Octobre 2011 - vol. 23, no 3
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L’auteur est seul responsable de l’exactitude des notes et références ainsi que des opinions exprimées. Les Cahiers de propriété intellectuelle, propriété de la corporation Les Cahiers de propriété intellectuelle inc., sont édités par cette dernière. Ils sont publiés et distribués par Les Éditions Yvon Blais inc. Les Cahiers peuvent être cités comme suit: (volume) C.P.I. (page). Toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans l’autorisation du titulaire des droits. Une telle autorisation peut être obtenue en communiquant avec COPIBEC, 606, rue Cathcart, bureau 810, Montréal (Québec) H3B 1K9 (Tél. : (514) 288-1664; Fax : (514) 288-1669). © Les Éditions Yvon Blais, 2011 C.P. 180 Cowansville (Québec) Canada Tél. : 1-800-363-3047 Fax : (450) 263-9256 Site Internet : www.editionsyvonblais.com ISSN : 0840-7266 Publié trois fois l’an au coût de 199,95 $. 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CONSEIL D’ADMINISTRATION Georges AZZARIA, professeur Faculté de droit Université Laval, Ste-Foy Florence LUCAS, avocate collaboratrice, Gowlings, Montréal Louise BERNIER, professeur Responsable du Programme Droit et Biotechnologies Faculté de droit Université de Sherbrooke Ejan MACKAAY, professeur retraité Faculté de droit, Université de Montréal, Montréal Laurent CARRIÈRE, avocat Robic, Montréal Hélène MESSIER, directrice générale COPIBEC Montréal Benoît CLERMONT, avocat Productions J, Montréal Vivianne DE KINDER, avocate Montréal Jean-Nicolas DELAGE, avocat Fasken Martineau, Montréal Mistrale GOUDREAU, professeure vice-présidente Faculté de droit, droit civil, Université d’Ottawa, Ottawa Marie-Josée LAPOINTE, avocate secrétaire trésorière BCF, Montréal Pierre-Emmanuel MOYSE, professeur Faculté de droit Université McGill, Montréal Marek NITOSLAWSKI, avocat Fasken Martineau, Montréal Ghislain ROUSSEL, président avocat conseil Montréal Daniel URBAS, avocat Borden Ladner Gervais, Montréal Rédacteur en chef Laurent CARRIÈRE Comité de rédaction et comité de lecture Georges AZZARIA, professeur Faculté de droit Université Laval, Ste-Foy Florence LUCAS, avocate collaboratrice, Gowlings, Montréal Louise BERNIER, professeur Responsable du Programme Droit et Biotechnologies Faculté de droit Université de Sherbrooke Ejan MACKAAY, professeur retraité Faculté de droit, Université de Montréal, Montréal Laurent CARRIÈRE, avocat Robic, Montréal Hélène MESSIER, directrice générale COPIBEC Montréal Benoît CLERMONT, avocat Productions J, Montréal Vivianne DE KINDER, avocate Montréal Jean-Nicolas DELAGE, avocat Fasken Martineau, Montréal Mistrale GOUDREAU, professeure vice-présidente Faculté de droit, droit civil, Université d’Ottawa, Ottawa Marie-Josée LAPOINTE, avocate secrétaire trésorière BCF, Montréal Pierre-Emmanuel MOYSE, professeur Faculté de droit Université McGill, Montréal Marek NITOSLAWSKI, avocat Fasken Martineau, Montréal Ghislain ROUSSEL, président avocat conseil Montréal Daniel URBAS, avocat Borden Ladner Gervais, Montréal Comité exécutif de rédaction Louise BERNIER Laurent CARRIÈRE Mistrale GOUDREAU Ghislain ROUSSEL Comité éditorial international Valérie Laure BENABOU, professeure agrégée Directrice du Laboratoire DANTE Université de Versailles en Saint-Quentin-en-Yvelines France Néfissa CHAKROUN Directrice de la propriété intellectuelle Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la technologie Tunis, Tunisie Jacques DE WERRA, professeur Faculté de droit, Université de Genève Genève, Suisse Paul Edward GELLER Attorney at law Los Angeles, USA Jane C. GINSBURG Professeure Columbia University School of Law New York, USA Teresa GRZESZAK, professeure Faculté de droit Université de Varsovie, Pologne Lucie GUIBAULT, avocate Assistant professeure en propriété intellectuelle Instituut voor Informatierecht, Amsterdam, Pays-Bas Jacques LABRUNIE, avocat Gusmao Labrunie Sao Paulo, Brésil Dr Fransumo LEE Conseil en propriété intellectuelle Cabinet ORIGIN Séoul, Corée du Sud André LUCAS Professeur de droit Université de Nantes France Victor NABHAN, Président de l’ALAI Internationale, professeur étranger OMPI Paris GianLuca POJAGHI, avocat Studio Legale Pojaghi Milan, Italie Antoon A. QUAEDVLIEG, avocat et professeur Faculté de droit Université catholique de Nimègue Nijmegem, Pays-Bas Alain STROWEL Avocat et professeur de droit Facultés universitaires Saint-Louis Avocat Covington & Burling LLP Bruxelles, Belgique Paul Leo Carl TORREMANS, professeur, School of Law, University of Nottingham Nottingham, Grande Bretagne Silke von LEWINSKI, chercheure Chef de département Max-Planck Institute for Intellectual Property Münich, Allemagne Ghislain ROUSSEL Secrétaire du Comité Avocat conseil Montréal Stefan MARTIN, membre Première et cinquième chambre de recours Office de l’harmonisation dans le marché intérieur Alicante, Espagne TABLE DES MATIÈRES Articles Concepts et principes économiques invoqués devant la Commission du droit d’auteur du Canada et appliqués dans ses décisions Marcel Boyer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1083 Voies et recours civils non pécuniaires en matière de violation de droits d’auteur au Canada Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1129 L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi sur le droit d’auteur : une dissonance harmonieuse ? Emilie Conway . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1185 Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur et la Commission du droit d’auteur du Canada Giuseppina D’Agostino . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1229 Marques de commerce et référencement payant ou comment se démarquer sur le Web... en quelques mots-clés Caroline Jonnaert et Julie Maronani . . . . . . . . . . . 1259 L’art et la propriété intellectuelle Jacques de Werra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1311 Capsules Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel Mistrale Goudreau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1397 1081 1082 Les Cahiers de propriété intellectuelle La détermination du degré de similitude entre les marques Christel Lacarrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1407 Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise après la délivrance d’un brevet : la Cour fédérale d’appel clarifie la portée de l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets A. Sasha Mandy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1417 Analyse du règlement Google Books et son rejet par un tribunal de New York James Plotkin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1427 Il existe maintenant un domaine .xxx pour les sites pornographiques, mais on ne sait trop qui le voulait et pourquoi James Plotkin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1439 Compte rendu La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle Camille Rideau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1443 Annexes Annexe 1- Liste des articles publiés par ordre alphabétique d’auteurs – Volumes 1-1 à 23-3 (octobre 2008 – octobre 2011) . . . . . . . . . . . . 1457 Annexe 2- Liste des articles publiés par ordre alphabétique de titres – Volumes 1-1 à 23-3 . . . . . . . . . . . 1523 Annexe 3- Index des sujets – Volumes 1-1 à 23-3 . . . . . . . 1587 Vol. 23, no 3 Concepts et principes économiques invoqués devant la Commission du droit d’auteur du Canada et appliqués dans ses décisions Marcel Boyer* 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1085 2. Concepts et principes économiques généraux . . . . . . . 1087 2.1 Les œuvres (et les droits) en tant que bien économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1087 2.2 Le principe de l’acheteur et du vendeur consentants et le concept de volonté de payer . . . . . . . . . . . 1092 2.3 La Commission du droit d’auteur en tant que substitut de marchés concurrentiels et de négociations éclairées . . . . . . . . . . . . . . . . . 1095 2.4 La recherche de points de référence adéquats et les corrections y afférentes . . . . . . . . . . . . . 1096 2.4.1 Prix unitaire ou pourcentage des recettes . . . 1096 © Marcel Boyer, 2011. * Marcel Boyer (M.Sc. et Ph.D. en économie, Carnegie-Mellon University ; M.A. en économie, Université de Montréal) est professeur émérite de l’Université de Montréal (Département des sciences économiques), Fellow du CIRANO et du C.D. Howe Institute, Affilié universitaire et expert externe du Groupe d’Analyse et Vice-président de la Society for Ecomonic Research on Copyright Issues (SERCI). 1083 1084 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.4.2 Ratios . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1098 2.4.3 Les processus comme points de référence . . . 1100 2.4.4 La capacité de payer : exclusion et ajustement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1102 3. Les principes invoqués et appliqués dans les affaires de copie privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1104 4. Les principes invoqués et appliqués dans les affaires de radio commerciale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1107 5. Les principes invoqués et appliqués dans l’affaire de la reproduction par reprographie : l’utilisation équitable et la théorie économique . . . . . . . . . . . . . 1112 6. Nouveaux modèles permettant d’établir directement la valeur des droits d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . 1117 6.1 Radio commerciale (2005) . . . . . . . . . . . . . . . 1117 6.2 Services de radio par satellite (2009) . . . . . . . . . 1123 7. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1127 1. INTRODUCTION La définition, le champ d’application et la qualification des droits de propriété intellectuelle de tous ordres – brevets, droits d’auteur, marques de commerce, etc. – font actuellement l’objet d’un important débat chez les universitaires aussi bien que chez les praticiens. Dans de nombreux États, les fondements juridiques et l’application des droits de propriété intellectuelle sont mis en question et réexaminés dans le contexte de l’ère numérique. De nouvelles lois et de vastes révisions des lois existantes sont envisagées, projets dont la discussion oppose de puissants groupes intellectuels, professionnels et commerciaux. Au centre de ces débats se trouvent des arguments contestables et contestés sur les coûts et les avantages de la protection et de l’application des droits de propriété intellectuelle. Le rapport entre ces coûts et ces avantages varie selon le point de vue des acteurs : certains, sans nier l’utilité de protéger et d’appliquer les droits de propriété intellectuelle, estiment que les coûts de telles mesures l’emportent de beaucoup sur leurs avantages, tandis que d’autres adoptent le point de vue inverse. Les principaux avantages de la protection et de l’application des droits de propriété intellectuelle comprennent leur effet potentiellement salutaire sur la création et l’innovation. Si leurs droits ne sont pas protégés comme il convient, créateurs et innovateurs risquent en effet de ne pas pouvoir obtenir une part suffisante de la valeur de leurs œuvres pour justifier leur investissement dans les activités de création et d’innovation. Et si créateurs et innovateurs ne peuvent ainsi profiter que d’une fraction de la valeur de leurs œuvres, la création et l’innovation n’atteindront vraisemblablement pas un niveau efficient ou optimal. Parmi les principaux coûts de la protection et de l’application des droits de propriété intellectuelle, signalons l’effet préjudiciable qu’elles risquent d’avoir sur la diffusion des produits de la création et de l’innovation, et donc sur la valeur sociale de ces produits, ainsi que sur les efforts ultérieurs de création et d’innovation. 1085 1086 Les Cahiers de propriété intellectuelle Pour certains, créateurs et innovateurs peuvent profiter indirectement de leurs travaux s’ils ne le peuvent pas directement : par exemple, du fait de leur leadership sur le marché, puisque l’imitation prend du temps ; par la rémunération de leurs concerts ou autres prestations ; ou au moyen d’autres formes de différenciation réelle ou pratique entre ceux qui ont investi dans les services fondés sur la création ou l’innovation et ceux qui ne l’ont pas fait. Les droits de propriété intellectuelle jouent également un rôle important comme base de rémunération des créateurs et des innovateurs. Si l’on ne reconnaît pas et n’applique pas ces droits, il peut se révéler impossible pour les créateurs et les innovateurs de recevoir une part suffisante de la valeur ajoutée qu’ils ont produite, de sorte que l’incitation à exercer de telles activités se trouvera réduite. Il est évident que les droits de propriété intellectuelle ne devraient pas être un obstacle à de nouvelles créations ou innovations ; il convient donc de bien les définir et de fixer des limites à leur durée et à leur étendue. Il s’agit de trouver un juste équilibre qui permette de motiver suffisamment créateurs et innovateurs tout en favorisant, voire en maximisant, la diffusion de nouvelles idées, œuvres et connaissances ou informations. C’est là que peuvent jouer un rôle majeur les institutions de marché et autres institutions apparentées qui encadrent les transactions sur les droits de propriété intellectuelle, notamment les exceptions relatives à l’utilisation équitable pour ce qui concerne les droits d’auteur, la concession obligatoire de licences d’exploitation de nouvelles technologies et découvertes, ainsi que les organes et tribunaux administratifs tels que la Commission du droit d’auteur du Canada, qui remplissent les fonctions de substituts du marché, de médiateurs et d’arbitragistes. Le présent article est composé comme suit. J’y expose d’abord quelques principes généraux qui sous-tendent de nombreuses décisions de la Commission du droit d’auteur du Canada, ainsi que de nombreuses thèses présentées à cette dernière par diverses parties au cours des deux dernières décennies. J’examine ensuite certains principes d’application plus étroite qui apparaissent dans des affaires importantes, touchant notamment la copie privée, la radio commerciale et la reproduction par reprographie. Enfin, je présente et examine deux nouveaux modèles ou approches économiques conçus pour l’établissement de la valeur des droits d’auteur dans des cas particuliers, modèles que la Commission n’a pas explicitement adoptés, il est vrai, mais qui ont récemment été exposés et discutés devant elle. Concepts et principes économiques invoqués... 1087 Il va sans dire qu’il n’est pas possible de traiter la totalité des concepts et principes économiques pertinents dans le cadre d’un article relativement bref tel que le présent. Qu’on voit plutôt dans celui-ci un exposé personnel, impressionniste, sur certains des concepts et principes économiques importants qui s’appliquent à l’analyse de la valeur des droits d’auteur, et qui ont été examinés par la Commission du droit d’auteur dans ses décisions ou par les parties en présence dans leurs présentations ou argumentaires. 2. CONCEPTS ET PRINCIPES ÉCONOMIQUES GÉNÉRAUX La Commission du droit d’auteur du Canada a uniformément fait preuve, au cours de ses vingt premières années d’existence, d’une solide compréhension des aspects fondamentaux du droit d’auteur, non seulement du point de vue juridique, mais aussi du point de vue économique. Voici une liste non exhaustive de ce que j’estime être les concepts et principes généraux les plus importants qu’on trouve dans un grand nombre, sinon dans la totalité, des décisions de la Commission, ainsi que dans une part importante des thèses qui lui ont été présentées par diverses parties dans le cadre de la multitude d’affaires dont elle a été saisie : le concept des œuvres (et des droits) en tant que biens économiques, le principe de l’acheteur et du vendeur consentants, le rôle de substitut des marchés concurrentiels et des négociations éclairées que joue la Commission, le concept de point de référence d’un prix inexistant et ses diverses formes, et enfin la capacité des utilisateurs à payer les droits. L’analyse ici proposée de ces concepts et principes est de nature plutôt générale et, sauf exception, ne renvoie pas à des affaires particulières où ils ont été appliqués et examinés par la Commission ou les parties. Mais il est certain que tous ces concepts et principes imprègnent la plupart, si ce n’est la totalité, des audiences et des décisions. 2.1 Les œuvres (et les droits) en tant que bien économiques La science économique a deux grands buts : d’une part, analyser et étudier les mécanismes qui peuvent contribuer à la satisfaction des besoins pratiquement illimités des êtres humains au moyen des ressources limitées dont ils disposent, dans des cadres ou des contextes aussi bien statiques que dynamiques ; d’autre part, définir et décrire les institutions propres à servir de cadres à ces efforts. 1088 Les Cahiers de propriété intellectuelle Les gens consomment, pour satisfaire leurs besoins, des biens et des services dont la nature et les caractéristiques jouent un rôle majeur dans le choix des mécanismes et des institutions capables d’en assurer efficacement la production, la distribution et l’utilisation. La Commission du droit d’auteur du Canada est elle-même une institution dont l’existence se justifie directement par les caractéristiques très particulières des biens et des services que constituent ou représentent les œuvres protégées par le droit d’auteur et les droits de propriété eux-mêmes. Ces caractéristiques commandent la mise en place de mécanismes spéciaux propres à assurer l’application des dispositions législatives dans des cas ou contextes particuliers et à établir d’une manière déterminée la valeur ou le « prix » de telle utilisation de tel droit. Les œuvres (et les droits y afférents) sont des biens très particuliers, mais dont les caractéristiques sont bien connues des économistes. On peut les définir comme ce qu’on appelle des biens d’information ou des produits d’information. Contrairement aux biens classiques tels que les produits agricoles ou manufacturés, les biens d’information, qu’ils revêtent la forme de morceaux de musique composée et interprétée, de spectacles, de connaissances juridiques, d’information technologique, de logiciels ou d’expertise – qui constituent tous, en quelque sorte, des « modèles » – présentent cette caractéristique que, une fois produits, fabriqués ou découverts, on peut les reproduire, les distribuer et les diffuser à un coût (presque) nul. La révolution numérique a réduit encore plus les coûts de distribution des biens d’information. Autrement dit, la production d’une œuvre exige des coûts fixes importants, mais une fois que l’œuvre (c’est-à-dire l’original ou le modèle) est produite, le coût de sa reproduction est presque nul : le coût marginal de reproduction est presque égal à zéro. Comment convient-il alors de définir le niveau de consommation d’un bien d’information qui coïncide avec le bien-être maximal et comment mettre en place des institutions propres à produire ce niveau de consommation ? C’est là une question complexe. Le niveau de consommation optimal est en général considéré comme étant atteint lorsque le prix du bien d’information égale son coût marginal de production ou de reproduction, la demande ou la consommation de ce bien à ce prix étant telle que la valeur pécuniaire du résultat net total obtenu (c’est-à-dire la valeur totale de la consommation moins le coût total, compris comme la somme des Concepts et principes économiques invoqués... 1089 coûts fixes et des coûts variables de production) est positive. Dans le cas contraire, c’est-à-dire si le résultat net total est négatif, il vaut mieux s’abstenir de produire le bien en question. Par conséquent, le niveau optimal de consommation (production, distribution et diffusion) est soit de zéro, soit égal au niveau obtenu par la fixation du prix en fonction du coût marginal. Ce niveau correspond à ce que les économistes appellent « optimum pur » ou « optimum sans compromis ». Un marché concurrentiel est en général le mécanisme le plus apte à déterminer et à réaliser le niveau optimal de production et de consommation. Mais dans le cas d’un bien d’information, un prix égal au coût marginal de (re)production ne permettra pas au vendeur ou au producteur de dégager des recettes suffisantes pour couvrir la totalité des coûts qu’entraînent la production et la distribution, en particulier les considérables coûts fixes. Un marché concurrentiel (où le prix égale le coût marginal) ne peut donc servir directement à assurer la répartition optimale des ressources parce que le prix des œuvres devrait par définition y être nul ou presque nul. Il s’ensuit la forte probabilité que trop peu de gens seraient alors disposés à choisir une carrière d’innovateur, de créateur, d’auteur, de compositeur, d’artiste-interprète ou de producteur, et à consacrer le temps et les ressources nécessaires à la production d’œuvres originales de qualité. La nécessité de résoudre ce problème a suscité deux courants de pensée. Selon le premier, il convient d’attribuer des droits de propriété aux créateurs et de permettre au marché de se former et d’établir un prix d’équilibre, c’est-à-dire un prix permettant un niveau d’échange ou de transactions propre à satisfaire les créateurs aussi bien que les consommateurs ou utilisateurs. Le niveau ainsi obtenu est dit individuellement rationnel parce qu’aucun des acteurs ne voudrait changer le prix en question. Celui-ci serait alors strictement supérieur au coût marginal ; il permettrait de couvrir la totalité des coûts de production et de distribution, mais supposerait une baisse potentiellement importante du niveau de création et d’innovation. Suivant l’autre courant de pensée, il convient de promouvoir la stricte recherche d’un optimum socio-économique et de faire en sorte que, leur coût de (re)production étant nul, l’utilisation et la reproduction des œuvres soient gratuites. Quant à la rémunération des créateurs, elle se ferait de diverses manières, peut-être par des subventions de l’État. Ce dernier, en échange de ses subventions, s’assurerait le droit de distribuer les œuvres gratuitement. 1090 Les Cahiers de propriété intellectuelle Chacun de ces points de vue pose des problèmes. Une protection excessive du droit d’auteur pourrait conférer un monopole aux producteurs de l’œuvre. Or, le monopole est rarement la solution optimale : le prix de chaque exemplaire risquerait d’être trop élevé, et le nombre d’exemplaires distribués, trop faible. En outre, comme chaque œuvre est manifestement le résultat indirect d’autres qui l’ont précédée, le nombre et la qualité des œuvres, en état stationnaire, finiraient par diminuer à l’excès. Comme le dit un aphorisme souvent cité, « un nain sur les épaules d’un géant voit plus loin que le géant lui-même ». Si les redevances de droit d’auteur sont trop élevées, le niveau d’utilisation risque d’être sous-optimal, puisque la distribution des œuvres s’en trouvera limitée dans une trop grande mesure. La gratuité de l’utilisation ne va pas non plus sans problèmes. Si l’État devait financer la production des œuvres, que ce soit directement par des subventions aux créateurs ou indirectement en enregistrant chaque utilisation, comment pourrait-il établir les valeurs relatives des œuvres produites afin de rémunérer les créateurs comme il convient ? Il pourrait vouloir contenir ses dépenses, les réduire ou même les lier à des facteurs arbitraires, au détriment des créateurs comme des utilisateurs. Quel créateur serait prêt à consacrer temps et ressources à la production d’une œuvre de qualité, si son prix de vente dépend du bon vouloir de l’appareil d’État ? La gratuité de l’utilisation (de la distribution) aurait probablement la même conséquence que des redevances trop élevées : l’évolution de la connaissance et des idées ralentirait, en raison cette fois de la sous-production d’œuvres de qualité plutôt que de la limitation excessive de la distribution des œuvres. Quelle position adopter entre les deux extrêmes que représentent, d’une part, l’attribution aux créateurs d’une position de force sur le marché au moyen de droits de propriété intellectuelle et de fortes redevances, et, d’autre part, la gratuité de l’utilisation et de la reproduction des œuvres que permettrait la fixation de faibles redevances ? Le problème est complexe : sans une forme quelconque de monopole légal, il est probable qu’on produira trop peu de biens d’information, mais l’existence d’un monopole de cette nature aura probablement pour conséquence de réduire à l’excès l’utilisation de tels biens. Concepts et principes économiques invoqués... 1091 L’analyse économique peut proposer des réponses à ces questions. Mais, évidemment, ces solutions ne seront pas entièrement efficientes ou optimales, c’est-à-dire qu’elles ne permettront pas d’atteindre l’optimum sans compromis qui détermine, en situation d’information complète, le niveau de production et de consommation propre à maximiser le bien-être global des citoyens, y compris les créateurs ou producteurs aussi bien que les utilisateurs ou consommateurs. Tout l’art consiste à trouver une solution utile qui puisse être appliquée à faible coût tout en se rapprochant de l’optimum. On peut se faire une idée de la complexité de la tâche en observant les efforts considérables actuellement déployés au nom des titulaires de droits sur la musique enregistrée pour définir de nouveaux modèles opérationnels capables d’équilibrer, d’une part, les droits des auteurs, compositeurs, artistes-interprètes et producteurs, et, d’autre part ceux des consommateurs et des utilisateurs, dans le contexte d’une évolution technologique qui rend potentiellement disponible le répertoire complet des œuvres musicales enregistrées pour un coût marginal négligeable. Comme il ne sera pas possible d’appliquer une solution complètement efficiente (optimum sans compromis), il importe de se rappeler que, dès qu’on envisage des solutions soumises à des contraintes d’information, le mieux devient l’ennemi du bien : en effet, les choses ont tendance à mal tourner quand on veut ménager la chèvre et le chou. Examinons de plus près la notion de droit d’auteur. L’objectif de principe général du droit d’auteur est d’encourager la création aussi bien que la diffusion d’œuvres originales. La politique y afférente doit en même temps être équitable et promouvoir l’efficience économique. Les buts du droit d’auteur sont les suivants1. Premièrement, promouvoir la création d’œuvres originales de qualité et diverses en permettant aux créateurs de tirer des revenus de leur travail, de manière à produire de fortes incitations à la création de telles œuvres. Deuxièmement, promouvoir l’accès à des œuvres originales de qualité et diverses en faisant en sorte que le marché des œuvres soit libre, exempt d’obstacles économiques à l’entrée, et en permettant aux nouveaux créateurs de concurrencer ceux qui sont déjà en place. Troisièmement, faire en sorte que les redevances de licences soient fixées à un niveau équitable et ne deviennent pas un obstacle 1. Voir entre autres à ce sujet ROBERT (Jacques), « An evaluation of the collective copyright management in Canada », dans BOYER (Marcel) et al. (dir.), Intellectual Property and Competition Law (Toronto :Irwin Law, 2009). 1092 Les Cahiers de propriété intellectuelle à une diffusion suffisante des œuvres. Or, ces objectifs sont quelque peu contradictoires. D’un côté, on voudrait un accès libre et gratuit à toutes les œuvres de création, mais de l’autre, on doit reconnaître aux créateurs le droit à une juste rémunération de leurs efforts. Les incitations à créer sont au centre de ces questions. 2.2 Le principe de l’acheteur et du vendeur consentants et le concept de volonté de payer La Loi sur le droit d’auteur du Canada a été modifiée en 1997 sous le rapport des droits des artistes-interprètes et de ceux des producteurs d’enregistrements sonores. Les articles 15 et 19 de la Loi ainsi modifiée conféraient aux artistes-interprètes de nouveaux droits, notamment celui de recevoir une rémunération équitable pour l’exécution en public ou la communication au public de leurs prestations fixées dans des enregistrements sonores publiés. Selon cette disposition, le radiodiffuseur qui communique au public une prestation fixée dans un enregistrement sonore doit verser une rémunération équitable à la société de gestion compétente, à condition que l’artiste-interprète soit canadien ou ressortissant d’un pays ayant ratifié la Convention de Rome. Les modifications apportées à la Loi sur le droit d’auteur adoptées en 1997 étendent aussi les droits afférents aux enregistrements sonores qui font l’objet de l’article 182. La nouvelle version de la Loi étend en effet aux producteurs d’enregistrements sonores le droit à une rémunération équitable au titre de l’exécution en public ou de la communication au public par télécommunication de tels enregistrements publiés. Ce droit à rémunération des producteurs se limite aux Canadiens et aux ressortissants des pays parties à la Convention de Rome, ou aux enregistrements sonores effectués au Canada ou dans un pays partie à ladite Convention. Comme dans le cas des droits des artistes-interprètes, les dispositions prévoyant la rémunération équitable des producteurs prévoient que cette rémunération doit être versée à une société de gestion3. Le taux des droits d’auteur à payer pour l’utilisation d’œuvres musicales protégées devrait être fondé sur le montant que les utilisateurs seraient disposés à payer s’ils opéraient sur un marché fonctionnel des droits d’utilisation des enregistrements sonores 2. Il est intéressant de noter que les stations de radio américaines ne sont pas tenues de payer quoi que ce soit aux artistes-interprètes ou aux producteurs pour la communication au public d’enregistrements sonores publiés. 3. La Loi sur le droit d’auteur du Canada et la Commission du droit d’auteur favorisent nettement la gestion collective des droits. Concepts et principes économiques invoqués... 1093 en question. La rémunération équitable correspond au niveau de rémunération qui s’établirait sur un marché concurrentiel où des acheteurs et des vendeurs consentants, tous « preneurs de prix », traiteraient librement. La volonté de payer est un concept apparenté. Elle correspond à la valeur différentielle que les œuvres protégées par le droit d’auteur créent pour l’utilisateur. La notion de volonté de payer, bien que différente de la notion de capacité de payer, que nous examinerons plus loin, n’est pas sans rapport avec elle. Or, dans sa décision de 2009 sur les services de radio par satellite4, la Commission a mis en question le concept de volonté de payer. On y lit en effet ce qui suit : L’approche fondée sur la volonté de payer [...] repose sur l’hypothèse que les services par satellite seraient disposés à payer le même montant pour un nouvel abonné-mois, peu importe que celui-ci soit attiré par la programmation musicale ou d’une entente avec un constructeur d’automobiles [...] les informations ayant trait au réseau de détail indiquent que la volonté de payer peut varier sensiblement selon les intrants [...] En conséquence, la volonté de payer pour un intrant particulier ne semble pas être un indicateur fiable de la volonté de payer pour un autre. La Commission poursuivait son raisonnement en ces termes : Lorsqu’ils ont entamé les négociations avec les constructeurs d’automobiles, les services par satellite avaient déjà engagé une bonne partie des dépenses nécessaires à la prestation du service et étaient donc disposés à payer un fort taux pour attirer de nouveaux clients, pourvu que le gain soit supérieur au coût marginal [...] Lorsqu’ils ont négocié avec les fournisseurs de contenu, les services par satellite ont pu démontrer qu’ils devaient engager d’importants frais de démarrage pour assurer le service et que, par conséquent, leur marge bénéficiaire n’était pas très élevée. Une fois que le service est assuré et que certains coûts sont inévitables, les positions de négociation changent [...] C’est pourquoi nous sommes d’avis que le modèle fondé sur la volonté de payer est fondamentalement inadéquat 4. Services de radio par satellite, SOCAN (2005-2009), SCGDV (2007-2010) et CMRRA/SODRAC inc. (2006-2009), 8 avril 2009. 1094 Les Cahiers de propriété intellectuelle pour l’établissement d’un tarif. En règle générale, l’ordre d’arrivée d’un intrant particulier au cours du processus de développement d’une entreprise ne doit pas influer sur le tarif. Dans les documents qu’elle a déposés dans l’affaire de 2004 relative aux services sonores payants numériques (SSPN)5, la société de gestion CSI soutenait que le tarif que les SSPN devaient lui verser pour l’utilisation des droits d’auteur applicables devait être fondé sur le montant que lesdits SSPN seraient disposés à payer s’ils opéraient sur un marché fonctionnel ou dans le cadre d’une vente aux enchères des droits sur les œuvres musicales en question. Elle fondait cette thèse sur trois raisons principales. Premièrement, les SSPN présentent toutes les caractéristiques d’un secteur de monopole naturel, même s’ils se trouvent dans une mesure limitée en concurrence avec la radio commerciale, qui produit et vend un substitut imparfait de ces services. Deuxièmement, la loi du prix unique doit être simultanément appliquée à de multiples niveaux ou sur des marchés multiples mais apparentés, soit à tous les intrants (notamment aux œuvres musicales, au capital et à l’entrepreneuriat des points de vue de la quantité et de la qualité, qui sont des intrants clés des SSPN aussi bien que de la radio commerciale) et à tous les produits de substitution imparfaite. Troisièmement, le secteur de la production d’œuvres musicales (auteurs, artistes-interprètes et producteurs) se caractérise par une vive concurrence et la libre entrée. Si des redevances plus élevées sont perçues, il est permis de s’attendre à ce que plus d’auteurs, d’artistes-interprètes et de producteurs entrent dans le secteur ou étendent leurs activités afin de s’assurer une part de l’accroissement des ressources ou du marché. Pour utiliser comme il se doit le concept de volonté de payer, il faut résoudre deux problèmes. Premièrement, il faut déterminer le prix propre à faire en sorte que les utilisateurs, par exemple les SSPN, reçoivent une rémunération juste et équitable, c’est-à-dire, entre autres, que le rendement du capital corrigé du risque (RAROC) soit concurrentiel dans le secteur ou au niveau des utilisateurs, et que soient équitablement rémunérés aussi les compositeurs, les interprètes et les producteurs. Deuxièmement, il faut prendre en compte l’effet de l’ordre dans lequel le concept de la volonté de payer est appliqué aux facteurs de production, notamment les droits d’utilisation des biens ou œuvres en question : plus les titulaires de droits apparaissent tard dans la chaîne de rémunération, moins les utilisa5. La demande a été retirée avant les audiences en raison de la conclusion d’un accord entre les parties. Concepts et principes économiques invoqués... 1095 teurs peuvent se trouver disposés à payer. Nous reviendrons plus loin sur ces problèmes. 2.3 La Commission du droit d’auteur en tant que substitut de marchés concurrentiels et de négociations éclairées En un sens, l’équilibre de marché entre acheteurs et vendeurs consentants sur le marché considéré peut impliquer des ajustements sur les marchés apparentés des autres intrants du secteur, par exemple le capital, la main-d’œuvre et les matières. Tous les intrants ou facteurs de production qui contribuent au dégagement de recettes pour une entreprise ou un secteur d’activité devraient être rémunérés comme il convient à leurs niveaux respectifs d’équilibre concurrentiel. En effet, si le prix d’un intrant déterminé, par exemple les enregistrements sonores, était fixé au-dessous – l’inverse s’ensuivant si le prix était fixé au-dessus – de son niveau d’équilibre concurrentiel, d’autres intrants (comme la main-d’œuvre directe ou le capital) pourraient s’emparer d’une partie de la contribution des enregistrements sonores à la valeur de l’entreprise ou du secteur d’activité, ce qui entraînerait la conséquence socialement coûteuse d’une mauvaise affectation des ressources. Il est très difficile d’établir comment il conviendrait de fixer la rémunération juste et équitable, par exemple des auteurs, compositeurs, artistes-interprètes et producteurs, étant donné les caractéristiques très particulières du secteur d’activité et l’absence d’un processus adéquat. La notion de rémunération appropriée, juste ou équitable ne fait pas problème, puisque tous s’entendent pour dire qu’elle correspond au niveau de rémunération qui s’établirait sur un marché concurrentiel où acheteurs et vendeurs consentants, tous preneurs de prix (c’est-à-dire incapables de fixer le prix), traiteraient librement jusqu’au point où la valeur marginale d’une transaction additionnelle pour les acheteurs (demande) égalerait exactement le coût marginal de cette même transaction pour les vendeurs (offre). La Commission du droit d’auteur a ainsi pour fonction de se substituer à un tel marché concurrentiel pour établir quel serait le prix ou la rémunération de concurrence sur ce marché s’il existait et fonctionnait de manière efficace. Pour ce faire, la Commission recherche des indicateurs éclairants et pertinents, aptes à servir de points de référence, de ce qu’un tel prix ou une telle rémunération serait et devrait être. Ces indicateurs ou points de référence peuvent revêtir diverses formes : information sur le secteur d’activité ; information sur le comportement des exploitants ou des entreprises – 1096 Les Cahiers de propriété intellectuelle acheteurs et vendeurs potentiels – des deux côtés du marché ; prix des produits ou services de substitution ; processus concurrentiels virtuels ou simulés ; etc. 2.4 La recherche de points de référence adéquats et les corrections y afférentes 2.4.1 Prix unitaire ou pourcentage des recettes Les droits d’auteur à payer sont parfois exprimés en prix par unité physique et parfois en pourcentage d’une mesure comptable. Un exemple de la première formule est la redevance pour la copie privée, qui est établie en cents par unité de support vendue (audiocassette ou CD). Un exemple de la seconde formule est le taux appliqué à la radiodiffusion d’œuvres musicales et d’enregistrements sonores par la radio commerciale, qui est mesuré en pourcentage des recettes. Cependant, un pourcentage n’est pas un prix. Il n’y a aucune raison de penser que le juste prix à payer pour les mêmes intrants, à savoir les droits sur les exécutions, les enregistrements sonores et les œuvres musicales, correspondrait au même pourcentage de recettes, quelles que soient les caractéristiques des secteurs d’activité en question. L’utilisation du même pourcentage entraînerait en général la fixation de prix erronés dans l’un ou l’autre des secteurs, étant donné qu’un prix déterminé, exprimé en unités monétaires, qu’on applique aux mêmes intrants utilisés dans deux secteurs différents représente en général des pourcentages très différents de la valeur des extrants de ces secteurs. Prenons un exemple simple pour illustrer cette différence. Supposons qu’on veuille établir quel devrait être le prix de la quantité de peinture nécessaire pour peindre une habitation à loyer modique (HLM) d’une valeur de 100 000 $ et qu’on adopte comme point de référence le coût de la peinture de même qualité nécessaire pour peindre un appartement de même taille, mais situé dans un immeuble de luxe et valant dix fois plus, soit 1 000 000 $. Il est évident que le coût de la même peinture pour les deux appartements devrait être le même si la loi du prix unique s’applique sur le marché des intrants (peintures). Supposons encore que le coût de la peinture utilisée pour l’appartement de luxe soit de 1 000 $, ce qui représente 0,1 pour cent de la valeur de celui-ci. Si l’on considère ce même pourcentage de 0,1 pour cent comme le « prix » à payer pour la peinture de Concepts et principes économiques invoqués... 1097 l’HLM, on obtient, exprimé en termes absolus, un prix de 100 $ (0,1 x 100 000 $), soit un dixième du coût de la même quantité de la peinture de même qualité utilisée pour l’appartement de luxe, ce qui est une contradiction. En fait, les contributions respectives des mêmes quantités de peinture de même qualité à la valeur des deux appartements sont très différentes : cette contribution est beaucoup plus élevée dans le cas de l’HLM que dans le cas de l’appartement de luxe, dix fois plus dans notre exemple. Si l’on applique ce raisonnement, par exemple, aux secteurs de la radio commerciale et des services sonores payants numériques (SSPN), on arrive à la conclusion que le même prix pour les mêmes droits sur les mêmes œuvres musicales, exprimé en pourcentage, représentera un pourcentage beaucoup plus élevé dans le secteur des SSPN, à faible valeur ajoutée, où les enregistrements sonores forment le principal intrant variable, que dans le secteur de la radio commerciale, à valeur ajoutée plus forte, où les enregistrements sonores ne sont qu’un intrant parmi bien d’autres. Nous avons donc un même prix, mais des pourcentages très différents. Une application erronée du pourcentage risque d’entraîner un conflit entre deux principes fondamentaux de la théorie économique. D’un côté, la loi du prix unique devrait s’appliquer : des produits semblables sur les mêmes marchés devraient se vendre à des prix semblables. De l’autre, les secteurs d’activité, par exemple la radio commerciale et les SSPN, devraient aussi avoir une rentabilité égale, mesurée par le rendement du capital corrigé du risque (RAROC). En effet, si l’entrée et la sortie sont relativement libres dans l’un et l’autre secteurs, celui qui est le plus rentable devrait attirer un nombre net plus élevé de nouveaux acteurs, cette entrée nette favorisant la convergence des taux de rentabilité corrigée du risque dans les deux secteurs. L’une ou l’autre de ces deux formules de rémunération – la redevance fixe et le pourcentage des recettes – pourrait émerger de négociations entre les utilisateurs et les titulaires des droits sur les œuvres musicales. Aucun principe économique n’interdit de calculer les redevances de droit d’auteur en pourcentage des recettes ou des bénéfices, dans le cadre d’une décision de partage des risques. Cependant, s’il est demandé aux auteurs, artistes-interprètes et producteurs d’œuvres musicales de participer à un accord de partage des risques axé sur le développement d’un marché donné, ils devraient avoir droit à une somme au titre du RAROC (rendement du capital corrigé du risque) correspondant à leur investissement. 1098 Les Cahiers de propriété intellectuelle Les économistes financiers et les gestionnaires estiment couramment le RAROC selon l’investissement, l’investisseur, l’entreprise et le secteur d’activité en se fondant sur le taux hors risque (normalement, le taux de rendement d’obligations de l’État de qualité supérieure), la prime de risque établie sur les marchés financiers (normalement, la différence entre un portefeuille de titres bien diversifié et le taux hors risque), et le niveau ou la « quantité » de risque systématique que l’investissement représente, mesuré par son coefficient bêta. On pourrait appliquer une méthode de même nature à l’établissement du RAROC qui reviendrait aux titulaires des droits d’auteur dans le cadre d’accords de partage de risques. 2.4.2 Ratios Dans sa décision de 2006 sur le tarif applicable aux sonneries6, la Commission examine la possibilité d’utiliser le ratio entre deux droits dans une affaire donnée comme point de référence du ratio entre les mêmes droits dans une autre affaire. Elle renvoie à une décision de 20037, la première qu’elle ait rendue sur la question du tarif applicable à la reproduction d’œuvres musicales par les stations de radio commerciales. Elle cite, parmi les facteurs qu’elle avait pris en considération dans cette dernière décision, la nature accessoire ou facultative du droit de reproduction dans l’exploitation d’une station de radio commerciale, dans la mesure où celle-ci peut fonctionner sans reproduire d’œuvres musicales. Afin de ne pas faire obstacle à l’adoption de nouvelles technologies de radiodiffusion, la Commission avait décidé, sur le fondement des facteurs susdits, de fixer un tarif (avant correction en fonction du répertoire) d’environ un tiers du taux retenu pour le droit de communication, considéré comme nécessaire ou essentiel. Pour ce qui concerne le marché des sonneries, la Commission a jugé accessoire et facultatif le droit de communication plutôt que le droit de reproduction, ajoutant cependant que « [l]e modèle opérationnel actuel des fournisseurs de sonneries dépend de manière cruciale du droit de communication et [que] ceux-ci ne connaîtraient pas le succès dont ils jouissent maintenant s’ils cessaient d’utiliser ce droit » (non souligné dans l’original). En effet, sur le marché des sonneries, les fournisseurs utilisent systématiquement le droit de communication pour livrer leurs produits à la clientèle. Il n’était pas 6. Sonneries, tarif 24 de la SOCAN (2003-2005), août 2006. 7. Stations de radio commerciales, CMRRA/SODRAC inc. – CSI (2001-2004), mars 2003. Concepts et principes économiques invoqués... 1099 vraiment envisageable de changer le modèle opérationnel, de sorte que la Commission a formulé la conclusion suivante : « Dans ce contexte, la possibilité que le tarif que nous homologuons vienne réduire significativement l’utilisation de ces technologies est mince ». En conséquence, dans sa décision sur les stations de radio commerciales, la Commission a établi un ratio de un à trois entre le droit qu’elle estimait accessoire, c’est-à-dire le droit de reproduction, et le droit qu’elle considérait comme nécessaire, à savoir le droit de communication. Mais dans sa décision relative au marché des sonneries, elle a établi un ratio de un à deux entre le tarif applicable au droit de communication, considéré comme accessoire, et le tarif applicable au droit de reproduction, jugé nécessaire, étant donné l’importance relative du droit accessoire dans les deux cas. Elle a considéré que le droit accessoire dans l’affaire de la radio commerciale, soit le droit de reproduction, était plus accessoire que le droit accessoire défini dans l’affaire des sonneries, à savoir le droit de communication. Selon la Commission, le fournisseur de sonneries utilisait d’abord et avant tout le droit de reproduction, tandis qu’il ne se servait du droit de communication que pour livrer la sonnerie en tant que reproduction, donc en quelque sorte par commodité. La Commission a conclu sa décision sur le tarif des sonneries en fixant le droit de communication à la moitié de la valeur du droit de reproduction. La Commission a appliqué un raisonnement semblable dans sa décision de 2007 sur les services de musique en ligne8. Elle s’y référait aux décisions précitées sur les sonneries et sur la radio commerciale, où elle avait « établi au moyen d’une analyse par ratio la valeur du droit de communication par rapport à celle du droit de reproduction ». Elle avait fixé, entre le droit accessoire et le droit essentiel, un ratio de un à deux dans le cas des sonneries, et de un à trois dans le cas de la radio commerciale. Dans l’affaire des services de musique en ligne, la Commission estimait à la même valeur l’ensemble des droits de communication et de reproduction pour les transmissions sur demande, les téléchargements permanents et les téléchargements limités, mais considérait comme différentes selon le cas les valeurs relatives des deux droits. « Le consommateur qui achète un téléchargement permanent, expliquait la Commission, achète une reproduction, qui lui est livrée par une communication. Pour les téléchargements limités, les droits de communication et de reproduction ont à peu près la même importance [...] Dans le cas des transmissions 8. Services de musique en ligne, tarif 22.A de la SOCAN (1996-2006), octobre 2007. 1100 Les Cahiers de propriété intellectuelle sur demande, le consommateur achète la communication ; la reproduction ne fait qu’y faciliter la communication ». La Commission a fixé à 12,2 pour cent le taux de l’ensemble des droits pour les trois services, et respectivement à 28 pour cent, 51 pour cent et 62 pour cent la part revenant au droit de communication. En résumé, la Commission a dégagé quatre critères principaux pour établir le ratio approprié entre deux droits. Premièrement, il faut analyser l’utilisation du droit et son importance relative dans la branche d’activité considérée. Deuxièmement, il faut établir si le droit en question est facultatif ou essentiel : l’exercice d’un droit facultatif aura moins de valeur que l’exercice d’un droit essentiel. Troisièmement, il faut mesurer la nature et l’étendue du droit de reproduction lorsqu’on établit des ratios pour deux marchés différents. Enfin, il faut définir correctement la pertinence du marché de référence : le tarif fixé pour un droit donné sur un marché de référence peut ne pas convenir pour fixer le tarif du même droit sur un marché cible, mais le ratio entre les valeurs respectives des deux droits sur le marché de référence peut se révéler utilisable pour établir un ratio entre ces deux droits sur le marché cible. 2.4.3 Les processus comme points de référence Le point de référence n’est pas nécessairement un simple prix ; on peut aussi l’envisager comme un processus au moyen duquel peut être calculée la rémunération appropriée de l’utilisation d’œuvres protégées. La question principale à cet égard peut se formuler comme suit : quel serait le taux concurrentiel de redevances que le secteur utilisateur paierait pour les droits musicaux sur un marché concurrentiel dans le cas où il en existerait un et où il fonctionnerait de manière efficiente ? Ou encore : peut-on imaginer un processus autre que le fonctionnement d’un marché concurrentiel par lequel s’établirait un taux concurrentiel de rémunération des droits musicaux ? On peut par exemple supposer une vente aux enchères pour l’utilisation non exclusive des droits considérés : combien l’utilisateur serait-il prêt à débourser pour de tels droits ? La réponse est à chercher dans la valeur marginale ou différentielle de ces droits pour l’utilisateur en question. Comme je le disais plus haut, la recherche de points de référence acceptables peut et doit s’entendre, au sens large, comme comprenant la recherche de processus aptes à remplir cette fonction. Par exemple, le tarif que les services sonores payants numériques (SSPN) doivent verser à la société de gestion CSI pour l’utilisation Concepts et principes économiques invoqués... 1101 des droits d’auteur sur les œuvres musicales en question pourrait être basé sur ce qu’ils seraient disposés à payer sur un marché fonctionnel ou dans une vente aux enchères de ces droits. Rappelons les trois raisons principales sur lesquelles se fonde cette proposition. Les SSPN ont toutes les caractéristiques d’un secteur de monopole naturel, même s’ils se trouvent dans une mesure limitée en concurrence avec la radio commerciale, qui produit et vend un substitut imparfait de ces services. La loi du prix unique doit être simultanément appliquée à de multiples niveaux ou sur des marchés multiples mais apparentés, soit à tous les intrants (notamment aux œuvres musicales, au capital et à l’entrepreneuriat sous les rapports de la quantité et de la qualité, qui constituent les intrants clés des SSPN aussi bien que de la radio commerciale) et à tous les extrants de substitution imparfaite. Le secteur de la production d’œuvres musicales (auteurs, artistes-interprètes et producteurs) se caractérise par une vive concurrence et la libre entrée, de sorte que, si les redevances augmentent, on peut légitimement s’attendre à ce qu’un plus grand nombre d’auteurs, d’artistes-interprètes et de producteurs étendent leurs activités de création ou entrent dans le secteur, afin de s’assurer une part de l’accroissement des redevances ou du marché. La Commission a refusé d’entériner cette approche pour diverses raisons, mais n’en a pas moins admis les fondements. Elle déclarait ce qui suit dans sa décision de 2009 sur les services de radio par satellite9 : [...] nous sommes d’avis que le modèle fondé sur la volonté de payer est fondamentalement inadéquat pour l’établissement d’un tarif. En règle générale, l’ordre d’arrivée d’un intrant particulier au cours du processus de développement d’une entreprise ne doit pas influer sur le tarif. La Commission a raison de voir dans l’ordre d’arrivée une contrainte importante de la mesure de la valeur différentielle. La réponse des théoriciens de l’économie à ces préoccupations est un concept de la théorie des jeux coopératifs, à savoir la valeur de Shapley, que nous examinerons plus loin, dans la section sur les nouveaux modèles économiques. 9. Services de radio par satellite, SOCAN (2005-2009), SCGDV (2007-2010) et CMRRA/SODRAC inc. (2006-2009), 8 avril 2009. 1102 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.4.4 La capacité de payer : exclusion et ajustement La Commission a déclaré à plusieurs reprises que la capacité de payer est l’un des facteurs qui peuvent être pris en considération dans l’établissement des tarifs. Dans certaines affaires, elle s’est contentée de constater, sur le fondement de la preuve, qu’il n’existait aucun problème sur le plan de la capacité de payer. Dans d’autres affaires, elle a accordé des réductions pour une durée déterminée. Dans sa décision de 1993 touchant les droits à percevoir sur l’exécution au Canada d’œuvres musicales ou dramatico-musicales10, la Commission s’exprime ainsi : « La Commission a établi par le passé que la capacité de payer est un facteur, parmi tant d’autres, dont on peut tenir compte dans l’établissement du prix de la musique ». De même, la décision de 2003 sur les droits de reproduction s’appliquant à la radio commerciale11 rappelle que « [l]a Commission a toujours reconnu qu’un tarif équitable doit prendre en compte la capacité de payer des utilisateurs visés ». On peut lire ce qui suit dans la décision que la Commission a rendue en 2009 sur les redevances que doivent verser les services de radio satellitaire à canaux multiples par abonnement12 : Les services par satellite n’ont pas encore rentabilisé leurs activités. Cela n’est pas surprenant dans un secteur qui est dans une phase de développement initial et qui doit supporter des coûts fixes élevés. Toutefois, les informations disponibles montrent clairement que ce secteur est dans une situation financière plus précaire que beaucoup d’autres. Les services par satellite ont enregistré des pertes importantes depuis qu’ils ont lancé leurs activités. Les coûts fixes initiaux, qui constituent environ 85 pour cent du total des coûts d’exploitation, expliquent en partie ces difficultés sur le court terme. En outre, les services de radio par satellite doivent supporter des coûts d’acquisition de la clientèle très élevés. C’est pourquoi les deux services affichent à l’heure actuelle des pertes qui excèdent très largement leurs revenus d’abonnement. La situation financière de l’industrie devrait s’améliorer considérablement à mesure qu’augmentera le nombre d’abonnés à la radio satellitaire. De 10. Tarif des droits à percevoir pour l’exécution au Canada d’œuvres musicales ou dramatico-musicales en 1990, 1991, 1992 et 1993, tarifs multiples de la SOCAN, décembre 1993. 11. Stations de radio commerciales, CMRRA/SODRAC inc. (2001-2004), mars 2003. 12. Services de radio par satellite, SOCAN (2005-2009), SCGDV (2007-2010) et CMRRA/SODRAC inc. (2006-2009), avril 2009. Concepts et principes économiques invoqués... 1103 fait, les services par satellite prévoient franchir le seuil de rentabilité vers 2010 [...] Nous croyons qu’un escompte initial devrait être appliqué à ces tarifs, comme cela s’est déjà fait dans le passé pour d’autres tarifs. Toutefois, pour les raisons que nous venons d’exposer, nous pensons que cet escompte devrait être plus élevé que d’habitude. Nous appliquerons donc un escompte de 25 pour cent de 2005 à 2007, cette dernière étant la première année où les trois tarifs seront en vigueur simultanément, et de 10 pour cent en 2008 et 2009, dernière année pour laquelle nous croyons qu’un escompte devrait s’appliquer. Quelle qu’en soit la forme, la contrepartie qu’on demandera aux utilisateurs pour un intrant donné représentera un fardeau pour eux, et certains seront exclus du marché en raison de leur incapacité à payer les intrants. C’est le cas sur tous les marchés, d’intrants ou d’extrants. En règle générale, les divers services du travail et les fournisseurs des autres facteurs de production reçoivent une rémunération concurrentielle (salaire ou prix), sans égard pour la rentabilité de l’entreprise ou du secteur. C’est le propriétaire du capital qui supporte la charge du risque et de la non-rentabilité à court terme. Cependant, rien n’empêche les fournisseurs d’intrants d’accepter volontairement une rémunération plus faible à court terme, comme contribution au développement du marché ou du secteur, ou comme investissement dans ce développement, si cette contribution ou cet investissement paraît rentable, c’est-à-dire s’il y a lieu de prévoir que les pertes ou le manque à gagner subis au départ permettront de dégager plus tard des gains intéressants. La capacité de payer n’est généralement pas prise en considération pour la rémunération des intrants sur un marché parvenu à maturité ou dans un secteur bien établi, mais elle pourrait néanmoins être un facteur pertinent dans une entreprise en démarrage ou un secteur émergent, en particulier si l’intrant en question est crucial et essentiel. Dans l’affaire des services sonores payants numériques (SSPN), par exemple, on a soutenu que la question de savoir si la capacité de payer devrait ou non entrer en considération dans l’établissement des redevances, c’est-à-dire s’il convient ou non qu’un taux de redevance générale soit indexé sur le niveau de rentabilité des services, n’est aucunement une particularité du secteur des SSPN, mais relève plutôt d’une décision endogène de partage des risques liés au développement du marché des SSPN, prise de concert par ceux-ci et certains fournisseurs d’intrants (en l’occurrence les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs d’œuvres musicales). 1104 Les Cahiers de propriété intellectuelle Aucun principe économique n’interdit de calculer des redevances de droit d’auteur en pourcentage des recettes ou des bénéfices, ce pourcentage augmentant en proportion de la rentabilité dans le cas où celle-ci peut être évaluée et vérifiée de manière satisfaisante. Il s’agit alors d’une décision de partage des risques. Encore une fois, si l’on demande aux auteurs, aux artistes-interprètes et aux producteurs d’œuvres musicales de participer à un accord de partage des risques liés au développement d’un marché, d’un secteur d’activité ou d’une entreprise, ils devraient avoir droit à un RAROC (rendement du capital corrigé du risque) sur leur investissement ; ainsi, sur la durée, la rémunération (incertaine ou aléatoire) des droits d’auteur sur la musique dans le cadre d’un accord de partage des risques sera en moyenne plus élevée que la rémunération des mêmes droits, qu’elle soit calculée à l’unité ou autrement, dans le cadre d’un accord de type courant. 3. LES PRINCIPES INVOQUÉS ET APPLIQUÉS DANS LES AFFAIRES DE COPIE PRIVÉE La Commission écrivait ce qui suit dans sa décision de janvier 2001 sur la copie privée13 : La décision de la Commission de traiter la copie privée comme un « marché secondaire » en 1999 est sans doute celle qui a suscité le plus de débats. Or, le fait qu’on ait ou non affaire à un « marché » importe peu. Ce qui importe vraiment, c’est de savoir si l’activité de copie privée a ou non un caractère accessoire pouvant agir sur le montant à verser pour le droit de reproduction, sans lequel cette activité ne peut tout simplement pas avoir lieu. Elle a toutefois reconnu qu’il n’est « pas déraisonnable » de soutenir que, toutes choses étant égales par ailleurs, le droit de reproduction devrait faire l’objet de la même rémunération, qu’il soit attaché à un original ou à une copie de haute qualité, puisque dans les deux cas le produit final est essentiellement le même. La Commission a relevé deux facteurs qui pourraient entraîner une diminution de la valeur attribuée par le consommateur au droit de reproduction dont il a besoin pour la copie privée : premièrement, pour la moitié des consommateurs, les copies sont des secondes 13. Tarif des redevances à percevoir par la SCPCP en 2001 et 2002 pour la vente de supports audio vierges au Canada, janvier 2001. Concepts et principes économiques invoqués... 1105 copies ; deuxièmement, tout en reconnaissant que la valeur du contenu peut être de beaucoup supérieure à celle du contenant, la Commission fait observer qu’« établir le prix du droit de reproduction nécessaire à l’activité de copie privée au même niveau que celui du droit de reproduction servant à produire un CD préenregistré entraînerait une résistance du consommateur ». Elle ne précise cependant pas les motifs d’une telle résistance. La Commission a aussi recensé trois facteurs qui pourraient faire augmenter la valeur attribuée par le consommateur au droit de reproduction dont il a besoin pour la copie privée : premièrement, la moitié des copies privées sont les seules que le consommateur possède ; deuxièmement, la valeur d’une caractéristique (le droit de reproduction) peut augmenter lorsque d’autres caractéristiques (par exemple la totalité des frais d’emballage et la plus grande partie des frais de vente au détail) sont absentes ; troisièmement, les copies servent habituellement à faire des compilations de plages prises isolément ou de sélections plutôt qu’à reproduire des albums complets, ce qui pourrait disposer le consommateur à payer plus pour le droit de reproduction de l’album composé : « Il se peut à plus long terme que les consommateurs acceptent de payer davantage pour la musique qu’ils convoitent, s’ils n’ont pas à payer pour celle dont ils ne veulent pas ». La Commission a finalement décidé de réduire l’escompte, qu’elle avait fixé à 50 pour cent dans sa décision antérieure, pour le porter à 37,5 pour cent. Au cours des audiences sur la copie privée de 2000 et de 2003, la SCPCP a soutenu que la musique, en tant que telle, enregistrée sur des copies privées tirées d’un ou de plusieurs CD a normalement pour le consommateur une valeur égale à celle de la même musique enregistrée sur des CD originaux. Le fait que les consommateurs produisent des copies pour écouter plus commodément leur musique préférée ne change rien à cette conclusion. La SCPCP a proposé deux exemples à l’appui de sa thèse : les consommateurs qui déjeunent au même restaurant trois fois par semaine doivent payer chaque fois le même prix même s’ils consomment chaque fois la même chose, et les consommateurs qui prennent un taxi plusieurs fois par semaine pour le même trajet doivent payer le même prix pour chaque course. Dans de tels cas, la loi de l’utilité marginale décroissante, sur laquelle repose le concept de « marché secondaire » qu’emploie la Commission dans ses décisions sur la copie privée, ne s’appliquerait pas puisque la valeur de chaque unité de consommation reste constante. Le consommateur qui vient de finir de déjeuner ne sera pas 1106 Les Cahiers de propriété intellectuelle disposé à payer de nouveau le prix de son repas pour déjeuner encore immédiatement après. De même, le consommateur ne sera pas disposé à payer une deuxième course de taxi sur le même trajet immédiatement après la première. Mais sur la durée, le « même » bien peut revêtir la même valeur pour le même consommateur : la loi de l’utilité marginale décroissante s’applique à la consommation en un même point donné du temps et de l’espace, mais pas à la consommation en des points différents. Dans le cas des œuvres musicales, la consommation (l’audition) répétée du même morceau à un moment déterminé obéit vraisemblablement à la loi de l’utilité marginale décroissante. Cependant, il se pourrait bien que l’audition du même morceau de musique, répétée une ou deux fois par semaine ou par mois, représente chaque fois la même valeur pour le consommateur. Ce fait donne à penser qu’il serait déraisonnable d’affirmer que la loi de l’utilité marginale décroissante devrait être appliquée sans nuances. Si les copies permettent au consommateur d’écouter ses œuvres musicales préférées une deuxième ou une troisième fois sur une durée donnée, il paraît légitime de supposer que la loi de l’utilité marginale décroissante ne s’applique pas aux œuvres musicales en tant que telles. Il est même fort possible que leur utilité marginale augmente au lieu de diminuer. La Commission écrivait ce qui suit dans sa décision de décembre 2003 sur la copie privée14 : La SCPCP soutient que les consommateurs accordent autant de valeur à la copie privée faisant partie d’une compilation de pièces qu’à l’original faisant partie de l’album complet. La Commission ne partage pas ce point de vue. Elle concluait son raisonnement dans les termes suivants : La Commission préférerait ne pas ajouter de variantes à cet exercice déjà complexe en tentant de décomposer l’escompte lié à la « valeur accessoire ». Elle n’est pas convaincue qu’il est juste de procéder à une microanalyse ou de ratiociner sur des technicalités. Le calcul de la valeur accessoire ne peut être fait scientifiquement. Il doit plutôt servir à évaluer le sentiment des consommateurs de musique canadiens, tant du point de vue 14. Tarif des redevances à percevoir par la SCPCP en 2003 et 2004 sur la vente de supports audio vierges au Canada, décembre 2003. Concepts et principes économiques invoqués... 1107 quantitatif que qualitatif. Plus cette analyse devient technique et nuancée, plus elle s’éloigne de son objet premier. Cette dernière observation soulève des questions tout à fait différentes, quoique dignes d’attention. 4. LES PRINCIPES INVOQUÉS ET APPLIQUÉS DANS LES AFFAIRES DE RADIO COMMERCIALE Contrairement au cas de la copie privée, où le tarif a toujours été exprimé en prix unitaire, les tarifs applicables à la radio commerciale ont toujours été exprimés en pourcentages des recettes. C’est en août 199915 que la Commission a été appelée pour la première fois à « se penche[r] sur le régime dit des droits voisins, mis en place en 1997 par l’entrée en vigueur du projet de loi C-32 [L.C. 1997, ch. 24] ». La réforme du droit d’auteur opérée en 1997 conférait aux artistes-interprètes et aux producteurs remplissant les conditions de nouveaux droits appelés « droits voisins », c’est-à-dire des droits à une rémunération équitable. La Commission formulait les observations suivantes dans sa décision : Les participants abordent le concept de rémunération équitable de diverses façons. La SCGDV soutient qu’il faut l’établir uniquement en fonction des droits des titulaires. L’ACR prétend que cette rémunération doit aussi être équitable à l’endroit des utilisateurs, en plus de refléter d’autres éléments, tels l’identification précise du répertoire rémunéré et le bénéfice que tirent les titulaires de l’utilisation même des enregistrements. La Commission concluait que sa tâche consistait à « établir un tarif qui soit juste et équitable tant pour les titulaires de droits que pour les utilisateurs, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce ». Dans les conclusions présentées à l’appui de sa proposition de tarif, la SCGDV insistait sur le principe de l’acheteur et du vendeur consentants, sur le fait que les stations de radio commerciales diffusent peu de musique en direct ou d’enregistrements tombés dans le domaine public, ainsi que sur l’idée qu’une rémunération équitable doit procurer aux titulaires de droits un juste rendement de leur 15. SCGDV, tarif 1.A (radio commerciale) pour les années 1998 à 2002, août 1999. 1108 Les Cahiers de propriété intellectuelle investissement en talent et en ressources financières tout en étant fonction de la valeur tirée par les stations de radio commerciale de l’utilisation d’enregistrements sonores. Pour ce qui concerne les valeurs relatives des droits voisins des artistes-interprètes et producteurs, d’une part, et des droits d’auteur des paroliers et compositeurs, d’autre part, la Commission proposait l’observation suivante : « En définitive, c’est sans doute M. Reynolds, président d’Universal Music Canada, qui a le mieux formulé le dilemme. À son avis, tenter de déterminer l’importance relative des compositeurs et des artistes-interprètes au succès d’un enregistrement, [TRADUCTION] « c’est s’engager dans le débat classique de la poule et de l’œuf. Je ne crois pas qu’on puisse les isoler et [...] dire : celui-ci est plus important que celui-là ». Après examen des arguments des parties, la Commission est arrivée à la conclusion que le meilleur point de départ pour établir la valeur des droits voisins était la valeur des droits d’auteur des auteurs et des compositeurs (SOCAN) pour la radio commerciale, qui était depuis de nombreuses années fixée à 3,2 pour cent des recettes, et elle a déclaré ne pas avoir « de raison de croire qu’à la radio les enregistrements sonores ont une valeur supérieure aux œuvres enregistrées, et ce pour plusieurs motifs ». Par conséquent, il convenait d’attribuer une valeur égale aux deux catégories de droits, l’ancienne et la nouvelle. Après correction en fonction de l’utilisation du répertoire, on obtenait ainsi des taux de 3,2 pour cent des recettes pour la SOCAN et de 1,44 pour cent pour la SCGDV. La Commission est revenue en octobre 2005 sur la question des tarifs applicables à la radio commerciale16. Elle a alors apporté d’importants changements aux tarifs, mais sa décision a été contestée en justice, de sorte qu’elle l’a réexaminée en février 200817. Toutefois, la décision de 2008 a maintenu les tarifs fixés dans celle de 2005. Dans sa décision de 2005, la Commission a récapitulé l’histoire des droits et des tarifs à partir de 1924, année où des droits ont été conférés aux auteurs et aux compositeurs. La valeur de ces droits était alors établie par le gouvernement. On a fixé pour la première fois en 1936 un taux collectif de droits d’auteur (Commission Parker et Commission d’appel du droit d’auteur), qui a d’abord revêtu la 16. SOCAN-SCGDV, tarif 1.A (radio commerciale) pour les années 2003 à 2007, 14 octobre 2005. 17. SOCAN-SCGDV, tarif 1.A (radio commerciale) pour les années 2003 à 2007, réexamen, février 2008. Concepts et principes économiques invoqués... 1109 forme d’un versement forfaitaire fondé sur le nombre de postes récepteurs de radio, puis, après de nombreuses révisions de divers ordres, celle d’un pourcentage des recettes en 1959. Ce pourcentage a atteint 3,2 pour cent en 1978 et est resté à ce niveau pendant plus de 25 ans (la Commission du droit d’auteur a été créée en 1989), jusqu’à la décision de 2005/2008, qui s’appliquait à la période 2003-2007. Comme on l’a vu plus haut, le taux général des droits voisins a été fixé à 1,44 pour cent des recettes en 1999. Au cours des audiences qui ont abouti à la décision de 2005, la SCGDV et la SOCAN ont exposé un nouveau modèle d’évaluation visant à mieux représenter la valeur globale de leurs droits, tandis que l’ACR « recherchait un tarif qui soit davantage aligné sur les taux américains ». Après avoir refusé, pour des motifs relevant à la fois du droit et de l’économique ou du modèle d’affaires, d’aligner la pratique canadienne sur l’américaine comme le demandait l’ACR, la Commission a examiné le modèle proposé par la SCGDV (avec l’appui de la SOCAN) pour l’établissement de la valeur globale du contenu musical. Le modèle de la SCGDV portait en partie sur la répartition de cette valeur entre les titulaires de droits, proposant essentiellement l’attribution d’un tiers à chacun des groupes respectivement constitués par les auteurs-compositeurs, les artistes-interprètes et les producteurs, aspect du modèle auquel la SOCAN ne souscrivait pas puisqu’elle défendait quant à elle le statu quo, qui assignait une moitié de la valeur à chacune des deux sociétés – la SCGDV, représentant les artistes-interprètes et les producteurs, et la SOCAN, représentant les auteurs et les compositeurs. La Commission a vite écarté le modèle d’évaluation de la SCGDV : « Il n’est pas nécessaire d’examiner plus en détail le modèle de la SCGDV, a-t-elle déclaré, étant donné qu’il ne peut servir à établir un tarif juste et équitable en l’espèce ». Elle a motivé ce rejet dans les termes suivants : « Le modèle est complexe [...] (Il) présente d’importantes lacunes, à la fois dans la façon dont il arrive à une valeur globale pour les droits pertinents et dans la façon dont il répartit cette valeur parmi les titulaires de droits. Le modèle est intrinsèquement imprécis puisqu’il repose sur des hypothèses non fondées [...] Qui plus est, ce modèle est extrêmement instable. De légères fluctuations dans la part des revenus imputés à la musique produisent d’importantes variations du taux. » On trouvera plus loin un exposé sommaire du modèle de la SCGDV. 1110 Les Cahiers de propriété intellectuelle Bien qu’elle rejetât le modèle de la SCGDV, la Commission a reconnu que la valeur de la musique préenregistrée avait augmenté sensiblement depuis 1987 : les radiodiffuseurs utilisent plus de musique, laquelle contribue dans une plus grande mesure aux indices d’écoute, et ils utilisent la musique de manière plus efficiente. Sur le fondement de ces constatations, la Commission a porté les taux généraux de 3,2 pour cent à 4,2 pour cent pour la SOCAN, et de 1,44 pour cent (45 pour cent du taux de la SOCAN) à 2,1 pour cent (50 pour cent du taux de la SOCAN) pour la SCGDV, chacun de ces taux étant réduit pour des utilisateurs particuliers, tels que les stations utilisant peu de musique. Plus précisément, la Commission présentait comme suit ses nouveaux taux : Les stations de radio commerciales verseront à la SOCAN 3,2 pour cent sur la partie de leurs recettes publicitaires annuelles qui ne dépasse pas 1,25 million de dollars et 4,4 pour cent sur l’excédent ; les stations à faible utilisation verseront 1,5 pour cent. En ce qui a trait à la SCGDV, le taux s’établirait à 1,44 pour cent pour les stations dont les recettes ne dépassent pas 1,25 million de dollars, en l’absence de l’exemption législative. Le taux de 2,1 pour cent s’applique aux stations dont les recettes sont supérieures à 1,25 million et le nouveau taux de faible utilisation s’établit à 0,75 pour cent. Cette décision, réaffirmée en 2008, fait date. En effet, l’augmentation des taux et les corrections y afférentes entraînent un accroissement notable des redevances : pour l’année 2003, le nouveau tarif procurera la somme de 42,2 millions de dollars à la SOCAN, ce qui représente une augmentation de 21,1 pour cent par rapport aux 34,9 millions que l’ancien tarif lui aurait donnés pour la même année, et la somme de 13,3 millions à la SCGDV, soit 48,1 pour cent de plus que les 9,0 millions que l’ancien tarif lui aurait permis de récolter. Dans sa décision de 2008, la Commission s’est fondée principalement sur un modèle proposé par l’Association canadienne des radiodiffuseurs (le rapport Globerman). La Commission a formulé les observations suivantes au sujet de ce modèle : [...] l’ACR nous a proposé une démarche économique générale pour évaluer la valeur globale de la musique [...] (M. Globerman) suppose que la valeur de la musique est égale au prix qui serait payé par les radiodiffuseurs pour obtenir de la musique dans un marché concurrentiel. Dans un tel marché, le prix aura Concepts et principes économiques invoqués... 1111 tendance à correspondre aux recettes supplémentaires découlant de la musique ou à la valeur de la productivité marginale de la musique, lesquelles peuvent être calculées en multipliant la productivité moyenne de la musique par le prix payé par les annonceurs par heure d’écoute de musique [...] la valeur de la musique pour le radiodiffuseur est le produit de trois variables principales : la productivité moyenne de la musique, les recettes nettes par heure d’écoute de musique et le nombre d’heures de diffusion de musique. Par conséquent, bien que l’achat d’un répertoire de musique par les exploitants de stations de radio aux titulaires des droits y afférents y soit assimilé à l’acquisition d’un bien, le rapport Globerman, déposé pour le compte de l’ACR, s’apparente nettement par son esprit au rapport Audley, Boyer et Stohn (ABS), déposé au nom de la SCGDV dans l’instance de 2005 (nous examinerons plus loin la méthode ABS), encore que les deux rapports aboutissent à des propositions de tarifs très différentes, du fait qu’ils se fondent sur des données différentes pour établir la valeur latente des trois variables principales. En ce sens, les deux démarches se révèlent plutôt complémentaires que substituables l’une à l’autre. Une question examinée dans le rapport Globerman et à maintes reprises débattue devant la Commission est l’effet de l’accroissement de l’efficience dans l’utilisation d’un intrant sur le prix concurrentiel de cet intrant. Autrement dit, comment convient-il de répartir les gains d’efficience de l’utilisation du répertoire que procurent les innovations technologiques ou de gestion, en l’occurrence dans le secteur de la radio commerciale, entre les intéressés, en particulier entre les exploitants de stations de radio commerciales et les titulaires de droits d’auteur ? Les gains d’efficience dans l’utilisation du répertoire peuvent revêtir diverses formes, par exemple la réduction du coût de cette utilisation ou l’accroissement de l’aptitude ou de la capacité à produire des recettes additionnelles pour les utilisateurs. De telles variations de la rentabilité de la transformation d’un intrant en produits et services de valeur (en audience pour les annonceurs) inciteront les utilisateurs (les exploitants de stations de radio commerciales) à accroître leur demande à l’égard de cet intrant (le répertoire). Quel en sera l’effet sur le prix de l’intrant ? Tout dépend de l’élasticité du prix de l’offre de cet intrant (le répertoire). À l’évidence, l’offre d’œuvres et d’exécutions musicales se caractérise par une pente positive, dans la mesure où le talent est rare, le temps limité, et coûteux l’effort de production et d’exécution d’œuvres de haute qualité. 1112 Les Cahiers de propriété intellectuelle La Commission a utilisé « l’approche du professeur Globerman en la modifiant à certains égards pour obtenir le taux de redevance applicable ». Elle a conclu que, tout bien considéré, elle pouvait confirmer les tarifs fixés dans sa décision de 2005 : « Les taux que nous homologuons sont les mêmes que ceux homologués dans Radio commerciale 2005 ». 5. LES PRINCIPES INVOQUÉS ET APPLIQUÉS DANS L’AFFAIRE DE LA REPRODUCTION PAR REPROGRAPHIE : L’UTILISATION ÉQUITABLE ET LA THÉORIE ÉCONOMIQUE Dans sa décision de 2009 sur la reproduction par reprographie18, la Commission a pris en considération l’arrêt CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut Canada, rendu en 2004 par la Cour suprême du Canada. Celle-ci y pose que l’exception relative à l’utilisation équitable est un droit des utilisateurs, que l’équilibre entre les droits des utilisateurs et les intérêts des créateurs commande que cette exception ne soit pas interprétée de manière restrictive, et qu’il convient d’établir si une utilisation donnée est équitable selon six facteurs ou critères : le but de l’utilisation, sa nature, son ampleur, les solutions de rechange à l’utilisation, la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur le marché de l’œuvre. La Loi sur le droit d’auteur dispose qu’il est possible d’utiliser une œuvre protégée sans permission tout en restant dans la légalité. La Commission récapitule dans les termes suivants les dispositions relatives à l’utilisation équitable : L’une de ces exceptions, désormais élevées par la Cour suprême du Canada au rang de droit des utilisateurs, concerne l’utilisation équitable. Les dispositions pertinentes se lisent comme suit : 29. L’utilisation équitable [...] aux fins d’étude privée ou de recherche ne constitue pas une violation du droit d’auteur. 29.1 L’utilisation équitable [...] aux fins de critique ou de compte rendu ne constitue pas une violation du droit d’auteur à la condition que soient mentionnés : a) d’une part, la source ; b) d’autre part, si ces renseignements figurent dans la source : (i) dans le cas d’une œuvre, le nom de l’auteur [...] 29.2 L’utilisation équitable [...] pour la communication des nouvelles ne constitue pas une violation du droit d’auteur à la condition que soient mentionnés : a) d’une part, la source ; b) d’autre part, si 18. Access Copyright (établissements d’enseignement), 2005-2009, 26 juin 2009. Concepts et principes économiques invoqués... 1113 ces renseignements figurent dans la source : (i) dans le cas d’une œuvre, le nom de l’auteur [...] Devant les répercussions que l’arrêt précité de la Cour suprême risquait d’avoir sur les décisions de la Commission du droit d’auteur concernant les droits de reproduction par reprographie et leur valeur, et la possibilité ainsi ouverte que les utilisateurs de ces droits invoquent l’exception relative à l’utilisation équitable plus souvent et de manière plus large qu’auparavant, la société de gestion Access Copyright a commandé une analyse économique de la question de l’utilisation équitable à la lumière de cet arrêt. L’étude commandée par Access Copyright a été présentée et débattue devant la Commission au cours des audiences de 2009 sur la reproduction par reprographie. Les craintes d’Access Copyright n’étaient pas entièrement dénuées de fondement puisqu’on peut lire ce qui suit dans la décision de 2009 de la Commission : Les opposants soutiennent que les reproductions autorisées au titre de l’utilisation équitable sont beaucoup plus nombreuses qu’Access ne l’admet. Ce point de vue repose pour l’essentiel sur quatre prétentions. Premièrement, pratiquement toutes les copies de documents faisant partie du répertoire d’Access faites dans les écoles constituent de l’utilisation équitable. Deuxièmement, recherche, étude privée, critique et compte rendu forment les pierres angulaires du curriculum des écoles élémentaires et secondaires. Troisièmement, la copie faite à plusieurs fins est équitable dès lors que l’une de ces fins est énumérée dans les dispositions pertinentes de la Loi. Quatrièmement, la copie faite à l’initiative de l’enseignant est équitable dès lors que l’utilisateur éventuel est un étudiant et que l’utilisation met en cause une des fins énumérées dans la Loi. La Commission poursuivait en ces termes : Pour leur part, les opposants soutiennent que l’interprétation libérale que préconise CCH amène nécessairement à conclure que pratiquement toutes les copies faites en milieu scolaire bénéficient de l’exception relative à l’utilisation équitable. À leur avis, il est plus que certain que toutes les catégories mentionnées faisant l’objet d’un litige doivent être exclues du calcul des redevances. 1114 Les Cahiers de propriété intellectuelle À l’évidence, les dispositions relatives à l’utilisation équitable ont des fondements et des effets aussi bien juridiques qu’économiques. Si le présent exposé ne concerne que leurs aspects économiques, il paraît important de noter que la Commission écrivait ce qui suit à propos de l’étude économique dans sa décision de 2009 sur la reproduction par reprographie : [...] la notion d’utilisation équitable est un concept juridique, qui doit être interprété en fonction des balises posées dans CCH. Bien qu’intéressantes, [l’étude économique et sa critique] ne sont pas pertinentes. Étant donné l’importance des concepts et des principes examinés dans cette étude sur l’arrêt CCH de la Cour suprême, il semble malgré tout opportun d’en parler brièvement ici. Cette étude exposait une argumentation strictement fondée sur la théorie et l’analyse économiques, qui conduisait aux conclusions suivantes. Premièrement, il y a des motifs purement économiques à l’établissement de l’exception aux droits exclusifs des créateurs sur leurs œuvres à des fins d’utilisation équitable. Cette exception doit faire partie intégrante des droits des utilisateurs et son application ne doit pas être indûment entravée si l’on veut assurer, aujourd’hui et à l’avenir, une affectation ou une répartition efficiente des ressources en vue de la production et de la diffusion des œuvres d’une manière conforme à l’arrêt récent de la Cour suprême. Cependant, il faut définir correctement l’utilisation équitable, en particulier lorsque ses fins sont la recherche et l’étude privée, pour éviter toute atteinte involontaire au droit d’auteur et favoriser l’émergence de moyens d’échange efficients entre les utilisateurs et les créateurs d’œuvres protégées (c’est-à-dire des institutions de marché efficientes) et pour respecter en même temps les droits des uns et des autres. C’est dans ce cadre d’analyse qu’il convient d’examiner non seulement les solutions de rechange à l’utilisation d’œuvres protégées, mais aussi les solutions de rechange au recours à l’exception elle-même, en particulier à la lumière de l’arrêt CCH de la Cour suprême. Deuxièmement, certaines raisons économiques expliquent l’absence de moyens d’échange (de marchés) efficients dans le domaine du droit d’auteur, en particulier pour ce qui concerne le droit de reproduction des œuvres. Cette absence de mécanismes de marché efficients peut avoir des conséquences socialement préjudiciables sur la production et la distribution d’œuvres originales. Concepts et principes économiques invoqués... 1115 Troisièmement, la définition et la mesure des effets de l’utilisation équitable sur les œuvres, sur les marchés de celles-ci et par conséquent sur leur valeur constituent certainement des facteurs pertinents quant à l’établissement d’un cadre raisonnable pour cette exception, mais, si l’on veut obtenir les résultats escomptés, la méthode de cette mesure doit se fonder sur une définition élargie du concept de « marché » et, partant, sur une définition plus large aussi du concept de « valeur ». Un marché, du point de vue de la théorie et de l’analyse économiques, comprend plus que le nombre d’unités faisant l’objet d’opérations entre vendeurs et acheteurs. Il comprend aussi : i) les acheteurs potentiels (ceux qui achèteraient ou achèteraient plus si le prix était plus bas) et les vendeurs potentiels (ceux qui vendraient ou vendraient plus si le prix était plus élevé) ; ii) les futurs acheteurs et vendeurs ; iii) les fournisseurs d’information, qui évaluent, analysent ou confirment la qualité des biens et des services, ainsi que les journalistes, qui contribuent à la diffusion de nouvelles exactes ; iv) l’ensemble des fournisseurs de services accessoires liés directement ou indirectement au marché ; et, par-dessus tout v) les institutions qui organisent et facilitent les transactions, par exemple en offrant des établissements physiques ou virtuels pour les effectuer et en administrant les opérations financières en même temps que les opérations commerciales, institutions qui assurent au marché la fluidité nécessaire afin qu’acheteurs et vendeurs se trouvent et se rencontrent d’une manière ou d’une autre pour négocier et, en fin de compte, conclure des affaires, etc. Enfin, il convient d’établir de préférence, aux fins de la création de mécanismes de marché efficients pour la reproduction, une politique mettant l’accent sur des mécanismes simples et peu coûteux, et favorisant la production d’œuvres originales de haute qualité aussi bien que la distribution des œuvres, compte dûment tenu des droits des auteurs comme des utilisateurs. La Commission a malgré tout reconnu que l’étude économique présentée par Access Copyright, en particulier pour ce qui concerne l’utilisation équitable, constituait « une analyse économique de la notion d’utilisation équitable et de sa pertinence dans la présente affaire ». Elle poursuivait en ces termes : [...] du point de vue économique, on pourrait vouloir recourir à une interprétation libérale de cette notion si l’on cherchait à limiter le pouvoir de marché dont pourraient disposer certains auteurs, à favoriser la dissémination des idées portées par les œuvres ou à pallier les coûts de transaction élevés qu’entraîne 1116 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’absence de marchés efficaces [...] dans le contexte de la présente affaire, il n’existe pas de motifs économiques suffisants pour justifier une telle interprétation. Premièrement, les auteurs ne sont pas en mesure d’exercer un contrôle sur le marché du manuel scolaire : ils offrent des biens substituables et ne peuvent empêcher l’entrée d’autres auteurs sur le marché. Deuxièmement, la dissémination des idées est déjà prise en compte, puisque la Commission est sensible à l’impact du tarif sur l’accès aux œuvres. Troisièmement, l’existence même du tarif et le caractère général de la licence qu’il offre diminuent de beaucoup les coûts de transaction, en réduisant par exemple les difficultés reliées à l’identification de l’ayant droit et du juste prix pour le compenser. L’étude économique concluait que la première chose à faire pour permettre l’émergence de la meilleure solution possible est d’éviter l’effondrement. En effet, un effondrement pourrait survenir si, en vertu d’une interprétation plus libérale qu’il ne faudrait de l’exception relative à l’utilisation équitable, une part importante des œuvres et donc des droits en question se trouve soustraite à l’objet de la concession des licences – les institutions chargées de faciliter les échanges se voyant ainsi privées des recettes correspondantes. Une telle situation peut avoir la fâcheuse conséquence que les œuvres restantes ne suffisent pas à couvrir le coût d’une commercialisation efficiente des droits y afférents et de leur propre diffusion maximale. Dans le contexte technologique et institutionnel actuel, la meilleure solution qu’on puisse espérer présenterait probablement les caractéristiques suivantes : une méthode pour établir le prix concurrentiel de la reproduction d’œuvres originales protégées (dans la perspective d’une protection équitable et équilibrée des droits des auteurs aussi bien que des utilisateurs) ; des mécanismes efficaces (peu coûteux) de gestion des droits d’auteur, aptes à favoriser la distribution et la diffusion maximale des œuvres ; et l’établissement de communautés de droits d’auteur – permettant une réduction notable de l’exclusion sans nécessairement élargir à l’excès l’exception relative à l’utilisation équitable –, par exemple par la concession d’une simple et unique licence donnant accès à un bassin considérable d’œuvres. Concepts et principes économiques invoqués... 1117 6. NOUVEAUX MODÈLES PERMETTANT D’ÉTABLIR DIRECTEMENT LA VALEUR DES DROITS D’AUTEUR 6.1 Radio commerciale (2005) Dans le cadre des audiences qui ont mené à la décision de 2005 sur la radio commerciale, la SCGDV a présenté, avec l’appui de la SOCAN, un nouveau modèle visant à l’établissement de la valeur globale des enregistrements de musique pour les radiodiffuseurs (le rapport Audley, Boyer et Stohn ou rapport ABS). Le modèle ABS repose sur quatre hypothèses simplificatrices, mais non limitatives : premièrement, l’exploitant de station de radio commerciale peut utiliser sous le rapport du contenu deux intrants pour obtenir de l’audience et des recettes (publicitaires), soit le contenu parlé et la musique ; deuxièmement, cet exploitant vise à maximiser la valeur ou les bénéfices de la station en répartissant le temps de programmation disponible à différents moments de la journée entre le contenu parlé et la musique ; troisièmement, à la marge, une minute additionnelle de contenu parlé ou de musique peut être obtenue et diffusée à un coût marginal nul ; et quatrièmement, la rémunération versée pour le contenu parlé est observable. La Commission a formulé les observations suivantes sur ce modèle dans sa décision de 200519 : [Le modèle ABS] ne peut servir à établir un tarif juste et équitable en l’espèce. Le modèle est complexe, mais ce n’est pas en soi une raison pour le rejeter. Il représente également une tentative intéressante et valable d’évaluer la contribution de la musique en tant qu’intrant de radiodiffusion, ce qui est en soi une entreprise difficile. En théorie, il pourrait donc s’avérer utile pour évaluer la valeur de la musique, ce que la Commission s’efforce toujours de faire dans l’établissement des tarifs. Faute d’un marché fonctionnel, la Commission du droit d’auteur doit déterminer la valeur que la musique enregistrée représente pour les exploitants de stations de radio commerciales et traduire cette valeur en redevances pour les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs au titre de leurs droits sur cette musique. L’analyse économique propose un point de vue d’importance cruciale sur la manière de déterminer les redevances appropriées pour la musique 19. SOCAN-SCGDV, tarif 1.A (radio commerciale) pour les années 2003 à 2007, 14 octobre 2005. 1118 Les Cahiers de propriété intellectuelle enregistrée parce qu’elle établit le lien entre les utilisations relatives des intrants (musique enregistrée et contenu parlé) dans la production d’émissions de radio et les valeurs relatives de ces intrants. Comme il n’existe pas de « marché » de la musique enregistrée utilisée par la radio, le prix de cette musique est inconnu. Cependant, on connaît les durées relatives de radiodiffusion de musique et de contenu parlé, et on peut se servir de ces utilisations relatives des intrants pour déduire directement du comportement des exploitants de stations de radio commerciales la valeur ajoutée relative que la musique enregistrée représente pour eux. Une telle démarche remplit la condition selon laquelle le niveau de rémunération établi doit être équitable pour les vendeurs comme pour les acheteurs. Dans une situation de marché où vendeur et acheteur opèrent librement, le premier reçoit un prix que le second a accepté, et le second paie un prix que le premier a aussi accepté. Ils feront vraisemblablement affaire ensemble jusqu’au point où la valeur marginale d’une transaction additionnelle pour l’acheteur (la demande) égalera exactement le coût marginal de cette transaction additionnelle pour le vendeur (l’offre) ; le coût marginal peut ici s’interpréter soit comme un coût marginal à court terme (certains facteurs étant fixes), soit comme un coût marginal global à long terme (tous les facteurs étant variables). Les sociétés de gestion, les radiodiffuseurs et la Commission sont d’accord pour dire que la rémunération équitable doit être équitable tant pour les titulaires de droits que pour les utilisateurs, et doit être fonction de la valeur que procurent les œuvres protégées ou des avantages que les utilisateurs tirent de celles-ci en tant que contenu de leur programmation. Du côté de la demande, l’acheteur (en l’occurrence la station de radio commerciale à formule musicale) voudra utiliser de l’intrant (en l’occurrence des enregistrements sonores) une quantité telle que la valeur du produit marginal de cet intrant soit égale à son prix. La valeur de la productivité marginale des enregistrements sonores pour la radio commerciale correspond aux recettes publicitaires additionnelles que l’exploitant d’une station à formule musicale peut tirer de l’utilisation d’une unité additionnelle de musique enregistrée. Le montant de ces recettes additionnelles est égal au « prix de vente » ou aux tarifs de publicité du produit de l’acheteur (ses caractéristiques sur le plan de l’audience) multipliés par l’efficacité ou la productivité marginale des enregistrements sonores (formule musicale) pour ce qui est d’attirer des auditeurs. Un processus semblable s’applique à l’achat des autres intrants. Concepts et principes économiques invoqués... 1119 Du côté de l’offre, le coût marginal global à long terme devrait représenter la somme payée pour l’unité marginale ou additionnelle de musique enregistrée produite qui justifierait sa production par le vendeur. En l’occurrence, le vendeur est l’industrie musicale, constituée par les auteurs-compositeurs, les artistes-interprètes et les producteurs d’enregistrements sonores. La somme en question doit couvrir le coût direct des matières, la valeur d’opportunité du temps investi, la valeur d’opportunité de l’effort de création ou d’innovation, etc. Le concept de coût applicable diffère selon qu’il s’agit, d’une part, de la création ou de la production d’une œuvre originale (écriture des paroles et composition de la musique, exécution ou interprétation, fixation au moyen d’un enregistrement sonore), ou, d’autre part, de la reproduction ou de l’utilisation répétée de l’enregistrement sonore. Dans le premier cas, le coût peut être important, tandis que dans le second, il est normalement faible, voire très proche de zéro. Il n’est pas facile de déterminer un tel prix, étant donné les caractéristiques très particulières du secteur de la radio commerciale, la base sur laquelle ce secteur a accès au contenu de musique enregistrée et l’absence qui en résulte d’un processus de marché propre à établir le prix de l’utilisation. Cependant, l’objectif doit être de trouver un prix tel que les exploitants de stations de radio à formule musicale soient convenablement et équitablement rémunérés, c’est-à-dire un prix qui fasse en sorte que le rendement du capital corrigé du risque (RAROC) soit concurrentiel et en même temps que les auteurs-compositeurs, les artistes-interprètes et les producteurs reçoivent eux aussi une rémunération convenable et équitable. Tous les intrants ou facteurs de production qui servent à dégager des recettes (publicitaires) dans le secteur de la radio commerciale devraient être rémunérés comme il convient à leurs niveaux respectifs d’« équilibre concurrentiel ». Si le prix d’un intrant donné, tel que les enregistrements sonores, était fixé au-dessous – l’inverse s’ensuivant si le prix était fixé au-dessus – de son niveau d’équilibre concurrentiel, d’autres intrants, par exemple la main-d’œuvre directe ou le capital, pourraient se voir attribuer une part de la contribution des enregistrements sonores à la valeur du secteur de la radio commerciale, ce qui entraînerait une déviation socialement coûteuse de l’affectation des ressources. En un sens, l’équilibre de marché entre acheteurs et vendeurs consentants sur le marché particulier ici considéré, à savoir le portefeuille des droits d’auteur sur les enregistrements sonores, peut impliquer des ajustements sur les marchés apparentés des autres intrants du secteur de la radio 1120 Les Cahiers de propriété intellectuelle commerciale, tels que ceux du capital, de la main-d’œuvre et des matières. Autrement dit, si le prix de la musique enregistrée est inconnu du fait de l’absence d’un marché, les utilisations relatives de la musique enregistrée et du contenu parlé sont quant à elle connues et faciles à mesurer. L’analyse économique établit le lien direct manquant entre le facteur mesurable que constituent les utilisations relatives de la musique enregistrée et du contenu parlé dans la radiodiffusion commerciale, et le prix implicite de la musique enregistrée, c’est-à-dire le prix qu’implique son utilisation par rapport à celle du contenu parlé. L’argumentation détaillée est présentée dans le rapport ABS. On peut éclairer le lien entre les utilisations relatives de la musique enregistrée et du contenu parlé au moyen d’un modèle simple reposant sur les hypothèses simplificatrices suivantes, qui visent à faciliter l’exposé mais ne sont pas essentielles au résultat principal : les exploitants de stations de radio commerciales cherchent à atteindre un RAROC (rendement du capital corrigé du risque) concurrentiel qui représente la meilleure utilisation possible du capital qu’ils ont investi. Pour ce faire, ils affectent aux contenus de programmation respectifs les montants propres à leur procurer un tel RAROC, compte tenu de leurs charges d’exploitation et de leurs recettes publicitaires et autres, qui dépendent évidemment de nombreux facteurs, y compris des montants respectivement consacrés aux contenus de programmation. Supposons, aux fins de simplification, que toutes les recettes proviennent de la publicité et qu’il y a seulement deux sortes de contenus de programmation : la « musique » et la « parole ». Supposons aussi que la partie pertinente de la journée dure trois heures et que le temps d’antenne est réparti entre les contenus de programmation d’une partie donnée de la journée sur la base d’incréments d’une minute. Nous poserons que les coûts additionnels (ou marginaux) pour les exploitants de stations de radio commerciales d’un incrément d’une minute de contenu musical et d’un incrément d’une minute de contenu parlé sont tous deux égaux à zéro, étant donné que les redevances de droit d’auteur que ces stations doivent payer sur la musique enregistrée sont normalement établies sous la forme d’un pourcentage fixe des recettes, et que la somme à payer pour le contenu parlé est normalement fixée par contrat, avec un coût marginal nul sur un large intervalle de temps de contenu. Concepts et principes économiques invoqués... 1121 Le nombre total de minutes de contenu de programmation dans une partie donnée de la journée est égal au temps d’antenne total moins le temps qu’exigent tous les autres éléments tels que l’identification et la promotion de la station, la publicité, etc. Supposons pour l’instant, afin de simplifier l’analyse, que la station dispose, pour le contenu de programmation, de 100 minutes par tranche de trois heures de temps d’antenne. Le but du radiodiffuseur commercial est de déterminer les proportions de cette durée de 100 minutes qu’il doit attribuer respectivement à la musique et au contenu parlé pour obtenir le bénéfice le plus élevé. Les radiodiffuseurs changeront la répartition du temps entre la musique et le contenu parlé s’il est rentable de le faire. Par exemple, ils attribueront une minute additionnelle à la musique, et donc une minute de moins au contenu parlé, si les recettes publicitaires additionnelles que rapporte la programmation additionnelle de musique l’emportent sur le manque à gagner publicitaire attribuable à la réduction du temps de contenu parlé. Les radiodiffuseurs répondront aux forces du marché de la publicité en adoptant entre la musique et le contenu parlé une répartition du temps de programmation telle qu’il leur soit impossible d’accroître leurs recettes par le moyen d’une autre répartition. On peut comparer ce résultat à celui qui serait obtenu si le marché de la musique enregistrée était concurrentiel. Sur un marché concurrentiel, les prix de la musique enregistrée et du contenu parlé pour les radiodiffuseurs commerciaux seraient déterminés par les forces du marché, tout comme le seraient les tarifs de publicité à l’antenne. Pour maximiser les bénéfices ou la valeur de son entreprise, le radiodiffuseur répartirait le temps disponible entre la musique et le contenu parlé de telle sorte que la dernière minute de chacun des deux contenus lui procure la même somme de recettes publicitaires nettes, c’est-à-dire que le bénéfice additionnel (égal aux recettes publicitaires additionnelles moins le coût additionnel) serait identique pour la dernière minute que le radiodiffuseur aurait affectée à la musique et la dernière minute qu’il aurait affectée au contenu parlé. Si le radiodiffuseur commercial pouvait accroître la rentabilité de son entreprise en augmentant le temps consacré à la musique par rapport au contenu parlé, il le ferait. Par conséquent, la durée relative affectée à la musique et la durée relative consacrée au contenu parlé doivent être telles que leurs contributions marginales respectives aux bénéfices (déduction faite, donc, des coûts marginaux s’il y en a) s’équilibrent parfaitement. En l’absence d’un marché de la musique enregistrée, le point de référence le plus proche des prix ou des valeurs implicites par minute 1122 Les Cahiers de propriété intellectuelle du contenu musical et du contenu parlé est la contribution additionnelle de chacun aux recettes publicitaires. Étant donné notre hypothèse simplificatrice que le coût additionnel d’une minute de musique et d’une minute de contenu parlé est égal à zéro, la contribution additionnelle par minute de chacun des contenus aux recettes publicitaires doit être égale. Pour se rapprocher du prix de marché concurrentiel implicite de la musique, le taux tarifaire doit donc être tel que les rémunérations versées respectivement pour le contenu musical et le contenu parlé soient proportionnelles aux nombres de minutes qui leur reviennent respectivement dans la programmation. Il est à noter que les contributions totales respectives des deux contenus aux recettes publicitaires (par opposition aux contributions attribuables à la dernière minute de chacun d’eux) seraient supérieures au produit des contributions additionnelles de la dernière minute programmée et du nombre de minutes que chaque contenu occupe dans la programmation. La différence servirait à couvrir les autres charges, ainsi que le coût du capital ou le rendement du capital corrigé du risque (RAROC). La conclusion ci-dessus appelle quelques remarques. Premièrement, comme le fait observer la Commission, il est possible que les animateurs considérés individuellement présentent des traits particuliers qui rendent l’un ou l’autre capable d’exercer une certaine puissance commerciale, lui permettant ainsi d’attirer une proportion des recettes publicitaires supérieure à sa valeur « concurrentielle » implicite. Deuxièmement, l’analyse qui précède ne signifie pas que les prix de la musique enregistrée soient ou doivent être établis par minute. Ils ne le sont pas et ne doivent pas l’être. En fait, il y a de bonnes raisons de calculer les redevances de droit d’auteur en pourcentage des recettes, le prix marginal effectif étant alors égal à zéro. La principale de ces raisons est que le coût marginal à court terme de l’utilisation de minutes additionnelles de musique enregistrée est en fait nul puisque, comme on l’a vu plus haut, la musique enregistrée est un bien d’information. Mais le prix concurrentiel implicite révélé par le comportement et les décisions observés des exploitants de stations de radio commerciales reste néanmoins positif et peut servir à établir les redevances que leur secteur doit payer aux titulaires de droits sur la musique. Troisièmement, le prix concurrentiel implicite, révélé par le comportement de l’exploitant de station de radio commerciale, est plutôt une mesure de la volonté de payer les droits sur la musique enregistrée qu’un prix concurrentiel au sens strict. En effet, la notion Concepts et principes économiques invoqués... 1123 de prix concurrentiel est mal définie dans le contexte actuel, étant donné que le coût marginal à court terme (de l’utilisation de musique enregistrée additionnelle) est manifestement nul, tandis que le coût marginal à long terme (de la création et de l’enregistrement de nouvelles œuvres) est de beaucoup supérieur à zéro. Pour ce qui concerne les biens purement publics, l’utilisation de musique enregistrée par les exploitants de stations de radio commerciale devrait se voir attribuer un prix concurrentiel fondé sur la disposition à payer de chacun d’eux : chaque utilisateur paie un prix différent, et la somme de ces différents prix devient le prix payé au producteur du bien public, qui estimera rentable d’augmenter ou de réduire son offre selon que le prix total (la somme des différents prix) sera supérieur ou inférieur au coût marginal à long terme de l’accroissement du stock de musique enregistrée. C’est en ce sens qu’on peut employer l’expression « prix concurrentiel implicite », lequel prix, dans le contexte de la radio commerciale canadienne, sera transformé en un pourcentage des recettes publicitaires de l’exploitant de station de radio commerciale. Les données nécessaires pour mettre ce modèle en œuvre sont relativement faciles à obtenir à partir des états financiers des exploitants de stations de radio commerciales20. 6.2 Services de radio par satellite (2009) CSI a proposé, dans le cadre des audiences qui ont mené à la décision de 2009 sur les services de radio par satellite, un nouveau modèle visant à établir la valeur des enregistrements de musique pour les exploitants de stations de radio par satellite. Ce modèle d’évaluation est fondé sur la notion de partage de valeur provenant de la théorie économique des jeux coopératifs. Une des solutions possibles à cet égard est ce qu’on appelle la valeur de Shapley21. On peut se représenter le jeu comme suit : les cinq partenaires, soit les services de radio par satellite et les quatre fournisseurs de contenu – actualités, musique, sports et contenu parlé-divertissement – veulent partager entre eux leur valeur ajoutée ou profit économique collectif. Chacun des partenaires veut la plus grande part possible, mais aucun d’eux n’est disposé à abandonner la coalition pour exploi20. Pour en savoir plus sur la mise en œuvre empirique de ce modèle, voir AUDLEY (Paul) et al., « The “competitive” value of music to commercial radio stations », (2007) 4(2) Review of Economic Research on Copyright Issues 29. 21. Pour un plus ample exposé sur ces questions, voir BOYER (Marcel) et al., Partage des coûts et tarification des infrastructures, (Montréal : CIRANO, 2006). 1124 Les Cahiers de propriété intellectuelle ter un service indépendant (spécialisé) de radio par satellite. C’est là la situation classique qu’analyse la théorie économique des jeux coopératifs. Évidemment, si l’ordre d’arrivée est prédéterminé, c’est-à-dire si un membre donné de la coalition obtient la valeur différentielle de son contenu pour l’ensemble des contenus déjà offerts par ses partenaires qui l’ont précédé dans l’ordre d’arrivée, il peut y avoir une valeur à entrer avant d’autres. D’où l’observation suivante formulée par la Commission dans sa décision22 : [...] nous sommes d’avis que le modèle fondé sur la volonté de payer est fondamentalement inadéquat pour l’établissement d’un tarif. En règle générale, l’ordre d’arrivée d’un intrant particulier au cours du processus de développement d’une entreprise ne doit pas influer sur le tarif. Les services de radio par satellite reprochaient à la méthode fondée sur la théorie des jeux coopératifs de faire une trop grande part aux modèles théoriques et une part insuffisante aux méthodes traditionnelles qui utilisent l’information pertinente sur le marché. Ils soutenaient qu’il était plus conforme à la tradition de la Commission du droit d’auteur et plus judicieux du point de vue économique de commencer par la recherche d’un point de référence acceptable, sous la forme d’un taux de marché existant déjà pour d’autres services de musique, et de le corriger en fonction des différences entre ces derniers et les services de radio par satellite. La Commission s’est finalement rendue jusqu’à nouvel ordre aux arguments des services de radio par satellite, mais elle a laissé la porte ouverte à un plus ample examen de nouveaux modèles. On lit en effet dans sa décision : Nous avons étudié les différentes approches [...] et bien que nous les trouvions intéressantes et que nous croyions qu’elles pourraient devenir utiles lorsque le marché sera bien développé, nous ne sommes pas convaincus de leur pertinence à l’heure actuelle [...] À notre avis, l’élaboration de nouveaux modèles et leur présentation devant la Commission peuvent, à long terme, jouer un rôle essentiel dans l’établissement de tarifs justes et équitables. 22. Services de radio par satellite, SOCAN (2005-2009), SCGDV (2007-2010) et CMRRA/SODRAC inc. (2006-2009), avril 2009. Concepts et principes économiques invoqués... 1125 La Commission a eu raison à la fois de rejeter l’application simple (pour un ordre d’arrivée donné) du concept de volonté de payer et d’inviter à poursuivre la recherche sur la capacité de « nouveaux modèles économiques » à aborder empiriquement et directement (plutôt que par l’intermédiaire de points de référence) les épineuses questions de l’équité et de la justice appliquées à la valeur des droits d’auteur et à la rémunération de leurs titulaires. Pour résoudre le problème de l’ordre d’arrivée d’un intrant déterminé, la principale difficulté relevée par la Commission, CSI a proposé, comme je le disais plus haut, une démarche fondée sur la valeur de Shapley. L’exposé qui va suivre suit le résumé que la Commission a donné de cette démarche dans sa décision de 2009. CSI a examiné « la valeur des cinq membres de la coalition en se servant des données du Réseau Circum portant sur la proportion d’abonnés qui résilieraient leur abonnement si un ou plusieurs membres de la coalition s’en retiraient ». On obtenait ainsi une estimation de la valeur ajoutée par l’un des fournisseurs de contenu, étant donné la présence de certains des autres. Les services de radio par satellite font nécessairement partie d’une coalition quelconque de valeur positive, mais ils ne peuvent être le seul membre d’une telle coalition puisque, dans les deux cas, personne ne s’abonnerait : il n’y aurait pas de service dans le premier cas, et pas de contenu dans le second. Le nombre des coalitions possibles à cinq membres est 32=25, y compris la coalition réunissant tous les fournisseurs de contenu, qui attirerait le nombre maximal d’abonnés, et la coalition nulle, où il n’y aurait personne. En outre, il y a 5 !=120 ordres d’arrivée possibles pour une coalition à cinq membres. Comme on l’a vu plus haut, la valeur différentielle produite par l’adhésion d’un acteur à la coalition dépend desquels des autres acteurs y sont déjà présents, donc de l’ordre d’arrivée dans la coalition. La valeur de Shapley des services de radio par satellite et des quatre fournisseurs de contenu correspond à la valeur différentielle moyenne de chacun d’eux selon les 120 ordres d’arrivée possibles. D’après les estimations de la CSI, « les revenus devraient être répartis comme suit : 34 pour cent pour le contenu musical, 44 pour cent pour les services, 5 pour cent pour les nouvelles, 7 pour cent pour les sports et 9 pour cent pour le contenu parlé-divertissement ». La Commission formule plus loin les observations suivantes : À notre avis, la méthode Shapley est intéressante parce qu’elle fournit de l’information sur la valeur fondamentale de la musique pour les services par satellite. Cependant, elle repose large- 1126 Les Cahiers de propriété intellectuelle ment sur les données d’une enquête où les répondants sont questionnés sur des scénarios hypothétiques. Une importante caractéristique de la valeur de Shapley est qu’elle ne varie pas selon que les coûts sont communs ou spécifiques. Quelle que soit la répartition des coûts entre ces deux catégories, on obtient le même résultat, c’est-à-dire la même valeur différentielle moyenne pour chacun des membres de la coalition. C’est là un trait important parce que le classement des coûts comme spécifiques ou communs est souvent un sujet majeur de désaccord entre les membres d’une coalition. Une autre caractéristique importante de cette méthode est la monotonie de la demande, ce qui signifie dans notre contexte que si le fournisseur de services de radio par satellite ou n’importe lequel des fournisseurs de contenu peut accroître la valeur ajoutée globale de la coalition, sa valeur différentielle moyenne (sa valeur de Shapley) ne diminuera pas. Enfin, une troisième propriété importante de cette méthode est l’additivité, ce qui signifie dans notre contexte que s’il était possible de calculer la valeur de Shapley des membres de la coalition sur deux marchés différents, le résultat final serait le même, que la valeur soit calculée séparément pour chacun des marchés et les valeurs ainsi obtenues additionnées ensuite ou que la valeur soit calculée pour les deux marchés en même temps23. Là encore, la Commission se trouvait peu disposée à adopter une telle méthode à cause de la sérieuse difficulté de tester la stabilité des résultats. En effet, le principal défaut de cette méthode réside dans les données qu’elle exige, comme le notait la Commission dans le passage suivant : « C’est pourquoi nous ne pouvons utiliser cette approche dans le cas présent. Les parties pourraient éventuellement la perfectionner et mieux l’utiliser si elles se mettaient d’accord sur le modèle et la méthodologie de collecte des données. La Commission serait alors en mesure d’analyser et de valider les résultats ». En fin de compte, s’ils veulent voir la Commission prendre en considération la valeur de Shapley dans des procédures ultérieures, ceux qui l’invoqueront devront proposer une solution crédible au problème de la collecte des données. Ce difficile problème une fois résolu, la valeur de Shapley et la théorie économique des jeux coopératifs en général représenteraient la méthode appropriée pour l’établissement de la valeur des droits d’auteur sur la musique. 23. Pour un plus ample exposé sur les propriétés analytiques de la valeur de Shapley, voir M. BOYER, M. MOREAUX et M. TRUCHON, Partage des coûts et tarification des infrastructures, CIRANO 2006MO-01 (350 pages). Concepts et principes économiques invoqués... 1127 7. CONCLUSION Tel que mentionné plus haut, le présent article porte sur un nombre limité de concepts et de principes économiques invoqués par les parties au cours des audiences de la Commission du droit d’auteur du Canada, et que cette dernière a appliqués dans ses décisions, pendant ses vingt années d’existence (1989-2009). J’aurais pu traiter ici bien d’autres sujets, tant sont complexes les questions que soulèvent les aspects concrets du droit d’auteur et leur évolution. L’existence même du droit d’auteur est maintenant en question, divers analystes essayant de mesurer les coûts et les avantages relatifs, aussi bien statiques que dynamiques, de la protection des œuvres originales. Les notions de « domaine public » et d’« utilisation équitable » sont au centre de ces débats. Mais les efforts d’analyse et d’imagination sont aussi axés sur les mécanismes et les institutions, notamment les marchés et les organismes de substitution aux marchés, qui seraient le plus aptes à accroître les avantages, tout en réduisant les coûts, de la clarification et de l’application des lois et règlements sur le droit d’auteur, dans l’intérêt des utilisateurs aussi bien que des créateurs. Il faut espérer que les particularités respectives des audiences et des décisions d’instances telles que la Commission du droit d’auteur du Canada ne feront pas perdre de vue les questions et problèmes fondamentaux que les droits de propriété intellectuelle sont censés tendre à résoudre24. 24. Je tiens à remercier de leurs stimulants commentaires les participants au colloque annuel de l’ALAI (Association littéraire et artistique internationale) Canada intitulé « La Commission du droit d’auteur du Canada : 20 ans entre le droit et l’économie », tenu à Ottawa le 2 décembre 2009. Les commentaires formulés au sujet de ma conférence sur l’état des connaissances, « Intellectual Property Rights for the Digital Era » (les droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique), par les participants au congrès annuel de l’Association canadienne d’économique, tenu à l’Université de Toronto en mai 2009, m’ont également été d’une aide précieuse. Il va sans dire que j’assume néanmoins l’entière responsabilité du choix des thèmes développés dans la présente étude, ainsi que de toutes erreurs qui pourraient s’y être glissées. NDLR : L’auteur est professeur émérite de l’Université de Montréal, membre du CIRANO et de l’Institut C.D. Howe et expert associé à l’Analysis Group Inc. Le présent article est la traduction française de l’étude rédigée le 31 mars 2010 et révisée le 8 octobre 2010 dans le cadre de l’allocution prononcée par l’auteur lors du colloque de l’ALAI Canada tenu le 2 décembre 2009, à Ottawa, afin de souligner les vingt ans de la Commission du droit d’auteur. Les Cahiers de propriété intellectuelle remercient chaleureusement la Commission du droit d’auteur et son vice-président et premier dirigeant pour la traduction française de l’article. Vol. 23, no 3 Voies et recours civils non pécuniaires en matière de violation de droits d’auteur au Canada Laurent Carrière* 1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1131 2. GÉNÉRALITÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1140 3. L’INJONCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1141 3.1 Injonction – généralités . . . . . . . . . . . . . . . . 1142 3.2 Critères d’émission. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1143 3.3 Les mythes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1146 © CIPS, 2011. * Avocat et agent de marques de commerce, Laurent Carrière est l’un des associés principaux de ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce. Notes pour une allocution présentée le 2011-04-26 dans le cadre d’un mini-colloque de L’AJAVA, adaptées et mises à jour à partir de CARRIÈRE (Laurent), « Recours civils en matière de violation de droits d’auteurs au Canada », (1996), 85 Revue de droit intellectuel – L’ingénieur conseil 218 et (1996), 13 Revue canadienne de propriété intellectuelle 1 ; CARRIÈRE (Laurent) et al., « Les nouveaux recours en contrefaçon suite aux modifications de 1997 à la Loi sur le droit d’auteur », (1998), 11:1 Cahiers de propriété intellectuelle 219. CARRIÈRE (Laurent), « Voies et recours civils en matière de violation de droits d’auteur au Canada », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2001), p. 395-485. Toutes les italiques dans les citations sont celles de l’auteur. 1129 1130 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.4 Conditions d’ouverture. . . . . . . . . . . . . . . . . 1153 3.5 Portée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1154 3.6 L’injonction dite « élargie » . . . . . . . . . . . . . . 1160 3.6.1 Général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1160 3.6.2 Conditions d’émission . . . . . . . . . . . . . 1162 3.6.3 Portée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1164 4. DÉCLARATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1166 5. RECOUVREMENT DE POSSESSION . . . . . . . . . . . 1173 6. ET SI ON EN AVAIT EU LE TEMPS... . . . . . . . . . . 1183 1. INTRODUCTION Dans cette présentation mono-média, je vais vous entretenir « généralement » des voies et recours civils non pécuniaires en matière de violation de droits d’auteur au Canada. D’abord, ce dont je ne parlerai pas ! Je ne discuterai pas • de ce qui est une œuvre protégée et • ce qui en constitue une violation, primaire ou secondaire (« violation à une étape ultérieure », ça se dit mal et ce n’est pas encore dans les habitudes). Je ne parlerai pas • d’exceptions (ça tombe bien, C-321 semble remisé pour un temps), • d’importation parallèle, non plus que • des dommages que peuvent recouvrer les sociétés de gestion collective2. 1. Projet de loi C-32 Loi sur la modernisation du droit d’auteur (Troisième session, quarantième législature), mort au feuilleton. « Une loi sur cette matière ne saurait être bonne qu’à la double condition de ne sacrifier ni le droit des auteurs à celui du public, ni le droit du public à celui des auteurs. » : RENOUARD (Auguste-Charles), Traité des droits d’auteurs dans la littérature, les sciences et les beaux-arts (Paris : Jules Renouard et Cie, 1838), tome premier, p. 437. 2. « La difficulté de la répression tient donc surtout à une insuffisance d’intérêt de la part individuelle de chacun de ceux qui sont collectivement exploités par ce pillage ». RENOUARD (Auguste-Charles), Traité des droits d’auteurs dans la littérature, les sciences et les beaux-arts (Paris : Jules Renouard et Cie, 1839), tome second, p. 115, no 55. 1131 1132 Les Cahiers de propriété intellectuelle Je ne discuterai pas • de juridiction (« stu mieux à Cour sup ou à Cour fed »)3 ou • de procédures sommaires, sauf Ø pour noter avec plaisir que, depuis les amendements du 1er janvier 2003 au Code de procédure civile, les titulaires ont maintenant accès à la Division des petites créances de la Cour du Québec et ne s’en privent pas (jusqu’à 7000 $)4 ; Ø pour déplorer le peu d’utilisation des règles 300 et suivantes des Règles des Cours fédérales qui permettent l’introduction des recours par voie de demande plutôt que par action5 ; 3. Quoique, en matière de forum shopping (ou élection de juridiction) pour une injonction interlocutoire, la vision « passéiste » de la Cour supérieure puisse sembler plus avantageuse à un demandeur. Compare : • Cirque du Soleil inc. c. Transit Éditeur inc., 2009 QCCS 4671 (C.S.Q. ; 2009-1007), le juge Journet : « [20] Quant aux préjudices irréparables, le Tribunal souligne qu’en matière de droits d’auteur, la demanderesse n’a pas à prouver le préjudice qu’elle pourrait subir si l’injonction provisoire n’était pas émise. » • Western Steel & Tube Ltd. c. Erickson Manufacturing Ltd., 2009 CarswellNat 2535, (C.F. ; 2009-07-31), la juge Snider : [11] [...] In short, there is no automatic conclusion that irreparable harm exists merely because the foundation of an action is an infringement of copyright or trademark or the alleged tort of passing off. 4. Parenthèse historique ; le Code de procédure civile du Québec de 1897, prévoyait jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er septembre 1966 du nouveau C.p.c. que les actions en violations de droits d’auteur étaient réputées sommaires et instruites comme tels : S.Q. 1918, c. 80, amendant l’article 1150 sur les procédures en matières sommaires. Cela n’a pas été repris dans le C.p.c. de 1966. 5. Voir, par exemple • Wing c. Van Velthuizen c.o.b. Gratitude Press Canada, 9 C.P.R. (4th) 449 (C.F.P.I. ; 2000-11-20), le juge Nadon « [1] Il s’agit d’une requête introduite en vertu des dispositions relatives à la procédure sommaire du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi) et de l’alinéa 300 b) des Règles de la Cour fédérale (1998), au sujet d’une violation du droit d’auteur sur une œuvre littéraire. Les demanderesses cherchent à obtenir une ordonnance visant [déclaratoire, injonction, rectification du registre, dommages et remise] ». • Kraft Canada inc. c. Euro Excellence inc., 25 C.P.R. (4th) 224 (C.F. ; 2003-01-20), le protonotaire Morneau « [3] La demande fut introduite par l’application conjuguée des règles 300 et suivantes et de l’article 34(4)a) de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, (la Loi) qui prévoit qu’un recours civil pour violation du droit d’auteur peut être intenté soit par action, soit par requête (application dans la version anglaise de la Loi). [10] Le paragraphe 34(4)a) de la Loi prévoit clairement le droit d’introduire un recours sous la Loi par voie de demande. C’était à la défenderesse de convaincre la Cour d’exercer sa discrétion en vertu du paragraphe 34(6) de la Loi pour que la demande soit instruite comme une action. [...] ». • Société canadienne de perception de la copie privée c. Computer Warehouse Outlet Inc., 41 C.P.R. (4th) 48 (C.F.P.I. ; 2005-05-31), le juge Martineau « [1] Il s’agit d’une requête présentée en vertu procédures sommaires du paragraphe 34(4) de Voies et recours civils non pécuniaires... 1133 la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi), et de l’alinéa 300b) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, à l’égard de redevances non acquittées découlant des tarifs de copie pour usage privé homologués en vertu de la partie VIII de la Loi (les Tarifs). [12] [...] Conformément au sous-alinéa 34(4)c)(i) de la Loi, les procédures relatives aux tarifs homologués par la Commission en vertu de la partie VIII de la Loi peuvent être engagées ou continuées par une requête. » • Canadian Private Copying Collective c. Fuzion Technology Corp., 47 C.P.R. (4th) 265 (C.F. ; 2005-11-17), le juge Hughes « [ [5] Il convient d’examiner en premier lieu le volet de la présente requête dans lequel la demanderesse sollicite la conversion de la requête en action. Avant l’entrée en vigueur du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d’auteur, précitée, le 1er octobre 1999, les instances portant sur la violation du droit d’auteur et sur la perception de sommes d’argent dues en vertu d’un tarif devaient être introduites sous forme d’action devant la Cour fédérale ou devant une autre juridiction telle la cour supérieure d’une province. Le paragraphe 34(4) offre maintenant le choix à la personne qui souhaite introduire une telle instance de saisir le tribunal compétent d’une requête ou d’une action. La requête permet à la personne qui introduit l’instance de présenter sa preuve dès le début sous forme d’affidavit et elle oblige le défendeur à faire de même. Aucune des parties ne peut forcer l’autre à subir un interrogatoire préalable. En théorie du moins, on peut ainsi arriver plus rapidement et plus directement à l’instruction que dans le cas d’une action.[6] L’inconvénient que comporte la requête est le fait que la partie qui introduit l’instance doit être prête à présenter sa preuve dès le début. Elle ne peut compter sur la partie adverse pour obtenir d’autres éléments de preuve dans le cadre de la communication préalable. La partie adverse peut à son choix ne produire aucune preuve ou se contenter de présenter très peu d’éléments de preuve. La partie qui introduit l’instance doit essentiellement s’en remettre à sa propre preuve à l’étape de l’instruction. [12] [...] Ici, la demanderesse avait le choix entre une requête et une action, et elle a opté pour une requête. Aucune loi et aucune règle ne la forçaient à le faire, et rien ne permet de penser que la demanderesse a fait ce choix par contrainte ou duperie. Il semble qu’elle regrette maintenant son choix parce qu’elle n’a pas pu constituer un dossier aussi exhaustif que ce qu’elle pourrait maintenant faire ou parce qu’elle considère maintenant qu’elle pourrait recueillir d’autres éléments de preuve s’il s’agissait d’une action. » [Et la conversion de la demande en action est refusée, l’article 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne s’appliquant pas à une procédure instituée en vertu du paragraphe 34(4) de la L.D.A.]. • Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs & éditeurs au Canada (SODRAC) inc. c. Hôtel des encans de Montréal inc., 2007 CF 604 (C.F. ; 2007-06-06), le protonotaire Morneau : « [22] À ce chapitre, je ne puis me rendre à l’approche suggérée par la défenderesse et considérer que malgré le libellé neutre et en apparence égalitaire du paragraphe 34(4) de la Loi, l’on doive considérer que le régime des actions est le régime général à suivre en cas de violation de la Loi et que le régime d’une demande de contrôle judiciaire (soit la preuve par affidavits) soit l’exception. Dans cet ordre d’idées et suivant la défenderesse, lorsqu’une partie utilise le régime d’une demande de contrôle judiciaire, une partie adverse qui présente une requête en conversion sous le paragraphe 34(6) de la Loi devrait bénéficier d’un assouplissement certain des critères élaborés dans l’arrêt Macinnis, [1994] 2 C.F. 464.]. Dans ce dernier arrêt, un des critères centraux est à l’effet que « [...] le vrai critère que le juge doit appliquer est de se demander si la preuve présentée au moyen d’affidavits sera suffisante, et non de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d’un procès pourrait être supérieure. (Voir page 472) » ». 1134 Les Cahiers de propriété intellectuelle Ø pour constater la quasi-ignorance des règles 292 et suivantes permettant les recours par voie d’action simplifiée (jusqu’à 50 000 $)6 ; Ø du champ d’application du paragraphe 34(4) L.D.A.7. Je ne discuterai pas des MARC (méthodes alternatives de résolution de conflits), que cela soit en vertu de la loi québécoise au long nom, la S-32.01 (Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec des diffuseurs) ou de conventions selon ce que, en matière de droits d’auteurs, • permet l’arrêt Desputeaux (2003)8 [un arbitre peut adjuger sur une question de propriété de droits d’auteur] ; • illustre la décision Section locale 1294 c. UQUAM (2005) 9 [un arbitre de grief a le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la 6. Procédure simplifiée ne veut pas dire sous-procédure : il s’agit d’un allègement ou assouplissement procédural. • Voir Parker c. Key Porter Books Ltd., [2005] OJ 2093 (C.S. Ont. ; 2005-05-26), le juge McMahon « [11] [...] The fact this matter proceeded as a Simplified Rule trial does not relieve the plaintiff of the burden of proving its case on a balance of probabilities ». 7. Le paragraphe 34(4) prévoit donc qu’au choix certaines procédures pourront être instituées ou continuées par voie d’action ou de requête ; en ce dernier cas, le tribunal devra statuer sur telles requêtes « sans délai et suivant une procédure sommaire ». La procédure décrite par le paragraphe 34(4) vise : • la violation du droit d’auteur (art. 3, 15, 18, 21) ; • la violation des droits moraux (art. 28.1) ; • la détention douanière d’œuvres, de livres ou d’autres objets du droit d’auteur importés au Canada (articles 44.1, 44.2 et 44.4) ; • les tarifs homologués par la Commission du droit d’auteur au titre de la gestion collective (partie VII) ; • les tarifs homologués par la Commission du droit d’auteur au titre de la copie privée (partie VIII) ; • les ententes homologuées par la Commission du droit d’auteur (art. 70.12). Le champ d’application de cette procédure « sommaire » est toutefois limité à la contrefaçon de droits d’auteur et, par conséquent, elle ne pourra être associée à des réclamations découlant de violations de secrets industriels, de marques de commerce ou d’actes constitutifs de concurrence déloyale. De la même façon, la procédure offerte par le paragraphe 34(4) ne s’appliquera pas aux procédures en rectification du registre des droits d’auteur que prévoit le paragraphe 57(4) de la Loi, non plus qu’à des procédures ancillaires à une cause d’action touchant le droit d’auteur comme, par exemple, le recouvrement de redevances contractuelles impayées ou un bris de contrat. 8. Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., [1997] A.Q. 716 (C.S.Q. ; 1998-03-13) ; inf. 16 C.P.R. (4th) 77 (C.A.Q. ; 2001-04-18) ; inf. 23 C.P.R. (4th) 417 (C.S.C. ; 2003-05-21). 9. Syndicat des employées et employés de l’UQAM, Section locale 1294 c. Université du Québec à Montréal (UQAM), 2005 IIJCan 30712 (Arbitrage-Qué. ; 2005-09-01). Voies et recours civils non pécuniaires... 1135 L.D.A. et de faire respecter les obligations substantielles de cette loi] ; • limite le jugement Simmonds (1998)10 [refus de donner préséance à l’arbitrage alors qu’un recours en est principalement un pour violation de droits d’auteur] mais sous l’éclairage du jugement Campney (2002)11 [en cas de doute sur l’arbitrabilité d’un conflit, l’application de la clause d’arbitrage doit être favorisée]. Je ne discuterai pas • de la qualité pour ester en demande (titulaire, cessionnaire, concessionnaire, licencié exclusif, licencié non exclusif, distributeur), l’arrêt Kraft (2007)12 ayant jeté un nouvel éclairage, tamisé sans doute, sur les articles 2.6, 2.7 et 36 L.D.A. ; non plus • de qui peut être partie défenderesse : l’arrêt CCH (2004)13 avait expliqué ce qu’était une autorisation mais l’arrêt Sirius (2010)14 a 10. Simmonds Capital Limited c. Eurocom International Limited, 81 C.P.R. (3d) 349 (C.F.P.I. ; 1998-01-15), le protonotaire Hargrave, « [21] Il est indubitable que le contrat de licence est mentionné dans le présent procès et qu’il est à la base de toute la procédure d’arbitrage. Mais la présente action devant la Cour fédérale porte d’abord et avant tout sur une contrefaçon de marque de commerce et sur une violation de droits d’auteur et sur l’injonction qui est réclamée en conséquence à titre de réparation. » 11. Campney & Murphy c. Bernard & Partners, 22 C.P.R. (4th) 526 (C.F.P.I. ; 2002-11-04), le protonotaire Hargrave « [12] En employant les mots « découlant du », la clause d’arbitrage que prévoit le contrat de société de Campney & Murphy a une portée très large. Je n’ai pas besoin de décider, de façon absolue, si le différend actuel ayant trait à la reproduction de précédents est couvert par la clause d’arbitrage. Au contraire, je n’ai besoin que de décider si on peut soutenir que le différend est visé par la clause d’arbitrage. » 12. Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc., 33 C.P.R. (4th) 246 (C.F. ; 2004-05-03) ; 33 C.P.R. (4th) 242 (C.F. – Reconsideration ; 2004-06-09) ; mod. 47 C.P.R. (4th) 113 (C.A.F. ; 2005-12-19) ; inf. 59 C.P.R. (4th) 353 (C.S.C. ; 2007-07-26). Pour s’y retrouver, voir DRAPEAU (Daniel S.), « Marchandises d’importation parallèle : une Cour suprême divisée », (2008), 20:1 Cahiers de propriété intellectuelle 183 et RICHARD (Hugues G.), « Marques, brevets et droits d’auteurs – Qui peut poursuivre ? », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2008) 133, p. 145 et s. 13. CCH Canadian Limited c. The Law Society of Upper Canada, 2 C.P.R. (4th) 129 (C.F.P.I. ; 1999-11-09) ; inf. 18 C.P.R. (4th) 161 (C.A.F. ; 2002-05-14) ; inf. 30 C.P.R. (4th) 1 (C.S.C. ; 2004-03-04) 14. Sirius Canada inc. c. CMRRA/SODRAC inc., 2010 C.A.F. 348 (C.A.F. ; 2010-1216), le juge Sharlow : « [46] CSI plaide subsidiairement qu’une personne qui, au Canada, entreprend de faire une copie électronique d’une œuvre se trouvant aux États-Unis, en a autorisé la copie et a de ce fait violé au Canada le droit d’auteur associé à l’œuvre, par application de la partie finale du paragraphe 3(1) de la Loi 1136 Les Cahiers de propriété intellectuelle précisé qu’une « autorisation à l’égard d’un acte particulier ne viole le droit d’auteur que si l’acte autorisé constitue lui-même un acte de contrefaçon » et que dès lors – simplifions – autoriser du Canada une reproduction première aux États-Unis ne constitue pas nécessairement une violation du droit d’auteur au Canada ; non plus que • de la responsabilité personnelle des individus pour les violations des droits d’auteurs par une entreprise [on peut laisser cela, par exemple, aux diverses affaires Microsoft]15. Je ne discuterai pas • de la question de solidarité entre défendeurs dont les actes « fautifs » sont distincts quoique portant sur la même œuvre16 ; • non plus que la solidarité en matière de dommages punitifs [même la Cour d’appel du Québec ne semble pas s’entendre là-dessus (Solomon (2008)17 vs Genex (2009))18 ; espérons que l’arrêt qui 15. 16. 17. 18. sur le droit d’auteur. Se fondant sur son interprétation du paragraphe 3(1), la Commission a conclu que l’acte d’autorisation au Canada ne confère pas de droit d’action en vertu de la Loi sur le droit d’auteur lorsque la contrefaçon principale survient à l’extérieur du Canada. Je suis d’accord. [47] Selon mon interprétation de la partie finale du paragraphe 3(1), l’autorisation à l’égard d’un acte particulier ne viole le droit d’auteur que si l’acte autorisé constitue lui-même un acte de contrefaçon. Par conséquent, dès lors que la Commission a conclu, à juste titre, qu’elle n’a pas compétence pour imposer un tarif de redevances relativement à la copie d’une œuvre située aux États-Unis, elle devait conclure qu’elle n’a pas compétence pour imposer un tarif de redevances relativement à l’autorisation d’effectuer cette copie, même si l’autorisation a été donnée au Canada. » Microsoft Corporation c. 1276916 Ontario Ltd., 2009 FC 849 (C.F. ; 2009-08-27), le juge Mandamin « [50] Personal liability for the infringing activities of the corporation will be imposed where the individual authorizes, directs or participates in activities knowing they are likely to constitute infringement or that reflect an indifference to the risk of it. Microsoft v. 9038-3746 Quebec inc., supra, at paras. 91, 92 and 98 [2007 FCA 76] and Louis Vuitton Malletier S.A. v. 486353 B.C. Ltd., supra, paras. 45 to 48. » Art. 1525 et s. du Code civil du Québec. Solomon c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 1832 (C.A.Q. ; 2008-10-01), le juge Pelletier « [192] J’estime toutefois qu’il n’y a pas lieu de prononcer une condamnation solidaire en pareille matière. Aucun texte ne supporte expressément une pareille modalité d’exécution des obligations dans le cas des dommages punitifs. » Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201 (C.A.Q. ; 2009-11-20), le juge Dalphond, critiquant l’arrêt Solomon : « [126] Dans la mesure où cet extrait exclut toute possibilité de condamnation solidaire en matière de dommages punitifs à l’égard de coauteurs d’une atteinte illicite et intentionnelle, il écarte plusieurs précédents, dont les deux arrêts précités de la Cour suprême. Pour ma part, je me sens Voies et recours civils non pécuniaires... 1137 sera rendu dans Robinson (2011)19, une affaire de droits d’auteur cette fois, départagera]. Je ne discuterai pas des • des recours pénaux (depuis l’abolition en 1988 des travaux forcés pour violation du droit d’auteur, quel intérêt ?)20, • administratifs21 et toujours lié par ces précédents qui ont permis, lorsque approprié, de condamner solidairement des coauteurs d’une atteinte intentionnelle, et ce, pour les motifs qui suivent. [137] En conclusion, la solidarité en matière de dommages-intérêts punitifs est possible entre les coauteurs d’une atteinte illicite et intentionnelle, comme l’a reconnu la jurisprudence civiliste avant et après l’entrée en vigueur du C.c.Q. » 19. Appels nos 500-09-020014-098, 500-09-020033-098, (500-09-020034-096 et 50009-020035-093 entendus des 18 au 21 avril 2011 (les juges Thibault, Doyon et Morin).[Maintenant tranché : ce n’est pas solidaire, voir France Animation, s.a. c. Robinson, 2011 QCCA 1361 (C.A.Q. ; 2011-07-20), par. 233-235 [235] La solution proposée dans l’arrêt Solomon doit être retenue pour les deux raisons suivantes. D’abord, en terme de politique judiciaire, il est préférable que la Cour applique ses précédents, sauf en cas d’erreur évidente. Dans cette perspective, l’arrêt Solomon, qui est antérieur à l’affaire Genex, doit prévaloir. Ensuite, l’analyse faite par le juge Pelletier dans Solomon repose sur l’article 1621 C.c.Q., une disposition qui n’était pas applicable lorsque la Cour suprême a jugé les affaires Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital de St-Ferdinand, [[1996] 3 R.C.S. 211] et Gauthier c. Beaumont, [[1998] 2 R.C.S. 3] sur lesquelles Genex prend appui. Certes, on peut ne pas partager l’avis exprimé dans Solomon, mais on ne peut pas dire qu’il résulte d’une erreur évidente. L’individualisation des dommages punitifs préconisée dans Solomon, selon l’état de la situation patrimoniale de chaque contrevenant, a le mérite d’éviter de niveler l’indemnité, vers le haut ou vers le bas, en fonction du patrimoine du plus riche ou de celui qui l’est moins. Elle a aussi l’avantage de « punir » chaque contrevenant pour les actes qu’il a posés, en le condamnant à une somme déterminée sur mesure pour lui. En conséquence, la condamnation à des dommages punitifs ne sera pas solidaire. » 20. Où l’existence de recours pénaux n’empêche pas, faut-il le rappeler, l’institution de recours civils Les dictionnaires Robert Canada scc c. Librairie du Nomade inc., 16 C.P.R. (3d) 319 (C.F.P.I. ; 1987-01-05), le juge Denault à la page 337 [appel rejeté 37 FTR 240n (C.A.F. ; 1990-09-26)]. L’exploitation d’œuvre protégée par la Loi sur le droit d’auteur pouvant également l’être par d’autres dispositions statutaires, on n’oubliera pas la possible application du Code criminel (L.R.C. (1985), ch. C-46), les articles 126, 332, 342.1 ou 408 par exemple, ou encore des articles 32 et 45 de la Loi sur la concurrence (L.R.C. (1985), ch. C-34). 21. Que dire sur cet article 44 L.D.A. ? • Sur notification à l’Agence des douanes et du revenu du Canada, tout exemplaire d’une œuvre [art. 44 L.D.A.] fabriquée hors du Canada peut être frappé d’interdit total d’importation, même à l’encontre du titulaire du droit d’auteur. • Aux termes de l’article 44 L.D.A., les exemplaires de l’œuvre, objet de la notification à l’Agence des Services frontaliers du Canada, sont réputés faire partie du numéro tarifaire 9897.00.00 de la liste des dispositions tarifaires de 1138 Les Cahiers de propriété intellectuelle • douaniers22 (juste à lire les articles 44, 44.1, 44.2, 44.3, 44.4 et 45, on en aurait pour une heure !). Je ne discuterai pas • des présomptions23 (pour utiles qu’elles soient) non plus que l’annexe du Tarif des douanes (L.R.C. (1985), ch. C-54.01), c’est-à-dire d’importation totalement prohibée, au même titre, par exemple, que la littérature haineuse ou pornographique, les posters de scènes de crimes, la fausse monnaie et [...] les matelas usagés ! La Loi sur les douanes, (L.R.C. (1985), ch. C-52.6) permet à un fonctionnaire de douanes les saisie et destruction de tels exemplaires. • L’article 44 réfère spécifiquement à une œuvre, ce qui exclut donc de l’application de cette disposition les autres objets du droit d’auteur que sont « maintenant » les prestations d’artistes-interprètes, les enregistrements sonores et les signaux de communication. Tout en rappelant que la procédure de grief n’évacue pas la possibilité de recours civils : • Taucar c. University of Western Ontario Faculty Association, 2010 CanLII 74589, (ON L.R.B. ; 2010-12-14), le vice-président Waddingham « [69] The applicant’s complaint of « RZ’s » copyright infringement and the UWO’s response was not fully explained by the parties. Regardless there are civil remedies which the applicant can access. » • Rothery c. Grinnel 2000 ABQB 81 (Alta. Q.B. ; 2000-02-09), le juge LoVecchio : « [111] In my view, the Respondents in this case did not lose their right to pursue a civil action merely because they chose to lodge an academic complaint with the University. » 22. Il est également possible, sur une base plus sélective, d’obtenir de la Cour une ordonnance enjoignant au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de détenir tout exemplaire contrefait d’une œuvre importé au Canada ou sur le point de l’être et qui n’est pas encore dédouané et ce, en parallèle à des procédures judiciaires principales [art. 44.1 L.D.A. et s.]. 23. Art. 34.1 et 53 L.D.A. Voir : • Setana Sport Ltd. c. 2049630 Ontario inc., 2007 FC 899 (C.F. ; 2007-09-11) le juge Hughes « [4] The Plaintiff relies on a number of certificates of registration of copyright On their face, those certificates are defective. [...] ». • Koslowski c. Hogan Scott Courrier (Geeks Galore Computer Center), 2009 CF 883 (C.F. ; 2009-09-09) le juge Kelen « [21] Le demandeur n’a présenté aucune copie de certificat d’enregistrement du droit d’auteur auprès de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada. L’absence de certificat amène la Cour à déterminer que l’œuvre du demandeur n’était pas enregistrée conformément à l’article 53 de la Loi sur le droit d’auteur. Par conséquent, le demandeur n’est pas admissible à la présomption de l’article 53 quant à l’existence d’un droit d’auteur à l’égard de son œuvre et de la présomption de propriété des œuvres mises en cause. [22] Le demandeur peut néanmoins bénéficier de la présomption de propriété du droit d’auteur prévue au paragraphe 34.1(2) de la Loi sur le droit d’auteur puisque son nom est inscrit sur plusieurs œuvres de bandes dessinées à l’égard desquelles il revendique un droit d’auteur (dossier de requête du demandeur, onglet A, p. 35). » • Aînouche c. Actualités Côte-des-Neiges inc., 2010 QCCQ 11302, (C.Q.-Petites créances ; 2010-12-07) le juge Dortelus « [49] Dans le contexte propre à cette affaire, le fait que dans l’annuaire 2007-2008 et dans le guide le nom de la Voies et recours civils non pécuniaires... 1139 • de la prescription Ø la discoverability ou possibilité d’agir de Maple Leaf (2010)24, Ø l’infraction continue de Philip Morris (2010)25 ou demanderesse soit inscrit comme rédactrice et conceptrice du guide n’est pas concluant pour établir que le journal aurait renoncé à ses propres droits sur le guide pour lequel il a versé à la demanderesse les honoraires convenus. » [Que l’on poura comparer à l’affaire Corporation de l’École des hautes études commerciales de Montréal c. 23178277 Canada inc., J.E. 98-1680 (C.S.Q. ; 1998-0707), le juge Beaudoin, par. 44.]. • Target Event Production Ltd. c. Paul Cheung and Lions Communications Inc., 2010 CF 27 (C.F. 2010-01-11), la juge Simpson [modifié. 2010 C.A.F. 255 (C.A.F. ; 2010-01-05] « [93] À la date des enregistrements, le droit d’auteur sur la version papier du plan du site du marché et des règles de Target avait déjà été violé. La présente instance a été engagée le 2 mai 2008 et je suis arrivée à la conclusion que les enregistrements reposent essentiellement sur des considérations d’ordre stratégique. Pour ce motif, j’ai accordé peu de poids aux présomptions. Par contre, la preuve décrite ci-après révèle qu’il existe un droit d’auteur sur les règles de Target et le plan du site du marché ». Et j’aurais bien aimé dire un mot sur le caractère limité des présomptions de l’article 34.1 L.D.A., savoir qu’elles ne s’appliquent que dans le cadre d’une procédure pour violation de droit d’auteur, et non dans un cadre contractuel ou de vérification diligente. Ou encore le caractère réfragrabble des présomptions des articles 34.1 et 53. 24. Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada c. Maple Leaf Sports & Entertainment, 2010 FC 731 (C.F. ; 2010-07-07), le juge Phelan [sur requête pour jugement sommaire] : « [37] Lastly, the Defendant has raised the issue of limitation periods, either under the law of Ontario (two years) or the Copyright Act (three years). Quite apart from this clearly triable issue, the situation is complicated by the principle of « discoverability ». The parties acknowledge that this principle applies here. [38] An important issue in this context is when the infringing acts were discoverable. The answer to that issue engages the issue of respective responsibilities of the parties to maintain records, monitor performances and obtain licences. The issue takes one full circle to the overarching issue of the nature and operation of the SOCAN system and the rights and obligations flowing therefrom. » Voir aussi Canadian Private Copying Collective c. 9075-9077 Québec inc., [2008] R.J.Q. 1924 (C.S.Q. ; 2008-07-25), le juge Léger, par. 61-63. 25. Philip Morris Products S.A. c. Malboro Canada Limited, 2010 FC 1099 (C.F. ; 2010-11-08) le juge Montigny : « [352] Finally, section 41(1) of the Copyright Act sets out a three-year limitation period for civil remedies, which the Court shall apply when a party pleads it (s. 41(2)). [...] [354] Counsel for the Plaintiffs argued that each act of reproduction of the impugned package designs constitutes an infringement. Since the 2001 impugned package design continued to be reproduced through 2007, all infringing reproductions since January 8, 2005 would therefore not be barred by the expiration of the limitation period. Although appealing, this argument is not totally convincing. It rests on the assumption that each and every new package printed constituted a continuing or new act of infringement. However, it could be argued with equal force that it is the actual design of the package that constitutes the infringement, and that each reproduction of that design on the packages does not represent a separate or even a 1140 Les Cahiers de propriété intellectuelle Ø le « dans le beurre » de Fabrikant (2011)26. Je vais plutôt faire un rappel des recours (mesures de redressement ou de réparation), qui sont prévus par les articles 34, 35 [ça sera pour une partie 2], 38, 38.1 et 38.2 [également dans une partie 2], 39, 39.1 et 40 L.D.A., avec quelques illustrations jurisprudentielles pour nous rafraîchir collectivement la mémoire. 2. GÉNÉRALITÉS Un droit n’a de valeur, dit-on, que dans la mesure où existe un recours pour l’exercer. Ubi jus ibi remedium ! Or, l’usurpation des droits exclusifs que confère la Loi sur le droit d’auteur donne ouverture à une série de recours civils qui s’appliquent tant à la violation des droits économiques d’auteur que des droits moraux27. [...] Les dispositions pertinentes de la Loi autorise le titulaire d’un droit d’auteur qui en allègue la violation, d’exercer un ou plusieurs des différents recours qui y sont prévus. Aucun d’entre eux n’est l’accessoire de l’autre et chacun peut exister indépendamment de l’autre.28 continuing « act » of infringement. This issue has not been thoroughly canvassed by the parties, and in the absence of clear authorities on the subject, it is preferable to refrain from any definitive finding on this point, as it is not strictly speaking necessary for the resolution of this case. » 26. Fabrikant c. Swamy, 2011 QCCS 1385 (C.S.Q. ; 2011-03-25), le juge Rolland « [98] I agree with these findings. The claim in damages for copyright infringement is prescribed and the action must be dismissed with respect to that claim. » mais demeurent les recours déclaratoire et injonctif. 27. On notera ici que depuis le 1997-09-01, • Les recours civils pour violation des droits d’auteurs sont étendus à la violation des droits moraux. • Le terme « droit d’auteur » n’est plus limité par le concept classique d’œuvre (artistique, dramatique, littéraire ou musicale) mais vise également ce que d’aucuns qualifient de droits voisins, savoir les prestations d’artistes- interprètes, les enregistrements sonores et les signaux de communication. • Les droits moraux sur les droits voisins ne sont toutefois pas [encore] reconnus par la L.D.A. 28. Michel Rhéaume & Associés ltée c. 9071-8131 Québec inc., 2005 IIJCan 24443 (C.S.Q. ; 2005-07-08), le juge Matteau, au paragraphe 39. Tout cela dans le contexte du « It should be remembered that copyright is a property that is a wasting asset. It is subject to depletion. Every time an infringement takes place so much of the plaintiff’s property has been taken and consumed, never to be recovered. Copyright is not an inexhaustible store that can be drawn on at will without detraction. National Film Board c. Bier, 63 C.P.R. 164 (C.d’É. ; 1970-08-11), le juge Walsh, p. 179, citant lui-même FOX (Harold George), The Canadian Law of Voies et recours civils non pécuniaires... 1141 Certains recours sont cumulatifs, d’autres alternatifs, nous le verrons. Ainsi, le demandeur qui aura prouvé violation de ses droits pourra obtenir • une déclaration de propriété et de contrefaçon, • une ordonnance d’injonction (provisoire, interlocutoire ou permanente, restreinte ou élargie, mandatoire ou prohibitoire), • le paiement de dommages (réels ou pré-établis de même que punitifs, assortis ou non de l’intérêt légal ou de l’indemnité spéciale), • une reddition de comptes ou de regorgement des profits, • le recouvrement de possession ou la destruction des contrefaçons, et • le paiement de dépens ou remboursement des frais d’avocats. 3. L’INJONCTION Cette question est fort grave dans la pratique ; car il faut reconnaître d’une part, que l’un des plus sérieux obstacles à l’exercice des droits des propriétaires réside dans l’habileté des contrefacteurs à effacer les traces de leur délit. – RENOUARD (Augustin-Charles), Traité des droits d’auteurs dans la littérature, les sciences et les beaux-arts (Paris : Jules Renouard & Cie, 1839), tome second, p. 391, no 226. Copyright and Industrial Designs, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1967), p. 459. Voir aussi Don Hammond Photography Ltd. c. The Consignment Studio Inc., 2008 ABPC 9 (C.prov.Alb. ; 2008-01-07), le juge Ingram. « [14] Next, I believe I must consider the basis for damages : the damage done to the Plaintiff. In theory, the measure is the depreciation brought about by the infringement in the value of the copyright as an asset. » 1142 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.1 Injonction – généralités L’injonction29 est une ordonnance de la cour ou de l’un de ses juges enjoignant30 une personne31 de ne pas faire ou de cesser de faire un acte ou une opération déterminés : c’est l’injonction prohibitoire. Dans les cas qui le permettent, il peut aussi être enjoint à une personne d’accomplir un acte : c’est alors une injonction mandatoire. Et une cour peut être très imaginative dans son approche32. 29. Microsoft Corp. c. 9038-3746 Quebec inc., 57 C.P.R. (4th) 204 (C.F. ; 2007-01- 16), le juge Harrington : « [121] En tant que tribunal d’equity (Loi sur les Cours fédérales, art. 3), la Cour peut ordonner à quelqu’un de cesser de faire quelque chose et de ne pas faire quelque chose dans le futur. Le pouvoir d’accorder une réparation par voie d’injonction est reconnu à l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales. Les articles 373 et suivants des Règles des Cours fédérales donnent plus de détails. Ce recours est également prévu aux articles 39 et 39.1 de la Loi sur le droit d’auteur ainsi qu’aux articles 53 et 53.3 de la Loi sur les marques de commerce. En fait, l’article 39 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit qu’une injonction est le seul recours en cas de contrefaçon d’une marque de commerce non déposée si le défendeur prouve qu’il ne savait pas et n’avait aucun motif raisonnable de soupçonner que l’œuvre en question était protégée. Cela n’est évidemment pas le cas en l’espèce. » 30. C’est un verbe transitif. Dans la langue soutenue, la construction transitive indirecte « enjoindre à » est recommandée mais la construction transitive directe « enjoindre une personne » gagne du terrain. Merci de cette capsule linguistique à DE VILLERS (Marie-Éva), Multi Dictionnaire de la langue française, 5e éd. (Montréal : Québec Amérique, 2009). Par contre, pour faire cela simple : on ordonne à quelqu’un de faire quelque chose ! 31. Microsoft Corporation c. 9038-3746 Québec inc., 57 C.P.R. (4th) 204 (C.F. ; 2007-01-16), le juge Harrington : « [[127] L’injonction est une mesure de réparation que la Cour accorde à sa discrétion. Je pense qu’il serait trop zélé de prétendre l’appliquer de façon permanente à des tiers. L’injonction serait prononcée ex parte à leur endroit et ils pourraient présenter une requête en annulation. Ils auraient pu être désignés comme défendeurs et des éléments de preuve, au lieu d’hypothèses, auraient pu être établis contre eux. [...] » 32. Voir : • Kraft Canada inc. c. Euro Excellence inc., 33 C.P.R. (4th) 242 (C.F. ; 2004-0609), le juge Harrington « LA COUR ORDONNE que la requête de réexamen soit rejetée. Euro Excellence est libre de masquer l’œuvre protégée des emballages de Toblerone et de Côte d’Or avec une pellicule de plastique opaque, pourvu que la forme de l’œuvre en question ne soit pas visible. » • Target Event Production Ltd. c. Cheung, 80 C.P.R. (4th) 413 (C.F. ; 2010-01-11) la juge Simpson [inf. part. 87 C.P.R. (4th) 287 (C.A.F. ; 2010-10-05)] : « LA COUR ENJOINT aux défendeurs de cesser de violer le droit d’auteur de la demanderesse sur le plan du site du marché de Target en exploitant un marché qui constitue une reproduction d’une partie importante du plan du site du marché de Target. Pour plus de clarté, je signale que cette violation peut être évitée de plusieurs façons, notamment par : •l’achat par Lions du plan du site du Voies et recours civils non pécuniaires... 1143 3.2 Critères d’émission L’injonction se demande indépendamment de toute réclamation pour dommages33 et, en sus de celle-ci, le cas échéant. marché de Target ; • le réaménagement par Lions du Marché Lions de manière à ce qu’il ne constitue plus une reproduction d’une partie importante ; • la fermeture par Lions du Marché Lions. ». 33. Voir : R. c. James Lorimer and Company Limited, [1984] 1 CF 1065 (C.A.F. ; 1984-01-05), le juge Mahoney à la page 1073 « [10] Il s’ensuit que, lorsque la contrefaçon du droit d’auteur a été établie, le titulaire du droit d’auteur a droit prima facie à une injonction qui interdit de continuer ces activités fautives. [...] Il incombe au contrefacteur d’établir des motifs qui justifieraient la Cour, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de refuser un tel recours [Fn4 Massie & Renwick, Limited v. Underwriters’ Survey Bureau Limited et al., [1937] R.C.S. 2650. Ces motifs doivent se fonder sur la conduite du titulaire du droit d’auteur et non sur la conduite ou les mobiles du contrefacteur. On ne peut refuser une injonction au motif que la contrefaçon n’a entraîné aucun dommage pour le titulaire du droit d’auteur [Bouchet v. Kyriacopoulos (1964), 45 C.P.R. 265 (C. d’É.) ; appel rejeté]. ». • Wing c. Van Velthuizen, 9 C.P.R. (4th) 449 (C.F.P.I. ; 2000-11-20), le juge Nadon : « [69] La jurisprudence indique que le titulaire du droit d’auteur qui a fait la preuve d’une violation de son droit peut obtenir une injonction permanente même s’il n’a pas démontré ou subi un préjudice. [...][71] J’estime qu’il y a lieu en l’espèce d’accorder une injonction ordonnant à l’intimée de cesser de publier, imprimer, distribuer, offrir ou annoncer en vente et vendre le Journal. La violation du droit d’auteur a été clairement établie par les requérantes et il semble que la violation du droit ne cessera pas à moins d’injonction. Il a été notifiée à l’intimée à plus d’une reprise qu’elle violait le droit d’auteur des requérantes, mais elle n’a pas mis fin à la violation. Elle a indiqué dans sa lettre à l’avocat des requérantes (pièce I de l’affidavit Giuliani) qu’elle ne cesserait la publication du Journal que si les requérantes « [TRADUCTION] achetaient » son droit d’auteur pour une somme de 125 000 $US. Il est clair que l’intimée ne comprend pas qu’elle n’est pas titulaire du droit d’auteur et qu’elle ne mettra fin à la violation que s’il elle y est forcée. L’injonction est accordée. » • Société des Loteries du Québec c. Club Lotto International, 13 C.P.R. (4th) 315 (C.F.P.I. ; 2001-01-25), le juge Blais : « [37] D’entrée de jeu, il est important de mentionner que les parties ont convenu que les dommages-intérêts liquidés, si cela devait être le cas, seraient établis à la somme de un dollar (1 $) et que la demanderesse, si elle avait gain de cause, n’avait pas l’intention de réclamer d’autres montants à titre de dommages-intérêts. [39] Reste donc, le seul remède utile réclamé par la demanderesse à savoir une injonction permanente. Compte tenu de la preuve entendue et des conclusions auxquelles en est arrivée la Cour quant à la violation des droits d’auteur de la demanderesse et à l’utilisation illégale des Marques officielles, propriété de la demanderesse, je n’ai aucune hésitation à conclure que la demanderesse est en droit d’obtenir réparation et en conséquence, qu’une injonction permanente soit accordée. » • Microsoft Corp. c. PC Village Co., 75 C.P.R. (4th) 21 (C.F. ; 2009-04-22), le juge Mandamin : « [45] The evidence indicates the named Defendants knowingly and deliberately infringed on the Plaintiff’s copyright and trade-mark in circumstances that are suggestive of a continuing pattern of infringement. The named Defendants business practices do not disclose any effort to avoid or curtail future infringement. I am satisfied injunctive relief is also appropriate. » 1144 Les Cahiers de propriété intellectuelle Les critères d’émission d’une injonction en matière de violation de droits d’auteur, qu’elle soit permanente ou interlocutoire, obéissent aux mêmes règles que celles prévalant en matières civile ou commerciale, avec des variations, bien sûr, suivant la juridiction. Ainsi, de façon générale, au niveau interlocutoire, il faudra se pencher sur • un droit clair, • la nature sérieuse et irréparable non autrement compensable du préjudice résultant de l’usurpation34 et, enfin, • la prépondérance des inconvénients. Au niveau permanent35 toutefois, les critères propres à l’émisssion du recours extraordinaire qu’est l’injonction interlocutoire ne doivent pas être considérés36. Les conséquences, autres que les conséquences juridiques, de l’octroi ou du refus de l’injonction ne peuvent entrer en ligne de compte37. 34. Ce qui n’exclut pas la demande d’injonction préventive quia timet. 35. Lorsqu’un titulaire de droit d’auteur a établi que • il est titulaire du droit d’auteur, • dans une œuvre protégée, • dont les droits avaient été usurpés ou autrement violés. la cour pourra émettre une ordonnance d’injonction. Voir Atomic Energy of Canada Limited c. AREVA NP Canada ltd., 2009 FC 980 (C.F. ; 2009-09-30), le juge Zinn « [34] Pour obtenir gain de cause dans une action en violation du droit d’auteur, EACL doit prouver, selon la prépondérance des probabilités : (i) que l’œuvre à l’égard de laquelle elle revendique un droit d’auteur est une œuvre originale (et qu’elle est antérieure à la violation présumée) ; (ii) que cette œuvre a été plagiée sans son consentement ; (iii) que ce plagiat s’est traduit par la reproduction d’une partie substantielle de l’œuvre. » 36. R. c. James Lorimer and Company Limited, [1984] 1 CF 1065 (C.A.F. ; 1984-0105.), le juge Mahoney à la page 1073 ; Wing c. Van Velthuizen, 9 C.P.R. (4th) 449 (C.F. ; 2000-11-20), le juge Nadon aux paragraphes 63 et 71. 37. Celui qui viole les droits d’un autre n’a qu’à lui-même à s’en prendre : Mawman c. Tegg, 2 Russ. 386 (Ch. ; 1826-08-18), le juge Eldon aux pages 390-391 : « As to the hard consequences which would follow from granting an injunction, when a very large proportion of the work is unquestionably original, I can only say, that if the parts, which have been copied, cannot he separated from those which are original, without destroying the use and value of the original matter, he who has made an improper use of that which did not belong to him must suffer the consequences of so doing. If a man mixes what belongs to him with what belongs to me, and the mixture be forbidden by the law, he must again separate them, and he must bear all the mischief and loss which the separation may occasion, If an individual chooses in any work to mix my literary matter with his own, he must be restrained from publishing the literary matter which belongs to me ; Voies et recours civils non pécuniaires... 1145 Lex non distinguit38 ! En tous les cas, la Cour jouit d’une grande discrétion39 dans l’octroi d’une injonction et, principalement en matière interlocutoire, il faut agir avec diligence, le contraire démontrant qu’il n’y a pas de préjudice sérieux40 ou prêtant flanc à une défense de préclusion. and if the parts of the work cannot be separated, and if by that means the injunction, which restrained the publication of my literary matter, prevents also the publication of his own literary matter, he has only himself to blame. » • MacMillan Publishers Limited c. Thomas Reed Publications Limited, le juge Mummery à la page 467 : « In those circumstances, though I greatly regret the possible loss of much non-infringing matter as a result of the injunction, the law as laid down by Lord Eldon is clear. This has been the law since 1826 [Mawman c. Tegg, 2 Russ. 386]. As a matter of fairness and common sense a defendant who behaves in this way has only himself to blame for the serious consequences his acts may have for him. » 38. En fait la maxime complète est Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus – Là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer ; la maxime Dura lex, sed lex – La loi (est) dure, mais (c’est) la loi est sans doute plus d’à propos. Certains vont regretter de n’avoir pas sous la main leur MAYRAND (Albert), Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, 4e éd., (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2007) ! 39. Underwriters Survey Bureau Limited c. Massie & Renwick Limited, [1937] R.C.S. 265 (C.S.C. ; 1937-07-19), le juge Hudson à la page 268 : « [7] The law governing the court in granting or refusing an injunction is correctly stated in Ashburner’s Principles of Equity (2nd Ed. 1933), p. 343 : « Where the court has jurisdiction to grant an injunction, the question whether it will grant it or not is a question of discretion. It is not bound to grant an injunction merely because A threatens and intends to violate a legal right of B. But the tendency of the decisions in recent years is to limit the discretion of the court, and it may be laid down that every threatened violation of a proprietary right which, if it were committed, would entitle the party injured to an action at law, entitles him, prima facie, to an injunction, and the onus is upon the defendant of rebutting the presumption in favour of an injunction, by showing that damages will be an adequate compensation to the plaintiff for the wrong done him, or that on some other ground he is not entitled to equitable relief. » [8] In considering whether such grounds exist for refusing this relief, the court would, unquestionably, have regard to the conduct of the plaintiffs and, especially to the fact, if such fact were established, that the application for the injunction was merely one step in the prosecution of a scheme in which the plaintiffs had combined to further some illegal object injurious to the defendant. Taking this view, I do not think that this court should be called upon at the present time to say whether or not the allegations in the above-mentioned paragraphs of the statement of defence would be sufficient to justify the court in withholding an injunction. The matter should be referred back to trial without expressing at present any opinion one way or the other as to the sufficiency of the allegations in the statement of defence ». 40. Pagé (Éditions 36D) c. Kamar, 2009 QCCS 566 (C.S.Q. ; 2009-02-13) [inf. sur autre point 2009 QCCA 1728 (C.A.Q. ; 2009-09-17)] la juge Monast : « [23] Quoiqu’il en soit, le délai écoulé entre le moment où le mandataire d’Éditions 36D déclare avoir eu connaissance [juillet 2005] d’une violation du contrat d’édition signée en octobre 2000 et le moment où la requête en injonction a été intentée est considérable [août 2008]. Aucun motif n’a été allégué pour justifier ce long délai 1146 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.3 Les mythes Les mythes : • Ce n’est pas parce qu’il s’agit de droits d’auteurs que l’injonction sera plus facilement émise41 ; • Ce n’est pas parce qu’on a un certificat d’enregistrement que l’on a une apparence de droit à l’injonction42 ; • Ce n’est pas parce qu’il y a eu des violations passées, que la cour émettra automatiquement une ordonnance d’injonction permanente. et aucune impossibilité d’agir n’a été prouvée. Ceci tend à démontrer que Éditions 36D n’a pas fait preuve de diligence raisonnable parce que, fondamentalement, elle sait ou devrait savoir qu’il n’existe pas réellement de préjudice sérieux ou irréparable dans la présente cause justifiant l’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire alors même que les parties n’ont pas encore eu l’opportunité d’être entendues sur le fond et les défendeurs la possibilité de présenter leurs moyens de défense. » 41. Le seul fait que le demandeur ait un doit d’auteur enregistré ou qu’il y ait violation n’empêche pas que le recours demeure discrétionnaire et doive obéir aux règles relatives à son octroi. Voir : Western Steel & Tube Ltd. c. Erickson Manufacturing Ltd., 2009 FC 791 (C.F. ; 2009-07-31) la juge Snider : « [11] [...] In short, there is no automatic conclusion that irreparable harm exists merely because the foundation of an action is an infringement of copyright or trademark or the alleged tort of passing off. » • Pagé (Éditions 36D) c. Kamar, 2009 QCCS 566 (C.S.Q. ; 2009-02-13), la juge Monast [inf. sur autre point 2009 QCCA 1728 (C.A.Q. ; 2009-09-17)] : « [24] Puisque le délai écoulé entre le moment où les droits de Éditions 36D auraient été usurpés et celui où le recours en injonction a été intenté ne peut à lui seul justifier le rejet de la demande, il importe d’examiner les critères énumérés à l’article 752 C.p.c. » 42. Voir : Hay c. Saunders, 30 C.P.R. 81 (C.S. Ont. ; 1958-06-20) le juge King : « [47] I perhaps should say in conclusion that the plaintiff had obtained a certificate of registration of copyright in the plans for the Belaire and in the Belaire house on June 23rd, 1956. The plaintiff (though not his counsel, of course,) seemed to be under the impression that having obtained this certificate of copyright no one else could then build a home similar to the Belaire. Anyone, of course, can build a home similar to the Belaire provided that such a one does not copy the plans for the Belaire and does not copy the building itself ; that is to say, anyone who is the author of his own plans and building. » • Pagé (Éditions 36D) c. Kamar, 2009 QCCS 566 (C.S.Q. ; 2009-02-13), la juge Monast [inf. sur autre point 2009 QCCA 1728 (C.A.Q. ; 2009-09-17)] : « [28] La délivrance d’un certificat pour attester de la détention par Éditions 36D de droits d’auteur à l’égard de certaines œuvres ne lui donne pas une apparence de droit à l’injonction. » Voies et recours civils non pécuniaires... 1147 Ø surtout s’il s’agit d’un acte isolé43, 43. Tel sera le cas, par exemple, d’une violation survenue dans le cadre d’un événement ponctuel, comme une exposition temporaire, une foire ou un article de journal, non susceptible de se reproduire ou, encore, une télédiffusion unique. Voir, par exemple : • Gribble c. Manitoba Free Press Ltd., [1932] 1 D.L.R. 169 (C.A. Man. ; 1931-1109), le juge Prendergast à la page 176 : « [32] This only means ; however, that the Court is not limited in this case to injunction, not that injunction could not be granted. But I agree with the learned trial Judge that this is not a case for such redress. The appellant would have to show, which he has not done, that there is a probability of future damage [...] or that the defendant is likely to continue the infringement[...] » et le juge Dennistoun à la page 179 :« [60] I agree that the publication of this article in The Manitoba Free Press six years ago gives no ground for an injunction. There has been no repetition of the infringement and no suggestion of the probability of future infringement, but I think the plaintiff has proved his copyright which the defendants should have suspected and is entitled to the nominal damages to which the parties have agreed. » • Canadian Performing Right Society Limited c. Canadian National Exhibition Association, [1934] 4 D.L.R. 154 (C.S. Ont. ; 1934-07-21), le juge Rose à la page 167 : « [26] It seems to be more or less usual in these cases to grant an injunction[...]. But in this case, there is no probability of a repetition of the particular act complained of, and I see no reason why there should be more than a declaration that the defendants have infringed the plaintiffs’ right and a judgment for $5.00 damages, of course with costs. » • Fiel c. Lemaire, [1940] R.C.É. 21 (C. d’É. ; 1939-11-21), le juge Angers à la page 32 : « [53] Le procureur de la défenderesse a soutenu qu’il n’y avait pas lieu d’accorder une ordonnance de cessation ou d’interdiction vu qu’il s’agit d’un acte isolé, qui n’est pas susceptible de se répéter. Il est raisonnable de croire que la défenderesse ne projette point de publier ou reproduire de nouveau le conte de la demanderesse ; il est vrai qu’elle n’a pris aucun engagement à cet effet, mais elle n’a plus d’intérêt à le faire. Je suis d’avis, dans les circonstances, qu’il n’y a pas lieu d’accorder une ordonnance de cessation ou d’interdiction. » • Zamacoïs c. Douville, 3 Fox Pat.Cas. 44. (C. d’É. ; 1943-03-01), le juges Angers à la page 75 : « [115] Vu qu’il s’agit d’un acte isolé, qui n’est pas susceptible de se répéter, je ne pense pas qu’il y ait lieu d’accorder une ordonnance d’interdiction. Il est raisonnable de croire que les défendeurs ne projettent point de reproduire de nouveau la chronique du demandeur non plus qu’aucune autre chronique publiée par lui dans le journal Candide sous le même titre « Vérités et Bobards ». » • De Montigny c. Cousineau 12 C.P.R. 45 (C.S.C. ; 1950-01-30), le juge Rinfret : « [26][...] D’autre part, il n’est plus utile d’accorder l’émission d’une injonction, parce que les articles ont été reproduits et l’injonction n’aurait donc aucun effet [...] » • Durand & Cie. c. La Patrie Publishing Co., 34 C.P.R. 169 (C.S.C. ; 1960-6-24) ; le juge Abbot : « [24] In the result the appeal should be allowed and the crossappeal dismissed. There would seem to be no necessity now to grant appellant the injunction asked for. No special damages were alleged or proved but appellant claimed the sum of $600 for what it describes as punitive damages. There appears to have been only one broadcast by respondent of the opera in question, and in the circumstances, I would award appellant damages in the sum of $600, the amount claimed in the action. » • Bishop c. Stevens Bishop c. Stevens, 4 C.P.R. (3d) 349, (C.F.P.I. ; 1985-04-15), le juge Strayer aux pages 366-367 [mod. quant à un autre point 18 C.P.R. (3d) 257 1148 Les Cahiers de propriété intellectuelle (C.A.F. ; 1987-11-05) ; conf. [1990] 2 R.C.S. 467 (C.S.C.)] : « [15] Il n’y avait pas lieu non plus d’accorder une injonction car aucune preuve ne montrait que la défenderesse continuerait à violer le droit d’auteur des demandeurs. » Voir de même FOX (Harold George), The Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1967), à la page 461 et PATERSON (John Melvin), Kerr on Injunctions, 6e éd., (Londres : Sweet & Maxwell, 1927). Voir : • Éthier c. Boutique à coiffer Tonic inc., J.E. 99-300 (C.S.Q. ; 1998-12-21), le juge Jasmin : « [42] Enfin, pour toutes les raisons ci-haut mentionnées, et notamment, le fait que la demande d’injonction permanente était devenue inutile à peine quelques jours après la publication de l’annonce publicitaire par Tonic puisque celle-ci s’était formellement engagée à ne plus la publier, aucune indemnité additionnelle ne sera accordée ». • CCH Canadian Limited c. The Law Society of Upper Canada, 2 C.P.R. (4th) 129 (C.F.P.I. ; 1999-11-09), le juge Gibson [inf. 18 C.P.R. (4th) 161 (C.A.F. ; 2002-05-14) ; inf. 30 C.P.R. (4th) 1 (C.S.C. ; 2004-03-04)] : « [200] As can be seen from the foregoing, the greater part of the plaintiffs’ claim against the defendant for copyright infringement has not been successful. Further, the success that the plaintiffs have achieved is of such a limited nature that I am simply not satisfied that it would be appropriate for me to exercise my discretion to grant any form of injunction to the plaintiffs as against the custom photocopy service of the defendant. » ; • British Columbia Automobile Assn c. Office and Professional Employees’ International Union,Local 378 10 C.P.R. (4th) 423 (C.S.-C.B. ; 2001-01-26), le juge Sigurdson : « [232] [...] Since those sites are no longer used, I do not think that a declaration or an injunction concerning them is appropriate. I find that a declaration would not be “capable of having any practical effect in resolving the issues in the case” » • Setym International inc. c. Belout [2001] R.R.A. 1051 (C.S.Q. ; 2001-02-23), le juge Wéry : « [187] Le procès a donc clairement démontré qu’il n’y avait pas matière, aujourd’hui, à prononcer une ordonnance d’injonction permanente à cet égard. Par conséquent, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de rendre, près de quatre ans après les événements, une ordonnance d’injonction permanente si celle-ci ne s’avère pas requise ou justifiée. Il suffira donc d’accueillir la demande d’injonction permanente pour les frais seulement. » • Emerald Passport Inc. c. MacIntosh, 2009 BCSC 593 (BCSC ; 2009-04-30) le juge Chamberlist : « [14] Further damaging to the claim for injunctive relief is the fact that the actions of the plaintiff which Mr. MacIntosh alleges infringed on his copyright were discontinued immediately upon demand, and there is no evidence of further activity after demand was made. [15] It is trite law that injunctions are granted by the court as a method by which the court seeks to maintain the status quo until trial. Therefore, at the time this matter came before the court, besides there being no pleadings to support the relief sought there appears to be no rights that are threatened which require the court’s intervention to preserve alleged rights. » • Nicholas c. Environmental Systems (International) Limited, 2010 CF 741 (C.F. ; 2010-07-12), le juge Russel : « [117] Les défendeurs ont reconnu sans réserve que le demandeur conserve tout droit d’auteur et tous droits moraux qui existent sur le Rapport. Re-defining Water a retiré le Rapport de son site Web. Toutes les autres activités relatives au Rapport soit relèvent de l’objet de sa production, soit ont de toute façon cessé. [...]. [118] En conséquence, rien ne justifie que la Cour prononce les jugements déclaratoires ni les injonctions sollicités par le demandeur. [...]. ». Voies et recours civils non pécuniaires... 1149 Ø que le défendeur a déjà cessé les activités reprochées44, ou Ø que celles-ci sont difficiles à cerner ou inexistantes 45, 44. Voir Éthier c. Boutique à coiffer Tonic inc., J.E. 99-300 (C.S.Q. ; 1998-12-21), le juge Jasmin : « [42] Enfin, pour toutes les raisons ci-haut mentionnées, et notamment, le fait que la demande d’injonction permanente était devenue inutile à peine quelques jours après la publication de l’annonce publicitaire par Tonic puisque celle-ci s’était formellement engagée à ne plus la publier, aucune indemnité additionnelle ne sera accordée » • British Columbia Automobile Assn c. Office and Professional Employees’ International Union, Local 378 10 C.P.R. (4th) 423 (C.S.-C.B. ; 2001-01-26), le juge Sigurdson : « [232] [...] Since those sites are no longer used, I do not think that a declaration or an injunction concerning them is appropriate. I find that a declaration would not be “capable of having any practical effect in resolving the issues in the case” ». • Setym International inc. c. Belout [2001] R.R.A. 1051 (C.S.Q. ; 2001-02-23), le juge Wéry : « [187] Le procès a donc clairement démontré qu’il n’y avait pas matière, aujourd’hui, à prononcer une ordonnance d’injonction permanente à cet égard. Par conséquent, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de rendre, près de quatre ans après les événements, une ordonnance d’injonction permanente si celle-ci ne s’avère pas requise ou justifiée. Il suffira donc d’accueillir la demande d’injonction permanente pour les frais seulement. » • Emerald Passport Inc. c. MacIntosh, 2009 BCSC 593 (B.C.S.C. ; 2009-04-30) le juge Chamberlist : « [14] Further damaging to the claim for injunctive relief is the fact that the actions of the plaintiff which Mr. MacIntosh alleges infringed on his copyright were discontinued immediately upon demand, and there is no evidence of further activity after demand was made. [15] It is trite law that injunctions are granted by the court as a method by which the court seeks to maintain the status quo until trial. Therefore, at the time this matter came before the court, besides there being no pleadings to support the relief sought there appears to be no rights that are threatened which require the court’s intervention to preserve alleged rights. » • Nicholas c. Environmental Systems (International) Limited, 2010 CF 741 (C.F. ; 2010-07-12), le juge Russel : « [117] Les défendeurs ont reconnu sans réserve que le demandeur conserve tout droit d’auteur et tous droits moraux qui existent sur le Rapport. Re-defining Water a retiré le Rapport de son site Web. Toutes les autres activités relatives au Rapport soit relèvent de l’objet de sa production, soit ont de toute façon cessé. [...]. [118] En conséquence, rien ne justifie que la Cour prononce les jugements déclaratoires ni les injonctions sollicités par le demandeur. [...] ». 45. Voir : • Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy’s Ltd., [1986] 1 C.F. 357 (C.F.P.I. ; 1984-06-29), le juge Strayer : « [32] Par conséquent, je déclare que le premier et l’actuel titulaire du droit d’auteur dans le dessin de fleurs Victoriana Rose est Paragon China Limited. Toutefois, comme il n’y a aucune preuve que la défenderesse a reproduit ce motif, a l’intention de le reproduire, de faire en sorte qu’il y soit reproduit ou de vendre des reproductions de celui-ci autres que la marchandise fournie par Paragon China Limited, et comme il n’y a pas de preuve non plus que la défenderesse a affirmé publiquement qu’elle était titulaire de ce droit d’auteur, il apparaît que rien ne justifie d’exercer ma discrétion judiciaire dans le sens des injonctions demandées. » • CCH Canadian Limited c. The Law Society of Upper Canada, 2 C.P.R. (4th) 129 (C.F.P.I. ; 1999-11-09), le juge Gibson [inf. 18 C.P.R. (4th) 161 (C.A.F. ; 1150 Les Cahiers de propriété intellectuelle • même si l’attitude passée est souvent garante de l’avenir46 ; • La cour n’émettra pas d’injonction si c’est une œuvre immorale ou obscène47 ; 2002-05-14) ; inf. 30 C.P.R. (4th) 1 (C.S.C. ; 2004-03-04)] : « [200] As can be seen from the foregoing, the greater part of the plaintiffs’ claim against the defendant for copyright infringement has not been successful. Further, the success that the plaintiffs have achieved is of such a limited nature that I am simply not satisfied that it would be appropriate for me to exercise my discretion to grant any form of injunction to the plaintiffs as against the custom photocopy service of the defendant. » 46. On comparera : Prise de parole inc c Guérin, éditeur ltée, 66 C.P.R. (3d) 257 (C.F.P.I. ;1995-11-27), le juge Denault [conf. 73 C.P.R. (3d) 557 (C.A.F. ; 1996-1029)] : « Injunction 1. Since the defendant continued and continues, without authorization, to advertise in its 1995 catalogue the sale of the Libre expression collection containing extracts from Doric Germain’s novel, I feel that a permanent injunction should be issued requiring the defendant to cease publishing, selling, printing or distributing the Libre expression collection incorporating the work La vengeance de l’orignal. » et • Louis Vuitton Malletier S.A. c. 486353 B.C. Ltd., 2008 BCSC 799 (C.S.-C.B. ; 2008-06-19), la juge Boyd : « [52] While there is no evidence that J. Lee has continued in the infringing activities since the service of the Cease & Desist letter upon her, there is still strong evidence that she, like all of the other defendants, has infringed the rights of the plaintiffs. Accordingly, there will be an order permanently restraining and enjoining all of the defendants and each of them from continuing in their infringing activities. » pour constater que la décision est souvent rendue « à la tête » du défendeur. 47. Ça ressemble à une « poigne » de question d’examen ! En pareil cas, la Cour pourra refuser d’octroyer des dommages mais cela ne l’empêcherait pas d’émettre une injonction : • Pasickniak c. Dojacek, [1928] 2 D.L.R. 545 (C.A. Man. ; 1928-03-26), le juge Dennistoun : « [62] But apart from damages, I can see no reason why the pirating of an author’s original work should not be restrained by injunction, provided it is honest work and not a fraud upon the public. [63] The parts of the book which are claimed to be immoral constitute so insignificant a part of the whole book that, even if I were able to agree with the trial Judge, I would nevertheless hold that they were severable from the main portions of the work, and that the plaintiff might abandon them without injury to his book, and should have judgment for the remainder, as was done in Baschet v. London Illustrated Standard Co., [1900] 1 Ch. 73, at 79, 69 L.J. Ch. 35, where Kekewich, J., refused copyright in two pictures out of seven, on the ground of indecency, but as to the other five he gave judgment for the plaintiff with five-sevenths of the costs. » • Aldrich c. One Stop Video Ltd., 17 C.P.R. (3d) 27 (C.S.-C.B. ; 1987-04-23), le juge Davies : :« [119] The plaintiffs seek injunctions against the defendants also under the authority of s. 20(1) [maintenmat 34(1)] of the Copyright Act. Prohibitory injunctions operate to restrain anticipated acts of infringement of a right. Having concluded that the availability of damages is a matter of proof, I likewise adopt the view of Dennistoun J.A. that there is no reason why the pirating of an author’s work should not be restrained by injunction. As it is entirely unnecessary in the present case, I make no comment on his additional proviso that the work not be a fraud upon the public. The granting of an injunction to restrain the pirating of obscene works does not offend either of the principles Voies et recours civils non pécuniaires... 1151 • Il n’y a pas grand risque à demander une injonction interlocutoire48 [sinon de l’obtenir et de la voir cassée au fond !] ; • Seule la Cour fédérale49 peut émettre des injonctions de type « Anton I have decided are applicable. It does not imply that the plaintiffs are entitled to compensation for illegal gain and it does not permit the plaintiffs to take the benefit of the infringers’ illegal acts. It simply prohibits infringement, regardless of whether or not the infringing acts are independently contrary to law. I conclude the plaintiffs are entitled to the injunctions requested of this court. [129] [...] That the copyrighted works are obscene is no reason to deny injunctive relief. ». 48. Ne pas oublier 755, 1e al. C.p.c. et règle 393(2) des R.C.F. Voir, par exemple, Delrina Corp. c. Triolet Systems Inc., 17 C.P.R. (4th) 322 (C.S. Ont. ; 1998-07-17) [conf. 17 C.P.R. (4th) 289 (C.A. Ont. ; 2002-03-01) ; permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée 21 C.P.R. (4th) vi (C.S.C. ; 2002-11-28)], le juge O’Leary aux paragraphes 23, 48, 61 et 73 où une injonction interlocutoire (cassée au fond) a empêché pendant six ans un défendeur d’exploiter un logiciel « damages should be fixed at $6.892.500 plus prejudgment interest ; costs should be awarded against the plaintiff on a solicitor-and-client basis. » • Delrina Corp. c. Triolet Systems Inc., 17 C.P.R. (4th) 289 (C.A. Ont. ; 2002-0301), le juge Morden [permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée 21 C.P.R. (4th) vi (C.S.C. ; 2002-11-28)] : « [87]There is no dispute in this appeal respecting the applicable legal principles. The damages to be awarded must be reasonably foreseeable at the time of the granting of the interlocutory injunction and they must be caused by (“naturally flow from”) the injunction and not by something else [...] • Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 50 C.P.R. (4th) 241 (C.S.C. ; 2006-07-27), le juge Binnie « [40] [...] Sauf dans des circonstances exceptionnelles, le demandeur devrait être tenu de s’engager à payer des dommages-intérêts au cas où l’ordonnance se révélerait injustifiée ou mal exécutée, ou de fournir un cautionnement à cet égard, ou les deux à la fois. » • Vinod Chopra Films Private Limited c. John Doe, 2010 FC 387 (C.F. ; 2010-0412), le juge Hughes : « [61] Compte tenu de la façon dont l’ordonnance ex parte a été obtenue, notamment du fait que la preuve était insuffisante, bâclée et trompeuse comme il a été démontré précédemment, il convient d’accorder aux défendeurs touchés leurs frais raisonnables, sur la base d’une indemnisation complète. » 49. Hé non ! Raymond Chabot SST inc. c. Groupe AST (1993) inc., [2002] R.J.Q. 2715 (C.A.Q. ; 2002-10-25), le juge Morin : « [57] Cela étant dit, j’admets qu’il n’existe pas dans le Code de procédure civile de dispositions autorisant spécifiquement une mesure hybride comme une ordonnance de type Anton Piller, qui tient à la fois de la saisie et de l’injonction. J’admets aussi que les règles relatives aux saisies avant jugement ne permettent pas d’aller recueillir de la preuve par une telle saisie, comme l’a souligné notre Cour dans l’arrêt Expo Foods Canada Ltd. c. Sogelco International inc., [[1989] R.J.Q. 2090 (C.A.)]. Enfin, je reconnais volontiers que, selon l’article 751 du Code de procédure civile, une injonction consiste normalement en une ordonnance de faire ou de ne pas faire et non en une ordonnance de laisser saisir des biens. [58] Toutefois, il me paraît important de ne pas oublier l’existence des articles 20 et 46 du Code de procédure civile [...] [59] Peut-on soutenir que l’ordonnance de type Anton Piller est une procédure incompatible avec les règles contenues au Code de procédure civile ? Je crois que la réponse à cette question est négative. [66] En définitive, je suis d’avis qu’il n’y a 1152 Les Cahiers de propriété intellectuelle Piller »50 ; • Il n’y a pas grand risque autre que monétaire à ne pas respecter une injonction51. pas incompatibilité entre les règles du Code de procédure civile et l’existence d’ordonnances de type Anton Piller et que les tribunaux peuvent prononcer de telles ordonnances au Québec en vertu des articles 20 et 46 du Code de procédure civile. » Depuis le jugement rendu le 1992-02-20 dans Ferco International Usine de ferrure de bâtiment c. Worelli Management Co., (500-05-002603-924), la Cour supérieure du Québec, à l’instar des autres cours provinciales, a rendu plusieurs ordonnances de ce type. Voir généralement FERRON (Danielle) et al., L’injonction et les ordonnances Anton Piller, Mareva et Nowrwich, (Toronto : LexisNexis, 2009), p. 125 et s. Et même un cabinet d’avocats en a été l’objet : dans une affaire de droits d’auteur Godin c. Restaurants St-Hubert BBQ inc., [1998] A.Q. 3015 (C.S.Q. – Ordonnance ex parte ; 1998-09-29 [rescindée J.E. 98-2188 (C.S.Q. ; 1998-10-14) ; règlement hors de cour produit au dossier 500-17-004385-988] et Canadian Private Copying Collective c. 9075-9077 Québec inc., [2008] RJQ 1924 (C.S.Q. ; 2008-07-25), le juge Léger, par. 113 et s. Pour les principes généraux s’appliquant à ce type d’ordonnance, voir Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 50 C.P.R. (4th) 241 (C.S.C. ; 2006-07-27), le juge Binnie. 50. « L’Antoine Pillar » ! Ce type d’ordonnance, recours extraordinaire parmi les recours extraordinaires, s’apparente à l’injonction interlocutoire provisoire et vise de plus à mettre sous la garde de la cour tout en donnant accès au demandeur des éléments de preuve (objets contrefacteurs, listes de fournisseurs et clients) qui, autrement, risqueraient de « disparaître » si le défendeur était mis au fait de la procédure. 51. La règle 472 R.C.F. et l’article 761 C.p.c. prévoient l’emprisonnement. Pour deux cas où il y a eu une condamnation à du « en dedans », voir : Canadian Copyright Licencing Agency c. U-Compute, 46 C.P.R. (4th) 86 (C.F. ; 2005-12-07), le juge Lemieux modifié 56 C.P.R. (4th) 177 (C.A.F. ; 2007-03-28)] Comme peine appropriée, la Cour ordonne : « (1) RIAZ A. LARI est par les présentes condamné à une peine d’emprisonnement de six mois à purger à l’établissement Montée St-François, situé au 600, Montée St-François, Laval, Québec, H7C 1S5. (2) RIAZ A. LARI est par les présentes condamné à payer à la demanderesse les dépens de la procédure pour outrage sur une base avocat-client raisonnable, à être taxés immédiatement par un officier taxateur, y compris les débours et la TPS ; ces dépens devront être payés par M. Lari dans les 30 jours suivant la taxation. (3) L’imposition de la peine d’emprisonnement prévue au paragraphe (1) est par les présentes suspendue avec les conditions suivantes : a) RIAZ A. LARI devra en tout temps se conformer aux conditions des injonctions permanentes énoncées aux paragraphes (1) et (2) du jugement rendu par le juge Harrington en date du 19 juillet 2004. b) RIAZ A. LARI devra, dans les 13 mois suivant la date de la présente ordonnance, faire 400 heures de service communautaire dans un centre d’hébergement de l’Armée du salut, à Montréal ou en banlieue, en effectuant le travail bénévole que lui confiera le directeur de ce centre (le directeur). Le directeur informera par écrit la Cour et l’avocat de la demanderesse lorsque l’arrangement aura été mis en place. Le travail effectué en service communautaire devra être vérifié par le directeur qui enverra une attestation à cet effet à la Cour et à l’avocat de la demanderesse au plus tard le 31 janvier 2007. (4) Le cas advenant que la demanderesse souhaite démontrer que M. Lari ne s’est pas conformé à une ou plusieurs des conditions imposées au paragraphe 3 par la Cour, il lui sera loisible de demander un mandat d’incarcération à un juge de la Cour fédérale, en procédant ex parte ou autrement, selon les directives de ce juge, et RIAZ Voies et recours civils non pécuniaires... 1153 3.4 Conditions d’ouverture Pour qu’injonction émane, la violation reprochée devra porter sur une partie substantielle de l’œuvre protégée52 et ce, suivant à la fois le dicton de minimis non curat lex53, sans pour autant négliger A. LARI, une fois que la Cour aura constaté le non-respect de l’une ou de plusieurs des conditions, sera incarcéré pour une période de six mois. (5) La présente ordonnance ne modifie en rien les conditions de l’ordonnance rendue le 19 juillet 2004 par le juge Harrington qui n’ont pas été remplies. » • 9038-3746 Québec inc. c. Microsoft Corporation, 2008 CarswellNat 6036 (C.F. ; 2008-11-26) [confirmé en appel], le juge Beaudry « [7] IT IS HEREBY ORDERED THAT : 1. Carmelo Cerrelli shall pay a fine of $50.000 for the guilty plea on the first initiating order for contempt within 120 days from the date of this order ; 2. Carmelo Cerrelli shall pay a fine of $50.000 for the guilty plea on the second initiating order for contempt within 120 days from the date of this order ; 3. In the event that the fine ordered in paragraph 1 above has not been paid as ordered, Carmelo Cerrelli is to be imprisoned for a period of 30 days ; 4. In the event that the fine ordered in paragraph 2 above has not been paid as ordered, Carmelo Cerrelli is to be imprisoned for a period of 30 days (total of 60 days of imprisonment if both fines are not paid). » • 9038-3746 Québec inc. c. Microsoft Corporation, 2010 C.A.F. 151 (C.A.F. ; 2010-06-10), le juge Létourneau [confirmant 2008 CarswellNat 6036 (C.F. ; 2008-11-26) ; requête pour permission d’en appeler à a la Cour suprême du Canada refusée 2010 CanLII 77120 (C.S.C. ; 2010-12-23)] : « [9] Pour ce qui est de la plainte de l’appelant selon laquelle, en infligeant une peine d’emprisonnement, le juge a mal interprété les dispositions législatives applicables dans le cas d’une première infraction, cette prétention n’a aucun fondement. Le juge n’a pas infligé une peine d’emprisonnement. Il a infligé des amendes. [10] De plus, il n’existe aucune règle ferme portant qu’une première infraction d’outrage au tribunal ne peut faire l’objet d’une peine d’emprisonnement. [14] De toute évidence, les sanctions pécuniaires n’ont pas constitué une dissuasion individuelle suffisante. [...][18] L’outrage au tribunal constitue une infraction grave. Il s’agit d’une contestation de l’autorité judiciaire qui mine sa crédibilité et son efficacité ainsi que celles de l’administration de la justice. C’est une infraction encore plus grave lorsque, comme en l’espèce, les actes illicites sont motivés par la cupidité et qu’en plus de contester l’autorité judiciaire, ils constituent des violations de la loi, à savoir la Loi sur les marques de commerce et la Loi sur le droit d’auteur. [19] La peine infligée dans des circonstances comme celles de la présente espèce doit être telle qu’elle puisse dissuader le contrevenant de récidiver et dissuader également quiconque serait tenté de commettre le même type d’infractions. » 52. Voir, par exemple, Breen c. Hancock House Publishers Ltd., 6 C.P.R. (3d) 433 (C.F.P.I. ; 1985-10-11), le juge Joyal à la page 436 ; Preston c. 20th Century Fox Canada Limited, 33 C.P.R. (3d) 242, (C.F.P.I. ; 1990-11-09), le juge MacKay aux pages 273-274 [conf. 53 C.P.R. (3d) 407 (C.A.F. ; 1993-11-21).] 53. HÉTU (Jean), « De minimis non curat praetor : une maxime qui a toute son importance ! », (1990), 50 Revue du Barreau 1065. 1154 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’effet de dilution54 sur la valeur d’une œuvre que peut avoir la contrefaçon55. Le texte même du paragraphe 3(1) de la Loi est d’ailleurs à l’effet que « Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou de reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre... »56. Il faut rappeler ici qu’en vertu de notre système de droit, c’est au demandeur, à titre de créancier d’une obligation, de prouver les circonstances justifiant l’émission d’une ordonnance d’injonction57 ; il doit s’agir d’une preuve de faits réels et non fondée sur de simples hypothèses, allégués fourre-tout ou à l’emporte-pièce, allégations grandiloquentes et larmoyantes, ou présomptions générales. 3.5 Portée Une ordonnance requise de la cour ne devrait, à tout niveau, ne viser que la partie contrefaite58 d’une œuvre contrefactrice et non son ensemble. Toutefois, si dans l’œuvre contrefactrice on ne peut 54. Sur la proposition générale à l’effet que le droit d’auteur est un faisceau de droits : Bishop c. Stevens [1990] 2 R.C.S. 467 (C.S.C. ; 1990-08-16), la juge McLachlin à la page 477 ; Blue Crest Music Inc. c. Compo Company Ltd., [1980] 1 R.C.S. 357 (C.S.C. ; 1979-10-20), le juge Estey à la page 376 Composers, Authors and Publishers’ Association of Canada Limited c. Muzak Corporation, [1953] 2 R.C.S. 182 (C.S.C. ; 1953-06-26), le juge Rand à la page 188. 55. L’effet « floodgate » auquel réfère la juge Reed dans International Business Machines Corporation c. Ordinateurs Spirales inc., [1985] 1 C.F. 190 (C.F.P.I. ; 1984-06-27) ou encore, s’inspirant du Salammbô (1862) de Flaubert, l’effet Mâtho : « Donc les Anciens décidèrent qu’il [Mâtho] irait de sa prison à la place de Khamon, sans aucune escorte, les bras attachés dans le dos ; et il était défendu de le frapper au cœur, pour le faire vivre plus longtemps, de lui crever les yeux, afin qu’il pût voir jusqu’au bout sa torture, de rien lancer contre sa personne et de porter sur elle plus de trois doigts d’un seul coup ». 56. Les paragraphes 15(1), 18(1) et 21(1) L.D.A. comportent une disposition semblable pour les autres objets du droit d’auteur. 57. Voir, par exemple, l’article 2803 du Code civil du Québec. 58. Wilson c. Anderson 69 C.P.R. (3d) 329 (C.J. Ont. ; 1996-06-28), le juge Spence : « [17] The defendants also seek an order that the plaintiff be prohibited from using the OCI copyright material in the book for the solicitation of clients. Such an order, so worded, could effectively prevent the plaintiff from making any use of the book. That would go beyond the preservation of the status quo which is the appropriate objective in this case. Accordingly, a narrower interlocutory order is to go enjoining the plaintiff from making any use of the OCI copyright material in the book otherwise than through the existing inclusion of such material in the text of the book. » Voies et recours civils non pécuniaires... 1155 séparer la partie contrefaite de l’apport original du contrefacteur, l’ordonnance pourra alors viser l’ensemble de l’œuvre59. En ce qui a trait à la durée même de l’injonction, il est intéressant de noter que, de façon générale, les injonctions dites « permanentes » qu’émettent régulièrement nos tribunaux sont, en fait, perpétuelles, alors que les œuvres qu’elles visent, elles, ont une durée de protection limitée habituellement à 50 ans à compter soit de la fin de l’année civile du décès de l’auteur, soit de la publication ou de la confection de l’œuvre contrefaite60. Sans doute faudrait-il préciser dans le libellé des conclusions recherchées que l’injonction doit valoir tant que le droit d’auteur subsiste61. Et la territorialité ? Est-ce que l’injonction62 émise par la Cour supérieure du Québec arrête d’avoir effet à la frontière du NouveauBrunswick ou de l’Ontario ? Et celle de la Cour fédérale à la frontière 59. Voir, par exemple, Gemmil c. Garland, 14 R.C.S. 321 (C.S.C. ; 1887-12-20), le juge Gwynne à la page 328 ; Cartwright c. Wharton, 25 O.L.R. 357 (C.S. Ont. ; 1912-01-04), le juge Teetzel aux pages 363-364 ; Cardwell c. Leduc, [1963] R.C.É. 207 (C.d’É. ; 1962-12-15), le juge Kearney aux pages 220-221 [appel rejeté] ; 91439 Canada ltée c. Éditions JCL inc., 58 C.P.R. (3d) 38 (C.A.F. ; 1994-09-23), le juge Décary aux pages 389-390 : « [20] Bref, il ne s’agit pas, ici, d’un cas où le plagiat est en quelque sorte divisible et où l’on peut séparer les parties contrefaites des parties originales et utiliser d’une quelconque manière ces dernières. À cet égard, il ne m’apparaît pas possible ni souhaitable de recourir à la règle rusticum judicium. Il serait bien malheureux, dans des cas comme celui-ci, que les tribunaux se mettent à calculer au mot près l’atteinte portée aux droits d’un auteur. » [Jugement toutefois rendu dans le contexte du calcul des dommages.] 60. Voir les articles 6 à 12 L.D.A. pour les droits économiques dans une œuvre, le paragraphe 14.2(2) L.D.A. pour les droits moraux et l’article 23 pour les autres objets du droit d’auteur. On notera que la durée de protection varie selon les pays. 61. Voir, par exemple, PATERSON (John Melvin), Kerr on Injunctions, 6e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1927), à la page 394 : « A perpetual injunction should not however be granted to protect a right having only a limited duration ; in such a case the injunction should be limited to the period of the plaintiff’s interest in the subject-matter action ». 62. Le recours pour violation de droit d’auteur se qualifie d’action personnelle à caractère patrimonial extra. Les cours canadiennes peuvent rendre des ordonnances à portée extra-territoriale prévue par l’article 3148 du Code civil du Québec. Position qui n’est pas nouvelle : Warrel c. Railway Asbestos Packing (Quebec) Co. (1916), 32 D.L.R. 345 ; Société Radio-Canada c. Sirois, [1981] C.S. 527 (C.S.Q. ; 1981-03-30 [désistement d’appel no 500-09-000567-818 produit le 198112-08]), le juge Marquis à la page 532] ou Transat Tours Canada c. Impulsora Turistica Occidente, s.a. de c.v., 2006 QCCA 413 (C.A.Q. ; 2006-03-17), le juge Dussault [conf. 2007 C.S.C. 20 (C.S.C. ; 2007-07-25)]. 1156 Les Cahiers de propriété intellectuelle des États-Unis ? Non. Le critère à considérer est la compétence initiale du tribunal et non un éventuel non-respect de l’ordonnance63. Et l’œuvre architecturale ? Dans le cas particulier64 de la violation du droit d’auteur dans une œuvre architecturale65, l’injonction 63. Voir ainsi, en matière de droits d’auteur : • Corporation de l’École des hautes études commerciales de Montréal c 3178277 Canada inc. AZ-98021771 (C.S.Q. ; 1998-07-07), le juge Beaudoin « ORDONNE aux défendeurs intimés 3178277 Canada inc. et Georges Fernandez directement ou indirectement en leurs noms ou par toute autre personne, corporation, associé ou entité, à travers agent, employé, directeur, officier, actionnaire ou consultant : [...] quant à monsieur Georges Fernandez, de NE PAS ENTREPRENDRE, de CESSER et de SE DÉSISTER s’il y a lieu, de toute demande quant à l’enregistrement de marque de commerce ou de droit d’auteur auprès du Copyright Registration Office aux États Unis ; • Aga Khan c. Tajdin, 2011 CF 14 (C.F. ; 2011-01-07), le juge Harrington « [72] Pour ce qui est de la remise de tous les exemplaires des documents contrefaits qui se trouvent en la possession ou sous la garde des défendeurs, il a été demandé dans la requête que les documents soient remis à l’Institute of Ismaili Studies, à Londres (R.-U.). Cependant, comme le demandeur, ou la Cour, ignore à quel endroit se trouvent les documents en question, il serait préférable d’ordonner que les exemplaires des documents contrefaits qui sont situés au Royaume-Uni soient remis à l’Institute, à Londres, et que ceux qui se trouvent ailleurs soient remis aux CIITER appropriés qui sont désignés dans la constitution. » • Aga Khan c. Tajdin, 2011 CanLII 14746 (C.F. ; 2011-03-04), le juge Harrington « 6. Les défendeurs, Nagib Tajdin et Alnaz Jiwa, quel que soit le nom sous lequel ils sont connus, leurs mandataires, employés, préposés, associés, représentants et toute autre personne, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale, agissant en leur nom ou étant sous leur contrôle, sont tenus de fournir toutes les copies de la Golden Edition et des farmâns et talikas contenus dans celle-ci, et du signet audio MP3 en leur possession, sous leur responsabilité ou sous leur contrôle, ainsi que les marchandises, étiquettes, emballages, affiches, clichés ou moules, le matériel publicitaire ou tout autre matériel ou chose en leur pouvoir, sous leur responsabilité ou en leur possession, qui sont liés, en totalité ou en partie, à la Golden Edition, ainsi qu’aux farmâns et talikas et au signet audio MP3 contenus dans celle-ci, ou qui sont utilisés pour les produire ; une telle remise devant être effectuée aux CIITER appropriés qui sont désignés dans la constitution ismaélienne, peu importe où est située la Golden Edition, ainsi que les farmâns et talikas et le signet audio MP3 contenus dans celle-ci, ou comme l’ont convenus les défendeurs et les représentants ou les avocats du demandeur. » 64. Voir LAGACÉ (René), Les aspects juridiques de la pratique de l’architecture, 3e éd. (Montréal : Lagacé, 1996) et TORNO (Barry), « By Design : A Blueprint of Architectural Copyright » (1986), 15 Construction Law Reports 317. 65. Tel que défini à l’article 2 L.D.A., savoir « tout bâtiment ou édifice ou modèle ou maquette de bâtiment ou d’édifice » et non pas toute structure mécanique, pour imposante qu’elle soit : Halliburton Co. c. Northstar Drillstem Testers Ltd., 58 C.P.R. (3d) 73 (C.F.P.I. ; 1981-08-06), le juge Cattanach à la page 81. Voir aussi Webb & Knapp (Canada) Limited c. City of Edmonton [1970] R.C.S. 588 (C.S.C. ; 1970-02-02), le juge Hall à la page 601. Voies et recours civils non pécuniaires... 1157 ne peut être émise pour empêcher la construction ou pour en ordonner la destruction lorsque cette construction a été commencée66. Quelques précisions : • si ce n’est pas une œuvre architecturale au sens de la L.D.A., la prohibition de l’article 40 ne s’applique pas ; • elle ne s’applique pas non plus pour empêcher l’utilisation de plans architecturaux (œuvres artistiques) ; • elle n’empêche pas l’émission d’une injonction pour contrer de futures violations67 ; elle ne s’applique que si la construction n’a pas commencé [mais la construction commence-t-elle à la simple excavation ?] ; • la prohibition est celle d’empêcher la construction ou de prescrire la démolition. Quid de la rénovation ou de la reconstruction ? Cela empêcherait-il une ordonnance demandant la modification d’un aspect du bâtiment ? 66. Voir l’article 40 L.D.A. ; voir aussi GILKER (Stéphane), « La protection des œuvres architecturales par le droit d’auteur au Canada – Deuxième partie » (1991), 4:1 Cahiers de la propriété intellectuelle 7, aux pages 56-64. Ainsi un défendeur qui aurait commencé à construire un premier bâtiment en violation des droits d’auteur du demandeur ou qui s’apprêterait à le faire ne saurait en être empêché par injonction, le seul recours étant celui de dommages-intérêts. À la limite, on pourrait même arguer qu’une injonction ne pourrait pas être émise pour empêcher un défendeur obstiné de récidiver, même en toute connaissance de cause : la seule sanction demeurant, semble-t-il l’octroi de dommages qui risquent alors, il est vrai, d’être marqués du sceau de l’exemplarité ! [Et non, seau de l’exemplarité ou sot de l’exemplarité que donnent certains correcteurs de textes...]. D’intérêt, est le jugement rendu sur une demande d’injonction interlocutoire dans la décision Cardinal c. The Parish of the Immaculate Conception 1995 CarswellNat 2635, (C.F.P.I. ; 1995-12-01) le juge Jerome [désistement de l’appel A-817-95 ; rejet le 1999-03-22 de la procédure principale pour défaut de poursuite for want of prosecution] : « [2] The plaintiff seeks to restrain construction of modifications to the original St. Mary’s Church which he designed. The basis of his claim is that the work is unique, indeed a sculpture rather than simply a building and that any addition such as the one now under construction violates his moral rights to the design. [4] First, the field of an architect’s moral rights to his design is not only very complex, but almost entirely unexplored territory as far as Canadian jurisprudence is concerned. Indeed, it was acknowledged by counsel for all parties in the motion before me that no such issue has ever been litigated in the Canadian courts. » 67. Randall Homes Ltd. c. Harwood Homes Ltd., 17 C.P.R. (3d) 372 (B.R.Man. ; 1987-5-15), le juge Ferg. 1158 Les Cahiers de propriété intellectuelle Et la bonne foi ? Le paragraphe 39(1) de la Loi prévoit également que, dans l’éventualité où le défendeur allègue et prouve qu’au moment de commettre la violation il n’avait aucun motif raisonnable68 de soupçonner la subsistance du droit d’auteur, le demandeur ne peut alors obtenir qu’injonction à l’égard de cette violation69. 68. À titre illustratif : • Desmarais c. Amylitho Inc., REJB 99-10116 (C.Q. ; 1999-01-13), le juge Locas « [5] [...] Rappelons que l’article 39 ne parle pas seulement d’ignorance de l’existence du droit d’auteur mais également d’absence de « motif raisonnable de soupçonner » que l’œuvre fait encore l’objet d’un droit d’auteur. Or, le rédacteur du journal de la défenderesse aurait dû soupçonner l’existence d’un droit d’auteur puisqu’il est lui-même photographe et qu’il affirme avoir vu cette photo partout auparavant. Or, il déclare n’avoir jamais vérifié la provenance de la photo ni son auteur, ce qui aurait pu être fait en communiquant soit avec le gérant de Rose Ouellette ou avec d’autres médias ou par quelqu’autre moyen que sa profession lui permet de connaître bien mieux que le Tribunal. L’on ne saurait exiger de celui qui publie une photographie d’en découvrir l’auteur car cela peut s’avérer difficile sinon impossible ; mais l’on peut certainement exiger qu’il fasse au moins des démarches dans ce but, ce qui n’a pas été fait en l’instance » • EROS – Équipe de recherche opérationnelle en santé inc. c. Conseillers en gestion et informatique C.G.I. inc., 35 C.P.R. (4th) 105 (C.F. ; 2004-02-03), la juge Tremblay-Lamer « [127] Une des exceptions à ce principe veut qu’un défendeur puisse échapper à une condamnation de dommages s’il prouve qu’il ne savait pas ou qu’il n’avait aucun motif raisonnable de soupçonner que l’œuvre était protégée. Puisque les droits d’auteur liés au CTMSP étaient dûment enregistrés, CGI doit réfuter la présomption qu’elle avait un motif raisonnable de soupçonner que l’œuvre était protégée. Le fardeau de preuve qui incombe à CGI est lourd. » • Icotop Inc. c. Ferrand, 2005 IIJCan 28462 (C.S.Q. ; 2005-08-12), le juge Larouche « [144] Jamais, semble-t-il, le défendeur Dallaire ne s’est préoccupé de savoir si le défendeur Ferrand possédait ou non des droits, si ce n’est qu’il se serait fié sur la déclaration de ce dernier qu’il avait tous les droits. Comme évaluation candide, peu sérieuse et encore moins rigoureuse, on a certainement déjà vu mieux. » • Target Event Production Ltd. c. Paul Cheung and Lions Communications Inc., 2010 FC 27, (C.F. ; 2010-01-11), la juge Simpson . « [ [98] À mon avis, les défendeurs ne peuvent invoquer ce paragraphe parce que Paul Cheung savait qu’un droit d’auteur avait été revendiqué sur le plan du site du marché. Il a admis qu’il avait vu un symbole de droit d’auteur sur le plan d’ensemble de la propriété de Vulcan Way et que ce plan englobait le plan du site du marché. [99] En ce qui concerne le formulaire de demande du vendeur, je suis convaincue que Paul Cheung avait des motifs raisonnables de soupçonner qu’il existait un droit d’auteur. Il connaissait bien la protection du droit d’auteur de par son travail dans le domaine de la musique, et une société qu’il contrôlait avait intenté une action pour violation du droit d’auteur. [100] Ce paragraphe n’a donc pas pour effet de protéger les défendeurs contre une condamnation pécuniaire. ». 69. Arguendo : la rencontre des articles 39 et 40 risque d’être intéressante. Si les plans d’une œuvre architecturale ne sont pas enregistrés, le défendeur, ignorant de bonne foi, pourrait s’en tirer à bon compte. L’article 39 ferait en sorte que seule une injonction pourrait être émise alors que l’article 40, dans le cas d’une œuvre architecturale, fait en sorte que l’injonction n’est pas permise... Voies et recours civils non pécuniaires... 1159 Toutefois, pour qu’un défendeur puisse tirer avantage de cet article – et jusqu’ici, peu ont vraiment réussi – il importera à ce défendeur d’alléguer70 et de prouver71 i) qu’il ne savait pas que l’œuvre était protégée et ii) qu’il n’avait pas de motif raisonnable de soupçonner que celle-ci était protégée72. Le paragraphe 39(2) L.D.A.73 prévoit cependant que dans la mesure où le droit d’auteur est enregistré74 le défendeur75 ne peut se prévaloir de cette restriction de recours76. 70. MCA Canada Ltd. c. Gillberry & Hawke Advertising Agency Ltd., 28 C.P.R. (2d) 52, (C.F.P.I. ; 1976-05-12), le juge Dubé aux pages 54-56. 71. Voir, par exemple, Gribble c. Manitoba Free Press Ltd., [1932] 1 D.L.R. 169 (C.A. Man. ; 1931-11-09 ), le juge Dennistoun à la page 173 ; Fiel c. Lemaire [1940] R.C.É. 21 (C.d’É. ; 1939-11-21), le juge Angers, aux pages 32-35 ; Bulman Group Ltd. c. “One-Write” Accounting Systems Ltd., 62 C.P.R. (2d) 149 (C.F.P.I. ; 1982-01-22), le juge Collier aux pages 335-336 ; Slumber-Magic Adjustable Bed Co Ltd. c. Sleep-King Adjustable Bed Co Ltd., 3 C.P.R. (3d) 81 (C.S. C.-B. ; 1984-10-16), la juge McLachlin aux pages 87-88 ; Wing c. Van Velthuizen, 9 C.P.R. (4th) 449 (C.F.P.I. ; 2000-11-20), le juge Nadon aux paragraphes 65 et 66. 72. Ainsi, un motif raisonnable de soupçonner la subsistance du droit d’auteur, indépendamment de quelque enregistrement, pourra être inféré d’un marquage de droits réservés. Voir, par exemple, Fiel c. Lemaire (1939), [1940] R.C.É. 21 (C. d’É. ; 1939-11-21), le juge Angers aux pages 32-35 ; Zamacoïs c. Douville [1944] R.C.É. 208, (C. d’É. ; 1943-03-01), le juge Angers aux pages 235-237 ; Slumber-Magic Adjustable Bed Co. Ltd. c. Sleep-King Adjustable Bed Co. Ltd. 3 C.P.R. (3d) (C.S. C.-B. ; 1984-10-16), la juge McLachlin aux pages 87-88 contra : Index Téléphonique (N.L.) de notre localité c. Imprimerie Garceau Ltée, 18 C.I.P.R. 133 (C.S.Q. ; 1987-06- 25), le juge Boily aux pages 144-146 [appel réglé hors de cour]. 73. Dont on pourra comparer le libellé avec celui du paragraphe 38.1(2) : « ... aucun motif raisonnable de croire qu’il avait violé le droit d’auteur ». 74. Non négligeable est la précision « dûment enregistré » : la validité de l’enregistrement peut donc se contester. Par analogie, voir Lubrication Engineers, Inc. c. Canadian Council of Professional Engineers, 41 C.P.R. (3d) 243 (C.A.F. ; 1992-0212), le juge Hugessen. 75. Éditions Hurtubise HMH ltée c. Cégep André-Laurendeau, [1989] R.J.Q. 1003 (C.S.Q. ; 1989-04-12) le juge Tessier à la page 1020 [déclaration de règlement hors de cour produite le 1991-01-10]. 76. Voir, par exemple, MCA Canada Ltd. c. Gillberry & Hawke Advertising Agency Ltd., 28 C.P.R. (2d) 52 (C.F.P.I. ; 1976-05-12), le juge Dubé aux pages 54-55 ; Les dictionnaires Robert Canada scc c. Librairie du Nomade inc., 16 C.P.R. (3d) 319 (C.F.P.I. ; 1987-01-05), le juge Denault, à la page 329 [appel rejeté 37 F.T.R. 240n (C.A.F. ; 1990-09-26.)]. Pour certains, BLOOM (Glen A.) et al., Copyright, in DIMOCK (Ronald E.) Ed., Intellectual Property Disputes – Resolutions and Remedies (Toronto : Thomson-Carswell, 2002), au §3.4(a)(i) l’application de la limitation de l’article 39 L.D.A. à une violation des droits moraux soulève problèmes d’intérêt. 1160 Les Cahiers de propriété intellectuelle Cette défense ne s’applique pas à une violation du droit moral77. 3.6. L’injonction dite « élargie » 3.6.1 Général De droit statutaire nouveau, l’article 39.178 incorpore dans la Loi une pratique que l’on retrouvait fréquemment dans les procédures en violation du droit d’auteur, particulièrement celles qui impliquaient la violation de répertoires de sociétés de gestion collective. Cette pratique, toutefois, est moins récente qu’il n’y paraît, de telles conclusions pouvant être retracées dans la jurisprudence québécoise propre au droit d’auteur dès les années 6079. 77. On peut en débattre mais le paragraphe 39(1) ne semble pas faire de distinction entre les droits économiques et les droits moraux : dès lors que la violation soit pour violation des droits d’auteurs ou moraux, la même défense semble disponible. Et il n’y change rien que l’article 55 L.D.A. qui permet l’enregistrement du droit d’auteur ne semble couvrir que le droit économique d’auteur car tout ce que demande le paragraphe 39(2) c’est que le droit d’auteur soit dûment enregistré pour que la limite du paragraphe 39(1) puisse ou non opérer. On pourra cependant argumenter, correctement, nous le soumettons, que le paragraphe 39(1) s’applique à une violation du droit d’auteur et que, dans la définition de celui-ci à l’article 2 L.D.A., le droit moral n’est pas compris, faisant l’objet d’une définition distincte ; par ailleurs, le paragraphe 34(2) fait uniquement état des recours disponibles pour une violation du droit d’auteur et on ne peut donc l’utiliser pour transposer une défense s’appliquant à une violation du droit d’auteur à une défense s’appliquant à une violation du droit moral. 78. Dont le libellé peut, à certains égards, être comparé à celui du paragraphe 88(3) L.D.A. 79. Voir, par exemple : Composers, Authors and Publishers’ Association of Canada Limited c. Yvon Robert Lounge Inc., 51 C.P.R. 302 (C.S.Q. ; 1967-04-26), le juge Bourgeois et, plus particulièrement le commentaire de l’arrêtiste, à la page 302 : « The significance of the present report is to be found in the broad scope of the injunction. It was not limited to the specific works infringed. It related to any musical work owned by the plaintiff ». Dans la même veine, voir également, Composers, Authors & Publishers Association of Canada Ltd. c. Cafe Rugantino Inc., 52 C.P.R. 16 (C.S.Q. ; 1964-03-21), le juge Charbonneau ; Composers, Authors & Publishers Association of Canada Ltd. c. D’Aoust (La Sentinelle), 54 C.P.R. 164 (C.S.Q. ; 1968-01-16.), le juge Dorion ; Composers, Authors & Publishers Association of Canada Ltd. c. Keet, 1 C.P.R. (2d) 283 (C.S.Q. ; 1971-02-22), le juge Dufour. Par contre, dans BMI Canada Ltd. c. Der, 28 C.P.R. (2d) 209 (C.F.P.I. ; 1976-0428), guère impressionné par cette série de causes québécoises et encore moins par le commentaire de l’arrêtiste de celles-ci, le juge Collier, aux paragraphes 11 et 12, refusait nommément d’émettre une injonction pour d’autres œuvres que les six pour lesquelles il y avait preuve de contrefaçon et ce, alors que le demandeur était une société de gestion collective. Voies et recours civils non pécuniaires... 1161 Même si le pouvoir d’émettre des ordonnances d’injonction « élargie » peut se fonder sur leurs pouvoirs inhérents80, les tribunaux se sont généralement montrés peu enthousiastes à octroyer semblable conclusion, surtout au niveau interlocutoire. En effet, en semblable cas, il s’avère généralement difficile – sinon parfois impossible – à un défendeur de savoir avec une certitude suffisante si une œuvre81 donnée – mais non spécifiée – est ou non visée par une telle injonction82. Eu égard aux graves conséquences qui peuvent s’ensuivre, les tribunaux ont exprimé une réticence certaine à l’octroi de conclusions larges ou imprécises83. 80. Carlin Music Corporation c. Collins, [1979] 5 F.S.R. 468 (C.A. ; 1979-02-09), le juge Ormod à la page 553 ; Microsoft Corp. c. 9038-3746 Quebec inc., 2006 FC 1509 (C.F. ; 2007-01-16), le juge Harrington au paragraphe 121. 81. Pour faciliter la lecture, il n’est fait ici référence qu’à « œuvre », mais l’injonction dite « élargie » pourrait tout aussi bien viser les autres sujets du droit d’auteur que sont les prestations d’artistes-interprètes, les enregistrements sonores ou les signaux de communication que visent respectivement les articles 15, 18 et 21 L.D.A. 82. Microsoft Corp. c. 9038-3746 Quebec inc., 57 C.P.R. (4th) 204 (C.F. ; 2007-01-16), le juge Harrington « [130] Malgré le comportement des défendeurs, je ne suis pas prêt à étendre l’objet de l’injonction aux droits d’auteur qui n’ont pas été expressément allégués dans la présente instance, peu importe qu’ils existent ou non à l’heure actuelle. Les défendeurs ont le droit de savoir ce qui leur est reproché. La déclaration a été modifiée deux fois pour ajouter des droits d’auteur non allégués dans la première déclaration. Ces modifications se sont révélées être justifiées en ce sens que la preuve indique que les défendeurs violaient les droits d’auteur en question. Il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin que l’article 39.1 de la Loi sur le droit d’auteur le permet. À supposer, sans en décider, qu’il me soit possible d’étendre la portée de l’injonction visant les défendeurs à des droits d’auteur non allégués dans la nouvelle déclaration modifiée, ou même exposés au procès, et qu’il me soit possible d’étendre la portée de l’injonction visant les défendeurs à des droits d’auteur qui n’existent même pas à l’heure actuelle, je ne le ferais pas. » 83. Suivant une certaine jurisprudence québécoise, si le dispositif du jugement est sujet à une interprétation qui dépende de documents ou de sources autres que le jugement lui-même, il n’est pas susceptible d’être exécuté strictissimi juris par le moyen de l’outrage au tribunal : voir par exemple Tele-Direct (Publications) inc. c. Intra Canada Telecommunications Ltd., 13 C.P.R. (3d) 529 (C.S.Q. ; 1986-02-19), le juge Hannan à la page 533, Association des fonctionnaires municipaux de la Cité de Dorval c. Cité de Dorval, [1986] R.J.Q. 463 (C.S.Q. ; 1985-12-20), le juge Hannan aux pages 465-466 et Beauchamp c. Centre d’accueil de Gatineau inc., J.E. 86-1153 (C.S.Q. ; 1986-11-06), le juge Frenette [conf. J.E. 94-1909 (C.A.Q. ; 1994-10-26)]. Contra : Phonographic Performance, Ltd. c. Amusement Caterers (Peckham), Ltd., [1963] 3 All E.R. 493 (Ch.Div.), le commentaire infrapaginal du juge Cross à la page 494. Voir : Staver Company Inc. (The) c. Digitext Display Ltd., [1985] 11 F.S.R. 512 (Ch.Div. ; 1984-12-06), le juge Scott à la page 519 : « These difficulties arise out of the form of the injunction. As I have said, the form of the injunction was not the 1162 Les Cahiers de propriété intellectuelle Dans le cas d’un manquement à une ordonnance d’injonction, lorsqu’il subsiste un doute quant à la portée de celle-ci, ce doute bénéficiera à l’intimé84. 3.6.2 Conditions d’émission Le paragraphe 39.1(1) de la Loi fixe les conditions d’émission d’une telle injonction élargie. Celle-ci obéira d’abord aux principes généraux des recours en injonction. De plus, le pouvoir de la cour d’émettre une telle injonction n’est pas limité au jugement final mais peut également s’exercer au niveau interlocutoire ou provisoire ou encore sur une base quia timet85. subject of any debate or discussion on the original interlocutory hearing. Mr. Thorley tells me that the form is one commonly used for interlocutory injunction in breach of copyright cases. In my judgment, however, the form is not satisfactory. It is essential that a party who is subject to an interlocutory injunction should know what he can and cannot do pending trial. An order which makes the identification of what is permissible and what is prohibited depend on what happens at trial does not satisfy this requirement. » • Columbia Picture Industrie c. Robinson, [1986] 12 F.S.R. 367 (ChDiv ; 1985-1219), le juge Scott, à la page 430 : « Mr. Bateson, however, has sought on the plaintiffs’ behalf an injunction of a very great breadth. He has sought an injunction restraining the defendants from knowingly infringing copyright in any film for the time belonging to any of the plaintiffs (meaning any member of the M.P.A.A. besides the named plaintiffs) or in respect of which any of them is for the time being the exclusive licensee. [...] It would be impossible for the defendants to know what films are covered by an injunction in that form. In my judgment it would be wrong in principle to grant an injunction the scope of which the defendants subject to it could not know and could not discover. Experience in this litigation has underlined the great difficulty that is often experienced in ascertaining in whom copyright or exclusive rights in a particular film are for the time vested. » 84. CLICHE (Bernard) et al., « Injonction », dans Précis de procédure civile du Québec, 4e éd. (Cowansville : Blais, 2003), vol. 2, aux pages 517 et s. et l’abondante jurisprudence citée sous les notes 330 et 340 ; voir aussi LUSSIER (Sylvain), « L’outrage au tribunal : développements jurisprudentiels récents », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit civil, vol. 93, (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 1993) p. 110-111. 85. Voir BMI Canada Ltd. c. Der, 28 C.P.R. (2d) 209 (C.F.P.I. ; 1976-04-28), le juge Collier : « [19] A mon avis, au paragraphe 10, la demanderesse veut en fait obtenir un redressement quia timet. Pour que ce soit prononcée une injonction portant sur le genre de préjudice redouté ou dont on est menacé, j’estime qu’il faut exposer les faits pertinents, essentiels l [Fn3 Voir la Règle 408(1) « ... un exposé précis des faits essentiels...], – des faits précis et convaincants – et non seulement des allégations vagues et imprécises, comme on l’a fait en l’espèce. Même dans une requête pour jugement par défaut, la Cour doit être en mesure de conclure, d’après les faits essentiels, que le redressement demandé est justifié. [21] Dans cette affaire, la Cour traitait des troubles de jouissance. À mon avis, le principe Voies et recours civils non pécuniaires... 1163 Le redressement que permet cet article 39.1 est supplémentaire à l’injonction que prévoit déjà le paragraphe 34(1) de la Loi : « le tribunal peut en outre interdire » / « the court may further enjoin ». Le libellé de l’article 39.1 suggère qu’une telle injonction élargie ne pourrait être émise que lorsque la cour aura émis une injonction à l’égard de la violation du droit d’auteur dans une œuvre spécifique qui « se trouve devant elle ». Il semblerait ainsi86 qu’une cour ne saurait, du moins en vertu de l’article 39.1, émettre une telle injonction élargie si elle n’a au préalable – dans le même jugement – émis une ordonnance d’injonction à l’égard d’une violation particulière. Il incombe au demandeur, par prépondérance de preuve, de convaincre la cour de la violation probable [et non simplement possible]87 de ses droits s’il veut que la cour émette une injonction pour des activités autres que les contrefaçons prouvées88 : il devra s’agir général posé par le juge Chitty s’applique également à d’autres types d’affaires. [À la page 61 de l’arrêt Matthew c. Guardian Assurance Co., (1919) 58 R.C.S. 47, le juge Anglin se référa à l’affaire Attorney-General c. Corporation of Manchester, [1893] 2 Ch. D. 87 et l’approuva. Il s’agissait d’une demande d’injonction visant à empêcher un agent d’assurance, en sa qualité d’avocat de la compagnie d’assurance-incendie, d’obtenir une licence en vertu de la législation pertinente de la Colombie-Britannique. J’estime que la demanderesse en l’espèce n’a pas établi, quant aux sujets mentionnés dans les plaidoiries, qu’il existait une forte probabilité que le préjudice appréhendé se produise effectivement. » 86. Du moins en vertu de l’article 39.1 : il serait, en effet, présomptueux de restreindre les pouvoirs de la cour au seul article 39.1 sans tenir compte des pouvoirs inhérents d’une cour supérieure. 87. Voir ainsi • Interbox Promotion Corp. c. 9012-4314 Québec inc. 34 C.P.R. (4th) 329 (C.F. ; 2003-10-27), le juge Martineau « [67] Par contre, la demanderesse n’a pas démontré à la satisfaction de la Cour que ces dernières [les défendresses] violeront vraisemblablement le droit d’auteur que la demanderesse peut avoir sur d’autres émissions. Conséquemment, aucune interdiction générale à cet égard n’est nécessaire. » • Football League, Ltd. c. Littlewoods Pools, Ltd., [1959] Ch. 637 (Ch.D.) la cour a émis l’injonction en regard des compilations qui avaient été violées mais a refusé d’émettre semblable injonction pour les compilations qui seraient faites l’année suivante, estimant peu probable que le défendeur viole à nouveau les droits du demandeur ; Au même effet, Bishop c. Stevens, (1984), 4 C.P.R. (3d) 349 (C.F.P.I. ; 1985-04-15), le juge Strayer aux pages 366-367 [inf. en partie sur un autre point 18 C.P.R. (3d) 257 (C.A.F. ; 1987-11-05) ; conf. (1990), 31 C.P.R. (3d) 394 (C.S.C. ; 1990-08-16) et FOX (Harold G.), The Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 2e éd., (Toronto : Carswell, 1967), p. 461. 88. Voir ainsi Video Arts Ltd. c. Paget Industries Ltd., [1988] 14 F.S.R. 501 (Ch.Div. ; 1986-12-02), le juge Knox à la page 503 : « In my judgment the question comes essentially down to whether there is sufficient evidence of prospective probable infringement to warrant the court making an order in wider terms than the actual proved activities of the defendant ». 1164 Les Cahiers de propriété intellectuelle d’une preuve de faits réels et non fondée sur de simples hypothèses, allégués ou présomptions générales. Au titre des éléments dont pourrait ainsi tenir compte une cour, seraient • le camouflage d’activités passées, • la nature du commerce ou des droits visés, • le mépris du demandeur ou des droits qu’il représente, • le je m’en foutisme quant au système judiciaire, • l’insouciance quant à l’obéissance à des ordonnances antérieures, • un scénario habituel ou système de contrefaçon89, • le comportement même du défendeur. Il s’agit là, assurément, de circonstances non exhaustives dont le poids variera suivant les circonstances, l’habileté des plaideurs ou la perception de la cour. 3.6.3 Portée Le paragraphe 39.1(2) de la Loi prévoit qu’une injonction élargie peut viser une œuvre ou autre objet du droit d’auteur : • à l’égard desquels le demandeur est titulaire du droit d’auteur90 ; • à l’égard desquels le demandeur est la personne à qui un intérêt par licence a été concédé91 ; 89. Par exemple T.M. Hall & Co c. Whittington & Co., 18 V.L.R. 525 (C.S. Vict. ; 1892-07-19), le juge Holroyd : « When a right that has been, and is being acquired form day to day or from week to week has been persistently violated in the past as soon as acquired, and in all likelihood will continue to be so violated in the future, is the court so powerless that it cannot by anticipation prohibit this manifest wrong ? In cases of this kind to restrain a repetition of the illicit copying of what has been copied is futile. The same dish is never served a second time. Injustice in restraining the illicit copying, which may otherwise be reasonably expected hereafter, there is none ». 90. Art. 13 L.D.A. 91. Art. 36 et 13 L.D.A. Voies et recours civils non pécuniaires... 1165 • à l’égard desquels le demandeur n’était pas, au moment de l’institution des procédures, le titulaire du droit d’auteur ; • à l’égard desquels le demandeur n’était pas, au moment de l’institution des procédures, la personne à qui un intérêt par licence avait été concédé ; • qui n’existait pas au moment de l’institution des procédures92. On l’aura compris, ce paragraphe est taillé sur mesure pour les sociétés de gestion collective dont les répertoires varient constamment. De même que pour les serial infringers ! Il devrait également mettre fin à certains des problèmes résultant des contrats de production visant des œuvres futures93. En tout état de cause, il permettrait à une société de gestion collective, sans chaîne de titres, de demander et d’obtenir une injonction pour une œuvre qui n’existerait même pas au moment de l’émission de l’injonction94. On comprendra qu’un tel redressement, mal balisé, puisse donner lieu à des abus. La faculté pour la cour d’émettre une injonction élargie ne résout pas tous les problèmes. En effet, l’émission d’une injonction n’aura généralement d’intérêt pour un demandeur que dans la mesure où il peut en faire assurer le respect par le biais de l’outrage au tribunal. Or, celui-ci demande la preuve hors du doute raisonnable de la désobéissance à l’injonction et, partant, de la connaissance de sa portée. Les répertoires des sociétés de gestion collective ont beau être accessibles95 il n’en demeure pas moins que c’est beaucoup demander à un défendeur d’avoir à déterminer si, en chaque 92. Setana Sport Ltd. c. 2049630 Ontario inc., 2007 FC 899 (C.F. ; 2007-09-11), le juge Hughes : « [6] [...] Paragraph 39.1(2)(b) permits the Court, in its discretion to extend an injunction otherwise made in respect of subsisting copyright in works to work not yet in existence but, again, the likelihood of future existence and authorship must be put in evidence. » 93. Voir, par exemple, DE KINDER (Vivianne), « Licence implicite et promesse sans cession – problèmes de droit d’auteur en matière de commande d’œuvres protégées, d’option et d’engagement à céder » (1993), 6 :1 Cahiers de propriété intellectuelle 67. 94. KNOPF (Howard P.), « Remedies Under Bill C-32 : Power to the Plaintiffs », dans The New Copyright Act – Managing the Impact, (Toronto : Insight, 1997), à la page 306. 95. L’article 67 L.D.A. impose maintenant aux sociétés de gestion chargées de certains droits d’exécution et de communication de répondre aux demandes de renseignements raisonnables du public concernant leur répertoire. L’article 70.11 soumet à semblable obligation la gestion collective relative aux droits visés aux articles 3, 15, 18 et 21 L.D.A. 1166 Les Cahiers de propriété intellectuelle cas, une œuvre donnée est ou non couverte par un tel répertoire ou l’injonction même96. Le problème a été justement posé dans les termes suivants : « The issue, will be the enforcement of such an order. Must a plaintiff give notice when it acquires ownership in new works ? Will the Court be more lenient on a defendant in contempt proceedings involving the «expanded» order ? »97. L’émission d’une telle ordonnance d’injonction élargie demeure donc, elle aussi, discrétionnaire. 4. DÉCLARATION98 Une déclaration de propriété ou de contrefaçon99 peut également faire l’objet de conclusions accessoires dans la procédure100 ou même d’un recours distinct et indépendant. 96. 97. 98. 99. 100. « The critical question is whether the defendant will be in a position to know what he can and what he cannot do. » : GARNETT (Kevin) et al., Copinger and Skone- James on Copyright, 16e éd., (London : ThomsonReuters, 2011), au § 21-173. HUGHES (Roger T.), « Enforcement of Rights and Remedies Under the New Copyright Act (Bill C-32) », dans The New Copyright Act – Managing the Impact (Toronto : Insight, 1997), à la page 290. Une approche prudente pourrait être, en l’absence de preuve de connaissance de la portée de l’injonction, celle préconisée par le juge Scott dans l’affaire Columbia Picture Industries c. Robinson, [1986] 12 F.S.R. 367 (Ch.Div. ; 1985-12-19), le juge Scott, à la page 431 : « I am prepared to grant an injunction protecting the copyright or the exclusive rights of any of the present plaintiffs in the films in respect of which their respective titles have been established in this action. I am not prepared to extend this protection to companies who are not plaintiffs, that is to say to future M.P.A.A. members. Nor I am prepared to extend the protection to cover other films. I am, however, willing to give the present plaintiffs or any of them liberty to apply from time to time on notice to the defendants to extend the injunction to other films. In order to obtain that extension, I contemplate that the applicant would have to satisfy the court that it had copyright or exclusive rights in the film or films in question ; second, either that it had applied to the defendants for suitable undertakings which had not been given, or that for some reasons undertakings by the defendants were not sufficient. The costs of any such application would of course depend on the circumstances of that application. The procedure I have suggested will, I hope, ensure that the plaintiffs will obtain proper protection whilst the defendants will not be subjected to injunction the scope of which they cannot possibly discover. » On pourra bien dire que cela va à l’encontre de l’objectif de l’article 39.1 : il faut cependant tenir compte de la prévention qu’ont généralement démontré les cours quand vient le temps de condamner pour outrage. Ben oui, j’ai sauté les développements dans les ordonnances Anton Piller et la variante Rolling contre Monsieur Untel et Jane Doe ; je n’ai pas parlé non plus des ordonnances Mareva et des ordonnances Norwich ! Ou de non contrefaçon ou de subsistance du droit d’auteur dans une œuvre ou autre objet du droit d’auteur. Voir, par exemple, Voies et recours civils non pécuniaires... 1167 Le déclaratoire, comme demande principale ou conclusion accessoire n’est pas spécifiquement prévu à la Loi sur le droit d’auteur mais on peut y trouver assise aux paragraphes 34(1) et 34(2) L.D.A. dont la version anglaise se lit « ... the owner is entitled to all remedies by way of...injunction, damages, accounts, delivery up and otherwise that are or may be conferred by law for the infringement of a right ». Le « ou autrement » de la version française ayant été remplacé par un « notamment » en 1997101. Dès lors, le déclaratoire pourra porter tant sur les droits économiques que les droits moraux102. Le pouvoir de rendre des jugements déclaratoires relève de la juridiction inhérente des cours supérieures103. 101. 102. 103. • Lifestyle Homes Ltd. c. Randall Homes Ltd., 30 C.P.R. (3d) 76 (B.R.Man. ; 1990-03-16), le juge Hirschfield à la page 96 [conf. 34 C.P.R. (3d) 505 (C.A. Man. ; 1991-01-04)] :« [101] 1. The plaintiffs’ designs in issue are not original or unique or distinctive or artistic works and, therefore, did not attract nor are they protected by copyright. » ; • Tedesco c. Bosa, 45 C.P.R. (3d) 82 (C. Ont.-div. gén. ; 1992-09-29), le juge Jarvis [Action for a declaration as to ownership of the copyright and manuscript in respect of the literary work in a book ; declaration granted, damages fixed at $10,000.] • 91439 Canada Ltée c. Éditions JCL Inc., 41 C.P.R. (3d) 245 (C.F. ; 1992-0124), le juge Denault [mod. 58 C.P.R. (3d) 38 (C.A.F. : 1994-09-23)] : « [21] Compte tenu des circonstances particulières du présent cas, je considère donc approprié d’accorder à la demanderesse les redressements suivants : A. Un jugement déclaratoire inter partes à l’effet que les œuvres littéraires Un Jour La Jument Va Parler ... et J’espère Au Moins Qu’y Va Faire Beau ! sont des œuvres protégées et que la demanderesse en est la seule propriétaire, et aussi à l’effet que la défenderesse JCL a violé les droits d’auteur de la demanderesse dans lesdites œuvres. ». L.C. 1997, ch. 24, art. 20(1). Voir : • Ghanotakis c. Expertises didactiques Lyons inc. 2004 CanLII 35492 (C.S.Q. ; 2004-10-01), le juge Lévesque : « [19] Ces droit moraux peuvent être sanctionnés par un jugement déclaratoire ». [Parenthèse statistique 52 résultats sur CanLII pour Georges Ghanotakis comme partie.] • Fabrikant c. Swamy, 2011 QCCS 1385 (C.S.Q. ; 2011-03-25), le juge Rolland où il était demandé : « DECLARE the Defendants T.S. Sankar, M.N.S. Swamy, S.V. Hoa and G.D. Xistris have made no scientific contribution to the Plainfiff’s publication ; ORDER T.S. Sankar, M.N.S. Swamy, S.V. Hoa and G.D. Xistris to write letters of retraction to the editors of relevant Journals, stating that they should not be considered co-authors of respective publications. » [Parenthèse statistique 88 résultats sur CanLII pour Valery I. Fabrikant comme partie.] Voir la règle 64 R.C.F. et les articles 453 et s. C.p.c. Récemment : CKF Inc. c. Huhtamaki Americas Inc., 2009 NSSC 21 (N.S.S.C. ; 2009-01-21), le juge Edwards : « [37] In addition to the inherent jurisdiction of this Court, the 1168 Les Cahiers de propriété intellectuelle Il n’est pas nécessaire de se demander si la demande est préventive ou curative104 ou de trouver un dommage ou une violation pour obtenir un jugement déclaratoire105. 104. 105. case law confirms that declaratory relief is specifically available in the context of intellectual property disputes. » • Astral Media Radio Inc. c Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada, [2009] 3 R.C.F. 415 (F.C. ; 2008-10-24), le juge Zinn [infirmé sur d’autres motifs 80 C.P.R. (4th) 358, (C.A.F. ; 2010-01-18)] : « [28] Bien que la Cour d’appel fédérale ait compétence exclusive quant au contrôle judiciaire d’une ordonnance ou d’une décision de la Commission du droit d’auteur, ce n’est pas là le fondement de la présente instance. Il s’agit plutôt en l’espèce d’une action visant l’obtention d’un jugement déclaratoire. Or la règle 64 des Règles des Cours fédérales prévoit bien expressément que, si à l’égard d’une question la Cour a par ailleurs compétence, il ne peut être fait opposition à celle-ci au motif que l’obtention d’un jugement déclaratoire est la seule réparation demandée. [29] Il est clair, à mon avis, que la Cour a bel et bien compétence relativement à l’objet de la présente demande, le fondement en étant prévu comme suit à l’article 37 [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20] de la Loi sur le droit d’auteur » • Research in Motion Ltd. c. Atari Inc., 61 C.P.R. (4th) (C.S. Ont. ; 2007-08-16), le juge Spiegel : [permission d’en appeler refusée 2007 CarswellOnt 7087 (C.S. Ont.-Div. ; 2007-11-02) « [3] [...] RIM claims a declaration that the copying, distribution, sales and communication to the public of RIM’s BrickBreaker game do not infringe any copyright that the defendants Atari may have in the games Breakout and Super Breakout (hereinafter collectively referred to as « Breakout ») under the laws of Canada or the United States. RIM also claims a declaration that the audio visual displays of Breakout do not constitute work protected by copyright under Canadian law and a declaration that Atari has no right to title or interest to Breakout under either the laws of Canada or the United States. ». • La juridiction de la Cour fédérale, cour statutaire, pour se saisir d’une action en déclaration de NON contrefaçon de droits d’auteur est soulevée dans les termes suivants : « By extension, the Federal Court, lacking inherent jurisdiction, would likely not have jurisdiction to grant such remedy [i.e. declaration of non-infringement] » BLOOM (Glen A.) et al., Copyright, in DIMOCK (Ronald E.) Ed., Intellectual Property Disputes – Resolutions and Remedies, (Toronto : Thomson-Carswell, 2002), au §3.4(a)(e). Duquet c. Ville de Ste-Agathe, [1977] 2 R.C.S. 1132 (C.S.C. ; 1976-10-05), le juge Pigeon à la page 1139. Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy’s Ltd., [1986] 1 C.F. 357 (C.F.P.I. ; 1984-06-29), le juge Strayer ; « [31] J’admets qu’il n’y a aucune preuve de violation du droit d’auteur relativement au motif floral. On ne signale aucune tentative de reproduction de ce motif, soit par Cassidy’s elle-même, soit par d’autres personnes engagées par Cassidy’s pour le faire. Elle n’a jamais vendu de marchandises portant ce motif qui n’auraient pas été fabriquées par Paragon. Par conséquent, il n’y a pas eu de violation de droit d’auteur même s’il y a, de toute évidence, une contestation, comme le prouvent les présentes pro cédures, quant à la personne titulaire de ce droit. Le motif pour lequel j’ai conclu ci-dessus, relativement aux marques de commerce, que cette Cour peut faire une déclaration prévue par l’article 20 de la Loi sur la Cour fédérale, me permet également de conclure que je peux faire une déclaration dans le présent cas. Cette déclaration est un redressement cherché « en vertu d’une ... règle de droit relativement à ... Voies et recours civils non pécuniaires... 1169 Il faut un intérêt à faire déterminer, pour la solution d’une difficulté106 ou d’un différend réel, de l’état d’une partie107, de droits ou d’obligations résultant, entre autres, d’une loi, d’un règlement108 ou d’un contrat109. 106. 107. 108. 109. un droit d’auteur [...] » La Loi sur le droit d’auteur établit un ensemble complet de règles à l’égard des droits de propriété relatifs au droit d’auteur et cette Cour peut déclarer le droit qu’ont certaines personnes à certains droits conformément à ces règles. En outre, la compétence qui est accordée au Parlement par la rubrique 23 de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 relativement au « droit d’auteur » est générale et sous-tend certainement l’ensemble complet de règles que prescrit la Loi sur le droit d’auteur. [32] Par conséquent, je déclare que le premier et l’actuel titulaire du droit d’auteur dans le dessin de fleurs Victoriana Rose est Paragon China Limited. Toutefois, comme il n’y a aucune preuve que la défenderesse a reproduit ce motif, a l’intention de le reproduire, de faire en sorte qu’il y soit reproduit ou de vendre des reproductions de celui-ci autres que la marchandise fournie par Paragon China Limited, et comme il n’y a pas de preuve non plus que la défenderesse a affirmé publiquement qu’elle était titulaire de ce droit d’auteur, il apparaît que rien ne justifie d’exercer ma discrétion judiciaire dans le sens des injonctions demandées. ». Voir aussi Kane c. Hooper, 68 C.P.R. (3d) 267 (C.F. ; 1996-05-15), le protonotaire Hargrave au paragraphe 15 et Research in Motion Ltd. c. Atari Inc., 61 C.P.R. (4th) (C.S. Ont. ; 2007-08-16), le juge Spiegel aux paragraphes 27-28 [permission d’en appeler refusée 2007 CarswellOnt 7087 (C.S. Ont.-Div. ; 2007-11-02)]. Astral Media Radio Inc. c. Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada, [2009] 3 R.C.F. 415 (FC ; 2008-10-24), le juge Zinn [infirmé pour d’autres motifs 80 C.P.R. (4th) 358, (C.A.F. ; 2010-01-18)] : « [35] Bien que que les jugements déclaratoires visant des dispositions législatives aient habituellement trait à leur validité, les cours peuvent, sur demande d’une partie intéressée, rendre des jugements déclaratoires qui portent sur leur interprétation. » Daviault c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2008 QCCS 3348, (C.S.Q. ; 2008-07-17), le juge Blondin : « [8] DECLARES Plaintiff owner and beneficiary of the Copyright, title and interest and all fruits thereof, of the Musical composition created by Alain Regaudie and titled Trilogie Metallique – Guitare electrique et orchestrae » Par exemple, dans Astral Media Radio inc. c. Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada, [2009] 3 R.C.F. 415 (F.C. ; 2008-10-24), le juge Zinn ; inf. (sub nom. Neighbouring Rights Collective of Canada c. Astral Media Radio Inc., 80 C.P.R. (4th) 358, (C.A.F. ; 2010-01-18), le juge Evans, la question en litige portait sur Règlement sur la définition de recettes publicitaires (DORS/ 98- 447), adopté en vertu du paragraphe 68(1) L.D.A. et visait à savoir si une station de radio qui à la fois produit et diffuse une annonce publicitaire pour un client dans le cadre d’un contrat clés en mains peut exclure la valeur des services de production qu’elle a fournis du calcul de ses recettes publicitaires. Diffusion YFB Inc. c. Disques Gamma (Québec) inc., J.E. 99-1139 (C.S.Q. ; 1999-05-12.), le juge Gomery : « Il s’agit d’une requête pour jugement déclaratoire. La partie requérante demande que le Tribunal statue sur les droits d’auteur détenus respectivement par les parties résultant de la signature, le 22 août 1996, d’un contrat de transaction, suivi par la faillite de l’artiste concerné, M. Éric Lapointe. La requête est contestée par l’intimée qui produit au dossier, par voie de demande reconventionnelle, sa propre demande pour jugement déclaratoire en relation aux mêmes sujets. DÉCLARE que l’intimée Les Disques Gamma (Québec) Ltée est co-titulaire des droits d’auteur dans les œuvres reproduites sur le phonogramme «Invitez les Vautours» selon la grille de 1170 Les Cahiers de propriété intellectuelle • ne sera pas rendu si de peu ou pas d’utilité ; • ne doit pas porter sur des questions hypothétiques110, académiques, abstraites ou obsolètes ; • ne doit pas soulever qu’une question de principe et ne résolvant pas une difficulté réelle (ou à obtenir avis juridique). L’action déclaratoire111 se caractérise par l’absence de toute demande de mesure coercitive et sans sanction exécutoire. Et une demande de jugement déclaratoire ne doit pas court-circuiter le processus judiciaire normal112 et n’est pas un raccourci pour obtenir paiement des sommes qui pourraient être dues en vertu d’un 110. 111. 112. répartition établie dans les projets d’ententes de co-édition produits sous le cote I-10, le tout selon les termes et conditions établis dans le contrat de transaction signé le 26 août 1996 ; DÉCLARE que l’intimée Les Disques Gamma (Québec) Ltée est co-titulaire des droits d’auteur dans les œuvres intitulées « Les Boys », « Rocket » et « Alléluia », selon la grille de répartition produite sous la cote I-26B, le tout selon les termes et conditions établis dans le contrat de transaction signé le 26 août 1996. ». Voir aussi GARNETT (Kevin) et al., Copinger and SkoneJames on Copyright, 16e éd. (London : ThomsonReuters, 2011), au § 21-167 : « For example, a declaration may be granted that a publishing agreement is at an end, so facilitating an author in his efforts to sell his work elsewhere. It is important that the declaration in question should not affect the rights of anyone other than the defendants or the persons claiming through them. » referent à Patten c. Burke Publishing Company Ltd., [1991] 18 F.S.R. 483 (Ch.Div. ; 199103-07), le juge Millet à la page 486. Moorhouse c. University of New South Wales, [1976] R.P.C. 151 (H.C. Aust. ; 1975-08-01), le juge Jacobs aux pages 166-167 : « A declaration of right based on facts found in the particular case can certainly be made but it is not permissible to make a declaration of right which amounts to a conclusion of fact from a hypothetical or assumed state of facts and thereby to enunciate or declare a rule of apparently general application as thought it were a declaration of applicable law. A declaration of right based on hypothetical or assumed facts may be made when the assumed facts can be certainly and exhaustively stated and when the conclusion flowing therefrom is truly a conclusion of law but not when it is itself a conclusion of fact. » Comme recours autonome. Cela est particulièrement vrai dans le cas d’une demande déclaratoire de NON contrefaçon : Wyko Group Plc c. Cooper Roller Bearings Co. Ltd., [1996] 23 F.S.R. 126 (Ch.Div. ; 1995-11-17, le juge Ferris à la page137 mais abrégeons en ne citant que la note de l’arrêtiste : « Declaratory relief cannot be obtained against a person who has not asserted any right. A party should be allowed to commence his own proceedings at a time and manner of his own choosing and should not be brought in court by the opposing party to resist a claim for a declaration of non-liability. ». D’où la mise en perspective des lettres de mise en demeure qui peuvent servir d’assise à de telles demandes préemptives... Voies et recours civils non pécuniaires... 1171 tarif. Il faudra établir la créance et ensuite exécuter pour sa perception113. Le jugement déclaratoire, par action ou mesure accessoire, relève, faut-il le rappeler, de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire114. La cour n’est pas liée par la formulation de la conclusion recherchée115 et un intimé peut se porter demandeur reconventionnel avec sa propre demande déclaratoire116. 113. 114. 115. 116. Dans Société canadienne de perception de la copie privée c. Gogh Wholesale Inc., 54 C.P.R. (4th) 414 (C.F. ; 2006-11-26), la juge McTavish aux paragraphes 20-21, la SCPCP demandait, entre autres, une ordonnance déclarant qu’elle avait droit à toutes les sommes dont il pourrait être établi qu’elles lui soient dues par Gogh dans le cadre de la vérification, y compris les coûts de la vérification, si les conditions prévues dans les Tarifs étaient réunies : déclaratoire refusé comme prématuré avant que la vérification ne soit faite et les comptes établis. Voir aussi Société canadienne de perception de la copie privée c. Fuzion Technology Corp., 52 C.P.R. (4th) 168 (C.F. ; 2006-10-25), le juge von Finkelstein, au paragraphe 41. Dellareed Ltd. c. Delkim Developments, [1988] 14 F.S.R. 329 (Ch.Div. ; 1987-1127), le juge Falconer à la page 123 : « If the matter was left simply to that of copyright, the granting of a declaration being a discretionary matter, I would not be prepared to grant the declaration simply restricted to infringement of copyright because of the breach of undertaking. » Dans Astral Media Radio inc. c. Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada, [2009] 3 R.C.F. 415 (FC ; 2008-10-24), le juge Zinn ; [inf. (sub nom. Neighbouring Rights Collective of Canada c. Astral Media Radio Inc., 80 C.P.R. (4th) 358, (C.A.F. ; 2010-01-18), le juge Evans] • il était demandé : « [1] un jugement déclaratoire portant que le Règlement sur la définition de recettes publicitaires, DORS/98-447, autorise les radiodiffuseurs à déduire la juste valeur marchande de tous les services de production fournis aux annonceurs des recettes publicitaires auxquelles ces services sont liés et en fonction desquelles des redevances sont payables en vertu du Tarif de la SCGDV pour la radio commerciale pour les années 1998-2002 et du Tarif SOCAN-SCGDV pour la radio commerciale 2003-2007 » • et il a été obtenu, en appel : « [41] Pour ces motifs, je ferais droit à l’appel, j’annulerais l’ordonnance du juge des requêtes, et je prononcerais le jugement déclaratoire suivant. Le Règlement sur la définition de recettes publicitaires, DORS/98-447, autorise les radiodiffuseurs à exclure des « recettes publicitaires » à l’égard desquelles ils doivent payer des redevances en vertu du Tarif de la SCGDV pour la radio commerciale pour les années 1998-2002 et du Tarif SOCAN-SCGDV pour la radio commerciale 2003-2007 toutes les recettes qu’ils tirent de la production d’annonces publicitaires. Cependant, le simple fait que des radiodiffuseurs engagent des frais pour produire des annonces publicitaires dans le cadre de contrats clés en mains ou que leurs services aient une valeur pour des annonceurs ne prouve pas que les radiodiffuseurs touchent des recettes de production qui doivent être exclues des « recettes publicitaires ». Diffusion YFB inc. c. Disques Gamma (Québec) inc., J.E. 99-1139 (C.S.Q. ; 1999-05-12.), le juge Gomery. 1172 Les Cahiers de propriété intellectuelle La survenance de problèmes accessoires, y compris celle de litiges éventuels, ne remet pas en question la réponse apportée par le jugement déclaratoire117 et ne fait pas obstacle à la demande. La Cour s’en tiendra à la preuve qui aura été faite devant elle, même par défaut118, et de ce qui aura été plaidé119, sans aller plus loin que nécessaire120. 117. 118. 119. 120. Société du droit de reproduction des auteurs compositeurs et éditeurs du Canada inc. c. Société Radio-Canada, 14 C.P.R. (3d) 102 (C.S.Q. ; 1986-12-11), le juge Marquis, à la page 109. Patten c. Burke Publishing Company Ltd., [1991] 18 F.S.R. 483 (Ch.Div. ; 1991-03-07), le juge Millet à la page 485. CCH Canadienne ltée c. Le Barreau du Haut-Canada, 2 C.P.R. (4th) 129 (C.F. ; 1999-11-09), le juge Gibson aux paragraphes 196-198 [inf. 18 C.P.R. (4th) 161 (C.A.F. ; 2002-05-14) ; inf. 30 C.P.R. (4th) 1 (C.S.C. ; 2004-03-04)] : « [196] A declaration will issue that the defendant has infringed copyright of the plaintiff Carswell Thomson Professional Publishing in the textbook Economic Negligence by making a photocopy of a substantial portion of that textbook and by distributing the copy by hand, mail or courier. A similar declaration will issue that the defendant has infringed copyright of Canada Law Book Inc. in the monograph entitled «Dental Evidence» published as chapter 13 in the textbook Forensic Evidence in Canada, by making a photocopy thereof and by distributing the copy by facsimile, mail or courier. [197] The plaintiffs further claim a declaration that the defendant, in carrying out its custom photocopy service, infringes the plaintiffs’ copyright by : (a) making a photocopy ; (b)making a copy for storage in the memory of a facsimile machine ; (c) transmitting a copy using a facsimile machine ; (d) distributing a copy by hand, courier or facsimile machine ; or(e) selling a copy, of reported judicial decisions, headnotes in reported judicial decisions, annotated statutes, case summaries, topical indexes and textbooks in which the copyright is owned by any one of the Plaintiffs. [198] No declaration will issue in accordance with this claim for relief. I simply am not satisfied that the evidence before me justifies a generalized declaration of the nature contemplated in this claim. » CCH Canadienne ltée c. Le Barreau du Haut-Canada, 2 C.P.R. (4th) 129 (C.F. ; 1999-11-09), le juge Gibson aux paragraphes 201-202 [inf. 18 C.P.R. (4th) 161 (C.A.F. ; 2002-05-14) ; inf. 30 C.P.R. (4th) 1 (C.S.C. ; 2004-03-04)] : [201] By counterclaim, the defendant seeks a sweeping declaration finding its conduct that has been under review in these actions to be in accordance with law, condemning the actions of the plaintiffs leading up to the commencement of these actions and in the conduct of these actions, and finding that the plaintiffs have afforded the defendant a broad implied licence and essentially restraining the plaintiffs from ever again asserting a monopoly, in copyright or otherwise «to control access to or use of primary or secondary sources of law or any editorial additions which the Plaintiff[s] may include with them». [202] The declaration sought by the defendant is a paradigm of overreaching, particularly in the light of the “library exception” to the Copyright Act adopted by Parliament, only recently in force, and not argued in any substantive way before this Court. No declaration will issue in favour of the defendant. » Voies et recours civils non pécuniaires... 1173 5. RECOUVREMENT DE POSSESSION Le paragraphe 38(1) permet au titulaire du droit d’auteur de revendiquer la possession, à titre de propriétaire121, des exemplaires contrefaits d’une œuvre ou de tout objet du droit d’auteur122. Ce droit de revendiquer le bien objet du droit d’auteur, résulte d’une fiction légale du droit de propriété créé par l’article 38(1) : « Comme s’il en était propriétaire ».123 Il s’agit de l’enchâssement dans la Loi sur le droit d’auteur du recours en « detinue » que connaît la common law124. Bref, le propriétaire du droit d’auteur peut être déclaré propriétaire des objets contrefacteurs125 et en disposer à sa guise126. Ce recours, il importe de le noter, 121. 122. 123. 124. 125. 126. R. c. James Lorimer and Company Limited, 77 C.P.R. (2d) 262 (C.A.F. ; 1984-01-05), le juge Mahoney à la page 268 Et de toutes les planches, tel que ce terme est nouvellement défini à l’article 2 L.D.A., qui ont servi à la confection de ces exemplaires. On pourra déplorer, en passant, l’absence d’uniformité terminologique du législateur en regard des planches contrefactrices : paragraphe 42(3) « des planches ayant servi principalement à la fabrication d’exemplaires contrefaits », alinéa 42(2)a) « planche conçue ou adaptée précisément pour la contrefaçon », paragraphe 38(1) « planches qui ont servi ou sont destinées à servir à la confection », paragraphe 27(4) « une planche conçue ou adaptée précisément pour la contrefaçon ». Disques distribution Domino inc. (Faillite), Re, 2003 CanLII 21255 (C.S.Q. ; 2003-01-06), le registraire Flamand, au paragraphe 25. Voir aussi Gestion Radisson Design inc. c. Structure marine Amarco inc., 2007 QCCS 243 (C.S.Q. ; 2007-01-23), la juge Laberge : « [32] Il suffit pour l’instant qu’il y ait allégation de l’existence d’un droit d’auteur en faveur de la demanderesse et contestation de ce droit par les défendeurs pour que naisse la présomption de l’art. 34.1 et que s’ouvre par conséquent le remède de l’article 38(1). » Avec les amendements de 1997, le recours en « conversion », [et non en « conversation » qui figure maintenant dans mon perlier de rédacteur en chef des Cahiers de propriété intellectuelle] savoir recouvrer la valeur de l’objet contrefacteur n’est plus permis. Le paragraphe 38(5) se lit : « La présente loi n’a pas pour effet de permettre au titulaire du droit d’auteur de recouvrer des dommages-intérêts en ce qui touche la possession des exemplaires ou des planches visés au paragraphe (1) ou l’usurpation du droit de propriété sur ceux-ci. » Parenthèse historique, la loi sur le droit d’auteur du Maryland, dès 1783, prévoyait une remise des copies contrefactrices au profit du titulaire du droit ; idem pour l’Acte pour protéger la propriété littéraire (Bas-Canada, 1832). Encore faudra-t-il qu’il s’agisse de contrefaçon, tel que défini à l’article 2 L.D.A., c’est-à-dire, entre autres, « à l’égard d’une œuvre sur laquelle existe un droit d’auteur, toute reproduction, y compris l’imitation déguisée qui a été faite contrairement à la présente loi... » Voir Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain, 1999 CarswellQue 3176 (C.S.Q.) ; inf. 9 C.P.R. (4th) 259 (C.A.Q. ; 2000-02-22) ; inf. 17 C.P.R. (4th) 161 (C.S.C. ; 2002-03-28). Sous réserve du tempérament qu’apporte le paragraphe 38(2) L.D.A. 1174 Les Cahiers de propriété intellectuelle • est cumulatif (et non alternatif) à l’octroi de dommages127 ; • peut également s’exercer indépendamment de quelque conclusion128 en dommages129 ; • s’exerce indépendamment de quelque élément de connaissance de la part du contrefacteur130 ; • ne s’applique pas aux œuvres architecturales131 ; • ne relève pas le titulaire de prouver contrefaçon 132. Ainsi, dans le cas du recouvrement de possession, le titulaire du droit d’auteur pourra, sans indemnité aucune, en sus des dommages et profits qui auraient pu lui être autrement octroyés, réclamer la possession physique133, à titre de propriétaire, des exemplaires contrefacteurs ou des planches ayant servi ou étant destinées à servir à la confection de ceux-ci134. 127. 128. 129. 130. 131. 132. 133. 134. Sutherland Publishing Company, Limited c. Caxton Publishing Company, Limited, [1938] 4 All E.R. 389 (H.L.), le juge Porter aux pages 404-40 ; Pro Arts, inc. c. Campus Crafts Holdings, 50 C.P.R. (2d) 230 (H.C. Ont. ; 1980-03-27), le juge Labrosse à la page 249. Et non « contusion » en dommages que me donne le correcteur de texte qui a peine à contextualiser ! Voir, par exemple, Cartes-en-ciel inc. c. Boutique Elfe inc., [1991] R.J.Q. 1775 (C.prov. Q. ; 1991-02-22) où la réclamation en dommages-intérêts devant la Cour provinciale [dossier 500-02-031798-908] avait été précédée d’une saisie avant jugement en revendication devant la Cour supérieure [dossier no 500-05006861-890]. Voir, par exemple 91439 Canada ltée c. Éditions JCL inc., 41 C.P.R. (3d) 245 (C.F. ; 1992-01-24), le juge Pinard [mod. 58 C.P.R. (3d) 38 (C.A.F. ; 1994-09-13]. Par. 40(2) L.D.A. C’est-à-dire la reproduction d’une partie substantielle de son œuvre et ce, sans rapport à l’importance de cette reproduction comme partie de l’œuvre contrefactrice. Icotop inc. c. Ferrand, [2005] R.J.Q. 2376 (C.S.Q. ; 2005-08-12), le juge Larouche : « [180] DÉCLARE conformément à l’article 38 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, la demanderesse propriétaire de tous originaux, épreuves, copies et exemplaires du livre intitulé « Papa, à quoi sers-tu ? » et par conséquent, AUTORISE la demanderesse à détruire tous et chacun des originaux, épreuves, copies et exemplaires dudit livre ; ». Voir, par exemple, Les dictionnaires Robert Canada scc c. Librairie du Nomade inc., 16 C.P.R. (3d) 319 (C.F.P.I. ; 1987-01-05), le juge Denault à la page 399 [appel rejeté 37 FTR 240n (C.A.F. ; 1990-09-26)] et Mackintosh Computers Ltd. c. Apple Computer Inc., [1988] 1 CF 673 (C.A.F. ;1987-10-13) le juge Hugessen aux pages 694-695 [conf. 30 C.P.R. (3d) 257 (C.S.C. ; 1990-06-21). Voies et recours civils non pécuniaires... 1175 Parce qu’elle vise les exemplaires contrefaits, cette disposition ne s’applique qu’en cas de violation des droits d’auteurs mais non des droits moraux135. La revendication s’exerce uniquement sur le support de la contrefaçon136, c’est-à-dire la contrefaçon elle-même 137. Le véhicule procédural peut être celui d’une déclaration de propriété dans le cadre d’une action en revendication ou comme mesure accessoire à une procédure en violation. Il peut également s’exercer par le biais d’une saisie avant jugement138. Au Québec, les procédures seront initiées selon le paragraphe 734(1)139 du Code de procédure civile qui permet au demandeur de « saisir avant jugement le bien meuble qu’il est en droit de revendiquer »140. La saisie avant jugement visée par l’article 734 du Code de 135. 136. 137. 138. 139. 140. Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain, 17 C.P.R. (4th) 161 (C.S.C. ; 2002-03-28), le juge Binnie : « [76] Je conviens avec le juge Gonthier [dissident] que l’artiste ou l’auteur qui allègue la violation d’un droit moral ne peut pas recourir à la saisie avant jugement permise par l’article 734 du Code de procédure civile du Québec. » Tai Foong International Ltd. c. Maison Sami TA Fruits inc., 2002 CarswellQue 1232 (C.S.Q. ; 2002-02-05), le juge Mongeon [requête pour permission d’appeler rejetée (C.A.Q. ; 2002-02-22)] : « [100] Consequently, it is clear tha only the rice bags could be the subject matter of the exercise of a right under section 38 of the Copyright Act [and not the rice contained in the bags]. » Entreprises Bigknowledge inc. c. Skura Corp., J.E. 2004-1038 (C.S.Q. ; 2004-0402), le juge Bishop : « [64] Donc, il semble que le droit de la requérante de saisir avant jugement sous l’article 38(1) de la Loi est limité aux copies ou reproductions matérielles ou corporelles des œuvres dont elle est titulaire du droit d’auteur. » Le paragraphe 38(1) in fine L.D.A. se lit : « ...ou engager à leur égard des procédures de saisie avant jugement si une loi fédérale ou une loi de la province où sont engagées les procédures. ». Outre l’article 734 C.p.c., la règle 377 R.C.F. peut recevoir application. Diamant Toys Ltd. c. Jouets Bo-Jeux Toys Inc., 19 C.P.R. (4th) 43 (C.F.P.I. ; 2002-04-05), le juge Nadon : « [55] Je conclus donc que les demanderesses ont démontré un cas prima facie de violation du droit d’auteur de la part de la défenderesse. En conséquence, je suis d’avis que le paragraphe 38(1) de la Loi sur le droit d’auteur, conjointement avec le paragraphe 377(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), permettent aux demanderesses de saisir avant jugement tous les exemplaires contrefaits des œuvres sur lesquelles elles possèdent un droit d’auteur. » Certaines décisions réfèrent, toutefois, dans le contexte du droit d’auteur, au paragraphe 734(5) C.p.c. « le bien meuble qu’une disposition de la loi lui permet de faire saisir pour assurer l’exercice de ses droits sur icelui. » La première manifestation de cette interaction entre les paragraphes 734(1) C.p.c. et 38(1) L.D.A. est : Formules Municipales ltée c. Imprimerie Formules Légales Provinciales ltée, 28 C.P.R. (2d) 259 (C.S.Q. ; 1976-01-18) ; conf. par un arrêt rendu le 1978-02-15, dossier 500-09-000027-763 (C.A.Q.) ; permission d’en appeler refusée [1978] 1 R.C.S. viii (C.S.C. ; 1978-05-15) Par la suite voir, entre 1176 Les Cahiers de propriété intellectuelle procédure civile est de plein droit et ne nécessite pas l’autorisation préalable d’un juge141. Rappelons qu’aux termes de cette disposition, le saisissant • n’a pas à invoquer le péril dans lequel se trouve sa créance142 ; • n’a pas à rencontrer les critères d’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire143 ; • n’a pas à remplir les conditions propres à l’injonction Anton Piller144. 141. 142. 143. 144. autres : Productions G.R.O.S. Design Inc. c. Alpenstock Beaupré Inc., J.E. 90-1473 (C.S.Q. ; 1990-06-14) ; L.B.G.P. Consultants inc. c. I.G.U. (Ingraph) inc., un jugement inédit rendu le 1990-06-29 par le juge Benoit, dossier no 500-05006991-903 (C.S.Q.) ; I.G.U. (Ingraph) Inc. c. L.B.G.P. Consultants Inc., J.E. 901224 (C.S.Q. ; 1990-07-09) ; Man Roland Canada Inc. c. R.D.P. Marathon Inc., (1990), 39 C.P.R. (3d) 543 (C.S.Q. ; 1990-11-21) ; Compro Communications Inc. c. Communications Promo-Phone L.T. inc., 41 C.P.R. (3d) 260 (C.S.Q.) ; Manufacture française des textiles d’ameublements sarl c. Les couvre-lits Lawrence ltée, LPJ 93-1178 (C.S.Q. ; 1991-07-19) ; 2946-1993 Québec inc. c. Sysbyte Telecom Inc., J.E. 2001-1143 (C.S.Q. ; 2001-05-02) ; Sogides ltée c. Cardwell, REJB 2003-48224 (C.A.Q. ; 2003-09-29) ; Entreprises Bigknowledge inc. c. Skura Corp., J.E. 2004-1038 (C.S.Q. ; 2004-04-02). En Ontario, la détention intérimaire procéderait par voie d’ordonnance intérimaire : voir Abel/Noser Corp. c. C.P.M.S. Computerized Portfolio Management Services Inc., 55 CPC (2d) 135, (C.S. Ont. ; 1987-02-26), le juge O’Driscoll. Champagne c. Bouchard, [1987] 5 R.D.J. 494 (C.A.Q. ; 1987-10-14), la Cour à la page 496. Voir : • Diamant Toys Ltd. c. Jouets Bo-Jeux Toys Inc., 19 C.P.R. (4th) 43 (C.F.P.I. ; 2002-04-05), le juge Nadon : « [56] Si j’ai raison de conclure que les demanderesses ont droit à la saisie avant jugement, similaire à la saisie avant jugement en vertu du paragraphe 734(1) du Code de procédure civile du Québec, alors les demanderesses n’ont pas à satisfaire au critère tripartite applicable aux demandes d’injonction interlocutoire (Théberge c. Galeries d’Art Yves Laroche, 2000 CanLII 5336 (C.A.Q.), (2000), 9 C.P.R. (4e) 259 (C.A.Q.). » • Gianni Versace S.p.A. c. 1154979 Ontario Ltd., 28 C.P.R. (4th) 217 (C.F. ; 2003-08-03), le protonotaire Lafrenière : « [25] La Cour a récemment statué que la partie qui réclame une ordonnance conservatoire en vertu de l’article 377 des Règles de la Cour fédérale (1998) n’est pas tenue de satisfaire au critère à trois volets qui s’applique aux injonctions interlocutoires. ». Alexis Jewellery & Accessories Inc. c. Suzy Shier, 2000 CarswellNat 2567 (C.A.Q. ; 2000-11-22), le juge Rochon : « [66] [...] Je n’affirme pas que toute ordonnance destinée à accompagner une saisie avant jugement effectuée en vertu de l’article 38.1 de la Loi sur les droits d’auteur doit remplir les conditions propres à l’injonction «Anton Piller». Je suis toutefois d’avis que de telles ordonnances doivent s’exercer sous contrôle judiciaire et des différents officiers de justice dans le respect des droits fondamentaux des parties. » Voies et recours civils non pécuniaires... 1177 Les logiciels, considérés comme des planches ou des supports de la contrefaçon pourront être saisis145 mais une autorisation sera requise s’il s’agit de fichiers dans un ordinateur ou sur des disques externes146. 145. 146. 2946-1993 Québec inc. c. Sysbyte Telecom inc., J.E. 2001-1143 (C.S.Q. ; 2001-0502), le juge Chaput « [32]Cependant, l’on conviendra qu’il soit pratiquement impossible de saisir un programme informatique qui est une œuvre intellectuelle sans en même temps prendre possession des supports sur lesquels ce programme ou ses copies se trouvent installés, imprimés, gravés ou reproduites de quelque manière. [35] Le tribunal ne voit pourquoi l’on ne pourrait assimiler à une « planche » le disque dur d’un ordinateur, les disquettes, disques CD ou autres supports informatiques destinés à la confection, copie, transmission ou reproduction d’un produit informatique, tel un programme, logiciel ou fichier, qui constitue une œuvre au sens de la Loi sur le droit d’auteur. Cependant, l’on ne saurait assimiler à telle « planche » l’ordinateur lui-même qui n’est que la machine ou l’instrument qui utilise les supports du produit informatique. » Voir : • D. & G. Enviro-group inc. c. Bouchard, J.E. 2000-1352 (C.A.Q. ; 200-06-21) le juge Beauregard aux paragraphes 16-18 ; • 2946-1993 Québec inc. c. Sysbyte Telecom inc., J.E. 2001-1143 (C.S.Q. ; 2001-05-02), le juge Chaput : « [36] Par contre, comme le font voir les arrêts D. & G. Enviro-group Inc. c. Bouchard et Alexis Jewellery & Accessories Inc. c. 3360652 Canada inc., pour pratiquer une saisie de produits informatiques sur des supports où se trouve ces produits, il faut obtenir une autorisation d’un juge qui fixe les modalités et conditions de l’exécution de la saisie. Comme l’écrit le juge Beauregard dans l’arrêt D. & G Enviro-group inc. c. Bouchard [...] » • Entreprises Bigknowledge inc. c. Skura Corp., J.E. 2004-1038 (C.S.Q. ; 200404-02), le juge Bishop : « [64] Donc, il semble que le droit de la requérante de saisir avant jugement sous l’article 38(1) de la Loi est limité aux copies ou reproductions matérielles ou corporelles des œuvres dont elle est titulaire du droit d’auteur. [65] En résumé : 1. L’autorisation de saisir avant jugement en vertu de la Loi est limitée aux copies et reproductions matérielles ou corporelles des œuvres dont la requérante possède le droit d’auteur faites par les défendeurs Hains, Joannette et Pilibi Inc. sans le consentement de la requérante. Elles visent les manuels et autres documents corporels quant à la formation CRM par BK des clients décrits dans la réquisition amendée, plus les autres manuels et documents identifiés comme appartenant à BK.2. Cette autorisation ne peut inclure les logiciels, codes, fichiers informatisés décrits dans la réquisition amendée. ». Contra : • Gestion Radisson Design inc. c. Structure marine Amarco inc., 2007 QCCS 243 (C.S.Q. ; 2007-01-23), la juge Laberge : « [34] Les défendeurs opposent qu’on ne peut saisir des données informatiques et ils invoquent à leur soutien les arrêts D. & G. Enviro-group[ et Bigknowledge[. [35] D. & G. Enviro-group soutient l’argument à l’effet que l’article 734 C.p.c. ne permet pas de fouiller un ordinateur sans la permission d’un juge et selon les conditions et modalités qu’il détermine ni de saisir le contenu d’un ordinateur. [36] Quant à Bigknowledge en plus de réaffirmer qu’on ne peut saisir en vertu de l’article 734.1 C.p.c. le contenu d’un ordinateur, le jugement limite la saisie aux meubles physiques et corporels appartenant à la saisissante. [37] Même si cette dernière décision ne permet pas de saisir les logiciels, codes et fichiers informatiques, le Tribunal estime que les faits de la présente affaire permettent de procéder à la saisie. [38] Ici, un texte législatif (38 (1)) permet de saisir avant 1178 Les Cahiers de propriété intellectuelle Une saisie cassée expose le saisissant à des dommages147. La saisie ne doit pas être utilisée pour obtenir un avantage procédural148. 147. 148. jugement. De plus, le Tribunal estime que la saisie du matériel permettant la reproduction est aussi autorisée par la loi (38 (1)) et que cette disposition s’étend au matériel informatique. [39] Si le droit d’auteur s’applique, et il est ici présumé s’appliquer en vertu de 34.1 (1), ce droit s’étend aux documents informatiques qui lui donnent son aspect matériel. » Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain, 17 C.P.R. (4th) 161 (C.S.C. ; 2002-03-28), le juge Gonthier (dissident) : « [111] Enfin, en cas de saisie faite abusivement ou de mauvaise foi, la partie saisie conservera la possibilité d’intenter un recours en dommages-intérêts selon les règles usuelles de la responsabilité civile. ». Avant que la propriété des biens saisis ne soit prononcée, la saisie est conservatoire et ne saurait procurer un avantage procédural au saisissant : • Technologie Labtronix inc. c. Technologie Micro Contrôle inc., 1996 CarswellQue 2463 (C.S.Q. ; 1996-08-05), le juge Béliveau « [4] La Cour, après audition des parties et étude de la jurisprudence citée, conclut que le paragraphe 734.1 du Code de procédure civile permet de protéger le bien que revendique la demanderesse-requérante, mais ne peut lui conférer le droit d’obtenir un avantage procédural. Voir : Hetzel Co. c. Mont-Royal Steel Product Inc., [1980] C.A. 221> ; Expo Foods Canada Ltd. c. Sogelco International Inc., [1988] R.D.J. 218 (C.A.) ; Expo Foods Canada Ltd. c. Sogelco International Inc., [1989] R.J.Q. 2090 (C.A.) ; Daco Archery Inc. c. Topo Production Inc., [1991] R.J.Q. 2885 (C.S.). [5] La demande d’amendement est donc notamment fondée sur l’utilisation que la demanderesse-requérante, sans mauvaise foi, a illégalement faite des biens saisis. Elle ne peut donc être recevable en l’état. » ; • Tri-Tex Co Inc. c. Ghaly, J.E. 98-1608 (C.S.Q. ; 1998-06-22), le juge Dalphond [mod. 1 C.P.R. (C.A.Q. ; 1999-09-07) ; permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée 6 C.P.R. (4th) vi (C.S.C. ; 200-08-10)] : « En effet, comme la Cour d’appel l’a indiqué dans l’arrêt Expo Foods Canada Ltd., [[1989] R.J.Q. 2090 (C.A.)] on ne peut se prévaloir de l’article 734(1) C.p.c., pour saisir des biens sur lesquels on ne peut faire valoir son titre de propriété afin d’en prendre connaissance et préparer sa cause ou encore établir la véracité des faits contenus à l’affidavit produit au soutien du bref de saisie avant jugement : “If a party wishes to obtain evidence, the law affords him several procedures for the purpose, but seizure before judgment is not one of them.” (p. 2095). • Vinod Chopra Films Private Limited c. John Doe, 2010 FC 387 (C.F. ; 2010-04-12), le juge Hughes : « 59] L’ordonnance Anton Piller doit être annulée à l’égard des défendeurs touchés. En outre, compte tenu du fait que l’expression « M. Untel » n’a pas été employée à juste titre, l’action intentée contre les défendeurs touchés doit être rejetée, ce qui ne signifie pas qu’une nouvelle action dans laquelle l’un ou plusieurs de ces défendeurs seraient nommés ne pourrait pas être introduite. En fait, elle pourrait l’être, mais il ne conviendrait pas d’utiliser les fruits d’une ordonnance Anton Piller irrégulière pour fonder une telle action. D’autres éléments de preuve doivent éventuellement être utilisés à cette fin. » Tempéré sans doute par John Stagliano Inc. c. Elmaleh, 2006 CF 585 (C.F. ; 2006-05-10), la juge Gauthier : « [218] Néanmoins, bien que les renseignements Voies et recours civils non pécuniaires... 1179 Comme il s’agit là d’une mesure confiscatoire, la jurisprudence a donné une interprétation restrictive de l’application de cet article 38149. De plus, la procédure de recouvrement de possession instituée en vertu de cette disposition statutaire fédérale devra cependant respecter les règles d’exécution procédurales150, notamment quant à une description précise des biens revendiqués151. Un autre point intéressant pourrait concerner ce à quoi le titulaire du droit d’auteur a droit dans le cas où ce qui fait l’objet de la contrefaçon est partie indissociable de la totalité de l’œuvre contrefactrice152. En pareil cas, le titulaire peut-il prétendre à toute 149. 150. 151. 152. figurant dans les pièces de l’affidavit d’Elmaleh n’auraient pas été obtenus normalement à la présente étape et n’auraient certainement pas fait partie du dossier public, aucune des parties n’a soulevé un argument qui, à mes yeux, pourrait justifier de restreindre la faculté des demandeurs d’utiliser les renseignements dans un autre contexte que celui de la présente procédure. », un jugement rendu avant Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 50 C.P.R. (4th) 241 (C.S.C. ; 2006-07-27), le juge Binnie, au paragraphe 40(1)c) : « L’ordonnance devrait comporter une clause prescrivant un usage restreint de ce que saisi. » Canusa Records Inc. c. Blue Crest Music, Inc., 30 C.P.R. (2d) 11 (C.A.F. ; 1976-06-24) le juge Jackett aux pages 13-14. Le paragraphe 38(1) in fine se lit : « ...si une loi fédérale ou une loi de la province où sont engagées les procédures le lui permet. » Voir aussi Alexis Jewellery & Accessories Inc. c. Suzy Shier, REJB 2000-21238 (C.A.Q. ; 2000-11-22), le juge Rochon, au paragraphe 54 sur la sauvegarde des droits fondamentaux des parties. Le bref de saisie que prévoit l’article 736 C.p.c. est une ordonnance qui commande à un huissier de saisir un bien physique qui est précisément décrit. Voir Alexis Jewellery & Accessories Inc. c. Suzy Shier, REJB 2000-21238 (C.A.Q. ; 200-11-22). le juge Rochon au paragraphe 51 ; D. & G. Enviro-group inc. c. Bouchard, J.E. 2000-1352 (C.A.Q. ; 200-06-21), le juge Beauregard aux paragraphes 16-18 ; Abel/Noser Corp. c. C.P.M.S. Computerized Portfolio Management Services Inc., (1987), 58 OR (2d) 633 (C.S. Ont. ; 1987-02-26), le juge O’Driscoll, au chapitre VII. Voir également BUFFONI (Jean-François), « News from the East – D. & G. enviro-group inc. c. Bouchard », (2001) 15:1 Intellectual Property 107 et HUGHES (James), « Seizing confidential computer data before judgment », (2000), 60 Revue du Barreau 143. Dans le contexte d’une ordonnance Anton Piller, voir également Tommy Hilfiger Licensing, Inc. c. Jane Doe, 8 C.P.R. (4th ) 194 (C.F.P.I. ; 2000-08-29.), le juge Pelletier. Voir, par exemple, Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1 CF 173 (C.F.P.I. ; 1986-04-29) la juge Reed à la page 212 [conf. 18 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F. 1987-10-13.) ; conf. 30 C.P.R. (3d) 257 (C.S.C. ; 1990-06-21) : « The ROM chips are easily removable. I do not see that there is any justification for the delivery to the plaintiffs of the other computer parts : the keyboard ; the casings ; the circuits board etc. An order will issue requiring delivery up only of the devices containing the program, all copies of the program, and all devices containing copies ». 1180 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’œuvre contrefactrice, à titre de propriétaire ? Les modifications de 1997 ont mis un frein à cette ardeur revendicatrice. La loi permet au tribunal compétent de substituer à la saisie toute ordonnance qu’il estime indiquée153. Dans l’exercice de ce pouvoir, le tribunal doit considérer les facteurs suivants : • la proportion que représente l’exemplaire contrefait ou la planche par rapport au support dans lequel ils sont incorporés, • la valeur que représente l’exemplaire contrefait ou la planche par rapport au support dans lequel ils sont incorporés, • l’importance que représente l’exemplaire contrefait ou la planche par rapport au support dans lequel ils sont incorporés, • la mesure dans laquelle cet exemplaire ou cette planche peut être extrait de ce support ou en constitue une partie distincte154. Il s’agira d’une demande155 • de la personne qui avait la possession des exemplaires ou planches revendiquées ; • de la personne contre qui des procédures de saisie avant jugement ont été engagées ; ou • de toute autre personne ayant un intérêt dans ceux-ci. Cette disposition permet d’écarter les risques d’abus, illustré par l’exemple fourni par le professeur Vaver156, dans lequel le titulaire des droits d’auteur sur une œuvre artistique reproduite sur un super-pétrolier, saisirait le navire et le vendrait à son profit. Selon le nouveau texte de loi, le titulaire de droits d’auteur pourra toujours saisir le super-pétrolier, mais son propriétaire pourra présenter une 153. 154. 155. 156. Le tribunal peut ordonner la destruction des exemplaires (donc empêcher le propriétaire fictif de les utiliser comme propriétaire et, possiblement, de les revendre) ou rendre toute autre ordonnance qu’il estime indiquée. L’article 739 C.p.c. permet également la fourniture d’un cautionnement pour éviter l’enlèvement ou récupérer les biens saisis. Par. 38(4) L.D.A. Fondée sur le paragraphe 38(2) L.D.A. VAVER (David), « The Copyright Amendments of 1997 : An Overview », (1997), 12:1 Intellectual Property Journal 53, 70. Voies et recours civils non pécuniaires... 1181 requête afin d’être remis en possession, en offrant simplement d’effacer la reproduction litigieuse. Le « toute autre ordonnance qu’il estime indiquée » permettrait-il au tribunal, dans un cas extrême (par exemple une photographie protégée reproduite dans une encyclopédie de mille pages), d’ordonner une compensation financière (ou un masquage), plutôt qu’une remise de possession ? Un dernier mot pour préciser que la demande d’injonction visant la délivrance pour destruction157 (« delivery up for destruction ») des objets contrefacteurs ne doit pas être confondue avec le recours en « detinue ». Dans le cadre du recours en « detinue », il va sans dire que le titulaire qui recouvre la possession, à titre de propriétaire, d’objets contrefacteurs a le droit d’en disposer comme bon lui semble et, bien sûr, de les remettre, à son profit, dans le commerce. Toutefois, le recouvrement est limité, de par sa nature, aux exemplaires contrefaits et aux planches qui ont servi à leur confection. Les autres éléments qui seraient de nature à violer les droits d’auteur d’un titulaire ne sont pas visés par ce recours. Dès lors, en vertu des pouvoirs inhérents d’une cour de juridiction supérieure158, indépendamment de quelque demande du 157. 158. L’on notera ici que le paragraphe 34(1) qui traite des recours ouverts lors de la violation des droits économiques d’auteur fait référence à l’exercice d’un recours pour remise alors que le paragraphe 34(2) qui traite, lui, des recours ouverts pour violation des droits moraux fait référence aux réparations par voie de remise ou autrement. Avant les modifications de 1997, le paragraphe 34(1) ne faisait pas nommément référence à la remise qui pouvait cependant être compris par les mots « ou autrement », sans compter, bien sûr, les pouvoirs inhérents d’une cour supérieure pour assurer l’exercice de sa juridiction. Le paragraphe 34(1.1), lui, utilisait le terme réparation par voie de restitution ou autrement. À noter que l’article 53.2 de la Loi sur les marques d commerce (L.R.C. (1985), ch. T-13) fait référence « ...le tribunal peut rendre les ordonnances qu’il juge indiquées, notamment...ou encore pour la disposition par destruction, exportation ou autrement des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard. » Par exemple, les articles 20 et 46 du Code de procédure civile du Québec et l’article 3 de la Loi sur les Cours fédérales. Voir • Underwriters Survey Bureau Limited c. Massie & Renwick Limited, [1937] R.C.S. 265 (C.S.C. ; 1937-07-19), le juge Hudson à la page 268 : « The onus is on the infringer to establish grounds upon which the Court may properly exercise its discretion against granting such relief » • R. c. James Lorimer and Company Limited, [1984] 1 C.F. 1065 (C.A.F. ; 1984-01-05), le juge Mahoney à la page 1073 : « [10] [...] Il s’ensuit également 1182 Les Cahiers de propriété intellectuelle demandeur d’être déclaré propriétaire des contrefaçons, celle-ci peut ordonner au contrefacteur de remettre au propriétaire, pour fins d’être détruits ou autrement disposés, tous les objets contrefacteurs159, ne serait-ce que pour favoriser le respect de l’injonction qu’elle aurait émise : sans planches, il est plus difficile de reproduire ! Et le défendeur a-t-il droit à une compensation pour la perte de propriété de l’objet détruit160 ? S’agissant d’un recours discrétionnaire, la Cour pourra refuser la remise si cette remise n’avait pas d’effet pratique161. 159. 160. 161. que, une fois établi que l’œuvre contrefaite comprend une partie importante de l’œuvre protégée, le titulaire du droit d’auteur est réputé avoir la propriété de tous les exemplaires de l’œuvre contrefaite ainsi que de toutes les planches qui ont servi à sa confection et a, prima facie, droit à l’aide de la Cour pour en prendre possession. » • Wing c. Velthuizen, 9 C.P.R. (4th) 449 (C.F.P.I. ; 2000-11-20), le juge Nadon : « [76] Je suis d’avis d’accorder la remise de tous les exemplaires de contrefaçon. L’intimée n’a établi aucun motif qui justifierait de refuser cette réparation. Elle pourrait ne pas mettre fin à la vente ou à la distribution des exemplaires en sa possession. » • L.S. Entertainment Group Inc. c. Formosa Video Canada Ltd., 48 C.P.R. (4th) 401 (C.F. ; 2005-09-30), le juge Gibson : « [67] Le paragraphe 34(1) de la Loi sur le droit d’auteur prévoit expressément la remise parmi les recours que peut exercer le titulaire d’un droit d’auteur. ». Comparer avec les paragraphes 42(3) et 44.1(9) L.D.A. de même qu’avec les pouvoirs de saisie et de confiscation prévus aux articles 110-116 du Tarif des douanes (L.R.C. (1985), ch. C-54.01). Tag Heuer S.A. c. John Doe, 4 C.P.R. (4th) 177 (C.F. ; 2000-01-06), le juge Pelletier : « It is to be noted that there is no reference in this section [53.2 TMA] to any compensation to the defendant for the destruction of his/her goods. In practice, the question of compensation for surrender and destruction of counterfeit goods never arises, largely because so few of these claims are defended. [5] It is clear that the defendant is not entitled to compensation for the value of the goods arising from their infringement of the plaintiff’s trade-marks. The wrongful appropriation of those trade-marks by the defendant is the heart of the plaintiff’s claim. Whether the defendant is entitled to compensation for the non-infringing value of the goods is a question which will have to await a case where such a claim is advanced. One can conceive of a situation in which the infringing goods can be made non-infringing, or where the goods can be broken down to components which are non-infringing and which have a value. Whether an order for the surrender for destruction of those goods without compensation would be granted over the defendant’s objection is a question which will have to be decided when it arises. Zamacoïs c. Douville, 3 Fox Pat.Cas. 44 (C.d’É. ; 1943-03-01), le juges Angers : « [113] Je ne crois pas qu’il y ait lieu d’ordonner la remise au demandeur des quelques exemplaires du numéro du journal Le Bien Pubic dans lequel a été reproduit l’article du demandeur, qui sont restés en la possession des défendeurs. Comme l’ont déclaré les défendeurs, ces exemplaires ne sont pas en vente et ils font partie des archives du journal. » Voies et recours civils non pécuniaires... 1183 6. ET SI ON EN AVAIT EU LE TEMPS... J’aurais voulu traiter des recours pécuniaires : • Dommages compensatoires, préétablis et punitifs, intérêt légal et indemnité spéciale. • Reddition de compte et regorgement des profits. • Dépens et remboursement des frais d’avocats. et ce, en illustrant mon propos d’une lecture commentée de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans Construction Denis Desjardins inc. c. Jeanson 2010 QCCA 1287 (C.A.Q., coram, les juges Hilton, Bich et Gagnon ; 2010-07-07), à la lumière de l’article 2803, 1er alinéa du Code civil du Québec : « Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. » J’aurais alors largement dépassé le temps alloué et le président du colloque m’aurait morigéné. Ça sera donc pour une autre occasion. Et, pour conclure, une citation, parce que c’est de bon ton : Les tribunaux doivent se montrer sévères. L’habitude de dommages trop faibles énerve la répression et est une prime pour les contrefacteurs ; et il est fâcheux, mais vrai, de dire que la mollesse de nos tribunaux a trop souvent encouragé la contrefaçon. – RENOUARD (Augustin-Charles), Traité des droits d’auteurs dans la littérature, les sciences et les beaux-arts (Paris : Renouard, 1839), tome second, p. 438. Vol. 23, no 3 L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi sur le droit d’auteur : une dissonance harmonieuse ? Emilie Conway* INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1187 1. L’INTERFACE ENTRE LE DROIT FÉDÉRAL DU DROIT D’AUTEUR ET LES DROITS PRIVÉS PROVINCIAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1191 1.1 Droit fédéral et droit provincial : une relation sous le signe de la complémentarité . . . . . . . . . 1192 1.1.1 L’inexistence d’un droit commun fédéral . . . 1192 1.1.2 Le droit provincial, droit supplétif . . . . . . . 1195 1.2 La complémentarité mise en doute : entre uniformité et autonomie . . . . . . . . . . . . . . . . 1203 1.2.1 L’uniformisation du droit fédéral par l’interprète judiciaire . . . . . . . . . . . . . . 1204 © Emilie Conway, 2011. * Candidate au B.C.L./LL.B., Faculté de droit, Université McGill ; LL.M. en droit international public, Université du Québec à Montréal (UQÀM) ; B.A relations internationales et droit international (UQÀM). L’auteure tient à remercier le professeur Pierre-Emmanuel Moyse pour ses commentaires et suggestions sur les versions antérieures de ce texte. 1185 1186 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.2.2 Le bijuridisme dérivatif . . . . . . . . . . . . 1210 2. ÉTUDE DE CAS : LA LICENCE À LA LUMIÈRE DE L’AFFAIRE EURO-EXCELLENCE C. KRAFT . . . . 1211 2.1 La LDA1 en état d’autarcie . . . . . . . . . . . . . . 1212 2.1.1 Kraft ou les chocolats de la discorde . . . . . . 1212 2.1.2 La licence : un concept autosuffisant . . . . . 1217 2.2 La LDA en état de sollicitation . . . . . . . . . . . . 1219 2.2.1 La licence : un concept ambigu. . . . . . . . . 1219 2.2.2 La common law en renfort . . . . . . . . . . . 1222 CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1227 1. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), c. C-42 [LDA]. INTRODUCTION Aucune loi, pas même un code civil, ne saurait être complet : derrière tout texte législatif se dissimule un univers normatif et conceptuel non-écrit qui échappe à son libellé explicite2. Si elle paraît passer pour un truisme, cette affirmation prend, dans le contexte législatif fédéral canadien, une coloration toute particulière. Cette singularité tient à la nature spécifique du droit fédéral qui, en vertu de l’architecture constitutionnelle canadienne, puise tant dans la tradition de droit civil que de common law. Le bijuridisme législatif fédéral emporterait donc la prise en compte du dialogue entre le droit statutaire fédéral et le droit d’application générale attaché à chaque tradition, et donc le droit civil en ce qui concerne le Québec3. D’emblée, plusieurs questions s’offrent à nous : comment concilier « l’infra-texte » propre aux systèmes de droit civil et de common law dans l’interprétation de la législation fédérale ? Quel est l’impact 2. MACDONALD (Roderick A.), « Harmonizing the Concepts and Vocabulary of Federal and Provincial Law : The Unique Situation of Quebec Civil Law », dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien. Recueil d’études, (Ottawa : Ministère de la justice du Canada, 1997) 29, au paragraphe 32 [Macdonald, « Harmonizing »]. 3. ALLARD (France), « Entre le droit civil et la common law : la propriété en quête de sens » dans GÉMAR (Jean-Claude) et al., dir, Jurislinguistique : entre langues et droits, (Montréal : Thémis, 2005) 193, à la page 215 [Allard, « Propriété en quête de sens »] ; BASTARACHE (Michel), « Le bijuridisme au Canada », dans Ministère de la justice du Canada, L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication (Ottawa : Ministère de la justice du Canada, 2001), fascicule 1, à la page 17 (selon la formule consacrée, « le « bijuridisme » ou « bijuralism » au Canada désigne la coexistence des traditions de la common law anglaise et du droit civil français, dans un pays possédant un système fédéral ») ; sur les origines du bijuridisme législatif canadien, lire ALLARD (France), « La Cour suprême du Canada et son impact sur l’articulation du bijuridisme » dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication (Ottawa : Ministère de la justice du Canada, 2001), fascicule 3, 1 aux pages 1-3 [Allard, « Impact sur le bijuridisme »]. Sur le concept de juridiction « mixte » lire par exemple : TETLEY (William), « Mixed jurisdictions : Common law vs. Civil law (codified and uncodified) » (2000), 60 Louisiana Law Review 677. 1187 1188 Les Cahiers de propriété intellectuelle de cette double assise référentielle sur la teneur et le sens des concepts que renferment les lois fédérales ? Ces derniers seraient-ils forcément polysémiques4 ? Ces interrogations sont particulièrement vivaces sous l’angle du droit d’auteur, domaine du droit fédéral où la proximité avec le droit privé des provinces est étroite à plusieurs titres. D’abord parce que les deux corpus de droit coexistent dans l’objet de protection lui-même : alors que la propriété incorporelle des droits d’auteur relève de la compétence exclusive fédérale sous l’article 91(23) de la Loi constitutionnelle de 1867, la propriété de l’objet matériel formant le support physique de l’œuvre tombe quant à elle sous le coup de la compétence en matière de propriété et de droit civil reconnue aux provinces en vertu de l’article 92 (13) de la Constitution5. À cette cohabitation forcée s’ajoute ensuite la difficulté de cerner les contours de la compétence exclusive dévolue au Parlement fédéral en matière de droit d’auteur. Bien que la Cour suprême se soit peu prononcée sur la portée de l’article 91(23), on trouvera quelque réconfort dans la jurisprudence portant sur l’interprétation du partage des compétences6. Pour juger de la validité d’une loi du point de vue du partage des compétences, on s’en remettra à la conception de l’exclusivité désormais dominante, incarnée par la théorie du caractère véritable : c’est ainsi qu’« une loi qui, de par son caractère véritable, est fédérale sera maintenue même si elle touche à des matières qui paraissent constituer des sujets de législation provinciale »7. Or, l’identification de ce qui représente l’essence ou le cœur de la compétence sur le droit d’auteur n’est justement pas besogne facile. En effet, l’exercice d’équilibrage entre les intérêts concurrents des créateurs et de leurs auxiliaires et ceux du public – tâche incombant au Parlement central au titre de la LDA – est intimement lié à la compétence provinciale de principe dans le champ du droit privé, 4. ALLARD, « Propriété en quête de sens », ibid., p. 218. 5. TAMARO (Normand), Loi sur le droit d’auteur : texte annoté, 8e éd, (Toronto : Carswell, 2009), p. 404 [Tamaro, LDA]. 6. Par contraste, le pouvoir législatif fédéral en matière de marques de commerce, chef de compétence non énoncé dans la Constitution, s’est notamment mérité l’attention de la Cour suprême dans les affaires suivantes : Kirkbi AG c. Gestions Ritvik, [2005] 3 R.C.S. 302 ; MacDonald c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134. 7. General Motors of Canada c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, 670 ; BRUN (Henri) et al., Droit constitutionnel, 4e éd. (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002), p. 448 et s. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1189 qui gouverne les rapports des citoyens entre eux et avec leurs biens8. De fait, s’interroge le professeur Jean Leclair, « quel pouvoir accorde le paragraphe 91(23) de la Constitution de 1867 sinon celui de prohiber, de limiter les droits de propriété, les droits contractuels, et parfois même constitutionnels de certaines personnes au profit de certains privilégiés »9 ? Au surplus, notons que, loin d’être anodin, le voisinage du droit civil et de la common law prend, pour le droit d’auteur canadien, des allures de quête des origines. Car au-delà de la technique législative, des divergences philosophiques – dont on ne saurait néanmoins exagérer ou sous-estimer l’importance – séparent traditionnellement le droit d’auteur d’ascendant civiliste au copyright issu du modèle anglo-américain : « propriété naturelle » pour les premiers, « monopole juridique » chez les seconds ; « un droit qui se pense, d’un côté, par référence à l’auteur, à la personne créatrice, de l’autre, par référence à l’exemplaire de l’œuvre, au produit de la création que l’on préserve contre la copie »10. Où donc classer le droit d’auteur canadien dans cet inventaire11 ? Civiliste de par son inclusion du droit moral et common 8. La tension entre les droits des créateurs et ceux du public accompagne depuis longtemps l’évolution de la propriété intellectuelle. Pour une perspective historique (en matière de brevets), voir MACHLUP (Fritz) et al., « The patent controversy in the Nineteenth Century » (1950), 10 :1 The Journal of Economic History 1 ; Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, au paragraphe 30 (juge Binnie) [Théberge] (résumant les objectifs de politique générale qui ont inspiré la LDA, le juge Binnie écrit : « [l]a Loi est généralement présentée comme établissant un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur (ou, plus précisément, l’assurance que personne d’autre que le créateur ne pourra s’approprier les bénéfices qui pourraient être générés) »). 9. LECLAIR (Jean), « L’interface entre le droit commun privé provincial et les compétences fédérales « attractives » » dans GENDREAU (Ysolde), dir, Un cocktail de droits d’auteur (Montréal : Thémis, 2007) 25, à la page 37 [Leclair, « Interface »] [Gendreau, Cocktail] ; voir les débats suscités en matière de copie privée et de droits voisins : Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance, 2004 CAF 424 ; de BEER (Jeremy F.), « Copyrights, Federalism, and the Constitutionality of Canada’s Private Copying Levy » (2006), 51 McGill Law Journal 3 ; de BEER (Jeremy F.), « Constitutional Jurisdiction Over Paracopyright Laws » dans GEIST (Michael), In the Public Interest : The Future of Canadian Copyright Law (Toronto : Irwin Law, 2005) 89. 10. Alain STROWEL (Alain), Droit d’auteur et copyright : divergences et convergences (Bruxelles : Bruylant, 1993), p. 20 ; MOYSE (Pierre-Emmanuel), « La nature du droit d’auteur : droit de propriété ou monopole ? » (1998), 43 McGill Law Journal, à la page 562 [Moyse, « Propriété ou monopole »]. 11. Nous reprenons ici la question posée par Nicholas Kasirer en ouverture de son texte « L’ambivalence lexicographique en droit d’auteur canadien » dans CORNU 1190 Les Cahiers de propriété intellectuelle lawyer par sa facture et ses origines historiques, le droit d’auteur canadien serait-il, de par sa double filiation spirituelle, réfractaire aux catégorisations12 ? Malgré sa physionomie particulière, le droit d’auteur canadien ne serait pas aussi inclassable qu’il n’y paraît. Une nuance est ici apportée par un commentateur, lequel nous avertit qu’il « n’est pas rigoureusement exact de dire que le droit d’auteur canadien se situe à la croisée des systèmes de droit de type continental et de ceux de common law »13. En effet, sans être tout à fait à cheval entre les deux traditions, reste que le droit d’auteur canadien a, depuis son berceau anglo-américain, été sensible aux influences d’autres systèmes, parmi lesquels le droit civil occupe une place de premier rang14. Soulignons que la confusion des genres est entretenue, en droit d’auteur canadien, par le fait que les versions anglaise et française de la LDA (copyright/droit d’auteur) semblent se revendiquer de deux traditions conceptuelles distinctes15. Cette ambivalence ne revêt pas seulement un intérêt sur le plan jurislinguistique. Elle renvoie aussi plus largement aux débats sur la nature du droit d’auteur qui, loin de se borner aux cercles académiques, ont à au moins une occasion, divisé le banc de la Cour suprême du Canada16. 12. 13. 14. 15. 16. (Marie) et al., dir, Dictionnaire comparé du droit d’auteur et du copyright (Paris : Centre national de la recherche scientifique, 2003) 259, p. 259. Ibid. On ne saurait toutefois voir une tradition de droit moral en droit d’auteur canadien. Voir à cet effet : Théberge, supra, note 8, aux paragraphes 11-12 ; Pierre-Emmanuel Moyse, Le droit de distribution : analyse historique et comparative en droit d’auteur (Cowansville : Blais, 2007), p. 125 [Moyse, Le droit de distribution] ; Mistrale Goudreau, « Le droit moral de l’auteur au Canada » (1994), 25 Revue générale de droit 403. Voir aussi généralement ADENEY (Elizabeth), The Moral Rights of Authors and Performers : an International and Comparative Analysis (Moral Rights) (Oxford : OUP, 2006) ; ADENEY (Elizabeth), « Moral rights in Canada : an historical and comparative view » dans GENDREAU (Ysolde), dir, An Emerging Intellectual Property Paradigm : Perspectives from Canada, (Northampton (Ma) : Edward Elgar, 2008), p. 163 [Gendreau, Emerging Paradigm]. Moyse, Le droit de distribution, ibid. Ibid. Strowel, supra, note 10, p. 23 et s. Théberge, supra, note 8 (la Cour était appelée à décider si une galerie d’art avait violé les droits d’auteur d’un peintre en transférant sur toile des reproductions papier autorisées de ses œuvres, à des fins de revente. Dans cette affaire, les juges de droit civil et de common law s’opposent dans leur interprétation de la notion de « reproduction », ainsi qu’en ce qui concerne la nature des droits moraux de l’auteur. La majorité, composée de juges de common law, conclut à l’absence de violation, car le procédé d’entoilage ne menait selon eux à aucune reproduction de l’œuvre. Le juge Binnie insiste sur la dimension avant tout économique du copyright dans la tradition de common law. Il écarte ce faisant l’idée d’un droit de destination, qui dans la tradition civiliste du droit d’auteur, donne à l’auteur le droit L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1191 On l’aura compris, il est ici tout autant question de technique juridique, de fédéralisme, de tradition juridique que de langue. C’est sur cette toile de fond que nous nous proposons d’analyser, dans la présente étude, l’interface entre le droit commun provincial et la législation fédérale sur le droit d’auteur. Au cours de la première partie de cette étude, sera rappelé le cadre constitutionnel régissant l’interaction entre le droit fédéral et le droit privé provincial dans le champ du droit d’auteur (I). Nous verrons que si la relation entre le droit fédéral et le droit provincial s’établit généralement sous le signe de la complémentarité, ce lien est parfois mis sous pression, allant même jusqu’à être à l’occasion rompu par l’interprète judiciaire. Nous nous attardons, dans une seconde partie, à l’ambivalence interprétative générée par le recours au droit provincial pour combler les interstices de la législation fédérale sur le droit d’auteur (II). Notre regard se portera sur certains aspects contractuels de l’exploitation des œuvres où cette ambigüité est pleinement ressentie, et dont l’épicentre sera, pour nos fins, le concept de licence, prévu à l’article 13 de la LDA. Nous discuterons plus particulièrement de l’impact de l’arrêt Euro-Excellence c. Kraft, jugé par la Cour suprême en 2007, sur le traitement de la notion de licence en droit d’auteur canadien17. 1. L’INTERFACE ENTRE LE DROIT FÉDÉRAL DU DROIT D’AUTEUR ET LES DROITS PRIVÉS PROVINCIAUX18 Affirmer l’incomplétude de la législation fédérale, c’est dire « simplement que, prise isolément, elle n’exprime pas la totalité du droit applicable dans les matières qui ressortissent à la compétence de contrôler l’utilisation des copies autorisées de son œuvre. Les trois magistrats civilistes L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel, qui incarnent la dissidence, adoptent quant à eux une interprétation plus extensive du droit d’auteur, qui laisse à l’auteur un droit de regard sur l’utilisation subséquente de son œuvre) ; CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339 [CCH] ; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427. 17. Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., [2007] 3 R.C.S. 21 [Euro-Excellence c. Kraft]. 18. Nous reprenons le terme « interface » tel qu’employé par le professeur Jean Leclair dans Leclair, « Interface », supra, note 9. Ce vocable traduit parfaitement l’idée d’une frontière permettant les échanges entre deux systèmes. DENAULT (Philippe), Recherche d’unité dans l’interprétation du droit fédéral : cadre juridique et fragments du discours judiciaire, (Montréal : Thémis, 2008) aux p. 18-61. 1192 Les Cahiers de propriété intellectuelle du Parlement »19. Si la loi fédérale ne se suffit pas à elle-même, c’est donc à l’extérieur du texte qu’il faut rechercher les normes destinées à la compléter. Trois voies semblent dès lors s’ouvrir à l’interprète : la première, incarnée par le principe de complémentarité, consiste à lier les textes fédéraux aux espaces juridictionnels au sein desquels ils sont voués à s’appliquer. Dans cette perspective, les omissions, lacunes et silences des lois fédérales sont comblés par la matrice résiduelle que constitue le droit commun des provinces. Néanmoins, il arrive que ce lien de complémentarité soit mis à l’épreuve, tant par la doctrine que par la pratique judiciaire. La complémentarité est ici mise en cause sur deux fronts distincts, qui seront abordés dans une même section. Ainsi, la seconde avenue, plus rarement empruntée, est celle qu’ont choisie les tribunaux en regard de certaines compétences fédérales de droit privé dites « attractives », parmi lesquelles figure notamment le droit maritime. Dans une telle hypothèse, une interprétation extensive des compétences fédérales fait échec à la prise en compte du droit provincial à titre complémentaire et supplétif. Se dégage enfin une troisième approche, où la relation de complémentarité cède le pas à un dialogue entre le droit fédéral et le droit provincial, dialogue capable d’initier la création de nouvelles normes. 1.1 Droit fédéral et droit provincial : une relation sous le signe de la complémentarité Cette première section est consacrée aux fondements du rapport de complémentarité qu’entretient le droit fédéral en général, et le droit d’auteur en particulier, avec le droit privé des provinces. Après avoir constaté l’absence de droit commun fédéral, nous nous tournerons vers son corollaire, à savoir la fonction supplétive qu’assure le droit provincial dans l’interprétation du droit fédéral statutaire. 1.1.1 L’inexistence d’un droit commun fédéral Un aparté historique est ici de mise : il nous faut en effet revenir aux commencements de la Confédération pour bien saisir la place qui revient aujourd’hui au droit privé fédéral dans l’ordre constitutionnel canadien. À cet égard, il est notamment utile de brosser les 19. BRISSON (Jean) et al., « Droit fédéral et droit civil : complémentarité, dissociation » (1996), 75 Revue du Barreau 297, à la page 300 [Brisson et Morel]. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1193 grandes lignes de la réception du droit privé et du partage des pouvoirs législatifs aménagé par la Loi constitutionnelle de 186720. Contrairement aux législatures provinciales, les autorités fédérales n’ont guère reçu le droit privé préconfédéral sous l’empire de la Constitution de 1867. À la différence des anciennes colonies, en effet, l’ordre de gouvernement fédéral nouvellement créé n’hérite d’aucun système juridique sur la base duquel ériger son droit21. En revanche, le sort des régimes de droit privé des colonies ayant adhéré à la fédération est scellé par l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit la continuité du droit en vigueur en ces termes : [s]auf toute disposition contraire prescrite par la présente loi, toutes les lois en force en Canada, dans la Nouvelle-Écosse ou le Nouveau-Brunswick, lors de l’union, tous les tribunaux de juridiction civile et criminelle, toutes les commissions, pouvoirs et autorités ayant force légale, et tous les officiers judiciaires, administratifs et ministériels, en existence dans ces provinces à l’époque de l’union, continueront d’exister dans les provinces d’Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du NouveauBrunswick respectivement, comme si l’union n’avait pas eu lieu ; mais ils pourront, néanmoins (sauf les cas prévus par des lois du parlement de la Grande-Bretagne ou du parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande), être révoqués, abolis ou modifiés par le parlement du Canada, ou par la législature de la province respective, conformément à l’autorité du parlement ou de cette législature en vertu de la présente loi.22 [Les italiques sont nôtres]. Suivant cette disposition, le droit préconfédéral est maintenu dans les quatre provinces originelles jusqu’à ce qu’il soit modifié par les paliers de gouvernement provincial et fédéral agissant dans leurs champs de compétence respectifs. Il s’ensuit en clair qu’à l’aube de la Confédération, les divers droits préconfédéraux applicables sur les territoires des nouvelles provinces s’appliquaient techniquement aux matières fédérales, jusqu’à ce que le Parlement central y pourvoie – parfois tardivement – par une initiative législative23. 20. Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict, c. 3, reproduite dans L.R.C. (1985), ann II, no 5, art 129 [Loi constitutionnelle de 1867]. 21. Brisson et Morel, supra, note 19, p. 310. 22. Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 20, art. 129. 23. HOGG (Peter W.), Constitutionnal Laws of Canada, 5e éd. (Toronto : Carswell, 2009), p. 43-44 (selon l’auteur, le corpus préconfédéral des provinces recouvrait les éléments suivants : 1) les lois « reçues » du Royaume-Uni, et de la France, dans 1194 Les Cahiers de propriété intellectuelle Aussi les sources préconfédérales qui couvraient des chefs de compétence fédérale furent-elles progressivement substituées par les mesures législatives du Parlement du Canada, désireux d’uniformiser, d’un océan à l’autre, le droit applicable à certains sujets de droit privé fédéral. Le droit d’auteur n’a guère échappé à cette évolution. En effet, avant que la compétence sur le droit d’auteur ne soit attitrée au Parlement canadien dans la Constitution 1867, plusieurs lois préconfédérales s’y intéressaient déjà24. Il faut cependant attendre jusqu’en 1832 pour que le Bas-Canada adopte l’Acte pour protéger la propriété littéraire, qui fait office de pionner en droit d’auteur canadien25. Après 1867, ces lois furent remplacées par une succession de lois fédérales – plus ou moins complètes – sur le droit d’auteur, jusqu’à l’adoption, en 1921, de la Loi concernant le droit d’auteur, ancêtre de la LDA actuelle et premier texte législatif moderne en ce domaine26. C’est à partir de cette genèse du droit fédéral, ci-dessus brièvement esquissée, qu’est généralement expliquée l’absence de droit commun fédéral27. La législation fédérale qui remplace peu à peu les normes préconfédérales n’a pour toile de fond aucun droit fondamental proprement fédéral. En effet, selon le constitutionaliste Peter W. Hogg, 24. 25. 26. 27. le cas du Québec ; 2) les lois adoptées pour la province en vertu de la prérogative royale ; 3) les lois adoptées pour la province par le Parlement impérial ; 4) les développements judiciaires en common law (ou en droit civil) depuis la date de réception ; 5) les lois adoptées par la législature provinciale précédente) ; DENAULT, supra, note 18, à la page 28. TAMARO (Normand), Le droit d’auteur : fondements et principes (Montréal : PUM, 1994), p. 24 [Tamaro, Fondements]. Tamaro, Fondements, ibid. ; Acte pour protéger la propriété littéraire, (1832) 2 Will. IV, c. 53. La loi fut abrogée en 1841 de manière à ce que son application soit étendue à « toute la Province » suite à l’entrée en vigueur de l’Acte d’Union : Acte pour protéger les Droits d’Auteurs dans cette Province, (1841) 4&5 Vict, c. 61. Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, 11-12 Geo, V, c. 24. Deux lois fédérales ont précédé celle de 1921. Elles ont respectivement été adoptées en 1868 et 1875 : Acte concernant la propriété littéraire et artistique, (1875) 38 Vict, c. 88 ; Acte concernant la propriété littéraire et artistique, (1868) 31 Vict, c. 54. L’absence de droit commun fédéral reste toutefois contestée par une frange de la doctrine. Voir notamment MACDONALD (Roderick A.), « Encoding Canadian Civil Law », dans BRIERLEY (John E.C.) et al., dir, Mélanges Paul-André Crépeau (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997), p. 579 [Macdonald, « Encoding »] ; ALLARD (France), « La disposition préliminaire du Code civil du Québec, l’idée de droit commun et le rôle du Code en droit fédéral » (2010), 88 Canadian Bar Review 275. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1195 with respect to matters within federal legislative authority, there is no single body of law in 1867 ; such matters were regulated by [...] pre-confederation laws which were continued in force by s. 129.28 En clair, la législation fédérale ne peut compter sur un corpus primaire de règles lui tenant lieu de réservoir conceptuel, parce qu’à l’opposé du droit des provinces, elle ne s’est guère construite sur la base d’une réception de droit privé dans un contexte colonial, mais à partir des interventions positives du constituant fédéral dans les champs de compétence dont il est investi29. Ainsi, si les législations fédérales de droit privé émanent des pouvoirs législatifs du Parlement central dans cette sphère, le droit fédéral non statutaire dérive, quant à lui, du droit de chacune des provinces30. Notons que c’est toutefois à partir d’un autre angle que la Cour suprême du Canada en est venue à rejeter l’existence d’une common law fédérale supplétive, dans la trilogie Quebec North Shore, McNamara et Fuller31. En effet, c’est une interprétation restrictive de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, fondement juridictionnel de la Cour fédérale, qui a permis à la cour d’ouvrir la voie à la complémentarité entre le droit fédéral et le droit provincial32. 1.1.2 Le droit provincial, droit supplétif Comme nous l’avons exposé, c’est par la plume du législateur fédéral, et les lois qu’il promulgue, que s’exprime, en l’absence de droit commun fédéral, le droit privé fédéral. Des précisions s’imposent avant d’aller plus loin, ne serait-ce qu’en clarifiant ce à quoi renvoient les concepts-pivots de droit commun et de complémentarité. La notion de droit commun recouvre plusieurs acceptions, que nous n’avons pas l’ambition d’exposer en ces pages33. Retenons sim28. HOGG, supra, note 23, p. 44. 29. BRISSON (Jean-Maurice), « L’impact du Code civil du Québec sur le droit fédéral : une problématique », (1992) 52 Revue du Barreau 345, 348. 30. DENAULT, supra, note 18, p. 38. 31. Quebec North Shore Paper c. C.P. Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054 ; McNamara Construction c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 ; R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695. 32. LECLAIR, « Interface », supra, note 9, p. 51. 33. Sur les différents sens à donner au concept de droit commun, lire Macdonald, « Encoding », supra, note 27 (en anglais, l’expression « common law » désigne à la fois : 1) la tradition juridique britannique implantée dans les colonies comme le 1196 Les Cahiers de propriété intellectuelle plement qu’à titre de « dictionnaire législatif par défaut » du droit fédéral, le droit commun a pour fonction « de fournir à l’interprète des ressources conceptuelles pour appliquer des lois [...] »34. L’idée de complémentarité suppose quant à elle l’existence de deux systèmes entre lesquels puisse s’établir un dialogue. Si le phénomène de complémentarité fait aujourd’hui généralement consensus, au point de sembler aller de soi, sans doute est-il utile de rappeler qu’il n’en fut pas toujours ainsi35. Canada ; 2) une méthode de production du droit à travers les jugements émanant des tribunaux ; 3) les principes, concepts et politiques dégagés par les interprètes des textes constitutionnels, des conventions internationales, de la jurisprudence, de la doctrine, de la législation, de la coutume et des valeurs sociales communes ; 4) l’ensemble de règles, principes et concepts qui constituent le fondement du droit privé ; 5) et, enfin, le droit supplétif appelé à compléter un texte législatif lacunaire). Voir aussi généralement BRIERLEY (John E.C.), « Quebec’s Common Law (Droits communs) : How Many Are There ? », dans CAPARROS (Ernest), dir., Mélanges Louis-Philippe Pigeon (Montréal : Wilson & Lafleur, 1989) 109 [Caparros, Mélanges Louis-Philippe Pigeon] ; GLENN (H. Patrick), On Common Laws (Oxford : OUP, 2005) ; sur la notion de droit commun sous le Code civil du Québec, voir Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862 ; BISSON (Alain-François), « La Disposition préliminaire du Code civil du Québec » (1999), 44 McGill Law Journal 539 ; GLENN (H. Patrick), « La Disposition préliminaire du Code civil du Québec, le droit commun et les principes généraux du droit », (2005) 46:1-2 Cahiers de droit 339. 34. L’expression est de Roderick A. MACDONALD, « Harmonizing », supra, note 2, par. 41 ; BRISSON (Jean-Maurice), « Le Code civil, droit commun ? » dans CÔTÉ (Pierre-André), dir., Le nouveau Code civil : interprétation et application (Montréal : Thémis, 1993) 292, p. 296. 35. Plusieurs commentateurs critiquent la conception du bijuridisme telle que privilégiée par le programme d’harmonisation mis en place par le gouvernement fédéral. Lire par exemple SULLIVAN (Ruth), “The Challenges of Interpreting Multilingual, Multijural Legislation”, (2004) 29 Brooklyn Journal of International Law 985 ; LECKEY (Robert), « Rhapsodie sur la forme et le fond de l’harmonisation juridique » (2010), 51 :1 Cahiers de droit 3 ; KASIRER (Nicholas), « L’outreloi » dans CASTONGUAY (Lynne) et al., dir., Étudier et enseigner le droit : hier, aujourd’hui et demain : études offertes à Jacques Vanderlinden (Bruxelles : Bruylant, 2006) 329, p. 331 (l’auteur parle d’une « épistémologie de la séparation » dans le contexte du bijuridisme fédéral, expression reprise plusieurs fois dans la doctrine) ; JUTRAS (Daniel), « Cartographie de la mixité : la common law et la complétude du droit civil du Québec » (2010), 88 :2 Canadian Bar Review 247, 257-58 [Jutras, « Cartographie de la mixité »] (l’auteur parle d’une conception d’un droit fédéral « en silos », où « la législation fédérale de droit privé devrait emprunter, chaque fois que c’est nécessaire, au lexique et à l’appareil conceptuel du droit civil québécois ». Selon l’auteur, « l’occasion était bonne de favoriser, en même temps, une interaction fructueuse entre les deux traditions dans la sphère fédérale. La juxtaposition des deux traditions dans chaque version linguistique offrait l’occasion d’un dialogue comparatif, ou même d’une compréhension des normes fédérales qui s’accorde avec l’esprit de l’une et l’autre version ». De cette lecture, on aurait pu tirer, peut-être, un droit privé fédéral distinctif, appuyé sur l’une et l’autre tradition, mais néanmoins autonome par rapport aux régimes de L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1197 Premièrement, l’un des deux interlocuteurs – le droit civil – n’a pas toujours bénéficié de la reconnaissance qui est aujourd’hui la sienne. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire les premières décisions de la Cour suprême du Canada, qui traduisent ce que certains commentateurs décrivent comme une volonté systématique d’uniformiser le droit à partir de la common law36. Cette ambition universaliste, décriée dans les milieux juridiques québécois de l’époque, allait provoquer la naissance d’un mouvement en faveur de la sauvegarde de la spécificité et de l’intégrité du droit civil québécois, au début du XXe siècle37. Retraçant l’évolution des relations entre le droit civil et la common law à la Cour suprême du Canada, les auteurs Lebel et Le Saunier rappellent ici la contribution décisive des juges Mignault, Pigeon et Beetz, aux efforts de valorisation du droit civil québécois, et surtout d’affirmation de son autonomie par rapport à la common law, qui lui conférèrent le statut dont il jouit désormais38. Deuxièmement, même une fois le droit civil devenu interlocuteur respecté, l’apparition d’un véritable rapport dialogique entre le droit civil et la common law ne fut pas automatique. En effet, droit privé provinciaux. Néanmoins, cette perspective n’a pas été privilégiée dans le processus d’harmonisation du droit fédéral et du droit civil québécois. » ; GAUDREAULT-DESBIENS (Jean-François), Les solitudes du bijuridisme canadien. Essai sur les rapports de pouvoir entre les traditions juridiques et la résilience des atavismes identitaires, (Montréal : Thémis, 2007), à la p. 120 : « dès lors qu’une disposition législative fédérale ne peut être interprétée comme se référant à un quelconque jus commune provincial et que le sens de cette disposition demeure ambigu après avoir recouru aux règles ordinaires d’interprétation, cette disposition devrait être interprétée de la manière qui soit la plus intersubjectivement légitime tant du point de vue de la common law que du droit civil [...] [L]e cas échéant, la meilleure interprétation serait celle qui ferait le moins possible injure et au droit civil et à la common law ce qui mènerait presque inévitablement à l’élaboration d’un droit fédéral dissocié partiellement mixte ou métissé ». 36. LEBEL (Louis) et al., « L’interaction du droit civil et de la common law à la Cour suprême du Canada », (2006) 47:2 Cahiers de droit 179, 182 et s. [LeBel et Le Saunier] ; JOBIN (Pierre-Gabriel), « Le droit comparé dans la réforme du Code civil du Québec et sa première interprétation » (1997), 38:3 Cahiers de droit 477, 484 ; NORMAND (Sylvio), « Un thème dominant de la pensée juridique traditionnelle au Québec : La sauvegarde de l’intégrité du droit civil » (1986-1987) 32 McGill Law Journal 559, 578 et s. Pour une critique de la méfiance qu’inspire, encore aujourd’hui, la common law eu égard au Code civil du Québec, lire JUTRAS, « Cartographie de la mixité », ibid., p. 249-51 (l’auteur identifie quatre thèmes qui guident les rapports entre le droit civil et la common law : l’intégrité, la résistance, le ressentiment et la complétude). 37. LEBEL et LE SAUNIER, ibid., p. 186 ; NORMAND, ibid., p. 568-78 (l’enjeu de préservation du droit civil était notamment inspiré par des préoccupations nationalistes. Parmi les arguments militant en faveur de la défense du droit civil figurent le maintien de l’héritage des anciens, la survivance de la nation et le respect dû au Code civil en tant que régime codifié). 38. LEBEL ET LE SAUNIER, ibid., p. 187 et s. 1198 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’établissement d’un tel rapport est, selon Lebel et Le Saunier, tributaire d’un ensemble de facteurs d’ordre sociologique et culturel, institutionnel, technique et juridique39. Les auteurs notent par exemple l’impact positif du Programme d’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil, qui a permis, depuis son lancement en 1997, de clarifier les questions entourant certains points de rencontre du droit fédéral avec le droit privé des provinces 40. Précédant ces initiatives, les professeurs Jean-Maurice Brisson et André Morel se sont penchés sur le principe de complémentarité, dans une étude commandée par le ministère de la Justice du Canada41. Les auteurs opèrent une distinction entre la complémentarité voulue par le législateur – qui procède alors par renvoi aux lois provinciales – et celle qui découle implicitement de principes fondamentaux, et notamment de mécanismes constitutionnels canadiens. Ce deuxième scénario recouvre les situations de « dépendance implicite » de la loi fédérale envers un autre droit, du fait que celle-ci ne soit pas entièrement autonome et « ne fourni[sse] pas à elle seule tous les éléments nécessaires à son application et où il faut avoir 39. Ibid., p. 210 et s. 40. Ibid., p. 214 ; MAGUIRE WELLINGTON (Louise), « Bijuridisme canadien : méthodologie et terminologie de l’harmonisation », dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien. Deuxième publication, (Ottawa : Ministère de la justice du Canada, 2001) fascicule 4 (le travail d’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil ne date pas d’hier. Amorcé à la fin des années soixante dix, il s’est accéléré à la faveur de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, le 1er janvier 1994. Le Programme s’inscrit dans la continuité de la Politique d’application du Code civil du Québec à l’administration publique fédérale et de la Politique sur le bijuridisme législatif, respectivement mises en place par le Ministère de la justice du Canada en 1993 et 1995. Cette dernière politique a pour objectif de « fournir aux Canadiennes et aux Canadiens l’accès à des textes législatifs fédéraux qui soient respectueux du système de droit qui les régit, et ce dans chacune des versions linguistiques des textes législatifs ». À cette fin, le Ministère « reconnaît formellement qu’il est impératif que les quatre auditoires canadiens (les francophones civilistes, les francophones de common law, les anglophones civilistes et les anglophones de common law) à qui sont destinés les lois et les règlements fédéraux puissent, d’une part, lire ces textes dans la langue officielle de leur choix et, d’autre part, y retrouver une terminologie et une formulation qui soient respectueuses des concepts, notions et institutions propres au régime juridique (droit civil ou common law) en application dans leur province ou territoire ». 41. BRISSON et MOREL, supra, note 19. Cette publication constitue une révision d’un premier texte, qui avait contribué à définir les orientations générales du bijuridisme législatif canadien : « Droit fédéral et droit civil : complémentarité, dissociation » dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien. Recueil d’études (Ottawa : Ministère de la justice, 1997) 213. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1199 recours, pour la compléter, à des concepts et à des règles qui sont extérieurs à la loi même »42. Selon les auteurs, il en va ainsi [à] chaque fois qu’une disposition d’une loi fédérale utilise une notion de droit privé sans la définir ou sans lui donner autrement une signification propre ; à chaque fois aussi qu’une loi fait défaut de réglementer complètement une question particulière de droit privé ou d’adopter une disposition formelle de renvoi, il faut avoir recours, pour pallier les silences de la loi, à l’un des deux systèmes juridiques en vigueur.43 Quelle que soit sa justification, le phénomène de complémentarité est, d’après les professeurs Morel et Brisson, appelé à se déployer dans deux types de situations. La complémentarité est premièrement mise à contribution par ricochet lorsque la loi fédérale, droit spécial par rapport à celui des provinces, se juxtapose à une relation de droit privé avant tout fondée et règlementée par le droit provincial44. Le droit d’auteur offre un terrain idéal pour illustrer cette première manifestation de la complémentarité. En effet, celui-ci présente plusieurs points de contact avec le droit commun provincial, et plus spécifiquement celui du Québec : à cet égard, méritent notamment d’être signalées les règles générales du régime des obligations, les règles relatives aux saisies avant jugement et aux sûretés, les règles encadrant les relations de travail entre titulaires du droit d’auteur ou encore celles qui concernent l’arbitrage du droit d’auteur45. À ce titre, le rattachement entre le droit d’auteur et le droit privé québécois peut être illustré par l’arrêt Desputeaux c. Les Éditions Chouette, où la Cour suprême devait trancher sur l’arbitrabilité des différends portant sur le droit d’auteur46. L’enjeu, dans cette affaire, était de savoir si les parties à un contrat de licence d’exploitation d’un personnage de livres pour enfants étaient libres de soumettre l’interprétation et l’application dudit contrat à l’arbitrage. En 42. BRISSON et MOREL, ibid., p. 309. 43. Ibid. 44. Ibid., p. 317. Sur le caractère exceptionnel du droit privé fédéral : Citizens Insurance Company of Canada c. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96. 45. MOYSE, Le droit de distribution, supra, note 12, p. 123 ; voir en matière de saisies Tri-Tex Co. Inc. c. Gideon, [1999] R.J.Q. 2324 (C.A.) ; PAYETTE (Louis), « Droit d’auteur et droit commercial : droits d’auteur exploités sous licence, sûretés et insolvabilité », dans Gendreau, Cocktail, supra, note 9, p. 91. 46. Desputeaux c. Les Éditions Chouette, [2003] 1 R.C.S. 178. 1200 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’espèce, la Cour refuse de soustraire à l’arbitrage les litiges concernant la paternité le droit d’auteur au motif que ceux-ci ne peuvent être assimilés à des questions d’ordre public ou familial, matières que l’article 2639 C.c.Q. réserve exclusivement à la compétence des autorités judiciaires47. La décision Desputeaux est intéressante en ce qu’elle met en lumière un double arrimage entre la LDA et le Code civil : ce jugement révèle d’une part que, sans acte juridique formé conformément au C.c.Q., il ne peut y avoir, en droit civil québécois, de contrat de licence d’exploitation au sens de la LDA ; d’autre part, l’affaire nous enseigne que, pour déterminer si la question de la titularité des droits d’auteur peut faire l’objet d’une convention d’arbitrage, c’est d’abord le Code civil du Québec qu’il faut interroger. La complémentarité est en deuxième lieu sollicitée quand le droit provincial se trouve à enrichir une disposition fédérale qui, en soi, « ne contient pas tout le droit nécessaire à la réalisation de son objet » : celui-ci peut servir à titre utilitaire (s’il s’agit par exemple d’isoler un délai de prescription) ou encore sur le plan substantiel, pour suppléer aux lacunes, aux silences, aux vides et aux imprécisions que laisse la législation fédérale quant au contenu de certaines notions48. Nous reviendrons à ce second cas de figure dans le cadre de notre analyse de la licence en droit d’auteur. Retenons pour l’instant que le droit provincial est, dans ce cas d’espèce, convoqué au chevet de règles qui pêchent par leur caractère particulièrement incomplet. Reconnue par les commentateurs et la jurisprudence, la complémentarité est, aux yeux de plusieurs, codifiée par l’article 8 de la Loi d’interprétation, qui porte sur la propriété et les droits civils. Nous reproduisons la disposition pour le bénéfice du lecteur : (1) Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans 47. Art. 2639 C.c.Q. : « Ne peut être soumis à l’arbitrage, le différend portant sur l’état et la capacité des personnes, sur les matières familiales ou sur les autres questions qui intéressent l’ordre public. Toutefois, il ne peut être fait obstacle à la convention d’arbitrage au motif que les règles applicables pour trancher le différend présentent un caractère d’ordre public ». 48. BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 317. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1201 cette province au moment de l’application du texte [nous soulignons]. (2) Sauf règle de droit s’y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d’application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l’un et l’autre de ces systèmes [Les italiques sont nôtres.]49 Les extraits qui précèdent appellent quelques remarques. Le paragraphe 8 (1) stipule l’égalité de statut du droit civil et de la common law comme sources de droit. Cela signifie, autrement dit, qu’un système ne peut être privilégié au détriment de l’autre : partant, dans l’interprétation de la terminologie fédérale, l’interprète judiciaire ne saurait présumer d’une intention, de la part du législateur fédéral, de faire référence aux concepts et aux institutions d’un système particulier, auquel on accorderait, à tort, plus de poids. Toujours selon le paragraphe 8 (1), les sources provinciales supplétives ne sont mises en branle que lorsqu’« il est nécessaire » de s’en inspirer. Selon Philippe Denault, ce critère de nécessité empêche de conclure à une complémentarité de principe, puisqu’il n’y aura véritablement complémentarité qu’en cas d’incomplétude de la loi50. Ce n’est en effet que lorsque la loi ou une de ses dispositions présente une carence, soit un vide ou un silence, que les tribunaux doivent obligatoirement interpeller le droit commun des provinces. Enfin, le paragraphe 8 (2) établit, sur le plan terminologique, le principe de compatibilité du texte fédéral avec le droit de la juridiction où il s’applique « sauf règle de droit s’y opposant ». Ce dernier membre de phrase évoque la possibilité que le texte fédéral puisse exclure l’application supplétive du droit commun provincial, soit par renvoi ou par la voie de dispositions dérogatoires. C’est ce que Brisson et Morel nomment « dissociation », dont les modalités sont choisies par le législateur ; celui-ci est en effet libre de formuler, dans les limites de sa compétence (exceptionnelle) en matière de droit privé, des règles incompatibles le droit privé d’une ou de plusieurs provinces et qui auront préséance sur ce dernier51. 49. Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), c. 1-21, art. 8. Cet article a été introduit en 2001 par la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, c. 4. 50. DENAULT, supra, note 18, p. 76-77. 51. BRISSON et MOREL, supra, note 19. 1202 Les Cahiers de propriété intellectuelle Qu’en est-il de la LDA ? Où se situe-t-elle sur le spectre complémentarité/dissociation ? On s’étonnera d’abord du fait que la question de la complémentarité entre la LDA et le droit privé des provinces ait jusqu’ici peu suscité l’intérêt de la doctrine. Néanmoins, certains travaux se sont penchés sur l’article 89 de la LDA, qui se lit comme suit : « nul ne peut revendiquer un droit d’auteur autrement qu’en application de la présente loi ou de toute autre loi fédérale ; le présent article n’a toutefois pas pour effet d’empêcher, en cas d’abus de confiance, un individu de faire valoir son droit ou un tribunal de réprimer l’abus »52. D’aucuns ont vu dans cet article la confirmation du caractère statutaire du droit d’auteur, qui semble devoir être lu en isolation53. Ainsi, en identifiant la LDA comme seul canal de revendication d’un droit d’auteur, l’article 89 circonscrirait strictement l’interprétation au seul texte de la loi, évacuant du coup le recours à tout droit supplétif. Or, plusieurs auteurs, parmi lesquels le professeur Moyse, réfutent cette interprétation, préférant voir dans cette disposition une clause de réservation de compétence, miroir de l’article 91(23) de la Loi constitutionnelle de 186754. Mentionnons enfin que si la complémentarité s’établit de la même manière entre le droit fédéral et le droit privé de toutes les provinces canadiennes, reste qu’elle est sans doute plus tangible au Québec, dont le droit privé appartient à une tradition juridique distincte – rappelons par contraste que le droit fédéral partage avec les autres provinces canadiennes une même langue juridique, un même système de référence fondamental, soit celui de la common law55. Bien que l’harmonisation des effets des lois fédérales à travers le pays soit certes souhaitable, il n’en demeure donc pas moins qu’« une « « loi fédérale qui recourt à une source de droit privé externe ne s’appliquera pas nécessairement de façon uniforme à travers le pays » »56. Cette asymétrie serait, pour ainsi dire, établie par la Constitution57. 52. Art. 89 LDA, supra, note 1. 53. Voir par exemple TAMARO (Normand), « Le nouveau Code civil, droit commun des contrats en matière de droits d’auteur ? », (1993) 96 Revue du Notariat [TAMARO, « Code civil »]. 54. MOYSE, Le droit de distribution, supra, note 12, p. 118. 55. Pour un panorama de la jurisprudence de la Cour suprême portant sur les rapports entre le C.c.Q. et le droit fédéral, voir LEBEL (Louis), « L’influence de la Cour suprême du Canada sur l’application du Code civil du Québec depuis 1994 » (2010), 88 :2 Canadian Bar Review 231, 238-40. 56. St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 289 au paragraphe 49 [St-Hilaire]. 57. Ibid. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1203 À cet égard, quelques commentateurs voient une certaine anomalie dans le fait que le droit fédéral puisse, dans son application, être modulé selon les droits communs provinciaux, qui lui confèrent un relief inégal en fonction de l’endroit où il s’applique58. Comme nous le verrons dans la section qui suit, ce point de vue fut à l’occasion partagé par les tribunaux qui ont, dans certains domaines du droit, court-circuité le lien de complémentarité unissant le droit fédéral à celui des provinces. 1.2 La complémentarité mise en doute : entre uniformité et autonomie Nous revenons, en ouverture de cette seconde section, au questionnement qui nous animait en introduction et qui constitue le fil d’Ariane de cette étude, à savoir à quel corpus de droit l’interprète doit-il se référer pour « colmater les brèches » de la législation fédérale ? Trois solutions sont envisageables : s’en remettre au droit commun de la juridiction où le texte s’applique, que ce soit le droit civil au Québec et la common law pour les autres provinces ; privilégier l’uniformité du droit fédéral en recourant par défaut à la common law ; ou encore chercher des réponses dans un éventuel droit commun fédéral. La première option, qui a fait l’objet des pages qui précèdent, est celle de la complémentarité. Bien qu’elle soit confortablement établie, celle-ci a toutefois subi quelques assauts, tant de la part de certains commentateurs que des pouvoirs judiciaires, qui s’en sont éloignés dans certaines branches du droit. En effet, ces derniers ont parfois eu tendance à dissocier le droit fédéral du droit commun des provinces, et a fortiori du droit civil, de façon à uniformiser le droit fédéral sur la base du système de common law uniquement, d’où les inégalités décrites. Concernant la troisième option susmentionnée, nous nous sommes déjà prononcés sur l’absence de droit commun fédéral. Un courant de pensée juridique avance toutefois l’hypothèse d’un droit commun fédéral d’origine judiciaire. 58. Ce qui explique peut-être le « forum shopping » entre les cours fédérales et les cours supérieures provinciales auquel peuvent se livrer les praticiens, particulièrement au Québec. Voir par exemple en matière d’injonctions interlocutoires : CARRIÈRE (Jean), « Injonction interlocutoire : dans les faits, existe-t-il vraiment au Québec un choix de forum entre la Cour fédérale et la Cour supérieure ? », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, vol. 157 (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2001), p. 149. 1204 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.2.1 L’uniformisation du droit fédéral par l’interprète judiciaire La complémentarité du droit provincial vis-à-vis des lois fédérales est à l’occasion mise à mal au nom d’une quête d’uniformité d’application du droit fédéral à travers le pays. Par opposition à la dissociation réalisée par le législateur, nous parlons ici de « dissociation judiciaire », où l’unité de la législation fédérale est cette fois décrétée par les tribunaux59. Dans ces cas d’espèce, les juges sont tentés de procéder à l’unification du droit privé fédéral en évinçant l’application du droit provincial supplétif. Cette position participe, de l’avis de Brisson et Morel, d’une certaine impression d’inadéquation – tant sur le plan linguistique que substantiel – entre le droit civil et le droit fédéral, qui se manifeste, en pratique, par un repli vers la common law60. Ce réflexe est par ailleurs animé par le sentiment qu’un texte législatif fédéral « à géométrie variable » frustrerait la finalité même des compétences fédérales, vouées à régir « l’ensemble du pays »61. Selon les auteurs, trois sortes d’arguments servent à écarter la complémentarité du droit provincial : les cours canadiennes invoqueront tour à tour les origines de la législation, les objectifs du législateur ou l’autonomie de la loi fédérale62. Nombreuses sont les lois fédérales qui empruntent au modèle conceptuel de la common law. En effet, [n]ul n’oserait contester le fait que la législation fédérale est, de façon régulière, rédigée dans un style et suivant un schème de pensée qui sont caractéristiques du système de common law, quand elle n’est pas au surplus inspirée directement de modèles anglais. La structure de la loi, son libellé, sa teneur même, tout nous renvoie au droit anglais. Ce sont là autant de points de rattachement qui facilitent une interprétation de la loi dans un contexte de common law et en faisant appel à son univers conceptuel [notes omises].63 Ceci est particulièrement vrai dans le cas de la Loi sur le droit d’auteur, dont la première mouture moderne était copiée sur la loi anglaise de 191164. Par ailleurs, n’a-t-on pas dit de la LDA qu’elle 59. 60. 61. 62. DENAULT, supra, note 18, p. 7. BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 315. BRISSON, supra, note 29, p. 347. BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 311 (par souci de commodité, nous reprenons la structure de ce texte, qui a pour vertu la clarté). 63. Ibid. 64. Voir supra, note 26. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1205 comptait parmi les systèmes dits « fermés » du droit d’auteur65 ? À l’inverse des législations continentales de droit d’auteur, qualifiées d’« ouvertes » – lesquelles s’appuient sur des principes larges et généraux –, les systèmes fermés énoncent plutôt, à l’instar d’un catalogue, les droits qui sont couverts, et ce, de façon limitative66. Les systèmes fermés se caractérisent en outre par leur mode d’extension du droit d’auteur, qui s’effectue essentiellement par l’entremise du législateur. En territoire de copyright, les juges sont en effet réticents à repousser les frontières du droit d’auteur67. Les pouvoirs judiciaires canadiens s’inscrivent résolument dans cette mouvance, en ce qu’ils font traditionnellement preuve d’une grande déférence dans l’interprétation de la Loi68. Au vu de ce qui précède, la LDA paraît toute droit sortie d’un moule de common law. Mais peut-on pour autant en déduire que le législateur avait la volonté de substituer, en ce qui concerne le Québec, le droit civil par la common law comme source de droit complémentaire ? Défendue par certains, cette idée est en revanche écartée par Brisson et Morel, pour qui le lien de parenté unissant la législation fédérale à la common law ne serait pas, en soi, déterminant69. Ils font observer, à l’appui de cette opinion, qu’un bouleversement aussi complet aurait sans doute requis une indication claire de l’intention du législateur70. Si l’on emprunte ce raisonnement, il appert que l’appartenance de la LDA à la famille de la common law ne permettrait pas de conclure à la liquidation complète du droit supplétif provincial aux fins de son interprétation. Au lieu de sonder le mode d’élaboration de la loi, les autorités judiciaires ont parfois choisi de consulter l’objet de celle-ci, suivant une interprétation téléologique. Cette démarche a notamment trouvé écho en droit maritime, domaine où la Cour suprême a été plutôt réceptive aux arguments d’efficience économique afin de justi65. STROWEL, supra, note 10, p. 146 ; MOYSE, Le droit de distribution, supra, note 12, p. 119. 66. STROWEL, ibid. Sur les distinctions entre les deux traditions, lire plus généralement GENDREAU (Ysolde), La photographie et le droit d’auteur en droit français, américain, britannique et canadien (Paris : LGDJ, 1994) ; FRANÇON (André), Le droit d’auteur : aspects internationaux et comparatifs (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1992). 67. STROWEL, ibid. 68. MOYSE, Le droit de distribution, supra, note 12, p. 119 ; voir par exemple à ce sujet Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467 [Bishop] ; Compo Co. Ltd. c. Blue Crest Music, [1980] 1 R.C.S. 357 [Compo]. 69. BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 312. 70. Ibid. 1206 Les Cahiers de propriété intellectuelle fier l’uniformisation du droit privé fédéral. Dans une série d’arrêts âprement critiqués par les observateurs québécois, la Cour a proclamé l’uniformité du droit maritime canadien, tout en fermant définitivement la porte au droit provincial d’application supplétive, et parfois aux dépens du droit civil71. Décision phare en cette matière, ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronic annonce, pour la première fois, l’application d’une common law fédérale en droit maritime72. Dans ce pourvoi, se posent les questions du champ d’application du droit maritime, et de la compétence de la Cour fédérale par rapport à celui-ci. L’affaire se résume, en quelques mots, à une action en négligence intentée par le propriétaire d’une cargaison de calculatrices contre le transporteur et une compagnie d’acconage et de manutention, pour le vol de cartons de marchandises, laissés sans surveillance dans l’entrepôt portuaire. Les faits donnent à penser que le différend peut soit porter sur le droit maritime stricto sensu, soit relever du droit de la responsabilité contractuelle ou délictuelle, en touchant le droit maritime de façon incidente. La Cour penche, on l’aura deviné, pour la première version. Elle dispose de l’affaire en tablant sur une interprétation (très) extensive de la compétence fédérale exclusive en matière de « navigation et expéditions par eaux » (art. 91(10)) et de la juridiction qui revient à la Cour fédérale sous l’égide de la Loi sur les Cours fédérales73. Selon la Cour, dès lors qu’un litige de droit privé présente une quelconque connexité maritime, ce sont les règles de droit anglais maritimes et la common law relative aux affaires d’amirauté qui trouvent à 71. ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752 [ITO] ; voir aussi Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437. Pour une perspective critique, voir par exemple BRAËN (André), « La responsabilité en matière maritime » (2002), 62 Revue du Barreau 387 ; BRAËN (André), « De l’effet relatif du contrat maritime ou de la relative uniformité du droit maritime canadien », (2001) 31 Revue générale de droit 473 ; LEFEBVRE (Guy), « L’uniformisation du droit maritime canadien aux dépens du droit civil québécois : lorsque l’inWdélité se propage de la Cour suprême à la Cour d’appel du Québec », (1997) 31 Revue juridique Thémis 577 ; LECLAIR (Jean), « L’impact de la nature d’une compétence législative sur l’étendue du pouvoir conféré dans le cadre de la Loi constitutionnelle de 1867 », (1994) 28 Revue juridique Thémis 661 ; LEFEBVRE (Guy) et al., « La Cour suprême et le droit maritime : la mise à l’écart du droit civil québécois est-elle justiWable ? » (1991), 70 Canadian Bar Review 121 ; BRAËN (André), « L’arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., ou comment écarter l’application du droit civil dans un litige maritime au Québec » (1987), 32 McGill Law Journal 386. 72. ITO, ibid. 73. Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 20, art. 91(10) ; Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), c. F-7, art. 2. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1207 s’appliquer, telles qu’incorporées par référence en droit maritime canadien par le truchement de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales74. L’impératif d’uniformité du droit maritime canadien s’explique, d’après la Cour, par des considérations d’ordre pratique. Elle cite tantôt la nécessité d’une application indifférenciée du droit maritime à l’échelle de l’ensemble des voies navigables du pays ; l’intégration étroite entre les activités des transporteurs locaux et interprovinciaux ; ou encore la promotion de la certitude juridique dans le cadre du commerce international75. En tout état de cause, peu importe le motif invoqué, le résultat est le même, car « dans la mesure où le droit fédéral se pose comme la source première de droit commun, il ne subsiste que peu d’espace pour l’expression du droit provincial »76. Se clôt alors le dialogue entre le droit fédéral et le droit des provinces, ce dernier étant bâillonné. Les tribunaux résisteront-ils aux sirènes de l’uniformisation eût égard au droit d’auteur ? Les arguments d’efficience économique y trouveront-ils pareillement preneur ? Il convient ici de rester circonspect, car l’exemple du droit maritime est, semble-t-il, à manier avec précaution. En effet, le parallèle entre le droit d’auteur et le droit maritime comporte des limites, étant donné la spécificité inhérente à cette dernière branche du droit, qui a historiquement revêtu une dimension fortement transnationale77. Pour le professeur Jean Leclair, l’interpénétration quasi inextricable entre la LDA et le droit provincial milite contre la réception de tels arguments en droits d’auteur78. Terminons à présent par la dernière source de dissociation judiciaire, à savoir celle de l’autonomie que reconnaissent les tribunaux à certaines législations fédérales ou à quelques-unes de leurs dispositions. 74. 75. 76. 77. ITO, supra, note 71, p. 788. Ibid. LEBEL et LESAUNIER, supra, note 36, p. 218. BRAËN (André), Le droit maritime au Québec, (Montréal : Wilson & Lafleur, 1992), aux paragraphes 8-10 (selon l’auteur, l’originalité du droit maritime tient à la nature des règles qui le composent, fondées sur les « usages et les coutumes des gens de mer, et [...] souvent communes à toutes les nations maritimes ». Le droit maritime se démarque en outre par le fait qu’il se soit développé sous les auspices de tribunaux spécialisés, soit les tribunaux maritimes ou cours d’amirauté). 78. LECLAIR, « Interface », supra, note 9, p. 50. 1208 Les Cahiers de propriété intellectuelle Rappelons qu’il est loisible au Parlement central de créer, dans la poursuite d’une fin qui lui est propre, n’importe quelle institution juridique, en s’affranchissant des véhicules conceptuels fournis par la common law ou le droit civil. Aussi peut-il redéfinir une notion propre à l’une ou l’autre des traditions en dérogeant à sa signification usuelle. Dans cette optique, la législation fédérale de droit privé ne serait ancrée dans aucune des traditions juridiques canadiennes, mais transcenderait plutôt chacune d’elles. Ces procédés législatifs ont parfois été pris pour preuves d’une véritable autonomie du droit privé fédéral à l’égard du droit provincial. Ainsi, certaines dispositions de la Loi sur la faillite ou la Loi sur les banques ont été qualifiées de « codes complets » auto-suffisants, parce qu’elles ne trouvaient d’équivalents dans le droit d’aucune province79. En d’autres occasions, les lois ou articles dits « autonomes » n’ont été que la transposition, en droit domestique, de traités internationaux dont le Canada est partie, et qui ont pour effet d’importer, en droit canadien, des notions jusque-là inédites80. Souvenons-nous que l’argument de l’autonomie de la LDA a notamment été fait par Normand Tamaro, pour qui la LDA « forme un code complet »81. Il se fonde en cela sur la lettre de l’article 63 de la LDA, prédécesseur de l’actuel article 89 susmentionné. Semblable raisonnement se retrouve aussi chez les common lawyers, pour qui la déférence envers le texte législatif, droit de spécialité, est tentante. Préséance est ici donnée à la loi particulière qui fixe la common law sur le droit d’auteur en un instantané figé : [...] un common lawyer dirait que le droit d’auteur procède d’un « statute » qui prend en considération des droits spécifiques présentés sous une forme systématique. Partant, dire que la Loi sur le droit d’auteur constitue un code complet [...] signifierait grosso modo que la common law et l’equity ne peuvent plus aider à découvrir les règles régissant l’existence des droits d’auteur. Le « statute » suppléerait complètement à toutes autres sources du droit, du moins quant aux règles fond applicables en matière de droit d’auteur.82 79. Loi sur les banques, L.C. 1991, c. 46 ; Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), c. B-3 ; Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121 ; B.C. c. Henfrey Samson Belair, [1989] 2 R.C.S. 24. 80. BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 314. 81. TAMARO, « Code civil », supra, note 53, p. 12. 82. TAMARO (Normand), « La dissociation de la propriété du Code civil des droits d’auteur : l’exemple de la saisie », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991), p. 153, p. 160-61. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1209 Qui plus est, il nous faut convenir du fait que le droit d’auteur, et la propriété intellectuelle en général, sont sujets à une forte réglementation internationale. Ceci est d’autant plus vrai depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le 1er janvier 1995, et l’entrée en vigueur concomitante de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, qui s’ajoute aux conventions préexistantes et aux traités régionaux sur la propriété intellectuelle83. L’internationalisation du droit d’auteur sous l’égide de l’OMC accentue, à n’en pas douter, la pression en faveur d’une interprétation cohérente et uniforme, voire « globalisante », du droit d’auteur à l’échelle nationale84. 83. Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, Annexe 1C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, 1869 R.T.N.U. 332 (entrée en vigueur : 1er janvier 1995) ; sur l’internationalisation de la propriété intellectuelle voir notamment BLAKENEY (Michael), « International intellectual property jurisprudence after TRIPs » dans VAVER (David) et al., dir., Intellectual Property in the New Millenium : Essays in Honour of William R. Cornish (Cambridge : CUP, 2004), p. 3. L’Accord sur les ADPIC l’Accord incorpore et complète certaines dispositions des différentes conventions internationales existantes, qui deviennent des normes minimales obligatoires pour tous les Membres de l’OMC : Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883 revisée à Bruxelles le 14 décembre 1900, à Washington le 2 juin 1911, à La Haye le 6 novembre 1925, à Londres le 2 juin 1934, à Lisbonne le 31 octobre 1958 et à Stockholm le 14 juillet 1967, 14 juillet 1976, 828 RTNU 305 ; Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 24 juillet 1971, 1161 RTNU 3 (entrée en vigueur : 6 juin 1982) ; Traité de coopération en matière de brevets (avec Règlement d’exécution annexé et procès-verbal de rectification de l’original français du Traité en date du 14 juin 1972), 19 juin 1970, 1160 RTNU 267 (entrée en vigueur : 24 janvier 1978) ; Convention de Rome pour la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, 26 octobre 1961, 496 RTNU 43 (entrée en vigueur : 18 mai 1964). 84. BROWNLIE (Ian), Principles of Public International Law, 7e éd. (Oxford : OUP, 2008), à la p. 45. (suivant la théorie dualiste, l’incorporation des traités internationaux en droit canadien requiert un acte de transposition par voie d’une loi de mise en œuvre. Bien qu’on ne puisse parler de transposition directe – à la différence de certains pays de tradition moniste – le droit canadien est certainement influencé par les obligations auxquelles consent le Canada sur la scène internationale). Par contraste, voir pour la France DAILLIER (Patrick) et al., Droit International Public, 7e éd. (Paris : LGDJ, 2002), p. 232 et s. On assiste, au Canada comme ailleurs, à une inflation normative de la propriété intellectuelle. Au niveau substantiel, celle-ci a considérablement élargi son champ d’application, pour embrasser une vaste panoplie d’activités inventives, bien au-delà des matières qui l’ont vu naître. On ne s’émeut guère aujourd’hui qu’en droit d’auteur, les ouvrages de Boris Vian, Margaret Atwood ou encore Salinger côtoient la publicité, l’architecture, les compilations musicales et les chorégraphies. Des développements analogues sont à souligner en droit des brevets et en droit des marques. 1210 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.2.2 Le bijuridisme dérivatif Malgré le consensus dont il est généralement l’objet, le principe de complémentarité demeure aussi contesté par une frange de la doctrine. Par exemple, la professeure Ruth Sullivan s’oppose à la thèse de la complémentarité/dissociation au motif que celle-ci nie toute autonomie conceptuelle à la législation fédérale, alors cantonnée dans un rapport de dépendance ontologique avec le droit provincial. En effet, pour l’auteure, [t]he unstated assumption here is that in interpreting a federal enactment, judges have no jurisdiction to develop and apply distinctly federal concepts or principles based on their reading of the federal text in the context of Canadian law generally (both federal and provincial) as well as in the context of other sources. In other words, the only legitimate legal context for interpreting federal legislation that deals with property or civil rights is provincial law and more particularly the jus commune embodied in the Civil Code in Québec or scattered through case law and legislation in the common law provinces.85 Il s’agit alors de déterminer si les juges peuvent eux- mêmes, en interprétant la loi fédérale, créer un droit non légiféré (unenacted law)86. L’auteure répond ici par l’affirmative. Elle rejoint en cela la professeure France Allard, qui fait valoir que la Cour suprême adopte déjà, dans certains domaines du droit, une approche uniforme qui puise tant dans la tradition de droit civil que celle de common law87. Daniel Jutras fait quant à lui remarquer que les deux traditions sont appelées à interagir de diverses manières dans les jugements des cours canadiennes88. Il recense par exemple des arrêts où les tribunaux consultent les deux traditions afin de choisir la solution la plus judicieuse au problème juridique posé. Dans 85. SULLIVAN, supra, note 35, à la p. 1041. 86. Ibid., 1042. 87. ALLARD, « Impact sur le bijuridisme », supra, note 3, p. 21 et s. ; LAVALLÉE (Louise), « Manifestations du bijuridisme dans les jugements de la Cour suprême du Canada depuis l’adoption du Code civil du Québec », dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, (Ottawa : Ministère de la justice du Canada, 2001), fascicule 3, 1 ; GRENON (Aline), « The Interpretation of Bijural or Harmonized Federal Legislation : Schreiber v. Canada (A.G.) » (2005), 84 Canadian Bar Review 132. [Grenon, Schreiber] 88. JUTRAS (Daniel), « Emerging Issues in Private Law : A Case of Cross-Fertilization », contribution présentée dans le cadre de la Conférence sur le bijuridisme (Toronto : National Judicial Institute, 4 avril 2003), tel que cité dans Sullivan, supra, note 35, note 249. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1211 d’autres décisions, la dualité des sources est inhérente au sujet même du litige. Selon Sullivan, ces différentes configurations démontrent les avantages du bijuridisme dérivatif, où la législation fédérale est susceptible d’être interprétée à l’aune de l’ensemble des sources pertinentes, que celles-ci proviennent de la common law, du droit civil, du droit autochtone, ou encore du droit international. Ainsi, dans l’optique du bijuridisme dérivatif, ces divers systèmes sont conviés à un dialogue, à l’issue duquel s’opère un véritable processus de création du droit. Au terme de cette hybridation naît une norme méta-systémique qui se situe au-delà du texte, et qui résulte du partage symbiotique entre les traditions89. De fait, par le chevauchement des représentations culturelles et complémentaires propre à chaque système, « le bijuridisme augmente les possibilités d’expression de la norme explicite, qu’elle soit légiférée, judiciaire ou conventionnelle »90. Les auteurs Brisson et Morel avaient d’ailleurs proposé, dans leur étude fondatrice sur la complémentarité, de vérifier l’existence d’un droit d’auteur autonome d’origine judiciaire91. Bien que nous n’ayons pas le projet de répondre à cette invitation, nous nous proposons d’examiner cette hypothèse à travers notre examen du concept de licence, tel qu’interprété par la Cour suprême dans l’affaire EuroExcellence c. Kraft. 2. ÉTUDE DE CAS : LA LICENCE À LA LUMIÈRE DE L’AFFAIRE EURO-EXCELLENCE C. KRAFT La cause Kraft a assurément délié les plumes des auteurs. Si ceux-ci se sont surtout concentrés sur les questions, fort riches, du régime d’importation parallèle et du cumul des droits, peu a cependant été écrit sur la notion de licence92. Aussi nous attellerons-nous, 89. JUTRAS (Daniel), « Énoncer l’indicible : le droit entre langues et traditions » (2000), 52 :4 Revue internationale de droit comparé 781, p. 793 [JUTRAS, « Énoncer l’indicible »]. Sur ce sujet, lire MACDONALD (Roderick A.), « Legal Bilinguism » (1997), 42 McGill Law Journal 119. C’est à dessein que nous avons occulté la question, très riche, du bilinguisme juridique. 90. JUTRAS, « Énoncer l’indicible », ibid., p. 795 ; voir aussi GLENN (H. Patrick), « Le droit comparé et la Cour suprême du Canada », dans Ernest Caparros, Mélanges Louis-Philippe Pigeon, supra, note 33, p. 197. 91. BRISSON et MOREL, supra, note 19, note 136. 92. Voir généralement DRAPEAU (Daniel S.), « Marchandises d’importation parallèle : une Cour suprême divisée », (2008) 20 Cahiers de propriété intellectuelle 1212 Les Cahiers de propriété intellectuelle dans cette deuxième partie, à l’analyse de l’affaire Euro-Excellence c. Kraft, qui nous permettra de mettre la grille d’analyse précédemment exposée à l’épreuve de la pratique judiciaire. Dans cette deuxième partie, nous tenterons de situer l’interprétation du concept de licence par la Cour suprême du Canada sur l’axe complémentarité/dissociation. Nous verrons dans l’affaire Kraft que si la LDA semble pour les uns se suffire à elle-même, son interprétation justifie pour les autres de faire appel aux outils de la common law. 2.1 La LDA en état d’autarcie Nous ne pouvons tout d’abord faire l’économie d’un résumé de cette cause complexe. La complexité de la décision Kraft tient surtout à la multiplicité des opinions exprimées, qui lui donnerait des airs de « courtepointe juridique »93. En effet, la Cour est fort divisée, et c’est en vain que l’on rechercha la ratio decidendi de son jugement : aux motifs de Rothstein, auxquels souscrivent trois juges, se greffent des motifs concordants, des motifs concordants quant au résultat seulement, ainsi qu’une dissidence. C’est d’abord l’opinion dissidente, rédigée par la juge Abella, qui retiendra notre attention. À l’instar du jugement rendu par la juge Desjardins de la Cour d’appel fédérale, les motifs de la juge Abella, auxquels adhère la juge en chef, traduisent l’idée que la LDA renferme en elle-même toutes les clés nécessaires à l’interprétation de la notion de licence. 2.1.1 Kraft ou les chocolats de la discorde Débutons, à titre liminaire, par un succinct rappel des faits, pour ensuite extraire l’essence du raisonnement des juges. Le 26 juillet 2007, la Cour suprême du Canada rendait sa décision dans l’affaire Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc. Le litige 183 ; HITCHMAN (Carol) et al., « Euro-Excellence Inc. v. Kraft Canada Inc. » (2007), 7 Canadian International Law 118 ; HUTCHISON (Cameron J.), « Which Kraft of Statutory Interpretation ? A Supreme Court of Canada Trilogy on Intellectual Property Law » (2008), 46 Alberta Law Review 1 ; SCASSA (Teresa), « Using Copyright Law to Prevent Parallel Importation : A Comment on Kraft Canada Inc. v. Euro Excellence, Inc. » (2006), 85 Canadian Bar Review 409 ; TOMKOWICZ (Robert), « Copyrighting Chocolate : Kraft Canada v. Euro Excellence » (2007), 20 Intellectual Property Journal 399. 93. GOUDREAU (Mistrale), « L’affaire Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc. », (2007) 37 Revue générale de droit 515, 519 [GOUDREAU, « L’affaire Kraft »]. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1213 oppose Euro-Excellence, distributeur non autorisé de tablettes de chocolats Côte-d’or et Toblerone, à Kraft Canada Inc (« KCI »), distributeur canadien exclusif de ces produits, ainsi que les deux sociétés mères, Kraft Foods Belgium SA (« KFB ») et Kraft Foods Schweiz AG (« KFS »), qui les fabriquent en Europe. Les intimés reprochent à Euro-Excellence d’avoir continué à vendre des produits de confiserie Côte-d’or après l’expiration de son contrat de distribution et de commercialiser, toujours sans autorisation, des tablettes Toblerone, en s’approvisionnant de revendeurs européens dont l’identité n’est pas dévoilée94. Il est à préciser qu’Euro-Excellence ne met pas sur le marché des imitations frauduleuses des tablettes litigieuses, mais bien les produits authentiques de KFB et KFS, toutefois importés par des voies de distribution parallèles95. En tout état de cause, les activités d’Euro-Excellence font concurrence à KCI, détenteur d’un monopole de distribution sur le territoire canadien. Cependant, KCI ne fait pas valoir ses droits à titre de titulaire de marque de commerce. Les recours habituellement disponibles en droit des marques – soit le délit de contrefaçon codifié par la Loi sur les marques de commerce (LMC) ou le délit de substitution (passing-off) existant à la fois en common law et en vertu de la LMC – sont tenus en respect, étant donné l’absence d’emploi contrefaisant, de fausse représentation ou de confusion quant à l’origine du produit96. Peu importe l’identité du distributeur ou le réseau de distribution emprunté, la fonction du droit des marques est respectée, dans la mesure où les produits véritables du producteur sont vendus pour ce qu’ils sont en indiquant leur provenance97. Pour contourner l’impuissance du droit des marques, KFB et KFS développent une stratégie visant à contrer la distribution canadienne de tablettes par Euro-Excellence, en déplaçant le litige sur le terrain du droit d’auteur98. Pour ce faire, KFB et KFS enregistrent 94. Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc., [2004] 4 R.C.F. 410, par. 1 [Kraft c. Euro-Excellence (CF)]. 95. Ibid., par. 2-3. 96. MOYSE (Pierre-Emmanuel), « Kraft Canada c. Euro-Excellence : l’insoutenable légèreté du droit » (2008), 53 McGill Law Journal 741, 757 [MOYSE, « Insoutenable légèreté »] ; Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), c. T-13, art. 7. Sur la protection des marques de commerce dans le contexte bijuridique canadien, lire SCASSA (Teresa), « The challenge of trademark law in Canada’s federal and bijural system » dans GENDREAU, Emerging Paradigm, supra, note 12, p. 3. 97. MOYSE, « Insoutenable légèreté », ibid. 98. Kraft c. Euro-Excellence (CF), supra, note 94, par. 4. 1214 Les Cahiers de propriété intellectuelle au Canada, dans la catégorie des œuvres artistiques protégées par le droit d’auteur, les logos décorant les emballages de tablettes de chocolat, et concèdent à KCI une licence exclusive d’utilisation et de reproduction de ces logos99. Les sociétés mères se joignent ensuite au distributeur canadien KCI pour intenter une poursuite en contrefaçon contre Euro-Excellence. Ils sollicitent, ce faisant, une ordonnance interdisant à Euro-Excellence de vendre, de distribuer, de mettre ou d’offrir en vente des produits de confiserie Côte d’Or et Toblerone dont les papiers d’emballage arborent les dessins protégés par le droit d’auteur100. L’acte de contrefaçon visé consiste en l’importation illégale, au Canada, des exemplaires des œuvres que sont les emballages des tablettes de chocolat marqués d’un logo. Kraft Canada s’appuie sur l’alinéa 27(2)e) de la LDA, qui traite du recours en importation, pour tenter de contraindre Euro-Excellence à masquer les illustrations protégées. Cette disposition se lit comme suit : [c]onstitue une violation du droit d’auteur [l’importation de] l’exemplaire d’une œuvre [...] [en vue de l’un ou l’autre des actes visés aux alinéas a) à c)], alors que la personne qui accomplit l’acte sait [...] que la production de l’exemplaire [...] constituerait une [violation de ce droit] si l’exemplaire avait été produit au Canada par la personne qui l’a produit.101 L’alinéa 27(2)e) protège le titulaire canadien contre l’importation parallèle de ses œuvres en établissant une présomption de violation de ses droits d’auteur même quand les œuvres importées ne contreviennent pas aux législations sur les droits d’auteur dans leur pays de provenance102. Cet article concerne les violations de droits 99. 100. 101. 102. Ibid. Ibid., par. 3. Alinéa 27(2)e) LDA, supra, note 1. Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 21 (le juge Rothstein explique la finalité de cet article en ces termes : « l’alinéa 27(2)e) vise apparemment à accorder une protection supplémentaire au titulaire du droit d’auteur canadien qui ne détient pas le droit d’auteur sur l’œuvre en question à l’étranger. L’alinéa 27(2)e) protège le titulaire du droit d’auteur canadien contre l’« importation parallèle » en présumant qu’il y a violation du droit d’auteur même lorsque les œuvres importées ne violent pas les lois sur le droit d’auteur dans le pays où elles ont été produites. Sans l’al. 27(2)e), le titulaire du droit d’auteur étranger qui pourrait fabriquer l’œuvre à un coût moindre à l’étranger pourrait venir saturer le marché canadien de son œuvre, ce qui dépouillerait de toute utilité le droit d’auteur canadien. L’alinéa 27(2)e) traduit ainsi l’intention du législateur d’assurer que le titulaire du droit d’auteur canadien obtienne une juste récompense même s’il ne détient pas le droit d’auteur à l’étranger ») ; Kraft Canada Inc. c. Euro L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1215 d’auteur à une étape ultérieure, et s’étend donc par exemple aux situations où une personne est réputée avoir violé un droit d’auteur même si elle n’a pas elle-même produit ou reproduit l’œuvre protégée. La mécanique particulière de l’alinéa 27(2)e) de la LDA requiert que l’on développe un peu plus. La Cour suprême, dans l’affaire CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, identifie trois éléments pour prouver la violation à une étape ultérieure suivant le paragraphe 27(2) : « (1) une violation initiale du droit d’auteur ; (2) l’auteur de la violation à une étape ultérieure aurait dû savoir qu’il utilisait le produit d’une violation initiale du droit d’auteur ; (3) l’auteur de la violation à une étape ultérieure a vendu, mis en circulation ou mis en vente des marchandises constituant des contrefaçons »103. L’alinéa 27(2)e) se présente toutefois comme une exception à cette proposition générale en trois volets, puisque contrairement aux alinéas 27(2) a) à d), on n’exige pas qu’il y ait violation initiale réelle ; une violation initiale hypothétique suffit104. Les faits sont ici soumis au « test du fabricant hypothétique »105, par lequel les plaignants doivent « prouver que les œuvres contestées qui ont été importées et mises en circulation par Euro-Excellence auraient constitué une violation du droit d’auteur si elles avaient été produites au Canada par les personnes qui les ont produites en Europe », soit les sociétés mères Kraft, KFB et KFS106 [les italiques sont nôtres]. Pour établir l’existence d’une violation hypothétique, il faut donc déterminer si les sociétés KFB et KFS auraient contrevenu aux droits d’auteur de Kraft Canada – à qui elles ont concédé une licence exclusive sur les droits d’auteur relatifs à Toblerone et à Côte d’Or – si elles avaient produit les œuvres protégées au Canada. 103. 104. 105. 106. Excellence Inc., [2006] 3 R.C.F. 91, au paragraphe 2 [Kraft c. Euro-Excellence (CAF)] (en se basant sur l’alinéa 27(2)e) de la LDA, Kraft Canada cherche à freiner le « marché gris » de ses œuvres, terme défini par la Cour d’appel fédérale de la façon suivante : « « marché gris » [...] s’entend généralement de biens qui sont importés contrairement aux souhaits du titulaire du droit d’auteur ou d’un importateur autorisé dans un territoire spécifique. Il s’agit d’un bien qui, règle générale, est légitimement mis sur le marché étranger mais dont la présence sur le marché local est assombrie par suite d’allégations de contrefaçon. D’où le nom « marché gris », par opposition au marché noir, où il y a contravention au droit d’auteur, et au marché blanc, où il n’y a pas contravention au droit d’auteur »). CCH, supra, note 16, par. 81. Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 14, 19. MOYSE, « Insoutenable légèreté », supra, note 96, p. 760. Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 22. 1216 Les Cahiers de propriété intellectuelle L’issue de l’affaire se joue donc sur la portée et la nature des droits octroyés au licencié exclusif107. Trois dispositions de la LDA viennent éclairer la notion de licence exclusive. La Loi sur le droit d’auteur s’intéresse d’abord, par le biais de son paragraphe 13(4), aux rapports contractuels créés par la délivrance de licences. Le prescrit de la LDA va comme suit : [l]e titulaire du droit d’auteur sur une œuvre peut céder ce droit, en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection ; il peut également concéder, par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit ; mais la cession ou la concession n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par son agent dûment autorisé.108 S’ajoutent ensuite les paragraphes 2(7) (définition de la licence exclusive) et 13(7) (possession du droit d’auteur) de la LDA, dont les libellés se lisent ainsi : 2 (7) Pour l’application de la présente loi, une licence exclusive est l’autorisation accordée au licencié d’accomplir un acte visé par un droit d’auteur de façon exclusive, qu’elle soit accordée par le titulaire du droit d’auteur ou par une personne déjà titulaire d’une licence exclusive ; l’exclusion vise tous les titulaires. 13 (7) Il est entendu que la concession d’une licence exclusive sur un droit d’auteur est réputée toujours avoir valu concession par licence d’un intérêt dans ce droit d’auteur [Les italiques sont nôtres.]109 Nous reviendrons à ces articles. Contentons-nous pour l’heure de souligner qu’ils se prêtent à plusieurs lectures, tel qu’en témoigne d’ailleurs la mosaïque de motifs composant le jugement. De l’avis des juges Binnie, Deschamps et Rothstein, Euro-Excellence n’a pas porté atteinte aux droits de Kraft Canada, car le licencié exclusif ne peut, en vertu de la LDA, s’opposer à l’importation parallèle des produits de son titulaire concédant. Bien qu’il adhère aux conclusions de la majorité, le juge Fish s’inquiète de son côté pour l’intégrité du droit 107. 108. 109. Ibid., par. 26. Paragraphe 13(4) LDA, supra, note 1. Ibid., par. 2(7), 13(7). L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1217 d’auteur canadien. Il manifeste plus particulièrement sa méfiance face à la possibilité de détourner le régime des droits d’auteur de son objectif, en transformant les protections qu’il offre en instruments de contrôle du commerce110. Les juges Bastarache, Lebel et Charron estiment, quant à eux, que le paragraphe 27(2) n’est tout simplement pas déclenché, car la loi ne couvre pas les œuvres qui seraient présentes sur l’emballage à titre accessoire111. Enfin, la dissidence, représentée par les juges McLachlin et Abella, considère que le titulaire d’une licence exclusive au Canada peut invoquer une protection contre la violation à une étape ultérieure, et ce, quand bien même l’œuvre protégée par le droit d’auteur est-elle produite par le titulaire-concédant112. Les vues des juges divergent sur plusieurs points : la méthode d’interprétation législative ; la théorie du caractère accessoire des œuvres ; ou encore l’opportunité de recourir à la LDA dans la promotion d’intérêts commerciaux. Mais au cœur de cette dissension repose, de toute évidence, l’interprétation à donner au concept d’intérêt propriétaire de la licence exclusive. 2.1.2 La licence : un concept autosuffisant Contrairement à la majorité, qui donne gain de cause à EuroExcellence, les juges dissidents Abella et McLachlin sont d’avis de rejeter le pourvoi, au motif qu’il y a bien violation de l’alinéa 27(2)e) de la LDA. Ils confirment en cela les conclusions du juge de première instance et de la Cour d’appel fédérale, qui avaient autorisé le recours d’un titulaire de licence exclusive contre le titulaire-concédant du droit d’auteur. La dissidence de la Cour suprême et les décisions des instances inférieures ont pour point commun leur interprétation technique, voire mécanique, des dispositions de la LDA. Dans cette perspective, la loi se suffit à elle-même : la lecture parallèle des articles de loi, génératrice de sens, permet de lever les incertitudes entourant le concept de licence. Aux yeux des juges dissidents, l’origine exclusive110. 111. 112. Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 52-56. Ibid., par. 57 et s. (les motifs du juge Rothstein laissent penser que c’est le juge Bastarache qui a pu, au départ, être chargé de rédiger les motifs majoritaires. En effet, la décision s’ouvre curieusement sur l’intitulé « les réserves », sous lequel treize paragraphes justifient le rejet de la théorie du caractère accessoire de l’œuvre avancée par le juge Bastarache. À défaut de pouvoir vérifier l’information auprès des intéressés, ceci ne demeure qu’une hypothèse). Ibid., par. 107 et s. 1218 Les Cahiers de propriété intellectuelle ment législative de la LDA justifie de s’en tenir au « libellé clair de la Loi [qui] est déterminant »113. La juge Abella clarifie ainsi la nature et l’étendue des droits du licencié exclusif en interprétant les articles litigieux à la lumière des dispositions qui les entourent et de l’économie générale de la loi. Lus conjointement, les paragraphes 13(4), 13(6), 13(7) et 36(1) accréditent la thèse de la « transférabilité » d’un intérêt propriétaire dans le droit d’auteur. La portée de cet intérêt est quant à elle déterminée par les termes du contrat de licence unissant Kraft Canada aux sociétés mères. Les juges dissidents sont d’avis qu’en l’espèce, les conditions du contrat permettent au licencié exclusif de faire valoir ses droits d’auteur à l’encontre du titulaire-concédant. Au soutien de cette interprétation, est également invoqué le paragraphe 2(7) de la LDA, qui établit l’opposabilité erga omnes des droits du licencié exclusif (« l’exclusion vise tous les titulaires »). Or, exempter le titulaire-concédant des poursuites du licencié exclusif aurait, selon les juges dissidents, pour conséquence de vider le paragraphe 2(7) de son sens : de fait, « une licence exclusive qui n’empêcherait pas autrui, y compris le titulaire concédant, d’accomplir les actes énoncés dans le contrat de licence ne serait plus exclusive »114. En définitive, les juges dissidents constatent une violation des droits d’auteur de Kraft Canada : en l’espèce, KCI a acquis la licence exclusive sur l’œuvre protégée par le droit d’auteur justement parce qu’elle souhaitait avoir un droit d’auteur sur les emballages des tablettes de chocolat. Euro-Excellence a acheté des barres de chocolat dont les étiquettes arboraient les œuvres protégées ; elle a importé ces œuvres au Canada après avoir été avisée de l’intérêt de KCI dans le droit d’auteur canadien ; elle a importé les tablettes de chocolat et les emballages pour en faire la vente ou la mise en circulation dans un but commercial. L’existence d’une contravention à l’al. 27(2)e) est donc établie. KCI a le droit d’exercer les recours prévus par la Loi.115 Bien qu’ils concluent eux aussi à la responsabilité d’EuroExcellence, les juges de la Cour d’appel fédérale ne passent pas par la notion de licence. Écrivant au nom des juges Noël et Pelletier, la juge 113. 114. 115. Ibid., par. 114. Ibid., par. 127. Ibid., par. 129. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1219 Desjardins concentre plutôt son analyse sur le paragraphe 27(2) de la LDA. Se fondant sur l’historique de cet article et la jurisprudence qui y est relative, la Cour considère que KCI doit prouver deux éléments pour établir la violation de leur droit d’auteur à une étape ultérieure : (1) qu’elle détenait le droit de reproduction exclusif pour le Canada ; (2) qu’elle n’a pas elle-même produit les exemplaires importés par Euro-Excellence116. La Cour juge qu’une violation des droits d’auteur a été démontrée : [a]insi, les reproductions des œuvres protégées faites hors du Canada, même par les titulaires des droits d’auteur KFB et KFS, ne peuvent être importées au Canada par Euro Excellence en vue de l’un ou l’autre des actes énumérés aux alinéas 27(2)a) à c), sans qu’il y ait violation du droit d’auteur de KCI à une étape ultérieure, puisque KCI détient un droit exclusif de reproduction pour le Canada, même à l’égard de KFB et de KFS, et qu’Euro Excellence connaissait l’enregistrement pour le Canada des licences exclusives de KCI sur les deux œuvres.117 Au vu de ce qui précède, on peut penser que la résolution de l’affaire ne commandait aucune recherche au-delà du texte de la LDA. Ce n’est pourtant pas la démarche intellectuelle choisie par les juges majoritaires, comme nous le verrons maintenant. 2.2 La LDA en état de sollicitation À l’instar de leurs confrères de la Cour d’appel fédérale, les juges Abella et McLachlin s’en sont tenus au texte de la LDA pour expliquer le concept de licence exclusive. Confrontés à la difficulté de définir cette notion, les juges de la majorité préfèrent quant à eux appeler la common law en renfort. 2.2.1 La licence : un concept ambigu Le législateur fédéral, tempéré dans son élan par des contraintes constitutionnelles, s’est montré peu loquace quant au régime contractuel des droits intellectuels. Le caractère abscons du paragraphe 13(4) de la LDA, plusieurs fois relevé par la doctrine118, n’a d’égal que l’importance de la licence en pratique, qui est, essentiellement, un contrat prévoyant l’octroi à un tiers du droit dont jouit d’ordinaire le 116. 117. 118. Kraft c. Euro-Excellence (CAF), supra, note 102, par. 48-55. Ibid., par. 60. Voir par exemple GOUDREAU, « L’affaire Kraft », supra, note 93 ; TAMARO, « Code civil », supra, note 53. 1220 Les Cahiers de propriété intellectuelle titulaire du droit d’auteur. Et les paragraphes 2(7) (définition de la licence exclusive) et 13(7) (possession du droit d’auteur), ne seraient, selon certains, que d’un maigre secours à l’interprète dubitatif119. Toute l’ambiguïté résiderait dans la portée des droits conférés par la Loi au licencié exclusif : ce dernier dispose-t-il d’un intérêt suffisant pour poursuivre le titulaire-concédant ? Puisque la notion de licence paraît, prima facie, présenter des carences au niveau substantiel, on peut se demander si, conformément au principe de complémentarité, les droits communs provinciaux peuvent être amenés à l’agrémenter. Car ne sommes-nous pas, en effet, dans le scénario dépeint par Brisson et Morel, à savoir celui d’une « dépendance implicite » de la loi fédérale envers un autre droit120 ? Le droit provincial ne répond-il pas présent chaque fois qu’une loi fédérale fait usage d’une notion de droit privé sans la définir ou sans en épuiser le sens ? Dans l’affirmative, l’appel aux droits communs des provinces est-elle judicieuse ? Et d’ailleurs, comment peut-on en juger ? Une méthode formaliste, dérivée de la Loi d’interprétation, a été suggérée par l’auteur Philippe Denault afin de vérifier l’applicabilité du droit provincial supplétif dans l’interprétation de la législation fédérale : « l’interprète doit (1) identiWer l’existence d’un vide ou silence législatif – une absence de sens – rendant nécessaire le recours à des sources supplétives externes ; et (2), le cas échéant, identiWer une question de droit privé rendant alors obligatoire le recours aux sources provinciales »121. Des balises additionnelles ont également été posées par la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire St-Hilaire c. Canada, qui comprend une analyse éloquente du principe de complémentarité122. Aux yeux du juge Décary, ce qui devrait déterminer s’il y a lieu ou non de recourir au droit privé (au Québec, le droit civil), c’[est] le fait que la loi fédérale, dans un litige donné, doit être appliquée à des situations ou à des relations qu’elle n’a pas définies et qui ne peuvent l’être qu’en fonction des personnes affectées. Lorsque celles-ci sont des justiciables et que leurs droits civils sont en litige et n’ont pas été définis par le Parlement, c’est le droit privé provincial qui vient combler le vide.123 119. 120. 121. 122. 123. TAMARO, « Code civil », ibid. BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 10. DENAULT, supra, note 18, p. 92-93. St-Hilaire, supra, note 56. Ibid., par. 65. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1221 La Cour poursuit : « [l]e justiciable québécois, impliqué dans un litige relatif à ses droits civils en application d’une loi fédérale muette à cet égard, est en droit de s’attendre à ce que ses droits civils soient définis par le droit civil québécois »124. On voit mal, en l’espèce, ce qui forcerait l’intervention, à titre supplétif, du droit complémentaire de la province de Québec. L’affaire n’ayant pas été plaidée sur cette base, il paraît plus sage de nous en éloigner. Mais reste qu’un détour par le droit civil fournit un éclairage intéressant sur le malaise qui entoure, en droit d’auteur, la notion de licence. La difficile appréhension de la notion de licence par le droit civil n’est guère un problème nouveau. L’évidence s’impose d’emblée : le concept de licence n’est pas un terme usité en droit civil québécois. Même s’il y était appelé, le droit civil aurait grand peine à nourrir le droit fédéral et semble, a priori, avoir peu à apporter à la compréhension du concept de licence tant celui-ci lui est étranger. Il n’en demeure pas moins que plusieurs hypothèses ont été avancées par les juristes civilistes pour saisir cette notion. Pour certains, la licence est absorbée par le discours sur le démembrement des droits réels125. Qu’elle soit qualifiée comme un droit réel incomplet, une servitude personnelle ou une forme d’usufruit, l’observateur y voit le transfert de quelque chose, suivant une conception subjectiviste de droits préétablis126. Pour d’autres, c’est plutôt l’aspect contractuel et personnel de la licence qui retient l’attention : celle-ci est tantôt vue comme un contrat de louage ou un contrat innommé127. Dressant le tableau des positions défendues par les auteurs québécois, Mistrale Goudreau évoque enfin l’attitude de ceux qui ignorent la difficulté, ou qui se rabattent sur des références de la common law sans se questionner sur leur pertinence ou le 124. 125. 126. 127. Ibid., par. 51. LAFOND (Pierre-Claude), Précis de droit des biens, 2e éd. (Montréal : Thémis, 2007), p. 757 et s. Sur le droit de propriété incomplet, lire TAMARO, LDA, supra, note 5, p. 314-15 ; TAMARO, « Code civil », supra, note 53, p. 51 ; sur la licence comme servitude voir GILKER (Stéphane), « Le Locus standi du titulaire d’une licence de droit d’auteur : une question...d’intérêt ! » Partie I (1989), 1 Cahiers de propriété intellectuelle 275 ; Partie II (1989), 2 Cahiers de propriété intellectuelle 1, p. 24 (selon l’auteur, la bare licence de common law « peut être traduite en termes de droit civil par l’octroi d’une servitude personnelle sur le droit d’auteur, c’est-à-dire d’un droit d’usage restrictif conféré par le titulaire d’un droit d’auteur au profit d’un tiers sans que ce dernier ne puisse en tirer quelque fruit »). PAYETTE (Louis), « Hypothèque sur propriété intellectuelle » dans Louis Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 3e éd. (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006) no 1327. 1222 Les Cahiers de propriété intellectuelle bien-fondé d’y recourir128. D’autres encore nous invitent à rechercher des solutions dans le droit français qui, prétend-on, aurait mieux su concilier le droit d’auteur avec le régime de la propriété instauré par le Code civil129. En dépit de tous ces efforts doctrinaux, il semble que l’on n’ait guère dépassé les débats sur la taxinomie de la licence, à défaut d’entreprendre une réflexion plus profonde sur sa nature. Or, l’interrogation sur le régime de la licence ne se limite pas à la frontière marquée par la rivière Outaouais. Dans son article « The Exclusive licence in Copyright », David Vaver relevait déjà, en 1995, toute la difficulté d’appliquer la licence, liée à l’origine à des biens matériels, à des intangibles tels que les droits intellectuels130. Il faut dire qu’en droit des biens de common law, la licence n’est traditionnellement qu’un contrat par lequel on accorde à quelqu’un l’autorisation d’utiliser un bien personnel ou réel sans lui en transférer la possession131. En donnant cette permission, la personne titulaire de l’intérêt possessoire s’engage à ne pas poursuivre pour violation de son droit en vertu du délit d’intrusion. Appliquée au droit d’auteur, la licence permettrait à son bénéficiaire d’exercer un droit autrement réservé au titulaire du droit d’auteur sans encourir le risque d’une poursuite en contrefaçon. C’est donc dans la perspective d’un recours, ou plutôt dans la levée conditionnelle des poursuites que s’analyse la licence. Mais le paragraphe 13(4) de la LDA laisse entendre que la licence serait en fait assortie d’un intérêt propriétaire. La formulation malheureuse de cet article gagne, selon les juges de la majorité, à être suppléée par une norme externe, la loi n’apportant pas d’indices satisfaisants. 2.2.2 La common law en renfort L’indétermination de la norme est résolue, par le juge Rothstein, en recourant aux ressources conceptuelles de la common law. En effet, la majorité scrute la licence à travers le prisme de cette tra128. 129. 130. 131. GOUDREAU, « L’affaire Kraft », supra, note 93, à la page 520. TAMARO, « Code civil », supra, note 53. Le droit français renvoie plutôt à la notion de contrat d’édition : Code de propriété intellectuelle art. 132(1) (« le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre, à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion »). VAVER (David), « The Exclusive Licence in Copyright » (1995), 9 Intellectual Property Journal 163. GOUDREAU, « L’affaire Kraft », supra, note 93, p. 523 ; Derek MENDES DA COSTA (Derek) et al., Property Law (Toronto : Emond-Montgomery, 1982), p. 1160. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1223 dition, et s’en remet à ses enseignements pour distinguer l’étendue des droits dont bénéficient respectivement le licencié exclusif et le cessionnaire aux termes de la LDA. Le recours à la common law sert en outre à clarifier la question de l’opposabilité des droits du licencié exclusif envers le concédant que la lecture conjuguée des paragraphes 2(7), 13(4) et 13(7) de la LDA laissait incertaine. Le juge Rothstein met à plat, common law sous le bras, les trois techniques contractuelles que prévoit la loi sans pourtant en détailler le fonctionnement (licence (mere licence), licence exclusive et cession)132. Citant Ziff et Megarry, juristes de common law, la majorité conclut que les droits du licencié exclusif se trouvent à mi-chemin entre ceux du simple licencié et du cessionnaire. Ainsi, le juge Rothsein s’appuie sur la définition traditionnelle de la licence en common law, équivalente à une simple autorisation, pour faire ressortir la position supérieure du licencié exclusif, qui jouit d’un intérêt de propriété – limité – dans le droit d’auteur133. Le juge Rothstein met ensuite en opposition le caractère strictement contractuel, et non propriétaire, des droits reconnus au simple licencié, avec l’intérêt de propriété opposable à tous conféré au cessionnaire134. Ainsi, contrairement au simple licencié, le licencié exclusif dispose d’un intérêt propriétaire dans le bien protégé ; à la différence du cessionnaire cependant, l’intérêt du licencié exclusif a une portée restreinte. Malgré cet exercice de différenciation, les particularités propres au licencié, au licencié exclusif et au cessionnaire restent, au final, plutôt obscures. Le juge Rothstein se tourne ensuite vers les législations américaine et britannique pour distinguer les droits dont bénéficient respectivement les licenciés exclusifs et les cessionnaires au titre de la LDA. Adoptant une interprétation contextuelle de la loi, le juge Rothstein conclut qu’à l’instar du droit britannique, le droit canadien ne permet pas aux licenciés exclusifs d’intenter une action pour violation du droit d’auteur contre le titulaire-concédant135 : [e]n tant que titulaires du droit d’auteur canadien sur les logos de Toblerone et de Côte d’Or, les sociétés mères Kraft ne peu132. 133. 134. 135. Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 26 et s. Ibid., par. 31 (la Cour s’appuie en outre sur la lettre des paragraphes 13(4) et 13(7) de la LDA qui, contrairement au paragraphe 2(7) (« autorisation »), évoquent une dimension propriétaire (« concession d’un intérêt »). Voir aussi Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363, par. 56. Euro-Excellence c. Kraft, ibid., par. 2. Ibid., par. 46. 1224 Les Cahiers de propriété intellectuelle vent pas violer leur propre droit d’auteur. Bien que, à titre de titulaire d’une licence exclusive, Kraft Canada ait, dans le droit d’auteur, un intérêt de propriété qui l’habilite à intenter contre des tiers une action pour violation du droit d’auteur, les sociétés mères Kraft conservent, dans ce droit, un intérêt de propriété résiduel qui empêche Kraft Canada de les poursuivre pour violation du droit d’auteur. Kraft Canada n’a donc pas établi l’existence de la « violation hypothétique » nécessaire pour justifier une action contre Euro-Excellence fondée sur l’alinéa 27(2)e).136 Les juges de la majorité se fondent notamment sur les similitudes rencontrées entre les législations canadienne et britannique : des origines communes, une définition similaire de la licence exclusive, et une distinction semblable entre les droits des licenciés exclusifs et les cessionnaires137. À première vue, la référence à la common law ne choque pas, tant elle semble former l’environnement naturel de la licence de droit d’auteur. C’est d’ailleurs assez instinctivement que la Cour semble la consulter. Mais l’emploi de la common law supplétive pour remédier aux incertitudes de la LDA est-elle à prendre à la légère ? Traduit-il une solution ponctuelle ou est-il plutôt symptomatique d’une attitude générale consistant à lire systématiquement la LDA sur un arrière-plan de common law, et ce même quand c’est le droit civil complémentaire qui devrait être appliqué ? Sachant que le droit d’auteur n’est pas complètement imperméable aux arguments d’efficience économique ayant présidé à l’uniformisation épisodique du droit fédéral par les tribunaux canadiens, il faudra à l’avenir rester vigilant. Au soutien de l’uniformité du droit d’auteur, ajoutons que le juge Rothstein semble, dans ses motifs, avoir épousé la prémisse suivant laquelle le droit d’auteur serait exclusivement d’origine législative : « la Cour a constamment jugé que le droit d’auteur tire son origine de la loi, et les droits et recours que prévoit la Loi sur le droit d’auteur sont exhaustifs »138. L’auteur Pierre-Emmanuel Moyse fait, 136. 137. 138. Ibid., par. 49. Ibid., par. 46 (la Cour rappelle à cet égard qu’« au Canada, la Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, S.C. 1921, c. 24, qui a précédé la Loi actuelle, était en grande partie fondée sur la Copyright Act, 1911 britannique, 1 & 2 Geo. 5, c. 46. Depuis l’adoption de la Loi de 1921, des séries de modifications se sont succédées, mais nos dispositions concernant les concessions de licence et les cessions ressemblent davantage à celles du Royaume-Uni qu’à celles des États-Unis. »). Ibid., par. 3 ; CCH, supra, note 16, au paragraphe 9 ; Théberge, supra, note 12, par. 5 ; Bishop, supra, note 68, p. 477 ; Compo, supra, note 68, p. 372-73. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1225 à cet égard, l’observation suivante : « [la Cour] semble vouloir figer tout le droit d’auteur dans sa seule expression textuelle particulièrement exiguë. [Car] il est vrai qu’à travers le prisme des définitions, la structure législative du droit d’auteur canadien semble particulièrement hermétique »139. Même si la Cour se revendique, par son positionnement dans Kraft et par sa jurisprudence passée, du courant prônant l’autonomie du droit d’auteur, on peut se questionner si le fait de glaner dans la common law supplétive n’y serait pas, en fin de compte, antinomique. Le jugement de la Cour suprême tranche en tout cas certainement avec celui des cours inférieures, également empreints de cette idée d’autonomie. Fait à noter, ce ne sont que les juges majoritaires de la Cour suprême qui, en définitive, semblent s’être butés au concept de licence. En effet, les juges dissidents et ceux des instances inférieures n’avaient eu aucune difficulté à comprendre la licence en se fiant à la loi seule. Par exemple, les juges Abella et McLachlin avaient aisément conclu à une violation à une étape ultérieure du droit d’auteur de KCI par Euro Excellence, en considérant uniquement le sens généré par le jeu réciproque des articles de loi140. De même, dans l’esprit de la juge Desjardins de la Cour d’appel fédérale, la Loi sur le droit d’auteur semble exister en vase clos, en ce qu’elle recèle tous les éléments nécessaires à son interprétation. Le résultat se dévoile à l’interprète du fait de la logique intrinsèque du texte lui-même ; « la normalité serait toute entière inscrite dans le texte »141. On peut aussi se demander si c’est plutôt le principe de complémentarité qui serait appliqué, presque inconsciemment, par la Cour suprême. Si tel est le cas, il eût été judicieux de préciser les raisons pour lesquelles l’article 8(1) de la Loi sur l’interprétation trouverait aplication en l’espèce. Comme le souligne Aline Grenon, lorsqu’une disposition législative repose effectivement sur le droit provincial, il faut le dire, et ne pas chercher à occulter cette réalité »142. Et même si la common law est sollicitée à juste titre, cela n’interdit pas pour autant d’interroger d’autres systèmes. À cet égard, il aurait été de bon augure de questionner le droit civil, ne serait-ce que par signes 139. 140. 141. 142. MOYSE, « Insoutenable légèreté », supra, note 96, p. 781. Kraft c. Euro-Excellence (CAF), supra, note 102, par. 39 et s. MOYSE, « Insoutenable légèreté », supra, note 96, p. 782. GRENON (Aline), « Le bijuridisme canadien à la croisée des chemins ? Réflexions sur l’incidence de l’article 8.1 de la Loi d’interprétation » (2011) 56:4 McGill Law Journal 777 à la p. 813 [GRENON, « Bijuridisme »]. 1226 Les Cahiers de propriété intellectuelle de courtoisie judiciaire ou d’ouverture au dialogue des traditions, comme cela a pu être fait dans d’autres domaines143. Peut-être est-ce simplement la méthode d’interprétation moderne qu’adopte la Cour en « lisant les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »144 ? Il faut reconnaître toute la marge de manœuvre que laisse un tel principe, car il revient justement au juge de sélectionner le contexte de référence le plus approprié. Une analyse contextuelle, qui comprend l’utilisation du droit comparé, ne doit toutefois pas être confondue avec assimilation asymétrique du droit d’auteur à la common law. D’aucuns se demandent si le principe d’interprétation moderne n’invite pas aujourd’hui à tenir compte de l’importance accordée par le législateur fédéral au bijuridisme législatif, au vu de nombreux efforts déployés pour favoriser son développement 145. Une autre thèse, soumise par Brisson et Morel, rejoint cette fois le bijuridisme dérivatif, qui n’aura pas été évoqué inutilement. Les auteurs posent la question à savoir si, par l’accrétion de la jurisprudence, « le droit fédéral n’est pas en voie d’acquérir une autonomie telle que l’utilité du droit privé provincial comme droit supplétif est appelée à s’estomper »146. On entreverrait ici l’émergence d’une jurisprudence cosmopolite, plurielle, dont les sources, méta-traditionnelles, peuvent être difficilement départagées, et encore moins rattachées à une aire juridictionnelle précise. Sous l’effet de l’internationalisation du droit d’auteur, la généalogie des idées est peutêtre, en effet, sur le point de s’effacer147. Ainsi, si la majorité dans Euro-Excellence c. Kraft creuse la common law pour chercher des réponses, la solution déterrée transcende peut-être ce système. Car la norme provinciale, une fois arrachée à son contexte d’application usuel afin d’appuyer la législation fédérale, subit-elle peut-être une 143. 144. 145. 146. 147. Sur les tendances comparatistes de la Cour suprême dans les domaines du droit de la famille et des droits de la personne, voir ALLARD, « Impact sur le bijuridisme », supra, note 3, p. 20-22. Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 2, citant DRIEDGER (Elmer A.), Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), p. 87. Ce passage est cité dans un grand nombre de décisions de la Cour suprême. Voir BEAULAC (Stéphane) et al., « Driedger’s « Modern Principle » at the Supreme Court of Canada : Interpretation, Justification, Legitimization » (2006) 40:1 Revue Juridique Thémis 131. GRENON, « Bijuridisme », supra, note 142, p. 785. BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 333. Ibid., p. 334, en citant GLENN (H. Patrick), « La civilisation de la common law », dans CAPARROS (Ernest), dir., Mélanges Germain Brière, Collection bleue (Montréal : Wilson et Lafleur, 1993) 595, p. 608. L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi... 1227 mutation, pour apparaître, dans sa version prétorienne, sous un nouveau visage. CONCLUSION Nous avons tenté, dans le présent article, d’appréhender l’interface entre les droits communs provinciaux et la législation fédérale sur le droit d’auteur, à partir d’une étude du concept de licence. Dans une première partie, nous avons passé en revue le contexte constitutionnel gouvernant la relation entre les droits communs provinciaux et le droit fédéral sur le droit d’auteur. Nous avons vu que le droit supplétif provincial peut, dans certaines circonstances, combler les silences de la LDA, que ce soit, comme dans l’affaire Desputeaux, quand le régime du droit d’auteur se superpose à un rapport de droit privé régi par le droit des provinces, ou encore, comme dans le cas de la licence, lorsque le contenu de la loi ne suffit pas à en préciser les modalités d’application. Nous avons en outre été témoins de formes de résistance à la complémentarité, qui poussent pour une uniformité d’application de la Loi sur le droit d’auteur sur la base de sa prétendue autonomie. Dans une seconde partie, nous avons cherché à localiser, sur l’axe complémentarité/dissociation, l’interprétation donnée à la notion de licence par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt EuroExcellence c. Kraft. D’une part, le jugement semble faire droit à la complémentarité en ce qu’il n’hésite pas à recourir aux outils conceptuels de la common law pour repousser les limites de la LDA, là où celle-ci s’arrête. D’autre part, les juges majoritaires semblent toujours fermement attachés à la conception privilégiant l’autosuffisance de la LDA, conçue comme une création statutaire autonome envers laquelle il convient de prendre ses distances. La rigidité, désormais apparente, du cadre conceptuel que nous avons tenté d’appliquer semble devoir s’incliner devant « l’insoutenable légèreté du droit » et l’aspect parfois insondable du raisonnement judiciaire148. Même en cherchant très attentivement, les traces d’une jus commune non légiférée en matière de droit d’auteur ne sauraient être décelées dans un seul jugement, et encore moins dans une affaire aussi peu conclusive que l’affaire Euro-Excellence. Nous soumettons toutefois que l’exercice aura valu le coup : malgré ses ambitions modestes, cette étude s’est avant tout voulu un exercice de défrichage d’une matière qui reste encore à l’état de jachère. Elle revêt, à cet égard, un caractère éminemment exploratoire. 148. Nous reprenons ici le titre évocateur du professeur Moyse dans son article « Insoutenable légèreté », supra, note 96. Vol. 23, no 3 Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur et la Commission du droit d’auteur du Canada Giuseppina D’Agostino* 1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1231 2. APPROPRIATION D’UNE PARTIE IMPORTANTE . . . 1233 2.1 Partie importante et titulaires introuvables . . . . . 1235 2.1.1 Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1235 2.1.2 Décisions de la Commission . . . . . . . . . . 1237 2.2 L’appropriation substantielle et les tarifs . . . . . . 1240 2.2.1 Tarif no 24 de la SOCAN (Sonneries) 2003-2005 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1240 2.2.2 Services de radio par satellite . . . . . . . . . 1241 2.3. Conclusions sur la partie importante . . . . . . . . . 1243 © Giuseppina D’Agostino, 2011. * Professeure agrégée, Faculté de droit Osgoode Hall, Université York (Toronto). J’adresse des remerciements particuliers à l’avocat général de la Commission du droit d’auteur, Mario Bouchard, pour son aide dans la préparation du présent article. 1229 1230 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3. UTILISATION ÉQUITABLE . . . . . . . . . . . . . . . . 1244 3.1. Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1244 3.2. Décisions de la Commission . . . . . . . . . . . . . . 1245 3.2.1 Veille médiatique (29 mars 2005) . . . . . . . 1245 3.2.2 Tarif 22.A de la SOCAN (Internet – Services de musique en ligne) . . . . . . . . . 1247 3.2.3 Services de radio par satellite . . . . . . . . . 1249 3.2.4 Access Copyright (Établissements d’enseignement). . . . . . . . . . . . . . . . . 1250 3.3 Conclusions sur l’utilisation équitable . . . . . . . . 1256 4. CONCLUSION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1257 Résumé : Le présent article examine l’application d’une « exception » fondamentale en droit d’auteur – l’utilisation équitable – et d’une limitation – le caractère important de l’utilisation – dans les décisions de la Commission du droit d’auteur du Canada en matière de gestion collective et d’« œuvres orphelines ». Sont abordées les dispositions législatives, la jurisprudence et la doctrine pertinentes, ainsi que des décisions publiées et les avis informels de la Commission. Cette dernière joue un rôle central de plus en plus important dans la mise en équilibre des intérêts trop souvent opposés sur la scène canadienne et donne une interprétation systématique et contextuelle à ces principes. 1. INTRODUCTION La Loi sur le droit d’auteur1 du Canada confère aux créateurs des droits qui leur permettent de protéger leurs œuvres, sous réserve de certaines exceptions, et une exclusivité limitée relativement à l’exercice de ce droit. En pratique, un tiers titulaire de droits se substitue au créateur par le truchement d’un contrat ; le premier gère souvent à son bénéfice les droits exclusifs du second2. Des arrêts de principe ont fait en sorte que désormais, les utilisateurs jouissent aussi de droits en vertu de la Loi. En 2002, la Cour suprême du Canada a statué que la protection accordée aux créateurs devait être mise en balance avec un domaine public solide capable « d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt à long terme de l’ensemble de la société »3. En 20044, elle a innové en consacrant en droit un « droit des utilisateurs » à tirer profit des exceptions en général et de l’utilisation équitable en particulier. Jusque là, la notion d’exceptions à la contrefaçon était en grande 1. L.R.C., ch. C-42 [la Loi]. 2. D’AGOSTINO (Giuseppina), Copyright, Contracts, Creators : New Media, New Rules, (Cheltenham : Edward Elgar Publishing, 2010). 3. Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, 2002 CSC 34, par. 32. 4. CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, 236 D.L.R. (4th) 395 [CCH]. 1231 1232 Les Cahiers de propriété intellectuelle partie tributaire d’interprétation étroite ; la Cour l’a élevée au rang de principe général. Par conséquent, et à l’instar des autres exceptions, l’utilisation équitable reçoit donc désormais une interprétation libérale au Canada5. Si les « exceptions » au droit d’auteur en général, et l’utilisation équitable en particulier, ont peut-être davantage retenu l’attention à cause de leur convivialité pour l’utilisateur, d’autres aspects fondamentaux des règles régissant le domaine méritent aussi d’être reconnus. Ainsi, plusieurs auteurs se sont prononcés pour l’accroissement du domaine public au-delà du simple « résidu » du droit d’auteur6. Parmi les règles et doctrines fondamentales du droit d’auteur qui favorisent un élargissement du domaine public, mentionnons (1) la durée du droit d’auteur7, à l’expiration duquel l’œuvre « rejoint » le domaine public ; (2) l’exigence selon laquelle l’appropriation doit être « importante » pour être protégée, sinon elle est permise sans permission ni compensation8 ; (3) la notion d’« expression » dans la dichotomie idée-expression9 et les objets non susceptibles de protection ; (4) l’exigence selon laquelle une œuvre doit être originale pour être protégée10. Appelée à trancher dans de nombreuses instances impliquant l’utilisation d’œuvres protégées, la Commission du droit d’auteur agit comme pivot dans un exercice de mise en balance des intérêts qui s’opposent trop souvent dans ce domaine au Canada, en se fai- 5. La Loi prévoit aussi, entre autres, des exceptions limitées pour les écoles, les bibliothèques, les services d’archives, les musées et les personnes ayant des déficiences perceptuelles, des licences obligatoires pour la retransmission des signaux de radiodiffusion et un régime de redevances pour la copie de musique pour usage privé. 6. CRAIG (Carys J.), « The Canadian Public Domain : What, Where, and to What End ? », (2010) 7 Canadian Journal of Law & Technology 221 ; voir aussi GUIBAULT (Lucie) et al. (réd.), « The Future of the Public Domain : Identifying the Commons in Information Law » (The Hague : Kluwer, 2006) ; LITMAN (Jessica), « The Public Domain », (1990) 39 Emory Law Journal 965 ; GASAWAY (Laura L.), « A Defense of the Public Domain : A Scholarly Essay », (2009) 101 Law Library Journal 451 ; voir aussi un article moins récent de LANGE (David), « Recognizing the Public Domain », (1982) 44 Law & Contemporary Problems 147. 7. Loi, supra, note 1, art. 6. 8. Ibid., par. 3(1). 9. Sur la dichotomie idée-expression, voir GOLDSTEIN (Paul), « Copyright’s Commons », (2005) 29 Columbia Journal of Law & Arts 1. 10. Loi, supra, note 1, art. 2 ; voir aussi COHEN (Julie E.), « Copyright, Commodification, and Culture : Locating the Public Domain » 121, dans GUIBAULT (Lucie) et al. (réd.), « The Future of the Public Domain : Identifying the Commons in Information Law » (The Hague : Kluwer, 2006). Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1233 sant l’interprète de ces différentes règles et doctrines11. À cet égard, la Commission a déployé beaucoup d’efforts et pris son rôle au sérieux. En ce qui concerne l’utilisation équitable par exemple, elle a été la première instance à appliquer l’arrêt CCH12. On peut soutenir que, ce faisant, la Commission a su faire preuve de courage et affirmer son autorité, confirmant ainsi qu’elle constitue une partie intégrante du système canadien du droit d’auteur et qui, comme la Cour d’appel fédérale l’a reconnu, « est mieux placée que notre Cour pour trouver un juste équilibre entre les intérêts des titulaires de droit d’auteur et les usagers »13. Cette fonction d’équilibriste est ainsi liée aux principaux objectifs du droit d’auteur (c.-à-d. récompenser les créateurs et faire en sorte que l’investissement dans l’innovation soit protégé tout en assurant aux utilisateurs un accès à une variété d’œuvres, tout ceci dans l’intérêt public) et ressort clairement des nombreuses décisions de la Commission qu’il y a lieu d’examiner de plus près. En vue de cet examen, nous traiterons de l’application, par la Commission, de l’exception relative à l’utilisation équitable et de la doctrine de la « partie importante », à la gestion collective et aux questions relatives aux titulaires introuvables, qu’on aborde souvent sous l’angle des « œuvres orphelines ». Nous examinerons les dispositions législatives, la jurisprudence et la doctrine pertinentes, ainsi que des décisions publiées et les avis informels de la Commission. Les conclusions pourraient aussi valoir de façon plus large pour le système canadien de gestion du droit d’auteur en ce qui concerne l’octroi de licences et l’établissement de tarifs. 2. APPROPRIATION D’UNE PARTIE IMPORTANTE L’importance de l’analyse relative à l’appropriation d’une partie importante (ou « appropriation substantielle ») découle en partie du fait qu’elle précède logiquement toute analyse relative à l’utilisation équitable ou aux œuvres orphelines. La Commission est 11. Les pouvoirs qui sont conférés à la Commission se trouvent à la partie VII de la Loi. 12. Tarif 22.A de la SOCAN (Internet – Services de musique en ligne) 1996-2006 (18 octobre 2007), décision de la Commission du droit d’auteur du Canada, en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2007/20071018-m-e.pdf> [Tarif 22.A] Pour une analyse, voir D’AGOSTINO (Giuseppina) « Healing Fair Dealing ? A Comparative Copyright Analysis of Canada’s Fair Dealing to U.K. Fair Dealing and U.S. Fair Use », (2008) 53 McGill L.J. 309. 13. Canadian Assn. of Broadcasters v. Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada, (1994) 58 C.P.R. (3d) 190, 196 (C.A.F.). 1234 Les Cahiers de propriété intellectuelle d’ailleurs de plus en plus consciente de son intérêt. Cette doctrine est au cœur des règles du droit d’auteur. Pourtant, les experts du domaine en général, et les milieux universitaires et judiciaires en particulier, s’y sont assez peu intéressés. En conséquence, la notion de partie importante semble souffrir d’une certaine incohérence – fruit de l’imprécision d’une norme juridique14. Pour Timothy Endicott et Michael Spence, la jurisprudence de différents pays (p. ex. le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis) en la matière est incohérente au « sens faible » et donne lieu à diverses interprétations contradictoires, ou inconciliables. Dans le contexte canadien, le titulaire du droit d’auteur contrôle ce qui peut être fait ou non à l’égard de la totalité ou d’« une partie importante » de son œuvre quant à tous les droits que la Loi lui confère15. Le tiers qui, sans permission, se livre à une utilisation protégée d’une partie importante d’une œuvre se livre à une contrefaçon. À l’inverse et par voie de conséquence, l’utilisation d’une partie non importante de l’œuvre échappe à la protection. La Loi ne précise pas ce qu’il faut entendre par « partie importante ». Les tribunaux considèrent que c’est là une question de fait et de degré ou encore d’impression16. Aux États-Unis, la notion de partie importante se rattache à celle de « similitude importante » et s’applique parallèlement à la défense séculaire de minimis17. Ce moyen de défense a toutefois été rarement utilisé seul pour repousser une accusation de contrefaçon, étant reléguée à un rôle ambigu parmi d’autres doctrines plus en vue du droit d’auteur18. On a dit aussi qu’une partie importante n’est pas une parcelle. Selon David Vaver, [TRADUCTION] « le titulaire du droit d’auteur ne peut [...] contrôler chaque parcelle de son œuvre, chaque petite pièce dont l’appropriation ne peut avoir une incidence sur la valeur de l’œuvre vue dans son ensemble »19. L’appropriation d’une parcelle 14. ENDICOTT (Thimothy A.O.) et al., « Vagueness in the Scope of Copyright », (2005) 121 Law Quarterly Review 658 [ENDICOTT]. 15. Loi, supra, note 1, art. 3, 15, 18, 21. 16. Barrett Property Group Pty Ltd. c. Metricon Homes Pty Ltd., [2007] FCA 1509 (C.F. Australie), par. 21, 39. De la même façon, la Cour suprême du Canada a décrit l’appropriation d’une partie importante comme l’appropriation de « l’essence » de l’œuvre, laquelle est « surtout une question de degré » (voir Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363, par. 38, 40). 17. C.-à-d. de minimis non curat lex : « la loi ne se soucie pas des bagatelles ». 18. INESI (Andrew). Inesi, « A Theory of De Minimis and a Proposal for its Application in Copyright », 21 Berkeley Technology Law Journal 945. 19. VAVER (David), Copyright Law, (Toronto : Irwin Law, 2000), p. 144 [VAVER]. Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1235 n’emporte pas violation puisque la parcelle fait partie du domaine public et que tous peuvent l’utiliser. Toutefois, la distinction théorique entre partie et parcelle s’avère souvent extrêmement difficile à appliquer en pratique20. 2.1 Partie importante et titulaires introuvables 2.1.1 Contexte Règle générale, la personne qui souhaite utiliser une œuvre dont le titulaire est introuvable est confrontée à une alternative : utiliser l’œuvre (et risquer la contrefaçon) ou s’abstenir de le faire. Pour aider à atténuer ce problème, le Canada a adopté un régime visant les « œuvres orphelines »21. L’article 77 de la Loi prévoit les circonstances dans lesquelles la Commission peut délivrer une licence autorisant l’utilisation d’une œuvre dont le titulaire est introuvable. Aux termes de la disposition, il incombe au demandeur de démontrer (1) qu’il a fait son possible, dans les circonstances, pour retrouver le titulaire et (2) que celui-ci est introuvable. Pour évaluer la suffisance des efforts de recherche, la Commission applique un critère qui varie en fonction des circonstances. De plus, elle compte sur les sociétés de gestion pour l’aider à localiser les titulaires. Cela dit, la Commission a affirmé clairement qu’un titulaire qu’on a rejoint mais qui n’a pas répondu n’est pas introuvable22. Une fois ces exigences remplies, la Commission peut, à son gré, délivrer une licence non exclusive autorisant l’utilisateur à accomplir un acte protégé, selon les modalités qu’elle peut imposer23. Ces modalités peuvent concerner « les questions de la territorialité, de la durée, de la rétroactivité, du taux des redevances et de leur paiement, des mentions relatives au droit d’auteur, ainsi que du caractère annulable et de la cessibilité de la licence »24. Depuis 1990, la Commission a été saisie de centaines de demandes de licences pour utilisation d’œuvres orphelines et a élaboré une approche systématique en la matière25. 20. Ibid., p. 3. 21. DE BEER (Jeremy) et al., Le régime canadien des « œuvres orphelines » : les titulaires de droit d’auteur introuvables et la Commission du droit d’auteur (1er décembre 2008), Ottawa, p. 6, <http://www.cb-cda.gc.ca/about-apropos/201011-19-nouvelleetude.pdf>. [DE BEER]. 22. Ibid. 23. Ces droits sont prévus aux articles 3, 15, 18 et 21 de la Loi. 24. DE BEER, supra, note 21, p. 3. 25. Ibid., p. 3, 9 et 10. Il n’existe aucune décision judiciaire canadienne portant sur l’octroi de licences à l’égard d’œuvres orphelines. Cela dit, la Commission a ouvert plus de 400 dossiers concernant environ 12 500 œuvres orphelines entre 1990 et 1236 Les Cahiers de propriété intellectuelle S’agissant de l’applicabilité de l’article 77, la Commission souligne que la délivrance d’une licence est soumise à des conditions implicites ou non prévues par la Loi. En premier lieu, aucune licence ne peut être délivrée pour des œuvres du domaine public, étant donné que leur utilisation n’est pas subordonnée à l’obtention d’une licence. Il en résulte souvent de l’incertitude, étant donné la difficulté de déterminer si l’œuvre se trouve réellement dans le domaine public. En deuxième lieu, la licence ne peut être octroyée que si elle est nécessaire – en d’autres termes, si l’utilisation concerne une partie importante de l’œuvre et ne bénéficie pas d’une exception (p. ex. si elle constitue une utilisation équitable à une fin énumérée). En troisième lieu, la licence ne sera valide que pour l’utilisation de l’œuvre au Canada puisque les pouvoirs de la Commission sont géographiquement limités26. En quatrième lieu, la licence doit avoir une date d’expiration puisque la Loi prévoit que les recours du titulaire s’éteignent cinq ans après l’expiration de la licence. La Commission dispose aussi d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour l’application de l’article 77. Se substituant au titulaire, elle n’accordera pas la licence si elle est convaincue que ce dernier n’aurait pas donné son consentement. Il peut toutefois arriver que la Commission se refuse à refléter les volontés du titulaire. Par exemple, une licence ne sera pas accordée si l’utilisation envisagée est socialement inacceptable, même si l’on sait que l’auteur autorisait ce type d’utilisations (p. ex. des utilisations à des fins antisémites). C’est donc dire que l’intérêt public peut l’emporter sur les désirs supposés d’un auteur27. Une grande partie des demandes fondées sur l’article 77 sont réglées de manière informelle, le demandeur étant informé qu’une licence n’est pas nécessaire ou ne peut être délivrée. Ainsi, il arrive souvent que la Commission refuse de délivrer une licence parce que l’utilisation envisagée ne concerne pas une partie importante de l’œuvre28. Par exemple, la Société Alzheimer du Canada a demandé 2008. La moitié des demandes ont donné lieu à l’octroi d’une licence. En conséquence, la Commission a accumulé des décisions qui ont créé « des pratiques uniformes fondées sur sa propre interprétation du régime » et ont rempli « la fonction de précédents non officiels dont la Commission s’inspire pour se prononcer sur les demandes dont elle est saisie ». 26. BOUCHARD (Mario), « Le régime canadien des titulaires de droits d’auteur introuvables », (2010) 22(3) Cahiers de Propriété Intellectuelle 483, 498. 27. Ibid. 28. Peu d’études ont été menées sur cette question. L’étude DE BEER, supra, note 21, est la plus importante jusqu’à maintenant. Une étude précédente, CARRIÈRE (Laurent), « Unlocatable Copyright Owners : Some Comments on the Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1237 une licence en 1991 afin d’incorporer deux citations tirées d’un article dans un bulletin devant être expédié aux donateurs éventuels. La Société a été informée qu’une licence n’était pas nécessaire parce que les extraits ne constituaient pas une partie importante de l’article29. Un examen des décisions de la Commission révèle que la nature commerciale ou non commerciale de l’utilisation peut influer sur son appréciation de l’importance de l’emprunt. Dès lors qu’elle décide d’accorder une licence, la Commission suit deux approches en ce qui concerne les redevances éventuellement payables au titulaire du droit d’auteur. La première est l’approche conditionnelle, selon laquelle l’utilisateur paie seulement si le titulaire réclame des redevances. C’est l’approche généralement retenue dans les cas d’utilisations mineures ou lorsqu’il est fort probable que l’œuvre appartienne au domaine public. Suivant la deuxième approche – non conditionnelle –, l’utilisateur doit payer des redevances directement à une société de gestion qui s’engage à les remettre au titulaire si celui-ci se manifeste30. 2.1.2 Décisions de la Commission La quantité et la qualité de l’appropriation sont des facteurs prédominants dont la Commission tient compte pour déterminer si une partie importante d’une œuvre protégée est en cause. Dans l’affaire Pointe-à-Callière31, la Commission, examinant les aspects quantitatif et qualitatif de l’appropriation, a déterminé que l’utilisation ne constituait pas une appropriation importante justifiant l’octroi d’une licence. Sur le plan quantitatif, elle a conclu que l’utilisation de 400 mots tirés de deux livres totalisant plus de 175 pages (soit un pour cent des œuvres) n’était pas importante. De plus, les citations étaient éparses et ne formaient pas un tout cohérent. Pour apprécier l’importance de l’emprunt sur le plan qualitatif, la Commission s’est attachée à trois facteurs : (i) la transformation de l’œuvre devant découler de l’utilisation ; (ii) la question de savoir Licensing Scheme of Section 77 of the Canadian Copyright Act », in « Owners who cannot be located », in Robic-Léger, Canadian Copyright Act Annotated, (Toronto : Carswell, 1993), mise à jour, renferme un tableau indiquant le type d’utilisation visée par chaque demande fondée sur l’article 77 qui a été présentée depuis 1990. 29. Le 23 juillet 1991. La Commission a informé la Société par lettre et celle-ci a mis fin à l’affaire. 30. DE BEER, supra, note 21. 31. Pointe-à-Callière (29 mars 2004), décision de la Commission du droit d’auteur, en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/unlocatable-introuvables/other-autre/1-b.pdf>. 1238 Les Cahiers de propriété intellectuelle si la partie utilisée pouvait remplacer l’œuvre sur le marché ; (iii) la nature distinctive de la partie utilisée32. Elle a indiqué qu’il s’agissait d’extraits d’entrevues qui ne constituaient pas l’élément central de l’œuvre originale, que l’utilisation envisagée n’amènerait personne à les assimiler à l’œuvre originale et que cette utilisation ne réduirait en rien le marché d’une éventuelle réédition33. Elle a souligné que, si aucun de ces critères n’était déterminant, ils indiquaient, lorsque pris dans leur ensemble, une absence de substantialité sur le plan qualitatif. En analysant la substantialité de cette façon, la Commission a en fait écarté la notion selon laquelle la citation constitue, par définition, une partie importante, ainsi que le voulait le critère pratique rudimentaire établi dans University of London Press, Ltd. c. University Tutorial Press, Ltd.34, à savoir que, prima facie, ce qui vaut la peine d’être copié vaut la peine d’être protégé. La Commission a écarté cet aphorisme au motif qu’il est juridiquement absurde. Une citation ne peut être « qualitativement important[e] » du seul fait que quelqu’un veut s’en servir. Il en découlerait que toute citation faite sans la permission du titulaire serait prima facie une contrefaçon35. Dans cette affaire, la Commission a agi avec vigilance en mettant en balance les différents aspects du droit d’auteur et en clarifiant des concepts utiles et inutiles du domaine qui pourraient mener à des résultats pervers. Dans Breakthrough Films & Television36, la Commission donne deux points de vue sur la question de savoir ce qui constitue une partie importante et traite des facteurs connexes. Dans cette affaire, une compagnie de production télévisuelle cherchait à utiliser un extrait d’une autobiographie du sergent Charles Monroe Johnson, mais avait été incapable de retrouver ses ayants droit. Breakthrough s’est alors adressée à la Commission. Les membres majoritaires ont accordé la licence, estimant notamment que les 325 mots du livre de 342 pages incorporés dans un film, où la narration de ces passages durait cinq minutes dans un documentaire historique de 45 minutes sur la Deuxième Guerre mondiale, constituaient une partie importante du livre. Une licence était donc nécessaire. Selon le raisonnement de la majorité, l’analyse 32. 33. 34. 35. 36. Ibid., p. 3. Ibid. [1916] 2 Ch. 601, p. 610 [University of London Press]. Pointe-à-Callière, supra, note 31, p. 3. Breakthrough Films & Television (10 mai 2005), décision de la Commission du droit d’auteur, en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/unlocatable-introuvables/ licences/156r-b.pdf> [Breakthrough]. Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1239 de la quantité seule n’était pas déterminante au regard du caractère important. S’appuyant sur l’arrêt Édutile37 de la Cour d’appel fédérale, la majorité a axé son analyse sur la qualité et la nature du matériel reproduit. Elle a conclu que, bien que les parties extraites de l’ouvrage aient été quantitativement faibles comparativement à l’ensemble du livre, elles constituaient une partie importante d’un point de vue qualitatif. Breakthrough s’était servie de la perspective personnelle de l’auteur sur les faits et de « ses connaissances, [de son] temps et [de son] talent »38. Les extraits étaient tirés d’un même chapitre, étaient repris mot à mot et « conf[éraient] une vraisemblance à la bataille décrite dans le documentaire »39. La majorité a considéré que le fait que les extraits provenaient du même chapitre et, fait important, étaient utilisés de la même manière autobiographique que dans l’original (c.-à-d. la narration des extraits était faite par une personne qui relatait l’histoire du sergent en le personnifiant) permettait de conclure à l’appropriation d’une partie importante de l’œuvre40. Par contre, les membres dissidents auraient statué que Breakthrough n’avait pas besoin d’une licence puisqu’elle n’utilisait pas une partie importante de l’œuvre. D’un point de vue quantitatif, ils ont conclu que l’utilisation de 0,3 % de l’œuvre était négligeable. Citant Vaver, ils ont dit qu’un titulaire du droit d’auteur « ne peut avoir le contrôle sur toutes les parcelles de son œuvre »41. En outre, ils ont considéré que la conclusion de la majorité selon laquelle l’utilisation concernait une partie importante de l’œuvre était contraire à la décision rendue par la Commission dans Pointe-à-Callière42. Après avoir appliqué aux faits une liste de facteurs qualitatifs semblable à celle dressée par Vaver43, les membres dissidents ont conclu que les extraits choisis ne portaient pas la marque du niveau 37. Édutile inc. c. Association pour la protection des automobilistes (APA), [2000] 4 C.F. 195 (C.A.F.), par. 22. « Pour déterminer si une « partie importante » d’une œuvre protégée a été reproduite, ce n’est pas tant la quantité de ce qui a été reproduit qui compte, que la qualité et la nature de ce qui a été reproduit [...] Ce serait réduire indûment la protection accordée au droit d’auteur que de s’arrêter à un simple calcul de pourcentages ou de proportions aux fins de déterminer s’il y a eu violation. Une partie, en matière de droit d’auteur, peut être aussi importante que le tout [...] » 38. Breakthrough, supra, note 36, p. 6. 39. Ibid. 40. Ibid. 41. Ibid., p. 14. 42. Pointe-à-Callière, supra, note 31. 43. VAVER, supra, note 19, p. 144. 1240 Les Cahiers de propriété intellectuelle d’ingéniosité ou d’inventivité requis ; ils ne faisaient que relater des faits et des événements tragiques et ne représentaient pas une caractéristique essentielle de l’œuvre. Pour ces membres, le fait d’accorder une licence pour une partie non importante d’une œuvre était contraire aux principes sous-tendant la Loi et pouvait donner l’impression aux titulaires que les parties insignifiantes d’une œuvre sont protégées par le droit d’auteur ou que des parties qui seraient autrement insignifiantes sont importantes44. 2.2 L’appropriation substantielle et les tarifs La Commission est de plus en plus souvent aux prises avec des processus d’établissement de tarifs très controversés dans divers secteurs du droit d’auteur, comme le cinéma, la musique et l’édition. En raison des progrès technologiques et du nombre croissant de nouvelles utilisations d’œuvres existantes, des tarifs sont souvent demandés en guise de compensation. 2.2.1 Tarif no 24 de la SOCAN (Sonneries) 2003-200545 Les sonneries constituent l’une des innovations récentes dans le domaine de la consommation de musique, et la Commission a été appelée à examiner la possibilité d’établir un tarif. Les parties n’avaient pas soulevé directement la question de savoir si une sonnerie constitue une partie importante d’une œuvre musicale ; l’une d’elles avait même prié la Commission de ne pas en traiter. Celle-ci a néanmoins estimé qu’il importait de trancher cette question parce que celle-ci était essentielle pour déterminer s’il existait un droit susceptible de protection en vertu de la Loi46 et qu’elle disposait d’une preuve suffisante pour se prononcer sur le sujet. Dans le cadre de son analyse de la doctrine de l’appropriation substantielle, la Commission s’est référée à la décision Canadian National Exhibition47 pour faire ressortir l’importance du caractère 44. Breakthrough, supra, note 36, p. 17. 45. Tarif no 24 de la SOCAN (Sonneries) 2003-2005 (18 août 2006), décision de la Commission du droit d’auteur du Canada, en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/ decisions/2006/20060818-m-f.pdf> [Sonneries]. 46. Ibid., par. 38. 47. Canadian Performing Rights Society Ltd. c. Canadian National Exhibition Association, [1934] O.R. 610 (H.C. Ont.). Dans cette affaire, la Cour s’est appuyée sur Hawkes and Son (London) Ltd. c. Paramount Film Services Ltd., [1924] 1 Ch. D. 593 (C.A. R.-U.), une affaire qui concernait un film pendant lequel on entendait de manière accessoire 20 secondes reconnaissables de la Colonel Bogey’s March. Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1241 distinctif48. Appliquant cette décision aux faits en l’espèce, la Commission a statué que, sur le plan quantitatif, une sonnerie qui utilise 30 secondes d’une chanson qui dure de trois à cinq minutes pourrait constituer une partie suffisamment importante, étant donné que le refrain ou l’élément accrocheur dure au plus une minute. D’un point de vue qualitatif, la Commission a indiqué que, étant donné qu’une sonnerie vise à promouvoir une chanson, « [l]es entreprises de télécommunications sans fil n’auraient [...] qu’une faible motivation économique à proposer une sonnerie reproduisant une partie négligeable et, partant, non reconnaissable d’une œuvre musicale »49. Par conséquent, la nature de la sonnerie suppose nécessairement l’utilisation d’une partie importante de l’œuvre50. La Commission a ainsi été en mesure de passer à l’étape suivante de l’analyse, où elle a finalement conclu qu’il y avait eu communication au public par télécommunication d’une partie importante de l’œuvre. Il importe de souligner qu’à l’occasion d’un contrôle judiciaire la Cour d’appel fédérale a fait montre de déférence à l’égard de la façon dont la Commission avait interprété ces questions51. 2.2.2 Services de radio par satellite52 Cette affaire avait trait à une demande de tarif présentée par la SOCAN, la SCGDV et CSI pour l’utilisation de leur répertoire par des services de radio satellitaire par abonnement, à laquelle s’opposaient Sirius et Canadian Satellite Radio (XM). S’agissant des questions juridiques, tous avaient convenu que la SOCAN et la SCGDV avaient droit à des redevances et qu’il n’y avait aucune question de droit à trancher à ce sujet. La demande de redevances de CSI 48. 49. 50. 51. 52. La Cour d’appel du Royaume-Uni a statué que, même s’il s’agissait d’une petite partie du film qui ne durait que 20 secondes, l’extrait constituait une partie importante de l’œuvre (dont l’utilisation violait donc le droit d’auteur) parce que n’importe qui pouvait la reconnaître. Cette décision ne fait plus autant autorité au Canada puisque la Loi a été modifiée afin de prévoir que l’incorporation incidente, non délibérée, d’une œuvre ne constitue pas une violation du droit d’auteur (voir l’article 30.7). Son analyse de la doctrine de la partie importante reste toutefois pertinente. Sonneries, supra, note 45, par. 43. Ibid., par. 46. Cette conclusion est étayée également à la lumière des facteurs décrits par D. VAVER, Copyright Law, supra, note 19, p. 144. Assoc. canadienne des télécommunications sans fil c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (C.A.F.), [2008] 3 R.C.F. 539 <http:// reports.fja.gc.ca/fra/2008/2008caf6.html>. Services de radio par satellite (8 avril 2009), décision de la Commission du droit d’auteur du Canada, en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2009/ 20090408-m-b.pdf> [Services de radio par satellite]. 1242 Les Cahiers de propriété intellectuelle pour la reproduction d’œuvres musicales à laquelle les services semblaient se livrer soulevait cependant quatre questions de droit, dont celle de savoir si le stockage d’un tampon de quatre à six secondes dans la mémoire vive incorporée au dispositif de réception de l’utilisateur du service constituait une partie importante de l’œuvre protégée. En gros, le dispositif de réception crée un tampon en défilement de fragments séquentiels des œuvres musicales, où chaque octet de données entre dans la mémoire vive et en sort selon le principe du « premier entré, premier sorti »53. CSI soutenait que le cumul du contenu séquentiel du tampon équivalait à une copie de l’œuvre complète54. Pour leur part, les services par satellite faisaient valoir que ce stockage transitoire séquentiel de petites portions ne constituait pas l’appropriation d’une partie importante de l’œuvre musicale55. Dans son raisonnement, la Commission a renvoyé à U & R Tax Services Ltd.56, l’arrêt faisant autorité sur la façon d’évaluer la substantialité de l’emprunt. Cet arrêt établit qu’une analyse de la substantialité doit donner plus d’importance à la qualité des parties empruntées qu’à leur quantité, une question de fait qui doit être tranchée en fonction de l’ensemble des circonstances de l’espèce57. La Commission a indiqué qu’un tampon en défilement ne permet en aucun temps à l’abonné d’accoler une série de clips de quatre à six secondes qui, réunis, constituent une partie importante de l’œuvre. En outre, l’abonné ne peut jamais choisir ce qui entre dans le tampon ou ce qui en sort. La Commission a conclu que le tampon de quatre à six secondes ne répondait pas à l’exigence d’importance58. Elle a appliqué la même conclusion aux services de transmission par Internet qui comportaient un tampon semblable de dix secondes assurant une écoute en douceur59. Par contre, toutes les parties ont convenu qu’un « tampon prolongé », qui permet à l’abonné d’enregistrer la programmation pour en profiter ultérieurement (c.-à-d. de suspendre et de rembobiner) constituerait une reproduction d’une partie importante ; la seule question à trancher à cet égard était de savoir si les services autorisaient la reproduction60. 53. 54. 55. 56. 57. 58. 59. 60. Ibid., par. 83. Ibid., par. 88. Ibid., par. 86. U & R Tax Services ltd. c. H & R Block Canada inc., (1995) 62 C.P.R. (3d) 257 (C.F.P.I.). Services de radio par satellite, supra, note 37, par. 96. Ibid., par. 97, 98. Ibid., par. 108. Ibid., par. 109. Bien que la fonction dite de tampon prolongé soit tributaire de la décision de l’abonné de l’utiliser, la Commission a conclu que les services par Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1243 2.3 Conclusions sur la partie importante L’examen des décisions qu’elle a rendues sur la question du caractère important permet de constater que la Commission a adopté une approche assez uniforme. Elle établit les faits de chaque affaire, évaluant la quantité et la qualité de l’emprunt. Se fondant sur les décisions de justice en la matière, elle semble mettre l’accent sur l’évaluation qualitative. Il en découle que ses décisions varient inévitablement selon les faits. Ainsi, lorsqu’on compare les décisions Pointe-à-Callière et Breakthrough, les conclusions sont divergentes car ces affaires comportent des faits différents, en particulier au regard du caractère transformatif ou non de l’utilisation des extraits en cause ; dans Pointe-à-Callière, l’utilisation envisagée était très différente de l’originale – des extraits de deux livres étaient exposés dans un musée – alors que, dans Breakthrough, les extraits provenaient d’un même chapitre d’une œuvre autobiographique et avaient été utilisés aux fins d’une narration autobiographique par une personne qui personnifiait le sujet même du livre original. Dans Sonneries, les extraits correspondaient à l’élément accrocheur de l’œuvre originale et incitaient le consommateur à faire un choix et un achat, de sorte que la partie de l’œuvre visée était importante, alors que dans Services de radio par satellite, le stockage d’un tampon de quatre à six secondes dans une mémoire vive incluse dans l’appareil de réception de l’abonné du service ne permettait pas réellement à ce dernier de choisir les parties qui l’intéressaient. Dans l’ensemble, le cadre juridique de la Commission pour l’analyse de la substantialité comporte trois paramètres directeurs : (1) ce qui a été utilisé (quantité, caractère distinctif) ; (2) le contexte (commercial, non commercial, substituabilité) ; (3) la nature de l’utilisation (transformative ou non). Contrairement à l’approche restrictive adoptée par les tribunaux britanniques61, l’approche contextuelle privilégiée par la Commission permet de prendre en compte non seulement ce qui a été utilisé, mais aussi le contexte de l’utilisation, y compris ce qu’on a fait de l’œuvre. Elle permet aussi de prendre en compte la notion de plus en plus importante d’œuvre satellite encourageaient activement l’utilisation de cette fonction et exerçaient un contrôle direct sur la programmation de ce type de fonction. Ainsi, en application de la décision SOCAN c. ACFI, [2004] 2 R.C.S. 427 [SOCAN], les services par satellite avaient autorisé la reproduction par les utilisateurs en leur fournissant les fonctions d’enregistrement du tampon prolongé (voir Services de radio par satellite, supra, note 52, par. 113). 61. Voir ENDICOTT, supra, note 3, p. 10-11. Les tribunaux britanniques ont adopté une approche plutôt restrictive dans le cadre de l’analyse de la substantialité, s’en tenant au talent et au travail de l’auteur. 1244 Les Cahiers de propriété intellectuelle transformative, lorsque l’utilisateur transforme ce qu’il s’approprie au point de faire une nouvelle œuvre. Ainsi, l’appropriation directe du plan distinctif d’une maison pourrait être considérée comme l’utilisation d’une partie importante, tout comme celle de quelques mesures du refrain d’une œuvre musicale. Par contre, ce ne serait pas le cas de l’utilisation de quelques notes dans le cadre d’un concours consistant à deviner le titre d’une chanson car les utilisateurs doivent disposer d’une certaine marge de manœuvre pour créer. D’un point de vue de politique générale, cette approche permet la création, évite d’encourager une culture de prudence excessive incitant les utilisateurs à demander une licence lorsqu’ils envisagent d’utiliser une œuvre à des fins par ailleurs autorisées par crainte de représailles de la part du titulaire de droits et, au bout du compte, offre à la Commission les paramètres directeurs dont elle a besoin pour rendre ses décisions. La recherche d’équilibre privilégiée par la Commission fait aussi en sorte que les marchés viables des œuvres protégées ne sont pas supplantés parce que la Commission interprète trop largement ce qui n’est pas important, comme cela aurait été le cas dans Sonneries si la Commission avait rendu une décision différente. Il était d’ailleurs révélateur que la Commission ait décidé de traiter du caractère important malgré certaines résistances puisque ce premier principe des règles de droit d’auteur était essentiel pour déterminer s’il existait un droit susceptible de protection et, du même coup, un droit monnayable sur le marché. 3. UTILISATION ÉQUITABLE 3.1 Contexte Au Canada, la doctrine de l’utilisation équitable est expressément inscrite dans la Loi, qui énumère cinq fins pouvant en faire l’objet : étude privée ou recherche (art. 29), critique ou compte rendu (art. 29.1) et communication des nouvelles (art. 29.2). Selon l’arrêt CCH, l’utilisation équitable est permise si l’utilisation envisagée (1) vise une des fins énumérées ; (2) est « équitable » ; (3) dans le cas des quatre dernières fins énumérées, la source est mentionnée de manière suffisante. L’arrêt dresse aussi une liste non exhaustive de six facteurs pouvant servir à évaluer le caractère équitable d’une utilisation. En outre, il sanctionne une interprétation libérale de l’utilisation équitable afin de conférer un droit d’utilisation d’une partie importante ou de la totalité d’une œuvre sans permission ou compensation du titulaire de droits, à l’intérieur de certaines limites. Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1245 3.2 Décisions de la Commission Le cadre d’analyse mis au point dans CCH a été peu utilisé par les tribunaux depuis62. Pour la Commission, pour qui « [l]’arrêt CCH constitue désormais le point de départ obligé de toute analyse de la notion d’utilisation équitable »63, c’est tout le contraire. En effet, tout juste après CCH, la Commission a examiné la doctrine de l’utilisation équitable même si celle-ci n’était pas invoquée par les parties. 3.2.1 Veille médiatique (29 mars 2005)64 Dans cette affaire, la Commission a homologué des tarifs déposés par l’Agence des droits des radiodiffuseurs canadiens pour l’utilisation des émissions et des signaux de communication de ses membres par les entreprises et services non commerciaux de veille médiatique. Ces entreprises et services surveillent systématiquement les sources d’information dans le but d’offrir à leurs clients des informations qui les intéressent. Ils fournissent des extraits, des transcriptions et d’autres formes d’information concernant des émis62. (1) Dans SOCAN, supra, note 60, la Cour suprême a souligné que, sous le régime de la Loi, les droits du titulaire et les restrictions y afférentes doivent être considérés de pair et recevoir « l’interprétation juste et équilibrée que commande une mesure législative visant à remédier à un état de fait » (tiré de CCH, supra, note 4, par. 48 – voir SOCAN, supra, note 60, par. 88). Dans cette affaire, elle a indiqué que l’exception relative à la violation du droit d’auteur prévue à l’alinéa 2.4(1)b) « n’est pas une échappatoire, mais un élément important de l’équilibre établi par le régime législatif en cause » (par. 89). (2) Dans Canwest Mediaworks Publications inc. c. Horizon Publications ltd., 2008 BCSC 1609, Canwest avait prétendu que la publication par Horizon d’un pastiche du Vancouver Sun constituait une contrefaçon. Horizon faisait valoir que la publication était une parodie et qu’elle ne devait pas donner lieu à une violation du droit d’auteur car il s’agissait d’une utilisation équitable aux fins de critique au sens de l’article 29.1. Le protonotaire A. Donaldson a rejeté ce moyen de défense en se fondant sur l’arrêt Michelin (Cie générale des établissements Michelin – Michelin & Cie c. TCA-Canada, [1997] 2 C.F. 306) au soutien de la proposition selon laquelle une parodie n’est pas une exception à la violation du droit d’auteur et ne constitue pas un moyen de défense. Bien que cette décision ait été rendue après CCH, il n’y avait, dans les motifs du protonotaire, aucune mention de l’analyse relative à l’utilisation équitable effectuée par la Cour suprême du Canada dans cet arrêt. 63. Access Copyright (Établissements d’enseignement) 2005-2009 (26 juin 2009), décision de la Commission du droit d’auteur du Canada, en ligne : <http://www.cbcda.gc.ca/decisions/2009/Access-Copyright-2005-2009-Schools.pdf> [Access Copyright]. 64. Veille médiatique 2000-2005 (29 mars 2005), décision de la Commission du droit d’auteur du Canada, en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2005/ 20050329-mv-b.pdf> [Veille médiatique]. 1246 Les Cahiers de propriété intellectuelle sions de radio et de télévision. Pour ce faire, ils doivent reproduire les émissions et fixer les signaux de communication qui les transportent. Dans les deux cas, ils doivent obtenir une licence. Souvent, des sommaires et des survols suffisent pour tenir les clients informés. Les entreprises de veille médiatique tirent une partie importante de leurs revenus de ces activités, qui ne requerraient pas de licence. Cependant, comme ces sommaires et survols ne peuvent être préparés sans qu’on ait fixé au préalable les émissions et les signaux des radiodiffuseurs, les licences essayaient de tenir compte de cette activité en prévoyant le paiement de redevances sur l’ensemble des revenus tirés de l’utilisation des œuvres ou des signaux, même si cette utilisation ne requiert peut-être pas en elle-même une licence 65. Si elle n’a pas déterminé la mesure dans laquelle l’utilisation du répertoire par les entreprises et services de veille pouvait constituer une utilisation équitable, la Commission a néanmoins abordé l’applicabilité éventuelle de la doctrine. Elle a fait expressément référence à deux principes énoncés dans CCH : « la recherche effectuée pour réaliser des profits peut constituer une utilisation équitable » et « la personne qui facilite l’utilisation équitable d’une autre personne peut avoir droit à la même protection en vertu de la Loi que cette dernière »66. De plus, elle a estimé que « certaines activités de veille [peuvent] constituer de la recherche ou de la facilitation de recherche pouvant constituer, à leur tour, une utilisation équitable »67. Par conséquent, « [j]usqu’à ce que des décisions éventuelles viennent clarifier la portée de l’arrêt CCH, cela laisse entrevoir la possibilité que certaines activités exercées par les entreprises de veille puissent ne pas constituer des utilisations protégées à l’égard desquelles elles devraient obtenir une licence »68. Cette décision fait ressortir à la fois le lien direct qui existe entre l’utilisation équitable et l’octroi de licences et à quel point la Commission est consciente de cette dynamique. La Commission ne disposait d’aucune preuve dans cette affaire qui lui permettait d’évaluer l’utilisation équitable, mais elle a laissé ouverte la possibilité d’invoquer un moyen de défense fondé sur l’utilisation équitable pour la recherche à but lucratif et n’a pas semblé limiter son raisonnement. 65. 66. 67. 68. Ibid., p. 5. Ibid., p. 9. Ibid., p. 10. Ibid., p. 9. Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1247 3.2.2 Tarif 22.A de la SOCAN (Internet – Services de musique en ligne)69 De manière générale, le Tarif 22 devait viser la communication d’œuvres musicales « au moyen de transmissions Internet ou autres moyens semblables ». Il visait expressément les services de musique en ligne et la SOCAN avait proposé de percevoir des redevances sur l’écoute préalable des œuvres musicales accessibles en ligne. Dans l’affaire Tarif 22.A, la Commission a examiné l’exception d’utilisation équitable dans le contexte de son examen de l’écoute préalable. Appliquant la norme d’interprétation énoncée dans CCH, la Commission a conclu que l’écoute au préalable d’un extrait musical en vue de décider d’acheter ou non un téléchargement ou un CD constituait une « recherche », soit une fin permise énumérée à l’article 29 de la Loi70. Pour évaluer le caractère équitable, la Commission a appliqué les six facteurs décrits dans CCH. S’agissant du but de l’utilisation, la Commission a indiqué que l’offre d’extraits en écoute préalable pour faciliter la recherche était permise dans la mesure où des « dispositifs de protection raisonnables » étaient en place pour assurer que les utilisations des consommateurs étaient équitables (p. ex. la musique était transmise en continu et était d’une qualité moindre de sorte qu’elle ne remplaçait pas l’original sur le marché)71. S’agissant du caractère de l’utilisation, l’écoute de l’extrait d’une piste en vue de mener à un achat éclairé (ou de faciliter cette activité) a été considérée comme une utilisation équitable. En ce qui concerne le troisième facteur, la Commission a conclu que l’ampleur de l’utilisation de l’œuvre transmise était modeste et qu’aider l’usager à prendre une décision était une utilisation dont on pouvait présumer qu’elle était équitable. Pour ce qui est du quatrième facteur, il n’y avait pas de solution de rechange évidente à l’écoute préalable. Celle-ci était la façon la plus pratique, la plus économique et la plus sûre de faire en sorte que les usagers achètent la musique qu’ils veulent et, comme dans CCH, la possibilité d’obtenir une licence n’était pas pertinente pour décider du caractère équitable d’une utilisation. Enfin, la Commission a considéré simultanément la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre, les cinquième et sixième facteurs. Elle a indiqué que l’offre d’extraits en écoute préalable encourageait les achats, ce qui profitait aux titulaires de droits72. 69. 70. 71. 72. Tarif 22.A, supra, note 12. Ibid., par. 109. Ibid., par. 111-112. Ibid., par. 111-116. 1248 Les Cahiers de propriété intellectuelle La Commission a ajouté que, même si certains usagers pouvaient utiliser l’écoute préalable d’une manière non conforme à l’utilisation équitable, cela n’affectait pas la position des fournisseurs de services, dans la mesure où ils pouvaient établir que « [leurs] propres pratiques et politiques étaient axées sur la recherche et équitables »73. La Commission a ainsi adopté l’interprétation libérale privilégiée dans CCH et a systématiquement appliqué ses six facteurs d’évaluation du caractère équitable de l’utilisation. Comme dans CCH, la Commission a fondé sa décision sur les pratiques du fournisseur de l’information, et non sur celles des utilisateurs finaux, dès lors qu’il existait des « dispositifs de protection raisonnables ». La SOCAN a demandé le contrôle judiciaire de la décision. La Cour d’appel fédérale a confirmé l’interprétation large du mot « recherche » qu’avait donnée la Commission74. Elle a fait remarquer que le législateur n’avait pas apposé expressément de qualificatif restrictif au mot « recherche » dans la Loi (p. ex. recherche « scientifique », recherche « économique »). Le législateur voulait ainsi que la définition du mot « recherche » soit souple, dépende du contexte et assure « un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs »75. En ce qui concerne l’écoute préalable d’extraits d’œuvres musicales, la Cour a statué que « le consommateur est à la recherche d’un objet du droit d’auteur qu’il désire et s’efforce de trouver et dont il veut s’assurer de son authenticité et de sa qualité avant de se le procurer »76. La Cour a convenu avec la Commission que l’écoute préalable aidait le consommateur à trouver ce qu’il cherchait, mentionnant également qu’« [i]l faut examiner l’écoute préalable sous l’angle du consommateur de l’objet du droit d’auteur à qui celle-ci est destinée pour lui permettre de mieux rechercher et trouver l’œuvre musicale qu’il désire »77. La Cour a donc accepté l’interprétation large faite par la Commission, estimant que la recherche constituait une exception énumérée dans la Loi qui, dans cette affaire, incluait l’écoute électronique d’extraits d’œuvres musicales. La Cour a aussi évalué l’analyse faite par la Commission des six facteurs décrits dans CCH au sujet du caractère équitable et a confirmé cette analyse et les conclusions que la Commission en a tirées78. 73. Ibid., par. 116. 74. SOCAN c. Bell Canada, 2010 C.A.F. 123 ; autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada accordée. 75. Ibid., par. 18. 76. Ibid., par. 20. 77. Ibid., par. 22. 78. Ibid., par. 24, 31. Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1249 Selon la Cour, il était surprenant que « la Commission se soit livrée, sans le bénéfice de discussion des parties affectées, à une interprétation de l’exception elle-même ainsi que de son champ d’application »79. De fait, la question de l’utilisation équitable doit être tranchée au cas par cas, ce qui exige que les parties produisent des éléments de preuve – ce qui assure également le respect des principes de l’application régulière de la loi. Il ne faudrait toutefois pas perdre de vue que la Commission n’était pas liée par des règles de preuve ou de procédure particulières (hormis quelques règles contenues dans la Loi et les principes de justice fondamentale)80 et qu’elle jouit de divers pouvoirs d’une cour supérieure d’archives81. Cette flexibilité aurait permis à la Commission de forcer la production d’éléments de preuve ou la comparution de témoins et, ainsi, de tenir compte non seulement des [TRADUCTION] « intérêts immédiats des parties à l’instance, mais aussi plus largement des intérêts du grand public et du fonctionnement du marché des œuvres protégées »82. Comme le public n’est pas officiellement représenté dans les instances devant la Commission, celle-ci a le devoir de faire en sorte que l’intérêt public soit également protégé. La Cour a confirmé la décision de la Commission, tout en soulignant que les parties auraient dû être entendues compte tenu des intérêts socioéconomiques en jeu. 3.2.3 Services de radio par satellite83 Dans cette affaire, il fallait déterminer si les services par satellite pouvaient invoquer la doctrine de l’utilisation équitable pour éviter d’être tenus responsables d’avoir autorisé leurs détaillants affiliés à reproduire des échantillons de contenu d’émissions sur les appareils de réception que les consommateurs pouvaient écouter dans les magasins. Les services invoquaient l’utilisation équitable aux fins d’étude privée ou de recherche, faisant valoir que les échantillons enregistrés avaient pour but de « faciliter la recherche privée d’abonnés potentiels ». La Commission a conclu que cet argument était « forcé et, comme nous le verrons, est aisément rejeté »84. Citant 79. Ibid., par. 11. 80. GERVAIS (Daniel J.), « A Uniquely Canadian Institution : The Copyright Board of Canada », in An Emerging Intellectual Property Paradigm : Perspectives from Canada, dans GENDREAU (Ysolde) réd., ed. (Cheltenham : Edward Elgar, 2008) ; Vanderbilt Public Law Research Paper No. 09-02, p. 211, 216, en ligne : <http://ssrn.com/abstract=1335948> [GERVAIS]. 81. Voir l’article 66.7 de la Loi, supra, note 1. 82. GERVAIS, supra, note 80, p. 216. 83. Services de radio par satellite, supra, note 52. 84. Ibid., par. 117. 1250 Les Cahiers de propriété intellectuelle CCH, elle a souligné que l’utilisation équitable était peut-être devenue un droit des utilisateurs, mais que le fardeau de la preuve incombait toujours à la personne qui le revendique. Or rien dans la preuve présentée par les services n’indiquait que les abonnés éventuels utilisant les fichiers préenregistrés le faisaient à des fins de recherche ou d’étude privée. Bien au contraire, la preuve établissait « que les détaillants utilisent cette fonction pour promouvoir la vente du service »85. Comme la partie à qui incombait le fardeau de la preuve ne s’en est pas acquitté, l’exception d’utilisation équitable ne s’appliquait pas. Ce scénario pourrait sembler rappeler l’écoute préalable d’extraits d’œuvres musicales dont il était question dans la décision Tarif 22.A86 ; cela dit, dans la mesure où les deux types d’activités comportent une forme de magasinage, la Commission a fait une distinction entre les deux affaires au motif que, dans le cas de l’écoute préalable, c’est l’utilisateur qui entreprend de faire les copies et peut choisir le contenu87. Par contre, les services par satellite ont eux-mêmes choisi et fait les copies proposées sur les appareils destinés à la vente au détail et pour les besoins d’échantillonnage sur place. Ils cherchaient ainsi explicitement à inviter les consommateurs à acheter leurs services ; le consommateur potentiel n’avait pas le choix de sélectionner les échantillons préenregistrés dans les différents canaux de la mémoire de son appareil. En conséquence, la Commission a statué que les services par satellite n’étaient pas assimilables à « une personne facilitant une recherche » et ne pouvaient donc pas invoquer l’utilisation équitable comme justification de la reproduction des émissions faisant partie de l’échantillon88. 3.2.4 Access Copyright (Établissements d’enseignement)89 Access Copyright est une société de gestion qui représente des auteurs et des éditeurs d’œuvres littéraires protégées pour la perception de redevances et leur distribution aux titulaires des droits concernés. Access Copyright a négocié des redevances avec le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (CMÉC) depuis 1998 concernant les photocopies d’œuvres destinées aux établissements d’enseignement primaire et secondaire. En 2004, Access Copyright a voulu percevoir des redevances qui « refléter[aient] la valeur et le volume de pages photocopiées », mais, à cause d’une impasse 85. 86. 87. 88. 89. Ibid., par. 121. Tarif no 22.A, supra, note 12. Services de radio par satellite, supra, note 52, par. 122. Ibid., par. 123. Access Copyright, supra, note 63. Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1251 avec le CMÉC dans les négociations concernant le renouvellement du régime de redevances, la société a demandé à la Commission d’homologuer un tarif applicable au milieu scolaire90. Pour évaluer la valeur et le volume de pages photocopiées, les parties ont mené conjointement une enquête de volume afin de connaître les pratiques des écoles en matière de photocopie. L’utilisation d’« étiquettes d’enregistrement » visait à tenir compte du but et de l’ampleur des photocopies, ce qui devait aussi servir à déterminer l’ampleur de l’utilisation équitable91. La Commission devait déterminer dans quelle mesure l’utilisation équitable pouvait s’appliquer aux écoles primaires et secondaires relativement à la photocopie d’œuvres protégées. Access Copyright reconnaissait que les copies uniques et les copies multiples (faites à la demande de tiers) aux seules fins d’étude privée ou de recherche bénéficiaient de l’exception et devaient être exclues du calcul des redevances. Elle prétendait cependant que faire une copie pour un étudiant qui est tenu de la lire ne constitue pas une utilisation équitable au motif que « la copie destinée à un étudiant dont on exige qu’il la lise n’est pas équitable parce qu’elle est nécessairement faite à des fins éducatives plutôt que de recherche ou d’étude privée »92. Access Copyright soutenait également que l’utilisation équitable aux fins de critique ou de compte rendu n’était pas pertinente parce qu’une telle fin nécessitait une communication au public, alors que la critique ou le compte rendu fait par des étudiants dans une salle de classe n’est pas communiqué au public93. Elle soutenait aussi que, si l’utilisation vise plus d’une fin, il faut que la fin énumérée soit l’objet principal de l’utilisation pour que l’exception relative à l’utilisation équitable s’applique. Access soutenait qu’en milieu scolaire, « dès qu’on identifie une fin autre que la recherche ou l’étude privée, c’est cette autre fin qu’on doit présumer être l’objet principal »94. « Lorsque l’utilisation d’une œuvre est dictée par l’enseignant, l’objet dominant de l’utilisation est l’enseignement, pas la recherche ou l’étude privée »95. Les opposants contestaient l’évaluation d’Access Copyright et soutenaient que toutes les copies faites en milieu scolaire consti90. Ibid., par. 18, 19. Access Copyright a présenté la demande à la Commission en vertu du par. 70.13(2) de la Loi. 91. Ibid., p. 8-10. 92. Ibid., par. 60. 93. Ibid., par. 62. 94. Ibid., par. 63. 95. Ibid., par. 64. 1252 Les Cahiers de propriété intellectuelle tuent une utilisation équitable selon « l’interprétation libérale que préconise CCH »96. Se fondant sur l’évaluation du caractère équitable effectuée dans cet arrêt, les opposants prétendaient que la nature de l’utilisation semblait en indiquer le caractère équitable. Les étudiants avaient tendance à « se débarrasser des photocopies une fois qu’ils n’en [avaient] plus besoin » ; leur poursuite non rémunérée du savoir pouvait être tout aussi équitable que la recherche à but lucratif reconnue dans CCH97. En outre, la preuve ne démontrait pas que les photocopies avaient directement entraîné une baisse des ventes, mais plutôt que le secteur de l’édition se portait bien98. La Commission a d’abord exposé de manière générale les propositions fondamentales concernant l’utilisation équitable tirées de CCH : (1) les exceptions prévues par la Loi sont des droits des utilisateurs qu’il faut interpréter de façon libérale afin de maintenir un équilibre entre les droits des titulaires et les intérêts des utilisateurs ; (2) l’exception relative à l’utilisation équitable s’applique seulement si elle vise une fin énumérée ; (3) une utilisation à une fin énumérée n’est pas équitable de ce seul fait ; le caractère équitable doit être évalué séparément à l’aide d’une liste non exhaustive de facteurs ; (4) on ne pourra se prévaloir de l’exception relative à l’utilisation équitable dès lors qu’une condition n’est pas remplie ; (5) les pratiques institutionnelles de l’utilisateur devraient être compatibles avec l’utilisation équitable ; (6) l’utilisation équitable est « un concept juridique, qui doit être interprété en fonction des balises posées dans CCH »99. La première étape de l’analyse effectuée dans CCH consiste à déterminer si l’utilisation vise une fin énumérée. La Commission a rejeté l’affirmation d’Access Copyright selon laquelle, pour que cette étape soit franchie, il faut que la fin énumérée soit l’objet principal de l’utilisation. Elle a statué que, dès lors qu’une fin énumérée était indiquée sur l’étiquette d’enregistrement (les parties ayant convenu que l’étiquette faisait foi de son contenu), l’utilisation rencontrait ce critère100. La Commission a encore une fois interprété de manière large le terme « recherche » et a rejeté la prétention d’Access Copyright selon laquelle la recherche supposait nécessairement une enquête, une fouille ou une étude attentive. Elle a plutôt souligné que la recherche juridique implique rarement une telle intensité, 96. 97. 98. 99. 100. Ibid., par. 70. Ibid., par. 72. Ibid., par. 74. Ibid., par. 76-81. Ibid., par. 87, 88. Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1253 ajoutant qu’« [i]l y a recherche dès lors qu’il y a effort pour trouver, peu importe sa nature ou son intensité »101. La Commission a aussi rejeté la prétention d’Access Copyright selon laquelle la critique ou le compte rendu implique nécessairement une communication au public dans le contexte scolaire, étant entendu qu’une telle communication pourrait implicitement être nécessaire dans le cas de nouvelles102. Fait intéressant à noter, la Commission n’a pas hésité à se démarquer du contenu de l’étiquette d’enregistrement lorsque ce dernier reflétait un non-sens et ce, sans égard au fait que les parties avaient convenu que l’étiquette faisait foi de son contenu. Citant l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans CCH, la Commission a statué que la distribution de copies par un enseignant à tous les étudiants assistant à un cours ne pouvait constituer de l’étude privée, peu importe l’inscription sur l’étiquette d’enregistrement103. De la même façon, la Commission a statué qu’une copie est faite aux fins de critique seulement si elle est incorporée à la critique même, mais qu’une copie peut aussi être faite aux fins de recherche en vue d’une critique104. L’interprétation offerte par la Commission a pour effet d’étendre la portée de l’exception d’utilisation équitable. En effet, si une recherche en vue d’une critique devait être assujettie aux règles visant l’utilisation à des fins de critique, il faudrait mentionner la source de tout ce qui a été utilisé dans la rédaction de la critique et la portée de l’exception s’en trouverait d’autant restreinte. Par la suite, la Commission a appliqué les six facteurs dégagés dans CCH pour évaluer le caractère équitable de l’utilisation. Dans l’ensemble, elle a considéré que trois types d’utilisation impliquant des copies uniques faites par la personne pour son propre usage ou des copies multiples faites pour des tiers à leur demande (sans que l’enseignant demande à l’élève de lire le matériel) constituaient une utilisation équitable. Elle a estimé que, dans ces cas, l’utilisation : (1) visait seulement des fins de recherche ou d’étude privée ; (2) visait seulement des fins de recherche et d’étude privée ou des fins de critique et de compte rendu lorsque la copie était considérée comme une recherche en vue d’une critique et d’un compte rendu ; (3) visait des fins multiples, dès lors que l’une de ces fins était une fin 101. 102. 103. 104. Ibid., par. 89. Ibid., par. 93 ; soit dit en passant, l’argument était voué à l’échec puisqu’une classe constitue un public au sens de la Loi. Ibid., par. 90. Ibid., par. 91, 92. 1254 Les Cahiers de propriété intellectuelle énumérée. L’utilisation d’une quatrième catégorie de copies a toutefois été jugée inéquitable : les copies multiples faites par une personne pour son propre usage et les copies uniques ou multiples faites pour des tiers sans que ceux-ci ne le demandent (avec instruction de l’enseignant aux élèves de lire le matériel). La notion de pratique institutionnelle de l’utilisateur occupe une place importante dans l’arrêt CCH. À cet égard, la Commission a souligné que la Cour avait constaté, dans cette affaire, que la politique d’accès de la Grande bibliothèque limitait le nombre et l’ampleur des extraits qui pouvaient être photocopiés. Elle a conclu qu’elle ne disposait pas d’une preuve d’une telle pratique dans les écoles. Des affiches indiquaient ce qui était permis par la licence et il existait une règle générale selon laquelle les élèves n’avaient pas le droit d’utiliser les photocopieuses. Ces constantes ne suffisaient pas à établir une pratique ou un système équivalent à ceux de la Grande bibliothèque dans CCH. La Commission a établi une distinction entre « [a]ffirmer que la recherche, l’étude privée, la critique et le compte rendu sont des piliers de l’enseignement primaire et secondaire » et « établir que les établissements ont mis en place des mesures visant soit à circonscrire la photocopie aux seuls cas d’utilisation équitable, soit à documenter séparément les utilisations équitables de celles donnant lieu à rémunération »105. Comme on l’a noté précédemment, en ce qui concerne le but de l’utilisation des copies faites à l’initiative de l’enseignant pour les élèves, la Commission a considéré que la fin indiquée par l’enseignant sur l’étiquette d’enregistrement devait prédominer106. Par contre, au stade de l’évaluation du caractère équitable de l’utilisation, il faut soupeser les fins énumérées par rapport à l’ensemble des fins poursuivies par un utilisateur107. Les copies faites par un enseignant visent rarement une seule fin et, la plupart du temps, la fin réelle ou principale est l’enseignement ou l’étude « non privée ». La Commission a fait une distinction entre le rôle de l’enseignant, qui décide ce qu’il reproduit afin d’accomplir son travail, qui est d’enseigner, et celui du personnel de la Grande bibliothèque, qui fait des copies seulement à la demande de sa clientèle. L’utilisation par le professeur tend donc à être inéquitable108. 105. 106. 107. 108. Ibid., par. 84. Ibid., par. 98. Ibid., par. 96. Ibid., par. 98. Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1255 L’analyse de la nature de l’utilisation exige qu’on examine la manière dont l’œuvre est utilisée. La Commission a déclaré que « [f]aire plusieurs copies tend à être moins équitable que de n’en faire qu’une » et que « [c]onserver la copie tend à être moins équitable que de la détruire après usage »109. Dans le cas des copies faites à l’initiative de l’enseignant pour ses élèves, des copies multiples sont distribuées à l’ensemble de la classe à l’initiative de l’enseignant, non à la demande de l’étudiant. La preuve démontrait également que les étudiants conservent la plupart du temps les photocopies aussi longtemps qu’ils conserveraient l’original, ce qui tend à être inéquitable110. Tant l’ampleur de l’utilisation que l’importance de l’œuvre reproduite doivent aussi être prises en considération. En règle générale, l’ampleur permise varie en fonction de la fin poursuivie. Alors que les copies uniques ou multiples faites à la demande de tiers tendent à être équitables, la Commission a statué que les copies faites à l’initiative de l’enseignant tendent à être inéquitables dans leur ensemble. Bien qu’il n’y ait aucune ligne directrice obligatoire, les enseignants se limitent généralement à reproduire de courts extraits comme mesure d’appoint au manuel scolaire principal. La Commission a toutefois conclu qu’il est « plus que probable que les ensembles de classe font l’objet « de nombreuses demandes visant [...] les mêmes recueils » »111. L’existence de solutions de rechange à l’utilisation et la nécessité raisonnable de l’utilisation eu égard à la fin visée doivent aussi être prises en compte lorsqu’on évalue le caractère équitable. Après avoir statué qu’il ne serait pas raisonnable d’exiger des étudiants qu’ils fassent toutes leurs recherches ou études privées sur place ou qu’ils utilisent uniquement des œuvres du domaine public, la Commission a conclu qu’« il existe pour l’établissement d’enseignement une option qui [...] n’est pas offerte à l’étudiant : acheter l’original pour le remettre aux élèves ou l’entreposer à la bibliothèque pour consultation ». Le fait que l’établissement dispose de moyens limités ne change rien à l’existence de cette solution de rechange à l’utilisation112. Fait important, la Commission a fait, au sujet de la nature de l’œuvre, une distinction entre les faits dans l’affaire CCH, où il était 109. 110. 111. 112. Ibid., par. 99. Ibid., par. 100. Ibid., par. 102-104. Ibid., par. 105-107. 1256 Les Cahiers de propriété intellectuelle dans l’intérêt public « que l’accès aux ressources juridiques ne soit pas limité sans justification », et l’accès au matériel scolaire, qui est de nature privée et qui « ne présente pas le même intérêt public que l’accès aux ressources juridiques »113. La preuve présentée à l’audience semblait également indiquer que l’effet de l’utilisation sur l’œuvre était « suffisamment important [...] pour faire concurrence à l’original au point de ne pas être équitable »114. La Commission a fait une distinction entre l’utilisation « en aval » par un étudiant qui est axée sur la recherche et qui est équitable et l’utilisation « en amont » par l’enseignant qui fait des copies pour toute sa classe, qui ne serait pas équitable. L’enseignant n’est pas un simple agent de l’étudiant car c’est lui qui dicte à ce dernier quoi faire avec le matériel copié. Faisant écho à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans CCH, la Commission a statué qu’une telle pratique systématique ayant pour effet de concurrencer les originaux n’est pas une utilisation équitable, sans égard au fait que les utilisations en aval par les étudiants sont visées par l’exception relative à l’utilisation équitable115. Un tel résultat semble aussi conforme aux traités internationaux116. 3.3 Conclusions sur l’utilisation équitable C’est peut-être à l’égard de l’utilisation équitable que la Commission a exercé avec le plus de force (et de courage) son rôle en matière de mise en équilibre. Peu après l’arrêt CCH, elle a examiné la doctrine de l’utilisation équitable dans Tarif 22.A et dans Veille médiatique, même si cette question n’avait pas été soulevée par les parties. Elle a reconnu que, même si personne n’avait abordé directement la question juridique, elle devait en traiter117 afin de savoir si l’utilisation de l’écoute préalable par les services était en fait un acte protégé par la Loi. Saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a souscrit à la décision rendue par la Commission dans Tarif 22.A et a convenu que la « recherche », au sens large attribué par celle-ci, constituait une exception énumérée qui devait inclure l’écoute préalable d’extraits de musique. En fait, son analyse 113. 114. 115. 116. 117. Ibid., par. 108. Ibid., par. 111. Ibid., par. 113. Ibid., par. 114. Voir le par. 9(2) de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques et l’article 13 de l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Selon la Commission, « il [...] semble couler de source que les copies faites à l’initiative de l’enseignant pour ses élèves soit portent atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, soit causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits ». Tarif no 22.A, supra, note 12, par. 102. Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur... 1257 a précisé qu’il n’est pas nécessaire que la recherche soit de nature scientifique et qu’elle suppose « une enquête, une fouille ou une étude attentive » ou même un exercice plus approfondi118. La Commission a plutôt statué qu’« [i]l y a recherche dès lors qu’il y a effort pour trouver, peu importe sa nature ou son intensité »119. Statuer autrement limiterait la portée de l’utilisation équitable et restreindrait indûment les droits des utilisateurs. Dans Services de radio par satellite par contre, les services ne pouvaient pas être assimilés à une personne facilitant une recherche et invoquer l’utilisation équitable, au motif que le consommateur éventuel n’avait pas le choix des échantillons préenregistrés dans les différents canaux de la mémoire de son appareil. On pourrait également faire valoir, compte tenu de l’exercice de mise en équilibre auquel la Commission se livre, que son interprétation a placé la décision CCH à un autre niveau. Dans Access Copyright, la Commission a cité, dans le contexte de son analyse des utilisations en aval, les propos formulés dans CCH sur la nécessité de « maintenir un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs » pour conclure qu’il faut éviter de restreindre indûment tout autant les premiers que les seconds, « puisqu’il est tout aussi possible de restreindre indûment les intérêts des titulaires que les droits des utilisateurs »120. Ce n’est pas par hasard que la Commission a pris le contre-pied de CCH en inversant de la sorte la partie qui a des intérêts et la partie qui a des droits en matière de droit d’auteur. 4. CONCLUSION Dans les affaires impliquant les limitations et les exceptions en matière de droit d’auteur, la Commission a appliqué de manière vigoureuse différentes doctrines et notions juridiques et s’est montrée réceptive aux changements technologiques. Ses décisions attestent de son agilité et de sa capacité de faire jouer à la fois le droit et les raisons de politique justifiant les limitations et les exceptions prévues par la Loi et les précédents judiciaires. La Commission a tenu compte largement des positions des différentes parties intéressées (ayant des intérêts sociaux, culturels et économiques différents), du rôle des contrats et des divers modèles d’affaires et 118. 119. 120. Tel que formulé par Access Copyright, ibid., par. 89 ; on y a aussi fait allusion dans Veille médiatique, supra, note 64. Ibid., par. 89. Access Copyright, supra, note 63, par. 114. 1258 Les Cahiers de propriété intellectuelle des nombreuses incidences internationales. Dans l’ensemble, elle a adopté une approche plutôt uniforme, en s’efforçant de prendre tous les intérêts en considération de manière équitable et équilibrée. En se penchant d’abord sur la question de la substantialité de l’emprunt dans ses décisions, elle a adopté les facteurs clés définis dans Pointe-à-Callière et dans Breakthrough, des décisions qui sont constamment appliquées depuis qu’elles ont été rendues. En ce qui concerne l’utilisation équitable, la Commission a appliqué systématiquement, plus que tout autre organisme juridictionnel, les principes énoncés dans CCH comme point de départ de ses analyses, même avant que d’autres décisions judiciaires aient été rendues et même si les parties n’avaient pas soulevé la question. Il ne fait aucun doute que de nouvelles utilisations des œuvres et de nouvelles façons de faire de l’argent seront découvertes au fur et à mesure que la technologie continuera d’évoluer. Les règles du droit d’auteur seront alors confrontées à de nouvelles difficultés et des pressions s’exerceront en faveur de la création de nouvelles exceptions et limitations. Les intéressés continueront d’adopter des positions divergentes, notamment sur la question de la réforme du droit d’auteur. La Commission sera donc nécessairement appelée à jouer un rôle central encore plus grand dans la mise en équilibre des intérêts en matière de droit d’auteur au Canada. Vol. 23, no 3 Marques de commerce et référencement payant ou comment se démarquer sur le Web... en quelques mots-clés Caroline Jonnaert et Julie Maronani* INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1263 1. QUELQUES MOTS SUR LE RÉFÉRENCEMENT PAYANT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1265 2. JURISPRUDENCE CANADIENNE . . . . . . . . . . . . 1268 2.1 Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1269 2.1.1 Bref rappel des faits . . . . . . . . . . . . . . 1269 2.1.2 Question en litige . . . . . . . . . . . . . . . . 1270 2.1.3 Analyse de la Cour . . . . . . . . . . . . . . . 1270 2.1.4 Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1271 2.2 Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc. . . . . . . . 1272 © Caroline Jonnaert et Julie Maronani, 2011. * Caroline Jonnaert et Julie Maronani, avocates chez Legault Joly Thiffault. 1259 1260 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.2.1 Bref rappel des faits . . . . . . . . . . . . . . 1272 2.2.2 Décision du tribunal de première instance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1272 2.2.3 Question en litige devant la Cour d’appel . . . 1274 2.2.4 Analyse de la Cour d’appel . . . . . . . . . . . 1274 2.2.5 Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1275 2.3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1276 3. RECOURS EN VERTU DE LA LOI . . . . . . . . . . . . 1277 3.1 Remarques préliminaires . . . . . . . . . . . . . . . 1277 3.2 Violation : articles 19, 20 et 22 de la Loi . . . . . . . 1278 3.2.1 Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . 1278 3.2.2 Article 19 de la Loi . . . . . . . . . . . . . . . 1278 3.2.2.1 Principes généraux . . . . . . . . . . 1278 3.2.2.2 Application aux faits sous étude . . . 1279 3.2.3 Article 20 de la Loi . . . . . . . . . . . . . . . 1279 3.2.3.1 Principes généraux . . . . . . . . . . 1279 3.2.3.2 Application aux faits sous étude . . . 1280 3.2.4 Article 22 de la Loi . . . . . . . . . . . . . . . 1280 3.2.4.1 Principes généraux . . . . . . . . . . 1280 3.2.4.2 Application aux faits sous étude . . . 1283 3.3 Commercialisation trompeuse (« passing-off ») : paragraphe 7b) de la Loi . . . . . . . . . . . . . . . . 1283 3.3.1 Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . 1283 3.3.2 Application aux faits sous étude . . . . . . . . 1286 Marques de commerce et référencement payant... 1261 4. DÉFIS PARTICULIERS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1287 4.1 Notion d’emploi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1287 4.1.1 Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1288 4.1.2 Emploi en liaison avec des marchandises . . . 1289 4.1.2.1 Principes généraux . . . . . . . . . . 1289 4.1.2.2 Application aux faits sous étude . . . 1291 4.1.3 Emploi en liaison avec des services . . . . . . 1292 4.1.3.1 Principes généraux . . . . . . . . . . 1292 4.3.1.2 Application aux faits sous étude . . . 1294 4.1.4 Emploi à titre de « marque de commerce » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1296 4.1.4.1 Principes généraux . . . . . . . . . . 1296 4.1.4.2 Application aux faits sous étude . . . 1298 4.1.4 Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1299 4.2 Notion de représentation trompeuse . . . . . . . . . 1300 4.2.1 Critères appliqués . . . . . . . . . . . . . . . 1300 4.2.1.1 Principes généraux . . . . . . . . . . 1300 4.2.2.2 Application aux faits sous étude . . . 1301 4.2.3 Doctrine du « initial interest confusion » . . . 1302 4.2.3.1 Principes généraux . . . . . . . . . . 1302 4.2.3.2 Application aux faits sous étude . . . 1304 4.2.4 Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1307 CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1308 INTRODUCTION Que ce soit pour meubler leur maison, se procurer un gadget électronique dernier cri ou organiser leurs vacances, les consommateurs se réfèrent d’emblée à l’information disponible sur le Web. Cette plateforme est en effet devenue sans contredit une source d’information utile pour le consommateur moderne : selon des enquêtes rendues publiques par Statistique Canada en 2010, 80 % des Canadiens âgés de 16 ans et plus, soit 21,7 millions de personnes, affirment utiliser l’Internet à des fins personnelles, et plus de la moitié de ces utilisateurs affirment y faire du « lèche-vitrine », soit de la recherche sur des biens ou services1. Pour effectuer ce type de recherche, nul ne doute que les moteurs de recherche tels que Google, Yahoo ! ou Bing se trouvent parmi les principaux outils employés2. Conscients de la présence de consommateurs sur le Web, les opérateurs de moteurs de recherche ont rapidement vu en cette plateforme un moyen de générer des revenus grâce à la publicité. Aujourd’hui, en utilisant des technologies de pointe, ceux-ci sont en mesure d’offrir à leurs utilisateurs une publicité contextuelle3 et pertinente. Cette forme de publicité, désignée « référencement payant », s’effectue notamment en ayant recours aux mots-clés saisis par l’utilisateur dans la barre de recherche, afin d’adapter le contenu publicitaire qui lui est présenté avec ses résultats4. 1. Statistique Canada, Le Quotidien, 10 mai 2010 et 27 septembre 2010. 2. Les autres manières permettant de naviguer sur le Web comprennent la saisie d’une adresse URL directement dans la barre d’adresse du navigateur, la consultation d’un annuaire Web, ou encore, la navigation en suivant des hyperliens. Voir notamment : JACOBY (Jacob) et al., « Keyword-based Advertising : Filling in Factual Voids (GEICO c. Google) », (2007) 97(3) The Trademark Reporter 681, 682. 3. « La notion de publicité contextuelle recouvre l’ensemble des techniques publicitaires qui consiste à cibler une audience grâce à des supports spécifiques en fonction du contexte dans lequel se trouve l’individu exposé au message. », Définitions Marketing, disponible en ligne : <http://www.definitions-marketing.com/Definition-Publicite-contextuelle>. 4. Il convient de distinguer le référencement payant de l’optimisation des moteurs de recherche (« search engine optimisation » ou « SEO » en anglais), laquelle technique 1263 1264 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le type de publicité ci-haut décrit confronte les tribunaux depuis déjà quelque temps aux États-Unis et au sein de l’Union européenne5, et plus récemment au Canada6, à des problématiques juridiques au regard du droit des marques de commerce : l’utilisation de la marque d’un tiers par un annonceur à titre de mot-clé pour effectuer du référencement payant viole-t-elle les droits détenus sur cette marque ? Dans le cadre du présent article, nous proposons d’examiner certains recours qu’offre la Loi sur les marques de commerce7 (ciaprès la « Loi ») au Canada pouvant être exercés par les titulaires de marques8, à l’encontre de ceux qui utilisent ces marques dans le cadre du référencement payant9. 5. 6. 7. 8. 9. vise à améliorer la visibilité d’une page Web dans les résultats de recherche naturels en favorisant la compréhension de sa thématique et de son contenu par le moteur de recherche. À cet égard, voir le glossaire publié par le Bureau de la publicité interactive du Canada, sous « optimisation », disponible en ligne : <http:// www.iabcanada.com/fr/glossaire-2>. Aux États-Unis, voir notamment : Rescuecom Corp. c. Google Inc., 562 F.3d 123 (2nd Cir. 2009). Dans l’Union européenne, voir notamment : Google France SARL. c. Louis Vuitton Malletier SA, C-236/08 ; Google France SARL c. Viaticum SA, Luteciel SARL, C-237/08 et Google France SARL c. Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) SARL, Pierre-Alexis Thonet, Bruno Raboin, Tige SARL, C238/08. Voir Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc., 2010 QCCS 3301 et Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc., 2011 BCCA 69. Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13. Dans le cadre du présent article, nous ne traiterons pas des marques de commerce figuratives. Par conséquent, les moteurs de recherche permettant une recherche par images ne seront pas abordés, ceux-ci demeurant relativement peu utilisés par le grand public comparativement aux moteurs permettant une recherche textuelle. Voir notamment : Agence France-Presse, « Microsoft inaugure un moteur de recherche en images », Cyberpresse, 17 septembre 2009, disponible en ligne : <http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/200909/15/01-901891-microsoft-inaugure-un-moteur-de-recherche-en-images.php>. L’éventuelle responsabilité des opérateurs de moteurs de recherche et les recours pouvant être entrepris contre ces derniers ne sera pas abordée. Sur ce sujet, voir notamment : BOLDUC (Christian) et al., « Contributory Trade Mark Infringement by Internet Search Engines for Selling Trade Marks as Key Words : The Canadian Perspective », article rédigé dans le cadre de la « European Communities Trade Mark Association », juin 2011 ; disponible en ligne à <http://www.ecta.org/MCG/ pdf/492_cbolduc_doc2.pdf>. De même, nous n’examinerons pas les incidences territoriales de ce type d’utilisation (par exemple, le droit applicable, les juridictions compétentes et les répercussions potentielles sur les notions d’emploi et d’achalandage), bien que cet aspect soit d’intérêt dans le cadre de violations survenant sur le Web. Sur ce sujet, voir généralement : Sheldon BURSHTEIN, The Law of Domain Names & Trade-Marks on the Internet, 3e ed., Toronto, Carswell, 2011. Marques de commerce et référencement payant... 1265 Après une explication sommaire de ce que constitue le référencement payant (Titre 1), nous examinerons certaines décisions d’intérêt ayant été rendues par les tribunaux canadiens, bien que ceux-ci n’aient pas spécifiquement traité de l’application de la Loi (Titre 2). Par la suite, nous analyserons certains recours dont dispose le titulaire d’une marque de commerce enregistrée sous l’égide de la Loi, soit les recours prévus aux articles 19, 20 et 22 de la Loi (ci-après collectivement, pour les fins de nos propos, les « recours en violation »), ainsi que celui dont disposent les titulaires de marques enregistrées et non enregistrées, à savoir, le recours en commercialisation trompeuse codifié au paragraphe 7b) de la Loi (Titre 3). Enfin, nous nous pencherons sur certains défis particuliers associés à ces recours et spécifiques au contexte du référencement payant (Titre 4). 1. QUELQUES MOTS SUR LE RÉFÉRENCEMENT PAYANT Pour fournir des résultats de recherche pertinents aux internautes, les moteurs de recherche procèdent à une exploration du contenu qui se trouve sur le Web. Des outils de recherche appelés « robots » (en anglais « bots », « spiders » ou « crawlers ») sont utilisés afin de parcourir les sites à intervalles réguliers et de façon automatique. Ces robots permettent de recenser le contenu qui se trouve sur le Web, lequel est par la suite analysé et indexé. Ainsi, lorsqu’une requête de recherche est lancée, le moteur de recherche examine l’index et fournit à l’internaute une liste des liens Web les plus pertinents, selon des critères prédéterminés de tri et de classement10 : il s’agit des résultats dits « naturels » ou « organiques »11. Si auparavant les pages de résultats étaient principalement constituées de ces liens organiques, aujourd’hui, du contenu publici- 10. Les techniques d’exploration et d’indexation du contenu, ainsi que de tri et de classement de résultats, sont en constant changement, les opérateurs de moteurs tentant d’éviter le plus possible le référencement abusif (en anglais, « spamdexing »). Le référencement abusif vise à tromper les moteurs de recherche, notamment par la répétition abusive de mots-clés et de balises, ou par l’emploi de mots-clés non pertinents, afin d’obtenir, relativement à un mot donné, le meilleur positionnement possible de son site Web dans la page des résultats du moteur, Office Québécois de la Langue Française, Grand dictionnaire terminologique, sous « référencement abusif », disponible en ligne : <http://www.oqlf.gouv.qc.ca/ ressources/gdt.html>. 11. Voir le glossaire publié par le Bureau de la publicité interactive du Canada, sous « résultats naturels », disponible en ligne : <http://www.iabcanada.com/fr/glossaire-2>. 1266 Les Cahiers de propriété intellectuelle taire les accompagne12. Ce contenu est essentiellement constitué de « liens promotionnels » (en anglais « sponsored links ») occupant un espace privilégié dans les résultats de recherche. Les liens promotionnels contiennent généralement une combinaison des éléments suivants : un titre, une adresse Web et un court texte. La capture d’écran ci-dessous illustre un exemple de résultats organiques et de liens promotionnels (encadrés), pour une recherche effectuée pour le mot « pneu » à l’aide du moteur Google : Le processus par lequel les annonceurs peuvent présenter de tels liens promotionnels est communément désigné « référencement payant ». Essentiellement, le référencement payant permet à l’annonceur voulant obtenir plus de visibilité d’acheter des mots-clés auxquels il souhaite voir son entreprise, sa marque et ses produits ou services associés. Parmi les avantages de cette technique publicitaire, mentionnons le fait qu’elle offre un degré de précision pouvant plus difficilement être atteint dans les médias traditionnels, en plus 12. Les recettes publicitaires constituent aujourd’hui une importante source de revenus pour les opérateurs de moteurs de recherche. Google indiquait par exemple récemment que près de 96 % de ses revenus provenaient de la publicité : voir le communiqué de presse de Google Inc. « Google Announces Fourth Quarter and Fiscal Year 2010 Results and Management Changes », 20 janvier 2010, disponible en ligne : <http://investor.google.com/earnings/2010/Q4_google_earnings. html>. Marques de commerce et référencement payant... 1267 de s’avérer plus efficace et parfois moins chère que la publicité classique, grâce au paiement par clic (en anglais « pay per click »)13. Pour effectuer du référencement payant, l’annonceur se réfère à des guichets spécialisés mis en place par les opérateurs de moteurs de recherche, tels que AdWords pour le moteur Google, ou encore, Microsoft adCenter et Yahoo ! Search Marketing pour les moteurs Bing et Yahoo !, Microsoft ayant formé en 2009 une alliance stratégique avec Yahoo ! pour concurrencer Google14. Spécifiquement, l’annonceur offre par le biais d’enchères un prix maximum qu’il est prêt à payer pour chaque clic réalisé sur son lien promotionnel. Le résultat de ces enchères variera en fonction de plusieurs critères. Chez Google, par exemple, ce résultat sera notamment tributaire du montant offert par l’annonceur et du « niveau de qualité »15 des mots-clés. À cet égard, il convient de noter que les processus et politiques d’attribution de mots-clés et de l’espace publicitaire sont évolutifs et peuvent différer selon les opérateurs et les pays16. 13. Le paiement par clic permet aux annonceurs de payer uniquement si l’internaute clique sur son lien promotionnel. Voir le glossaire publié par le Bureau de la publicité interactive du Canada, sous « coût par clic, CPC », disponible en ligne : <http://www.iabcanada.com/fr/glossaire-2>. Il est à noter que d’autres types de publicité existent sur le Web, par exemple : les bandeaux publicitaires (« web banners »), les fenêtre-pub d’entrée (« pop-up ads ») et la publicité interstitielle (« interstitials »). À cet égard, voir généralement le glossaire publié par le Bureau de la publicité interactive du Canada, disponible en ligne : <http://www.iabcanada.com/fr/glossaire-2>. 14. Voir notamment : LIEDTKE (Michael) et al., « Microsoft et Yahoo s’allient contre Google », Le Soleil, 29 juillet 2009, disponible en ligne : <http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/affaires/actualite-economique/200907/29/01-888273-microsoft-et-yahoo-sallient-contre-google.php et Agence France-Presse>, « Microsoft et Yahoo ! lancent leur partenariat sur la recherche », Cyberpresse, 21 février 2010, disponible en ligne : <http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/201002/ 19/01-953217-microsoft-et-yahoo-lancent-leur-partenariat-sur-la-recherche. php>. 15. Tel que le mentionne Google, « [l]e système AdWords calcule le niveau de qualité de chacun [des] mots-clés. Il étudie un certain nombre de facteurs pour mesurer le niveau de pertinence [du] mot-clé par rapport au texte de [l’]annonce et aux requêtes de recherche des internautes. Il varie souvent et est intimement lié aux performances du mot-clé en question. En règle générale, un niveau de qualité élevé signifie que [le] mot-clé déclenchera la diffusion [des]annonces aux meilleures positions et ce, pour un coût par clic plus faible. », « Qu’est-ce que le niveau de qualité AdWords et comment est-il calculé ? », disponible en ligne : <http:// adwords.google.com/support/aw/bin/answer.py?hl=fr&hlrm=en&answer= 10215>. 16. Les variations par pays sembleraient notamment dépendre de l’état de la jurisprudence dans les juridictions concernées. Voir notamment, relativement à la situation en Europe : Agence France-Presse, « Publicité : Google assouplit l’achat de mots-clé », Cyberpresse, 16 septembre 2010, disponible en ligne : <http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/201009/14/01-4315304-publicitegoogle-assouplit-lachat-de-mots-cle.php>. 1268 Les Cahiers de propriété intellectuelle En ce qui a trait plus spécifiquement à l’achat de la marque d’un tiers à titre de mot-clé, la tendance au Canada semble être à la permissivité. Les plus grands opérateurs n’effectuent en effet qu’un contrôle limité de la manière dont les marques sont utilisées par les annonceurs17. Les modalités auxquelles doivent adhérer les annonceurs afin d’effectuer du référencement payant comprennent généralement un engagement à ne pas violer les droits des tiers, mais ceci ne semblerait avoir qu’un effet limité en pratique18. Les litiges portés devant les tribunaux étrangers au cours des dernières années en la matière semblent d’ailleurs témoigner des lacunes de ces modalités d’adhésion. Mais qu’en est-il au Canada ? L’utilisation de marques de commerce d’un tiers dans le cadre du référencement payant a-t-elle été balisée par nos cours ? 2. JURISPRUDENCE CANADIENNE Si le référencement payant a fait l’objet de plusieurs décisions en matière de marques de commerce aux États-Unis et au sein de l’Union européenne19, les tribunaux canadiens, pour leur part, demeurent quelque peu timides à ce sujet. En effet, selon l’informa17. Au Canada, en plus d’utiliser les marques de tiers à titre de mots-clés déclenchant des liens promotionnels, les annonceurs peuvent inclure depuis le 14 septembre 2010 ces marques à même le texte de tels liens sur Google, par exemple, s’ils sont des revendeurs autorisés ou si le lien est lié à un site informatif. Les titulaires de marques disposent néanmoins d’un service pour déposer une réclamation afin de contester l’utilisation qui serait effectuée d’une marque. À cet égard, voir notamment sur le blog « Inside AdWords » « Update to Canadian, UK and Ireland ad text trademark policy », 4 août 2010, disponible en ligne : <http://adwords.blogspot.com/2010/08/update-to-canadian-uk-and-ireland-ad. html>. Microsoft et Yahoo ! ont essentiellement aligné leurs politiques à celle de Google en 2011, voir : <http://advertising.microsoft.com/small-business/supportcenter/search-advertising/intellectual-property-guidelines>. 18. Par exemple, les modalités de Adwords au Canada prévoient ce qui suit : « [l]e client fait valoir et garantit que [...] les créations, les cibles et les services du client, n’enfreindront pas les lois, les réglementations, les codes de conduite ou les droits appartenant à des tiers applicables (y compris, sans limitation, les droits de propriété intellectuelle), et n’encourageront pas leur infraction. Toute violation des mentions précédentes pourrait entraîner la résiliation immédiate de cette entente ou du compte du client, sans préavis, et pourrait entraîner des pénalités et des conséquences juridiques pour le client. » Voir « Modalités du programme d’annonces de Google Inc. », disponible en ligne : <https://adwords.google.fr/ select/tsandcsfinder?country=CA>. 19. Aux États-Unis, voir notamment : Rescuecom Corp. c. Google Inc., précité, note 5. Dans l’Union européenne, voir notamment : Google France SARL. c. Louis Vuitton Malletier SA, précité, note 5 ; Google France SARL c. Viaticum SA, Luteciel SARL, précité, note 5 et Google France SARL c. Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) SARL, Pierre-Alexis Thonet, Bruno Raboin, Tige SARL, précitée, note 5. Marques de commerce et référencement payant... 1269 tion disponible au moment des recherches, il semble que deux20 décisions canadiennes seulement aient traité de cette problématique. Nous présenterons succinctement chacune de ces affaires dans les prochains développements. 2.1 Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupeconseil inc. Le 20 juillet 2010, la Cour supérieure du Québec a eu l’occasion de se pencher pour la première fois sur l’utilisation d’une marque de commerce dans le cadre de référencement payant effectué sur le moteur de recherche Google, dans l’affaire Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc.21 (ci-après « Chocolat Lamontagne »). 2.1.1 Bref rappel des faits Les parties en cause œuvraient toutes deux dans le domaine de la fabrication et de la vente de chocolats et exploitaient chacune un site Web faisant la promotion de leurs marchandises respectives. Dans le cadre de ses activités promotionnelles, la défenderesse Humeur Groupe Conseil inc. (ci-après « Humeur ») avait acheté plusieurs mots-clés auprès de Google, dont la marque de commerce « Chocolat Lamontagne » appartenant à la demanderesse du même nom (ci-après « Lamontagne »). Par conséquent, lorsqu’une personne effectuait une recherche sur Google en utilisant ces mots-clés, un hyperlien pouvant la diriger vers le site Web d’Humeur apparaissait sur la page des résultats de recherche à titre de lien promotionnel. Il n’est pas inutile de préciser que les hyperliens apparaissant ainsi se lisaient comme suit : « Alternative à Lamontagne Chocolat et autres produits Activité de financement pour tous <www.campagnede-financement.ca> » et « Campagne de financement <www.campagne-de-financement.ca> Chocolat à vendre Activité de financement pour tous ». 20. Il est à noter que la décision Velsoft Training Materials Inc. c. Global Courseware Inc., 2011 NSSC 274 mentionne l’utilisation de la marque d’un concurrent à titre de mot-clé, dans le cadre d’une ordonnance Anton Piller. Cette problématique n’est toutefois pas analysée de manière approfondie. 21. Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc., précité, note 6. 1270 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.1.2 Question en litige Dans ces circonstances, Lamontagne soutenait qu’Humeur, en utilisant sa marque de commerce pour des fins de référencement payant, détournait sa clientèle ce qui constituait, selon elle, une forme de concurrence déloyale. 2.1.3 Analyse de la Cour La Cour, sous la plume de l’honorable juge Paul Corriveau, a conclu que le procédé utilisé par Humeur n’était pas fautif dans les circonstances. En effet, selon la Cour, pour conclure à de la concurrence déloyale, il faut nécessairement démontrer un état de confusion22, ce qui ne semblait pas être le cas en l’espèce. Pour établir la confusion auprès du public, Lamontagne avait mis en preuve le témoignage d’une consommatrice ayant été confondue quant au lien entre les parties. Celle-ci, souhaitant obtenir le numéro de téléphone de Lamontagne, avait effectué une recherche sur Google. Au cours de sa recherche, cette consommatrice avait alors pris connaissance, dans la liste des résultats, d’une annonce de la défenderesse. Après avoir cliqué sur cette annonce, la consommatrice avait ensuite contacté Humeur. Selon la Cour toutefois, cette preuve n’était pas suffisante pour établir une confusion, car l’information apparaissant dans les résultats de recherche indiquait clairement l’annonce d’une alternative au genre d’entreprise exercé par Lamontagne : Rien dans la preuve ne permet d’établir l’existence d’une confusion qui aurait été à la base d’une concurrence déloyale de la défenderesse envers la demanderesse. Le lien commercial qui permettait d’aller sur le site d’Humeur et qui s’est retrouvé en première place sur la page des résultats obtenus après l’utilisation des mots Chocolaterie Lamontagne dans Google ne prête à aucune confusion. L’information indique 22. « Pour conclure à une concurrence déloyale, il faut que le Tribunal puisse retenir de la preuve que par sa façon de procéder, la défenderesse a créé un état de confusion qui a entraîné une migration de clientèle de Lamontagne vers Humeur. », Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc., ibid., par. 114. Marques de commerce et référencement payant... 1271 clairement l’annonce d’une alternative au genre d’entreprise exercé par la demanderesse.23 [les italiques sont nôtres] Ainsi, la méthode employée par Humeur permettant à celle-ci de s’afficher comme concurrente de Lamontagne ne constituait pas une forme de concurrence déloyale. En effet, la Cour était d’avis que lorsque l’internaute cliquait sur le lien promotionnel de Humeur, il effectuait un choix résultant de sa propre volonté. Or, selon la Cour, un annonceur ne peut être fautif pour avoir créé l’occasion d’être rejoint car « [l]es principes généraux de concurrence qui prévalent au pays n’interdisent pas [...] d’offrir à l’internaute qui recherche de l’information de se voir offrir l’occasion d’accéder à d’autres informations à propos d’une société concurrente à celle qu’il cherche »24. 2.1.4 Conclusion Cette première décision est donc venue légitimer, dans ce contexte précis, l’utilisation d’une marque de commerce dans le cadre du référencement payant, en faisant échec au recours en concurrence déloyale. La Cour a en effet estimé qu’aucune confusion n’avait été mise en preuve de manière suffisante pour établir une faute de la part de la défenderesse. Certes, il est reconnu que le fait qu’une ou que quelques personnes seulement aient été confondues n’est pas concluant en soi, en matière de confusion25. Dans ces circonstances, la preuve présentée par la demanderesse n’était probablement pas suffisante. De plus, en matière de confusion dans le cadre d’une action en concurrence déloyale, il a été établi que l’ajout d’un élément tendant à distinguer les marchandises ou services de la défenderesse de ceux de la demanderesse, tel que le terme « alternative » par exemple, peut parfois suffire pour faire échec au recours. Tel que mentionné par Fox, « [i]n the case of passing off, [as opposed to a case of infringement], the defendant may escape liability if he can show that the added matter is sufficient to distinguish his goods from those of the plaintiffs »26. Il est permis de se demander si les conclusions de la 23. Ibid., par. 122 à 123. 24. Ibid., par. 127. 25. Voir notamment : Oshawa Group Ltd. c. Brault & Martineau (1966) ltee, 1974 CarswellQue 252. 26. GILL (Kelly) et al., Fox on Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition, 4e éd., (Toronto : Carswell, 2010), p. 4-11. 1272 Les Cahiers de propriété intellectuelle Cour auraient été différentes n’eût été de l’ajout du terme « alternative », ou encore, en dépit de cet ajout si un recours en violation avait été intenté. 2.2 Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc. Le 11 février 2011, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendu un jugement relatif à l’utilisation de dénominations sociales dans le cadre du référencement payant dans l’affaire Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc.27 (ci-après « Private Career »). 2.2.1 Bref rappel des faits Dans ce litige, Vancouver Career College (Burnaby) Inc. (ciaprès le « Collège ») utilisait les noms de ses concurrents pour effectuer du référencement payant. Ainsi, lorsque les internautes tapaient le nom d’une institution concurrente, des liens promotionnels affichant le nom du Collège apparaissaient dans les résultats de recherche28. Le Collège est une institution offrant des services d’enseignement postsecondaire en Colombie-Britannique. À titre d’établissement d’enseignement, cette institution est inscrite auprès du « Private Career Training Institutions Agency of British Columbia » (ci-après l’« Agence »), un organisme de contrôle. En sa qualité de membre de l’Agence, le Collège est tenu de se conformer au règlement de l’Agence, lequel prohibe notamment toute publicité fausse ou trompeuse29. 2.2.2 Décision du tribunal de première instance Suite à certaines plaintes reçues de la part d’étudiants vraisemblablement induits en erreur par la publicité du Collège, 27. Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc., précité, note 6. 28. Voir notamment les exemples cités dans ibid., par. 30 et s. 29. « An Institution must not engage in advertising or make a representation that is false, deceptive or misleading. Deceptive advertising includes but is not limited to an oral, written, internet, visual, descriptive or other representation that has the capability, tendency or effect of deceiving or misleading a consumer », ibid., par. 10. Marques de commerce et référencement payant... 1273 l’Agence a institué des procédures devant la Cour suprême de Colombie-Britannique, afin d’obtenir une ordonnance interdisant au Collège d’utiliser les dénominations sociales de ses concurrents dans sa publicité. Faisant référence à des décisions américaines30, la Cour suprême de Colombie-Britannique a rejeté la demande de l’Agence, estimant que le consommateur moyen ne serait vraisemblablement pas confondu en l’espèce, notamment compte tenu de la valeur des services en cause : [...] Bylaw 29 was passed in order to protect any potential student from being deceived and potentially harmed by misleading advertising. In the present case, the services that are being advertised through VCC Inc.’s online advertising campaign are post-secondary education courses which can range from 3 to 18 months in terms of study commitment and cost between $4.000 and $24.000. Embarking upon an educational program involves a serious decision and, in my view, the extent of the financial and personal commitment expected of prospective students requires that they should, and can be expected to, exercise a high degree of care in making their decisions as to which school they should attend.31 [les italiques sont nôtres] La Cour a ajouté que le type de publicité effectué par le Collège s’apparentait à certaines pratiques publicitaires traditionnelles, tel que placer une annonce dans les Pages Jaunes32. Selon la Cour, ce genre de pratique généralement accepté permet d’afficher de la publicité à proximité de celle de concurrents et, ce faisant, d’offrir aux consommateurs en toute légitimité le choix entre des services ou marchandises similaires. 30. Voir notamment : Merck & Co. c. Mediplan Health Consulting, 425 F. Supp. 2d 402 et Government Employees Insurance Company c. Google Inc. et al., 2005 U.S. Dist. LEXIS 18642. Ces décisions ont essentiellement légitimé l’utilisation de marques de commerce dans le contexte du référencement payant. 31. Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc., 2010 BCSC 765, par. 66 et 67. 32. « [The] practice of using Keyword Advertising is no different than the time-honored and generally accepted marketing practice of a company locating its advertisement close to a competitor’s in traditional media (e.g., placing its Yellow Pages advertisement next to or in close proximity to a competitor’s telephone number in the same directory so that potential customers of that competitor discover there is another company offering a similar product or service and that they, the consumer, have a choice). », ibid., par. 80. 1274 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2.2.3 Question en litige devant la Cour d’appel L’Agence a ensuite porté cette décision en appel, estimant que le juge de première instance avait erré en se référant au droit des marques de commerce pour interpréter un règlement ayant pour objet la protection du consommateur. En effet, l’Agence estimait que, ce faisant, la cour de première instance s’était référée à tort aux consommateurs moyens, plutôt qu’aux personnes vulnérables visées par la publicité en cause, à savoir les étudiants. Malgré cette prétention, l’Agence soutenait également, en se basant sur des décisions en matière de confusion entre des marques de commerce, que la publicité en cause était trompeuse, car créant de la confusion. 2.2.4 Analyse de la Cour d’appel La Cour d’appel a d’abord précisé que l’analogie du juge de première instance avec les annuaires Pages Jaunes n’était pas pertinente en l’espèce, ce système de recherche différant de celui disponible sur les moteurs de recherche. En effet, alors que les recherches effectuées dans les annuaires Pages Jaunes le sont par le biais de sujets, celles accomplies sur ces moteurs le sont par l’entremise de sujets et de noms. La Cour a ensuite analysé la notion de « faux ou trompeur » en précisant qu’une publicité créant de la confusion n’est pas nécessairement fausse ou trompeuse. De ce fait, la Cour a estimé qu’il n’est pas opportun de se référer aux décisions traitant de confusion en matière de marques de commerce : The genesis of the appellant equating « misleading » with « confusing » appears to be its interpretive guideline which was based on trade-mark and confusion. [...]. I do not accept the appellant’s argument insofar as it is based on equating misleading with confusing. In my view, advertising that is misleading also likely is confusing, but simply because advertising is confusing does not mean it is misleading.33 33. Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc., précité, note 6, par. 30 à 33. Marques de commerce et référencement payant... 1275 La Cour d’appel a par la suite précisé que le juge de première instance n’avait pas erré dans la détermination du consommateur cible : [The judge] was alive to the need to consider the applicable consumer in context. He did not err in concluding the consumer must be given credit for having normal intelligence. The judge was well aware of the composition of the potential student body, but he was entitled to put the issue into context. He observed that the decision to spend thousands of dollars and several years on a course of education was very important. It was reasonable to expect that potential students would approach the issue with some care. He found that the only two students whose evidence was given to him did not exercise appropriate care. In addition, there was no evidence to suggest that these students were particularly vulnerable. Although there was some evidence that many potential students are international, for whom English would not be their first language, the evidence also showed that these persons would be familiar with the Internet.34 [les italiques sont nôtres] Sur la base de ces principes, la Cour d’appel a estimé que le juge de première instance avait, à bon droit, conclu que la publicité litigieuse ne contrevenait pas au règlement de l’Agence. 2.2.5 Conclusion Il est particulièrement intéressant de noter la précision de la Cour d’appel dans ses conclusions selon laquelle sa décision n’en est pas une en matière de propriété intellectuelle : « [i]t is important to understand what this case concerns. It is not a dispute over intellectual property and the result should not be considered in that context »35. Malgré tout, la Cour n’a pas complètement écarté certains principes applicables en matière de confusion propres aux marques de commerce. À ce titre, il est reconnu que, dans leur analyse de la confusion entre deux marques de commerce, les tribunaux doivent, entre autres choses, prendre en considération la nature du commerce en cause. Ainsi, la valeur monétaire d’une marchandise ou d’un service 34. Ibid., par. 35 et 36. 35. Ibid., par. 38. 1276 Les Cahiers de propriété intellectuelle peut vraisemblablement affecter l’analyse de la confusion. Selon ce critère, il est raisonnable de croire que l’achat d’une marchandise ou d’un service dispendieux nécessite une certaine réflexion de la part du consommateur, ce qui tend à diminuer, voire dissiper, le risque de confusion36. Toutefois, suite à la récente décision de la Cour suprême Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.37 (ci-après « Masterpiece »), il est permis de se demander si la conclusion de la Cour dans l’affaire Private Career aurait été différente si rendue postérieurement à cet arrêt. Tel que nous le verrons plus loin, l’arrêt Masterpiece a en effet fourni des précisions importantes quant à l’incidence de la nature et du coût des marchandises ou des services sur l’analyse relative à la confusion. 2.3 Conclusion Des décisions qui précèdent, force est de constater que la jurisprudence canadienne tend à légitimer l’emploi de marques de commerce et de dénominations sociales d’un tiers dans le cadre du référencement payant. Il ressort également de ces deux décisions que les tribunaux canadiens n’ont pas encore traité formellement de la question de l’emploi de marques de commerce dans le contexte du référencement payant au regard de la Loi. S’il est vrai que ces jugements font référence à des notions propres aux marques de commerce, aucun n’a cependant examiné explicitement les recours dont dispose le titulaire d’une marque en vertu de la Loi. Pourtant, il semble que tant la jurisprudence américaine qu’européenne aient appliqué la législation en matière de marques de commerce au référencement payant. Bien qu’il ne soit pas dans notre intention de résumer cette jurisprudence, nous croyons cependant intéressant d’analyser la potentielle solution canadienne. Dans ce contexte, nous examinerons dans les prochains développements certains recours disponibles au titulaire d’une marque de commerce en vertu de la Loi. 36. Voir notamment : Bagagerie SA c. Bagagerie Willy Ltée, (1992) 45 C.P.R. (3d) 503. 37. Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 SCC 27. Marques de commerce et référencement payant... 1277 3. RECOURS EN VERTU DE LA LOI Avant de nous pencher sur les recours qu’offre la Loi au titulaire d’une marque de commerce enregistrée sous les articles 19, 20 et 22 de la Loi, nous croyons pertinent de rappeler brièvement l’étendue de la protection conférée par l’enregistrement d’une marque de commerce (Section 3.1). Une fois ces principes posés, nous examinerons ensuite les recours en violation (Section 3.2) et en commercialisation trompeuse (Section 3.3). 3.1 Remarques préliminaires L’obtention de l’enregistrement d’une marque de commerce confère à son titulaire un monopole d’exploitation de cette marque. Ce principe est une des pierres angulaires de la Loi et de là découlent les divers recours dont bénéficie le titulaire de la marque enregistrée. L’article 19 de la Loi cristallise cette notion en les termes suivants : 19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.38 [les italiques sont nôtres] Cette disposition est ainsi la plaque tournante de la Loi, conférant au propriétaire d’une marque de commerce enregistrée le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne les marchandises ou services mentionnés à l’enregistrement. En plus de prescrire un droit exclusif à l’emploi, l’article 19 de la Loi confère également au titulaire d’une marque enregistrée un droit de recours en cas de violation, lequel est prévu aux articles 19, 20 et 22 de la Loi (Section 3.2). La Loi confère aussi aux titulaires d’une marque de commerce, enregistrée ou non, un recours en commercialisation trompeuse au paragraphe 7b) de la Loi (Section 3.3). Le titulaire d’une marque de commerce enregistrée bénéficie donc d’une protection plus vaste de celle dont dispose le titulaire d’une marque de commerce de droit commun. 38. Loi, précité, note 7, art. 19. 1278 Les Cahiers de propriété intellectuelle 3.2 Violation : articles 19, 20 et 22 de la Loi 3.2.1 Principes généraux L’article 19, joint aux articles 20 et 22 de la Loi, demeure pour le propriétaire d’une marque enregistrée le fondement des recours possibles à l’encontre d’un tiers qui utilise sans autorisation une telle marque. Tel que le souligne la Cour fédérale : La marque enregistrée détermine la portée du droit exclusif conféré par l’article 19. L’étendue de la protection de ce droit se trouve accrue par l’article 20 lorsque l’acte d’une autre personne est susceptible de créer de la confusion, et par l’article 22 lorsque ce qui est fait est susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de la clientèle attachée à la marque de commerce.39 Il s’agit donc des dispositions auxquelles référence doit être faite en cas de violation de marques de commerce enregistrées. Pour les fins de nos propos, nous résumerons brièvement la portée générale de chacun de ces articles. 3.2.2 Article 19 de la Loi 3.2.2.1 Principes généraux L’article 19 de la Loi est invoqué lorsqu’un tiers emploie une marque identique en liaison avec les mêmes marchandises ou services que ceux décrits dans l’enregistrement du titulaire. Relativement à la portée de cette disposition, Fox précise que « [...] s. 19 only deals with identical marks, and does not include impugned marks which incorporate the whole of the plaintiff’s mark with the addition of some other elements »40 [les italiques sont nôtres]. Dans l’affaire A & W Food Services of Canada Inc. c. McDonald’s Restaurants of Canada Ltd.41, la Cour fédérale s’est basée sur une jurisprudence européenne42, afin de préciser qu’un signe est 39. Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91, par. 10. 40. GILL, précité, note 26, p. 7-17. 41. A & W Food Services of Canada Inc. c. McDonald’s Restaurants of Canada Ltd., [2005] F.C.J. 503. Dans cette décision, la Cour fédérale a refusé d’appliquer l’article 19 de la Loi, car les marques en cause, à savoir « Chicken Grill » et « Chicken McGrill », n’étaient pas identiques. 42. Voir notamment : LTJ Diffusion SA c. Sadas Vertbaudet SA, [2003] F.S.R. 34. Marques de commerce et référencement payant... 1279 identique à une marque de commerce lorsqu’il reproduit, sans ajout ni suppression, l’ensemble des éléments constituant ladite marque de commerce ou lorsque, vu dans son ensemble, il contient des différences insignifiantes ne pouvant être perçues par le consommateur moyen. 3.2.2.2 Application aux faits sous étude Sur la base de ces principes, un recours en vertu de l’article 19 de la Loi serait vraisemblablement disponible dans le contexte du référencement payant, lorsqu’est utilisée : • la marque de commerce du titulaire à l’identique (par exemple, « Michelin ») ; • la marque de commerce du titulaire à l’identique avec un terme descriptif (par exemple, « Michelin pneu ») ; • la marque de commerce du titulaire avec l’ajout ou la suppression d’éléments insignifiants ne pouvant pas être perçus par le consommateur moyen (par exemple, « Michelins »). Nous croyons cependant que cette situation serait susceptible de s’appliquer davantage aux marques de commerce figuratives (par opposition aux marques de commerce nominales) et risque donc moins de se produire dans le cas sous étude. Bien entendu, les marques en cause devront être « employées » au sens de la Loi, notion abordée plus amplement dans les prochains développements (Section 4.1). 3.2.3 3.2.3.1 Article 20 de la Loi Principes généraux L’article 20 de la Loi prévoit que le droit du titulaire d’une marque enregistrée est présumé être violé lorsqu’une personne « vend, distribue ou annonce des marchandises ou des services en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion »43 [les italiques sont nôtres]. 43. Loi, précité, note 7, par 20(1). 1280 Les Cahiers de propriété intellectuelle Cette disposition prévoit donc une protection plus large en faveur du titulaire d’une marque enregistrée que celle accordée à l’article 19 de la Loi. En effet, selon l’article 20 de la Loi, il n’est pas nécessaire que la marque utilisée soit identique, ni même utilisée pour des marchandises ou services identiques, cette disposition requérant plutôt la preuve d’une confusion en vertu des critères énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi44. 3.2.3.2 Application aux faits sous étude Ceci étant dit, et sous réserve de nos commentaires relatifs à la notion d’emploi (Section 4.1), l’article 20 de la Loi pourrait vraisemblablement s’appliquer dans le contexte du référencement payant lorsqu’est notamment utilisée : • la marque de commerce du titulaire à l’identique et que celle-ci est employée en liaison avec des marchandises ou services similaires (par exemple, la marque « Michelin » en liaison avec des services de cours de conduite) ; • la marque de commerce du titulaire avec l’ajout ou la suppression d’éléments de manière à créer de la confusion dans l’esprit du consommateur moyen et que celle-ci est employée en liaison avec des marchandises ou services identiques ou différents (par exemple, la marque « Michelain » en liaison avec des pneus ou encore, avec des services de cours de conduite). 3.2.4 3.2.4.1 Article 22 de la Loi Principes généraux L’article 22 de la Loi prévoit un recours spécifique en cas de dépréciation de l’achalandage. Selon cette disposition, « [n]ul ne peut 44. « En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus ; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage ; c) le genre de marchandises, services ou entreprises ; d) la nature du commerce ; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. », ibid., par. 6(5). Marques de commerce et référencement payant... 1281 employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce »45. Tel qu’exposé par le plus haut tribunal du pays dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot46, le recours prévu à l’article 22 de la Loi a été créé afin de protéger la valeur de l’achalandage attaché à une marque de commerce ou, autrement dit, afin d’empêcher la dilution du caractère distinctif ou unique de ladite marque : Si une autre personne s’approprie une marque de commerce bien connue pour l’employer en liaison avec des marchandises [...] au fil du temps, et à force d’usage, la marque de commerce perd de sa valeur en même temps que son caractère distinctif s’atténue.47 Le recours sous l’article 22 de la Loi comporte quatre éléments constitutifs48, à savoir : • la marque de commerce enregistrée du titulaire est employée par un tiers en liaison avec des marchandises ou services, peu importe que ces marchandises ou services entrent en concurrence avec ceux de la demanderesse ; • la marque de commerce enregistrée du titulaire est suffisamment connue49 pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable ; • la marque du titulaire est employée par un tiers d’une manière susceptible d’avoir une incidence sur cet achalandage ; et • cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de l’achalandage. 45. Ibid., art. 22. 46. Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée, 2006 CSC 23. 47. Ibid., par. 40, citant FOX (Harold G.), The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1956), vol. 1. 48. Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée, précité, note 46, par. 46. 49. L’article 22 de la Loi n’exige toutefois pas que la marque en cause soit notoire ou célèbre, « mais une défenderesse ne peut faire diminuer la valeur d’un achalandage qui n’existe pas », Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée, précité, note 46, par. 46. 1282 Les Cahiers de propriété intellectuelle Fait important, la marque de commerce utilisée n’a pas à être identique, pour autant qu’il existe une ressemblance suffisante de manière à ce que la marque du titulaire soit reconnaissable par le consommateur moyen50. De plus, « la confusion n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit d’examiner un recours fondé sur l’article 22 de la Loi »51. En ce qui a trait à l’achalandage attaché à une marque de commerce, celui-ci consiste « dans l’ensemble des avantages, quels qu’ils soient, tirés de la réputation et des liens que l’entreprise a établis par des années de labeur honnête ou au prix de dépenses considérables, et qui est identifiée aux biens distribués par le propriétaire en liaison avec la marque de commerce »52. La dépréciation de cet achalandage peut survenir dans le cas de dénigrement et lorsque le caractère distinctif ou unique d’une marque de commerce est attaqué : Le terme « déprécier » est employé dans son sens lexicographique ordinaire, soit « diminuer la valeur [...] de », ainsi que « dénigrer, [...] mésestimer, rabaisser » [...]. Autrement dit, le dénigrement est une source possible de dépréciation, mais la valeur peut être diminuée autrement, comme par l’affaiblissement du caractère distinctif résultant de l’emploi de la marque tour à tour par différents usagers.53 [les italiques sont nôtres] Ainsi, sous l’égide de l’article 22 de la Loi, il n’est pas nécessaire d’établir une perte de ventes s’il est par ailleurs mis en preuve la dilution du caractère distinctif ou du caractère unique de la marque de commerce. Tel que mentionné par Fox, « [i]n this type of action contemplated by s. 22 there is no necessary confusion and hence no 50. « Si le simple observateur pouvait reconnaître la marque employée par les intimées comme celle de l’appelante (comme ce serait le cas si Kleenex était orthographié Klenex), l’emploi du mot Cliquot mal orthographié serait suffisant. Il faut interpréter les exigences de l’article 22 en tenant compte de son objet réparateur. », ibid., par. 48. 51. GAMACHE (Barry), « Quand le sort s’acharne sur la veuve (Clicquot) et l’orphelin(e) (Barbie) ou la protection des marques de commerce célèbres au Canada après les arrêts Mattel et Veuve Clicquot Ponsardin de la Cour suprême du Canada », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, vol. 256, (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2006), p. 35. 52. Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée, précité, note 46, par. 52, citant Clairol International Corp. c. Thomas Supply & Equipment Co., [1968] 2 R.C. de l’É. 552. 53. Ibid., par. 63. Marques de commerce et référencement payant... 1283 direct loss of sales, but a diminution in the uniqueness of the trademark that will eventually disadvantage the trademark owner »54. Ces circonstances d’application ne sont toutefois pas exhaustives et pourraient être vraisemblablement étendues par les tribunaux canadiens. 3.2.4.2 Application aux faits sous étude Compte tenu de ce qui précède et sous réserve de nos commentaires en matière d’emploi (Section 4.1), l’article 22 de la Loi pourrait vraisemblablement s’appliquer au référencement payant dans les cas suivants : • la marque de commerce du titulaire est reproduite à l’identique (par exemple, « Michelin ») ; ou • il existe une ressemblance suffisante entre les marques en cause, de manière à ce que la marque du titulaire soit reconnaissable par le consommateur moyen (par exemple, « Michelain ») ; et • un tiers dénigre la marque utilisée (par exemple, « Michelin radin »)55 ; ou • les agissements du tiers tendent à diminuer le caractère distinctif ou unique de la marque utilisée (par exemple, l’utilisation de la marque « Michelin » par le tiers de manière répétitive et en l’absence de contrôle de son titulaire pourrait peut-être diminuer le caractère distinctif de cette marque). 3.3 Commercialisation trompeuse (« passing-off ») : paragraphe 7b) de la Loi 3.3.1 Principes généraux L’article 7 de la Loi offre aux titulaires de marques de commerce enregistrées ou non des recours contre différentes formes de concurrence déloyale. Parmi ces recours, on retrouve le recours sta- 54. GILL, précité, note 26, p. 7-27. 55. Le dénigrement d’une marque de commerce dans le cadre du référencement payant est sans doute moins susceptible de survenir, l’annonceur souhaitant généralement profiter de la réputation et de l’achalandage rattaché à la marque utilisée. 1284 Les Cahiers de propriété intellectuelle tutaire en commercialisation trompeuse, ou « passing off »56, lequel est détaillé notamment au paragraphe 7b) de la Loi : 7. Nul ne peut : [...] b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre.57 Ce recours vise à interdire à quiconque de faire passer ses marchandises ou services pour ceux d’une autre personne : « [t]he law of passing off can be summarised in one short general proposition, no man may pass off his goods as those of another »58. Conformément à l’interprétation généralement acceptée du paragraphe 7b) de la Loi59, le recours en commercialisation trompeuse requiert essentiellement la preuve des trois éléments suivants : • l’existence d’un achalandage ou la réputation ; 56. Il convient de distinguer le recours prévu à l’alinéa 7b) de la Loi du recours en passing off que prévoit le droit commun dans les provinces de common law, ou encore, du recours en vertu de l’article 1457 du Code civil du Québec au Québec. À cet égard, voir notamment : Alexandra STEELE, « Tromperie commerciale et passing-off : développements récents », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2003). Le recours prévu à l’alinéa 7b) de la Loi constitue essentiellement une codification du recours en passing off qui existe dans les provinces de common law. À cet effet, voir : Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, par. 23 ; MacDonald c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134, 147 et Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/ Nortac Industries Ltd., (1986) 8 C.I.P.R. 232, 241, infirmée en partie par [1987] 3 C.F. 544. 57. Loi, précité, note 7, par. 7b). 58. Reckitt & Colman Products Ltd. c. Borden Inc., [1990] 1 All E.R. 873, citée avec approbation dans Ciba-Geigy c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, par. 32. 59. Tel que le mentionne Jean-Philippe Mikus, « [l]e texte du paragraphe 7b) ne reprend pas textuellement la trilogie de conditions d’ouverture [du recours en passing off de common law]. Il s’agit plutôt d’une interdiction d’appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada. Cette rédaction différente a porté certains juges à tailler sur mesure les conditions d’ouverture du recours aux mots employés au paragraphe 7b) de la Loi sur les marques de commerce plutôt que de déférer aux énoncés usuels, mais ces décisions ne font pas Marques de commerce et référencement payant... 1285 • la tromperie ; et • un préjudice réel ou probable60. L’existence d’un achalandage ou de la réputation est le fait pour l’élément protégeable du titulaire d’être reconnu sur le marché et d’être associé dans l’esprit du public aux marchandises ou services de ce dernier61. La tromperie implique quant à elle la déception du public due à une représentation trompeuse62. Enfin, le préjudice réel ou probable peut être constitué de dommages de nature variée, notamment de pertes financières, d’une diminution de la valeur de l’achalandage, voire, d’une perte de contrôle sur l’impact de son nom commercial63. Il ressort de ce qui précède que le recours en commercialisation trompeuse diffère à plusieurs égards des recours en violation. Parmi ces différences, il importe de noter que l’action en commercialisation trompeuse ne requiert pas qu’une marque soit employée au sens de l’article 4 de la Loi. De plus, les marques de commerce ne constituent qu’un seul des éléments protégeables en vertu du paragraphe 7b) de la Loi, dont la portée s’étend notamment aux noms commerciaux. Enfin, contrairement aux recours en violation, celui en commercialisation trompeuse ne protège pas la marque per se, mais vise plutôt à sanctionner le fait de faire passer ses marchandises ou services pour ceux d’un autre. Dans ces circonstances, l’ajout d’un élément tel qu’une mention d’exonération est susceptible dans certains cas de limiter la responsabilité du tiers. Ceci n’est toutefois pas le cas pour 60. 61. 62. 63. ressortir clairement si une approche est plus favorable que l’autre. [...] Avec certaines hésitations, il apparaît que le recours sous l’article 7b) de la Loi sur les marques de commerce entrepris par le titulaire de la marque notoire fera appel aux mêmes conditions d’ouvertures que le passing off de common law. » Voir MIKUS (Jean-Philippe), « La protection des marques de commerce notoires au Canada », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2004). Voir Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., précité, note 56, par. 66 et s., Ciba-Geigy c. Apotex Inc., précité, note 58, par. 33. Reckitt & Colman Products Ltd. c. Borden Inc., [1990] 1 All E.R. 873, cité dans Ciba-Geigy c. Apotex Inc., précité, note 58, par. 32 ; Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., précité, note 56, par. 67. Ibid. Ibid. Relativement au fait que les dommages peuvent être constitués d’une perte de contrôle sur la marque, voir notamment : 2 for 1 Subs Ltd. c. Ventresca, (2006) 48 C.P.R. (4th) 311, par. 55 et Cheung c. Target Event Production Ltd., 2010 CAF 255, par. 24 et s. 1286 Les Cahiers de propriété intellectuelle les recours en violation, le contexte de l’emploi ayant vraisemblablement peu d’incidence sur ces recours64. 3.3.2 Application aux faits sous étude Le recours en commercialisation trompeuse pourrait vraisemblablement trouver application dans le contexte du référencement payant. Dans le cas sous étude, le titulaire d’une marque de commerce pourrait probablement invoquer avec succès ce recours s’il met en preuve : • que le tiers a utilisé sa marque de commerce de manière à tromper le public (par exemple, l’utilisation de la marque « Michelin » comme seul élément du lien promotionnel du tiers)65 ; • que cette fausse représentation a créé ou risque probablement de lui créer des dommages, incluant une diminution de la valeur de son achalandage ou une perte de contrôle de sa marque de commerce (par exemple, si l’utilisation ci-dessus décrite entraîne une migration de la clientèle de Michelin vers le tiers se traduisant par une baisse de ventes). Nous verrons toutefois ci-après que les chances de succès de ce recours sont notamment tributaires de la preuve d’une représentation trompeuse, laquelle semble constituer un défi particulier dans le contexte du référencement payant (Section 4.2). 64. « La protection que confère une marque de commerce enregistrée ne change pas en raison des circonstances qui teintent le contexte d’emploi de celle-ci. Par exemple, le monopole conféré par l’enregistrement d’une marque de commerce grâce à l’article 19 de la Loi n’est pas modifié en raison de la présence sur l’emballage qui montrerait la marque enregistrée d’autres marques, d’autres dessins, d’autres couleurs ou d’autres éléments qui retiendraient également l’attention du consommateur. [...] En d’autres mots, le monopole de l’article 19 s’applique quelles que soient les circonstances d’emploi de la marque ; ce monopole n’est pas « réduit » ou « diminué » dans certains cas en raison du contexte d’emploi. », GAMACHE, (Barry), « L’enregistrement de marque de commerce, un outil important d’attaque et de défense... à ne pas perdre en raison d’un revamping ou d’une mise à jour de la présentation de la marque protégée », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, Développements récents en propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions Blais, 2009), p. 95. 65. Dans certains cas, il pourrait être plus difficile d’établir une telle représentation trompeuse, tel que lorsque la marque du titulaire est simplement saisie dans la barre de recherche. Sur ce sujet, voir notamment : TAUBNER (Reed W.), « Google Adwords And Canadian Trademark Law », (2009) 7 Canadian Journal of Law & Technology, 289, 305 et 306. Marques de commerce et référencement payant... 1287 4. DÉFIS PARTICULIERS Au vu de ce qui précède, force est de constater que le titulaire d’une marque utilisée par un tiers pour effectuer du référencement payant pourrait vraisemblablement bénéficier de plusieurs recours en vertu de la Loi. Toutefois, si ces recours semblent être disponibles, il n’en demeure pas moins que d’importants défis devront être surmontés pour avoir gain de cause. D’abord, les articles 19, 20 et 22 de la Loi requièrent que la marque en cause soit « employée » au sens de la Loi ; la notion d’emploi constitue une des pierres angulaires de ces recours dont l’application peut s’avérer difficile dans le présent contexte (Section 4.1). De plus, sous l’article 20 et le paragraphe 7b) de la Loi, le titulaire de la marque doit démontrer que l’utilisation de celle-ci par un tiers crée de la confusion ou induit le public en erreur ; sur le Web, l’application de ces concepts peut soulever certaines difficultés, comme nous le verrons (Section 4.2). 4.1 Notion d’emploi Advenant que les critères de chacun des recours prévus aux articles 19, 20 et 22 de la Loi soient remplis, rien n’empêche à première vue que ces recours soient invoqués par le titulaire d’une marque enregistrée dans le contexte sous étude. Toutefois, une réserve d’envergure s’impose : chacun de ces recours présuppose que la marque soit « employée » au sens de la Loi. Or, la conception traditionnelle de l’emploi peut soulever des défis particuliers lorsque transposée au contexte du Web66. Dans ces circonstances, nous croyons important de nous attarder sur cette notion centrale67, afin d’évaluer si les titulaires dont la marque est utilisée pour effectuer du référencement payant peuvent se conformer à cette exigence. Plus particulièrement, nous tenterons de déterminer si (i) la saisie de la marque dans la barre de recherche déclenchant des liens promotionnels (voir encerclé ci-dessous) et 66. SOOKMAN (Barry), Computer, Internet and Electronic Commerce Law, 2e éd., vol. 2, (Toronto : Carswell, 2005), p. 5-1. 67. La notion d’emploi est fondamentale en matière de marque de commerce, l’acquisition de droits sur marque reposant sur son emploi : « [c]ontrairement à d’autres formes de propriété intellectuelle, le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable », Mattel U.S.A. Inc. c. 3894207 Canada inc., 2006 CarswellNat 1401, par. 5. 1288 Les Cahiers de propriété intellectuelle (ii) son apparition dans ceux-ci (voir encadré ci-dessous) constituent un « emploi » au sens de la Loi. 4.1.1 Définition L’article 2 de la Loi définit la notion d’emploi en les termes suivants : « [à] l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services »68. Selon cette disposition, référence doit donc être faite à l’article 4 de la Loi, lequel se lit comme suit : 4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée. 68. Loi, précité, note 7, art. 2. Marques de commerce et référencement payant... 1289 (2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services. [...]69 Une distinction doit ainsi s’imposer entre l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises, d’une part, et des services, d’autre part. 4.1.2 Emploi en liaison avec des marchandises 4.1.2.1 Principes généraux Une marque de commerce sera réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce : • elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou • si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée. Dans un cas comme dans l’autre, il est essentiel que la marque soit apposée ou autrement liée aux marchandises « dans la pratique normale du commerce », lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises. L’expression « pratique normale du commerce » n’a toutefois fait l’objet d’aucune définition précise de la part de nos tribunaux. Ceux-ci ont plutôt indiqué qu’il ne leur revient pas d’établir de critères à ce sujet : It would be extremely difficult for this court to establish standards as to what is « the normal course of trade », particularly when we consider the number of diverse and varied endeavors that are being carried on. [...]. It is left open to me to find and set standards, which is not my function. It is up to the applicant to satisfy the court.70 69. Ibid., art. 4. 70. Institut national des appellations d’origine des vins & eaux-de-vie c. Canada (Registrar of Trade Marks), 1983 CarswellNat 658, par. 18-19. 1290 Les Cahiers de propriété intellectuelle En dépit de l’absence de définition claire de l’expression « pratique normale du commerce », il ressort des décisions en la matière que ce concept requiert à tout le moins que le transfert de propriété ou de possession des marchandises s’effectue dans le cadre d’une transaction, afin d’acquérir des profits ou un achalandage71. Partant de ce constat, il est généralement admis que les dons de marchandises pour des fins charitables, par exemple, ne constituent pas un emploi « dans la pratique normale du commerce »72. Une fois la « pratique normale du commerce » établie, l’emploi de la marque en liaison avec des marchandises surviendra s’il est démontré que celle-ci était apposée sur les marchandises ellesmêmes ou était de toute autre manière liée auxdites marchandises à tel point qu’avis de liaison était donné à la personne à qui la propriété ou possession était transférée. Fait important, pour que la marque soit « de toute autre manière liée aux marchandises », celle-ci doit nécessairement être visible73 ; la liaison entre ladite marque et les marchandises doit être tangible, et non simplement résulter d’une association dans l’esprit du consommateur74. Ainsi, 71. Voir notamment : Cast Iron Soil Pipe Institute c. Concourse International Trading Inc. (1998), 19 C.P.R. (3d) 393 et Osler, Hoskin & Harcourt c. Rogers Foods Ltd., (1994) 53 C.P.R. (3d) 570. 72. Voir notamment : Barrigar & Oyen c. Apache Communications International Corp., (1994) 58 C.P.R. (3d) 123. 73. Playboy Enterprises Inc. c. Germain, (1987) 16 C.P.R. (3d) 517 : « [...] in order to be deemed to be used in association with wares, at the time of the transfer of the property in or possession of such wares, the trade mark must be something that can be seen, whether it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or whether it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred. I do not understand the words “in any other manner”, in section 4(1) of the Act as depriving the word “mark” of its normal and true meaning ; I consider those words simply to mean that the “mark” can be associated with the wares (and still be visible) otherwise than by being marked on the wares themselves or on the packages in which the wares are distributed. » [les italiques sont nôtres]. Sur la base de ce principe, l’emploi d’une marque de commerce à titre de balise Méta* ne saurait constituer un emploi au sens de la Loi. Sur ce sujet, voir notamment : BURSHTEIN, précité, note 9, p. 3-7, citant Reed Executive plc. c. Reed Business Information Ltd., [2004] R.P.C. 40. * Une balise Méta est une information sur la nature et le contenu d’une page web, ajoutée dans l’en-tête de la page au moyen de marqueurs HTML, mais invisible aux yeux du consommateur. 74. Philip Morris Products S.A. c. Malboro Canada Limited, 2010 FC 1099, par. 238 : « I am therefore of the view, on the basis of that case law and of the rationale of the Trade-Marks Act as a whole, and also as a matter of statutory interpretation of section 4(1) of that Act, that the association of the mark with the wares cannot exist only in the mind of the purchaser at the time of the transfer but must be ascertainable in a more tangible way. I agree with the Plaintiffs that to ascribe Marques de commerce et référencement payant... 1291 une marque de commerce figurant sur un coupon-rabais, même si elle n’est pas apposée sur l’emballage ou sur les marchandises ellesmêmes, peut vraisemblablement être visée par la seconde partie du paragraphe 4(1) de la Loi75. 4.1.2.2 Application aux faits sous étude Au vu de ce qui précède, il semble difficile d’argumenter que (i) la saisie de la marque dans la barre de recherche déclenchant des liens promotionnels et (ii) son apparition dans ceux-ci constituent un emploi en liaison avec des marchandises au sens de la Loi. En effet, dans aucun cas la marque n’est-elle apposée sur des marchandises. Tout au plus, pourrait-il être argumenté que la marque est liée aux marchandises, par le biais d’annonces associées auxdites marchandises. Toutefois, en matière d’emploi en liaison avec des marchandises, il est reconnu que leur simple promotion ne constitue généralement pas un emploi au sens de la Loi. Pour constituer un tel emploi, il est nécessaire que la promotion soit suffisamment liée à la marchandise au moment76 du transfert de propriété : Selon la preuve, l’emploi de la marque M par BMW se limitait à des annonces publicitaires et à des documents de promotion. Un tel emploi d’une marque n’est pas en soi suffisant pour constituer un « emploi » suivant le paragraphe 4(1) de la Loi. Il faut, pour que l’emploi d’une marque dans des annonces publicitaires et dans des documents de promotion soit suffisamment lié à une marchandise pour constituer un emploi, que les annonces publicitaires et les documents de promotion aient été donnés lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises.77 [les italiques sont nôtres] abstract notions of trade-mark use that might arise through the mental associations that consumers might make would lead to uncertainty as to the scope of trade-mark rights generally and both the acquisition and infringement provisions generally. » [les italiques sont nôtres]. 75. Voir Yoplait Marques Internationales c. Cie Gervais Danone, 2011 TMOB 54. 76. Voir la décision BMB Compuscience Canada Ltd. c. Bramalea Ltd., (1989) 22 C.P.R. (3d) 561, dans laquelle la Cour fédérale traite du moment où le transfert de propriété ou de possession s’effectue pour une composante d’un système informatique. Dans cette affaire, compte tenu de la nature des marchandises en cause, la Cour a admis que l’utilisation de la marque de commerce avant et après la vente du produit informatique est un « emploi » au sens de la Loi. 77. BMW Canada Inc. c. Nissan Canada Inc., 2007 CarswellNat 5564, par. 25. Voir également : General Mills Canada Ltd. c. Procter & Gamble Inc. (1985), 6 C.P.R. 1292 Les Cahiers de propriété intellectuelle Dans le cas sous étude, aucun transfert de propriété ou de possession des marchandises n’est vraisemblablement opéré. Tout au plus, pourrait-il être argumenté qu’il existe un emploi au sens de la Loi dans les cas où une transaction en ligne est effectuée pour faire l’achat de la marchandise en question : [A]lthough not exactly contemporaneous, many users now shop, contract, and exchange title online through websites that they may have found by searching for a trademark keyword, and it is not clear whether the point of transfer restriction would present a serious obstacle to defining keying as use.78 Pour ces raisons, il semblerait difficile pour le titulaire d’une marque enregistrée d’argumenter que celle-ci est employée en liaison avec des marchandises dans le contexte du référencement payant, à moins que ceci ne s’inscrive dans le contexte de transactions en ligne. Mais qu’en est-il si la marque utilisée pour du référencement payant l’est en liaison avec des services ? Une telle utilisation pourrait-elle répondre à la notion d’emploi au sens de la Loi ? 4.1.3 4.1.3.1 Emploi en liaison avec des services Principes généraux Une marque sera réputée être employée en liaison avec des services au sens de la Loi si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services. Dans le contexte du Web, rien ne semble indiquer que ces critères en matière d’emploi soient différents79. Bien que la notion de services ne soit pas définie dans la Loi, il est toutefois reconnu que ce terme doit être interprété de manière large et libérale et que chaque situation doit être évaluée selon les faits qui lui sont propres. Tel que le mentionnait la Cour fédérale, se référant à la décision américaine American International Reinsurance Co., Inc. c. Airco, Inc.80 : (3d) 551, dans laquelle il a été admis qu’une marque de commerce apposée sur des tablettes est suffisamment liée à la marchandise au moment du transfert de propriété ou de possession. 78. TAUBNER, précité, note 65, p. 309. 79. Pro-C Ltd. c. Computer City Inc., 55 OR (3d) 577. 80. American International Reinsurance Co., Inc. c. Airco, Inc., 571 F.2d 941. Marques de commerce et référencement payant... 1293 Il apparaît évident qu’on n’a jamais tenté de définir « services » simplement en raison du nombre incalculable des services que l’esprit de l’homme est capable d’inventer. Il faudrait par le fait même que ce terme soit interprété de façon libérale. Vu ce qui précède, chaque cas doit être tranché en regard de ses faits propres, en tenant compte comme il convient des précédents.81 [les italiques sont nôtres] Ceci étant dit, certaines décisions suggèrent que l’emploi en association avec des services requiert un élément commercial82. Également, pour constituer un tel emploi, il est nécessaire que les services en cause soient exécutés au Canada83. En ce qui a trait à la notion d’annonce de services, celle-ci n’est pas définie dans la Loi et n’a fait l’objet d’aucune précision par nos tribunaux, ceux-ci se limitant à mentionner que ce concept doit être évalué au cas par cas84. Malgré tout, la Cour fédérale a semblé indiquer qu’une annonce doit permettre d’établir un lien direct vers des renseignements sur les services en cause : À mon avis, en ce qui concerne l’emploi, les noms de domaine, l’adresse électronique et les pages d’accueil des sites Web emploient la marque étant donné qu’ils sont utilisés à des fins de publicité et de promotion et qu’ils servent d’outils de liaison. Je suis arrivée à cette conclusion étant donné qu’ils constituent un lien direct vers des renseignements importants sur les services. Le courriel engendre l’accusé de réception. La page d’accueil [...] mène automatiquement à des renseignements 81. Kraft Ltd. c. Canada (Registrar of Trade Marks), [1984] 2 C.F. 874, par. 8. 82. Voir notamment : Cie générale des établissements Michelin – Michelin & Cie c. CAW – Canada, [1997] 2 FC 306. La Loi ne contient toutefois pas cette exigence, contrairement à l’emploi en liaison avec des marchandises. Certaines instances ont suggéré que l’emploi relatif à des services tel que défini au paragraphe 4(2) de la Loi devrait être lu indépendamment de celui afférent aux marchandises (voir notamment : Shapiro, Cohen, Andrews and Finlayson c. Fireman’s Fund Insurance Co., (1994) 54 C.P.R. (3d) 566). Des tribunaux ont également émis l’opinion que, compte tenu du fait que le terme « services » doit être interprété de manière large et libérale, celui-ci ne devrait pas être limité aux services comportant un élément commercial (voir notamment : War Amputations of Canada c. Faber-Castell Canada Inc., (1992) 44 C.P.R. (3d) 557. Ainsi, selon cette approche, l’emploi d’une marque de commerce dans le cadre d’un évènement charitable pourrait vraisemblablement constituer un emploi au sens de la Loi et ce, malgré l’absence d’un élément commercial. 83. Voir notamment : Marineland Inc. c. Marine Wonderland & Animal Park Ltd., [1974] 2 C.F. 558. 84. Société nationale des chemins de fer français c. Venice Simplon-Orient-Express Inc., [2002] F.C.J. 1897. 1294 Les Cahiers de propriété intellectuelle détaillés sur les services, et les noms de domaine mènent rapidement à des descriptions des services. Par ailleurs, les annonces sont expressément visées par le paragraphe 4(2).85 [les italiques sont nôtres] D’autre part, les tribunaux ont eu l’occasion de se pencher à quelques reprises sur l’application de la notion d’emploi en liaison avec des services dans le contexte du Web. Par exemple, le simple enregistrement d’une marque à titre de nom de domaine ne constituera pas un emploi au sens de la Loi86. Par contre, l’utilisation d’une marque sur un site Web en liaison avec un commerce consistant à fournir notamment des renseignements en ligne relativement à des voyages, ainsi qu’à la location et à la vente de propriétés, a été considérée par les tribunaux comme constituant un emploi au sens de la Loi87. 4.1.3.2 Application aux faits sous étude À la lumière de ce qui précède, il semblerait difficile pour le titulaire d’une marque d’argumenter qu’il y a emploi en liaison avec des services (i) lorsque la marque n’est que saisie dans la barre de recherche pour déclencher de tels liens, mais pas nécessairement (ii) lorsque celle-ci apparaît dans les liens promotionnels. En ce qui a trait aux liens promotionnels où la marque apparaît, si les services dont l’annonce fait la promotion sont exécutés au Canada, nous croyons que l’utilisation d’une marque dans ce contexte précis pourrait vraisemblablement constituer l’« annonce » de services au sens de l’article 4 de la Loi. En effet, la présentation de la marque de commerce dans de tels liens s’inscrit dans un contexte commercial visant à attirer l’intérêt du consommateur vers un site sur lequel peuvent être proposés des services. Or, ce type d’emploi correspond selon nous aux caractéristiques propres à une annonce : « [t]he purpose of advertising is to create name recognition for a ware or service and to engender a desire on the part of the reader, listener or viewer to purchase the wares or utilize the services »88. Cette position selon laquelle une telle utilisation constitue un emploi en liaison avec des services est d’ailleurs partagée par la doctrine canadienne 85. 86. 87. 88. Salam Toronto Publications c. Salam Toronto Inc., 2009 CF 24, par. 40. BURSHTEIN, précité, note 9, p. 3-11. Hayes c. Sim & McBurney, 2010 CF 924. Pro-C Ltd. c. Computer City, Inc., [2000] O.J. No. 2823. Marques de commerce et référencement payant... 1295 et américaine89, ainsi que par un certain mouvement jurisprudentiel américain et européen90. Par contre, il n’est pas clair si la saisie de la marque dans la barre de recherche pour déclencher des liens promotionnels constitue un emploi en liaison avec des services au sens de la Loi. D’une part, l’apparition de la marque qui résulte de la saisie fait-elle partie de l’annonce ? Dans la mesure où la saisie est un geste qui émane du consommateur, plutôt que de l’annonceur, et que les mots-clés saisis peuvent varier d’une personne à l’autre, nous pouvons douter du fait que l’apparition de la marque dans la barre de recherche soit couverte par l’annonce au sens de la Loi. Néanmoins, la marque reste visible en tout temps dans la barre de recherche et l’internaute effectue sans doute une association entre la marque saisie et les liens promotionnels, lesquels constituent selon nous une « annonce » aux fins de l’article 4 de la Loi. Sur la base de cette association, certains pourraient donc argumenter que la marque est « employée [...] dans l’annonce [...] des services ». D’autre part, lorsqu’un annonceur achète une marque de commerce à titre de mot-clé auprès de l’opérateur, alors que celle-ci n’apparaîtra d’aucune façon dans les liens promotionnels, il est permis de se demander si une telle utilisation constitue un emploi. Puisque la marque fait l’objet d’une exploitation sous-jacente par l’annonceur, sur le plan technique, aux fins de l’exécution de ses campagnes publicitaires, est-elle alors « employée [...] dans l’annonce [...] des services » ? 89. « [T]he definition of use with respect to services is particularly broad and would seem to catch all sponsored links with respect to services because they are essentially advertisements [...]. », TAUBNER, « Google Adwords And Canadian Trademark Law », précité, note 65, p. 309 ou « A trademark use in commerce occurs where a trademark is displayed directly in an advertisement or on a resulting page, is hidden in a metatag, or is used principally for its importance as a keyword ». McSHERRY (Corynne) et al., « ABA IP Section Quietly Considering Anti-Consumer Proposals to Regulate Keyword Advertising », Technology and Marketing Blog, 2008, cité dans BURSHTEIN, précité, note 9, p. 4-209. 90. Aux États-Unis, voir notamment : Rescuecom Corp. c. Google Inc., précité, note 5, relativement à des services de réparation et de support informatiques. Dans l’Union européenne, voir notamment : Google France SARL. c. Louis Vuitton Malletier SA, précité, note 5 ; Google France SARL c. Viaticum SA, Luteciel SARL, précité, note 5 et Google France SARL c. Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) SARL, Pierre-Alexis Thonet, Bruno Raboin, Tige SARL, précité, note 5. 1296 Les Cahiers de propriété intellectuelle Au vu de ce qui précède, il semble incertain que la saisie de la marque dans la barre de recherche pour déclencher des liens promotionnels appelle à la qualification d’emploi au sens de la Loi. En pareilles circonstances, les titulaires de marques seraient vraisemblablement favorisés si les tribunaux adoptaient une interprétation large et libérale de l’expression « employée [...] dans l’annonce [...] des services », tout comme ils l’ont fait pour l’interprétation du concept de « services ». Dans tous les cas, les propos qui précèdent doivent être nuancés, étant entendu qu’ils ne visent que la notion d’emploi, soit l’application de l’article 4 de la Loi. Or, les articles 19 et 20 de la Loi requièrent au surplus que la marque de commerce soit employée de manière à distinguer les marchandises ou services, au sens de l’article 2 de la Loi. Par contre, depuis l’affaire Clairol International Corp. c. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd.91 (ci-après « Clairol »), l’article 22 de la Loi ne nécessite pas, pour sa part, la preuve de cet élément distinctif, l’emploi devant uniquement répondre aux critères de l’article 4 de la Loi. Par conséquent, la manière dont sera employée la marque dans le cadre du référencement payant influencera les chances de succès de chacun de ces recours. 4.1.4 Emploi à titre de « marque de commerce » 4.1.4.1 Principes généraux L’article 2 de la Loi définit la notion de « marque de commerce » en les termes suivants : marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres.92 [les italiques sont nôtres] Ainsi, selon cette définition, l’emploi tel que défini ci-avant devrait l’être afin de distinguer les marchandises ou services de ceux du concurrent du titulaire de ladite marque. Cette exigence est intimement liée à la fonction même des marques de commerce, celles-ci 91. Clairol International Corp. c. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd., précité, note 52. 92. Loi, précité, note 7, art. 2. Marques de commerce et référencement payant... 1297 visant « à indiquer, de façon distinctive, la source d’un produit, d’un procédé ou d’un service, afin qu’idéalement les consommateurs sachent ce qu’ils achètent et en connaissent la provenance »93. Le type d’emploi requis pour répondre aux prescriptions de la définition de « marque de commerce » ne doit pas être interprété restrictivement94. L’intention de l’utilisateur de ladite marque est certes une considération pertinente, mais elle n’est pas pour autant déterminante95, le facteur essentiel étant l’emploi de la marque par son titulaire pour « distinguer » ses marchandises de celles des autres. Tel que mentionné par la Cour fédérale, le caractère distinctif peut être établi selon les trois critères suivants : One can also see that distinctiveness requires that three conditions be met : a. that a mark and a product [and/or service] be associated ; b. that the owner uses this association between the mark and his product [and/or service] and is manufacturing and selling his product [and/or service] ; and c. that this association enables the owner of the mark to distinguish his product [and/or service] from that of others.96 Le caractère distinctif d’une marque de commerce constitue un élément essentiel à sa validité97 et trouve directement écho dans la notion d’emploi. Si les recours prévus sous les articles 19 et 20 de la Loi nécessitent qu’une marque soit employée de manière à distinguer les marchandises ou services de ceux des concurrents, ceci n’est pas le cas pour le recours prévu à l’article 22 de la Loi. En effet, la décision Clairol, traitant de l’emploi d’une marque dans le cadre d’une publi93. Kirkby AG c. Gestions Ritvik Inc., précité, note 56, par. 39. 94. GILL, précité, note 26, p. 3-15. 95. Tommy Hilfiger Licensing Inc. c. International Clothiers Inc., 2004 CarswellNat 4005. 96. Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., précité, note 74, par. 51. 97. « Distinctiveness is of the very essence and is the cardinal requirement of a trademark, which is used to distinguish the goods of a trader from the goods of all traders », Clock Co. c. Oris Watch Co., [1931] R.C.É. 64, 67. 1298 Les Cahiers de propriété intellectuelle cité comparative, a établi que l’emploi requis pour les fins de l’article 22 de la Loi est limité aux exigences de l’article 4 de la Loi. En d’autres termes, pour établir qu’une marque de commerce est employée aux fins de l’article 22 de la Loi, nul besoin de démontrer qu’un tel emploi l’est aux fins de distinguer les marchandises ou services en cause98. Ainsi, depuis l’affaire Clairol, la nature de l’emploi à prouver diffère selon les recours entrepris. Sous l’égide des articles 19 et 20 de la Loi, la marque devra nécessairement être employée afin de distinguer les marchandises ou services du titulaire de la marque de ceux de ses concurrents. L’article 22 de la Loi, quant à lui, ne requiert pas que l’emploi le soit à titre de « marque de commerce ». Cette nuance aura vraisemblablement des incidences sur les recours pouvant être entrepris par les titulaires d’une marque dans le cadre du référencement payant. 4.1.4.2 Application aux faits sous étude Pour les raisons mentionnées plus haut, en matière de marchandises, il sera difficile pour le titulaire d’une marque d’argumenter que celle-ci est employée au sens de l’article 4 de la Loi dans le contexte du référencement payant, certains arguments pouvant toutefois être présentés en matière de transactions électroniques. Par conséquent, en l’absence de cet élément, tant les recours entrepris en vertu des articles 19, 20 que 22 de la Loi seront vraisemblablement voués à l’échec en matière de marchandises. En matière de services, toutefois, nos conclusions diffèrent en fonction du type d’utilisation de la marque de commerce. Nous croyons en effet que l’apparition de la marque dans les liens promotionnels pourrait constituer un emploi au sens de l’article 4 de la Loi, advenant que les services promus soient exécutés au Canada. Par 98. Cette position a fait couler beaucoup d’encre, celle-ci ayant pour effet de mener à des conclusions différentes, dépendamment que la marque en cause soit employée en liaison avec des services ou des marchandises. La Cour fédérale, sous la plume de l’Honorable juge Reed, a d’ailleurs trouvé cette conclusion « quelque peu bizarre », Eye Masters Ltd. c. Ross King Holdings Ltd., (1992) 44 C.P.R. (3d) 459, par. 9. Sur ce sujet, voir notamment : GUAY (François), « Pour en finir avec l’affaire Clairol : l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce prévient-il la publicité comparative ? », (1999) 11 Cahiers de propriété intellectuelle 441 et LÉGER (Jacques A.), « L’article 22 de la loi sur les marques de commerce : de Clairol à It’s not : le miroir aux alouettes », (1988) 4 Canadian Intellectual Property Review 375395. Marques de commerce et référencement payant... 1299 contre, en ce qui a trait à la saisie de la marque dans la barre de recherche déclenchant des liens promotionnels, il semble que la preuve d’un tel emploi soit plus difficile à démontrer. En tout état de cause, ce type d’emploi en liaison avec des services ne semblerait généralement pas constituer un emploi à titre de « marque de commerce » aux fins des recours intentés en vertu des articles 19 et 20 de la Loi. En effet, lorsque la marque du titulaire apparaît dans la publicité, elle l’est davantage aux fins d’offrir une alternative ou utilisée de façon descriptive99. Dans un tel contexte, la marque n’est vraisemblablement pas utilisée aux fins de « distinguer » les marchandises ou services du titulaire. Par contre, il sera sans doute moins difficile d’établir l’emploi de la marque en liaison avec des services sous l’article 22 de la Loi, celui-ci ne requérant pas que l’emploi le soit à titre de « marque de commerce ». Tel que le soulignait Reed W. Taubner, traitant des services publicitaires offerts par Google : AdWords may be akin to the brochure and flyer : although it may depreciate the plaintiff’s goodwill, the trademarks it uses are not affixed to any wares. Therefore, there is cause for hope that a properly disclaimed sponsored link could survive a section 22 challenge, but some doubt endures, particularly with respect to services advertised through sponsored links.100 4.1.4 Conclusion En somme, les recours entrepris en vertu des articles 19, 20 et 22 de la Loi seront d’abord tributaires de la preuve de l’emploi de la marque en cause au sens de l’article 4 de la Loi. À cet égard, il sera vraisemblablement difficile pour le titulaire d’une marque d’établir que l’utilisation de celle-ci dans le cadre du référencement payant 99. 100. Dans certains cas, la publicité sur les moteurs de recherche pourrait s’apparenter à de la publicité comparative. « La publicité comparative est une publicité qui compare les produits ou services de l’annonceur et les produits ou services d’une ou de plusieurs entreprises facilement identifiables, ou les compare aux produits ou services offerts sur le marché en général en invoquant, par exemple, leurs caractéristiques, leur valeur, leur rendement, la préférence indiquée par le public, la part du marché qu’ils occupent, les points de vente ou leur disponibilité. » Normes canadiennes de la publicité, Lignes directrices portant sur la publicité comparative, (2010). Sur les limites légales de la publicité comparative, voir : LAMOTHE-SAMSON (Madeleine), « Les publicités comparatives et les limites légales », Insight Information – La publicité au Québec, 2e éd., (2006). TAUBNER, précité, note 65, p. 311. 1300 Les Cahiers de propriété intellectuelle constitue un emploi en liaison avec des marchandises. En matière de services toutefois, le titulaire d’une marque disposerait d’arguments selon lesquels la marque est employée en liaison avec des services si celle-ci apparaît dans un lien promotionnel, mais pas nécessairement dans le cadre de sa saisie. Pour un recours intenté sous l’égide des articles 19 et 20 de la Loi, la marque de commerce devra au surplus être employée afin de distinguer les services. Cette exigence risque vraisemblablement de limiter les possibilités d’intenter un recours avec succès en vertu de ces articles, dans la mesure où bon nombre de publicités sur les moteurs de recherche présentent des alternatives à la marque recherchée ou l’utilisent à des fins descriptives, et que, dans ce contexte, la marque n’est pas utilisée aux fins de distinguer les services en cause. Ainsi, l’emploi d’une marque en liaison avec des services sera davantage susceptible de violer les droits de son titulaire sous l’article 22 de la Loi, dans le contexte du référencement payant. 4.2 Notion de représentation trompeuse Les notions de confusion et de représentation trompeuse sont respectivement centrales aux recours intentés en vertu de l’article 20 et du paragraphe 7b) de la Loi. Toutefois, tel qu’exposé ci-avant, l’application de l’article 20 de la Loi est vraisemblablement difficile à établir, étant donné que bien souvent la marque n’est pas employée à titre de « marque de commerce ». Nous nous pencherons donc brièvement sur les critères traditionnellement appliqués dans le cadre du paragraphe 7b) de la Loi (Section 4.2.1), avant d’examiner l’applicabilité au Canada de la doctrine du « initial interest confusion » (Section 4.2.2). 4.2.1 Critères appliqués 4.2.1.1 Principes généraux Pour invoquer avec succès un recours en vertu du paragraphe 7b) de la Loi, le titulaire devra notamment établir que le tiers a « appel[é] l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion »101. Il ne s’agit pas uniquement de la confusion entre 101. Loi, précité, note 7, par. 7b). Marques de commerce et référencement payant... 1301 deux marques, mais également de la confusion quant à l’association entre deux commerçants. Tel que le souligne Fox : Passing off occurs when a consumer requests the goods of a trader A but is given the goods of trader B. [...] [P]assing off [also] occurs indirectly when the goods of trader B effectively tell a falsehood about themselves, where the manner in which they packaged or sold causes purchasers to believe that they are the goods of trader A or in some way connected or associated with A.102 Il semble impossible d’énumérer ou de classifier toutes les façons possibles pour une personne d’effectuer une représentation trompeuse créant de la confusion auprès du public103. L’analyse qui vise à déterminer si une telle représentation a eu lieu est intimement liée aux faits de chaque affaire et rien n’indique que ce principe trouve exception dans le contexte du référencement payant 104. 4.2.1.2 Application aux faits sous étude Bien qu’au Canada plusieurs décisions aient évalué s’il existe de la confusion dans le contexte du Web105, les tribunaux ne semblent pas avoir développé de critères particuliers pour évaluer celleci106. Pourtant, il est permis de s’interroger sur la qualification 102. 103. 104. 105. 106. GILL, précité, note 26, p. 4-82 et 4-83. Ibid., p. 4-82 citant A.G. Spalding & Brothers c. A.W. Gamage Ltd., (1915) 32 R.P.C. 273. Voir généralement JACOBY, précité, note 3. Ces auteurs ont dénoncé le trop peu d’importance qui a été accordée aux faits par les tribunaux américains pour juger d’affaires qui leur ont été soumises en matière de référencement payant. Selon eux, la compréhension qu’ont les consommateurs des résultats de recherche ou des liens promotionnels qui leur sont présentés aurait fait l’objet de spéculations ou de suppositions de la part des tribunaux. Ils soutiennent que plusieurs affaires auraient été jugées sans un examen suffisamment approfondi sans recours à des études empiriques adéquates, par exemple, à des sondages pour évaluer si les consommateurs sont véritablement induits en erreur. Voir notamment : BURSHTEIN, précité, note 9, p. 3-36. Aux États-Unis, les tribunaux ont suggéré d’adapter les critères traditionnellement appliqués en matière de confusion, afin de prendre en considération les réalités propres au Web, développant ainsi ce qui est appelé la « Internet Trilogy ». Voir notamment : BURSHTEIN, précité, note 9, p. 3-34 et s. Un tribunal américain a même suggéré des critères spécifiques à considérer dans le contexte du référencement payant pour évaluer la confusion, soit : (i) les mécaniques générales qui caractérisent le furetage et la navigation sur le Web, où un consommateur peut aisément retourner en arrière ; (ii) les mécaniques qui caractérisent la recherche spécifique effectuée par les consommateurs et qui est 1302 Les Cahiers de propriété intellectuelle du consommateur moyen en pareilles circonstances : s’agit-il du consommateur connaissant les rouages du Web et de ses moteurs de recherche ou simplement de celui qui utilise peu fréquemment cette plateforme, sans nécessairement comprendre sa mécanique ? À cet égard, un juge anglais mentionnait ce qui suit : The web-using member of the public knows that all sorts of banners appear when he or she does a search and they are or may be triggered by something in the search. He or she also knows that searches produce fuzzy results – results with much rubbish thrown in.107 Si l’opinion de ce juge est à l’effet que le consommateur moyen est relativement averti, nous croyons qu’il demeure complexe d’évaluer avec exactitude à quel point ce dernier est cyberfuté ou cyberdébrouillard. À tout évènement, l’omniprésence du Web dans les ménages et lieux de travail semblerait dicter que le consommateur moyen possède à tout le moins une certaine compréhension du Web et des résultats qui apparaissent dans les moteurs, bien qu’il soit difficile d’évaluer avec précision la portée de cette compréhension. 4.2.3 Doctrine du « initial interest confusion » 4.2.3.1 Principes généraux Dans le contexte du référencement payant, un obstacle auquel le titulaire d’une marque risque de se heurter lorsque celui-ci doit démontrer qu’on a « appel[é] l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion »108 est que la confusion initialement créée soit souvent dissipée ultérieurement. 107. 108. en cause ; (iii) le contenu de la page Web où sont présentés les résultats de recherche, incluant le contenu du lien promotionnel lui-même ; (iv) tout contenu fourni à l’internaute sur le site Web lié du défendeur risquant d’accroître la confusion ; (v) le caractère cyberfuté ou sophistiqué de la clientèle potentielle du demandeur ; (vi) le contexte spécifique d’un consommateur ayant délibérément effectué une recherche relative à des marchandises ou services associés à une marque spécifique seulement pour trouver un lien promotionnel menant vers un détaillant de marchandises ou services du même genre ; (vii) la durée de la confusion. Voir Hearts on Fire Co., LLC c. Blue Nile, Inc., 2009 WL 794482 (D. Mass. Mar. 27, 2009). Reed Executive plc. c. Reed Business Information Ltd., précité, note 73, par. 140. Loi, précité, note 7, par. 7b). Marques de commerce et référencement payant... 1303 Dans la décision américaine Brookfield Communications, Inc. c. West Coast Entertainment Corporation109 (ci-après « Brookfield »), cette situation a été comparée au cas où un panneau de sortie d’autoroute fait faussement l’annonce d’un commerce, alors que c’est le commerce d’un concurrent qui s’y trouve. Dans cette affaire, West Coast Entertainment, qui opérait dans le domaine de la location de films, avait eu recours à la marque de commerce d’un concurrent à titre de nom de domaine et de balise Méta : Suppose West Coast’s competitor (let’s call it “Blockbuster”) puts up a billboard on a highway reading “West Coast Video : 2 miles ahead at Exit 7” where West Coast is really located at Exit 8 but Blockbuster is located at Exit 7. Customers looking for West Coast’s store will pull off at Exit 7 and drive around looking for it. Unable to locate West Coast, but seeing the Blockbuster store right by the highway entrance, they may simply rent there. Even consumers who prefer West Coast may find it not worth the trouble to continue searching for West Coast since there is a Blockbuster right there. Customers are not confused in the narrow sense : they are fully aware that they are purchasing from Blockbuster and they have no reason to believe that Blockbuster is related to, or in any way sponsored by, West Coast. [...].110 [les italiques sont nôtres] Tel que mentionné par le tribunal, dans de telles circonstances, le public n’est nullement induit en erreur au moment de l’achat des marchandises ou des services. De ce fait, ce qui est reproché au tiers est de tirer profit de l’achalandage associé à une marque pour détourner une clientèle souhaitant initialement faire affaire avec son titulaire. Ce tiers se trouve en quelque sorte à profiter des investissements effectués par le titulaire de la marque et qui lui ont permis d’accroître sa notoriété auprès du public111. Aux États-Unis, pour remédier à ce genre de situation, les tribunaux ont développé la doctrine du « initial interest confusion », laquelle est invoquée plus généralement dans le cadre de litiges en matière de marques sur le Web112 ; ce concept n’a toutefois pas reçu application au Canada en semblable matière à ce jour. 109. 110. 111. 112. Brookfield Communications, Inc. c. West Coast Entertainment Corporation, 174 F.3d 1036 (9th Cir. 1999). Ibid., par. 83. BURSHTEIN, précité, note 9, p. 4-13. Ibid. Cette doctrine est invoquée dans le cadre de litiges en matière de noms de domaines et de balises Méta. 1304 Les Cahiers de propriété intellectuelle En vertu de cette doctrine mise en lumière principalement par la décision Brookfield, lorsqu’une personne effectue une représentation trompeuse pour attirer l’attention des internautes, il y a lieu de conclure à une violation au regard du droit des marques et ce, en dépit du fait qu’une confusion initiale ait par la suite été dissipée. En effet, la doctrine du « initial interest confusion » s’attarde uniquement au fait d’attirer l’attention du public par le biais de représentations trompeuses. Le fait que l’internaute qui consulte un site Web réalise qu’il ne se trouve pas sur le site souhaité n’est vraisemblablement pas concluant. Tel que le résume Sheldon Burshtein : Although confusion is dispelled before an actual sale occurs, initial interest confusion capitalizes on the goodwill associated with a mark. Where the defendant deceptively uses the plaintiff’s trademark in a manner to capture initial consumer attention, it may be liable for trademark infringement even though no actual sale is effected as a result of the confusion. A likelihood of confusion is found due to the misappropriation of goodwill, even though the consumer realizes the true source of the goods or the services before a sale is consummated. The duration of confusion is irrelevant.113 [les italiques sont nôtres] Les raisons qui ont été invoquées à l’appui de la doctrine du « initial interest confusion » sont multiples. Entre autres, certains soutiennent que l’application du droit des marques de commerce au Web doit être flexible. Il est également soutenu que le test traditionnel visant à déterminer si le public a été induit en erreur est inadéquat ou à tout le moins insuffisant, pour remédier à certains comportements jugés répréhensibles114. Selon cette position, seule la première impression du consommateur face à une représentation trompeuse serait vraisemblablement pertinente. 4.2.3.2 Application aux faits sous étude Au Canada, la doctrine du « initial interest confusion » n’a pas à ce jour été formellement adoptée en jurisprudence. Néanmoins, certains jugements rendus par nos tribunaux semblent être compatibles avec l’application d’une telle doctrine. 113. 114. Ibid., p. 4-31. Ibid., p. 4-33. Il convient toutefois de souligner que l’application de la doctrine du « initial interest confusion » ne fait cependant pas l’unanimité et a déjà fait l’objet de plusieurs critiques aux États-Unis. Marques de commerce et référencement payant... 1305 En 2004, dans la décision Law Society of British Columbia c. Canada Domain Name Exchange115, la défenderesse Canada Domain Name Exchange Corporation avait enregistré les noms de domaine « lawsocietyofbc.ca » et « lsbc.ca », associés à la demanderesse Law Society of British Columbia. Ces noms de domaines étaient utilisés pour rediriger les internautes vers des sites diffusant du contenu pour adultes. Dans cette affaire, le tribunal a conclu que des représentations trompeuses avaient été effectuées par la défenderesse dans le cadre d’un recours en commercialisation trompeuse, et que ceci induisait le public en erreur. Bien que le tribunal n’ait pas fait mention de la doctrine du « initial interest confusion », celui-ci a néanmoins conclu à la responsabilité de la défenderesse, et ce, sans qu’aucune preuve du fait que des consommateurs aient été induits en erreur n’ait été produite116. Il est donc probable que le tribunal se soit attardé uniquement à la première impression laissée par les représentations effectuées par la défenderesse. En 2011, dans l’arrêt Masterpiece, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement dont les conclusions, bien que rendues dans un contexte ne traitant pas du Web, pourraient être compatibles avec l’application de la doctrine du « initial interest confusion » au Canada. Dans cette affaire qui traite essentiellement de l’analyse de la confusion sous l’article 20 de la Loi, les sociétés Masterpiece Inc. et Alavida Lifestyles Inc. opéraient toutes deux dans le secteur des résidences pour personnes âgées. Comme il s’agit de services généralement dispendieux, la question de l’incidence de la nature et du coût de ceux-ci sur l’analyse relative à la confusion fut soumise à la Cour. En première instance et en appel, les tribunaux avaient essentiellement conclu qu’en raison de la valeur des services en l’espèce, les consommateurs étaient « moins susceptibles de confondre la source des biens et services qu’ils recherch[aient], parce qu’il [était] peu probable qu’ils basent leur choix sur une première impression »117. Le juge de première instance avait notamment souligné qu’« en règle générale, [les consommateurs] consacrent un temps appréciable à s’informer sur la source de biens et services qui coûtent cher »118. La Cour suprême, sous la plume de l’honorable juge 115. 116. 117. 118. Law Society of British Columbia c. Canada Domain Name Exchange Corporation, 2004 BCSC 1102. Ibid., par. 21 à 35. Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyle Inc., 2008 CF 1412, par. 43. Ibid. 1306 Les Cahiers de propriété intellectuelle Marshall Rothstein, a corrigé l’interprétation du juge de première instance, affirmant ce qui suit : Il est sans importance que, comme l’a conclu le juge de première instance, « il [soit] peu probable [que les consommateurs] basent leur choix sur une première impression » ou que, « en règle générale, ils consacrent un temps appréciable à s’informer sur la source de biens et services qui coûtent cher ». En effet, tant les recherches ultérieures que l’achat qui s’ensuit ont lieu après que le consommateur a vu une marque. Cette distinction est importante car, malgré ce degré d’attention accru, il peut tout de même subsister la probabilité que des marques de commerce créent de la confusion chez le consommateur à la recherche de biens et de services onéreux. Cela dit, une telle confusion peut se dissiper après mûre réflexion au terme de recherches approfondies. Toutefois, cela ne veut pas dire que le consommateur de biens onéreux ne peut bénéficier de la protection du régime des marques de commerce parce qu’il fait preuve de prudence et de méfiance. Ce qui compte, c’est la confusion qui naît dans son esprit lorsqu’il voit les marques de commerce. Il ne faut pas déduire de la dissipation ultérieure de la confusion au terme de recherches approfondies qu’elle n’a jamais existé ou qu’elle cessera de subsister dans l’esprit du consommateur qui n’a pas fait de telles recherches. [...]119 La Cour suprême a ainsi rappelé que le critère applicable est celui de la première impression du consommateur et qu’il n’y a pas lieu de considérer les recherches qu’il effectue ultérieurement pour déterminer s’il y a confusion ou non. Certes, le plus haut tribunal du pays n’a pas formellement incorporé la doctrine du « initial interest confusion », et sa décision ne s’inscrivait pas dans le contexte du Web ni dans celui sous le paragraphe 7b) de la Loi. Malgré tout, les passages précités semblent offrir aux titulaires de marques la possibilité de présenter des arguments à l’effet qu’une confusion initiale, bien que dissipée ultérieurement, puisse être suffisante. Dès lors, il est possible de s’interroger sur l’impact qu’aura cette décision sur les litiges en matière de marques de commerce sur le Web. Dans la mesure où le critère qui doit être retenu est celui de « la première impression du consomma119. Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyle Inc., précité, note 37, par. 71 et 72. Marques de commerce et référencement payant... 1307 teur »120, la preuve de la représentation trompeuse pourrait vraisemblablement désormais être facilitée sur le Web. 4.2.4 Conclusion Des développements précédents, il appert que la preuve de la représentation trompeuse pourrait être facilitée dans le cadre du référencement payant, advenant l’introduction formelle de la doctrine du « initial interest confusion » au Canada en semblable matière. Cette doctrine est déjà appliquée par certains tribunaux étrangers, notamment parce qu’elle semble pouvoir remédier plus facilement aux représentations trompeuses rencontrées sur le Web en s’attardant davantage à la première impression du consommateur. Tel qu’exposé par le plus haut tribunal du pays, bien qu’une confusion initiale puisse être dissipée ultérieurement, il n’en demeure pas moins que le consommateur a été induit en erreur, et que des dommages ont potentiellement été subis par le titulaire d’une marque de commerce : D’ailleurs, avant qu’elle ne soit dissipée, une telle confusion peut amener le consommateur à rechercher, considérer ou acheter les marchandises ou les services d’une source dont il ignorait jusque-là l’existence ou à laquelle il ne s’était pas auparavant intéressé, et, partant, diminuer la valeur de l’achalandage rattaché à la marque de commerce et à l’entreprise à laquelle le consommateur croyait initialement avoir affaire en voyant la marque de commerce. Induire ainsi le consommateur en erreur est l’un des maux que la législation sur les marques de commerce vise à enrayer.121 [les italiques sont nôtres] La doctrine du « initial interest confusion » pourrait donc offrir une solution à cette problématique. Ceci étant dit, le titulaire dont la marque de commerce est usurpée devra malgré tout fournir une preuve convaincante à cet effet, laquelle sera vraisemblablement analysée avec circonspection par nos tribunaux122. 120. 121. 122. Ibid., par. 70. Ibid., par. 73. Ibid., par. 78 et s. À ce jour au Canada, la preuve présentée devant les tribunaux dans les litiges concernant la publicité sur les moteurs de recherche ne semble pas avoir été très convaincante. Cette preuve, essentiellement constituée de témoignages rendus par des membres du public, n’a pas été retenue dans Chocolat Lamontagne, ni dans Private Career. Dans ces deux affaires, les tribunaux ont démontré une attitude généralement sceptique à l’égard de la preuve testimoniale qui leur était présentée, jugeant les récits présentés par les témoins peu 1308 Les Cahiers de propriété intellectuelle CONCLUSION Les nombreux litiges portés devant les tribunaux canadiens confirment que l’identification d’une marchandise ou d’un service par une marque de commerce est un actif intellectuel important qu’il convient de protéger. En effet, les marques de commerce sont souvent l’objet de convoitise et d’usurpation par des tiers. Si la Loi constitue généralement un outil de premier choix pour les titulaires de marques afin de réprimer de tels abus, les principes traditionnellement appliqués peuvent néanmoins sembler inadéquats dans le contexte du Web. Ce constat trouve d’ailleurs écho dans les propos suivants de la Cour suprême dans l’arrêt Kirkby : Le domaine vaste et grandissant du droit de la propriété intellectuelle traverse une période de changements profonds et rapides. Les pressions [...] de l’évolution technologique mettent à l’épreuve ses institutions, ses classifications et, parfois, des principes ou doctrines établis [...]. La jurisprudence tente, à l’occasion avec difficulté, de tenir compte des conséquences de ces grandes tendances sociales et économiques.123 Ces propos sont particulièrement pertinents en matière de référencement payant, ce type de publicité présentant des défis particuliers aux titulaires de marques de commerce souhaitant protéger leurs actifs sur le Web, par le biais de la Loi. En effet, si les recours en violation et en commercialisation trompeuse semblent trouver application sur cette plateforme, il n’en demeure pas moins que des notions, telles celles de l’emploi et de la représentation trompeuse, peuvent soulever certaines difficultés. 123. crédibles. Voir Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc., précité, note 6, par. 114 et s. et Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc., précité, note 31, par. 69 et s. Suite à la décision rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Masterpiece, il est permis de s’interroger quant à la place que peut occuper la preuve par sondage au Canada pour éclairer un tribunal dans l’évaluation de la confusion. Tel que mentionné par la Cour, les sondages sont en effet « susceptibles d’apporter une preuve empirique des réactions des consommateurs », mais ils doivent néanmoins être utilisés avec circonspection. À cet égard, les titulaires de marques de commerce devront impérativement s’assurer que les résultats de sondages mis en preuve pour démontrer la lecture que fait le public des résultats présentés par un moteur de recherche sont suffisamment fiables et valides. Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., précité, note 56, par. 37. Marques de commerce et référencement payant... 1309 Au terme de notre analyse, il ressort que la Loi semble offrir des recours limités aux titulaires de marques de commerce dont les marques sont utilisées par un tiers dans le cadre du référencement payant. D’abord, en ce qui a trait aux recours en violation, nous croyons que l’emploi d’une marque en liaison avec des services pourrait possiblement être démontré sous l’article 22 de la Loi. Les titulaires de marques utilisées en liaison avec des marchandises ne sembleraient pas quant à eux pouvoir bénéficier des recours en violation, bien que certains arguments puissent être présentés dans le cadre d’une transaction en ligne. Ensuite, en ce qui a trait au recours en commercialisation trompeuse, advenant que nos tribunaux introduisent plus particulièrement la doctrine du « initial interest confusion », un recours sous l’égide du paragraphe 7b) de la Loi pourrait être invoqué, sous réserve toutefois d’une preuve convaincante à l’effet qu’il existe un préjudice réel ou probable. Dans le contexte du référencement payant, les recours en dépréciation de l’achalandage et en commercialisation trompeuse constitueront ainsi les recours les plus susceptibles d’être invoqués par les titulaires de marques. Ces recours partagent une prémisse commune en ce sens qu’ils visent à protéger l’achalandage rattaché à la marque de commerce, contrairement aux articles 19 et 20 de la Loi, qui confèrent davantage une protection à la marque per se. Aussi, l’utilisation de la marque d’un tiers dans le cadre du référencement payant ne sera vraisemblablement sanctionnée que lorsque les agissements seront contraires aux principes de libre concurrence. Cette position nous semble être conforme au fondement même du droit des marques de commerce. En effet, il convient de s’assurer de « ne pas créer une zone d’exclusivité et de protection allant au-delà de l’objet du droit des marques de commerce »124. S’il est important de considérer le droit qu’a le propriétaire de la marque de commerce de protéger son investissement dans la marque, il ne faut pas pour autant perdre de vue les « intérêts du public et des autres commerçants, [ainsi que] des avantages d’une concurrence ouverte »125. 124. 125. Mattel, inc. c. 3894207 Canada inc., précité, note 67, par. 22. Ibid. Vol. 23, no 3 L’art et la propriété intellectuelle Jacques de Werra* 1. L’ART ET LE DROIT D’AUTEUR . . . . . . . . . . . . . 1315 1.1 L’œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1315 1.1.1 Création de l’esprit . . . . . . . . . . . . . . . 1316 1.1.2 L’appartenance au domaine littéraire ou artistique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1317 1.1.3 L’individualité de l’œuvre . . . . . . . . . . . 1319 1.2 L’auteur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1323 1.2.1 La notion d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . 1323 1.2.2 L’auteur et l’artiste-interprète . . . . . . . . . 1325 1.3 Les droits d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1327 © Jacques de Werra, 2011. * Professeur ordinaire de droit de la propriété intellectuelle et de droit des obligations à la Faculté de droit de l’Université de Genève, LL.M. Columbia Law School. La présente contribution qui présente la thématique sous l’angle du droit suisse avec des perspectives de droit comparé constitue une version actualisée et traduite en français du chapitre « Kunst und Immaterialgüterrecht » parue dans l’ouvrage collectif « Kultur Kunst Recht », MOSIMANN (Peter) et al. (éd.) (Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2009), <http://www.helbing.ch/>. 1311 1312 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.3.1 Portée et limites du droit d’auteur . . . . . . . 1327 1.3.2 Les droits patrimoniaux . . . . . . . . . . . . 1331 1.3.3 Le droit moral . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1332 1.3.3.1 Droit de divulgation . . . . . . . . . 1332 1.3.3.2 Droit de paternité. . . . . . . . . . . 1333 1.3.3.3 Droit à l’intégrité de l’œuvre . . . . . 1341 1.4 Les limites de la protection . . . . . . . . . . . . . . 1346 1.4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1346 1.4.2 Conflit entre le droit d’auteur et la liberté de l’art . . . . . . . . . . . . . . . . 1347 1.4.3 L’exception de citation . . . . . . . . . . . . . 1350 1.4.4 L’exception de parodie . . . . . . . . . . . . . 1352 1.4.5 L’exception pour les catalogues de musées, d’expositions et de ventes aux enchères . . . . 1353 1.4.6 L’exception de la liberté de panorama . . . . . 1354 1.5 Actes de disposition du droit d’auteur . . . . . . . . 1355 1.5.1 Cession du droit d’auteur. . . . . . . . . . . . 1355 1.5.2 Gestion individuelle et gestion collective des droits d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . 1357 1.5.3 Création dépendante et droit d’auteur . . . . 1358 1.5.4 Transmission du droit d’auteur par succession . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1361 1.6 Relation entre le droit d’auteur sur l’œuvre et le droit de propriété sur l’exemplaire matériel de l’œuvre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1362 L’art et la propriété intellectuelle 1313 1.7 Droit d’auteur et exploitation des œuvres numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1365 2. L’ART ET LE DROIT DES MARQUES. . . . . . . . . . . 1372 2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1372 2.2 La fonction d’identification de la signature artistique et de la marque . . . . . . . . . . . . . . . 1375 2.3 L’utilisation du droit des marques en matière artistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1377 2.4 La portée de la protection du droit des marques . . . 1382 2.5 Les limites de la protection . . . . . . . . . . . . . . 1387 3. L’ART ET LE DROIT DU DESIGN . . . . . . . . . . . . . 1390 4. L’ART ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE DÉLOYALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1392 4.1 Le rôle du droit de la concurrence déloyale . . . . . . 1392 4.2 Les limites du droit de la concurrence déloyale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1394 Bien que la relation entre l’art et le droit de la propriété intellectuelle appelle principalement une analyse du droit d’auteur dès lors que ce domaine du droit a précisément pour but de protéger les œuvres littéraires et artistiques (voir ci-dessous, 1), il convient d’étudier d’autres domaines du droit de la propriété intellectuelle qui sont également susceptibles de jouer un certain rôle dans le contexte de l’art. Ainsi est-il utile de présenter le droit des marques (voir ci-dessous, 2), le droit du design (voir ci-dessous, 3) et le droit de la concurrence déloyale (voir ci-dessous, 4)1. 1. L’ART ET LE DROIT D’AUTEUR 1.1 L’œuvre Pour être protégée, l’œuvre doit constituer une création de l’esprit appartenant au domaine littéraire ou artistique et avoir un caractère individuel (art. 2, al. 1 LDA)2. 1. Il n’apparaît pas nécessaire de consacrer un chapitre au droit des brevets, même si l’on peut constater, à titre anecdotique, que certains artistes ont recouru au droit des brevets pour protéger leur création; ainsi, l’artiste Yves Klein a déposé un brevet pour un « procédé de décoration ou d’intégration architecturale et produits obtenus par l’application dudit procédé » en 1960 ; sur ces questions et, plus généralement, sur l’évolution de l’art vers une approche industrielle (dans laquelle l’artiste ne crée pas mais invente), voir l’intéressant ouvrage de SEMIN (Didier), Le peintre et son modèle déposé (Genève : Les presses du réel, 2001) et, sous l’angle juridique, l’article de TREPPOZ (Edouard), « Quelle(s) protection(s) juridique(s) pour l’art contemporain ? », (2004) 209 Revue internationale du droit d’auteur 51, particulièrement 57 et s. ; pour une autre utilisation récente du droit des brevets en matière architecturale, voir le brevet européen EP 1455033 délivré le 4 janvier 2006 et le brevet américain US 7,237,361 correspondant délivré le 3 juillet 2007 dont l’architecte suisse Hans Zwimpfer est titulaire, l’invention portant sur un concept architectural (« Wohnhaus mit gestafelten Geschosswohnungen »/ « bâtiment d’habitation avec des étages échelonnés ») désigné par le terme « Pile Up », ces termes faisant l’objet de marques (voir la marque suisse combinée CH 502104 « ZWIMPFER PILE UP » enregistrée le 14 août 2002 et la marque verbale CH 561830 « PILE UP » enregistrée le 5 septembre 2007) ; pour une présentation, voir le site <www.zapco.ch> ; pour une critique de ce brevet, voir MOSIMANN (Peter), « Architektur und Patentschutz », Jusletter 23 juillet 2007. 2. Loi fédérale suisse sur le droit d’auteur et les droits voisins du 9 octobre 1992, RS 231.1 (accessible à : <http://www.admin.ch/ch/f/rs/c231_1.html>). 1315 1316 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.1.1 Création de l’esprit En définissant l’œuvre comme une « création de l’esprit » (art. 2, al. 1 LDA), la loi exige un acte créatif d’un être humain, ce que confirme le principe du créateur consacré à l’art. 6 LDA (en vertu duquel la personne physique qui a créé l’œuvre est titulaire originaire du droit d’auteur). Ainsi, les créations protégeables par le droit d’auteur doivent avoir leur source dans l’esprit humain, peu importe à cet égard que l’esprit dans lequel la création a germé et duquel elle s’est exprimée était défaillant ou même inconscient au moment de l’acte créatif3. A contrario, des créations faites par des animaux ne pourront pas être protégées par le droit d’auteur. La question pourrait paraître plus délicate pour ce qui concerne les créations effectuées au moyen d’un ordinateur. Toutefois, il est évident que l’ordinateur ne pourra fonctionner et donc créer que sur la base d’instructions données par une ou plusieurs personnes humaines. Dans ces circonstances, même dans le cas où la programmation serait fondée sur un processus aléatoire, on doit admettre que les créations qui résulteraient de l’application de ce processus sont des créations de l’esprit4. De manière similaire, des créations artistiques dans lesquelles une part serait volontairement laissée au hasard par l’artiste ne seraient pas exclues de la protection par ce simple fait. Par contre, l’existence d’une création de l’esprit sera incertaine en cas de simple découverte d’un objet dans la nature par un artiste, même si un tel objet devait ensuite être présenté comme de l’art5. Dans une telle hypothèse, on peut en effet douter qu’il y ait effective- 3. Ainsi les créations des mineurs, des incapables de discernement, des interdits, des personnes souffrant de maladies mentales sont des créations de l’esprit potentiellement protégeables par le droit d’auteur, voir VON BÜREN (Roland) et al., « Der Werkbegriff », VON BÜREN (Roland) et al. (éd.), Schweizerisches Immaterialguter- und Wettbewerbsrecht, Bd. II/1, (Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2006), 51, 63; sur cette question, voir plus généralement SCHWEIZER (Laurent), Le statut des œuvres d’art créées en établissement psychiatrique, thèse Lausanne, (Zurich : Schulthess, 1996) (volume no 7 des Études en droit de l’art). 4. VON BÜREN/MEER, 64 s. et 106 ss. 5. VON BÜREN/MEER, 64 particulièrement note 8 ; contra: KUMMER (Max), Das urheberrechtlich schützbare Werke, (Berne : Stämpfli, 1968), 103 et DESSEMONTET (François), Le droit d’auteur, (Lausanne : CEDIDAC, 1999) (cité : DESSEMONTET, Droit d’auteur), no 167, 118 (qui envisage de reconnaître une individualité dans le processus de sélection des objets). L’art et la propriété intellectuelle 1317 ment une création de l’esprit6. Il devrait en aller de même pour ce qui concerne les œuvres du « ready made ». Dans un cas comme dans l’autre en effet, le processus de présentation d’un objet naturel ou quotidien dans un contexte artistique ne suffit pas à en faire une création de l’esprit7. Par contre, l’utilisation de matériaux préexistants dans le but de concevoir une œuvre artistique nouvelle n’empêchera pas de reconnaître le statut de « création de l’esprit » de l’œuvre ainsi créée8. 1.1.2 L’appartenance au domaine littéraire ou artistique Selon la loi, une œuvre peut être protégée par le droit d’auteur, lorsque celle-ci appartient au domaine littéraire ou artistique9. Toutefois, la condition de l’appartenance de l’œuvre au domaine artistique peut être délicate à apprécier dans un cas particulier car cette question soulève celle de la définition de l’art comme tel. Or, la loi interdit précisément de juger de la valeur artistique d’une œuvre pour apprécier sa protection éventuelle par le droit d’auteur10. Ainsi, la loi protégera autant les chefs d’œuvre que les œuvres de seconde 6. En tout état, même à supposer qu’on puisse admettre l’existence d’une création de l’esprit, il paraît très douteux qu’une telle création soit individuelle au sens du droit d’auteur, sur cette question, voir ci-dessous 1.1.3. 7. Dans ce sens, voir VON BÜREN/MEER, 105; SCHACK (Haimo), Kunst und Recht: bildende Kunst Architektur Design und Fotografie im deutschen und internationalen Recht, 2e édition (Tübingen: Mohr Siebeck, 2009) (cité : SCHACK, Kunst), no 17, 10; moins catégorique: DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 167, 118; une telle démarche avait notamment été suivie par l’école du nouveau réalisme, voir la Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme (proclamant « Nouveau Réalisme nouvelles approches perceptives du réel »), signée par Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques Villeglé dans l’atelier d’Yves Klein le 27 octobre 1960. 8. On peut ainsi songer à certaines œuvres de l’artiste César (César Baldaccini) ayant compressé nombre de carcasses de voitures pour en faire des œuvres d’art (par un processus de « compression dirigée ») ; pour d’autres exemples, voir STUDER (Peter), « Die Kunstfreiheit und ihre Grenzen – Urheberrecht, Personlichkeitsrecht, unlauterer Wettbewerb », Ehrenzeller Bernhard (éd.), Das schwierige Geschäft mit der Kunst, (Saint-Gall : Institut für Rechtswissenschaft und Rechtspraxis, 2003), 9 ss; pour une approche plus libérale vis-à-vis de nouvelles catégories d’œuvres, voir GLAUS (Bruno) et al., Kunstrecht: ein Ratgeber für Künstler, Sammler, Galeristen, Kuratoren, Architekten, Designer, Medienschaffende und Juristen, (Zürich : Schulthess, 2003), 24 ss. 9. L’art. 1 al. 1 let. a LDA dispose que la loi règle « la protection des auteurs d’œuvres littéraires et artistiques » et l’art. 2, al. 1 LDA définit l’œuvre comme « toute création de l’esprit, littéraire ou artistique, qui a un caractère individuel ». 10. Art. 2 al. 1 LDA. 1318 Les Cahiers de propriété intellectuelle catégorie11, que celles-ci soient douteuses, vulgaires ou – même – choquantes12. Sur cette base, on s’accorde généralement à admettre que la condition de l’appartenance au domaine littéraire13 ou artistique posée par la loi ne doit pas être conçue trop restrictivement14. En effet, on ne saurait permettre aux tribunaux de décider librement et subjectivement si une création donnée appartient ou non au domaine artistique15. On pourra en particulier admettre que cette condition de l’appartenance au domaine artistique sera donnée si l’auteur de l’œuvre considère lui-même que sa création relève du domaine artistique16. Dans ce cadre, la présentation de l’œuvre dans un contexte artistique (par exemple dans une exposition) pourra constituer un indice démontrant le caractère artistique de l’œuvre concernée17, même si l’on ne doit pas confier uniquement à l’artiste le soin de décider ce qui constitue de l’art, et ce qui, partant, pourrait être protégé par le droit d’auteur18. En fin de compte, la condition du caractère littéraire ou artistique d’une création sera appliquée souplement et ne sera en pratique pas déterminante sous l’angle du droit d’auteur, au contraire de la condition essentielle de l’individualité de l’œuvre. 11. ATF 105 II 297, 299; JdT 1980 I 261, 271; DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 161, 110. 12. TF, [1998] Sic! 388, 389 consid. 3c; certaines sanctions juridiques pourront toutefois résulter du caractère contraire aux mœurs des œuvres concernées, voir DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 161, 111. 13. L’appartenance au domaine littéraire est quant à elle moins sujette à discussion ou à interprétation, voir VON BÜREN/MEER, 74. 14. CHERPILLOD (Ivan), « art. 2 LDA », Müller (Barbara)/Oertli (Reinhard) (éd.), Stampflis Handkommentar, Urheberrechtsgesetz (URG), (Berne: Stämpfli, 2006), no 10-11. 15. VON BÜREN/MEER, 74; voir déjà les célèbres réflexions du juge Holmes dans l’arrêt de la Cour suprême américaine Bleistein v. Donaldson Lithographics Co., 188 U.S. 239, 251 (1903) « It would be a dangerous undertaking for persons trained only to the law to constitute themselves final judges of the worth of pictorial illustrations, outside of the narrowest and most obvious limits ». 16. Certains auteurs parlent dans ce contexte de « Schutzwille » de l’auteur, voir VON BÜREN/MEER, 75, ce qui semble aller trop loin; ce qui est déterminant en effet, ce n’est pas tant la volonté de l’artiste de protéger juridiquement sa création, mais plutôt celle de faire acte de création dans le domaine artistique (ce qui pourrait peut-être être exprimé par le terme « Kunstwille »). 17. Une telle présentation ne constitue toutefois pas une nouvelle condition de protection, mais bien un indice permettant le cas échéant de déduire que la création concernée relève du domaine artistique, voir VON BÜREN/MEER, 75, note 79 ; CHERPILLOD (Ivan), L’objet du droit d’auteur, thèse Lausanne 1985 (cité CHERPILLOD, Objet), 123 ss. 18. La doctrine notant avec raison que des œuvres peuvent être protégeables même en cas de créations inconscientes faites par un auteur, SCHACK, Kunst, no 5, 6 ; voir ATF 116 II 351, JdT 1991 I 616. L’art et la propriété intellectuelle 1319 1.1.3 L’individualité de l’œuvre En vertu de l’art. 2, al. 1 LDA, la protection du droit d’auteur est soumise à la condition que l’œuvre ait un caractère individuel19. La notion de caractère individuel ou d’individualité signifie que la protection ne pourra naître que pour des œuvres exprimant un niveau de créativité suffisant pour justifier l’octroi des droits exclusifs consacrés par le droit d’auteur. Le niveau d’individualité requis ne sera pas apprécié de manière uniforme, mais dépendra au contraire des circonstances du cas particulier, et tout spécifiquement de la marge de liberté créatrice laissée à l’auteur. Ainsi, lorsque cette marge de liberté sera réduite compte tenu des contingences liées à la nature de la création en cause, la protection pourra être accordée même s’il n’y a qu’un faible degré d’activité créatrice20. Tel pourra ainsi être le cas en matière d’œuvres architecturales ou d’autres types d’œuvres à destination fonctionnelle (comme les logiciels)21. L’originalité (soit l’individualité) peut être conçue comme la « marque de l’arbitraire de l’auteur »22, la forme de l’œuvre ne méritant protection « que si elle est arbitraire, c’est-à-dire si elle est séparable de la fonction qu’elle remplit »23. Selon la jurisprudence24, le caractère individuel doit s’exprimer dans l’œuvre elle-même. L’originalité ne doit dès lors pas dépendre de la mesure dans laquelle l’œuvre reflète la personnalité de son auteur ou reproduit l’empreinte personnelle de ce dernier25. Aussi doit-on parler d’individualité liée à l’œuvre comme telle et non d’individualité liée à l’auteur26. Pour établir cette individualité, on peut se 19. Pour une intéressante discussion de cette condition, voir SOMMER (Brigitte I.) et al., « Individualität im Urheberrecht – einheitlicher Rechtsbegriff oder Rechtsunsicherheit » [2001] Sic! 287. 20. ATF 130 III 168, 170, JdT 2004 I 285, 287 ; voir déjà ATF 125 III 328, 331 (« Il ne convient pas de mesurer l’individualité ou l’originalité de chaque création à la même aune; au contraire, la liberté de manœuvre du créateur doit entrer en ligne de compte. Lorsque cette liberté est restreinte, une activité indépendante réduite suffira à fonder la protection; il en va notamment ainsi pour les œuvres d’architecture en raison de leur usage pratique et des contraintes techniques qu’elles doivent respecter »). 21. Étant précisé que la destination fonctionnelle d’une œuvre n’exclut pas sa protection par le droit d’auteur en vertu de l’art. 2, al. 1 LDA. 22. LUCAS (André) et al., Traité de la propriété littéraire et artistique, 3e éd., (Paris : Litec, 2006), n° 97, 84 s. 23. Ibid. 24. ATF 130 III 172, JdT 2004 I 289. 25. ATF 130 III 172, JdT 2004 I 289. 26. ATF 130 III 172 (« Massgebend ist die Werk-Individualität und nicht die Urheber-Individualität ») ; pour une approche contraire sous l’angle du droit allemand, voir SCHACK, Kunst, no 14, 11. 1320 Les Cahiers de propriété intellectuelle fonder sur le test de l’unicité statistique (« statistische Einmaligkeit ») formulé par Kummer27 auquel la jurisprudence se rallie28. Dans ce cadre, on doit être conscient que la nouveauté de la création concernée ne sera pas suffisante. Encore faut-il en effet que celle-ci soit jugée suffisamment créative pour pouvoir être qualifiée d’individuelle au sens du droit d’auteur. Pour juger de cette individualité, on sera ainsi amené à comparer la création en cause avec d’autres œuvres existantes ou hypothétiques (selon le concept de l’individualité relative ou comparée)29, afin de déterminer si la création concernée est suffisamment originale compte tenu de la marge de manœuvre créatrice dont pouvait disposer l’auteur30. Par opposition, le processus (potentiellement artistique) ayant conduit à la création de l’œuvre et les efforts intellectuels fournis dans ce cadre par l’auteur ne pourront pas en soi justifier la reconnaissance d’un caractère individuel à l’œuvre concernée31. Dans cette mesure, l’appréciation du caractère individuel de l’œuvre devra se déterminer sur la base du seul résultat obtenu (soit de l’œuvre elle-même)32. Sur ce fondement, une photographie d’un chanteur prise sur le vif (live) lors d’un concert (par un instantané) pourra être protégeable33 nonobstant l’absence d’un processus intellectuel de préparation de la prise de vue (l’individualité pouvant résulter en particulier du cadrage et de la sélection du moment de la prise), alors qu’une photographie mise en scène et posée ne sera pas nécessairement protégeable si aucune individualité ne résulte de cette photographie comme telle34. Le fait que le résultat obtenu puisse avoir été (partiellement) déterminé par le hasard n’empêchera d’ailleurs pas d’admettre 27. KUMMER, 30 ss; voir aussi HEIM (Elmar), Die statistische Einmaligkeit im Urheberrecht de lege lata et de lege ferenda, thèse Fribourg 1971. 28. ATF 130 III 172, JdT 2004 I 289. 29. DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 169 ss, 119. 30. ATF 125 III 331 (« Aussi, pour obtenir la protection du droit d’auteur, l’architecte ne doit-il pas créer quelque chose d’absolument nouveau, mais il peut se contenter d’une création qui est seulement relativement et partiellement nouvelle. La LDA n’accorde toutefois pas sa protection à l’architecte lorsqu’il procède à un simple apport artisanal par la combinaison et la modification de formes et de lignes connues ou lorsqu’il n’y a pas place pour une création individuelle dans les circonstances de l’espèce »). 31. DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 54 s., 36 s., indiquant que « la démarche du créateur est indifférente »; voir aussi CHERPILLOD, Objet, 42 ss. 32. CHERPILLOD, Objet, 42 ss. ; DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 55, 37. 33. ATF 130 III 168, JdT 2004 I 285 (photographie de Bob Marley lors d’un concert). 34. ATF 130 III 714, JdT 2004 I 281 (photographie mise en scène de Christoph Meili présentant des documents bancaires dans le cadre de l’affaire de l’or des nazis). L’art et la propriété intellectuelle 1321 l’individualité de l’œuvre créée, ce qui pourra être le cas dans certains courants artistiques (notamment l’Action Painting)35. La protection sera par contre parfois plus délicate à admettre pour les œuvres créées dans le cadre de courants artistiques hyperréalistes, dans lesquels l’objectif sera de copier la réalité de la manière la plus fidèle possible36. Certains tribunaux ont néanmoins considéré que le travail du copiste pouvait donner prise au droit d’auteur37, ce qui paraît douteux, le travail du copiste – aussi admirable qu’il soit sur le plan technique – ne semblant pas pouvoir atteindre un niveau suffisant d’individualité38. La question pourra être plus complexe pour ce qui concerne les travaux effectués par des restaurateurs d’objets d’art. Dans la mesure où ces travaux se limitent à remettre les objets concernés dans leur état originaire, il sera délicat d’admettre que le restaurateur puisse bénéficier d’un droit d’auteur39. Toutefois, il n’est pas exclu qu’un tel droit puisse être exceptionnellement admis dans des circonstances où le restaurateur jouirait d’une marge de liberté créatrice dans l’accomplissement de son travail40. Face à certains courants d’art contemporain, la question pourra parfois être de déterminer ce qui constitue l’œuvre potentiellement protégeable, ce afin de ne pas indûment réduire la protection (et 35. VON BÜREN/MEER, 106 ; l’expression de l’Action Painting a été inventée par le critique d’art américain Harold Rosenberg (voir par exemple son article « The American Action Painters », publié in : (1961) 1(4) The London Magazine 45-56) et dont le plus illustre représentant est le peintre Jackson Pollock (1912-1956). 36. VON BÜREN/MEER, 105 ; SCHACK, Kunst, no 17, 10, se référant en particulier aux sculptures à taille réelle de l’artiste américain Duane Hanson; voir toutefois Alfred Bell v. Catalda Fine Arts, Inc., 191 F.2d 99 (2d Cir. 1951). 37. Voir l’arrêt de la Cour de cassation française du 9 novembre 1993, (1994), 161 RIDA, 273 (pour qui « [l]es copies d’œuvres d’art plastique jouissent de la protection instituée par le Code de la propriété intellectuelle dès lors qu’exécutées de la main même de leur auteur, elles portent l’empreinte de sa personnalité, malgré le caractère relatif d’une telle originalité ») ; une telle protection ne libérera naturellement pas de l’obligation de respecter les droits sur l’œuvre préexistante, s’agissant alors de la création d’une œuvre dérivée, sur cette question, voir infra 1.3.3. 38. Pour une discussion, voir LUCAS/LUCAS, n° 132, 118 s. 39. Voir dans ce sens, concernant le travail de restauration d’une œuvre cinématographique, Cour d’appel de Paris, 5 octobre 1994, (1995) 166 RIDA 302. 40. Sur la question, voir en général l’ouvrage collectif « La restauration des objets d’art », vol. 6 des Études en droit de l’art, (Zurich : Schulthess 1995) et plus spécifiquement les contributions respectives de DREIER (Thomas), COHEN (Dany) et FRY (Robin) figurant dans cet ouvrage; voir aussi SCHACK, Kunst, no 474, 231; pour une approche plus favorable aux restaurateurs, voir MANDEL (Reid A.), « Copyrighting Art Restorations », (1981) 28 Bulletin of the Copyright Society of the USA 273. 1322 Les Cahiers de propriété intellectuelle focaliser son attention) sur le substrat matériel de l’œuvre et de prêter également attention au concept ayant précédé la création de la version finale de l’œuvre41. Ainsi, les créations de l’art conceptuel sont susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur dans la mesure où elles reposent sur des instructions précises données par l’artiste sur la mise en œuvre et sur l’application du concept artistique ainsi créé42. Par cette évolution de certains mouvements artistiques vers l’abstraction et le conceptuel, resurgit naturellement avec une grande acuité la question de la limite de la protection du droit d’auteur sous l’angle de la dichotomie classique en droit d’auteur entre la liberté des idées et la protection de l’expression43. On s’accorde à admettre que les idées et concepts artistiques ne sont pas protégeables44. Ainsi, le célèbre concept de l’artiste Christo (et de sa compagne Jeanne Claude)45 d’empaqueter des monuments construits ou naturels n’est pas protégeable comme tel. Par contre, la réalisation concrète d’un projet d’emballer un monument (notamment le Pont- Neuf à Paris46 ou le Reichstag à Berlin)47 est protégeable par le droit d’auteur. Comme déjà souligné, il conviendra toutefois de gar41. Voir les réflexions de REUTTER (Mark A.), « Plädoyer für einen differenzierten Umgang mit dem urheberrechtlichen Werkbegriff der bildenden Kunst », Liber Amicorum Kurt Siehr, (Zurich : Schulthess, 2001), 175 ss, concernant en particulier l’œuvre conceptuelle de Richard Long (www.richardlong.org), créateur de « sculptures by walking »; voir sur ces questions (même si cette contribution n’a naturellement pas pu tenir compte des dernières évolutions artistiques depuis les années 80), VISCHER (Frank), « Neue Tendenzen in der Kunst und das Urheberrecht », Recht und Wirtschaft heute, Festgabe Max Kummer, (Berne : Stämpfli, 1980), 277-289. 42. VON BÜREN/MEER, 104 s. 43. Ceci étant exprimé de manière limpide dans l’arrêt Rogers v. Koons à propos de la reprise de la photographie de Richard Rogers par Jeff Koons, 960 F.2d 301, 308 (2nd Cir. 1992) (« We recognize that ideas, concepts, and the like found in the common domain are the inheritance of everyone. What is protected is the original or unique way that an author expresses those ideas, concepts, principles or processes. Hence, in looking at these two works of art to determine whether they are substantially similar, focus must be on the similarity of the expression of an idea or fact, not on the similarity of the facts, ideas or concepts themselves. [...]. It is not therefore the idea of a couple with eight small puppies seated on a bench that is protected, but rather Rogers expression of this idea – as caught in the placement, in the particular light, and in the expressions of the subjects – that gives the photograph its charming and unique character, that is to say, makes it original and copyrightable »), voir à ce sujet <www.ncac.org/art-low/op-rog.cfm>. 44. SCHACK, Kunst, no 11, 9. 45. <www.christojeanneclaude.net>. 46. Cour d’appel de Paris, 13 mars 1986, Dalloz 1987 Sommaire commenté, 150, observations COLOMBET. 47. BGH, [2002] GRUR 605, traduit à (2003), 198 RIDA, 317, note WALRAVENS. L’art et la propriété intellectuelle 1323 der à l’esprit que l’on doit s’abstenir de systématiquement considérer qu’en matière d’œuvres des beaux-arts, l’œuvre protégeable est seulement celle qui a été concrètement réalisée, car on doit aussi examiner si d’autres éléments sont également susceptibles de protection (par exemple des esquisses et projets intermédiaires, ou plus fondamentalement certaines expressions plus abstraites du concept artistique)48. La question du caractère protégeable d’une œuvre (et tout spécialement celle de savoir si l’individualité de celle-ci est suffisante) se posera naturellement à propos de copies contre la commercialisation desquelles l’artiste ou ses ayants droit tenteront de faire valoir la violation du droit d’auteur. Dans ce cadre, on peut considérer que l’étendue de la protection pourra varier en fonction de l’individualité (soit de la créativité respective) des œuvres concernées49. Ainsi, même à supposer que l’existence d’un droit d’auteur puisse être admise sur l’œuvre prétendument copiée, cela ne signifiera pas encore que toute copie même éloignée de l’original pourra être interdite50, cette question relevant alors de la distinction (délicate) entre œuvre dérivée et libre utilisation et de l’application éventuelle d’autres exceptions du droit d’auteur51. 1.2 L’auteur 1.2.1 La notion d’auteur L’œuvre est la création d’une ou de plusieurs52 personne(s) physique(s)53. L’auteur détient alors les droits d’auteur à titre originaire et peut en disposer en faveur d’un tiers (sous réserve de certains droits incessibles)54. Seule la personne qui a fait véritablement acte de création peut revendiquer le statut d’auteur et partant jouir 48. Voir REUTTER, 183 ; étant noté que l’art. 2, al. 4 LDA réserve expressément la protection des projets; voir aussi TREPPOZ, 93 ss; se référant à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire du Pont-Neuf selon lequel « c’est l’idée de mettre en relief la pureté des lignes d’un pont et de ses lampadaires au moyen d’une toile et de cordage » qui constitue l’œuvre protégée, et soulignant cette évolution vers une protection de l’idée allant au-delà de la protection de l’expression. 49. DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 170, 119. 50. Pour une application différenciée de la protection du droit d’auteur en matière d’œuvres des beaux-arts, voir GLAUS/STUDER, 25 s. 51. Sur cette question, voir 1.3.1. 52. Sur cette question, voir infra texte accompagnant la note 59. 53. Comme vu plus haut, voir supra 1.1.1, ceci résulte de la notion d’œuvre comme création de l’esprit. 54. Sur cette question, voir infra 1.5.1. 1324 Les Cahiers de propriété intellectuelle des droits exclusifs découlant de ce statut. En matière des beauxarts, la question s’est posée par rapport à certaines créations artistiques réalisées par des artistes en collaboration avec leurs auxiliaires. La distinction devra ainsi être opérée entre le travail créatif qui serait exécuté par un tel auxiliaire qui pourra alors revendiquer le statut de co-auteur et les tâches d’exécution (non créatives) qui ne conféreront aucun droit exclusif à celle-ci. Par contraste, un artiste ne pourra revendiquer le statut d’auteur lorsque sa contribution se limite à l’indication du sujet et de directives générales, sans que cet artiste n’ait participé à la création de l’œuvre comme telle qui sera réalisée par un tiers55. De même, celui qui ne fera que donner des idées ou des directives générales à un artiste en vue de la création d’une œuvre (par exemple la personne qui commande une œuvre) ne pourra revendiquer le statut de co-auteur dans la mesure où de telles idées ou directives ne sont pas protégeables par le droit d’auteur56. Dans une fameuse affaire concernant des sculptures exécutées par Richard Guino, un élève d’Auguste Renoir, les tribunaux français ont ainsi constaté que Guino pouvait revendiquer le statut de co-auteur dès lors qu’il avait pu jouir d’une liberté créatrice dans son travail en dépit des instructions données par Auguste Renoir57. À cet égard, le fait que l’artiste qui donne des instructions se réserve un droit de contrôle sur l’œuvre créée par un tiers (son élève) sur ses instructions ne paraît pas suffisant pour admettre le statut de co-auteur d’un tel artiste58. La loi prévoit un régime particulier en matière d’œuvres collectives (soit d’œuvres créées par plusieurs coauteurs) qui pose le principe de l’unanimité des co-auteurs. Les co-auteurs sont toutefois 55. Voir Oberlandesgericht Düsseldorf, [2004] Zeitschrift für Urheberrecht und Medienrecht (ZUM) 71, 73 (sculpture réalisée par une élève de Joseph Beuys). 56. SCHACK, Kunst, no 239, 116 et no 451, 221. 57. Voir Cour de cassation, Recueil Dalloz 1974, 533, relevant que la comparaison entre les œuvres du maître et les sculptures réalisées par l’élève « révélait que certaines attitudes, certaines expressions avaient été acceptées et non dictées par Renoir et marquaient l’empreinte du talent créateur personnel de Guino » (Dalloz 1974, 533). 58. Voir, dans ce sens, l’arrêt de la Cour de cassation française, Dalloz 2006 (Jurisprudence) 1116, définissant « l’auteur effectif » comme « celui qui réalise ou exécute personnellement l’œuvre ou l’objet » ; voir cependant Tribunal de Grande Instance de Paris, concernant le peintre Vasarely, Dalloz 1984 Informations Rapides (IR) 286, retenant comme déterminant pour admettre la création collective le fait que le peintre s’était réservé la faculté de corriger et d’approuver l’œuvre créée par le tiers. L’art et la propriété intellectuelle 1325 libres d’en décider autrement et restent en mesure d’exploiter individuellement leur propre contribution à l’œuvre collective (pour autant qu’elle soit séparable) à la condition que cela ne porte pas préjudice à l’exploitation de l’œuvre collective59. 1.2.2 L’auteur et l’artiste-interprète À la différence de l’auteur, l’artiste-interprète qui doit être une personne physique60 ne crée pas de nouvelle œuvre, mais se limite seulement à exécuter une œuvre préexistante, que celle-ci soit ou non protégée par le droit d’auteur61. La protection du droit voisin de l’artiste-interprète ne se justifie donc pas par la créativité de sa prestation, mais par l’activité de communication d’une œuvre au public (« Werkvermittlung »)62, cette activité devant toutefois relever du domaine artistique et ne pas être de nature purement technique63. Dans cette perspective, l’artiste-interprète n’est par principe pas l’auteur d’une œuvre dérivée au sens de l’art. 3 L.D.A.64. Toutefois, il conviendra d’examiner dans le cas concret s’il s’agit de protéger la prestation d’un artiste interprète ou celle d’un auteur d’œuvre dérivée. La question est discutée dans le domaine du théâtre à propos de la prestation des metteurs en scène, mais peut également survenir dans le domaine musical (en matière d’interprétations libres d’œuvres ou d’improvisations). En ce qui concerne le domaine artistique, la question du type de protection juridique pourrait ainsi se poser en matière d’happenings pour lesquels des indications auraient été préalablement données par l’artiste créateur du happening à l’attention des participants65. Ainsi conviendra-t-il de déterminer si les participants au happening sont des exécutants d’une œuvre et jouissent ainsi du droit voisin des artistes-interprètes. S’agissant de la relation entre le droit d’auteur et le droit des artistes-interprètes, on considère généralement que la protection du droit d’auteur doit se voir reconnaître une certaine priorité et ne doit 59. 60. 61. 62. 63. Art. 7, al. 3 LDA. Art. 33, al. 1 LDA. DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 548, 402. DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 548, 402 ; MOSIMANN, 344. Art. 33, al. 1 LDA se référant, outre celui qui exécute une œuvre, à celui qui « participe sur le plan artistique à l’exécution d’une œuvre ». 64. MOSIMANN, 344. 65. Voir l’affaire dans laquelle la protection par le droit d’auteur a été admise en faveur de celui qui avait défini les principes du happening consistant à représenter le tableau de Jérome Bosch « der Heuwagen », BGH, [1985] GRUR 529. 1326 Les Cahiers de propriété intellectuelle ainsi pas être affectée par la protection du droit des artistes-interprètes66. Cette approche peut se justifier par le fait que l’œuvre exécutée est préexistante et qu’elle est à ce titre – ainsi que l’auteur de celle-ci – livrée aux artistes-interprètes. Il appartient dès lors à ces derniers d’interpréter de manière fidèle (« Werktreue ») l’œuvre dont l’exécution leur a été confiée, les artistes-interprètes ayant pour rôle de communiquer les œuvres au public et non pas d’en créer de nouvelles. À la différence du droit d’auteur, les droits des artistes-interprètes sont énumérés exhaustivement dans la loi67. Grâce à la mise en œuvre du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT) en droit suisse, les artistes-interprètes bénéficient d’un droit moral ancré dans la LDA mais toujours partiellement fondé sur le droit de la personnalité (art. 28 CC)68, la protection de leurs intérêts extra-patrimoniaux découlant jusqu’alors directement et uniquement du Code civil69. Par l’art. 38 LDA, les chapitres IV et V du titre deuxième de la loi (régissant le droit d’auteur) respectivement consacrés au transfert des droits et à l’exécution forcée et aux restrictions au droit d’auteur – en plus d’autres dispositions spécifiques70 – sont déclarés applicables par analogie aux droits voisins. Pour ce qui a trait plus particulièrement au transfert des droits, le renvoi de l’art. 38 LDA ne peut pas signifier que l’art. 17 consacrant un droit de l’employeur sur le droit d’auteur relatif aux programmes d’ordinateur créés par un employé est applicable par analogie aux prestations des artistesinterprètes qui seraient employés71. Par conséquent, le principe de la titularité originaire des artistes-interprètes sur leurs droits voisins vaut sans exception, étant entendu que les artistes-interprètes (tout comme les auteurs) sont libres de disposer de leurs droits en faveur de tiers (sous réserve des droits incessibles). 66. Voir par exemple l’art. 1, al. 2 WPPT qui dispose que : « La protection prévue par le présent traité laisse intacte et n’affecte en aucune façon la protection du droit d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques. En conséquence, aucune disposition du présent traité ne pourra être interprétée comme portant atteinte à cette protection ». 67. Il est renoncé à faire une présentation détaillée de ces dispositions; sur cette question, voir MOSIMANN, 371 ss. 68. Certes réduit par rapport à celui existant en faveur des auteurs, voir l’art. 33a LDA. 69. ATF 129 III 715, JdT 2004 I 271. 70. Art. 12, al. 1 et art. 13 LDA. 71. Dans ce sens MOSIMANN, 383 s. L’art et la propriété intellectuelle 1327 1.3 Les droits d’auteur La loi consacre deux catégories de droits d’auteur, les droits patrimoniaux et les droits découlant du droit moral, qu’il convient d’examiner séparément. Préalablement, il est toutefois nécessaire de déterminer la portée et les limites du droit d’auteur sur un plan général72. 1.3.1 Portée et limites du droit d’auteur Le droit d’auteur confère au créateur de l’œuvre « le droit exclusif sur son œuvre »73. Dans ce cadre, sans égard au mode d’exploitation de l’œuvre en cause ni au type de droit d’auteur potentiellement en cause, la protection du droit d’auteur ne pourra être invoquée qu’en cas d’utilisation illicite d’une œuvre74. Si la question de la portée de la protection du droit d’auteur (et donc de l’utilisation potentiellement illicite d’une œuvre) est aisée à résoudre en cas de copie à l’identique d’une œuvre protégée ou de reprise de celle-ci sous une forme légèrement modifiée, elle deviendra plus délicate lorsque des différences plus importantes existeront entre l’œuvre originale et la création réalisée par un tiers. Dans une telle hypothèse, l’application du droit d’auteur dépendra de savoir si l’œuvre en cause constitue ou non une utilisation illicite de l’œuvre. La protection du droit d’auteur ne pourra pas être invoquée en cas de « libre utilisation » de l’œuvre. Selon la jurisprudence, il y a libre utilisation lorsque l’auteur de la nouvelle œuvre s’est seulement inspiré de l’œuvre préexistante et que ses emprunts à celle-ci sont si modestes qu’ils passent à l’arrière-plan de la nouvelle œuvre75. La libre utilisation se distingue de la création d’une œuvre dérivée, cette dernière constituant, à teneur de la loi, une « création de l’esprit qui a un caractère individuel, mais qui a été conçue à 72. La question des exceptions légales au droit d’auteur sera traitée infra sous 1.4.2. 73. Art. 9 al. 1 LDA. 74. Art. 62 al. 1 LDA (« la personne qui subit ou risque de subir une violation de son droit d’auteur [...] »). 75. ATF 125 III 328, 332 (« Si l’architecte intimé s’est contenté de s’inspirer du projet créé par le demandeur et que ses emprunts à l’œuvre préexistante sont si modestes qu’ils s’effacent devant l’individualité de sa nouvelle œuvre, c’est-à-dire si les éléments individuels de l’œuvre du demandeur qui ont été repris passent à l’arrière-plan de la création dudit défendeur, il y a alors libre utilisation (freie Benutzung), laquelle ne porte pas atteinte aux droits d’utilisation de l’œuvre préexistante »). 1328 Les Cahiers de propriété intellectuelle partir d’une ou de plusieurs œuvres préexistantes reconnaissables dans leur caractère individuel »76. Il y aura ainsi œuvre dérivée en cas de création d’une œuvre nouvelle « à travers laquelle transparaît » l’œuvre initiale77. La distinction entre libre utilisation et œuvre dérivée pourra parfois être délicate dans le domaine artistique78, étant noté que la reprise et l’adaptation créatives d’œuvres préexistantes est un phénomène habituel du processus de création artistique79. Aussi certains cercles artistiques plaident-ils pour une approche libérale du droit d’auteur afin de permettre aux artistes de puiser (pratiquement) librement dans les créations d’autrui80. Ces questions se posent naturellement avec une acuité particulière dans le contexte de l’Appropriation Art81. On doit signaler à ce propos plusieurs affaires qui ont concerné l’artiste américain Jeff Koons82, dont une partie de la création artistique se caractérise par 76. Art. 3 al. 1 LDA. 77. ATF 125 III 328, 332 (« Si l’architecte précité, sur la base du projet du demandeur, a créé, par des modifications sur le plan qualitatif, une œuvre nouvelle à travers laquelle transparaît néanmoins l’œuvre première, il a alors conçu une œuvre dérivée (dite aussi œuvre de seconde main) telle que l’entend l’art. 3 LDA »). 78. Voir par exemple l’affaire américaine Steinberg v. Columbia Pictures Industries, 663 F. Supp. 706 (S.D.N.Y. 1987) concernant la reprise du graphisme général d’un dessin de couverture du magazine « The New Yorker » représentant la ville de New York de façon stylisée dans une affiche du film « Moscow on the Hudson » ; dans cette affaire, le tribunal a considéré que la reprise violait le droit d’auteur du dessinateur Saul Steinberg. 79. Par exemple le célèbre tableau « Déjeuner sur l’herbe » d’Edouard Manet et les autres exemples cités par SCHACK, Kunst, no 339, 164; voir aussi le catalogue de l’exposition « David Hockney : dialogue avec Picasso » (Paris : RMN Réunion des Musées Nationaux, 1999). 80. Voir par exemple le site <http://www.kunstfreiheit.ch> (sur lequel on peut lire: « Kunstfreiheit.ch ist eine Initiative Schweizer KünstlerInnen und Kulturschaffender, die sich für ein Urheberrecht einsetzen, das den Interessen der aktiven KünstlerInnen zentralen Stellenwert einräumt. Wir brauchen nicht nur Schutz unserer Arbeit, sondern auch freien Zugang zu bestehenden Werken, um daraus Neues schaffen zu können ») et le site canadien <http://www.appropriationart. ca/>. 81. Voir l’analyse de SCHACK, Kunst, no 350 ss., 170 ss. et les nombreuses références doctrinales citées en no 350; voir aussi AMES (Kenly E.), « Note, Beyond Rogers v. Koons: A Fair Use Standard for Appropriation » (2003), 93 Columbia Law Review 1473 pour une analyse économique, voir LANDES (William M.), « Copyright, Borrowed Images and Appropriation Art: An Economic Approach » (2000), University of Chicago Law & Economics, Olin Working Paper No. 113, accessible à : <http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=253332> ; voir aussi LANDES (William M.), « The Arts and Humanities in Public Life: Copyright Protection and Appropriation Art » (1999). 82. Rogers v. Koons, 960 F.2d 301 (2d Cir. 1992) ; United Features Syndicate, Inc. v. Koons, 817 F. Supp. 370 (S.D.N.Y. 1993) ; Campbell v. Koons, No. 91 Civ. 6055, 1993 WL 97381 (S.D.N.Y. Apr. 1, 1993) ; Blanch v. Koons, 467 F.3d 244 (2d Cir. 2006). L’art et la propriété intellectuelle 1329 la reprise de créations de tiers (notamment des photographies de mode ou artistiques). Jugée à l’aune de l’exception générale du fair use du droit américain83, ces affaires ont été tranchées tantôt en faveur de l’auteur des œuvres appropriées (particulièrement lorsque l’auteur de l’appropriation poursuivait un objectif commercial)84, tantôt en faveur de l’auteur de l’appropriation (notamment lorsque la commercialisation de la nouvelle œuvre n’affecte pas le marché des œuvres préexistantes)85. En droit d’auteur continental, il semble difficile d’admettre sur le plan du principe que les œuvres relevant de l’Appropriation Art puissent constituer des cas de libre utilisation des œuvres86. Dans ces circonstances, on doit considérer que de telles œuvres violent le droit d’auteur des créateurs dont les œuvres ont fait l’objet de telles appropriations, sauf à considérer qu’il puisse s’agir d’une citation ou d’une parodie87. Dans une autre affaire88, un artiste photographe (Thomas Forsythe)89 avait mis en scène les fameuses poupées BARBIE dans des situations étranges90, afin de dénoncer le culte de la femme-objet incarné par ces poupées91. Contestées en justice sur différents fondements (le droit d’auteur, le droit des marques et de la concurrence déloyale) par la société commercialisant les poupées BARBIE, ces œuvres ont été jugées licites. 83. Sur cette question, voir LEVAL (Pierre), « Commentary: toward a fair use standard » (1990), 103 Harvard Law Review 1105. 84. Voir Rogers v. Koons, 960 F.2d 301 (2d Cir. 1992). 85. Voir Blanch v. Koons, 467 F.3d 244 (2d Cir. 2006). 86. Voir SCHACK, Kunst, no 350 ss., 170 ss, spécialement no 353, 143, adoptant une attitude relativement sévère face à l’Appropriation Art. 87. Sur ces questions, voir infra 1.4.3 et 1.4.4. 88. Mattel v. Walking Mountain Productions, 353 F.3d 792 (9th Cir. 2003). 89. Voir le site de l’artiste à : <http://www.creativefreedomdefense.org/index.cfm> (présentant ses œuvres). 90. Par exemple dans une photographie intitulée « Barbie Enchiladas » représentant quatre poupées BARBIE enroulées dans des tortillas, couvertes de sauce et placées dans un four allumé (la photographie est visible à : <http://creativefreedomdefense.org/Details.cfm?ProdID=109>). 91. 353 F.3d 792, 796 (« In his declaration in support of his motion for summary judgment, Forsythe describes the message behind his photographic series as an attempt to ‘critique[] the objectification of women associated with [Barbie], and [] [to] lambast[] the conventional beauty myth and the societal acceptance of women as objects because this is what Barbie embodies.’ He explains that he chose to parody Barbie in his photographs because he believes that ‘Barbie is the most enduring of those products that feed on the insecurities of our beauty and perfection-obsessed consumer culture.’ Forsythe claims that, throughout his series of photographs, he attempts to communicate, through artistic expression, his serious message with an element of humor »). 1330 Les Cahiers de propriété intellectuelle En tout état, il n’y aura pas d’œuvre dérivée (et partant pas de violation du droit d’auteur) en cas de reprise du seul style d’un artiste92. Ainsi si seul le style d’un artiste a été copié, aucune protection ne pourra être fondée sur le droit d’auteur93. Par conséquent, la commercialisation d’œuvres qui seraient seulement stylistiquement inspirées de celles de l’auteur ne pourra pas être interdite sur le fondement du droit d’auteur. En cas de violation du droit d’auteur, le titulaire du droit pourra faire valoir les moyens de protection civils et pénaux qui découlent de la loi et pourra spécifiquement requérir – sur le plan civil94 – « la confiscation assortie de la réalisation ou de la destruction des objets fabriqués illicitement, ou des instruments, de l’outillage et des autres moyens destinés principalement à leur fabrication »95. Toutefois, la destruction des objets ne pourra être ordonnée que si aucune mesure moins incisive n’est suffisante pour faire cesser la violation du droit en application du principe de la proportionnalité96. Ainsi, pour ce qui concerne les copies illicites d’œuvres d’un artiste (par exemple des tableaux), certains considèrent que la destruction ne devrait pas être automatiquement ordonnée en vertu du principe de la proportionnalité dans le cas où l’on peut exclure tout risque par l’indication indélébile sur l’œuvre indiquant qu’il s’agit d’un faux97. Cependant, la jurisprudence semble assez restrictive98. 92. Voir pour tous DE WERRA (Jacques), Le droit à l’intégrité de l’oeuvre, thèse Lausanne, (Berne : Stämpfli, 1997), 35 et les références citées en note 197. 93. Ainsi, à titre d’illustration, le « genre cubiste issu de l’intuition créatrice de Pablo Picasso et révélé matériellement par ses nombreuses œuvres ne peut être l’objet d’un monopole quelconque de propriété artistique que pourraient revendiquer le peintre et ses ayants droit. Il s’agit plutôt d’un style ou d’une école qui relève du fonds commun de la création et de la connaissance humaines et reste, à ce titre, inconciliable avec toute appropriation exclusive par quiconque. » Tribunal de Grande Instance de Paris, Gazette du Palais 1998, 2e semestre, Jurisprudence, Sommaires et notes, 689. 94. Une confiscation pénale – sous réserve des œuvres architecturales déjà réalisées – est également possible par application de l’art. 69 CP, par renvoi de l’art. 72 LDA, sur cette question, voir DAVID (Lucas), « art. 72 LDA », MÜLLER (Barbara) et al. (éd.), Stampflis Handkommentar, Urheberrechtsgesetz (URG), (Berne: Stämpfli, 2006), no 1 ss. 95. Art. 63 al. 1 LDA. 96. MÜLLER (Barbara), « art. 63 LDA », dans MÜLLER (Barbara) et al. (éd.), Stämpflis Handkommentar, Urheberrechtsgesetz (URG), (Berne: Stämpfli, 2006), no 20. 97. SCHACK, Kunst, no 55, 32. 98. Oberlandesgericht Hambourg, [1998] Zeitschrift für Urheber- und Medienrecht (ZUM) 938. L’art et la propriété intellectuelle 1331 1.3.2 Les droits patrimoniaux En vertu de l’art. 10, al. 1 LDA, l’auteur jouit du droit exclusif sur son œuvre. Dans cette mesure, l’auteur est bien maître du destin de son œuvre et peut librement décider si et à quelles conditions (financières) son œuvre peut être utilisée par un tiers. La loi comporte une énumération non exhaustive des droits exclusifs représentant les modes principaux d’exploitation des œuvres, qu’il s’agisse d’une exploitation sous forme matérielle (soit sous la forme d’exemplaires physiques) ou immatérielle99. En matière d’œuvres des beaux-arts, le droit de reproduction jouera un rôle très important en pratique et permettra à l’artiste (ou à son ayant droit) d’interdire toute reproduction de son œuvre, même sous une forme modifiée, par exemple dans des dimensions réduites100. En vertu de l’art. 12, al. 1 LDA, l’auteur a également le droit de décider de la première mise en circulation d’un exemplaire de son œuvre. Une fois cette mise en circulation intervenue, l’auteur perd la maîtrise sur cet exemplaire et ne peut en particulier pas s’opposer à ce que cet exemplaire soit revendu en vertu du principe de l’épuisement101. Ainsi, le droit de contrôle du titulaire du droit d’auteur s’inclinera face au droit du propriétaire de l’exemplaire matériel de l’œuvre sous réserve de certaines exceptions et limitations102. Parmi celles-ci figure en particulier le droit de suite dont l’objectif est de permettre à l’artiste de participer au succès commercial de la vente de ses œuvres en obtenant une participation au produit réalisé lors des ventes publiques de celles-ci. L’introduction du droit 99. 100. 101. 102. Une présentation complète de l’application et de la portée respectives des différents droits spécifiques consacrés à l’art. 10 al. 2 LDA dépasserait le cadre du présent chapitre; voir à ce sujet, DESSEMONTET (François), « Inhalt des Urheberrechts », Roland VON BUREN, David LUCAS (éd.), Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, Vol. II/1, Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2006) (cité : DESSEMONTET, Inhalt), 175 ss. Oberlandesgericht Hambourg, [1995] Zeitschrift für Urheber- und Medienrecht (ZUM), 430 (œuvre de Maillol). Le principe de l’épuisement international étant applicable en droit d’auteur (en vertu de l’arrêt Nintendo ATF 124 III 321, JdT 1999 I 423), sous réserve des œuvres audiovisuelles pour lesquelles le principe de l’épuisement national s’applique temporairement en vertu de l’art. 12 al. 1bis LDA; selon la jurisprudence (ATF 133 III 273), les jeux vidéo ne constituent pas des œuvres audiovisuelles et sont donc soumis au principe de l’épuisement international. Ainsi, le droit à l’intégrité pourra être invocable dans certaines circonstances, voir ci-dessous 1.3.3.3. 1332 Les Cahiers de propriété intellectuelle de suite en Suisse a été discutée depuis un certain temps sans succès à ce jour103, étant noté que le droit de suite fait l’objet d’une directive communautaire104 qui devait être mise en œuvre par les Etats membres jusqu’au 1er janvier 2006105. 1.3.3 Le droit moral C’est souvent davantage les prérogatives extra-patrimoniales découlant du droit d’auteur qui seront invoquées dans le contexte de la protection des œuvres artistiques, raison pour laquelle ces prérogatives seront présentées de manière relativement approfondie. 1.3.3.1 Droit de divulgation Sur le plan chronologique, le droit de divulgation est le premier droit qui doit être exercé par l’auteur. Par l’exercice de ce droit, l’auteur décide en effet de livrer sa création aux yeux (et à la critique) du public. Le droit exclusif de divulgation a pour objectif de permettre à l’artiste de décider librement à quel moment il souhaite présenter son œuvre au public106. En matière artistique, la question de l’exercice du droit de divulgation pourra en particulier se poser dans le cas de la vente de l’exemplaire de l’œuvre à un collectionneur sous l’angle du droit de ce collectionneur d’exposer publiquement cette œuvre107. On peut considérer ici qu’à défaut de stipulations contractuelles contraires convenues entre l’artiste et l’acquéreur de l’exemplaire de l’œuvre, on doit admettre que ce dernier a le droit de divulguer l’œuvre 103. 104. 105. 106. 107. Voir déjà DESSEMONTET (François), « Le Droit de suite », Die Berner Uebereinkunft und die Schweiz (Berne : Stämpfli, 1986), 343-355; EHRLER (Lorenz), Das Folgerecht, Eine rechtsvergleichende Untersuchung im Lichte des europäischen Rechts, (Zurich : Schulthess, 2001) (vol. 13 des Études en droit de l’art) et RENOLD (Marc-André), « Le droit de suite des artistes en Suisse », Liberté de l’art et indépendance de l’artiste, (Zurich : Schulthess, 2004), 167-176. Directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale. La directive est parfois critiquée en raison du fait qu’elle n’améliore pas la protection par rapport à celle qui existait déjà dans certains États membres (notamment en Allemagne et en France), voir SCHACK, Kunst, no 439, 215 et DUCHEMIN (Wladimir), « La Directive communautaire sur le droit de suite » (2002), 191 Revue internationale du droit d’auteur 3 ss. La divulgation de l’œuvre entraîne l’application de certaines exceptions au droit d’auteur, notamment l’exception de citation, seules les œuvres divulguées pouvant être citées en vertu de l’art. 25, al. 1 LDA. Pour une discussion, voir DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 213 ss., 159 ss. L’art et la propriété intellectuelle 1333 notamment en la prêtant dans le cadre d’une exposition publique108. La question de la divulgation pourra particulièrement se poser dans le contexte de la liquidation de succession d’artistes pour des œuvres des beaux-arts (parfois inachevées) qui se trouveraient encore dans l’atelier de ces artistes. Dans un tel cas, ce seront les titulaires du droit de divulgation (souvent les héritiers) qui l’exerceront (tacitement) en autorisant la vente ou l’exposition publique de ces œuvres qui n’avaient pas été divulguées par l’artiste lui-même109. 1.3.3.2 Droit de paternité Le droit de paternité de l’œuvre permet à l’auteur de « faire reconnaître sa qualité d’auteur »110 d’une œuvre donnée. Plus généralement, l’auteur a le droit de décider « sous quel nom » son œuvre sera divulguée111. L’auteur peut ainsi choisir que son œuvre soit divulguée et utilisée sous son nom véritable ou sous un pseudonyme112. Il peut également décider que son nom ne soit pas du tout associé à son œuvre en la divulguant de manière anonyme (par exemple parce qu’il considérerait que l’œuvre n’est pas – ou n’est plus – représentative de sa création)113. Un artiste peut ainsi interdire que son nom figure sur une œuvre pour laquelle il aurait souhaité garder l’anonymat. Toutefois, ce droit à « l’anonymat artistique » n’empêchera pas le marché (et particulièrement des experts) de considérer cette œuvre comme une œuvre originale de l’artiste concerné, ce qui démontre les limites du droit exclusif de l’auteur. En pratique, ce droit permettra donc seulement d’interdire à un tiers d’apposer le nom véritable de l’artiste sur l’œuvre concernée sur 108. 109. 110. 111. 112. 113. DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 213, 161 s., admettant en fonction des circonstances du cas concret l’existence d’une « clause implicite de transfert du droit de divulgation dans le contrat de vente de l’exemplaire de l’œuvre »; certains auteurs y voient une consécration du principe de l’épuisement ancré à l’art. 12, al. 1 LDA; cette solution est celle qui est consacrée en droit allemand au § 44 al. 2 de la loi allemande sur le droit d’auteur (« Der Eigentümer des Originals eines Werkes der bildenden Künste oder eines Lichtbildwerkes ist berechtigt, das Werk öffentlich auszustellen, auch wenn es noch nicht veröffentlicht ist, es sei denn, dass der Urheber dies bei der Veräußerung des Originals ausdrücklich ausgeschlossen hat »). À moins que l’auteur ait par disposition testamentaire interdit une telle divulgation, voire ordonné la destruction de telles œuvres; sur ces questions, voir DE WERRA (Jacques), « Droit d’auteur et successions » [2000] Sic! 691 (cité : DE WERRA, Successions). Art. 9, al. 1 LDA. Art. 9, al. 2 LDA. HUG (Christoph), « art. 9 LDA », dans MÜLLER et al. (éd.), Stampflis Handkommentar, Urheberrechtsgesetz (URG), (Berne: Stämpfli, 2006), no 15. Ibid. 1334 Les Cahiers de propriété intellectuelle laquelle ce dernier n’a pas souhaité le faire figurer114, cette solution étant d’ailleurs consacrée dans certaines législations étrangères115. L’artiste ne pourra pas utiliser le droit de paternité pour répudier la paternité d’œuvres (par exemple des œuvres de jeunesse) qu’il n’apprécie plus et qui appartiendraient à des tiers116. Le droit de paternité revêt une importance particulière dans le domaine artistique, la signature de l’œuvre constituant la manifestation de la reconnaissance du lien existant entre l’auteur et son œuvre117. Sur le plan pratique, l’exercice du droit de paternité par l’auteur (ou les héritiers de ce dernier) peut prendre la forme de l’émission d’un certificat d’authenticité. Ainsi, à titre illustratif, Marguerite Duthuit, la fille d’Henri Matisse, a émis certains certificats d’authenticité pour les œuvres de son père ou a au contraire refusé d’en émettre en exerçant ainsi son droit moral. Elle a d’ailleurs été attaquée en justice devant des tribunaux américains pour avoir déclaré qu’une œuvre n’était pas authentique118. 114. 115. 116. 117. 118. Par analogie, un écrivain qui publie des ouvrages anonymes ou sous un pseudonyme ne pourra pas empêcher que des tiers (et plus généralement le public) associent son nom à ces ouvrages anonymes ou pseudonymes et le reconnaissent ainsi comme auteur véritable de ces ouvrages, mais il pourra par contre s’opposer à ce que ses ouvrages soient publiés sous son nom véritable en vertu de son droit de paternité. C’est le cas au § 107 al. 1 de la loi allemande sur le droit d’auteur (dont le titre est : « Unzulässiges Anbringen der Urheberbezeichnung ») : « Wer 1. auf dem Original eines Werkes der bildenden Künste die Urheberbezeichnung (§ 10 Abs. 1) ohne Einwilligung des Urhebers anbringt oder ein derart bezeichnetes Original verbreitet. 2. auf einem Vervielfältigungsstück, einer Bearbeitung oder Umgestaltung eines Werkes der bildenden Künste die Urheberbezeichnung (§ 10 Abs. 1) auf eine Art anbringt, die dem Vervielfältigungsstück, der Bearbeitung oder Umgestaltung den Anschein eines Originals gibt, oder ein derart bezeichnetes Vervielfältigungsstück, eine solche Bearbeitung oder Umgestaltung verbreitet, wird mit Freiheitsstrafe bis zu drei Jahren oder mit Geldstrafe bestraft, wenn die Tat nicht in anderen Vorschriften mit schwererer Strafe bedroht ist ». SCHACK, Kunst, no 252, 123. SCHACK, Kunst, no 251, 123. Voir Findlay v. Duthuit, 86 AD 2d 789, 446 NYS 2d 951 (1982) ; pour un autre exemple d’action en responsabilité contre le titulaire du droit moral, voir aussi le récent arrêt de la Cour de cassation française (Cass. 2e civ., 10 nov. 2005, pourvoi no 04-13618) non publié, rendu dans un litige dans lequel la veuve d’un peintre, titulaire du droit moral, avait refusé d’émettre un certificat d’authenticité; la Cour de cassation a rejeté toute responsabilité civile de la titulaire du droit moral (dont se prévalait le collectionneur lésé sur le fondement de l’article 1382 du Code civil), faute pour la cour d’appel dont l’arrêt est ainsi cassé d’avoir établi que celle-ci aurait agi « avec mauvaise foi ou une légèreté blâmable ». L’art et la propriété intellectuelle 1335 La question de l’étendue de la protection découlant du droit à la paternité de l’œuvre sera parfois délicate à déterminer par rapport aux faux qui ne constituent pas des contrefaçons d’œuvres de l’artiste119, soit des faux qui ne constituent ni une reproduction, ni une adaptation d’une œuvre de l’artiste (soit une œuvre dérivée). Du point de vue terminologique, le droit concerné serait un « droit de non-paternité », soit le droit de l’auteur d’interdire que son nom figure sur une œuvre qu’il n’a pas créée et qui ne constitue pas une utilisation illicite de son œuvre120. La question est ainsi de déterminer si un tel droit de non-paternité découle ou non de la protection du droit d’auteur. On aura tendance à considérer que ce droit ne relève pas du droit d’auteur, précisément faute d’utilisation d’une œuvre sur laquelle l’auteur détiendrait des droits exclusifs. C’est donc sur la base du droit de la personnalité, et singulièrement de la protection du nom, que l’artiste ou ses héritiers pourraient tenter de s’opposer à l’utilisation du nom de ce dernier en relation avec des œuvres qu’il n’aurait pas créées121. Certains ordres juridiques ont clarifié cette question et sanctionnent expressément les fausses attributions d’œuvres dans le cadre de la législation sur le droit d’auteur122. Une telle approche a pour avantage de permettre une protection pendant toute la durée de protection du droit moral, soit au-delà du décès de l’auteur, ce qui n’est souvent pas possible si la protection se fonde sur le droit de la personnalité, ce droit de nature personnelle s’éteignant généralement au décès de l’auteur (même si les héritiers peuvent ensuite le cas échéant invoquer la violation de leur propre droit de la 119. 120. 121. 122. Sur la problématique (sous l’angle du droit allemand), voir BULLINGER (Winfried), Kunstwerkfälschung und Urheberpersönlichkeitsrecht : der Schutz des bildenden Künstlers gegenüber der Fälschung seiner Werke, (Berlin : E. Schmidt, 1998). Voir ci-dessus 1.3.1. DE WERRA, Successions, 695; cette approche est également suivie en droit français depuis un arrêt de la Cour de cassation concernant un tableau faussement attribué à Utrillo, Cass., 1re civ., (2001), 188 RIDA, 309; voir DURET-ROBERT (François), Droit du marché de l’art, 4e édition (Paris : Dalloz, 2010), 265; la problématique reste vive en droit allemand, suite à un arrêt du Bundesgerichtshof concernant des fausses aquarelles attribuées à E. Nolde (la protection fondée sur le droit général de la personnalité, et pas sur le droit moral, ayant été jugée insuffisante), voir BGHZ 107, 384; sur cette question, voir NORDEMANN (Wilhelm), « Kunstwerkfälschung und kein Rechtsschutz ? » [1996] Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht (GRUR) 737. Ainsi, la section 84 du Copyright, Designs and Patents Act 1988 anglais réglemente cette question comme suit : 84.–(1) A person has the right in the circumstances mentioned in this section______ : (a) not to have a literary, dramatic, musical or artistic work falsely attributed to him as author, and (b) not to have a film falsely attributed to him as director. 1336 Les Cahiers de propriété intellectuelle personnalité)123. Toutefois, sur le plan conceptuel, une telle prérogative sort du domaine du droit d’auteur, et vise en réalité la protection du nom et pas celle de l’œuvre de l’artiste. Dans cette perspective, elle n’a pas sa place dans une loi sur le droit d’auteur124. Les titulaires du droit moral pourront parfois être tentés d’exercer le droit de paternité de manière à favoriser leurs propres intérêts (financiers)125, en contestant l’authenticité d’œuvres appartenant à des tiers. En effet, il n’est pas exclu que certains artistes ou héritiers d’artistes essaient de profiter de la valeur commerciale de leur nom et fassent un exercice abusif du droit de paternité126. Dans ces circonstances, on peut se poser la question de la responsabilité d’un titulaire du droit moral (tout spécifiquement du droit de paternité) qui refuserait d’authentifier une œuvre donnée et refuserait ainsi que le nom de l’artiste soit apposé sur cette œuvre. A cet égard, on doit constater sur le plan du principe que le titulaire du droit d’auteur (respectivement du droit de paternité) est en mesure d’exercer son droit de manière libre (et donc arbitraire), ce sous réserve d’une violation du droit de la concurrence127. Dans ces circonstances, il paraît très délicat d’admettre une telle responsabilité128. Comme l’expose M. Duret-Robert, « le droit de faire saisir les faux a donné aux héritiers le pouvoir de juger de l’authenticité des œuvres »129. Sur le plan pratique, l’avis des héritiers sera fréquem- 123. 124. 125. 126. 127. 128. 129. DE WERRA, Successions, 695. On note toutefois que certaines réglementations de droit étranger protègent spécifiquement le nom des auteurs; voir l’art. 121-1 du Code français de la propriété intellectuelle. Ainsi, dans l’affaire Findlay v. Duthuit, supra, note 118, le tribunal saisi a constaté que Duthuit n’était pas seulement titulaire du droit moral, mais était également propriétaire et vendeur de nombreuses œuvres de Matisse, ce qui créait ainsi un conflit d’intérêts avec les œuvres de Matisse vendues par d’autres marchands. Voir l’article de BAILEY (Martin), « Dix ans après sa mort, Salvador Dali joue encore le grand perturbateur », (1999) 95 Journal des Arts 61-62. Sur la question de l’abus de position dominante, voir la contribution de RINGE (Friederike J.), « Le pouvoir de l’expert face au droit de la concurrence », GABUS (Pierre) et al. (éd.), L’expertise et l’authentification des œuvres d’art, volume 19 des Études en droit de l’art, (Zurich : Schulthess, 2007), 135 ss. En droit français, la responsabilité civile d’un titulaire du droit moral qui refusait d’authentifier une œuvre semble toutefois pouvoir être engagée en cas d’agissements « avec mauvaise foi ou une légèreté blâmable » selon un arrêt de la Cour de cassation du 10 nov. 2005, cité supra, note 118. DURET-ROBERT, 270. L’art et la propriété intellectuelle 1337 ment sollicité concernant des œuvres qui n’ont pas encore été divulguées et qui sont encore en possession de la succession de l’artiste concerné (par exemple dans l’atelier de ce dernier). Ainsi, lorsque les héritiers mettent en vente certaines de ces œuvres130 (par exemple dans le cadre d’une vente d’atelier), ils marqueront les œuvres d’un cachet spécial131, ce cachet valant alors authentification des œuvres sur le marché de l’art132. Dans la perspective du droit d’auteur, l’apposition de ce cachet constituera une manifestation de l’exercice du droit de paternité133, soit du droit exclusif de décider « si, quand, de quelle manière et sous quel nom son œuvre sera divulguée »134. Les marchands d’art n’ont dès lors pas manqué de requérir spontanément l’avis des héritiers (un avis positif se concrétisant sous la forme d’un certificat) pour authentifier des œuvres inconnues d’un artiste, afin d’éviter le risque d’une saisie des œuvres concernées par les héritiers sur le fondement d’une violation du droit d’auteur135. Aux yeux des professionnels du marché de l’art, cette pratique est souvent considérée comme une obligation, les héritiers étant jugés incontournables pour se prononcer sur l’authenticité des œuvres136. C’est donc pour se protéger contre tout risque d’une action judiciaire intentée par les héritiers au titre d’une violation du droit d’auteur que les marchands d’art tenteront d’obtenir un certificat d’authenticité de ces derniers137, un avis négatif du titulaire de droit moral pouvant avoir des conséquences désastreuses pour un tableau138. 130. 131. 132. 133. 134. 135. 136. 137. 138. Ce faisant, les héritiers exercent le droit de divulgation sur ces œuvres; voir l’art. 9, al. 2 LDA. Désigné comme cachets ou timbres d’atelier; voir LEQUETTE-DE KERVENOAËL (Stéphanie), L’authenticité des œuvres d’art, (Paris : LGDJ, 2006), 209. DURET-ROBERT, 270. Voir cependant CARON (Christophe), « L’exercice du droit moral à des fins d’authentification ne confère pas l’impunité ! », Communication commerce électronique, no 2 février 2006, comm. 20 (note sous l’arrêt de la Cour de Cass. du 10 novembre 2005), pour qui « [...] le pouvoir d’authentifier un tableau ne relève pas de l’exercice du droit à la paternité. Si c’était le cas, seul le titulaire de cette prérogative pourrait procéder à des authentifications ». Art. 9, al. 1 LDA. DURET-ROBERT, 270. DURET-ROBERT, 270 ; LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 204, parlant de « point de passage obligé ». LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 206. Pour un exemple, voir l’affaire Greenwood v. Koven, 880 F. Supp. 186 (S.D.N.Y. 1995). 1338 Les Cahiers de propriété intellectuelle Ce pouvoir des héritiers a ainsi été qualifié d’« autorité de fait »139. Toutefois, il apparaît que ce pouvoir ne résulte pas d’une situation de fait, mais plutôt de la protection juridique découlant du droit d’auteur140. Cependant, reconnaître un tel pouvoir aux héritiers ne signifie pas que ce pouvoir soit exclusif ou absolu. Bien au contraire, comme déjà souligné, les titulaires de droits d’auteur (et tout spécialement du droit moral) ne disposent pas du droit exclusif de se prononcer sur la question de l’authenticité des œuvres d’un artiste. En réalité, comme l’a constaté un auteur, « [a]s far as the law is concerned, the holder of the droit moral is just another legal expert whose opinion is only as good as his qualifications and the arguments he puts forward »141. Ainsi, l’avis du titulaire du droit d’auteur ne sera pas toujours suivi au profit de celui d’experts plus autorisés142. Le pouvoir des héritiers résultant de l’exercice du droit d’auteur, et plus spécifiquement du droit moral ne doit toutefois pas être négligé pour autant, ce pouvoir résultant de leur prérogative de faire interdire ou cesser toute violation des droits dont ils sont titulaires143. Ainsi, « le fait d’avoir un certificat de l’héritier et ami du peintre accompagnant l’œuvre permet au vendeur de ne pas être poursuivi en contrefaçon »144. Aussi a-t-on pu concevoir l’obtention d’un tel certificat comme un « contrat d’assurance contre le risque de saisie »145. Pour que ce certificat remplisse cette fonction protectrice, il pourra être nécessaire de s’assurer que tous les titulaires des droits concernés l’aient établi ou y aient consenti. En effet, l’exercice du droit d’auteur par les héritiers pourra requérir l’unanimité entre ces derniers. Or, il arrive que les héritiers ne soient pas d’accord entre 139. 140. 141. 142. 143. 144. 145. DURET-ROBERT, 270. LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 203 s., constatant que les jugements portés par les héritiers d’un artiste sur l’authenticité des œuvres ont « leur racine dans les prérogatives que la loi leur attribue »; un pouvoir de fait pourra par contre exister lorsqu’un seul expert d’art sera reconnu par le marché comme faisant autorité pour se prononcer de manière définitive sur l’authenticité des œuvres d’un artiste donné. LEVY (Steven Mark), « Authentication and Appraisal of Artwork », KAUFMANN Roy S. (éd.), Art Law Handbook, (New York : Aspen Law & Business, 2000), 829, 844. Voir l’arrêt (inédit) de la Cour de Paris du 9 novembre 1988 exposé par LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 194 s. Ce pouvoir se concrétisant en France par la – puissante – sanction de la saisie-contrefaçon; voir LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 205 s. Arrêt inédit de la Cour de cassation française du 28 février 1991 cité par LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 206. DURET-ROBERT, « Le règne des héritiers » (mars 1990), 457 Connaissance des arts 123, 123. L’art et la propriété intellectuelle 1339 eux. Dans ces circonstances, un certificat d’authenticité obtenu d’un seul des co-héritiers sans l’aval des autres n’offrira pas toujours la protection souhaitée146. Toutefois, ce risque juridique dépendra du droit national de la propriété intellectuelle qui sera applicable dans le cas d’espèce et pourra ainsi évoluer en fonction des déplacements géographiques de l’œuvre concernée147. Ainsi, en droit d’auteur suisse, prévaut le principe de l’unanimité dans l’exercice du droit d’auteur par les co-titulaires du droit (particulièrement par les co-héritiers). Des co-héritiers qui deviendraient titulaires de droits d’auteur après le décès de l’artiste ne pourront donc pas agir en justice individuellement pour faire valoir une violation de leur droit, mais seront au contraire tenus d’agir tous ensemble au titre de la légitimation active nécessaire148. Par conséquent, dans la perspective du droit suisse, même si un seul des cohéritiers a délivré un certificat d’authenticité pour un tableau donné et considère donc que ce tableau ne viole pas le droit d’auteur (dont il est co-titulaire), les autres co-héritiers ne pourront pas invoquer une violation du droit d’auteur devant les tribunaux, faute de pouvoir agir à l’unanimité. La situation pourra se compliquer lorsque les droits d’auteur auront été attribués à différents titulaires (notamment dans le cadre d’actes à cause de mort). Il pourra en effet se produire que l’auteur transmette ses droits patrimoniaux à certaines personnes (par exemple ses héritiers) tout en confiant son droit moral (notamment le droit de paternité) à une personne de confiance extérieure au cercle de ses héritiers. Dans un tel cas, il sera nécessaire d’obtenir l’aval des titulaires respectifs des deux types de droits afin d’éviter le risque d’une action judiciaire intentée par l’un ou l’autre de ces derniers. En effet, chacun des deux groupes de titulaires pourrait tenter de faire valoir la violation de ses propres droits. Ainsi, même à supposer que les titulaires des droits d’exploitation sur les œuvres d’un artiste considèrent que l’œuvre est authentique (et donc ne viole pas 146. 147. 148. LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 210, citant en exemple un avis publié dans la Gazette de Drouot (du 13 février 1976) dans lequel la famille du peintre Renoir exprimait que le droit moral afférent à l’œuvre de ce dernier ne pouvait s’exercer qu’indivisément et que toute disposition prise par l’un des héritiers, sans le concours des autres, serait taché d’irrégularité. Il n’est malheureusement pas possible d’examiner les questions – complexes – de droit international privé de la propriété intellectuelle dans le cadre du présent article, au-delà de la mention du principe généralement reconnu du « pays de protection » (« Schutzland »), en vertu duquel le droit applicable sera le droit de l’État pour lequel la protection est revendiquée, voir par exemple l’art. 110, al. 1 LDIP. En vertu des règles du droit successoral (art. 602 CC), voir ATF 121 III 118, JdT 1995 I 274; sur la question de la gestion du droit d’auteur après le décès de l’auteur, voir ci-dessous 1.5.4. 1340 Les Cahiers de propriété intellectuelle les droits d’exploitation exclusifs, notamment le droit de reproduction)149, les titulaires du droit moral (particulièrement du droit de paternité) pourront considérer que le nom de l’artiste ne doit néanmoins pas être apposé sur celle-ci en vertu du droit de paternité. Une question se pose dans les systèmes légaux dans lesquels la durée de protection respective des droits patrimoniaux et des droits moraux n’est pas identique (ce qui n’est pas le cas en droit suisse), et dans lesquels la protection des droits moraux est réputée perpétuelle, comme c’est le cas en droit d’auteur français150. Dans de tels systèmes, on constate une certaine tendance à étendre la protection à toute utilisation du nom de l’artiste sur une œuvre, même si cette dernière ne constitue ni une copie, ni une œuvre dérivée de l’œuvre originale de l’artiste151, une telle protection du nom de l’auteur, indépendamment de la protection de l’œuvre, comme tel pouvant parfois s’appuyer sur un texte légal plus large. Ainsi, l’art. L.121-1 CPI dispose que l’auteur « jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre », ce qui peut expliquer cette approche extensive de la protection. Sur cette base, certains tribunaux ont admis le pouvoir du titulaire du droit moral d’interdire la commercialisation d’œuvres constituant des copies de tableaux originaux munis de la signature d’un artiste en dépit de l’expiration des droits patrimoniaux sur l’œuvre concernée152. Les tribunaux ont considéré qu’une atteinte au droit moral ne pouvait toutefois être admise que lorsque l’apposition de la signature de l’artiste sur une œuvre tombée dans le domaine public pouvait faire craindre une confusion entre l’original et la copie153. C’est alors l’existence d’une confusion auprès du public qui a 149. 150. 151. 152. 153. Voir l’art. 10, al. 2 let. a LDA. Voir l’art. L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel le droit moral est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible ». Voir LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 572 ss. « Le fait que les droits patrimoniaux soient arrivés à expiration n’autorise pas les tiers à en disposer sans restrictions : il appartient à celui qui l’exploite de veiller au respect du nom de l’auteur et à l’intégrité de l’œuvre », « l’imitation de la signature de l’auteur constituant une ‘atteinte à l’identité artistique de l’auteur’ dit droit moral qui persiste après l’expiration des droits patrimoniaux », Tribunal de Grande Instance de Paris, (1996), 167 R.I.D.A., 282; voir sur cette question, LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 570 s. Arrêt de la Cour de cassation française, Recueil Dalloz II, Informations Rapides, 1997, 200; voir aussi LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 572; on peut noter dans ce contexte la formulation de l’art. 2 let. a du Code d’Éthique du Syndicat suisse des Antiquaires et Commerçants d’art), Site du Syndicat suisse des Antiquaires et Commerçants d’Art [en ligne], « <http://www.vsak.org/pdf/ethique.pdf> » qui dispose que « La description des objets vendus ne doit pas prêter à confusion ». L’art et la propriété intellectuelle 1341 constitué le critère déterminant pour juger d’une atteinte au droit moral154. Cette approche n’est pas sans susciter une certaine critique, dans la mesure où le droit moral, et plus spécialement le droit de paternité, doit être protégé sans égard à l’existence d’un quelconque risque de confusion155. En tout état, ce genre de questions ne se pose pas en droit suisse compte tenu du fait que tous les droits d’auteur (droits patrimoniaux et droit moral) ont la même durée. 1.3.3.3 Droit à l’intégrité de l’œuvre L’art. 11 LDA consacre le principe de la protection de l’intégrité de l’œuvre en disposant en particulier que l’auteur a le droit exclusif de décider « si, quand et de quelle manière l’œuvre peut être modifiée » (art. 11 al. 1 let. a LDA) et que l’auteur « peut s’opposer à toute altération de l’œuvre portant atteinte à sa personnalité », et ce « même si un tiers est autorisé par contrat ou par la loi à modifier l’œuvre ou à l’utiliser pour créer une œuvre dérivée » (art. 11, al. 2 LDA)156. La protection de l’intégrité de l’œuvre joue un rôle essentiel dans le domaine artistique dans la mesure où la forme concrète qui a été donnée à l’œuvre par l’artiste constitue l’expression unique et intangible de la créativité de l’artiste. Ainsi, « le respect est dû à l’œuvre telle que l’auteur a voulu qu’elle soit »157. Dans cette mesure, toute atteinte portée par un tiers à une création artistique, sera susceptible de léser l’intégrité de cette œuvre et ainsi de violer le droit à l’intégrité de l’auteur de celle-ci. En dépit du texte légal qui semble indiquer que le droit à l’intégrité est absolu et illimité, on doit considérer que la protection qui en découle résulte d’une pondération des intérêts en présence (« Interessenabwägung ») qui doit être effectuée au cas par cas en fonction notamment du type d’œuvres concernées158. Les atteintes à l’intégrité pourront être directes ou indirectes, les atteintes directes se caractérisant par une atteinte portée à la 154. 155. 156. 157. 158. La référence à la notion de risque de confusion est intéressante à souligner dans le cadre du présent article, dès lors que cette notion constitue un élément central de l’analyse en droit des marques (ci-dessous chapitre 2) et en droit de la concurrence déloyale, voir ci-dessous chapitre 4. LUCAS/LUCAS, 370. Sur cette question, voir en général DE WERRA, Intégrité. Tribunal de Grande Instance de Paris, (1993), 155 RIDA, 225. Sur cette question, voir DE WERRA, Intégrité, 87 ss. 1342 Les Cahiers de propriété intellectuelle substance même de l’œuvre159. Ainsi, une atteinte directe pourra résulter du fait qu’une œuvre des beaux-arts qui est composée de divers éléments est dépecée et vendue en pièces détachées160, ou qu’elle est restaurée de manière inadéquate. La restauration d’œuvres d’art sera ainsi parfois problématique, étant noté que l’on ne saurait imposer par principe au propriétaire d’une œuvre qui se dégrade de prendre des mesures en vue de préserver l’état de celleci161. Il est en effet possible que l’artiste ait souhaité inscrire sa création dans le temps en faisant en sorte que son œuvre se détruise naturellement. Dans une telle perspective, toute intervention de tiers visant à préserver l’œuvre dans son état initial serait contraire à la volonté artistique de l’artiste et pourrait porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre162. Des atteintes indirectes peuvent également être portées aux œuvres, ce type d’atteintes résultant du contexte inapproprié dans lequel l’œuvre est utilisée sans que l’œuvre comme telle ne soit modifiée163. Il en va ainsi de l’utilisation d’une œuvre (des beauxarts) à des fins publicitaires164 ou de l’adjonction de cadres à des 159. 160. 161. 162. 163. 164. DE WERRA, Intégrité, 68. Voir la célèbre affaire du réfrigérateur et des six panneaux créés par Bernard Buffet et revendus séparément par leur acquéreur jugée par la Cour d’appel de Paris, Dalloz 1962, 570. Sur ces questions, voir RENOLD (Marc-André), « Dégradation et restauration des œuvres d’art exposées sur le domaine public: questions de droit d’auteur » [2003] Sic! 204; voir le § 22 de la loi autrichienne sur le droit d’auteur (qui dispose : « Der Besitzer eines Werkstückes hat es dem Urheber auf verlangen zugänglich zu machen, soweit es notwendig ist, um das Werk vervielfältigen zu können; hiebei hat der Urheber die Interessen des Besitzers entsprechend zuberücksichtigen. Der Besitzer ist nicht verpflichtet, dem Urheber das Werkstück zu dem angeführten Zwecke herauszugeben, auch ist er dem Urheber gegenüber nicht verpflichtet, für die Erhaltung des Werkstückes zu sorgen ». Pour une discussion des questions de droit moral en matière de restauration d’œuvres, voir les contributions de DREIER (Thomas) et de COHEN (Dany) dans l’ouvrage collectif : La restauration des objets d’arts, aspects juridiques et éthiques, BYRNE-SUTTON (Quentin) et al. (éd.), vol. 6 des Études en droit de l’art, (Zurich : Schulthess, 1995) ; voir aussi DREIER (Thomas), « Urheberpersönlichkeitsrecht und die Restaurierung von Werken der Architektur und der bildenden Kunst », Aktuelle Herausforderung des geistigen Eigentums, Festgabe von Freunden und Mitarbeitern für Friedrich-Karl Beier zum 70 (Cologne: Geburtstag,1996), 365 ss. DE WERRA, Intégrité, 72 ; de telles atteintes sont souvent invoquées en matière d’œuvres architecturales; sur cette question, voir MOSIMANN (Peter), « Der Werk-und Wirkbereich im Kunstschaffen des Architekten », MOSIMANN et al. (éd.), Kultur Kunst Recht, (Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2009) 579, 603 ss. Voir, concernant l’utilisation non autorisée d’une copie d’une œuvre de Niki de Saint-Phalle dans une campagne publicitaire, WALRAVENS (Nadia), L’art et la propriété intellectuelle 1343 tableaux faisant penser que ces cadres ont été conçus par l’auteur des œuvres encadrées165. La protection contre des atteintes indirectes ne sera toutefois pas illimitée. En effet, on peut ainsi citer une affaire allemande (tranchée par le Tribunal d’Erfurt) dans lequel une artiste cherchait à s’opposer à l’exposition de plusieurs de ses toiles dans le cadre d’une exposition collective consacrée à l’art dans l’ancienne Allemagne de l’Est. L’artiste reprochait aux organisateurs une violation de son droit moral (droit à l’intégrité de l’œuvre) causée par la présentation désavantageuse de ses toiles sur un mur surchargé166. Tranchant en faveur des organisateurs, le Tribunal d’Erfurt a nié toute atteinte au droit à l’intégrité, en soulignant au passage l’importance du principe constitutionnel de la liberté de l’art invoqué avec succès par les organisateurs de l’exposition167. De même, on peut se référer à la situation dans laquelle un auteur tenterait de se prévaloir d’une atteinte indirecte à l’intégrité lorsqu’une de ses œuvres est exposée conjointement avec des œuvres appartenant à un courant artistique auquel il ne souscrit pas168. Ainsi, le peintre De Chirico avait tenté d’interdire l’exposition de ses œuvres dans le cadre de la Biennale de Venise qui avait organisé une rétrospective sur ce peintre au motif que l’exposition organisée n’était pas représentative de son œuvre dans la mesure où l’accent était mis sur ses premières créations au détriment de ses œuvres 165. 166. 167. 168. « La protection de l’œuvre d’art et le droit moral de l’artiste », (2003) 197 Revue internationale du droit d’auteur 3, 51. Voir l’affaire allemande « Unikatrahmen » concernant des tableaux encadrés dans des cadres continuant les tableaux concernés faisant ainsi penser au public que les cadres feraient partie et constitueraient une continuation artistique des œuvres en cause qui a été jugée par le BGH (affaire I ZE 304/99), BGHZ 150, 32 ss. Arrêt résumé dans l’Art-Law Centre News (du Centre du droit de l’art) no 3, mars 2000, 3; sur cette affaire, voir aussi HEGEMANN (Jan), « Der Schutz des bildenden Künstlers vor Entstellung und sonstigen Beeinträchtigungen seines Werkes durch direkte und indirekte Eingriffen », SCHERTZ (Christian) et al., (éd.), Festschrift für Paul W. Hertin zum 60. Geburtstag am 15. November 2000, (Munich : Beck, 2000), 87 ss. Expressément ancré dans la Constitution allemande (Grundgesetz) à l’art. 5, al. 3. Exemple donné par PERRET (François), « Rapport national sur le sujet 3. Droits des créateurs et de leurs héritiers », La Vente internationale d’œuvres d’art, vol. 3, (Paris, New York : ICC, Deventer, Boston : Kluwer Law and Taxation, 1991), 301 ss, 306; on peut discuter de l’existence d’une atteinte au droit moral dans un tel cas, voir les références citées par DE WERRA, Intégrité, 100, note 189. 1344 Les Cahiers de propriété intellectuelle plus récentes169. Bien qu’il ait gagné en première instance170, l’artiste s’est vu débouté par la Cour d’appel de Venise, l’instance de recours considérant que le droit d’auteur ne devait pas permettre à l’artiste de s’opposer à l’organisation d’une exposition d’exemplaires d’œuvres qui ne lui appartenaient plus171. La question de la portée de la protection de l’intégrité de l’œuvre se pose pour des atteintes qui seraient portées à l’intégrité de l’œuvre dans la sphère privée du propriétaire de celle-ci. Bien que la question soit controversée en doctrine, on doit considérer que ce type d’atteinte est illicite lorsqu’une telle atteinte portée à l’œuvre est grave et irréversible (tel serait par exemple le cas de l’unique exemplaire original d’un tableau ou d’une fresque qui seraient repeints sans autorisation)172. Dans un tel cas, le propriétaire ne devrait pas pouvoir se prévaloir de l’exception d’usage privé pour échapper à la protection du droit d’auteur173. La loi prévoit une protection particulière contre la destruction des exemplaires uniques d’œuvres174. Ainsi, l’art. 15 al. 1 LDA dispose que « si le propriétaire de l’unique exemplaire original d’une œuvre doit admettre que l’auteur a un intérêt légitime à la conservation de cet exemplaire, il ne peut le détruire sans avoir au préalable offert à l’auteur de le reprendre. Il ne peut en exiger plus que la valeur de la matière première ». Lorsque l’auteur ne peut reprendre cet exemplaire original (notamment pour des raisons financières), le propriétaire de celui-ci devra permettre à l’auteur de reproduire 169. 170. 171. 172. 173. 174. Voir l’analyse de ce cas par RICHARD (Dagmar) et al., « Kunstfälschung und Persönlichkeitsrecht » [1988] Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht (GRUR) 18 ss, 25. Rivista Diritto Commerciale 1952 II 128 (Tribunal de Venise). Ente Autonomo « La Biennale » di Venezia/De Chirico, Foro Italiano 1955 I 717 (Cour d’appel de Venise) ; voir également FABIANI (Mario), « La présentation de l’œuvre au public et le droit moral de l’auteur », Propriétés intellectuelles, Mélanges en l’honneur d’André Françon, (Paris : Dalloz, 1995), 143 ss. Voir le fameux exemple de la fresque des sirènes qui étaient nues dans leur état original et qui ont été repeintes, voir Reichsgericht allemand, RGZ 79, 397 discuté par DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 206, 154. À la différence du droit allemand (§ 23 de la loi allemande sur le droit d’auteur), le droit suisse donne à l’auteur le droit exclusif de décider de toute modification ou adaptation de son œuvre et non pas seulement de toute divulgation et exploitation de telles œuvres modifiées ou adaptées; voir l’art. 11 al. 1 let. a et b LDA, par conséquent, on peut en déduire un pouvoir de contrôle plus important en droit suisse qu’en droit allemand; pour le droit allemand, voir SCHACK, Kunst, n° 258, 126; même avis en droit français, voir LUCAS/LUCAS, no 487, 372. Pour une présentation du droit allemand, voir SCHMELZ (Christoph), « Zum Schutz des Urhebers vor Werkzerstörungen, eine methodenorientierte Betrachtung » [2005] Archiv für Urheber,-Film,-Funk- und Theatrrecht (UFITA), 705 ss. L’art et la propriété intellectuelle 1345 l’exemplaire original de manière appropriée (art. 15, al. 2 LDA). La loi prévoit encore une protection restreinte en matière d’œuvres d’architecture. Dans un tel cas en effet, l’auteur a seulement le droit de photographier l’œuvre et d’exiger que des copies des plans lui soient remises à ses frais (art. 15, al. 3 LDA). Cette disposition est intéressante parce qu’elle institue un mécanisme de protection de l’auteur face à ce qui constitue la forme la plus radicale d’atteinte à l’intégrité de son œuvre. Elle soulève cependant certaines questions d’interprétation pour lesquelles une clarification jurisprudentielle serait bienvenue, notamment concernant la notion d’ « intérêt légitime » de l’artiste à la conservation de l’exemplaire (figurant à l’art. 15, al. 1 LDA). On pourrait souhaiter à ce propos que l’on présume que l’artiste a un intérêt légitime à la conservation de tous les exemplaires originaux de ses œuvres. Une autre question d’interprétation tient à la notion d’œuvre d’architecture pour laquelle la loi prévoit un régime de protection fortement réduit. Compte tenu du fait que de nombreux litiges de droit d’auteur éclatent au sujet de créations artistiques sculpturales s’intégrant dans des projets architecturaux (publics175 ou privés)176 ou plus généralement d’œuvres dont l’objectif artistique est de s’intégrer dans un site particulier construit ou naturel177, la question se pose de savoir si ces créations artistiques constituent des œuvres d’architecture au sens de l’art. 15 al. 3 LDA (et de l’art. 2 al. 2 let. e LDA), auquel cas la protection contre leur destruction sera fortement réduite. Il semble que l’on ne doive pas admettre l’application de l’art. 15, al. 3 LDA pour ce type d’œuvres, les œuvres d’architecture devant concerner les constructions à destination fonctionnelle et pas les œuvres artistiques. 175. 176. 177. Sur la question des œuvres d’art placées sur le domaine public, voir l’article de RENOLD précité. Voir par exemple la célèbre affaire concernant la création sculpturale de Richard Serra destinée à une place publique (Federal Plaza) à New York dont la destruction a été ordonnée par les autorités après une procédure judiciaire, Serra v. U.S. General Services Adm., 847 F2d 1045 (2d Cir. 1988), à ce propos, voir l’ouvrage The Destruction of Tilted Arc: Documents, Clara WEYERGRAFSERRA/ (éd.), introduction de SERRA (Richard), (Cambridge : MIT Press, 1990) et MERRYMAN (John Henry), « The Refrigerator of Bernard Buffet » (1976), 27 Hastings Law Journal 1023. Site-specific art ou Land Art, voir SCHACK, Kunst, n° 194, 99; voir l’ouvrage de LAILACH (Lailach), Land Art, (Cologne : Taschen, 2007). 1346 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.4 Les limites de la protection 1.4.1 Introduction Le droit d’auteur, comme les autres droits de propriété intellectuelle, connaît certaines limites. Ces limites ont pour objectif de préserver un équilibre entre la protection des intérêts des titulaires des droits d’auteur (et des droits voisins) et les intérêts des tiers utilisateurs des œuvres178. La limite la plus importante de la protection tient à la durée du droit d’auteur, qui est, sous réserve de la protection des logiciels179, de septante ans après le décès de l’auteur (art. 29, al. 2 let. b LDA), étant noté que certains Etats instituent une protection perpétuelle de certains droits d’auteur (et spécialement du droit moral)180. Après l’échéance de cette durée, les œuvres tombent dans le domaine public et peuvent ainsi être librement utilisées par quiconque le souhaite sans aucune restriction. Pour ce qui concerne les exceptions au droit d’auteur proprement dites, soit les limitations à la portée du droit exclusif pendant la durée de protection du droit d’auteur, les législateurs sont en mesure d’instituer des exceptions au droit dans leur réglementation dans le respect des conventions internationales et particulièrement du test en trois étapes (three step test)181 et des éventuels accords régionaux182. Sur le plan du principe, deux grandes méthodes s’opposent, l’une, suivie notamment en droit américain, consistant à adopter une approche ouverte fondée sur une exception générale au droit d’auteur (soit l’exception du « fair use »)183 laissant alors aux tribunaux la tâche de décider de la portée du droit d’auteur et de ses exceptions dans chaque cas d’espèce, l’autre, mise en œuvre en 178. 179. 180. 181. 182. 183. Sur ces questions, voir la thèse de PAHUD (Eric), Die Sozialbindung des Urheberrechts, thèse Berne, 2000. Art. 29, al. 2 let. a LDA. Tel est le cas en France (art. 121-1 CPI) ; à ce propos, voir LUCAS/LUCAS, n° 505, 389. Art. 9, al. 1 de la Convention de Berne (RS 0.231.15) et art. 13 de l’ADPIC (RS 0.632.20 annexe 1.C) ; voir FICSOR (Mihaly), « The three step test » (2002), 192 Revue internationale du droit d’auteur 111. Pour l’Union européenne, voir l’art. 5 de la Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, étant noté que cette disposition contient un très long catalogue d’exceptions optionnelles pouvant être mises en œuvre par les États membres et de ce fait n’harmonise pas véritablement le droit des États membres. Consacrée au § 107 de la loi américaine sur le droit d’auteur (1976 Copyright Act). L’art et la propriété intellectuelle 1347 droit européen continental, consistant au contraire à instituer différentes exceptions spécifiques au droit d’auteur dans la loi (par exemple exception de citation, exception d’usage privé, etc.)184. C’est cette dernière approche qui a été adoptée en droit suisse aux art. 19 à 28 LDA. Pour préserver la cohérence du système et l’équilibre du droit d’auteur, on considère généralement que l’énumération des exceptions légales est exhaustive. Toutefois, force est de constater que des limites extrinsèques à la protection du droit d’auteur ne paraissent pas pouvoir être évitées, notamment par application du droit de la concurrence (réprimant les abus de position dominante)185. Quoi qu’il en soit, les dispositions légales de la loi sur le droit d’auteur, et particulièrement celles relatives aux exceptions, doivent être interprétées de manière conforme à la Constitution186. Dans ce contexte, le principe constitutionnel de la liberté de l’art pourra jouer un rôle important, qui sera potentiellement susceptible d’entrer en conflit avec la protection du droit d’auteur, raison pour laquelle il convient d’étudier cette question. 1.4.2 Conflit entre le droit d’auteur et la liberté de l’art Conçu comme le droit exclusif du créateur sur son œuvre, produit de son travail intellectuel, le droit d’auteur s’impose à quiconque souhaite utiliser de manière créative ou non une œuvre préexistante187. Dans cette mesure, le droit d’auteur peut entrer en conflit avec le principe constitutionnel de la liberté de l’article188. L’article 21 de la Constitution fédérale dispose en effet que « la 184. 185. 186. 187. 188. Sur ces différences d’approche, voir SCHACK, Kunst, no 272, 133; sur les divergences et convergences entre les systèmes du droit d’auteur et du copyright, voir en général la thèse de STROWEL (Alain), Droit d’auteur et copyright, convergences et divergences, (Bruxelles : Bruylant, 1993). Comme confirmé par les affaires Magill (CJCE RTE et al. c. Commission, affaires jointes C-241/91 P et C-242/91 [1991]) et IMS Health (CJCE, IMS Health c. NDC Health affaire C-418/01 [2004]) jugées par la CJCE. Pour le droit allemand, voir SCHACK, Kunst, no 272, 133. Pour autant que cette utilisation entre dans le champ de protection du droit d’auteur. Voir DE WERRA (Jacques), « Liberté de l’art et droit d’auteur » (2001), Medialex 2001, 143 ss.; SCHMIEDER (Hans-Heinrich), « Freiheit der Kunst und freie Benutzung urheberrechtlich geschützter Werke » [1982] Archiv für Urheber,Film,- Funk- und Theaterrecht (UFITA), 63 ss. ; DESSEMONTET, Droit d’auteur, 117 ss. ; PAHUD, 94. 1348 Les Cahiers de propriété intellectuelle liberté de l’art est garantie »189, la liberté de l’art se trouvant ainsi formellement élevée au rang de droit fondamental dans l’ordre juridique suisse190. On rappellera ici que, sur le plan international191, la liberté de l’art trouve son fondement dans l’art. 15, § 3 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels192, et, en tant que partie intégrante de la liberté d’expression, dans l’art. 19, § 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques193 ainsi que dans l’art. 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Avant d’être formellement ancrée dans la Constitution fédérale, la liberté de l’art n’était pas reconnue comme un droit constitutionnel non-écrit indépendant194, mais était au contraire considérée par le Tribunal fédéral comme une facette de la liberté d’expression195. 189. 190. 191. 192. 193. 194. 195. La liberté de l’art a fait l’objet de plusieurs études en droit suisse; voir BÄGGI (S.), Die Kunstfreiheit in der Schweiz, thèse Berne 1973; HEMPEL (Heinrich), Die Freiheit der Kunst, thèse Zurich 1991; VOGT (Ursula), Die Freiheit der Kunst im Verfassungsrecht der Bundesrepublik Deutschland und der Schweiz, thèse Zurich 1974. Les droits fondamentaux sont consacrés au chapitre premier du titre 2 (Droits fondamentaux, citoyenneté et buts sociaux) de la Constitution (art. 7 à 34 Cst.). Il convient de mentionner que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948, bien qu’elle n’ait aucune force obligatoire, dispose à son art. 27, al. 1 que: « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent », alors son art. 27 al. 2 consacre la protection du droit d’auteur (« Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur »), préfigurant ainsi la tension existant entre la liberté de l’art et le droit d’auteur. RS 0.103.1; l’art. 15 ch. 3 dispose : « Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices ». RS 0.103.2; l’art. 19 ch. 2 énonce : « Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ». Message du Conseil fédéral, FF 1997 I 163. ATF 120 II 225, 227, JdT 1996 I 99, 101; ATF 117 Ia 472, 478 et la jurisprudence citée; la liberté d’expression est protégée par l’art. 16 de la Constitution intitulé « Libertés d’opinion et d’information » qui dispose (art. 16 al. 2) que « toute personne a le droit de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion »; la consécration expresse de la liberté de l’art pose d’ailleurs la question délicate de la délimitation précise devant être faite entre ces deux libertés, ce qui mériterait de faire l’objet d’une étude distincte et dépasse le cadre de la présente contribution. L’art et la propriété intellectuelle 1349 Ce conflit entre la liberté de l’art et la protection du droit d’auteur met dès lors aux prises (au moins)196 deux droits fondamentaux, la liberté de l’art d’une part et la garantie de la propriété d’autre part197, cette dernière protégeant également le droit d’auteur198. Dès lors que les droits fondamentaux trouvent leur concrétisation dans le cadre des législations mettant en œuvre la Constitution, il conviendra ainsi d’interpréter la législation sur le droit d’auteur de manière conforme à la Constitution, en prenant en compte le principe de la liberté de l’art. Au-delà de la liberté de l’art, la protection constitutionnelle de la liberté d’expression sera également susceptible d’entrer en conflit avec la protection du droit d’auteur199. La liberté de l’art peut ainsi être invoquée à propos des exceptions légales200 de la parodie, de la citation et des catalogues de musées, d’expositions et de ventes aux enchères201. Il appartient alors aux tribunaux de préserver l’équilibre délicat entre la promotion de la création d’œuvres futures (protégée par la liberté de l’art) et la protection des œuvres existantes (découlant 196. 197. 198. 199. 200. 201. La liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) protège également les éléments extra-patrimoniaux (droit moral) du droit d’auteur, BARRELET (Denis) et al., Le nouveau droit d’auteur, 3e édition, (Berne : Stämpfli, 2008), no 9 ad Titre et préambule ; pour une discussion de cette question, voir MACCIACCHINI (Sandro), Urheberrecht und Meinungsfreiheit: untersucht am Gegenstand der Verwendung urheberrechtlich geschützter Werke in der Berichterstattung der Medien, (Berne : Stämpfli, 2000), 65 ss. Consacrée à l’art. 26 Cst. ATF 131 III 480, 490 consid. 3.1, JdT 2005 I 525; ATF 120 Ia 120, 121. Sur cette question, voir en général MACCIACCHINI; en droit comparé, HUGENHOLTZ (Bernt), « Copyright and Freedom of Expression in Europe » dans Expanding the Boundaries of Intellectual Property, Innovation Policy for the Knowledge Society, (Oxford : OUP, 2001), 343-364; COHEN (Jehoram H.), « The Freedom of Expression in Copyright and Media Law » [1983] Gewerblichen Rechtsschuz und Urheberrecht (GRUR International) 385 ss; cette question fait l’objet d’un intense débat doctrinal aux États-Unis, récemment ravivé par la crainte que la nouvelle législation américaine sur le droit d’auteur (Digital Millennium Copyright Act de 1998) étende excessivement le champ de protection du droit d’auteur à l’ère numérique, au mépris du respect du « fair use », et protège potentiellement des œuvres qui sont tombées dans le domaine public, voir notamment BENKLER (Yokai), « Free as the Air to Common Use: First Amendment Constraints on Enclosure of the Public Domain » (1999), 74 New York University Law Review, 354 ss. Sur le fondement constitutionnel des exceptions au droit d’auteur, voir PAHUD, 123 ss. Par l’application du principe de la liberté de l’art en matière de libre utilisation (« freie Benutzung »), voir DESSEMONTET, Droit d’auteur, 117 ss. et pour le droit allemand SCHMIEDER, 63 ss. 1350 Les Cahiers de propriété intellectuelle du droit d’auteur)203, en ne perdant pas de vue qu’une protection excessive du droit d’auteur léserait les artistes dès lors que ces derniers s’inspirent (consciemment ou non)204 des œuvres créées par autrui pour leurs propres créations. 1.4.3 L’exception de citation L’art. 25 al. 1 LDA rend licites « les citations tirées d’œuvres divulguées » « dans la mesure où elles servent de commentaire, de référence ou de démonstration et pour autant que leur emploi en justifie l’étendue ». Bien que l’exception de citation semble a priori devoir s’appliquer essentiellement dans un contexte scientifique, la jurisprudence étrangère enseigne qu’une application de cette exception est également envisageable dans le domaine de l’art. Ainsi, dans un arrêt fondamental205, la Cour constitutionnelle allemande a donné une interprétation relativement large à l’exception de citation (consacrée au § 51 de la loi allemande sur le droit d’auteur) en justifiant celle-ci par référence au respect du principe constitutionnel de la liberté de l’art. Dans cette affaire, les ayants droit de Bertolt Brecht s’opposaient à l’utilisation d’extraits de deux de ses pièces de théâtre dans le cadre d’une nouvelle pièce de théâtre écrite par Heiner Müller206. En renversant la décision de l’instance inférieure (qui avait considéré que ces citations violaient le droit d’auteur, car elles ne satisfaisaient pas aux conditions strictes de l’exception légale de citation) et en renvoyant l’affaire à celle-ci pour nouvelle décision, la Cour constitutionnelle allemande a souligné qu’il était nécessaire de tenir particulièrement compte de la liberté de l’art, dès lors que les citations litigieuses étaient faites dans le 203. 204. 205. 206. À propos de cette tension, on peut se référer à un considérant de l’arrêt de la cour constitutionnelle allemande, [2001] GRUR 150 : « Diese gesellschaftliche Einbindung der Kunst ist damit gleichzeitig Wirkungsvorrausetzungen für sie und Ursache dafür, dass die Künstler in gewissem Mass Eingriffe in ihre Urheberrechte durch andere Künstler als Teil der sich mit dem Kunstwerk auseinander setztenden Gesellschaft hinzunehmen haben ». Voir l’affaire Bright Tunes Music Corp. v. Harrisongs Music, Ltd. (420 F. Supp. 177, S.D.N.Y. 1976, jugement confirmé: ABKCO Music, Inc. v. Harrisongs Music, Ltd., 722 F. 2d 988 [2d Cir. 1983]), dans laquelle George Harrison a été condamné pour plagiat pour avoir inconsciemment copié une œuvre d’un autre compositeur. Arrêt du Bundesverfassungsgericht du 29 juin 2000 (la cour examinant pour la première fois la question de la relation entre le droit d’auteur et la liberté de l’art), [2001] Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht (GRUR) 149 ss. Pour une analyse de cet arrêt, voir METZGER (Axel), « ‘Germania 3 Gespenster am toten Mann’ oder welchen Zweck darf ein Zitat gemäss § 51 Nr. 2 UrhG verfolgen ? » [2000] Zeitschrift für Urheber- und Medienrecht (ZUM), 924 ss. L’art et la propriété intellectuelle 1351 cadre d’une création artistique. Cette décision pourrait ainsi constituer un argument favorisant l’application de la liberté de l’art en matière de citation en droit suisse également207. D’ailleurs, en sus de l’argument tiré de la liberté de l’art qui pourrait plaider en faveur d’une conception élargie de l’exception de citation, on peut s’étonner que, selon l’interprétation de l’art. 25 LDA faite par une partie de la doctrine208, les œuvres des arts plastiques et les photographies ne puissent pas bénéficier de l’exception de citation, au motif qu’il s’agirait d’œuvres « qui, par nature, ne peuvent être citées qu’en entier et pour lesquelles le droit de citation équivaudrait pratiquement à une libre utilisation [...] »209. On peut en effet s’interroger sur la valeur de cet argument dans la mesure où rien ne s’oppose à ce qu’une utilisation d’une œuvre des arts plastiques ou d’une photographie ne porte que sur une fraction de celles-ci, ce d’autant que la jurisprudence récente du Tribunal fédéral ne semble pas exclure qu’une partie d’une œuvre puisse être citée210. Si l’on pense en particulier aux collages artistiques211 ou à d’autres œuvres des beaux-arts faisant visuellement référence à certaines créations préexistantes, on peut imaginer que ces œuvres antérieures ne soient que partiellement reproduites, et soient simplement utilisées de manière créative comme point de départ d’une inspiration nouvelle. Dans un tel cas, pour autant que les autres conditions de l’exception de citation soient remplies212, l’auteur de la nouvelle œuvre, de même que 207. 208. 209. 210. 211. 212. On peut également noter le jugement du Tribunal de Grande Instance (TGI) de Paris du 23 février 1999, RIDA 2000 (184), 374 (avec une note de KÉRÉVER). Dans cette affaire, le TGI avait jugé que le droit d’auteur sur les œuvres de Maurice Utrillo ne pouvait pas interdire la diffusion d’un reportage télévisuel portant sur une exposition de tableaux du peintre (en dépit du caractère étroit de l’exception de citation en droit d’auteur français), décidant ainsi que la violation de l’art. 10 CEDH (liberté d’expression et droit du public à l’information) devait prévaloir sur la protection des droits exclusifs de l’auteur; cet arrêt a été renversé en appel par la Cour d’appel de Paris, (2002), 191 RIDA, 294, cet arrêt ayant été confirmé par la Cour de cassation, (2004), 200 RIDA, 291; pour une analyse de ces arrêts, voir GEIGER (Christophe), Droit d’auteur et droit du public à l’information, (Paris : LexisNexis, 2004), 391 ss. BARRELET/EGLOFF, n° 2 ad art. 25; DESSEMONTET, Droit d’auteur, 356 ss. ; voir les autres nombreuses références citées par MACCIACCHINI, 184, note 256. BARRELET/EGLOFF, no 8 ad art. 25, se référant à KETTMEIR HUG (Gitti), « Urheberrecht an der Fotografie nach schweizerischem Recht » [1998] Archiv für Urheber,-Film,-Funk- und Theatrrecht (UFITA), 151 ss. ATF 131 III 480, 491 consid. 3.2., JdT 2005 I 391. Voir à titre d’exemple la réutilisation d’une fraction d’une photographie de mode dans une œuvre de Jeff Koons dans l’affaire Blanch v. Koons, 467 F.3d 244 (2d Cir., 2006) ; voir aussi DESSEMONTET, Droit d’auteur, 118. Soit en particulier que la citation serve de commentaire, de référence ou de démonstration (ce qui pourra toutefois être délicat à remplir dans le contexte artistique), que son emploi en justifie son étendue et que la citation soit indiquée 1352 Les Cahiers de propriété intellectuelle toutes les personnes et entités intervenant dans le processus de distribution de cette œuvre213, devraient pouvoir se prévaloir de l’exception de citation, en invoquant une interprétation de l’art. 25 LDA conforme à la liberté de l’art214. D’ailleurs, la doctrine récente souligne que la citation d’œuvres visuelles devrait être autorisée par l’art. 25 LDA, compte tenu des exigences posées par la liberté d’expression tout particulièrement en regard des besoins des médias215. 1.4.4 L’exception de parodie L’article 11, al. 3 LDA dispose que « [l]’utilisation d’œuvres existantes pour la création de parodies ou d’imitations analogues est licite ». Contrairement à ce qui pourrait être déduit de la place de cette exception dans la systématique de la loi (cette exception figurant dans l’article consacré au droit à l’intégrité et pouvant ainsi être conçue comme une exception à ce seul droit exclusif de l’auteur), il est acquis que l’exception de parodie constitue une exception à tous les droits d’auteur qui permet dès lors à son bénéficiaire, lorsque ses conditions sont remplies, d’échapper complètement aux droits exclusifs de l’auteur. Bien que la parodie vise souvent davantage un but politique et critique que proprement artistique216, ce qui la conduirait à être traitée davantage comme une manifestation de la liberté d’expression plus que de la liberté de l’art, on peut admettre que la liberté de l’art peut également s’appliquer en matière de parodies ou d’imitations analogues217. Ainsi, au même titre que l’auteur d’une satire (qui est susceptible de porter atteinte à la personnalité de la victime de celle-ci)218, le créateur d’une parodie devrait également être en 213. 214. 215. 216. 217. 218. (souvent, les citations artistiques d’œuvres visuelles se rapportent à des œuvres célèbres de sorte que la citation est automatiquement « reconnaissable comme telle », BARRELET/EGLOFF, n° 11 ad art. 25) et que la source et l’auteur soient mentionnés (il se produit souvent que l’auteur d’un collage/tableau intitule précisément son tableau « En hommage à ... », remplissant ainsi cette condition du droit de citation). Puisqu’ils sont tous titulaires de la liberté de l’art. Voir SCHMIEDER, 65, considérant (en droit allemand) que le droit de citation constitue une expression de la liberté de l’art et de la science. MACCIACCHINI, 184 ss. Voir SALVADÉ (Vincent), « L’exception de parodie ou les limites d’une liberté » [1998] Medialex, 92 ss. ; DE WERRA, Intégrité, 156 ss. PAHUD, 128. Sur la satire, voir en général SENN (Mischa Charles), Satire und Persönlichkeitsschutz: zur rechtlichen Beurteilung satirischer Äusserungen auf der Grundlage der Literatur- und Rezeptionsforschung, (Berne : Stämpfli, 1998). L’art et la propriété intellectuelle 1353 mesure de se prévaloir de la liberté de l’art pour légitimer son activité créatrice face à l’opposition de la personne qui se prétend lésée dans son droit d’auteur (et plus spécifiquement dans son droit à l’intégrité de l’œuvre). Bien que l’exception de parodie ait été – naturellement – souvent invoquée en matière d’Appropriation Art, elle a généralement été rejetée par les tribunaux, ces derniers confirmant ainsi que cette exception ne saurait constituer une voie de sortie facile (et gratuite) par trop défavorable aux créateurs des œuvres prétendument parodiées219. Pour retenir une telle exception, il faudra en effet démontrer que l’œuvre parodique constitue une critique artistique ou sociale de l’œuvre parodiée220. 1.4.5 L’exception pour les catalogues de musées, d’expositions et de ventes aux enchères L’article 26 LDA consacre une exception au droit exclusif de l’auteur en vue de favoriser l’édition de catalogues de musées, d’expositions et de ventes aux enchères en disposant que : « dans les catalogues édités par l’administration d’une collection accessible au public, il est licite de reproduire des œuvres se trouvant dans cette collection ; cette règle s’applique également à l’édition de catalogues d’expositions et de ventes aux enchères ». Selon la jurisprudence (s’appuyant plus particulièrement sur une interprétation du texte légal dans ses versions française et italienne)221, l’exception de l’art. 26 LDA s’applique également aux catalogues d’expositions temporaires, et non seulement à ceux relatifs aux expositions permanentes. Toutefois, cette exception ne couvre pas les modes d’exploitation des œuvres autres que l’édition et la commercialisation de catalogues sous forme d’exemplaires physiques (soit sous forme de livres). Ainsi, ni la mise à disposition en ligne des œuvres sur Internet ni la commercialisation de cartes postales des œuvres concernées ne sont couvertes par l’exception de l’art. 26 LDA. Cette limitation vaut également pour les catalogues de vente aux enchères. 219. 220. 221. Comme exprimé par la Cour suprême des États-Unis dans la célèbre affaire concernant la parodie rap de la chanson « Pretty Woman », « this is of course not to say that anyone who calls himself a parodist can skim the cream and get away scot free », Campbell v. Acuff-Rose Music, Inc., 510 U.S. 569 (1994), 589. Ceci a été retenu à juste titre dans l’affaire des poupées Barbies, voir Mattel v. Walking Mountain Productions, 353 F.3d 792 (9th Cir. 2003) ; voir aussi Campbell v. Acuff-Rose Music, Inc., 510 U.S. 569 (1994). Dans cet arrêt, ATF 127 III 26, 32, le Tribunal fédéral a d’ailleurs constaté que la loi sur le droit d’auteur « à côté de la protection des droits d’auteurs, [elle] tend aussi à ne pas freiner exagérément la diffusion de la culture ». 1354 Les Cahiers de propriété intellectuelle Contrairement à ce qu’affirme une partie de la doctrine222, les catalogues produits sous le régime de l’exception peuvent continuer à être diffusés une fois l’évènement achevé, faute de quoi l’institution concernée pourrait se voir privée de la possibilité d’écouler un stock d’ouvrages commandés (et payés). 1.4.6 L’exception de la liberté de panorama En vertu de l’art. 27, al. 1 LDA, il « est licite de reproduire des œuvres se trouvant à demeure sur une voie ou une place accessible au public ; les reproductions peuvent être proposées au public, aliénées, diffusées ou, de quelque autre manière, mises en circulation ». Une des conditions d’application de cette exception au droit d’auteur est que les œuvres concernées se trouvent « à demeure » sur une voie ou une place accessible au public. L’interprétation de cette condition pourrait être délicate s’agissant d’œuvres dont l’existence (et donc l’accessibilité au public) serait volontairement limitée par leur auteur. Dans ce cadre, on peut se référer à l’affaire du Reichstag allemand qui avait été emballé en 1995 par les artistes Christo et Jeanne-Claude pendant une période de deux semaines223. Ces artistes se sont ainsi opposés à la commercialisation de cartes postales reproduisant des photographies de leur œuvre qui avait été effectuée par une société qui invoquait comme moyen de défense l’exception de liberté de panorama (« Panoramafreiheit ») consacrée au § 59 de la loi allemande sur le droit d’auteur. À l’image de l’art. 27 LDA, cette disposition comporte également la condition que l’œuvre concernée soit située de manière durable (« bleibend ») sur le lieu (public) concerné. Dans son arrêt, le Bundesgerichtshof a jugé que cette exception ne s’appliquait pas aux œuvres exposées temporairement sur un espace public, peu importe à cet égard le sort réservé aux œuvres concernées après leur exposition (soit que celles-ci soient détruites ou non après l’exposition). Sur cette base, on devrait considérer par analogie que l’exception de l’art. 27 LDA ne pourra pas être invoquée en cas d’expositions temporaires d’œuvres sur une voie ou une place accessible au public. 222. 223. BARRELET/EGLOFF, n° 3 ad art. 26. BGH, [2002] GRUR 605. L’art et la propriété intellectuelle 1355 1.5 Actes de disposition du droit d’auteur 1.5.1 Cession du droit d’auteur En vertu de l’art. 16, al. 1 LDA, le droit d’auteur est cessible. En vertu de ce principe, tous les droits d’exploitation découlant du droit d’auteur peuvent être cédés à des tiers par l’auteur qui est le titulaire originaire des droits en vertu du principe du créateur (« Schöpferprinzip », art. 6 LDA). La cession des prérogatives de l’auteur rattachées au droit moral (particulièrement du droit de paternité et du droit à l’intégrité) est plus délicate224. La jurisprudence a toutefois récemment consacré le principe de l’incessibilité du droit moral. Le Tribunal fédéral a en effet expressément tranché que « le droit moral ne peut pas être cédé ; c’est-à-dire qu’il est indissociablement lié à la personne physique qui a qualité d’auteur »225. En principe, on doit donc admettre que ces prérogatives ne sont pas cessibles comme telles en vertu du lien indéfectible qui existe entre ces prérogatives et l’auteur, mais que ce dernier peut néanmoins renoncer à l’avance à leur exercice par contrat pour autant qu’un tel engagement ne soit pas jugé excessif226. Ainsi, un artiste pourra accepter que des modifications soient apportées à son œuvre par un tiers dans la mesure où les modifications projetées seront connues ou à tout le moins déterminables. A contrario, un artiste ne pourra pas valablement s’engager à autoriser un tiers par contrat à apporter toute modification à son œuvre, ce que précise l’art. 11, al. 2 LDA qui réserve à l’auteur le droit de s’opposer à « toute altération de l’œuvre portant atteinte à sa personnalité », et ce particulièrement lorsqu’« un tiers est autorisé par contrat » à modifier l’œuvre ou à créer une œuvre dérivée. Les droits d’exploitation découlant du droit d’auteur, et particulièrement les droits énumérés à l’art. 10 al. 2 LDA peuvent être cédés de manière globale ou individuelle, la cession globale de ces droits contre un paiement forfaitaire étant valable en droit suisse227. 224. 225. 226. 227. Pour une discussion, voir DE WERRA, « art. 16 LDA », Müller (Barbara)/ Oertli (Reinhard) (éd.), Stämpflis Handkommentar, Urheberrechtsgesetz (URG), (Berne: Stämpfli, 2006) (cité : DE WERRA, « art. 16 LDA »), n° 16 ss. ATF 136 III 225, [2010] Sic! 526, 528. Voir pour tous DE WERRA, « art. 16 LDA », n° 16 ss. CHERPILLOD (Ivan), « Titularité et transfert des droits », Marchetto Fabio (éd.), La nouvelle loi fédérale sur le droit d’auteur, (Lausanne : CEDIDAC, 1994), 88 (cité : CHERPILLOD, Titularité), 102; STREULI-YOUSSEF (Magda), « Grundlagen », Streuli-Youssef Magda (éd.), Urhebervertragsrecht, (Zurich : Schulthess, 2006) (cité : STREULI-YOUSSEF, Grundlagen), 18. 1356 Les Cahiers de propriété intellectuelle En vertu du principe de la liberté contractuelle, les contrats relatifs au droit d’auteur peuvent revêtir des formes variées. Ainsi, les droits d’auteur peuvent être cédés notamment dans le cadre de contrats de donation, d’échange, de vente, de travail ou encore d’entreprise228. La cession de droits d’auteur a un effet absolu (erga omnes) et est dès lors opposable à tous229. La cession se distingue ainsi de la licence qui n’a qu’un effet relatif230. La cession tout comme la licence de droits d’auteur ne requièrent en principe pas le respect de la forme écrite231. Elles peuvent ainsi se produire de manière tacite et concluante entre les parties. La volonté des parties doit être interprétée pour déterminer s’il s’agit d’une cession ou d’une licence dans un cas particulier232. Bien que cela ne soit pas d’une importance pratique essentielle dans le contexte artistique (même s’il n’est pas exclu que des droits d’auteur d’artistes soient détenus par des sociétés), il faut relever qu’une exception au principe de la liberté de la forme résulte des nouvelles institutions de la scission (art. 29 ss LFus) et du transfert de patrimoine (art. 69 ss LFus). Les actifs destinés à faire l’objet de la scission ou du transfert, parmi lesquels peuvent figurer des droits d’auteur, doivent en effet être expressément mentionnés dans les contrats de scission ou de transfert de patrimoine, ces contrats étant soumis à la forme écrite (art. 36 al. 3 et art. 70 al. 2 LFus). En vertu de l’art. 37 lit. b ou respectivement de l’art. 71 al. 1 lit. b LFus, le contrat doit comporter en annexe « un inventaire renfermant la désignation claire, le partage et l’attribution des objets du patrimoine actif et passif ainsi que l’attribution des fractions d’entreprise », ces dispositions précisant que « les immeubles, les papiers-valeurs et les valeurs immatérielles sont mentionnés individuellement », les « valeurs immatérielles » au sens de l’art. 37, lit. b et de l’art. 71, al. 1 lit. b LFus comprenant ainsi les droits d’auteur233. 228. 229. 230. 231. 232. 233. VON BÜREN/MEER, 250 ; pour une cession fondée sur un contrat d’entreprise, voir TF, [1999] Sic! 119, 122. BARRELET/EGLOFF, 16 N 2 et 2a ; STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 18. BARRELET/EGLOFF, 16, N 2 et 2a ; STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 18; autre avis : REHBINDER (Manfred), Schweizerisches Urheberrecht, 3e édition, (Berne : Stämpfli, 2000) (cité : REHBINDER, Urheberrecht), 164, qui considère que la licence a des effets réels. TF, [1997] Sic! 382; pour l’ancien droit – sous l’empire de l’art. 9 de la Loi sur le droit d’auteur de 1922 – voir TF, [1999] Sic! 119. Pour une illustration, voir TC Fribourg, [2003] Sic! 694. STREULI-YOUSSEF (Magda), « Bedeutung des Fusionsgesetzes für die IPWelt? » [2004] Sic! 610, (cité : STREULI-YOUSSEF, Fusionsgesetz), 612. L’art et la propriété intellectuelle 1357 En principe, seuls les titulaires du droit d’auteur peuvent agir en violation des droits dont ils sont titulaires234. Toutefois, selon la jurisprudence235, les preneurs de licence exclusive peuvent faire valoir la violation des droits d’auteur concédés en licence face à des violations commises par des tiers pour autant que ce pouvoir leur ait été conféré dans le contrat de licence. De plus, selon le nouvel art. 62, al. 3 LDA (entré en vigueur le 1er juillet 2008), « [l]a personne qui dispose d’une licence exclusive peut elle-même intenter l’action pour autant que le contrat de licence ne l’exclue pas explicitement ». Ainsi, le nouveau régime consacre la qualité pour agir du preneur de licence exclusive, sauf si cela a été expressément exclu dans le contrat de licence, le nouveau régime n’étant toutefois applicable qu’aux « contrats de licence conclus ou confirmés après l’entrée en vigueur de la modification du 22 juin 2007 de la présente loi » (art. 81a LDA), soit après le 1er juillet 2008. 1.5.2 Gestion individuelle et gestion collective des droits d’auteur Sous réserve de certaines exceptions légales (art. 13, 20, 22, al. 1, 24b al. 1, 24c al. 4 et 35 LDA) pour lesquelles la gestion collective des droits par une société de gestion autorisée est obligatoire, l’auteur est libre de décider s’il souhaite gérer ses droits d’auteur de manière individuelle ou collective par le biais d’une société de gestion236. Lorsque des droits sont cédés à une société de gestion par l’auteur, la société de gestion les acquiert de manière exclusive à titre fiduciaire237. Les droits ainsi cédés à la société de gestion doivent alors être exercés par cette dernière, et ne peuvent plus l’être par l’auteur lui-même238. Les tiers qui concluent un contrat avec l’auteur portant sur l’exploitation d’une œuvre ne sont pas protégés même s’ils sont de bonne foi239. Il est donc essentiel pour tout tiers de vérifier la question de la titularité des droits dans le cadre de négociations conduites avec les auteurs ou les sociétés de gestion portant sur l’utilisation des œuvres. 234. 235. 236. 237. 238. 239. En application de l’adage « nul ne plaide par procureur ». ATF 113 II 190, JdT 1988 I 306; voir aussi TF, [2008] Sic!, 209 ; Obergericht Lucerne, [1997] Sic! 458. BARRELET/EGLOFF, N 15 ad art. 40. TF, [2002] Sic! 599; ATF 117 II 463, 465, JdT 1992 I 393. TF, [2002] Sic! 599. STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 22; la situation inverse peut également se produire et aboutit à la même conséquence, soit celle dans laquelle la société de gestion n’est pas titulaire des droits parce que l’auteur en a disposé, voir Kantonsgericht St. Gall, [1999] Sic! 630 avec une note de HILTY. 1358 Les Cahiers de propriété intellectuelle La Confédération exerce une surveillance sur la gestion de certains droits (soit des droits exclusifs d’exécution et de diffusion des œuvres musicales non théâtrales, ainsi que de la confection de phonogrammmes et vidéogrammes de telles œuvres, au sens de l’art. 40, al. 1 let. a LDA et sur les droits pour lesquels la gestion collective est obligatoire (art. 40 al. 1 let. b LDA). Pour tous les droits dont la gestion collective n’est pas obligatoire, la loi précise que l’auteur ou ses héritiers sont en droit de les exercer librement, cet exercice des droits d’auteur n’étant pas soumis à la surveillance de la Confédération (art. 40 al. 3 LDA). Ce privilège de la gestion individuelle est réservé à l’auteur et à ses héritiers et ne s’applique pas aux tiers cessionnaires des droits d’auteur240. 1.5.3 Création dépendante et droit d’auteur Une grande partie de la création artistique résulte actuellement des efforts créatifs accomplis par des auteurs employés qui créent collectivement des œuvres au profit de leurs employeurs (notamment dans l’industrie cinématographique). Dans cette mesure, l’image du poète solitaire créant dans sa mansarde241 ne reflète pas pleinement les processus de création actuels des œuvres, même si la création individuelle et indépendante reste la norme dans le domaine des beaux-arts242. La question de la titularité des droits par les employeurs est ainsi posée. La loi consacre le principe du créateur (« Schöpferprinzip », art. 6 LDA). En vertu de ce principe, seule la personne physique qui a créé l’œuvre peut être titulaire originaire des droits d’auteur sur celle-ci. À titre d’exception, l’art. 17 LDA prévoit un régime particulier applicable aux logiciels créés par des employés dans le cadre de leur fonction visant à permettre à l’employeur de jouir des droits d’auteur sur le logiciel créé. En dehors de ce cas spécifique243, il n’existe pas de cession légale des droits d’auteur en faveur de tiers 240. 241. 242. 243. GOVONI (Carlo) et al., « Die Bundesaufsichtüber die kollektive Verwertung von Urheberrechten », VON BÜREN (Roland) et al. (éd.), Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, vol. II/1, (Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2006), 409, 436. Telle qu’elle a été merveilleusement peinte par Carl Spitzweg (1808-1885) dans son tableau « Der arme Poet » (1839). Voir toutefois les œuvres collectives de certains duos d’artistes tels que Gilbert & Georges, Christo et Jeanne Claude ou encore Pierre et Gilles. Qui n’est pas pertinent dans le domaine artistique. L’art et la propriété intellectuelle 1359 (particulièrement de l’employeur) de sorte qu’une cession contractuelle est nécessaire si le tiers souhaite bénéficier des droits exclusifs sur l’œuvre, étant rappelé que la cession des droits d’auteur peut intervenir de manière concluante. En cas de litige sur la portée d’une cession contractuelle des droits d’auteur notamment dans le cadre d’un contrat de travail, il conviendra d’interpréter la volonté des parties. A cet égard, la théorie du but de la cession (« Zweckübertragungstheorie ») jouera un rôle très important244. Il va toutefois de soi qu’en tant que règle d’interprétation, la « Zweckübertragungstheorie » ne peut pas trouver application, lorsque la volonté réelle et concordante des parties peut être déterminée245. La « Zweckübertragungstheorie » constitue la première règle d’interprétation des contrats de droit d’auteur en Suisse246. Selon cette théorie, la portée d’une cession de droit d’auteur se détermine en cas de doute selon le but du contrat concerné. Bien que la « Zweckübertragungstheorie » qui trouve son origine en droit allemand a été reconnue par la doctrine depuis longtemps, elle n’a été mentionnée que très récemment dans la jurisprudence247. Elle est expressément consacrée dans le domaine du contrat d’édition248. Ainsi, l’art. 381, al. 1 du Code suisse des obligations dispose que « le contrat transfère à l’éditeur les droits de l’auteur, en tant et aussi longtemps que l’exécution de la convention l’exige ». La « Zweckübertragungstheorie » signifie ainsi qu’en cas de doute sur la portée d’une cession, l’auteur n’est pas supposé transférer davantage de droits que ce qui est exigé pour atteindre le but du contrat249. L’application de la « Zweckübertragungstheorie » ne se limite pas à la détermination de la portée d’une cession de droits d’auteur. En effet, cette théorie a un champ d’application plus large que la règle d’interprétation de l’art. 16, al. 2 LDA qui dispose que « [s]auf convention contraire, le transfert d’un des droits découlant du droit 244. 245. 246. 247. 248. 249. Voir VON BÜREN/MEER, 165 ss. BARRELET/EGLOFF, n° 21 ad art. 16; STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 11. DESSEMONTET, Droit d’auteur, 598. TF, [1997] Sic! 382; comme souligné par la doctrine, voir VON BÜREN/MEER, 171, la « Zweckübertragungstheorie » a déjà été appliquée dans l’ATF 101 II 102, JdT 1976 I 525, même si elle n’avait alors pas été expressément mentionnée. VON BÜREN/MEER, 255. TF, [1999] Sic! 119, 122; VON BÜREN/MEER, 169; CHERPILLOD, Titularité, 95. 1360 Les Cahiers de propriété intellectuelle d’auteur n’implique pas le transfert d’autres droits partiels »250. Cette théorie peut en effet aussi être appliquée pour déterminer la nature (soit cession ou licence) et la durée du transfert (pour la durée, voir l’art. 381, al. 1 CO)251. La « Zweckübertragungstheorie » est également applicable à l’interprétation des contrats de licence de droit d’auteur252, et permet aussi de déterminer si l’on a affaire à une cession ou à une licence de droit d’auteur253. En cas de doute, on doit admettre l’existence d’une licence et non d’une cession de droit d’auteur254. En matière de contrats de travail, on peut admettre que les droits d’auteur sur les œuvres qui ont été créées par l’employé en exécution de ses obligations contractuelles peuvent être cédés tacitement à l’employeur en fonction du but du contrat de travail en application de la « Zweckübertragungstheorie »255. Selon le principe de la bonne foi, on peut considérer que l’employé a cédé à l’employeur tous les droits sur l’œuvre qui sont nécessaires pour atteindre le but du contrat de travail256. Pour ce qui concerne les œuvres qui sont créées sur commande257, le principe du créateur reste applicable (art. 6 LDA) de sorte que le client qui a commandé une œuvre à un artiste258 doit se faire céder le droit d’auteur par ce dernier s’il entend exploiter l’œuvre. Dans ce cadre, la règle de l’art. 16, al. 3 LDA qui prévoit que 250. 251. 252. 253. 254. 255. 256. 257. 258. CHERPILLOD, Titularité, 95, qui considère les art. 16 al. 2 et 3 LDA comme des expressions particulières de la « Zweckübertragungstheorie ». CHERPILLOD, Titularité, 96. BARRELET/EGLOFF, 16 N 20; CHERPILLOD, Titularité, 46; voir toutefois HILTY (Reto), « Urhebervertragsrecht: Schweiz im Zugszwang? », HILTY (Reto M.) et al. (éd.), Urheberrecht am Scheideweg?, (Berne : Stämpfli, 2002) (cité : HILTY, Urhebervertragsrecht), 96, note 28. CHERPILLOD, Titularité, 95 s. ; pour des exemples pratiques, voir l’arrêt du Tribunal cantonal de Fribourg, [2003] Sic! 694 et la sentence d’un tribunal arbitral zurichois publiée dans la RSPI 1990, 339; pour une discussion de cette sentence, voir PIAGET (Emmanuel), « La théorie de la finalité: entre théorie et pratique », TISSOT (Nathalie) (éd.), Quelques facettes du droit de l’Internet : droit des nouvelles technologies de l’information et de la communication, vol. 5, (Neuchâtel : PAN Presses académiques Neuchâtel, 2004), 1, 8; avis contraire: STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 11. CHERPILLOD, Titularité, 97 s. Bezirksgericht Unterrheintal, [2002] Sic! 589. LAUX (Christian), Vertragsauslegung im Urheberrecht, thèse Zurich, (Berne : Stämpfli, 2003), 174 avec des renvois. Sur la question des œuvres de commande, voir SCHACK, Kunst, no 441 ss., 217 ss. Un tel contrat est considéré comme un contrat d’entreprise au sens de l’art. 363 ss. CO ; voir ATF 115 II 50, JdT 1989 I 350 et, pour le droit allemand, voir BGHZ 19, 382. L’art et la propriété intellectuelle 1361 le transfert de l’exemplaire de l’œuvre n’emporte pas cession des droits d’auteur relatifs à cette œuvre trouvera application (sous réserve de dispositions contraires intervenues par accord entre les parties). La question du transfert des droits peut s’avérer problématique si la commande est annulée (i.e. le contrat d’entreprise est résilié) avant l’achèvement de l’œuvre259. Dans une telle situation, l’acquéreur doit en principe respecter le droit de première divulgation de l’auteur qui permet à ce dernier de s’opposer à la divulgation au public de son œuvre inachevée260. 1.5.4 Transmission du droit d’auteur par succession L’article 16, al. 1 LDA dispose que les droits d’auteur sont transmissibles par succession. L’ensemble des droits d’auteur est concerné, qu’il s’agisse des droits patrimoniaux ou des droits découlant du droit moral261. Sous réserve de dispositions qui auraient été prises par l’auteur de son vivant, les héritiers de ce dernier jouissent d’une liberté totale dans l’exercice (ou le non-exercice) des droits d’auteur qu’ils ont hérités262. Selon les règles ordinaires du droit des successions (art. 602, 259. 260. 261. 262. À titre d’exemple, le lecteur pourra se référer au litige opposant l’artiste suisse Christoph Büchel au Massachusetts Museum of Contemporary Art : 565 F. Supp. 2d 245 (2008) (D. Mass. 2008), aff’d in part and vacated in part, 593 F.3d 38 (1st Cir. 2010) ; voir également SMITH (Roberta), « Is It Art Yet? And Who Decides? », New York Times, 16 septembre 2007 (disponible en ligne : <http:// www.nytimes.com/2007/09/16/arts/design/16robe.html>. Voir l’Affidavit du Prof. Robert Storr, Doyen de Yale University School of Art, soumis à la Cour (U.S.D.C. of Massachusetts) dans le cadre de la procédure de Christoph Büchel contre le Mass MoCA (supra, note 259) : « In my view, under no circumstance should a work of art be shown to the public until the artist has determined that it is finished. Speaking as someone who has commissioned or sponsored many com- parable artistic projects, I strongly maintain that public institutions that act as sponsors for art projects should only do so with the full knowledge that those projects may not meet their expectations, and, in the end, may even prove unfeasible. No matter how much money may be spent on the creating of a work by an institution on behalf of their public, such sponsorship belongs to the category of patronage and does not buy that institution or its public any degree of ownership of or any proprietary right over the project much less any decision-making authority with respect its readiness for public presentation. » (Motion for summary judgment du 31 août 2007, <http://www.scribd. com/doc/270678/Buchel-Summary-Judgment-Brief>). BARRELET/EGLOFF, no 12 ad art. 16; VOUILLOZ (François), « La transmission du droit d’auteur aux héritiers », WERRO (Franz) et al. (éd.), La transmission du patrimoine. Questions choisies. Contributions en l’honneur de PaulHenri Steinauer à l’occasion de ses cinquante ans, (Fribourg : Éditions Universitaires Fribourg, 1998), 95, 103 ; DE WERRA, Successions, 686. Certaines réglementations étrangères permettent de lutter contre des abus qui seraient commis après le décès de l’auteur, voir par exemple l’art. 121-3 du 1362 Les Cahiers de propriété intellectuelle al. 2 du Code civil suisse (CC)) les héritiers doivent agir ensemble de manière unanime, les règles relatives aux co-auteurs (art. 7 LDA) n’étant pas applicables à la communauté héréditaire263. Afin de contrôler son patrimoine artistique après son décès, l’auteur est en droit de prendre des mesures de droit successoral dans ce but. L’auteur peut ainsi nommer un exécuteur testamentaire (art. 517 CC) dans le but d’exercer (ou de contrôler l’exercice de) certains droits d’auteur (par exemple les prérogatives découlant du droit moral)264. L’auteur peut également imposer des charges (art. 482 CC) relatives à l’exercice des droits d’auteur, notamment dans le but d’interdire la divulgation d’œuvres inachevées par les héritiers265. En raison de la durée de protection relativement longue du droit d’auteur266, il serait utile qu’une personne morale soit désignée comme exécutrice testamentaire. L’auteur pourra d’ailleurs créer une fondation de son vivant, à qui il céderait ses droits d’auteur de son vivant ou par des dispositions à cause de mort267, en respectant à cet égard les limites du droit des successions (soit en particulier les dispositions relatives à la réserve, art. 471 et s. CC). 1.6 Relation entre le droit d’auteur sur l’œuvre et le droit de propriété sur l’exemplaire matériel de l’œuvre La loi comporte certaines dispositions qui visent à arbitrer les relations existant entre l’artiste en tant que titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre (ou ses ayants droit) et le propriétaire d’un exemplaire de celle-ci qui jouit du droit de propriété sur cet exemplaire, 263. 264. 265. 266. 267. Code français de la propriété intellectuelle : « En cas d’abus notoire dans l’usage ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur décédé visés à l’article L. 121-2, le tribunal de grande instance peut ordonner toute mesure appropriée. »; pour une illustration, voir l’affaire Foujita, Cour de cassation, (1989), 141 RIDA, 257. ATF 121 III 118, 121, JdT 1995 I 274. SCHACK, Kunst, no 325, 157. BAUMGARTNER (Christoph), Nachlassplanung des Urhebers : Verfügungsund Gestaltungsspielraum zu Lebzeiten und von Todes wegen, thèse Berne 2005, 103 ; l’intérêt général commanderait que ces charges soient réduites dans certains cas, comme le célèbre exemple de Max Brod et Franz Kafka le démontre ; de la même façon, le fils de Vladimir Nabokov a fait publier – en invoquant l’intérêt général et la culture – la dernière œuvre non divulguée de son père (The Original of Laura) pour éviter qu’elle ne soit brûlée, voir CONNOLLY (Kate), « Nabokov’s last work will not be burned », The Guardian, 22 avril 2008, <http://www.guardian.co.uk/books/booksblog/2008/apr/22/nabokovoriginaloflaura>. Septante ans après le décès de l’auteur – sous réserve des logiciels – en vertu de l’art. 29, al. 2 let. a et b LDA. Voir BAUMGARTNER, 79 s., 115 ss. ; DE WERRA, Successions, 694 ss. L’art et la propriété intellectuelle 1363 qui lui permet de disposer de sa chose « dans les limites de la loi » (art. 641, al. 1 CC), une des limites légales du pouvoir du propriétaire découlant précisément du droit d’auteur. En vertu de l’art. 14 al. 1 LDA, l’artiste a ainsi le droit d’accéder aux exemplaires de son œuvre « dans la mesure où cela se révèle indispensable à l’exercice de son droit d’auteur et à condition qu’aucun intérêt légitime du propriétaire ou du possesseur ne s’y oppose ». Cette disposition crée un droit d’accès qui permettra par exemple à l’artiste de reproduire un exemplaire unique d’une œuvre qui est la propriété d’un collectionneur afin d’en faire une copie (et d’exercer ainsi son droit de reproduction de l’œuvre)268 ou de vérifier si une atteinte a été portée à l’intégrité de l’œuvre (de sorte que l’auteur puisse le cas échéant s’y opposer). Par contre, une demande d’accès à une œuvre qui serait fondée sur le simple souhait de l’artiste de répertorier ses œuvres ne pourra pas être fondée sur l’art. 14, al. 1 LDA dès lors qu’une telle requête d’accéder à son œuvre ne serait pas « indispensable à l’exercice de son droit d’auteur ». Aussi ne saurait-on trop recommander aux artistes de tenir un inventaire détaillé et précis de leurs œuvres et des propriétaires de celles-ci, faute de pouvoir contraindre les propriétaires à leur donner accès à leurs œuvres269. L’exercice du droit d’accès de l’art. 14 LDA supposera en outre qu’aucun « intérêt légitime du propriétaire ou du possesseur ne s’y oppose », de tels intérêts légitimes pouvant notamment résulter de la fragilité de l’œuvre. La question de l’intérêt légitime du propriétaire ou possesseur pourra en particulier se poser dans le contexte où l’artiste souhaiterait copier l’exemplaire unique de l’œuvre propriété d’un collectionneur (par exemple par moulage). Faute de stipulation contractuelle contraire garantissant une certaine exclusivité au collectionneur propriétaire de l’exemplaire unique de l’œuvre, ce dernier n’aura pas d’intérêt légitime à s’opposer à ce que l’artiste accède à son œuvre, même si les copies de l’exemplaire unique qui seraient ultérieurement commercialisées par l’artiste seraient susceptibles d’affecter la valeur commerciale de l’exemplaire (jusqu’alors unique) qui est la propriété du collectionneur270. 268. 269. 270. Pour une illustration (sous l’angle du droit allemand), voir l’affaire Totenmaske, KG, [1983] GRUR 507. Sachant que, sous réserve de ventes publiques (pour lesquelles l’artiste pourrait éventuellement toucher une rémunération au titre du droit de suite), l’artiste ne sera pas en mesure ni de contrôler le transfert ultérieur de ses œuvres ni d’obtenir les noms et coordonnées des propriétaires de celles-ci. Dans ce sens SCHACK, Kunst, no 167, 89 se référant à [1983] GRUR 567. 1364 Les Cahiers de propriété intellectuelle L’article 14, al. 2 LDA consacre pour sa part le droit de l’auteur d’obtenir la remise d’un exemplaire d’une œuvre du propriétaire ou possesseur de celle-ci afin de pouvoir l’exposer en Suisse à condition que l’auteur puisse « établir un intérêt prépondérant ». Un tel intérêt prépondérant pourra en particulier être admis s’agissant d’expositions rétrospectives de l’œuvre de l’artiste concerné ou d’une autre exposition majeure (même s’il s’agit d’une exposition collective). Dans cette perspective, l’art. 14, al. 3 LDA permet au propriétaire ou possesseur de subordonner la remise de l’œuvre à la fourniture de sûretés en garantie de la restitution de l’exemplaire intact, de telles sûretés pouvant notamment résulter de la preuve de la conclusion d’une assurance suffisante de l’exemplaire de l’œuvre pour l’exposition. En outre, la loi prévoit que l’artiste sera responsable même sans faute de sa part en cas de dommage causé à l’œuvre ainsi empruntée (art. 14, al. 3 in fine LDA) et crée ainsi une responsabilité causale à la charge de l’artiste. L’art. 16 al. 3 LDA consacre pour sa part la distinction essentielle qui doit être faite entre les droits d’auteur sur l’œuvre immatérielle et les droits de propriété civile sur le support matériel de cette œuvre (par exemple un tableau ou une sculpture). En vertu de cette disposition, « le transfert de la propriété d’une œuvre, qu’il s’agisse de l’original ou d’une copie, n’implique pas celui du droit d’auteur »271. Cette disposition confirme ainsi le principe de l’indépendance réciproque entre le droit d’auteur sur l’œuvre immatérielle et les droits de propriété civile sur l’exemplaire de l’œuvre (corpus mechanicum)272. L’article 16, al. 3 LDA institue une présomption réfragable273 en vertu de laquelle le propriétaire d’un exemplaire de l’œuvre n’acquiert aucun droit d’auteur sur l’œuvre matérialisée dans cet exemplaire274. Ainsi, l’acquéreur d’un tableau ne dispose, sauf convention contraire conclue avec l’artiste, d’aucun droit d’auteur sur l’œuvre qui est matérialisée dans le tableau acheté. Toutefois, une personne qui exécute un dessin sur la commande d’un tiers dans un but donné doit admettre de bonne foi que la remise du dessin 271. 272. 273. 274. La terminologie en français est trompeuse dans la mesure où il est fait référence au « transfert de la propriété de l’œuvre », et pas au transfert de la propriété d’un exemplaire de l’œuvre (la version allemande y fait correctement référence : « Die Übertragung des Eigentums am Werkexemplar [...] »). Cette indépendance a été consacrée de longue date par la jurisprudence; voir ATF 68 III 65, JdT 1943 II 11. TF, [1999] Sic! 119 ss., 122. Pour des illustrations – décidées en application de l’ancien droit –, voir CJ Genève, SJ 1964, 191; Obergericht Zurich, RSPI 1971, 237. L’art et la propriété intellectuelle 1365 contre paiement implique une cession du droit d’exploitation de l’œuvre aux fins envisagées275. On peut ainsi parfois déduire du transfert de propriété civile sur l’exemplaire matériel de l’œuvre une cession tacite des droits d’auteur276. Il s’agit en définitive d’une question d’interprétation de la volonté des parties au contrat dans le cas particulier. 1.7 Droit d’auteur et exploitation des œuvres numériques Le développement de nouvelles technologies d’information et de communication a constitué et constitue encore à ce jour un défi majeur pour les titulaires de droit d’auteur et de droits voisins, comme en témoigne le nombre de procédures judiciaires ayant éclaté à ce propos de par le monde, notamment à propos de la mise à disposition illicite de musique sur Internet277. L’exploitation globale et illimitée des contenus numériques, y compris des œuvres protégées par le droit d’auteur (et des prestations protégées par les droits voisins) est désormais à la portée de tout Internaute, les coûts de reproduction et de diffusion à l’échelle planétaire étant désormais pratiquement nuls, ce qui n’est pas sans risque pour la protection efficace des titulaires de droits et a suscité certaines évolutions du droit d’auteur278. Dans cette nouvelle ère du numérique, les solutions techniques de protection (« technological protection measures ») ont été considérées comme un moyen approprié de protéger les œuvres. Comme telles (soit comme un moyen purement technique de protéger les contenus numériques), les mesures techniques ne nécessitent ni réglementation, ni protection légale. Cependant, dès lors que toutes les mesures techniques sont finalement susceptibles d’être contournées279, le besoin de leur conférer une protection légale s’est fait sentir280. 275. 276. 277. 278. 279. 280. TF, [1999] Sic! 122. Voir STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 12 et note 32 avec renvoi à l’ATF 54 II 52, 54, JdT 1928 I 300 (la possession d’un négatif de film photo crée la présomption de la cession du droit de reproduction en faveur du possesseur du négatif). Voir en particulier la célèbre affaire Grokster qui a été tranchée par l’arrêt de la Cour suprême des États-Unis, MGM Studios, Inc. v. Grokster, Ltd., 545 U.S. 913 (2005). Voir DE WERRA, « L’évolution du droit d’auteur à l’épreuve d’Internet », A. RAGUENAU (éd.) Internet 2003, (Lausanne : CEDIDAC, 2004), 3 ss. SAMUELSON (Pamela), « The U.S. Digital Agenda at WIPO » (1997), 37 Va. J. Int’l L. 369, 410: « What one technology can do, another can generally undo ». Voir DE WERRA (Jacques), « Le régime juridique des mesures techniques de protection des œuvres selon les Traités de l’OMPI, le Digital Millennium Copyright 1366 Les Cahiers de propriété intellectuelle Une protection légale contre la neutralisation des mesures techniques a ainsi été adoptée dans le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (World Copyright Treaty, ci-après : WCT) ainsi que dans le traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (World Performances and Phonograms Treaty, ci-après : WPPT), tous deux signés à Genève en décembre 1996281. Il en résulte que les titulaires du droit d’auteur bénéficient de trois niveaux de protection cumulables : le premier est la protection légale par le droit d’auteur. Le deuxième niveau est la protection technique des œuvres par le moyen de mesures techniques de protection. Le troisième et nouveau niveau est la protection légale contre le contournement des mesures techniques de protection introduite par les Traités Internet de l’OMPI282. L’art. 11 WCT (intitulé « obligations relatives aux mesures techniques ») qui institue un seuil de protection juridique minimale contre le contournement des mesures techniques dispose que « [l]es Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne et qui restreignent l’accomplissement, à l’égard de leurs œuvres, d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs concernés ou permis par la loi »283. L’article 281. 282. 283. Act, les Directives européennes et d’autres législations (Australie, Japon)/The Legal System of Technological Protection Measures under the WIPO Treaties, the Digital Millennium Copyright Act, the European Union Directives and other National Legislations (Australia, Japan) », Adjuncts and Alternatives to Copyright/Régimes complémentaires et concurrentiels au droit d’auteur: Proceeding of the 2001 Congress/Actes du Congrès 2001 de l’Association Littéraire et Artistique Internationale, (New York : ALAI, 2002), 179-279, également publié in (2001), 189 Revue internationale du droit dauteur, 66-213. Le WCT et le WPPT sont appelés les « Traités Internet de l’OMPI »; ils sont entrés en vigueur le 6 mars 2002 pour le WCT et le 20 mai 2002 pour le WPPT. Ce nouveau niveau de protection a ainsi pour effet d’« électrifier la barrière des mesures techniques de protection », voir DUSOLLIER (Séverine), « Electrifying the Fence: The Legal Protection of Technological Protection Measures for Protecting Copyright » (1999), European Intellectual Property Review 285; et la thèse de cet auteur, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique – Droits et exceptions à la lumière des dispositifs de verrouillage des œuvres, (Bruxelles : Larcier, 2005). Disponible à : <http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/wct/trtdocs_wo033.html# P95_12573>. L’art et la propriété intellectuelle 1367 18 WPPT adopte une formulation similaire en matière de droits des interprètes et des producteurs de phonogrammes284. Ces dispositions conventionnelles ont ultérieurement été mises en œuvre par les législateurs nationaux (ou régionaux pour ce qui concerne l’Union européenne), ce qui a été fait de manière rapide par les États-Unis dans le Digital Millennium Copyright Act (DMCA) adopté en octobre 1998, et ce de manière extrêmement détaillée285, voire « diaboliquement compliquée »286. Il n’est dès lors pas surprenant que cette réglementation ait suscité de nombreux commentaires et analyses287. Même si une présentation détaillée du DMCA (ainsi que des critiques formulées à son encontre) dépasse le cadre de la présente contribution, cette réglementation est importante sur le plan international et du droit comparé, s’agissant de la première réglementation d’envergure mettant en œuvre les Traités Internet de l’OMPI contre laquelle un mouvement d’opposition s’est formé288. De manière générale, on a critiqué le DMCA parce qu’il créerait une société payant par usage (« pay-per-use society »)289. Le DMCA a effectivement créé, de manière indirecte290, un nouveau « droit d’accès » à l’œuvre en faveur des titulaires des droits. Ainsi, selon le système du DMCA, à moins qu’un utilisateur puisse bénéficier d’une exception spécifique qui lui permettrait de neutraliser la mesure technique contrôlant l’accès à une œuvre numérique291, chaque accès à l’œuvre sera soumis aux conditions imposées par les titulaires des 284. 285. 286. 287. 288. 289. 290. 291. Vu la similarité entre l’art. 11 WCT et l’art. 18 WPPT, référence sera faite ici au seul art. 11 WCT. 17 U.S.C. § 1201. Voir par exemple NIMMER (David), « A Riff on Fair Use in the Digital Millennium Copyright Act » (2000), 148 University of Pennsylvania Law Review 673, 675; même si la réglementation est concentrée dans une section de la loi (§ 1201), elle consacre deux types de mesures techniques différentes [accès et utilisation], fonde deux procédures réglementaires [dont l’une est supposée être renouvelée tous les trois ans] et sept exceptions spécifiques à l’interdiction de neutralisation. Voir par exemple NIMMER (cité à la note précédente) et SAMUELSON (Pamela), « Intellectual Property and the Digital Economy: Why the Anti- Circumvention Regulations Need to Be Revised » (1999), 14 Berkeley Technology Law Journal 519, 563, constatant que les dispositions anti-neutralisation du DMCA sont « imprévisibles, trop larges, inconsistantes et complexes ». Voir par exemple le site <http://www.eff.org/issues/dmca>. NIMMER, 710. En rendant en principe illicite la neutralisation des mesures techniques protégeant l’accès au § 1201(a)(1). Notamment dans le but de tester la sécurité du système informatique, voir § 1201 (j). 1368 Les Cahiers de propriété intellectuelle droits (généralement le paiement d’une redevance). Si les mesures techniques interdisent également la réalisation de copies de l’œuvre, l’utilisateur sera contraint d’accéder à l’œuvre en ligne s’il souhaite l’utiliser ou en profiter à nouveau. Par comparaison, dans le monde actuel des objets tangibles, si l’utilisateur acquiert un livre dans une librairie, il en est propriétaire et décide librement de sa future utilisation, cette utilisation privée n’étant pas soumise à un paiement additionnel ni à des conditions imposées par les titulaires des droits. Sur le plan de l’Union européenne, la protection légale contre le contournement des mesures techniques résultant des Traités Internet de l’OMPI a été mise en œuvre par la Directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (Directive droit d’auteur et société de l’information, DDASI), adoptée le 9 avril 2001292. L’article 6, al. 3 DDASI définit ainsi les mesures techniques comme « toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter, en ce qui concerne les œuvres ou autres objets protégés, les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du droit d’auteur prévu par la loi, ou du droit sui generis prévu au chapitre III de la Directive 96/9/EC ». En suivant la solution de la neutralité technologique adoptée dans le WCT, les mesures techniques sont définies par leur but, qui est d’empêcher des actes qui ne sont pas autorisés par le titulaire du droit d’auteur ou d’un droit voisin au droit d’auteur. Sur la base de cette définition, une question qui se pose est de déterminer si le titulaire du droit d’auteur a autorisé ou non l’acte pour lequel des mesures techniques de protection ont été mises en œuvre. Si le titulaire du droit d’auteur n’a pas autorisé cet acte, toute mesure technique protégeant l’exercice non autorisé de cet acte entrera dans le champ d’application de cette disposition, même si cet acte se trouve en dehors de la sphère de protection du droit d’auteur. En prenant l’exemple d’un titulaire de droits (par exemple une société de presse en ligne) qui interdit spécifiquement par contrat 292. Voir l’étude réalisée par le Centre de recherche en droit de l’information (Institute for Information Law, IViR) de l’Université d’Amsterdam à la demande de la Commission européenne, Study on the implementation and effect in member states’ laws of directive 2001/29/ec on the harmonisation of certain aspects of copyright and related rights in the information society (février 2007), accessible à : <http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/docs/studies/infosoc-study_ en.pdf>. L’art et la propriété intellectuelle 1369 (dans un contrat en ligne [« click on agreement »])293 la citation du contenu protégé dans le cadre de comptes rendus d’actualité, une mesure technique protégeant ce contenu serait valable (la contourner serait illicite) au sens de l’art. 6, al. 3 DDASI, parce que l’acte en cause (la citation du contenu) n’a pas été autorisé par le titulaire du droit, même si la citation en matière de comptes rendus d’actualité d’œuvres protégées ne peut pas être interdite par le droit d’auteur294. Cet exemple démontre que cette définition extensive des mesures techniques va au-delà des exigences posées par le WCT en penchant en faveur des titulaires des droits295. L’article 6, al. 4 DDASI contient pour sa part une solution originale au problème essentiel de l’interaction entre l’interdiction du contournement des mesures techniques de protection et le respect des exceptions au droit d’auteur. Cette disposition a pour but d’assurer que les intérêts des utilisateurs soient pris en compte lors de l’introduction d’une nouvelle protection contre le contournement des mesures techniques introduites en faveur des titulaires des droits. Elle invite les parties intéressées (soit les titulaires des droits, les utilisateurs et les autres parties concernées [en particulier les producteurs de biens électroniques de consommation]) à prendre des « mesures volontaires » afin de permettre aux utilisateurs de bénéficier des exceptions au droit d’auteur garanties par les législations nationales. Cet article délègue ainsi la tâche de définir la portée du droit d’auteur (et de ses exceptions) à des entités privées. Cela peut constituer une solution acceptable pour autant que le pouvoir de négociation des parties soit similaire. À défaut296, l’équilibre du droit d’auteur en souffrirait. Si aucun accord n’est conclu entre les parties intéressées, les Etats membres sont invités à prendre les « mesures appropriées » afin d’assurer 293. 294. 295. 296. En présumant que ce contrat est valable. La Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, révisée à Paris le 24 juillet 1971 (RS 0.231.15) prévoit des exceptions tant pour la citation que pour les comptes rendus d’actualité (art. 10 al. 1 et art. 10bis al. 1), voir art. 28 LDA. Il n’y a plus de convergence entre l’étendue du droit d’auteur et celle des dispositions anti-neutralisation. Tel serait le cas si les titulaires des droits peuvent imposer des conditions contractuelles qui ne respectent pas les exceptions accordées aux utilisateurs par les législations nationales sur le droit d’auteur. Pour éviter de tels résultats, les clauses des accords (« les mesures volontaires ») pourraient être contrôlées par une autorité officielle (au niveau de l’Union européenne ou au niveau national) avant d’être effectives, par exemple par le « comité de contact » devant être créé selon l’art. 12 DDASI. 1370 Les Cahiers de propriété intellectuelle que les bénéficiaires des exceptions ou limitations au droit d’auteur « puissent bénéficier desdites exceptions ou limitations dans la mesure nécessaire pour en bénéficier lorsque le bénéficiaire a un accès licite à l’œuvre protégée ou à l’objet protégé en question » (art. 6, al. 4, par. 1 DDASI). Cependant, en dépit de son apparence équilibrée, tout le système de l’art. 6 est mis en danger par l’art. 6 al. 4 par. 4 qui dispose que les mesures volontaires définissant l’étendue des exceptions à la protection du droit d’auteur, ou, à défaut, les mesures prises par les États membres définissant ces exceptions « ne s’appliquent pas aux œuvres ou autres objets protégés qui sont mis à la disposition du public à la demande selon les dispositions contractuelles convenues entre les parties de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. ». Il en résulte que, vu que ce mode d’utilisation des œuvres protégées par le droit d’auteur est actuellement le mode le plus répandu (si ce n’est le seul) dans le commerce en ligne, l’application effective des exceptions au droit d’auteur est mise en danger par la DDASI. Pour ce qui concerne la Suisse, l’art. 39a LDA reprend les principes essentiels figurant à l’art. 6 DDASI. Toutefois, l’art. 39a LDA prévoit que « [l]’interdiction de contourner ne peut pas frapper celui qui contourne une mesure technique efficace exclusivement dans le but de procéder à une utilisation licite », l’objectif étant de ne pas entraver l’exercice d’une exception au droit d’auteur. Cette disposition a pour effet de faire échapper à toutes sanctions civiles et pénales celui qui contourne une mesure technique efficace dans le but de bénéficier d’une exception du droit d’auteur. Son utilité concrète reste douteuse compte tenu du fait que la personne qui souhaite bénéficier de cette exception et veut ainsi contourner des mesures de protection devrait pouvoir le faire par ses propres moyens. En effet, aucun tiers ne pourra l’aider à contourner la protection technique, dès lors que la fourniture de dispositifs ou de services visant essentiellement à permettre le contournement de mesures techniques de protection est réprimée (art. 39a, al. 3 LDA). Dans cette mesure, on doit constater que le nouveau régime légal de protection contre le contournement des mesures techniques de protection crée directement ou indirectement un « droit d’accès » qui est un nouveau concept en droit d’auteur, qui n’est pas consacré ni par la Convention de Berne ni par le WCT297. 297. DUSOLLIER, 291: « This [the right to control access to the work] de facto right goes beyond the criteria of exercise of their rights which justified the protection of L’art et la propriété intellectuelle 1371 On a ainsi craint que le système du DMCA et des autres réglementations mettant en œuvre les obligations des Traités Internet de l’OMPI menacent l’équilibre entre les intérêts des titulaires des droits et ceux des utilisateurs des œuvres d’une manière préjudiciable à ces derniers298. Ainsi, la question a été posée : « Le fair use va-t-il survivre ? »299. Plus généralement, on redoute l’apparition d’un phénomène de privatisation de l’accès à la culture300, et la création d’une société de l’information dans laquelle tout accès à un contenu protégé serait payant. Ces appréhensions ont conduit à une prise de conscience de la nécessité de protéger le domaine public, qui s’est notamment concrétisée par la création de différents centres de recherche (parfois dans un cadre académique)301 dans ces domaines302. Toutefois, on doit relever qu’il n’est pas exclu que les risques redoutés qui résultent de l’application des dispositions légales relatives à l’interdiction du contournement des mesures techniques de protection deviennent plus théoriques que pratiques. En effet, comme l’avait prédit un spécialiste, et comme le marché semble le laisser entrevoir303, « si les fournisseurs de contenu viennent à penser qu’un bon modèle économique constitue le meilleur moyen de protéger la propriété intellectuelle contre les appropriations qui détruisent leur marché, peut-être qu’à l’avenir le débat à propos de la 298. 299. 300. 301. 302. 303. TM enacted by the WIPO Treaties »; KOELMAN (Kamiel) et al., Protection of Technological Measures, (Amsterdam : Institute for Information Law, 1998), 10 et 23. Voir l’article de NIMMER, passim. Voir COHEN (Julie E.), « WIPO Copyright Treaty Implementation in the United States, Will Fair Use Survive? » [1999] European Intellectual Property Review 236. Contre lequel luttent certains académiciens, parmi lesquels on doit citer Lawrence Lessig de par ses différentes publications sur ce (vaste) sujet, notamment ses ouvrages Free Culture, How Big Media Uses Technology and the Law to Lock Down Culture and Control Creativity, (New York : Penguin Press, 2004) et Remix : Making Art and Commerce Strive in the Hybrid Economy (Londres : Bloomsbury Academics, 2008). Voir par exemple le Center for the Study of the Public Domain (rattaché à Duke Law School), <http://www.law.duke.edu/cspd/>. Voir par exemple l’Electronic Frontier Foundation, <www.eff.org>. Voir l’exemple de Spotify (service de musique en ligne accessible gratuitement financé par des publicités) et l’article de TITLOW J. P., Is Spotifys Business Model Sustainable?, New York Times, 15 juillet 2011, <http://www.nytimes. com/external/readwriteweb/2011/07/15/15readwriteweb-is-spotifys-businessmodel-sustainable-37758.html?partner=rss&emc=rss>. 1372 Les Cahiers de propriété intellectuelle réglementation anti-neutralisation du DMCA sera perçu comme une tempête dans un verre d’eau »304. 2. L’ART ET LE DROIT DES MARQUES 2.1 Introduction La relation entre l’art et le droit des marques peut s’examiner sous deux angles opposés, selon que le droit des marques intervient pour réprimer ou au contraire pour protéger la création artistique. Pour ce qui concerne le premier aspect, on peut relever que des titulaires de marques ont fait valoir des violations du droit sur leur marque afin de (tenter de) faire interdire ou cesser l’utilisation de leurs marques dans un contexte artistique. Dans cette perspective, on sait que certains mouvements artistiques ont utilisé et utilisent largement des produits industriels et marques commerciales à des fins artistiques, ce qui est susceptible de provoquer des conflits avec les titulaires des marques concernées305. De telles utilisations ont parfois suscité des réactions (judiciaires) des titulaires de marques. Ainsi, la société titulaire de la marque BARBIE a tenté de s’opposer à l’utilisation de ce terme comme titre d’œuvres photographiques mettant en scène les poupées homonymes qui étaient placées dans des situations étranges. Toutefois, les tribunaux américains n’ont pas jugé que de telles utilisations violaient le droit à la marque, un tel usage ne risquant pas de créer un risque de confusion au sein du public et pouvant au demeurant être justifié par le principe constitutionnel de la liberté d’expression, ce pour autant que la marque concernée ait « transcendé sa fonction d’identification » des produits ou services d’une entreprise et soit entrée dans le vocabulaire commun, ce qui était le cas de la marque BARBIE306. 304. 305. 306. SAMUELSON (Pamela), « Intellectual Property and the digital economy: why the anti-circumvention regulations need to be revised » (1999), 14 Berkeley Technology Law Journal 519, 565; voir aussi SCHLACHTER (Eric), « The Intellectual Property Renaissance in Cyberspace: Why Copyright Law Could Be Unimportant on the Internet » (1997), 12 Berkeley Technology Law Journal 15. Qu’il suffise de penser ici aux célèbres œuvres représentant des boîtes de conserve de « Campbell’s Soup » d’Andy Warhol. Mattel v. Walking Mountain Productions, 353 F.3d 792 (9th Cir. 2003), 807: « As we recently recognized in MCA, however, « when marks ‘transcend their identifying purpose’ and ‘enter public discourse and become an integral part of our vocabulary,’ they ‘assume[ ] a role outside the bounds of trademark law.’ Where a mark assumes such cultural significance, First Amendment protections come into play. In these situations, ‘the trademark owner does not have the right to control public discourse whenever the public imbues his mark with a meaning L’art et la propriété intellectuelle 1373 Dans un sens opposé, le droit des marques peut également être invoqué pour protéger des créations artistiques. Selon l’article 1, al. 1 LPM, la marque est « un signe propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises ». On peut ainsi envisager qu’un artiste dépose comme marque ses œuvres des beaux-arts comme telles (particulièrement comme marques figuratives ou comme marques tridimensionnelles)307. Toutefois, une œuvre (d’art) ne peut pas constituer simultanément sa propre marque, car la marque doit conceptuellement se distinguer du produit qu’elle est supposée différencier des produits d’autres entreprises308. Ainsi, une sculpture ne peut pas constituer la marque (potentiellement tridimensionnelle) qui servirait à identifier cette même sculpture, mais pourra être utilisée pour distinguer d’autres produits ou services309. Dans la mesure où la description des produits et services qui est faite dans la demande d’enregistrement de marques respectera cette contrainte (ce qui ne semble pas problématique), les autorités d’enregistrement (soit en Suisse, l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle) enregistreront une telle marque. Pour ce qui concerne plus spécifiquement le dépôt de marques tridimensionnelles, le motif d’exclusion de l’art. 2 let. b LPM qui exclut de la protection les formes tridimensionnelles qui « constituent la nature même du produit » (et les formes techniquement nécessaires) ne permettra pas d’interdire l’enregistrement de formes purement esthétiques. En effet, « [l]es formes de produits ne présentant que des différences minimes par rapport aux éléments purement génériques sont exclues de l’enregistrement. Par contre, si une forme de produit comporte des éléments décoratifs allant au-delà des éléments inhérents à la forme, elle ne constitue en principe plus la nature même du produit »310. 307. 308. 309. 310. beyond its source-identifying function. » ; l’affaire MCA à laquelle il est fait référence dans cet arrêt est l’affaire Mattel, Inc. v. MCA Records, Inc., 296 F.3d 894, 898 (9th Cir. 2002), cert. denied, 123 S. Ct. 993 (2003) (concernant une utilisation du terme « Barbie » dans une chanson parodique intitulée « Barbie Girl ») ; voir <www.ncac.org/art-law/op-mattel.cfm>. La question de l’enregistrement du nom et de la signature de l’artiste sera examinée ci-dessous 2.2. CHERPILLOD (Ivan), « Geltungsbereich », von BÜREN Roland/David LUCAS (éd.), Schweizerisches Immaterialgüter-und Wettbewerbsrecht, vol. II/1, (Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2006), 3 (cité : CHERPILLOD, Geltungsbereich), 12. CHERPILLOD, Geltungsbereich, 12. Directives en matière de marques de l’Institut fédéral de la Propriété Intellectuelle (1.1.2011), ch. 4.11.4.1, 90 s. (accessibles à: <https://www.ige.ch/fileadmin/user_upload/Juristische_Infos/f/rlma/rlma_f.pdf>) ; par comparaison, le droit allemand prévoit, à la différence du droit suisse, un motif d’exclusion pour les formes de produits qui donnent à ceux-ci une valeur importante (voir § 3, al. 2 ch. 3 de la loi allemande sur le droit des marques : « Dem Schutz als Marke nicht 1374 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le droit des marques pourra également être utilisé pour protéger d’autres éléments caractéristiques de la création d’un artiste, par exemple la couleur utilisée par un peintre (par exemple le célèbre bleu utilisé par Yves Klein)311, ce qui soulève également la question de la validité de telles marques au regard des principes généraux du droit des marques, tout particulièrement du caractère distinctif de celles-ci et « du besoin absolu de disponibilité »312. Dans la perspective de la protection contre une monopolisation de certains signes par le droit des marques dans le domaine artistique, une question particulière qui s’est posée est celle de la protection par le droit des marques d’œuvres tombées dans le domaine public (selon le droit d’auteur)313. Sur le plan du principe, il n’y a pas d’obstacle à ce qu’un même bien immatériel soit potentiellement protégé par différents droits de propriété intellectuelle, en raison de l’indépendance respective des droits de propriété intellectuelle314. Dans la mesure où la protection du droit des marques a une autre fonction et une autre portée que la protection du droit d’auteur, la protection par le droit des marques pour des œuvres tombées dans le domaine public ne doit donc pas être exclue par principe, pour autant bien entendu que les conditions de protection du droit des marques soient remplies. À ce propos, dans un arrêt concernant la marque figurative représentant « Mona Lisa », le Bundespatentgericht allemand a tranché que la célébrité du tableau et son utilisation intensive avaient pour effet que ce signe ne jouissait d’aucune force distinctive et ne pouvait dès lors pas remplir sa fonction de marque (comme moyen de 311. 312. 313. 314. zugänglich sind Zeichen, die ausschließlich aus einer Form bestehen, [...] 3. die der Ware einen wesentlichen Wert verleiht », ce qui semble exclure la protection des formes esthétiques par le droit des marques; dans ce sens, SCHACK, Kunst, no 212, 106. Yves Klein ayant créé le « International Klein Blue » (IKB) et l’ayant utilisé pour ses célèbres monochromes d’un bleu « ultramarin ». Pour les marques de couleur, voir les Directives en matière de marques précitées en note 310, ch. 4.9., 81 s. Cette question a été passablement discutée en Allemagne suite à l’affaire concernant le dépôt comme marque du tableau de « Mona Lisa » décidée par le Bundespatentgericht, [1998] GRUR 1021, présentée ci-après, voir KOUKER (Ludwig), « Markenrechtlicher Schutz gemeinfreier Werke », Festschrift für Wilhelm Nordemann zum 70. Geburtstag am 8. Januar 2004, (Munich : Beck, 2004), 381 ss. ; LIEBAU (Sören), Gemeinfreiheit und Markenrecht : Möglichkeit einer Remonopolisierung von urheberrechtliche gemeinfreien Werke, thèse Berlin 2000; OSENBERG (Ralph), « Markenschutz für urheberrechtlich gemeinfreie Werkteile » [1996] Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht (GRUR) 101 ss.; SCHACK (Haimo), « Kunst als Marke – Marke als Kunst », Jürgen Becker et al. (éds), Festschrift für Manfred Rehbinder, Recht im Wandel seines sozialen und technologischen Umfeldes, (Munich : Beck, 2002), 345 ss. SCHACK, Kunst, no 210, 105. L’art et la propriété intellectuelle 1375 distinction des produits ou services d’une entreprise par rapport à ceux d’autres entreprises)315. En droit suisse, c’est le motif d’exclusion de l’art. 2 let. a LPM concernant les signes appartenant au domaine public qui serait applicable dans une telle hypothèse, qui laisse ouverte la possibilité de démontrer que le signe se serait imposé dans le commerce, ce qui sera très délicat à démontrer pour des œuvres d’art célèbres tombées dans le domaine public et largement utilisées par différentes sociétés. La protection du droit des marques au profit des artistes pourra aussi reposer sur l’enregistrement comme marque du nom et/ou de la signature. Le nom d’un artiste peut en effet être considéré comme une marque identifiant ses œuvres316, ceci étant susceptible de jouer un rôle dans le contexte de l’authentification des œuvres de cet artiste317. Il convient ainsi d’examiner plus spécifiquement cette question en s’arrêtant tout d’abord à la fonction respective d’identification de la signature artistique et de la marque (2.2), avant de se pencher sur la question de l’utilisation du droit des marques pour authentifier des œuvres d’art (2.3), de sa portée (2.4) et de ses limites (2.5). 2.2 La fonction d’identification de la signature artistique et de la marque Dans le domaine des beaux-arts, la signature d’une œuvre par son auteur est supposée indiquer que l’œuvre a bien été exécutée par l’artiste concerné et que cette œuvre est considérée comme achevée318. La signature constitue ainsi un indice de l’authenticité de l’œuvre. Il ne s’agit toutefois pas d’une preuve absolue de l’au- 315. 316. 317. 318. [1998] GRUR 1022. On notera à cet égard que la présomption de la qualité d’auteur (art. 8 LDA) s’applique à la « personne désignée comme auteur par son nom, un pseudonyme ou un signe distinctif sur les exemplaires de l’œuvre » (art. 8 al. 1 LDA) ; sur cette approche, voir GINSBURG (Jane), « Essay – The Authors Name as a Trademark : A Perverse Perspective on the Moral Right of “Paternity”? » (10 mai 2005), Columbia Law School Pub. Law Research Paper No. 05-91, Site du Social Science Research Network [en ligne], <http://ssrn.com/abstract=724343> ; pour une approche d’histoire de l’art de l’utilisation du droit des marques dans le domaine artistique, voir WON YIN WONG (Winnie), Appropriating the Real : The Trademark in Art (Cambridge : MIT working paper, 2002). Sur la question du rôle de la propriété intellectuelle dans l’authentification des œuvres, voir DE WERRA (Jacques), « L’authentification des œuvres d’art et le droit de la propriété intellectuelle », L’expertise et l’authentification des œuvres d’art, Études en droit de l’art (vol. 19), (Zurich : Schulthess, 2007), 103 ss. LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 186. 1376 Les Cahiers de propriété intellectuelle thenticité, compte tenu de la relative facilité d’imitation de la signature d’un artiste et des abus potentiels qui peuvent être commis319. Dans cette perspective, la signature a une fonction d’authentification des œuvres. Or cette fonction est très proche de la fonction distinctive de la marque. Ainsi, « la marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises »320. La marque a ainsi pour but d’identifier l’origine de produits ou de services provenant d’une entité particulière par rapport à ceux offerts par d’autres entités. Similairement, la signature d’un artiste a pour fonction de distinguer ses œuvres de celles d’autrui. Par conséquent, signature et marque sont très proches321, ce qui se vérifie conceptuellement dans certains courants artistiques récents dans lesquels la qualification comme œuvre d’art découle essentiellement du processus d’apposition d’une signature322. Cette proximité entre signature et marque est d’ailleurs reconnue tant du point de vue juridique323 que dans la pratique du monde de l’art324. Plus généralement, le droit reconnaît une certaine fonction de marque (soit d’identification de produits) au nom d’artistes325. 319. 320. 321. 322. 323. 324. 325. L’exemple de Salvador Dali, qui a apposé sa signature sur de nombreuses feuilles blanches, est bien connu; voir LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 188, et les autres exemples qui y sont cités. Art. 1, al. 1 de la loi fédérale sur la protection des marques et des indications de provenance du 1992 (LPM), RS 232.11. Dans ce sens également GINSBURG, 2, considérant que « the author’s name is in fact a term that ‘identifies and distinguishes’ goods or services, that allows consumers to choose among works of authorship on the basis of the author’s reputation ». EDELMAN (Bernard), « De l’urinoir comme un des beaux-arts : de la signature de Duchamp au geste de Pinoncely » (2000), Recueil Dalloz, 98-102, 100; pour une discussion plus générale, voir TREPPOZ, 61 ss. On peut citer à cet égard la définition du faux dans les titres figurant à l’art. 251 ch. 1 du Code pénal suisse (RS 311), « 1. Celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre, sera puni de la réclusion pour cinq ans au plus ou de l’emprisonnement. » Voir l’art. 2 let. a du Code d’Éthique, Site du Syndicat suisse des Antiquaires et Commerçants d’art [en ligne], <http://www.vsak.org/site_it/index.html>, « [d]ans le commerce de l’art un objet est considéré comme authentique lorsque son style correspond à l’époque mentionnée, ou que le poinçon de maître (estampille, marque, poinçon, signature) spécifie son auteur plus précisément ». Voir LASTOWKA (Gregory), « The Trademark Function of Authorship », 85 Boston University Law Review 1171, disponible en ligne : <http://papers.ssrn.com/ sol3/papers.cfm?abstract_id=656138>. L’art et la propriété intellectuelle 1377 Au-delà de cette proximité d’objectif entre marque et signature (ou nom) d’un artiste, il convient désormais d’examiner si un artiste peut se fonder sur le droit des marques pour protéger son nom et sa signature afin de renforcer la fonction d’identification de sa production artistique et de lutter contre les faux artistiques en complément des moyens (incomplets)326 découlant du droit d’auteur. 2.3 L’utilisation du droit des marques en matière artistique Force est tout d’abord de constater sur le plan pratique que des marques ont déjà été déposées pour protéger le nom et/ou la signature de certains artistes renommés327 et que la violation du droit à la marque a déjà été invoquée pour lutter contre une utilisation abusive faite par des tiers de marques correspondant aux noms d’artistes célèbres, notamment en tant que noms de domaine328. Une question préalable à résoudre à propos de l’utilisation potentielle du droit des marques par un artiste ou par ses ayants droit pour authentifier ses œuvres concerne la fonction même de la marque. En effet, à teneur de l’art. 1, al. 1 LPM, « la marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise par rapport à ceux d’autres entreprises ». Ainsi, la fonction d’identification de la marque doit porter sur les produits ou services d’une « entreprise ». Or, dans le contexte artistique, cette fonction d’identification portera sur les œuvres d’un artiste individuel (ou d’un collectif artistique) et pas sur ceux d’une entreprise comme telle, l’entreprise pouvant être définie comme une « organisation auto- 326. 327. 328. Comme exposé (voir ci-dessus 1.3.3.2), le droit d’auteur ne sera d’aucun secours dans le cas où l’œuvre dont l’authenticité est disputée ne viole pas le droit d’auteur de l’artiste, par exemple parce que cette œuvre n’imite que le style de ce dernier. On peut ainsi citer la marque internationale IR 755712, propriété de l’indivision Picasso, qui porte sur une marque combinée (verbale et figurative) reproduisant la signature manuscrite de l’artiste et ayant été enregistrée pour de nombreux produits et services, notamment pour du « matériel pour artistes » en classe 16; on peut également citer la marque internationale CHAGALL IR 758063 dont la titulaire est l’Association pour la Défense et la Promotion de l’Œuvre de Marc Chagall dite COMITÉ MARC CHAGALL, et qui est enregistrée pour de nombreux produits et services, notamment pour du « matériel pour artistes » en classe 16. Voir par exemple la décision d’expert concernant le nom de domaine « www. picasso.biz », Picasso Estate v. Yours, WIPO Case No. DBIZ2002-00032, Site du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI [en ligne], <http://www.wipoint/ amc/en/domains/decisions/html/2002/dbiz2002-00032.html>. 1378 Les Cahiers de propriété intellectuelle nome de production de biens ou de services marchands »329. Toutefois, cette référence à l’identification des produits ou services d’une entreprise figurant à l’art. 1, al. 1 LPM n’empêchera pas qu’une ou plusieurs personne(s) active(s) dans le domaine artistique (par exemple un artiste, les héritiers de celui-ci ou encore une institution ayant été constituée dans le but de préserver le patrimoine artistique de ce dernier) déposent une marque en son (leur) nom. En effet, la loi dispose expressément que « chacun peut faire enregistrer une marque »330. Dans ces circonstances, on ne saurait considérer qu’une marque ne puisse pas être déposée au motif que le déposant/titulaire ne serait pas une « entreprise »331. Dans le cadre du dépôt de telles marques, les déposants devront naturellement veiller à ce que les produits et/ou les services dont la protection est requise (par exemple des « tableaux [peintures] encadrés ou non » en classe 16 et des services d’« authentification d’œuvres d’art » en classe 42)332 soient soigneusement déterminés et revendiqués. Le dépôt de marques correspondant au nom de personnes physiques (soit des artistes concernés) pose en outre la question de la validité de telles marques au regard des motifs généraux d’exclusion de la protection du droit des marques333. Ainsi, en droit des marques suisse, il convient d’examiner si une marque correspondant au nom d’une personne physique est susceptible de se heurter aux motifs absolus d’exclusion de la protection de l’art. 2 LPM. Dans ce cadre, il faut relever que l’enregistrement d’une marque correspondant au nom d’une personne physique sans l’autorisation de cette dernière sera susceptible d’être contesté, toute personne jouissant d’un droit exclusif à l’utilisation de son nom, y compris pour désigner des pro329. 330. 331. 332. 333. Selon la définition du dictionnaire Petit Robert. Art. 28, al. 1 LPM. Voir dans ce sens CHERPILLOD, Geltungsbereich, 12, considérant que les œuvres d’un artiste peuvent être traitées comme les « produits » d’une « entreprise » au sens de l’art. 1, al. 1 LPM. Ces descriptifs étant repris de la 9e édition de la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement international des marques établie en vertu de l’Arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques (RS 0.232.112.9). Étant noté que l’enregistrement de telles marques est expressément autorisé par l’art. 15 al. 1 ADPIC, ainsi que par le droit des marques européen en vertu de l’article 2 de la Directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 et de l’article 4 du Règlement 207/2009 du 26 février 2009 qui énoncent que peuvent constituer des marques tous les signes de représentation graphique, notamment les mots, « y compris les noms de personnes ». L’art et la propriété intellectuelle 1379 duits et services334. Dans la mesure où le dépôt de la marque est fait avec le consentement de l’artiste concerné ou des ayants droit de celui-ci, le dépôt de la marque ne pose pas de difficultés juridiques particulières, un tel consentement excluant alors toute violation du droit au nom (art. 28, al. 2 CC). En effet, il est acquis que des dépôts de marques correspondant au nom de tiers puissent être valablement effectués335. La protection de marques correspondant au nom de personnes physiques pourra toutefois devenir délicate dans l’hypothèse où la marque deviendrait la propriété d’une personne (physique ou morale) qui n’aurait plus aucun lien avec le porteur du nom concerné. Dans un tel cas en effet se pose la question du caractère trompeur de la marque336. C’est en substance cet argument qui avait été invoqué par l’ancien mannequin vedette de la maison Chanel Inès de la Fressange dans le contexte d’un litige l’opposant à la société portant son nom (Inès de la Fressange SA) à qui elle avait cédé ses marques et dans laquelle elle avait travaillé avant d’être licenciée, la société étant restée titulaire des marques correspondant à son nom. Dans le cadre de ce litige, Inès de la Fressange avait ainsi fait valoir la déchéance des marques concernées sur le fondement de l’article L.714-6 b du Code (français) de la propriété intellectuelle337 et avait obtenu gain de cause devant la Cour d’appel de Paris. En effet, par 334. 335. 336. 337. ATF 116 II 614, 617, JdT 1991 I 605. Voir les directives en matière de marques (précité note 310), ch. 4.4.2.2.5, 71 : « En principe, un signe constitué dun nom de personne est accepté à titre de marque, quels que soient les produits et les services désignés et quelle que soit lidentité du déposant. Ce principe est également valable pour les noms de personnes célèbres, réelles ou fictives »; les directives (ibid.) font toutefois une exception pour « les signes constitués du nom d’une personne ayant exercé une influence hors du commun dans un domaine d’activité (par exemple une personne ayant créé une œuvre de très grande renommée) et qui sont utilisés couramment pour décrire le thème de certains produits et/ou services. Exemples : Mozart pour des enregistrements sonores (cl. 9) », on notera que cette distinction qui se fonde sur un critère quelque peu subjectif (notamment « influence hors du commun ») pourra être délicate à effectuer dans un cas particulier. L’art. 2 let. c LPM exclut de la protection les « signes propres à induire en erreur »; pour une analyse plus large en droit américain concernant la question de la convergence ou du conflit entre le droit des marques et le droit d’auteur tout particulièrement sous l’angle du caractère potentiellement trompeur « d’accords de nègre » [« ghostwriter agreements »] par lesquels un auteur accepte que son œuvre soit publiée sous le nom d’un tiers, voir les articles de GINSBURG et de LASTOWKA. Cette disposition prévoit : « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire d’une marque devenue de son fait : [...] b) propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ». 1380 Les Cahiers de propriété intellectuelle arrêt du 15 décembre 2004338, la Cour d’appel a constaté que « la marque constituée d’un nom patronymique, d’un prénom ou de la combinaison des deux ayant acquis une notoriété telle qu’ils deviennent un signe évocateur et indicateur pour le consommateur, ce dernier lie d’évidence dans son esprit le produit marqué à la personne dont l’identité est déclinée à titre de marque », et que la société tentait « de maintenir artificiellement dans l’esprit des consommateurs un lien entre l’image attachée à la personnalité de Inès de la Fressange et les produits vendus sous les signes contestés », jugeant ainsi qu’il convenait de prononcer la déchéance de la marque qui, en raison d’une modification dans les conditions d’exploitation de celle-ci du fait de son propriétaire, était devenue trompeuse. Cet arrêt a toutefois été cassé par la Cour de cassation par un arrêt du 31 janvier 2006339, au motif qu’en jugeant recevable l’action en nullité de marque formée par Inès de la Fressange, la Cour d’appel a violé l’art. 1628 du Code civil français qui définit la garantie contractuelle du vendeur (Inès de la Fressange ayant cédé les marques à la société défenderesse)340. Ainsi, « le cédant de droits portant sur des marques qui déclinent son nom de famille est tenu dans les termes de l’article 1628 du code civil, et n’est pas recevable en une action en déchéance de ces droits pour déceptivité acquise de ces marques, qui tend à l’éviction de l’acquéreur »341. Cette décision française peut être mise en lien avec un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes (rendu dans des circonstances factuelles similaires) dans lequel la Cour a constaté qu’une « marque correspondant au nom du créateur et premier fabricant des produits portant cette marque ne peut, en raison de cette seule particularité, être refusée à l’enregistrement au motif qu’elle induirait le public en erreur, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous g), de la Directive 2008/95/CE, rapprochant les législations des États membres sur les marques, notamment quand la clientèle attachée à ladite marque, précédemment enregistrée sous une forme 338. 339. 340. 341. Dalloz 2005 Jurisprudence, 772. Cour de Cass., chambre commerciale, pourvoi no 05-10116, Bulletin 2006 IV N° 27, 29. Cet article dispose : « Quoiqu’il soit dit que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie, il demeure cependant tenu de celle qui résulte d’un fait qui lui est personnel : toute convention contraire est nulle ». Arrêt accessible en ligne à: <http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do? oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007051282&fastReqId= 2018203126&fastPos=22>. L’art et la propriété intellectuelle 1381 graphique différente, a été cédée avec l’entreprise fabriquant les produits qui en sont revêtus »342. Cette position adoptée par ces juridictions étrangères pourrait permettre de considérer que l’enregistrement en Suisse de marques correspondant au nom et/ou à la signature d’un artiste par des personnes tierces (par exemple les héritiers d’un artiste ou une fondation destinée à la protection du patrimoine artistique de l’artiste) ne devrait pas être propre à induire en erreur au sens de l’art. 2 let. c LPM. Dans ces conditions, de telles marques pourraient être valablement enregistrées et permettraient à leur titulaire de se protéger contre l’utilisation abusive du nom et/ou de la signature de l’artiste, le public étant conscient du fait que l’utilisation de ces marques par leur titulaire ne supposera pas la participation de l’artiste à une telle utilisation (particulièrement lorsque l’artiste sera déjà décédé !) de sorte à exclure tout risque d’erreur. La validité de telles marques ne préjuge toutefois en rien la question (délicate) de leur usage valable au sens de l’art. 11 LPM. Même si de telles marques ne sont pas trompeuses, il reste possible que leur validité soit contestée par l’artiste au motif que ces marques ont été enregistrées sans son consentement en application des règles applicables aux marques d’agent (art. 6septies de la Convention d’Union de Paris), ou qu’elles violent un droit au nom343. On relèvera à cet égard que la clarté contractuelle sera indispensable dans le contrat par lequel un tiers serait autorisé à enregistrer ou se ferait céder une marque correspondant au nom d’un artiste afin d’éviter toute difficulté ultérieure 344. 342. 343. 344. Arrêt du 30 mars 2006, affaire C-259/04, Elizabeth Florence Emanuel c. Continental Shelf 128 Ltd. De même, la cour a tranché par analogie concernant la question de la déchéance de la marque que « le titulaire d’une marque correspondant au nom du créateur et premier fabricant des produits portant cette marque ne peut, en raison de cette seule particularité, être déchu de ses droits au motif que ladite marque induirait le public en erreur, au sens de l’article 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/95/CE, notamment quand la clientèle attachée à cette marque a été cédée avec l’entreprise fabriquant les produits qui en sont revêtus ». Pour une analyse sous l’angle de la disposition correspondante du droit suisse (art. 4 LPM), voir DE WERRA (Jacques), « Des marques et des contrats : la marque d’agent et l’action en cession de marque », in PHILIPPIN (Edgar) et al. (éd.), Mélanges en l’honneur de François Dessemontet (Lausanne: CEDIDAC, 2009), 71 ss., accessible en ligne à : <http://archive-ouverte.unige.ch/vital/ access/manager/Repository/unige:2197>. On peut se référer à cet égard à l’intéressante affaire concernant le designer de mode Elio Fiorucci (s’étant prévalu avec succès de la protection de son droit au nom) finalement tranchée en sa faveur par la CJUE dans un arrêt du 5 juillet 2011, affaire C-263/09, Edwin Co. Ltd. c. OHIM; voir aussi l’affaire américaine 1382 Les Cahiers de propriété intellectuelle En admettant le caractère protégeable de telles marques (et tout spécialement des marques patronymiques), se pose ensuite la question de la portée de leur protection et des limites de celle-ci 345. 2.4 La portée de la protection du droit des marques En vertu de la loi, le titulaire d’une marque enregistrée jouit « du droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les produits ou les services enregistrés et d’en disposer »346. Il bénéficie également du droit d’interdire à des tiers l’utilisation d’un signe identique ou similaire en relation avec des produits et/ou services identiques ou similaires à ceux dont la protection a été revendiquée347. À ce titre, le titulaire de la marque pourra en particulier interdire à des tiers « d’apposer le signe concerné sur des produits »348. Dans ces circonstances, le titulaire d’une marque correspondant au nom et/ou à la signature d’un artiste qui aurait déposé cette marque pour des produits artistiques (par exemple des tableaux en classe 16) pourra interdire à tout tiers l’utilisation de la marque en relation avec des produits identiques ou similaires (soit en particulier des tableaux, ou d’autres types de supports, tels que posters, affiches, cartes postales). La protection du droit des marques ne pourra toutefois être invoquée qu’en cas d’utilisation de la marque à des fins distinctives349. La question de la portée du droit d’interdiction du titulaire de la marque pourra se poser en cas de reproduction de marques figuratives ou tridimensionnelles correspondant à des œuvres d’un artiste sur d’autres supports (cartes postales ou T-shirts). La défense de l’usage à titre décoratif ne devra pas être admise trop largement lorsque le public pourra établir un lien entre la marque (soit l’œuvre) utilisée sans autorisation par le tiers et le titulaire de cette marque (qui est l’auteur de l’œuvre concernée)350. 345. 346. 347. 348. 349. 350. J.A. Apparel Corp. v. Joseph Abboud, Houndstooth Corp., 568 F.3d 390 (2d Cir. 2010). Sur cette question, voir ci-dessous 2.5. Art. 13, al. 1 LPM. Art. 13, al. 2 renvoyant à l’art. 3, al. 1 LPM. Art. 13, al. 2 let. a LPM. Voir l’arrêt de la Cour d’appel de Berne, [1998] Sic! 59 ; WILLI (Christoph), Markenschutzgesetz: Kommentar zum Schweizerischen Markenrecht unter Berücksichtigung des Europaïschen und Internationalen Markenrecht, (Zurich : Schulthess, 2002), no 13 – 14 ad art. 13; pour le droit allemand, voir SCHACK, Kunst, no 214, 107 (« zeichenmässige Verwendung »). WILLI, no 14 ad art. 13 (indiquant que la reproduction de manière agrandie de la marque ne suffira pas pour conclure à un usage à titre décoratif), plus large : L’art et la propriété intellectuelle 1383 Le droit des marques permettra en particulier au titulaire de requérir la confiscation des objets matériels qui violent ses droits (soit par exemple des tableaux comportant la marque usurpée)351. Ce dernier pourra demander au juge que ces objets soient détruits ou à tout le moins que la marque soit rendue méconnaissable sur ceux-ci352. Il sera ainsi possible de faire disparaître la signature de l’objet concerné ou de spécifier de manière indélébile qu’il ne s’agit pas d’une œuvre originale. La protection découlant du droit des marques ne pourra toutefois pas être invoquée dans le but d’interdire l’utilisation de la signature ou du nom d’un artiste sur une œuvre que ce dernier aurait effectivement créée et signée (soit d’une œuvre originale). En effet, dans une telle hypothèse, on devra considérer qu’il s’agit soit d’un cas d’usage antérieur de la marque au sens de l’art. 14 LPM (la marque – correspondant au nom ou à la signature de l’artiste – ayant alors été déposée – par exemple par les héritiers de l’artiste – ultérieurement à l’apposition du nom ou de la signature sur l’œuvre), soit d’un cas d’épuisement du droit à la marque. En effet, dans ce dernier cas, si l’artiste avait déjà déposé et enregistré la marque avant de l’apposer sur son tableau, ni lui ni les titulaires ultérieurs de la marque (par exemple ses héritiers ou des tiers) ne pourront prétendre à la suppression de la marque (soit la signature ou le nom) du tableau, car il est acquis que le titulaire de la marque perd son droit de contrôle sur les produits originaux sur lesquels la marque a été licitement apposée. En plus de ces deux motivations alternatives justifiant l’impuissance du titulaire de la marque vis-àvis des œuvres authentiques, il convient en outre de rappeler que, selon la jurisprudence, le titulaire d’une marque ne peut pas exercer celle-ci de manière déloyale au détriment de tiers353, ce qui serait manifestement le cas d’un titulaire d’une marque correspondant à la signature ou au nom d’un artiste qui souhaiterait faire supprimer la signature ou le nom d’un artiste d’une œuvre originale créée par celui-ci au prétexte d’une violation de son droit à la marque. 351. 352. 353. SCHACK, Kunst, no 214, 107 considérant qu’un usage d’une marque représentant une œuvre sous forme de cartes postales, de posters ou de T-shirts ne peut pas être interdit par le titulaire de celle-ci ; pour le droit américain, voir la récente affaire (concernant la reprise des marques « Audi » et « VW » sur des porte-clés et des plaques minéralogiques), Au-Tomotive Gold, Inc. v. Volkswagen of America, Inc., 457 F.3d 1062 (9th Cir. 2006) ; voir pour le droit européen l’arrêt Adidas-Salomon AG c. Fitnessworld Trading Ltd. de la CJCE du 23 octobre 2003, affaire C-408/01. Art. 57, al. 1 LPM. Selon l’art. 57, al. 2 LPM, le juge civil « décide si la marque ou l’indication de provenance doivent être rendues méconnaissables ou si les objets doivent être mis hors d’usage, détruits ou utilisés d’une façon particulière ». ATF 129 III 353, JdT 2003 I 382; TF, [2005] Sic! 463. 1384 Les Cahiers de propriété intellectuelle Sur le plan territorial, il convient de noter que les ports francs (qui sont fréquemment utilisés pour entreposer des œuvres d’art) font partie du territoire suisse sous l’angle du droit des marques et que, partant, l’entreposage dans un port franc d’œuvres qui porteraient indûment atteinte à la marque d’un artiste constitue une violation du droit à la marque354. Dans ce contexte, il y a également lieu de relever que les autorités douanières seront susceptibles d’intervenir en cas de soupçon d’importation ou d’exportation de produits sur lesquels la marque a été illicitement apposée355. Dans ces circonstances, on peut constater que le droit des marques pourra jouer un certain rôle protecteur pour lutter contre l’utilisation sans droit du nom et/ou de la signature de l’artiste sur des œuvres qui seraient des faux. Au-delà de la protection du nom et/ou de la signature d’un artiste par les moyens ordinaires du droit des marques (la protection devant en particulier respecter le principe de la spécialité356), se pose la question de savoir si le nom et/ou la signature d’un artiste peut, le cas échéant, revendiquer le statut favorable de marque de haute renommée, qui permettrait alors au titulaire de cette marque d’interdire toute utilisation de celle-ci sans égard aux produits ou services concernés357. 354. 355. 356. 357. ATF 110 IV 108, JdT 1985 I 198. Art. 70 LPM; l’art. 54 de l’Ordonnance sur la protection des marques (RS 232.111) dispose à cet égard que : « L’intervention de l’administration des douanes s’étend à l’importation et à l’exportation de marchandises munies d’une marque ou d’une indication de provenance illicites ainsi qu’à l’entreposage de telles marchandises dans un entrepôt douanier ». En vertu duquel la protection du droit des marques ne s’étend qu’aux produits et services identiques ou similaires à ceux revendiqués dans la marque concernée (art. 3 al. 1 LPM). Art. 15, al. 1 LPM : « Le titulaire d’une marque de haute renommée peut interdire à des tiers l’usage de cette marque pour tous les produits ou les services pour autant qu’un tel usage menace le caractère distinctif de la marque, exploite sa réputation ou lui porte atteinte »; certes, on doit constater que la protection renforcée des marques de haute renommée, pour autant qu’elle soit envisageable, ne sera pas nécessairement très utile dans le contexte de l’utilisation du droit des marques dans le but d’authentifier des œuvres d’art dans la mesure où la marque sera utilisée sans droit par des contrefacteurs pour des produits ou services qui devraient – dans la majorité des cas – être à tout le moins similaires à ceux pour lesquels la marque a été enregistrée. Dans cette mesure, la protection renforcée découlant de la marque de haute renommée n’aurait pas grande utilité pratique. L’art et la propriété intellectuelle 1385 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (étant noté que la loi ne comporte pas de définition de la marque de haute renommée), les critères déterminants pour décider si une marque peut être qualifiée de haute renommée au sens de l’art. 15 LPM se déduisent du but de cette norme, « qui est de protéger les marques de haute renommée contre l’exploitation de leur réputation, l’atteinte portée à celle-ci et la mise en danger du caractère distinctif de la marque »358. Selon cette même jurisprudence, « [s]emblable protection se justifie lorsque le titulaire de la marque a réussi à susciter une renommée telle que cette marque possède une force de pénétration publicitaire utilisable non seulement pour commercialiser les produits et fournir les services auxquels elle était destinée à l’origine, mais encore pour faciliter sensiblement la vente d’autres produits ou la fourniture d’autres services. Cela suppose que la marque jouisse d’une considération générale auprès d’un large public »359. Dans ce contexte, l’image positive dont jouit la marque auprès du public devra être prise en considération, même si celle-ci ne fait pas l’unanimité360. En appliquant ces principes jurisprudentiels aux noms d’artistes célèbres, on serait tenté de considérer qu’une marque correspondant à de tels noms pourrait revendiquer le statut de marque de haute renommée. En effet, pour reprendre les exigences exprimées par le Tribunal fédéral, la protection étendue de telles marques peut entrer en ligne de compte « lorsque cette marque possède une force de pénétration publicitaire utilisable non seulement pour commercialiser les produits et fournir les services auxquels elle était destinée à l’origine, mais encore pour faciliter sensiblement la vente d’autres produits ou la fourniture d’autres services ». Or, le nom d’artistes célèbres semble précisément avoir été (et être) utilisé pour promouvoir d’autres produits et services que ceux originellement conçus (soit la production artistique comme telle), notamment des parfums et des véhicules automobiles. Cette approche n’a toutefois pas été adoptée dans une récente jurisprudence européenne qui a consacré une protection relativement restreinte de la marque PICASSO. Dans cette affaire, les héritiers de Picasso avaient tenté de s’opposer à l’enregistrement d’une marque communautaire (CTM) par le groupe automobile DaimlerChrysler portant sur le signe PICARO 358. 359. 360. ATF 130 III 748, 752. Ibid. Ibid. 1386 Les Cahiers de propriété intellectuelle pour des produits en classe 12 (soit des « automobiles et leurs pièces »). Les héritiers Picasso avaient fondé leur opposition sur une marque antérieure PICASSO qui avait été enregistrée pour des produits de la même classe 12 (soit notamment des « Véhicules »). Par arrêt du 12 janvier 2006, la Cour de Justice des communautés européennes a rejeté l’opposition des héritiers Picasso en considérant en substance que la notoriété acquise par le nom « Picasso » ne conférait pas une force distinctive renforcée à la marque PICASSO enregistrée pour des véhicules automobiles361. Bien au contraire, l’association très forte faite par le public entre le nom et l’artiste Picasso excluait tout risque de confusion entre les signes concernés dans le domaine automobile, le public associant conceptuellement la marque PICASSO à l’artiste de sorte à exclure toute confusion avec la marque distincte PICASSO362. On relèvera que, dans cette affaire, l’avocat général avait adopté une position relativement sévère vis-à-vis des héritiers Picasso en critiquant l’atteinte portée au patrimoine artistique du célèbre peintre et en plaidant ainsi pour une protection relativement étroite de la marque PICASSO en relation avec des produits industriels (automobiles) qui sont sans lien avec la production artistique du maître espagnol363. A contrario, cet arrêt ne devrait pas porter préjudice à la 361. 362. 363. Arrêt « Picasso/Picaro », CJCE du 12 janvier 2006, affaire C-361/04 P, paragraphe 32 : « le Tribunal a bien considéré, au terme d’une appréciation de nature factuelle dont le contrôle échappe à la Cour dans le cadre d’un pourvoi, que le signe PICASSO est dépourvu de tout caractère distinctif intrinsèque élevé en ce qui concerne les véhicules automobiles »; pour un commentaire critique de cet arrêt, voir HOLZER (Simon), « Picasso/Picaro: Markenschutz von Familiennamen » [2006] Sic! 600. Arrêt « Picasso/Picaro », supra note 361, paragraphe 27 : « confronté au signe verbal PICASSO, le public pertinent y voit immanquablement une référence au peintre [et] compte tenu de la célébrité de celui-ci auprès dudit public, cette référence conceptuelle particulièrement dense est de nature à atténuer dans une large mesure la prégnance dont, en l’occurrence, ce signe est doté en tant que marque, parmi d’autres, de véhicules automobiles ». Conclusions de l’avocat général du 8 septembre 2005, <http://oami.europa.eu/fr/ mark/aspects/pdf/JC040361.pdf> : « 64. À l’occasion du pourvoi, le représentant légal des héritiers de Picasso a expliqué la portée et la fréquence qu’ont acquis les noms propres, utilisés en tant que marques, de personnes qui jouissent d’une grande réputation ou qui sont très populaires et il a mentionné des personnages historiques connus comme Napoléon, Churchill ou Gorbatchov, des créateurs comme Christian Dior ou Allessi, des sportifs tels Boris Becker ou Tiger Woods, et des musiciens comme Mozart. Il a fait référence au rôle joué, particulièrement en ce qui concerne les signes déjà connus, par ce qu’on appelle le « merchandising », dans la promotion d’autres produits qui ne conservent aucun lien avec le L’art et la propriété intellectuelle 1387 protection d’une marque correspondant au nom et/ou à la signature d’un artiste en relation avec des produits pour lesquels ce nom a acquis une certaine notoriété (par exemple des tableaux) ou en relation avec des produits (ou services) similaires à ces derniers364. Dans un tel cas en effet, on pourrait considérer qu’il s’agit d’une marque forte, qui jouit ainsi d’un caractère distinctif élevé et, partant, d’une sphère de protection étendue365. 2.5 Les limites de la protection Comme tous les autres droits de propriété intellectuelle, le droit des marques connaît certaines limites366. Parmi celles-ci figure en particulier le fait que la protection du droit des marques ne peut 364. 365. 366. produit original [référence omise], comme, par exemple, Coca-Cola (boissons), pour des vêtements et des articles de papeterie, Marlboro (cigarettes) pour des vêtements, Davidoff (cigares) pour des produits cosmétiques de luxe. Ces idées m’inspirent quelques réflexions. 65. D’abord, l’octroi d’une licence par les héritiers de Picasso au constructeur d’automobiles Citroën, pour baptiser un modèle du type Xara a suscité des critiques, en particulier, de la part du directeur du Musée Picasso de Paris, qui craignait que l’image du génie soit atteinte de façon irréversible [référence omise] et que, au troisième millénaire, Picasso ne soit devenu qu’une marque de voiture. 66. Bien que le législateur communautaire donne la possibilité d’enregistrer des noms propres en tant que marques, utilisables pour les produits et services les plus divers, il convient de nuancer le degré de protection qu’ils méritent ou qu’ils ont acquis, en partant de la fonction essentielle de ce droit de propriété industrielle. [...] 69. Cependant, il convient d’apporter deux précisions concernant la défense légitime du nom patronymique sous lequel une personne est devenue célèbre. En premier lieu, lorsque ce nom est cédé en vue d’être utilisé dans un domaine totalement étranger à celui dans lequel il a acquis sa notoriété, il n’y a pas lieu d’invoquer, simplement, la protection étendue qui doit être assurée aux marques présentant un caractère distinctif élevé, parce que, fondamentalement, dans ce cadre, il est très peu probable que le signe informe sur l’origine commerciale des biens ou des services, tout du moins de prime abord. En deuxième lieu, il y a un certain intérêt général, au titre du patrimoine culturel universel, à préserver les noms de grands artistes de l’insatiable cupidité mercantile afin d’éviter de porter atteinte à leurs œuvres en les banalisant. Il est triste d’imaginer que le consommateur moyennement informé et raisonnablement attentif et avisé, qui ne relie déjà plus des noms comme Opel, Renault, Ford ou Porsche aux illustres ingénieurs qui ont donné leur patronyme à leurs produits, puisse faire de même avec le nom Picasso dans un avenir qui, malheureusement, n’est pas très éloigné ». Compte tenu de la sphère de protection du droit des marques s’étendant aux produits ou services similaires à ceux revendiqués dans la marque (art. 3, al. 1 let. b et c LPM). Sur la notion de marque forte, voir ATF 128 III 447, 453, JdT 2002 I 504, 509. Sur la question de l’usage de la marque à des fins décoratives, voir ci-dessus chapitre 2.4. 1388 Les Cahiers de propriété intellectuelle être invoquée que contre toute utilisation commerciale de la marque par un tiers non autorisé. Par opposition, l’utilisation de la marque à des fins privées ne pourra pas être interdite. L’usage privé qui est fait d’une marque se situe en effet en dehors du droit des marques. Ainsi le Tribunal fédéral a-t-il jugé que l’importation d’une montre contrefaite ne peut être sanctionnée en droit des marques367. Cette question pourrait surgir dans le cas de la création ou de la vente d’une œuvre comportant indûment la marque correspondant au nom et/ou à la signature de l’artiste qui serait faite par une personne privée. Toutefois, les limites de l’usage privé seront facilement dépassées368. Une autre limite importante du droit à la marque tient à la déchéance de la marque pour non-usage369. En effet, même si la protection de la marque est prolongeable sans limite temporelle370, la marque ne sera protégée que pour autant qu’elle soit utilisée en relation avec les produits ou les services enregistrés371. Ainsi, en cas de non-usage pendant une période de cinq ans, le titulaire ne pourra plus faire valoir son droit à la marque (à moins que le défaut d’usage ne soit dû à un juste motif)372. Cette limitation sera susceptible d’être problématique pour les marques correspondant au nom, à la signature ou aux œuvres d’un artiste373, particulièrement si l’artiste ne crée plus d’œuvres sous son nom et/ou sous sa signature qui fait l’objet de la marque enregistrée. Ainsi, au plus tard cinq ans après le décès de l’artiste, la question de l’usage valable de la marque pourrait devenir sensible. Sur le plan du principe, l’usage de la marque doit être sérieux pour être jugé juridiquement suffisant374. Le caractère sérieux de l’usage ne peut se déterminer de façon schématique pour toutes les 367. 368. 369. 370. 371. 372. 373. 374. ATF 114 IV 6, JdT 1988 I 308. Cour de Justice, Genève, [2009] Sic! 109 (l’importation de quatre faux sacs HERMÈS constitue une violation du droit à la marque). Art. 11 et 12 LPM; sur cette question, voir la thèse de MEIER (Eric), L’obligation d’usage en droit des marques, (Zürich : Schulthess, 2005). Art. 10 al. 2 LPM. Art. 11, al. 1 LPM. Art. 12, al. 1 LPM. Voir la critique fondamentale de l’utilisation du droit des marques en matière artistique de TREPPOZ, 67 ss. (« [i]mposer à l’artiste d’exploiter son œuvre suppose, pour sa part, de rompre le lien entre l’auteur et l’œuvre au profit de la seule collectivité »). WILLI, no 37 ad art. 11 LPM. L’art et la propriété intellectuelle 1389 marques, mais doit au contraire s’apprécier selon les circonstances du cas concret375 en examinant en particulier – d’un point de vue subjectif – si le titulaire de la marque a l’intention de satisfaire la demande du marché376. On se fondera ainsi sur les habitudes commerciales dans le secteur économique concerné377 et sur le type de produits ou services en cause. On exigera dès lors un usage plus important pour des produits de consommation courante que pour des produits de luxe378. Il n’est toutefois pas nécessaire que la marque soit directement apposée sur le produit ou sur son emballage pour être valablement utilisée. Il suffit en effet que le signe soit perçu par le public comme un moyen d’identification des produits ou des services du titulaire de la marque379. Il pourra en particulier s’agir d’un usage dans des catalogues, ce pour autant qu’un tel usage se rapporte aux produits et/ou services enregistrés380. Concernant les marques correspondant au nom et/ou à la signature d’un artiste, on ne saurait poser des exigences excessivement élevées concernant l’usage sérieux de telles marques, s’agissant en effet de marques portant sur des produits que l’on doit plutôt assimiler à des produits de luxe qu’à des produits de consommation courante. Dans ce cadre, un usage de la marque devrait pouvoir être admis par exemple dans l’hypothèse d’une utilisation de la marque dans des catalogues de vente ou d’exposition des œuvres de l’artiste381. Il conviendra naturellement de prendre en compte le type de produits et/ou services pour lesquels la marque a été enregistrée. Ainsi, il n’y aura pas de problème particulier pour les produits – revendiqués – pour lesquels la marque fait l’objet d’une véritable exploitation commerciale (par exemple voiture « Picasso ») par opposition aux produits artistiques (tableaux, sculptures, etc). Compte tenu des spécificités du marché de l’art, on ne devra pas se montrer trop restrictif quant à l’usage de la marque, tant et aussi longtemps que le signe continuera à être perçu par le public comme un moyen d’identification des produits du titulaire de la marque. Il restera tou- 375. 376. 377. 378. 379. 380. 381. MEIER, 50. WILLI, no 37 ad art. 11 LPM. Commission fédérale de recours en matière de propriété intellectuelle (CREPI), [2006] Sic! 180. CREPI, [2005] Sic! 881. TF, [2006] Sic! 99; voir aussi les directives en matière de marques de l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle, supra note 310, chapitre 6.4.4., 161. CREPI, [2005] Sic! 754; CREPI, [2001] Sic! 646. La question sera plus délicate pour des marques correspondant aux œuvres elles-mêmes d’un artiste, sauf si ce dernier ou ses héritiers commercialisent des reproductions de celles-ci. 1390 Les Cahiers de propriété intellectuelle tefois bien entendu nécessaire d’examiner dans chaque cas concret si l’on peut admettre ou non un usage sérieux de la marque. 3. L’ART ET LE DROIT DU DESIGN En vertu de l’art. 1 LDes, sont protégés « en tant que designs la création de produits ou de parties de produits caractérisés notamment par la disposition de lignes, de surfaces, de contours ou de couleurs, ou par le matériau utilisé ». Pour être protégeable, le design pour lequel un dépôt est effectué382 doit être nouveau383, original384 et ne pas tomber sous l’un des motifs d’exclusion de la protection385. Dans cette mesure, il est possible que des créations artistiques des arts plastiques soient protégées par le droit du design386 et que des créations relevant du domaine du design soient protégées par le droit d’auteur en tant qu’œuvres des arts appliqués (art. 2, al. 2 let. f LDA)387. Se pose ainsi la question de la relation entre la protection conférée par le droit du design et celle résultant du droit d’auteur. Sur le plan du principe, le droit suisse admet le cumul de protection388. Pour qu’un tel cumul entre en ligne de compte, il faut toutefois que les conditions respectives de protection des lois concernées soient remplies389. La relation entre la condition de l’originalité du droit du design (art. 2, al. 1 et al. 3 LDes) et celle de l’individualité du 382. 383. 384. 385. 386. 387. 388. 389. Art. 19 ss. LDes. En vertu de l’art. 2, al. 2 LDes, « Un design n’est pas nouveau si un design identique, qui pouvait être connu des milieux spécialisés du secteur concerné en Suisse, a été divulgué au public avant la date de dépôt ou de priorité ». Selon l’art. 2, al. 3 LDes, « Un design n’est pas original si, par l’impression générale qu’il dégage, il ne se distingue d’un design qui pouvait être connu des milieux spécialisés du secteur concerné en Suisse que par des caractéristiques mineures ». Art. 4 LDes, étant noté que l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle ne rejette la demande d’enregistrement que si certains motifs d’exclusion sont manifestes en vertu de l’art. 24 al. 3 LDes. Pour une discussion de la protection des créations architecturales par le droit du design, voir MOSIMANN (Peter), « Der Werk- und Wirkbereich im Theaterschaffen », MOSIMANN (éd.), Kultur Kunst Recht, (Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2009), 615. Sur ces questions, voir la thèse de STUTZ (Robert Mirko), Individualität, Originalität oder Eigenart ? Schutzvoraussetzungen des Design, (Berne : Stämpfli, 2002). ATF 134 III 547 ; JdT 2010 I 652 ; CHERPILLOD, Geltungsbereich, 15; pour le droit allemand, voir SCHACK, Kunst, no 817 ss., 407 ss. Pour la protection par le droit du design, il faudra ainsi que les conditions formelles (dépôt et enregistrement) soient respectées, voir l’art. 19 ss. LDes. L’art et la propriété intellectuelle 1391 droit d’auteur (art. 2, al. 1 LDA) doit dès lors être examinée390. On considère à ce propos, notamment en raison de la durée de protection supérieure conférée par le droit d’auteur par rapport à celle découlant du droit des designs, que la condition de l’individualité de l’œuvre exigée par le droit d’auteur suppose une activité créatrice plus importante que celle de l’originalité du droit du design391. Au-delà de cette affirmation de principe, il reste délicat de déterminer dans un cas concret le degré de créativité qui sera exigé pour qu’une protection par le droit d’auteur puisse être admise392. L’éventuel cumul de protection pourra avoir des conséquences pratiques importantes, notamment pour ce qui concerne des designs créés par des employés dans le cadre de leurs obligations contractuelles. S’agissant du droit du design, l’employeur pourra potentiellement bénéficier des droits exclusifs sur la base de la cession légale prévue à l’art. 332 CO, alors qu’une telle cession n’est pas prévue pour ce qui concerne les droits d’auteur. Il est ainsi souhaitable que l’employeur obtienne la cession expresse des droits d’auteur sur les créations de ses employés relevant du domaine du design. L’étendue de la protection respectivement conférée par le droit du design et le droit d’auteur diverge également, la protection du droit du design s’étendant aux designs « qui présentent les mêmes caractéristiques essentielles et qui, de ce fait, dégagent la même impression générale qu’un design enregistré » (art. 8 LDes). Par contre, la protection du droit d’auteur ne se fonde pas sur la notion d’« impression générale laissée par les créations concernées dans l’esprit du public », mais sur la reprise d’éléments protégés dans la nouvelle création et sur l’existence éventuelle d’une œuvre dérivée ou d’une modification (non créative) de la première œuvre (art. 11, al. 1 let. a et b LDA)393. Une affaire hollandaise récente vient démontrer que la protection du droit du design ne permet pas d’interdire de manière absolue 390. 391. 392. 393. Pour une discussion approfondie des positions jurisprudentielles et doctrinales relatives à la question de la relation entre la protection du droit du design et celle du droit d’auteur, voir CHERPILLOD, Geltungsbereich, 15 ss. Voir DAVID, no 27 Einführung. Voir CHERPILLOD, Geltungsbereich, 21, plaidant pour une application de la théorie de l’unicité statistique de Max Kummer (voir ci-dessus 1.1.3), de sorte que la protection du droit d’auteur ne pourra être admise que pour des créations pour lesquelles une création parallèle et indépendante par un tiers peut être statistiquement exclue, ce qui ne sera pas le cas de la forme de nombreux objets (par exemple machines, outils, caractères typographiques). Voir ci-dessus 1.1.3. 1392 Les Cahiers de propriété intellectuelle l’utilisation de designs protégés dans un contexte artistique, même si un tel usage ne fait pas apparaître le design ni le titulaire de ce dernier sous un jour favorable. Le groupe Louis Vuitton avait ainsi tenté de faire interdire par voie de mesures superprovisionnelles devant les tribunaux hollandais la reproduction d’un design communautaire dont il était titulaire394 dans un tableau de l’artiste Nadia Plesner395 intitulé « Darfurnica » sur lequel le design était reproduit sur un sac Vuitton tenu par un enfant du Darfour396. Après avoir interdit l’utilisation du design protégé dans le cadre des mesures superprovisionnelles397, les tribunaux hollandais ont tranché en faveur de l’artiste sur le fondement de la liberté d’expression jugée prévalante par rapport aux intérêts de Louis Vuitton398. Dans ces circonstances, force est de constater que même si la réglementation en matière de designs ne comporte pas d’exception de parodie (au contraire de la loi sur le droit d’auteur, art. 11 al. 3 LDA), l’utilisation d’un design dans un contexte artistique et politique est possible sans violation du droit sur le design. 4. L’ART ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE DÉLOYALE 4.1 Le rôle du droit de la concurrence déloyale En s’intéressant au rôle potentiel que peut jouer le droit de la concurrence déloyale dans le domaine artistique, une question préliminaire à résoudre tient à la relation existant entre les droits de propriété intellectuelle et le droit de la concurrence déloyale. En effet, selon un principe établi et appliqué par le Tribunal fédéral399, le droit de la concurrence déloyale ne doit pas permettre de suppléer à l’absence de protection par le droit de la propriété intellectuelle. En d’autres termes, le droit de la concurrence déloyale ne devrait pas pouvoir protéger ce qui ne serait pas protégeable par le droit de la propriété intellectuelle 400. 394. 395. 396. 397. 398. 399. 400. No. 000084223-0001. <http://www.nadiaplesner.com/>. Voir la présentation de l’affaire par HOOPER (Caroline), 1 - 0 for Artistic Freedom v. Louis Vuitton, accessible en ligne à : <http://ehoganlovells.com/ve/ ZZh81tz9261L9582kTt/VT=0/page=27>. Arrêt du Tribunal de la Haye du 27 janvier 2011. Arrêt du Tribunal de la Haye du 4 mai 2011, No. KG ZA 11-294. ATF 116 II 471, JdT 1991 I 194. Selon la « Umwegtheorie » qui est toutefois critiquée par une partie de la doctrine; voir BAUDNBACHER (Carl), Lauterkeitsrecht, Kommentar zum Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (UWG) : Hellbing & Lichtenhahn 2001) Bâle, 2001, no 86 ad art. 1. L’art et la propriété intellectuelle 1393 Dans le contexte de la protection des œuvres d’art, l’application du droit de la concurrence déloyale pourrait être envisagée afin de protéger des œuvres qui seraient tombées dans le domaine public (soit des œuvres pour lesquelles le délai de protection serait échu)401. Entrera alors particulièrement en ligne de compte l’art. 3 let. b LCD402 qui dispose qu’agit de manière déloyale celui qui « donne des indications inexactes ou fallacieuses sur lui-même, [...], ses marchandises, ses œuvres, [...] ou qui, par de telles allégations, avantage des tiers par rapport à leurs concurrents ». Selon la doctrine, cette disposition pourrait être applicable lorsque des indications inexactes seraient données sur une œuvre tombée dans le domaine public, tout particulièrement en cas de plagiat, soit l’acte par lequel une personne se fait faussement passer comme auteur d’une œuvre effectivement créée par autrui403. Toutefois, on ne saurait envisager une application systématique de cette disposition chaque fois qu’une œuvre tombée dans le domaine public serait utilisée par un tiers sans indication de l’auteur de l’œuvre. En procédant ainsi, on contournerait en effet les limites de la protection résultant du droit d’auteur par l’application du droit de la concurrence déloyale404. On créerait en effet une protection au-delà du droit d’auteur fondée sur le droit de la concurrence déloyale. Par conséquent, il ne pourra généralement pas être admis que le droit de la concurrence déloyale puisse interdire la commercialisation d’œuvres tombées dans le domaine public. Le scénario dans lequel une personne ferait passer pour les œuvres d’un artiste (connu) ce qu’il a lui-même créé en usurpant le nom, la signature et/ou le style de l’artiste concerné, mérite également d’être examiné. 401. 402. 403. 404. Ce délai étant de 70 ans après le décès de l’auteur; voir l’art. 29, al. 1 LDA. Loi fédérale contre la concurrence déloyale du 19 décembre 1986 (RS 241). BARRELET/EGLOFF, no 14 ad art. 9 ; TROLLER (Aloïs), Immaterialgüterrecht, 3e éd., Bâle, 1985, vol. 2, 691. C’est ce qu’a décidé la Cour suprême américaine dans une récente affaire Dastar Corp. v. Twentieth Century Fox Film Corp. et al., 540 U.S. 806 (2003). Dans cette affaire, la Cour a refusé d’admettre la protection du droit de la concurrence déloyale (soit l’art. 43(a) du Lanham Act qui prohibe en particulier les fausses désignations d’origine : « false designation of origin, false or misleading description of fact, or false or misleading representation of fact, which [...] is likely to cause confusion [...] as to the origin of [its] goods) sur une œuvre tombée dans le domaine public, en constatant que la création d’un droit d’attribution - soit un droit de paternité - après l’échéance de la durée de protection du droit d’auteur entrerait en conflit avec les principes du droit d’auteur (« [...] giving the Lanham Act special application to such products would cause it to conflict with copyright law, which is precisely directed to that subject, and which grants the public the right to copy without attribution once a copyright has expired ») ; pour une analyse de cet arrêt et de ses conséquences, voir l’article de GINSBURG. 1394 Les Cahiers de propriété intellectuelle Dans cette hypothèse, c’est l’art. 3 let. d LCD qui pourrait être applicable. Selon cette disposition en effet, agit de façon déloyale celui qui « prend des mesures qui sont de nature à faire naître une confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les affaires d’autrui ». Cette disposition pourrait ainsi venir à s’appliquer dans le cas où le nom et le style d’un artiste seraient utilisés et imités par un tiers, sans qu’une œuvre spécifique de l’artiste ne soit reprise405. À nouveau, on devra se garder d’appliquer trop extensivement l’art. 3 let. d LCD pour contourner les limites de la protection résultant du droit de la propriété intellectuelle (soit du droit d’auteur), soit en d’autres termes, pour conférer une protection par le droit de la concurrence déloyale là où le droit d’auteur n’en offre pas (ou plus). Dans ces circonstances, l’application de l’art. 3 let. d LCD ne pourra être admise qu’en cas de circonstances particulières qui feront apparaître le comportement concerné comme déloyal. A titre d’exemple, on peut envisager une application de cette disposition dans le cas de la reprise de tableaux inspirés du style cubiste de Picasso dans le cadre d’une campagne publicitaire. Une telle utilisation en effet a été condamnée en France (en application de droit de la responsabilité civile), le Tribunal retenant en l’espèce qu’est répréhensible le fait d’avoir « volontairement cherché à utiliser à des fins purement mercantiles et publicitaires, la renommée de Pablo Picasso pour faire croire au public que l’une de ses œuvres originales participait à la promotion de produits de peinture en bâtiment »406. De même, on pourrait envisager l’application de l’art. 3 let d LCD dans le cas de copies de tableaux tombés dans le domaine public et munis de la signature de l’artiste concerné lorsqu’on peut craindre un risque de confusion au sein du public entre les œuvres originales et leurs copies. L’application de l’art. 3 let. d LCD devra en tout état être examinée au cas par cas. 4.2 Les limites du droit de la concurrence déloyale De manière générale, la loi contre la concurrence déloyale réprime les « actes déployant des effets sur le marché, objectivement propres à avantager ou désavantager une entreprise dans sa lutte pour acquérir de la clientèle, ou à accroître ou diminuer ses parts de marché »407. Ce n’est donc que lorsqu’un acte sera propre à avoir une 405. 406. 407. Dans une telle hypothèse, on ne se trouvera pas dans le champ d’application du droit d’auteur, pour une discussion de ces questions, voir ci-dessus 1.3.3.2 et DE WERRA, (cité en note 82), 45 ss. Tribunal de Grande Instance de Paris, Gazette du Palais 2e semestre, 1998 sommaires et notes, 689, commenté et analysé par TREPPOZ, 71. TF, [2002] Sic! 694. L’art et la propriété intellectuelle 1395 influence sur le marché que le droit de la concurrence déloyale pourra s’appliquer. Ainsi, selon la jurisprudence408, la vente aux enchères par un collectionneur privé d’une voiture d’occasion (une Ferrari de collection) a été considérée comme n’étant objectivement pas de nature à influencer le marché, de sorte que le droit de la concurrence déloyale ne pouvait pas s’appliquer409. N’a pas été jugé déterminant dans ce cadre le fait que le vendeur ait mandaté une société spécialisée dans le domaine des voitures anciennes pour organiser la vente aux enchères, pas plus que le fait que cette dernière société ait mentionné la voiture dans son catalogue 410. La question de l’effet potentiel sur le marché pourra précisément être critique dans le domaine de l’art. En suivant cette jurisprudence, la vente aux enchères par un collectionneur privé d’un tableau qui serait faussement attribué à un artiste ne sera pas susceptible de donner lieu à l’application du droit de la concurrence déloyale, faute d’impact sur le marché. Il conviendra en toute hypothèse d’examiner soigneusement dans chaque cas d’espèce si l’acte concerné (soit la commercialisation d’un tableau comportant indûment la signature d’un artiste) est susceptible ou non d’influencer le jeu de la concurrence à la lumière de la jurisprudence (restrictive) précitée. 408. 409. 410. Étant toutefois noté que l’arrêt du Tribunal fédéral a été rendu sur recours de droit public, le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral se limitant ainsi à l’examen de l’arbitraire de la décision cantonale. Dans ce litige, la partie demanderesse tentait de faire interdire la vente de la Ferrari pour violation du droit de la concurrence déloyale au motif que la voiture comportait prétendument un faux numéro de châssis correspondant à un modèle détruit par un incendie dans les années 1960, ce numéro de châssis étant également utilisé par la partie demanderesse sur une autre voiture. TF, [2002] Sic! 696. Capsule Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel Mistrale Goudreau* Dans une décision unanime rendue le 19 mai 2011, la Cour d’appel du Québec a sanctionné un agissement parasitaire, désapprouvant le juge de première instance qui avait rejeté l’action au motif que l’interdiction du parasitisme n’est pas intégrée au droit québécois1. Les faits sont simples : le Groupe Pages jaunes publie un bottin téléphonique et vend de l’espace publicitaire sur la couverture avant et arrière et à l’intérieur du bottin. Le prix est déterminé en fonction de la visibilité offerte à l’annonce. Publication Cartotek a mis à la disposition du public une jaquette de plastique permettant d’envelopper le bottin téléphonique du Groupe Pages jaunes et elle offre sur ce support 22 espaces pour des messages publicitaires. La jaquette masque entièrement les annonces apposées par Groupe Pages jaunes sur la dernière page et la couverture, avant et arrière, du bottin, ce qui a entraîné une diminution de la valeur de ses annonces. Dans un bref arrêt de deux pages, la Cour d’appel accueille partiellement l’appel et, par voie de conséquence, partiellement la © Mistrale Goudreau, 2011. * Professeure titulaire à la Faculté de droit (section de droit civil) de l’Université d’Ottawa. 1. Groupe Pages jaunes Cie c. 4143868 Canada inc., 2011 QCCA 960 [Note de la rédaction : PAGES JAUNES est la marque de commerce et Groupe Pages jaunes le nom de l’entreprise.] 1397 1398 Les Cahiers de propriété intellectuelle requête introductive, citant comme seule autorité, un compte rendu de livre2. [12] La concurrence qualifiée de parasitaire constitue avant tout de la concurrence déloyale qui est sujette à nos règles usuelles de responsabilité civile et notamment de l’article 1457 du C.c.Q. [13] C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en arrive le juge Baudouin dans un article sur le parasitisme, alors qu’il s’exprime comme suit : Il m’apparaît rassurant, pour ma part, de constater que les bonnes vieilles règles civilistes de la responsabilité civile sont suffisamment souples et adaptables pour régler avec efficacité le contentieux du parasitisme, sans qu’il soit besoin de créer marginalement un régime juridique spécial [Baudouin, Jean-Louis, « Le parasitisme », [2001] 31 R.G.D. 789, 791] [14] En l’espèce, il ne fait aucun doute que les activités délibérées de Cartotek sont fautives et qu’elle se livre à une concurrence déloyale à l’égard de Pages jaunes. [15] Tout comme le fait valoir l’appelante, il est manifeste que les agissements de Cartotek sont de nature parasitaire en ce qu’elle vit en parasite, dans le sillage de l’appelante, en profitant de ses efforts et de ses produits. [16] La jaquette en plastique déprécie de manière considérable la valeur des publicités placées en page couverture et sur la dernière page de l’annuaire puisque ces dernières se trouvent à être complètement masquées par la jaquette (parag. 32 affidavit de Valérie Landreville du 29 septembre 2009). [17] Cartotek usurpe le travail et le produit de Pages jaunes pour en tirer profit. Ce faisant, elle abuse des droits de Pages jaunes. 2. BAUDOUIN (Jean-Louis), commentant Le TOURNEAU (Philippe), Le parasitisme (Paris : Litec, 1998), dans « Le parasitisme », (2001), 31 Revue générale de droit 789, 791. Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel 1399 La conclusion quant aux faits reprochés ne soulève aucun étonnement. Le délit de concurrence déloyale est fondé sur la notion de faute visée à l’article 1457 du Code civil du Québec, et couvre tous les gestes qui sont contraires aux usages honnêtes de l’industrie ou du commerce3. La faute est le « comportement contraire à celui auquel on peut s’attendre d’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances »4, « évaluée en regard de l’activité propre de l’agent au moment où le préjudice a été causé [note omise]. En d’autres termes, on doit replacer l’individu dans le cadre de l’emploi, de l’occupation, de la profession ou du travail qu’il exerçait alors. »5 Ici, il s’agissait donc de déterminer si un commerçant prudent et diligent aurait agi de la sorte, vendant de l’espace publicitaire sur une jaquette masquant l’espace publicitaire aménagé par le concepteur du produit. La conclusion selon laquelle une personne raisonnable n’aurait pas agi de la sorte n’a rien de choquant. C’est certainement un comportement fautif de masquer un espace de publicité légalement et légitimement exploité par une entreprise sur son produit. Mais la Cour d’appel va plus loin ; elle précise la nature de la faute qui est de « vivre en parasite, dans le sillage de l’appelante, en profitant de ses efforts et de ses produits » ou « d’[usurper] le travail et le produit de Pages jaunes pour en tirer profit ». C’est la reconnaissance du parasitisme du droit civil français, avec emprunt de la terminologie des juristes d’outre-mer. Une des formulations approuvées par la Cour de cassation fait référence à « l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire »6. En droit français, la théorie est relativement récente. La notion a été dégagée en 1956 par Y. Saint-Gal7 qui l’a défini comme le fait « de vivre en parasite dans le sillage d’un autre en profitant des efforts qu’il a réalisés et de la réputation de son nom et de ses produits ». La théorie sera soutenue par plusieurs autres auteurs dans 3. NADEAU (André) et al., Traité pratique de la responsabilité civile délictuelle (Montréal : Wilson & Lafleur, 1971), p. 221. 4. BAUDOUIN (Jean-Louis) et al., La responsabilité civile, vol. I, 7e éd., (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2007), no 1-161. 5. Ibid., no 1-194. 6. Cass. com., 26 janv. 1999, no 96-22.457, : D. 27 janvier 2000, no 4, p. 87. 7. « Concurrence déloyale et agissements parasitaires », RIPIA 1956, no 25/26, p. 37, tel que cité par Jérome PASSA, JurisClasseur Concurrence – Consommation, Fasc. 240 : Domaine de l’action en concurrence déloyale, Février 1998, no 59. 1400 Les Cahiers de propriété intellectuelle nombreux écrits dont ceux de Jean-Jacques Burst8, Xavier Desjeux9 et Philippe le Tourneau10. En jurisprudence française, le concept est aujourd’hui solidement ancré11. Mais la théorie a aussi ses détracteurs ou des supporteurs plus mitigés. D’abord la terminologie est contestée. Comme le disait Marie Malaury-Vignal : « L’expression vivre dans le sillage d’autrui est nouvelle. Elle ne correspond à aucun concept juridique, elle est plus une image qu’une réalité »12. En second lieu, formulée en termes trop généreux, la théorie s’intègre mal au régime de droit civil. Elle est d’un contour mal défini et tend à s’étendre anarchiquement13. Elle dépasse le champ traditionnel de la concurrence déloyale, car pour la Cour de cassation « les agissements parasitaires d’une société peuvent être constitutifs d’une faute au sens de l’article 1382 du Code civil, même en l’absence de toute situation de concurrence »14. Elle a le potentiel de rendre tout le régime de propriété intellectuelle redondant15. User de 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. Notamment dans Concurrence déloyale et parasitisme, éd. Dalloz 1993. Par exemple dans « Quelle protection juridique pour le modèle « fonctionnel » ? Le design ou la création d’une valeur économique personnelle à l’entreprise » : Gaz. Pal. 1981, 1, doctr. 297 et « Le droit de la responsabilité civile comme limite au principe de la liberté du commerce et de l’industrie » : JCP E 1985, II, 14490. Notamment dans « Le parasitisme dans tous ses états » : D. 1993, p. 310 et Juris-Classeur Concurrence – Consommation, Fasc. 227, Parastisme, 10 janvier 2010. Guy Courtieu, JurisClasseur Responsabilité civile et Assurances ; Fasc. 132-30 : Droit à réparation, mai 2006, no 44 et Jérôme Passa, supra, note 7, no 64. De janvier 2010 à août 2011, la Cour de cassation examinera pas moins de neuf fois l’allégation de parasitisme, ce qui prouve la popularité du recours : Cass. Com. 19 janvier 2010, no 08-15.338, 08-16.459, 08-16.469, JurisData : 2010-051290 ; Cass. Com. 18 mai 2010, no 09-10566 ; Cass. Com. 29 Juin 2010, no 09-15.692, 09-67.997, 715, numéro JurisData : 2010-010673 ; Cass. Com. 29 juin 2010, no 09-67.222 ; Cass. Com. 13 juillet 2010, no 09-14.985 ; Cass. Com. 13 Juillet 2010, no 865, 06-15.136, numéro JurisData : 2010-011702 ; Cass. Com. 23 novembre 2010, No 09-17204, 1182 Numéro JurisData : 2010-021983 ; Cass. Com. 27 avril 2011, no 10-15.648, JurisData 2011-007263 ; Cass. Com. 12 juillet 2011 , no 10-22.739, Numéro JurisData : 2011-014473. Marie MALAURIE-VIGNAL, « Parasitisme et notoriété d’autrui » : JCP G. 1995. 1, doctr. no 3888, no 2 Guy COURTIEU, supra, note 11, no 46. Cass. com., 30 janv. 1996 : D. 1996, inf. rap. p. 63 ; Cass. com., 7 avr. 2009, no 07-17.529 : JurisData no 2009-047897. Voir également Cass, Com. 27 avril 2011, no 10-15.648, Juris Data 2011-007263. J. PASSA, supra, note 7, nos 65 à 69 ; Contrefaçon et concurrence déloyale, (Paris : Litec, 1993), no 368 et s., p. 275 et s. ; « Propos dissidents sur la sanction du parasitisme économique » : D. 2000, chron. p. 297. – Pascale Tréfigny, L’imitation, contribution à l’étude juridique des comportements référentiels, (Paris : Litec, 2000), p. 304 et s., nos 402 à 406 ; – Frédéric POLLAUD-DULIAN, « De quelques Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel 1401 l’invention brevetée d’autrui, exploiter la création de l’esprit protégée par le droit d’auteur, n’est-ce pas s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire ? Si on admet le principe général que nul ne doit profiter du travail d’autrui, l’intérêt des régimes spéciaux de protection des créations intellectuelles diminue grandement. Respecter les conditions de dépôt des demandes (pour le brevet ou le dessin industriel), satisfaire aux exigences de nouveauté, d’originalité, d’ingéniosité, de fixation ou d’utilité fixées par les lois, deviennent de simples options permettant d’obtenir une protection plus étendue (par exemple pour revendiquer le remboursement des profits du contrefacteur ou des dommages exemplaires). La protection de base serait toujours assurée par la sanction du parasitisme, sans conditions de forme et sans durée déterminée par la loi. Pour contrer les incohérences que l’expansionnisme de la notion peut susciter, les auteurs et les juges français ont cherché à circonscrire la portée de la théorie par le jeu de définitions et d’exclusions. Ainsi en 2002, le professeur le Tourneau, partisan convaincu de la doctrine, a proposé une définition : Quiconque, à titre lucratif et de façon injustifiée, s’inspire sensiblement ou copie sans nécessité absolue une valeur économique d’autrui, individualisée, apportant une valeur ajoutée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un effort intellectuel et d’investissements, commet un acte parasitaire fautif. Car cet acte, contraire aux usages du commerce, notamment en ce qu’il rompt l’égalité entre les divers intervenants, même non concurrents et sans risque de confusion, fausse le jeu normal du marché et provoque ainsi un trouble commercial. Celui-ci est, en soi, un préjudice certain dont la victime peut demander en justice la cessation et/ou la réparation, lorsqu’elle ne dispose pas d’une autre action spécifique, et qu’elle n’a pas bénéficié d’un droit privatif ayant expiré (sauf en matière de signes).16 Décortiquons la définition et identifions les conditions posées : • L’élément usurpé doit être 1) une valeur économique d’autrui, 2) individualisée, 3) apportant une valeur ajoutée et 4) procuavatars de l’action en responsabilité civile dans le droit des affaires » : [1997] Revue trimestrielle de droit commercial 349. 16. Philippe LE TOURNEAU, Juris-Classeur Concurrence – Consommation, supra, note 10, no 80. L’auteur explique notamment les raisons de ces limitations dans son article « De la modernité du parasitisme », Gaz. Pal., 30 octobre 2001, no 303, p. 4 1402 Les Cahiers de propriété intellectuelle rant un avantage concurrentiel, 5) fruit d’un effort intellectuel et 6) d’investissements ; • L’usurpateur doit, 7) à titre lucratif et 8) de façon injustifiée, 9) sans nécessité absolue, s’inspirer sensiblement ou copier cet élément ; • Le demandeur dans l’action en parasitisme ne doit pas 10) disposer d’une autre action spécifique, et 11) ne doit pas avoir bénéficié d’un droit privatif ayant expiré (sauf en matière de signes). On sent que la doctrine, déterminée à faire reconnaître ce parasitisme, multiplie les conditions d’application dans le but de colmater les brèches de la théorie. Or la Cour d’appel du Québec ne fait référence à aucune de ces atténuations, pourtant fondamentales. Revenons sur deux aspects. D’après la définition du professeur le Tourneau, le demandeur qui réclame réparation suite à un parasitisme ne doit pas disposer d’une autre action spécifique. De fait, la règle est en droit civil français que l’action en concurrence déloyale et parasitaire sanctionne des faits distincts de l’action en contrefaçon d’un droit de propriété intellectuelle 17. Au contraire, en droit québécois, cette condition est inconnue ; tous les recours sont disponibles, bien que si la protection par le droit privatif s’avère inefficace, « l’examen des autres recours s’en retrouve irrémédiablement coloré et l’enthousiasme juridique du décideur peut vite s’essouffler »18. C’est donc une différence fondamentale entre les droits français et québécois, puisque en France le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle ne peut réclamer que 17. Cass. com., 20 févr. 2007 : No 05-13.927, 05-14.039, Juris-Data no 2007-037494 ; Cass. com., 3 juin 2008 : No 07-15.050, JurisData no 2008-044240 ; Cass. com., 12 juin 2007, no 05-19.446, Juris-Data no 2007-039589 ; Cass. com., 26 juin 2007, no 06-14.020, Juris-Data no 2007-039830 ; Cass. com., 6 nov. 2007, no 06-16.189 : JurisData no 2007-041269 ; Propr. intell. 2008, p. 263, obs. J. Passa ; Cass. com., 1er juill. 2008 No 07-14.741, JurisData no 2008-044704 ; Cass. Com. 19 janv. 2010, no 08-15.338, 08-16.459, 08-16.469 ; Cass. Com. 19 janv. 2010, no 08-15. 216 ; Cass. Com. 23 mars 2010, no 09-14114. Il existe cependant des lectures différentes de la jurisprudence. Voir notamment Sylviane Durrande, JurisClasseur Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1116 : Objet du droit d’auteur – Droit d’auteur et concurrence déloyale, 01 Septembre 2010, no. 35 18. Jean-Philippe MIKUS, « La protection des marques de commerce notoires au Canada », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2004), p. 67. Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel 1403 les sanctions prévues par la loi qui instaure le droit privatif. Le droit commun ne peut compléter ou accroître la protection légale pour les mêmes actes de contrefaçon. Qu’en est-il du cas où le droit privatif a expiré – lorsque l’innovation est tombée dans le domaine public ? Le professeur le Tourneau refuserait alors d’y voir un parasitisme et pourtant la Cour de Cassation n’a pas hésité à condamner celui qui avait reproduit un dictionnaire français-provençal tombé dans le domaine public19. Les auteurs se questionnent : « quelle règle oblige celui qui veut emprunter au domaine public à refaire le même investissement pour découvrir ce qui a déjà été divulgué, rendu public et qui, normalement, est à sa disposition ? »20. Une partie de la jurisprudence fait écho à ce malaise21. Reste le cas limite : Que décider lorsque l’innovation n’a pas satisfait à l’une des conditions posées pour l’octroi du droit privatif, ou lorsque l’utilisateur se niche dans une des exceptions légales ? C’est là que la controverse est le plus aiguë. Les tenants du parasitisme voient là toute l’utilité de la théorie. Le Professeur le Tourneau, la qualifie d’« amie fidèle des victimes désemparées, [de] remède universel contre les lacunes du droit et les défaillances du législateur »22. Certains juges ont entériné la proposition. On peut donner en exemple, la Cour de Cassation qui reproche à des anciens employés d’avoir repris les travaux, l’expérience et les produits de leur ex-employeur23, ou qui condamne un architecte qui a utilisé sans autorisation un modèle de chalet sans originalité24, ou qui sanctionne un ex-cocontractant ayant repris les fonctionnalités d’un logiciel pourtant non protégées par le droit d’auteur25. De même, la Cour d’appel de Paris a jugé fautive la reprise d’articles de nettoyage d’un concurrent même s’ils n’étaient pas protégés par un droit de pro19. Cass. com., 18 janv. 1982 : RIDA juill. 1982, p. 151 ; Bull. civ. 1982, IV, no 19. 20. A. LUCAS, Cah. dr. entr. 1988/1, p. 19, tel que cité par J. PASSA, supra, note 7, no 68. 21. Voir la recension de la jurisprudence de Christophe Alleaume, JurisClasseur Civil Annexes > Vo Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1270 : Droits des auteurs, 29 Juin 2010, no 85. 22. Philippe LE TOURNEAU, « Variations autour de la protection du logiciel », Gaz. Pal. 1982. 2, doctr. 370, p. 370. 23. Cass. com., 13 févr. 1990 : Gaz. Pal. 1990, 2, pan. jurispr. p. 180, JCP G. 1990 N 15, IV, p. 140 ; JCP E. 1990 N 15 I 19760. 24. Cass. 1re civ., 5 juill. 2006, no 05-12.193 : JurisData no 2006-034428 ; Bull. civ.2006, I, no 360 ; Propr. intell. 2006, p. 501, obs. J. Passa. 25. Cass. 1re civ., 13. déc. 2005, no 03-21.154, Numéro JurisData : 2005-031257, Bulletin civil 2005, No 499, p. 420. 1404 Les Cahiers de propriété intellectuelle priété intellectuelle26 et la Cour d’appel de Rouen a sanctionné la reproduction des plans d’un appareil, qui n’étaient pourtant ni originaux, ni nouveaux27. Mais y a-t-il « défaillance » du législateur, s’il choisit par le biais des conditions posées, ou des exceptions créées, de refuser une protection à un auteur ou un inventeur ? Où est la faute de celui qui emprunte dans le cadre d’une exception au droit privatif, ou de celui qui copie ce qui ne mérite pas protection aux termes de la loi28 ? Le Code français de la consommation précisant les conditions de légalité de la publicité comparative, ne faut-il pas voir là une exception au parasitisme29 ? La Cour de cassation, elle-même, dans certaines affaires, a douté qu’il y ait parasitisme lorsque le droit privatif avait été nié. En 1972, elle déclarait : « que dans la mesure où les faits invoqués comme constitutifs de concurrence déloyale se confondent matériellement avec les divers griefs de contrefaçon de brevet, du modèle déposé ou de création de l’esprit [notamment en raison de la divulgation antérieure de l’invention], la cour d’appel qui constate l’absence de droits privatifs sur ces divers fondements, a pu déclarer qu’il n’y avait pas de faute à utiliser ce qui est dans le domaine public »30. En 2010, elle précise qu’ « en l’absence de droit privatif, copier le signe sous lequel un concurrent fait commerce ne constitue pas en soi une faute, en sorte que le fait que cette reprise soit, en elle-même, susceptible de procurer à celui qui la pratique des économies ou de le faire profiter des investissements d’un concurrent ne peut être qualifié de fautif31. Le professeur Passa cite l’explication de la Cour d’appel de Toulouse : « si un produit ne bénéficie pas de la protection des lois du 14 juillet 1909 ou du 11 mars 1957, admettre que sa seule reproduction qui ne lèse aucun droit privatif serait constitutive d’une faute, aboutirait à créer une protection subsidiaire faisant revivre par un biais excluant la notion fondamentale d’originalité, la protection des lois susvisées »32. Bref, les tribunaux 26. CA Paris, 22 mai 1990, Numéro JurisData : 1990-023057 : D. 1990, inf. rap. p. 175 ; Voir aussi CA Paris Ch. 4, section A, 18 Octobre 2000, no 1998/11731Numéro JurisData : 2000-129037. 27. CA Rouen, 13 janv. 1981 : D. 1983, jurisp. p. 53, note Lucas. 28. Cass. 1re Civ., 5 Mars 2009 Numéro JurisData : No 07-19.734, 07-19.735. 29. Voir la discussion de Jean-Jacques Biolay, JurisClasseur Contrats – Distribution, Fasc. 4140 : Publicité comparative, mars 2010, no. 73. 30. Cass. com., 24 janv. 1972, No 70-11.878, Bull. civ. IV, no 27, p. 25. 31. Cass. Com. 23 mars 2010, no 09-14114, numéro JurisData : 2010-002599. 32. CA Toulouse, 19 oct. 1988, tel que cité par J. PASSA, « Propos dissidents sur la sanction du parasitisme économique », supra, note 15, no 8. Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel 1405 français se contredisent33, les auteurs tergiversent et raffinent les distinctions34. En fait, on le voit, les tribunaux et les auteurs doivent reconstruire de toutes pièces une théorie de l’appropriation intellectuelle, créant de nouvelles conditions de protection et aménageant les exceptions nécessaires. En guise d’illustration et sans prétention à l’exhaustivité, nous donnerons ici trois exemples de justifications admises pour disculper l’emprunt du fruit du travail d’autrui : les juges français ont refusé de réprimer la reprise de l’objet sans originalité particulière35, ou le copiage qui ne comporte pas de risque de confusion, de banalisation ou de dévalorisation36, ou la copie servile qui répond à une « nécessité fonctionnelle »37. Il nous semble que la Cour d’appel du Québec a un peu bâclé le travail en intégrant le parasitisme au droit québécois sans y apporter aucune des nuances nécessaires. Pour avoir adopté la théorie française sans se livrer à un suffisant travail de réflexion sur ses lacunes, ses faiblesses et les conflits possibles avec les particularités du droit québécois, la Cour d’appel ne pourrait-elle se voir reprocher d’avoir agi « en parasite, en se plaçant dans le sillage des auteurs français, en profitant à moindre frais de leurs efforts » ? Ou faudra-t-il aussi créer une exception au parasitisme pour l’emprunt des concepts juridiques ? 33. Par exemple, contrairement à la règle avancée dans les décisions citées ci-dessus, la Cour cassera la décision de la Cour d’appel de Bourges qui, annulant un enregistrement de modèle, avait du même coup rejeté la demande en agissement parasitaire. Cass. Com. 14 décembre 2010, no 10-10951, numéro JurisData : 2010-024029. 34. Ainsi le professeur Le Tourneau propose la nuance suivante : « L’action en parasitisme peut survivre à la disparition de l’action en contrefaçon lorsqu’elle a échoué pour une raison de Droit (et non parce que l’élément matériel de l’infraction faisait défaut), et qu’il existe un risque de confusion » : Philippe le TOURNEAU, JurisClasseur Concurrence – Consommation, Fasc. 228 : Parasitisme – Régime juridique, 10 Janvier 2010, no 25. Voir en ce sens Cass. com., 6 déc. 1984, numéro JurisData : 1984-701956 ; Cass. com., 29 mars 1994 : Bull. civ. 1994 No 3 IV, Bull. civ. 1994 IV No 125 p. 97, JCP G 1994, IV, 187 ; D. 1995, somm. p. 209 ; Cass. Com. 19 janvier 2010, No 08-15216. Pour une opinion similaire, voir Sylviane Durrande, JurisClasseur Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1116 : Objet du droit d’auteur – Droit d’auteur et concurrence déloyale, 01 Septembre 2010, nos 36-37. 35. Cass. Com. 18 Juin 2002, no 00-15.857. 36. Cass. com. 26 mars 2002, no 99-19.416, numéro JurisData 2002-015298. 37. Cass. com. 27 fév. 1990 , no 88-11.182, Bull. Civ. 1990 IV no 52, p. 35, JCP G 1990, IV, 164, JCP E 1990 N 18 I 19824, Gaz. Pal. 1991 No 11-12 Panorama p. 4. Capsule La détermination du degré de similitude entre les marques Christel Lacarrière* 1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1409 2. Faits et procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1410 3. Cadre juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1412 4. Les décisions de la Cour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1413 4.1 Sur la différence de degré de similitude au regard des dispositions de l’article 8 (paragraphe 1 sous b) vs. Paragraphe 5) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1413 4.2 Sur la renommée de la marque antérieure . . . . . . 1414 4.3 Sur l’existence d’une « famille de marques » . . . . . 1415 4.4 Sur le fait que la marque antérieure est verbale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1416 5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1416 © Christel Lacarrière, 2011. * Juriste en propriété intellectuelle au sein de la société Nestlé France. 1407 1. INTRODUCTION La procédure d’opposition a pour but de permettre au propriétaire d’un droit antérieur de faire échec à l’enregistrement d’une marque postérieure qu’il estimerait porter atteinte à ses droits. Généralement fondée sur une ou plusieurs marques antérieures, l’opposition est susceptible d’être reconnue justifiée lorsque la demande contestée est considérée comme identique ou similaire et désigne des produits ou services identiques ou similaires à ceux couverts par la marque antérieure1. L’opposition basée sur une marque antérieure renommée bénéficie, quant à elle, selon les dispositions du Règlement no 40/94, d’une dérogation au principe de spécialité puisqu’il pourra être fait droit à l’opposition quand bien même la demande contestée désignerait des produits ou services différents de ceux couverts par la marque antérieure renommée2. Pour autant, la marque renommée échappe-t-elle aux principes d’appréciation de la similitude entre deux signes ? C’est notamment de l’appréciation du degré de similitude entre les marques que traite la décision rendue le 24 mars 2011 par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), dans une affaire opposant les sociétés SpA Ferrero et Tirol Milch reg.Gen.mbH3. Cette décision aborde, par ailleurs, d’autres aspects de procédure qui ne seront pas étudiés dans cette capsule. 1. Article 8, paragraphes 1 et 2 du Règlement no 40/94. 2. Voir LACARRIÈRE (Christel), « Marques et produits du tabac : quand la nature des produits fait obstacle au bénéfice de la renommée », (2009) 21(1) Cahiers de la Propriété Intellectuelle 231. 3. CJUE, 24 mars 2011 – Ferrero SpA/ OHMI – Tirol Milch reg.Gen.mbH Innsbruck – C-552/09-P. 1409 1410 Les Cahiers de propriété intellectuelle 2. FAITS ET PROCÉDURE La présente affaire trouve son origine le 8 avril 1998, lorsque la société autrichienne Tirol Milch reg. Gen. mbH Innsbruck (ci-après dénommée « Tirol Milch ») dépose la demande de marque communautaire semi-figurative TIMI KINDERJOGHURT désignant en classe 30 les produits : « yaourt, yaourt aux fruits, boissons à base de yaourt, boissons à base de yaourt contenant des fruits, plats préparés et partiellement préparés principalement à base de yaourt ou de produits à base de yaourt, crèmes à base de yaourts » : Suite à la publication de cette demande, la société italienne SpA Ferrero (ci-après dénommée « Ferrero ») forme opposition auprès de l’Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur (OHMI) en date du 14 janvier 1999. Elle base son opposition sur sa marque antérieure italienne, marque verbale, KINDER enregistrée en classe 30 pour les produits suivants : « café, thé, sucre, riz, tapioca, sagou, préparations remplaçant le café ; pain, biscuits, gâtaux, pâte pour gâteaux et confiserie, crèmes glacées comestibles, miel, mélasse, levure et poudre à lever ; sel, moutarde ; poivre, vinaigre, sauces, épices ; glace comestible ; cacao, produits de cacao, à savoir pâte de cacao pour boissons au cacao, pâte au chocolat, couches, notamment couches de chocolat, chocolat, pralinés, décorations en chocolat pour des sapins de noël, produits à base de chocolat fourré à l’alcool, sucreries, confiserie, y compris de la pâte dure et molle pour gâteaux ». La société Ferrero invoque à l’appui de son opposition, d’une part, la similitude existant entre la demande contestée et sa marque antérieure (article 8 paragraphe 1 du Règlement no 40/94) et, d’autre part, la renommée de sa marque antérieure en Italie (article 8 paragraphe 5 dudit Règlement). Dans sa décision du 29 septembre 2000, la division d’opposition de l’OHMI rejette l’oppostion sur le fondement de l’article 8 paragraphe 1, sous b) et 5 du Règlement no40/94 aux motifs que les mar- La détermination du degré de similitude entre les marques 1411 ques en cause ne sont pas similaires visuellement, phonétiquement et conceptuellement et qu’il n’existe en conséquence aucun risque de confusion entre elles. La société Ferrero fait alors appel de cette décision qui se voit confirmée le 3 novembre 2003, par la quatrième chambre de recours de l’OHMI. La demande de marque semi-figurative TIMI KINDERJOGHURT est donc acceptée à l’enregistrement le 20 août 2004. Le 19 août 2005, la société Ferrero, désireuse de faire reconnaître ses droits, introduit cette fois devant la division d’annulation de l’OHMI une demande en nullité de la marque communautaire de la société Tirol Milch. Dans sa décision du 14 mars 2007, la division d’annulation fait droit à la demande de la société Ferrero et prononce la nullité de la marque semi-figurative TIMI KINDERYOGHURT. La société Tirol Milch fait alors appel de cette décision auprès de la chambre des recours de l’OHMI qui annule la décision de la division d’annulation et rejette la demande en nullité de la société Ferrero. Dans sa décision, la chambre a considéré, d’une part, qu’en vertu de la règle « nemo potest venire contra factum proprium » la division d’annulation restait liée par les constatations de la décision finale de la division d’opposition ; d’autre part, que les différences profondes entre les marques sur les plans visuel et phonétique avaient permis de conclure que les marques étaient globalement différentes, et enfin, que la condition d’application de l’article 8, paragraphe 1 sous b) et 5 du règlement no40/94, à savoir l’existence d’une identité ou d’une similitude des signes n’était pas remplie. Le 14 avril 2008, la société Ferrero saisit le Tribunal de Première instance des Communautés Européennes (TPICE) et demande l’annulation de la décision de la chambre de recours. Elle invoque deux moyens à l’appui de son recours : le premier basé sur l’application erronée du principe de l’autorité de la chose jugée et le second basé sur la violation des articles 8 paragraphe 1, sous b), et 5 du règlement no 40/94. 1412 Les Cahiers de propriété intellectuelle Sur le premier moyen, le Tribunal réfute l’argumentation de la chambre de recours selon laquelle les instances de l’OHMI seraient liées par les constatations opérées dans la décision finale rendue dans le cadre de la procédure d’opposition. S’agissant du second moyen, le Tribual considère que les signes en cause ne pouvaient être perçus comme similaires du seul fait qu’ils étaient tous deux composés du terme KINDER, la comparaison des signes en cause ayant mis en évidence des différences importantes aux plans visuel et phonétique. Le Tribunal rejette par conséquent la demande en nullité4. La société Ferrero porte donc, en dernier recours, l’affaire devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. 3. CADRE JURIDIQUE Les dispositions ci-dessous mentionnées sont celles applicables au moment des faits du litige5. Le règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire prévoit : • à l’article 8, paragraphe 1 : « Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement : b) lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services que les deux marques désignent, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée ; le risque de confusion comprend le risque d’association avec la marque antérieure. • à l’article 8, paragraphe 5 : Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure au sens du paragraphe 2, la marque demandée est également refusée à 4. TPICE, 14 octobre 2009, Ferrero SpA-T-140/08 5. Ces dispsoitions ont depuis été abrogées par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009. La détermination du degré de similitude entre les marques 1413 l’enregistrement si elle est identique ou similaire à la marque antérieure et si elle est destinée à être enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque, dans le cas d’une marque communautaire antérieure, elle jouit d’une renommée dans la Communauté et, dans le cas d’une marque nationale antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’État membre concerné et que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait préjudice. La principale question en litige à laquelle la Cour doit répondre est la suivante : quels sont les facteurs pertinents pour apprécier le degré de similitude entre deux signes ? 4. DÉCISIONS DE LA COUR Dans le cadre de son recours, la société Ferrero reproche au Tribunal la violation de l’article 8 paragraphe 1 sous b) et 5 du règlement no40/94 et soutient que le Tribunal a procédé à une « analyse factuelle unique de la similitude » en omettant de prendre en considération « un ensemble d’autres éléments » que sont principalement : – La différence de degré de similitude exigée par le paragraphe 1 sous b) et le paragraphe 5 ; – La renommée de la marque antérieure ; – L’existence d’une famille de marques ; – Le fait que la marque antérieure est verbale. 4.1 Sur la différence de degré de similitude au regard des dispositions de l’article 8 (paragraphe 1 sous b) vs. Paragraphe 5) La société Ferrero reproche au Tribunal de ne pas avoir pris en considération, pour apprécier l’existence d’une similitude, des éléments autres qui varient selon qu’il s’agit des dispositions du paragraphe 1 sous b) ou du paragraphe 5 de l’article 8 du Règlement. 1414 Les Cahiers de propriété intellectuelle La requérante estime en effet que, selon les dispositions du paragraphe 5, la similitude doit être appréciée en tenant compte de la renommée ainsi que des éléments distinctifs et dominants des signes en litige ; tandis que selon les dispositions du paragraphe 1 sous b), la renommée et le caractère distinctif de la marque antérieure permettent d’apprécier le risque de confusion existant entre les signes en cause. À titre préliminaire, la Cour rappelle la condition d’application sine qua non et commune des paragraphes 1 sous b) et 5 de l’article 8 du Règlement à savoir : l’existence d’une similitude entre la marque antérieure et la demande contestée. La Cour rappelle également les éléments permettant d’établir l’existence d’une similitude entre deux signes à savoir : les ressemblances visuelles, phonétiques ou intellectuelles 6. La Cour admet ensuite que le degré de similitude requis dans l’une ou l’autre des dispositions est différent. En effet, les dispositions du paragraphe 1 sous b) exigent qu’en raison d’un tel degré de similitude entre les marques en cause, il existe, pour le public concerné, un risque de confusion ; alors que les dispositions du paragraphe 5 n’exigent pas un tel risque. Ainsi la mise en œuvre de la protection instaurée par les dispostions du paragraphe 5 exige un degré moindre de similitude pour autant que celui-ci soit suffisant et que le public concerné effectue un rapprochement entre lesdites marques, c’est-à-dire établit un lien entre celles-ci7. Néannmoins, la Cour conclut qu’« il ne ressort ni du libellé desdites dispositions ni de la jurisprudence que la similitude entre les marques en conflit devrait être appréciée de manière différente selon qu’elle est effectuée au regard de l’une ou l’autre des dispositions ». 4.2 Sur la renommée de la marque antérieure La société Ferrero reproche ensuite au Tribunal, dans son appréciation de la silimilitude, d’avoir écarté la renommée de la 6. CJCE, 23 octobre 2003, Adidas Salomon et Adidas Benelux – C-408/01. 7. CJCE, 27 novembre 2008, Intel Corporation – C-252/07. La détermination du degré de similitude entre les marques 1415 marque antérieure comme élément permettant de compenser une éventuelle faible similitude des signes. La requérante soutient en effet que la marque antérieure, qui bénéficie d’une renommée a nécessairement acquis un caractère distinctif très fort qui lui permet de palier à une faible similitude. La Cour rejette cette argumentation en confirmant les conclusions du Tribunal selon lesquelles : « la renommée de la marque antérieure et la similitude existant entre les produits des marques litigieuses, même si elles peuvent être prises en considération pour l’appréciation d’un risque de confusion, n’ont aucune incidence sur l’appréciation de la simitude existant entre les signes en cause, de sorte qu’elles ne sont pas en mesure de remettre en question l’absence de similitude ainsi constatée »8. 4.3 Sur l’existence d’une « famille de marques » La requérante reproche également au Tribunal de ne pas avoir pris en considération, pour appécier la similitude entre les signes, l’existence d’une famille de marques. Disposant d’une famille de 36 marques composées du terme KINDER, la requérante estime, en effet, que l’existence d’une famille de marques accroît le risque de confusion. Après avoir rappelé la jurisprudence relative à l’incidence de l’existence d’une « famille » ou « série » de marques sur l’appréciation du risque de confusion entre les signes9, elle répond que l’existence d’une telle famille n’est pas un facteur pertinent dans l’appréciation de la similitude entre une marque antérieure et une demande contestée. La Cour en conclut donc que l’existence d’une famille de marques ne doit pas être prise en considération dans la mesure où celle-ci ne remet nullement en cause l’appréciation de la similitude entre les signes. 8. TPUE, 11 décembre 2008, Gateway – C57/8P. 9. CJCE, 13 septembre 2007, Il Ponte Finanziaria – C-234/06. 1416 Les Cahiers de propriété intellectuelle 4.4 Sur le fait que la marque antérieure est verbale La requérante reproche enfin au Tribunal de n’avoir apprécié la similitude des signes en cause qu’au regard des ressemblances visuelles et phonétiques sans tenir compte du fait que la marque antérieure est une marque verbale. La Cour rappelle que, pour apprécier le degré de similitude entre deux signes, il convient d’analyser leur degré de similitude visuelle, phonétique et intellectuelle. Partant, elle considère que c’est à bon droit que le Tribunal a procédé à l’examen des deux signes en s’intéressant à l’impression d’ensemble produite par les deux signes tant au plan visuel que phonétique et que ce dernier a permis de mettre en évidence que les marques en cause sont globalement différentes. 5. CONCLUSION Dans cet arrêt, la Cour rappelle que le degré de similitude entre deux signes s’apprécie au regard des ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles existantes entre ceux-ci. Elle précise surtout qu’il convient de distinguer les facteurs pertinents pour l’appréciation de la similitude entre deux signes de ceux caractérisant un risque de confusion entre eux. En l’espèce, les signes en cause n’ont pas été considérés comme identiques ou, similaires. La Cour en conclut qu’il n’y a pas lieu de tenir compte d’autres facteurs tels que la renommée ou encore l’existence d’une famille de marques qui ne démontrent qu’un éventuel risque de confusion entre les signes en cause et n’ont pas d’incidence sur l’existence d’une similitude entre les signes. La marque renommée ne saurait déroger aux principes d’appréciation de la similitude entre les signes. Pour la petite histoire, les recours des sociétés Ferrero et Tirol Milch ont mobilisé pendant plus de 10 ans les différentes institutions communautaires (les divisions d’opposition et d’annulation ainsi que les chambres de recours de l’OHMI, puis le Tribunal et enfin la Cour de Justice de l’Union Européenne) pour une marque communautaire qui, in fine, a fait l’objet d’une renonciation volontaire de la part de son titulaire... Capsule Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise après la délivrance d’un brevet : la Cour fédérale d’appel clarifie la portée de l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets A. Sasha Mandy* Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1420 Le jugement de la Cour d’appel fédérale . . . . . . . . . . . . 1421 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1425 © CIPS, 2011. * Avocat et ingénieur junior, A. Sasha Mandy est un membre de ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats, agents de brevets et marques de commerce. 1417 La Cour d’appel fédérale1 a récemment confirmé le jugement de la Cour fédérale du Canada qui a statué que l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets ne peut pas être utilisé pour attaquer la validité d’un brevet après sa délivrance. Cet alinéa se lit comme suit : 73. (1) An application for a patent in Canada shall be deemed to be abandoned if the applicant does not 73. (1) La demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur omet, selon le cas : (a) reply in good faith to any requisition made by an examiner in connection with an examination, within six months after the requisition is made or within any shorter period established by the Commissioner ; [...] a) de répondre de bonne foi, dans le cadre d’un examen, à toute demande de l’examinateur, dans les six mois suivant cette demande ou dans le délai plus court déterminé par le commissaire ; [...] (3) An application deemed to be abandoned under this section shall be reinstated if the applicant (3) Elle peut être rétablie si le demandeur : (a) makes a request for reinstatement to the Commissioner within the prescribed period ; a) présente au commissaire, dans le délai réglementaire, une requête à cet effet ; (b) takes the action that should have been taken in order to avoid the abandonment ; and b) prend les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon ; (c) pays the prescribed fee before the expiration of the prescribed period. c) paie les taxes réglementaires avant l’expiration de la période réglementaire. 1. Corlac Inc. c. Weatherford Canada Inc., 2011 CAF 228 (C.A.F. ; 2011-07-18), les juges Nadon, Evans et Layden-Stevenson. 1419 1420 Les Cahiers de propriété intellectuelle Cette décision est extrêmement importante pour les demandeurs de brevets ainsi que les plaideurs au Canada parce qu’elle met fin à une controverse par rapport à l’obligation de bonne foi qui est attendue des demandeurs au Bureau des brevets canadien pendant la poursuite de leur demande de brevet. Cependant, la décision soulève certaines questions concernant l’applicabilité de l’alinéa 73(1)a) ainsi que sur le test pour évaluer la non-évidence d’un brevet. LES FAITS L’intimé Weatherford a intenté une action devant la Cour fédérale réclamant des dommages résultant d’une contrefaçon alléguée du brevet canadien no. 2,095,937. En réponse et défense, l’appelant Corlac a prétendu inter alia que la demande de brevet, qui est devenue le brevet ‘937, avait été abandonnée pendant sa poursuite à cause du fait que le demandeur n’avait pas répondu de bonne foi à une demande. Par conséquent, le brevet ‘937 n’aurait jamais dû être délivré. La prétention de Corlac a été rejetée par la Cour fédérale et a été reprise devant la Cour d’appel fédérale. Il serait utile de résumer brièvement les faits autour de la poursuite de la demande de brevet afin de comprendre les arguments de Corlac. En mai 1993, Edward Grenke a déposé une demande de brevet qui deviendra le brevet ‘937. La pétition initiale a nommé Grenke et une deuxième personne, Walter Torfs, comme co-inventeurs. Torfs est décédé en novembre de la même année et en 1994, la veuve de Torfs a cédé ses droits au brevet à Grenke. Plus tard en 1994, en réponse à une demande du Bureau des brevets, Grenke a affirmé dans un affidavit qu’il était le seul inventeur et que Torfs n’aurait jamais dû être nommé comme co-inventeur dans la pétition initiale. Grenke est le propriétaire du brevet qui s’est éventuellement vu accorder une licence en faveur de Weatherford. En première instance, le Juge Phelan de la Cour fédérale a statué que la croyance de Grenke à l’effet qu’il était la seule personne à avoir contribué à l’invention n’était pas crédible et que la suppression du nom de Torfs comme co-inventeur par Grenke a été motivée par une croyance que Torfs l’avait empêché d’être nommé à titre d’inventeur pour d’autres brevets. Cependant, le juge n’a pas conclu qu’une allégation importante non-conforme à la vérité a été faite volontairement pour induire en erreur. Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise... 1421 LE JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE La Cour d’appel a tout d’abord déterminé que le jugement de la Cour fédérale devrait être révisé selon la norme de la décision correcte pour les questions de droit, donc que la Cour d’appel est libre de substituer sa propre opinion à celle du juge de première instance. Cependant, pour les questions de faits, la Cour d’appel devra exercer son pouvoir de réserve à moins d’être en présence d’une erreur manifeste. La Cour d’appel a ensuite traité les arguments de Corlac sur l’interprétation des revendications, et sur l’anticipation et l’évidence du brevet ‘937. La Cour d’appel a rejeté l’argument de Corlac selon lequel le juge de première instance n’a pas appliqué l’examen en quatre étapes pour déterminer l’évidence, tel qu’incorporé dans le droit canadien par la Cour suprême du Canada dans la décision de Sanofi2. Dans un passage qui va certainement étonner plusieurs agents de brevets canadiens, surtout ceux qui ont réussi leur examen de validité récemment, la Cour a dit que le test établi dans Sanofi ne devrait pas être obligatoirement suivi : [67] The appellants’ assertion with respect to the « Pozzoli analysis » is overstated. In Sanofi, the Supreme Court stated, « [i]t will be useful in an obviousness inquiry to follow the four-step approach first outlined by Oliver L.J. in Windsurfing International Inc. v. Tabur Marine (Great Britain) Ltd... [and] recently updated by Jacob L.J. in Pozzoli SpA v. BDMO SA » : Sanofi, para. 67 (citations omitted, my emphasis). The Court did not establish a compulsory legal test. To the contrary, its approval of existing jurisprudence warned against adopting an « overly rigid rule that limits the obviousness inquiry ». Rothstein J. explained that « in most matters in which a judge or a jury is called upon to make a factual determination, rigid rules are inappropriate unless mandated by statute » : Sanofi, para. 63. Indeed, the « correctness of a decision upon an issue of obviousness does not depend upon whether or not the decider has paraphrased the words of the Act » or made use of « some particular verbal formula » : Sanofi, para. 61. Rather, an « expansive and flexible approach that would include ‘any secondary considerations that [will] prove instructive’ will be useful » : Sanofi, para. 63. 2. Apotex Inc. c. Sanofi Synthelabo Canada Inc., [2008] 3 R.C.S. 265, par. 67. 1422 Les Cahiers de propriété intellectuelle [68] Although Sanofi identifies and recommends the Pozzoli framework as a helpful tool, failure to explicitly follow the structure does not, in and of itself, constitute an error of law. In oral argument the appellants indicated that the Pozzoli steps need not be expressly addressed if they are considered « in substance. » Here, the judge should be presumed to have understood the purpose of the Pozzoli approach since he specifically referred to Sanofi as having modified the « test » from Beloit Canada Ltée/Ltd. v. Valmet Oy (1986), 64 N.R. 287, 8 C.P.R. (3d) 389 (F.C.A.) (Beloit) : reasons, para. 320. Le test de Sanofi n’est pas obligatoire mais il est un outil utile pour toute analyse de l’évidence. Le défaut de suivre explicitement la structure du test de Sanofi n’est pas en soi une erreur de droit qui est sujet à une révision par la Cour d’appel selon la norme de la décision correcte. La Cour d’appel a conclu que le juge de première instance a suivi en substance le test de Sanofi et que par conséquent, il n’est pas nécessaire de réviser ou revisiter son analyse. Il serait intéressant de voir, dans des cas futurs, si une cour va se fier sur l’analyse explicite en quatre étapes pour déterminer l’évidence, ou si elle va suivre l’analyse « en substance » comme il semble être maintenant permis. Après avoir traité de la crédibilité de Grenke comme témoin ainsi que ses prétentions à l’effet qu’il était le seul inventeur, la Cour d’appel est venue au principal sujet d’intérêt dans ce cas : les déclarations de Grenke prétendument faites pour induire en erreur pendant la poursuite de la demande de brevet. L’alinéa 73(1) a) de la Loi sur les brevets exige d’un demandeur de brevet de répondre de bonne foi à toute demande faite par un Examinateur ou le Bureau des brevets. Le défaut de le faire dans les délais applicables résulterait en l’abandon de la demande de brevet. L’article 53 donne au tribunal le pouvoir d’invalider tout brevet qui résulte d’une fausse allégation importante dans sa pétition qui a été faite pour induire en erreur. Cet article se lit comme suit : 53. (1) A patent is void if any material allegation in the petition of the applicant in respect of the patent is untrue, or if the specification and drawings contain more or less than is necessary for obtaining the end for which they purport to be made, 53. (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu’il n’est nécessaire pour démontrer Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise... 1423 and the omission or addition is wilfully made for the purpose of misleading. ce qu’ils sont censés démontrer, et si l’omission ou l’addition est volontairement faite pour induire en erreur. 2) Where it appears to a court that the omission or addition referred to in subsection (1) was an involuntary error and it is proved that the patentee is entitled to the remainder of his patent, the court shall render a judgment in accordance with the facts, and shall determine the costs, and the patent shall be held valid for that part of the invention described to which the patentee is so found to be entitled. (2) S’il apparaît au tribunal que pareille omission ou addition est le résultat d’une erreur involontaire, et s’il est prouvé que le breveté a droit au reste de son brevet, le tribunal rend jugement selon les faits et statue sur les frais. Le brevet est réputé valide quant à la partie de l’invention décrite à laquelle le breveté est reconnu avoir droit. (3) Two office copies of the judgment renderedunder subsection (1) shall be furnished to the Patent Office by the patentee, one of which shall be registered and remain of record in the Office and the other attached to the patent and made a part of it by a reference thereto. (3) Le breveté transmet au Bureau des brevets deux copies authentiques de ce jugement. Une copie en est enregistrée et conservée dans les archives du Bureau, et l’autre est jointe au brevet et y est incorporée au moyen d’un renvoi. Corlac a prétendu que les motifs questionnables de Grenke pour enlever Torfs comme co-inventeur, ainsi que sa croyance noncrédible qu’il était la seule personne à avoir conçu l’invention, confirment qu’il n’était pas de bonne foi quand il a répondu à la demande du Bureau des brevets. Par conséquent, Corlac n’aurait pas pu contrefaire le brevet ‘937 parce qu’il avait été abandonné. Après avoir interprété l’alinéa 73(1)a) selon la Loi et la jurisprudence applicable, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument de Corlac : « The most fundamental flaw in the appellants’ reasoning is that it fails to differentiate an ‘application for a patent’ from a ‘patent.’ » La Cour a ensuite distingué entre le paragraphe 53(1) et l’alinéa 73(1)a) : [149] In my view, subsection 53(1) of the Act speaks to misrepresentations in relation to patents, that is, issued patents. 1424 Les Cahiers de propriété intellectuelle Paragraph 73(1)(a) speaks to good faith in the prosecution of the patent application. The provisions are mutually exclusive. This interpretation is consistent with the plain meaning of the provision, its context within the Act and Canadian jurisprudence. There is no indication that Parliament intended to alter the existing law that establishes a dichotomy between an application for a patent and a patent. [150] To be clear, the concept of abandonment in paragraph 73(1)(a) operates during the prosecution of the application for a patent. Its operation is extinguished once the patent issues. Dès qu’un brevet est délivré, l’article 73(1)(a) ne peut pas être utilisé pour attaquer sa validité. L’article 53(1) devrait plutôt être utilisé pour des déclarations prétendument frauduleuses faites au Bureau des brevets pendant la poursuite de la demande. La Cour a ajouté que de conclure autrement aurait été illogique : An issued patent would be subject to retroactive scrutiny by the Courts in relation to the submissions made by an applicant to the Patent Office during prosecution (generally many years prior), judged against unknown criteria. It is for the Commissioner to determine whether an applicant’s response to a requisition from an Examiner is made in good faith, not for the Courts. The Courts do not issue patents. La Cour a aussi ajouté que les décisions Lundbeck3 et G. D. Searle4, deux décisions qui sont souvent citées par les plaideurs pour tenter d’invalider un brevet délivré sur la base de l’article 73(1)(a), ne sont pas des autorités sur lesquelles on peut s’appuyer afin d’attaquer la validité d’un brevet sur la base de l’alinéa73(1)a). La Cour d’appel fédérale a par conséquent rejeté l’appel de Corlac, avec frais, et a retourné le dossier à la Cour fédérale pour évaluer les allégations de contrefaçon de la revendication no. 17 (une revendication de procédé). 3. Lundbeck Canada Inc. c. Ratiopharm Inc., 2009 CF 1102. 4. G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., 2007 CF 81 ; infirmé 2007 CAF 173 ; permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée [2007] S.C.C.A. 340. Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise... 1425 CONCLUSION Cette décision va certainement plaire aux agents de brevets et aux détenteurs de brevets parce qu’elle élimine définitivement un des moyens pour attaquer la validité d’un brevet après sa délivrance. Cependant, la décision soulève de nombreuses questions par rapport à l’applicabilité de l’alinéa 73(1)a) dans la poursuite des brevets, soit avant et après la délivrance. Premièrement, la Cour d’appel fédérale a imposé un lourd fardeau sur le Bureau des brevets en exigeant qu’il détermine si un demandeur a répondu à une demande du Bureau de bonne foi. Curieusement, la Cour n’a donné aucun guide ou suggestion sur comment évaluer une telle réponse. En regardant le présent dossier par exemple, l’affidavit de Grenke n’aurait peut-être pas été une déclaration frauduleuse faite dans le but d’induire en erreur, mais est-ce que l’affidavit aurait rencontré le fardeau moins élevé d’une déclaration faite de mauvaise foi ? Si oui, comment serait-il possible pour le Bureau des brevets canadien d’arriver à cette conclusion avec ses pouvoirs très limités d’enquête qui auraient empêché le Bureau d’évaluer les vrais motifs de Grenke. Deuxièmement, la Cour refuse d’évaluer rétroactivement les déclarations et soumissions faites par les demandeurs au Bureau des brevets, mais cette évaluation est la norme lorsqu’on évalue le fondement des arguments qui sont basés sur l’utilité d’un brevet, sa nouveauté, son inventivité, et pour évaluer des déclarations erronées. En effet, dans le présent cas, la Cour a étudié le témoignage de Grenke sur les événements antérieurs lorsqu’elle a évalué la prétention de Corlac que ses déclarations ont été faites pour induire en erreur. Pourquoi la Cour ne pourrait pas faire la même chose pour les arguments basés sur l’alinéa 73(1)a) ? La Cour n’a pas expliqué pourquoi elle ne pourrait pas évaluer un argument basé sur l’alinéa 73(1)a) de la même manière qu’elle évalue tous les autres arguments qui requièrent une évaluation des déclarations antérieures et actes antérieurs faits par le demandeur. Peut-être que l’un des motifs qui a mené la Cour à cette conclusion était le désir d’éviter d’avoir à incorporer dans le droit des brevets canadien la doctrine américaine sur l’« inequitable conduct ». Selon la Cour, cette doctrine exige une démonstration de l’importance de l’erreur et l’intention de tromper, un fardeau qui est assez élevé lorsqu’on le compare à une simple exigence de bonne foi. Cette doctrine est aussi décrite comme la bombe atomique du droit des bre- 1426 Les Cahiers de propriété intellectuelle vets américain et qui s’étend sans cesse. La Cour a raison de craindre une obligation de bonne foi qui est mal définie et basée sur la doctrine américaine d’« inequitable conduct ». Cependant, cette obligation de bonne foi pourrait être restreinte pour invalider uniquement les brevets qui résultent des cas les plus sévères de déclarations faites pour induire en erreur pendant la poursuite d’un brevet, comme c’était d’ailleurs le cas aux États-Unis. En conclusion, même si la Cour a fermé une porte aux attaques basées sur l’alinéa 73(1)a) sur les brevets délivrés, elle en a ouvert plusieurs autres en soulevant plusieurs questions sur l’aspect pratique des enquêtes basées sur l’alinéa 73(1)a) pendant la poursuite du brevet et aussi sur le test pour l’évidence qui était alors considéré comme la loi établie. Il reste encore à voir si le Bureau des brevets sera capable d’effectivement distinguer entre la bonne et la mauvaise foi dans les réponses données par les demandeurs au vu du volume des demandes qu’il gère présentement et à son pouvoir limité d’enquête. Capsule Analyse du règlement Google Books et son rejet par un tribunal de New York James Plotkin* 1. Le projet de bibliothèque numérique Google Books et le recours collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1429 2. Le projet de règlement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1430 3. Rejet du projet de règlement par la Cour de district du sud de New York . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1432 4. Un avenir incertain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1435 © James Plotkin et Mistrale Goudreau, 2011. * L’auteur, musicien et journaliste pigiste, est étudiant à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Texte publié en anglais le 2011-07-31 sous le titre « Analysis of the Google Books settlement and its judicial rejection » à The Mark <http:// jamesplotkin.blogspot.com/2011/07/analysis-of-google-books-settlement-and. html>. Traduction en français par Mistrale Goudreau, professeure titulaire à la Faculté de droit (section de droit civil) de l’université d’Ottawa. 1427 1. LE PROJET DE BIBLIOTHÈQUE NUMÉRIQUE GOOGLE BOOKS ET LE RECOURS COLLECTIF En 2004, Google a conçu le projet gigantesque de numériser un nombre colossal de livres. En collaboration avec quatre bibliothèques universitaires et une bibliothèque publique, Google a commencé à scanner et à cataloguer des millions de livres et de volumes. Dans la décision où il rejette le projet de règlement, le juge évalue le nombre de livres scannés à 12 millions (quoiqu’une estimation récente avance plutôt un chiffre de près de 15 millions). En vertu de l’entente proposée, Google aurait donné aux bibliothèques une copie numérique de leur propre répertoire et aurait créé un catalogue principal qui aurait constitué le premier Corpus de Google Books. Fidèle au modèle d’affaire caractéristique de Google, ce Corpus aurait été équipé d’un moteur de recherche accessible au public. Pour les œuvres protégées par le droit d’auteur, les internautes n’auraient pu voir que des bribes du livre contenant le texte recherché. Pour les œuvres du domaine public, l’œuvre entière aurait été affichable. Pour un observateur objectif, la situation semblait profitable à tous. Google pouvait faire augmenter sa valeur tout en s’engageant dans une entreprise louable ; le public profitait de la mise à sa disposition d’un patrimoine culturel et documentaire qui aurait été autrement perdu ou inaccessible ; les personnes atteintes de déficience visuelle auraient pu soudainement consulter des millions d’œuvres dont l’accès leur avait toujours été refusé ; les auteurs de livres imprimés auraient bénéficié des puissants algorithmes de recherche de Google pour atteindre des marchés inexploités et inciter les lecteurs à acheter leurs livres (une fois les lecteurs mis en appétit par la lecture de l’extrait trouvé par le moteur de recherche) ; finalement les auteurs de livres aux éditions épuisées auraient pu à nouveau encaisser des gains pour un matériel qui jusqu’à présent demeurait non disponible. En fait, il semblait que le projet Google Books allait rapprocher l’humanité du Shangri-La et du merveilleux « savoir libre ». Tous n’ont pas vu les choses de cette manière. 1429 1430 Les Cahiers de propriété intellectuelle En septembre 2005, deux poursuites ont été intentées contre Google : l’une, sous la forme d’un recours collectif, a été déclenchée par la Authors Guild (Authors Guild v. Google) et l’autre par cinq éditeurs importants (McGraw Hill v. Google). Les éditeurs se sont finalement joints au recours collectif. Les titulaires de droit alléguaient des « violations massives de droit d’auteur » par Google. Google rétorquait que ses activités étaient couvertes par la doctrine du « fair use »1. Alors que les œuvres du domaine public devaient être rendues disponibles en totalité, seules des bribes des œuvres protégées par le droit d’auteur devaient pouvoir être visionnées gratuitement. De plus, Google avait expressément garanti que le service Google Book serait exempt de toute réclame publicitaire, de sorte que nul ne pourrait prétendre qu’il se livrait à des activités commerciales, de telles activités compromettant normalement les chances de plaider avec succès une défense de « fair use »2. Jusqu’à présent, les deux antagonistes ont maintenu leurs positions sur cette question de contrefaçon/fair use, bien que le tout ait cessé d’être pertinent (dans cette affaire en tout cas). Le 28 octobre 2009, une entente est intervenue entre les parties. 2. LE PROJET DE RÈGLEMENT L’entente a pris la forme d’un document imposant de 166 pages3, avec annexes, détaillant les droits et obligations de Google et 1. Le « fair use » est un concept utilisé par la loi américaine de droit d’auteur, qui réfère à une liste non exhaustive d’usages d’une œuvre qui ne constituent pas des violations du droit d’auteur parce qu’on les considère comme des utilisations raisonnables de l’œuvre originale. Il existe en droit canadien un concept similaire mais non identique, connu sous le nom d’ « utilisation équitable ». Ces notions ne doivent pas être considérées comme de simples défenses, mais plutôt comme des parties intégrantes du régime du droit d’auteur qui limitent la portée des droits exclusifs accordés aux titulaires de droit. Voir la déclaration de la juge en chef McLachlin dans la décision de la Cour suprême du Canada CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, par. 48 : « il est peut-être plus juste de considérer cette exception [de l’utilisation équitable] comme une partie intégrante de la Loi sur le droit d’auteur plutôt que comme un simple moyen de défense ». 2. Le but et la nature de l’utilisation est l’un des facteurs à prendre en considération dans l’analyse du « fair use ». Il est difficile de plaider avec succès une défense de fair use si l’utilisation faite par le défendeur lui est très profitable. Cependant l’utilisation commerciale d’une œuvre n’est pas automatiquement exclue du « fair use ». La Cour suprême américaine a même indiqué que ce facteur n’est pas le plus important des facteurs à considérer. 3. Voir la page web <http://books.google.com/googlebooks/agreement/press.html>. Analyse du règlement Google Books et son rejet... 1431 des demandeurs4. L’entente devait originellement couvrir tous les auteurs (incluant leurs héritiers, représentants et ayants droit) et tous les éditeurs ayant un intérêt dans un droit d’auteur américain au 5 janvier 2009 (la portée de l’entente a subséquemment été modifiée – voir la section Droit international ci-dessous). Google devait aussi tenir un « Registre des droits des livres », sur lequel les titulaires de droit pouvaient s’inscrire pour recevoir des redevances pour leurs œuvres incluses dans le Corpus. Google s’engageait à verser 34,5 millions US $ pour la mise sur pied et la tenue du Registre. De plus, Google devait verser 45 millions US $ dans un fonds de règlement pour indemniser les titulaires dont les œuvres avaient, au 5 mai 2009, déjà été numérisées sans autorisation par Google. En réalité, le règlement exigeait que chaque auteur ayant présenté une réclamation soit payé à même le fonds, le 45 millions US $ n’étant que la somme de départ. Toutes les réclamations étaient payables par Google et si le montant global des réclamations demeurait inférieur au 45 millions US $, le reliquat devait être partagé entre les titulaires au lieu d’être retourné à Google. En plus de ces « sanctions », l’entente donnait à Google des droits étendus. Le projet de règlement en énumérait cinq : 1. Google devait continuer à accroître le Corpus en numérisant d’autres livres et en les intégrant. 2. Google pouvait offrir des souscriptions pour l’accès au Corpus (par exemple des souscriptions institutionnelles comme celles offertes aux universités). 3. Google pouvait vendre des droits d’accès à des livres déterminés à des utilisateurs par le biais d’un magasin virtuel. 4. Google pouvait vendre des espaces publicitaires sur des pages de livres. 5. Autres usages déterminés. 4. Google a mis la dernière version de l’entente et une Foire aux questions (FAQ) en ligne : <http://books.google.com/googlebooks/agreement/press.html>. 1432 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le projet d’entente prévoyait expressément que ces droits étaient non exclusifs et pouvaient faire l’objet de licences accordées par les détenteurs de droit à toute autre personne, y compris aux concurrents directs de Google. Google devait partager les revenus tirés de ces utilisations, accordant jusqu’à 63 % de ceux-ci aux détenteurs de droit pour les œuvres publiées avant le 5 janvier 2009. Pour les œuvres postérieures, Google devait restituer plus de 70 % des revenus de toutes les ventes (souscriptions et paiements à l’utilisation) et les revenus de publicité tirés du Corpus – moins une déduction de 10 % pour les frais d’opération de Google. Le projet de règlement comportait une distinction importante entre deux classes de livres du Corpus : les livres imprimés et les livres aux éditions épuisées. Les livres imprimés sont ceux encore vendus dans le commerce. Par opposition, les livres aux éditions épuisées ne sont plus produits et ne sont pas disponibles sur le marché. Une question intéressante se pose lorsqu’un éditeur offre des versions numériques en ligne de livres dont les versions papier ne sont plus en vente. Est-ce encore un livre sous impression ? Il est disponible mais seulement en version numérique. Il est intéressant de noter que le projet d’entente prévoyait que les frais payables aux avocats représentant le groupe des demandeurs s’élevaient à 45,5 millions US $. Bien que cet élément soit étranger au nœud du litige, il est quelque peu déconcertant de constater que les avocats dont les services ont été retenus pour l’action ont reçu plus que la somme fixée pour mettre sur pied et maintenir le registre des auteurs qui, aux dires de certains, vise près de 15 millions de livres et augmente sans cesse. 3. REJET DU PROJET DE RÈGLEMENT PAR LA COUR DE DISTRICT DU SUD DE NEW YORK Le 22 mars 2011, le juge Chin de la Cour de district du sud de New York a rejeté le projet de règlement qui avait pourtant reçu une approbation préliminaire cinq mois plus tôt5. Le juge Chin est en désaccord avec le juge John E. Sprizzo quant au caractère raisonnable du règlement proposé. Il faut toutefois noter que le juge Chin a 5. Le texte complet de la décision est disponible en ligne <http://www.openbookalliance.org/wp-content/uploads/2011/03/JudgeChinGBSCourtOrder.pdf>. Analyse du règlement Google Books et son rejet... 1433 eu l’avantage de lire les centaines de mémoires d’opposition qui ont été déposés à la cour entre la décision préliminaire et sa décision. Avant de préciser ses motifs pour rejeter le règlement, le juge Chin a admis deux facteurs qui pesaient en faveur de l’approbation du projet. En premier lieu, il a souligné que la négociation entre les parties avait eu lieu sans lien de dépendance, entre des conseillers compétents et expérimentés, avec la collaboration du Département de la Justice (DOJ -Department Of Justice). En second lieu, il a, avec raison, signalé qu’un procès entier (avec l’inévitable processus d’appel) serait long et excessivement coûteux. Cela étant dit, le juge Chin a énoncé une série de motifs valables pour rejeter l’entente : • Une représentation inadéquate des membres du groupe : Le groupe des demandeurs est dans ce cas-ci extrêmement large. Google a envoyé 1,26 millions d’avis dans 36 langues aux détenteurs de droit d’auteur ainsi qu’aux éditeurs et aux sociétés de gestion de droit d’auteur. Par ailleurs, tous ne publient pas pour les mêmes raisons. Ainsi, les universitaires et les chercheurs publient pour des considérations différentes de celles des écrivains dans le marché de l’édition. Pourtant les deux sont traités sur le même pied dans le groupe représenté. On peut même raisonnablement prétendre que les éditeurs ont des intérêts à défendre différents de ceux des auteurs et des sociétés de gestion. • Empiétement du tribunal sur les pouvoirs du Congrès : en vertu de l’entente proposée, Google aurait obtenu les droits sur toutes les œuvres orphelines6 sans aucune autorisation préalable (un titulaire de droit ne peut réagir qu’après le fait et produire sa réclamation). Le juge Chin a pris note de la décision Sony Corp. Of America v. Universal City Studios Inc.7 dans laquelle la Cour suprême a indiqué qu’il revient au Congrès de suivre les avancées technologiques et de veiller à leurs effets sur le droit d’auteur. Il a aussi cité la décision Eldred v. Ashcroft8 où la Cour suprême 6. Une œuvre orpheline est une œuvre encore protégée par le droit d’auteur dont le titulaire est inconnu ou introuvable. Si une personne utilise une œuvre orpheline sans libérer les droits, elle risque de voir le titulaire des droits surgir brusquement de nulle part et lui intenter une action en contrefaçon. 7. 464 U.S. 417 (1984). Voir le texte complet de la décision en ligne : <http://supreme. justia.com/us/464/417/case.html>. 8. 537 U.S. 186 (2003). Voir le texte complet de la décision en ligne : <http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?court=US&vol=000&invol=01-618>. 1434 Les Cahiers de propriété intellectuelle déclare : « It is generally for Congress, not the courts, to decide how best to pursue the Copyright Clause’s objectives ». • Google ne devrait pas être autorisée à prendre un « raccourci » : au lieu de s’engager dans un processus long et laborieux, aux coûts prohibitifs, pour retracer les titulaires et obtenir des licences, Google a décidé d’adopter la politique du raccourci « poursuis-moi ». En violant le droit d’auteur à grande échelle, il espère s’épargner le temps et les coûts associés au scénario de la recherche des autorisations nécessaires. Ironiquement, sept ans plus tard, avec des millions d’heures payables en honoraires professionnels, il n’y a toujours pas de conclusion à l’action, ni de règlement. Comme l’a expliqué avec éloquence la professeure Pamela Samuelson de la Stanford Law School, « [we]’re giving Google a blank check to essentially engage in activity that would be considered clearly infringing activity but for the settlement ». • Des préoccupations au niveau du droit de la concurrence : l’entente proposée aurait eu l’effet de donner à Google un monopole sur toutes les œuvres orphelines. Cela aurait signifié que toute institution ou concurrent qui aurait voulu faire une offre ou utiliser n’importe laquelle des millions d’œuvres orphelines du Corpus n’aurait pu le faire sans payer des redevances à Google. Pis, Google aurait pu à sa guise refuser d’octroyer une licence à quiconque. C’est précisément le type de comportement que le droit de la concurrence est censé prévenir – les agissements anticoncurrentiels et monopolistiques. C’est porter l’insulte à son comble que d’approuver un règlement hors cour aux effets encore plus anticoncurrentiels que la pratique qui a été à la source de l’action en justice. En plus, il n’y a pas, en droit de la concurrence, de défense de « fair use » derrière laquelle Google aurait pu se cacher. • Des préoccupations quant à la vie privée : personne n’est passé plus maître de la collecte de données que Google. Sa collecte des données personnelles allait-elle s’étendre aux livres que les gens lisent ? Non seulement Google aurait su ce que vous lisez et quand, mais il aurait su combien de pages, quelles pages et combien de temps vous avez lu. Ce ne sont pas les genres de données que les gens veulent voir compiler et leur collecte aurait été clairement une violation de la vie privée. Il est aussi à craindre que cette information soit requisitionnée par les autorités gouvernementales en vertu du vieil Electronic Communications Privacy Act (ECPA). Si le projet Google Books est mis sur pied, ne soyez pas Analyse du règlement Google Books et son rejet... 1435 surpris que le F.B.I ou le Department of Homeland Security forcent Google à transmettre les données sur les habitudes de lecture de certains souscripteurs9. Les forces de l’ordre sont équipées comme jamais auparavant de techniques facilement accessibles pour envahir la vie privée des citoyens (surveillance des courriels, profilage des internautes et même collecte des données de géolocalisation des appels téléphoniques). Les données sur les habitudes de lecture des souscripteurs n’auraient été qu’un outil de surveillance de plus. Le juge Chin dit avoir conscience des aspects inquiétants de l’entente à cet égard, mais il indique qu’il ne croit pas qu’ils soient suffisants pour rejeter l’entente. • Les aspects de droit international : au départ, l’entente était libellée de façon à couvrir tous les livres visés par un intérêt de droit d’auteur américain. Cela aurait compris quasiment tous les livres publiés dans le monde. Les États-Unis sont membres de la Convention de Berne, ce qui signifie que les États-Unis doivent, pour tous les auteurs étrangers dont le pays d’origine est membre de la Convention de Berne, offrir une protection égale à la protection nationale. Suite aux oppositions exprimées à cet égard, la portée de l’entente a été restreinte de manière à exclure toutes les œuvres non américaines qui ne seraient pas nommément enregistrées auprès du Bureau américain du droit d’auteur. Cependant, les œuvres canadiennes, britanniques et australiennes demeuraient couvertes par le Règlement, indépendamment de leur enregistrement auprès du Bureau américain. En dépit de cette modification, le juge Chin a estimé que les préoccupations exprimées par les opposants étrangers fournissaient un motif supplémentaire pour préférer référer la question au Congrès. 4. UN AVENIR INCERTAIN Avec le rejet de l’entente, c’est le retour à la case départ pour les parties. Bien que l’opposition au règlement projeté ait été impressionnante, il n’est pas certain que le projet sera abandonné entièrement. Le juge a émis l’opinion que ce type de règlement relevait du Congrès et non des tribunaux. La question se pose : est-ce que le Congrès pourra faire mieux ? Il existe plusieurs opinions nuancées à ce 9. Pour plus d’informations sur la Electronic Communications Privacy Act et ses répercussions sur la vie privée des internautes, voir <http://jamesplotkin.blogspot.com/2011/07/digital-due-process-bid-to-modify-ecpa.html>. 1436 Les Cahiers de propriété intellectuelle sujet. Mais que l’on croie ou non que le Congrès pourra faire mieux, on peut avancer qu’en fait, c’est son devoir d’agir. L’Article 1, Section 8, Clause 8, de la Constitution américaine donne au Congrès le pouvoir de promouvoir « the Progress of Science and useful Arts, by securing for limited Times to Authors and Inventors the exclusive Right to their respective Writings and Discoveries »10. Le projet de règlement avait des conséquences majeures pour une catégorie entière d’œuvres soumises au Copyright Act, soit les œuvres orphelines. Ce fait en soi devrait inciter le Congrès à agir, plutôt que d’attendre une solution judiciaire. À première vue, le règlement ne semble pas cadrer avec le mécanisme du recours collectif. En général, un recours collectif est intenté pour compenser les victimes ayant subi des dommages causés par les défendeurs. Bien que le règlement proposé ici comportait des aspects de réparation des dommages, il mettait en place un régime permanent de licences et de paiement de redevances, affectant des millions de personnes qui, selon certains, n’étaient pas adéquatement représentées par ceux qui avaient été désignés pour agir au nom du groupe. Lors d’un débat à la Faculté de droit de l’University of Richmond11, le professeur James Grimmelmann de la New York Law School a fait une analogie particulièrement éclairante. Imaginez, dit-il, qu’il y a cinq ans, BP commence ses opérations de forage dans le Golfe du Mexique et un accident provoque une fuite de quelques centaines de gallons de pétrole. Un recours collectif est intenté contre BP au nom de tous les résidents des États du Golfe pour obtenir une compensation. Après avoir négocié, les parties arrivent à un arrangement. Au lieu de procéder de façon fragmentaire par une série de recours, on va régler le tout d’une manière globale en créant un régime d’indemnisation. BP va constituer un fonds garanti pour payer tous les dommages découlant à l’avenir de leurs fuites de pétrole dans le Golfe. On va créer une procédure de paiement accéléré, facile, avec peu d’éléments à prouver. Au lieu de poursuivre BP, les gens pourront réclamer de ce fonds et BP, afin de s’assurer de cou- 10. Le texte est disponible en ligne <http://www.house.gov/house/Constitution/Constitution.html>. 11. Le vidéo du débat est disponible en ligne <:http://www.youtube.com/watch?v= uWd2O6jNJZY>. Analyse du règlement Google Books et son rejet... 1437 vrir toutes les réclamations futures, accepte de verser 500 millions de dollars. Cela sera sûrement suffisant pour couvrir tous les dommages possibles. Le règlement est signé, approuvé et le régime d’indemnisation est mis en place. Maintenant avançons dans le temps jusqu’aux évènements de l’an dernier, pensons au déversement de pétrole sans précédent qui a eu lieu, et on voit tout de suite comment le fonds d’indemnisation était clairement une solution inadéquate12. Ce scénario illustre exactement les défauts de ce type de règlement qui se projette dans le temps. La professeure Pamela Samuelson du Berkeley Law School & School of Information soulève aussi un point intéressant quant aux conséquences futures de l’entente sur le Corpus lui-même. Que se passera-t-il si, dans 10, 15 ou 20 ans, Google ferme, ou fait faillite, ou autrement disparaît ? Nous serons tous devenus si dépendants de Google Books que sa disparition sera tout à fait inacceptable. Ce service, qui constitue en réalité un bien public, doit être protégé. C’est une situation du genre « too big to fail » devant laquelle le gouvernement n’aura peut-être pas d’autre choix que d’intervenir. Google a aussi le droit de vendre le Corpus à n’importe qui. Certains craignent que Google, étant la seule source pour une large part du Corpus, n’ait carte blanche pour s’embarquer dans une « flambée des prix ». Même si nous présumons que Google n’abusera pas de ses droits, qui peut dire qu’un successeur ne le fera pas ? Comme le suggère la professeure Samuelson, ceux qui n’ont pas peur aujourd’hui d’une augmentation drastique des prix par Google réévalueront peut-être leur position si la banque de données est vendue plus tard. Cette saga a débuté lorsque Google a tenté de faire ce que Google fait de mieux : cataloguer et indexer des données en y jumelant un moteur de recherche. Elle a donné naissance à une des causes les plus significatives et importantes de l’histoire du droit d’auteur. Pendant que les experts poursuivent leurs débats sur les issues possibles ou souhaitables du litige, les personnes concernées par la propriété littéraire partout dans le monde continuent de surveiller attentivement la lente évolution de la situation. 12. Ibid. Capsule Il existe maintenant un domaine .xxx pour les sites pornographiques, mais on ne sait trop qui le voulait et pourquoi James Plotkin* Le suffixe .xxx, tant attendu, est arrivé. Casting.xxx est devenu le premier site pornographique à utiliser un nom de domaine avec le polémique suffixe .xxx1. .xxx est un domaine de premier niveau parrainé, ce qui signifie que, contrairement aux noms de domaine générique, comme les .com, .net ou .org, il requiert un parrainage par une organisation représentant une communauté ou une industrie déterminée. On peut citer comme exemples d’extensions parrainées existantes le « .museum » (parrainé par la Museum Domain Management Association) ou le « .travel » (parrainé par la Tralliance Corporation). .xxx est, lui, sous le parrainage de l’International Foundation for Online Responsibility. © James Plotkin et Mistrale Goudreau. * L’auteur, musicien et journaliste pigiste, est étudiant à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Texte publié en anglais le 2011-06-01 sous le titre « Master of My XXX Domain – There will soon be a .xxx domain for porn, but it’s not clear who wants it, or why » à The Mark <http://www.themarknews.com/articles/5383master-of-my-xxx-domain?page=1>. Traduction en français par Mistrale Goudreau, professeure titulaire à la Faculté de droit (section de droit civil) de l’université d’Ottawa. 1. Voir <http://domainincite.com/the-first-xxx-porn-site-has-gone-live/>. Sur l’approbation par l’ICANN, consulter l’article de Jacqui Cheng, ICANN Approves .XXX Red-Light District For The Internet, March 19, 2011, <http://www.wired.com/epicenter/2011/03/icann-approves-xxx/>. 1439 1440 Les Cahiers de propriété intellectuelle L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers – en français, la Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet – (ICANN) avait donné son approbation provisoire au nom de domaine controversé dès 2005. Mais, même avant cela, l’extension pornographique avait rencontré de vives oppositions, tant des groupes religieux et des milieux de droite, que – de façon surprenante – de l’industrie pornographique. Celle-ci estimait que l’extension pourrait mener à un exercice plus facile de la censure par les moteurs de recherche. Elle craignait aussi que tout le battage entourant la création du domaine .xxx n’attire une attention législative indésirable du congrès américain ou d’autres parlements. Le Governmental Advisory Committee – en français le comité consultatif des gouvernements – de l’ICANN (GAC), qui a reçu les rapports des gouvernements sur les noms de domaine, a aussi manifesté son opposition. Dans l’un des mémoires soumis à l’ICANN concernant le processus d’approbation, le comité a fait allusion au fait que cette décision pourrait amener des gouvernements à prendre des mesures pour interdire l’accès à ce domaine. Cela n’a toutefois pas empêché l’ICANN de finalement approuver la demande présentée par le ICM Registry LLC (le registraire qui gère le domaine .xxx). Le tout offre un panorama intrigant. Les opposants du .xxx ne sont pas seulement les suspects habituels, soit les groupes religieux et conservateurs. L’industrie pornographique elle-même est, en large partie, contre l’extension. Alors pourquoi l’ICANN est-elle allée de l’avant, malgré le désaccord de la communauté pour laquelle le suffixe était conçu ? Il semble que l’ICANN avait l’impression que la demande de ICM Registry LLC répondait à chacune des préoccupations exprimées dans le communiqué du comité consultatif des gouvernements, notamment en incluant un engagement à prendre les mesures appropriées pour restreindre l’accès aux contenus illégaux ou offensants, et en garantissant la protection de la propriété intellectuelle, des marques de commerce, des noms personnels et des noms de pays. Le conseil de l’ICANN a fourni par écrit les motifs de sa décision2. L’ICANN n’a pas non plus hésité à invoquer le vaste pouvoir discrétionnaire que lui a conféré le California Corporations Code. 2. <http://www.icann.org/en/minutes/draft-icm-rationale-18mar11-en.pdf>. Il existe maintenant un domaine .xxx 1441 Selon l’article 309 du code, le directeur d’une corporation a l’obligation d’agir [I]n good faith, in a manner such director believes to be in the best interests of the corporation and its shareholders and with such care, including reasonable inquiry, as an ordinarily prudent person in a like position would use under similar circumstances. Le conseil de l’ICANN estime que sa décision est conforme à la norme législative et que, jusqu’à contestation, elle doit être présumée légitime. D’ailleurs le code a imposé un fardeau plutôt lourd à celui qui conteste une décision, car ce dernier doit prouver mauvaise foi de la part du Conseil, ce qui n’est pas une mince affaire. C’est une preuve plus difficile à faire que de simplement démontrer que la décision du conseil n’est pas celle qu’une personne raisonnable aurait prise dans les mêmes circonstances. Des arguments se font fortement entendre pour et contre la création de l’extension .xxx et la question de ce qui est le « meilleur intérêt » dans la circonstance est passionnément débattue. En soi, ce fait rend la décision de l’ICANN (hormis un cas de mauvaise foi) incontestable au regard de la loi. En ce qui concerne la divergence d’opinion exprimée par l’industrie du divertissement adulte, l’ICANN a choisi d’en référer à la décision de 2005 de son Independent Review Panel, – panel indépendant de révision – (IRP), indiquant qu’il n’entendait pas revenir sur une décision déjà rendue. On peut peut-être voir là un exercice du « pouvoir discrétionnaire » de l’ICANN, mais la réponse demeure peu convaincante, compte tenu des circonstances. En dernier lieu, qu’advient-il des entreprises et titulaires de marques de commerce, qui opèrent en dehors de l’industrie du divertissement adulte et qui veulent empêcher l’enregistrement de leur marque avec un suffixe .xxx ? On comprendra, par exemple, qu’une compagnie comme Disney, pour des raisons évidentes, veuille bloquer tout enregistrement du nom de domaine www.disney.xxx. Pour régler ce problème, le ICM Registry a mis en place une procédure de protection pré-lancement appelée « Sunrise B »3. En 3. Voir les informations sur le site du ICM <http://www.icmregistry.com/launch. php>. 1442 Les Cahiers de propriété intellectuelle septembre 2011, les propriétaires de marques ont eu la possibilité de retirer de façon préventive leur marque (moyennant des droits de 200 $US à 300 $US), se protégeant ainsi d’un enregistrement avec le suffixe .xxx . ICANN admet qu’une telle décision comporte des avantages et des inconvénients. Selon elle, dans ce cas-ci, il est clair que les avantages l’emporteront sur les inconvénients et que les aspects négatifs préoccuperont surtout ceux qui, de toute façon, ont toujours été opposés à l’extension pornographique. La position de l’ICANN est qu’attendre l’unanimité dans la communauté est irréaliste et constituerait une entrave au progrès, un argument qui, somme toute, n’est pas particulièrement convaincant. Il sera intéressant de voir comment la situation évoluera. Les prochaines années nous diront si le programme « Sunrise B » a réussi à endiguer le flot de litiges prédit par les propriétaires de marques de commerce. Les États iront-ils jusqu’à proscrire ou restreindre législativement l’accès au domaine .xxx ? Une chose est certaine : Internet vient de changer d’apparence en perdant officiellement beaucoup de sa belle image, mais il est vrai que, .xxx ou pas, le contenu « adulte » y était déjà de toute façon envahissant. Compte rendu La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle* Camille Rideau** 1. LE RÈGLEMENT DES LITIGES À L’ÉCHELLE INTERNATIONALE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1446 1.1 Les modes judiciaires de règlement des différends. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1446 1.2 La mise en place de solutions extrajudiciaires . . . . 1448 2. VERS UNE SPÉCIALISATION DES TRIBUNAUX EN EUROPE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1451 2.1 L’Europe de la propriété industrielle . . . . . . . . . 1451 2.2 L’exemple d’un État confédéral : la Suisse . . . . . . 1452 © CIPS, 2011. * WERRA (Jacques de) éd., La résolution des litiges de propriété intellectuelle / Resolution of Intellectual Property Disputes, collection p®opriété intelle©tuelle – intellec©tual p®operty, (Genève: Schulthess Médias Juridiques, 2010), 194 pages. ISBN 978-3-7255-6154-4. ** En stage de formation professionnelle chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce. 1443 Cet ouvrage est le second volume de la série d’ouvrages Propriété intelectuelle-Intellectual Property de la Faculté de droit de l’Université de Genève. Ce livre rassemble la contribution de différents auteurs venus d’horizons et de pays différents rassemblés lors de la journée de droit de la propriété intellectuelle qui a eu lieu le 8 février 2010 sur le thème « La résolution des litiges de propriété intellectuelle/The resolution of Intellectual Property disputes ». Une fois n’est pas coutume, ce recueil d’articles est entièrement consacré aux modes de résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle et n’aborde aucunement le droit matériel de la propriété intellectuelle. Ce qui compte et intéressera le lecteur c’est avant tout le point de vue de praticiens reconnus du droit sur les différents modes de résolution des différends et leur évolution. Si l’on ne peut espérer à la fin de la lecture obtenir le remède miracle quant au mode de règlement le plus adéquat, les différents articles offrent un panorama précis et détaillé des solutions ouvertes pour le titulaire du droit désirant le faire respecter. La propriété intellectuelle a cependant cette particularité qu’elle regroupe en son sein un ensemble de droits qui, s’ils ont en commun une origine similaire c’est-à-dire la protection du travail de l’esprit, sont mis en œuvre de façon totalement différente. Brevets, marques, dessins et modèles, obtentions végétales, droits d’auteur ou encore noms de domaine sont autant de droits que de protections à adapter. Ces droits dits immatériels ont, ainsi que le soutient l’auteur Treppoz, un caractère international intrinsèque dû à leur don d’ubiquité inhérent. Ce caractère est d’autant plus fort aujourd’hui avec Internet qui permet de dépasser les frontières. L’internationalité des droits de propriété intellectuelle est un aspect prédominant dans cet ouvrage. Dès le 19e siècle, il avait été compris que la protection industrielle dans un premier temps (Con1445 1446 Les Cahiers de propriété intellectuelle vention de Paris pour la protection de la propriété industrielle en 1883) puis intellectuelle dans un second temps (Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques en 1886) devait recevoir une protection plus étendue que la protection nationale. Cependant les réponses apportées par ces deux conventions majeures ont eu un impact tout au plus très limité quant au sujet qui a préoccupé les auteurs de cet ouvrage et qui était de présenter un éventail des réponses apportées à différents niveaux (International, régional et national) en fonction des différents droits que la propriété intellectuelle recouvre. 1. LE RÈGLEMENT DES LITIGES À L’ÉCHELLE INTERNATIONALE 1.1 Les modes judiciaires de règlement des différends Les droits de propriété intellectuelle ont vocation à être mis en œuvre sur un territoire le plus vaste possible. Dans le début des années 90, afin de pallier aux insuffisances du mécanisme mis en place par l’OMPI, les ADPICs furent adoptés avec notamment pour objectif de faciliter le règlement des différends en utilisant le système déjà connu de l’OMC (l’ORD : Organisme de règlement des différents). Environ 15 ans plus tard, Joost Pauwelyn dans son article « The dog that barked but didn’t bite : 15 years of intellectual property disputes at the WTO » nous offre une vue d’ensemble des années d’existence des ADPICs et de son système de règlement des différends. L’objectif de cet article est, après une analyse minutieuse des cas présentés devant les panels, de savoir si cet objectif a été atteint. A première vue son opinion semble être plutôt négative (très peu de cas présentés, principalement dans les premières années et dont la plupart se sont conclus par un accord mutuel) cependant son analyse le conduit à dresser un bilan final plutôt positif du traité. En effet, lors de leur adoption les accords avaient soulevé un vent de critiques aiguisées mais quinze ans plus tard on peut constater qu’il n’y a pas eu de raz de marée pro propriété intellectuelle, que la grande majorité des litiges n’a pas opposé les pays du Nord aux pays du Sud et que les « enfants terribles » de la propriété intellectuelle (la Chine et l’Inde) n’ont pas posé de difficulté puisque ce sont finalement les seuls États-Unis qui n’ont pas mis en œuvre les décisions. Finalement, les ADPICs se révèlent être l’instrument adéquat au service des États car ce sont les seuls à engager les poursuites et seules les lois sont en cause non pas les comportements des pouvoirs. La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle 1447 On se retrouve dans une situation complexe d’un système utile pour les États mais devant assurer le respect de droit privé. Ainsi, aucune réparation n’est accordée à la victime de la nuisance qui pourra tout au mieux espérer un changement de législation l’affectant de façon relativement éloignée. Les États limitent donc au maximum les litiges dont l’issue peut les obliger à adopter des mesures contraignantes (mise en place d’institutions, de procédures...) ce qui est chronophage et coûteux. L’auteur fait état également du rôle joué par les ADPICs et notamment des critiques élevées lors de leur adoption par nombre de ces États du Sud et également par des ONGs reprochant aux accords d’empêcher l’accès aux industries pharmaceutiques du fait de son manque de flexibilité. Ainsi il estime que les États dits développés n’ont pas voulu prendre la décision « risquée et contreproductive » d’agir contre ces États ce qui expliquerait le peu d’action à leur encontre. Notons enfin, que le dernier cas présenté devant le panel est une action de l’Inde et du Brésil contre l’Union Européenne portant sur les médicaments génériques de quoi mettre un terme à toutes critiques élevées il y a de cela quinze ans... Il existe d’autres chemins pour régler des litiges ayant une envergure internationale comme c’est bien souvent le cas en la matière. Si l’on s’éloigne un instant du cadre des traités et accords internationaux, la méthode la plus « usitée » est l’application par les différents juges des règles du droit international privé. C’est Edouard Treppoz qui le souligne dans son article portant sur « Les litiges internationaux de propriété intellectuelle et le droit international privé ». Il revient sur les critiques faites au recours à ce mécanisme (une partie de la doctrine déniant en effet tout caractère international aux litiges de propriété intellectuelle et ainsi l’efficacité même du principe de territorialité considérant que un acte de contrefaçon est toujours limité dans les frontières d’un État et qu’ainsi toute référence à un quelconque caractère international n’est pas pertinente). L’auteur quant à lui ne sonne pas le glas du principe de territorialité et considère que celui-ci a seulement une « légitimité déclinante » car ce n’est pas toujours le juge du titre qui est compétent ni sa loi de protection applicable. Tout au long de son article Edouard Treppoz expose les différentes théories et nous démontre combien il est aujourd’hui complexe de déterminer le juge et la loi applicable dans le cadre d’un litige ayant des facteurs d’extranéité et notamment quand on se retrouve face à cyber délit (quel est le critère choisi par le juge celui de l’activité ou de l’accessibilité ? La loi applicable est-elle celle du dommage ou celle du fait générateur ?). Cette étude met en évidence le besoin réel d’une réponse unie sur le sujet. 1448 Les Cahiers de propriété intellectuelle 1.2 La mise en place de solutions extrajudiciaires Le phénomène actuel est sans aucun doute aujourd’hui le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits (les MARCS), recours qui est de plus en plus important. Parmi l’ensemble des droits de propriété intellectuelle, les noms de domaine sont l’exemple parfait de ce mode original de règlement des différends. Ces droits, plus récents car liés au développement de l’Internet, portent en eux-mêmes un caractère international. En effet, ils n’existent que par Internet et sont dès lors conçus pour avoir un rayonnement mondial. Ils sont d’ailleurs gérés de façon « centralisée » par une organisation internationale de droit privé l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN). Dans son article « ICANN’s New gTLD Programm : Applicant Guidebook and Dispute Resolution » Torston Bettinger revient sur les récents développements qui ont agité, et agitent encore la communauté des internautes suite à la publication en 2010 suivie de l’approbation le 20 juin dernier1 de la nouvelle charte (Draft Applicant Guidebook dite DAG 4) adoptée par l’ICANN concernant les nouvelles extensions de domaines « top-level » (new gTLDs). L’auteur nous propose dans son article une analyse exhaustive de ce que propose cette charte dont l’originalité est d’avoir été mise à la discussion des usagers des noms de domaine avant son approbation finale. Si toute la procédure d’enregistrement du nom de domaine se fait auprès de l’ICANN en vertu des nouvelles règles de procédure réunies dans un document spécial (« new gTLD dispute resolution procedure »), l’ICANN a la particularité de déléguer à des organismes qu’elle accrédite les résolutions des problèmes afférents à l’enregistrement de ces noms de domaines, notamment le Centre International de Résolution des Différends aux États-unis ou encore le Centre d’Expertise de la Chambre Internationale de Commerce de Paris qui est compétent. Mais ce qui concerne le plus notre sujet est sans aucun doute la proposition apportée par la nouvelle charte concernant la procédure URS (Uniform Rapid Suspension System) qui a pour but d’être un complément à la procédure déjà existante de l’UDRP (Uniform Domain-Name Dispute-Resolution Policy). En effet, tant l’OMPI que l’INTA avaient présenté des critiques face à la procédure existante lui reprochant notamment de ne pas être complètement adaptée. Si les conditions de mise en œuvre de la procédure sont identiques à celles déjà déployées pour la procédure 1. <http://www.icann.org/>. La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle 1449 UDRP, ce nouveau système a un champ d’application plus limité car il ne concerne que les cas où un abus net est porté au nom de domaine ou pour le cas d’une contrefaçon. Cette procédure est ouverte à tous les titulaires de droit de marque ayant déposé leur marque au nouveau centre d’information (clearing house) mis en place également par le DAG 4 (établissement indépendant recensant toutes les marques enregistrées dans le monde dont le but est de lutter contre les risques de confusion avec les noms de domaines). Ce système a pour avantage d’être un bon supplément à celui existant tout en étant effectif et moins coûteux. Pour finir tant l’OMPI que l’IRT (Implementation Recommendation Team) ont recommandé l’adoption d’une procédure de résolution des litiges mis en œuvre par un titulaire de marque en cas d’abus par un nom de domaine (c’est en anglais le « Trademark Post Delegation Dispute Mechanism). L’originalité de ce système, et très certainement un des facteurs de son succès, est que le titulaire du droit en enregistrant son nom de domaine adhère automatiquement par le biais d’une clause par laquelle il reconnaît et se soumet à ces procédures de règlement des litiges2. De façon plus générale les litiges relatifs au droit de propriété intellectuelle sont en général susceptibles d’être résolus par voie d’arbitrage même si cela ne va pas sans questionnement et sans réserve de la part des États ainsi que l’explique Bernard Hanotiau dans sa contribution à l’ouvrage ici commenté « L’arbitrabilité des litiges de propriété intellectuelle ». Partant du constat que les litiges concernant les droits de propriété intellectuelle ont pris depuis ces vingt dernières années une place considérable dans le domaine du commerce international et couvrent des domaines nombreux et variés et bien souvent très techniques (notamment concernant la propriété industrielle), l’auteur expose les deux problèmes qui se sont posés face à la possibilité de régler ces litiges par la voie de l’arbitrage. Il s’agit de la question de savoir si la législation applicable permet un recours à une telle pratique et si oui quelles en sont les limites. En effet, et notamment pour les questions relatives au brevet, des obstacles relatifs à l’ordre public et au pouvoir d’un arbitre de statuer sur un acte émanant de la puissance publique se dressent. C’est alors qu’il faut bien distinguer les notions de validité erga omnes et d’opposabilité du titre. L’auteur dresse une liste des différentes catégories des États qui 2. <http://www.icann.org/en/udrp/udrp-policy-24oct99.htm>. 1450 Les Cahiers de propriété intellectuelle acceptent ou pas les droits en expliquant de façon relativement détaillé comment ils en sont arrivés là. Seules une minorité d’États refuse encore la soumission de ces litiges à l’arbitrage, la plupart la reconnaissant plus ou moins largement et leur nombre allant en augmentant. La plupart des législations considèrent que les droits de propriété intellectuelle sont disponibles et qu’un arbitre peut donc se prononcer sur eux. Seule l’arbitrabilité erga omnes de la validité du titre présente encore des points de résistance dans les différentes législations. Enfin l’étude concernant ces modes dits alternatifs de règlement des litiges n’aurait pas été complète si l’on ne s’était pas penché sur les outils offerts par l’OMPI. C’est à Sarah Theurich qu’est revenue cette tâche et qui a abordé les mécanismes offerts par le Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI dans son article « Designing Tailored Alternative Dispute Resolution in Intellectual Property ». La propriété intellectuelle engendre des litiges très différents les uns des autres. Leur caractéristique commune est qu’ils nécessitent en général une réponse adaptée du fait de leur spécificité. En effet, pour certains la solution devra faire preuve d’une expertise technique et juridique poussée (notamment pour les litiges mettant en jeu des brevets) et une solution globale au niveau international est en général demandée. Enfin, du fait de l’évolution rapide du marché et de la nécessité de protéger les ressources intellectuelles, rapidité et bas prix sont les qualités demandées unanimement par l’ensemble des titulaires de droit. Pour toutes ces raisons, dès le début des années 90, la mise en place d’un système offrant des solutions adaptées et géré par l’OMPI est apparue comme une des solutions idéales. Toutes ces raisons ont donc été à l’origine de la création au sein de l’OMPI du Centre d’arbitrage et de médiation qui offrent aux titulaires de droit en conflit tout un arsenal de procédures adaptées et adaptables à leur situation. La principale caractéristique du Centre est d’offrir aux parties une procédure que l’on pourrait qualifier de procédure « à la carte ». En effet, les parties acceptent de se soumettre à une clause qu’elles ont elles-mêmes dessinée. Cette clause permet aux parties d’avoir recours à l’une des différentes options offertes par le Centre c’est-à- La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle 1451 dire une procédure de médiation, d’arbitrage (standard ou plus poussée) ou encore depuis 2007 au recours aux services d’un expert. Il est également possible aux parties de cumuler les différentes procédures afin d’en retirer les avantages et d’augmenter les chances de parvenir à un règlement. Preuve du succès de l’institution (220 cas dont la plupart les 5 dernières années ont été réglés soit via la procédure d’arbitrage ou de médiation), le Centre se développe également pour englober d’autres matières, toujours liées à la PI (art et héritage culturel, biodiversité, savoir-faire traditionnel) 2. VERS UNE SPÉCIALISATION DES TRIBUNAUX EN EUROPE Il est parfois plus facile d’adopter des mesures d’harmonisation positive à une échelle plus réduite que l’échelle mondiale. C’est également le cas au niveau des procédures. 2.1 L’Europe de la propriété industrielle D’autres mécanismes ont été pensés au niveau régional, cependant là où il y a le plus de mesures c’est en matière de brevet. Pierre Véron s’est penché sur l’Europe dans un article intitulé « Le contentieux de la propriété industrielle en Europe : état des lieux, stratégies et perspectives ». Si pour les marques et les obtentions végétales le système est relativement simple, ces deux droits faisant l’objet au niveau communautaire d’une législation spéciale et dont le respect est assuré par la Cour de Justice (TPIUE et CJUE), les choses sont moins évidentes pour les brevets. En effet, ici il faut distinguer l’Europe de Bruxelles ou plus précisément l’Union européenne de l’Europe de Munich qui regroupe plus d’États et qui abrite l’Office Européen des Brevets (OEB) délivrant de façon unifiée des titres de brevet dont le contentieux est réglé au niveau national. Ce système certes efficace au niveau des procédures de délivrance (une demande pour x brevets) s’avère pernicieux au niveau de sa mise en œuvre par les juridictions nationales. En effet, l’utilisateur averti, ou bien conseillé, va choisir en cas de litige d’engager des poursuites devant le juge qui lui sera le plus favorable : c’est le forum shopping. L’auteur ici nous offre une palette des différents avantages et inconvénients des tribunaux européens. 1452 Les Cahiers de propriété intellectuelle Le forum shopping n’est cependant pas le seul effet négatif du système des brevets européen puisque qui dit plusieurs juges dit que le risque d’obtenir des décisions contradictoires est élevé (de nombreuses affaires ont en effet eu pour résultat la déclaration d’un brevet contrefait dans un pays et pas dans un autre, ou un brevet reconnu valable par un juge, nul pour insuffisance de description par un autre ou encore nul pour défaut de nouveauté par un troisième juge). Face à cette incohérence jurisprudentielle, de nombreuses voix s’élèvent en faveur d’une unité de jurisprudence ainsi que d’une justice de qualité. C’est le projet d’accord (7928/09) présenté en détail par Mr Véron qui prévoit la mise en place d’une juridiction à différents niveaux unifiée et spécialisée centralisant les litiges autour des brevets émis par l’OEB. Les travaux autour de cette juridiction spécialisée ont commencé en 2007 et se poursuivent encore3, affaire à suivre... 2.2 L’exemple d’un État confédéral : la Suisse C’est à Julie Bertholet et à Pierre-Alain Killias que l’on doit l’article « La création de juridictions spécialisées : l’exemple du Tribunal fédéral des brevets ». Cet article très détaillé présente le nouveau système Suisse relatif aux règlements des litiges portant sur les brevets en vigueur depuis le 1er janvier 2011 seulement. Les brevets ont pour particularité, on l’a vu, de se tenir entre la technique et le droit. La tendance européenne est donc de réunir au sein d’une juridiction ayant compétence exclusive en matière de validité et de contentieux l’ensemble des litiges. La Confédération Suisse a semblé suivre le mouvement avec la création du Tribunal fédéral des Brevets regroupant en son sein l’ensemble du contentieux. L’instauration de ce nouveau Tribunal a pour but d’obtenir un règlement des différends relatifs aux brevets plus rapide, une mise en œuvre uniforme du droit grâce à l’harmonisation de la jurisprudence ayant trait à ces questions ainsi que des réponses adaptées rendues par des juges qualifiés tant sur le plan juridique que technique. 3. Au moment de l’article de Mr Véron l’accord était soumis à l’approbation de la CJUE ; or celle-ci a rendu son avis 1/09 le 8 mars 2011. L’accord a été jugé incompatible dans sa forme actuelle avec le droit primaire de l’UE. (<http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/11/st10/st10630.fr11.pdf>). La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle 1453 En Suisse on a préféré à la possibilité d’un tribunal fédéral arbitral un tribunal fédéral des brevets (non pour des raisons constitutionnelles mais car une étude avait démontré que cela aurait été source de plus de frais pour les PMEs) Cette nouvelle disposition ne réserve cependant pas la compétence exclusive des tribunaux étatiques car pour les matières où le droit litigieux est disponible et pour lesquelles la cause ne relève pas de la compétence exclusive d’une autorité étatique le recours à l’arbitrage est toujours possible (les conditions pour un arbitrage interne étant en Suisse plus restrictives que les conditions requises pour un arbitrage international). Les auteurs restent cependant critiques notamment du fait de l’existence de compétences concurrentes avec les tribunaux cantonaux (action ayant un lien de connexité avec les brevets, question de nullité soulevée par voie reconventionnelle ou d’exception ou par voie préjudicielle) qui a pour résultat une fois de plus de disperser le contentieux. Il est encore trop tôt, seulement six mois, pour parvenir à une conclusion quant au succès ou pas de cette nouvelle juridiction. Voici donc un ouvrage offrant un panorama complet de l’ensemble des solutions offertes à ce jour pour résoudre les litiges en matière de propriété intellectuelle. La Faculté de droit de l’Université de Genève a su une fois de plus faire preuve d’originalité en abordant exclusivement ce sujet ô combien important dans le domaine de la protection des biens immatériels. ANNEXE 1 Liste des articles publiés par ordre alphabétique d’auteurs – Volumes 1-1 à 23-3 (octobre 2008 – octobre 2011) Marie Alexandre France Iana Iana Núria ABDELNOUR ABECASSIS ABRAN ALEXOVA ALEXOVA ALTARRIBA Législation du droit de dépôt légal et de la propriété intellectuelle : une perspective de l’Espagne Marquage des produits visant la protection de l’environnement et de la santé du public [Le] La célébrité d’un individu et l’enregistrement de son nom comme marque de commerce : survol de Matol Biotech Laboratories Ltd. c. Jurak Holdings Ltd. Interrelations entre le CRTC et la Commission du droit d’auteur [Les] Critère d’évidence : la Cour suprême des États-Unis met la pédale douce Technologies de l’information au service des droits : opportunités, défis, limites (compte-rendu) [Les] Titre 23 21 21 08 19 23 Vol. 1 3 1 3 3 2 no 121 603 209 381 1129 1057 Page © CIPS, 2011. * Avocat et agent de marques de commerce, Laurent Carrière est l’un des associés principaux de ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce ; il est également rédacteur en chef des Cahiers de propriété intellectuelle. Cet index couvre les volumes 1 à 23 inclusivement, incluant le Hors série « Mélanges Victor Nabhan » (« HS »). Prendre note que le volume 21, numéro 3, comporte en partie une double pagination avec le numéro 21-2, et ce, de la page 553 à la page 583. Prénom Nom de famille Laurent Carrière* Auteurs Volumes 1-1 à 23-3 (octobre 1988 – octobre 2011) Index des auteurs 1457 Prénom Janne Jean-Marie R. James James Benjamin Johanne Camille Bassem Georges Georges Georges Lise Sergio Nom de famille ANDRESOO ANDRIANIAINA ANGLEHART ANGLEHART AUGAIS AUGER AUVRET AWAD AZZARIA AZZARIA AZZARIA BACON BALANA Ère du numérique : deuxième chance pour la marque olfactive ? – Analyse de la capacité du signe olfactif à fonctionner comme marque de commerce ou de service [L’] Évolution de la législation sur le droit d’auteur et la situation de l’artiste au Canada [L’] Compositeurs kleptomanes face au droit d’auteur [Les] Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour Logiciels libres à l’assaut du droit d’auteur [Les] Dépôt légal et le droit d’auteur en Égypte [Le] Usage sérieux au sens de l’article 15 du Règlement sur la marque communautaire [L’] Lignes directrices de Santé Canada concernant les noms de produits de santé à présentation et à consonance semblables : une pilule difficile à avaler ? [Les] L’exploitation commerciale de l’image des personnes physiques Établissement de la date de dépôt d’une première demande de brevet et demandes de brevets provisoires Introduction au PCT et comment en tirer profit Dépôt légal et le droit d’auteur à Madagascar [Le] Régime de dépôt légal estonien à l’ère numérique [Le] Titre 20 20 21 20 16 23 23 21 21 09 07 23 23 Vol. 1 3 2 2 2 1 2 2 1 2 3 1 1 no 015 337 525 405 105 659 299 277 301 429 211 151 Page 1458 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Marc Marc Denis Bruno Gaëlle Gaëlle Jeremy de Philippe Henri Cindy Yohan Alberto Catherine Catherine Nom de famille BARIBEAU BARIBEAU BARRELET BARRETTE BEAUREGARD BEAUREGARD BEER BÉLANGER BÉLANGER BENEZRI BERCOVITZ BERGERON BERGERON Arbitrage et le droit d’auteur... chouette ! [L’] Fair Dealing canadien et Fair Use américain : une analyse de l’exception d’utilisation équitable en matière de droit d’auteur An Important Case of Database Protection in Spain Arandazi v. El Derecho Mécanismes de la licence légale – De la technique au droit et du droit à la technique : la licence légale comme solution [Les] Pour en finir avec la marque de service Incidences de la faillite sur la propriété intellectuelle Commission du droit d’auteur du Canada : vingt années à « faire » l’histoire juridique [La] Indications géographiques au service de la communauté : les produits alimentaires [Les] Éthique et le régime des brevets, une question d’actualité [L’] « What’s Cooking Good Looking ? » Concurrence déloyale dans les restaurants et bars Suisse : le droit d’auteur du journaliste à l’épreuve de la numérisation Complications des compilations [Les] Normes de gestion en matière de droits d’auteurs au gouvernement du Québec Titre 15 13 16 17 22 15 22 20 18 19 12 14 13 Vol. 3 2 HS 3 2 2 3 1 1 2 2 2 3 no 987 267 001 463 165 475 593 053 013 379 547 653 521 Page Index des auteurs 1459 Prénom Catherine Catherine Catherine Geneviève Geneviève Catherine Carine Louise G. Yvan Alain Élizabeth Claire Lise Nom de famille BERGERON BERGERON BERGERON BERGERON BERGERON BERGERON BERNAULT BERNIER BERNIER BERTHET BERTHET BERTHEUX-SCOTTE BERTRAND Droit de l’informatique – Rétrospective canadienne Responsabilité des moteurs de recherche en droit français : droit des marques applicable ? Génériques en Europe [Les] Adhésion de la Communauté européenne au Protocole de Madrid : vers une simplification complexe... [L’] Dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain relatives à la propriété intellectuelle et la clause d’exemption culturelle [Les] Protection pour le monde des vivants [Une] Droit d’auteur à l’épreuve de la restauration des œuvres [Le] Droit d’auteur vu par les tribunaux en 2010 : un survol de cinq décisions d’intérêt [Le] Quelques décisions-clés rendues en 2008 en matière de règlement des différends de noms de domaine .CA Protection des marques notoires et théorie de la dilution : une analyse comparative du droit américain et canadien à la lumière de décisions récentes de la Cour suprême du Canada Marques olympiques et paralympiques : une protection en or [Les] Marque fantôme au Canada et aux États-Unis [La] Développement récent en matière de marque officielle : le statut d’autorité publique au Canada Titre 1 19 10 21 13 17 06 03 19 23 1 1 1 2 2 1 3 2 2 1 20 21 3 2 no 19 18 Vol. 237 217 013 373 139 055 755 679 371 015 173 727 357 Page 1460 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Luc Laurence Grégoire Grégoire Jean-Pierre Jean-Pierre Jean-Pierre Marc-André Christian Christian Valérie Nom de famille BÉRUBÉ BICH-CARRIÈRE BISSON BISSON BLAIS BLAIS BLAIS BLANCHARD BOLDUC BOLDUC BOUCHARD Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour Reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur : un interdit ? [La] Article 6(1) de la Loi sur les dessins industriels : une stratégie pour réduire les risques de contrefaçon [L’] Statut de l’entrevue et le journaliste [Le] Droit des radiodiffuseurs sur leurs signaux de communication et la mise en application de la Convention de Rome : un biscotto rassis pour le Canada [Le] Droit d’auteur et les licences obligatoires au service de la Couronne : un modèle australien pour la réforme du droit d’auteur au Canada ? [Le] Droits des artistes interprètes en Australie et l’exécution des obligations internationales : un modèle constitutionnel pour la réforme du droit d’auteur au Canada ? [Les] Protection de la création vestimentaire : étude d’une application problématique des droits intellectuels [La] Protection de la réputation internationale d’une maison de prêt-à-porter prétexte à une étude sur les marques notoires [La] Communication spirituelle et droit d’auteur : à qui les droits d’une œuvre littéraire dictée depuis l’au-delà ? Politiques des bureaux des brevets et jugements récents portant sur les séquences d’ADN Titre 20 20 10 12 11 06 05 05 01 19 12 Vol. 2 2 1 2 1 3 1 3 2 3 3 no 525 257 101 397 107 283 047 301 135 775 757 Page Index des auteurs 1461 Prénom Mario Alain D. Mélanie Marie Serge Marcel Jean-Christophe Jean-Christophe Générosa Josiane Jean-Sébastien Jean-Sébastien Nom de famille BOUCHARD BOURASSA BOURASSAFORCIER BOURGEOIS BOURQUE BOYER BOZE BOZE BRAS MIRANDA BRAULT BRIÈRE BRIÈRE Encadrement international du droit de la propriété industrielle – Deuxième partie Encadrement international du droit de la propriété industrielle – Première partie [L’] Arbitrage des différends en matière de propriété intellectuelle : nécessité de clarifier le débat [L’] Protection posthume des droits de la personnalité [La] Pourquoi Médoc n’est plus une appellation générique au Canada ? American Viticultural Area, appellation d’origine imparfaite ? [L’] Concepts et principes économiques invoqués devant la Commission du droit d’auteur du Canada et appliqués dans ses décisions Droit de la concurrence et propriété intellectuelle Protection juridique de l’information confidentielle économique : étude de droit québécois et français [La] Contrats : véritables vecteurs d’innovation dans le secteur pharmaceutique [Les] Nouvelle vague biotechnologique [Une] Régime canadien des titulaires de droits d’auteur introuvables [Le] Titre 16 15 23 19 17 16 23 12 01 23 06 22 Vol. 1 3 2 3 1 3 3 3 1 2 1 3 no 015 735 727 795 157 645 1083 909 001 697 093 483 Page 1462 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Claude Claude Claude Claude Yvan Isabelle Étienne Sylviu Gisela Damien Aldine Nom de famille BRUNET BRUNET BRUNET BRUNET BRUTSAERT BUREAU BURGY BURSANESCU CABARROCA CALVET CALVEYRAC Droit d’auteur en Afrique (compte-rendu) [Le] Analyse de l’arrêt de la Cour suprême Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc. ou De la validité d’un brevet de sélection et de l’affinement des critères d’évaluation de la nouveauté et de la non-évidence Législation du droit de dépôt légal et de la propriété intellectuelle : une perspective de l’Espagne [La] Image de marque : comment utiliser efficacement les lois de propriété intellectuelle pour protéger le nom et l’image des célébrités [L’] Dépôt légal dans le Canton de Genève [Le] Intrigue : le passage de l’idée à son expression [L’] Cuisine en quête d’agents conservateurs : la protection des créations culinaires [La] Droit d’auteur au Canada de 1987 à 1997 – Petit article en forme de prise d’inventaire [Le] Amendements de 1990 à la Loi américaine sur le droit d’auteur [Les] Difficile protection des œuvres d’architecture : les affaires Du Boisé et Nouvelle Dimension [De la] Projet de loi C-130 : vers un nouveau droit de retransmission [Le] Titre 22 21 23 22 23 07 19 10 03 02 01 Vol. 3 2 1 3 1 1 2 1 3 1 2 no 821 533 121 513 187 054 499 079 359 123 241 Page Index des auteurs 1463 Prénom Anton Christophe Stéphane Hubert Jean Jean Laurent Laurent Laurent Laurent Laurent Nom de famille CARNIAUX CARON CARON CARRIER CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE Nouveaux recours en contrefaçon suite aux modifications de 1997 à la Loi sur le droit d’auteur [Les] Droit des marques au Canada 1987-1996 : une décade en rétrospective par la lunette des cours d’appel Hypertextes et hyperliens au regard du droit d’auteur : quelques éléments de réflexion Protection des noms, marques et signes de la Gendarmerie royale du Canada : réflexions sur les fondements et orientations d’un programme de concession de licences [La] OMC – Propriété intellectuelle – Canada – L’adhésion du Canada à l’Accord instituant l’Organisation mondiale du commerce et les modifications conséquentes aux lois canadiennes de propriété intellectuelle Synthèse de l’arrêt Directeur des enquêtes et recherches c. Télé-Direct (Publications) Inc. Dernière décennie en matière du droit statutaire de la concurrence [La] siècle [La] 11 10 09 08 07 10 10 13 Propriété littéraire en France au 14 XVIIe 16 09 Vol. Fonctionnalité et marques de commerce Échange d’œuvres sur l’Internet ou le P2P [L’] Rapports difficiles du droit de la propriété intellectuelle avec le droit de la concurrence : Étude de la clause field of use dans les contrats de transfert de technologie aux États-Unis, et subsidiairement dans le cadre européen [Les] Titre 1 1 3 2 3 3 1 2 1 HS 1 no 219 156 467 281 439 545 275 311 017 023 077 Page 1464 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Laurent Laurent Laurent Laurent Laurent Laurent Laurent Paul Robert Guilhem Olivier Roger Nom de famille CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE CARRIÈRE CASSIUS de LINVAL CHABAUD CHARBONNEAU CHARLAND Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian Storage Media Alliance Accès libre [L’] Exercice des droits du titulaire de la marque et le mécanisme de transit externe en droit douanier communautaire [L’] Commerce électronique : pourquoi Industrie Canada n’y comprend pas grand-chose [Le] Fonctionnalité et marques de commerce Voies et recours civils non pécuniaires en matière de violation de droit d’auteur au Canada Revue de décisions canadiennes de PI rendues en 2009-2010 Leçons tirées de la jurisprudence pour le développement de pratiques exemplaires Fraude comme motif d’invalidation d’un enregistrement de marque de commerce – bref commentaire sur l’affaire Parfums de cœur [La] Brevets, marques et autres propriétés intellectuelles : réflexion volontairement incomplète sur l’évolution de la pratique canadienne en statistiques et notes de bas de page Brand Management in Canadian Law Statut de petite ou de grande entité d’un breveté/ demandeur au Canada [Le] Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada en matière de marques de commerce 1997-2000 Titre 17 22 19 09 14 23 22 2 3 1 3 1 3 3 2 3 20 21 3 2 3 no 17 14 13 Vol. 387 549 315 335 017 1129 793 543 633 735 709 539 Page Index des auteurs 1465 Prénom Frédérick David-Alexandre David-Alexandre Armelle Joan Benoît Benoît Benoît Benoît Nom de famille CHARRETTE CHETRIT CHETRIT CHRÉTIEN CLARK CLERMONT CLERMONT CLERMONT CLERMONT Diffamation dans un contexte médiatique : les enseignements de la jurisprudence du nouveau millénaire [La] Compilations et la Loi sur le droit d’auteur : leur protection et leur création [Les] Parties II et VIII de la Loi sur le droit d’auteur : le Canada respecte-t-il ses obligations internationales ? Prospective du droit canadien de la concurrence déloyale : contradictions et tolérance ? [Sur une] Rétrospective des événements marquants au Canada dans le domaine des brevets d’invention De l’intérêt de conserver ses marques nationales parallèlement à une marque communautaire ou l’incroyable décision Matrazen Protection relative aux marques de commerce étendue aux services fournis dans le cadre du commerce de détail – Commentaire sur l’arrêt de la CJCE dans l’affaire Praktiker Bau-und Heimwerkermärkte c. Deutsches Patent-und Markenamt [La] Caractère distinctif exigé pour l’enregistrement d’une marque peut être acquis par l’usage de celle-ci en tant que partie d’une marque déjà enregistrée – Commentaire sur l’arrêt de la C.J.C.E. dans l’affaire Société des produtis Nestlé SA c. Mars UK Ltd. [Le] Illusion du droit moral telle que révélée par l’introduction du logiciel dans le domaine du droit d’auteur [L’] Titre 19 18 11 10 10 1 2 1 1 1 2 3 17 16 3 2 no 17 04 Vol. 043 219 287 295 119 563 673 667 163 Page 1466 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Albert Jess M. David R. Robert Mathieu Émilie Marie-Josée Grégoire Grégoire Annie Monika W.R. Carlos Nom de famille CLOUTIER COLLEN COLLIER COLLIN COMEAU CONWAY CORBEIL CORMAN CORMAN CORMIER CORNELL CORNISH CORREA Refusal to Deal and Access to an Essential Facility : Balancing Private and Public Interests in Intellectual Property Law Copyright History of What Must-have-been [The] Bibliothèque nationale de la Pologne – Le dépôt légal et la protection par le droit d’auteur à l’ère numérique [La] Nouveaux critères de révision en appel d’une décision rendue par le registraire des marques de commerce [Les] Protection du titulaire de la marque contre la parodie : évolutions récentes [La] Contrat de commande d’œuvre d’esprit en droit français Titularité du droit d’auteur relatif aux œuvres audiovisuelles au Québec [La] Arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi sur le droit d’auteur : une dissonance harmonieuse ? [L’] Sites Web contrefacteurs : les dangers de l’application rigoriste de la Loi sur le droit d’auteur Droit des marques et la réalisation du marché intérieur de la communauté européenne [Le] Revue de la jurisprudence canadienne 2009 en matière de droits d’auteur Marque privée [La] Loi sur le droit d’auteur : qu’en est-il de sa réforme ? [La] Titre 16 16 23 14 17 16 08 23 15 11 22 09 14 Vol. HS HS 1 2 1 3 1 3 2 2 2 1 2 no 075 061 243 605 203 897 049 1185 653 367 201 115 715 Page Index des auteurs 1467 Prénom Karina Martine France France Marie-Ève Marie-Hélène Michel Christophe Monique M. Giuseppina Nom de famille CORREA PEREIRA CORRIVEAU CÔTÉ CÔTÉ CÔTÉ CÔTÉ COTNOIR COTTETBRETONNIER COUTURE D’AGOSTINO Exceptions et limitations en matière de droit d’auteur et la Commission du droit d’auteur du Canada [Les] Critères d’émission d’une injonction provisoire en matière de marque de commerce : l’affaire Agropur Cooperative c. Saputo Inc. Contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif en tant que personnalité publique : étude comparée France/Québec [Le] Homologation administrative d’un nouveau médicament commercialisé au Canada et l’octroi d’un avis de conformité [L’] Responsabilité des intermédiaires à l’égard des violations de droit d’auteur commises par des tiers sur l’Internet [La] Responsabilité du concédant de licence de marques de commerce à l’égard de produits défectueux [La] Brevets et biotechnologie : animaux et végétaux transgéniques Établissement de la date de dépôt d’une première demande de brevet et demandes de brevets provisoires Durée générale de protection du droit d’auteur : une histoire de développement et de mutation des fondements de principes [La] L’application des théories philosophiques justifiant la propriété intellectuelle dans les situations d’urgence Titre 23 16 13 13 10 19 12 09 19 18 Vol. 3 2 3 1 2 1 3 2 3 3 no 1229 599 619 061 359 145 735 301 823 455 Page 1468 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Giuseppina Catherine Johanne Johanne Johanne Christian François Vivianne Vivianne Vivianne Vivianne Nom de famille D’AGOSTINO DAIGLE DANIEL DANIEL DANIEL DANIS DAVID DE KINDER DE KINDER DE KINDER DE KINDER Licence implicite et promesse sans cession : problèmes de droit d’auteur en matière de commande d’œuvres protégées, d’option et d’engagement à céder Légendes et des images – À propos de l’affaire Lambert c. Wardair Canada Inc. [Des] Enregistrement éphémère : Bishop c. Télé-Métropole Inc. [À propos de l’] École de conduite Tecnic Aubé Inc. et al. c. École de conduite Lauzon Canada Ltée et al. Gestion du droit d’auteur sur les archives privées à Bibliothèque et Archives nationales du Québec : pratiques archivistiques et étude de cas Prise de garanties en matière de propriété intellectuelle [La] Cadre juridique de la gestion des droits au Canada [Le] Survol du projet de loi C-57 sur les topographies de circuits intégrés Propriété intellectuelle – Concurrence – Multimédia : voyage au cœur d’un kaléidoscope virtuel Regard sur les exigences de l’alinéa 30a) de la Loi sur les marques de commerce en matière de description de boissons alcoolisées (ou comment éviter que le vin ne tourne au vinaigre) En attendant Robertson : définir la possession du droit d’auteur sur les œuvres des pigistes dans les nouveaux médias Titre 06 03 01 01 19 14 11 02 09 19 18 Vol. 1 3 3 1 3 2 1 3 3 2 1 no 067 365 389 087 863 581 257 343 347 413 163 Page Index des auteurs 1469 Prénom Vivianne Vivianne Vivianne Thomas Jean-Nicolas Jean-Nicolas Jean-Nicolas François Estelle Estelle Estelle Emmanuel Nom de famille DE KINDER DE KINDER DE KINDER DEBIESSE DELAGE DELAGE DELAGE DEMERS DERCLAYE DERCLAYE DERCLAYE DERIEUX Universitaires et le droit moral d’auteur en droit français [Les] Réponses graduées française et britannique : des coups d’épée dans l’eau ou des modèles pour le Canada ? [Les] Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique, Droits et exceptions à la lumière des dispositifs de verrouillage des œuvres Abus de position dominante et droits de propriété intellectuelle dans la jurisprudence de la Communauté européenne : IMS survivra-t-elle au monstre du Dr Frankenstein ? Décisions d’intérêt rendues en 2009 en droit de la diffamation – La liberté d’expression a un prix Pools de brevets dans l’industrie biopharmaceutique : la pertinence d’une utilisation ciblée [Les] Marques de commerce contre noms commerciaux : qui sera le gagnant ? Buvons un dernier verre de champagne canadien Droit d’auteur, copie privée et responsabilité pénale Des photos de la rue et l’exception artistique en matière de droit à la vie privée De la preuve d’emploi en matière de violation d’une marque de commerce déposée Droit d’auteur 1997 Titre 12 22 18 15 22 22 17 17 19 18 17 10 Vol. 1 3 3 1 2 2 3 1 1 3 3 3 no 031 571 661 021 245 219 497 119 349 585 681 713 Page 1470 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Emmanuel Marie-Hélène Nathalie Chantal Chantal Xavier Xavier Claire François Bibliothèque nationale de la Adolf Maria Ronald E. Nom de famille DERIEUX DESCHAMPSMARQUIS DESHARNAIS DESJARDINS DESJARDINS DESJEUX DESJEUX DESPREZ DESSEMONTET DIÈTE DU JAPON DIETZ DIKEAKOS DIMOCK Notion de privilège et la pratique de l’agent de brevets au Canada [La] Stratégie de protection intérimaire : le caveat, la provisoire et l’« informelle » ou la divulgation prohibée Cultural Diversity and Copyright Régime de dépôt légal au Japon – Historique et grandes lignes du régime Droit international privé de la propriété intellectuelle à l’épreuve du dialogue intercontinental [Le] Public pertinent depuis l’arrêt de la CJCE dans l’affaire Travatan [Le] Character Merchandising et le droit français [Le] Peut-on copier une forme utile ? Plaidoyer pour la protection de l’esthétique industrielle Échantillonnage du son en digitales et le droit d’auteur au Canada [L’] Contrôle en droit canadien des marques de commerce et un second regard sur l’article 50 [Le] Piratage des signaux dans le secteur de la câblodistribution [Le] Noms de domaine : au-delà du mystère [Les] Droit d’auteur des journalistes en France [Le] Titre 12 20 16 23 16 19 03 03 03 14 03 11 12 Vol. 3 2 HS 1 HS 3 2 1 2 1 3 3 2 no 867 293 109 199 093 1137 193 097 205 045 311 591 561 Page Index des auteurs 1471 Prénom Hélène Hélène Hélène Françoise Jacques de Marie-Louise André André André André André Nom de famille D’IORIO D’IORIO D’IORIO DIXMUDE DONALD DORION DORION DORION DORION DORION Propriété intellectuelle – Concurrence- Multimédia : voyage au cœur d’un kaléidoscope virtuel Directeur des enquêtes et recherches c. Télé-Direct – Tribunal de la concurrence, CT 94-3 du 26 février 1997 Déclin de l’emprise américaine ? Première partie ou Les divergences du droit de la concurrence avec celui de la propriété intellectuelle dans un domaine qui incarne cette dichotomie : le cinéma [Le] À cheval donné, on ne retient pas la bride : l’abandon du brevet au bénéfice du public Ne tirez pas sur la juge brésilienne ou La protection des chorégraphies sportives en droit d’auteur Titularité du droit d’auteur relatif aux œuvres audiovisuelles au Québec [La] Saisie description en Belgique : une mesure probatoire et parfois conservatoire [La] Cour d’appel fédérale se prononce sur l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés dans Merck Frosst Canada Ltd et Merck Frosst Canada & Co. c. Apotex Inc. (2009 CAF 187) [La] Droit des brevets – cinq décisions de 2007 ou Ce qu’il ne faut pas faire Politiques des bureaux des brevets et jugements récents portant sur les séquences d’ADN Titre 09 09 09 08 07 08 13 21 20 12 Vol. 3 3 2 3 1 1 2 3 2 3 no 347 505 233 449 101 049 465 729 541 757 Page 1472 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom André Sophie J.-Michel Daniel S. Daniel S. Daniel S. Daniel S. Daniel S. Thomas Thomas Christian Marcel Marcel Nom de famille DORION DORMEAU DOYON DRAPEAU DRAPEAU DRAPEAU DRAPEAU DRAPEAU DREIER DREIER DROLET DUBÉ DUBÉ Réglementation québécoise du contrat d’édition : un projet [La] Pouvoir du Québec de légiférer en matière de contrat d’édition [Le] Gestion du droit d’auteur sur les archives privées à Bibliothèque et Archives nationales du Québec : pratiques archivistiques et étude de cas Reconciling National Copyright Traditions : Conflict of Laws Rules – the German Example Droit d’auteur contre la colorisation, la modification de durée et l’adaptation du format des films [Le] Marchandises d’importation parallèle : une Cour suprême divisée Ordonnances Anton Piller : développements récents des cours suprême, d’appel fédérale et fédérale Marques célèbres au Canada : veuve et poupée éplorées Enregistrements de dessins industriels : un survol Employeur et employé : à qui l’invention ? Accessibilité aux jugements et droit d’auteur Statut de l’entrevue et le journaliste [Le] Convention sur la diversité des expressions culturelles et la propriété intellectuelle : panacée ou placebo ? [La] Titre 02 01 19 16 03 20 19 18 16 09 20 12 19 Vol. 3 3 3 HS 2 1 1 3 1 3 3 2 1 no 281 317 863 121 133 183 069 591 253 393 663 397 321 Page Index des auteurs 1473 Prénom Marcel Marcel Paul-André Lucie Victor Hilal Hilal David Jean-Jo Mario Jean Jean Nom de famille DUBÉ DUBÉ DUBOIS DUFOUR DZOMO-SILMOU EL AYOUBI EL AYOUBI ENCISO ÉVRARD FABIANI FAULLEM FAULLEM Cyber-piquetage et la propriété intellectuelle [Le] Protection de l’anonymat sur Internet [La] Solitude de l’auteur dans la société de la communication [La] Épuisement du droit de marque dans l’Union européenne – Jurisprudence récente [L’] Incidences de la redélivrance d’un brevet sur une instance judiciaire et interprétation du terme « identique » Brevets : cinq décisions d’intérêt en 2010 Affaire Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc. : le droit d’auteur au secours des marques de commerce en mal de recours [L’] Phénomène du téléchargement illégal sur Internet et la question de la rémunération de la création [Le] Pools de brevets dans l’industrie biopharmaceutique : la pertinence d’une utilisation ciblée [Les] Prospective du droit canadien de la concurrence déloyale : contradictions et tolérance ? [Sur une] Modifications aux exceptions ou limitations qui existaient avant la réforme de la Loi sur le droit d’auteur de 1997 : cosmétique législative ou nouveau parti pris en faveur des utilisateurs ? Originalité de l’œuvre en droit d’auteur canadien [L’] Titre 13 13 16 10 14 23 18 23 22 10 11 03 Vol. 3 2 HS 1 3 2 2 2 2 1 1 3 no 793 491 141 067 881 803 367 773 219 295 157 337 Page 1474 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Claudette Ambre Adélaïde Jean-Arpad Jean-Arpad Jean-Arpad Jean-Arpad Éric André Sylvain Sophie Jean-H. Marc Nom de famille FORTIER FORTUNE FOURMAGE FRANÇAIS FRANÇAIS FRANÇAIS FRANÇAIS FRANCHI FRANÇON GADOURY GAGNÉ GAGNON GAGNON Alinéa 37(1) c) de la Loi sur les marques de commerce et l’arrêt Unitel [L’] Projections financières remises par un franchiseur à un futur franchisé : quand sont-elles considérées comme constituant de « fausses représentations » de la part du franchiseur ? [Les] Protection juridique de la réalité virtuelle... ou l’imbroglio juridique dans l’univers de l’électro-bohème [La] Complications des compilations [Les] Défense et illustration du droit d’auteur Propriété incorporelle et les œuvres multimédias au Canada [La] Réforme législative, droits acquis et éviction en droit d’auteur canadien Droit d’auteur et droit du public à l’information De l’adaptabilité des droits des organismes de radiodiffusion à l’adaptation du droit d’auteur Droit moral comparé : entre problématique classique et moderne [Le] Pratiques du droit électronique [Les] Guide anti-contrefaçon (compte rendu) SODRAC et la gestion des droits de reproduction : historique [La] Titre 13 11 07 14 03 08 19 17 16 12 20 21 02 Vol. 3 3 2 2 3 2 3 2 3 2 1 2 2 no 803 658 183 653 349 237 883 427 659 315 237 565 269 Page Index des auteurs 1475 Prénom Marc Marc Marc Marjolaine Jean-Christophe Barry Barry Barry Barry Barry Barry Barry Nom de famille GAGNON GAGNON GAGNON GAGNON GALLOUX GAMACHE GAMACHE GAMACHE GAMACHE GAMACHE GAMACHE GAMACHE Changement de cap après plus de 50 ans : un emploi allégué n’est plus un facteur pertinent lors de l’examen par le registraire d’une demande d’enregistrement de marque de commerce en vertu de l’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les marques de commerce [Un] Peut-il ou ne peut-il pas ? Regard sur les limites juridictionnelles des compétences attribuées au registraire des marques de commerce en matière d’opposition Marques de commerce au petit et au grand écran [Les] Statut de petite ou de grande entité d’un breveté/demandeur au Canada [Le] Revamping d’une marque de commerce : conséquences d’une variation dans l’emploi [Le] Marques géographiques : un survol du territoire [Les] Demande à l’enregistrement : les méandres du Bureau du registraire des marques de commerce [De la] Brevetabilité des innovations génétiques sous la Convention sur le brevet européen : réalités et perspectives [La] Encadrement de la publicité de boissons alcooliques au Canada [L’] Protection par dessin au Canada et aux États-Unis [La] Cour suprême du Canada détermine que l’oncosouris n’est pas brevetable [La] Marque de commerce descriptive [La] Titre 17 17 16 14 14 08 06 03 19 17 15 14 Vol. 3 1 2 2 1 3 1 1 2 2 3 1 no 525 017 429 709 157 495 107 009 551 235 995 075 Page 1476 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Barry Barry Barry Barry Barry Barry Richard S. Emmanuelle Yves Yves Nom de famille GAMACHE GAMACHE GAMACHE GAMACHE GAMACHE GAMACHE GAREAU GARNIER GAUBIAC GAUBIAC Échange d’œuvres sur l’Internet ou le P2P [L’] Commentaire de l’arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de Cassation du 28 mai 1991 dans l’affaire Huston Protection juridique des créations du « design » [La] Grande première au Canada : la marque « sonore » [Une] Est-ce toujours la même marque ? Comment le registraire a traité la question du revamping des marques de commerce en 2010 : cinq décisions à retenir Quelques réflexions sur le paragraphe 16(4) de la Loi sur les marques de commerce Un outil d’attaque et de défense : les derniers développements relatifs à l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce Entre sacré et profane ou comment s’articule le rapport entre convictions religieuses et droit des marques de commerce Alcool et confusion : comment est traitée la catégorie générale des boissons alcoolisées lorsqu’il s’agit de déterminer la probabilité de confusion entre marques de commerce ? Peut-il ou ne peut-il pas (encore) ? Regard sur les limites juridictionnelles des compétences attribuées au registraire des marques de commerce en matière de procédures en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce Titre 16 04 03 23 22 21 20 19 18 Vol. HS 2 1 2 3 1 2 2 1 no 023 257 103 821 629 011 317 437 045 Page Index des auteurs 1477 Prénom Jean-François Lucie Vincent Vincent Vincent Vincent Vincent Michel Catherine Catherine Catherine Paul Edward Nom de famille GAUDREAULTDESBIENS GAUTHIER GAUTRAIS GAUTRAIS GAUTRAIS GAUTRAIS GAUTRAIS GAY GECI GECI GECI GELLER Dynamiques nouvelles en droit d’auteur international Analyse de l’arrêt de la Cour suprême Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc. ou De la validité d’un brevet de sélection et de l’affinement des critères d’évaluation de la nouveauté et de la non-évidence Trolls hantent-ils le domaine des brevets ? [Les] Portrait législatif de l’exception de recherche en matière de brevets au Canada, aux États-Unis et en Europe Première convention concernant la reprographie dans les écoles primaires et secondaires du Québec Preuve des documents technologiques [La] « Give me Five ? » – Traitement jurisprudentiel du commerce électronique Dell Computer c. Union des consommateurs, Histoire d’un « Oops » ! Couleur du consentement électronique [La] Droit des auteurs et droit de la consommation dans le cyberespace : la relation auteur/utilisateur Quelques observations sur le pool de brevets et le droit de la concurrence Critique autochtone de l’appropriation culturelle comme défi à la conception occidentale de la propriété intellectuelle : le cas de l’appropriation artistique [La] Titre 05 21 19 18 01 22 21 17 16 09 19 11 Vol. 3 2 3 3 1 2 2 3 1 1 1 2 no 391 533 923 481 115 267 389 687 061 011 103 401 Page 1478 Les Cahiers de propriété intellectuelle Stephan P. Daniel Daniel Daniel Daniel Daniel GERVAIS GERVAIS GERVAIS GERVAIS GERVAIS Ysolde GENDREAU GEORGHIEV Ysolde GENDREAU Ysolde Ysolde GENDREAU Stephan P. Paul Edward GELLER GEORGHIEV Paul Edward GELLER GENDREAU Prénom Nom de famille Essai sur le fractionnement du droit d’auteur – Deuxième partie : originalité, créativité et réalignement du droit d’auteur Être au parfum : protéger la marque de commerce olfactive au Canada ? Essai sur le fractionnement du droit d’auteur Affaire Théberge [L’] Protection des artistes interprètes ou exécutants et des producteurs de phonogrammes : un nouvel instrument international de l’OMPI [La] Protection des technologies du Web [La] Article 6(1) de la Loi sur les dessins industriels : une stratégie pour réduire les risques de contrefaçon [L’] À la recherche d’une propriété perdue Flash sur la photo Durée de protection des photographies : une donnée révélatrice [La] Loi française du 3 juillet 1985 : un modèle pour les droits des artistes-interprètes canadiens ? [La] La crise du droit d’auteur : dix principes directeurs Droit de la propriété intellectuelle, droit international privé et sanctions Internet Titre 16 15 15 15 06 12 10 17 11 05 01 21 12 Vol. 2 3 2 1 1 3 1 3 1 3 3 1 1 no 363 865 501 217 037 695 101 551 689 375 371 047 227 Page Index des auteurs 1479 Prénom Daniel Stéphane Stéphane Stéphane Stéphane Stéphane Stéphane Michael Patrick Jane C. Jane C. Jane C. Jane C. Nom de famille GERVAIS GILKER GILKER GILKER GILKER GILKER GILKER GILL GINGRAS GINSBURG GINSBURG GINSBURG GINSBURG Nom de l’auteur en tant que signe distinctif : une perspective perverse sur le droit à la « paternité » de l’œuvre ? [Le] Droit d’auteur sans frontières ? Compétence judiciaire et législative en matière de contrefaçon internationale Affaire américaine Feist et la notion d’originalité : à propos des banques de données et des compilations [L’] Cent deux ans plus tard : les États-Unis adhèrent à la Convention de Berne Preuve des documents technologiques [La] Journalisme virtuel et le droit d’auteur en Allemagne [Le] Artistes exécutants et interprètes et le nouveau Code civil du Québec [Les] Protection des œuvres architecturales par le droit d’auteur au Canada (2e partie) [La] Protection des œuvres architecturales par le droit d’auteur au Canada (1ère partie) [La] Locus standi du titulaire d’une licence de droit d’auteur : une question... d’intérêt ! (Partie II) [Le] Locus standi du titulaire d’une licence de droit d’auteur : une question... d’intérêt ! (Partie I) [Le] Nouvelle loi sur les droits d’auteur : 19,504 jours et 19 études plus tard [Une] Trente ans de droit d’auteur à la Cour suprême du Canada Titre 16 09 04 02 22 12 08 04 03 02 01 01 21 Vol. HS 3 2 2 2 2 1 1 3 1 3 1 2 no 147 381 233 209 267 533 093 011 241 001 275 031 419 Page 1480 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Jane C. Frank Mistrale Mistrale Mistrale Mistrale Mistrale Mistrale Jean Estelle Louis Éloïse Nom de famille GINSBURG GOTZEN GOUDREAU GOUDREAU GOUDREAU GOUDREAU GOUDREAU GOUDREAU GOULET GRAFF GRATTON GRATTON Web 2.0 et l’obligation de loyauté de l’employé au Québec Montant maximal de dommages-intérêts préétablis en droit d’auteur canadien accordé dans une affaire d’anti-contrefaçon [Le] Dépôt légal en France [Le] Du logiciel traditionnel à la robotique fine – L’adaptation des règles du droit à la technologie de pointe Parasitisme sanctionné en Cour d’appel [Le] Quelques développements récents en droit de la concurrence [De] Oeuvres « immorales ou licencieuses, séditieuses ou entachées de trahison » et le droit d’auteur canadien Mort de l’auteur et interprétations de l’histoire Et si nous discutions de rédaction législative – Commentaires sur la Loi de 1997 modifiant la Loi sur le droit d’auteur Protection extra-contractuelle de l’idée et de l’information confidentielle au Canada et au Québec [La] Droit moral des auteurs (théorie générale/attributs/l’avenir) Quelques réflexions en mémoire de Georges Koumantos [Le] Nouvelles des États-Unis : responsabilité pour complicité de contrefaçon – La décision de la Cour suprême du 27 juin 2005 dans l’affaire MGM c. Grokster Titre 22 19 23 20 23 22 20 16 11 06 22 17 Vol. 3 3 1 3 3 2 2 HS 1 2 3 3 no 695 1145 169 677 1397 317 459 159 007 221 687 705 Page Index des auteurs 1481 Prénom Louis-Pierre Louis-Pierre Louis-Pierre Louis-Pierre Louis-Pierre François M. François M. François M. Teresa Teresa François Lucie Nom de famille GRAVELLE GRAVELLE GRAVELLE GRAVELLE GRAVELLE GRENIER GRENIER GRENIER GRZESZAK GRZESZAK GUAY GUIBAULT Propriété intellectuelle et la technologie numérique : à la recherche d’un compromis satisfaisant [La] Pour en finir avec l’affaire Clairol : l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce prévient-il la publicité comparative ? Responsabilité civile du journaliste pour la diffusion des informations diffamantes : quelques remarques à propos de l’arrêt de la Cour suprême de la Pologne du 14 mai 2003 [La] Évolution du droit à l’image en Pologne [L’] Preuve en matière de marques de commerce : un aide-mémoire [La] Derniers mots du millénaire de la Cour d’appel fédérale en matière de brevets [Les] Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) [Le] Critère d’utilité et la règle de la prédiction valable [Le] Petite entité peut rester petite ; la grande demeurera toujours grande [La] Incidences de la redélivrance d’un brevet sur une instance judiciaire et interprétation du terme « identique » Souris est brevetable [La] Interprétation des revendications et l’évaluation de la contrefaçon : respecter les limites de l’élasticité [L’] Titre 08 11 16 13 17 12 10 15 15 14 13 12 Vol. 2 2 HS 2 3 3 2 3 3 3 3 3 no 203 441 175 333 577 845 405 1023 1007 881 815 779 Page 1482 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Lucie Lucie Lucie Lucie Andreas Sacha Serge Judith Réa Pierre Friedrich Nicolaus Nom de famille GUIBAULT GUIBAULT GUIBAULT GUIBAULT HADERLEIN HAQUE HARPIN HARVIE HAWI HÉBERT HEISE Journalisme virtuel et le droit d’auteur en Allemagne [Le] De la soutane étouffante à la toge libératrice ? – Le rôle du pouvoir judiciaire dans l’autonomisation de la littérature québécoise (1892-1962) Régulation de l’Internet – L’élaboration des règles de conduite par le dialogue internormatif Noms de domaine et nom de personne : de quel droit relève le nom ? Portrait législatif de l’exception de recherche en matière de brevets au Canada, aux États-Unis et en Europe Protection des créations de mode à la lumière de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans Import Export René Derhy (Canada) inc. c. Magasins Greenberg ltée [La] Brevetabilité de la matière vivante : les plantes transgéniques [La] La « fabrication fictive » et la lutte contre la piraterie aux Pays-Bas À quand l’octroi de licences transfrontières pour l’utilisation de droits d’auteur et de droits voisins en Europe ? Tir manqué de la directive européenne sur le droit d’auteur dans la société d’information [Le] Programmes d’ordinateur et le droit d’innovation technologique [Les] Titre 12 21 17 14 18 17 12 21 16 15 09 Vol. 2 1 2 2 3 2 3 1 HS 2 2 no 533 093 443 519 481 263 713 225 189 537 171 Page Index des auteurs 1483 Prénom Wilhelm Jacques Anthony Anthony Dominique Heine Marie Michel Alexandra Harald von Sylvain Dr. J. Thomas Janine Nom de famille HELLEMANS HELLEMANS HÉMOND HÉMOND HENRIE HENTSCHEL HÉTU HÉTU HEUMBER HIELMCRONE HIRSCH HOEREN HOLLESEN 17 23 01 Loi allemande du 1er novembre 1987 sur la protection des semi-conducteurs : origine, contenu et problèmes posés [La] Dépôt légal en Afrique du Sud [Le] 21 23 1 2 3 1 2 3 3 21 05 1 1 04 22 2 3 22 18 1 no 04 Vol. PREDEC française au miroir des litiges marques – noms de domaine [La] Dépôt légal au Danemark – Récents développements : le moissonnage des sites Internet [Le] Importations parallèles de produits brevetés [Les] Commission du droit d’auteur : fonctions et pratiques [La] Vancouver 2010 : Analyse de la protection renforcée accordée aux marques olympiques/paralympiques au Canada et comparaison avec la France Évolution de la protection juridique en matière industrielle dans l’Allemagne unifiée [L’] Adoption du Traité de Singapour sur le droit des marques Vers une nouvelle Loi sur le droit d’auteur Marques non traditionnelles dans une perspective de droit comparé américain, canadien et européen [Les] Réimpression : une hydre tentaculaire dans le monde de l’édition internationale au XIXe siècle – Les contrefaçons belges [La] Communication internationale en matière de brevets Titre 021 219 695 071 445 410 553 123 001 245 717 135 Page 1484 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Robert G. Roger T. Roger T. Marc-André Marc-André Ibrahim Ahmed Kamil Maria J. H.G. Sylvia Maja Bogata Nathalie Nathalie Nom de famille HOWELL HUGHES HUGHES HUOT HUOT IBRAHIM IDRIS IGLESIAS PORTELA INTVEN ISRAËL JANÈIÈ, JODOIN JODOIN Cour suprême se penche sur l’interprétation et l’analyse en contrefaçon des brevets [La] Nouveauté, activité inventive et utilité en matière de brevet Héritage culturel imprimé de la Slovénie [L’] Diversité culturelle en question(s) [La] Révision judiciaire de la première décision de la Commission du droit d’auteur en matière de droits de retransmission Bibliothèques numériques et le droit d’auteur en Europe : qu’en est-il ? [Les] Intellectual Property as a Tool for Economic Growth Évolution de la condition des auteurs étrangers en Égypte [L’] Responsabilité des actionnaires, administrateurs et dirigeants lorsque la compagnie viole des droits de propriété intellectuelle [La] Article 6(1) de la Loi sur les dessins industriels : une stratégie pour réduire les risques de contrefaçon [L’] Perspective – Après vingt ans [Une] Libre-échange et la propriété industrielle [Le] Récents développements dans la commercialisation des personnages et les droits de la personnalité dans les juridictions de common law : Crocodile Dundee ; Ninja Turtles et Ewoks Titre 13 12 23 18 04 19 16 16 17 10 20 01 07 Vol. 3 3 1 3 2 3 HS HS 1 1 3 3 2 no 821 659 363 665 245 937 227 209 067 101 709 347 231 Page Index des auteurs 1485 Prénom Nathalie Nathalie Nathalie Yann Isabelle Dylan Caroline Caroline Caroline Caroline Nom de famille JODOIN JODOIN JODOIN JOLY JOMPHE JONES JONNAERT JOANNERT JONNAERT JONNAERT Marques de commerce et référencement payant ou Comment se démarquer sur le web... en quelques mots clés Régimes de gestion collective sous la loupe : les cinq meilleures décisions de la Commission du droit d’auteur du Canada en 2010 [Les] La décision Robinson c. Cinar : quelle protection pour les personnages fictifs Affaire John Stagliano ou les difficultés pouvant être rencontrées lors de l’exécution d’une ordonnance Anton Piller [L’] Droit des radiodiffuseurs sur leurs signaux de communication et la mise en application de la Convention de Rome : un biscotto rassis pour le Canada [Le] Article 5 de la Loi sur les marques de commerce : une espèce en voie de disparition [L’] Accès aux médicaments : le système international des brevets empêchera-t-il les pays du tiers monde de bénéficier des avantages de la pharmacogénomique Deux certitudes au Canada : la mort et l’obligation de bien payer ses taxes de maintien de brevet Procès séparé sur l’interprétation des revendications d’un brevet au Canada : la procédure américaine Markman est-elle la bienvenue ? [Un] Antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure : des principes « taillés sur mesure » [L’] Titre 23 23 22 18 11 14 16 16 16 15 Vol. 3 2 2 3 1 1 1 3 1 1 no 1259 893 335 605 107 257 131 853 279 241 Page 1486 Les Cahiers de propriété intellectuelle Ian Ian Rémy Rémy KERR KERR KHOUZAM KHOUZAM Howard P. John M. KERNOCHAN KNOPF André KÉRÉVER Peter Gunnar W. G. KARNELL Janko Jean-François JUTRAS KLASINC Jean-François JOURNAULT KITE Prénom Nom de famille Gestion collective des droits d’auteur dans la communauté universitaire canadienne : une alternative au statu quo ? [La] Héritage culturel imprimé de la Slovénie [L’] Droit d’auteur des journalistes en Australie [Le] Portrait de 2009 en quelques décisions intéressantes sinon « divertissantes » [Un] Évolution des droits voisins et le réalisateur de son : (re)définition d’un statut juridique [L’] Mesures de protection technique : Partie II – Protection juridique des MPT Mesures de protection technique : Partie I – Tendances en matière de mesures de protection technique et de technologies de contournement Cent deux ans plus tard : les États-Unis adhèrent à la Convention de Berne Droit d’auteur et mondialisation Moral Rights and Modern Times – The Gradual Obsolescence of Section 51 of the Swedish Copyright Act Quelques décisions-clés rendues en 2008 en matière de règlement des différends de noms de domaine .CA Mise au secret d’invention suite au dépôt d’une demande de brevet en vertu du Invention Secrecy Act [La] Titre 12 23 12 22 13 15 15 02 10 16 21 22 Vol. 1 1 2 2 1 3 2 2 1 HS 2 3 no 095 363 599 369 095 805 575 209 019 255 371 745 Page Index des auteurs 1487 Prénom Howard P. Tarja Panagiota Panagiota Éric Jacques Jacques Christel Christel Christel Nom de famille KNOPF KOSKINEN-OLSSON KOUTSOGIANNIS KOUTSOGIANNIS LABBÉ LABRÈCHE LABRÈCHE LACARRIÈRE LACARRIÈRE LACARRIÈRE Conditions, selon le droit communautaire, de l’usage par un tiers d’une marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service [Les] Public de référence aux fins de l’appréciation de la dégénérescence d’une marque selon le droit communautaire [Le] Conditions de la protection d’une couleur en tant que telle à titre de marque au regard de la jurisprudence communautaire [Les] Nouvelle directive de la Direction des brevets sur la brevetabilité des logiciels : commentaires ou You’ve come a long way baby but there’s still a way to go ! Droit pénal en marques de commerce et droit d’auteur : survol Accès aux dispositifs de neutralisation des œuvres verrouillées : une condition nécessaire à l’exercice d’exceptions au droit d’auteur [L’] Responsabilité du concédant de licence de marques de commerce à l’égard de produits défectueux [La] Copropriété des brevets : une analyse [La] Extended Collective License – A Practical Example from Finland Why Canada Needs Parody Parity and Comedy Comity – Copyright Control of Canadian Humour Titre 17 17 16 08 07 14 19 12 16 20 Vol. 3 1 1 2 3 3 1 3 HS 3 no 713 149 299 337 341 741 145 949 263 717 Page 1488 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Christel Christel Christel Christel Christel Christel Patrick France France Mireille Cedric G. Diane Daniel Nom de famille LACARRIÈRE LACARRIÈRE LACARRIÈRE LACARRIÈRE LACARRIÈRE LACARRIÈRE LACASSE LAFLEUR LAFLEUR LAFORCE LAM LAMARRE LAMETTI Auteurs sont-ils des employés ? Certaines réflexions sur la propriété des droits d’auteur dans le contexte scolaire [Les] Vis-art droit d’auteur Inc. Notion de privilège et la pratique de l’agent de brevets au Canada [La] Dépôt légal au Québec et les problématiques soulevées au regard du droit d’auteur à l’ère de l’édition numérique [Le] SOCAN CAPAC Injonction et les ordonnances Anton Piller, Mareva et Norwich [L’] (compte rendu) Détermination du degré de similitude entre les marques [La] Tableaux de concordance et droit communautaire : une mise au parfum attendue Marques et produits du tabac : quand la nature des produits fait obstacle au bénéfice de la renommée Critères d’appréciation de la publicité comparative en droit communautaire [Les] Recevabilité des preuves d’usage produites pour la première fois devant une Chambre de Recours de l’O.H.M.I. dans le cadre d’une procédure d’opposition Nécessaire distinctivité des demandes de marques communautaires tridimensionnelles [La] Titre 12 03 12 23 03 01 21 23 22 21 20 19 18 Vol. 1 3 3 1 1 3 2 3 1 1 1 1 2 no 011 373 867 261 125 415 569 1407 125 231 193 331 379 Page Index des auteurs 1489 Prénom Madeleine Louis-Charles J. Nelson J. Nelson Joanie Marie-Josée Marie-Josée Marie-Josée Marie-Josée Marie-Josée Marie-Josée Nom de famille LAMOTHE-SAMSON LANDREVILLE LANDRY LANDRY LAPALME LAPOINTE LAPOINTE LAPOINTE LAPOINTE LAPOINTE LAPOINTE Lignes directrices de Santé Canada concernant les noms de produits de santé à présentation et à consonance semblables : une pilule difficile à avaler ? [Les] Impact des mesures canadiennes et américaines de contrôle des exportations sur la recherche et le développement [L’] Affaire John Stagliano ou les difficultés pouvant être rencontrées lors de l’exécution d’une ordonnance Anton Piller [L’] Vers une reconnaissance de nos produits du terroir Marques de commerce contre noms commerciaux : qui sera le gagnant ? Buvons un dernier verre de champagne canadien Pools de brevets dans l’industrie biopharmaceutique : la pertinence d’une utilisation ciblée [Les] Importations parallèles et la protection d’un réseau de distribution [Les] Résumé de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Wayne John Stewart c. La Reine De la cassette au point-à-point (peer to peer) – Chronologie d’une dyspepsie Conditions d’existence du droit d’auteur ; n’oublions pas l’auteur et sa créativité ! [Les] Titre 21 20 18 18 17 17 22 05 01 20 15 Vol. 2 1 3 2 3 1 2 2 1 3 2 no 299 091 605 277 497 119 219 227 111 747 619 Page 1490 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Sébastien Serge Philippe Lorraine Serge Jules François François Julie Julie Pamela Annie Annie Nom de famille LAPOINTE LAPOINTE LAPORTE LAQUERRE LARIVÉE LARIVIÈRE LAROSE LAROSE LAROUCHE LAROUCHE LARREA LASALLE LASALLE Affaire LEGO en Cour suprême : constitutionnalité et fonctionnalité [L’] Instruction distincte des questions en litige en Cour fédérale Protection des producteurs de phonogrammes en droit international et en droit canadien [La] Marquage des produits visant la protection de l’environnement et de la santé du public [Le] Marque de certification au Canada [La] Décision Cité Amérique et la titularité du droit d’auteur sur l’œuvre cinématographique [La] Auteur des œuvres musicales composées pour un film : auteur d’une œuvre dramatique ? [L’] Bibliothèques et la nouvelle loi canadienne sur le droit d’auteur : un commentaire [Les] Notion de plagiat scientifique [La] Impact des mesures canadiennes et américaines de contrôle des exportations sur la recherche et le développement [L’] Petite entité peut rester petite ; la grande demeurera toujours grande [La] Histoire des brevets [L’] Plus que prévu ! Évolution des pratiques du Bureau des marques de commerce en matière de logiciel et de technologies de l’information Titre 18 17 06 21 14 15 15 10 08 20 15 12 14 Vol. 2 2 2 3 2 2 1 2 1 1 3 3 1 no 389 395 173 603 625 705 057 351 159 091 1007 633 363 Page Index des auteurs 1491 Prénom Sylvie Chloé Pascal Pascal Jeremy Marshall Jean Caroline Diane Diane Jeannette Éric Nom de famille LATOUR LATULIPE LAUZON LAUZON LAWSON LEAFFER LECLAIR LECLERC LEDUC CAMPBELL LEDUC CAMPBELL LEE LEFEBVRE Idée et de son expression : un concept dépassé ? [De l’] Mutation numérique : les œuvres produites au moyen du MIDI et le régime canadien du droit d’auteur [La] Droit des marques de commerce au Canada : perspectives et prospectives [Le] Protocole de Madrid [Le] Être au parfum : protéger la marque de commerce olfactive au Canada ? Constitutionnalité des dispositions de la Loi sur le droit d’auteur relatives aux droits des distributeurs exclusifs de livres [La] Journalistes pigistes à l’ère numérique : réflexions sur l’affaire Tasini c. New York Times [Les] Abandon, la mort et la résurrection de brevets et de demandes de brevet au Canada [L’] Le partage des profits entre copropriétaires de brevets : Un survol international – Une réponse pour le Québec ? Protection des technologies du Web [La] Contrefaçon et validité d’un brevet – Concurrence déloyale : commentaire sur l’affaire M.K. Plastics Corporation c. Plasticair Inc. Cadre juridique de la gestion collective des droits d’auteur au Canada [Le] Titre 07 11 10 09 15 11 12 19 21 12 20 06 Vol. 3 1 1 1 3 1 2 3 1 3 1 3 no 387 623 221 133 865 141 449 989 123 695 205 343 Page 1492 Les Cahiers de propriété intellectuelle Jacques A. Jacques A. LÉGER LÉGER Pierre Paul Jacques A. LÉGER LEMYRE Jacques A. LÉGER Simon Jacques A. LÉGER LEMAY Éric LEFEBVRE Jacques A. Éric LEFEBVRE Catherine Éric LEFEBVRE LEMAY Éric LEFEBVRE LÉGER Prénom Nom de famille Logiciels libres et ouverts : impacts juridiques sur les utilisateurs québécois Confusion [La] Cession d’un brevet au domaine public Métamorphose de la PI [La] Lois sur le statut de l’artiste : une approche constitutionnelle ou l’art de l’ubiquité Protection des artistes – Droit d’auteur – Droit voisin – Une autre approche constitutionnelle Affaire Bishop [L’] Analyse et évolution des ordonnances Anton Piller et Mareva au Canada Amendements à la Loi sur les brevets : une nouvelle philosophie ? [Les] Gestion collective du droit d’exécution publique : historique du tarif de la radio de 1935 à 1977 [La] Première décision de la Commission du droit d’auteur sur les droits voisins : un rendez-vous manqué et une stabilisation législative qui s’impose [La] Droits des artistes-interprètes sur leur prestation : de la Convention de Rome au projet de loi C-32 [Les] Décisions du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs visant le droit d’auteur [Les] Titre 17 14 15 20 05 05 03 02 01 15 13 11 10 Vol. 3 1 3 3 2 1 2 3 1 1 2 1 2 no 597 291 1017 767 267 009 185 377 079 095 363 033 461 Page Index des auteurs 1493 Prénom France France France Martin Danielle Danielle Silke v. Romain Muriel André André André Florence Nom de famille LESSARD LESSARD LESSARD LETENDRE LÉTOURNEAU LÉTOURNEAU LEWINSKI LEYMONERIE LIGHTBOURNE LUCAS LUCAS LUCAS LUCAS Vie après la mort : l’œuvre posthume et sa divulgation [La] Droit international privé et droit d’auteur Loi applicable aux contrats d’exploitation des droits d’auteur et des droits voisins [La] Propriété de l’information après l’arrêt Stewart [La] Sécurité alimentaire et propriété intellectuelle Cryptage et droit d’auteur Legal Presumptions of Transfer of Rights of Audiovisual Performers in Selected European Countries Affaire Cohen [L’] Qui est l’auteur de l’œuvre cinématographique au Canada ? Brevetabilité et génétique humaine : perspective internationale du dialogue entre l’Europe et la France à l’égard de la directive 98/44/CE « Sélection » de brevets, cuvée 2008 Achalandage résiduel des marques abandonnées : l’âme d’une marque survit-elle à la mort ? [L’] Envers et contre tous : l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce est-il vraiment la défense ultime contre toute action en passing off ? Titre 19 22 16 02 18 10 16 08 08 13 21 19 18 Vol. 3 3 HS 1 3 2 HS 2 1 3 2 3 2 no 1049 761 289 115 501 407 275 349 011 655 449 1019 291 Page 1494 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Marie Roy Ejan Ejan Ejan Ejan Dennis M. Delphine Robert Anne Stéphanie Julian Nom de famille LUSSIER MACHAALANY MACKAAY MACKAAY MACKAAY MACKAAY MAGNUSSON MAILLET MAINVILLE MALÉPART MALO MALONE Échantillonnage numérique d’enregistrements sonores et le droit d’auteur au Canada [L’] Preuve par sondage en matière de marques de commerce [La] Dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain relatives à la propriété intellectuelle et la clause d’exemption culturelle [Les] Survol de l’état du droit autochtone en matière de protection du patrimoine culturel Numérisation des œuvres de l’esprit [La] Protection du droit d’auteur pour les œuvres produites par ordinateur : y a-t-il du neuf depuis qu’Arthur Miller nous a dit qu’il n’y avait rien de nouveau depuis le rapport final de la CONTU ? [La] Édition électronique par et pour la communauté scientifique [L’] Économie des droits de propriété émergents sur l’Internet [L’] Marché du progiciel : licence ou vente ? [Le] Contrat d’édition de progiciel en Amérique du Nord [Le] Abandon, la mort et la résurrection de brevets et de demandes de brevet au Canada [L’] Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur et les enregistrements sonores : le Canada dans un contexte international [La] Titre 16 13 06 19 10 13 12 09 06 01 19 11 Vol. 2 2 2 1 3 3 1 2 3 3 3 1 no 343 403 139 183 555 695 159 281 402 395 989 075 Page Index des auteurs 1495 Prénom A. Sasha Alessandro Emmanuel Ismay Ismay Guillaume Julie Stefan Stefan Stefan Stefan Stefan Stefan Nom de famille MANDY MANNINI MANOLAKIS MARÇAIS MARÇAIS MARCHAIS MARONANI MARTIN MARTIN MARTIN MARTIN MARTIN MARTIN Concurrence déloyale et confiscation des profits en droit civil québécois : bien mal acquis ne profite pas Rémunération pour copie privée [La] Nouveaux recours en contrefaçon suite aux modifications de 1997 à la Loi sur le droit d’auteur [Les] Exceptions au droit de reproduction en faveur des milieux éducatifs [Les] Couleur ou noir et blanc : une simple question de goût ? Copie privée [La] Marques de commerce et référencement payant ou Comment se démarquer sur le web... en quelques mots clés Réalités et perspectives européennes et internationalisation du droit des dessins et modèles industriels Tirailleur sénégalais de BANANIA : un symbole historique détaché de la marque [Le] Logiciels libres face au droit [Les] Protection des bouteilles par l’entremise de brevets et de dessins industriels [La] Protection de marques non enregistrées et autres signes commerciaux en Italie Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise après la délivrance d’un brevet : la Cour fédérale d’appel clarifie la portée de l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets Titre 14 11 11 04 02 02 23 11 21 17 19 21 23 Vol. 3 1 1 3 3 1 3 2 3 3 2 2 3 no 775 327 219 281 357 027 1259 525 749 737 477 555 1417 Page 1496 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Stefan Stefan Stefan Stefan Stefan Stefan Stefan Cédric Randy W. Christophe Paul-André Nom de famille MARTIN MARTIN MARTIN MARTIN MARTIN MARTIN MARTIN MARTINEZ MARUSYK MASSE MATHIEU Franchise et marques de commerce Limites qu’impose le droit de la concurrence aux contrats de licence de droits de propriété intellectuelle : étude comparative du droit canadien, américain et européen [Les] Biotechnologie, tissu humain et nouveau Code civil du Québec Intérêt général et l’accès à l’information en propriété intellectuelle [L’] Utilisation d’une marque de commerce « étrangère » sous l’égide de la Charte de la langue française [L’] Droit d’auteur en mouvement : chronique de l’année 2008 [Le] Droit d’auteur en mouvement : chronique de l’année 2007 – L’interdit d’interdire [Le] Cuisine en quête d’agents conservateurs : la protection des créations culinaires [La] Protection des créations de mode à la lumière de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans Import Export René Derhy (Canada) inc. c. Magasins Greenberg ltée [La] Rira bien qui rira le dernier : la caricature confrontée au droit à l’image Dessin et modèle communautaires : analyse du Règlement no 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 [Les] Titre 10 15 06 21 22 21 20 19 17 16 15 Vol. 3 2 1 2 1 3 2 2 2 2 1 no 643 395 099 571 135 629 547 499 263 611 135 Page Index des auteurs 1497 Prénom Paul-André Brigide Colette Lionel Alana Alana Anne-Marie Anne-Marie Hélène Hélène Hélène Nébila Jean-Philippe Nom de famille MATHIEU MATTAR MATTEAU MAUREL MAURUSHAT MAURUSHAT McSWEEN McSWEEN MESSIER MESSIER MESSIER MEZGHANI MIKUS Propriété intellectuelle et droit de passage sur Internet : le droit confronté aux noms de domaine Protection des logiciels par le droit d’auteur dans certains pays arabes [La] Projet de loi C-60 et les exceptions pour le milieu de l’éducation [Le] Jean-Paul, Rémi, Bella, Blanche... et une, une souris verte UNEQ [L’] Arrêt Lampe Berger c. Pot pourri Accent de la Cour d’appel et sa portée devant les tribunaux québécois [L’] Affaire Fortier c. Gestion B. Brisson et associés : l’artiste, le galeriste et la loi [L’] Mesures de protection technique : Partie II – Protection juridique des MPT Mesures de protection technique : Partie I – Tendances en matière de mesures de protection technique et de technologies de contournement Panorama des systèmes de métadonnées juridiques et de leurs applications en bibliothèque numérique Décisions du Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs visant le droit d’auteur [Les] Protection des technologies du Web [La] Clauses de non-concurrence dans les contrats de franchise ou Qui trop embrasse mal étreint [Les] Titre 10 10 18 07 02 20 18 15 15 19 10 12 11 Vol. 3 3 1 2 3 1 3 3 2 1 2 3 3 no 623 689 185 219 405 213 619 805 575 241 461 695 701 Page 1498 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Jean-Philippe Jean-Philippe Jean-Philippe Jean-Philippe Jean-Philippe Robert Adam Adam Adam Adam Nom de famille MIKUS MIKUS MIKUS MIKUS MIKUS MITCHELL MIZERA MIZERA MIZERA MIZERA Être agent de brevets et avocat a ses privilèges ? Le secret professionnel pour un avocat agissant comme agent de brevets Cour d’appel fédérale bloque l’importation de la procédure Markman au Canada, pour l’instant [La] Deux certitudes au Canada : la mort et l’obligation de bien payer ses taxes de maintien de brevet Procès séparé sur l’interprétation des revendications d’un brevet au Canada : la procédure américaine Markman est-elle la bienvenue ? [Un] Réflexion canadienne sur vingt ans de changements dans les systèmes de brevets Cinq décisions importantes de l’année 2009 en droit des marques de commerce Marques de commerce – Cinq décisions importantes de l’année 2008 « Emploi » et marques de commerce non enregistrées : l’affaire BMW devant la Cour d’appel fédérale Chevauchements de droits en propriété intellectuelle – Deuxième partie : la cavalcade du droit d’auteur et du droit des marques de commerce Chevauchements de droits en propriété intellectuelle – Première partie : le rodéo du droit des brevets et des marques de commerce Titre 17 16 16 16 20 22 21 20 15 14 Vol. 2 3 3 1 3 2 2 1 1 1 no 399 865 853 279 779 403 471 221 167 311 Page Index des auteurs 1499 Prénom Adam Adam Adam Adam Gabrielle Gabrielle Charles Charles Jean-Frédéric Philippe Nom de famille MIZERA MIZERA MIZERA MIZERA MOISAN MOISAN MORGAN MORGAN MORIN MORIN Mesures techniques de protection du droit d’auteur – Aperçus des conséquences possibles en droit canadien : copie pour usage privé et exceptions au droit d’auteur – Partie I [Les] Divulgation de l’origine des ressources génétiques : une contribution du droit des brevets à la protection de l’environnement [La] Jumping to iCrave’s Conclusion ? : les amendements proposés à la disposition sur la retransmission de la Loi sur le droit d’auteur Noms de domaine et marques de commerce utilisés sur Internet : un survol des enjeux actuels d’une perspective canadienne Gouvernement doit-il rester propriétaire des brevets d’invention découlant de ses subventions ? [Le] Détermination des inventeurs d’une invention [La] Obtenir un brevet sur une méthode d’affaires au Canada ne se fait pas simplement en « un clic » Les propriétaires de dessins industriels se rongeront moins les ongles suite à une décision sur des limes Définir un critère d’inventivité pour les brevets : ce n’est pas évident À la poursuite du dossier de poursuite : les figures supprimées d’un dossier de poursuite de brevet canadien utilisées comme « publications » pour invalider un brevet américain Titre 17 17 15 14 23 22 21 21 19 18 Vol. 2 1 1 3 2 3 3 1 3 3 no 277 131 257 793 1027 813 645 241 1155 631 Page 1500 Les Cahiers de propriété intellectuelle Sylviane A. David A. David Jason Jean-Marc Pierre-Emmanuel Droit des auteurs et droit de la consommation dans le cyberespace : la relation auteur/utilisateur Pierre-Emmanuel Noms de domaine : un pavé dans la marque [Les] Pierre-Emmanuel Parodie [La] Pierre-Emmanuel Créatures subjuridiques – Les banques de données [Les] Pierre-Emmanuel Droit d’auteur des journalistes dans l’exercice de leur emploi [Le] Pierre-Emmanuel Loi canadienne sur le droit d’auteur doit-elle être repansée ? [La] Pierre-Emmanuel Club des cinq et les mystères du droit de la concurrence [Le] MORRIER MORROW MORROW MOSCOVICI MOUSSERON MOYSE MOYSE MOYSE MOYSE MOYSE MOYSE MOYSE Droit des brevets, demain – Point de vue français [Le] Revue de décisions canadiennes de PI rendues en 2009-2010 Leçons tirées de la jurisprudence pour le développement de pratiques exemplaires Loi canadienne sur les brevets – une prospective [La] Protection des indications géographiques et des appellations d’origine : un aperçu des cadres législatifs national et international [La] Protection de l’auteur-compositeur dans le cadre du contrat d’édition musicale [La] Mesures techniques de protection du droit d’auteur : aperçus des conséquences possibles en droit canadien : atteinte à la liberté d’expression – Partie II [Les] Philippe MORIN Titre Prénom Nom de famille 21 14 12 12 10 09 09 10 22 10 07 01 18 Vol. 2 2 2 1 3 3 1 1 3 1 3 2 1 no 487 695 359 131 669 425 011 057 793 143 313 173 097 Page Index des auteurs 1501 Alain Victor Victor Victor Patrick Jean-François Jean-François Jean-François Garabed Garabed Marcel MURAD NABHAN NABHAN NABHAN NACCACHE NADON NADON NADON NAHABEDIAN NAHABEDIAN NAUD Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement : la détermination d’interdits élevée au rang d’art Statut de petite ou de grande entité d’un breveté/demandeur au Canada [Le] OMC se penche sur la Loi sur les brevets du Canada : deux décisions d’importance [L’] Pourquoi Médoc n’est plus une appellation générique au Canada ? Interaction de la Loi 101 et du droit des marques [L’] Premiers pas de la jurisprudence relative aux noms de domaine.ca [Les] Protection des bouteilles par l’entremise de brevets et de dessins industriels [La] Coup d’œil furtif : 20 ans de droit d’auteur sur la scène internationale : bilan et perspectives Accord de libre-échange nord-américain et sa mise en œuvre en matière de droit d’auteur [L’] Droit d’exposition des œuvres artistiques [Le] Protection des marques notoires et théorie de la dilution : une analyse comparative du droit américain et canadien à la lumière de décisions récentes de la Cour suprême du Canada Pierre-Emmanuel Coupables par Defoe : Un commentaire de l’affaire Robinson c. Films Cinar MOYSE Titre Prénom Nom de famille 20 14 13 17 16 16 19 20 06 03 19 22 Vol. 2 2 2 1 3 2 2 3 1 3 1 1 no 579 709 487 157 723 577 477 795 009 305 015 043 Page 1502 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Marcel Cate Laurier Yvon Laurier Yvon Laurier Yvon Laurier Yvon Laurier Yvon Tomek Wilhelm Clémence Clémence Nom de famille NAUD NEWTON NGOMBÉ NGOMBÉ NGOMBÉ NGOMBÉ NGOMBÉ NISHIJIMA NORDEMANN NORMAND NORMAND Réguler le commerce électronique par la résolution des litiges en ligne : une approche critique Revendication d’ancienneté dans la marque communautaire : une question stratégique qui révèle de grands enjeux [La] New Imperative Contract Rules Implemented Into the German Copyright Law Reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur : un interdit ? [La] Protection du folklore dans le Protocole de Swakopmund adopté par l’ARIPO (African Regional Intellectual Property Organization) [La] Loi dite « Création et Internet » ou Le législateur français et le casse-tête technologique [La] Nouvelle séquence jurisprudentielle dans la confrontation MTP vs copie privée : l’affaire Mulholland Drive devant la Cour d’appel de Paris statuant sur renvoi Mesures techniques de protection versus copie à usage privé : fin du feuilleton en France ? Oeuvre audiovisuelle dans les États de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) [L’] Bibliothèque nationale d’Écosse : le dépôt légal dans une administration décentralisée [La] Survol de cinq décisions d’intérêt en matière de noms de domaine en 2010 Titre 18 18 16 20 23 2 2 HS 2 2 3 3 19 21 3 2 1 2 no 18 17 23 23 Vol. 437 319 309 257 941 657 1167 531 337 083 923 Page Index des auteurs 1503 Caroline G. Caroline G. Caroline G. François François François Maxime OUELLET OUELLET OUELLET PAINCHAUD PAINCHAUD PAINCHAUD PANACCIO Incidences de la faillite sur la propriété intellectuelle Gouvernement doit-il rester propriétaire des brevets d’invention découlant de ses subventions ? [Le] Cour supérieure de l’Ontario se prononce sur l’obligation d’une partie contractante à verser des royautés [La] Survivance des obligations des licenciés à l’expiration ou l’invalidation d’un brevet et la divulgation des secrets de commerce [La] Œuvre créée ou non créée en collaboration ? Là est la question... L’arrêt Drapeau c. Girard Où en est la protection des droits connexes au droit d’auteur ? Partie II – Textes nationaux Où en est la protection des droits connexes au droit d’auteur ? Partie I – Les textes internationaux Animaux sont-ils brevetables ? L’opinion d’un agent de brevets [Les] Fansubbing et droit d’auteur : le sous-titrage par les fans d’œuvres protégées est-il légal ? Thierry Sulliman OMARJEE De la copie à l’anticopie, réflexions sur un droit d’auteur en pleine mutation... ORLHAC Sulliman OMARJEE Appellations d’origine en France [Les] Sommaire de l’enquête menée auprès de tous les États membres qui ont ratifié les deux traités WCT et WPTT de l’OMPI Norbert OLSZAK Titre OMPI Prénom Nom de famille 15 23 20 19 16 16 15 09 16 17 17 19 Vol. 2 2 1 3 3 1 3 3 2 1 1 2 no 475 1027 231 1069 875 185 905 413 605 177 165 519 Page 1504 Les Cahiers de propriété intellectuelle Nicolas Nicolas Nicolas Nicolas Nicolas PELÈSE PELÈSE PELÈSE PELÈSE PELÈSE Serge PARISIEN Louis Serge PARISIEN Nicolas Jean-Philippe PARÉ PELÈSE Jean-Philippe PARÉ PAYETTE Prénom Nom de famille Marque communautaire et mauvaise foi : quand la CJCE nous pose un lapin – Commentaire sur l’affaire Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG c. Franz Hauswirth GmbH (CJCE Aff. C-529/07, 11 juin 2009) Analyse des conditions de refus des marques constituées de termes géographiquement descriptifs – L’arrêt du TPICE dans l’affaire Port Louis De l’autonomie des motifs absolus de refus des marques non distinctives Modèles réduits et marques automobiles : réduction des droits des constructeurs ? Diversité linguistique et acquisition du caractère distinctif par l’usage au Benelux Nécessaire protection des entreprises cessionnaires de marques constituées de noms patronymiques [La] Hypothèque grevant une invention non brevetée Secrets commerciaux face aux impératifs de transparence de l’État (la communication des renseignements à valeur économique sous la Loi sur l’accès à l’information du Québec) [Les] Secrets commerciaux face aux impératifs de transparence de l’État (la protection des renseignements à valeur économique sous la Loi sur l’accès à l’information du Québec) [Les] Dépôt légal au Québec et les problématiques soulevées au regard du droit d’auteur à l’ère de l’édition numérique [Le] International Copyright Law and Policy (compte rendu) Titre 21 21 21 19 19 18 3 2 1 3 1 3 3 3 10 14 2 1 2 no 10 23 21 Vol. 749 547 253 1175 341 643 889 601 485 261 577 Page Index des auteurs 1505 Prénom Nicolas Nicolas Nicolas René René René René René René René René René René Nom de famille PELÈSE PELÈSE PELLEMANS PEPIN PEPIN PEPIN PEPIN PEPIN PEPIN PEPIN PEPIN PEPIN PEPIN Loi sur le droit d’auteur et les appareils de reproduction mécanique [La] Autre gadget ! Encore ? Cette fois, c’est la « slingbox » [Un] La notion d’autorisation en droit d’auteur : un concept insaisissable ? Interdiction de plus d’un siècle : les droits des artistes, interprètes et compagnies de disques, du néant aux « droits voisins », jusqu’aux « droits d’auteur » [Une] Fonction « Search Inside this Book » du logiciel de la librairie Amazon est-elle légale ? [La] Conversations et entrevues sont-elles protégées par le droit d’auteur [Les] ? Téléréalité et droit d’auteur Échange de fichiers musicaux par Internet : où en sommes-nous à la fin de l’année 2002 ? [L’] Affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel : le droit de reproduire la documentation juridique est limité [L’] Et si Napster était une compagnie canadienne ? Où faut-il obtenir une protection par brevet ? Marques et noms de famille : assouplissement des critères d’évaluation du risque de confusion [Les] Exception de miniature ou quand les principes généraux du droit des marques limitent la protection conférée par celles-ci [L’] Titre 23 22 21 20 19 18 16 15 15 14 12 23 22 Vol. 2 1 1 2 1 1 3 3 1 2 3 2 2 no 955 075 163 475 277 141 741 947 269 671 887 1035 447 Page 1506 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Nadia Nadia Nadia Nadia Élodie Chloé Mark Serge Serge Serge Isabelle Marie Marie Nom de famille PERRI PERRI PERRI PERRI PETIT PHAM VAN HOA PHILLIPS PICHETTE PICHETTE PICHETTE PILLET PINSONNEAULT PINSONNEAULT Protection pour le monde des vivants [Une] Votre numéro de téléphone est-il enregistré à titre de marque de commerce ? L’affaire Pizza Pizza Limited Enregistrement de la marque notoire : réflexions pratiques et théoriques [L’] Évolution de la notion d’activité inventive comme condition de brevetabilité d’une invention et de validité d’un brevet [L’] Licence et exploitation : concession et licence Contrats de transferts de technologie [Les] Électronique juridique et juridisme électronique Têtu et « Les Jeux olympiques du sexe » Peut-on breveter les séquences EST sans gêne Cour supérieure de l’Ontario se prononce sur l’obligation d’une partie contractante à verser des royautés [La] Survivance des obligations des licenciés à l’expiration ou l’invalidation d’un brevet et la divulgation des secrets de commerce [La] Droit des brevets et droit de la concurrence : une cession de brevets peut-elle être considérée comme un acte anticoncurrentiel au sens de l’article 45 de la Loi sur la concurrence ? Pensez avant, prétendez après : les conséquences de la décision Elomari c. Agence spatiale canadienne Titre 03 02 14 20 12 10 20 22 13 20 19 18 17 Vol. 1 2 1 3 3 1 1 2 2 1 3 2 2 no 055 263 335 809 975 261 155 457 435 231 1069 399 411 Page Index des auteurs 1507 Prénom Marie Marie Frédérick Florence-Marie Sylvi Sylvi James James Gianluca Gianluca Frédéric Ariane Nom de famille PINSONNEAULT PINSONNEAULT PINTO PIRIOU PLANTE PLANTE PLOTKIN PLOTKIN POJAGHI POJAGHI POLLAUD-DULIAN PORCIN Droit botté ! [Le] Pour le droit moral Nouvelle mesure législative concernant la titularisation et la commercialisation en Italie des droits audiovisuels sportifs et la distribution des ressources de ces droits Journaliste auteur et travailleur [Le] Il existe maintenant un domaine .XXX pour les sites pornographiques, mais on ne sait trop qui le voulait et pourquoi Analyse du règlement Google Books et son rejet par un tribunal de New York Nouvelles exceptions en droit d’auteur canadien : un faux débat [Les] Sort du droit d’auteur dans le cadre des nouvelles technologies de diffusion [Le] Auteur, futur actionnaire de la société de l’information [L’] Quotidiens ont-ils le droit d’inclure leurs articles sur des bases de données ? Les conséquences de l’arrêt Robertson [Les] Problématique nouvelle : les marques de commerce et l’Internet Noms commerciaux vs marques de commerce... Un monde de confusion Titre 22 07 21 12 23 23 11 08 14 17 09 07 Vol. 1 1 1 2 3 3 1 1 3 1 1 2 no 099 008 263 507 1439 1427 175 079 829 185 125 259 Page 1508 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Annick Geneviève M. Richard Vincent-Joël Marianne Serge Alain Antoon A. Antoon A. Jennifer Michel Nom de famille POULIN PRÉVOST PRICE PROULX PROULX PROVENÇAL PRUJINER QUAEDVLIEG QUAEDVLIEG QUAID RACICOT Réforme du droit d’auteur au Canada – Projet de loi C-60 – Les programmes d’ordinateurs – Comparaison avec le droit américain [La] Quelques développements récents en droit de la concurrence [De] Salaire, profit, propriété intellectuelle : observations générales sur le droit du travail, le droit de la propriété intellectuelle et le droit des sociétés Théâtre-laboratoire au laboratoire du droit : la liberté du metteur en scène [Le] Propriété intellectuelle et arbitrage : quelques réflexions après l’arrêt Caillou Affaire CTV Television Network Ltd. c. Commission du droit d’auteur ou Le droit d’exposer ses œuvres musicales [L’] Notion d’emploi en association avec des services : la décision dans Express File Inc. c. HRB Royalty Inc. [La] Droit qui laisse sa marque (de commerce), même dans le cyberespace : peut-on transposer au web les règles terrestres de propriété intellectuelle ? [Un] Dépôt légal au Royaume-Uni Loi canadienne sur les brevets – une prospective [La] Plus que prévu ! Évolution des pratiques du Bureau des marques de commerce en matière de logiciel et de technologies de l’information Titre 01 22 11 21 16 03 18 16 23 10 14 Vol. 1 2 3 3 HS 1 1 3 1 1 1 no 049 317 729 673 321 107 195 767 313 143 363 Page Index des auteurs 1509 Prénom Michel Michel Bodoarimanana Christian Martine Hugues G. Hugues G. Hugues G. Gabriel Ernesto Larrea Camille André Georges T. Annie Nom de famille RACICOT RACICOT RAMBAHASINA RECHT RENAUD RICHARD RICHARD RICHARD RICHERAND RIDEAU RIVEST ROBIC ROBITAILLE Protection des indications géographiques et des appellations d’origine : un aperçu des cadres législatifs national et international [La] Usage de la marque d’autrui qui n’entraîne pas de confusion Vendre par le sexe : examen sommaire des limites légales à la représentation du sexe dans la publicité Résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle (Compte rendu) Reflections on Cultural Diversity, Issues in Mexico and the International Agreement on Cultural Diversity Droit d’auteur des journalistes dans l’exercice de leur emploi [Le] Demande à l’enregistrement : les méandres du Bureau du registraire des marques de commerce [De la] Constitutionnalité de l’alinéa 7 b) de la Loi sur les marques de commerce [De la] Dépôt légal et les questions de droit d’auteur – Bibliographie générale [Le] Dépôt légal en Autriche [Le] Dépôt légal et le droit d’auteur à Madagascar [Le] Agaguk : un nouveau conflit fédéral-provincial ? Protection des logiciels en droit canadien [La] Titre 07 04 20 23 16 12 06 01 23 23 23 04 02 Vol. 3 3 2 3 HS 2 1 2 1 1 1 3 2 no 313 383 499 1443 349 359 107 229 641 041 211 401 147 Page 1510 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Annie Philippe Philippe Philippe Philippe Philippe Marshall Nicolas Nicolas Nicolas Marion Virginie Ghislain Nom de famille ROBITAILLE RODHAIN RODHAIN RODHAIN RODHAIN RODHAIN ROTHSTEIN ROUART ROUART ROUART ROUCOU ROUSSEAU ROUSSEL Loi pour les créateurs... sur les contrats de diffusion [Une] Justifications philosophiques de la protection du logiciel par le copyright [Les] Protection des marques sur Internet [La] Gestion collective et les règles européennes de concurrence [La] Déclin ou renouveau de la Convention de Berne Harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins : présentation et critique de la directive du Conseil des Communautés européennes Memories Marques vinicoles : « La Vie de Château ? » Procédures alternatives de résolution des litiges en .fr Émergence d’une nouvelle tendance [Les] Libéralisation du « .fr » : suppression du droit au nom Marque internationale : l’espagnol au sein du système de Madrid Judicieux équilibre entre harmonisation et intérêts culturels – Nouvelle législation néo-zélandaise relative aux marques Perspective sur les marques de commerce tridimensionnelles [Une] Titre 01 16 19 09 07 06 20 22 17 16 16 16 13 Vol. 2 1 2 2 2 3 3 1 1 3 3 2 1 no 259 233 709 309 277 417 145 197 891 885 567 227 Page Index des auteurs 1511 Prénom Ghislain Ghislain Ghislain Ghislain Ghislain Ghislain Sébastien Gilles de Bertrand Trina K. Pierre Élisabeth Gérard Henri Sophie Nom de famille ROUSSEL ROUSSEL ROUSSEL ROUSSEL ROUSSEL ROUSSEL ROY SAINT-EXUPÉRY SALVAS SARIN SAVOIE SCHLITTLER SCHUIJT SÈNE SEPETJAN Dépôt légal en France [Le] Dépôt légal et la législation sur le droit d’auteur au Sénégal : Évolution historique et situation actuelle [Le] Droit d’auteur des journalistes aux Pays-Bas [Le] Société des auteurs et compositeurs dramatiques, S.A.C.D. Encadrement de la publicité de boissons alcooliques au Canada [L’] Protection des technologies du Web [La] Gestion collective à l’heure de l’Internet [La] Droit des utilisateurs en droit d’auteur canadien Sites Web contrefacteurs : les dangers de l’application rigoriste de la Loi sur le droit d’auteur Nouveaux services et la protection de radiodiffuseurs en droit d’auteur [Les] Dépôt légal et le droit d’auteur – État de situation et étude comparative [Le] Sport et propriété intellectuelle (compte-rendu) Cahiers, une jeune adulte pétante de santé [Les] Environnement numérique et les traités de l’OMPI sur le droit d’auteur et sur les prestations, exécutions et phonogrammes [L’] Droit d’auteur... c’est aussi chinois [Le] Titre 23 23 12 02 19 12 13 22 15 23 23 22 20 09 03 Vol. 1 1 2 1 2 3 1 3 2 2 1 3 3 3 3 no 169 331 495 135 551 695 139 777 653 1061 383 827 831 491 367 Page 1512 Les Cahiers de propriété intellectuelle Prénom Irena Todd H. Asim Asim Asim Asim Asim Asim Pierre Michel Michel Barry B. Barry B. Nom de famille SEŠEK SHUSTER SINGH SINGH SINGH SINGH SINGH SINGH SIRINELLI SOFIA SOLIS SOOKMAN SOOKMAN Opinion d’un étranger sur le droit américain régissant la protection des logiciels par le droit d’auteur Création assistée par ordinateur d’œuvres protégées par le droit d’auteur Plus que prévu ! Évolution des pratiques du Bureau des marques de commerce en matière de logiciel et de technologies de l’information Introduction au PCT et comment en tirer profit Droit d’auteur : un facteur clé pour le développement de la société de l’information ? [Le] Droit d’auteur, copie privée et responsabilité pénale Protection du titulaire de la marque contre la parodie : évolutions récentes [La] Contrat de commande d’œuvre d’esprit en droit français Observations relatives aux arrêts ESSO c. Greenpeace et SPCEA c. Greenpeace Protection par le droit d’auteur d’un titre d’une œuvre étrangère dans le cadre de la Convention de Berne Oeuvres de l’esprit créées par plusieurs personnes en droit français [Les] Affaire Campbell c. Acuff-Rose Music, Inc. et la défense du fair use [L’] Héritage culturel imprimé de la Slovénie [L’] Titre 09 02 14 07 17 19 17 16 16 15 10 07 23 Vol. 2 2 1 3 2 1 1 3 1 2 3 2 1 no 203 187 363 429 357 349 203 897 309 711 581 287 363 Page Index des auteurs 1513 Prénom Bob H. Bob H. Bob H. Bob H. Paolo Giovanna Katherine Alexandra Alexandra Alexandra Alexandra Andy Alain Nom de famille SOTIRIADIS SOTIRIADIS SOTIRIADIS SOTIRIADIS SPADA SPATARO STACHROWSKI STEELE STEELE STEELE STEELE STEPHENS STROWEL Licences non volontaires et socialisation du droit d’auteur : un danger ou une nécessité ? Dépôt légal au Royaume-Uni Protection de l’arrangement visuel de livres, disques, revues et films en vertu de la concurrence déloyale [La] Téléchargement non autorisé d’œuvres musicales : tel pourra être pris qui croyait prendre... Péripéties d’un manuscrit... [Les] Critère d’originalité en matière de dessins industriels au Canada [Le] Autre jugement sommaire en matière de brevet : Calgon Carbon Corporation c. La Corporation de la Ville de North Bay et Trojan Technologies [Un] BOJANGLES : Quand être connu ne suffit plus Performance d’antan et voyage dans le temps du droit exclusif des artistes-interprètes Prise de garanties en matière de propriété intellectuelle [La] Calcul des profits pour violation de brevet [Le] Droit pénal en marques de commerce et droit d’auteur : survol Esthétisme et utilité : une relation non protégée Titre 03 23 18 17 16 14 18 18 13 14 12 07 04 Vol. 2 1 2 3 1 3 1 3 1 2 3 3 2 no 161 313 329 725 291 855 203 653 191 581 825 341 211 Page 1514 Les Cahiers de propriété intellectuelle Droits d’auteur et accès à l’information : de quelques malentendus et vrais problèmes à travers l’histoire et les développements récents Alain Alain Alain Benoît Monique Monique Stella Stella Stella Christian S. Christian S. George STROWEL STROWEL STROWEL ST-SAUVEUR SULLIVAN SULLIVAN SYRIANOS SYRIANOS SYRIANOS TACIT TACIT TAKACH Agaguk : un nouveau conflit fédéral-provincial ? Mesures de protection technique : Partie II – Protection juridique des MPT Mesures de protection technique : Partie I – Tendances en matière de mesures de protection technique et de technologies de contournement Enregistrabilité de la couleur et de la forme des comprimés [L’] Protection de la bouteille et les marques de commerce au Canada : est-ce qu’on marche sur du verre cassé ? [La] Marques officielles en vertu de l’alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce : marques invincibles ou invulnérables ? [Les] Critère d’utilité et la règle de la prédiction valable [Le] Antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure : des principes « taillés sur mesure » [L’] Emploi de la marque : un concept à réexaminer Œuvre du juriste, un travail de qualification – L’exemple des jeux de télé-réalité [L’] Loi du 31 août 1998 concernant la protection des bases de données [La] Titre Prénom Nom de famille 04 15 15 16 19 14 15 15 16 16 13 12 Vol. 3 3 2 2 2 1 3 1 2 HS 1 1 no 401 805 575 589 603 397 1023 241 489 357 197 185 Page Index des auteurs 1515 Prénom Ûlle Normand Normand Normand Normand Alexandre Mélisa Lionel Elena Pierre Paul L.C. Paul L.C. Nom de famille TALIHÄRM TAMARO TAMARO TAMARO TAMARO TESSONNEAU THIBAULT THOUMYRE TIRZIMAN TISSEYRE TORREMANS TORREMANS Oeuvres retrouvées ou restaurées en droit d’auteur : l’affaire H