nous renseigne aussi sur le lieu (une ville portuaire ; en réalité, la didascalie initiale [qui ne figure pas ici] indique que la scène est à Naples), et sur le genre de la pièce (le simple nom des personnages nous indique qu’il s’agit d’une comédie, et ceci est confirmé par leur ton et le rythme des dialogues). z Cette scène d’exposition est souvent appelée fausse scène d’exposition dans la mesure où elle laisse en suspens un grand nombre d’informations et laisse le spectateur dans l’attente au lieu de répondre à ses interrogations. En effet, pourquoi le retour du père d’Octave bouleverse les personnages, nous ne le saurons pas encore, ni ce qu’il s’est passé avant. Sylvestre se contente de répondre « oui » aux questions d’Octave qui ne sont pas des vraies questions puisque ce dernier connaît déjà les réponses. En réalité, Molière met en évidence le caractère factice de la scène d’exposition : en faisant répéter par Octave ce qu’il sait déjà, il montre bien que c’est aux spectateurs que ce discours s’adresse. e Dans cette anti-scène d’exposition de La Cantatrice chauve où il ne se passe absolument rien, il est beaucoup question de ce que les personnages ont mangé : soupe, poisson, pommes de terre au lard, huile, tarte, etc. r Les scènes d’exposition des Fourberies de Scapin et de La Cantatrice chauve ont beaucoup en commun. Les deux jouent des conventions du genre théâtral et ne donnent pas d’informations véritables au public. Dans la pièce de Molière, comme dans la pièce de Ionesco, l’information est pléthorique et redondante. Dans La Cantatrice chauve, la vacuité du discours théâtral est poussée à l’extrême. La didascalie initiale de même est outrancière et énonce des clichés d’une banalité remarquable (M. Smith lit le journal, Mme Smith raccom15 RÉPONSES AUX QUESTIONS mode des chaussettes…) ; de plus elle est contredite par les propos de Mme Smith (« La pendule anglaise frappe dix-sept coups anglais » et « Tiens, il est neuf heures »). Mme Smith monologue et pourrait ainsi nous donner des renseignements utiles mais son discours livre des informations à la fois très précises et totalement insignifiantes voire triviales, « ça m’a fait aller aux cabinets », d’où un effet burlesque. M. Smith ponctue cette logorrhée par un claquement de langue, ce qui produit un effet grotesque. Enfin, les relations de cause à effet sont tournées en dérision : « C’est parce que nous habitons dans les environs de Londres ». Travaux d’écriture Question préliminaire Seule la scène d’exposition d’Hamlet respecte les règles de la scène d’exposition. Elle nous renseigne sur le genre de la pièce et nous donne les clés pour comprendre l’intrigue. Le temps et le lieu sont de même clairement indiqués. Les deux autres textes nous renseignent aussi sur le genre (la comédie), encore que la pièce de Ionesco soit beaucoup plus difficile à qualifier (elle porte l’appellation « anti-pièce » et « drame comique »), sur le lieu (ville portuaire [Naples] pour les Fourberies de Scapin, Londres pour La Cantatrice chauve), sur le temps mais de manière parodique dans la pièce de Ionesco (voir la contradiction entre la première didascalie et les propos de Mme Smith). Mais les textes B et C ne nous renseignent pas ou très peu sur l’intrigue, Ionesco poussant le plus loin cette « désinformation ». Ainsi qui est cette cantatrice chauve ? Que s’est-il passé avant que le rideau ne se lève ? Que va-t-il se passer, quel événement vient perturber la situation initiale ? On est à peine mieux renseigné chez Molière (voir la réponse à la question 2 p. 15). Commentaire Dans une pièce de théâtre classique, soumise à la règle des trois unités (temps, espace, lieu), la scène d’exposition doit faire connaître aux spectateurs le moment et le lieu de l’action, elle doit nous renseigner sur les personnages et doit nous exposer la situation initiale et ce qui vient la bouleverser. En outre, dès la scène d’exposition, le spectateur sait immédiatement, en fonction des données exposées plus haut, à quel genre de pièce il a affaire. Dans cette première scène des Fourberies de Scapin, il est donc intéressant d’étudier comment Molière joue de ces contraintes. On pourra étudier 16 Acte I, scène 1 deux aspects dans cette scène : en premier lieu quels sont les renseignements fournis au public, et en second lieu, en quoi cette scène parodie la scène d’exposition traditionnelle, et comment elle apparaît en fait comme une anti-scène d’exposition. I. Les éléments exposés A) Le lieu Décor portuaire (Naples), ouvert sur la mer (élément important pour la suite), lieu de passage, sorte de carrefour propice au hasard. B) Les personnages – les noms : tout droits issus de la comédie, leurs noms rappellent le personnel des comédies : en particulier Géronte, mais aussi Scapin, nom d’un valet dans la comédie italienne. – les emplois : dans la scène d’exposition apparaissent un jeune homme et son valet. Le valet est remplacé par le confident dans la tragédie ; le valet signe donc l’appartenance à un certain genre. En outre, leur caractère apparaît à travers leurs répliques : le jeune homme, soumis à la tutelle de son père, n’assume pas ses actes et semble irréfléchi et étourdi, tandis que le valet, chargé de le surveiller, ne trouve pas d’expédient pour aider son maître, et semble dépassé par la situation. Un certain nombre d’éléments sont donc fournis au public pour la compréhension de la pièce. Mais il reste bon nombre d’interrogations pour le spectateur, et Molière semble vouloir jouer des codes artificiels de cette scène d’exposition. II. Une fausse scène d’exposition A) Un manque d’informations On entre de plain-pied dans la pièce avec la tirade d’Octave qui parodie la tragédie : « Ah ! fâcheuses nouvelles pour un cœur amoureux ! » Mais alors que le spectateur s’attend à comprendre en quoi ces nouvelles sont fâcheuses, le dialogue entre Octave et son valet ne nous apprend rien de plus. En quoi le retour du père est-il fâcheux, nous ne le saurons pas. Pourquoi Octave en estil si bouleversé, qui est ce Scapin qui donne son nom à la pièce, nous ne pouvons pas encore le comprendre. B) Un dialogue qui piétine Tout le dialogue fonctionne sur la figure de la répétition. Sylvestre ne fait que répéter systématiquement les derniers mots de chaque réplique d’Octave, d’où un effet mécanique et comique. 17 RÉPONSES AUX QUESTIONS III. Une scène de comédie Les types de personnages appartiennent clairement au genre de la comédie. Le nom du personnage éponyme, lui, appartient à la farce, et dans cette scène, les dialogues pourraient aussi signer l’appartenance de la pièce au genre de la farce : il en est ainsi des coups de bâton que Sylvestre craint de recevoir. Les éléments de l’intrigue qui nous sont fournis se retrouvent dans le schéma de bon nombre de comédies. Il est question d’un mariage organisé par un père qui fait figure de vieux barbon. Molière parodie le tragique avec la première réplique d’Octave et en outre, il multiplie les effets comiques avec la figure du valet répétant mécaniquement les paroles de son maître. Tout l’intérêt de cette scène repose sur l’exhibition des artifices de l’exposition, et à bien des égards, c’est une anti-scène d’exposition. Ionesco d’ailleurs saura s’en souvenir quand il écrira La Cantatrice chauve. Molière ne cherche pas à donner l’illusion de la vraisemblance, il nous rappelle au contraire que cette scène est artificielle et que c’est à nous spectateurs qu’elle s’adresse puisque Octave ne fait que répéter ce qu’il sait déjà. Dissertation Ionesco dénonce ici l’artificialité du théâtre, ses codes, en gros ce qui fait l’essence même du théâtre : ficelles, procédés, art à effets. Plus tard, Ionesco jouera de cette artificialité même jusqu’à en faire une problématique essentielle, notamment dans La Cantatrice chauve. Molière avant lui a su jouer de ces codes. Proposition d’un plan dialectique I. Le théâtre, un art très codifié, un art de l’illusion Tout est fait au théâtre pour « faire comme si », à commencer par : – les décors et leur côté carton-pâte ; – le lieu, dans le théâtre classique, l’antichambre : le spectateur doit admettre que tous les personnages y circulent, déambulent comme réunis par le hasard (certains auteurs joueront de cela et feront s’étonner leurs personnages du hasard) ; – les costumes qui doivent frapper et pas seulement imiter ; – les unités de temps, de lieu, d’action, au théâtre classique ; – les monologues : il est artificiel qu’un personnage parle seul à voix haute ; 18 Acte I, scène 1 – la scène d’exposition. Celle-ci doit informer le spectateur tout en lui faisant oublier sa fonction. On observera ici les scènes d’exposition d’Hamlet et des Fourberies de Scapin : Shakespeare joue plutôt le jeu de la scène d’exposition car le lecteur est immédiatement plongé dans une ambiance crépusculaire ; dans Les Fourberies de Scapin, le spectateur est pris dans action haletante. Tous ces procédés doivent faire oublier au public qu’il est au théâtre, que le décor est en carton. Cependant, ces codes sont également attendus pour le public et source de plaisir. II. L’attente et le plaisir des codes théâtraux A) Le théâtre use de certains rituels : – le rideau (rouge en général), le lever du rideau, les trois coups qui marquent le début de la pièce, c’est-à-dire l’acceptation du jeu et de l’illusion. B) Le spectateur sait alors que les règles ne sont plus celles de la vie réelle : – il accepte que les personnages soient tous réunis au même endroit au même moment par la magie du hasard ; – il accepte que les personnages parlent à voix haute et expriment leurs pensées les plus intimes de cette manière ; – il accepte la temporalité accélérée des événements : crise et dénouement en vingt-quatre heures. Ionesco, et d’une manière générale le théâtre moderne, joue de ces attentes et de ces codes. Cela procure une autre forme de plaisir pour le spectateur. III. Exhiber les codes et l’artificialité Au lever du rideau, le spectateur est dans un certain état d’attente. Molière et Ionesco vont jouer de ces attentes et s’amuser à décevoir le spectateur, ce qui produit une autre forme de plaisir du jeu théâtral pour le public basé sur la complicité. A) La scène d’exposition trompeuse Dans la scène d’exposition des Fourberies de Scapin, les personnages semblent être dans une situation de crise qui nécessite une solution d’urgence. Il suscitent la curiosité du spectateur, mais cette curiosité reste insatisfaite. Le public est frustré et s’amuse en même temps de l’artificialité exhibée de cette scène dans laquelle Octave affirme des choses qu’il connaît déjà afin de renseigner un minimum les spectateurs. Dans Hamlet, la scène d’exposition n’est pas trompeuse mais elle ménage cependant là aussi un effet d’attente. Hamlet fils n’est pas encore apparu. 19 RÉPONSES AUX QUESTIONS B) La parodie de la scène d’exposition Ionesco est celui qui va le plus loin dans la dérision et l’exhibition des codes. Ainsi, les trois coups qui annoncent le lever du rideau sont remplacés par dix-sept coups. Et surtout la réalité de ces sonneries d’horloge est démentie par la première réplique de la pièce prononcée par Mme Smith : « Tiens il est neuf heures… ». La suite de la pièce ne sera que déception pour le spectateur : de la cantatrice chauve, il ne sera jamais question par la suite ou de façon anecdotique et bien après le début. En fait de crise, de dénouement et d’informations, c’est le désert dans cette pièce et cela dès qu’elle commence. Le rideau se lève sur un couple occupé aux activités domestiques les plus triviales et banales, les moins spectaculaires ; madame reprise des chaussettes, monsieur lit son journal, et leur dialogue est d’une platitude invraisemblable sous couvert d’un étonnement déplacé : « Tiens il est neuf heures ». Le « Tiens » manifeste une surprise très décalée. La scène d’exposition ne nous renseigne en rien sur l’intrigue puisqu’il n’y a pas d’intrigue, ni sur les personnages, inexistants. La réponse aux attentes du spectateur, la plongée dans un univers autre est une grande source de plaisir pour le spectateur, non moins grande que celle qui provient du jeu sur ces attentes et ces codes. On pourra, en lecture complémentaire proposer ce texte aux élèves : « Il fallait non pas cacher les ficelles, mais les rendre plus visibles encore, délibérément évidentes, aller à fond dans le grotesque, la caricature, au delà de la pâle ironie des spirituelles comédies de salon. Pas de comédies de salon, mais la farce, la charge parodique extrême. Humour, oui, mais avec les moyens du burlesque. Un comique dur, sans finesse, excessif. Pas de comédies dramatiques, non plus. Mais revenir à l’insoutenable. Pousser tout au paroxysme, là où sont les sources du tragique. Faire un théâtre de violence : violemment comique, violemment dramatique. Éviter la psychologie ou plutôt lui donner une dimension métaphysique. Le théâtre est dans l’exagération extrême des sentiments, exagération qui disloque la plate réalité quotidienne. Dislocation aussi, désarticulation du langage. Si d’autre part les comédiens me gênaient parce qu’ils me paraissaient trop peu naturels, c’est peut-être parce qu’eux aussi étaient ou voulaient être trop naturels : en renonçant à l’être, ils le redeviendront peut-être d’une autre manière. Il faut qu’ils n’aient pas peur de ne pas être naturels. » Ionesco, dans Notes et contre-notes. 20 Acte I, scène 1 Écriture d’invention Pour réécrire cette scène sur un registre tragique, il faut commencer par supprimer tous les éléments comiques : c’est-à-dire principalement les répétitions de Sylvestre qui reprend systématiquement les derniers mots d’Octave. Dans le même sens, on supprimera les « oui » de Sylvestre. Il faut supprimer les éléments empruntés à la farce. Ainsi, il va de soi que les coups de bâton que craint Sylvestre n’ont rien à faire dans une tragédie. Il faudrait aussi changer les noms qui ont un lien manifeste avec la comédie, principalement celui de Géronte qui rappelle l’âge avancé du personnage et qui évoque le vieux barbon. On conservera donc seulement la trame narrative qui elle peut prêter à un traitement tragique : un jeune homme doit être marié contre son gré et cela le désespère. On peut déjà imaginer qu’il en aime une autre. On pourra aussi conserver la première réplique d’Octave car elle emprunte des termes tragiques et qui dans le contexte de la comédie est tournée en dérision. On rétablira les vers qui ne devront plus être interrompus par Sylvestre. 21 RÉPONSES AUX QUESTIONS A C T E I I , S C È N E 2 ( p p. 6 7 à 7 4 ) ◆ L ECTURE ANALYTIQUE DE L’ EXTRAIT (pp. 71 à 74) a Vis-à-vis d’Hamlet, Polonius adopte l’attitude obséquieuse du courtisan : « mon très honorable seigneur », « Ne voulez-vous pas vous mettre à l’abri de l’air, monseigneur ? ». Polonius multiplie les apartés ; ainsi il commente l’attitude d’Hamlet pour lui-même et le spectateur. Il tient un double discours donc, à l’image de sa duplicité : celui qu’il adresse à Hamlet et celui qu’il adresse aux spectateurs. z Sa stratégie vis-à-vis d’Hamlet a été annoncée dans le dialogue avec le roi et la reine. Convaincu que la mélancolie d’Hamlet est due à l’amour qu’il porte à sa fille Ophélie, il veut en faire la démonstration à Claudius et Gertrude en épiant la conversation qu’Hamlet aura avec elle. e Hamlet entre en scène solitaire, un livre à la main, ce qui illustre la mélancolie du jeune homme et rappelle qu’il est étudiant. r Hamlet se montre particulièrement violent avec Polonius. Lucide sur son double jeu, il se moque de lui ou l’insulte directement, « Vous êtes un maquereau », en feignant de ne l’avoir pas reconnu. Polonius tombe dans le piège, « Cependant il ne m’a pas reconnu », alors que les propos d’Hamlet montrent clairement qu’ils sont destinés au père d’Ophélie : « Ne la laissez pas se promener au soleil… ». t Les apartés de Polonius (cf. les didascalies : « haut », « à part ») donnent un ton de comédie à cette scène. Elles montrent que Polonius est le dupe de Hamlet car il ne sait pas décrypter les allusions qui sont faites au jeu trouble qu’il joue dans la relation de sa fille avec le prince : « Que veut-il dire ? », « Toujours à parler de ma fille ! », « Cependant il ne m’a pas reconnu », « il m’a dit que j’étais un maquereau », « Il n’y est plus ». y Par ses propos, Polonius démontre les rapports ambigus de la folie et la raison : « Quoique ce soit de la folie, il y a pourtant là de la logique… », « Comme ses répliques sont parfois grosses de sens ! Heureuse réparties qu’a souvent la folie, et que la raison et le bon sens ne trouveraient pas avec autant d’à-propos ». Il reprend ainsi le thème médiéval de l’inversion des valeurs : la folie est parfois plus juste que la raison. 22 Acte II, scène 2 u La mélancolie d’Hamlet apparaît à plusieurs reprises dans une dérision qui prend une dimension funèbre : « Ne voulez-vous pas vous mettre à l’abri de l’air, monseigneur ? Où cela ? Dans mon tombeau ? » Et enfin cette réplique : « Vous ne sauriez, monsieur, rien prendre dont je fasse plus volontiers l’abandon, excepté ma vie. » ◆ L ECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D ’ ÉCRITURE (pp. 78 à 82) Examen des textes et documents a Le texte est à la première personne du singulier : « Je » (lignes 19, 26, 48) et s’adresse aux hommes, « vous ». On est clairement renseigné sur la signification de ce pronom « je » à la ligne 55 : « c’est moi l’unique, la Folie… ». z « Mais » (l. 1), « Enfin » (l. 4) « Si… Puis » (l. 10, 13), « Mais, et pourtant » (l. 15, 16), « Oui si…, Si, Si, Eh bien, Si, Donc, ou bien… ou bien… ensuite, Or, et, mais, Donc, puisque, même si, … » Le texte multiplie les connecteurs logiques qui annoncent le passage d’une idée à une autre. Les deux premières phrases développent l’idée générale qui préside à toute la démonstration et qui apparaît déjà paradoxale : « l’absence d’erreur est un très grand mal » et le bonheur ne dépend pas des réalités mais de l’opinion que l’on s’en fait. Plusieurs exemples illustrent cette vérité paradoxale et tous ces exemples sont construits de la même manière, par une construction hypothétique suivie d’une interrogative : « si, quel… ». e Le texte veut ainsi démontrer que l’âme humaine se laisse souvent tromper par l’apparence (l. 4, 5), que le préjugé, l’opinion s’acquièrent plus facilement que la vérité et que cette erreur pour autant ne nuit pas au bonheur de l’homme.Au contraire, souvent elle le satisfait davantage que la vérité. r La folie s’en prend à tous les hommes, dans tous les domaines de la vie : la religion (l. 6 à 12), le goût (l. 17 à 20), l’amour, l’art. Les hommes sont crédules et certains en profitent. t Dans le tableau de Bosch, le fou est représenté avec un bonnet à grelot et une marotte (un sceptre), attributs symboliques de la folie. y L’arbre représenté sur la peinture peut évoquer l’arbre de la genèse, c’està-dire l’arbre du péché et de la connaissance. Il se confond avec le mât du bateau. Il peut aussi évoquer le motif populaire du mât de cocagne. 23 RÉPONSES AUX QUESTIONS Travaux d’écriture Question préliminaire Ce tableau de Bosch est assez complexe.Voici la description qui en est faite dans le catalogue de l’exposition du Rijksmuseum d’Amsterdam en 1958 : « Quelques personnes se trouvent dans une barque amarrée à la berge. Une grande louche sert de gouvernail. Le mât de la barque, auquel sont liés un poulet rôti et une oriflamme ornée d’une demi-lune, est attaché à un buisson. Au sommet est fixé un arbre de mai. Un homme armé d’un couteau surgit du buisson et tente de couper la corde de la volaille. Un fou, sa marotte à la main, est assis sur un tronc d’arbre et boit dans une écuelle. Deux personnages nus nagent dans l’eau, l’un soulève une écuelle tandis que l’autre s’appuie à la barque. Dans celle-ci, une religieuse joue du luth. Un moine est assis en face d’elle ; sur leurs genoux repose une planche garnie, entre autres, de cerises. À l’avant, une femme lève un broc pour en frapper un homme étendu sur le fond.Au centre, on essaie de mordre dans une crêpe pendue à une corde. » Cette description peut être remise en question, ce qui montre toute la complexité de l’observation d’un tel tableau. Par exemple, est-ce bien une volaille qui est liée au mât ? Pourquoi n’est-il rien dit du poisson à droite du tableau ? L’interprétation est rendue d’autant plus difficile. De nombreux critiques voient dans cette peinture une intention moralisante. Avec cette scène qui mélange membres du clergé et éléments de débauche (tonneau, cruche), le peintre a t-il voulu peindre une satire de la vie dissolue de certains membres du clergé, ou de ceux qui dans la nef des fous se dirigent aveuglément vers l’enfer en riant et en chantant ? Commentaire Dans ce texte d’Érasme, la folie, qui a la parole, prouve que tous les hommes sont sous son empire et qu’ils trouvent leur bonheur à travers elle. Les arguments sont illustrés par des exemples savoureux et qui concernent tous les domaines. Cependant, le texte s’avère très ambigu : à partir du moment où c’est la folie qui parle, ne dit-elle pas n’importe quoi et ne faut-il pas comprendre l’inverse de ce qu’elle dit ? I. C’est moi l’unique, la Folie On comprend assez tardivement que ce qu’on lit est sujet à caution puisque c’est la folie qui parle. C’est clairement dit ligne 55. – il faut donc relire les premières phrases et comprendre que le pronom « je » renvoie à la folie ; 24 Acte II, scène 2 – je connais un homme de mon nom ; – le nom de son ami Thomas More renvoie aussi à la folie (en grec, moria signifie la folie et en latin, morio a le sens de fou, bouffon). II. L’argumentation – on reprendra ici les étapes du raisonnement énoncées dans les questions 2 et 3 p. 22 (thèse : l’absence d’erreur est un très grand mal et le bonheur ne dépend que de l’opinion qu’on en a), ainsi que les différents exemples qui illustrent cette thèse ; – commentaire des exemples. III. Une série d’affirmations paradoxales Voir la question 2 dans Examen des textes et documents, ci-dessus. – le bonheur est lié à l’opinion que l’on se fait des réalités ; – rien de plus facile à obtenir que l’opinion ; – l’illusion contribue davantage au bonheur. Ces trois affirmations sont illustrées par des exemples empruntés à tous les domaines : goût, art, amour, etc. Le texte s’achève sur l’idée de la folie universelle qui rend égaux tous les hommes. Dissertation Shakespeare et Érasme se livrent tous deux à un éloge paradoxal puisque la folie dans leurs textes est valorisée comme une voie d’accès à la vérité. Les rapports ambigus de la folie et la raison est un vieux thème traité de manière ludique chez nos deux auteurs. Érasme donne voix à la folie et du même coup nous fait douter de ce que nous lisons. Shakespeare, par la voix de Polonius, dit clairement que la folie d’Hamlet énonce des vérités. Traditionnellement, le discours en faisant appel à la raison semble davantage apte à convaincre que le texte théâtral. Cependant, ici le discours en question, à cause de son énonciation, est sujet à caution. Il a beaucoup à voir avec la fable et, d’autre part, le théâtre peut aisément ménager une place au discours argumentatif. Celui-ci est d’autant plus convaincant quand il est prononcé par un acteur et qu’il convoque l’ouïe du spectateur. En outre, le théâtre peut aussi par la mise en fiction se révéler extrêmement convaincant et séduisant. 25 RÉPONSES AUX QUESTIONS Proposition d’un plan dialectique. I. L’idéal classique : instruire en amusant A) La comédie classique est basée sur ce précepte hérité des auteurs latins : la comédie doit instruire en amusant ou encore châtier les mœurs en en riant. La scène 2 de l’acte II dans Hamlet peut s’apparenter à une scène de comédie. Elle peut en nous faisant rire du personnage ridicule de Polonius nous permettre de réfléchir sur la folie et la raison. B) La fable répond aussi à l’idéal classique, celles de la Fontaine par exemple. Cependant, le risque est de passer à côté de la morale et de s’en tenir au récit. Ainsi, cet étrange texte qui est celui d’Érasme peut aussi d’une certaine manière, répondre à l’idéal classique. Le texte séduit, amuse et enrobe une réflexion sur les rapports ambigus entre folie et raison, et démontre que les hommes sont crédules et victimes de leurs opinions. L’argumentation est largement détournée mais peut être tout aussi efficace. II. Un message qui se dilue: le risque d’une forme non argumentative Le problème qui se pose est d’une part de passer à côté du message et de s’en tenir au récit et d’autre part de mal interpréter le message si l’on comprend qu’il y en a un. A) Les séductions de la fiction, l’oubli de la morale Pris par les séductions du récit, le spectateur, ou le lecteur de fables peut ne pas être enclin à faire l’exercice de ses facultés critiques. C’est notamment un des dangers de l’identification selon Brecht (voir Garder ses distances, p. 43). B) Se tromper de sens La fiction a le défaut de nécessiter une interprétation et de rendre possibles les contresens, ce qui est moins le cas de discours plus clairement argumentatifs. Dans le texte d’Érasme, le porte-parole de la vérité est la folie… et n’est dès lors pas très crédible et peut même susciter de multiples confusions. Qui croire à la fin ? Écriture d’invention Il faut écrire un texte à la première personne sur le modèle du texte de départ, mais en inversant systématiquement les arguments et propos de l’énonciateur, c’est à dire la folie. On choisira quelques arguments et on pourra en inventer d’autres ; on pourra aussi se servir de quelques exemples d’Érasme ou en inventer soi-même. On fera attention à la cohérence de l’ensemble. 26 Acte II, scène 2 A C T E I I , S C È N E 2 ( s u i te, p p. 8 3 à 9 6 ) ◆ L ECTURE ANALYTIQUE DE L’ EXTRAIT (pp. 95-96) a Hamlet décrit le comédien comme un être monstrueux capable de soumettre sa forme (son apparence) à son idée, c’est-à-dire l’idée d’un personnage et capable d’adopter les expressions les plus passionnées et les plus spectaculaires (air égaré, voix brisée…) avec maîtrise. z Hécube, l’épouse de Priam et mère de dix-neuf enfants (et même de cinquante chez Euripide) est la mère par excellence, celle qui pleure sur le cadavre de son fils Hector chez Homère.Très vite, Hécube est associée à la fécondité et au malheur. C’est évidemment à la figure de mère que représente Gertrude qu’on peut la comparer dans la pièce de Shakespeare. e Les phrases exclamatives, les apostrophes, les invectives traduisent l’indignation d’Hamlet. Indignation à l’égard de cette faculté des comédiens à feindre des sentiments qu’ils n’éprouvent pas et de sa propre impassibilité, de son inertie : « Et moi, pourtant, niais pétri de boue, blême coquin, Jean de la lune, indifférent à ma propre cause, je ne trouve rien à dire… ». Hamlet est seul en scène mais il parle vigoureusement, il « décharge son cœur en paroles » souvent hyperboliques, par exemple : « N’est-ce pas monstrueux… » (l. 344-345). r Le début de la tirade est construit sur l’opposition entre lui (l’acteur) et moi (Hamlet). À « moi » correspondent les expressions « blême coquin, Jean de la lune, âne, marmiton, lâche, manant, coureuse », expressions traduisant la faiblesse, un aspect subalterne d’Hamlet. Au contraire, le comédien est vraiment libre de jouer et de maîtriser des sentiments tandis qu’Hamlet est « esclave » des siens. t La comparaison entre le comédien et Hamlet permet un glissement thématique du théâtre à la vengeance favorisé par une phrase hypothétique qui permet la transition entre la douleur feinte et jouée et sa douleur réelle : « Que serait-il donc s’il avait les motifs de douleur que j’ai et s’il devait y répondre ? » y La ponctuation est très marquée avec des phrases interrogatives qui prouvent le doute d’Hamlet, et avec des exclamatives qui montrent son désespoir et son indignation. 27 RÉPONSES AUX QUESTIONS u Hamlet désigne son père par une périphrase ironique et qui fait presque figure d’oxymore : « le cher assassiné ». i Au terme de cette scène, Hamlet décide de mettre en place une stratégie basée sur la représentation théâtrale afin de démasquer les coupables : « cette pièce est le piège où j’attraperai la conscience du roi » (l. 389, p. 96). ◆ L ECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D ’ ÉCRITURE (pp. 100 à 105) Examen des textes a Le dilemme impose au personnage un choix impossible entre deux possibilités contradictoires mais de toute façon funestes. Ce dilemme est très clairement marqué dans le texte par les oppositions et les mots de liaison « et, ou, mais, puisque… du moins » qui soulignent la coexistence de ces oppositions. Les principales oppositions sont « honneur/amour » et « l’un/l’autre ». Remarquons aussi que les nombreux oxymores traduisent bien l’impossibilité de résoudre des contradictions : « aimable tyrannie », « gloire ternie », « cruel espoir ». z Les types de phrase qui dominent dans ce passage sont d’une part les phrases assertives (à la différence d’Hamlet, Hernani ne doute pas), et d’autre part des exclamatives qui traduisent la violence des sentiments du héros romantique. e Le type de phrase marquant dans le texte de Musset est l’interrogative. Tout le début de cette tirade n’est qu’une série de questions qui montrent les doutes et le trouble de Lorenzo. r Les deux textes s’opposent notamment par les types de phrase qui traduisent un état d’esprit très différent. Il n’y a pas une seule interrogative dans la tirade d’Hernani, ce qui montre qu’il ne doute pas ; il est tout entier tourné vers l’action et la volonté de se venger qu’il ne remet jamais en question. Les impératifs traduisent sa volonté. Au contraire, la tirade de Lorenzo traduit ses doutes quant à la justification du meurtre et de l’action ; la modalité interrogative l’illustre clairement. Cependant, tous les deux font montre d’une très grande violence, d’une colère qui n’est cependant pas tout à fait de même nature. Hernani est entièrement tourné vers la pensée de son acte, 28 Acte II, scène 2 tandis que la colère de Lorenzo a une portée plus générale et porte sur l’ensemble des hommes. Travaux d’écriture Question préliminaire Les quatre héros ont, comme on a pu le voir, une attitude très différente face à l’action et à la vengeance. Rodrigue est pris dans un dilemme qu’il résout finalement en décidant de « courir à la vengeance ». Hamlet doute du bien fondé de la vengeance puisqu’il n’est pas sûr que le spectre qui lui est apparu est bien celui de son père ; il décide donc avant de se venger de démasquer les coupables. Hernani « va » sûr de lui à la vengeance, tandis que Lorenzo voit dans le meurtre le seul moyen de retrouver sa vertu, ce qui ne va pas de soi et justifie les explications emportées qu’il adresse à Philippe Strozzi. Ainsi chez les trois premiers héros, le meurtre a une motivation assez claire. On peut rapprocher Hernani et Rodrigue puisque le meurtre chez eux est lié à la femme aimée, tandis que pour Hamlet il s’agit de venger son père. C’est chez Lorenzo que la motivation du meurtre est la plus problématique. Commentaire Dans le troisième acte de Lorenzaccio, le héros éponyme apparaît dans toute sa complexité. Ce n’est pas seulement un débauché, il a emprunté un masque pour tuer Alexandre. D’un pessimisme profond, il essaie au nom de ce pessimisme de dissuader Philippe Strozzi, chef des Républicains de s’engager dans l’action. À force de porter un masque, Lorenzo a perdu sa véritable identité. Il est déterminé à accomplir un acte apparemment absurde et gratuit : tuer Alexandre. À la question de Philippe Strozzi, « si tu crois ce meurtre inutile à ta patrie, pourquoi le commets-tu ? », Lorenzo laisse exploser sa colère dans cette longue tirade de justification et de défi. I. Un plaidoyer et une justification Lorenzo reste d’abord mystérieux, il ne veut pas se révéler trop. Mais il va être obligé d’aller plus loin car sa révélation « je vais tuer Alexandre » rencontre le scepticisme de Philippe : – il a d’abord un ton haletant. On remarquera le ton de colère marqué par une ponctuation forte : la multiplication des points d’interrogation. Puis Lorenzo trouve un ton plus assuré et son discours s’achève sur un ton grandiloquent. 29 RÉPONSES AUX QUESTIONS – la multiplication des images (comparaisons et métaphores). – idée de la multiplication de modèles : « qu’ils m’appellent comme ils voudront, Brutus ou Érostrate. » – c’est un personnage orgueilleux et mégalomane : langage excessif, hyperbolique, absolu. Lorenzo se donne en spectacle à lui même et à Philippe. Cette longue tirade est l’expression d’un délire d’orgueil. De plus, les interrogations pressantes, « tu me demandes… ?, veux tu donc… ? », traduisent l’agitation de Lorenzo. – tuer ou se tuer. La question initiale qui lance toute cette tirade est autant une question qu’un cri : « Tu me demandes pourquoi je tue Alexandre ? ». Le présent assez surprenant (on attendrait un futur) situe cet acte hors du temps, dans une sorte d’absolu. Ce meurtre est le premier terme de l’alternative, le second étant le suicide : « Veux-tu donc que je m’empoisonne… ? ». Lorenzo attend donc de ce crime, l’affirmation de son être. Le meurtre est donc tout ce qui lui reste, le seul moyen pour lui d’exister. II. La perte des illusions Les illusions se conjuguent désormais au passé : « Je croyais que ». Lorenzo a fait l’expérience d’un univers corrompu dans lequel il a lui-même perdu son intégrité. Lorenzo a caressé l’idée de tuer Alexandre alors qu’il était encore nourri d’illusions et qu’il était encore épris d’un idéal généreux et noble. Accomplir ce meurtre, c’est donc pour Lorenzo une façon de retrouver les illusions perdues et l’ancien moi : « Veux tu donc que je rompe le seul fil… ? ». Mais Lorenzo mesure ce qui l’éloigne de son passé et combien il est menacé par la corruption. Différentes expressions montrent que Lorenzo cherche à retrouver son intégrité passé et perdue : l’enlisement dans la corruption apparaît notamment à travers l’expression « rocher taillé à pic ». L’espoir de salut est quant à lui symbolisé par le brin d’herbe qui apparaît bien fragile. III. La reconquête de soi En qualifiant le Duc de conducteur de bœufs, il traduit la vulgarité du personnage, mais il peut aussi s’affirmer et tenter de trouver une supériorité par le mépris des autres et l’affirmation de soi. Ce mépris des autres se traduit par une série d’invectives d’une violence extrême à l’égard des autres, preuve d’une misanthropie qui atteint son comble : « voilà assez longtemps que les oreilles me tintent, et que l’exécration des hommes empoisonne le pain que je mâche. », « des lâches », « le bavardage humain ». 30 Acte II, scène 2 De l’acte politique à l’acte métaphysique Le meurtre dépasse l’action politique puisque Lorenzo par cet acte souhaite non sauver la patrie mais sauver son moi : « il faut que le monde sache un peu qui je suis et qui il est. » L’assassinat d’Alexandre devient ainsi « son » meurtre, la condition de son existence, « si tu honores quelque chose en moi, toi qui me parles, c’est mon meurtre. » et peu importe la réaction des autres : « qu’ils me comprennent ou non, qu’ils agissent ou n’agissent pas. » La mégalomanie atteint son paroxysme : « l’humanité gardera sur sa joue le soufflet de mon épée marquée en traits de sang. » Ce n’est plus à Alexandre que Lorenzo se mesure mais à l’humanité toute entière et il défie les hommes dans un dernier acte de bravade : « dans deux jours les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté. » Un texte qui illustre le tragique du personnage partagé entre le désir d’action politique et la sensation de l’inutilité de son acte. Dissertation Pour traiter ce sujet, on se reportera au chapitre Spécificités de la création théâtrale, p. 245 dans le livre de l’élève. La critique Anne Ubersfeld parle du texte de théâtre comme d’un texte troué, c’est-à-dire incomplet s’il n’est pas mis en scène. Le projet de Musset d’écrire une pièce faite pour être lue et non pour être jouée est dès lors paradoxal. Il faut donc se demander d’une part ce qu’apporte la représentation au texte et d’autre part ce que permet la lecture par rapport à la mise en scène. I. La pièce à lire Le texte d’une pièce de théâtre n’est pas fait pour être lu mais pour être porté sur scène. Cependant, la lecture permet de s’imprégner du texte, de mieux le comprendre, d’imaginer des personnages. En outre, le lecteur a la possibilité de lire les indications scéniques qui peuvent donner de précieux renseignements et qui ne sont pas forcément aussi perceptibles sur scène. Parfois, les didascalies disent même des choses impossibles à mettre en scène, c’est le cas de la scène d’exposition de la Cantatrice chauve. Enfin, la lecture propose une autre temporalité que celle de la représentation, c’est ce dont joue Musset dans Lorenzaccio. A) La liste des personnages, les lieux, certaines mimiques indiqués par les didascalies apparaissent parfois plus clairement à la lecture qu’à la représentation. Ainsi, quand on ouvre un texte théâtral, on sait immédiatement qui est qui, 31 RÉPONSES AUX QUESTIONS puisque les personnages et leurs fonctions sont donnés d’emblée. De même, l’on sait dès la première page que l’action des Fourberies de Scapin se déroule à Naples.Au théâtre, il faut attendre une réplique d’un personnage pour le comprendre si le décor n’est pas très explicite. B) De même, les expressions des personnages sont clairement indiquées par les didascalies, tandis qu’au théâtre il faut compter sur le jeu de l’acteur et tenir compte des conditions de la représentation. Une salle de théâtre peut être grande, des spectateurs peuvent être loin des acteurs et ne pas bien voir les expressions de leur visage. Les didascalies peuvent être impossibles à représenter et exiger la lecture, c’est le cas de l’adjectif « anglais » de la didascalie initiale de la Cantatrice chauve ; comment en effet « jouer » l’adjectif « anglais » (la pendule anglaise sonne dix-sept coups anglais) ? C) La lecture enfin permet une temporalité tout à fait différente de celle de la représentation. Cette dernière est limitée par le temps (deux ou trois heures en moyenne, même si certains metteurs en scène n’hésitent pas à dilater l’espace de la représentation et à proposer des spectacles de 10 ou 12 heures comme au festival d’Avignon). Au contraire, le lecteur dispose de tout son temps. Une pièce destinée à être lue n’aura donc pas à se soucier des conditions matérielles de la représentation. C’est ce qui permet à Musset de développer considérablement Lorenzaccio, de pouvoir se passer des contraintes liées aux unités d’action, de lieu et de temps, et de multiplier des monologues de son personnage, « non productifs » du point de vue de l’action. La lecture permet davantage de prendre son temps que le spectacle théâtral où il faut toujours qu’il se passe quelque chose. À moins de faire de la vacuité le sujet de la pièce comme le fait Ionesco. II. La pièce à jouer Bien que Musset eût prévu d’écrire une pièce qui devait être lue et non jouée, Lorenzaccio a donné lieu à de nombreuses mises en scène. C’est que le spectacle théâtral est total : il sollicite la vue et l’ouïe des spectateurs et répond de plus à un certain rituel partagé. A) Le partage Alors que la lecture est solitaire, le théâtre permet la communion du public avec les comédiens. Le lieu même de la représentation est souvent assez magique. B) Le lever du rideau marque l’entrée dans un monde autre avec ses lois, ses codes et sollicite les sens de l’ouïe et de la vue. 32 Acte II, scène 2 C) L’incarnation Alors que la lecture laisse les spectateurs imaginer les personnages et le décor, la mise en scène incarne les personnages de papier qui deviennent êtres de chair. Lorenzo ou Hamlet ont ainsi pour beaucoup le visage de Gérard Philippe ou de Francis Huster. Surtout, les paroles prennent une voix, et des monologues tels que ceux de notre corpus gagnent en profondeur et en puissance tragique d’être prononcés par un comédien devenu Hamlet, Rodrigue, Hernani, ou Lorenzo. La représentation limite dès lors l’imagination du lecteur et elle répond à un parti-pris de mise en scène et de jeu. C’est pourquoi il ne faut sans doute pas séparer lecture et spectacle. Un texte de théâtre est destiné à être mis en scène, mais sa lecture apporte aussi beaucoup. III. Du texte à la mise en scène A) Les multiples intermédiaires Entre le texte et le lecteur, il n’y a pas de médiation.Au contraire, dès qu’une pièce de théâtre est mise en scène, elle suppose la médiation, le regard du metteur en scène, du dramaturge éventuellement, des comédiens, des scénographes, etc. Mais n’est-ce pas justement ce regard porté sur un texte qui est passionnant et très enrichissant ? B) Les multiples regards Pour une pièce de théâtre, il existe une multitude de mises en scène possibles, et chacune d’entre elles peut éclairer un aspect de l’œuvre demeuré obscur pour le lecteur. On se reportera aux témoignages d’hommes de théâtre à propos d’Hamlet : chaque mise en scène est interprétation. Il peut arriver par là même que le spectateur soit déçu dans ses attentes, qu’il ait le sentiment que le texte soit trahi par le metteur en scène. Mais quoi qu’il en soit une mise en scène n’est qu’une lecture possible et ne se substitue pas à la lecture de tout un chacun, lecture personnelle, silencieuse, qui obéit à un rythme autre que celui de la représentation. Lecture et représentation ne s’opposent pas mais se complètent. La lecture d’un texte n’est pas toujours aisée car elle n’est pas linéaire, elle n’est pas narrative, mais elle permet de prendre le temps de s’imprégner des mots, de la langue et parfois de comprendre mieux l’action. Sur scène, tout va beaucoup plus vite, mais quel plaisir d’entendre déclamer ces mots si célèbres : « être ou ne pas être, telle est la question », de voir Hamlet en chair et en os, de voir apparaître un cheval sur scène ou de voir le palais des papes d’Avignon devenu le Palazzo Vecchio de Florence en entendant les cigales. 33 RÉPONSES AUX QUESTIONS • Écriture d’invention Hernani et Lorenzo sont tous deux tendus vers l’idée du crime et de la vengeance.Toutefois les raisons de leur acte sont très différentes (voir le questionnaire p. 27). Comme on l’a vu, pour Lorenzo les motivations sont très complexes.Tous deux sont cependant dans l’excès, la grandiloquence, et l’expression d’un moi hypertrophié. C’est cela qu’il faudra mettre en avant, en prenant soin d’opposer le fanatisme d’Hernani à l’inquiétude de Lorenzo et la volonté de se convaincre lui-même. Il faudra reprendre quelques-uns de leurs arguments et essayer d’imiter leur manière de parler en réutilisant des termes de leurs tirades. 34 Acte III, scène 1 A C T E I I I , S C È N E 1 ( p p. 1 0 6 à 1 1 2 ) ◆ L ECTURE ANALYTIQUE DE L’ EXTRAIT (pp. 108-109) a De nombreux monologues jalonnent le texte de Shakespeare. Parmi ces tirades solitaires, le « to be or not to be » est extraordinairement célèbre et attendu par les spectateurs contemporains comme un moment clé de la pièce.Au début de la scène et de l’acte, Hamlet n’est pas présent sur scène ; il est annoncé par Polonius qui affirme l’entendre venir et qui se retire. Le roi lui aussi sort. Cette sortie peu vraisemblable apparaît surtout comme un artifice dramaturgique pour laisser le champ libre à Hamlet qui seul peut donner libre cours à sa méditation. z Le monologue est une longue tirade qui signe l’appartenance de la pièce à la tragédie, même si l’on trouve aussi des monologues dans des comédies (le Mariage de Figaro). Le monologue ralentit le rythme de la pièce, interrompt l’action, surtout quand il s’agit d’un monologue méditatif et non optatif comme c’est le cas ici. Se pose donc le problème de son insertion dans le tissu narratif. Comment débuter un monologue (voir question 1) mais aussi comment y mettre fin ? Souvent l’arrivée d’un personnage interrompt le soliloque : c’est ce qui se passe ici avec l’arrivée d’Ophélie annoncée par Hamlet, « Voici la belle Ophélie… », qui permet le retour au dialogue. Les arrivées annoncées d’Ophélie et d’Hamlet permettent de ne pas interrompre brutalement le dialogue du roi et de Polonius et le monologue d’Hamlet. e La question ô combien célèbre « être ou ne pas être » n’appelle pas de réponse. Il ne s’agit donc pas des deux termes d’une véritable alternative. Hamlet médite sur la vie, la mort, le rêve, il s’agit donc d’un monologue lyrique ou méditatif. r Ce monologue prend place dans la scène 1 de l’acte III à un moment clé dans le cheminement interne du personnage. Comme il ne s’agit pas d’un monologue optatif ou délibératif, il n’a pas d’incidence sur le déroulement de l’action dramatique. t Les différentes conjonctions de coordination : être ou ne pas être (l. 57), et les flèches (l. 58), ou bien, et d’y faire (l. 59) et dire que (l. 61), car quels rêves (l. 65), et 35 RÉPONSES AUX QUESTIONS les dédains du monde (l. 69), et les rebuffades (l. 72), et suer (l. 74), et ne nous faisait (l. 77), et perdent (l. 83). Même si la question ne porte que sur les conjonctions de coordination, on peut s’intéresser aux conjonctions de subordination qui prouvent l’aspect logique du raisonnement d’Hamlet. La méditation emprunte un chemin logique avec une question posée puis des tentatives pour y répondre. Parmi les conjonctions, on peut noter la fréquence de celles qui sont particulièrement signifiantes, c’est-à-dire « ou » et « car ». « Ou » marque une alternative et « car » a une valeur causale. y Deux alternatives sont posées par la conjonction « ou ». La première est « être ou ne pas être », entre la vie et la mort ; la seconde est « y a t-il plus de noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s’armer contre une mer de douleurs et d’y faire front pour mettre fin ? » C’est-à-dire, doit-on supporter la souffrance ou y mettre fin par le suicide ? Lutter ou s’abandonner ? u Un texte argumentatif est constitué de plusieurs arguments, eux-mêmes liés entre eux par différents termes de liaison, les connecteurs, qui peuvent exprimer différents rapports logiques : cause, conséquence, addition, opposition, concession. Ici le débat est lancé par une question, « être ou ne pas être », puis deux réponses possibles sont amenées sous forme de question. Une hypothèse est ensuite posée, « mourir… dormir, rien de plus… peut-être rêver ». Elle est suivie d’une concession, « Oui, voilà l’obstacle » et d’une cause : « Car quel rêves… ». Les arguments suivants sont posés sous forme de questions hypothétiques : « Qui voudrait…, si… ». Le discours s’achève sur une conséquence introduite par « ainsi » et répétée deux fois : « ainsi la conscience fait de nous des lâches », « ainsi les couleurs… » « ainsi les entreprises… », conséquence qui est la formulation de la thèse. i De nombreux points d’interrogation lancent le débat par des questions qui traduisent aussi le doute, et de nombreux points de suspension marquent l’hésitation, l’impossibilité à répondre définitivement et clairement aux questions posées. Les deux points enfin ont une valeur causale et vont de pair avec l’aspect logique de l’argumentation. o Avec ce monologue, on suit le cheminement de la pensée d’Hamlet qui ne suit pas un parcours inscrit d’avance. La conclusion à laquelle il arrive, « la conscience fait de nous des lâches » est le fruit de ce cheminement qui avance par 36 Acte III, scène 1 des questions et des hypothèses. Le texte ne défend pas une thèse puisque, au début du monologue, Hamlet ne sait pas à quelle conclusion son raisonnement va le conduire. q Hamlet renonce au suicide parce qu’il ignore ce qui l’attend après la mort et il craint « cette région inexplorée… par peur de nous lancer dans ceux (les maux) que nous ne connaissons pas ». s Le sommeil est fait de rêves qui ne débarrassent pas « du tumulte de la vie ». ◆ L ECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D ’ ÉCRITURE (pp. 116 à 120) Examen des textes a Ce texte des Pensées est construit autour de la déclinaison de quelques termes évoquant la misère de l’homme sans Dieu. Le terme « misère » est employé ainsi que l’adjectif « misérable » qui revient deux fois : « misère », « misérable état », « misérables égarés ». Le texte développe aussi le champ lexical de la vue, « en voyant l’aveuglement, en regardant, je vois, ayant regardé… et ayant vu », celui de la lumière, « aveuglement, sans lumière », celui de l’égarement enfin : « comme égaré, misérables égarés ». z Tous ces termes prennent une résonance tragique. L’homme apparaît comme prisonnier de sa condition « sans connaître et sans moyen d’en sortir », et l’aveuglement est une image du tragique de l’existence. L’homme apparaît comme un aveugle dans un univers qu’il ne comprend pas et qui ne lui parle pas, un « univers muet ». L’homme est aveugle et sourd quand il ne sait pas chercher Dieu. La condition humaine est donc vue de manière très pessimiste. e Le texte de Descartes a une visée démonstrative et possède un caractère méthodique et rigoureux. Il est basé sur la déduction, d’où la présence de nombreux connecteurs logiques porteurs de plusieurs significations. Il est composé de trois moments qui marquent les différentes étapes du raisonnement : « Ainsi » (l. 8) marque la conséquence, « mais aussitôt après » (l. 19) marque la restriction et l’objection, « puis » (l. 26) apporte une addition. À l’intérieur de ces mouvements, on remarquera là aussi les connecteurs dont le fameux « donc » du « cogito », l. 22. 37 RÉPONSES AUX QUESTIONS r Le « cogito » découle d’autres déductions : « la recherche de la vérité doit inciter à repousser les opinions douteuses » et « nos sens peuvent nous tromper », donc, on peut rêver. Avec cette intuition « je pense donc je suis », Descartes aboutit à la démonstration que l’esprit est indépendant du corps. t Dans La vie est un songe, la vie entière est un songe accompagné d’ignorance : « la vie n’est rien d’autre que songe » mais « nul ne s’en rend compte ». On retrouve cette thématique de la vie et du sommeil dans Hamlet. Mais l’homme conserve la possibilité de se soumettre passivement au sommeil ou de « faire front » contre le malheur, même si aucun terme de l’alternative ne peut être satisfaisant. Et il est capable de lucidité, lucidité qui chez Pascal fait la grandeur de l’homme mais qui chez Hamlet signe le tragique de sa condition. Travaux d’écriture Question préliminaire Les quatre textes présentent des réflexions sur la condition humaine, la vie et la mort, le sommeil et le songe, l’illusion et la lucidité. Deux textes sont des extraits de pièces de théâtre (Hamlet et La vie est un songe). Les deux autres sont des textes philosophiques. Chez Pascal et chez Calderón, l’homme est prisonnier de sa condition d’homme. Cependant, chez Pascal, l’homme conserve la possibilité de chercher Dieu, et chez Calderón, l’aveuglement de l’homme l’empêche de prendre conscience de son aliénation, il ignore donc son malheur. Le texte de Descartes en affirmant le « cogito » supprime du même coup le tragique de la condition humaine. Dans Hamlet enfin, les deux termes de l’alternative, supporter ses souffrances ou y mettre fin par le suicide, sont désespérants, d’autant plus qu’Hamlet doute que la mort mette fin aux souffrances puisqu’il ignore ce qu’il y a après. Commentaire Les Pensées est un ensemble fragmenté qui devait s’intégrer dans un vaste projet « d’Apologie de la religion chrétienne ». Un grand nombre de ses pensées furent classées par Pascal lui-même en vingt-sept liasses. Pascal se proposait de commencer par essayer de rendre la foi chrétienne attirante pour le croyant puis d’apporter des preuves. En évoquant la condition humaine avec un profond pessimisme et en en présentant le tragique, Pascal visait à montrer que l’homme avait tout intérêt à parier l’existence de Dieu. Dans ce passage, l’homme sans Dieu est perdu dans un univers muet et inintelligible. 38 Acte III, scène 1 I. « Je » et les incroyants A) Une confession Dans ce passage, Pascal prend la parole, (ce qui n’est pas toujours le cas) pour faire part de son sentiment d’effroi devant la misère de la condition humaine : « en voyant… j’entre comme en effroi », « j’admire, …, je vois ». B) Moi et les autres Le « je » pascalien ne dialogue pas ici avec les incroyants qu’il ne comprend pas et qui semblent s’égarer encore davantage : « je vois d’autres personnes », puis le démonstratif « ces misérables égarés » opposé à « pour moi ». C) Les hommes s’égarent et cherchent ce que Pascal appelle le divertissement. Ils se trompent quand lui est dans la vérité : « ces misérables égarés, ayant regardé autour d’eux et ayant vu quelques objets plaisants s’y sont donnés et s’y sont attachés. Pour moi je n’ai pu y prendre d’attache… ». Pascal multiplie les effets stylistiques qui donnent un relief saisissant au tableau de la condition humaine. II. L’homme aveugle dans un univers muet Le texte multiplie les prépositions privatives : « sans lumière…, sans connaître…, sans moyen », préposition qui s’oppose à l’adjectif « tout ». Un réseau d’images illustre le tragique de la condition humaine : – l’homme est aveugle, « l’aveuglement de l’homme », – l’homme est égaré et seul : cf. la valeur de l’article défini, l’homme et non les hommes, « l’homme abandonné à lui-même », « comme égaré », – l’homme est prisonnier : « sans moyen d’en sortir », – l’homme est ignorant (cf. l. 14-15), or on sait que ce qui fait la grandeur de l’homme selon Pascal, c’est la conscience de sa misère, – l’univers est obscur : « sans lumière », – l’univers est muet : « tout l’univers muet », – l’univers est désert : « une île déserte ». III. Convaincre et frapper Pour convaincre le lecteur, Pascal utilise toutes les ressources de l’écriture. La construction des phrases et les images frappent tout particulièrement. A) L’ampleur mélodique des phrases Dans le cas de la première phrase, Pascal commence par en exposer la cause, « en voyant », avant la conséquence et met ainsi en valeur cette première période. D’autant plus que plusieurs propositions se succèdent et l’addition 39 RÉPONSES AUX QUESTIONS semble pouvoir se poursuivre indéfiniment : « en voyant… en regardant… et comme égaré… ce qu’il… ce qu’il ». B) Les répétitions L’effet tragique est renforcé par le martèlement de plusieurs termes : le mot « homme » répété à l’intérieur d’une même phrase (l. 1). Le mot « misère » est décliné sous plusieurs formes par polyptote : nom commun, « la misère », adjectif et singulier, « misérable état », adjectif au pluriel et presque lexicalisé, « ces misérables égarés ». Polyptotes aussi avec « effroi » et « effroyable » (l. 5 et 6) ou avec « attachés » et « attache » (l. 12). Le texte est un d’un pessimisme profond : l’homme sans Dieu est un aveugle sourd prisonnier. Pascal n’a pas d’autre issue que de chercher Dieu et implicitement d’exhorter ses lecteurs à faire comme lui (dans toute la fin de cet extrait). Dissertation Le sujet reprend plus ou moins la problématique du sujet du questionnaire portant sur la scène d’exposition (pp. 14-15). Il s’agit en effet de parler des codes qui font l’essence même du théâtre. Le théâtre est un art basé sur certains codes qui sont acceptés par le spectateur.Aller au théâtre, c’est admettre des conventions bien particulières dont les monologues font partie. I. Le théâtre : admettre des conventions (voir aussi le questionnaire 1) Le pacte conclu avec le spectateur Le spectateur s’attend à ces prises de paroles. Les monologues quand ils sont nombreux signent l’appartenance de la pièce au genre de la tragédie. Ils ont plusieurs fonctions possibles : lyrique, méditative, optative ou délibérative, informative éventuellement. II. Le monologue : une parole essentielle et partagée A) Le théâtre permet de formuler, d’exprimer ce qui n’est pas dit dans la vie, d’aller à l’essentiel. Les monologues permettent de poser des questions fondamentales (la vie, la mort…). B) Le monologue n’est pas véritablement une parole solitaire, il s’adresse aux spectateurs. Il est très différent du monologue intérieur (informe) ou du discours à voix haute qu’on peut se tenir à soi-même : au théâtre, il est déclamé et fait l’objet d’un grand moment théâtral. Il est communion. 40 Acte III, scène 1 Écriture d’invention Rappelons que le suicide a toujours été condamné par l’Église qui considère que la vie est un don de Dieu dont l’homme n’a pas à disposer. Cependant, au XVIIIe siècle, le suicide est considéré par la plupart des philosophes comme un acte de liberté. Il s’agit ici d’écrire une lettre à valeur argumentative. Le texte doit donc comporter des marques d’énonciation caractéristiques du style épistolaire. La lettre devra en outre tirer parti de l’amitié étroite qui unit les deux hommes. Hamlet dit à Horatio qu’il l’aime, il est le seul en qui il a confiance. Horatio est l’ami mais cependant le subalterne d’Hamlet, il faudra en tenir compte. On utilisera à bon escient les arguments de chaque texte du corpus qui plaident en faveur de la vie, soit parce que le suicide n’est pas une solution rassurante puisqu’on ignore ce qu’il y a après la mort (un argument d’Hamlet luimême), soit parce que la raison permet de vivre mieux (Descartes), soit parce que la foi en Dieu permet de vivre dans l’espérance (dans une certaine mesure, Pascal). Il manque les arguments de type épicurien qui enjoignent chacun à vivre au mieux chaque instant. 41 RÉPONSES AUX QUESTIONS A C T E I I I , S C È N E 2 ( p p. 1 2 1 à 1 3 8 ) ◆ L ECTURE ANALYTIQUE DE L’ EXTRAIT (pp. 121 à 124) a Hamlet dirige les acteurs, il leur donne des ordres, il utilise donc l’impératif : « Dites, Ne sciez pas… Ne vous retenez pas… mettez… ». z Hamlet fustige l’excès et l’outrance qu’il a remarqués chez certains comédiens, « Si vous la braillez comme font beaucoup de nos acteurs », le bruit excessif, « ils se rengorgeaient et hurlaient de telle façon » et la prétention chez les clowns qui « rient d’eux-mêmes pour faire rire un certain nombre de spectateurs imbéciles. » e Un bon comédien sera donc celui qui évite les excès, qui fait preuve de naturel et de sobriété. Cette idée est résumée par ce qui pourrait être la devise théâtrale d’Hamlet : « Mettez l’action d’accord avec la parole, la parole d’accord avec l’action, en vous appliquant à ne jamais violer la nature ; car toute exagération s’écarte du but du théâtre… ». r Hamlet a confié à Horatio les révélations que lui a faites le spectre sur l’assassinat du vieil Hamlet par Claudius. Pour autant, il ignore encore si le spectre n’est pas une apparition infernale destinée à le tromper, ou s’il n’est pas victime de son imagination : « Si le secret de son crime, à certains mots, n’est pas débusqué, ce que nous avons vu n’est qu’un spectre infernal, et mes imaginations sont aussi noires que l’enclume de Vulcain. » t Hamlet s’apprête à scruter le visage de Claudius, à l’affût de ce qui pourrait prouver sa culpabilité et il attend la même chose d’Horatio : « Suis-le avec une attention profonde. Quant à moi, je riverai mes yeux à son visage. Et après, nous joindrons nos deux jugements pour apprécier son attitude. » ◆ L ECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D ’ ÉCRITURE (pp. 141 à 147) Examen des textes a Pridamant découvre dans cette scène que son fils Clindor n’est pas mort, mais qu’il jouait un rôle dans une pièce de théâtre, qu’il est comédien. Il y a 42 Acte III, scène 2 donc ici un coup de théâtre, et un changement d’attitude de Pridamant qui après les plaintes remercie Alcandre. z On relève trois arguments en faveur du théâtre dans la dernière réplique d’Alcandre. En premier lieu, le théâtre est à la mode et est apprécié des grands. En second lieu, les plus grands écrivains pratiquent ce genre. Enfin les comédiens gagnent de l’argent avec ce métier. e Dans le texte de Pirandello, le père reproche au théâtre d’être un art de l’illusion et du mensonge et par voie de conséquence aux acteurs de donner « l’apparence du vrai à ce qui ne l’est point » et de manière parfaitement gratuite, « pour rien », de faire vivre des personnages imaginaires. Dans ce texte, deux personnages dialoguent sur les personnages de comédiens alors qu’ils sont eux-mêmes comédiens. La mise en abyme est assez troublante, d’autant plus que le père qui commence à reprocher aux acteurs de ne jouer que des personnages imaginaires, finit par distinguer subtilement le vrai du réel. Les personnages de théâtre ne seraient pas vrais mais plus réels. Finalement, le métier de comédien n’est plus considéré comme un métier mais comme un état. Le comédien naît personnage de théâtre et la distance s’abolit entre le jeu et l’être : « On peut naître à la vie sous mille aspects et de mille façons. On peut naître arbre, caillou, cruche, papillon… ou femme. On peut naître aussi personnage de théâtre. » r Dans ce tableau qui date de 1618, la composition est très rigoureuse. Au premier plan à gauche, une jeune fille semble écouter une vieille femme pour préparer un repas dont les éléments sont disposés sur la table : quatre poissons, deux œufs, deux bulbes d’ail, un piment et une cruche d’eau.Tout à fait à droite, dans un cadre carré qui semble être un tableau, à moins qu’il s’agisse d’un miroir ou d’une fenêtre, une scène représente un épisode des Évangiles : le Christ chez Marthe et Marie. Jésus est assis dans un fauteuil et parle à Marie qui se tient à ses pieds, et à Marthe se tient debout. C’est donc cette scène, cette peinture enchâssée qui donne son titre au tableau de Vélasquez. Le Christ n’apparaît pas dans la scène principale.Toutefois, les quelques objets qui composent la nature morte sur la table au premier plan ont une valeur tout à fait symbolique : le poisson ainsi est un symbole chrétien. En grec, le poisson s’appelle « ichtus » et ces lettres sont les initiales de Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur. En outre, le poisson apparaît dans plusieurs épisodes des Évangiles. Jésus multiplie les poissons en même temps que les pains. 43 RÉPONSES AUX QUESTIONS Travaux d’écriture Question préliminaire Les trois documents sont basés sur des rapports d’inclusion entre texte ou tableau cadre, et texte ou peinture enchâssé. Dans l’Illusion comique, la grotte devient une salle de théâtre et Alcandre est une sorte de metteur en scène. De plus, le public de la pièce intitulée L’Illusion comique voit des comédiens jouer des personnages de théâtre (Alcandre et Pridamant) devenus à leur tour spectateurs d’un spectacle qui a pris place dans la grotte. Dans la pièce de Pirandello, dont le titre évoque assez bien le procédé de mise en abyme, le personnage du directeur joue un directeur de troupe de comédiens présents sur scène ; le père joue le rôle d’un personnage de théâtre. Les comédiens jouant la pièce intitulée Six personnages en quête d’auteur jouent donc des rôles de comédiens ou de personnages. Le spectateur de la pièce de Pirandello voit donc des comédiens jouer des rôles de comédiens. En revanche, à la différence de ce qui se passe dans Hamlet, les comédiens ne jouent pas des personnages assistant à une représentation, ils ne voient pas des comédiens devenus spectateurs. Enfin, le tableau de Vélasquez n’établit pas de lien direct entre le tableau cadre et le tableau enchâssé, à la différence de certains tableaux du type « atelier de Courbet » où, comme chez Shakespeare, les personnages du tableau cadre regardent les tableaux représentés. Le lien est en fait métaphorique puisque le poisson comme symbole christique peut évoquer Jésus représenté dans le tableau enchâssé. On peut cependant bien parler de mise en abyme, puisqu’il y a bien rapport d’inclusion entre deux tableaux : le tableau cadre (deux femmes préparant un repas et pouvant être assimilées à Marthe et Marie) et le tableau enchâssé (deux femmes recevant Jésus). Commentaire L’illusion comique est par excellence la comédie des apparences et des faux semblants. Pridamant recherche son fils Clindor qui s’est enfui. Dans la grotte du magicien Alcandre il contemple des épisodes de la vie de son fils, jusqu’à son assassinat. Alcandre lui révèle alors qu’il assiste à la représentation d’une pièce : Clindor est devenu comédien. Cette scène basée sur un coup de théâtre permet à Corneille de se livrer à une apologie du théâtre grâce au procédé du théâtre dans le théâtre. 44 Acte III, scène 2 I. L’illusion théâtrale A) La révélation : le coup de théâtre Pridamant comprend à la fin qu’il assiste à une pièce de théâtre et que son fils n’est pas mort (v. 1 à 19). Il passe du désespoir à la joie et pardonne à son fils. B) La mise en abîme Les personnages jouent sur scène des personnages qui jouent. Le personnage de Pridamant joue à être spectateur. Le magicien Alcandre représente le metteur en scène et le dramaturge. C’est lui qui explique comment comprendre la pièce jouée sur scène. II. L’apologie du théâtre A) Un discours argumenté Alcandre prend la défense du théâtre (on rappellera ici que les comédiens étaient très mal vus au XVIIe siècle, notamment par l’Église ; on les considérait comme des débauchés) dans un discours basé sur trois arguments (voir sa dernière réplique) : l’éclat, l’utilité, les appas. B) Un discours satirique Le texte fait aussi la satire des « grands » qui délaissent les occupations sérieuses pour assister à des spectacles, et des dramaturges et comédiens qui vivent à la merci des grands. Le spectateur se perd dans l’illusion théâtrale, ses repères se brouillent. Cet égarement est source de séduction. Dissertation Le problème de l’identification remonte à Aristote. Les personnages de théâtre sont des représentations du modèle idéalisées, dégradées ou imitées. Pour Aristote, le mode de la tragédie est l’idéalisation. Mais l’idéalisation n’est pas forcément positive non plus qu’édifiante. Selon Aristote, la tragédie doit montrer des actions propres à susciter la crainte ou la pitié. Ce spectacle produit un plaisir qui apaise le cœur. La tragédie « en représentant la pitié et la frayeur réalise l’épuration de ce genre d’émotion. » (Poétique). C’est la fameuse « catharsis ». la frayeur s’adresse au malheur d’un semblable. C’est cette émotion qui nous intéresse dans le cas d’Hamlet. C’est sur celle-là qu’Hamlet compte pour démasquer son oncle. Mais il existe une différence importante entre la théorie aristotélicienne et le projet d’Hamlet : le spectateur prend 45 RÉPONSES AUX QUESTIONS plaisir au spectacle d’événements qui dans la réalité lui auraient déplu justement parce qu’ils sont médiatisés par la représentation. Mais Hamlet en faisant rejouer le crime de son oncle veut tendre un miroir à Claudius et son projet suppose qu’il ne tient pas compte de la médiation que suppose la représentation. Le processus d’identification qui suppose que le spectateur adhère pleinement aux souffrances du personnage est poussé ici à un point extrême. Mais Claudius doit s’identifier ici au « méchant », à son double, alors qu’un spectateur moyen s’identifiera à celui qui lui ressemble le plus, c’est à dire ni trop méchant ni trop vertueux. I. Croire aux malheurs pour de faux, se réjouir du bonheur des êtres de papier A) La fiction joue sur l’émotion Un des grands plaisirs de la fiction proviendrait des émotions non dangereuses qu’elle peut provoquer chez le lecteur ou le spectateur. L’espace d’une représentation ou d’une lecture, le lecteur ou spectateur devient autre, il est projeté dans un monde qui ne ressemble pas au sien, qui est plus exaltant et qui peut réveiller des émotions endormies. B) Oublier et s’évader Il peut aussi avoir accès à un monde meilleur, idéalisé et ainsi oublier son propre univers ou être transporté dans un monde plus sombre et se réjouir finalement du sien. Cependant si le monde fictionnel est trop loin de celui que connaît le lecteur ou le spectateur, si les personnages sont trop différents, l’identification est plus difficile. II. Des personnages qui nous ressemblent L’identification peut-être plus facile avec des personnages de romans ou de films parce que moins « grossis », « boursouflés » ou excessifs. Le théâtre suppose, comme le dit Ionesco, des ficelles, des trucs qui peuvent rendre difficile l’identification. Dans les comédies ou dans les farces, les personnages ont des fonctions (le valet, le vieux barbon, etc.) et jouent sur le rire mais le spectateur ne peut pas s’identifier à des personnages dépourvus d’intériorité.Au contraire, la narration permet de savoir ce qui se passe dans la tête des personnages notamment dans le cas de focalisation zéro ou de focalisation interne qui permet d’adopter le point de vue du personnage. Si l’envie de pleurer nous vient lors de la mort misérable de Gervaise de l’Assommoir ou lors de l’agonie tragique de Mme de Mortsauf dans le Lys dans la Vallée, c’est que l’espace d’une lecture 46 Acte III, scène 2 nous avions oublié que ces personnages n’étaient que des êtres de papier ou parce qu’ils nous ont renvoyés à des situations réelles proches de ces situations. L’identification est peut-être encore plus facile au cinéma où la distance avec les personnages est physiquement abolie et la représentation du réel plus facile qu’au théâtre. III. Garder ses distances Le processus d’identification a cependant ses limites. On ne peut s’identifier à n’importe quel personnage et s’il arrive que certains oublient la différence entre réalité et fiction, les conséquences peuvent être dangereuses. A) L’effet de distanciation Dans la première moitié du XXe siècle, le dramaturge allemand Bertold Brecht propose de substituer la forme « dramatique » à la forme épique. Le théâtre était avant tout basé sur un héros et son conflit avec la société. Soit la société élimine le héros, soit le héros triomphe, et c’est à cela que le spectateur assiste. Or pour Brecht il faut reconsidérer toute cette conception du théâtre, à commencer par la représentation. Celle qui vise à donner l’illusion est remplacée par une nouvelle représentation qui n’hésite pas à montrer l’envers du décor, les machines, etc. Le spectateur, selon Brecht, ne doit jamais abandonner son sens critique, il doit conserver une certaine distance par rapport à la scène. Brecht prône donc un théâtre visant à casser l’illusion théâtrale, ramenant sans cesse le spectateur à la facticité de ce qu’il voit. C’est aussi à cela qu’on assiste dans le texte de Corneille extrait de l’Illusion comique. Le comédien ne devra pas trop chercher à faire croire à son personnage, il doit constamment rappeler qu’il joue. Cette théorie du théâtre ne peut pas faire l’unanimité et aujourd’hui elle est la marque d’une certaine époque (les années 50).Toutefois, nombreux sont ceux (et même bien avant Brecht) qui ont ce souci de rappeler au spectateur qu’il ne doit pas croire en ce qu’il voit. Le plaisir du spectateur est alors d’un autre ordre que celui qui est basé sur l’identification, il est davantage d’ordre esthétique et critique. B) Les dangers de l’identification À trop s’identifier, le spectateur risque de perdre le principe de réalité. Certains films notamment en proposant un monde que le héros peut plier à ses volontés font oublier à des spectateurs dont le sens critique n’est pas encore très aiguisé que dans la vie cela ne se passe pas ainsi. Le roman a pu aussi représenter des personnages qui lisent leur vie en fonction de ce prisme 47 RÉPONSES AUX QUESTIONS dangereux qu’est la fiction : c’est le cas de Don Quichotte et de Mme Bovary, mais après tout il ne s’agit là encore que de littérature. C’est encore ce que Pirandello montre dans Six personnages en quête d’auteur où les comédiens s’identifient à leurs personnages et ne sont plus que personnages, mais là encore les comédiens en question sont des êtres de fiction. Écriture d’invention Il y a eu de très nombreuses mises en scènes d’Hamlet et de très nombreuses interprétations de ce rôle. Un personnage aussi riche suscite de nombreuses lectures possibles. Le sujet engage à donner son idée de ce personnage. Pour le traiter, on peut s’aider des textes d’hommes de théâtre qui figurent à la fin du livre de l’élève (pp. 248-252) et aussi des consignes qu’Hamlet donne aux comédiens et qui peuvent donner de précieux renseignements. On peut imaginer que le metteur en scène demande comme Hamlet de ne pas surjouer le personnage. Ensuite on peut choisir entre différentes « interprétations » du personnage d’Hamlet, insister sur sa mélancolie, mettre en évidence son agressivité, sa neurasthénie, sa profondeur. On veillera à proposer une « lecture cohérente ». 48 A c t e I V, s c è n e 7 A C T E I V , S C È N E 7 ( p p. 1 8 1 à 1 8 8 ) ◆ L ECTURE ANALYTIQUE DE L’ EXTRAIT (pp. 187-188) a Ce texte qui s’apparente à un poème en prose multiplie les images végétales et florales, Ophélie finissant par se confondre avec les fleurs : renoncules, orties, marguerites, longues fleurs pourpres… et dans le même sens on peut relever les images végétales : saules, rameaux, branche… z Chaque fleur évoquée possède une symbolique propre. On peut s’attarder sur cette fleur que « nos vierges prudes appellent doigts d’hommes morts ». La connotation sexuelle se mêle à l’évocation de la mort. e « nouvelle sirène, pendant qu’elle chantait des bribes de vieilles chansons ». Dans la mythologie grecque, (plus particulièrement dans l’Odyssée), les sirènes au nombre de deux ou quatre sont des démons marins, à demi femmes et à demi oiseaux, et de remarquables musiciennes jouant de la lyre, chantant ou jouant de la flûte. Les sirènes attiraient par leur chant les marins qui passaient à proximité des côtes de la Méditerranée. r La figure de la sirène évoque la musique. Ophélie se noie en chantant : « nouvelle sirène pendant qu’elle chantait des bribes de vieilles chansons… pauvre malheureuse à son chant mélodieux… ». Se mêlent ainsi images florales et musicales. Shakespeare ici compose un chant, mais il faut noter que ce chant est funèbre et que la sirène est dans la mythologie étroitement liée à la mort. En attirant les marins sur les côtes, il se tuaient. Dans des textes plus récents, les sirènes ont été associées à l’au-delà, elles chantaient pour les morts. t Ophélie est étroitement associée à l’eau puisqu’elle meurt en se noyant. Elle semble même se transformer en fleur aquatique et ses vêtements deviennent une corolle : « Ses vêtements se sont étalés et l’ont soutenue un moment. ». On peut aussi noter que le complément « en pleurs » peut aussi bien renvoyer à Ophélie qu’au ruisseau : « comme elle, tombés dans le ruisseau en pleurs ». L’association larmes/ruisseau sera d’ailleurs reprise par Laerte : « Tu n’as déjà eu que trop d’eau, pauvre Ophélie, je retiendrai donc mes larmes ». y L’expression mort « fangeuse » rappelle là encore la proximité de la jeune femme, de la mort et de l’eau, mais la fange entraîne avec elle l’image de la 49 RÉPONSES AUX QUESTIONS corruption, de l’impureté. Enfin, on a pu remarquer dans les questions précédentes la présence de la mort avec l’image de la sirène et son chant mortifère ainsi que le nom lourd de sens de la fleur surnommée « doigts d’hommes morts ». u Dans certaines mises en scène, ce récit s’accompagne d’une représentation simultanée de la noyade. Cependant, outre la difficulté technique à mettre en scène cet épisode (présence de l’eau, plan horizontal – problème que l’on retrouvera dans la tragédie classique avec la noyade de Théramène dans Phèdre par exemple), l’évocation de la mort par la reine se transforme en véritable chant, litanie qui semble imiter le chant d’Ophélie et qui touche particulièrement le spectateur. i La reine et Ophélie sont les deux seuls personnages féminins de cette pièce très majoritairement masculine. Une proximité se noue entre ces deux femmes toutes deux aimées et rejetées par Hamlet, et cette proximité apparaît très clairement dans ce chant de déploration qui évoque le chant de la noyade. o Laerte se lamente sur la mort de sa sœur, « hélas ! ». Il s’accorde le droit de s’abandonner à sa douleur (voir la didascalie : « il pleure ») et la justifie par ce qu’elle a d’humain puis se ressaisit et fustige la faiblesse de ses larmes. q Laerte refuse le liquide lacrymal qui est associé pour lui au féminin, « quand ces pleurs auront coulé, plus de faible femme en moi… », « pleurs imbéciles » et il lui oppose le feu, élément masculin. ◆ L ECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D ’ ÉCRITURE (pp. 192 à 194) Examen des textes et documents a (Évidemment la reproduction en noir et blanc ne rend pas aisée l’analyse du tableau de Millais). Pour peindre ce tableau qui date de 1851-1852, Millais n’a pas hésité à planter son chevalet en pleine nature, au bord d’une rivière, faisant preuve d’une précision et d’un réalisme dans la représentation assez extraordinaire. Il a donc d’abord peint l’arrière-plan, tout entier végétal et dans une dominante de verts, puis pour peindre Ophélie, il a fait poser sa femme dans une robe fleurie. La jeune femme semble dériver sur l’eau et elle se confond 50 A c t e I V, s c è n e 7 avec le paysage tout en contrastant par les couleurs des fleurs qui s’opposent à l’harmonie du fond. On ignore si les fleurs de sa robe sont brodées, ou si elles viennent de l’eau. z On trouve de nombreuses espèces de fleurs : iris, bleuets, coquelicots et comme dans le texte de Shakespeare, des guirlandes de fleurs, et des renoncules d’eau. e La jeune fille semble dériver au fil de l’eau ; sa bouche est ouverte, ses bras sont écartés, les paumes ouvertes, comme abandonnés aux éléments. Sa position peut évoquer une attitude religieuse ou mystique. r Le poème de Rimbaud est particulièrement musical grâce au rythme et aux jeux sonores. Notons en guise d’exemple les assonances du son « a » dans le premier vers : « calme et noire, où dorment les étoiles ». Ainsi, la substitution d’Ophélie à Ophélia peut s’expliquer par cette recherche de la musicalité, le « a » final prononcé avec le son mouillé qui précède, renforçant encore la musicalité. Notons aussi les rimes internes ou les répétitions (par exemple : « flotte » vers 2 et 3) ou l’allitération en « l » consonne liquide dans le premier quatrain : « l’onde/les étoiles/la blanche/Ophélia/flotte/lys/flotte/lentement/ voiles/lointains/hallalis ». t Le poème est très fidèle au modèle shakespearien, et le champ lexical de la musique comme dans la tirade de Gertrude est ici très important. On peut relever les termes suivants : « murmure sa romance », « un chant mystérieux ». Notons aussi l’évocation de bruits qui renforcent l’aspect sonore du poème : les hallalis évoquent la mort du cerf ou de la biche, le souffle du vent avec « la brise du soir et le vent baise ses seins », et aussi « les soupirs », « les pleurs », « l’immense râle », « d’étranges bruits », « t’avaient parlé tout bas », « plaintes », « ton cœur entendait ». y Champ lexical du végétal : « lys », « bois », « corolle », « saules », « roseaux », « nénuphars », « aune », « l’arbre », « les fleurs ». Rimbaud reprend des termes et des images de la pièce de Shakespeare, les saules pleurant littéralement (vers 11), ou développe des images que le texte de la pièce ne faisait que suggérer. Ainsi, dans Hamlet, Ophélie se noyait au milieu de sa robe qui s’étalait autour d’elle en corolle. Rimbaud reprend cette image en la développant : « le vent baise se seins et déploie en corolle/ses grand voiles bercés mollement par les eaux » (vers 9-10). Il prolonge ainsi des comparaisons qui n’étaient que suggérées ou en crée de nouvelles, telle cette 51 RÉPONSES AUX QUESTIONS comparaison d’Ophélie avec un lys, symbole de pureté et de majesté. L’image du roseau peut rappeler la comparaison que l’on trouve dans les Pensées de Pascal (« l’homme est un roseau pensant ») Travaux d’écriture Question préliminaire On l’a vu, le poème de Rimbaud est très fidèle au texte de Shakespeare, même si bien sûr, l’évocation de la mort d’Ophélie devient pour le jeune poète prétexte à des questions personnelles sur sa poétique notamment.Ainsi ce vers « Et l’infini terrible effara ton œil bleu ». Cependant, on retrouve dans l’ensemble ce même entrelacement des images musicales et florales que dans le récit de Gertrude. Mais Rimbaud en écrivant ce poème utilise une figure qui appartient déjà au patrimoine de la littérature. Son Ophélia est devenue un motif littéraire et une silhouette fascinante, d’où le vers « Voici plus de mille ans que la triste Ophélie. ». Le poème de Rimbaud s’inscrit clairement dans une intertextualité. La peinture de Millais elle aussi réutilise cette figure devenue presque mythique d’Ophélie et semble illustrer fidèlement le récit de Gertrude. La jeune fille en effet s’y confond avec les fleurs et l’eau. Il manque ce que la peinture ne peut pas rendre, l’aspect musical. Commentaire Ce poème de Rimbaud est plus proche du romantisme que du symbolisme ; il préfigure déjà cependant l’auteur du Bateau Ivre et dépasse la simple illustration pour devenir chant mais aussi art poétique. Il est très riche et mériterait une étude approfondie. On donnera ici quelques pistes. I. La chanson d’Ophélie On étudiera le rythme mélodieux, on se livrera à une étude précise des sonorités et on montrera qu’elles accompagnent le champ lexical de la musique. Un poème ample : – longues strophes réparties en trois mouvements : I, II, III, – équilibre des deux premiers mouvements, isolement de la strophe finale, – poème composé d’alexandrins, vers amples, – ponctuation marquée dans la deuxième partie (les points d’exclamation), 52 A c t e I V, s c è n e 7 – prédominance de sons ouverts : [a], [ɔ̃], [ɑ̃], [ε̃], [u], [ɔ] malgré des sons stridents à la rime [i], – structure circulaire et répétitions : celles-ci produisent un effet mélodique, une sorte de refrain, de litanie, « flotte » (vers 2 et 3), « Voici » (vers 5 et 7), reprise du vers « La blanche Ophélie flotte comme un grand lys » au vers 2 qui clôt le poème : « La blanche Ophélie flotter, comme un grand lys. ». De même le vers 3 est repris au vers 35, « couchée en ses longs voiles ». Rimes internes, « saules » et « épaule », (vers 11). Cette structure circulaire donne à cette scène un caractère de litanie et illustre le vers « voici plus de mille ans que la triste Ophélie… ». – évocation des sons très légers et fugaces : « murmure, froissés soupirent, frisson, t’avaient parlé tout bas, un souffle, les plaintes de l’arbre… ». – évocation de sons musicaux : « hallalis, romance, chant mystérieux ». II. Une peinture Le poème joue aussi de la suggestion, d’abord gravure en noir et blanc puis peinture faite de multiples touches qui mêlent la femme et la fleur. A) Une gravure fantastique La scène se joue d’abord en noir et blanc avec les antithèses (onde calme et noire/la blanche Ophélia – fantôme blanc/long fleuve noir), la blancheur est encore suggérée par la neige et Rimbaud remotive l’expression lexicalisée « belle comme la neige ». La lumière des « astres d’or » plonge la scène dans une ambiance crépusculaire. Le poème est baigné d’une atmosphère fantastique. B) Une femme-femme La féminité est évoquée par des parties symboliques du corps, sortes de blason de la femme (chevelure, front, épaule, seins). C) Une femme fleur La comparaison entre la femme et la fleur apparaît dès le deuxième vers, « comme un grand lys ». Par le biais de la métaphore ensuite, Ophélie est assimilée aux fleurs qui l’entourent, fleur parmi les fleurs : « Le vent baise et déploie en corolle/ses grand voiles bercés… ». Ophélie est successivement lys (fleur qui évoque la pureté) et nénuphar, plante aquatique. Notons d’ailleurs que le mot « lys » en finale dans le vers 2 doit se prononcer sans le « s » final et est donc contenu phonétiquement dans le nom « Ophélie ». D) Ophélie en harmonie avec la nature « les saules frissonnants, un nid dans un aune, ton cœur entendait la voix de la nature… » 53 RÉPONSES AUX QUESTIONS III. Ophélie et le poète A) Hamlet, figure du poète Pas de « je » dans ce poème mais le poète est cependant présent à travers la figure du « pâle cavalier ». Allusions précises à la tragédie de Shakespeare : « Norvège, un pauvre fou, un beau cavalier pâle… ». Ce pauvre fou peut aisément être associé à la figure du poète, tout comme Ophélie dont la folie annonce les visions du poète. B) L’idéal poétique « Ciel ! Amour ! Liberté ! », ces trois termes évoquent les aspirations, les idéaux du poète, et c’est bien d’ailleurs le Poète avec une majuscule qui clôt le texte et remplace Hamlet. C) L’abolition des contraires Le poète chez Rimbaud est celui qui est capable d’opérer « l’alchimie du verbe », les contraires fusionnent. Les antithèses noir/blanc finissent par s’abolir, la neige se fond dans le feu : « Tu te fondais à lui comme une neige au feu. » D) Les grandes visions Le poète chez Rimbaud est un voyant capable de lire, de déchiffrer le monde, « Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs de la nuit », celui aussi qui regarde l’infini. La métonymie finale, qui n’est pas sans rappeler l’œil d’Abel dans le poème de Victor Hugo (« l’œil était dans la tombe et regardait Caïn »), annonce aussi le côté visionnaire du poète qu’on trouvera dans Une saison en enfer : « Tes grandes visions étranglaient ta parole/Et l’infini terrible effara ton œil bleu » annoncent « Je ne sais plus parler ». Ophélie elle-même est un peu cette voyante capable « de toutes les formes d’amour, de souffrance et de folie ». Dissertation La littérature et la peinture ont toujours entretenu des rapports étroits et se sont nourris l’une de l’autre. Les peintres et les écrivains ont très souvent travaillé de concert, les Surréalistes ainsi se sont illustrés dans tous les domaines artistiques. Certains recueils de poèmes, comme ceux d’Éluard, sont parus accompagnés de photos ou de dessins. De nombreux mythes littéraires ont donné lieu à des peintures : Orphée par exemple. Cependant, il arrive que les peintures, dessins ou photos jouent un véritable rôle d’illustration quand d’autres accompagnent un texte et se développent parallèlement (c’est le cas des photos surréalistes de Man Ray qui ne peuvent illustrer véritablement les 54 A c t e I V, s c è n e 7 poèmes d’Éluard). La peinture de Millais semble en revanche véritablement illustrer le récit de la mort d’Ophélie dans Hamlet, mais elle n’a pas (pour des raisons matérielles évidentes) été faite dans ce but, alors que dans le cas des gravures de Delacroix, on peut véritablement parler d’illustration. I. Illustrer pour mieux comprendre L’illustration en s’adressant à la vue du spectateur peut se substituer à l’imagination pauvre et fixer dans son esprit un visage, un paysage ou encore des objets. L’illustration peut avoir une fonction informative, à la manière des planches d’encyclopédies ou de dictionnaires. Dans Hamlet, la mort d’Ophélie n’est pas représentée sur scène. D’une certaine manière, le tableau de Millais supplée à cette absence. Dans un roman, les illustrations permettent aussi d’imaginer mieux les personnages. De même, les gravures de Delacroix pour Hamlet permettent au lecteur de mieux se représenter les différentes scènes et de manière extrêmement synthétique. Une scène de plusieurs pages est ainsi « résumée » d’un regard. II. L’illustration peut trahir les intentions de l’auteur Rousseau n’approuvait pas les illustrations faites pour l’édition de La Nouvelle Héloïse et avait le sentiment d’être trahi. En fixant sur le papier les traits de tel ou tel personnage, l’illustrateur en limite le potentiel imaginaire. L’illustration court le risque d’être trop « réaliste » et de limiter la part possible de rêve (le problème se pose de la même manière dans l’adaptation d’un livre à l’écran), ou trop abstraite et, dans ce cas, elle n’illustre plus mais se développe en tant que telle indépendamment du texte. III. Le texte et l’image Les illustrations figurent fréquemment dans les éditions de textes pour enfants qui ont besoin de se représenter les personnages sous des traits bien précis. Ce n’est pas le cas des éditions des livres pour adultes. Les illustrations, quand elles existent n’ont pas de visée illustrative justement. Elles sont l’expression de la sensibilité d’un artiste rêvant à partir d’un texte. Elles enrichissent alors le texte en proposant un autre regard. Elles se justifient en ellesmêmes et le texte n’est qu’un point de départ. Proust a montré à propos des textes littéraires qu’ils n’étaient pas dotés d’un sens univoque mais qu’au contraire les textes les plus « beaux » étaient ceux qui permettaient le plus de contresens. L’interprétation d’un texte par un 55 RÉPONSES AUX QUESTIONS lecteur et les contresens qu’il peut faire sont légitimes. L’auteur n’a que l’avantage de l’antériorité sur son propre texte. C’est un peu la même chose pour les illustrations : elles proposent une interprétation, un sens parmi tous les sens possibles. Plus une œuvre est riche, plus elle favorise les illustrations. Écriture d’invention Pour rédiger cette lettre, il suffira à l’élève de reprendre en les reformulant et en les développant les analyses faites dans la lecture analytique de l’extrait de la scène 7 de l’acte IV. Le personnage d’Ophélie peut paraître secondaire d’un point de vue dramatique. Pour autant, même de ce point de vue, il n’est pas négligeable ; il contribue au désir de vengeance de Laerte et donne lieu à la fameuse scène du cimetière. Mais il a surtout une fonction lyrique et onirique. La scène de démence produit un effet de miroir avec la démence d’Hamlet, et permet d’opposer la vraie folie à la folie feinte ou ambiguë d’Hamlet. 56 A c t e V, s c è n e 1 A C T E V , S C È N E 1 ( p p. 1 9 5 à 2 0 7 ) ◆ L ECTURE ANALYTIQUE DE L’ EXTRAIT (pp. 201 à 203) a Le fossoyeur parle des cadavres comme d’objets, d’un ton très détaché et avec cynisme, les mots sont souvent très crus, « putain de cadavre, putain de farceur ». Le point de vue est matérialiste, le cadavre n’a plus aucun rapport avec l’être vivant qui a existé. Le fossoyeur adopte un point de vue technique, « S’il n’est pas pourri avant de mourir, …, il peut vous durer huit ou neuf ans ». z Les fossoyeurs sont des gardiens dérisoires et grotesques, doubles dégradés des gardes des remparts du château. De plus, ils sont assimilés au bouffon du roi, ils ont joué ensemble : « peste soit de l’enragé farceur ! Un jour, il m’a versé un flacon de vin sur la tête ! Ce même crâne, monsieur, était le crâne de Yorick, le bouffon du roi… ». Ils multiplient les jeux de mots, ils prennent les mots au pied de la lettre : par exemple le mot « empire » est pris au sens politique, « sous l’empire de quelle cause ? Sous l’empire de notre roi. » e Ils reprennent le thème de la pourriture universelle : les corps sont pourris par la vérole avant la mort, la pourriture gagne la vie même. Ils ont une parole libre, ne sont pas censurés d’autant plus qu’ils ne savent pas à qui ils parlent. Leur parole est circulaire, « il est devenu fou en perdant la raison », et ils pointent ainsi le thème de la folie universelle. r Dans cette tirade, Hamlet prend la mesure de la vanité humaine ; il évoque avec nostalgie le passé à la manière des « ubi sunt » de Villon : « Où sont vos plaisanteries maintenant ? vos escapades ? ». Il fait preuve d’une ironie lugubre, sa déploration est mélancolique, puis il adopte un raisonnement logique, matérialiste mais aussi biblique : « de la poussière à la poussière. » t L’interjection « pouah » manifeste le dégoût annoncé auparavant : « mon cœur se soulève ». y La beauté de la femme est éphémère, le fard ne cache pas la mort.Tout le fard du clown n’a pas empêché Yorick de devenir un cadavre répugnant. u Hamlet adopte un raisonnement logique à partir de l’image de l’homme naissant de la poussière et y retournant. La poussière du corps devient terre dont on peut faire une bonde de tonneau. 57 RÉPONSES AUX QUESTIONS i L’exemple est particulièrement choquant parce que Alexandre le Grand est associé à la grandeur, à la gloire ; or Hamlet montre que cette gloire est illusoire devant la mort, qu’un homme tout glorieux qu’il soit devient poussière comme n’importe quel homme. ◆ L ECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D ’ ÉCRITURE (pp. 211 à 214) Examen des textes et documents a Montaigne dans ce chapitre des Essais utilise une métaphore assez courante qui met en parallèle la vie et le théâtre avec les termes « comédie », « masque » et « rôle » : « qu’on ne lui ait vu jouer le dernier acte de sa comédie… En tout le reste il peut y avoir du masque », « ce dernier rôle de la mort et de nous ». Cette métaphore sera largement exploitée dans les textes baroques ; on la trouve chez Corneille et chez Rotrou, entre autres. Elle illustre la vanité de la vie. La vie n’est pas plus importante qu’une pièce de théâtre ; une fois terminé son rôle, il faut faire ses adieux. La métaphore de la comédie illustre le caractère illusoire et éphémère de la vie. z Tous les chapitres des Essais sont truffés de citations, latines le plus souvent. Sur les murs de la bibliothèque de Montaigne à Bordeaux on trouve d’ailleurs des inscriptions en latin. Homme de culture, homme de la Renaissance, Montaigne était nourri de cette culture latine. Les citations permettent de mettre en avant l’universalité de sa pensée, de donner davantage de crédit à sa propre parole, elles ont valeur d’autorité. Elles permettent aussi à Montaigne de faire rebondir sa propre pensée, de lui servir de point de départ comme celle de Solon. La deuxième citation a davantage une valeur illustrative, elle pourrait figurer entre parenthèses. e Villon, dans cette ballade, développe le thème courant du temps passé qui ne reviendra plus. Ce motif est traité ici par l’évocation de figures féminines, célèbres pour la plupart, et qui toutes ont disparu, connaissant ainsi le sort de n’importe quel humain. On remarquera qu’il n’est pas question de résurrection, la disparition, comme la neige d’antan, est définitive. r La ballade qui est une des formes les plus courantes de la poésie au Moyen Âge est marquée par une grande musicalité grâce notamment à la présence d’un refrain, « mais où sont les neiges d’antan », mais aussi aux contraintes tech58 A c t e V, s c è n e 1 niques qui imposent au poète un jeu de trois ou quatre rimes pour l’ensemble de sa composition. Ce retour important de rimes donne un caractère très musical au poème. t Le Songe du chevalier, peinture du XVIIe siècle est une vanité par excellence, illustrant surtout le motif de l’orgueil qui apparaît comme déplacé. On voit sur la gauche du tableau un jeune homme endormi, la tête appuyée sur la main. Au centre et à droite du tableau apparaît le contenu de son rêve sur un fond obscur comme la nuit. Une impression de bancalité se dégage de la composition des objets qui semblent sur le point de tomber. Les objets évoquent : – le « libido sciendi », (le désir de savoir) avec les livres, – la soif de domination, avec les armes, la tiare du Pape, – le désir d’expansion mondiale, symbolisé par le globe, – la vanité des plaisirs : théâtre, danse, musique (partitions, luth), – le temps qui passe, avec la pendule, les bougies, – la vanité des richesses : bijoux, pièces de monnaie, – la beauté, avec les fleurs, – la présence de la mort, avec les deux têtes de la mort. Un ange étend au dessus de la table une bannière avec l’inscription latine « aeterne pungit, cito volat et occidit » (il pique éternellement, il s’envole vite et détruit). y Le motif du masque apparaît souvent dans les peintures de vanité.Ainsi on le retrouve dans Le Songe du chevalier d’Antonio de Pereda à côté d’autres objets : livres, partitions, pièces de monnaie, armes, qui eux aussi sont déclarés insignifiants. Travaux d’écriture Question préliminaire Dans l’extrait d’Hamlet, la vanité de la vie et la mort sont évoquées de manière très crue par la contemplation d’un crâne. Le crâne ici n’est pas une simple métaphore, il est considéré en lui-même dans tout son caractère répugnant. L’odeur pestilentielle qu’il dégage donne de la mort une idée très violente. Le discours qu’il suscite sur la vanité de la vie est extrêmement sombre. Il ne laisse pas l’espoir d’un « après la mort ». La gloire d’un Alexandre est réduite à rien, l’image matérielle d’un homme réduit à une bonde de tonneau produit un effet terrifiant. 59 RÉPONSES AUX QUESTIONS Dans le texte de Montaigne, c’est la métaphore filée du théâtre qui évoque la vanité de la vie. Mais on trouve aussi cette idée avec l’image de la vie comme un bâtiment que la fortune vient détruire : « renverser en un moment ce qu’elle avait bâti en longues années ». Dans le poème de Villon, l’énumération des femmes autrefois glorieuses et à tout jamais disparues rappelle la vanité de la vie, d’autant qu’elle est couplée avec l’image de la neige qui revient dans le refrain : quoi en effet de plus fragile et fugace que la neige ? Dans la peinture de Pereda enfin, les éléments symbolisant la vanité ont déjà été mentionnés plus haut, dans la réponse à la question 5. Dans les trois textes, le thème est traité avec un grand pessimisme. Cependant les textes de Montaigne et de Villon ne produisent pas l’effet choquant du texte de Shakespeare. Le premier sous la forme de l’essai semble énoncer un constat. Dans le deuxième, le ton est nostalgique avec ce refrain entêtant. Dans la peinture enfin, la brutalité de la représentation des crânes est atténuée par des éléments qui, s’ils signifient aussi la vanité, le font de manière beaucoup plus métaphorique, comme la bougie et les fleurs, et par la représentation de l’ange. Le texte de Montaigne présente de la mort la vision la moins pessimiste. Ce n’est pas tant la mort dans sa matérialité qui est envisagée que la vie et la sincérité. La mort, selon Montaigne, nous empêche de tricher. Il faut régler la vie en fonction de ce moment. Enfin, le texte de Villon grâce à sa forme poétique occulte la dimension matérielle de la mort. Seul le texte de Hamlet envisage brutalement la mort dans sa dimension physique. En ce sens, c’est celui qui semble le plus sombre, et cela malgré (ou à cause de) l’humour noir et sinistre des fossoyeurs. Commentaire Ce poème traite d’un thème classique : le temps passé ne revient pas, thème que l’on retrouve fréquemment dans la littérature médiévale et que Villon traite à travers la forme codée de la ballade. I. La forme musicale A) Des questions lancinantes et entêtantes Le poème est construit autour d’une série de propositions interrogatives : le refrain ainsi que plusieurs propositions, « où est la très sage… », et des interrogatives indirectes, « Dites moi… n’enquerrez » terminés par un refrain. Ce 60 A c t e V, s c è n e 1 refrain, « Mais où sont les neiges d’antan », ne semble pas se rattacher immédiatement au thème du poème. Il s’y rattache de manière métaphorique et souligne, par son questionnement absurde le caractère dérisoire et éphémère de la condition humaine. Ces femmes, comme les neiges d’antan, ont à jamais disparu. B) La musicalité tient aussi au travail sur le rythme et les sonorités Les vers sont principalement des octosyllabes martelés par les répétitions des pronoms interrogatifs. On notera aussi les assonances en « a » (Archipiade et Thaïs) et en « i » (Bietris,Alis) dans les prénoms féminins, et les allitérations en « r » (Bietris, Berthe, grand) ou en « n » (Jeanne, bonne, Lorraine). II. À ces femmes disparues L’énumération des figures féminines prend une valeur universelle. Les femmes mentionnées sont en effet issues de multiples horizons culturels. Figures antiques (Écho), plus contemporaines du poète (Héloïse, Jeanne d’Arc), des reines (Marguerite de Bourgogne, Blanche de Castille). Certaines femmes évoquées se sont illustré dans des histoires d’amour malheureuses (Héloïse, les trois courtisanes gréco-romaines), d’autres dans l’histoire de France (Blanche de Castille, Jeanne d’Arc). Toutes les femmes évoquées sont idéalisées par le biais des adjectifs ou des comparaisons : les femmes se partagent beauté, sagesse, courage, et action héroïque. Dans ce poème, si aucun espoir de résurrection n’est présent, la vision de la mort n’a cependant rien de macabre. La mort est acceptée avec nostalgie et sans désespoir. Dissertation Le thème de la mort est universel et intéresse évidemment tous les arts : littérature, peinture ou cinéma. Certains genres permettent une argumentation et développent une représentation de la condition humaine dont l’une des composantes est la conscience de la mort. C’est le cas de l’essai qui est une véritable argumentation. Le conte peut prendre aussi une valeur démonstrative, avec des moyens différents basés sur la séduction. Le théâtre n’a pas la visée didactique du conte philosophique mais peut convaincre aussi fortement par la séduction ou l’identification. La poésie joue sur l’émotion et l’affectivité et enfin la peinture peut frapper en faisant appel au sens de la vue qui pour certains a plus de poids que les mots. 61 RÉPONSES AUX QUESTIONS I. Le poids des mots A) L’appel à la raison : essais, apologues, textes argumentations, B) L’appel à l’émotion : la poésie (séduire par les mots), C) L’appel à l’affectivité : le théâtre, D) Raison, émotion, affectivité : évidemment ces catégories ne sont pas étanches. Un texte argumentatif peut aussi jouer sur l’émotion du lecteur par la mise en œuvre de moyens rhétoriques. Ainsi le texte des Pensées de Pascal (livre de l’élève p. 116) qui appartient au genre argumentatif peut aussi émouvoir ou frapper le lecteur par la force des images. Le monologue d’Hamlet (« être ou ne pas être » p. 108), appartient au genre argumentatif à bien des égards. II. Le choc des images : peinture et spectacle A) L’image visuelle Si les mots peuvent longtemps résonner chez le lecteur, l’image visuelle a un effet immédiat et plus frappant. La représentation de la mort en peinture, notamment par un crâne, peut provoquer l’effroi de manière instantanée et plus concrète que sa simple évocation. Par les mots, l’évocation des crânes peut aussi entraîner la représentation d’images mentales bien concrètes mais celles-ci sont visuelles et viennent d’images vues sur des peintures ou dans la réalité. B) Les mots et les images : le théâtre La représentation théâtrale conjugue mots et images : elle convoque les sens de l’ouïe et de la vue et par la-même semble être le support le plus efficace pour faire prendre conscience au spectateur de certaines réalités. Cependant elle repose sur l’illusion, et le spectateur peut toujours se dire qu’il s’agit d’une mort de théâtre. Au contraire, quand Montaigne parle de la mort, il parle de la mort de tous et pas seulement de celle de Yorick. Il n’est plus question alors de se dire que ce n’est que du théâtre, non plus d’ailleurs quand Hamlet parle de sa propre mort. Lui aussi parle alors de la mort de tous les hommes, de tous ses spectateurs. Écriture d’invention On peut opposer des types d’interlocuteurs. Les uns voient dans l’art et particulièrement au théâtre ou au cinéma l’occasion de s’évader. Ils cherchent à rêver et à oublier les angoisses liées au quotidien ou à la condition humaine : 62 A c t e V, s c è n e 1 ils apprécient les films qui, tels Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, les plongent dans un monde imaginaire plus souriant que le leur et leur proposent une vision optimiste. Les autres voient dans l’art l’occasion d’une réflexion sur eux-mêmes et leur monde et qui dépasse là aussi la banalité du quotidien. L’art leur offre la possibilité de dépasser, d’apprivoiser leurs angoisses. La méditation d’Hamlet sur la mort, loin de les effrayer, a un effet cathartique. Ces deux conceptions peuvent se rejoindre. 63 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE I. Omesco, Hamlet ou la Tentation du possible, PUF, 1987. J. Kott, Shakespeare notre contemporain, Payot, 1964. J.-M. et A. Maguin, William Shakespeare, Fayard, 1996. ◆ SUR LE THÉÂTRE DANS LE THÉÂTRE Chambers, La comédie au château : contribution à la poétique du théâtre, Corti, 1972.