Octobre 2011 - vol. 23, no 3

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Octobre 2011 - vol. 23, no 3
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Faculté de droit
Université Laval, Ste-Foy
Florence LUCAS, avocate
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Louise BERNIER, professeur
Responsable du Programme
Droit et Biotechnologies
Faculté de droit
Université de Sherbrooke
Ejan MACKAAY,
professeur retraité
Faculté de droit,
Université de Montréal,
Montréal
Laurent CARRIÈRE, avocat
Robic, Montréal
Hélène MESSIER,
directrice générale COPIBEC
Montréal
Benoît CLERMONT, avocat
Productions J, Montréal
Vivianne DE KINDER, avocate
Montréal
Jean-Nicolas DELAGE, avocat
Fasken Martineau,
Montréal
Mistrale GOUDREAU, professeure
vice-présidente
Faculté de droit, droit civil,
Université d’Ottawa, Ottawa
Marie-Josée LAPOINTE, avocate
secrétaire trésorière
BCF, Montréal
Pierre-Emmanuel MOYSE,
professeur
Faculté de droit
Université McGill, Montréal
Marek NITOSLAWSKI, avocat
Fasken Martineau,
Montréal
Ghislain ROUSSEL,
président
avocat conseil
Montréal
Daniel URBAS, avocat
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Rédacteur en chef
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Directrice du Laboratoire DANTE
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France
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Directrice de la propriété
intellectuelle
Ministère de l’enseignement
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scientifique et de la technologie
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Faculté de droit,
Université de Genève
Genève, Suisse
Paul Edward GELLER
Attorney at law
Los Angeles, USA
Jane C. GINSBURG
Professeure
Columbia University
School of Law
New York, USA
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Faculté de droit
Université de Varsovie, Pologne
Lucie GUIBAULT, avocate
Assistant professeure
en propriété intellectuelle
Instituut voor Informatierecht,
Amsterdam, Pays-Bas
Jacques LABRUNIE, avocat
Gusmao Labrunie
Sao Paulo, Brésil
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Conseil en propriété intellectuelle
Cabinet ORIGIN
Séoul, Corée du Sud
André LUCAS
Professeur de droit
Université de Nantes
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de l’ALAI Internationale,
professeur étranger OMPI
Paris
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Studio Legale Pojaghi
Milan, Italie
Antoon A. QUAEDVLIEG,
avocat et professeur
Faculté de droit
Université catholique de Nimègue
Nijmegem, Pays-Bas
Alain STROWEL
Avocat et professeur de droit
Facultés universitaires Saint-Louis
Avocat Covington & Burling LLP
Bruxelles, Belgique
Paul Leo Carl TORREMANS,
professeur, School of Law,
University of Nottingham
Nottingham, Grande Bretagne
Silke von LEWINSKI, chercheure
Chef de département
Max-Planck Institute for
Intellectual Property
Münich, Allemagne
Ghislain ROUSSEL
Secrétaire du Comité
Avocat conseil
Montréal
Stefan MARTIN, membre
Première et cinquième
chambre de recours
Office de l’harmonisation
dans le marché intérieur
Alicante, Espagne
TABLE DES MATIÈRES
Articles
Concepts et principes économiques invoqués devant la
Commission du droit d’auteur du Canada et appliqués
dans ses décisions
Marcel Boyer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1083
Voies et recours civils non pécuniaires en matière de violation
de droits d’auteur au Canada
Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1129
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la
Loi sur le droit d’auteur : une dissonance harmonieuse ?
Emilie Conway . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1185
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur
et la Commission du droit d’auteur du Canada
Giuseppina D’Agostino . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1229
Marques de commerce et référencement payant ou comment
se démarquer sur le Web... en quelques mots-clés
Caroline Jonnaert et Julie Maronani . . . . . . . . . . . 1259
L’art et la propriété intellectuelle
Jacques de Werra . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1311
Capsules
Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel
Mistrale Goudreau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1397
1081
1082
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La détermination du degré de similitude entre les marques
Christel Lacarrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1407
Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise après
la délivrance d’un brevet : la Cour fédérale d’appel clarifie
la portée de l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets
A. Sasha Mandy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1417
Analyse du règlement Google Books et son rejet par un
tribunal de New York
James Plotkin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1427
Il existe maintenant un domaine .xxx pour les sites
pornographiques, mais on ne sait trop qui le voulait
et pourquoi
James Plotkin. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1439
Compte rendu
La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle
Camille Rideau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1443
Annexes
Annexe 1- Liste des articles publiés par ordre alphabétique
d’auteurs – Volumes 1-1 à 23-3
(octobre 2008 – octobre 2011) . . . . . . . . . . . . 1457
Annexe 2- Liste des articles publiés par ordre alphabétique
de titres – Volumes 1-1 à 23-3 . . . . . . . . . . . 1523
Annexe 3- Index des sujets – Volumes 1-1 à 23-3 . . . . . . . 1587
Vol. 23, no 3
Concepts et principes économiques
invoqués devant la Commission
du droit d’auteur du Canada et
appliqués dans ses décisions
Marcel Boyer*
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1085
2. Concepts et principes économiques généraux . . . . . . . 1087
2.1 Les œuvres (et les droits) en tant que
bien économiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1087
2.2 Le principe de l’acheteur et du vendeur consentants
et le concept de volonté de payer . . . . . . . . . . . 1092
2.3 La Commission du droit d’auteur en tant que
substitut de marchés concurrentiels et de
négociations éclairées . . . . . . . . . . . . . . . . . 1095
2.4 La recherche de points de référence adéquats
et les corrections y afférentes . . . . . . . . . . . . . 1096
2.4.1 Prix unitaire ou pourcentage des recettes . . . 1096
© Marcel Boyer, 2011.
* Marcel Boyer (M.Sc. et Ph.D. en économie, Carnegie-Mellon University ; M.A. en
économie, Université de Montréal) est professeur émérite de l’Université de Montréal (Département des sciences économiques), Fellow du CIRANO et du C.D. Howe
Institute, Affilié universitaire et expert externe du Groupe d’Analyse et Vice-président de la Society for Ecomonic Research on Copyright Issues (SERCI).
1083
1084
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.4.2 Ratios . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1098
2.4.3 Les processus comme points de référence . . . 1100
2.4.4 La capacité de payer : exclusion et
ajustement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1102
3. Les principes invoqués et appliqués dans les affaires
de copie privée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1104
4. Les principes invoqués et appliqués dans les affaires
de radio commerciale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1107
5. Les principes invoqués et appliqués dans l’affaire
de la reproduction par reprographie : l’utilisation
équitable et la théorie économique . . . . . . . . . . . . . 1112
6. Nouveaux modèles permettant d’établir directement
la valeur des droits d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . 1117
6.1 Radio commerciale (2005) . . . . . . . . . . . . . . . 1117
6.2 Services de radio par satellite (2009) . . . . . . . . . 1123
7. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1127
1. INTRODUCTION
La définition, le champ d’application et la qualification des
droits de propriété intellectuelle de tous ordres – brevets, droits
d’auteur, marques de commerce, etc. – font actuellement l’objet d’un
important débat chez les universitaires aussi bien que chez les praticiens. Dans de nombreux États, les fondements juridiques et l’application des droits de propriété intellectuelle sont mis en question et
réexaminés dans le contexte de l’ère numérique. De nouvelles lois et
de vastes révisions des lois existantes sont envisagées, projets dont
la discussion oppose de puissants groupes intellectuels, professionnels et commerciaux.
Au centre de ces débats se trouvent des arguments contestables
et contestés sur les coûts et les avantages de la protection et de
l’application des droits de propriété intellectuelle. Le rapport entre
ces coûts et ces avantages varie selon le point de vue des acteurs :
certains, sans nier l’utilité de protéger et d’appliquer les droits de
propriété intellectuelle, estiment que les coûts de telles mesures
l’emportent de beaucoup sur leurs avantages, tandis que d’autres
adoptent le point de vue inverse.
Les principaux avantages de la protection et de l’application
des droits de propriété intellectuelle comprennent leur effet potentiellement salutaire sur la création et l’innovation. Si leurs droits ne
sont pas protégés comme il convient, créateurs et innovateurs risquent en effet de ne pas pouvoir obtenir une part suffisante de la
valeur de leurs œuvres pour justifier leur investissement dans les
activités de création et d’innovation. Et si créateurs et innovateurs
ne peuvent ainsi profiter que d’une fraction de la valeur de leurs
œuvres, la création et l’innovation n’atteindront vraisemblablement
pas un niveau efficient ou optimal.
Parmi les principaux coûts de la protection et de l’application
des droits de propriété intellectuelle, signalons l’effet préjudiciable
qu’elles risquent d’avoir sur la diffusion des produits de la création et
de l’innovation, et donc sur la valeur sociale de ces produits, ainsi
que sur les efforts ultérieurs de création et d’innovation.
1085
1086
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Pour certains, créateurs et innovateurs peuvent profiter indirectement de leurs travaux s’ils ne le peuvent pas directement : par
exemple, du fait de leur leadership sur le marché, puisque l’imitation
prend du temps ; par la rémunération de leurs concerts ou autres
prestations ; ou au moyen d’autres formes de différenciation réelle ou
pratique entre ceux qui ont investi dans les services fondés sur la
création ou l’innovation et ceux qui ne l’ont pas fait.
Les droits de propriété intellectuelle jouent également un rôle
important comme base de rémunération des créateurs et des innovateurs. Si l’on ne reconnaît pas et n’applique pas ces droits, il peut se
révéler impossible pour les créateurs et les innovateurs de recevoir
une part suffisante de la valeur ajoutée qu’ils ont produite, de sorte
que l’incitation à exercer de telles activités se trouvera réduite.
Il est évident que les droits de propriété intellectuelle ne
devraient pas être un obstacle à de nouvelles créations ou innovations ; il convient donc de bien les définir et de fixer des limites à leur
durée et à leur étendue. Il s’agit de trouver un juste équilibre qui permette de motiver suffisamment créateurs et innovateurs tout en
favorisant, voire en maximisant, la diffusion de nouvelles idées,
œuvres et connaissances ou informations. C’est là que peuvent
jouer un rôle majeur les institutions de marché et autres institutions
apparentées qui encadrent les transactions sur les droits de propriété intellectuelle, notamment les exceptions relatives à l’utilisation équitable pour ce qui concerne les droits d’auteur, la concession
obligatoire de licences d’exploitation de nouvelles technologies et
découvertes, ainsi que les organes et tribunaux administratifs tels
que la Commission du droit d’auteur du Canada, qui remplissent les
fonctions de substituts du marché, de médiateurs et d’arbitragistes.
Le présent article est composé comme suit. J’y expose d’abord
quelques principes généraux qui sous-tendent de nombreuses décisions de la Commission du droit d’auteur du Canada, ainsi que de
nombreuses thèses présentées à cette dernière par diverses parties
au cours des deux dernières décennies. J’examine ensuite certains
principes d’application plus étroite qui apparaissent dans des affaires importantes, touchant notamment la copie privée, la radio commerciale et la reproduction par reprographie. Enfin, je présente et
examine deux nouveaux modèles ou approches économiques conçus pour l’établissement de la valeur des droits d’auteur dans des
cas particuliers, modèles que la Commission n’a pas explicitement
adoptés, il est vrai, mais qui ont récemment été exposés et discutés
devant elle.
Concepts et principes économiques invoqués...
1087
Il va sans dire qu’il n’est pas possible de traiter la totalité des
concepts et principes économiques pertinents dans le cadre d’un
article relativement bref tel que le présent. Qu’on voit plutôt dans
celui-ci un exposé personnel, impressionniste, sur certains des concepts et principes économiques importants qui s’appliquent à l’analyse de la valeur des droits d’auteur, et qui ont été examinés par la
Commission du droit d’auteur dans ses décisions ou par les parties
en présence dans leurs présentations ou argumentaires.
2. CONCEPTS ET PRINCIPES ÉCONOMIQUES
GÉNÉRAUX
La Commission du droit d’auteur du Canada a uniformément
fait preuve, au cours de ses vingt premières années d’existence,
d’une solide compréhension des aspects fondamentaux du droit d’auteur, non seulement du point de vue juridique, mais aussi du point de
vue économique. Voici une liste non exhaustive de ce que j’estime
être les concepts et principes généraux les plus importants qu’on
trouve dans un grand nombre, sinon dans la totalité, des décisions de
la Commission, ainsi que dans une part importante des thèses qui lui
ont été présentées par diverses parties dans le cadre de la multitude
d’affaires dont elle a été saisie : le concept des œuvres (et des droits)
en tant que biens économiques, le principe de l’acheteur et du vendeur consentants, le rôle de substitut des marchés concurrentiels et
des négociations éclairées que joue la Commission, le concept de
point de référence d’un prix inexistant et ses diverses formes, et
enfin la capacité des utilisateurs à payer les droits. L’analyse ici proposée de ces concepts et principes est de nature plutôt générale et,
sauf exception, ne renvoie pas à des affaires particulières où ils ont
été appliqués et examinés par la Commission ou les parties. Mais il
est certain que tous ces concepts et principes imprègnent la plupart,
si ce n’est la totalité, des audiences et des décisions.
2.1 Les œuvres (et les droits) en tant que
bien économiques
La science économique a deux grands buts : d’une part, analyser et étudier les mécanismes qui peuvent contribuer à la satisfaction
des besoins pratiquement illimités des êtres humains au moyen
des ressources limitées dont ils disposent, dans des cadres ou des
contextes aussi bien statiques que dynamiques ; d’autre part, définir
et décrire les institutions propres à servir de cadres à ces efforts.
1088
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Les gens consomment, pour satisfaire leurs besoins, des biens et des
services dont la nature et les caractéristiques jouent un rôle majeur
dans le choix des mécanismes et des institutions capables d’en assurer efficacement la production, la distribution et l’utilisation.
La Commission du droit d’auteur du Canada est elle-même une
institution dont l’existence se justifie directement par les caractéristiques très particulières des biens et des services que constituent ou
représentent les œuvres protégées par le droit d’auteur et les droits
de propriété eux-mêmes. Ces caractéristiques commandent la mise
en place de mécanismes spéciaux propres à assurer l’application des
dispositions législatives dans des cas ou contextes particuliers et à
établir d’une manière déterminée la valeur ou le « prix » de telle
utilisation de tel droit.
Les œuvres (et les droits y afférents) sont des biens très particuliers, mais dont les caractéristiques sont bien connues des économistes. On peut les définir comme ce qu’on appelle des biens
d’information ou des produits d’information. Contrairement aux
biens classiques tels que les produits agricoles ou manufacturés, les
biens d’information, qu’ils revêtent la forme de morceaux de musique
composée et interprétée, de spectacles, de connaissances juridiques,
d’information technologique, de logiciels ou d’expertise – qui constituent tous, en quelque sorte, des « modèles » – présentent cette caractéristique que, une fois produits, fabriqués ou découverts, on peut les
reproduire, les distribuer et les diffuser à un coût (presque) nul. La
révolution numérique a réduit encore plus les coûts de distribution
des biens d’information.
Autrement dit, la production d’une œuvre exige des coûts fixes
importants, mais une fois que l’œuvre (c’est-à-dire l’original ou le
modèle) est produite, le coût de sa reproduction est presque nul : le
coût marginal de reproduction est presque égal à zéro. Comment
convient-il alors de définir le niveau de consommation d’un bien
d’information qui coïncide avec le bien-être maximal et comment
mettre en place des institutions propres à produire ce niveau de
consommation ? C’est là une question complexe.
Le niveau de consommation optimal est en général considéré
comme étant atteint lorsque le prix du bien d’information égale son
coût marginal de production ou de reproduction, la demande ou la
consommation de ce bien à ce prix étant telle que la valeur pécuniaire du résultat net total obtenu (c’est-à-dire la valeur totale de la
consommation moins le coût total, compris comme la somme des
Concepts et principes économiques invoqués...
1089
coûts fixes et des coûts variables de production) est positive. Dans le
cas contraire, c’est-à-dire si le résultat net total est négatif, il vaut
mieux s’abstenir de produire le bien en question. Par conséquent, le
niveau optimal de consommation (production, distribution et diffusion) est soit de zéro, soit égal au niveau obtenu par la fixation du
prix en fonction du coût marginal. Ce niveau correspond à ce que les
économistes appellent « optimum pur » ou « optimum sans compromis ».
Un marché concurrentiel est en général le mécanisme le plus
apte à déterminer et à réaliser le niveau optimal de production et de
consommation. Mais dans le cas d’un bien d’information, un prix égal
au coût marginal de (re)production ne permettra pas au vendeur ou
au producteur de dégager des recettes suffisantes pour couvrir la
totalité des coûts qu’entraînent la production et la distribution, en
particulier les considérables coûts fixes. Un marché concurrentiel
(où le prix égale le coût marginal) ne peut donc servir directement à
assurer la répartition optimale des ressources parce que le prix des
œuvres devrait par définition y être nul ou presque nul. Il s’ensuit la
forte probabilité que trop peu de gens seraient alors disposés à choisir une carrière d’innovateur, de créateur, d’auteur, de compositeur,
d’artiste-interprète ou de producteur, et à consacrer le temps et
les ressources nécessaires à la production d’œuvres originales de
qualité.
La nécessité de résoudre ce problème a suscité deux courants
de pensée. Selon le premier, il convient d’attribuer des droits de
propriété aux créateurs et de permettre au marché de se former
et d’établir un prix d’équilibre, c’est-à-dire un prix permettant un
niveau d’échange ou de transactions propre à satisfaire les créateurs
aussi bien que les consommateurs ou utilisateurs. Le niveau ainsi
obtenu est dit individuellement rationnel parce qu’aucun des acteurs
ne voudrait changer le prix en question. Celui-ci serait alors strictement supérieur au coût marginal ; il permettrait de couvrir la totalité des coûts de production et de distribution, mais supposerait une
baisse potentiellement importante du niveau de création et d’innovation.
Suivant l’autre courant de pensée, il convient de promouvoir la
stricte recherche d’un optimum socio-économique et de faire en sorte
que, leur coût de (re)production étant nul, l’utilisation et la reproduction des œuvres soient gratuites. Quant à la rémunération des créateurs, elle se ferait de diverses manières, peut-être par des subventions de l’État. Ce dernier, en échange de ses subventions, s’assurerait le droit de distribuer les œuvres gratuitement.
1090
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Chacun de ces points de vue pose des problèmes.
Une protection excessive du droit d’auteur pourrait conférer un
monopole aux producteurs de l’œuvre. Or, le monopole est rarement
la solution optimale : le prix de chaque exemplaire risquerait d’être
trop élevé, et le nombre d’exemplaires distribués, trop faible. En
outre, comme chaque œuvre est manifestement le résultat indirect
d’autres qui l’ont précédée, le nombre et la qualité des œuvres, en
état stationnaire, finiraient par diminuer à l’excès. Comme le dit un
aphorisme souvent cité, « un nain sur les épaules d’un géant voit plus
loin que le géant lui-même ». Si les redevances de droit d’auteur sont
trop élevées, le niveau d’utilisation risque d’être sous-optimal, puisque la distribution des œuvres s’en trouvera limitée dans une trop
grande mesure.
La gratuité de l’utilisation ne va pas non plus sans problèmes.
Si l’État devait financer la production des œuvres, que ce soit directement par des subventions aux créateurs ou indirectement en enregistrant chaque utilisation, comment pourrait-il établir les valeurs
relatives des œuvres produites afin de rémunérer les créateurs
comme il convient ? Il pourrait vouloir contenir ses dépenses, les
réduire ou même les lier à des facteurs arbitraires, au détriment des
créateurs comme des utilisateurs.
Quel créateur serait prêt à consacrer temps et ressources à la
production d’une œuvre de qualité, si son prix de vente dépend du
bon vouloir de l’appareil d’État ? La gratuité de l’utilisation (de la
distribution) aurait probablement la même conséquence que des
redevances trop élevées : l’évolution de la connaissance et des idées
ralentirait, en raison cette fois de la sous-production d’œuvres de
qualité plutôt que de la limitation excessive de la distribution des
œuvres.
Quelle position adopter entre les deux extrêmes que représentent, d’une part, l’attribution aux créateurs d’une position de force
sur le marché au moyen de droits de propriété intellectuelle et de fortes redevances, et, d’autre part, la gratuité de l’utilisation et de la
reproduction des œuvres que permettrait la fixation de faibles redevances ? Le problème est complexe : sans une forme quelconque de
monopole légal, il est probable qu’on produira trop peu de biens
d’information, mais l’existence d’un monopole de cette nature aura
probablement pour conséquence de réduire à l’excès l’utilisation de
tels biens.
Concepts et principes économiques invoqués...
1091
L’analyse économique peut proposer des réponses à ces questions. Mais, évidemment, ces solutions ne seront pas entièrement
efficientes ou optimales, c’est-à-dire qu’elles ne permettront pas
d’atteindre l’optimum sans compromis qui détermine, en situation
d’information complète, le niveau de production et de consommation
propre à maximiser le bien-être global des citoyens, y compris les
créateurs ou producteurs aussi bien que les utilisateurs ou consommateurs.
Tout l’art consiste à trouver une solution utile qui puisse être
appliquée à faible coût tout en se rapprochant de l’optimum. On peut
se faire une idée de la complexité de la tâche en observant les efforts
considérables actuellement déployés au nom des titulaires de droits
sur la musique enregistrée pour définir de nouveaux modèles opérationnels capables d’équilibrer, d’une part, les droits des auteurs,
compositeurs, artistes-interprètes et producteurs, et, d’autre
part ceux des consommateurs et des utilisateurs, dans le contexte
d’une évolution technologique qui rend potentiellement disponible le
répertoire complet des œuvres musicales enregistrées pour un coût
marginal négligeable. Comme il ne sera pas possible d’appliquer
une solution complètement efficiente (optimum sans compromis), il
importe de se rappeler que, dès qu’on envisage des solutions soumises à des contraintes d’information, le mieux devient l’ennemi du
bien : en effet, les choses ont tendance à mal tourner quand on veut
ménager la chèvre et le chou.
Examinons de plus près la notion de droit d’auteur. L’objectif de
principe général du droit d’auteur est d’encourager la création aussi
bien que la diffusion d’œuvres originales. La politique y afférente
doit en même temps être équitable et promouvoir l’efficience économique. Les buts du droit d’auteur sont les suivants1. Premièrement,
promouvoir la création d’œuvres originales de qualité et diverses en
permettant aux créateurs de tirer des revenus de leur travail, de
manière à produire de fortes incitations à la création de telles
œuvres. Deuxièmement, promouvoir l’accès à des œuvres originales
de qualité et diverses en faisant en sorte que le marché des œuvres
soit libre, exempt d’obstacles économiques à l’entrée, et en permettant aux nouveaux créateurs de concurrencer ceux qui sont déjà en
place. Troisièmement, faire en sorte que les redevances de licences
soient fixées à un niveau équitable et ne deviennent pas un obstacle
1. Voir entre autres à ce sujet ROBERT (Jacques), « An evaluation of the collective
copyright management in Canada », dans BOYER (Marcel) et al. (dir.), Intellectual
Property and Competition Law (Toronto :Irwin Law, 2009).
1092
Les Cahiers de propriété intellectuelle
à une diffusion suffisante des œuvres. Or, ces objectifs sont quelque
peu contradictoires. D’un côté, on voudrait un accès libre et gratuit à
toutes les œuvres de création, mais de l’autre, on doit reconnaître
aux créateurs le droit à une juste rémunération de leurs efforts. Les
incitations à créer sont au centre de ces questions.
2.2 Le principe de l’acheteur et du vendeur consentants
et le concept de volonté de payer
La Loi sur le droit d’auteur du Canada a été modifiée en 1997
sous le rapport des droits des artistes-interprètes et de ceux des
producteurs d’enregistrements sonores. Les articles 15 et 19 de la
Loi ainsi modifiée conféraient aux artistes-interprètes de nouveaux
droits, notamment celui de recevoir une rémunération équitable pour
l’exécution en public ou la communication au public de leurs prestations fixées dans des enregistrements sonores publiés. Selon cette
disposition, le radiodiffuseur qui communique au public une prestation fixée dans un enregistrement sonore doit verser une rémunération équitable à la société de gestion compétente, à condition que
l’artiste-interprète soit canadien ou ressortissant d’un pays ayant
ratifié la Convention de Rome. Les modifications apportées à la Loi
sur le droit d’auteur adoptées en 1997 étendent aussi les droits afférents aux enregistrements sonores qui font l’objet de l’article 182.
La nouvelle version de la Loi étend en effet aux producteurs d’enregistrements sonores le droit à une rémunération équitable au titre
de l’exécution en public ou de la communication au public par télécommunication de tels enregistrements publiés. Ce droit à rémunération des producteurs se limite aux Canadiens et aux ressortissants
des pays parties à la Convention de Rome, ou aux enregistrements
sonores effectués au Canada ou dans un pays partie à ladite Convention. Comme dans le cas des droits des artistes-interprètes, les
dispositions prévoyant la rémunération équitable des producteurs
prévoient que cette rémunération doit être versée à une société de
gestion3.
Le taux des droits d’auteur à payer pour l’utilisation d’œuvres
musicales protégées devrait être fondé sur le montant que les utilisateurs seraient disposés à payer s’ils opéraient sur un marché fonctionnel des droits d’utilisation des enregistrements sonores
2. Il est intéressant de noter que les stations de radio américaines ne sont pas tenues
de payer quoi que ce soit aux artistes-interprètes ou aux producteurs pour la communication au public d’enregistrements sonores publiés.
3. La Loi sur le droit d’auteur du Canada et la Commission du droit d’auteur favorisent nettement la gestion collective des droits.
Concepts et principes économiques invoqués...
1093
en question. La rémunération équitable correspond au niveau de
rémunération qui s’établirait sur un marché concurrentiel où des
acheteurs et des vendeurs consentants, tous « preneurs de prix »,
traiteraient librement.
La volonté de payer est un concept apparenté. Elle correspond à
la valeur différentielle que les œuvres protégées par le droit d’auteur
créent pour l’utilisateur. La notion de volonté de payer, bien que différente de la notion de capacité de payer, que nous examinerons plus
loin, n’est pas sans rapport avec elle.
Or, dans sa décision de 2009 sur les services de radio par satellite4, la Commission a mis en question le concept de volonté de payer.
On y lit en effet ce qui suit :
L’approche fondée sur la volonté de payer [...] repose sur l’hypothèse que les services par satellite seraient disposés à payer le
même montant pour un nouvel abonné-mois, peu importe que
celui-ci soit attiré par la programmation musicale ou d’une
entente avec un constructeur d’automobiles [...] les informations ayant trait au réseau de détail indiquent que la volonté de
payer peut varier sensiblement selon les intrants [...] En conséquence, la volonté de payer pour un intrant particulier ne
semble pas être un indicateur fiable de la volonté de payer pour
un autre.
La Commission poursuivait son raisonnement en ces termes :
Lorsqu’ils ont entamé les négociations avec les constructeurs
d’automobiles, les services par satellite avaient déjà engagé
une bonne partie des dépenses nécessaires à la prestation du
service et étaient donc disposés à payer un fort taux pour attirer de nouveaux clients, pourvu que le gain soit supérieur au
coût marginal [...] Lorsqu’ils ont négocié avec les fournisseurs
de contenu, les services par satellite ont pu démontrer qu’ils
devaient engager d’importants frais de démarrage pour assurer le service et que, par conséquent, leur marge bénéficiaire
n’était pas très élevée. Une fois que le service est assuré et que
certains coûts sont inévitables, les positions de négociation
changent [...] C’est pourquoi nous sommes d’avis que le modèle
fondé sur la volonté de payer est fondamentalement inadéquat
4. Services de radio par satellite, SOCAN (2005-2009), SCGDV (2007-2010) et
CMRRA/SODRAC inc. (2006-2009), 8 avril 2009.
1094
Les Cahiers de propriété intellectuelle
pour l’établissement d’un tarif. En règle générale, l’ordre d’arrivée d’un intrant particulier au cours du processus de développement d’une entreprise ne doit pas influer sur le tarif.
Dans les documents qu’elle a déposés dans l’affaire de 2004
relative aux services sonores payants numériques (SSPN)5, la
société de gestion CSI soutenait que le tarif que les SSPN devaient
lui verser pour l’utilisation des droits d’auteur applicables devait
être fondé sur le montant que lesdits SSPN seraient disposés à payer
s’ils opéraient sur un marché fonctionnel ou dans le cadre d’une
vente aux enchères des droits sur les œuvres musicales en question.
Elle fondait cette thèse sur trois raisons principales. Premièrement,
les SSPN présentent toutes les caractéristiques d’un secteur de
monopole naturel, même s’ils se trouvent dans une mesure limitée
en concurrence avec la radio commerciale, qui produit et vend un
substitut imparfait de ces services. Deuxièmement, la loi du prix
unique doit être simultanément appliquée à de multiples niveaux ou
sur des marchés multiples mais apparentés, soit à tous les intrants
(notamment aux œuvres musicales, au capital et à l’entrepreneuriat
des points de vue de la quantité et de la qualité, qui sont des intrants
clés des SSPN aussi bien que de la radio commerciale) et à tous les
produits de substitution imparfaite. Troisièmement, le secteur de la
production d’œuvres musicales (auteurs, artistes-interprètes et producteurs) se caractérise par une vive concurrence et la libre entrée.
Si des redevances plus élevées sont perçues, il est permis de s’attendre à ce que plus d’auteurs, d’artistes-interprètes et de producteurs
entrent dans le secteur ou étendent leurs activités afin de s’assurer
une part de l’accroissement des ressources ou du marché.
Pour utiliser comme il se doit le concept de volonté de payer, il
faut résoudre deux problèmes. Premièrement, il faut déterminer le
prix propre à faire en sorte que les utilisateurs, par exemple les
SSPN, reçoivent une rémunération juste et équitable, c’est-à-dire,
entre autres, que le rendement du capital corrigé du risque (RAROC)
soit concurrentiel dans le secteur ou au niveau des utilisateurs, et
que soient équitablement rémunérés aussi les compositeurs, les
interprètes et les producteurs. Deuxièmement, il faut prendre en
compte l’effet de l’ordre dans lequel le concept de la volonté de payer
est appliqué aux facteurs de production, notamment les droits d’utilisation des biens ou œuvres en question : plus les titulaires de droits
apparaissent tard dans la chaîne de rémunération, moins les utilisa5. La demande a été retirée avant les audiences en raison de la conclusion d’un accord
entre les parties.
Concepts et principes économiques invoqués...
1095
teurs peuvent se trouver disposés à payer. Nous reviendrons plus
loin sur ces problèmes.
2.3 La Commission du droit d’auteur en tant que substitut
de marchés concurrentiels et de négociations éclairées
En un sens, l’équilibre de marché entre acheteurs et vendeurs
consentants sur le marché considéré peut impliquer des ajustements
sur les marchés apparentés des autres intrants du secteur, par
exemple le capital, la main-d’œuvre et les matières. Tous les intrants
ou facteurs de production qui contribuent au dégagement de recettes
pour une entreprise ou un secteur d’activité devraient être rémunérés comme il convient à leurs niveaux respectifs d’équilibre concurrentiel. En effet, si le prix d’un intrant déterminé, par exemple les
enregistrements sonores, était fixé au-dessous – l’inverse s’ensuivant si le prix était fixé au-dessus – de son niveau d’équilibre concurrentiel, d’autres intrants (comme la main-d’œuvre directe ou le
capital) pourraient s’emparer d’une partie de la contribution des
enregistrements sonores à la valeur de l’entreprise ou du secteur
d’activité, ce qui entraînerait la conséquence socialement coûteuse
d’une mauvaise affectation des ressources.
Il est très difficile d’établir comment il conviendrait de fixer la
rémunération juste et équitable, par exemple des auteurs, compositeurs, artistes-interprètes et producteurs, étant donné les caractéristiques très particulières du secteur d’activité et l’absence d’un
processus adéquat. La notion de rémunération appropriée, juste ou
équitable ne fait pas problème, puisque tous s’entendent pour dire
qu’elle correspond au niveau de rémunération qui s’établirait sur un
marché concurrentiel où acheteurs et vendeurs consentants, tous
preneurs de prix (c’est-à-dire incapables de fixer le prix), traiteraient
librement jusqu’au point où la valeur marginale d’une transaction
additionnelle pour les acheteurs (demande) égalerait exactement le
coût marginal de cette même transaction pour les vendeurs (offre).
La Commission du droit d’auteur a ainsi pour fonction de se
substituer à un tel marché concurrentiel pour établir quel serait le
prix ou la rémunération de concurrence sur ce marché s’il existait
et fonctionnait de manière efficace. Pour ce faire, la Commission
recherche des indicateurs éclairants et pertinents, aptes à servir de
points de référence, de ce qu’un tel prix ou une telle rémunération
serait et devrait être. Ces indicateurs ou points de référence peuvent
revêtir diverses formes : information sur le secteur d’activité ; information sur le comportement des exploitants ou des entreprises –
1096
Les Cahiers de propriété intellectuelle
acheteurs et vendeurs potentiels – des deux côtés du marché ; prix
des produits ou services de substitution ; processus concurrentiels
virtuels ou simulés ; etc.
2.4 La recherche de points de référence adéquats
et les corrections y afférentes
2.4.1 Prix unitaire ou pourcentage des recettes
Les droits d’auteur à payer sont parfois exprimés en prix par
unité physique et parfois en pourcentage d’une mesure comptable.
Un exemple de la première formule est la redevance pour la copie
privée, qui est établie en cents par unité de support vendue (audiocassette ou CD). Un exemple de la seconde formule est le taux appliqué à la radiodiffusion d’œuvres musicales et d’enregistrements
sonores par la radio commerciale, qui est mesuré en pourcentage des
recettes.
Cependant, un pourcentage n’est pas un prix. Il n’y a aucune
raison de penser que le juste prix à payer pour les mêmes intrants, à
savoir les droits sur les exécutions, les enregistrements sonores et les
œuvres musicales, correspondrait au même pourcentage de recettes,
quelles que soient les caractéristiques des secteurs d’activité en
question. L’utilisation du même pourcentage entraînerait en général
la fixation de prix erronés dans l’un ou l’autre des secteurs, étant
donné qu’un prix déterminé, exprimé en unités monétaires, qu’on
applique aux mêmes intrants utilisés dans deux secteurs différents
représente en général des pourcentages très différents de la valeur
des extrants de ces secteurs.
Prenons un exemple simple pour illustrer cette différence.
Supposons qu’on veuille établir quel devrait être le prix de la quantité de peinture nécessaire pour peindre une habitation à loyer modique (HLM) d’une valeur de 100 000 $ et qu’on adopte comme point
de référence le coût de la peinture de même qualité nécessaire
pour peindre un appartement de même taille, mais situé dans un
immeuble de luxe et valant dix fois plus, soit 1 000 000 $. Il est évident que le coût de la même peinture pour les deux appartements
devrait être le même si la loi du prix unique s’applique sur le marché
des intrants (peintures). Supposons encore que le coût de la peinture
utilisée pour l’appartement de luxe soit de 1 000 $, ce qui représente
0,1 pour cent de la valeur de celui-ci. Si l’on considère ce même pourcentage de 0,1 pour cent comme le « prix » à payer pour la peinture de
Concepts et principes économiques invoqués...
1097
l’HLM, on obtient, exprimé en termes absolus, un prix de 100 $
(0,1 x 100 000 $), soit un dixième du coût de la même quantité de la
peinture de même qualité utilisée pour l’appartement de luxe, ce qui
est une contradiction. En fait, les contributions respectives des
mêmes quantités de peinture de même qualité à la valeur des deux
appartements sont très différentes : cette contribution est beaucoup
plus élevée dans le cas de l’HLM que dans le cas de l’appartement de
luxe, dix fois plus dans notre exemple.
Si l’on applique ce raisonnement, par exemple, aux secteurs de
la radio commerciale et des services sonores payants numériques
(SSPN), on arrive à la conclusion que le même prix pour les mêmes
droits sur les mêmes œuvres musicales, exprimé en pourcentage,
représentera un pourcentage beaucoup plus élevé dans le secteur des
SSPN, à faible valeur ajoutée, où les enregistrements sonores forment le principal intrant variable, que dans le secteur de la radio
commerciale, à valeur ajoutée plus forte, où les enregistrements
sonores ne sont qu’un intrant parmi bien d’autres. Nous avons donc
un même prix, mais des pourcentages très différents.
Une application erronée du pourcentage risque d’entraîner
un conflit entre deux principes fondamentaux de la théorie économique. D’un côté, la loi du prix unique devrait s’appliquer : des produits semblables sur les mêmes marchés devraient se vendre à des
prix semblables. De l’autre, les secteurs d’activité, par exemple la
radio commerciale et les SSPN, devraient aussi avoir une rentabilité égale, mesurée par le rendement du capital corrigé du risque
(RAROC). En effet, si l’entrée et la sortie sont relativement libres
dans l’un et l’autre secteurs, celui qui est le plus rentable devrait
attirer un nombre net plus élevé de nouveaux acteurs, cette entrée
nette favorisant la convergence des taux de rentabilité corrigée du
risque dans les deux secteurs.
L’une ou l’autre de ces deux formules de rémunération – la
redevance fixe et le pourcentage des recettes – pourrait émerger de
négociations entre les utilisateurs et les titulaires des droits sur les
œuvres musicales. Aucun principe économique n’interdit de calculer
les redevances de droit d’auteur en pourcentage des recettes ou
des bénéfices, dans le cadre d’une décision de partage des risques.
Cependant, s’il est demandé aux auteurs, artistes-interprètes et
producteurs d’œuvres musicales de participer à un accord de partage des risques axé sur le développement d’un marché donné, ils
devraient avoir droit à une somme au titre du RAROC (rendement
du capital corrigé du risque) correspondant à leur investissement.
1098
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Les économistes financiers et les gestionnaires estiment couramment le RAROC selon l’investissement, l’investisseur, l’entreprise et
le secteur d’activité en se fondant sur le taux hors risque (normalement, le taux de rendement d’obligations de l’État de qualité
supérieure), la prime de risque établie sur les marchés financiers
(normalement, la différence entre un portefeuille de titres bien
diversifié et le taux hors risque), et le niveau ou la « quantité » de
risque systématique que l’investissement représente, mesuré par
son coefficient bêta. On pourrait appliquer une méthode de même
nature à l’établissement du RAROC qui reviendrait aux titulaires
des droits d’auteur dans le cadre d’accords de partage de risques.
2.4.2 Ratios
Dans sa décision de 2006 sur le tarif applicable aux sonneries6,
la Commission examine la possibilité d’utiliser le ratio entre deux
droits dans une affaire donnée comme point de référence du ratio
entre les mêmes droits dans une autre affaire. Elle renvoie à une
décision de 20037, la première qu’elle ait rendue sur la question du
tarif applicable à la reproduction d’œuvres musicales par les stations
de radio commerciales. Elle cite, parmi les facteurs qu’elle avait pris
en considération dans cette dernière décision, la nature accessoire ou
facultative du droit de reproduction dans l’exploitation d’une station
de radio commerciale, dans la mesure où celle-ci peut fonctionner
sans reproduire d’œuvres musicales. Afin de ne pas faire obstacle à
l’adoption de nouvelles technologies de radiodiffusion, la Commission avait décidé, sur le fondement des facteurs susdits, de fixer un
tarif (avant correction en fonction du répertoire) d’environ un tiers
du taux retenu pour le droit de communication, considéré comme
nécessaire ou essentiel.
Pour ce qui concerne le marché des sonneries, la Commission a
jugé accessoire et facultatif le droit de communication plutôt que le
droit de reproduction, ajoutant cependant que « [l]e modèle opérationnel actuel des fournisseurs de sonneries dépend de manière cruciale du droit de communication et [que] ceux-ci ne connaîtraient pas
le succès dont ils jouissent maintenant s’ils cessaient d’utiliser ce
droit » (non souligné dans l’original). En effet, sur le marché des sonneries, les fournisseurs utilisent systématiquement le droit de communication pour livrer leurs produits à la clientèle. Il n’était pas
6. Sonneries, tarif 24 de la SOCAN (2003-2005), août 2006.
7. Stations de radio commerciales, CMRRA/SODRAC inc. – CSI (2001-2004),
mars 2003.
Concepts et principes économiques invoqués...
1099
vraiment envisageable de changer le modèle opérationnel, de sorte
que la Commission a formulé la conclusion suivante : « Dans ce
contexte, la possibilité que le tarif que nous homologuons vienne
réduire significativement l’utilisation de ces technologies est
mince ».
En conséquence, dans sa décision sur les stations de radio commerciales, la Commission a établi un ratio de un à trois entre le droit
qu’elle estimait accessoire, c’est-à-dire le droit de reproduction, et le
droit qu’elle considérait comme nécessaire, à savoir le droit de communication. Mais dans sa décision relative au marché des sonneries,
elle a établi un ratio de un à deux entre le tarif applicable au droit de
communication, considéré comme accessoire, et le tarif applicable au
droit de reproduction, jugé nécessaire, étant donné l’importance
relative du droit accessoire dans les deux cas. Elle a considéré que le
droit accessoire dans l’affaire de la radio commerciale, soit le droit de
reproduction, était plus accessoire que le droit accessoire défini dans
l’affaire des sonneries, à savoir le droit de communication. Selon la
Commission, le fournisseur de sonneries utilisait d’abord et avant
tout le droit de reproduction, tandis qu’il ne se servait du droit de
communication que pour livrer la sonnerie en tant que reproduction,
donc en quelque sorte par commodité. La Commission a conclu sa
décision sur le tarif des sonneries en fixant le droit de communication à la moitié de la valeur du droit de reproduction.
La Commission a appliqué un raisonnement semblable dans sa
décision de 2007 sur les services de musique en ligne8. Elle s’y référait aux décisions précitées sur les sonneries et sur la radio commerciale, où elle avait « établi au moyen d’une analyse par ratio la valeur
du droit de communication par rapport à celle du droit de reproduction ». Elle avait fixé, entre le droit accessoire et le droit essentiel, un
ratio de un à deux dans le cas des sonneries, et de un à trois dans le
cas de la radio commerciale. Dans l’affaire des services de musique
en ligne, la Commission estimait à la même valeur l’ensemble des
droits de communication et de reproduction pour les transmissions
sur demande, les téléchargements permanents et les téléchargements limités, mais considérait comme différentes selon le cas les
valeurs relatives des deux droits. « Le consommateur qui achète un
téléchargement permanent, expliquait la Commission, achète une
reproduction, qui lui est livrée par une communication. Pour les téléchargements limités, les droits de communication et de reproduction
ont à peu près la même importance [...] Dans le cas des transmissions
8. Services de musique en ligne, tarif 22.A de la SOCAN (1996-2006), octobre 2007.
1100
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sur demande, le consommateur achète la communication ; la reproduction ne fait qu’y faciliter la communication ». La Commission a
fixé à 12,2 pour cent le taux de l’ensemble des droits pour les
trois services, et respectivement à 28 pour cent, 51 pour cent et
62 pour cent la part revenant au droit de communication.
En résumé, la Commission a dégagé quatre critères principaux
pour établir le ratio approprié entre deux droits. Premièrement, il
faut analyser l’utilisation du droit et son importance relative dans la
branche d’activité considérée. Deuxièmement, il faut établir si le
droit en question est facultatif ou essentiel : l’exercice d’un droit
facultatif aura moins de valeur que l’exercice d’un droit essentiel.
Troisièmement, il faut mesurer la nature et l’étendue du droit de
reproduction lorsqu’on établit des ratios pour deux marchés différents. Enfin, il faut définir correctement la pertinence du marché de
référence : le tarif fixé pour un droit donné sur un marché de référence peut ne pas convenir pour fixer le tarif du même droit sur un
marché cible, mais le ratio entre les valeurs respectives des deux
droits sur le marché de référence peut se révéler utilisable pour établir un ratio entre ces deux droits sur le marché cible.
2.4.3 Les processus comme points de référence
Le point de référence n’est pas nécessairement un simple prix ;
on peut aussi l’envisager comme un processus au moyen duquel
peut être calculée la rémunération appropriée de l’utilisation d’œuvres protégées. La question principale à cet égard peut se formuler
comme suit : quel serait le taux concurrentiel de redevances que le
secteur utilisateur paierait pour les droits musicaux sur un marché
concurrentiel dans le cas où il en existerait un et où il fonctionnerait
de manière efficiente ? Ou encore : peut-on imaginer un processus
autre que le fonctionnement d’un marché concurrentiel par lequel
s’établirait un taux concurrentiel de rémunération des droits musicaux ? On peut par exemple supposer une vente aux enchères pour
l’utilisation non exclusive des droits considérés : combien l’utilisateur serait-il prêt à débourser pour de tels droits ? La réponse est à
chercher dans la valeur marginale ou différentielle de ces droits pour
l’utilisateur en question.
Comme je le disais plus haut, la recherche de points de référence acceptables peut et doit s’entendre, au sens large, comme comprenant la recherche de processus aptes à remplir cette fonction.
Par exemple, le tarif que les services sonores payants numériques
(SSPN) doivent verser à la société de gestion CSI pour l’utilisation
Concepts et principes économiques invoqués...
1101
des droits d’auteur sur les œuvres musicales en question pourrait
être basé sur ce qu’ils seraient disposés à payer sur un marché fonctionnel ou dans une vente aux enchères de ces droits. Rappelons les
trois raisons principales sur lesquelles se fonde cette proposition.
Les SSPN ont toutes les caractéristiques d’un secteur de monopole
naturel, même s’ils se trouvent dans une mesure limitée en concurrence avec la radio commerciale, qui produit et vend un substitut
imparfait de ces services. La loi du prix unique doit être simultanément appliquée à de multiples niveaux ou sur des marchés multiples
mais apparentés, soit à tous les intrants (notamment aux œuvres
musicales, au capital et à l’entrepreneuriat sous les rapports de la
quantité et de la qualité, qui constituent les intrants clés des SSPN
aussi bien que de la radio commerciale) et à tous les extrants de substitution imparfaite. Le secteur de la production d’œuvres musicales
(auteurs, artistes-interprètes et producteurs) se caractérise par une
vive concurrence et la libre entrée, de sorte que, si les redevances
augmentent, on peut légitimement s’attendre à ce qu’un plus grand
nombre d’auteurs, d’artistes-interprètes et de producteurs étendent
leurs activités de création ou entrent dans le secteur, afin de s’assurer une part de l’accroissement des redevances ou du marché.
La Commission a refusé d’entériner cette approche pour diverses raisons, mais n’en a pas moins admis les fondements. Elle déclarait ce qui suit dans sa décision de 2009 sur les services de radio par
satellite9 :
[...] nous sommes d’avis que le modèle fondé sur la volonté de
payer est fondamentalement inadéquat pour l’établissement
d’un tarif. En règle générale, l’ordre d’arrivée d’un intrant particulier au cours du processus de développement d’une entreprise ne doit pas influer sur le tarif.
La Commission a raison de voir dans l’ordre d’arrivée une
contrainte importante de la mesure de la valeur différentielle. La
réponse des théoriciens de l’économie à ces préoccupations est un
concept de la théorie des jeux coopératifs, à savoir la valeur de Shapley, que nous examinerons plus loin, dans la section sur les nouveaux modèles économiques.
9. Services de radio par satellite, SOCAN (2005-2009), SCGDV (2007-2010) et
CMRRA/SODRAC inc. (2006-2009), 8 avril 2009.
1102
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.4.4 La capacité de payer : exclusion et ajustement
La Commission a déclaré à plusieurs reprises que la capacité de
payer est l’un des facteurs qui peuvent être pris en considération
dans l’établissement des tarifs. Dans certaines affaires, elle s’est
contentée de constater, sur le fondement de la preuve, qu’il n’existait
aucun problème sur le plan de la capacité de payer. Dans d’autres
affaires, elle a accordé des réductions pour une durée déterminée.
Dans sa décision de 1993 touchant les droits à percevoir sur l’exécution au Canada d’œuvres musicales ou dramatico-musicales10, la
Commission s’exprime ainsi : « La Commission a établi par le passé
que la capacité de payer est un facteur, parmi tant d’autres, dont on
peut tenir compte dans l’établissement du prix de la musique ».
De même, la décision de 2003 sur les droits de reproduction
s’appliquant à la radio commerciale11 rappelle que « [l]a Commission
a toujours reconnu qu’un tarif équitable doit prendre en compte la
capacité de payer des utilisateurs visés ».
On peut lire ce qui suit dans la décision que la Commission a
rendue en 2009 sur les redevances que doivent verser les services de
radio satellitaire à canaux multiples par abonnement12 :
Les services par satellite n’ont pas encore rentabilisé leurs activités. Cela n’est pas surprenant dans un secteur qui est dans
une phase de développement initial et qui doit supporter des
coûts fixes élevés. Toutefois, les informations disponibles montrent clairement que ce secteur est dans une situation financière plus précaire que beaucoup d’autres. Les services par
satellite ont enregistré des pertes importantes depuis qu’ils ont
lancé leurs activités. Les coûts fixes initiaux, qui constituent
environ 85 pour cent du total des coûts d’exploitation, expliquent en partie ces difficultés sur le court terme. En outre,
les services de radio par satellite doivent supporter des coûts
d’acquisition de la clientèle très élevés. C’est pourquoi les deux
services affichent à l’heure actuelle des pertes qui excèdent très
largement leurs revenus d’abonnement. La situation financière
de l’industrie devrait s’améliorer considérablement à mesure
qu’augmentera le nombre d’abonnés à la radio satellitaire. De
10. Tarif des droits à percevoir pour l’exécution au Canada d’œuvres musicales ou
dramatico-musicales en 1990, 1991, 1992 et 1993, tarifs multiples de la SOCAN,
décembre 1993.
11. Stations de radio commerciales, CMRRA/SODRAC inc. (2001-2004), mars 2003.
12. Services de radio par satellite, SOCAN (2005-2009), SCGDV (2007-2010) et
CMRRA/SODRAC inc. (2006-2009), avril 2009.
Concepts et principes économiques invoqués...
1103
fait, les services par satellite prévoient franchir le seuil de rentabilité vers 2010 [...] Nous croyons qu’un escompte initial
devrait être appliqué à ces tarifs, comme cela s’est déjà fait
dans le passé pour d’autres tarifs. Toutefois, pour les raisons
que nous venons d’exposer, nous pensons que cet escompte
devrait être plus élevé que d’habitude. Nous appliquerons donc
un escompte de 25 pour cent de 2005 à 2007, cette dernière
étant la première année où les trois tarifs seront en vigueur
simultanément, et de 10 pour cent en 2008 et 2009, dernière
année pour laquelle nous croyons qu’un escompte devrait s’appliquer.
Quelle qu’en soit la forme, la contrepartie qu’on demandera aux
utilisateurs pour un intrant donné représentera un fardeau pour
eux, et certains seront exclus du marché en raison de leur incapacité
à payer les intrants. C’est le cas sur tous les marchés, d’intrants ou
d’extrants. En règle générale, les divers services du travail et les
fournisseurs des autres facteurs de production reçoivent une rémunération concurrentielle (salaire ou prix), sans égard pour la rentabilité de l’entreprise ou du secteur. C’est le propriétaire du capital qui
supporte la charge du risque et de la non-rentabilité à court terme.
Cependant, rien n’empêche les fournisseurs d’intrants d’accepter
volontairement une rémunération plus faible à court terme, comme
contribution au développement du marché ou du secteur, ou comme
investissement dans ce développement, si cette contribution ou cet
investissement paraît rentable, c’est-à-dire s’il y a lieu de prévoir que
les pertes ou le manque à gagner subis au départ permettront de
dégager plus tard des gains intéressants. La capacité de payer n’est
généralement pas prise en considération pour la rémunération des
intrants sur un marché parvenu à maturité ou dans un secteur bien
établi, mais elle pourrait néanmoins être un facteur pertinent dans
une entreprise en démarrage ou un secteur émergent, en particulier
si l’intrant en question est crucial et essentiel.
Dans l’affaire des services sonores payants numériques (SSPN),
par exemple, on a soutenu que la question de savoir si la capacité de
payer devrait ou non entrer en considération dans l’établissement
des redevances, c’est-à-dire s’il convient ou non qu’un taux de redevance générale soit indexé sur le niveau de rentabilité des services,
n’est aucunement une particularité du secteur des SSPN, mais
relève plutôt d’une décision endogène de partage des risques liés au
développement du marché des SSPN, prise de concert par ceux-ci et
certains fournisseurs d’intrants (en l’occurrence les auteurs, les
artistes-interprètes et les producteurs d’œuvres musicales).
1104
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Aucun principe économique n’interdit de calculer des redevances de droit d’auteur en pourcentage des recettes ou des bénéfices, ce
pourcentage augmentant en proportion de la rentabilité dans le cas
où celle-ci peut être évaluée et vérifiée de manière satisfaisante. Il
s’agit alors d’une décision de partage des risques. Encore une fois, si
l’on demande aux auteurs, aux artistes-interprètes et aux producteurs d’œuvres musicales de participer à un accord de partage des
risques liés au développement d’un marché, d’un secteur d’activité
ou d’une entreprise, ils devraient avoir droit à un RAROC (rendement du capital corrigé du risque) sur leur investissement ; ainsi,
sur la durée, la rémunération (incertaine ou aléatoire) des droits
d’auteur sur la musique dans le cadre d’un accord de partage des risques sera en moyenne plus élevée que la rémunération des mêmes
droits, qu’elle soit calculée à l’unité ou autrement, dans le cadre d’un
accord de type courant.
3. LES PRINCIPES INVOQUÉS ET APPLIQUÉS
DANS LES AFFAIRES DE COPIE PRIVÉE
La Commission écrivait ce qui suit dans sa décision de janvier 2001 sur la copie privée13 :
La décision de la Commission de traiter la copie privée comme
un « marché secondaire » en 1999 est sans doute celle qui a suscité le plus de débats. Or, le fait qu’on ait ou non affaire à un
« marché » importe peu. Ce qui importe vraiment, c’est de savoir
si l’activité de copie privée a ou non un caractère accessoire pouvant agir sur le montant à verser pour le droit de reproduction,
sans lequel cette activité ne peut tout simplement pas avoir
lieu.
Elle a toutefois reconnu qu’il n’est « pas déraisonnable » de soutenir que, toutes choses étant égales par ailleurs, le droit de reproduction devrait faire l’objet de la même rémunération, qu’il soit
attaché à un original ou à une copie de haute qualité, puisque dans
les deux cas le produit final est essentiellement le même.
La Commission a relevé deux facteurs qui pourraient entraîner
une diminution de la valeur attribuée par le consommateur au droit
de reproduction dont il a besoin pour la copie privée : premièrement,
pour la moitié des consommateurs, les copies sont des secondes
13. Tarif des redevances à percevoir par la SCPCP en 2001 et 2002 pour la vente de
supports audio vierges au Canada, janvier 2001.
Concepts et principes économiques invoqués...
1105
copies ; deuxièmement, tout en reconnaissant que la valeur du
contenu peut être de beaucoup supérieure à celle du contenant, la
Commission fait observer qu’« établir le prix du droit de reproduction
nécessaire à l’activité de copie privée au même niveau que celui du
droit de reproduction servant à produire un CD préenregistré entraînerait une résistance du consommateur ». Elle ne précise cependant
pas les motifs d’une telle résistance.
La Commission a aussi recensé trois facteurs qui pourraient
faire augmenter la valeur attribuée par le consommateur au droit de
reproduction dont il a besoin pour la copie privée : premièrement, la
moitié des copies privées sont les seules que le consommateur possède ; deuxièmement, la valeur d’une caractéristique (le droit de
reproduction) peut augmenter lorsque d’autres caractéristiques (par
exemple la totalité des frais d’emballage et la plus grande partie des
frais de vente au détail) sont absentes ; troisièmement, les copies servent habituellement à faire des compilations de plages prises isolément ou de sélections plutôt qu’à reproduire des albums complets, ce
qui pourrait disposer le consommateur à payer plus pour le droit de
reproduction de l’album composé : « Il se peut à plus long terme que
les consommateurs acceptent de payer davantage pour la musique
qu’ils convoitent, s’ils n’ont pas à payer pour celle dont ils ne veulent
pas ». La Commission a finalement décidé de réduire l’escompte,
qu’elle avait fixé à 50 pour cent dans sa décision antérieure, pour le
porter à 37,5 pour cent.
Au cours des audiences sur la copie privée de 2000 et de 2003, la
SCPCP a soutenu que la musique, en tant que telle, enregistrée sur
des copies privées tirées d’un ou de plusieurs CD a normalement
pour le consommateur une valeur égale à celle de la même musique
enregistrée sur des CD originaux. Le fait que les consommateurs
produisent des copies pour écouter plus commodément leur musique
préférée ne change rien à cette conclusion. La SCPCP a proposé deux
exemples à l’appui de sa thèse : les consommateurs qui déjeunent au
même restaurant trois fois par semaine doivent payer chaque fois le
même prix même s’ils consomment chaque fois la même chose, et les
consommateurs qui prennent un taxi plusieurs fois par semaine
pour le même trajet doivent payer le même prix pour chaque course.
Dans de tels cas, la loi de l’utilité marginale décroissante, sur
laquelle repose le concept de « marché secondaire » qu’emploie la
Commission dans ses décisions sur la copie privée, ne s’appliquerait
pas puisque la valeur de chaque unité de consommation reste constante. Le consommateur qui vient de finir de déjeuner ne sera pas
1106
Les Cahiers de propriété intellectuelle
disposé à payer de nouveau le prix de son repas pour déjeuner encore
immédiatement après. De même, le consommateur ne sera pas disposé à payer une deuxième course de taxi sur le même trajet immédiatement après la première. Mais sur la durée, le « même » bien peut
revêtir la même valeur pour le même consommateur : la loi de
l’utilité marginale décroissante s’applique à la consommation en un
même point donné du temps et de l’espace, mais pas à la consommation en des points différents.
Dans le cas des œuvres musicales, la consommation (l’audition)
répétée du même morceau à un moment déterminé obéit vraisemblablement à la loi de l’utilité marginale décroissante. Cependant, il se
pourrait bien que l’audition du même morceau de musique, répétée
une ou deux fois par semaine ou par mois, représente chaque fois
la même valeur pour le consommateur. Ce fait donne à penser
qu’il serait déraisonnable d’affirmer que la loi de l’utilité marginale
décroissante devrait être appliquée sans nuances. Si les copies permettent au consommateur d’écouter ses œuvres musicales préférées
une deuxième ou une troisième fois sur une durée donnée, il paraît
légitime de supposer que la loi de l’utilité marginale décroissante ne
s’applique pas aux œuvres musicales en tant que telles. Il est même
fort possible que leur utilité marginale augmente au lieu de diminuer.
La Commission écrivait ce qui suit dans sa décision de décembre 2003 sur la copie privée14 :
La SCPCP soutient que les consommateurs accordent autant
de valeur à la copie privée faisant partie d’une compilation de
pièces qu’à l’original faisant partie de l’album complet. La Commission ne partage pas ce point de vue.
Elle concluait son raisonnement dans les termes suivants :
La Commission préférerait ne pas ajouter de variantes à cet
exercice déjà complexe en tentant de décomposer l’escompte lié
à la « valeur accessoire ». Elle n’est pas convaincue qu’il est
juste de procéder à une microanalyse ou de ratiociner sur des
technicalités. Le calcul de la valeur accessoire ne peut être fait
scientifiquement. Il doit plutôt servir à évaluer le sentiment
des consommateurs de musique canadiens, tant du point de vue
14. Tarif des redevances à percevoir par la SCPCP en 2003 et 2004 sur la vente de
supports audio vierges au Canada, décembre 2003.
Concepts et principes économiques invoqués...
1107
quantitatif que qualitatif. Plus cette analyse devient technique
et nuancée, plus elle s’éloigne de son objet premier.
Cette dernière observation soulève des questions tout à fait différentes, quoique dignes d’attention.
4. LES PRINCIPES INVOQUÉS ET APPLIQUÉS DANS LES
AFFAIRES DE RADIO COMMERCIALE
Contrairement au cas de la copie privée, où le tarif a toujours
été exprimé en prix unitaire, les tarifs applicables à la radio commerciale ont toujours été exprimés en pourcentages des recettes.
C’est en août 199915 que la Commission a été appelée pour la
première fois à « se penche[r] sur le régime dit des droits voisins, mis
en place en 1997 par l’entrée en vigueur du projet de loi C-32
[L.C. 1997, ch. 24] ». La réforme du droit d’auteur opérée en 1997
conférait aux artistes-interprètes et aux producteurs remplissant les
conditions de nouveaux droits appelés « droits voisins », c’est-à-dire
des droits à une rémunération équitable. La Commission formulait
les observations suivantes dans sa décision :
Les participants abordent le concept de rémunération équitable de diverses façons. La SCGDV soutient qu’il faut l’établir
uniquement en fonction des droits des titulaires. L’ACR prétend que cette rémunération doit aussi être équitable à l’endroit des utilisateurs, en plus de refléter d’autres éléments, tels
l’identification précise du répertoire rémunéré et le bénéfice
que tirent les titulaires de l’utilisation même des enregistrements.
La Commission concluait que sa tâche consistait à « établir un
tarif qui soit juste et équitable tant pour les titulaires de droits que
pour les utilisateurs, compte tenu de toutes les circonstances de
l’espèce ».
Dans les conclusions présentées à l’appui de sa proposition de
tarif, la SCGDV insistait sur le principe de l’acheteur et du vendeur
consentants, sur le fait que les stations de radio commerciales diffusent peu de musique en direct ou d’enregistrements tombés dans le
domaine public, ainsi que sur l’idée qu’une rémunération équitable
doit procurer aux titulaires de droits un juste rendement de leur
15. SCGDV, tarif 1.A (radio commerciale) pour les années 1998 à 2002, août 1999.
1108
Les Cahiers de propriété intellectuelle
investissement en talent et en ressources financières tout en étant
fonction de la valeur tirée par les stations de radio commerciale de
l’utilisation d’enregistrements sonores.
Pour ce qui concerne les valeurs relatives des droits voisins des
artistes-interprètes et producteurs, d’une part, et des droits d’auteur
des paroliers et compositeurs, d’autre part, la Commission proposait
l’observation suivante : « En définitive, c’est sans doute M. Reynolds,
président d’Universal Music Canada, qui a le mieux formulé le
dilemme. À son avis, tenter de déterminer l’importance relative des
compositeurs et des artistes-interprètes au succès d’un enregistrement, [TRADUCTION] « c’est s’engager dans le débat classique de la
poule et de l’œuf. Je ne crois pas qu’on puisse les isoler et [...] dire :
celui-ci est plus important que celui-là ».
Après examen des arguments des parties, la Commission est
arrivée à la conclusion que le meilleur point de départ pour établir la
valeur des droits voisins était la valeur des droits d’auteur des
auteurs et des compositeurs (SOCAN) pour la radio commerciale, qui
était depuis de nombreuses années fixée à 3,2 pour cent des recettes,
et elle a déclaré ne pas avoir « de raison de croire qu’à la radio
les enregistrements sonores ont une valeur supérieure aux œuvres
enregistrées, et ce pour plusieurs motifs ». Par conséquent, il convenait d’attribuer une valeur égale aux deux catégories de droits,
l’ancienne et la nouvelle. Après correction en fonction de l’utilisation
du répertoire, on obtenait ainsi des taux de 3,2 pour cent des recettes
pour la SOCAN et de 1,44 pour cent pour la SCGDV.
La Commission est revenue en octobre 2005 sur la question des
tarifs applicables à la radio commerciale16. Elle a alors apporté d’importants changements aux tarifs, mais sa décision a été contestée en
justice, de sorte qu’elle l’a réexaminée en février 200817. Toutefois, la
décision de 2008 a maintenu les tarifs fixés dans celle de 2005.
Dans sa décision de 2005, la Commission a récapitulé l’histoire
des droits et des tarifs à partir de 1924, année où des droits ont été
conférés aux auteurs et aux compositeurs. La valeur de ces droits
était alors établie par le gouvernement. On a fixé pour la première
fois en 1936 un taux collectif de droits d’auteur (Commission Parker
et Commission d’appel du droit d’auteur), qui a d’abord revêtu la
16. SOCAN-SCGDV, tarif 1.A (radio commerciale) pour les années 2003 à 2007,
14 octobre 2005.
17. SOCAN-SCGDV, tarif 1.A (radio commerciale) pour les années 2003 à 2007,
réexamen, février 2008.
Concepts et principes économiques invoqués...
1109
forme d’un versement forfaitaire fondé sur le nombre de postes
récepteurs de radio, puis, après de nombreuses révisions de divers
ordres, celle d’un pourcentage des recettes en 1959. Ce pourcentage a
atteint 3,2 pour cent en 1978 et est resté à ce niveau pendant plus de
25 ans (la Commission du droit d’auteur a été créée en 1989), jusqu’à
la décision de 2005/2008, qui s’appliquait à la période 2003-2007.
Comme on l’a vu plus haut, le taux général des droits voisins a été
fixé à 1,44 pour cent des recettes en 1999.
Au cours des audiences qui ont abouti à la décision de 2005, la
SCGDV et la SOCAN ont exposé un nouveau modèle d’évaluation
visant à mieux représenter la valeur globale de leurs droits, tandis
que l’ACR « recherchait un tarif qui soit davantage aligné sur les
taux américains ».
Après avoir refusé, pour des motifs relevant à la fois du droit et
de l’économique ou du modèle d’affaires, d’aligner la pratique canadienne sur l’américaine comme le demandait l’ACR, la Commission
a examiné le modèle proposé par la SCGDV (avec l’appui de la
SOCAN) pour l’établissement de la valeur globale du contenu musical. Le modèle de la SCGDV portait en partie sur la répartition de
cette valeur entre les titulaires de droits, proposant essentiellement
l’attribution d’un tiers à chacun des groupes respectivement constitués par les auteurs-compositeurs, les artistes-interprètes et les producteurs, aspect du modèle auquel la SOCAN ne souscrivait pas
puisqu’elle défendait quant à elle le statu quo, qui assignait une
moitié de la valeur à chacune des deux sociétés – la SCGDV, représentant les artistes-interprètes et les producteurs, et la SOCAN,
représentant les auteurs et les compositeurs.
La Commission a vite écarté le modèle d’évaluation de la SCGDV :
« Il n’est pas nécessaire d’examiner plus en détail le modèle de la
SCGDV, a-t-elle déclaré, étant donné qu’il ne peut servir à établir un
tarif juste et équitable en l’espèce ». Elle a motivé ce rejet dans les
termes suivants : « Le modèle est complexe [...] (Il) présente d’importantes lacunes, à la fois dans la façon dont il arrive à une valeur globale pour les droits pertinents et dans la façon dont il répartit cette
valeur parmi les titulaires de droits. Le modèle est intrinsèquement
imprécis puisqu’il repose sur des hypothèses non fondées [...] Qui
plus est, ce modèle est extrêmement instable. De légères fluctuations
dans la part des revenus imputés à la musique produisent d’importantes variations du taux. » On trouvera plus loin un exposé sommaire du modèle de la SCGDV.
1110
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Bien qu’elle rejetât le modèle de la SCGDV, la Commission a
reconnu que la valeur de la musique préenregistrée avait augmenté
sensiblement depuis 1987 : les radiodiffuseurs utilisent plus de
musique, laquelle contribue dans une plus grande mesure aux indices d’écoute, et ils utilisent la musique de manière plus efficiente.
Sur le fondement de ces constatations, la Commission a porté les
taux généraux de 3,2 pour cent à 4,2 pour cent pour la SOCAN, et de
1,44 pour cent (45 pour cent du taux de la SOCAN) à 2,1 pour cent
(50 pour cent du taux de la SOCAN) pour la SCGDV, chacun de ces
taux étant réduit pour des utilisateurs particuliers, tels que les stations utilisant peu de musique. Plus précisément, la Commission
présentait comme suit ses nouveaux taux :
Les stations de radio commerciales verseront à la SOCAN 3,2
pour cent sur la partie de leurs recettes publicitaires annuelles
qui ne dépasse pas 1,25 million de dollars et 4,4 pour cent sur
l’excédent ; les stations à faible utilisation verseront 1,5 pour
cent. En ce qui a trait à la SCGDV, le taux s’établirait à 1,44
pour cent pour les stations dont les recettes ne dépassent pas
1,25 million de dollars, en l’absence de l’exemption législative.
Le taux de 2,1 pour cent s’applique aux stations dont les recettes sont supérieures à 1,25 million et le nouveau taux de faible
utilisation s’établit à 0,75 pour cent.
Cette décision, réaffirmée en 2008, fait date. En effet, l’augmentation des taux et les corrections y afférentes entraînent un
accroissement notable des redevances : pour l’année 2003, le nouveau tarif procurera la somme de 42,2 millions de dollars à la
SOCAN, ce qui représente une augmentation de 21,1 pour cent par
rapport aux 34,9 millions que l’ancien tarif lui aurait donnés pour
la même année, et la somme de 13,3 millions à la SCGDV, soit
48,1 pour cent de plus que les 9,0 millions que l’ancien tarif lui aurait
permis de récolter.
Dans sa décision de 2008, la Commission s’est fondée principalement sur un modèle proposé par l’Association canadienne des
radiodiffuseurs (le rapport Globerman). La Commission a formulé
les observations suivantes au sujet de ce modèle :
[...] l’ACR nous a proposé une démarche économique générale
pour évaluer la valeur globale de la musique [...] (M. Globerman) suppose que la valeur de la musique est égale au prix qui
serait payé par les radiodiffuseurs pour obtenir de la musique
dans un marché concurrentiel. Dans un tel marché, le prix aura
Concepts et principes économiques invoqués...
1111
tendance à correspondre aux recettes supplémentaires découlant de la musique ou à la valeur de la productivité marginale
de la musique, lesquelles peuvent être calculées en multipliant
la productivité moyenne de la musique par le prix payé par les
annonceurs par heure d’écoute de musique [...] la valeur de la
musique pour le radiodiffuseur est le produit de trois variables
principales : la productivité moyenne de la musique, les recettes nettes par heure d’écoute de musique et le nombre d’heures
de diffusion de musique.
Par conséquent, bien que l’achat d’un répertoire de musique
par les exploitants de stations de radio aux titulaires des droits y
afférents y soit assimilé à l’acquisition d’un bien, le rapport Globerman, déposé pour le compte de l’ACR, s’apparente nettement par son
esprit au rapport Audley, Boyer et Stohn (ABS), déposé au nom de la
SCGDV dans l’instance de 2005 (nous examinerons plus loin la
méthode ABS), encore que les deux rapports aboutissent à des propositions de tarifs très différentes, du fait qu’ils se fondent sur des données différentes pour établir la valeur latente des trois variables
principales. En ce sens, les deux démarches se révèlent plutôt complémentaires que substituables l’une à l’autre.
Une question examinée dans le rapport Globerman et à maintes reprises débattue devant la Commission est l’effet de l’accroissement de l’efficience dans l’utilisation d’un intrant sur le prix
concurrentiel de cet intrant. Autrement dit, comment convient-il de
répartir les gains d’efficience de l’utilisation du répertoire que procurent les innovations technologiques ou de gestion, en l’occurrence
dans le secteur de la radio commerciale, entre les intéressés, en particulier entre les exploitants de stations de radio commerciales et les
titulaires de droits d’auteur ? Les gains d’efficience dans l’utilisation
du répertoire peuvent revêtir diverses formes, par exemple la réduction du coût de cette utilisation ou l’accroissement de l’aptitude ou de
la capacité à produire des recettes additionnelles pour les utilisateurs. De telles variations de la rentabilité de la transformation d’un
intrant en produits et services de valeur (en audience pour les
annonceurs) inciteront les utilisateurs (les exploitants de stations de
radio commerciales) à accroître leur demande à l’égard de cet intrant
(le répertoire). Quel en sera l’effet sur le prix de l’intrant ? Tout
dépend de l’élasticité du prix de l’offre de cet intrant (le répertoire).
À l’évidence, l’offre d’œuvres et d’exécutions musicales se caractérise
par une pente positive, dans la mesure où le talent est rare, le temps
limité, et coûteux l’effort de production et d’exécution d’œuvres de
haute qualité.
1112
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La Commission a utilisé « l’approche du professeur Globerman
en la modifiant à certains égards pour obtenir le taux de redevance
applicable ». Elle a conclu que, tout bien considéré, elle pouvait
confirmer les tarifs fixés dans sa décision de 2005 : « Les taux que
nous homologuons sont les mêmes que ceux homologués dans Radio
commerciale 2005 ».
5. LES PRINCIPES INVOQUÉS ET APPLIQUÉS
DANS L’AFFAIRE DE LA REPRODUCTION PAR
REPROGRAPHIE : L’UTILISATION ÉQUITABLE
ET LA THÉORIE ÉCONOMIQUE
Dans sa décision de 2009 sur la reproduction par reprographie18, la Commission a pris en considération l’arrêt CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut Canada, rendu en 2004 par la Cour
suprême du Canada. Celle-ci y pose que l’exception relative à l’utilisation équitable est un droit des utilisateurs, que l’équilibre entre
les droits des utilisateurs et les intérêts des créateurs commande que
cette exception ne soit pas interprétée de manière restrictive, et qu’il
convient d’établir si une utilisation donnée est équitable selon six
facteurs ou critères : le but de l’utilisation, sa nature, son ampleur,
les solutions de rechange à l’utilisation, la nature de l’œuvre et l’effet
de l’utilisation sur le marché de l’œuvre.
La Loi sur le droit d’auteur dispose qu’il est possible d’utiliser
une œuvre protégée sans permission tout en restant dans la légalité.
La Commission récapitule dans les termes suivants les dispositions
relatives à l’utilisation équitable :
L’une de ces exceptions, désormais élevées par la Cour suprême
du Canada au rang de droit des utilisateurs, concerne l’utilisation équitable. Les dispositions pertinentes se lisent comme
suit : 29. L’utilisation équitable [...] aux fins d’étude privée ou
de recherche ne constitue pas une violation du droit d’auteur. 29.1 L’utilisation équitable [...] aux fins de critique ou de
compte rendu ne constitue pas une violation du droit d’auteur à
la condition que soient mentionnés : a) d’une part, la source ;
b) d’autre part, si ces renseignements figurent dans la source :
(i) dans le cas d’une œuvre, le nom de l’auteur [...] 29.2 L’utilisation équitable [...] pour la communication des nouvelles ne
constitue pas une violation du droit d’auteur à la condition que
soient mentionnés : a) d’une part, la source ; b) d’autre part, si
18. Access Copyright (établissements d’enseignement), 2005-2009, 26 juin 2009.
Concepts et principes économiques invoqués...
1113
ces renseignements figurent dans la source : (i) dans le cas
d’une œuvre, le nom de l’auteur [...]
Devant les répercussions que l’arrêt précité de la Cour suprême
risquait d’avoir sur les décisions de la Commission du droit d’auteur concernant les droits de reproduction par reprographie et leur
valeur, et la possibilité ainsi ouverte que les utilisateurs de ces droits
invoquent l’exception relative à l’utilisation équitable plus souvent
et de manière plus large qu’auparavant, la société de gestion Access
Copyright a commandé une analyse économique de la question de
l’utilisation équitable à la lumière de cet arrêt. L’étude commandée
par Access Copyright a été présentée et débattue devant la Commission au cours des audiences de 2009 sur la reproduction par reprographie.
Les craintes d’Access Copyright n’étaient pas entièrement
dénuées de fondement puisqu’on peut lire ce qui suit dans la décision
de 2009 de la Commission :
Les opposants soutiennent que les reproductions autorisées au
titre de l’utilisation équitable sont beaucoup plus nombreuses
qu’Access ne l’admet. Ce point de vue repose pour l’essentiel sur
quatre prétentions. Premièrement, pratiquement toutes les
copies de documents faisant partie du répertoire d’Access faites
dans les écoles constituent de l’utilisation équitable. Deuxièmement, recherche, étude privée, critique et compte rendu
forment les pierres angulaires du curriculum des écoles élémentaires et secondaires. Troisièmement, la copie faite à plusieurs fins est équitable dès lors que l’une de ces fins est
énumérée dans les dispositions pertinentes de la Loi. Quatrièmement, la copie faite à l’initiative de l’enseignant est équitable dès lors que l’utilisateur éventuel est un étudiant et que
l’utilisation met en cause une des fins énumérées dans la Loi.
La Commission poursuivait en ces termes :
Pour leur part, les opposants soutiennent que l’interprétation libérale que préconise CCH amène nécessairement à
conclure que pratiquement toutes les copies faites en milieu
scolaire bénéficient de l’exception relative à l’utilisation équitable. À leur avis, il est plus que certain que toutes les catégories mentionnées faisant l’objet d’un litige doivent être exclues
du calcul des redevances.
1114
Les Cahiers de propriété intellectuelle
À l’évidence, les dispositions relatives à l’utilisation équitable
ont des fondements et des effets aussi bien juridiques qu’économiques. Si le présent exposé ne concerne que leurs aspects économiques, il paraît important de noter que la Commission écrivait ce qui
suit à propos de l’étude économique dans sa décision de 2009 sur la
reproduction par reprographie :
[...] la notion d’utilisation équitable est un concept juridique,
qui doit être interprété en fonction des balises posées dans
CCH. Bien qu’intéressantes, [l’étude économique et sa critique]
ne sont pas pertinentes.
Étant donné l’importance des concepts et des principes examinés dans cette étude sur l’arrêt CCH de la Cour suprême, il semble
malgré tout opportun d’en parler brièvement ici. Cette étude exposait une argumentation strictement fondée sur la théorie et l’analyse
économiques, qui conduisait aux conclusions suivantes.
Premièrement, il y a des motifs purement économiques à l’établissement de l’exception aux droits exclusifs des créateurs sur leurs
œuvres à des fins d’utilisation équitable. Cette exception doit faire
partie intégrante des droits des utilisateurs et son application ne
doit pas être indûment entravée si l’on veut assurer, aujourd’hui et à
l’avenir, une affectation ou une répartition efficiente des ressources
en vue de la production et de la diffusion des œuvres d’une manière
conforme à l’arrêt récent de la Cour suprême. Cependant, il faut définir correctement l’utilisation équitable, en particulier lorsque ses
fins sont la recherche et l’étude privée, pour éviter toute atteinte
involontaire au droit d’auteur et favoriser l’émergence de moyens
d’échange efficients entre les utilisateurs et les créateurs d’œuvres
protégées (c’est-à-dire des institutions de marché efficientes) et pour
respecter en même temps les droits des uns et des autres. C’est dans
ce cadre d’analyse qu’il convient d’examiner non seulement les solutions de rechange à l’utilisation d’œuvres protégées, mais aussi les
solutions de rechange au recours à l’exception elle-même, en particulier à la lumière de l’arrêt CCH de la Cour suprême.
Deuxièmement, certaines raisons économiques expliquent l’absence de moyens d’échange (de marchés) efficients dans le domaine
du droit d’auteur, en particulier pour ce qui concerne le droit de
reproduction des œuvres. Cette absence de mécanismes de marché
efficients peut avoir des conséquences socialement préjudiciables
sur la production et la distribution d’œuvres originales.
Concepts et principes économiques invoqués...
1115
Troisièmement, la définition et la mesure des effets de l’utilisation équitable sur les œuvres, sur les marchés de celles-ci et par
conséquent sur leur valeur constituent certainement des facteurs
pertinents quant à l’établissement d’un cadre raisonnable pour cette
exception, mais, si l’on veut obtenir les résultats escomptés, la
méthode de cette mesure doit se fonder sur une définition élargie du
concept de « marché » et, partant, sur une définition plus large aussi
du concept de « valeur ». Un marché, du point de vue de la théorie et
de l’analyse économiques, comprend plus que le nombre d’unités faisant l’objet d’opérations entre vendeurs et acheteurs. Il comprend
aussi : i) les acheteurs potentiels (ceux qui achèteraient ou achèteraient plus si le prix était plus bas) et les vendeurs potentiels (ceux
qui vendraient ou vendraient plus si le prix était plus élevé) ; ii) les
futurs acheteurs et vendeurs ; iii) les fournisseurs d’information, qui
évaluent, analysent ou confirment la qualité des biens et des services, ainsi que les journalistes, qui contribuent à la diffusion de
nouvelles exactes ; iv) l’ensemble des fournisseurs de services accessoires liés directement ou indirectement au marché ; et, par-dessus
tout v) les institutions qui organisent et facilitent les transactions,
par exemple en offrant des établissements physiques ou virtuels
pour les effectuer et en administrant les opérations financières en
même temps que les opérations commerciales, institutions qui assurent au marché la fluidité nécessaire afin qu’acheteurs et vendeurs
se trouvent et se rencontrent d’une manière ou d’une autre pour
négocier et, en fin de compte, conclure des affaires, etc.
Enfin, il convient d’établir de préférence, aux fins de la création
de mécanismes de marché efficients pour la reproduction, une politique mettant l’accent sur des mécanismes simples et peu coûteux, et
favorisant la production d’œuvres originales de haute qualité aussi
bien que la distribution des œuvres, compte dûment tenu des droits
des auteurs comme des utilisateurs.
La Commission a malgré tout reconnu que l’étude économique
présentée par Access Copyright, en particulier pour ce qui concerne
l’utilisation équitable, constituait « une analyse économique de la
notion d’utilisation équitable et de sa pertinence dans la présente
affaire ». Elle poursuivait en ces termes :
[...] du point de vue économique, on pourrait vouloir recourir à
une interprétation libérale de cette notion si l’on cherchait à
limiter le pouvoir de marché dont pourraient disposer certains
auteurs, à favoriser la dissémination des idées portées par les
œuvres ou à pallier les coûts de transaction élevés qu’entraîne
1116
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’absence de marchés efficaces [...] dans le contexte de la présente affaire, il n’existe pas de motifs économiques suffisants pour justifier une telle interprétation. Premièrement, les
auteurs ne sont pas en mesure d’exercer un contrôle sur le marché du manuel scolaire : ils offrent des biens substituables et ne
peuvent empêcher l’entrée d’autres auteurs sur le marché.
Deuxièmement, la dissémination des idées est déjà prise en
compte, puisque la Commission est sensible à l’impact du tarif
sur l’accès aux œuvres. Troisièmement, l’existence même du
tarif et le caractère général de la licence qu’il offre diminuent de
beaucoup les coûts de transaction, en réduisant par exemple les
difficultés reliées à l’identification de l’ayant droit et du juste
prix pour le compenser.
L’étude économique concluait que la première chose à faire
pour permettre l’émergence de la meilleure solution possible est
d’éviter l’effondrement. En effet, un effondrement pourrait survenir
si, en vertu d’une interprétation plus libérale qu’il ne faudrait de
l’exception relative à l’utilisation équitable, une part importante des
œuvres et donc des droits en question se trouve soustraite à l’objet de
la concession des licences – les institutions chargées de faciliter les
échanges se voyant ainsi privées des recettes correspondantes. Une
telle situation peut avoir la fâcheuse conséquence que les œuvres
restantes ne suffisent pas à couvrir le coût d’une commercialisation
efficiente des droits y afférents et de leur propre diffusion maximale.
Dans le contexte technologique et institutionnel actuel, la meilleure solution qu’on puisse espérer présenterait probablement les
caractéristiques suivantes : une méthode pour établir le prix concurrentiel de la reproduction d’œuvres originales protégées (dans la
perspective d’une protection équitable et équilibrée des droits des
auteurs aussi bien que des utilisateurs) ; des mécanismes efficaces
(peu coûteux) de gestion des droits d’auteur, aptes à favoriser la distribution et la diffusion maximale des œuvres ; et l’établissement de
communautés de droits d’auteur – permettant une réduction notable
de l’exclusion sans nécessairement élargir à l’excès l’exception relative à l’utilisation équitable –, par exemple par la concession d’une
simple et unique licence donnant accès à un bassin considérable
d’œuvres.
Concepts et principes économiques invoqués...
1117
6. NOUVEAUX MODÈLES PERMETTANT D’ÉTABLIR
DIRECTEMENT LA VALEUR DES DROITS D’AUTEUR
6.1 Radio commerciale (2005)
Dans le cadre des audiences qui ont mené à la décision de 2005
sur la radio commerciale, la SCGDV a présenté, avec l’appui de la
SOCAN, un nouveau modèle visant à l’établissement de la valeur
globale des enregistrements de musique pour les radiodiffuseurs (le
rapport Audley, Boyer et Stohn ou rapport ABS). Le modèle ABS
repose sur quatre hypothèses simplificatrices, mais non limitatives :
premièrement, l’exploitant de station de radio commerciale peut utiliser sous le rapport du contenu deux intrants pour obtenir de
l’audience et des recettes (publicitaires), soit le contenu parlé et la
musique ; deuxièmement, cet exploitant vise à maximiser la valeur
ou les bénéfices de la station en répartissant le temps de programmation disponible à différents moments de la journée entre le
contenu parlé et la musique ; troisièmement, à la marge, une minute
additionnelle de contenu parlé ou de musique peut être obtenue et
diffusée à un coût marginal nul ; et quatrièmement, la rémunération
versée pour le contenu parlé est observable.
La Commission a formulé les observations suivantes sur ce
modèle dans sa décision de 200519 :
[Le modèle ABS] ne peut servir à établir un tarif juste et équitable en l’espèce. Le modèle est complexe, mais ce n’est pas en
soi une raison pour le rejeter. Il représente également une tentative intéressante et valable d’évaluer la contribution de la
musique en tant qu’intrant de radiodiffusion, ce qui est en soi
une entreprise difficile. En théorie, il pourrait donc s’avérer
utile pour évaluer la valeur de la musique, ce que la Commission s’efforce toujours de faire dans l’établissement des tarifs.
Faute d’un marché fonctionnel, la Commission du droit d’auteur doit déterminer la valeur que la musique enregistrée représente
pour les exploitants de stations de radio commerciales et traduire
cette valeur en redevances pour les auteurs, les artistes-interprètes
et les producteurs au titre de leurs droits sur cette musique. L’analyse économique propose un point de vue d’importance cruciale sur la
manière de déterminer les redevances appropriées pour la musique
19. SOCAN-SCGDV, tarif 1.A (radio commerciale) pour les années 2003 à 2007,
14 octobre 2005.
1118
Les Cahiers de propriété intellectuelle
enregistrée parce qu’elle établit le lien entre les utilisations relatives
des intrants (musique enregistrée et contenu parlé) dans la production d’émissions de radio et les valeurs relatives de ces intrants.
Comme il n’existe pas de « marché » de la musique enregistrée utilisée par la radio, le prix de cette musique est inconnu. Cependant,
on connaît les durées relatives de radiodiffusion de musique et de
contenu parlé, et on peut se servir de ces utilisations relatives des
intrants pour déduire directement du comportement des exploitants
de stations de radio commerciales la valeur ajoutée relative que la
musique enregistrée représente pour eux.
Une telle démarche remplit la condition selon laquelle le niveau
de rémunération établi doit être équitable pour les vendeurs comme
pour les acheteurs. Dans une situation de marché où vendeur et
acheteur opèrent librement, le premier reçoit un prix que le second a
accepté, et le second paie un prix que le premier a aussi accepté. Ils
feront vraisemblablement affaire ensemble jusqu’au point où la
valeur marginale d’une transaction additionnelle pour l’acheteur (la
demande) égalera exactement le coût marginal de cette transaction
additionnelle pour le vendeur (l’offre) ; le coût marginal peut ici
s’interpréter soit comme un coût marginal à court terme (certains
facteurs étant fixes), soit comme un coût marginal global à long
terme (tous les facteurs étant variables). Les sociétés de gestion, les
radiodiffuseurs et la Commission sont d’accord pour dire que la
rémunération équitable doit être équitable tant pour les titulaires de
droits que pour les utilisateurs, et doit être fonction de la valeur que
procurent les œuvres protégées ou des avantages que les utilisateurs
tirent de celles-ci en tant que contenu de leur programmation.
Du côté de la demande, l’acheteur (en l’occurrence la station de
radio commerciale à formule musicale) voudra utiliser de l’intrant
(en l’occurrence des enregistrements sonores) une quantité telle que
la valeur du produit marginal de cet intrant soit égale à son prix. La
valeur de la productivité marginale des enregistrements sonores
pour la radio commerciale correspond aux recettes publicitaires
additionnelles que l’exploitant d’une station à formule musicale peut
tirer de l’utilisation d’une unité additionnelle de musique enregistrée. Le montant de ces recettes additionnelles est égal au « prix
de vente » ou aux tarifs de publicité du produit de l’acheteur (ses
caractéristiques sur le plan de l’audience) multipliés par l’efficacité
ou la productivité marginale des enregistrements sonores (formule
musicale) pour ce qui est d’attirer des auditeurs. Un processus semblable s’applique à l’achat des autres intrants.
Concepts et principes économiques invoqués...
1119
Du côté de l’offre, le coût marginal global à long terme devrait
représenter la somme payée pour l’unité marginale ou additionnelle
de musique enregistrée produite qui justifierait sa production par le
vendeur. En l’occurrence, le vendeur est l’industrie musicale, constituée par les auteurs-compositeurs, les artistes-interprètes et les
producteurs d’enregistrements sonores. La somme en question doit
couvrir le coût direct des matières, la valeur d’opportunité du temps
investi, la valeur d’opportunité de l’effort de création ou d’innovation, etc. Le concept de coût applicable diffère selon qu’il s’agit, d’une
part, de la création ou de la production d’une œuvre originale (écriture des paroles et composition de la musique, exécution ou interprétation, fixation au moyen d’un enregistrement sonore), ou, d’autre
part, de la reproduction ou de l’utilisation répétée de l’enregistrement sonore. Dans le premier cas, le coût peut être important, tandis
que dans le second, il est normalement faible, voire très proche de
zéro.
Il n’est pas facile de déterminer un tel prix, étant donné les
caractéristiques très particulières du secteur de la radio commerciale, la base sur laquelle ce secteur a accès au contenu de musique
enregistrée et l’absence qui en résulte d’un processus de marché
propre à établir le prix de l’utilisation. Cependant, l’objectif doit être
de trouver un prix tel que les exploitants de stations de radio à formule musicale soient convenablement et équitablement rémunérés,
c’est-à-dire un prix qui fasse en sorte que le rendement du capital
corrigé du risque (RAROC) soit concurrentiel et en même temps que
les auteurs-compositeurs, les artistes-interprètes et les producteurs
reçoivent eux aussi une rémunération convenable et équitable.
Tous les intrants ou facteurs de production qui servent à dégager des recettes (publicitaires) dans le secteur de la radio commerciale devraient être rémunérés comme il convient à leurs niveaux
respectifs d’« équilibre concurrentiel ». Si le prix d’un intrant donné,
tel que les enregistrements sonores, était fixé au-dessous – l’inverse
s’ensuivant si le prix était fixé au-dessus – de son niveau d’équilibre concurrentiel, d’autres intrants, par exemple la main-d’œuvre
directe ou le capital, pourraient se voir attribuer une part de la contribution des enregistrements sonores à la valeur du secteur de la
radio commerciale, ce qui entraînerait une déviation socialement
coûteuse de l’affectation des ressources. En un sens, l’équilibre de
marché entre acheteurs et vendeurs consentants sur le marché particulier ici considéré, à savoir le portefeuille des droits d’auteur sur
les enregistrements sonores, peut impliquer des ajustements sur
les marchés apparentés des autres intrants du secteur de la radio
1120
Les Cahiers de propriété intellectuelle
commerciale, tels que ceux du capital, de la main-d’œuvre et des
matières.
Autrement dit, si le prix de la musique enregistrée est inconnu
du fait de l’absence d’un marché, les utilisations relatives de la
musique enregistrée et du contenu parlé sont quant à elle connues et
faciles à mesurer. L’analyse économique établit le lien direct manquant entre le facteur mesurable que constituent les utilisations
relatives de la musique enregistrée et du contenu parlé dans la
radiodiffusion commerciale, et le prix implicite de la musique enregistrée, c’est-à-dire le prix qu’implique son utilisation par rapport à
celle du contenu parlé. L’argumentation détaillée est présentée dans
le rapport ABS.
On peut éclairer le lien entre les utilisations relatives de la
musique enregistrée et du contenu parlé au moyen d’un modèle
simple reposant sur les hypothèses simplificatrices suivantes, qui
visent à faciliter l’exposé mais ne sont pas essentielles au résultat
principal : les exploitants de stations de radio commerciales cherchent à atteindre un RAROC (rendement du capital corrigé du
risque) concurrentiel qui représente la meilleure utilisation possible
du capital qu’ils ont investi. Pour ce faire, ils affectent aux contenus
de programmation respectifs les montants propres à leur procurer
un tel RAROC, compte tenu de leurs charges d’exploitation et de
leurs recettes publicitaires et autres, qui dépendent évidemment de
nombreux facteurs, y compris des montants respectivement consacrés aux contenus de programmation.
Supposons, aux fins de simplification, que toutes les recettes
proviennent de la publicité et qu’il y a seulement deux sortes de
contenus de programmation : la « musique » et la « parole ». Supposons aussi que la partie pertinente de la journée dure trois heures et
que le temps d’antenne est réparti entre les contenus de programmation d’une partie donnée de la journée sur la base d’incréments d’une
minute. Nous poserons que les coûts additionnels (ou marginaux)
pour les exploitants de stations de radio commerciales d’un incrément d’une minute de contenu musical et d’un incrément d’une
minute de contenu parlé sont tous deux égaux à zéro, étant donné
que les redevances de droit d’auteur que ces stations doivent payer
sur la musique enregistrée sont normalement établies sous la forme
d’un pourcentage fixe des recettes, et que la somme à payer pour le
contenu parlé est normalement fixée par contrat, avec un coût marginal nul sur un large intervalle de temps de contenu.
Concepts et principes économiques invoqués...
1121
Le nombre total de minutes de contenu de programmation dans
une partie donnée de la journée est égal au temps d’antenne total
moins le temps qu’exigent tous les autres éléments tels que l’identification et la promotion de la station, la publicité, etc. Supposons
pour l’instant, afin de simplifier l’analyse, que la station dispose,
pour le contenu de programmation, de 100 minutes par tranche de
trois heures de temps d’antenne. Le but du radiodiffuseur commercial est de déterminer les proportions de cette durée de 100 minutes
qu’il doit attribuer respectivement à la musique et au contenu parlé
pour obtenir le bénéfice le plus élevé. Les radiodiffuseurs changeront
la répartition du temps entre la musique et le contenu parlé s’il est
rentable de le faire. Par exemple, ils attribueront une minute additionnelle à la musique, et donc une minute de moins au contenu
parlé, si les recettes publicitaires additionnelles que rapporte la programmation additionnelle de musique l’emportent sur le manque à
gagner publicitaire attribuable à la réduction du temps de contenu
parlé. Les radiodiffuseurs répondront aux forces du marché de la
publicité en adoptant entre la musique et le contenu parlé une répartition du temps de programmation telle qu’il leur soit impossible
d’accroître leurs recettes par le moyen d’une autre répartition.
On peut comparer ce résultat à celui qui serait obtenu si le marché de la musique enregistrée était concurrentiel. Sur un marché
concurrentiel, les prix de la musique enregistrée et du contenu parlé
pour les radiodiffuseurs commerciaux seraient déterminés par les
forces du marché, tout comme le seraient les tarifs de publicité à
l’antenne. Pour maximiser les bénéfices ou la valeur de son entreprise, le radiodiffuseur répartirait le temps disponible entre la musique et le contenu parlé de telle sorte que la dernière minute de
chacun des deux contenus lui procure la même somme de recettes
publicitaires nettes, c’est-à-dire que le bénéfice additionnel (égal
aux recettes publicitaires additionnelles moins le coût additionnel)
serait identique pour la dernière minute que le radiodiffuseur aurait
affectée à la musique et la dernière minute qu’il aurait affectée au
contenu parlé. Si le radiodiffuseur commercial pouvait accroître la
rentabilité de son entreprise en augmentant le temps consacré à la
musique par rapport au contenu parlé, il le ferait. Par conséquent, la
durée relative affectée à la musique et la durée relative consacrée au
contenu parlé doivent être telles que leurs contributions marginales
respectives aux bénéfices (déduction faite, donc, des coûts marginaux s’il y en a) s’équilibrent parfaitement.
En l’absence d’un marché de la musique enregistrée, le point de
référence le plus proche des prix ou des valeurs implicites par minute
1122
Les Cahiers de propriété intellectuelle
du contenu musical et du contenu parlé est la contribution additionnelle de chacun aux recettes publicitaires. Étant donné notre
hypothèse simplificatrice que le coût additionnel d’une minute de
musique et d’une minute de contenu parlé est égal à zéro, la contribution additionnelle par minute de chacun des contenus aux recettes
publicitaires doit être égale. Pour se rapprocher du prix de marché
concurrentiel implicite de la musique, le taux tarifaire doit donc être
tel que les rémunérations versées respectivement pour le contenu
musical et le contenu parlé soient proportionnelles aux nombres de
minutes qui leur reviennent respectivement dans la programmation.
Il est à noter que les contributions totales respectives des deux
contenus aux recettes publicitaires (par opposition aux contributions
attribuables à la dernière minute de chacun d’eux) seraient supérieures au produit des contributions additionnelles de la dernière
minute programmée et du nombre de minutes que chaque contenu
occupe dans la programmation. La différence servirait à couvrir
les autres charges, ainsi que le coût du capital ou le rendement du
capital corrigé du risque (RAROC).
La conclusion ci-dessus appelle quelques remarques. Premièrement, comme le fait observer la Commission, il est possible que les
animateurs considérés individuellement présentent des traits particuliers qui rendent l’un ou l’autre capable d’exercer une certaine
puissance commerciale, lui permettant ainsi d’attirer une proportion
des recettes publicitaires supérieure à sa valeur « concurrentielle »
implicite. Deuxièmement, l’analyse qui précède ne signifie pas que
les prix de la musique enregistrée soient ou doivent être établis par
minute. Ils ne le sont pas et ne doivent pas l’être. En fait, il y a de
bonnes raisons de calculer les redevances de droit d’auteur en pourcentage des recettes, le prix marginal effectif étant alors égal à zéro.
La principale de ces raisons est que le coût marginal à court terme de
l’utilisation de minutes additionnelles de musique enregistrée est en
fait nul puisque, comme on l’a vu plus haut, la musique enregistrée
est un bien d’information. Mais le prix concurrentiel implicite révélé
par le comportement et les décisions observés des exploitants de stations de radio commerciales reste néanmoins positif et peut servir à
établir les redevances que leur secteur doit payer aux titulaires de
droits sur la musique.
Troisièmement, le prix concurrentiel implicite, révélé par le
comportement de l’exploitant de station de radio commerciale, est
plutôt une mesure de la volonté de payer les droits sur la musique
enregistrée qu’un prix concurrentiel au sens strict. En effet, la notion
Concepts et principes économiques invoqués...
1123
de prix concurrentiel est mal définie dans le contexte actuel, étant
donné que le coût marginal à court terme (de l’utilisation de musique
enregistrée additionnelle) est manifestement nul, tandis que le coût
marginal à long terme (de la création et de l’enregistrement de
nouvelles œuvres) est de beaucoup supérieur à zéro. Pour ce qui
concerne les biens purement publics, l’utilisation de musique enregistrée par les exploitants de stations de radio commerciale devrait
se voir attribuer un prix concurrentiel fondé sur la disposition à
payer de chacun d’eux : chaque utilisateur paie un prix différent, et
la somme de ces différents prix devient le prix payé au producteur du
bien public, qui estimera rentable d’augmenter ou de réduire son
offre selon que le prix total (la somme des différents prix) sera supérieur ou inférieur au coût marginal à long terme de l’accroissement du stock de musique enregistrée. C’est en ce sens qu’on peut
employer l’expression « prix concurrentiel implicite », lequel prix,
dans le contexte de la radio commerciale canadienne, sera transformé en un pourcentage des recettes publicitaires de l’exploitant de
station de radio commerciale.
Les données nécessaires pour mettre ce modèle en œuvre sont
relativement faciles à obtenir à partir des états financiers des exploitants de stations de radio commerciales20.
6.2 Services de radio par satellite (2009)
CSI a proposé, dans le cadre des audiences qui ont mené à la
décision de 2009 sur les services de radio par satellite, un nouveau
modèle visant à établir la valeur des enregistrements de musique
pour les exploitants de stations de radio par satellite. Ce modèle
d’évaluation est fondé sur la notion de partage de valeur provenant
de la théorie économique des jeux coopératifs. Une des solutions possibles à cet égard est ce qu’on appelle la valeur de Shapley21. On peut
se représenter le jeu comme suit : les cinq partenaires, soit les
services de radio par satellite et les quatre fournisseurs de contenu – actualités, musique, sports et contenu parlé-divertissement –
veulent partager entre eux leur valeur ajoutée ou profit économique
collectif. Chacun des partenaires veut la plus grande part possible,
mais aucun d’eux n’est disposé à abandonner la coalition pour exploi20. Pour en savoir plus sur la mise en œuvre empirique de ce modèle, voir AUDLEY
(Paul) et al., « The “competitive” value of music to commercial radio stations »,
(2007) 4(2) Review of Economic Research on Copyright Issues 29.
21. Pour un plus ample exposé sur ces questions, voir BOYER (Marcel) et al., Partage
des coûts et tarification des infrastructures, (Montréal : CIRANO, 2006).
1124
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ter un service indépendant (spécialisé) de radio par satellite. C’est là
la situation classique qu’analyse la théorie économique des jeux
coopératifs.
Évidemment, si l’ordre d’arrivée est prédéterminé, c’est-à-dire
si un membre donné de la coalition obtient la valeur différentielle de
son contenu pour l’ensemble des contenus déjà offerts par ses partenaires qui l’ont précédé dans l’ordre d’arrivée, il peut y avoir une
valeur à entrer avant d’autres. D’où l’observation suivante formulée
par la Commission dans sa décision22 :
[...] nous sommes d’avis que le modèle fondé sur la volonté de
payer est fondamentalement inadéquat pour l’établissement
d’un tarif. En règle générale, l’ordre d’arrivée d’un intrant particulier au cours du processus de développement d’une entreprise ne doit pas influer sur le tarif.
Les services de radio par satellite reprochaient à la méthode
fondée sur la théorie des jeux coopératifs de faire une trop grande
part aux modèles théoriques et une part insuffisante aux méthodes
traditionnelles qui utilisent l’information pertinente sur le marché.
Ils soutenaient qu’il était plus conforme à la tradition de la Commission du droit d’auteur et plus judicieux du point de vue économique
de commencer par la recherche d’un point de référence acceptable,
sous la forme d’un taux de marché existant déjà pour d’autres services de musique, et de le corriger en fonction des différences entre ces
derniers et les services de radio par satellite.
La Commission s’est finalement rendue jusqu’à nouvel ordre
aux arguments des services de radio par satellite, mais elle a laissé
la porte ouverte à un plus ample examen de nouveaux modèles. On
lit en effet dans sa décision :
Nous avons étudié les différentes approches [...] et bien que
nous les trouvions intéressantes et que nous croyions qu’elles
pourraient devenir utiles lorsque le marché sera bien développé, nous ne sommes pas convaincus de leur pertinence à
l’heure actuelle [...] À notre avis, l’élaboration de nouveaux
modèles et leur présentation devant la Commission peuvent, à
long terme, jouer un rôle essentiel dans l’établissement de
tarifs justes et équitables.
22. Services de radio par satellite, SOCAN (2005-2009), SCGDV (2007-2010) et
CMRRA/SODRAC inc. (2006-2009), avril 2009.
Concepts et principes économiques invoqués...
1125
La Commission a eu raison à la fois de rejeter l’application
simple (pour un ordre d’arrivée donné) du concept de volonté de
payer et d’inviter à poursuivre la recherche sur la capacité de « nouveaux modèles économiques » à aborder empiriquement et directement (plutôt que par l’intermédiaire de points de référence) les
épineuses questions de l’équité et de la justice appliquées à la valeur
des droits d’auteur et à la rémunération de leurs titulaires.
Pour résoudre le problème de l’ordre d’arrivée d’un intrant
déterminé, la principale difficulté relevée par la Commission, CSI a
proposé, comme je le disais plus haut, une démarche fondée sur la
valeur de Shapley. L’exposé qui va suivre suit le résumé que la Commission a donné de cette démarche dans sa décision de 2009. CSI a
examiné « la valeur des cinq membres de la coalition en se servant
des données du Réseau Circum portant sur la proportion d’abonnés
qui résilieraient leur abonnement si un ou plusieurs membres de la
coalition s’en retiraient ». On obtenait ainsi une estimation de la
valeur ajoutée par l’un des fournisseurs de contenu, étant donné la
présence de certains des autres. Les services de radio par satellite
font nécessairement partie d’une coalition quelconque de valeur
positive, mais ils ne peuvent être le seul membre d’une telle coalition
puisque, dans les deux cas, personne ne s’abonnerait : il n’y aurait
pas de service dans le premier cas, et pas de contenu dans le second.
Le nombre des coalitions possibles à cinq membres est 32=25, y compris la coalition réunissant tous les fournisseurs de contenu, qui attirerait le nombre maximal d’abonnés, et la coalition nulle, où il n’y
aurait personne. En outre, il y a 5 !=120 ordres d’arrivée possibles
pour une coalition à cinq membres.
Comme on l’a vu plus haut, la valeur différentielle produite par
l’adhésion d’un acteur à la coalition dépend desquels des autres
acteurs y sont déjà présents, donc de l’ordre d’arrivée dans la coalition. La valeur de Shapley des services de radio par satellite et des
quatre fournisseurs de contenu correspond à la valeur différentielle
moyenne de chacun d’eux selon les 120 ordres d’arrivée possibles.
D’après les estimations de la CSI, « les revenus devraient être répartis comme suit : 34 pour cent pour le contenu musical, 44 pour cent
pour les services, 5 pour cent pour les nouvelles, 7 pour cent pour les
sports et 9 pour cent pour le contenu parlé-divertissement ». La Commission formule plus loin les observations suivantes :
À notre avis, la méthode Shapley est intéressante parce qu’elle
fournit de l’information sur la valeur fondamentale de la musique pour les services par satellite. Cependant, elle repose large-
1126
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ment sur les données d’une enquête où les répondants sont
questionnés sur des scénarios hypothétiques.
Une importante caractéristique de la valeur de Shapley est
qu’elle ne varie pas selon que les coûts sont communs ou spécifiques.
Quelle que soit la répartition des coûts entre ces deux catégories, on
obtient le même résultat, c’est-à-dire la même valeur différentielle
moyenne pour chacun des membres de la coalition. C’est là un trait
important parce que le classement des coûts comme spécifiques ou
communs est souvent un sujet majeur de désaccord entre les membres d’une coalition. Une autre caractéristique importante de cette
méthode est la monotonie de la demande, ce qui signifie dans notre
contexte que si le fournisseur de services de radio par satellite ou
n’importe lequel des fournisseurs de contenu peut accroître la valeur
ajoutée globale de la coalition, sa valeur différentielle moyenne (sa
valeur de Shapley) ne diminuera pas. Enfin, une troisième propriété
importante de cette méthode est l’additivité, ce qui signifie dans
notre contexte que s’il était possible de calculer la valeur de Shapley
des membres de la coalition sur deux marchés différents, le résultat
final serait le même, que la valeur soit calculée séparément pour chacun des marchés et les valeurs ainsi obtenues additionnées ensuite
ou que la valeur soit calculée pour les deux marchés en même
temps23.
Là encore, la Commission se trouvait peu disposée à adopter
une telle méthode à cause de la sérieuse difficulté de tester la stabilité des résultats. En effet, le principal défaut de cette méthode
réside dans les données qu’elle exige, comme le notait la Commission
dans le passage suivant : « C’est pourquoi nous ne pouvons utiliser
cette approche dans le cas présent. Les parties pourraient éventuellement la perfectionner et mieux l’utiliser si elles se mettaient
d’accord sur le modèle et la méthodologie de collecte des données. La
Commission serait alors en mesure d’analyser et de valider les résultats ». En fin de compte, s’ils veulent voir la Commission prendre en
considération la valeur de Shapley dans des procédures ultérieures,
ceux qui l’invoqueront devront proposer une solution crédible au
problème de la collecte des données. Ce difficile problème une fois
résolu, la valeur de Shapley et la théorie économique des jeux coopératifs en général représenteraient la méthode appropriée pour l’établissement de la valeur des droits d’auteur sur la musique.
23. Pour un plus ample exposé sur les propriétés analytiques de la valeur de Shapley,
voir M. BOYER, M. MOREAUX et M. TRUCHON, Partage des coûts et tarification des infrastructures, CIRANO 2006MO-01 (350 pages).
Concepts et principes économiques invoqués...
1127
7. CONCLUSION
Tel que mentionné plus haut, le présent article porte sur un
nombre limité de concepts et de principes économiques invoqués par
les parties au cours des audiences de la Commission du droit d’auteur du Canada, et que cette dernière a appliqués dans ses décisions,
pendant ses vingt années d’existence (1989-2009). J’aurais pu traiter
ici bien d’autres sujets, tant sont complexes les questions que soulèvent les aspects concrets du droit d’auteur et leur évolution.
L’existence même du droit d’auteur est maintenant en question, divers analystes essayant de mesurer les coûts et les avantages
relatifs, aussi bien statiques que dynamiques, de la protection des
œuvres originales. Les notions de « domaine public » et d’« utilisation
équitable » sont au centre de ces débats. Mais les efforts d’analyse et
d’imagination sont aussi axés sur les mécanismes et les institutions,
notamment les marchés et les organismes de substitution aux marchés, qui seraient le plus aptes à accroître les avantages, tout en
réduisant les coûts, de la clarification et de l’application des lois et
règlements sur le droit d’auteur, dans l’intérêt des utilisateurs aussi
bien que des créateurs.
Il faut espérer que les particularités respectives des audiences
et des décisions d’instances telles que la Commission du droit d’auteur du Canada ne feront pas perdre de vue les questions et problèmes fondamentaux que les droits de propriété intellectuelle sont
censés tendre à résoudre24.
24. Je tiens à remercier de leurs stimulants commentaires les participants au
colloque annuel de l’ALAI (Association littéraire et artistique internationale)
Canada intitulé « La Commission du droit d’auteur du Canada : 20 ans entre le
droit et l’économie », tenu à Ottawa le 2 décembre 2009. Les commentaires formulés au sujet de ma conférence sur l’état des connaissances, « Intellectual Property
Rights for the Digital Era » (les droits de propriété intellectuelle à l’ère numérique), par les participants au congrès annuel de l’Association canadienne
d’économique, tenu à l’Université de Toronto en mai 2009, m’ont également été
d’une aide précieuse. Il va sans dire que j’assume néanmoins l’entière responsabilité du choix des thèmes développés dans la présente étude, ainsi que de toutes
erreurs qui pourraient s’y être glissées. NDLR : L’auteur est professeur émérite
de l’Université de Montréal, membre du CIRANO et de l’Institut C.D. Howe et
expert associé à l’Analysis Group Inc. Le présent article est la traduction française de l’étude rédigée le 31 mars 2010 et révisée le 8 octobre 2010 dans le cadre
de l’allocution prononcée par l’auteur lors du colloque de l’ALAI Canada tenu le 2
décembre 2009, à Ottawa, afin de souligner les vingt ans de la Commission du
droit d’auteur. Les Cahiers de propriété intellectuelle remercient chaleureusement la Commission du droit d’auteur et son vice-président et premier dirigeant
pour la traduction française de l’article.
Vol. 23, no 3
Voies et recours civils non
pécuniaires en matière de
violation de droits d’auteur
au Canada
Laurent Carrière*
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1131
2. GÉNÉRALITÉS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1140
3. L’INJONCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1141
3.1 Injonction – généralités . . . . . . . . . . . . . . . . 1142
3.2 Critères d’émission. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1143
3.3 Les mythes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1146
© CIPS, 2011.
* Avocat et agent de marques de commerce, Laurent Carrière est l’un des associés principaux de ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et
d’agents de brevets et de marques de commerce. Notes pour une allocution présentée le 2011-04-26 dans le cadre d’un mini-colloque de L’AJAVA, adaptées et
mises à jour à partir de CARRIÈRE (Laurent), « Recours civils en matière de violation de droits d’auteurs au Canada », (1996), 85 Revue de droit intellectuel – L’ingénieur conseil 218 et (1996), 13 Revue canadienne de propriété intellectuelle 1 ;
CARRIÈRE (Laurent) et al., « Les nouveaux recours en contrefaçon suite aux modifications de 1997 à la Loi sur le droit d’auteur », (1998), 11:1 Cahiers de propriété
intellectuelle 219. CARRIÈRE (Laurent), « Voies et recours civils en matière de violation de droits d’auteur au Canada », dans Service de la formation permanente du
Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle,
(Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2001), p. 395-485. Toutes les italiques dans les
citations sont celles de l’auteur.
1129
1130
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3.4 Conditions d’ouverture. . . . . . . . . . . . . . . . . 1153
3.5 Portée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1154
3.6 L’injonction dite « élargie » . . . . . . . . . . . . . . 1160
3.6.1 Général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1160
3.6.2 Conditions d’émission . . . . . . . . . . . . . 1162
3.6.3 Portée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1164
4. DÉCLARATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1166
5. RECOUVREMENT DE POSSESSION . . . . . . . . . . . 1173
6. ET SI ON EN AVAIT EU LE TEMPS... . . . . . . . . . . 1183
1. INTRODUCTION
Dans cette présentation mono-média, je vais vous entretenir
« généralement » des voies et recours civils non pécuniaires en
matière de violation de droits d’auteur au Canada.
D’abord, ce dont je ne parlerai pas !
Je ne discuterai pas
• de ce qui est une œuvre protégée et
• ce qui en constitue une violation, primaire ou secondaire (« violation à une étape ultérieure », ça se dit mal et ce n’est pas encore
dans les habitudes).
Je ne parlerai pas
• d’exceptions (ça tombe bien, C-321 semble remisé pour un temps),
• d’importation parallèle, non plus que
• des dommages que peuvent recouvrer les sociétés de gestion collective2.
1. Projet de loi C-32 Loi sur la modernisation du droit d’auteur (Troisième session,
quarantième législature), mort au feuilleton. « Une loi sur cette matière ne saurait
être bonne qu’à la double condition de ne sacrifier ni le droit des auteurs à celui du
public, ni le droit du public à celui des auteurs. » : RENOUARD (Auguste-Charles),
Traité des droits d’auteurs dans la littérature, les sciences et les beaux-arts (Paris :
Jules Renouard et Cie, 1838), tome premier, p. 437.
2. « La difficulté de la répression tient donc surtout à une insuffisance d’intérêt de la
part individuelle de chacun de ceux qui sont collectivement exploités par ce pillage ». RENOUARD (Auguste-Charles), Traité des droits d’auteurs dans la littérature, les sciences et les beaux-arts (Paris : Jules Renouard et Cie, 1839), tome
second, p. 115, no 55.
1131
1132
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Je ne discuterai pas
• de juridiction (« stu mieux à Cour sup ou à Cour fed »)3 ou
• de procédures sommaires, sauf
Ø pour noter avec plaisir que, depuis les amendements du 1er janvier 2003 au Code de procédure civile, les titulaires ont maintenant accès à la Division des petites créances de la Cour du
Québec et ne s’en privent pas (jusqu’à 7000 $)4 ;
Ø pour déplorer le peu d’utilisation des règles 300 et suivantes
des Règles des Cours fédérales qui permettent l’introduction des
recours par voie de demande plutôt que par action5 ;
3. Quoique, en matière de forum shopping (ou élection de juridiction) pour une injonction interlocutoire, la vision « passéiste » de la Cour supérieure puisse sembler plus
avantageuse à un demandeur. Compare :
• Cirque du Soleil inc. c. Transit Éditeur inc., 2009 QCCS 4671 (C.S.Q. ; 2009-1007), le juge Journet : « [20] Quant aux préjudices irréparables, le Tribunal souligne qu’en matière de droits d’auteur, la demanderesse n’a pas à prouver le préjudice qu’elle pourrait subir si l’injonction provisoire n’était pas émise. »
• Western Steel & Tube Ltd. c. Erickson Manufacturing Ltd., 2009 CarswellNat
2535, (C.F. ; 2009-07-31), la juge Snider : [11] [...] In short, there is no automatic
conclusion that irreparable harm exists merely because the foundation of an action is an infringement of copyright or trademark or the alleged tort of passing off.
4. Parenthèse historique ; le Code de procédure civile du Québec de 1897, prévoyait
jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er septembre 1966 du nouveau C.p.c. que les actions
en violations de droits d’auteur étaient réputées sommaires et instruites comme
tels : S.Q. 1918, c. 80, amendant l’article 1150 sur les procédures en matières sommaires. Cela n’a pas été repris dans le C.p.c. de 1966.
5. Voir, par exemple
• Wing c. Van Velthuizen c.o.b. Gratitude Press Canada, 9 C.P.R. (4th) 449
(C.F.P.I. ; 2000-11-20), le juge Nadon « [1] Il s’agit d’une requête introduite en
vertu des dispositions relatives à la procédure sommaire du paragraphe 34(4) de
la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi) et de l’alinéa 300 b) des
Règles de la Cour fédérale (1998), au sujet d’une violation du droit d’auteur sur
une œuvre littéraire. Les demanderesses cherchent à obtenir une ordonnance
visant [déclaratoire, injonction, rectification du registre, dommages et remise] ».
• Kraft Canada inc. c. Euro Excellence inc., 25 C.P.R. (4th) 224 (C.F. ; 2003-01-20),
le protonotaire Morneau « [3] La demande fut introduite par l’application
conjuguée des règles 300 et suivantes et de l’article 34(4)a) de la Loi sur le droit
d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42, (la Loi) qui prévoit qu’un recours civil pour violation du droit d’auteur peut être intenté soit par action, soit par requête (application dans la version anglaise de la Loi). [10] Le paragraphe 34(4)a) de la Loi
prévoit clairement le droit d’introduire un recours sous la Loi par voie de
demande. C’était à la défenderesse de convaincre la Cour d’exercer sa discrétion
en vertu du paragraphe 34(6) de la Loi pour que la demande soit instruite comme
une action. [...] ».
• Société canadienne de perception de la copie privée c. Computer Warehouse Outlet
Inc., 41 C.P.R. (4th) 48 (C.F.P.I. ; 2005-05-31), le juge Martineau « [1] Il s’agit
d’une requête présentée en vertu procédures sommaires du paragraphe 34(4) de
Voies et recours civils non pécuniaires...
1133
la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 (la Loi), et de l’alinéa 300b) des
Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, à l’égard de redevances non
acquittées découlant des tarifs de copie pour usage privé homologués en vertu de
la partie VIII de la Loi (les Tarifs). [12] [...] Conformément au sous-alinéa
34(4)c)(i) de la Loi, les procédures relatives aux tarifs homologués par la Commission en vertu de la partie VIII de la Loi peuvent être engagées ou continuées
par une requête. »
• Canadian Private Copying Collective c. Fuzion Technology Corp., 47 C.P.R. (4th)
265 (C.F. ; 2005-11-17), le juge Hughes « [ [5] Il convient d’examiner en premier
lieu le volet de la présente requête dans lequel la demanderesse sollicite la
conversion de la requête en action. Avant l’entrée en vigueur du paragraphe
34(4) de la Loi sur le droit d’auteur, précitée, le 1er octobre 1999, les instances
portant sur la violation du droit d’auteur et sur la perception de sommes d’argent
dues en vertu d’un tarif devaient être introduites sous forme d’action devant la
Cour fédérale ou devant une autre juridiction telle la cour supérieure d’une province. Le paragraphe 34(4) offre maintenant le choix à la personne qui souhaite
introduire une telle instance de saisir le tribunal compétent d’une requête ou
d’une action. La requête permet à la personne qui introduit l’instance de présenter sa preuve dès le début sous forme d’affidavit et elle oblige le défendeur à faire
de même. Aucune des parties ne peut forcer l’autre à subir un interrogatoire
préalable. En théorie du moins, on peut ainsi arriver plus rapidement et plus
directement à l’instruction que dans le cas d’une action.[6] L’inconvénient que
comporte la requête est le fait que la partie qui introduit l’instance doit être prête à
présenter sa preuve dès le début. Elle ne peut compter sur la partie adverse pour
obtenir d’autres éléments de preuve dans le cadre de la communication préalable.
La partie adverse peut à son choix ne produire aucune preuve ou se contenter de
présenter très peu d’éléments de preuve. La partie qui introduit l’instance doit
essentiellement s’en remettre à sa propre preuve à l’étape de l’instruction. [12]
[...] Ici, la demanderesse avait le choix entre une requête et une action, et elle a
opté pour une requête. Aucune loi et aucune règle ne la forçaient à le faire, et rien
ne permet de penser que la demanderesse a fait ce choix par contrainte ou
duperie. Il semble qu’elle regrette maintenant son choix parce qu’elle n’a pas pu
constituer un dossier aussi exhaustif que ce qu’elle pourrait maintenant faire ou
parce qu’elle considère maintenant qu’elle pourrait recueillir d’autres éléments
de preuve s’il s’agissait d’une action. » [Et la conversion de la demande en action
est refusée, l’article 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne s’appliquant pas à
une procédure instituée en vertu du paragraphe 34(4) de la L.D.A.].
• Société du droit de reproduction des auteurs, compositeurs & éditeurs au Canada
(SODRAC) inc. c. Hôtel des encans de Montréal inc., 2007 CF 604 (C.F. ;
2007-06-06), le protonotaire Morneau : « [22] À ce chapitre, je ne puis me rendre à
l’approche suggérée par la défenderesse et considérer que malgré le libellé
neutre et en apparence égalitaire du paragraphe 34(4) de la Loi, l’on doive considérer que le régime des actions est le régime général à suivre en cas de violation
de la Loi et que le régime d’une demande de contrôle judiciaire (soit la preuve par
affidavits) soit l’exception. Dans cet ordre d’idées et suivant la défenderesse, lorsqu’une partie utilise le régime d’une demande de contrôle judiciaire, une partie
adverse qui présente une requête en conversion sous le paragraphe 34(6) de la
Loi devrait bénéficier d’un assouplissement certain des critères élaborés dans
l’arrêt Macinnis, [1994] 2 C.F. 464.]. Dans ce dernier arrêt, un des critères centraux est à l’effet que « [...] le vrai critère que le juge doit appliquer est de se
demander si la preuve présentée au moyen d’affidavits sera suffisante, et non de se
demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d’un procès pourrait
être supérieure. (Voir page 472) » ».
1134
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ø pour constater la quasi-ignorance des règles 292 et suivantes
permettant les recours par voie d’action simplifiée (jusqu’à
50 000 $)6 ;
Ø du champ d’application du paragraphe 34(4) L.D.A.7.
Je ne discuterai pas des MARC (méthodes alternatives de résolution de conflits), que cela soit en vertu de la loi québécoise au long
nom, la S-32.01 (Loi sur le statut professionnel des artistes des arts
visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec
des diffuseurs) ou de conventions selon ce que, en matière de droits
d’auteurs,
• permet l’arrêt Desputeaux (2003)8 [un arbitre peut adjuger sur
une question de propriété de droits d’auteur] ;
• illustre la décision Section locale 1294 c. UQUAM (2005) 9
[un arbitre de grief a le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la
6. Procédure simplifiée ne veut pas dire sous-procédure : il s’agit d’un allègement ou
assouplissement procédural.
• Voir Parker c. Key Porter Books Ltd., [2005] OJ 2093 (C.S. Ont. ; 2005-05-26), le
juge McMahon « [11] [...] The fact this matter proceeded as a Simplified Rule trial
does not relieve the plaintiff of the burden of proving its case on a balance of
probabilities ».
7. Le paragraphe 34(4) prévoit donc qu’au choix certaines procédures pourront être
instituées ou continuées par voie d’action ou de requête ; en ce dernier cas, le tribunal devra statuer sur telles requêtes « sans délai et suivant une procédure sommaire ». La procédure décrite par le paragraphe 34(4) vise :
• la violation du droit d’auteur (art. 3, 15, 18, 21) ;
• la violation des droits moraux (art. 28.1) ;
• la détention douanière d’œuvres, de livres ou d’autres objets du droit d’auteur
importés au Canada (articles 44.1, 44.2 et 44.4) ;
• les tarifs homologués par la Commission du droit d’auteur au titre de la gestion
collective (partie VII) ;
• les tarifs homologués par la Commission du droit d’auteur au titre de la copie
privée (partie VIII) ;
• les ententes homologuées par la Commission du droit d’auteur (art. 70.12).
Le champ d’application de cette procédure « sommaire » est toutefois limité à la
contrefaçon de droits d’auteur et, par conséquent, elle ne pourra être associée à
des réclamations découlant de violations de secrets industriels, de marques de
commerce ou d’actes constitutifs de concurrence déloyale.
De la même façon, la procédure offerte par le paragraphe 34(4) ne s’appliquera
pas aux procédures en rectification du registre des droits d’auteur que prévoit le
paragraphe 57(4) de la Loi, non plus qu’à des procédures ancillaires à une cause
d’action touchant le droit d’auteur comme, par exemple, le recouvrement de redevances contractuelles impayées ou un bris de contrat.
8. Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc., [1997] A.Q. 716 (C.S.Q. ; 1998-03-13) ;
inf. 16 C.P.R. (4th) 77 (C.A.Q. ; 2001-04-18) ; inf. 23 C.P.R. (4th) 417 (C.S.C. ;
2003-05-21).
9. Syndicat des employées et employés de l’UQAM, Section locale 1294 c. Université du
Québec à Montréal (UQAM), 2005 IIJCan 30712 (Arbitrage-Qué. ; 2005-09-01).
Voies et recours civils non pécuniaires...
1135
L.D.A. et de faire respecter les obligations substantielles de cette
loi] ;
• limite le jugement Simmonds (1998)10 [refus de donner préséance
à l’arbitrage alors qu’un recours en est principalement un pour
violation de droits d’auteur] mais sous l’éclairage du jugement
Campney (2002)11 [en cas de doute sur l’arbitrabilité d’un conflit,
l’application de la clause d’arbitrage doit être favorisée].
Je ne discuterai pas
• de la qualité pour ester en demande (titulaire, cessionnaire, concessionnaire, licencié exclusif, licencié non exclusif, distributeur),
l’arrêt Kraft (2007)12 ayant jeté un nouvel éclairage, tamisé sans
doute, sur les articles 2.6, 2.7 et 36 L.D.A. ; non plus
• de qui peut être partie défenderesse : l’arrêt CCH (2004)13 avait
expliqué ce qu’était une autorisation mais l’arrêt Sirius (2010)14 a
10. Simmonds Capital Limited c. Eurocom International Limited, 81 C.P.R. (3d) 349
(C.F.P.I. ; 1998-01-15), le protonotaire Hargrave, « [21] Il est indubitable que le
contrat de licence est mentionné dans le présent procès et qu’il est à la base de
toute la procédure d’arbitrage. Mais la présente action devant la Cour fédérale
porte d’abord et avant tout sur une contrefaçon de marque de commerce et sur
une violation de droits d’auteur et sur l’injonction qui est réclamée en conséquence à titre de réparation. »
11. Campney & Murphy c. Bernard & Partners, 22 C.P.R. (4th) 526 (C.F.P.I. ;
2002-11-04), le protonotaire Hargrave « [12] En employant les mots « découlant
du », la clause d’arbitrage que prévoit le contrat de société de Campney & Murphy
a une portée très large. Je n’ai pas besoin de décider, de façon absolue, si le différend actuel ayant trait à la reproduction de précédents est couvert par la clause
d’arbitrage. Au contraire, je n’ai besoin que de décider si on peut soutenir que le
différend est visé par la clause d’arbitrage. »
12. Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc., 33 C.P.R. (4th) 246 (C.F. ; 2004-05-03) ;
33 C.P.R. (4th) 242 (C.F. – Reconsideration ; 2004-06-09) ; mod. 47 C.P.R. (4th)
113 (C.A.F. ; 2005-12-19) ; inf. 59 C.P.R. (4th) 353 (C.S.C. ; 2007-07-26). Pour s’y
retrouver, voir DRAPEAU (Daniel S.), « Marchandises d’importation parallèle :
une Cour suprême divisée », (2008), 20:1 Cahiers de propriété intellectuelle 183 et
RICHARD (Hugues G.), « Marques, brevets et droits d’auteurs – Qui peut poursuivre ? », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions
Yvon Blais, 2008) 133, p. 145 et s.
13. CCH Canadian Limited c. The Law Society of Upper Canada, 2 C.P.R. (4th) 129
(C.F.P.I. ; 1999-11-09) ; inf. 18 C.P.R. (4th) 161 (C.A.F. ; 2002-05-14) ; inf. 30
C.P.R. (4th) 1 (C.S.C. ; 2004-03-04)
14. Sirius Canada inc. c. CMRRA/SODRAC inc., 2010 C.A.F. 348 (C.A.F. ; 2010-1216), le juge Sharlow : « [46] CSI plaide subsidiairement qu’une personne qui, au
Canada, entreprend de faire une copie électronique d’une œuvre se trouvant aux
États-Unis, en a autorisé la copie et a de ce fait violé au Canada le droit d’auteur
associé à l’œuvre, par application de la partie finale du paragraphe 3(1) de la Loi
1136
Les Cahiers de propriété intellectuelle
précisé qu’une « autorisation à l’égard d’un acte particulier ne
viole le droit d’auteur que si l’acte autorisé constitue lui-même un
acte de contrefaçon » et que dès lors – simplifions – autoriser du
Canada une reproduction première aux États-Unis ne constitue
pas nécessairement une violation du droit d’auteur au Canada ;
non plus que
• de la responsabilité personnelle des individus pour les violations
des droits d’auteurs par une entreprise [on peut laisser cela, par
exemple, aux diverses affaires Microsoft]15.
Je ne discuterai pas
• de la question de solidarité entre défendeurs dont les actes « fautifs » sont distincts quoique portant sur la même œuvre16 ;
• non plus que la solidarité en matière de dommages punitifs [même
la Cour d’appel du Québec ne semble pas s’entendre là-dessus
(Solomon (2008)17 vs Genex (2009))18 ; espérons que l’arrêt qui
15.
16.
17.
18.
sur le droit d’auteur. Se fondant sur son interprétation du paragraphe 3(1), la
Commission a conclu que l’acte d’autorisation au Canada ne confère pas de droit
d’action en vertu de la Loi sur le droit d’auteur lorsque la contrefaçon principale
survient à l’extérieur du Canada. Je suis d’accord. [47] Selon mon interprétation
de la partie finale du paragraphe 3(1), l’autorisation à l’égard d’un acte particulier ne viole le droit d’auteur que si l’acte autorisé constitue lui-même un acte de
contrefaçon. Par conséquent, dès lors que la Commission a conclu, à juste titre,
qu’elle n’a pas compétence pour imposer un tarif de redevances relativement à la
copie d’une œuvre située aux États-Unis, elle devait conclure qu’elle n’a pas compétence pour imposer un tarif de redevances relativement à l’autorisation d’effectuer cette copie, même si l’autorisation a été donnée au Canada. »
Microsoft Corporation c. 1276916 Ontario Ltd., 2009 FC 849 (C.F. ; 2009-08-27),
le juge Mandamin « [50] Personal liability for the infringing activities of the corporation will be imposed where the individual authorizes, directs or participates
in activities knowing they are likely to constitute infringement or that reflect an
indifference to the risk of it. Microsoft v. 9038-3746 Quebec inc., supra, at paras.
91, 92 and 98 [2007 FCA 76] and Louis Vuitton Malletier S.A. v. 486353 B.C. Ltd.,
supra, paras. 45 to 48. »
Art. 1525 et s. du Code civil du Québec.
Solomon c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 1832 (C.A.Q. ; 2008-10-01), le
juge Pelletier « [192] J’estime toutefois qu’il n’y a pas lieu de prononcer une
condamnation solidaire en pareille matière. Aucun texte ne supporte expressément une pareille modalité d’exécution des obligations dans le cas des dommages
punitifs. »
Genex Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du
spectacle et de la vidéo, 2009 QCCA 2201 (C.A.Q. ; 2009-11-20), le juge Dalphond,
critiquant l’arrêt Solomon : « [126] Dans la mesure où cet extrait exclut toute possibilité de condamnation solidaire en matière de dommages punitifs à l’égard
de coauteurs d’une atteinte illicite et intentionnelle, il écarte plusieurs précédents, dont les deux arrêts précités de la Cour suprême. Pour ma part, je me sens
Voies et recours civils non pécuniaires...
1137
sera rendu dans Robinson (2011)19, une affaire de droits d’auteur
cette fois, départagera].
Je ne discuterai pas des
• des recours pénaux (depuis l’abolition en 1988 des travaux forcés
pour violation du droit d’auteur, quel intérêt ?)20,
• administratifs21 et
toujours lié par ces précédents qui ont permis, lorsque approprié, de condamner
solidairement des coauteurs d’une atteinte intentionnelle, et ce, pour les motifs
qui suivent. [137] En conclusion, la solidarité en matière de dommages-intérêts
punitifs est possible entre les coauteurs d’une atteinte illicite et intentionnelle,
comme l’a reconnu la jurisprudence civiliste avant et après l’entrée en vigueur du
C.c.Q. »
19. Appels nos 500-09-020014-098, 500-09-020033-098, (500-09-020034-096 et 50009-020035-093 entendus des 18 au 21 avril 2011 (les juges Thibault, Doyon et
Morin).[Maintenant tranché : ce n’est pas solidaire, voir France Animation, s.a. c.
Robinson, 2011 QCCA 1361 (C.A.Q. ; 2011-07-20), par. 233-235 [235] La solution
proposée dans l’arrêt Solomon doit être retenue pour les deux raisons suivantes.
D’abord, en terme de politique judiciaire, il est préférable que la Cour applique
ses précédents, sauf en cas d’erreur évidente. Dans cette perspective, l’arrêt Solomon, qui est antérieur à l’affaire Genex, doit prévaloir. Ensuite, l’analyse faite
par le juge Pelletier dans Solomon repose sur l’article 1621 C.c.Q., une disposition qui n’était pas applicable lorsque la Cour suprême a jugé les affaires Québec
(Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’hôpital de St-Ferdinand,
[[1996] 3 R.C.S. 211] et Gauthier c. Beaumont, [[1998] 2 R.C.S. 3] sur lesquelles
Genex prend appui. Certes, on peut ne pas partager l’avis exprimé dans Solomon,
mais on ne peut pas dire qu’il résulte d’une erreur évidente. L’individualisation
des dommages punitifs préconisée dans Solomon, selon l’état de la situation
patrimoniale de chaque contrevenant, a le mérite d’éviter de niveler l’indemnité,
vers le haut ou vers le bas, en fonction du patrimoine du plus riche ou de celui qui
l’est moins. Elle a aussi l’avantage de « punir » chaque contrevenant pour les
actes qu’il a posés, en le condamnant à une somme déterminée sur mesure pour
lui. En conséquence, la condamnation à des dommages punitifs ne sera pas solidaire. »
20. Où l’existence de recours pénaux n’empêche pas, faut-il le rappeler, l’institution
de recours civils Les dictionnaires Robert Canada scc c. Librairie du Nomade inc.,
16 C.P.R. (3d) 319 (C.F.P.I. ; 1987-01-05), le juge Denault à la page 337 [appel
rejeté 37 FTR 240n (C.A.F. ; 1990-09-26)]. L’exploitation d’œuvre protégée par la
Loi sur le droit d’auteur pouvant également l’être par d’autres dispositions statutaires, on n’oubliera pas la possible application du Code criminel (L.R.C. (1985),
ch. C-46), les articles 126, 332, 342.1 ou 408 par exemple, ou encore des articles 32
et 45 de la Loi sur la concurrence (L.R.C. (1985), ch. C-34).
21. Que dire sur cet article 44 L.D.A. ?
• Sur notification à l’Agence des douanes et du revenu du Canada, tout exemplaire d’une œuvre [art. 44 L.D.A.] fabriquée hors du Canada peut être frappé
d’interdit total d’importation, même à l’encontre du titulaire du droit d’auteur.
• Aux termes de l’article 44 L.D.A., les exemplaires de l’œuvre, objet de la notification à l’Agence des Services frontaliers du Canada, sont réputés faire
partie du numéro tarifaire 9897.00.00 de la liste des dispositions tarifaires de
1138
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• douaniers22 (juste à lire les articles 44, 44.1, 44.2, 44.3, 44.4 et 45,
on en aurait pour une heure !).
Je ne discuterai pas
• des présomptions23 (pour utiles qu’elles soient) non plus que
l’annexe du Tarif des douanes (L.R.C. (1985), ch. C-54.01), c’est-à-dire d’importation totalement prohibée, au même titre, par exemple, que la littérature
haineuse ou pornographique, les posters de scènes de crimes, la fausse monnaie et [...] les matelas usagés ! La Loi sur les douanes, (L.R.C. (1985), ch.
C-52.6) permet à un fonctionnaire de douanes les saisie et destruction de tels
exemplaires.
• L’article 44 réfère spécifiquement à une œuvre, ce qui exclut donc de l’application de cette disposition les autres objets du droit d’auteur que sont « maintenant » les prestations d’artistes-interprètes, les enregistrements sonores et les
signaux de communication.
Tout en rappelant que la procédure de grief n’évacue pas la possibilité de recours
civils :
• Taucar c. University of Western Ontario Faculty Association, 2010 CanLII
74589, (ON L.R.B. ; 2010-12-14), le vice-président Waddingham « [69] The
applicant’s complaint of « RZ’s » copyright infringement and the UWO’s response was not fully explained by the parties. Regardless there are civil remedies which the applicant can access. »
• Rothery c. Grinnel 2000 ABQB 81 (Alta. Q.B. ; 2000-02-09), le juge LoVecchio :
« [111] In my view, the Respondents in this case did not lose their right to
pursue a civil action merely because they chose to lodge an academic complaint
with the University. »
22. Il est également possible, sur une base plus sélective, d’obtenir de la Cour une
ordonnance enjoignant au ministre de la Sécurité publique et de la Protection
civile de détenir tout exemplaire contrefait d’une œuvre importé au Canada ou
sur le point de l’être et qui n’est pas encore dédouané et ce, en parallèle à des
procédures judiciaires principales [art. 44.1 L.D.A. et s.].
23. Art. 34.1 et 53 L.D.A. Voir :
• Setana Sport Ltd. c. 2049630 Ontario inc., 2007 FC 899 (C.F. ; 2007-09-11) le
juge Hughes « [4] The Plaintiff relies on a number of certificates of registration
of copyright On their face, those certificates are defective. [...] ».
• Koslowski c. Hogan Scott Courrier (Geeks Galore Computer Center), 2009 CF
883 (C.F. ; 2009-09-09) le juge Kelen « [21] Le demandeur n’a présenté aucune
copie de certificat d’enregistrement du droit d’auteur auprès de l’Office de la
propriété intellectuelle du Canada. L’absence de certificat amène la Cour à
déterminer que l’œuvre du demandeur n’était pas enregistrée conformément à
l’article 53 de la Loi sur le droit d’auteur. Par conséquent, le demandeur n’est
pas admissible à la présomption de l’article 53 quant à l’existence d’un droit
d’auteur à l’égard de son œuvre et de la présomption de propriété des œuvres
mises en cause. [22] Le demandeur peut néanmoins bénéficier de la présomption
de propriété du droit d’auteur prévue au paragraphe 34.1(2) de la Loi sur le
droit d’auteur puisque son nom est inscrit sur plusieurs œuvres de bandes dessinées à l’égard desquelles il revendique un droit d’auteur (dossier de requête
du demandeur, onglet A, p. 35). »
• Aînouche c. Actualités Côte-des-Neiges inc., 2010 QCCQ 11302, (C.Q.-Petites
créances ; 2010-12-07) le juge Dortelus « [49] Dans le contexte propre à cette
affaire, le fait que dans l’annuaire 2007-2008 et dans le guide le nom de la
Voies et recours civils non pécuniaires...
1139
• de la prescription
Ø la discoverability ou possibilité d’agir de Maple Leaf (2010)24,
Ø l’infraction continue de Philip Morris (2010)25 ou
demanderesse soit inscrit comme rédactrice et conceptrice du guide n’est pas
concluant pour établir que le journal aurait renoncé à ses propres droits sur le
guide pour lequel il a versé à la demanderesse les honoraires convenus. » [Que
l’on poura comparer à l’affaire Corporation de l’École des hautes études commerciales de Montréal c. 23178277 Canada inc., J.E. 98-1680 (C.S.Q. ; 1998-0707), le juge Beaudoin, par. 44.].
• Target Event Production Ltd. c. Paul Cheung and Lions Communications Inc.,
2010 CF 27 (C.F. 2010-01-11), la juge Simpson [modifié. 2010 C.A.F. 255
(C.A.F. ; 2010-01-05] « [93] À la date des enregistrements, le droit d’auteur sur
la version papier du plan du site du marché et des règles de Target avait déjà été
violé. La présente instance a été engagée le 2 mai 2008 et je suis arrivée à la
conclusion que les enregistrements reposent essentiellement sur des considérations d’ordre stratégique. Pour ce motif, j’ai accordé peu de poids aux présomptions. Par contre, la preuve décrite ci-après révèle qu’il existe un droit d’auteur
sur les règles de Target et le plan du site du marché ».
Et j’aurais bien aimé dire un mot sur le caractère limité des présomptions de
l’article 34.1 L.D.A., savoir qu’elles ne s’appliquent que dans le cadre d’une procédure pour violation de droit d’auteur, et non dans un cadre contractuel ou de
vérification diligente. Ou encore le caractère réfragrabble des présomptions des
articles 34.1 et 53.
24. Society of Composers, Authors and Music Publishers of Canada c. Maple Leaf
Sports & Entertainment, 2010 FC 731 (C.F. ; 2010-07-07), le juge Phelan [sur
requête pour jugement sommaire] : « [37] Lastly, the Defendant has raised the
issue of limitation periods, either under the law of Ontario (two years) or the
Copyright Act (three years). Quite apart from this clearly triable issue, the situation is complicated by the principle of « discoverability ». The parties acknowledge
that this principle applies here. [38] An important issue in this context is when
the infringing acts were discoverable. The answer to that issue engages the issue
of respective responsibilities of the parties to maintain records, monitor performances and obtain licences. The issue takes one full circle to the overarching
issue of the nature and operation of the SOCAN system and the rights and obligations flowing therefrom. » Voir aussi Canadian Private Copying Collective c.
9075-9077 Québec inc., [2008] R.J.Q. 1924 (C.S.Q. ; 2008-07-25), le juge Léger,
par. 61-63.
25. Philip Morris Products S.A. c. Malboro Canada Limited, 2010 FC 1099 (C.F. ;
2010-11-08) le juge Montigny : « [352] Finally, section 41(1) of the Copyright Act
sets out a three-year limitation period for civil remedies, which the Court shall
apply when a party pleads it (s. 41(2)). [...] [354] Counsel for the Plaintiffs argued
that each act of reproduction of the impugned package designs constitutes an
infringement. Since the 2001 impugned package design continued to be reproduced through 2007, all infringing reproductions since January 8, 2005 would
therefore not be barred by the expiration of the limitation period. Although
appealing, this argument is not totally convincing. It rests on the assumption that
each and every new package printed constituted a continuing or new act of infringement. However, it could be argued with equal force that it is the actual design
of the package that constitutes the infringement, and that each reproduction of that design on the packages does not represent a separate or even a
1140
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ø le « dans le beurre » de Fabrikant (2011)26.
Je vais plutôt faire un rappel des recours (mesures de redressement ou de réparation), qui sont prévus par les articles 34, 35
[ça sera pour une partie 2], 38, 38.1 et 38.2 [également dans une
partie 2], 39, 39.1 et 40 L.D.A., avec quelques illustrations jurisprudentielles pour nous rafraîchir collectivement la mémoire.
2. GÉNÉRALITÉS
Un droit n’a de valeur, dit-on, que dans la mesure où existe un
recours pour l’exercer. Ubi jus ibi remedium !
Or, l’usurpation des droits exclusifs que confère la Loi sur le
droit d’auteur donne ouverture à une série de recours civils qui
s’appliquent tant à la violation des droits économiques d’auteur que
des droits moraux27.
[...] Les dispositions pertinentes de la Loi autorise le titulaire
d’un droit d’auteur qui en allègue la violation, d’exercer un ou
plusieurs des différents recours qui y sont prévus. Aucun d’entre eux n’est l’accessoire de l’autre et chacun peut exister indépendamment de l’autre.28
continuing « act » of infringement. This issue has not been thoroughly canvassed
by the parties, and in the absence of clear authorities on the subject, it is preferable to refrain from any definitive finding on this point, as it is not strictly speaking necessary for the resolution of this case. »
26. Fabrikant c. Swamy, 2011 QCCS 1385 (C.S.Q. ; 2011-03-25), le juge Rolland « [98]
I agree with these findings. The claim in damages for copyright infringement is
prescribed and the action must be dismissed with respect to that claim. » mais
demeurent les recours déclaratoire et injonctif.
27. On notera ici que depuis le 1997-09-01,
• Les recours civils pour violation des droits d’auteurs sont étendus à la violation
des droits moraux.
• Le terme « droit d’auteur » n’est plus limité par le concept classique d’œuvre
(artistique, dramatique, littéraire ou musicale) mais vise également ce que
d’aucuns qualifient de droits voisins, savoir les prestations d’artistes- interprètes, les enregistrements sonores et les signaux de communication.
• Les droits moraux sur les droits voisins ne sont toutefois pas [encore] reconnus
par la L.D.A.
28. Michel Rhéaume & Associés ltée c. 9071-8131 Québec inc., 2005 IIJCan 24443
(C.S.Q. ; 2005-07-08), le juge Matteau, au paragraphe 39. Tout cela dans le
contexte du « It should be remembered that copyright is a property that is a wasting asset. It is subject to depletion. Every time an infringement takes place so
much of the plaintiff’s property has been taken and consumed, never to be recovered. Copyright is not an inexhaustible store that can be drawn on at will without
detraction. National Film Board c. Bier, 63 C.P.R. 164 (C.d’É. ; 1970-08-11), le
juge Walsh, p. 179, citant lui-même FOX (Harold George), The Canadian Law of
Voies et recours civils non pécuniaires...
1141
Certains recours sont cumulatifs, d’autres alternatifs, nous le
verrons.
Ainsi, le demandeur qui aura prouvé violation de ses droits
pourra obtenir
• une déclaration de propriété et de contrefaçon,
• une ordonnance d’injonction (provisoire, interlocutoire ou permanente, restreinte ou élargie, mandatoire ou prohibitoire),
• le paiement de dommages (réels ou pré-établis de même que punitifs, assortis ou non de l’intérêt légal ou de l’indemnité spéciale),
• une reddition de comptes ou de regorgement des profits,
• le recouvrement de possession ou la destruction des contrefaçons,
et
• le paiement de dépens ou remboursement des frais d’avocats.
3. L’INJONCTION
Cette question est fort grave dans la pratique ; car il faut reconnaître d’une part, que l’un des plus sérieux obstacles à l’exercice
des droits des propriétaires réside dans l’habileté des contrefacteurs à effacer les traces de leur délit.
– RENOUARD (Augustin-Charles), Traité des droits d’auteurs dans la littérature, les sciences et les beaux-arts (Paris :
Jules Renouard & Cie, 1839), tome second, p. 391, no 226.
Copyright and Industrial Designs, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1967), p. 459. Voir
aussi Don Hammond Photography Ltd. c. The Consignment Studio Inc., 2008
ABPC 9 (C.prov.Alb. ; 2008-01-07), le juge Ingram. « [14] Next, I believe I must
consider the basis for damages : the damage done to the Plaintiff. In theory, the
measure is the depreciation brought about by the infringement in the value of the
copyright as an asset. »
1142
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3.1 Injonction – généralités
L’injonction29 est une ordonnance de la cour ou de l’un de ses
juges enjoignant30 une personne31 de ne pas faire ou de cesser de
faire un acte ou une opération déterminés : c’est l’injonction prohibitoire.
Dans les cas qui le permettent, il peut aussi être enjoint à une
personne d’accomplir un acte : c’est alors une injonction mandatoire.
Et une cour peut être très imaginative dans son approche32.
29. Microsoft Corp. c. 9038-3746 Quebec inc., 57 C.P.R. (4th) 204 (C.F. ; 2007-01- 16),
le juge Harrington : « [121] En tant que tribunal d’equity (Loi sur les Cours fédérales, art. 3), la Cour peut ordonner à quelqu’un de cesser de faire quelque chose et
de ne pas faire quelque chose dans le futur. Le pouvoir d’accorder une réparation
par voie d’injonction est reconnu à l’article 44 de la Loi sur les Cours fédérales. Les
articles 373 et suivants des Règles des Cours fédérales donnent plus de détails. Ce
recours est également prévu aux articles 39 et 39.1 de la Loi sur le droit d’auteur
ainsi qu’aux articles 53 et 53.3 de la Loi sur les marques de commerce. En fait,
l’article 39 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit qu’une injonction est le seul
recours en cas de contrefaçon d’une marque de commerce non déposée si le défendeur prouve qu’il ne savait pas et n’avait aucun motif raisonnable de soupçonner
que l’œuvre en question était protégée. Cela n’est évidemment pas le cas en
l’espèce. »
30. C’est un verbe transitif. Dans la langue soutenue, la construction transitive indirecte « enjoindre à » est recommandée mais la construction transitive directe
« enjoindre une personne » gagne du terrain. Merci de cette capsule linguistique à
DE VILLERS (Marie-Éva), Multi Dictionnaire de la langue française, 5e éd.
(Montréal : Québec Amérique, 2009). Par contre, pour faire cela simple : on
ordonne à quelqu’un de faire quelque chose !
31. Microsoft Corporation c. 9038-3746 Québec inc., 57 C.P.R. (4th) 204 (C.F. ;
2007-01-16), le juge Harrington : « [[127] L’injonction est une mesure de réparation que la Cour accorde à sa discrétion. Je pense qu’il serait trop zélé de prétendre
l’appliquer de façon permanente à des tiers. L’injonction serait prononcée ex parte
à leur endroit et ils pourraient présenter une requête en annulation. Ils auraient
pu être désignés comme défendeurs et des éléments de preuve, au lieu d’hypothèses, auraient pu être établis contre eux. [...] »
32. Voir :
• Kraft Canada inc. c. Euro Excellence inc., 33 C.P.R. (4th) 242 (C.F. ; 2004-0609), le juge Harrington « LA COUR ORDONNE que la requête de réexamen soit
rejetée. Euro Excellence est libre de masquer l’œuvre protégée des emballages de
Toblerone et de Côte d’Or avec une pellicule de plastique opaque, pourvu que la
forme de l’œuvre en question ne soit pas visible. »
• Target Event Production Ltd. c. Cheung, 80 C.P.R. (4th) 413 (C.F. ; 2010-01-11)
la juge Simpson [inf. part. 87 C.P.R. (4th) 287 (C.A.F. ; 2010-10-05)] : « LA
COUR ENJOINT aux défendeurs de cesser de violer le droit d’auteur de la
demanderesse sur le plan du site du marché de Target en exploitant un marché
qui constitue une reproduction d’une partie importante du plan du site du marché de Target. Pour plus de clarté, je signale que cette violation peut être évitée
de plusieurs façons, notamment par : •l’achat par Lions du plan du site du
Voies et recours civils non pécuniaires...
1143
3.2 Critères d’émission
L’injonction se demande indépendamment de toute réclamation pour dommages33 et, en sus de celle-ci, le cas échéant.
marché de Target ; • le réaménagement par Lions du Marché Lions de manière à
ce qu’il ne constitue plus une reproduction d’une partie importante ; • la fermeture
par Lions du Marché Lions. ».
33. Voir : R. c. James Lorimer and Company Limited, [1984] 1 CF 1065 (C.A.F. ;
1984-01-05), le juge Mahoney à la page 1073 « [10] Il s’ensuit que, lorsque la contrefaçon du droit d’auteur a été établie, le titulaire du droit d’auteur a droit prima
facie à une injonction qui interdit de continuer ces activités fautives. [...] Il
incombe au contrefacteur d’établir des motifs qui justifieraient la Cour, dans
l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de refuser un tel recours [Fn4 Massie &
Renwick, Limited v. Underwriters’ Survey Bureau Limited et al., [1937] R.C.S.
2650. Ces motifs doivent se fonder sur la conduite du titulaire du droit d’auteur et
non sur la conduite ou les mobiles du contrefacteur. On ne peut refuser une injonction au motif que la contrefaçon n’a entraîné aucun dommage pour le titulaire du
droit d’auteur [Bouchet v. Kyriacopoulos (1964), 45 C.P.R. 265 (C. d’É.) ; appel
rejeté]. ».
• Wing c. Van Velthuizen, 9 C.P.R. (4th) 449 (C.F.P.I. ; 2000-11-20), le juge
Nadon : « [69] La jurisprudence indique que le titulaire du droit d’auteur qui a
fait la preuve d’une violation de son droit peut obtenir une injonction permanente même s’il n’a pas démontré ou subi un préjudice. [...][71] J’estime qu’il y a
lieu en l’espèce d’accorder une injonction ordonnant à l’intimée de cesser de
publier, imprimer, distribuer, offrir ou annoncer en vente et vendre le Journal.
La violation du droit d’auteur a été clairement établie par les requérantes et il
semble que la violation du droit ne cessera pas à moins d’injonction. Il a été
notifiée à l’intimée à plus d’une reprise qu’elle violait le droit d’auteur des
requérantes, mais elle n’a pas mis fin à la violation. Elle a indiqué dans sa
lettre à l’avocat des requérantes (pièce I de l’affidavit Giuliani) qu’elle ne cesserait la publication du Journal que si les requérantes « [TRADUCTION] achetaient » son droit d’auteur pour une somme de 125 000 $US. Il est clair que
l’intimée ne comprend pas qu’elle n’est pas titulaire du droit d’auteur et qu’elle
ne mettra fin à la violation que s’il elle y est forcée. L’injonction est accordée. »
• Société des Loteries du Québec c. Club Lotto International, 13 C.P.R. (4th) 315
(C.F.P.I. ; 2001-01-25), le juge Blais : « [37] D’entrée de jeu, il est important de
mentionner que les parties ont convenu que les dommages-intérêts liquidés, si
cela devait être le cas, seraient établis à la somme de un dollar (1 $) et que la
demanderesse, si elle avait gain de cause, n’avait pas l’intention de réclamer
d’autres montants à titre de dommages-intérêts. [39] Reste donc, le seul
remède utile réclamé par la demanderesse à savoir une injonction permanente.
Compte tenu de la preuve entendue et des conclusions auxquelles en est
arrivée la Cour quant à la violation des droits d’auteur de la demanderesse et à
l’utilisation illégale des Marques officielles, propriété de la demanderesse, je
n’ai aucune hésitation à conclure que la demanderesse est en droit d’obtenir
réparation et en conséquence, qu’une injonction permanente soit accordée. »
• Microsoft Corp. c. PC Village Co., 75 C.P.R. (4th) 21 (C.F. ; 2009-04-22), le juge
Mandamin : « [45] The evidence indicates the named Defendants knowingly
and deliberately infringed on the Plaintiff’s copyright and trade-mark in circumstances that are suggestive of a continuing pattern of infringement. The
named Defendants business practices do not disclose any effort to avoid or curtail future infringement. I am satisfied injunctive relief is also appropriate. »
1144
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Les critères d’émission d’une injonction en matière de violation
de droits d’auteur, qu’elle soit permanente ou interlocutoire, obéissent aux mêmes règles que celles prévalant en matières civile ou
commerciale, avec des variations, bien sûr, suivant la juridiction.
Ainsi, de façon générale, au niveau interlocutoire, il faudra se
pencher sur
• un droit clair,
• la nature sérieuse et irréparable non autrement compensable du
préjudice résultant de l’usurpation34 et, enfin,
• la prépondérance des inconvénients.
Au niveau permanent35 toutefois, les critères propres à l’émisssion du recours extraordinaire qu’est l’injonction interlocutoire ne
doivent pas être considérés36. Les conséquences, autres que les conséquences juridiques, de l’octroi ou du refus de l’injonction ne peuvent entrer en ligne de compte37.
34. Ce qui n’exclut pas la demande d’injonction préventive quia timet.
35. Lorsqu’un titulaire de droit d’auteur a établi que
• il est titulaire du droit d’auteur,
• dans une œuvre protégée,
• dont les droits avaient été usurpés ou autrement violés.
la cour pourra émettre une ordonnance d’injonction. Voir Atomic Energy of
Canada Limited c. AREVA NP Canada ltd., 2009 FC 980 (C.F. ; 2009-09-30), le
juge Zinn « [34] Pour obtenir gain de cause dans une action en violation du droit
d’auteur, EACL doit prouver, selon la prépondérance des probabilités : (i) que
l’œuvre à l’égard de laquelle elle revendique un droit d’auteur est une œuvre originale (et qu’elle est antérieure à la violation présumée) ; (ii) que cette œuvre a été
plagiée sans son consentement ; (iii) que ce plagiat s’est traduit par la reproduction d’une partie substantielle de l’œuvre. »
36. R. c. James Lorimer and Company Limited, [1984] 1 CF 1065 (C.A.F. ; 1984-0105.), le juge Mahoney à la page 1073 ; Wing c. Van Velthuizen, 9 C.P.R. (4th) 449
(C.F. ; 2000-11-20), le juge Nadon aux paragraphes 63 et 71.
37. Celui qui viole les droits d’un autre n’a qu’à lui-même à s’en prendre :
Mawman c. Tegg, 2 Russ. 386 (Ch. ; 1826-08-18), le juge Eldon aux pages 390-391 :
« As to the hard consequences which would follow from granting an injunction,
when a very large proportion of the work is unquestionably original, I can only
say, that if the parts, which have been copied, cannot he separated from those
which are original, without destroying the use and value of the original matter,
he who has made an improper use of that which did not belong to him must suffer
the consequences of so doing. If a man mixes what belongs to him with what
belongs to me, and the mixture be forbidden by the law, he must again separate
them, and he must bear all the mischief and loss which the separation may occasion, If an individual chooses in any work to mix my literary matter with his own,
he must be restrained from publishing the literary matter which belongs to me ;
Voies et recours civils non pécuniaires...
1145
Lex non distinguit38 !
En tous les cas, la Cour jouit d’une grande discrétion39 dans
l’octroi d’une injonction et, principalement en matière interlocutoire,
il faut agir avec diligence, le contraire démontrant qu’il n’y a pas de
préjudice sérieux40 ou prêtant flanc à une défense de préclusion.
and if the parts of the work cannot be separated, and if by that means the injunction, which restrained the publication of my literary matter, prevents also the
publication of his own literary matter, he has only himself to blame. »
• MacMillan Publishers Limited c. Thomas Reed Publications Limited, le juge
Mummery à la page 467 : « In those circumstances, though I greatly regret the
possible loss of much non-infringing matter as a result of the injunction, the
law as laid down by Lord Eldon is clear. This has been the law since 1826
[Mawman c. Tegg, 2 Russ. 386]. As a matter of fairness and common sense a
defendant who behaves in this way has only himself to blame for the serious
consequences his acts may have for him. »
38. En fait la maxime complète est Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus – Là où la loi ne distingue pas, nous ne devons pas distinguer ; la maxime
Dura lex, sed lex – La loi (est) dure, mais (c’est) la loi est sans doute plus d’à propos. Certains vont regretter de n’avoir pas sous la main leur MAYRAND (Albert),
Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit, 4e éd., (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2007) !
39. Underwriters Survey Bureau Limited c. Massie & Renwick Limited, [1937] R.C.S.
265 (C.S.C. ; 1937-07-19), le juge Hudson à la page 268 : « [7] The law governing
the court in granting or refusing an injunction is correctly stated in Ashburner’s
Principles of Equity (2nd Ed. 1933), p. 343 : « Where the court has jurisdiction to
grant an injunction, the question whether it will grant it or not is a question of discretion. It is not bound to grant an injunction merely because A threatens and
intends to violate a legal right of B. But the tendency of the decisions in recent
years is to limit the discretion of the court, and it may be laid down that every
threatened violation of a proprietary right which, if it were committed, would
entitle the party injured to an action at law, entitles him, prima facie, to an
injunction, and the onus is upon the defendant of rebutting the presumption in
favour of an injunction, by showing that damages will be an adequate compensation to the plaintiff for the wrong done him, or that on some other ground he is not
entitled to equitable relief. » [8] In considering whether such grounds exist for
refusing this relief, the court would, unquestionably, have regard to the conduct
of the plaintiffs and, especially to the fact, if such fact were established, that the
application for the injunction was merely one step in the prosecution of a scheme
in which the plaintiffs had combined to further some illegal object injurious to the
defendant. Taking this view, I do not think that this court should be called upon
at the present time to say whether or not the allegations in the above-mentioned
paragraphs of the statement of defence would be sufficient to justify the court in
withholding an injunction. The matter should be referred back to trial without
expressing at present any opinion one way or the other as to the sufficiency of the
allegations in the statement of defence ».
40. Pagé (Éditions 36D) c. Kamar, 2009 QCCS 566 (C.S.Q. ; 2009-02-13) [inf. sur
autre point 2009 QCCA 1728 (C.A.Q. ; 2009-09-17)] la juge Monast : « [23] Quoiqu’il en soit, le délai écoulé entre le moment où le mandataire d’Éditions 36D
déclare avoir eu connaissance [juillet 2005] d’une violation du contrat d’édition
signée en octobre 2000 et le moment où la requête en injonction a été intentée est
considérable [août 2008]. Aucun motif n’a été allégué pour justifier ce long délai
1146
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3.3 Les mythes
Les mythes :
• Ce n’est pas parce qu’il s’agit de droits d’auteurs que l’injonction
sera plus facilement émise41 ;
• Ce n’est pas parce qu’on a un certificat d’enregistrement que l’on a
une apparence de droit à l’injonction42 ;
• Ce n’est pas parce qu’il y a eu des violations passées, que la cour
émettra automatiquement une ordonnance d’injonction permanente.
et aucune impossibilité d’agir n’a été prouvée. Ceci tend à démontrer que Éditions
36D n’a pas fait preuve de diligence raisonnable parce que, fondamentalement,
elle sait ou devrait savoir qu’il n’existe pas réellement de préjudice sérieux ou
irréparable dans la présente cause justifiant l’émission d’une ordonnance d’injonction interlocutoire alors même que les parties n’ont pas encore eu l’opportunité d’être entendues sur le fond et les défendeurs la possibilité de présenter
leurs moyens de défense. »
41. Le seul fait que le demandeur ait un doit d’auteur enregistré ou qu’il y ait violation n’empêche pas que le recours demeure discrétionnaire et doive obéir aux
règles relatives à son octroi. Voir : Western Steel & Tube Ltd. c. Erickson Manufacturing Ltd., 2009 FC 791 (C.F. ; 2009-07-31) la juge Snider : « [11] [...] In short,
there is no automatic conclusion that irreparable harm exists merely because the
foundation of an action is an infringement of copyright or trademark or the alleged tort of passing off. »
• Pagé (Éditions 36D) c. Kamar, 2009 QCCS 566 (C.S.Q. ; 2009-02-13), la juge
Monast [inf. sur autre point 2009 QCCA 1728 (C.A.Q. ; 2009-09-17)] : « [24]
Puisque le délai écoulé entre le moment où les droits de Éditions 36D auraient
été usurpés et celui où le recours en injonction a été intenté ne peut à lui seul
justifier le rejet de la demande, il importe d’examiner les critères énumérés à
l’article 752 C.p.c. »
42. Voir : Hay c. Saunders, 30 C.P.R. 81 (C.S. Ont. ; 1958-06-20) le juge King : « [47] I
perhaps should say in conclusion that the plaintiff had obtained a certificate of
registration of copyright in the plans for the Belaire and in the Belaire house on
June 23rd, 1956. The plaintiff (though not his counsel, of course,) seemed to be
under the impression that having obtained this certificate of copyright no one
else could then build a home similar to the Belaire. Anyone, of course, can build a
home similar to the Belaire provided that such a one does not copy the plans for
the Belaire and does not copy the building itself ; that is to say, anyone who is the
author of his own plans and building. »
• Pagé (Éditions 36D) c. Kamar, 2009 QCCS 566 (C.S.Q. ; 2009-02-13), la juge
Monast [inf. sur autre point 2009 QCCA 1728 (C.A.Q. ; 2009-09-17)] : « [28] La
délivrance d’un certificat pour attester de la détention par Éditions 36D de
droits d’auteur à l’égard de certaines œuvres ne lui donne pas une apparence de
droit à l’injonction. »
Voies et recours civils non pécuniaires...
1147
Ø surtout s’il s’agit d’un acte isolé43,
43. Tel sera le cas, par exemple, d’une violation survenue dans le cadre d’un événement ponctuel, comme une exposition temporaire, une foire ou un article de journal, non susceptible de se reproduire ou, encore, une télédiffusion unique. Voir,
par exemple :
• Gribble c. Manitoba Free Press Ltd., [1932] 1 D.L.R. 169 (C.A. Man. ; 1931-1109), le juge Prendergast à la page 176 : « [32] This only means ; however, that
the Court is not limited in this case to injunction, not that injunction could not
be granted. But I agree with the learned trial Judge that this is not a case for
such redress. The appellant would have to show, which he has not done, that
there is a probability of future damage [...] or that the defendant is likely to
continue the infringement[...] » et le juge Dennistoun à la page 179 :« [60]
I agree that the publication of this article in The Manitoba Free Press six years
ago gives no ground for an injunction. There has been no repetition of the infringement and no suggestion of the probability of future infringement, but I think
the plaintiff has proved his copyright which the defendants should have suspected and is entitled to the nominal damages to which the parties have
agreed. »
• Canadian Performing Right Society Limited c. Canadian National Exhibition
Association, [1934] 4 D.L.R. 154 (C.S. Ont. ; 1934-07-21), le juge Rose à la page
167 : « [26] It seems to be more or less usual in these cases to grant an injunction[...]. But in this case, there is no probability of a repetition of the particular
act complained of, and I see no reason why there should be more than a declaration that the defendants have infringed the plaintiffs’ right and a judgment
for $5.00 damages, of course with costs. »
• Fiel c. Lemaire, [1940] R.C.É. 21 (C. d’É. ; 1939-11-21), le juge Angers à la page
32 : « [53] Le procureur de la défenderesse a soutenu qu’il n’y avait pas lieu
d’accorder une ordonnance de cessation ou d’interdiction vu qu’il s’agit d’un
acte isolé, qui n’est pas susceptible de se répéter. Il est raisonnable de croire que
la défenderesse ne projette point de publier ou reproduire de nouveau le conte de
la demanderesse ; il est vrai qu’elle n’a pris aucun engagement à cet effet, mais
elle n’a plus d’intérêt à le faire. Je suis d’avis, dans les circonstances, qu’il n’y a
pas lieu d’accorder une ordonnance de cessation ou d’interdiction. »
• Zamacoïs c. Douville, 3 Fox Pat.Cas. 44. (C. d’É. ; 1943-03-01), le juges Angers à
la page 75 : « [115] Vu qu’il s’agit d’un acte isolé, qui n’est pas susceptible de se
répéter, je ne pense pas qu’il y ait lieu d’accorder une ordonnance d’interdiction.
Il est raisonnable de croire que les défendeurs ne projettent point de reproduire
de nouveau la chronique du demandeur non plus qu’aucune autre chronique
publiée par lui dans le journal Candide sous le même titre « Vérités et
Bobards ». »
• De Montigny c. Cousineau 12 C.P.R. 45 (C.S.C. ; 1950-01-30), le juge Rinfret :
« [26][...] D’autre part, il n’est plus utile d’accorder l’émission d’une injonction,
parce que les articles ont été reproduits et l’injonction n’aurait donc aucun effet
[...] »
• Durand & Cie. c. La Patrie Publishing Co., 34 C.P.R. 169 (C.S.C. ; 1960-6-24) ;
le juge Abbot : « [24] In the result the appeal should be allowed and the crossappeal dismissed. There would seem to be no necessity now to grant appellant the
injunction asked for. No special damages were alleged or proved but appellant
claimed the sum of $600 for what it describes as punitive damages. There
appears to have been only one broadcast by respondent of the opera in question,
and in the circumstances, I would award appellant damages in the sum
of $600, the amount claimed in the action. »
• Bishop c. Stevens Bishop c. Stevens, 4 C.P.R. (3d) 349, (C.F.P.I. ; 1985-04-15), le
juge Strayer aux pages 366-367 [mod. quant à un autre point 18 C.P.R. (3d) 257
1148
Les Cahiers de propriété intellectuelle
(C.A.F. ; 1987-11-05) ; conf. [1990] 2 R.C.S. 467 (C.S.C.)] : « [15] Il n’y avait pas
lieu non plus d’accorder une injonction car aucune preuve ne montrait que la
défenderesse continuerait à violer le droit d’auteur des demandeurs. »
Voir de même FOX (Harold George), The Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1967), à la page 461 et PATERSON
(John Melvin), Kerr on Injunctions, 6e éd., (Londres : Sweet & Maxwell, 1927).
Voir :
• Éthier c. Boutique à coiffer Tonic inc., J.E. 99-300 (C.S.Q. ; 1998-12-21), le juge
Jasmin : « [42] Enfin, pour toutes les raisons ci-haut mentionnées, et notamment, le fait que la demande d’injonction permanente était devenue inutile à
peine quelques jours après la publication de l’annonce publicitaire par Tonic
puisque celle-ci s’était formellement engagée à ne plus la publier, aucune
indemnité additionnelle ne sera accordée ».
• CCH Canadian Limited c. The Law Society of Upper Canada, 2 C.P.R. (4th) 129
(C.F.P.I. ; 1999-11-09), le juge Gibson [inf. 18 C.P.R. (4th) 161 (C.A.F. ;
2002-05-14) ; inf. 30 C.P.R. (4th) 1 (C.S.C. ; 2004-03-04)] : « [200] As can be seen
from the foregoing, the greater part of the plaintiffs’ claim against the defendant
for copyright infringement has not been successful. Further, the success that the
plaintiffs have achieved is of such a limited nature that I am simply not satisfied that it would be appropriate for me to exercise my discretion to grant any
form of injunction to the plaintiffs as against the custom photocopy service of the
defendant. » ;
• British Columbia Automobile Assn c. Office and Professional Employees’ International Union,Local 378 10 C.P.R. (4th) 423 (C.S.-C.B. ; 2001-01-26), le juge
Sigurdson : « [232] [...] Since those sites are no longer used, I do not think that a
declaration or an injunction concerning them is appropriate. I find that a declaration would not be “capable of having any practical effect in resolving the
issues in the case” »
• Setym International inc. c. Belout [2001] R.R.A. 1051 (C.S.Q. ; 2001-02-23), le
juge Wéry : « [187] Le procès a donc clairement démontré qu’il n’y avait pas
matière, aujourd’hui, à prononcer une ordonnance d’injonction permanente à
cet égard. Par conséquent, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de rendre, près
de quatre ans après les événements, une ordonnance d’injonction permanente si
celle-ci ne s’avère pas requise ou justifiée. Il suffira donc d’accueillir la demande
d’injonction permanente pour les frais seulement. »
• Emerald Passport Inc. c. MacIntosh, 2009 BCSC 593 (BCSC ; 2009-04-30) le
juge Chamberlist : « [14] Further damaging to the claim for injunctive relief is
the fact that the actions of the plaintiff which Mr. MacIntosh alleges infringed
on his copyright were discontinued immediately upon demand, and there is no
evidence of further activity after demand was made. [15] It is trite law that
injunctions are granted by the court as a method by which the court seeks to
maintain the status quo until trial. Therefore, at the time this matter came
before the court, besides there being no pleadings to support the relief sought
there appears to be no rights that are threatened which require the court’s
intervention to preserve alleged rights. »
• Nicholas c. Environmental Systems (International) Limited, 2010 CF 741
(C.F. ; 2010-07-12), le juge Russel : « [117] Les défendeurs ont reconnu sans
réserve que le demandeur conserve tout droit d’auteur et tous droits moraux
qui existent sur le Rapport. Re-defining Water a retiré le Rapport de son site
Web. Toutes les autres activités relatives au Rapport soit relèvent de l’objet de sa
production, soit ont de toute façon cessé. [...]. [118] En conséquence, rien ne justifie que la Cour prononce les jugements déclaratoires ni les injonctions sollicités par le demandeur. [...]. ».
Voies et recours civils non pécuniaires...
1149
Ø que le défendeur a déjà cessé les activités reprochées44, ou
Ø que celles-ci sont difficiles à cerner ou inexistantes 45,
44. Voir Éthier c. Boutique à coiffer Tonic inc., J.E. 99-300 (C.S.Q. ; 1998-12-21), le
juge Jasmin : « [42] Enfin, pour toutes les raisons ci-haut mentionnées, et notamment, le fait que la demande d’injonction permanente était devenue inutile à peine
quelques jours après la publication de l’annonce publicitaire par Tonic puisque
celle-ci s’était formellement engagée à ne plus la publier, aucune indemnité additionnelle ne sera accordée »
• British Columbia Automobile Assn c. Office and Professional Employees’ International Union, Local 378 10 C.P.R. (4th) 423 (C.S.-C.B. ; 2001-01-26), le juge
Sigurdson : « [232] [...] Since those sites are no longer used, I do not think that a
declaration or an injunction concerning them is appropriate. I find that a declaration would not be “capable of having any practical effect in resolving the
issues in the case” ».
• Setym International inc. c. Belout [2001] R.R.A. 1051 (C.S.Q. ; 2001-02-23), le
juge Wéry : « [187] Le procès a donc clairement démontré qu’il n’y avait pas
matière, aujourd’hui, à prononcer une ordonnance d’injonction permanente à
cet égard. Par conséquent, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de rendre, près
de quatre ans après les événements, une ordonnance d’injonction permanente si
celle-ci ne s’avère pas requise ou justifiée. Il suffira donc d’accueillir la demande
d’injonction permanente pour les frais seulement. »
• Emerald Passport Inc. c. MacIntosh, 2009 BCSC 593 (B.C.S.C. ; 2009-04-30) le
juge Chamberlist : « [14] Further damaging to the claim for injunctive relief is
the fact that the actions of the plaintiff which Mr. MacIntosh alleges infringed
on his copyright were discontinued immediately upon demand, and there is no
evidence of further activity after demand was made. [15] It is trite law that
injunctions are granted by the court as a method by which the court seeks to
maintain the status quo until trial. Therefore, at the time this matter came
before the court, besides there being no pleadings to support the relief sought
there appears to be no rights that are threatened which require the court’s
intervention to preserve alleged rights. »
• Nicholas c. Environmental Systems (International) Limited, 2010 CF 741
(C.F. ; 2010-07-12), le juge Russel : « [117] Les défendeurs ont reconnu sans
réserve que le demandeur conserve tout droit d’auteur et tous droits moraux
qui existent sur le Rapport. Re-defining Water a retiré le Rapport de son site
Web. Toutes les autres activités relatives au Rapport soit relèvent de l’objet de sa
production, soit ont de toute façon cessé. [...]. [118] En conséquence, rien ne justifie que la Cour prononce les jugements déclaratoires ni les injonctions sollicités par le demandeur. [...] ».
45. Voir :
• Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy’s Ltd., [1986] 1 C.F. 357 (C.F.P.I. ;
1984-06-29), le juge Strayer : « [32] Par conséquent, je déclare que le premier et
l’actuel titulaire du droit d’auteur dans le dessin de fleurs Victoriana Rose est
Paragon China Limited. Toutefois, comme il n’y a aucune preuve que la défenderesse a reproduit ce motif, a l’intention de le reproduire, de faire en sorte qu’il
y soit reproduit ou de vendre des reproductions de celui-ci autres que la marchandise fournie par Paragon China Limited, et comme il n’y a pas de preuve
non plus que la défenderesse a affirmé publiquement qu’elle était titulaire de
ce droit d’auteur, il apparaît que rien ne justifie d’exercer ma discrétion judiciaire dans le sens des injonctions demandées. »
• CCH Canadian Limited c. The Law Society of Upper Canada, 2 C.P.R. (4th) 129
(C.F.P.I. ; 1999-11-09), le juge Gibson [inf. 18 C.P.R. (4th) 161 (C.A.F. ;
1150
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• même si l’attitude passée est souvent garante de l’avenir46 ;
• La cour n’émettra pas d’injonction si c’est une œuvre immorale ou
obscène47 ;
2002-05-14) ; inf. 30 C.P.R. (4th) 1 (C.S.C. ; 2004-03-04)] : « [200] As can be seen
from the foregoing, the greater part of the plaintiffs’ claim against the defendant
for copyright infringement has not been successful. Further, the success that the
plaintiffs have achieved is of such a limited nature that I am simply not satisfied that it would be appropriate for me to exercise my discretion to grant any
form of injunction to the plaintiffs as against the custom photocopy service of the
defendant. »
46. On comparera : Prise de parole inc c Guérin, éditeur ltée, 66 C.P.R. (3d) 257
(C.F.P.I. ;1995-11-27), le juge Denault [conf. 73 C.P.R. (3d) 557 (C.A.F. ; 1996-1029)] : « Injunction 1. Since the defendant continued and continues, without authorization, to advertise in its 1995 catalogue the sale of the Libre expression collection containing extracts from Doric Germain’s novel, I feel that a permanent
injunction should be issued requiring the defendant to cease publishing, selling,
printing or distributing the Libre expression collection incorporating the work La
vengeance de l’orignal. » et
• Louis Vuitton Malletier S.A. c. 486353 B.C. Ltd., 2008 BCSC 799 (C.S.-C.B. ;
2008-06-19), la juge Boyd : « [52] While there is no evidence that J. Lee has
continued in the infringing activities since the service of the Cease & Desist letter upon her, there is still strong evidence that she, like all of the other defendants, has infringed the rights of the plaintiffs. Accordingly, there will be an
order permanently restraining and enjoining all of the defendants and each of
them from continuing in their infringing activities. »
pour constater que la décision est souvent rendue « à la tête » du défendeur.
47. Ça ressemble à une « poigne » de question d’examen ! En pareil cas, la Cour
pourra refuser d’octroyer des dommages mais cela ne l’empêcherait pas d’émettre
une injonction :
• Pasickniak c. Dojacek, [1928] 2 D.L.R. 545 (C.A. Man. ; 1928-03-26), le juge
Dennistoun : « [62] But apart from damages, I can see no reason why the pirating of an author’s original work should not be restrained by injunction, provided it is honest work and not a fraud upon the public. [63] The parts of the book
which are claimed to be immoral constitute so insignificant a part of the whole
book that, even if I were able to agree with the trial Judge, I would nevertheless
hold that they were severable from the main portions of the work, and that the
plaintiff might abandon them without injury to his book, and should have judgment for the remainder, as was done in Baschet v. London Illustrated Standard
Co., [1900] 1 Ch. 73, at 79, 69 L.J. Ch. 35, where Kekewich, J., refused copyright in two pictures out of seven, on the ground of indecency, but as to the
other five he gave judgment for the plaintiff with five-sevenths of the costs. »
• Aldrich c. One Stop Video Ltd., 17 C.P.R. (3d) 27 (C.S.-C.B. ; 1987-04-23), le
juge Davies : :« [119] The plaintiffs seek injunctions against the defendants
also under the authority of s. 20(1) [maintenmat 34(1)] of the Copyright Act.
Prohibitory injunctions operate to restrain anticipated acts of infringement of
a right. Having concluded that the availability of damages is a matter of proof, I
likewise adopt the view of Dennistoun J.A. that there is no reason why the pirating of an author’s work should not be restrained by injunction. As it is entirely
unnecessary in the present case, I make no comment on his additional proviso
that the work not be a fraud upon the public. The granting of an injunction to
restrain the pirating of obscene works does not offend either of the principles
Voies et recours civils non pécuniaires...
1151
• Il n’y a pas grand risque à demander une injonction interlocutoire48 [sinon de l’obtenir et de la voir cassée au fond !] ;
• Seule la Cour fédérale49 peut émettre des injonctions de type « Anton
I have decided are applicable. It does not imply that the plaintiffs are entitled to
compensation for illegal gain and it does not permit the plaintiffs to take the
benefit of the infringers’ illegal acts. It simply prohibits infringement, regardless of whether or not the infringing acts are independently contrary to law.
I conclude the plaintiffs are entitled to the injunctions requested of this court.
[129] [...] That the copyrighted works are obscene is no reason to deny injunctive relief. ».
48. Ne pas oublier 755, 1e al. C.p.c. et règle 393(2) des R.C.F. Voir, par exemple, Delrina Corp. c. Triolet Systems Inc., 17 C.P.R. (4th) 322 (C.S. Ont. ; 1998-07-17)
[conf. 17 C.P.R. (4th) 289 (C.A. Ont. ; 2002-03-01) ; permission d’en appeler à la
Cour suprême du Canada refusée 21 C.P.R. (4th) vi (C.S.C. ; 2002-11-28)], le juge
O’Leary aux paragraphes 23, 48, 61 et 73 où une injonction interlocutoire (cassée
au fond) a empêché pendant six ans un défendeur d’exploiter un logiciel « damages should be fixed at $6.892.500 plus prejudgment interest ; costs should be
awarded against the plaintiff on a solicitor-and-client basis. »
• Delrina Corp. c. Triolet Systems Inc., 17 C.P.R. (4th) 289 (C.A. Ont. ; 2002-0301), le juge Morden [permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada
refusée 21 C.P.R. (4th) vi (C.S.C. ; 2002-11-28)] : « [87]There is no dispute in
this appeal respecting the applicable legal principles. The damages to be awarded must be reasonably foreseeable at the time of the granting of the interlocutory injunction and they must be caused by (“naturally flow from”) the
injunction and not by something else [...]
• Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 50 C.P.R. (4th) 241 (C.S.C. ;
2006-07-27), le juge Binnie « [40] [...] Sauf dans des circonstances exceptionnelles, le demandeur devrait être tenu de s’engager à payer des dommages-intérêts au cas où l’ordonnance se révélerait injustifiée ou mal exécutée, ou de
fournir un cautionnement à cet égard, ou les deux à la fois. »
• Vinod Chopra Films Private Limited c. John Doe, 2010 FC 387 (C.F. ; 2010-0412), le juge Hughes : « [61] Compte tenu de la façon dont l’ordonnance ex parte a
été obtenue, notamment du fait que la preuve était insuffisante, bâclée et trompeuse comme il a été démontré précédemment, il convient d’accorder aux
défendeurs touchés leurs frais raisonnables, sur la base d’une indemnisation
complète. »
49. Hé non ! Raymond Chabot SST inc. c. Groupe AST (1993) inc., [2002] R.J.Q. 2715
(C.A.Q. ; 2002-10-25), le juge Morin : « [57] Cela étant dit, j’admets qu’il n’existe
pas dans le Code de procédure civile de dispositions autorisant spécifiquement
une mesure hybride comme une ordonnance de type Anton Piller, qui tient à la
fois de la saisie et de l’injonction. J’admets aussi que les règles relatives aux saisies avant jugement ne permettent pas d’aller recueillir de la preuve par une telle
saisie, comme l’a souligné notre Cour dans l’arrêt Expo Foods Canada Ltd. c.
Sogelco International inc., [[1989] R.J.Q. 2090 (C.A.)]. Enfin, je reconnais volontiers que, selon l’article 751 du Code de procédure civile, une injonction consiste
normalement en une ordonnance de faire ou de ne pas faire et non en une ordonnance de laisser saisir des biens. [58] Toutefois, il me paraît important de ne pas
oublier l’existence des articles 20 et 46 du Code de procédure civile [...] [59]
Peut-on soutenir que l’ordonnance de type Anton Piller est une procédure incompatible avec les règles contenues au Code de procédure civile ? Je crois que la
réponse à cette question est négative. [66] En définitive, je suis d’avis qu’il n’y a
1152
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Piller »50 ;
• Il n’y a pas grand risque autre que monétaire à ne pas respecter
une injonction51.
pas incompatibilité entre les règles du Code de procédure civile et l’existence
d’ordonnances de type Anton Piller et que les tribunaux peuvent prononcer de telles ordonnances au Québec en vertu des articles 20 et 46 du Code de procédure
civile. » Depuis le jugement rendu le 1992-02-20 dans Ferco International Usine
de ferrure de bâtiment c. Worelli Management Co., (500-05-002603-924), la Cour
supérieure du Québec, à l’instar des autres cours provinciales, a rendu plusieurs
ordonnances de ce type. Voir généralement FERRON (Danielle) et al., L’injonction et les ordonnances Anton Piller, Mareva et Nowrwich, (Toronto : LexisNexis,
2009), p. 125 et s. Et même un cabinet d’avocats en a été l’objet : dans une affaire
de droits d’auteur Godin c. Restaurants St-Hubert BBQ inc., [1998] A.Q. 3015
(C.S.Q. – Ordonnance ex parte ; 1998-09-29 [rescindée J.E. 98-2188 (C.S.Q. ;
1998-10-14) ; règlement hors de cour produit au dossier 500-17-004385-988] et
Canadian Private Copying Collective c. 9075-9077 Québec inc., [2008] RJQ 1924
(C.S.Q. ; 2008-07-25), le juge Léger, par. 113 et s. Pour les principes généraux
s’appliquant à ce type d’ordonnance, voir Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 50 C.P.R. (4th) 241 (C.S.C. ; 2006-07-27), le juge Binnie.
50. « L’Antoine Pillar » ! Ce type d’ordonnance, recours extraordinaire parmi les
recours extraordinaires, s’apparente à l’injonction interlocutoire provisoire et
vise de plus à mettre sous la garde de la cour tout en donnant accès au demandeur
des éléments de preuve (objets contrefacteurs, listes de fournisseurs et clients)
qui, autrement, risqueraient de « disparaître » si le défendeur était mis au fait de
la procédure.
51. La règle 472 R.C.F. et l’article 761 C.p.c. prévoient l’emprisonnement. Pour deux
cas où il y a eu une condamnation à du « en dedans », voir : Canadian Copyright Licencing Agency c. U-Compute, 46 C.P.R. (4th) 86 (C.F. ; 2005-12-07), le
juge Lemieux modifié 56 C.P.R. (4th) 177 (C.A.F. ; 2007-03-28)] Comme peine
appropriée, la Cour ordonne : « (1) RIAZ A. LARI est par les présentes condamné
à une peine d’emprisonnement de six mois à purger à l’établissement Montée
St-François, situé au 600, Montée St-François, Laval, Québec, H7C 1S5. (2) RIAZ
A. LARI est par les présentes condamné à payer à la demanderesse les dépens de
la procédure pour outrage sur une base avocat-client raisonnable, à être taxés
immédiatement par un officier taxateur, y compris les débours et la TPS ; ces
dépens devront être payés par M. Lari dans les 30 jours suivant la taxation.
(3) L’imposition de la peine d’emprisonnement prévue au paragraphe (1) est par
les présentes suspendue avec les conditions suivantes : a) RIAZ A. LARI devra en
tout temps se conformer aux conditions des injonctions permanentes énoncées
aux paragraphes (1) et (2) du jugement rendu par le juge Harrington en date du
19 juillet 2004. b) RIAZ A. LARI devra, dans les 13 mois suivant la date de la présente ordonnance, faire 400 heures de service communautaire dans un centre
d’hébergement de l’Armée du salut, à Montréal ou en banlieue, en effectuant le
travail bénévole que lui confiera le directeur de ce centre (le directeur). Le directeur informera par écrit la Cour et l’avocat de la demanderesse lorsque l’arrangement aura été mis en place. Le travail effectué en service communautaire
devra être vérifié par le directeur qui enverra une attestation à cet effet à la Cour
et à l’avocat de la demanderesse au plus tard le 31 janvier 2007. (4) Le cas advenant que la demanderesse souhaite démontrer que M. Lari ne s’est pas conformé
à une ou plusieurs des conditions imposées au paragraphe 3 par la Cour, il lui
sera loisible de demander un mandat d’incarcération à un juge de la Cour fédérale, en procédant ex parte ou autrement, selon les directives de ce juge, et RIAZ
Voies et recours civils non pécuniaires...
1153
3.4 Conditions d’ouverture
Pour qu’injonction émane, la violation reprochée devra porter
sur une partie substantielle de l’œuvre protégée52 et ce, suivant à la
fois le dicton de minimis non curat lex53, sans pour autant négliger
A. LARI, une fois que la Cour aura constaté le non-respect de l’une ou de plusieurs des conditions, sera incarcéré pour une période de six mois. (5) La présente
ordonnance ne modifie en rien les conditions de l’ordonnance rendue le 19 juillet
2004 par le juge Harrington qui n’ont pas été remplies. »
• 9038-3746 Québec inc. c. Microsoft Corporation, 2008 CarswellNat 6036 (C.F. ;
2008-11-26) [confirmé en appel], le juge Beaudry « [7] IT IS HEREBY ORDERED THAT : 1. Carmelo Cerrelli shall pay a fine of $50.000 for the guilty plea on
the first initiating order for contempt within 120 days from the date of this
order ; 2. Carmelo Cerrelli shall pay a fine of $50.000 for the guilty plea on the
second initiating order for contempt within 120 days from the date of this
order ; 3. In the event that the fine ordered in paragraph 1 above has not been
paid as ordered, Carmelo Cerrelli is to be imprisoned for a period of 30 days ; 4.
In the event that the fine ordered in paragraph 2 above has not been paid as
ordered, Carmelo Cerrelli is to be imprisoned for a period of 30 days (total of 60
days of imprisonment if both fines are not paid). »
• 9038-3746 Québec inc. c. Microsoft Corporation, 2010 C.A.F. 151 (C.A.F. ;
2010-06-10), le juge Létourneau [confirmant 2008 CarswellNat 6036 (C.F. ;
2008-11-26) ; requête pour permission d’en appeler à a la Cour suprême du
Canada refusée 2010 CanLII 77120 (C.S.C. ; 2010-12-23)] : « [9] Pour ce qui est
de la plainte de l’appelant selon laquelle, en infligeant une peine d’emprisonnement, le juge a mal interprété les dispositions législatives applicables dans
le cas d’une première infraction, cette prétention n’a aucun fondement. Le juge
n’a pas infligé une peine d’emprisonnement. Il a infligé des amendes. [10]
De plus, il n’existe aucune règle ferme portant qu’une première infraction
d’outrage au tribunal ne peut faire l’objet d’une peine d’emprisonnement. [14]
De toute évidence, les sanctions pécuniaires n’ont pas constitué une dissuasion
individuelle suffisante. [...][18] L’outrage au tribunal constitue une infraction
grave. Il s’agit d’une contestation de l’autorité judiciaire qui mine sa crédibilité
et son efficacité ainsi que celles de l’administration de la justice. C’est une
infraction encore plus grave lorsque, comme en l’espèce, les actes illicites sont
motivés par la cupidité et qu’en plus de contester l’autorité judiciaire, ils constituent des violations de la loi, à savoir la Loi sur les marques de commerce et la
Loi sur le droit d’auteur. [19] La peine infligée dans des circonstances comme
celles de la présente espèce doit être telle qu’elle puisse dissuader le contrevenant de récidiver et dissuader également quiconque serait tenté de commettre
le même type d’infractions. »
52. Voir, par exemple, Breen c. Hancock House Publishers Ltd., 6 C.P.R. (3d) 433
(C.F.P.I. ; 1985-10-11), le juge Joyal à la page 436 ; Preston c. 20th Century Fox
Canada Limited, 33 C.P.R. (3d) 242, (C.F.P.I. ; 1990-11-09), le juge MacKay aux
pages 273-274 [conf. 53 C.P.R. (3d) 407 (C.A.F. ; 1993-11-21).]
53. HÉTU (Jean), « De minimis non curat praetor : une maxime qui a toute son
importance ! », (1990), 50 Revue du Barreau 1065.
1154
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’effet de dilution54 sur la valeur d’une œuvre que peut avoir la contrefaçon55.
Le texte même du paragraphe 3(1) de la Loi est d’ailleurs à
l’effet que « Le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de
produire ou de reproduire la totalité ou une partie importante de
l’œuvre... »56.
Il faut rappeler ici qu’en vertu de notre système de droit, c’est
au demandeur, à titre de créancier d’une obligation, de prouver les
circonstances justifiant l’émission d’une ordonnance d’injonction57 ;
il doit s’agir d’une preuve de faits réels et non fondée sur de simples
hypothèses, allégués fourre-tout ou à l’emporte-pièce, allégations
grandiloquentes et larmoyantes, ou présomptions générales.
3.5 Portée
Une ordonnance requise de la cour ne devrait, à tout niveau, ne
viser que la partie contrefaite58 d’une œuvre contrefactrice et non
son ensemble. Toutefois, si dans l’œuvre contrefactrice on ne peut
54. Sur la proposition générale à l’effet que le droit d’auteur est un faisceau de droits :
Bishop c. Stevens [1990] 2 R.C.S. 467 (C.S.C. ; 1990-08-16), la juge McLachlin à la
page 477 ; Blue Crest Music Inc. c. Compo Company Ltd., [1980] 1 R.C.S. 357
(C.S.C. ; 1979-10-20), le juge Estey à la page 376 Composers, Authors and Publishers’ Association of Canada Limited c. Muzak Corporation, [1953] 2 R.C.S. 182
(C.S.C. ; 1953-06-26), le juge Rand à la page 188.
55. L’effet « floodgate » auquel réfère la juge Reed dans International Business
Machines Corporation c. Ordinateurs Spirales inc., [1985] 1 C.F. 190 (C.F.P.I. ;
1984-06-27) ou encore, s’inspirant du Salammbô (1862) de Flaubert, l’effet
Mâtho : « Donc les Anciens décidèrent qu’il [Mâtho] irait de sa prison à la place de
Khamon, sans aucune escorte, les bras attachés dans le dos ; et il était défendu de
le frapper au cœur, pour le faire vivre plus longtemps, de lui crever les yeux, afin
qu’il pût voir jusqu’au bout sa torture, de rien lancer contre sa personne et de porter sur elle plus de trois doigts d’un seul coup ».
56. Les paragraphes 15(1), 18(1) et 21(1) L.D.A. comportent une disposition semblable pour les autres objets du droit d’auteur.
57. Voir, par exemple, l’article 2803 du Code civil du Québec.
58. Wilson c. Anderson 69 C.P.R. (3d) 329 (C.J. Ont. ; 1996-06-28), le juge Spence :
« [17] The defendants also seek an order that the plaintiff be prohibited from
using the OCI copyright material in the book for the solicitation of clients. Such
an order, so worded, could effectively prevent the plaintiff from making any use of
the book. That would go beyond the preservation of the status quo which is the
appropriate objective in this case. Accordingly, a narrower interlocutory order is
to go enjoining the plaintiff from making any use of the OCI copyright material in
the book otherwise than through the existing inclusion of such material in the text
of the book. »
Voies et recours civils non pécuniaires...
1155
séparer la partie contrefaite de l’apport original du contrefacteur,
l’ordonnance pourra alors viser l’ensemble de l’œuvre59.
En ce qui a trait à la durée même de l’injonction, il est intéressant de noter que, de façon générale, les injonctions dites « permanentes » qu’émettent régulièrement nos tribunaux sont, en fait,
perpétuelles, alors que les œuvres qu’elles visent, elles, ont une
durée de protection limitée habituellement à 50 ans à compter soit de
la fin de l’année civile du décès de l’auteur, soit de la publication ou
de la confection de l’œuvre contrefaite60.
Sans doute faudrait-il préciser dans le libellé des conclusions
recherchées que l’injonction doit valoir tant que le droit d’auteur subsiste61.
Et la territorialité ? Est-ce que l’injonction62 émise par la Cour
supérieure du Québec arrête d’avoir effet à la frontière du NouveauBrunswick ou de l’Ontario ? Et celle de la Cour fédérale à la frontière
59. Voir, par exemple, Gemmil c. Garland, 14 R.C.S. 321 (C.S.C. ; 1887-12-20), le juge
Gwynne à la page 328 ; Cartwright c. Wharton, 25 O.L.R. 357 (C.S. Ont. ;
1912-01-04), le juge Teetzel aux pages 363-364 ; Cardwell c. Leduc, [1963] R.C.É.
207 (C.d’É. ; 1962-12-15), le juge Kearney aux pages 220-221 [appel rejeté] ;
91439 Canada ltée c. Éditions JCL inc., 58 C.P.R. (3d) 38 (C.A.F. ; 1994-09-23), le
juge Décary aux pages 389-390 : « [20] Bref, il ne s’agit pas, ici, d’un cas où le plagiat est en quelque sorte divisible et où l’on peut séparer les parties contrefaites
des parties originales et utiliser d’une quelconque manière ces dernières. À cet
égard, il ne m’apparaît pas possible ni souhaitable de recourir à la règle rusticum
judicium. Il serait bien malheureux, dans des cas comme celui-ci, que les tribunaux se mettent à calculer au mot près l’atteinte portée aux droits d’un auteur. »
[Jugement toutefois rendu dans le contexte du calcul des dommages.]
60. Voir les articles 6 à 12 L.D.A. pour les droits économiques dans une œuvre, le
paragraphe 14.2(2) L.D.A. pour les droits moraux et l’article 23 pour les autres
objets du droit d’auteur. On notera que la durée de protection varie selon les pays.
61. Voir, par exemple, PATERSON (John Melvin), Kerr on Injunctions, 6e éd. (Londres : Sweet & Maxwell, 1927), à la page 394 : « A perpetual injunction should not
however be granted to protect a right having only a limited duration ; in such a
case the injunction should be limited to the period of the plaintiff’s interest in the
subject-matter action ».
62. Le recours pour violation de droit d’auteur se qualifie d’action personnelle à
caractère patrimonial extra. Les cours canadiennes peuvent rendre des ordonnances à portée extra-territoriale prévue par l’article 3148 du Code civil du Québec. Position qui n’est pas nouvelle : Warrel c. Railway Asbestos Packing (Quebec)
Co. (1916), 32 D.L.R. 345 ; Société Radio-Canada c. Sirois, [1981] C.S. 527
(C.S.Q. ; 1981-03-30 [désistement d’appel no 500-09-000567-818 produit le 198112-08]), le juge Marquis à la page 532] ou Transat Tours Canada c. Impulsora
Turistica Occidente, s.a. de c.v., 2006 QCCA 413 (C.A.Q. ; 2006-03-17), le juge
Dussault [conf. 2007 C.S.C. 20 (C.S.C. ; 2007-07-25)].
1156
Les Cahiers de propriété intellectuelle
des États-Unis ? Non. Le critère à considérer est la compétence initiale du tribunal et non un éventuel non-respect de l’ordonnance63.
Et l’œuvre architecturale ? Dans le cas particulier64 de la violation du droit d’auteur dans une œuvre architecturale65, l’injonction
63. Voir ainsi, en matière de droits d’auteur :
• Corporation de l’École des hautes études commerciales de Montréal c 3178277
Canada inc. AZ-98021771 (C.S.Q. ; 1998-07-07), le juge Beaudoin « ORDONNE
aux défendeurs intimés 3178277 Canada inc. et Georges Fernandez directement ou indirectement en leurs noms ou par toute autre personne, corporation,
associé ou entité, à travers agent, employé, directeur, officier, actionnaire
ou consultant : [...] quant à monsieur Georges Fernandez, de NE PAS ENTREPRENDRE, de CESSER et de SE DÉSISTER s’il y a lieu, de toute demande
quant à l’enregistrement de marque de commerce ou de droit d’auteur auprès
du Copyright Registration Office aux États Unis ;
• Aga Khan c. Tajdin, 2011 CF 14 (C.F. ; 2011-01-07), le juge Harrington
« [72] Pour ce qui est de la remise de tous les exemplaires des documents contrefaits qui se trouvent en la possession ou sous la garde des défendeurs, il a été
demandé dans la requête que les documents soient remis à l’Institute of Ismaili
Studies, à Londres (R.-U.). Cependant, comme le demandeur, ou la Cour,
ignore à quel endroit se trouvent les documents en question, il serait préférable
d’ordonner que les exemplaires des documents contrefaits qui sont situés au
Royaume-Uni soient remis à l’Institute, à Londres, et que ceux qui se trouvent
ailleurs soient remis aux CIITER appropriés qui sont désignés dans la constitution. »
• Aga Khan c. Tajdin, 2011 CanLII 14746 (C.F. ; 2011-03-04), le juge Harrington
« 6. Les défendeurs, Nagib Tajdin et Alnaz Jiwa, quel que soit le nom sous
lequel ils sont connus, leurs mandataires, employés, préposés, associés, représentants et toute autre personne, qu’il s’agisse d’une personne physique ou
morale, agissant en leur nom ou étant sous leur contrôle, sont tenus de fournir
toutes les copies de la Golden Edition et des farmâns et talikas contenus dans
celle-ci, et du signet audio MP3 en leur possession, sous leur responsabilité ou
sous leur contrôle, ainsi que les marchandises, étiquettes, emballages, affiches,
clichés ou moules, le matériel publicitaire ou tout autre matériel ou chose en
leur pouvoir, sous leur responsabilité ou en leur possession, qui sont liés, en
totalité ou en partie, à la Golden Edition, ainsi qu’aux farmâns et talikas et au
signet audio MP3 contenus dans celle-ci, ou qui sont utilisés pour les produire ;
une telle remise devant être effectuée aux CIITER appropriés qui sont désignés
dans la constitution ismaélienne, peu importe où est située la Golden Edition,
ainsi que les farmâns et talikas et le signet audio MP3 contenus dans celle-ci, ou
comme l’ont convenus les défendeurs et les représentants ou les avocats du
demandeur. »
64. Voir LAGACÉ (René), Les aspects juridiques de la pratique de l’architecture,
3e éd. (Montréal : Lagacé, 1996) et TORNO (Barry), « By Design : A Blueprint of
Architectural Copyright » (1986), 15 Construction Law Reports 317.
65. Tel que défini à l’article 2 L.D.A., savoir « tout bâtiment ou édifice ou modèle ou
maquette de bâtiment ou d’édifice » et non pas toute structure mécanique, pour
imposante qu’elle soit : Halliburton Co. c. Northstar Drillstem Testers Ltd., 58
C.P.R. (3d) 73 (C.F.P.I. ; 1981-08-06), le juge Cattanach à la page 81. Voir aussi
Webb & Knapp (Canada) Limited c. City of Edmonton [1970] R.C.S. 588 (C.S.C. ;
1970-02-02), le juge Hall à la page 601.
Voies et recours civils non pécuniaires...
1157
ne peut être émise pour empêcher la construction ou pour en ordonner la destruction lorsque cette construction a été commencée66.
Quelques précisions :
• si ce n’est pas une œuvre architecturale au sens de la L.D.A., la
prohibition de l’article 40 ne s’applique pas ;
• elle ne s’applique pas non plus pour empêcher l’utilisation de
plans architecturaux (œuvres artistiques) ;
• elle n’empêche pas l’émission d’une injonction pour contrer de
futures violations67 ; elle ne s’applique que si la construction n’a
pas commencé [mais la construction commence-t-elle à la simple
excavation ?] ;
• la prohibition est celle d’empêcher la construction ou de prescrire
la démolition. Quid de la rénovation ou de la reconstruction ? Cela
empêcherait-il une ordonnance demandant la modification d’un
aspect du bâtiment ?
66. Voir l’article 40 L.D.A. ; voir aussi GILKER (Stéphane), « La protection des
œuvres architecturales par le droit d’auteur au Canada – Deuxième partie »
(1991), 4:1 Cahiers de la propriété intellectuelle 7, aux pages 56-64. Ainsi un
défendeur qui aurait commencé à construire un premier bâtiment en violation
des droits d’auteur du demandeur ou qui s’apprêterait à le faire ne saurait en être
empêché par injonction, le seul recours étant celui de dommages-intérêts. À la
limite, on pourrait même arguer qu’une injonction ne pourrait pas être émise
pour empêcher un défendeur obstiné de récidiver, même en toute connaissance de
cause : la seule sanction demeurant, semble-t-il l’octroi de dommages qui risquent alors, il est vrai, d’être marqués du sceau de l’exemplarité ! [Et non, seau de
l’exemplarité ou sot de l’exemplarité que donnent certains correcteurs de textes...]. D’intérêt, est le jugement rendu sur une demande d’injonction interlocutoire dans la décision Cardinal c. The Parish of the Immaculate Conception 1995
CarswellNat 2635, (C.F.P.I. ; 1995-12-01) le juge Jerome [désistement de l’appel
A-817-95 ; rejet le 1999-03-22 de la procédure principale pour défaut de poursuite
for want of prosecution] : « [2] The plaintiff seeks to restrain construction of modifications to the original St. Mary’s Church which he designed. The basis of his
claim is that the work is unique, indeed a sculpture rather than simply a building
and that any addition such as the one now under construction violates his moral
rights to the design. [4] First, the field of an architect’s moral rights to his design
is not only very complex, but almost entirely unexplored territory as far as Canadian jurisprudence is concerned. Indeed, it was acknowledged by counsel for all
parties in the motion before me that no such issue has ever been litigated in the
Canadian courts. »
67. Randall Homes Ltd. c. Harwood Homes Ltd., 17 C.P.R. (3d) 372 (B.R.Man. ;
1987-5-15), le juge Ferg.
1158
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Et la bonne foi ? Le paragraphe 39(1) de la Loi prévoit également que, dans l’éventualité où le défendeur allègue et prouve qu’au
moment de commettre la violation il n’avait aucun motif raisonnable68 de soupçonner la subsistance du droit d’auteur, le demandeur ne peut alors obtenir qu’injonction à l’égard de cette violation69.
68. À titre illustratif :
• Desmarais c. Amylitho Inc., REJB 99-10116 (C.Q. ; 1999-01-13), le juge Locas
« [5] [...] Rappelons que l’article 39 ne parle pas seulement d’ignorance de
l’existence du droit d’auteur mais également d’absence de « motif raisonnable
de soupçonner » que l’œuvre fait encore l’objet d’un droit d’auteur. Or, le rédacteur du journal de la défenderesse aurait dû soupçonner l’existence d’un droit
d’auteur puisqu’il est lui-même photographe et qu’il affirme avoir vu cette
photo partout auparavant. Or, il déclare n’avoir jamais vérifié la provenance de
la photo ni son auteur, ce qui aurait pu être fait en communiquant soit avec le
gérant de Rose Ouellette ou avec d’autres médias ou par quelqu’autre moyen
que sa profession lui permet de connaître bien mieux que le Tribunal. L’on ne
saurait exiger de celui qui publie une photographie d’en découvrir l’auteur car
cela peut s’avérer difficile sinon impossible ; mais l’on peut certainement exiger
qu’il fasse au moins des démarches dans ce but, ce qui n’a pas été fait en
l’instance »
• EROS – Équipe de recherche opérationnelle en santé inc. c. Conseillers en gestion et informatique C.G.I. inc., 35 C.P.R. (4th) 105 (C.F. ; 2004-02-03), la juge
Tremblay-Lamer « [127] Une des exceptions à ce principe veut qu’un défendeur
puisse échapper à une condamnation de dommages s’il prouve qu’il ne savait
pas ou qu’il n’avait aucun motif raisonnable de soupçonner que l’œuvre était
protégée. Puisque les droits d’auteur liés au CTMSP étaient dûment enregistrés, CGI doit réfuter la présomption qu’elle avait un motif raisonnable de soupçonner que l’œuvre était protégée. Le fardeau de preuve qui incombe à CGI est
lourd. »
• Icotop Inc. c. Ferrand, 2005 IIJCan 28462 (C.S.Q. ; 2005-08-12), le juge
Larouche « [144] Jamais, semble-t-il, le défendeur Dallaire ne s’est préoccupé
de savoir si le défendeur Ferrand possédait ou non des droits, si ce n’est qu’il se
serait fié sur la déclaration de ce dernier qu’il avait tous les droits. Comme évaluation candide, peu sérieuse et encore moins rigoureuse, on a certainement déjà
vu mieux. »
• Target Event Production Ltd. c. Paul Cheung and Lions Communications Inc.,
2010 FC 27, (C.F. ; 2010-01-11), la juge Simpson . « [ [98] À mon avis, les défendeurs ne peuvent invoquer ce paragraphe parce que Paul Cheung savait qu’un
droit d’auteur avait été revendiqué sur le plan du site du marché. Il a admis
qu’il avait vu un symbole de droit d’auteur sur le plan d’ensemble de la propriété
de Vulcan Way et que ce plan englobait le plan du site du marché. [99] En ce qui
concerne le formulaire de demande du vendeur, je suis convaincue que Paul
Cheung avait des motifs raisonnables de soupçonner qu’il existait un droit
d’auteur. Il connaissait bien la protection du droit d’auteur de par son travail
dans le domaine de la musique, et une société qu’il contrôlait avait intenté une
action pour violation du droit d’auteur. [100] Ce paragraphe n’a donc pas pour
effet de protéger les défendeurs contre une condamnation pécuniaire. ».
69. Arguendo : la rencontre des articles 39 et 40 risque d’être intéressante. Si les
plans d’une œuvre architecturale ne sont pas enregistrés, le défendeur, ignorant
de bonne foi, pourrait s’en tirer à bon compte. L’article 39 ferait en sorte que seule
une injonction pourrait être émise alors que l’article 40, dans le cas d’une œuvre
architecturale, fait en sorte que l’injonction n’est pas permise...
Voies et recours civils non pécuniaires...
1159
Toutefois, pour qu’un défendeur puisse tirer avantage de cet
article – et jusqu’ici, peu ont vraiment réussi – il importera à ce
défendeur d’alléguer70 et de prouver71
i)
qu’il ne savait pas que l’œuvre était protégée et
ii) qu’il n’avait pas de motif raisonnable de soupçonner que celle-ci
était protégée72.
Le paragraphe 39(2) L.D.A.73 prévoit cependant que dans la
mesure où le droit d’auteur est enregistré74 le défendeur75 ne peut se
prévaloir de cette restriction de recours76.
70. MCA Canada Ltd. c. Gillberry & Hawke Advertising Agency Ltd., 28 C.P.R. (2d)
52, (C.F.P.I. ; 1976-05-12), le juge Dubé aux pages 54-56.
71. Voir, par exemple, Gribble c. Manitoba Free Press Ltd., [1932] 1 D.L.R. 169 (C.A.
Man. ; 1931-11-09 ), le juge Dennistoun à la page 173 ; Fiel c. Lemaire [1940]
R.C.É. 21 (C.d’É. ; 1939-11-21), le juge Angers, aux pages 32-35 ; Bulman Group
Ltd. c. “One-Write” Accounting Systems Ltd., 62 C.P.R. (2d) 149 (C.F.P.I. ;
1982-01-22), le juge Collier aux pages 335-336 ; Slumber-Magic Adjustable Bed
Co Ltd. c. Sleep-King Adjustable Bed Co Ltd., 3 C.P.R. (3d) 81 (C.S. C.-B. ;
1984-10-16), la juge McLachlin aux pages 87-88 ; Wing c. Van Velthuizen,
9 C.P.R. (4th) 449 (C.F.P.I. ; 2000-11-20), le juge Nadon aux paragraphes 65 et 66.
72. Ainsi, un motif raisonnable de soupçonner la subsistance du droit d’auteur, indépendamment de quelque enregistrement, pourra être inféré d’un marquage de
droits réservés. Voir, par exemple, Fiel c. Lemaire (1939), [1940] R.C.É. 21
(C. d’É. ; 1939-11-21), le juge Angers aux pages 32-35 ; Zamacoïs c. Douville
[1944] R.C.É. 208, (C. d’É. ; 1943-03-01), le juge Angers aux pages 235-237 ;
Slumber-Magic Adjustable Bed Co. Ltd. c. Sleep-King Adjustable Bed Co. Ltd. 3
C.P.R. (3d) (C.S. C.-B. ; 1984-10-16), la juge McLachlin aux pages 87-88 contra : Index Téléphonique (N.L.) de notre localité c. Imprimerie Garceau Ltée, 18
C.I.P.R. 133 (C.S.Q. ; 1987-06- 25), le juge Boily aux pages 144-146 [appel réglé
hors de cour].
73. Dont on pourra comparer le libellé avec celui du paragraphe 38.1(2) : « ... aucun
motif raisonnable de croire qu’il avait violé le droit d’auteur ».
74. Non négligeable est la précision « dûment enregistré » : la validité de l’enregistrement peut donc se contester. Par analogie, voir Lubrication Engineers, Inc. c.
Canadian Council of Professional Engineers, 41 C.P.R. (3d) 243 (C.A.F. ; 1992-0212), le juge Hugessen.
75. Éditions Hurtubise HMH ltée c. Cégep André-Laurendeau, [1989] R.J.Q. 1003
(C.S.Q. ; 1989-04-12) le juge Tessier à la page 1020 [déclaration de règlement hors
de cour produite le 1991-01-10].
76. Voir, par exemple, MCA Canada Ltd. c. Gillberry & Hawke Advertising Agency
Ltd., 28 C.P.R. (2d) 52 (C.F.P.I. ; 1976-05-12), le juge Dubé aux pages 54-55 ; Les
dictionnaires Robert Canada scc c. Librairie du Nomade inc., 16 C.P.R. (3d) 319
(C.F.P.I. ; 1987-01-05), le juge Denault, à la page 329 [appel rejeté 37 F.T.R. 240n
(C.A.F. ; 1990-09-26.)]. Pour certains, BLOOM (Glen A.) et al., Copyright, in
DIMOCK (Ronald E.) Ed., Intellectual Property Disputes – Resolutions and Remedies (Toronto : Thomson-Carswell, 2002), au §3.4(a)(i) l’application de la limitation de l’article 39 L.D.A. à une violation des droits moraux soulève problèmes
d’intérêt.
1160
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cette défense ne s’applique pas à une violation du droit moral77.
3.6. L’injonction dite « élargie »
3.6.1 Général
De droit statutaire nouveau, l’article 39.178 incorpore dans la
Loi une pratique que l’on retrouvait fréquemment dans les procédures en violation du droit d’auteur, particulièrement celles qui impliquaient la violation de répertoires de sociétés de gestion collective.
Cette pratique, toutefois, est moins récente qu’il n’y paraît, de
telles conclusions pouvant être retracées dans la jurisprudence québécoise propre au droit d’auteur dès les années 6079.
77. On peut en débattre mais le paragraphe 39(1) ne semble pas faire de distinction
entre les droits économiques et les droits moraux : dès lors que la violation soit
pour violation des droits d’auteurs ou moraux, la même défense semble disponible. Et il n’y change rien que l’article 55 L.D.A. qui permet l’enregistrement du
droit d’auteur ne semble couvrir que le droit économique d’auteur car tout ce que
demande le paragraphe 39(2) c’est que le droit d’auteur soit dûment enregistré
pour que la limite du paragraphe 39(1) puisse ou non opérer. On pourra cependant argumenter, correctement, nous le soumettons, que le paragraphe 39(1)
s’applique à une violation du droit d’auteur et que, dans la définition de celui-ci à
l’article 2 L.D.A., le droit moral n’est pas compris, faisant l’objet d’une définition
distincte ; par ailleurs, le paragraphe 34(2) fait uniquement état des recours disponibles pour une violation du droit d’auteur et on ne peut donc l’utiliser pour
transposer une défense s’appliquant à une violation du droit d’auteur à une
défense s’appliquant à une violation du droit moral.
78. Dont le libellé peut, à certains égards, être comparé à celui du paragraphe 88(3)
L.D.A.
79. Voir, par exemple : Composers, Authors and Publishers’ Association of Canada
Limited c. Yvon Robert Lounge Inc., 51 C.P.R. 302 (C.S.Q. ; 1967-04-26), le juge
Bourgeois et, plus particulièrement le commentaire de l’arrêtiste, à la page 302 :
« The significance of the present report is to be found in the broad scope of the
injunction. It was not limited to the specific works infringed. It related to any
musical work owned by the plaintiff ». Dans la même veine, voir également, Composers, Authors & Publishers Association of Canada Ltd. c. Cafe Rugantino Inc.,
52 C.P.R. 16 (C.S.Q. ; 1964-03-21), le juge Charbonneau ; Composers, Authors &
Publishers Association of Canada Ltd. c. D’Aoust (La Sentinelle), 54 C.P.R. 164
(C.S.Q. ; 1968-01-16.), le juge Dorion ; Composers, Authors & Publishers Association of Canada Ltd. c. Keet, 1 C.P.R. (2d) 283 (C.S.Q. ; 1971-02-22), le juge Dufour.
Par contre, dans BMI Canada Ltd. c. Der, 28 C.P.R. (2d) 209 (C.F.P.I. ; 1976-0428), guère impressionné par cette série de causes québécoises et encore moins par
le commentaire de l’arrêtiste de celles-ci, le juge Collier, aux paragraphes 11 et
12, refusait nommément d’émettre une injonction pour d’autres œuvres que les
six pour lesquelles il y avait preuve de contrefaçon et ce, alors que le demandeur
était une société de gestion collective.
Voies et recours civils non pécuniaires...
1161
Même si le pouvoir d’émettre des ordonnances d’injonction
« élargie » peut se fonder sur leurs pouvoirs inhérents80, les tribunaux se sont généralement montrés peu enthousiastes à octroyer
semblable conclusion, surtout au niveau interlocutoire.
En effet, en semblable cas, il s’avère généralement difficile –
sinon parfois impossible – à un défendeur de savoir avec une certitude suffisante si une œuvre81 donnée – mais non spécifiée – est ou
non visée par une telle injonction82.
Eu égard aux graves conséquences qui peuvent s’ensuivre, les
tribunaux ont exprimé une réticence certaine à l’octroi de conclusions larges ou imprécises83.
80. Carlin Music Corporation c. Collins, [1979] 5 F.S.R. 468 (C.A. ; 1979-02-09), le
juge Ormod à la page 553 ; Microsoft Corp. c. 9038-3746 Quebec inc., 2006 FC
1509 (C.F. ; 2007-01-16), le juge Harrington au paragraphe 121.
81. Pour faciliter la lecture, il n’est fait ici référence qu’à « œuvre », mais l’injonction
dite « élargie » pourrait tout aussi bien viser les autres sujets du droit d’auteur
que sont les prestations d’artistes-interprètes, les enregistrements sonores ou les
signaux de communication que visent respectivement les articles 15, 18 et 21
L.D.A.
82. Microsoft Corp. c. 9038-3746 Quebec inc., 57 C.P.R. (4th) 204 (C.F. ; 2007-01-16),
le juge Harrington « [130] Malgré le comportement des défendeurs, je ne suis pas
prêt à étendre l’objet de l’injonction aux droits d’auteur qui n’ont pas été expressément allégués dans la présente instance, peu importe qu’ils existent ou non à
l’heure actuelle. Les défendeurs ont le droit de savoir ce qui leur est reproché. La
déclaration a été modifiée deux fois pour ajouter des droits d’auteur non allégués
dans la première déclaration. Ces modifications se sont révélées être justifiées en
ce sens que la preuve indique que les défendeurs violaient les droits d’auteur en
question. Il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin que l’article 39.1 de la Loi sur le
droit d’auteur le permet. À supposer, sans en décider, qu’il me soit possible
d’étendre la portée de l’injonction visant les défendeurs à des droits d’auteur non
allégués dans la nouvelle déclaration modifiée, ou même exposés au procès, et
qu’il me soit possible d’étendre la portée de l’injonction visant les défendeurs à
des droits d’auteur qui n’existent même pas à l’heure actuelle, je ne le ferais pas. »
83. Suivant une certaine jurisprudence québécoise, si le dispositif du jugement est
sujet à une interprétation qui dépende de documents ou de sources autres que le
jugement lui-même, il n’est pas susceptible d’être exécuté strictissimi juris par le
moyen de l’outrage au tribunal : voir par exemple Tele-Direct (Publications) inc. c.
Intra Canada Telecommunications Ltd., 13 C.P.R. (3d) 529 (C.S.Q. ; 1986-02-19),
le juge Hannan à la page 533, Association des fonctionnaires municipaux de la
Cité de Dorval c. Cité de Dorval, [1986] R.J.Q. 463 (C.S.Q. ; 1985-12-20), le juge
Hannan aux pages 465-466 et Beauchamp c. Centre d’accueil de Gatineau inc.,
J.E. 86-1153 (C.S.Q. ; 1986-11-06), le juge Frenette [conf. J.E. 94-1909 (C.A.Q. ;
1994-10-26)]. Contra : Phonographic Performance, Ltd. c. Amusement Caterers
(Peckham), Ltd., [1963] 3 All E.R. 493 (Ch.Div.), le commentaire infrapaginal du
juge Cross à la page 494.
Voir : Staver Company Inc. (The) c. Digitext Display Ltd., [1985] 11 F.S.R. 512
(Ch.Div. ; 1984-12-06), le juge Scott à la page 519 : « These difficulties arise out of
the form of the injunction. As I have said, the form of the injunction was not the
1162
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Dans le cas d’un manquement à une ordonnance d’injonction,
lorsqu’il subsiste un doute quant à la portée de celle-ci, ce doute
bénéficiera à l’intimé84.
3.6.2 Conditions d’émission
Le paragraphe 39.1(1) de la Loi fixe les conditions d’émission
d’une telle injonction élargie.
Celle-ci obéira d’abord aux principes généraux des recours en
injonction. De plus, le pouvoir de la cour d’émettre une telle injonction n’est pas limité au jugement final mais peut également s’exercer
au niveau interlocutoire ou provisoire ou encore sur une base quia
timet85.
subject of any debate or discussion on the original interlocutory hearing. Mr.
Thorley tells me that the form is one commonly used for interlocutory injunction
in breach of copyright cases. In my judgment, however, the form is not satisfactory. It is essential that a party who is subject to an interlocutory injunction
should know what he can and cannot do pending trial. An order which makes the
identification of what is permissible and what is prohibited depend on what happens at trial does not satisfy this requirement. »
• Columbia Picture Industrie c. Robinson, [1986] 12 F.S.R. 367 (ChDiv ; 1985-1219), le juge Scott, à la page 430 : « Mr. Bateson, however, has sought on the
plaintiffs’ behalf an injunction of a very great breadth. He has sought an
injunction restraining the defendants from knowingly infringing copyright in
any film for the time belonging to any of the plaintiffs (meaning any member of
the M.P.A.A. besides the named plaintiffs) or in respect of which any of them is
for the time being the exclusive licensee. [...] It would be impossible for the
defendants to know what films are covered by an injunction in that form. In my
judgment it would be wrong in principle to grant an injunction the scope of
which the defendants subject to it could not know and could not discover. Experience in this litigation has underlined the great difficulty that is often experienced in ascertaining in whom copyright or exclusive rights in a particular film
are for the time vested. »
84. CLICHE (Bernard) et al., « Injonction », dans Précis de procédure civile du Québec, 4e éd. (Cowansville : Blais, 2003), vol. 2, aux pages 517 et s. et l’abondante
jurisprudence citée sous les notes 330 et 340 ; voir aussi LUSSIER (Sylvain),
« L’outrage au tribunal : développements jurisprudentiels récents », dans Service
de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en
droit civil, vol. 93, (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 1993) p. 110-111.
85. Voir BMI Canada Ltd. c. Der, 28 C.P.R. (2d) 209 (C.F.P.I. ; 1976-04-28), le juge
Collier : « [19] A mon avis, au paragraphe 10, la demanderesse veut en fait obtenir
un redressement quia timet. Pour que ce soit prononcée une injonction portant
sur le genre de préjudice redouté ou dont on est menacé, j’estime qu’il faut exposer les faits pertinents, essentiels l [Fn3 Voir la Règle 408(1) « ... un exposé précis
des faits essentiels...], – des faits précis et convaincants – et non seulement des
allégations vagues et imprécises, comme on l’a fait en l’espèce. Même dans une
requête pour jugement par défaut, la Cour doit être en mesure de conclure,
d’après les faits essentiels, que le redressement demandé est justifié. [21] Dans
cette affaire, la Cour traitait des troubles de jouissance. À mon avis, le principe
Voies et recours civils non pécuniaires...
1163
Le redressement que permet cet article 39.1 est supplémentaire à l’injonction que prévoit déjà le paragraphe 34(1) de la Loi : « le
tribunal peut en outre interdire » / « the court may further enjoin ».
Le libellé de l’article 39.1 suggère qu’une telle injonction élargie
ne pourrait être émise que lorsque la cour aura émis une injonction à
l’égard de la violation du droit d’auteur dans une œuvre spécifique
qui « se trouve devant elle ». Il semblerait ainsi86 qu’une cour ne saurait, du moins en vertu de l’article 39.1, émettre une telle injonction
élargie si elle n’a au préalable – dans le même jugement – émis une
ordonnance d’injonction à l’égard d’une violation particulière.
Il incombe au demandeur, par prépondérance de preuve, de
convaincre la cour de la violation probable [et non simplement possible]87 de ses droits s’il veut que la cour émette une injonction pour
des activités autres que les contrefaçons prouvées88 : il devra s’agir
général posé par le juge Chitty s’applique également à d’autres types d’affaires.
[À la page 61 de l’arrêt Matthew c. Guardian Assurance Co., (1919) 58 R.C.S. 47,
le juge Anglin se référa à l’affaire Attorney-General c. Corporation of Manchester,
[1893] 2 Ch. D. 87 et l’approuva. Il s’agissait d’une demande d’injonction visant à
empêcher un agent d’assurance, en sa qualité d’avocat de la compagnie d’assurance-incendie, d’obtenir une licence en vertu de la législation pertinente de la
Colombie-Britannique. J’estime que la demanderesse en l’espèce n’a pas établi,
quant aux sujets mentionnés dans les plaidoiries, qu’il existait une forte probabilité que le préjudice appréhendé se produise effectivement. »
86. Du moins en vertu de l’article 39.1 : il serait, en effet, présomptueux de restreindre les pouvoirs de la cour au seul article 39.1 sans tenir compte des pouvoirs
inhérents d’une cour supérieure.
87. Voir ainsi
• Interbox Promotion Corp. c. 9012-4314 Québec inc. 34 C.P.R. (4th) 329 (C.F. ;
2003-10-27), le juge Martineau « [67] Par contre, la demanderesse n’a pas
démontré à la satisfaction de la Cour que ces dernières [les défendresses] violeront vraisemblablement le droit d’auteur que la demanderesse peut avoir sur
d’autres émissions. Conséquemment, aucune interdiction générale à cet égard
n’est nécessaire. »
• Football League, Ltd. c. Littlewoods Pools, Ltd., [1959] Ch. 637 (Ch.D.) la cour a
émis l’injonction en regard des compilations qui avaient été violées mais a
refusé d’émettre semblable injonction pour les compilations qui seraient faites
l’année suivante, estimant peu probable que le défendeur viole à nouveau les
droits du demandeur ; Au même effet, Bishop c. Stevens, (1984), 4 C.P.R. (3d)
349 (C.F.P.I. ; 1985-04-15), le juge Strayer aux pages 366-367 [inf. en partie sur
un autre point 18 C.P.R. (3d) 257 (C.A.F. ; 1987-11-05) ; conf. (1990), 31 C.P.R.
(3d) 394 (C.S.C. ; 1990-08-16) et FOX (Harold G.), The Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 2e éd., (Toronto : Carswell, 1967), p. 461.
88. Voir ainsi Video Arts Ltd. c. Paget Industries Ltd., [1988] 14 F.S.R. 501 (Ch.Div. ;
1986-12-02), le juge Knox à la page 503 : « In my judgment the question comes
essentially down to whether there is sufficient evidence of prospective probable
infringement to warrant the court making an order in wider terms than the
actual proved activities of the defendant ».
1164
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’une preuve de faits réels et non fondée sur de simples hypothèses,
allégués ou présomptions générales.
Au titre des éléments dont pourrait ainsi tenir compte une cour,
seraient
• le camouflage d’activités passées,
• la nature du commerce ou des droits visés,
• le mépris du demandeur ou des droits qu’il représente,
• le je m’en foutisme quant au système judiciaire,
• l’insouciance quant à l’obéissance à des ordonnances antérieures,
• un scénario habituel ou système de contrefaçon89,
• le comportement même du défendeur.
Il s’agit là, assurément, de circonstances non exhaustives dont
le poids variera suivant les circonstances, l’habileté des plaideurs ou
la perception de la cour.
3.6.3 Portée
Le paragraphe 39.1(2) de la Loi prévoit qu’une injonction élargie peut viser une œuvre ou autre objet du droit d’auteur :
• à l’égard desquels le demandeur est titulaire du droit d’auteur90 ;
• à l’égard desquels le demandeur est la personne à qui un intérêt
par licence a été concédé91 ;
89. Par exemple T.M. Hall & Co c. Whittington & Co., 18 V.L.R. 525 (C.S. Vict. ;
1892-07-19), le juge Holroyd : « When a right that has been, and is being acquired
form day to day or from week to week has been persistently violated in the past as
soon as acquired, and in all likelihood will continue to be so violated in the future,
is the court so powerless that it cannot by anticipation prohibit this manifest
wrong ? In cases of this kind to restrain a repetition of the illicit copying of what
has been copied is futile. The same dish is never served a second time. Injustice in
restraining the illicit copying, which may otherwise be reasonably expected hereafter, there is none ».
90. Art. 13 L.D.A.
91. Art. 36 et 13 L.D.A.
Voies et recours civils non pécuniaires...
1165
• à l’égard desquels le demandeur n’était pas, au moment de l’institution des procédures, le titulaire du droit d’auteur ;
• à l’égard desquels le demandeur n’était pas, au moment de l’institution des procédures, la personne à qui un intérêt par licence
avait été concédé ;
• qui n’existait pas au moment de l’institution des procédures92.
On l’aura compris, ce paragraphe est taillé sur mesure pour les
sociétés de gestion collective dont les répertoires varient constamment. De même que pour les serial infringers !
Il devrait également mettre fin à certains des problèmes résultant des contrats de production visant des œuvres futures93.
En tout état de cause, il permettrait à une société de gestion collective, sans chaîne de titres, de demander et d’obtenir une injonction pour une œuvre qui n’existerait même pas au moment de
l’émission de l’injonction94. On comprendra qu’un tel redressement,
mal balisé, puisse donner lieu à des abus.
La faculté pour la cour d’émettre une injonction élargie ne
résout pas tous les problèmes. En effet, l’émission d’une injonction n’aura généralement d’intérêt pour un demandeur que dans la
mesure où il peut en faire assurer le respect par le biais de l’outrage
au tribunal. Or, celui-ci demande la preuve hors du doute raisonnable de la désobéissance à l’injonction et, partant, de la connaissance de sa portée. Les répertoires des sociétés de gestion collective
ont beau être accessibles95 il n’en demeure pas moins que c’est beaucoup demander à un défendeur d’avoir à déterminer si, en chaque
92. Setana Sport Ltd. c. 2049630 Ontario inc., 2007 FC 899 (C.F. ; 2007-09-11), le
juge Hughes : « [6] [...] Paragraph 39.1(2)(b) permits the Court, in its discretion to
extend an injunction otherwise made in respect of subsisting copyright in works
to work not yet in existence but, again, the likelihood of future existence and
authorship must be put in evidence. »
93. Voir, par exemple, DE KINDER (Vivianne), « Licence implicite et promesse sans
cession – problèmes de droit d’auteur en matière de commande d’œuvres protégées, d’option et d’engagement à céder » (1993), 6 :1 Cahiers de propriété intellectuelle 67.
94. KNOPF (Howard P.), « Remedies Under Bill C-32 : Power to the Plaintiffs », dans
The New Copyright Act – Managing the Impact, (Toronto : Insight, 1997), à la
page 306.
95. L’article 67 L.D.A. impose maintenant aux sociétés de gestion chargées de certains droits d’exécution et de communication de répondre aux demandes de renseignements raisonnables du public concernant leur répertoire. L’article 70.11
soumet à semblable obligation la gestion collective relative aux droits visés aux
articles 3, 15, 18 et 21 L.D.A.
1166
Les Cahiers de propriété intellectuelle
cas, une œuvre donnée est ou non couverte par un tel répertoire ou
l’injonction même96.
Le problème a été justement posé dans les termes suivants :
« The issue, will be the enforcement of such an order. Must a plaintiff
give notice when it acquires ownership in new works ? Will the Court
be more lenient on a defendant in contempt proceedings involving
the «expanded» order ? »97.
L’émission d’une telle ordonnance d’injonction élargie demeure
donc, elle aussi, discrétionnaire.
4. DÉCLARATION98
Une déclaration de propriété ou de contrefaçon99 peut également faire l’objet de conclusions accessoires dans la procédure100
ou même d’un recours distinct et indépendant.
96.
97.
98.
99.
100.
« The critical question is whether the defendant will be in a position to know
what he can and what he cannot do. » : GARNETT (Kevin) et al., Copinger and
Skone- James on Copyright, 16e éd., (London : ThomsonReuters, 2011), au
§ 21-173.
HUGHES (Roger T.), « Enforcement of Rights and Remedies Under the New
Copyright Act (Bill C-32) », dans The New Copyright Act – Managing the Impact
(Toronto : Insight, 1997), à la page 290. Une approche prudente pourrait être, en
l’absence de preuve de connaissance de la portée de l’injonction, celle préconisée
par le juge Scott dans l’affaire Columbia Picture Industries c. Robinson, [1986]
12 F.S.R. 367 (Ch.Div. ; 1985-12-19), le juge Scott, à la page 431 : « I am prepared
to grant an injunction protecting the copyright or the exclusive rights of any of
the present plaintiffs in the films in respect of which their respective titles have
been established in this action. I am not prepared to extend this protection to
companies who are not plaintiffs, that is to say to future M.P.A.A. members. Nor I
am prepared to extend the protection to cover other films. I am, however, willing
to give the present plaintiffs or any of them liberty to apply from time to time on
notice to the defendants to extend the injunction to other films. In order to obtain
that extension, I contemplate that the applicant would have to satisfy the court
that it had copyright or exclusive rights in the film or films in question ; second,
either that it had applied to the defendants for suitable undertakings which had
not been given, or that for some reasons undertakings by the defendants were
not sufficient. The costs of any such application would of course depend on the
circumstances of that application. The procedure I have suggested will, I hope,
ensure that the plaintiffs will obtain proper protection whilst the defendants will
not be subjected to injunction the scope of which they cannot possibly discover. »
On pourra bien dire que cela va à l’encontre de l’objectif de l’article 39.1 : il faut
cependant tenir compte de la prévention qu’ont généralement démontré les
cours quand vient le temps de condamner pour outrage.
Ben oui, j’ai sauté les développements dans les ordonnances Anton Piller et la
variante Rolling contre Monsieur Untel et Jane Doe ; je n’ai pas parlé non plus
des ordonnances Mareva et des ordonnances Norwich !
Ou de non contrefaçon ou de subsistance du droit d’auteur dans une œuvre ou
autre objet du droit d’auteur.
Voir, par exemple,
Voies et recours civils non pécuniaires...
1167
Le déclaratoire, comme demande principale ou conclusion accessoire n’est pas spécifiquement prévu à la Loi sur le droit d’auteur
mais on peut y trouver assise aux paragraphes 34(1) et 34(2) L.D.A.
dont la version anglaise se lit « ... the owner is entitled to all remedies
by way of...injunction, damages, accounts, delivery up and otherwise
that are or may be conferred by law for the infringement of a right ».
Le « ou autrement » de la version française ayant été remplacé par un
« notamment » en 1997101.
Dès lors, le déclaratoire pourra porter tant sur les droits économiques que les droits moraux102.
Le pouvoir de rendre des jugements déclaratoires relève de la
juridiction inhérente des cours supérieures103.
101.
102.
103.
• Lifestyle Homes Ltd. c. Randall Homes Ltd., 30 C.P.R. (3d) 76 (B.R.Man. ;
1990-03-16), le juge Hirschfield à la page 96 [conf. 34 C.P.R. (3d) 505 (C.A.
Man. ; 1991-01-04)] :« [101] 1. The plaintiffs’ designs in issue are not original
or unique or distinctive or artistic works and, therefore, did not attract nor
are they protected by copyright. » ;
• Tedesco c. Bosa, 45 C.P.R. (3d) 82 (C. Ont.-div. gén. ; 1992-09-29), le juge Jarvis [Action for a declaration as to ownership of the copyright and manuscript
in respect of the literary work in a book ; declaration granted, damages fixed
at $10,000.]
• 91439 Canada Ltée c. Éditions JCL Inc., 41 C.P.R. (3d) 245 (C.F. ; 1992-0124), le juge Denault [mod. 58 C.P.R. (3d) 38 (C.A.F. : 1994-09-23)] : « [21]
Compte tenu des circonstances particulières du présent cas, je considère donc
approprié d’accorder à la demanderesse les redressements suivants : A. Un
jugement déclaratoire inter partes à l’effet que les œuvres littéraires Un Jour
La Jument Va Parler ... et J’espère Au Moins Qu’y Va Faire Beau ! sont des
œuvres protégées et que la demanderesse en est la seule propriétaire, et aussi
à l’effet que la défenderesse JCL a violé les droits d’auteur de la demanderesse dans lesdites œuvres. ».
L.C. 1997, ch. 24, art. 20(1).
Voir :
• Ghanotakis c. Expertises didactiques Lyons inc. 2004 CanLII 35492 (C.S.Q. ;
2004-10-01), le juge Lévesque : « [19] Ces droit moraux peuvent être sanctionnés par un jugement déclaratoire ». [Parenthèse statistique 52 résultats sur
CanLII pour Georges Ghanotakis comme partie.]
• Fabrikant c. Swamy, 2011 QCCS 1385 (C.S.Q. ; 2011-03-25), le juge Rolland
où il était demandé : « DECLARE the Defendants T.S. Sankar, M.N.S.
Swamy, S.V. Hoa and G.D. Xistris have made no scientific contribution to the
Plainfiff’s publication ; ORDER T.S. Sankar, M.N.S. Swamy, S.V. Hoa and
G.D. Xistris to write letters of retraction to the editors of relevant Journals,
stating that they should not be considered co-authors of respective publications. » [Parenthèse statistique 88 résultats sur CanLII pour Valery I. Fabrikant comme partie.]
Voir la règle 64 R.C.F. et les articles 453 et s. C.p.c. Récemment :
CKF Inc. c. Huhtamaki Americas Inc., 2009 NSSC 21 (N.S.S.C. ; 2009-01-21), le
juge Edwards : « [37] In addition to the inherent jurisdiction of this Court, the
1168
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Il n’est pas nécessaire de se demander si la demande est préventive ou curative104 ou de trouver un dommage ou une violation
pour obtenir un jugement déclaratoire105.
104.
105.
case law confirms that declaratory relief is specifically available in the context of
intellectual property disputes. »
• Astral Media Radio Inc. c Society of Composers, Authors & Music Publishers
of Canada, [2009] 3 R.C.F. 415 (F.C. ; 2008-10-24), le juge Zinn [infirmé sur
d’autres motifs 80 C.P.R. (4th) 358, (C.A.F. ; 2010-01-18)] : « [28] Bien que la
Cour d’appel fédérale ait compétence exclusive quant au contrôle judiciaire
d’une ordonnance ou d’une décision de la Commission du droit d’auteur, ce
n’est pas là le fondement de la présente instance. Il s’agit plutôt en l’espèce
d’une action visant l’obtention d’un jugement déclaratoire. Or la règle 64 des
Règles des Cours fédérales prévoit bien expressément que, si à l’égard d’une
question la Cour a par ailleurs compétence, il ne peut être fait opposition à
celle-ci au motif que l’obtention d’un jugement déclaratoire est la seule réparation demandée. [29] Il est clair, à mon avis, que la Cour a bel et bien compétence relativement à l’objet de la présente demande, le fondement en étant
prévu comme suit à l’article 37 [mod. par L.C. 1997, ch. 24, art. 20] de la Loi
sur le droit d’auteur »
• Research in Motion Ltd. c. Atari Inc., 61 C.P.R. (4th) (C.S. Ont. ; 2007-08-16),
le juge Spiegel : [permission d’en appeler refusée 2007 CarswellOnt 7087
(C.S. Ont.-Div. ; 2007-11-02) « [3] [...] RIM claims a declaration that the
copying, distribution, sales and communication to the public of RIM’s BrickBreaker game do not infringe any copyright that the defendants Atari may
have in the games Breakout and Super Breakout (hereinafter collectively
referred to as « Breakout ») under the laws of Canada or the United States.
RIM also claims a declaration that the audio visual displays of Breakout do
not constitute work protected by copyright under Canadian law and a declaration that Atari has no right to title or interest to Breakout under either the
laws of Canada or the United States. ».
• La juridiction de la Cour fédérale, cour statutaire, pour se saisir d’une action
en déclaration de NON contrefaçon de droits d’auteur est soulevée dans les
termes suivants : « By extension, the Federal Court, lacking inherent jurisdiction, would likely not have jurisdiction to grant such remedy [i.e. declaration of non-infringement] » BLOOM (Glen A.) et al., Copyright, in DIMOCK
(Ronald E.) Ed., Intellectual Property Disputes – Resolutions and Remedies,
(Toronto : Thomson-Carswell, 2002), au §3.4(a)(e).
Duquet c. Ville de Ste-Agathe, [1977] 2 R.C.S. 1132 (C.S.C. ; 1976-10-05), le juge
Pigeon à la page 1139.
Royal Doulton Tableware Limited c. Cassidy’s Ltd., [1986] 1 C.F. 357 (C.F.P.I. ;
1984-06-29), le juge Strayer ; « [31] J’admets qu’il n’y a aucune preuve de violation du droit d’auteur relativement au motif floral. On ne signale aucune tentative de reproduction de ce motif, soit par Cassidy’s elle-même, soit par d’autres
personnes engagées par Cassidy’s pour le faire. Elle n’a jamais vendu de marchandises portant ce motif qui n’auraient pas été fabriquées par Paragon. Par
conséquent, il n’y a pas eu de violation de droit d’auteur même s’il y a, de toute
évidence, une contestation, comme le prouvent les présentes pro cédures, quant
à la personne titulaire de ce droit. Le motif pour lequel j’ai conclu ci-dessus, relativement aux marques de commerce, que cette Cour peut faire une déclaration
prévue par l’article 20 de la Loi sur la Cour fédérale, me permet également de conclure que je peux faire une déclaration dans le présent cas. Cette déclaration est
un redressement cherché « en vertu d’une ... règle de droit relativement à ...
Voies et recours civils non pécuniaires...
1169
Il faut un intérêt à faire déterminer, pour la solution d’une difficulté106 ou d’un différend réel, de l’état d’une partie107, de droits ou
d’obligations résultant, entre autres, d’une loi, d’un règlement108 ou
d’un contrat109.
106.
107.
108.
109.
un droit d’auteur [...] » La Loi sur le droit d’auteur établit un ensemble complet
de règles à l’égard des droits de propriété relatifs au droit d’auteur et cette Cour
peut déclarer le droit qu’ont certaines personnes à certains droits conformément
à ces règles. En outre, la compétence qui est accordée au Parlement par la
rubrique 23 de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 relativement au
« droit d’auteur » est générale et sous-tend certainement l’ensemble complet de
règles que prescrit la Loi sur le droit d’auteur. [32] Par conséquent, je déclare que
le premier et l’actuel titulaire du droit d’auteur dans le dessin de fleurs Victoriana Rose est Paragon China Limited. Toutefois, comme il n’y a aucune preuve
que la défenderesse a reproduit ce motif, a l’intention de le reproduire, de faire
en sorte qu’il y soit reproduit ou de vendre des reproductions de celui-ci autres
que la marchandise fournie par Paragon China Limited, et comme il n’y a pas de
preuve non plus que la défenderesse a affirmé publiquement qu’elle était titulaire de ce droit d’auteur, il apparaît que rien ne justifie d’exercer ma discrétion
judiciaire dans le sens des injonctions demandées. ». Voir aussi Kane c. Hooper,
68 C.P.R. (3d) 267 (C.F. ; 1996-05-15), le protonotaire Hargrave au paragraphe
15 et Research in Motion Ltd. c. Atari Inc., 61 C.P.R. (4th) (C.S. Ont. ;
2007-08-16), le juge Spiegel aux paragraphes 27-28 [permission d’en appeler
refusée 2007 CarswellOnt 7087 (C.S. Ont.-Div. ; 2007-11-02)].
Astral Media Radio Inc. c. Society of Composers, Authors & Music Publishers of
Canada, [2009] 3 R.C.F. 415 (FC ; 2008-10-24), le juge Zinn [infirmé pour
d’autres motifs 80 C.P.R. (4th) 358, (C.A.F. ; 2010-01-18)] : « [35] Bien que que les
jugements déclaratoires visant des dispositions législatives aient habituellement trait à leur validité, les cours peuvent, sur demande d’une partie intéressée, rendre des jugements déclaratoires qui portent sur leur interprétation. »
Daviault c. Québec (Sous-ministre du Revenu), 2008 QCCS 3348, (C.S.Q. ;
2008-07-17), le juge Blondin : « [8] DECLARES Plaintiff owner and beneficiary
of the Copyright, title and interest and all fruits thereof, of the Musical composition created by Alain Regaudie and titled Trilogie Metallique – Guitare electrique et orchestrae »
Par exemple, dans Astral Media Radio inc. c. Society of Composers, Authors &
Music Publishers of Canada, [2009] 3 R.C.F. 415 (F.C. ; 2008-10-24), le juge
Zinn ; inf. (sub nom. Neighbouring Rights Collective of Canada c. Astral Media
Radio Inc., 80 C.P.R. (4th) 358, (C.A.F. ; 2010-01-18), le juge Evans, la question
en litige portait sur Règlement sur la définition de recettes publicitaires (DORS/
98- 447), adopté en vertu du paragraphe 68(1) L.D.A. et visait à savoir si une station de radio qui à la fois produit et diffuse une annonce publicitaire pour un
client dans le cadre d’un contrat clés en mains peut exclure la valeur des services
de production qu’elle a fournis du calcul de ses recettes publicitaires.
Diffusion YFB Inc. c. Disques Gamma (Québec) inc., J.E. 99-1139 (C.S.Q. ;
1999-05-12.), le juge Gomery : « Il s’agit d’une requête pour jugement déclaratoire. La partie requérante demande que le Tribunal statue sur les droits
d’auteur détenus respectivement par les parties résultant de la signature, le
22 août 1996, d’un contrat de transaction, suivi par la faillite de l’artiste
concerné, M. Éric Lapointe. La requête est contestée par l’intimée qui produit au
dossier, par voie de demande reconventionnelle, sa propre demande pour jugement déclaratoire en relation aux mêmes sujets. DÉCLARE que l’intimée Les
Disques Gamma (Québec) Ltée est co-titulaire des droits d’auteur dans les
œuvres reproduites sur le phonogramme «Invitez les Vautours» selon la grille de
1170
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• ne sera pas rendu si de peu ou pas d’utilité ;
• ne doit pas porter sur des questions hypothétiques110, académiques, abstraites ou obsolètes ;
• ne doit pas soulever qu’une question de principe et ne résolvant
pas une difficulté réelle (ou à obtenir avis juridique).
L’action déclaratoire111 se caractérise par l’absence de toute
demande de mesure coercitive et sans sanction exécutoire.
Et une demande de jugement déclaratoire ne doit pas court-circuiter le processus judiciaire normal112 et n’est pas un raccourci pour
obtenir paiement des sommes qui pourraient être dues en vertu d’un
110.
111.
112.
répartition établie dans les projets d’ententes de co-édition produits sous le cote
I-10, le tout selon les termes et conditions établis dans le contrat de transaction
signé le 26 août 1996 ; DÉCLARE que l’intimée Les Disques Gamma (Québec)
Ltée est co-titulaire des droits d’auteur dans les œuvres intitulées « Les Boys »,
« Rocket » et « Alléluia », selon la grille de répartition produite sous la cote I-26B,
le tout selon les termes et conditions établis dans le contrat de transaction signé
le 26 août 1996. ». Voir aussi GARNETT (Kevin) et al., Copinger and SkoneJames on Copyright, 16e éd. (London : ThomsonReuters, 2011), au § 21-167 :
« For example, a declaration may be granted that a publishing agreement is at
an end, so facilitating an author in his efforts to sell his work elsewhere. It is
important that the declaration in question should not affect the rights of anyone
other than the defendants or the persons claiming through them. » referent à
Patten c. Burke Publishing Company Ltd., [1991] 18 F.S.R. 483 (Ch.Div. ; 199103-07), le juge Millet à la page 486.
Moorhouse c. University of New South Wales, [1976] R.P.C. 151 (H.C. Aust. ;
1975-08-01), le juge Jacobs aux pages 166-167 : « A declaration of right based on
facts found in the particular case can certainly be made but it is not permissible
to make a declaration of right which amounts to a conclusion of fact from a hypothetical or assumed state of facts and thereby to enunciate or declare a rule of
apparently general application as thought it were a declaration of applicable
law. A declaration of right based on hypothetical or assumed facts may be made
when the assumed facts can be certainly and exhaustively stated and when the
conclusion flowing therefrom is truly a conclusion of law but not when it is itself
a conclusion of fact. »
Comme recours autonome.
Cela est particulièrement vrai dans le cas d’une demande déclaratoire de NON
contrefaçon : Wyko Group Plc c. Cooper Roller Bearings Co. Ltd., [1996] 23 F.S.R.
126 (Ch.Div. ; 1995-11-17, le juge Ferris à la page137 mais abrégeons en ne
citant que la note de l’arrêtiste : « Declaratory relief cannot be obtained against a
person who has not asserted any right. A party should be allowed to commence
his own proceedings at a time and manner of his own choosing and should not be
brought in court by the opposing party to resist a claim for a declaration of
non-liability. ». D’où la mise en perspective des lettres de mise en demeure qui
peuvent servir d’assise à de telles demandes préemptives...
Voies et recours civils non pécuniaires...
1171
tarif. Il faudra établir la créance et ensuite exécuter pour sa perception113.
Le jugement déclaratoire, par action ou mesure accessoire,
relève, faut-il le rappeler, de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire114.
La cour n’est pas liée par la formulation de la conclusion
recherchée115 et un intimé peut se porter demandeur reconventionnel avec sa propre demande déclaratoire116.
113.
114.
115.
116.
Dans Société canadienne de perception de la copie privée c. Gogh Wholesale Inc.,
54 C.P.R. (4th) 414 (C.F. ; 2006-11-26), la juge McTavish aux paragraphes 20-21,
la SCPCP demandait, entre autres, une ordonnance déclarant qu’elle avait droit
à toutes les sommes dont il pourrait être établi qu’elles lui soient dues par Gogh
dans le cadre de la vérification, y compris les coûts de la vérification, si les conditions prévues dans les Tarifs étaient réunies : déclaratoire refusé comme prématuré avant que la vérification ne soit faite et les comptes établis. Voir aussi
Société canadienne de perception de la copie privée c. Fuzion Technology Corp.,
52 C.P.R. (4th) 168 (C.F. ; 2006-10-25), le juge von Finkelstein, au paragraphe 41.
Dellareed Ltd. c. Delkim Developments, [1988] 14 F.S.R. 329 (Ch.Div. ; 1987-1127), le juge Falconer à la page 123 : « If the matter was left simply to that of copyright, the granting of a declaration being a discretionary matter, I would not be
prepared to grant the declaration simply restricted to infringement of copyright
because of the breach of undertaking. »
Dans Astral Media Radio inc. c. Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada, [2009] 3 R.C.F. 415 (FC ; 2008-10-24), le juge Zinn ; [inf. (sub
nom. Neighbouring Rights Collective of Canada c. Astral Media Radio Inc., 80
C.P.R. (4th) 358, (C.A.F. ; 2010-01-18), le juge Evans]
• il était demandé : « [1] un jugement déclaratoire portant que le Règlement sur
la définition de recettes publicitaires, DORS/98-447, autorise les radiodiffuseurs à déduire la juste valeur marchande de tous les services de production
fournis aux annonceurs des recettes publicitaires auxquelles ces services
sont liés et en fonction desquelles des redevances sont payables en vertu du
Tarif de la SCGDV pour la radio commerciale pour les années 1998-2002 et du
Tarif SOCAN-SCGDV pour la radio commerciale 2003-2007 »
• et il a été obtenu, en appel : « [41] Pour ces motifs, je ferais droit à l’appel, j’annulerais l’ordonnance du juge des requêtes, et je prononcerais le jugement
déclaratoire suivant. Le Règlement sur la définition de recettes publicitaires,
DORS/98-447, autorise les radiodiffuseurs à exclure des « recettes publicitaires » à l’égard desquelles ils doivent payer des redevances en vertu du Tarif de
la SCGDV pour la radio commerciale pour les années 1998-2002 et du Tarif
SOCAN-SCGDV pour la radio commerciale 2003-2007 toutes les recettes
qu’ils tirent de la production d’annonces publicitaires. Cependant, le simple
fait que des radiodiffuseurs engagent des frais pour produire des annonces
publicitaires dans le cadre de contrats clés en mains ou que leurs services
aient une valeur pour des annonceurs ne prouve pas que les radiodiffuseurs
touchent des recettes de production qui doivent être exclues des « recettes
publicitaires ».
Diffusion YFB inc. c. Disques Gamma (Québec) inc., J.E. 99-1139 (C.S.Q. ;
1999-05-12.), le juge Gomery.
1172
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La survenance de problèmes accessoires, y compris celle de litiges éventuels, ne remet pas en question la réponse apportée par le
jugement déclaratoire117 et ne fait pas obstacle à la demande.
La Cour s’en tiendra à la preuve qui aura été faite devant elle,
même par défaut118, et de ce qui aura été plaidé119, sans aller plus
loin que nécessaire120.
117.
118.
119.
120.
Société du droit de reproduction des auteurs compositeurs et éditeurs du Canada
inc. c. Société Radio-Canada, 14 C.P.R. (3d) 102 (C.S.Q. ; 1986-12-11), le juge
Marquis, à la page 109.
Patten c. Burke Publishing Company Ltd., [1991] 18 F.S.R. 483 (Ch.Div. ;
1991-03-07), le juge Millet à la page 485.
CCH Canadienne ltée c. Le Barreau du Haut-Canada, 2 C.P.R. (4th) 129 (C.F. ;
1999-11-09), le juge Gibson aux paragraphes 196-198 [inf. 18 C.P.R. (4th) 161
(C.A.F. ; 2002-05-14) ; inf. 30 C.P.R. (4th) 1 (C.S.C. ; 2004-03-04)] : « [196] A
declaration will issue that the defendant has infringed copyright of the plaintiff
Carswell Thomson Professional Publishing in the textbook Economic Negligence by making a photocopy of a substantial portion of that textbook and by distributing the copy by hand, mail or courier. A similar declaration will issue that
the defendant has infringed copyright of Canada Law Book Inc. in the monograph entitled «Dental Evidence» published as chapter 13 in the textbook Forensic Evidence in Canada, by making a photocopy thereof and by distributing the
copy by facsimile, mail or courier. [197] The plaintiffs further claim a declaration
that the defendant, in carrying out its custom photocopy service, infringes the
plaintiffs’ copyright by : (a) making a photocopy ; (b)making a copy for storage in
the memory of a facsimile machine ; (c) transmitting a copy using a facsimile
machine ; (d) distributing a copy by hand, courier or facsimile machine ; or(e) selling a copy, of reported judicial decisions, headnotes in reported judicial decisions, annotated statutes, case summaries, topical indexes and textbooks in
which the copyright is owned by any one of the Plaintiffs. [198] No declaration
will issue in accordance with this claim for relief. I simply am not satisfied
that the evidence before me justifies a generalized declaration of the nature
contemplated in this claim. »
CCH Canadienne ltée c. Le Barreau du Haut-Canada, 2 C.P.R. (4th) 129 (C.F. ;
1999-11-09), le juge Gibson aux paragraphes 201-202 [inf. 18 C.P.R. (4th) 161
(C.A.F. ; 2002-05-14) ; inf. 30 C.P.R. (4th) 1 (C.S.C. ; 2004-03-04)] : [201] By counterclaim, the defendant seeks a sweeping declaration finding its conduct that
has been under review in these actions to be in accordance with law, condemning
the actions of the plaintiffs leading up to the commencement of these actions and
in the conduct of these actions, and finding that the plaintiffs have afforded the
defendant a broad implied licence and essentially restraining the plaintiffs from
ever again asserting a monopoly, in copyright or otherwise «to control access to
or use of primary or secondary sources of law or any editorial additions which the
Plaintiff[s] may include with them». [202] The declaration sought by the defendant is a paradigm of overreaching, particularly in the light of the “library
exception” to the Copyright Act adopted by Parliament, only recently in force,
and not argued in any substantive way before this Court. No declaration will
issue in favour of the defendant. »
Voies et recours civils non pécuniaires...
1173
5. RECOUVREMENT DE POSSESSION
Le paragraphe 38(1) permet au titulaire du droit d’auteur
de revendiquer la possession, à titre de propriétaire121, des exemplaires contrefaits d’une œuvre ou de tout objet du droit d’auteur122.
Ce droit de revendiquer le bien objet du droit d’auteur, résulte
d’une fiction légale du droit de propriété créé par l’article 38(1) :
« Comme s’il en était propriétaire ».123
Il s’agit de l’enchâssement dans la Loi sur le droit d’auteur du
recours en « detinue » que connaît la common law124.
Bref, le propriétaire du droit d’auteur peut être déclaré propriétaire des objets contrefacteurs125 et en disposer à sa guise126. Ce
recours, il importe de le noter,
121.
122.
123.
124.
125.
126.
R. c. James Lorimer and Company Limited, 77 C.P.R. (2d) 262 (C.A.F. ;
1984-01-05), le juge Mahoney à la page 268
Et de toutes les planches, tel que ce terme est nouvellement défini à l’article 2
L.D.A., qui ont servi à la confection de ces exemplaires. On pourra déplorer, en
passant, l’absence d’uniformité terminologique du législateur en regard des
planches contrefactrices : paragraphe 42(3) « des planches ayant servi principalement à la fabrication d’exemplaires contrefaits », alinéa 42(2)a) « planche
conçue ou adaptée précisément pour la contrefaçon », paragraphe 38(1) « planches qui ont servi ou sont destinées à servir à la confection », paragraphe 27(4)
« une planche conçue ou adaptée précisément pour la contrefaçon ».
Disques distribution Domino inc. (Faillite), Re, 2003 CanLII 21255 (C.S.Q. ;
2003-01-06), le registraire Flamand, au paragraphe 25. Voir aussi Gestion
Radisson Design inc. c. Structure marine Amarco inc., 2007 QCCS 243 (C.S.Q. ;
2007-01-23), la juge Laberge : « [32] Il suffit pour l’instant qu’il y ait allégation de
l’existence d’un droit d’auteur en faveur de la demanderesse et contestation de ce
droit par les défendeurs pour que naisse la présomption de l’art. 34.1 et que
s’ouvre par conséquent le remède de l’article 38(1). »
Avec les amendements de 1997, le recours en « conversion », [et non en « conversation » qui figure maintenant dans mon perlier de rédacteur en chef des Cahiers
de propriété intellectuelle] savoir recouvrer la valeur de l’objet contrefacteur
n’est plus permis. Le paragraphe 38(5) se lit : « La présente loi n’a pas pour effet
de permettre au titulaire du droit d’auteur de recouvrer des dommages-intérêts
en ce qui touche la possession des exemplaires ou des planches visés au paragraphe (1) ou l’usurpation du droit de propriété sur ceux-ci. » Parenthèse historique, la loi sur le droit d’auteur du Maryland, dès 1783, prévoyait une remise
des copies contrefactrices au profit du titulaire du droit ; idem pour l’Acte pour
protéger la propriété littéraire (Bas-Canada, 1832).
Encore faudra-t-il qu’il s’agisse de contrefaçon, tel que défini à l’article 2 L.D.A.,
c’est-à-dire, entre autres, « à l’égard d’une œuvre sur laquelle existe un droit
d’auteur, toute reproduction, y compris l’imitation déguisée qui a été faite contrairement à la présente loi... » Voir Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain, 1999 CarswellQue 3176 (C.S.Q.) ; inf. 9 C.P.R. (4th) 259 (C.A.Q. ;
2000-02-22) ; inf. 17 C.P.R. (4th) 161 (C.S.C. ; 2002-03-28).
Sous réserve du tempérament qu’apporte le paragraphe 38(2) L.D.A.
1174
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• est cumulatif (et non alternatif) à l’octroi de dommages127 ;
• peut également s’exercer indépendamment de quelque conclusion128 en dommages129 ;
• s’exerce indépendamment de quelque élément de connaissance de
la part du contrefacteur130 ;
• ne s’applique pas aux œuvres architecturales131 ;
• ne relève pas le titulaire de prouver contrefaçon 132.
Ainsi, dans le cas du recouvrement de possession, le titulaire du
droit d’auteur pourra, sans indemnité aucune, en sus des dommages
et profits qui auraient pu lui être autrement octroyés, réclamer la
possession physique133, à titre de propriétaire, des exemplaires contrefacteurs ou des planches ayant servi ou étant destinées à servir à
la confection de ceux-ci134.
127.
128.
129.
130.
131.
132.
133.
134.
Sutherland Publishing Company, Limited c. Caxton Publishing Company,
Limited, [1938] 4 All E.R. 389 (H.L.), le juge Porter aux pages 404-40 ; Pro Arts,
inc. c. Campus Crafts Holdings, 50 C.P.R. (2d) 230 (H.C. Ont. ; 1980-03-27), le
juge Labrosse à la page 249.
Et non « contusion » en dommages que me donne le correcteur de texte qui a
peine à contextualiser !
Voir, par exemple, Cartes-en-ciel inc. c. Boutique Elfe inc., [1991] R.J.Q. 1775
(C.prov. Q. ; 1991-02-22) où la réclamation en dommages-intérêts devant la
Cour provinciale [dossier 500-02-031798-908] avait été précédée d’une saisie
avant jugement en revendication devant la Cour supérieure [dossier no 500-05006861-890].
Voir, par exemple 91439 Canada ltée c. Éditions JCL inc., 41 C.P.R. (3d) 245
(C.F. ; 1992-01-24), le juge Pinard [mod. 58 C.P.R. (3d) 38 (C.A.F. ; 1994-09-13].
Par. 40(2) L.D.A.
C’est-à-dire la reproduction d’une partie substantielle de son œuvre et ce, sans
rapport à l’importance de cette reproduction comme partie de l’œuvre contrefactrice.
Icotop inc. c. Ferrand, [2005] R.J.Q. 2376 (C.S.Q. ; 2005-08-12), le juge Larouche : « [180] DÉCLARE conformément à l’article 38 de la Loi sur le droit d’auteur,
L.R.C. (1985), ch. C-42, la demanderesse propriétaire de tous originaux, épreuves, copies et exemplaires du livre intitulé « Papa, à quoi sers-tu ? » et par conséquent, AUTORISE la demanderesse à détruire tous et chacun des originaux,
épreuves, copies et exemplaires dudit livre ; ».
Voir, par exemple, Les dictionnaires Robert Canada scc c. Librairie du Nomade
inc., 16 C.P.R. (3d) 319 (C.F.P.I. ; 1987-01-05), le juge Denault à la page 399
[appel rejeté 37 FTR 240n (C.A.F. ; 1990-09-26)] et Mackintosh Computers Ltd.
c. Apple Computer Inc., [1988] 1 CF 673 (C.A.F. ;1987-10-13) le juge Hugessen
aux pages 694-695 [conf. 30 C.P.R. (3d) 257 (C.S.C. ; 1990-06-21).
Voies et recours civils non pécuniaires...
1175
Parce qu’elle vise les exemplaires contrefaits, cette disposition
ne s’applique qu’en cas de violation des droits d’auteurs mais non des
droits moraux135.
La revendication s’exerce uniquement sur le support de la contrefaçon136, c’est-à-dire la contrefaçon elle-même 137.
Le véhicule procédural peut être celui d’une déclaration de propriété dans le cadre d’une action en revendication ou comme mesure
accessoire à une procédure en violation. Il peut également s’exercer
par le biais d’une saisie avant jugement138.
Au Québec, les procédures seront initiées selon le paragraphe
734(1)139 du Code de procédure civile qui permet au demandeur de
« saisir avant jugement le bien meuble qu’il est en droit de revendiquer »140. La saisie avant jugement visée par l’article 734 du Code de
135.
136.
137.
138.
139.
140.
Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain, 17 C.P.R. (4th) 161 (C.S.C. ;
2002-03-28), le juge Binnie : « [76] Je conviens avec le juge Gonthier [dissident] que l’artiste ou l’auteur qui allègue la violation d’un droit moral ne peut
pas recourir à la saisie avant jugement permise par l’article 734 du Code de procédure civile du Québec. »
Tai Foong International Ltd. c. Maison Sami TA Fruits inc., 2002 CarswellQue
1232 (C.S.Q. ; 2002-02-05), le juge Mongeon [requête pour permission d’appeler
rejetée (C.A.Q. ; 2002-02-22)] : « [100] Consequently, it is clear tha only the rice
bags could be the subject matter of the exercise of a right under section 38 of the
Copyright Act [and not the rice contained in the bags]. »
Entreprises Bigknowledge inc. c. Skura Corp., J.E. 2004-1038 (C.S.Q. ; 2004-0402), le juge Bishop : « [64] Donc, il semble que le droit de la requérante de saisir
avant jugement sous l’article 38(1) de la Loi est limité aux copies ou reproductions matérielles ou corporelles des œuvres dont elle est titulaire du droit
d’auteur. »
Le paragraphe 38(1) in fine L.D.A. se lit : « ...ou engager à leur égard des procédures de saisie avant jugement si une loi fédérale ou une loi de la province où sont
engagées les procédures. ». Outre l’article 734 C.p.c., la règle 377 R.C.F. peut
recevoir application. Diamant Toys Ltd. c. Jouets Bo-Jeux Toys Inc., 19 C.P.R.
(4th) 43 (C.F.P.I. ; 2002-04-05), le juge Nadon : « [55] Je conclus donc que les
demanderesses ont démontré un cas prima facie de violation du droit d’auteur de
la part de la défenderesse. En conséquence, je suis d’avis que le paragraphe 38(1)
de la Loi sur le droit d’auteur, conjointement avec le paragraphe 377(1) des
Règles de la Cour fédérale (1998), permettent aux demanderesses de saisir avant
jugement tous les exemplaires contrefaits des œuvres sur lesquelles elles
possèdent un droit d’auteur. »
Certaines décisions réfèrent, toutefois, dans le contexte du droit d’auteur, au
paragraphe 734(5) C.p.c. « le bien meuble qu’une disposition de la loi lui permet
de faire saisir pour assurer l’exercice de ses droits sur icelui. »
La première manifestation de cette interaction entre les paragraphes 734(1)
C.p.c. et 38(1) L.D.A. est : Formules Municipales ltée c. Imprimerie Formules
Légales Provinciales ltée, 28 C.P.R. (2d) 259 (C.S.Q. ; 1976-01-18) ; conf. par un
arrêt rendu le 1978-02-15, dossier 500-09-000027-763 (C.A.Q.) ; permission d’en
appeler refusée [1978] 1 R.C.S. viii (C.S.C. ; 1978-05-15) Par la suite voir, entre
1176
Les Cahiers de propriété intellectuelle
procédure civile est de plein droit et ne nécessite pas l’autorisation
préalable d’un juge141.
Rappelons qu’aux termes de cette disposition, le saisissant
• n’a pas à invoquer le péril dans lequel se trouve sa créance142 ;
• n’a pas à rencontrer les critères d’émission d’une ordonnance
d’injonction interlocutoire143 ;
• n’a pas à remplir les conditions propres à l’injonction Anton
Piller144.
141.
142.
143.
144.
autres : Productions G.R.O.S. Design Inc. c. Alpenstock Beaupré Inc., J.E.
90-1473 (C.S.Q. ; 1990-06-14) ; L.B.G.P. Consultants inc. c. I.G.U. (Ingraph) inc.,
un jugement inédit rendu le 1990-06-29 par le juge Benoit, dossier no 500-05006991-903 (C.S.Q.) ; I.G.U. (Ingraph) Inc. c. L.B.G.P. Consultants Inc., J.E. 901224 (C.S.Q. ; 1990-07-09) ; Man Roland Canada Inc. c. R.D.P. Marathon Inc.,
(1990), 39 C.P.R. (3d) 543 (C.S.Q. ; 1990-11-21) ; Compro Communications Inc. c.
Communications Promo-Phone L.T. inc., 41 C.P.R. (3d) 260 (C.S.Q.) ; Manufacture française des textiles d’ameublements sarl c. Les couvre-lits Lawrence ltée,
LPJ 93-1178 (C.S.Q. ; 1991-07-19) ; 2946-1993 Québec inc. c. Sysbyte Telecom
Inc., J.E. 2001-1143 (C.S.Q. ; 2001-05-02) ; Sogides ltée c. Cardwell, REJB
2003-48224 (C.A.Q. ; 2003-09-29) ; Entreprises Bigknowledge inc. c. Skura
Corp., J.E. 2004-1038 (C.S.Q. ; 2004-04-02).
En Ontario, la détention intérimaire procéderait par voie d’ordonnance intérimaire : voir Abel/Noser Corp. c. C.P.M.S. Computerized Portfolio Management
Services Inc., 55 CPC (2d) 135, (C.S. Ont. ; 1987-02-26), le juge O’Driscoll.
Champagne c. Bouchard, [1987] 5 R.D.J. 494 (C.A.Q. ; 1987-10-14), la Cour à la
page 496.
Voir :
• Diamant Toys Ltd. c. Jouets Bo-Jeux Toys Inc., 19 C.P.R. (4th) 43 (C.F.P.I. ;
2002-04-05), le juge Nadon : « [56] Si j’ai raison de conclure que les demanderesses ont droit à la saisie avant jugement, similaire à la saisie avant jugement en vertu du paragraphe 734(1) du Code de procédure civile du Québec,
alors les demanderesses n’ont pas à satisfaire au critère tripartite applicable
aux demandes d’injonction interlocutoire (Théberge c. Galeries d’Art Yves
Laroche, 2000 CanLII 5336 (C.A.Q.), (2000), 9 C.P.R. (4e) 259 (C.A.Q.). »
• Gianni Versace S.p.A. c. 1154979 Ontario Ltd., 28 C.P.R. (4th) 217 (C.F. ;
2003-08-03), le protonotaire Lafrenière : « [25] La Cour a récemment statué
que la partie qui réclame une ordonnance conservatoire en vertu de l’article
377 des Règles de la Cour fédérale (1998) n’est pas tenue de satisfaire au critère à trois volets qui s’applique aux injonctions interlocutoires. ».
Alexis Jewellery & Accessories Inc. c. Suzy Shier, 2000 CarswellNat 2567
(C.A.Q. ; 2000-11-22), le juge Rochon : « [66] [...] Je n’affirme pas que toute ordonnance destinée à accompagner une saisie avant jugement effectuée en vertu de
l’article 38.1 de la Loi sur les droits d’auteur doit remplir les conditions propres à
l’injonction «Anton Piller». Je suis toutefois d’avis que de telles ordonnances doivent s’exercer sous contrôle judiciaire et des différents officiers de justice dans le
respect des droits fondamentaux des parties. »
Voies et recours civils non pécuniaires...
1177
Les logiciels, considérés comme des planches ou des supports de
la contrefaçon pourront être saisis145 mais une autorisation sera
requise s’il s’agit de fichiers dans un ordinateur ou sur des disques
externes146.
145.
146.
2946-1993 Québec inc. c. Sysbyte Telecom inc., J.E. 2001-1143 (C.S.Q. ; 2001-0502), le juge Chaput « [32]Cependant, l’on conviendra qu’il soit pratiquement
impossible de saisir un programme informatique qui est une œuvre intellectuelle sans en même temps prendre possession des supports sur lesquels ce programme ou ses copies se trouvent installés, imprimés, gravés ou reproduites de
quelque manière. [35] Le tribunal ne voit pourquoi l’on ne pourrait assimiler à
une « planche » le disque dur d’un ordinateur, les disquettes, disques CD ou
autres supports informatiques destinés à la confection, copie, transmission ou
reproduction d’un produit informatique, tel un programme, logiciel ou fichier,
qui constitue une œuvre au sens de la Loi sur le droit d’auteur. Cependant, l’on
ne saurait assimiler à telle « planche » l’ordinateur lui-même qui n’est que la
machine ou l’instrument qui utilise les supports du produit informatique. »
Voir :
• D. & G. Enviro-group inc. c. Bouchard, J.E. 2000-1352 (C.A.Q. ; 200-06-21) le
juge Beauregard aux paragraphes 16-18 ;
• 2946-1993 Québec inc. c. Sysbyte Telecom inc., J.E. 2001-1143 (C.S.Q. ;
2001-05-02), le juge Chaput : « [36] Par contre, comme le font voir les arrêts D.
& G. Enviro-group Inc. c. Bouchard et Alexis Jewellery & Accessories Inc. c.
3360652 Canada inc., pour pratiquer une saisie de produits informatiques
sur des supports où se trouve ces produits, il faut obtenir une autorisation
d’un juge qui fixe les modalités et conditions de l’exécution de la saisie.
Comme l’écrit le juge Beauregard dans l’arrêt D. & G Enviro-group inc. c.
Bouchard [...] »
• Entreprises Bigknowledge inc. c. Skura Corp., J.E. 2004-1038 (C.S.Q. ; 200404-02), le juge Bishop : « [64] Donc, il semble que le droit de la requérante de
saisir avant jugement sous l’article 38(1) de la Loi est limité aux copies ou
reproductions matérielles ou corporelles des œuvres dont elle est titulaire du
droit d’auteur. [65] En résumé : 1. L’autorisation de saisir avant jugement en
vertu de la Loi est limitée aux copies et reproductions matérielles ou corporelles des œuvres dont la requérante possède le droit d’auteur faites par les
défendeurs Hains, Joannette et Pilibi Inc. sans le consentement de la requérante. Elles visent les manuels et autres documents corporels quant à la formation CRM par BK des clients décrits dans la réquisition amendée, plus les
autres manuels et documents identifiés comme appartenant à BK.2. Cette
autorisation ne peut inclure les logiciels, codes, fichiers informatisés décrits
dans la réquisition amendée. ». Contra :
• Gestion Radisson Design inc. c. Structure marine Amarco inc., 2007 QCCS
243 (C.S.Q. ; 2007-01-23), la juge Laberge : « [34] Les défendeurs opposent
qu’on ne peut saisir des données informatiques et ils invoquent à leur soutien
les arrêts D. & G. Enviro-group[ et Bigknowledge[. [35] D. & G. Enviro-group
soutient l’argument à l’effet que l’article 734 C.p.c. ne permet pas de fouiller
un ordinateur sans la permission d’un juge et selon les conditions et modalités qu’il détermine ni de saisir le contenu d’un ordinateur. [36] Quant à Bigknowledge en plus de réaffirmer qu’on ne peut saisir en vertu de l’article 734.1
C.p.c. le contenu d’un ordinateur, le jugement limite la saisie aux meubles
physiques et corporels appartenant à la saisissante. [37] Même si cette dernière décision ne permet pas de saisir les logiciels, codes et fichiers informatiques, le Tribunal estime que les faits de la présente affaire permettent de
procéder à la saisie. [38] Ici, un texte législatif (38 (1)) permet de saisir avant
1178
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Une saisie cassée expose le saisissant à des dommages147.
La saisie ne doit pas être utilisée pour obtenir un avantage
procédural148.
147.
148.
jugement. De plus, le Tribunal estime que la saisie du matériel permettant la
reproduction est aussi autorisée par la loi (38 (1)) et que cette disposition
s’étend au matériel informatique. [39] Si le droit d’auteur s’applique, et il est
ici présumé s’appliquer en vertu de 34.1 (1), ce droit s’étend aux documents
informatiques qui lui donnent son aspect matériel. »
Théberge c. Galerie d’art du Petit Champlain, 17 C.P.R. (4th) 161 (C.S.C. ;
2002-03-28), le juge Gonthier (dissident) : « [111] Enfin, en cas de saisie faite
abusivement ou de mauvaise foi, la partie saisie conservera la possibilité
d’intenter un recours en dommages-intérêts selon les règles usuelles de la responsabilité civile. ».
Avant que la propriété des biens saisis ne soit prononcée, la saisie est conservatoire et ne saurait procurer un avantage procédural au saisissant :
• Technologie Labtronix inc. c. Technologie Micro Contrôle inc., 1996 CarswellQue 2463 (C.S.Q. ; 1996-08-05), le juge Béliveau « [4] La Cour, après audition des parties et étude de la jurisprudence citée, conclut que le paragraphe
734.1 du Code de procédure civile permet de protéger le bien que revendique
la demanderesse-requérante, mais ne peut lui conférer le droit d’obtenir un
avantage procédural. Voir : Hetzel Co. c. Mont-Royal Steel Product Inc.,
[1980] C.A. 221> ; Expo Foods Canada Ltd. c. Sogelco International Inc.,
[1988] R.D.J. 218 (C.A.) ; Expo Foods Canada Ltd. c. Sogelco International
Inc., [1989] R.J.Q. 2090 (C.A.) ; Daco Archery Inc. c. Topo Production Inc.,
[1991] R.J.Q. 2885 (C.S.). [5] La demande d’amendement est donc notamment
fondée sur l’utilisation que la demanderesse-requérante, sans mauvaise foi, a
illégalement faite des biens saisis. Elle ne peut donc être recevable en
l’état. » ;
• Tri-Tex Co Inc. c. Ghaly, J.E. 98-1608 (C.S.Q. ; 1998-06-22), le juge Dalphond
[mod. 1 C.P.R. (C.A.Q. ; 1999-09-07) ; permission d’en appeler à la Cour
suprême du Canada refusée 6 C.P.R. (4th) vi (C.S.C. ; 200-08-10)] : « En effet,
comme la Cour d’appel l’a indiqué dans l’arrêt Expo Foods Canada Ltd.,
[[1989] R.J.Q. 2090 (C.A.)] on ne peut se prévaloir de l’article 734(1) C.p.c.,
pour saisir des biens sur lesquels on ne peut faire valoir son titre de propriété
afin d’en prendre connaissance et préparer sa cause ou encore établir la véracité des faits contenus à l’affidavit produit au soutien du bref de saisie avant
jugement : “If a party wishes to obtain evidence, the law affords him several
procedures for the purpose, but seizure before judgment is not one of them.”
(p. 2095).
• Vinod Chopra Films Private Limited c. John Doe, 2010 FC 387 (C.F. ;
2010-04-12), le juge Hughes : « 59] L’ordonnance Anton Piller doit être
annulée à l’égard des défendeurs touchés. En outre, compte tenu du fait que
l’expression « M. Untel » n’a pas été employée à juste titre, l’action intentée
contre les défendeurs touchés doit être rejetée, ce qui ne signifie pas qu’une
nouvelle action dans laquelle l’un ou plusieurs de ces défendeurs seraient
nommés ne pourrait pas être introduite. En fait, elle pourrait l’être, mais il ne
conviendrait pas d’utiliser les fruits d’une ordonnance Anton Piller irrégulière
pour fonder une telle action. D’autres éléments de preuve doivent éventuellement être utilisés à cette fin. »
Tempéré sans doute par John Stagliano Inc. c. Elmaleh, 2006 CF 585 (C.F. ;
2006-05-10), la juge Gauthier : « [218] Néanmoins, bien que les renseignements
Voies et recours civils non pécuniaires...
1179
Comme il s’agit là d’une mesure confiscatoire, la jurisprudence
a donné une interprétation restrictive de l’application de cet article 38149.
De plus, la procédure de recouvrement de possession instituée
en vertu de cette disposition statutaire fédérale devra cependant respecter les règles d’exécution procédurales150, notamment quant à
une description précise des biens revendiqués151.
Un autre point intéressant pourrait concerner ce à quoi le titulaire du droit d’auteur a droit dans le cas où ce qui fait l’objet de la
contrefaçon est partie indissociable de la totalité de l’œuvre contrefactrice152. En pareil cas, le titulaire peut-il prétendre à toute
149.
150.
151.
152.
figurant dans les pièces de l’affidavit d’Elmaleh n’auraient pas été obtenus normalement à la présente étape et n’auraient certainement pas fait partie du dossier public, aucune des parties n’a soulevé un argument qui, à mes yeux,
pourrait justifier de restreindre la faculté des demandeurs d’utiliser les renseignements dans un autre contexte que celui de la présente procédure. », un jugement rendu avant Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 50 C.P.R.
(4th) 241 (C.S.C. ; 2006-07-27), le juge Binnie, au paragraphe 40(1)c) : « L’ordonnance devrait comporter une clause prescrivant un usage restreint de ce que
saisi. »
Canusa Records Inc. c. Blue Crest Music, Inc., 30 C.P.R. (2d) 11 (C.A.F. ;
1976-06-24) le juge Jackett aux pages 13-14.
Le paragraphe 38(1) in fine se lit : « ...si une loi fédérale ou une loi de la province
où sont engagées les procédures le lui permet. » Voir aussi Alexis Jewellery &
Accessories Inc. c. Suzy Shier, REJB 2000-21238 (C.A.Q. ; 2000-11-22), le juge
Rochon, au paragraphe 54 sur la sauvegarde des droits fondamentaux des
parties.
Le bref de saisie que prévoit l’article 736 C.p.c. est une ordonnance qui commande à un huissier de saisir un bien physique qui est précisément décrit. Voir
Alexis Jewellery & Accessories Inc. c. Suzy Shier, REJB 2000-21238 (C.A.Q. ;
200-11-22). le juge Rochon au paragraphe 51 ; D. & G. Enviro-group inc. c. Bouchard, J.E. 2000-1352 (C.A.Q. ; 200-06-21), le juge Beauregard aux paragraphes
16-18 ; Abel/Noser Corp. c. C.P.M.S. Computerized Portfolio Management Services Inc., (1987), 58 OR (2d) 633 (C.S. Ont. ; 1987-02-26), le juge O’Driscoll, au
chapitre VII. Voir également BUFFONI (Jean-François), « News from the East –
D. & G. enviro-group inc. c. Bouchard », (2001) 15:1 Intellectual Property 107 et
HUGHES (James), « Seizing confidential computer data before judgment »,
(2000), 60 Revue du Barreau 143. Dans le contexte d’une ordonnance Anton Piller, voir également Tommy Hilfiger Licensing, Inc. c. Jane Doe, 8 C.P.R. (4th )
194 (C.F.P.I. ; 2000-08-29.), le juge Pelletier.
Voir, par exemple, Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computers Ltd., [1987] 1
CF 173 (C.F.P.I. ; 1986-04-29) la juge Reed à la page 212 [conf. 18 C.P.R. (3d) 129
(C.A.F. 1987-10-13.) ; conf. 30 C.P.R. (3d) 257 (C.S.C. ; 1990-06-21) : « The ROM
chips are easily removable. I do not see that there is any justification for the delivery to the plaintiffs of the other computer parts : the keyboard ; the casings ; the
circuits board etc. An order will issue requiring delivery up only of the devices
containing the program, all copies of the program, and all devices containing
copies ».
1180
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’œuvre contrefactrice, à titre de propriétaire ? Les modifications de
1997 ont mis un frein à cette ardeur revendicatrice.
La loi permet au tribunal compétent de substituer à la saisie
toute ordonnance qu’il estime indiquée153. Dans l’exercice de ce pouvoir, le tribunal doit considérer les facteurs suivants :
• la proportion que représente l’exemplaire contrefait ou la planche
par rapport au support dans lequel ils sont incorporés,
• la valeur que représente l’exemplaire contrefait ou la planche par
rapport au support dans lequel ils sont incorporés,
• l’importance que représente l’exemplaire contrefait ou la planche
par rapport au support dans lequel ils sont incorporés,
• la mesure dans laquelle cet exemplaire ou cette planche peut être
extrait de ce support ou en constitue une partie distincte154.
Il s’agira d’une demande155
• de la personne qui avait la possession des exemplaires ou planches revendiquées ;
• de la personne contre qui des procédures de saisie avant jugement
ont été engagées ; ou
• de toute autre personne ayant un intérêt dans ceux-ci.
Cette disposition permet d’écarter les risques d’abus, illustré
par l’exemple fourni par le professeur Vaver156, dans lequel le titulaire des droits d’auteur sur une œuvre artistique reproduite sur un
super-pétrolier, saisirait le navire et le vendrait à son profit. Selon le
nouveau texte de loi, le titulaire de droits d’auteur pourra toujours
saisir le super-pétrolier, mais son propriétaire pourra présenter une
153.
154.
155.
156.
Le tribunal peut ordonner la destruction des exemplaires (donc empêcher le propriétaire fictif de les utiliser comme propriétaire et, possiblement, de les
revendre) ou rendre toute autre ordonnance qu’il estime indiquée. L’article 739
C.p.c. permet également la fourniture d’un cautionnement pour éviter l’enlèvement ou récupérer les biens saisis.
Par. 38(4) L.D.A.
Fondée sur le paragraphe 38(2) L.D.A.
VAVER (David), « The Copyright Amendments of 1997 : An Overview », (1997),
12:1 Intellectual Property Journal 53, 70.
Voies et recours civils non pécuniaires...
1181
requête afin d’être remis en possession, en offrant simplement d’effacer la reproduction litigieuse.
Le « toute autre ordonnance qu’il estime indiquée » permettrait-il au tribunal, dans un cas extrême (par exemple une photographie protégée reproduite dans une encyclopédie de mille pages),
d’ordonner une compensation financière (ou un masquage), plutôt
qu’une remise de possession ?
Un dernier mot pour préciser que la demande d’injonction
visant la délivrance pour destruction157 (« delivery up for destruction ») des objets contrefacteurs ne doit pas être confondue avec le
recours en « detinue ». Dans le cadre du recours en « detinue », il va
sans dire que le titulaire qui recouvre la possession, à titre de propriétaire, d’objets contrefacteurs a le droit d’en disposer comme bon
lui semble et, bien sûr, de les remettre, à son profit, dans le commerce.
Toutefois, le recouvrement est limité, de par sa nature, aux
exemplaires contrefaits et aux planches qui ont servi à leur confection. Les autres éléments qui seraient de nature à violer les droits
d’auteur d’un titulaire ne sont pas visés par ce recours.
Dès lors, en vertu des pouvoirs inhérents d’une cour de juridiction supérieure158, indépendamment de quelque demande du
157.
158.
L’on notera ici que le paragraphe 34(1) qui traite des recours ouverts lors de la
violation des droits économiques d’auteur fait référence à l’exercice d’un recours
pour remise alors que le paragraphe 34(2) qui traite, lui, des recours ouverts
pour violation des droits moraux fait référence aux réparations par voie de
remise ou autrement. Avant les modifications de 1997, le paragraphe 34(1) ne
faisait pas nommément référence à la remise qui pouvait cependant être compris par les mots « ou autrement », sans compter, bien sûr, les pouvoirs inhérents
d’une cour supérieure pour assurer l’exercice de sa juridiction. Le paragraphe
34(1.1), lui, utilisait le terme réparation par voie de restitution ou autrement. À
noter que l’article 53.2 de la Loi sur les marques d commerce (L.R.C. (1985), ch.
T-13) fait référence « ...le tribunal peut rendre les ordonnances qu’il juge indiquées, notamment...ou encore pour la disposition par destruction, exportation
ou autrement des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard. »
Par exemple, les articles 20 et 46 du Code de procédure civile du Québec et
l’article 3 de la Loi sur les Cours fédérales. Voir
• Underwriters Survey Bureau Limited c. Massie & Renwick Limited, [1937]
R.C.S. 265 (C.S.C. ; 1937-07-19), le juge Hudson à la page 268 : « The onus is
on the infringer to establish grounds upon which the Court may properly
exercise its discretion against granting such relief »
• R. c. James Lorimer and Company Limited, [1984] 1 C.F. 1065 (C.A.F. ;
1984-01-05), le juge Mahoney à la page 1073 : « [10] [...] Il s’ensuit également
1182
Les Cahiers de propriété intellectuelle
demandeur d’être déclaré propriétaire des contrefaçons, celle-ci peut
ordonner au contrefacteur de remettre au propriétaire, pour fins
d’être détruits ou autrement disposés, tous les objets contrefacteurs159, ne serait-ce que pour favoriser le respect de l’injonction
qu’elle aurait émise : sans planches, il est plus difficile de reproduire !
Et le défendeur a-t-il droit à une compensation pour la perte de
propriété de l’objet détruit160 ?
S’agissant d’un recours discrétionnaire, la Cour pourra refuser
la remise si cette remise n’avait pas d’effet pratique161.
159.
160.
161.
que, une fois établi que l’œuvre contrefaite comprend une partie importante
de l’œuvre protégée, le titulaire du droit d’auteur est réputé avoir la propriété
de tous les exemplaires de l’œuvre contrefaite ainsi que de toutes les planches
qui ont servi à sa confection et a, prima facie, droit à l’aide de la Cour pour en
prendre possession. »
• Wing c. Velthuizen, 9 C.P.R. (4th) 449 (C.F.P.I. ; 2000-11-20), le juge Nadon :
« [76] Je suis d’avis d’accorder la remise de tous les exemplaires de contrefaçon. L’intimée n’a établi aucun motif qui justifierait de refuser cette réparation. Elle pourrait ne pas mettre fin à la vente ou à la distribution des
exemplaires en sa possession. »
• L.S. Entertainment Group Inc. c. Formosa Video Canada Ltd., 48 C.P.R. (4th)
401 (C.F. ; 2005-09-30), le juge Gibson : « [67] Le paragraphe 34(1) de la Loi
sur le droit d’auteur prévoit expressément la remise parmi les recours que
peut exercer le titulaire d’un droit d’auteur. ».
Comparer avec les paragraphes 42(3) et 44.1(9) L.D.A. de même qu’avec les pouvoirs de saisie et de confiscation prévus aux articles 110-116 du Tarif des douanes (L.R.C. (1985), ch. C-54.01).
Tag Heuer S.A. c. John Doe, 4 C.P.R. (4th) 177 (C.F. ; 2000-01-06), le juge Pelletier : « It is to be noted that there is no reference in this section [53.2 TMA] to any
compensation to the defendant for the destruction of his/her goods. In practice,
the question of compensation for surrender and destruction of counterfeit goods
never arises, largely because so few of these claims are defended. [5] It is clear
that the defendant is not entitled to compensation for the value of the goods arising from their infringement of the plaintiff’s trade-marks. The wrongful appropriation of those trade-marks by the defendant is the heart of the plaintiff’s
claim. Whether the defendant is entitled to compensation for the non-infringing
value of the goods is a question which will have to await a case where such a
claim is advanced. One can conceive of a situation in which the infringing goods
can be made non-infringing, or where the goods can be broken down to components which are non-infringing and which have a value. Whether an order for
the surrender for destruction of those goods without compensation would be
granted over the defendant’s objection is a question which will have to be decided
when it arises.
Zamacoïs c. Douville, 3 Fox Pat.Cas. 44 (C.d’É. ; 1943-03-01), le juges Angers :
« [113] Je ne crois pas qu’il y ait lieu d’ordonner la remise au demandeur des
quelques exemplaires du numéro du journal Le Bien Pubic dans lequel a été
reproduit l’article du demandeur, qui sont restés en la possession des défendeurs. Comme l’ont déclaré les défendeurs, ces exemplaires ne sont pas en vente
et ils font partie des archives du journal. »
Voies et recours civils non pécuniaires...
1183
6. ET SI ON EN AVAIT EU LE TEMPS...
J’aurais voulu traiter des recours pécuniaires :
• Dommages compensatoires, préétablis et punitifs, intérêt légal et
indemnité spéciale.
• Reddition de compte et regorgement des profits.
• Dépens et remboursement des frais d’avocats.
et ce, en illustrant mon propos d’une lecture commentée de
l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans Construction Denis Desjardins inc. c. Jeanson 2010 QCCA 1287 (C.A.Q., coram, les juges Hilton, Bich et Gagnon ; 2010-07-07), à la lumière de l’article 2803,
1er alinéa du Code civil du Québec : « Celui qui veut faire valoir un
droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. » J’aurais
alors largement dépassé le temps alloué et le président du colloque
m’aurait morigéné. Ça sera donc pour une autre occasion.
Et, pour conclure, une citation, parce que c’est de bon ton :
Les tribunaux doivent se montrer sévères. L’habitude de dommages trop faibles énerve la répression et est une prime pour
les contrefacteurs ; et il est fâcheux, mais vrai, de dire que la
mollesse de nos tribunaux a trop souvent encouragé la contrefaçon.
– RENOUARD (Augustin-Charles), Traité des droits d’auteurs dans la littérature, les sciences et les beaux-arts (Paris :
Renouard, 1839), tome second, p. 438.
Vol. 23, no 3
L’arrimage entre les droits
privés provinciaux et la
Loi sur le droit d’auteur :
une dissonance harmonieuse ?
Emilie Conway*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1187
1. L’INTERFACE ENTRE LE DROIT FÉDÉRAL DU
DROIT D’AUTEUR ET LES DROITS PRIVÉS
PROVINCIAUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1191
1.1 Droit fédéral et droit provincial : une relation
sous le signe de la complémentarité . . . . . . . . . 1192
1.1.1 L’inexistence d’un droit commun fédéral . . . 1192
1.1.2 Le droit provincial, droit supplétif . . . . . . . 1195
1.2 La complémentarité mise en doute : entre
uniformité et autonomie . . . . . . . . . . . . . . . . 1203
1.2.1 L’uniformisation du droit fédéral par
l’interprète judiciaire . . . . . . . . . . . . . . 1204
© Emilie Conway, 2011.
* Candidate au B.C.L./LL.B., Faculté de droit, Université McGill ; LL.M. en droit
international public, Université du Québec à Montréal (UQÀM) ; B.A relations
internationales et droit international (UQÀM). L’auteure tient à remercier le professeur Pierre-Emmanuel Moyse pour ses commentaires et suggestions sur les
versions antérieures de ce texte.
1185
1186
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.2.2 Le bijuridisme dérivatif . . . . . . . . . . . . 1210
2. ÉTUDE DE CAS : LA LICENCE À LA LUMIÈRE
DE L’AFFAIRE EURO-EXCELLENCE C. KRAFT . . . . 1211
2.1 La LDA1 en état d’autarcie . . . . . . . . . . . . . . 1212
2.1.1 Kraft ou les chocolats de la discorde . . . . . . 1212
2.1.2 La licence : un concept autosuffisant . . . . . 1217
2.2 La LDA en état de sollicitation . . . . . . . . . . . . 1219
2.2.1 La licence : un concept ambigu. . . . . . . . . 1219
2.2.2 La common law en renfort . . . . . . . . . . . 1222
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1227
1. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), c. C-42 [LDA].
INTRODUCTION
Aucune loi, pas même un code civil, ne saurait être complet :
derrière tout texte législatif se dissimule un univers normatif et
conceptuel non-écrit qui échappe à son libellé explicite2. Si elle
paraît passer pour un truisme, cette affirmation prend, dans le
contexte législatif fédéral canadien, une coloration toute particulière. Cette singularité tient à la nature spécifique du droit fédéral
qui, en vertu de l’architecture constitutionnelle canadienne, puise
tant dans la tradition de droit civil que de common law. Le bijuridisme législatif fédéral emporterait donc la prise en compte du
dialogue entre le droit statutaire fédéral et le droit d’application
générale attaché à chaque tradition, et donc le droit civil en ce qui
concerne le Québec3.
D’emblée, plusieurs questions s’offrent à nous : comment concilier « l’infra-texte » propre aux systèmes de droit civil et de common
law dans l’interprétation de la législation fédérale ? Quel est l’impact
2. MACDONALD (Roderick A.), « Harmonizing the Concepts and Vocabulary of Federal and Provincial Law : The Unique Situation of Quebec Civil Law », dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme
canadien. Recueil d’études, (Ottawa : Ministère de la justice du Canada, 1997) 29,
au paragraphe 32 [Macdonald, « Harmonizing »].
3. ALLARD (France), « Entre le droit civil et la common law : la propriété en quête de
sens » dans GÉMAR (Jean-Claude) et al., dir, Jurislinguistique : entre langues et
droits, (Montréal : Thémis, 2005) 193, à la page 215 [Allard, « Propriété en quête de
sens »] ; BASTARACHE (Michel), « Le bijuridisme au Canada », dans Ministère de
la justice du Canada, L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de
la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication (Ottawa :
Ministère de la justice du Canada, 2001), fascicule 1, à la page 17 (selon la formule
consacrée, « le « bijuridisme » ou « bijuralism » au Canada désigne la coexistence
des traditions de la common law anglaise et du droit civil français, dans un pays
possédant un système fédéral ») ; sur les origines du bijuridisme législatif canadien, lire ALLARD (France), « La Cour suprême du Canada et son impact sur
l’articulation du bijuridisme » dans L’harmonisation de la législation fédérale avec
le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication (Ottawa : Ministère de la justice du Canada, 2001), fascicule 3, 1 aux pages 1-3
[Allard, « Impact sur le bijuridisme »]. Sur le concept de juridiction « mixte » lire par
exemple : TETLEY (William), « Mixed jurisdictions : Common law vs. Civil law
(codified and uncodified) » (2000), 60 Louisiana Law Review 677.
1187
1188
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de cette double assise référentielle sur la teneur et le sens des
concepts que renferment les lois fédérales ? Ces derniers seraient-ils
forcément polysémiques4 ?
Ces interrogations sont particulièrement vivaces sous l’angle
du droit d’auteur, domaine du droit fédéral où la proximité avec le
droit privé des provinces est étroite à plusieurs titres. D’abord parce
que les deux corpus de droit coexistent dans l’objet de protection
lui-même : alors que la propriété incorporelle des droits d’auteur
relève de la compétence exclusive fédérale sous l’article 91(23) de la
Loi constitutionnelle de 1867, la propriété de l’objet matériel formant
le support physique de l’œuvre tombe quant à elle sous le coup de la
compétence en matière de propriété et de droit civil reconnue aux
provinces en vertu de l’article 92 (13) de la Constitution5.
À cette cohabitation forcée s’ajoute ensuite la difficulté de cerner les contours de la compétence exclusive dévolue au Parlement
fédéral en matière de droit d’auteur. Bien que la Cour suprême
se soit peu prononcée sur la portée de l’article 91(23), on trouvera
quelque réconfort dans la jurisprudence portant sur l’interprétation
du partage des compétences6. Pour juger de la validité d’une loi du
point de vue du partage des compétences, on s’en remettra à la
conception de l’exclusivité désormais dominante, incarnée par la
théorie du caractère véritable : c’est ainsi qu’« une loi qui, de par son
caractère véritable, est fédérale sera maintenue même si elle touche
à des matières qui paraissent constituer des sujets de législation provinciale »7.
Or, l’identification de ce qui représente l’essence ou le cœur de
la compétence sur le droit d’auteur n’est justement pas besogne
facile. En effet, l’exercice d’équilibrage entre les intérêts concurrents
des créateurs et de leurs auxiliaires et ceux du public – tâche incombant au Parlement central au titre de la LDA – est intimement lié à
la compétence provinciale de principe dans le champ du droit privé,
4. ALLARD, « Propriété en quête de sens », ibid., p. 218.
5. TAMARO (Normand), Loi sur le droit d’auteur : texte annoté, 8e éd, (Toronto : Carswell, 2009), p. 404 [Tamaro, LDA].
6. Par contraste, le pouvoir législatif fédéral en matière de marques de commerce,
chef de compétence non énoncé dans la Constitution, s’est notamment mérité
l’attention de la Cour suprême dans les affaires suivantes : Kirkbi AG c. Gestions
Ritvik, [2005] 3 R.C.S. 302 ; MacDonald c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134.
7. General Motors of Canada c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, 670 ;
BRUN (Henri) et al., Droit constitutionnel, 4e éd. (Cowansville, Éditions Yvon
Blais, 2002), p. 448 et s.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1189
qui gouverne les rapports des citoyens entre eux et avec leurs biens8.
De fait, s’interroge le professeur Jean Leclair, « quel pouvoir accorde
le paragraphe 91(23) de la Constitution de 1867 sinon celui de prohiber, de limiter les droits de propriété, les droits contractuels, et
parfois même constitutionnels de certaines personnes au profit de
certains privilégiés »9 ?
Au surplus, notons que, loin d’être anodin, le voisinage du droit
civil et de la common law prend, pour le droit d’auteur canadien, des
allures de quête des origines. Car au-delà de la technique législative,
des divergences philosophiques – dont on ne saurait néanmoins exagérer ou sous-estimer l’importance – séparent traditionnellement le
droit d’auteur d’ascendant civiliste au copyright issu du modèle
anglo-américain : « propriété naturelle » pour les premiers, « monopole juridique » chez les seconds ; « un droit qui se pense, d’un côté,
par référence à l’auteur, à la personne créatrice, de l’autre, par référence à l’exemplaire de l’œuvre, au produit de la création que l’on
préserve contre la copie »10.
Où donc classer le droit d’auteur canadien dans cet inventaire11 ? Civiliste de par son inclusion du droit moral et common
8.
La tension entre les droits des créateurs et ceux du public accompagne depuis
longtemps l’évolution de la propriété intellectuelle. Pour une perspective historique (en matière de brevets), voir MACHLUP (Fritz) et al., « The patent controversy in the Nineteenth Century » (1950), 10 :1 The Journal of Economic History
1 ; Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, au paragraphe 30 (juge Binnie) [Théberge] (résumant les objectifs de politique générale
qui ont inspiré la LDA, le juge Binnie écrit : « [l]a Loi est généralement présentée
comme établissant un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du
public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et,
d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur (ou, plus précisément, l’assurance que personne d’autre que le créateur ne pourra s’approprier les
bénéfices qui pourraient être générés) »).
9. LECLAIR (Jean), « L’interface entre le droit commun privé provincial et les compétences fédérales « attractives » » dans GENDREAU (Ysolde), dir, Un cocktail de
droits d’auteur (Montréal : Thémis, 2007) 25, à la page 37 [Leclair, « Interface »]
[Gendreau, Cocktail] ; voir les débats suscités en matière de copie privée et de
droits voisins : Société canadienne de perception de la copie privée c. Canadian
Storage Media Alliance, 2004 CAF 424 ; de BEER (Jeremy F.), « Copyrights,
Federalism, and the Constitutionality of Canada’s Private Copying Levy » (2006),
51 McGill Law Journal 3 ; de BEER (Jeremy F.), « Constitutional Jurisdiction
Over Paracopyright Laws » dans GEIST (Michael), In the Public Interest : The
Future of Canadian Copyright Law (Toronto : Irwin Law, 2005) 89.
10. Alain STROWEL (Alain), Droit d’auteur et copyright : divergences et convergences
(Bruxelles : Bruylant, 1993), p. 20 ; MOYSE (Pierre-Emmanuel), « La nature du
droit d’auteur : droit de propriété ou monopole ? » (1998), 43 McGill Law Journal,
à la page 562 [Moyse, « Propriété ou monopole »].
11. Nous reprenons ici la question posée par Nicholas Kasirer en ouverture de son
texte « L’ambivalence lexicographique en droit d’auteur canadien » dans CORNU
1190
Les Cahiers de propriété intellectuelle
lawyer par sa facture et ses origines historiques, le droit d’auteur
canadien serait-il, de par sa double filiation spirituelle, réfractaire
aux catégorisations12 ? Malgré sa physionomie particulière, le droit
d’auteur canadien ne serait pas aussi inclassable qu’il n’y paraît.
Une nuance est ici apportée par un commentateur, lequel nous avertit qu’il « n’est pas rigoureusement exact de dire que le droit d’auteur
canadien se situe à la croisée des systèmes de droit de type continental et de ceux de common law »13. En effet, sans être tout à fait à cheval entre les deux traditions, reste que le droit d’auteur canadien
a, depuis son berceau anglo-américain, été sensible aux influences
d’autres systèmes, parmi lesquels le droit civil occupe une place de
premier rang14.
Soulignons que la confusion des genres est entretenue, en droit
d’auteur canadien, par le fait que les versions anglaise et française
de la LDA (copyright/droit d’auteur) semblent se revendiquer de
deux traditions conceptuelles distinctes15. Cette ambivalence ne
revêt pas seulement un intérêt sur le plan jurislinguistique. Elle
renvoie aussi plus largement aux débats sur la nature du droit
d’auteur qui, loin de se borner aux cercles académiques, ont à au
moins une occasion, divisé le banc de la Cour suprême du Canada16.
12.
13.
14.
15.
16.
(Marie) et al., dir, Dictionnaire comparé du droit d’auteur et du copyright (Paris :
Centre national de la recherche scientifique, 2003) 259, p. 259.
Ibid. On ne saurait toutefois voir une tradition de droit moral en droit d’auteur
canadien. Voir à cet effet : Théberge, supra, note 8, aux paragraphes 11-12 ;
Pierre-Emmanuel Moyse, Le droit de distribution : analyse historique et comparative en droit d’auteur (Cowansville : Blais, 2007), p. 125 [Moyse, Le droit de distribution] ; Mistrale Goudreau, « Le droit moral de l’auteur au Canada » (1994),
25 Revue générale de droit 403. Voir aussi généralement ADENEY (Elizabeth),
The Moral Rights of Authors and Performers : an International and Comparative
Analysis (Moral Rights) (Oxford : OUP, 2006) ; ADENEY (Elizabeth), « Moral
rights in Canada : an historical and comparative view » dans GENDREAU
(Ysolde), dir, An Emerging Intellectual Property Paradigm : Perspectives from
Canada, (Northampton (Ma) : Edward Elgar, 2008), p. 163 [Gendreau, Emerging
Paradigm].
Moyse, Le droit de distribution, ibid.
Ibid.
Strowel, supra, note 10, p. 23 et s.
Théberge, supra, note 8 (la Cour était appelée à décider si une galerie d’art avait
violé les droits d’auteur d’un peintre en transférant sur toile des reproductions
papier autorisées de ses œuvres, à des fins de revente. Dans cette affaire, les
juges de droit civil et de common law s’opposent dans leur interprétation de la
notion de « reproduction », ainsi qu’en ce qui concerne la nature des droits moraux
de l’auteur. La majorité, composée de juges de common law, conclut à l’absence de
violation, car le procédé d’entoilage ne menait selon eux à aucune reproduction de
l’œuvre. Le juge Binnie insiste sur la dimension avant tout économique du copyright dans la tradition de common law. Il écarte ce faisant l’idée d’un droit de destination, qui dans la tradition civiliste du droit d’auteur, donne à l’auteur le droit
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1191
On l’aura compris, il est ici tout autant question de technique
juridique, de fédéralisme, de tradition juridique que de langue. C’est
sur cette toile de fond que nous nous proposons d’analyser, dans la
présente étude, l’interface entre le droit commun provincial et la
législation fédérale sur le droit d’auteur.
Au cours de la première partie de cette étude, sera rappelé le
cadre constitutionnel régissant l’interaction entre le droit fédéral et
le droit privé provincial dans le champ du droit d’auteur (I). Nous
verrons que si la relation entre le droit fédéral et le droit provincial
s’établit généralement sous le signe de la complémentarité, ce lien
est parfois mis sous pression, allant même jusqu’à être à l’occasion
rompu par l’interprète judiciaire.
Nous nous attardons, dans une seconde partie, à l’ambivalence
interprétative générée par le recours au droit provincial pour combler les interstices de la législation fédérale sur le droit d’auteur (II).
Notre regard se portera sur certains aspects contractuels de l’exploitation des œuvres où cette ambigüité est pleinement ressentie, et
dont l’épicentre sera, pour nos fins, le concept de licence, prévu à
l’article 13 de la LDA. Nous discuterons plus particulièrement de
l’impact de l’arrêt Euro-Excellence c. Kraft, jugé par la Cour suprême
en 2007, sur le traitement de la notion de licence en droit d’auteur
canadien17.
1. L’INTERFACE ENTRE LE DROIT FÉDÉRAL DU DROIT
D’AUTEUR ET LES DROITS PRIVÉS PROVINCIAUX18
Affirmer l’incomplétude de la législation fédérale, c’est dire
« simplement que, prise isolément, elle n’exprime pas la totalité du
droit applicable dans les matières qui ressortissent à la compétence
de contrôler l’utilisation des copies autorisées de son œuvre. Les trois magistrats
civilistes L’Heureux-Dubé, Gonthier et LeBel, qui incarnent la dissidence, adoptent quant à eux une interprétation plus extensive du droit d’auteur, qui laisse à
l’auteur un droit de regard sur l’utilisation subséquente de son œuvre) ; CCH
Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339 [CCH] ; Société
canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne
des fournisseurs Internet, [2004] 2 R.C.S. 427.
17. Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., [2007] 3 R.C.S. 21 [Euro-Excellence c.
Kraft].
18. Nous reprenons le terme « interface » tel qu’employé par le professeur Jean
Leclair dans Leclair, « Interface », supra, note 9. Ce vocable traduit parfaitement
l’idée d’une frontière permettant les échanges entre deux systèmes. DENAULT
(Philippe), Recherche d’unité dans l’interprétation du droit fédéral : cadre juridique et fragments du discours judiciaire, (Montréal : Thémis, 2008) aux p. 18-61.
1192
Les Cahiers de propriété intellectuelle
du Parlement »19. Si la loi fédérale ne se suffit pas à elle-même, c’est
donc à l’extérieur du texte qu’il faut rechercher les normes destinées
à la compléter.
Trois voies semblent dès lors s’ouvrir à l’interprète : la première, incarnée par le principe de complémentarité, consiste à lier
les textes fédéraux aux espaces juridictionnels au sein desquels ils
sont voués à s’appliquer. Dans cette perspective, les omissions, lacunes et silences des lois fédérales sont comblés par la matrice résiduelle que constitue le droit commun des provinces.
Néanmoins, il arrive que ce lien de complémentarité soit mis à
l’épreuve, tant par la doctrine que par la pratique judiciaire. La complémentarité est ici mise en cause sur deux fronts distincts, qui
seront abordés dans une même section. Ainsi, la seconde avenue,
plus rarement empruntée, est celle qu’ont choisie les tribunaux
en regard de certaines compétences fédérales de droit privé dites
« attractives », parmi lesquelles figure notamment le droit maritime.
Dans une telle hypothèse, une interprétation extensive des compétences fédérales fait échec à la prise en compte du droit provincial à
titre complémentaire et supplétif. Se dégage enfin une troisième
approche, où la relation de complémentarité cède le pas à un dialogue entre le droit fédéral et le droit provincial, dialogue capable
d’initier la création de nouvelles normes.
1.1 Droit fédéral et droit provincial : une relation
sous le signe de la complémentarité
Cette première section est consacrée aux fondements du rapport de complémentarité qu’entretient le droit fédéral en général, et
le droit d’auteur en particulier, avec le droit privé des provinces.
Après avoir constaté l’absence de droit commun fédéral, nous nous
tournerons vers son corollaire, à savoir la fonction supplétive qu’assure le droit provincial dans l’interprétation du droit fédéral statutaire.
1.1.1 L’inexistence d’un droit commun fédéral
Un aparté historique est ici de mise : il nous faut en effet revenir aux commencements de la Confédération pour bien saisir la place
qui revient aujourd’hui au droit privé fédéral dans l’ordre constitutionnel canadien. À cet égard, il est notamment utile de brosser les
19. BRISSON (Jean) et al., « Droit fédéral et droit civil : complémentarité, dissociation » (1996), 75 Revue du Barreau 297, à la page 300 [Brisson et Morel].
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1193
grandes lignes de la réception du droit privé et du partage des pouvoirs législatifs aménagé par la Loi constitutionnelle de 186720.
Contrairement aux législatures provinciales, les autorités fédérales n’ont guère reçu le droit privé préconfédéral sous l’empire de la
Constitution de 1867. À la différence des anciennes colonies, en effet,
l’ordre de gouvernement fédéral nouvellement créé n’hérite d’aucun
système juridique sur la base duquel ériger son droit21. En revanche,
le sort des régimes de droit privé des colonies ayant adhéré à la fédération est scellé par l’article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867,
qui prévoit la continuité du droit en vigueur en ces termes :
[s]auf toute disposition contraire prescrite par la présente loi,
toutes les lois en force en Canada, dans la Nouvelle-Écosse ou le
Nouveau-Brunswick, lors de l’union, tous les tribunaux de juridiction civile et criminelle, toutes les commissions, pouvoirs et
autorités ayant force légale, et tous les officiers judiciaires,
administratifs et ministériels, en existence dans ces provinces
à l’époque de l’union, continueront d’exister dans les provinces
d’Ontario, de Québec, de la Nouvelle-Écosse et du NouveauBrunswick respectivement, comme si l’union n’avait pas eu
lieu ; mais ils pourront, néanmoins (sauf les cas prévus par des
lois du parlement de la Grande-Bretagne ou du parlement du
Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande), être révoqués, abolis ou modifiés par le parlement du Canada, ou par la
législature de la province respective, conformément à l’autorité
du parlement ou de cette législature en vertu de la présente loi.22
[Les italiques sont nôtres].
Suivant cette disposition, le droit préconfédéral est maintenu
dans les quatre provinces originelles jusqu’à ce qu’il soit modifié par
les paliers de gouvernement provincial et fédéral agissant dans leurs
champs de compétence respectifs. Il s’ensuit en clair qu’à l’aube de
la Confédération, les divers droits préconfédéraux applicables sur
les territoires des nouvelles provinces s’appliquaient techniquement aux matières fédérales, jusqu’à ce que le Parlement central y
pourvoie – parfois tardivement – par une initiative législative23.
20. Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict, c. 3, reproduite dans L.R.C.
(1985), ann II, no 5, art 129 [Loi constitutionnelle de 1867].
21. Brisson et Morel, supra, note 19, p. 310.
22. Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 20, art. 129.
23. HOGG (Peter W.), Constitutionnal Laws of Canada, 5e éd. (Toronto : Carswell,
2009), p. 43-44 (selon l’auteur, le corpus préconfédéral des provinces recouvrait
les éléments suivants : 1) les lois « reçues » du Royaume-Uni, et de la France, dans
1194
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Aussi les sources préconfédérales qui couvraient des chefs de compétence fédérale furent-elles progressivement substituées par les
mesures législatives du Parlement du Canada, désireux d’uniformiser, d’un océan à l’autre, le droit applicable à certains sujets de droit
privé fédéral.
Le droit d’auteur n’a guère échappé à cette évolution. En effet,
avant que la compétence sur le droit d’auteur ne soit attitrée au Parlement canadien dans la Constitution 1867, plusieurs lois préconfédérales s’y intéressaient déjà24. Il faut cependant attendre jusqu’en
1832 pour que le Bas-Canada adopte l’Acte pour protéger la propriété
littéraire, qui fait office de pionner en droit d’auteur canadien25.
Après 1867, ces lois furent remplacées par une succession de lois
fédérales – plus ou moins complètes – sur le droit d’auteur, jusqu’à
l’adoption, en 1921, de la Loi concernant le droit d’auteur, ancêtre de
la LDA actuelle et premier texte législatif moderne en ce domaine26.
C’est à partir de cette genèse du droit fédéral, ci-dessus brièvement esquissée, qu’est généralement expliquée l’absence de droit
commun fédéral27. La législation fédérale qui remplace peu à peu les
normes préconfédérales n’a pour toile de fond aucun droit fondamental proprement fédéral. En effet, selon le constitutionaliste Peter W.
Hogg,
24.
25.
26.
27.
le cas du Québec ; 2) les lois adoptées pour la province en vertu de la prérogative
royale ; 3) les lois adoptées pour la province par le Parlement impérial ; 4) les
développements judiciaires en common law (ou en droit civil) depuis la date
de réception ; 5) les lois adoptées par la législature provinciale précédente) ;
DENAULT, supra, note 18, à la page 28.
TAMARO (Normand), Le droit d’auteur : fondements et principes (Montréal :
PUM, 1994), p. 24 [Tamaro, Fondements].
Tamaro, Fondements, ibid. ; Acte pour protéger la propriété littéraire, (1832) 2
Will. IV, c. 53. La loi fut abrogée en 1841 de manière à ce que son application soit
étendue à « toute la Province » suite à l’entrée en vigueur de l’Acte d’Union : Acte
pour protéger les Droits d’Auteurs dans cette Province, (1841) 4&5 Vict, c. 61.
Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, 11-12 Geo, V, c. 24. Deux lois fédérales
ont précédé celle de 1921. Elles ont respectivement été adoptées en 1868 et 1875 :
Acte concernant la propriété littéraire et artistique, (1875) 38 Vict, c. 88 ; Acte
concernant la propriété littéraire et artistique, (1868) 31 Vict, c. 54.
L’absence de droit commun fédéral reste toutefois contestée par une frange de la
doctrine. Voir notamment MACDONALD (Roderick A.), « Encoding Canadian
Civil Law », dans BRIERLEY (John E.C.) et al., dir, Mélanges Paul-André Crépeau (Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997), p. 579 [Macdonald, « Encoding »] ;
ALLARD (France), « La disposition préliminaire du Code civil du Québec, l’idée
de droit commun et le rôle du Code en droit fédéral » (2010), 88 Canadian Bar
Review 275.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1195
with respect to matters within federal legislative authority,
there is no single body of law in 1867 ; such matters were regulated by [...] pre-confederation laws which were continued in
force by s. 129.28
En clair, la législation fédérale ne peut compter sur un corpus
primaire de règles lui tenant lieu de réservoir conceptuel, parce qu’à
l’opposé du droit des provinces, elle ne s’est guère construite sur la
base d’une réception de droit privé dans un contexte colonial, mais à
partir des interventions positives du constituant fédéral dans les
champs de compétence dont il est investi29.
Ainsi, si les législations fédérales de droit privé émanent des
pouvoirs législatifs du Parlement central dans cette sphère, le droit
fédéral non statutaire dérive, quant à lui, du droit de chacune des
provinces30. Notons que c’est toutefois à partir d’un autre angle
que la Cour suprême du Canada en est venue à rejeter l’existence
d’une common law fédérale supplétive, dans la trilogie Quebec North
Shore, McNamara et Fuller31. En effet, c’est une interprétation restrictive de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867, fondement
juridictionnel de la Cour fédérale, qui a permis à la cour d’ouvrir la
voie à la complémentarité entre le droit fédéral et le droit provincial32.
1.1.2 Le droit provincial, droit supplétif
Comme nous l’avons exposé, c’est par la plume du législateur
fédéral, et les lois qu’il promulgue, que s’exprime, en l’absence de
droit commun fédéral, le droit privé fédéral. Des précisions s’imposent avant d’aller plus loin, ne serait-ce qu’en clarifiant ce à quoi
renvoient les concepts-pivots de droit commun et de complémentarité.
La notion de droit commun recouvre plusieurs acceptions, que
nous n’avons pas l’ambition d’exposer en ces pages33. Retenons sim28. HOGG, supra, note 23, p. 44.
29. BRISSON (Jean-Maurice), « L’impact du Code civil du Québec sur le droit fédéral : une problématique », (1992) 52 Revue du Barreau 345, 348.
30. DENAULT, supra, note 18, p. 38.
31. Quebec North Shore Paper c. C.P. Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054 ; McNamara Construction c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 ; R. c. Thomas Fuller Construction Co.
(1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695.
32. LECLAIR, « Interface », supra, note 9, p. 51.
33. Sur les différents sens à donner au concept de droit commun, lire Macdonald,
« Encoding », supra, note 27 (en anglais, l’expression « common law » désigne à la
fois : 1) la tradition juridique britannique implantée dans les colonies comme le
1196
Les Cahiers de propriété intellectuelle
plement qu’à titre de « dictionnaire législatif par défaut » du droit
fédéral, le droit commun a pour fonction « de fournir à l’interprète
des ressources conceptuelles pour appliquer des lois [...] »34.
L’idée de complémentarité suppose quant à elle l’existence de
deux systèmes entre lesquels puisse s’établir un dialogue. Si le phénomène de complémentarité fait aujourd’hui généralement consensus, au point de sembler aller de soi, sans doute est-il utile de
rappeler qu’il n’en fut pas toujours ainsi35.
Canada ; 2) une méthode de production du droit à travers les jugements émanant
des tribunaux ; 3) les principes, concepts et politiques dégagés par les interprètes
des textes constitutionnels, des conventions internationales, de la jurisprudence,
de la doctrine, de la législation, de la coutume et des valeurs sociales communes ;
4) l’ensemble de règles, principes et concepts qui constituent le fondement du
droit privé ; 5) et, enfin, le droit supplétif appelé à compléter un texte législatif
lacunaire). Voir aussi généralement BRIERLEY (John E.C.), « Quebec’s Common
Law (Droits communs) : How Many Are There ? », dans CAPARROS (Ernest),
dir., Mélanges Louis-Philippe Pigeon (Montréal : Wilson & Lafleur, 1989) 109
[Caparros, Mélanges Louis-Philippe Pigeon] ; GLENN (H. Patrick), On Common
Laws (Oxford : OUP, 2005) ; sur la notion de droit commun sous le Code civil du
Québec, voir Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862 ; BISSON (Alain-François), « La Disposition préliminaire du Code civil du Québec » (1999), 44 McGill
Law Journal 539 ; GLENN (H. Patrick), « La Disposition préliminaire du Code
civil du Québec, le droit commun et les principes généraux du droit », (2005)
46:1-2 Cahiers de droit 339.
34. L’expression est de Roderick A. MACDONALD, « Harmonizing », supra, note 2,
par. 41 ; BRISSON (Jean-Maurice), « Le Code civil, droit commun ? » dans CÔTÉ
(Pierre-André), dir., Le nouveau Code civil : interprétation et application (Montréal : Thémis, 1993) 292, p. 296.
35. Plusieurs commentateurs critiquent la conception du bijuridisme telle que privilégiée par le programme d’harmonisation mis en place par le gouvernement
fédéral. Lire par exemple SULLIVAN (Ruth), “The Challenges of Interpreting
Multilingual, Multijural Legislation”, (2004) 29 Brooklyn Journal of International Law 985 ; LECKEY (Robert), « Rhapsodie sur la forme et le fond de l’harmonisation juridique » (2010), 51 :1 Cahiers de droit 3 ; KASIRER (Nicholas), « L’outreloi » dans CASTONGUAY (Lynne) et al., dir., Étudier et enseigner le droit : hier,
aujourd’hui et demain : études offertes à Jacques Vanderlinden (Bruxelles : Bruylant, 2006) 329, p. 331 (l’auteur parle d’une « épistémologie de la séparation »
dans le contexte du bijuridisme fédéral, expression reprise plusieurs fois dans la
doctrine) ; JUTRAS (Daniel), « Cartographie de la mixité : la common law et la
complétude du droit civil du Québec » (2010), 88 :2 Canadian Bar Review 247,
257-58 [Jutras, « Cartographie de la mixité »] (l’auteur parle d’une conception
d’un droit fédéral « en silos », où « la législation fédérale de droit privé devrait
emprunter, chaque fois que c’est nécessaire, au lexique et à l’appareil conceptuel
du droit civil québécois ». Selon l’auteur, « l’occasion était bonne de favoriser, en
même temps, une interaction fructueuse entre les deux traditions dans la sphère
fédérale. La juxtaposition des deux traditions dans chaque version linguistique
offrait l’occasion d’un dialogue comparatif, ou même d’une compréhension des
normes fédérales qui s’accorde avec l’esprit de l’une et l’autre version ». De cette
lecture, on aurait pu tirer, peut-être, un droit privé fédéral distinctif, appuyé sur
l’une et l’autre tradition, mais néanmoins autonome par rapport aux régimes de
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1197
Premièrement, l’un des deux interlocuteurs – le droit civil – n’a
pas toujours bénéficié de la reconnaissance qui est aujourd’hui la
sienne. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire les premières décisions de la Cour suprême du Canada, qui traduisent ce que certains
commentateurs décrivent comme une volonté systématique d’uniformiser le droit à partir de la common law36. Cette ambition universaliste, décriée dans les milieux juridiques québécois de l’époque, allait
provoquer la naissance d’un mouvement en faveur de la sauvegarde
de la spécificité et de l’intégrité du droit civil québécois, au début du
XXe siècle37. Retraçant l’évolution des relations entre le droit civil et
la common law à la Cour suprême du Canada, les auteurs Lebel et Le
Saunier rappellent ici la contribution décisive des juges Mignault,
Pigeon et Beetz, aux efforts de valorisation du droit civil québécois,
et surtout d’affirmation de son autonomie par rapport à la common
law, qui lui conférèrent le statut dont il jouit désormais38.
Deuxièmement, même une fois le droit civil devenu interlocuteur respecté, l’apparition d’un véritable rapport dialogique entre
le droit civil et la common law ne fut pas automatique. En effet,
droit privé provinciaux. Néanmoins, cette perspective n’a pas été privilégiée dans
le processus d’harmonisation du droit fédéral et du droit civil québécois. » ;
GAUDREAULT-DESBIENS (Jean-François), Les solitudes du bijuridisme canadien. Essai sur les rapports de pouvoir entre les traditions juridiques et la résilience des atavismes identitaires, (Montréal : Thémis, 2007), à la p. 120 : « dès lors
qu’une disposition législative fédérale ne peut être interprétée comme se référant
à un quelconque jus commune provincial et que le sens de cette disposition
demeure ambigu après avoir recouru aux règles ordinaires d’interprétation, cette
disposition devrait être interprétée de la manière qui soit la plus intersubjectivement légitime tant du point de vue de la common law que du droit civil [...] [L]e
cas échéant, la meilleure interprétation serait celle qui ferait le moins possible
injure et au droit civil et à la common law ce qui mènerait presque inévitablement
à l’élaboration d’un droit fédéral dissocié partiellement mixte ou métissé ».
36. LEBEL (Louis) et al., « L’interaction du droit civil et de la common law à la Cour
suprême du Canada », (2006) 47:2 Cahiers de droit 179, 182 et s. [LeBel et Le Saunier] ; JOBIN (Pierre-Gabriel), « Le droit comparé dans la réforme du Code civil
du Québec et sa première interprétation » (1997), 38:3 Cahiers de droit 477, 484 ;
NORMAND (Sylvio), « Un thème dominant de la pensée juridique traditionnelle
au Québec : La sauvegarde de l’intégrité du droit civil » (1986-1987) 32 McGill
Law Journal 559, 578 et s. Pour une critique de la méfiance qu’inspire, encore
aujourd’hui, la common law eu égard au Code civil du Québec, lire JUTRAS,
« Cartographie de la mixité », ibid., p. 249-51 (l’auteur identifie quatre thèmes qui
guident les rapports entre le droit civil et la common law : l’intégrité, la résistance, le ressentiment et la complétude).
37. LEBEL et LE SAUNIER, ibid., p. 186 ; NORMAND, ibid., p. 568-78 (l’enjeu de
préservation du droit civil était notamment inspiré par des préoccupations nationalistes. Parmi les arguments militant en faveur de la défense du droit civil figurent le maintien de l’héritage des anciens, la survivance de la nation et le respect
dû au Code civil en tant que régime codifié).
38. LEBEL ET LE SAUNIER, ibid., p. 187 et s.
1198
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’établissement d’un tel rapport est, selon Lebel et Le Saunier, tributaire d’un ensemble de facteurs d’ordre sociologique et culturel, institutionnel, technique et juridique39. Les auteurs notent par exemple
l’impact positif du Programme d’harmonisation de la législation
fédérale avec le droit civil, qui a permis, depuis son lancement en
1997, de clarifier les questions entourant certains points de rencontre du droit fédéral avec le droit privé des provinces 40.
Précédant ces initiatives, les professeurs Jean-Maurice Brisson
et André Morel se sont penchés sur le principe de complémentarité, dans une étude commandée par le ministère de la Justice du
Canada41. Les auteurs opèrent une distinction entre la complémentarité voulue par le législateur – qui procède alors par renvoi aux lois
provinciales – et celle qui découle implicitement de principes fondamentaux, et notamment de mécanismes constitutionnels canadiens.
Ce deuxième scénario recouvre les situations de « dépendance implicite » de la loi fédérale envers un autre droit, du fait que celle-ci ne
soit pas entièrement autonome et « ne fourni[sse] pas à elle seule
tous les éléments nécessaires à son application et où il faut avoir
39. Ibid., p. 210 et s.
40. Ibid., p. 214 ; MAGUIRE WELLINGTON (Louise), « Bijuridisme canadien :
méthodologie et terminologie de l’harmonisation », dans L’harmonisation de la
législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme
canadien. Deuxième publication, (Ottawa : Ministère de la justice du Canada,
2001) fascicule 4 (le travail d’harmonisation de la législation fédérale avec le droit
civil ne date pas d’hier. Amorcé à la fin des années soixante dix, il s’est accéléré à
la faveur de l’entrée en vigueur du Code civil du Québec, le 1er janvier 1994. Le
Programme s’inscrit dans la continuité de la Politique d’application du Code civil
du Québec à l’administration publique fédérale et de la Politique sur le bijuridisme législatif, respectivement mises en place par le Ministère de la justice du
Canada en 1993 et 1995. Cette dernière politique a pour objectif de « fournir aux
Canadiennes et aux Canadiens l’accès à des textes législatifs fédéraux qui soient
respectueux du système de droit qui les régit, et ce dans chacune des versions linguistiques des textes législatifs ». À cette fin, le Ministère « reconnaît formellement qu’il est impératif que les quatre auditoires canadiens (les francophones
civilistes, les francophones de common law, les anglophones civilistes et les
anglophones de common law) à qui sont destinés les lois et les règlements fédéraux puissent, d’une part, lire ces textes dans la langue officielle de leur choix et,
d’autre part, y retrouver une terminologie et une formulation qui soient respectueuses des concepts, notions et institutions propres au régime juridique (droit
civil ou common law) en application dans leur province ou territoire ».
41. BRISSON et MOREL, supra, note 19. Cette publication constitue une révision
d’un premier texte, qui avait contribué à définir les orientations générales du
bijuridisme législatif canadien : « Droit fédéral et droit civil : complémentarité,
dissociation » dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil
québécois et le bijuridisme canadien. Recueil d’études (Ottawa : Ministère de la
justice, 1997) 213.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1199
recours, pour la compléter, à des concepts et à des règles qui sont
extérieurs à la loi même »42. Selon les auteurs, il en va ainsi
[à] chaque fois qu’une disposition d’une loi fédérale utilise une
notion de droit privé sans la définir ou sans lui donner autrement une signification propre ; à chaque fois aussi qu’une loi
fait défaut de réglementer complètement une question particulière de droit privé ou d’adopter une disposition formelle de renvoi, il faut avoir recours, pour pallier les silences de la loi, à l’un
des deux systèmes juridiques en vigueur.43
Quelle que soit sa justification, le phénomène de complémentarité est, d’après les professeurs Morel et Brisson, appelé à se
déployer dans deux types de situations. La complémentarité est premièrement mise à contribution par ricochet lorsque la loi fédérale,
droit spécial par rapport à celui des provinces, se juxtapose à une
relation de droit privé avant tout fondée et règlementée par le droit
provincial44.
Le droit d’auteur offre un terrain idéal pour illustrer cette première manifestation de la complémentarité. En effet, celui-ci présente plusieurs points de contact avec le droit commun provincial, et
plus spécifiquement celui du Québec : à cet égard, méritent notamment d’être signalées les règles générales du régime des obligations,
les règles relatives aux saisies avant jugement et aux sûretés, les
règles encadrant les relations de travail entre titulaires du droit
d’auteur ou encore celles qui concernent l’arbitrage du droit d’auteur45.
À ce titre, le rattachement entre le droit d’auteur et le droit
privé québécois peut être illustré par l’arrêt Desputeaux c. Les Éditions Chouette, où la Cour suprême devait trancher sur l’arbitrabilité des différends portant sur le droit d’auteur46. L’enjeu, dans cette
affaire, était de savoir si les parties à un contrat de licence d’exploitation d’un personnage de livres pour enfants étaient libres de soumettre l’interprétation et l’application dudit contrat à l’arbitrage. En
42. BRISSON et MOREL, ibid., p. 309.
43. Ibid.
44. Ibid., p. 317. Sur le caractère exceptionnel du droit privé fédéral : Citizens Insurance Company of Canada c. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96.
45. MOYSE, Le droit de distribution, supra, note 12, p. 123 ; voir en matière de
saisies Tri-Tex Co. Inc. c. Gideon, [1999] R.J.Q. 2324 (C.A.) ; PAYETTE (Louis),
« Droit d’auteur et droit commercial : droits d’auteur exploités sous licence, sûretés et insolvabilité », dans Gendreau, Cocktail, supra, note 9, p. 91.
46. Desputeaux c. Les Éditions Chouette, [2003] 1 R.C.S. 178.
1200
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’espèce, la Cour refuse de soustraire à l’arbitrage les litiges concernant la paternité le droit d’auteur au motif que ceux-ci ne peuvent
être assimilés à des questions d’ordre public ou familial, matières
que l’article 2639 C.c.Q. réserve exclusivement à la compétence des
autorités judiciaires47.
La décision Desputeaux est intéressante en ce qu’elle met en
lumière un double arrimage entre la LDA et le Code civil : ce jugement révèle d’une part que, sans acte juridique formé conformément
au C.c.Q., il ne peut y avoir, en droit civil québécois, de contrat de
licence d’exploitation au sens de la LDA ; d’autre part, l’affaire
nous enseigne que, pour déterminer si la question de la titularité des
droits d’auteur peut faire l’objet d’une convention d’arbitrage, c’est
d’abord le Code civil du Québec qu’il faut interroger.
La complémentarité est en deuxième lieu sollicitée quand le
droit provincial se trouve à enrichir une disposition fédérale qui, en
soi, « ne contient pas tout le droit nécessaire à la réalisation de son
objet » : celui-ci peut servir à titre utilitaire (s’il s’agit par exemple
d’isoler un délai de prescription) ou encore sur le plan substantiel,
pour suppléer aux lacunes, aux silences, aux vides et aux imprécisions que laisse la législation fédérale quant au contenu de certaines
notions48. Nous reviendrons à ce second cas de figure dans le cadre de
notre analyse de la licence en droit d’auteur. Retenons pour l’instant
que le droit provincial est, dans ce cas d’espèce, convoqué au chevet
de règles qui pêchent par leur caractère particulièrement incomplet.
Reconnue par les commentateurs et la jurisprudence, la complémentarité est, aux yeux de plusieurs, codifiée par l’article 8 de
la Loi d’interprétation, qui porte sur la propriété et les droits civils.
Nous reproduisons la disposition pour le bénéfice du lecteur :
(1) Le droit civil et la common law font pareillement autorité et
sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de
droits civils au Canada et, s’il est nécessaire de recourir à des
règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d’assurer l’application d’un
texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s’y opposant,
avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans
47. Art. 2639 C.c.Q. : « Ne peut être soumis à l’arbitrage, le différend portant sur
l’état et la capacité des personnes, sur les matières familiales ou sur les autres
questions qui intéressent l’ordre public. Toutefois, il ne peut être fait obstacle à la
convention d’arbitrage au motif que les règles applicables pour trancher le différend présentent un caractère d’ordre public ».
48. BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 317.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1201
cette province au moment de l’application du texte [nous soulignons].
(2) Sauf règle de droit s’y opposant, est entendu dans un sens
compatible avec le système juridique de la province d’application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit
civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui
ont un sens différent dans l’un et l’autre de ces systèmes [Les
italiques sont nôtres.]49
Les extraits qui précèdent appellent quelques remarques. Le
paragraphe 8 (1) stipule l’égalité de statut du droit civil et de la common law comme sources de droit. Cela signifie, autrement dit, qu’un
système ne peut être privilégié au détriment de l’autre : partant,
dans l’interprétation de la terminologie fédérale, l’interprète judiciaire ne saurait présumer d’une intention, de la part du législateur
fédéral, de faire référence aux concepts et aux institutions d’un système particulier, auquel on accorderait, à tort, plus de poids. Toujours selon le paragraphe 8 (1), les sources provinciales supplétives
ne sont mises en branle que lorsqu’« il est nécessaire » de s’en inspirer. Selon Philippe Denault, ce critère de nécessité empêche de
conclure à une complémentarité de principe, puisqu’il n’y aura véritablement complémentarité qu’en cas d’incomplétude de la loi50. Ce
n’est en effet que lorsque la loi ou une de ses dispositions présente
une carence, soit un vide ou un silence, que les tribunaux doivent
obligatoirement interpeller le droit commun des provinces.
Enfin, le paragraphe 8 (2) établit, sur le plan terminologique, le
principe de compatibilité du texte fédéral avec le droit de la juridiction où il s’applique « sauf règle de droit s’y opposant ». Ce dernier
membre de phrase évoque la possibilité que le texte fédéral puisse
exclure l’application supplétive du droit commun provincial, soit par
renvoi ou par la voie de dispositions dérogatoires. C’est ce que Brisson et Morel nomment « dissociation », dont les modalités sont choisies par le législateur ; celui-ci est en effet libre de formuler, dans les
limites de sa compétence (exceptionnelle) en matière de droit privé,
des règles incompatibles le droit privé d’une ou de plusieurs provinces et qui auront préséance sur ce dernier51.
49. Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), c. 1-21, art. 8. Cet article a été introduit en
2001 par la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001,
c. 4.
50. DENAULT, supra, note 18, p. 76-77.
51. BRISSON et MOREL, supra, note 19.
1202
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Qu’en est-il de la LDA ? Où se situe-t-elle sur le spectre complémentarité/dissociation ? On s’étonnera d’abord du fait que la
question de la complémentarité entre la LDA et le droit privé des
provinces ait jusqu’ici peu suscité l’intérêt de la doctrine. Néanmoins, certains travaux se sont penchés sur l’article 89 de la LDA,
qui se lit comme suit : « nul ne peut revendiquer un droit d’auteur
autrement qu’en application de la présente loi ou de toute autre loi
fédérale ; le présent article n’a toutefois pas pour effet d’empêcher,
en cas d’abus de confiance, un individu de faire valoir son droit ou un
tribunal de réprimer l’abus »52.
D’aucuns ont vu dans cet article la confirmation du caractère
statutaire du droit d’auteur, qui semble devoir être lu en isolation53.
Ainsi, en identifiant la LDA comme seul canal de revendication d’un
droit d’auteur, l’article 89 circonscrirait strictement l’interprétation
au seul texte de la loi, évacuant du coup le recours à tout droit supplétif. Or, plusieurs auteurs, parmi lesquels le professeur Moyse,
réfutent cette interprétation, préférant voir dans cette disposition
une clause de réservation de compétence, miroir de l’article 91(23) de
la Loi constitutionnelle de 186754.
Mentionnons enfin que si la complémentarité s’établit de la
même manière entre le droit fédéral et le droit privé de toutes les
provinces canadiennes, reste qu’elle est sans doute plus tangible au
Québec, dont le droit privé appartient à une tradition juridique distincte – rappelons par contraste que le droit fédéral partage avec les
autres provinces canadiennes une même langue juridique, un même
système de référence fondamental, soit celui de la common law55.
Bien que l’harmonisation des effets des lois fédérales à travers le
pays soit certes souhaitable, il n’en demeure donc pas moins qu’« une
« « loi fédérale qui recourt à une source de droit privé externe ne
s’appliquera pas nécessairement de façon uniforme à travers le
pays » »56. Cette asymétrie serait, pour ainsi dire, établie par la Constitution57.
52. Art. 89 LDA, supra, note 1.
53. Voir par exemple TAMARO (Normand), « Le nouveau Code civil, droit commun
des contrats en matière de droits d’auteur ? », (1993) 96 Revue du Notariat
[TAMARO, « Code civil »].
54. MOYSE, Le droit de distribution, supra, note 12, p. 118.
55. Pour un panorama de la jurisprudence de la Cour suprême portant sur les rapports entre le C.c.Q. et le droit fédéral, voir LEBEL (Louis), « L’influence de la
Cour suprême du Canada sur l’application du Code civil du Québec depuis 1994 »
(2010), 88 :2 Canadian Bar Review 231, 238-40.
56. St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 289 au paragraphe 49
[St-Hilaire].
57. Ibid.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1203
À cet égard, quelques commentateurs voient une certaine anomalie dans le fait que le droit fédéral puisse, dans son application,
être modulé selon les droits communs provinciaux, qui lui confèrent
un relief inégal en fonction de l’endroit où il s’applique58. Comme
nous le verrons dans la section qui suit, ce point de vue fut à
l’occasion partagé par les tribunaux qui ont, dans certains domaines
du droit, court-circuité le lien de complémentarité unissant le droit
fédéral à celui des provinces.
1.2 La complémentarité mise en doute : entre
uniformité et autonomie
Nous revenons, en ouverture de cette seconde section, au questionnement qui nous animait en introduction et qui constitue le fil
d’Ariane de cette étude, à savoir à quel corpus de droit l’interprète
doit-il se référer pour « colmater les brèches » de la législation fédérale ? Trois solutions sont envisageables : s’en remettre au droit commun de la juridiction où le texte s’applique, que ce soit le droit civil
au Québec et la common law pour les autres provinces ; privilégier
l’uniformité du droit fédéral en recourant par défaut à la common
law ; ou encore chercher des réponses dans un éventuel droit commun fédéral.
La première option, qui a fait l’objet des pages qui précèdent,
est celle de la complémentarité. Bien qu’elle soit confortablement
établie, celle-ci a toutefois subi quelques assauts, tant de la part de
certains commentateurs que des pouvoirs judiciaires, qui s’en sont
éloignés dans certaines branches du droit. En effet, ces derniers ont
parfois eu tendance à dissocier le droit fédéral du droit commun des
provinces, et a fortiori du droit civil, de façon à uniformiser le droit
fédéral sur la base du système de common law uniquement, d’où les
inégalités décrites. Concernant la troisième option susmentionnée,
nous nous sommes déjà prononcés sur l’absence de droit commun
fédéral. Un courant de pensée juridique avance toutefois l’hypothèse
d’un droit commun fédéral d’origine judiciaire.
58. Ce qui explique peut-être le « forum shopping » entre les cours fédérales et les
cours supérieures provinciales auquel peuvent se livrer les praticiens, particulièrement au Québec. Voir par exemple en matière d’injonctions interlocutoires :
CARRIÈRE (Jean), « Injonction interlocutoire : dans les faits, existe-t-il vraiment
au Québec un choix de forum entre la Cour fédérale et la Cour supérieure ? », dans
Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements
récents en droit de la propriété intellectuelle, vol. 157 (Cowansville, Éditions Yvon
Blais, 2001), p. 149.
1204
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.2.1 L’uniformisation du droit fédéral par
l’interprète judiciaire
La complémentarité du droit provincial vis-à-vis des lois fédérales est à l’occasion mise à mal au nom d’une quête d’uniformité
d’application du droit fédéral à travers le pays. Par opposition à la
dissociation réalisée par le législateur, nous parlons ici de « dissociation judiciaire », où l’unité de la législation fédérale est cette fois
décrétée par les tribunaux59. Dans ces cas d’espèce, les juges sont
tentés de procéder à l’unification du droit privé fédéral en évinçant
l’application du droit provincial supplétif. Cette position participe,
de l’avis de Brisson et Morel, d’une certaine impression d’inadéquation – tant sur le plan linguistique que substantiel – entre le droit
civil et le droit fédéral, qui se manifeste, en pratique, par un repli
vers la common law60. Ce réflexe est par ailleurs animé par le sentiment qu’un texte législatif fédéral « à géométrie variable » frustrerait
la finalité même des compétences fédérales, vouées à régir « l’ensemble du pays »61. Selon les auteurs, trois sortes d’arguments servent à écarter la complémentarité du droit provincial : les cours
canadiennes invoqueront tour à tour les origines de la législation, les
objectifs du législateur ou l’autonomie de la loi fédérale62.
Nombreuses sont les lois fédérales qui empruntent au modèle
conceptuel de la common law. En effet,
[n]ul n’oserait contester le fait que la législation fédérale est, de
façon régulière, rédigée dans un style et suivant un schème de
pensée qui sont caractéristiques du système de common law,
quand elle n’est pas au surplus inspirée directement de modèles anglais. La structure de la loi, son libellé, sa teneur même,
tout nous renvoie au droit anglais. Ce sont là autant de points
de rattachement qui facilitent une interprétation de la loi dans
un contexte de common law et en faisant appel à son univers
conceptuel [notes omises].63
Ceci est particulièrement vrai dans le cas de la Loi sur le droit
d’auteur, dont la première mouture moderne était copiée sur la loi
anglaise de 191164. Par ailleurs, n’a-t-on pas dit de la LDA qu’elle
59.
60.
61.
62.
DENAULT, supra, note 18, p. 7.
BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 315.
BRISSON, supra, note 29, p. 347.
BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 311 (par souci de commodité, nous reprenons la structure de ce texte, qui a pour vertu la clarté).
63. Ibid.
64. Voir supra, note 26.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1205
comptait parmi les systèmes dits « fermés » du droit d’auteur65 ?
À l’inverse des législations continentales de droit d’auteur, qualifiées
d’« ouvertes » – lesquelles s’appuient sur des principes larges et généraux –, les systèmes fermés énoncent plutôt, à l’instar d’un catalogue, les droits qui sont couverts, et ce, de façon limitative66. Les
systèmes fermés se caractérisent en outre par leur mode d’extension
du droit d’auteur, qui s’effectue essentiellement par l’entremise du
législateur. En territoire de copyright, les juges sont en effet réticents à repousser les frontières du droit d’auteur67. Les pouvoirs
judiciaires canadiens s’inscrivent résolument dans cette mouvance,
en ce qu’ils font traditionnellement preuve d’une grande déférence
dans l’interprétation de la Loi68.
Au vu de ce qui précède, la LDA paraît toute droit sortie d’un
moule de common law. Mais peut-on pour autant en déduire que le
législateur avait la volonté de substituer, en ce qui concerne le Québec, le droit civil par la common law comme source de droit complémentaire ? Défendue par certains, cette idée est en revanche écartée
par Brisson et Morel, pour qui le lien de parenté unissant la législation fédérale à la common law ne serait pas, en soi, déterminant69. Ils
font observer, à l’appui de cette opinion, qu’un bouleversement aussi
complet aurait sans doute requis une indication claire de l’intention
du législateur70. Si l’on emprunte ce raisonnement, il appert que
l’appartenance de la LDA à la famille de la common law ne permettrait pas de conclure à la liquidation complète du droit supplétif provincial aux fins de son interprétation.
Au lieu de sonder le mode d’élaboration de la loi, les autorités
judiciaires ont parfois choisi de consulter l’objet de celle-ci, suivant une interprétation téléologique. Cette démarche a notamment
trouvé écho en droit maritime, domaine où la Cour suprême a été
plutôt réceptive aux arguments d’efficience économique afin de justi65. STROWEL, supra, note 10, p. 146 ; MOYSE, Le droit de distribution, supra,
note 12, p. 119.
66. STROWEL, ibid. Sur les distinctions entre les deux traditions, lire plus généralement GENDREAU (Ysolde), La photographie et le droit d’auteur en droit français, américain, britannique et canadien (Paris : LGDJ, 1994) ; FRANÇON
(André), Le droit d’auteur : aspects internationaux et comparatifs (Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 1992).
67. STROWEL, ibid.
68. MOYSE, Le droit de distribution, supra, note 12, p. 119 ; voir par exemple à ce
sujet Bishop c. Stevens, [1990] 2 R.C.S. 467 [Bishop] ; Compo Co. Ltd. c. Blue
Crest Music, [1980] 1 R.C.S. 357 [Compo].
69. BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 312.
70. Ibid.
1206
Les Cahiers de propriété intellectuelle
fier l’uniformisation du droit privé fédéral. Dans une série d’arrêts
âprement critiqués par les observateurs québécois, la Cour a proclamé l’uniformité du droit maritime canadien, tout en fermant définitivement la porte au droit provincial d’application supplétive, et
parfois aux dépens du droit civil71.
Décision phare en cette matière, ITO-Int’l Terminal Operators
c. Miida Electronic annonce, pour la première fois, l’application
d’une common law fédérale en droit maritime72. Dans ce pourvoi, se
posent les questions du champ d’application du droit maritime, et de
la compétence de la Cour fédérale par rapport à celui-ci. L’affaire se
résume, en quelques mots, à une action en négligence intentée par le
propriétaire d’une cargaison de calculatrices contre le transporteur
et une compagnie d’acconage et de manutention, pour le vol de cartons de marchandises, laissés sans surveillance dans l’entrepôt portuaire. Les faits donnent à penser que le différend peut soit porter
sur le droit maritime stricto sensu, soit relever du droit de la responsabilité contractuelle ou délictuelle, en touchant le droit maritime de
façon incidente.
La Cour penche, on l’aura deviné, pour la première version. Elle
dispose de l’affaire en tablant sur une interprétation (très) extensive
de la compétence fédérale exclusive en matière de « navigation et
expéditions par eaux » (art. 91(10)) et de la juridiction qui revient à la
Cour fédérale sous l’égide de la Loi sur les Cours fédérales73. Selon la
Cour, dès lors qu’un litige de droit privé présente une quelconque
connexité maritime, ce sont les règles de droit anglais maritimes
et la common law relative aux affaires d’amirauté qui trouvent à
71. ITO-Int’l Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752 [ITO] ; voir
aussi Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437. Pour une perspective critique, voir par exemple BRAËN (André), « La responsabilité en matière maritime » (2002), 62 Revue du Barreau 387 ; BRAËN (André), « De l’effet relatif du
contrat maritime ou de la relative uniformité du droit maritime canadien »,
(2001) 31 Revue générale de droit 473 ; LEFEBVRE (Guy), « L’uniformisation du
droit maritime canadien aux dépens du droit civil québécois : lorsque l’inWdélité
se propage de la Cour suprême à la Cour d’appel du Québec », (1997) 31 Revue
juridique Thémis 577 ; LECLAIR (Jean), « L’impact de la nature d’une compétence législative sur l’étendue du pouvoir conféré dans le cadre de la Loi constitutionnelle de 1867 », (1994) 28 Revue juridique Thémis 661 ; LEFEBVRE (Guy) et
al., « La Cour suprême et le droit maritime : la mise à l’écart du droit civil québécois est-elle justiWable ? » (1991), 70 Canadian Bar Review 121 ; BRAËN (André),
« L’arrêt ITO-International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc., ou
comment écarter l’application du droit civil dans un litige maritime au Québec »
(1987), 32 McGill Law Journal 386.
72. ITO, ibid.
73. Loi constitutionnelle de 1867, supra, note 20, art. 91(10) ; Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), c. F-7, art. 2.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1207
s’appliquer, telles qu’incorporées par référence en droit maritime
canadien par le truchement de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales74.
L’impératif d’uniformité du droit maritime canadien s’explique, d’après la Cour, par des considérations d’ordre pratique. Elle
cite tantôt la nécessité d’une application indifférenciée du droit
maritime à l’échelle de l’ensemble des voies navigables du pays ;
l’intégration étroite entre les activités des transporteurs locaux et
interprovinciaux ; ou encore la promotion de la certitude juridique
dans le cadre du commerce international75. En tout état de cause,
peu importe le motif invoqué, le résultat est le même, car « dans la
mesure où le droit fédéral se pose comme la source première de droit
commun, il ne subsiste que peu d’espace pour l’expression du droit
provincial »76. Se clôt alors le dialogue entre le droit fédéral et le droit
des provinces, ce dernier étant bâillonné.
Les tribunaux résisteront-ils aux sirènes de l’uniformisation
eût égard au droit d’auteur ? Les arguments d’efficience économique
y trouveront-ils pareillement preneur ? Il convient ici de rester circonspect, car l’exemple du droit maritime est, semble-t-il, à manier
avec précaution. En effet, le parallèle entre le droit d’auteur et le
droit maritime comporte des limites, étant donné la spécificité inhérente à cette dernière branche du droit, qui a historiquement revêtu
une dimension fortement transnationale77. Pour le professeur Jean
Leclair, l’interpénétration quasi inextricable entre la LDA et le droit
provincial milite contre la réception de tels arguments en droits
d’auteur78.
Terminons à présent par la dernière source de dissociation judiciaire, à savoir celle de l’autonomie que reconnaissent les tribunaux
à certaines législations fédérales ou à quelques-unes de leurs dispositions.
74.
75.
76.
77.
ITO, supra, note 71, p. 788.
Ibid.
LEBEL et LESAUNIER, supra, note 36, p. 218.
BRAËN (André), Le droit maritime au Québec, (Montréal : Wilson & Lafleur,
1992), aux paragraphes 8-10 (selon l’auteur, l’originalité du droit maritime tient
à la nature des règles qui le composent, fondées sur les « usages et les coutumes
des gens de mer, et [...] souvent communes à toutes les nations maritimes ». Le
droit maritime se démarque en outre par le fait qu’il se soit développé sous les
auspices de tribunaux spécialisés, soit les tribunaux maritimes ou cours d’amirauté).
78. LECLAIR, « Interface », supra, note 9, p. 50.
1208
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Rappelons qu’il est loisible au Parlement central de créer, dans
la poursuite d’une fin qui lui est propre, n’importe quelle institution
juridique, en s’affranchissant des véhicules conceptuels fournis par
la common law ou le droit civil. Aussi peut-il redéfinir une notion
propre à l’une ou l’autre des traditions en dérogeant à sa signification usuelle. Dans cette optique, la législation fédérale de droit privé
ne serait ancrée dans aucune des traditions juridiques canadiennes,
mais transcenderait plutôt chacune d’elles.
Ces procédés législatifs ont parfois été pris pour preuves d’une
véritable autonomie du droit privé fédéral à l’égard du droit provincial. Ainsi, certaines dispositions de la Loi sur la faillite ou la Loi sur
les banques ont été qualifiées de « codes complets » auto-suffisants,
parce qu’elles ne trouvaient d’équivalents dans le droit d’aucune province79. En d’autres occasions, les lois ou articles dits « autonomes »
n’ont été que la transposition, en droit domestique, de traités internationaux dont le Canada est partie, et qui ont pour effet d’importer,
en droit canadien, des notions jusque-là inédites80.
Souvenons-nous que l’argument de l’autonomie de la LDA a
notamment été fait par Normand Tamaro, pour qui la LDA « forme
un code complet »81. Il se fonde en cela sur la lettre de l’article 63 de la
LDA, prédécesseur de l’actuel article 89 susmentionné. Semblable
raisonnement se retrouve aussi chez les common lawyers, pour qui la
déférence envers le texte législatif, droit de spécialité, est tentante.
Préséance est ici donnée à la loi particulière qui fixe la common law
sur le droit d’auteur en un instantané figé :
[...] un common lawyer dirait que le droit d’auteur procède d’un
« statute » qui prend en considération des droits spécifiques présentés sous une forme systématique. Partant, dire que la Loi
sur le droit d’auteur constitue un code complet [...] signifierait
grosso modo que la common law et l’equity ne peuvent plus
aider à découvrir les règles régissant l’existence des droits
d’auteur. Le « statute » suppléerait complètement à toutes
autres sources du droit, du moins quant aux règles fond applicables en matière de droit d’auteur.82
79. Loi sur les banques, L.C. 1991, c. 46 ; Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C.
(1985), c. B-3 ; Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121 ; B.C. c. Henfrey
Samson Belair, [1989] 2 R.C.S. 24.
80. BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 314.
81. TAMARO, « Code civil », supra, note 53, p. 12.
82. TAMARO (Normand), « La dissociation de la propriété du Code civil des droits
d’auteur : l’exemple de la saisie », dans Service de la formation permanente du
Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle,
(Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1991), p. 153, p. 160-61.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1209
Qui plus est, il nous faut convenir du fait que le droit d’auteur,
et la propriété intellectuelle en général, sont sujets à une forte réglementation internationale. Ceci est d’autant plus vrai depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le 1er janvier
1995, et l’entrée en vigueur concomitante de l’Accord sur les aspects
des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, qui
s’ajoute aux conventions préexistantes et aux traités régionaux sur
la propriété intellectuelle83. L’internationalisation du droit d’auteur
sous l’égide de l’OMC accentue, à n’en pas douter, la pression en
faveur d’une interprétation cohérente et uniforme, voire « globalisante », du droit d’auteur à l’échelle nationale84.
83. Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, Annexe 1C de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale
du commerce, 15 avril 1994, 1869 R.T.N.U. 332 (entrée en vigueur : 1er janvier
1995) ; sur l’internationalisation de la propriété intellectuelle voir notamment
BLAKENEY (Michael), « International intellectual property jurisprudence after
TRIPs » dans VAVER (David) et al., dir., Intellectual Property in the New Millenium : Essays in Honour of William R. Cornish (Cambridge : CUP, 2004), p. 3.
L’Accord sur les ADPIC l’Accord incorpore et complète certaines dispositions des
différentes conventions internationales existantes, qui deviennent des normes
minimales obligatoires pour tous les Membres de l’OMC : Convention de Paris
pour la protection de la propriété industrielle du 20 mars 1883 revisée à Bruxelles
le 14 décembre 1900, à Washington le 2 juin 1911, à La Haye le 6 novembre 1925, à
Londres le 2 juin 1934, à Lisbonne le 31 octobre 1958 et à Stockholm le 14 juillet
1967, 14 juillet 1976, 828 RTNU 305 ; Convention de Berne pour la protection des
œuvres littéraires et artistiques, 24 juillet 1971, 1161 RTNU 3 (entrée en vigueur :
6 juin 1982) ; Traité de coopération en matière de brevets (avec Règlement d’exécution annexé et procès-verbal de rectification de l’original français du Traité en date
du 14 juin 1972), 19 juin 1970, 1160 RTNU 267 (entrée en vigueur : 24 janvier
1978) ; Convention de Rome pour la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion,
26 octobre 1961, 496 RTNU 43 (entrée en vigueur : 18 mai 1964).
84. BROWNLIE (Ian), Principles of Public International Law, 7e éd. (Oxford : OUP,
2008), à la p. 45. (suivant la théorie dualiste, l’incorporation des traités internationaux en droit canadien requiert un acte de transposition par voie d’une loi de
mise en œuvre. Bien qu’on ne puisse parler de transposition directe – à la différence de certains pays de tradition moniste – le droit canadien est certainement
influencé par les obligations auxquelles consent le Canada sur la scène internationale). Par contraste, voir pour la France DAILLIER (Patrick) et al., Droit
International Public, 7e éd. (Paris : LGDJ, 2002), p. 232 et s. On assiste, au
Canada comme ailleurs, à une inflation normative de la propriété intellectuelle.
Au niveau substantiel, celle-ci a considérablement élargi son champ d’application, pour embrasser une vaste panoplie d’activités inventives, bien au-delà
des matières qui l’ont vu naître. On ne s’émeut guère aujourd’hui qu’en droit
d’auteur, les ouvrages de Boris Vian, Margaret Atwood ou encore Salinger
côtoient la publicité, l’architecture, les compilations musicales et les chorégraphies. Des développements analogues sont à souligner en droit des brevets et en
droit des marques.
1210
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.2.2 Le bijuridisme dérivatif
Malgré le consensus dont il est généralement l’objet, le principe
de complémentarité demeure aussi contesté par une frange de la doctrine. Par exemple, la professeure Ruth Sullivan s’oppose à la thèse
de la complémentarité/dissociation au motif que celle-ci nie toute
autonomie conceptuelle à la législation fédérale, alors cantonnée
dans un rapport de dépendance ontologique avec le droit provincial.
En effet, pour l’auteure,
[t]he unstated assumption here is that in interpreting a federal
enactment, judges have no jurisdiction to develop and apply
distinctly federal concepts or principles based on their reading
of the federal text in the context of Canadian law generally
(both federal and provincial) as well as in the context of other
sources. In other words, the only legitimate legal context for
interpreting federal legislation that deals with property or civil
rights is provincial law and more particularly the jus commune
embodied in the Civil Code in Québec or scattered through case
law and legislation in the common law provinces.85
Il s’agit alors de déterminer si les juges peuvent eux- mêmes, en
interprétant la loi fédérale, créer un droit non légiféré (unenacted
law)86. L’auteure répond ici par l’affirmative. Elle rejoint en cela la
professeure France Allard, qui fait valoir que la Cour suprême
adopte déjà, dans certains domaines du droit, une approche uniforme qui puise tant dans la tradition de droit civil que celle de
common law87. Daniel Jutras fait quant à lui remarquer que les
deux traditions sont appelées à interagir de diverses manières dans
les jugements des cours canadiennes88. Il recense par exemple des
arrêts où les tribunaux consultent les deux traditions afin de choisir la solution la plus judicieuse au problème juridique posé. Dans
85. SULLIVAN, supra, note 35, à la p. 1041.
86. Ibid., 1042.
87. ALLARD, « Impact sur le bijuridisme », supra, note 3, p. 21 et s. ; LAVALLÉE
(Louise), « Manifestations du bijuridisme dans les jugements de la Cour suprême
du Canada depuis l’adoption du Code civil du Québec », dans L’harmonisation de
la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme
canadien, Deuxième publication, (Ottawa : Ministère de la justice du Canada,
2001), fascicule 3, 1 ; GRENON (Aline), « The Interpretation of Bijural or Harmonized Federal Legislation : Schreiber v. Canada (A.G.) » (2005), 84 Canadian Bar
Review 132. [Grenon, Schreiber]
88. JUTRAS (Daniel), « Emerging Issues in Private Law : A Case of Cross-Fertilization », contribution présentée dans le cadre de la Conférence sur le bijuridisme
(Toronto : National Judicial Institute, 4 avril 2003), tel que cité dans Sullivan,
supra, note 35, note 249.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1211
d’autres décisions, la dualité des sources est inhérente au sujet
même du litige.
Selon Sullivan, ces différentes configurations démontrent les
avantages du bijuridisme dérivatif, où la législation fédérale est susceptible d’être interprétée à l’aune de l’ensemble des sources pertinentes, que celles-ci proviennent de la common law, du droit civil, du
droit autochtone, ou encore du droit international.
Ainsi, dans l’optique du bijuridisme dérivatif, ces divers systèmes sont conviés à un dialogue, à l’issue duquel s’opère un véritable
processus de création du droit. Au terme de cette hybridation naît
une norme méta-systémique qui se situe au-delà du texte, et qui
résulte du partage symbiotique entre les traditions89. De fait, par le
chevauchement des représentations culturelles et complémentaires
propre à chaque système, « le bijuridisme augmente les possibilités
d’expression de la norme explicite, qu’elle soit légiférée, judiciaire ou
conventionnelle »90.
Les auteurs Brisson et Morel avaient d’ailleurs proposé, dans
leur étude fondatrice sur la complémentarité, de vérifier l’existence
d’un droit d’auteur autonome d’origine judiciaire91. Bien que nous
n’ayons pas le projet de répondre à cette invitation, nous nous proposons d’examiner cette hypothèse à travers notre examen du concept
de licence, tel qu’interprété par la Cour suprême dans l’affaire EuroExcellence c. Kraft.
2. ÉTUDE DE CAS : LA LICENCE À LA LUMIÈRE DE
L’AFFAIRE EURO-EXCELLENCE C. KRAFT
La cause Kraft a assurément délié les plumes des auteurs. Si
ceux-ci se sont surtout concentrés sur les questions, fort riches, du
régime d’importation parallèle et du cumul des droits, peu a cependant été écrit sur la notion de licence92. Aussi nous attellerons-nous,
89. JUTRAS (Daniel), « Énoncer l’indicible : le droit entre langues et traditions »
(2000), 52 :4 Revue internationale de droit comparé 781, p. 793 [JUTRAS, « Énoncer l’indicible »]. Sur ce sujet, lire MACDONALD (Roderick A.), « Legal Bilinguism » (1997), 42 McGill Law Journal 119. C’est à dessein que nous avons
occulté la question, très riche, du bilinguisme juridique.
90. JUTRAS, « Énoncer l’indicible », ibid., p. 795 ; voir aussi GLENN (H. Patrick),
« Le droit comparé et la Cour suprême du Canada », dans Ernest Caparros,
Mélanges Louis-Philippe Pigeon, supra, note 33, p. 197.
91. BRISSON et MOREL, supra, note 19, note 136.
92. Voir généralement DRAPEAU (Daniel S.), « Marchandises d’importation parallèle : une Cour suprême divisée », (2008) 20 Cahiers de propriété intellectuelle
1212
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dans cette deuxième partie, à l’analyse de l’affaire Euro-Excellence
c. Kraft, qui nous permettra de mettre la grille d’analyse précédemment exposée à l’épreuve de la pratique judiciaire. Dans cette
deuxième partie, nous tenterons de situer l’interprétation du concept
de licence par la Cour suprême du Canada sur l’axe complémentarité/dissociation. Nous verrons dans l’affaire Kraft que si la LDA
semble pour les uns se suffire à elle-même, son interprétation justifie
pour les autres de faire appel aux outils de la common law.
2.1 La LDA en état d’autarcie
Nous ne pouvons tout d’abord faire l’économie d’un résumé de
cette cause complexe. La complexité de la décision Kraft tient surtout à la multiplicité des opinions exprimées, qui lui donnerait des
airs de « courtepointe juridique »93. En effet, la Cour est fort divisée,
et c’est en vain que l’on rechercha la ratio decidendi de son jugement :
aux motifs de Rothstein, auxquels souscrivent trois juges, se greffent
des motifs concordants, des motifs concordants quant au résultat
seulement, ainsi qu’une dissidence.
C’est d’abord l’opinion dissidente, rédigée par la juge Abella,
qui retiendra notre attention. À l’instar du jugement rendu par la
juge Desjardins de la Cour d’appel fédérale, les motifs de la juge
Abella, auxquels adhère la juge en chef, traduisent l’idée que la LDA
renferme en elle-même toutes les clés nécessaires à l’interprétation
de la notion de licence.
2.1.1 Kraft ou les chocolats de la discorde
Débutons, à titre liminaire, par un succinct rappel des faits,
pour ensuite extraire l’essence du raisonnement des juges.
Le 26 juillet 2007, la Cour suprême du Canada rendait sa décision dans l’affaire Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc. Le litige
183 ; HITCHMAN (Carol) et al., « Euro-Excellence Inc. v. Kraft Canada Inc. »
(2007), 7 Canadian International Law 118 ; HUTCHISON (Cameron J.), « Which
Kraft of Statutory Interpretation ? A Supreme Court of Canada Trilogy on Intellectual Property Law » (2008), 46 Alberta Law Review 1 ; SCASSA (Teresa),
« Using Copyright Law to Prevent Parallel Importation : A Comment on Kraft
Canada Inc. v. Euro Excellence, Inc. » (2006), 85 Canadian Bar Review 409 ;
TOMKOWICZ (Robert), « Copyrighting Chocolate : Kraft Canada v. Euro Excellence » (2007), 20 Intellectual Property Journal 399.
93. GOUDREAU (Mistrale), « L’affaire Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc. »,
(2007) 37 Revue générale de droit 515, 519 [GOUDREAU, « L’affaire Kraft »].
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1213
oppose Euro-Excellence, distributeur non autorisé de tablettes de
chocolats Côte-d’or et Toblerone, à Kraft Canada Inc (« KCI »), distributeur canadien exclusif de ces produits, ainsi que les deux sociétés
mères, Kraft Foods Belgium SA (« KFB ») et Kraft Foods Schweiz AG
(« KFS »), qui les fabriquent en Europe.
Les intimés reprochent à Euro-Excellence d’avoir continué à
vendre des produits de confiserie Côte-d’or après l’expiration de son
contrat de distribution et de commercialiser, toujours sans autorisation, des tablettes Toblerone, en s’approvisionnant de revendeurs européens dont l’identité n’est pas dévoilée94. Il est à préciser
qu’Euro-Excellence ne met pas sur le marché des imitations frauduleuses des tablettes litigieuses, mais bien les produits authentiques
de KFB et KFS, toutefois importés par des voies de distribution
parallèles95. En tout état de cause, les activités d’Euro-Excellence
font concurrence à KCI, détenteur d’un monopole de distribution sur
le territoire canadien.
Cependant, KCI ne fait pas valoir ses droits à titre de titulaire
de marque de commerce. Les recours habituellement disponibles en
droit des marques – soit le délit de contrefaçon codifié par la Loi sur
les marques de commerce (LMC) ou le délit de substitution (passing-off) existant à la fois en common law et en vertu de la LMC –
sont tenus en respect, étant donné l’absence d’emploi contrefaisant,
de fausse représentation ou de confusion quant à l’origine du produit96. Peu importe l’identité du distributeur ou le réseau de distribution emprunté, la fonction du droit des marques est respectée,
dans la mesure où les produits véritables du producteur sont vendus
pour ce qu’ils sont en indiquant leur provenance97.
Pour contourner l’impuissance du droit des marques, KFB et
KFS développent une stratégie visant à contrer la distribution canadienne de tablettes par Euro-Excellence, en déplaçant le litige sur le
terrain du droit d’auteur98. Pour ce faire, KFB et KFS enregistrent
94. Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc., [2004] 4 R.C.F. 410, par. 1 [Kraft c.
Euro-Excellence (CF)].
95. Ibid., par. 2-3.
96. MOYSE (Pierre-Emmanuel), « Kraft Canada c. Euro-Excellence : l’insoutenable
légèreté du droit » (2008), 53 McGill Law Journal 741, 757 [MOYSE, « Insoutenable légèreté »] ; Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), c. T-13, art. 7.
Sur la protection des marques de commerce dans le contexte bijuridique canadien, lire SCASSA (Teresa), « The challenge of trademark law in Canada’s federal
and bijural system » dans GENDREAU, Emerging Paradigm, supra, note 12,
p. 3.
97. MOYSE, « Insoutenable légèreté », ibid.
98. Kraft c. Euro-Excellence (CF), supra, note 94, par. 4.
1214
Les Cahiers de propriété intellectuelle
au Canada, dans la catégorie des œuvres artistiques protégées par le
droit d’auteur, les logos décorant les emballages de tablettes de chocolat, et concèdent à KCI une licence exclusive d’utilisation et de
reproduction de ces logos99. Les sociétés mères se joignent ensuite au
distributeur canadien KCI pour intenter une poursuite en contrefaçon contre Euro-Excellence. Ils sollicitent, ce faisant, une ordonnance interdisant à Euro-Excellence de vendre, de distribuer, de
mettre ou d’offrir en vente des produits de confiserie Côte d’Or et
Toblerone dont les papiers d’emballage arborent les dessins protégés
par le droit d’auteur100. L’acte de contrefaçon visé consiste en l’importation illégale, au Canada, des exemplaires des œuvres que sont
les emballages des tablettes de chocolat marqués d’un logo.
Kraft Canada s’appuie sur l’alinéa 27(2)e) de la LDA, qui traite
du recours en importation, pour tenter de contraindre Euro-Excellence à masquer les illustrations protégées. Cette disposition se lit
comme suit :
[c]onstitue une violation du droit d’auteur [l’importation de]
l’exemplaire d’une œuvre [...] [en vue de l’un ou l’autre des actes
visés aux alinéas a) à c)], alors que la personne qui accomplit
l’acte sait [...] que la production de l’exemplaire [...] constituerait une [violation de ce droit] si l’exemplaire avait été produit
au Canada par la personne qui l’a produit.101
L’alinéa 27(2)e) protège le titulaire canadien contre l’importation parallèle de ses œuvres en établissant une présomption de violation de ses droits d’auteur même quand les œuvres importées ne
contreviennent pas aux législations sur les droits d’auteur dans leur
pays de provenance102. Cet article concerne les violations de droits
99.
100.
101.
102.
Ibid.
Ibid., par. 3.
Alinéa 27(2)e) LDA, supra, note 1.
Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 21 (le juge Rothstein explique la
finalité de cet article en ces termes : « l’alinéa 27(2)e) vise apparemment à accorder une protection supplémentaire au titulaire du droit d’auteur canadien qui ne
détient pas le droit d’auteur sur l’œuvre en question à l’étranger. L’alinéa 27(2)e)
protège le titulaire du droit d’auteur canadien contre l’« importation parallèle »
en présumant qu’il y a violation du droit d’auteur même lorsque les œuvres
importées ne violent pas les lois sur le droit d’auteur dans le pays où elles ont été
produites. Sans l’al. 27(2)e), le titulaire du droit d’auteur étranger qui pourrait
fabriquer l’œuvre à un coût moindre à l’étranger pourrait venir saturer le marché canadien de son œuvre, ce qui dépouillerait de toute utilité le droit d’auteur
canadien. L’alinéa 27(2)e) traduit ainsi l’intention du législateur d’assurer que
le titulaire du droit d’auteur canadien obtienne une juste récompense même
s’il ne détient pas le droit d’auteur à l’étranger ») ; Kraft Canada Inc. c. Euro
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1215
d’auteur à une étape ultérieure, et s’étend donc par exemple aux
situations où une personne est réputée avoir violé un droit d’auteur
même si elle n’a pas elle-même produit ou reproduit l’œuvre protégée.
La mécanique particulière de l’alinéa 27(2)e) de la LDA
requiert que l’on développe un peu plus. La Cour suprême, dans
l’affaire CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, identifie
trois éléments pour prouver la violation à une étape ultérieure suivant le paragraphe 27(2) : « (1) une violation initiale du droit d’auteur ; (2) l’auteur de la violation à une étape ultérieure aurait dû
savoir qu’il utilisait le produit d’une violation initiale du droit d’auteur ; (3) l’auteur de la violation à une étape ultérieure a vendu, mis
en circulation ou mis en vente des marchandises constituant des contrefaçons »103. L’alinéa 27(2)e) se présente toutefois comme une
exception à cette proposition générale en trois volets, puisque contrairement aux alinéas 27(2) a) à d), on n’exige pas qu’il y ait violation initiale réelle ; une violation initiale hypothétique suffit104. Les
faits sont ici soumis au « test du fabricant hypothétique »105, par
lequel les plaignants doivent « prouver que les œuvres contestées
qui ont été importées et mises en circulation par Euro-Excellence
auraient constitué une violation du droit d’auteur si elles avaient été
produites au Canada par les personnes qui les ont produites en
Europe », soit les sociétés mères Kraft, KFB et KFS106 [les italiques
sont nôtres].
Pour établir l’existence d’une violation hypothétique, il faut
donc déterminer si les sociétés KFB et KFS auraient contrevenu
aux droits d’auteur de Kraft Canada – à qui elles ont concédé une
licence exclusive sur les droits d’auteur relatifs à Toblerone et à Côte
d’Or – si elles avaient produit les œuvres protégées au Canada.
103.
104.
105.
106.
Excellence Inc., [2006] 3 R.C.F. 91, au paragraphe 2 [Kraft c. Euro-Excellence
(CAF)] (en se basant sur l’alinéa 27(2)e) de la LDA, Kraft Canada cherche à freiner le « marché gris » de ses œuvres, terme défini par la Cour d’appel fédérale de
la façon suivante : « « marché gris » [...] s’entend généralement de biens qui sont
importés contrairement aux souhaits du titulaire du droit d’auteur ou d’un
importateur autorisé dans un territoire spécifique. Il s’agit d’un bien qui, règle
générale, est légitimement mis sur le marché étranger mais dont la présence sur
le marché local est assombrie par suite d’allégations de contrefaçon. D’où le nom
« marché gris », par opposition au marché noir, où il y a contravention au droit
d’auteur, et au marché blanc, où il n’y a pas contravention au droit d’auteur »).
CCH, supra, note 16, par. 81.
Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 14, 19.
MOYSE, « Insoutenable légèreté », supra, note 96, p. 760.
Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 22.
1216
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’issue de l’affaire se joue donc sur la portée et la nature des droits
octroyés au licencié exclusif107.
Trois dispositions de la LDA viennent éclairer la notion de
licence exclusive. La Loi sur le droit d’auteur s’intéresse d’abord, par
le biais de son paragraphe 13(4), aux rapports contractuels créés par
la délivrance de licences. Le prescrit de la LDA va comme suit :
[l]e titulaire du droit d’auteur sur une œuvre peut céder ce
droit, en totalité ou en partie, d’une façon générale ou avec des
restrictions relatives au territoire, au support matériel, au secteur du marché ou à la portée de la cession, pour la durée complète ou partielle de la protection ; il peut également concéder,
par une licence, un intérêt quelconque dans ce droit ; mais la
cession ou la concession n’est valable que si elle est rédigée par
écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet, ou par
son agent dûment autorisé.108
S’ajoutent ensuite les paragraphes 2(7) (définition de la licence
exclusive) et 13(7) (possession du droit d’auteur) de la LDA, dont les
libellés se lisent ainsi :
2 (7) Pour l’application de la présente loi, une licence exclusive
est l’autorisation accordée au licencié d’accomplir un acte visé
par un droit d’auteur de façon exclusive, qu’elle soit accordée
par le titulaire du droit d’auteur ou par une personne déjà titulaire d’une licence exclusive ; l’exclusion vise tous les titulaires.
13 (7) Il est entendu que la concession d’une licence exclusive sur
un droit d’auteur est réputée toujours avoir valu concession par
licence d’un intérêt dans ce droit d’auteur [Les italiques sont
nôtres.]109
Nous reviendrons à ces articles. Contentons-nous pour l’heure
de souligner qu’ils se prêtent à plusieurs lectures, tel qu’en témoigne
d’ailleurs la mosaïque de motifs composant le jugement. De l’avis des
juges Binnie, Deschamps et Rothstein, Euro-Excellence n’a pas porté
atteinte aux droits de Kraft Canada, car le licencié exclusif ne peut,
en vertu de la LDA, s’opposer à l’importation parallèle des produits
de son titulaire concédant. Bien qu’il adhère aux conclusions de la
majorité, le juge Fish s’inquiète de son côté pour l’intégrité du droit
107.
108.
109.
Ibid., par. 26.
Paragraphe 13(4) LDA, supra, note 1.
Ibid., par. 2(7), 13(7).
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1217
d’auteur canadien. Il manifeste plus particulièrement sa méfiance
face à la possibilité de détourner le régime des droits d’auteur de son
objectif, en transformant les protections qu’il offre en instruments de
contrôle du commerce110. Les juges Bastarache, Lebel et Charron
estiment, quant à eux, que le paragraphe 27(2) n’est tout simplement
pas déclenché, car la loi ne couvre pas les œuvres qui seraient présentes sur l’emballage à titre accessoire111. Enfin, la dissidence,
représentée par les juges McLachlin et Abella, considère que le titulaire d’une licence exclusive au Canada peut invoquer une protection
contre la violation à une étape ultérieure, et ce, quand bien même
l’œuvre protégée par le droit d’auteur est-elle produite par le titulaire-concédant112.
Les vues des juges divergent sur plusieurs points : la méthode
d’interprétation législative ; la théorie du caractère accessoire des
œuvres ; ou encore l’opportunité de recourir à la LDA dans la promotion d’intérêts commerciaux. Mais au cœur de cette dissension
repose, de toute évidence, l’interprétation à donner au concept d’intérêt propriétaire de la licence exclusive.
2.1.2 La licence : un concept autosuffisant
Contrairement à la majorité, qui donne gain de cause à EuroExcellence, les juges dissidents Abella et McLachlin sont d’avis de
rejeter le pourvoi, au motif qu’il y a bien violation de l’alinéa 27(2)e)
de la LDA. Ils confirment en cela les conclusions du juge de première
instance et de la Cour d’appel fédérale, qui avaient autorisé le
recours d’un titulaire de licence exclusive contre le titulaire-concédant du droit d’auteur.
La dissidence de la Cour suprême et les décisions des instances
inférieures ont pour point commun leur interprétation technique,
voire mécanique, des dispositions de la LDA. Dans cette perspective,
la loi se suffit à elle-même : la lecture parallèle des articles de loi,
génératrice de sens, permet de lever les incertitudes entourant le
concept de licence. Aux yeux des juges dissidents, l’origine exclusive110.
111.
112.
Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 52-56.
Ibid., par. 57 et s. (les motifs du juge Rothstein laissent penser que c’est le juge
Bastarache qui a pu, au départ, être chargé de rédiger les motifs majoritaires.
En effet, la décision s’ouvre curieusement sur l’intitulé « les réserves », sous
lequel treize paragraphes justifient le rejet de la théorie du caractère accessoire
de l’œuvre avancée par le juge Bastarache. À défaut de pouvoir vérifier l’information auprès des intéressés, ceci ne demeure qu’une hypothèse).
Ibid., par. 107 et s.
1218
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ment législative de la LDA justifie de s’en tenir au « libellé clair de la
Loi [qui] est déterminant »113. La juge Abella clarifie ainsi la nature
et l’étendue des droits du licencié exclusif en interprétant les articles
litigieux à la lumière des dispositions qui les entourent et de l’économie générale de la loi.
Lus conjointement, les paragraphes 13(4), 13(6), 13(7) et 36(1)
accréditent la thèse de la « transférabilité » d’un intérêt propriétaire
dans le droit d’auteur. La portée de cet intérêt est quant à elle déterminée par les termes du contrat de licence unissant Kraft Canada
aux sociétés mères. Les juges dissidents sont d’avis qu’en l’espèce, les
conditions du contrat permettent au licencié exclusif de faire valoir
ses droits d’auteur à l’encontre du titulaire-concédant. Au soutien de
cette interprétation, est également invoqué le paragraphe 2(7) de la
LDA, qui établit l’opposabilité erga omnes des droits du licencié
exclusif (« l’exclusion vise tous les titulaires »). Or, exempter le titulaire-concédant des poursuites du licencié exclusif aurait, selon les
juges dissidents, pour conséquence de vider le paragraphe 2(7) de
son sens : de fait, « une licence exclusive qui n’empêcherait pas
autrui, y compris le titulaire concédant, d’accomplir les actes énoncés dans le contrat de licence ne serait plus exclusive »114.
En définitive, les juges dissidents constatent une violation des
droits d’auteur de Kraft Canada :
en l’espèce, KCI a acquis la licence exclusive sur l’œuvre protégée par le droit d’auteur justement parce qu’elle souhaitait
avoir un droit d’auteur sur les emballages des tablettes de chocolat. Euro-Excellence a acheté des barres de chocolat dont les
étiquettes arboraient les œuvres protégées ; elle a importé ces
œuvres au Canada après avoir été avisée de l’intérêt de KCI
dans le droit d’auteur canadien ; elle a importé les tablettes de
chocolat et les emballages pour en faire la vente ou la mise en
circulation dans un but commercial. L’existence d’une contravention à l’al. 27(2)e) est donc établie. KCI a le droit d’exercer
les recours prévus par la Loi.115
Bien qu’ils concluent eux aussi à la responsabilité d’EuroExcellence, les juges de la Cour d’appel fédérale ne passent pas par la
notion de licence. Écrivant au nom des juges Noël et Pelletier, la juge
113.
114.
115.
Ibid., par. 114.
Ibid., par. 127.
Ibid., par. 129.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1219
Desjardins concentre plutôt son analyse sur le paragraphe 27(2) de
la LDA. Se fondant sur l’historique de cet article et la jurisprudence
qui y est relative, la Cour considère que KCI doit prouver deux éléments pour établir la violation de leur droit d’auteur à une étape
ultérieure : (1) qu’elle détenait le droit de reproduction exclusif pour
le Canada ; (2) qu’elle n’a pas elle-même produit les exemplaires
importés par Euro-Excellence116. La Cour juge qu’une violation des
droits d’auteur a été démontrée :
[a]insi, les reproductions des œuvres protégées faites hors du
Canada, même par les titulaires des droits d’auteur KFB et
KFS, ne peuvent être importées au Canada par Euro Excellence en vue de l’un ou l’autre des actes énumérés aux alinéas
27(2)a) à c), sans qu’il y ait violation du droit d’auteur de KCI à
une étape ultérieure, puisque KCI détient un droit exclusif
de reproduction pour le Canada, même à l’égard de KFB et
de KFS, et qu’Euro Excellence connaissait l’enregistrement
pour le Canada des licences exclusives de KCI sur les deux
œuvres.117
Au vu de ce qui précède, on peut penser que la résolution de
l’affaire ne commandait aucune recherche au-delà du texte de la
LDA. Ce n’est pourtant pas la démarche intellectuelle choisie par les
juges majoritaires, comme nous le verrons maintenant.
2.2 La LDA en état de sollicitation
À l’instar de leurs confrères de la Cour d’appel fédérale, les
juges Abella et McLachlin s’en sont tenus au texte de la LDA pour
expliquer le concept de licence exclusive. Confrontés à la difficulté de
définir cette notion, les juges de la majorité préfèrent quant à eux
appeler la common law en renfort.
2.2.1 La licence : un concept ambigu
Le législateur fédéral, tempéré dans son élan par des contraintes constitutionnelles, s’est montré peu loquace quant au régime contractuel des droits intellectuels. Le caractère abscons du paragraphe
13(4) de la LDA, plusieurs fois relevé par la doctrine118, n’a d’égal que
l’importance de la licence en pratique, qui est, essentiellement, un
contrat prévoyant l’octroi à un tiers du droit dont jouit d’ordinaire le
116.
117.
118.
Kraft c. Euro-Excellence (CAF), supra, note 102, par. 48-55.
Ibid., par. 60.
Voir par exemple GOUDREAU, « L’affaire Kraft », supra, note 93 ; TAMARO,
« Code civil », supra, note 53.
1220
Les Cahiers de propriété intellectuelle
titulaire du droit d’auteur. Et les paragraphes 2(7) (définition de la
licence exclusive) et 13(7) (possession du droit d’auteur), ne seraient,
selon certains, que d’un maigre secours à l’interprète dubitatif119.
Toute l’ambiguïté résiderait dans la portée des droits conférés par la
Loi au licencié exclusif : ce dernier dispose-t-il d’un intérêt suffisant
pour poursuivre le titulaire-concédant ?
Puisque la notion de licence paraît, prima facie, présenter des
carences au niveau substantiel, on peut se demander si, conformément au principe de complémentarité, les droits communs provinciaux peuvent être amenés à l’agrémenter. Car ne sommes-nous pas,
en effet, dans le scénario dépeint par Brisson et Morel, à savoir celui
d’une « dépendance implicite » de la loi fédérale envers un autre
droit120 ? Le droit provincial ne répond-il pas présent chaque fois
qu’une loi fédérale fait usage d’une notion de droit privé sans la définir ou sans en épuiser le sens ?
Dans l’affirmative, l’appel aux droits communs des provinces
est-elle judicieuse ? Et d’ailleurs, comment peut-on en juger ? Une
méthode formaliste, dérivée de la Loi d’interprétation, a été suggérée
par l’auteur Philippe Denault afin de vérifier l’applicabilité du droit
provincial supplétif dans l’interprétation de la législation fédérale :
« l’interprète doit (1) identiWer l’existence d’un vide ou silence législatif – une absence de sens – rendant nécessaire le recours à des
sources supplétives externes ; et (2), le cas échéant, identiWer une
question de droit privé rendant alors obligatoire le recours aux
sources provinciales »121. Des balises additionnelles ont également
été posées par la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire St-Hilaire c.
Canada, qui comprend une analyse éloquente du principe de complémentarité122. Aux yeux du juge Décary,
ce qui devrait déterminer s’il y a lieu ou non de recourir au droit
privé (au Québec, le droit civil), c’[est] le fait que la loi fédérale,
dans un litige donné, doit être appliquée à des situations ou à
des relations qu’elle n’a pas définies et qui ne peuvent l’être
qu’en fonction des personnes affectées. Lorsque celles-ci sont
des justiciables et que leurs droits civils sont en litige et n’ont
pas été définis par le Parlement, c’est le droit privé provincial
qui vient combler le vide.123
119.
120.
121.
122.
123.
TAMARO, « Code civil », ibid.
BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 10.
DENAULT, supra, note 18, p. 92-93.
St-Hilaire, supra, note 56.
Ibid., par. 65.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1221
La Cour poursuit : « [l]e justiciable québécois, impliqué dans un
litige relatif à ses droits civils en application d’une loi fédérale
muette à cet égard, est en droit de s’attendre à ce que ses droits civils
soient définis par le droit civil québécois »124. On voit mal, en l’espèce,
ce qui forcerait l’intervention, à titre supplétif, du droit complémentaire de la province de Québec. L’affaire n’ayant pas été plaidée sur
cette base, il paraît plus sage de nous en éloigner. Mais reste qu’un
détour par le droit civil fournit un éclairage intéressant sur le
malaise qui entoure, en droit d’auteur, la notion de licence.
La difficile appréhension de la notion de licence par le droit
civil n’est guère un problème nouveau. L’évidence s’impose d’emblée : le concept de licence n’est pas un terme usité en droit civil québécois. Même s’il y était appelé, le droit civil aurait grand peine à
nourrir le droit fédéral et semble, a priori, avoir peu à apporter à la
compréhension du concept de licence tant celui-ci lui est étranger. Il
n’en demeure pas moins que plusieurs hypothèses ont été avancées
par les juristes civilistes pour saisir cette notion.
Pour certains, la licence est absorbée par le discours sur le
démembrement des droits réels125. Qu’elle soit qualifiée comme un
droit réel incomplet, une servitude personnelle ou une forme d’usufruit, l’observateur y voit le transfert de quelque chose, suivant une
conception subjectiviste de droits préétablis126. Pour d’autres, c’est
plutôt l’aspect contractuel et personnel de la licence qui retient
l’attention : celle-ci est tantôt vue comme un contrat de louage ou un
contrat innommé127. Dressant le tableau des positions défendues par
les auteurs québécois, Mistrale Goudreau évoque enfin l’attitude de
ceux qui ignorent la difficulté, ou qui se rabattent sur des références de la common law sans se questionner sur leur pertinence ou le
124.
125.
126.
127.
Ibid., par. 51.
LAFOND (Pierre-Claude), Précis de droit des biens, 2e éd. (Montréal : Thémis,
2007), p. 757 et s.
Sur le droit de propriété incomplet, lire TAMARO, LDA, supra, note 5, p. 314-15 ;
TAMARO, « Code civil », supra, note 53, p. 51 ; sur la licence comme servitude
voir GILKER (Stéphane), « Le Locus standi du titulaire d’une licence de droit
d’auteur : une question...d’intérêt ! » Partie I (1989), 1 Cahiers de propriété intellectuelle 275 ; Partie II (1989), 2 Cahiers de propriété intellectuelle 1, p. 24 (selon
l’auteur, la bare licence de common law « peut être traduite en termes de droit
civil par l’octroi d’une servitude personnelle sur le droit d’auteur, c’est-à-dire
d’un droit d’usage restrictif conféré par le titulaire d’un droit d’auteur au profit
d’un tiers sans que ce dernier ne puisse en tirer quelque fruit »).
PAYETTE (Louis), « Hypothèque sur propriété intellectuelle » dans Louis
Payette, Les sûretés réelles dans le Code civil du Québec, 3e éd. (Cowansville,
Éditions Yvon Blais, 2006) no 1327.
1222
Les Cahiers de propriété intellectuelle
bien-fondé d’y recourir128. D’autres encore nous invitent à rechercher
des solutions dans le droit français qui, prétend-on, aurait mieux su
concilier le droit d’auteur avec le régime de la propriété instauré par
le Code civil129. En dépit de tous ces efforts doctrinaux, il semble que
l’on n’ait guère dépassé les débats sur la taxinomie de la licence, à
défaut d’entreprendre une réflexion plus profonde sur sa nature.
Or, l’interrogation sur le régime de la licence ne se limite pas à
la frontière marquée par la rivière Outaouais. Dans son article « The
Exclusive licence in Copyright », David Vaver relevait déjà, en 1995,
toute la difficulté d’appliquer la licence, liée à l’origine à des biens
matériels, à des intangibles tels que les droits intellectuels130. Il faut
dire qu’en droit des biens de common law, la licence n’est traditionnellement qu’un contrat par lequel on accorde à quelqu’un l’autorisation d’utiliser un bien personnel ou réel sans lui en transférer la
possession131. En donnant cette permission, la personne titulaire de
l’intérêt possessoire s’engage à ne pas poursuivre pour violation de
son droit en vertu du délit d’intrusion. Appliquée au droit d’auteur,
la licence permettrait à son bénéficiaire d’exercer un droit autrement réservé au titulaire du droit d’auteur sans encourir le risque d’une poursuite en contrefaçon. C’est donc dans la perspective
d’un recours, ou plutôt dans la levée conditionnelle des poursuites
que s’analyse la licence. Mais le paragraphe 13(4) de la LDA laisse
entendre que la licence serait en fait assortie d’un intérêt propriétaire. La formulation malheureuse de cet article gagne, selon les
juges de la majorité, à être suppléée par une norme externe, la loi
n’apportant pas d’indices satisfaisants.
2.2.2 La common law en renfort
L’indétermination de la norme est résolue, par le juge Rothstein, en recourant aux ressources conceptuelles de la common law.
En effet, la majorité scrute la licence à travers le prisme de cette tra128.
129.
130.
131.
GOUDREAU, « L’affaire Kraft », supra, note 93, à la page 520.
TAMARO, « Code civil », supra, note 53. Le droit français renvoie plutôt à la
notion de contrat d’édition : Code de propriété intellectuelle art. 132(1) (« le contrat d’édition est le contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit ou ses
ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur
le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre,
à charge pour elle d’en assurer la publication et la diffusion »).
VAVER (David), « The Exclusive Licence in Copyright » (1995), 9 Intellectual
Property Journal 163.
GOUDREAU, « L’affaire Kraft », supra, note 93, p. 523 ; Derek MENDES DA
COSTA (Derek) et al., Property Law (Toronto : Emond-Montgomery, 1982),
p. 1160.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1223
dition, et s’en remet à ses enseignements pour distinguer l’étendue
des droits dont bénéficient respectivement le licencié exclusif et le
cessionnaire aux termes de la LDA.
Le recours à la common law sert en outre à clarifier la question
de l’opposabilité des droits du licencié exclusif envers le concédant
que la lecture conjuguée des paragraphes 2(7), 13(4) et 13(7) de la
LDA laissait incertaine. Le juge Rothstein met à plat, common law
sous le bras, les trois techniques contractuelles que prévoit la loi
sans pourtant en détailler le fonctionnement (licence (mere licence),
licence exclusive et cession)132.
Citant Ziff et Megarry, juristes de common law, la majorité conclut que les droits du licencié exclusif se trouvent à mi-chemin entre
ceux du simple licencié et du cessionnaire. Ainsi, le juge Rothsein
s’appuie sur la définition traditionnelle de la licence en common law,
équivalente à une simple autorisation, pour faire ressortir la position supérieure du licencié exclusif, qui jouit d’un intérêt de propriété – limité – dans le droit d’auteur133. Le juge Rothstein met
ensuite en opposition le caractère strictement contractuel, et non
propriétaire, des droits reconnus au simple licencié, avec l’intérêt de
propriété opposable à tous conféré au cessionnaire134. Ainsi, contrairement au simple licencié, le licencié exclusif dispose d’un intérêt
propriétaire dans le bien protégé ; à la différence du cessionnaire
cependant, l’intérêt du licencié exclusif a une portée restreinte. Malgré cet exercice de différenciation, les particularités propres au licencié, au licencié exclusif et au cessionnaire restent, au final, plutôt
obscures.
Le juge Rothstein se tourne ensuite vers les législations américaine et britannique pour distinguer les droits dont bénéficient respectivement les licenciés exclusifs et les cessionnaires au titre de la
LDA. Adoptant une interprétation contextuelle de la loi, le juge
Rothstein conclut qu’à l’instar du droit britannique, le droit canadien
ne permet pas aux licenciés exclusifs d’intenter une action pour violation du droit d’auteur contre le titulaire-concédant135 :
[e]n tant que titulaires du droit d’auteur canadien sur les logos
de Toblerone et de Côte d’Or, les sociétés mères Kraft ne peu132.
133.
134.
135.
Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 26 et s.
Ibid., par. 31 (la Cour s’appuie en outre sur la lettre des paragraphes 13(4) et
13(7) de la LDA qui, contrairement au paragraphe 2(7) (« autorisation »), évoquent une dimension propriétaire (« concession d’un intérêt »). Voir aussi
Robertson c. Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363, par. 56.
Euro-Excellence c. Kraft, ibid., par. 2.
Ibid., par. 46.
1224
Les Cahiers de propriété intellectuelle
vent pas violer leur propre droit d’auteur. Bien que, à titre de
titulaire d’une licence exclusive, Kraft Canada ait, dans le droit
d’auteur, un intérêt de propriété qui l’habilite à intenter contre
des tiers une action pour violation du droit d’auteur, les sociétés
mères Kraft conservent, dans ce droit, un intérêt de propriété
résiduel qui empêche Kraft Canada de les poursuivre pour violation du droit d’auteur. Kraft Canada n’a donc pas établi
l’existence de la « violation hypothétique » nécessaire pour
justifier une action contre Euro-Excellence fondée sur l’alinéa 27(2)e).136
Les juges de la majorité se fondent notamment sur les similitudes rencontrées entre les législations canadienne et britannique : des
origines communes, une définition similaire de la licence exclusive,
et une distinction semblable entre les droits des licenciés exclusifs et
les cessionnaires137.
À première vue, la référence à la common law ne choque pas,
tant elle semble former l’environnement naturel de la licence de
droit d’auteur. C’est d’ailleurs assez instinctivement que la Cour
semble la consulter. Mais l’emploi de la common law supplétive pour
remédier aux incertitudes de la LDA est-elle à prendre à la légère ?
Traduit-il une solution ponctuelle ou est-il plutôt symptomatique
d’une attitude générale consistant à lire systématiquement la LDA
sur un arrière-plan de common law, et ce même quand c’est le droit
civil complémentaire qui devrait être appliqué ? Sachant que le droit
d’auteur n’est pas complètement imperméable aux arguments d’efficience économique ayant présidé à l’uniformisation épisodique du
droit fédéral par les tribunaux canadiens, il faudra à l’avenir rester
vigilant.
Au soutien de l’uniformité du droit d’auteur, ajoutons que le
juge Rothstein semble, dans ses motifs, avoir épousé la prémisse suivant laquelle le droit d’auteur serait exclusivement d’origine législative : « la Cour a constamment jugé que le droit d’auteur tire son
origine de la loi, et les droits et recours que prévoit la Loi sur le droit
d’auteur sont exhaustifs »138. L’auteur Pierre-Emmanuel Moyse fait,
136.
137.
138.
Ibid., par. 49.
Ibid., par. 46 (la Cour rappelle à cet égard qu’« au Canada, la Loi de 1921 concernant le droit d’auteur, S.C. 1921, c. 24, qui a précédé la Loi actuelle, était en
grande partie fondée sur la Copyright Act, 1911 britannique, 1 & 2 Geo. 5, c. 46.
Depuis l’adoption de la Loi de 1921, des séries de modifications se sont succédées, mais nos dispositions concernant les concessions de licence et les cessions
ressemblent davantage à celles du Royaume-Uni qu’à celles des États-Unis. »).
Ibid., par. 3 ; CCH, supra, note 16, au paragraphe 9 ; Théberge, supra, note 12,
par. 5 ; Bishop, supra, note 68, p. 477 ; Compo, supra, note 68, p. 372-73.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1225
à cet égard, l’observation suivante : « [la Cour] semble vouloir figer
tout le droit d’auteur dans sa seule expression textuelle particulièrement exiguë. [Car] il est vrai qu’à travers le prisme des définitions, la
structure législative du droit d’auteur canadien semble particulièrement hermétique »139.
Même si la Cour se revendique, par son positionnement dans
Kraft et par sa jurisprudence passée, du courant prônant l’autonomie du droit d’auteur, on peut se questionner si le fait de glaner
dans la common law supplétive n’y serait pas, en fin de compte, antinomique. Le jugement de la Cour suprême tranche en tout cas certainement avec celui des cours inférieures, également empreints de
cette idée d’autonomie. Fait à noter, ce ne sont que les juges majoritaires de la Cour suprême qui, en définitive, semblent s’être butés au
concept de licence. En effet, les juges dissidents et ceux des instances
inférieures n’avaient eu aucune difficulté à comprendre la licence en
se fiant à la loi seule. Par exemple, les juges Abella et McLachlin
avaient aisément conclu à une violation à une étape ultérieure du
droit d’auteur de KCI par Euro Excellence, en considérant uniquement le sens généré par le jeu réciproque des articles de loi140. De
même, dans l’esprit de la juge Desjardins de la Cour d’appel fédérale,
la Loi sur le droit d’auteur semble exister en vase clos, en ce qu’elle
recèle tous les éléments nécessaires à son interprétation. Le résultat se dévoile à l’interprète du fait de la logique intrinsèque du
texte lui-même ; « la normalité serait toute entière inscrite dans le
texte »141.
On peut aussi se demander si c’est plutôt le principe de complémentarité qui serait appliqué, presque inconsciemment, par la Cour
suprême. Si tel est le cas, il eût été judicieux de préciser les raisons
pour lesquelles l’article 8(1) de la Loi sur l’interprétation trouverait
aplication en l’espèce. Comme le souligne Aline Grenon, lorsqu’une
disposition législative repose effectivement sur le droit provincial, il
faut le dire, et ne pas chercher à occulter cette réalité »142. Et même si
la common law est sollicitée à juste titre, cela n’interdit pas pour
autant d’interroger d’autres systèmes. À cet égard, il aurait été de
bon augure de questionner le droit civil, ne serait-ce que par signes
139.
140.
141.
142.
MOYSE, « Insoutenable légèreté », supra, note 96, p. 781.
Kraft c. Euro-Excellence (CAF), supra, note 102, par. 39 et s.
MOYSE, « Insoutenable légèreté », supra, note 96, p. 782.
GRENON (Aline), « Le bijuridisme canadien à la croisée des chemins ?
Réflexions sur l’incidence de l’article 8.1 de la Loi d’interprétation » (2011) 56:4
McGill Law Journal 777 à la p. 813 [GRENON, « Bijuridisme »].
1226
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de courtoisie judiciaire ou d’ouverture au dialogue des traditions,
comme cela a pu être fait dans d’autres domaines143.
Peut-être est-ce simplement la méthode d’interprétation moderne
qu’adopte la Cour en « lisant les termes d’une loi dans leur contexte
global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise
avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »144 ?
Il faut reconnaître toute la marge de manœuvre que laisse un tel
principe, car il revient justement au juge de sélectionner le contexte
de référence le plus approprié. Une analyse contextuelle, qui comprend l’utilisation du droit comparé, ne doit toutefois pas être confondue avec assimilation asymétrique du droit d’auteur à la common
law. D’aucuns se demandent si le principe d’interprétation moderne
n’invite pas aujourd’hui à tenir compte de l’importance accordée par
le législateur fédéral au bijuridisme législatif, au vu de nombreux
efforts déployés pour favoriser son développement 145.
Une autre thèse, soumise par Brisson et Morel, rejoint cette fois
le bijuridisme dérivatif, qui n’aura pas été évoqué inutilement. Les
auteurs posent la question à savoir si, par l’accrétion de la jurisprudence, « le droit fédéral n’est pas en voie d’acquérir une autonomie
telle que l’utilité du droit privé provincial comme droit supplétif
est appelée à s’estomper »146. On entreverrait ici l’émergence d’une
jurisprudence cosmopolite, plurielle, dont les sources, méta-traditionnelles, peuvent être difficilement départagées, et encore moins
rattachées à une aire juridictionnelle précise. Sous l’effet de l’internationalisation du droit d’auteur, la généalogie des idées est peutêtre, en effet, sur le point de s’effacer147. Ainsi, si la majorité dans
Euro-Excellence c. Kraft creuse la common law pour chercher des
réponses, la solution déterrée transcende peut-être ce système. Car
la norme provinciale, une fois arrachée à son contexte d’application
usuel afin d’appuyer la législation fédérale, subit-elle peut-être une
143.
144.
145.
146.
147.
Sur les tendances comparatistes de la Cour suprême dans les domaines du droit
de la famille et des droits de la personne, voir ALLARD, « Impact sur le bijuridisme », supra, note 3, p. 20-22.
Euro-Excellence c. Kraft, supra, note 17, par. 2, citant DRIEDGER (Elmer A.),
Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), p. 87. Ce passage
est cité dans un grand nombre de décisions de la Cour suprême. Voir BEAULAC
(Stéphane) et al., « Driedger’s « Modern Principle » at the Supreme Court of
Canada : Interpretation, Justification, Legitimization » (2006) 40:1 Revue Juridique Thémis 131.
GRENON, « Bijuridisme », supra, note 142, p. 785.
BRISSON et MOREL, supra, note 19, p. 333.
Ibid., p. 334, en citant GLENN (H. Patrick), « La civilisation de la common law »,
dans CAPARROS (Ernest), dir., Mélanges Germain Brière, Collection bleue
(Montréal : Wilson et Lafleur, 1993) 595, p. 608.
L’arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi...
1227
mutation, pour apparaître, dans sa version prétorienne, sous un
nouveau visage.
CONCLUSION
Nous avons tenté, dans le présent article, d’appréhender l’interface entre les droits communs provinciaux et la législation fédérale sur le droit d’auteur, à partir d’une étude du concept de licence.
Dans une première partie, nous avons passé en revue le contexte
constitutionnel gouvernant la relation entre les droits communs provinciaux et le droit fédéral sur le droit d’auteur. Nous avons vu que le
droit supplétif provincial peut, dans certaines circonstances, combler les silences de la LDA, que ce soit, comme dans l’affaire Desputeaux, quand le régime du droit d’auteur se superpose à un rapport
de droit privé régi par le droit des provinces, ou encore, comme dans
le cas de la licence, lorsque le contenu de la loi ne suffit pas à en préciser les modalités d’application. Nous avons en outre été témoins de
formes de résistance à la complémentarité, qui poussent pour une
uniformité d’application de la Loi sur le droit d’auteur sur la base de
sa prétendue autonomie.
Dans une seconde partie, nous avons cherché à localiser, sur
l’axe complémentarité/dissociation, l’interprétation donnée à la
notion de licence par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt EuroExcellence c. Kraft. D’une part, le jugement semble faire droit à la
complémentarité en ce qu’il n’hésite pas à recourir aux outils conceptuels de la common law pour repousser les limites de la LDA, là où
celle-ci s’arrête. D’autre part, les juges majoritaires semblent toujours fermement attachés à la conception privilégiant l’autosuffisance de la LDA, conçue comme une création statutaire autonome
envers laquelle il convient de prendre ses distances.
La rigidité, désormais apparente, du cadre conceptuel que nous
avons tenté d’appliquer semble devoir s’incliner devant « l’insoutenable légèreté du droit » et l’aspect parfois insondable du raisonnement judiciaire148. Même en cherchant très attentivement, les traces
d’une jus commune non légiférée en matière de droit d’auteur ne sauraient être décelées dans un seul jugement, et encore moins dans une
affaire aussi peu conclusive que l’affaire Euro-Excellence. Nous soumettons toutefois que l’exercice aura valu le coup : malgré ses ambitions modestes, cette étude s’est avant tout voulu un exercice de
défrichage d’une matière qui reste encore à l’état de jachère. Elle
revêt, à cet égard, un caractère éminemment exploratoire.
148.
Nous reprenons ici le titre évocateur du professeur Moyse dans son article
« Insoutenable légèreté », supra, note 96.
Vol. 23, no 3
Les exceptions et limitations
en matière de droit d’auteur
et la Commission du droit
d’auteur du Canada
Giuseppina D’Agostino*
1. INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1231
2. APPROPRIATION D’UNE PARTIE IMPORTANTE . . . 1233
2.1 Partie importante et titulaires introuvables . . . . . 1235
2.1.1 Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1235
2.1.2 Décisions de la Commission . . . . . . . . . . 1237
2.2 L’appropriation substantielle et les tarifs . . . . . . 1240
2.2.1 Tarif no 24 de la SOCAN (Sonneries)
2003-2005 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1240
2.2.2 Services de radio par satellite . . . . . . . . . 1241
2.3. Conclusions sur la partie importante . . . . . . . . . 1243
© Giuseppina D’Agostino, 2011.
* Professeure agrégée, Faculté de droit Osgoode Hall, Université York (Toronto).
J’adresse des remerciements particuliers à l’avocat général de la Commission du
droit d’auteur, Mario Bouchard, pour son aide dans la préparation du présent
article.
1229
1230
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3. UTILISATION ÉQUITABLE . . . . . . . . . . . . . . . . 1244
3.1. Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1244
3.2. Décisions de la Commission . . . . . . . . . . . . . . 1245
3.2.1 Veille médiatique (29 mars 2005) . . . . . . . 1245
3.2.2 Tarif 22.A de la SOCAN (Internet –
Services de musique en ligne) . . . . . . . . . 1247
3.2.3 Services de radio par satellite . . . . . . . . . 1249
3.2.4 Access Copyright (Établissements
d’enseignement). . . . . . . . . . . . . . . . . 1250
3.3 Conclusions sur l’utilisation équitable . . . . . . . . 1256
4. CONCLUSION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1257
Résumé : Le présent article examine l’application d’une « exception »
fondamentale en droit d’auteur – l’utilisation équitable – et d’une
limitation – le caractère important de l’utilisation – dans les décisions de la Commission du droit d’auteur du Canada en matière de
gestion collective et d’« œuvres orphelines ». Sont abordées les dispositions législatives, la jurisprudence et la doctrine pertinentes, ainsi
que des décisions publiées et les avis informels de la Commission.
Cette dernière joue un rôle central de plus en plus important dans la
mise en équilibre des intérêts trop souvent opposés sur la scène canadienne et donne une interprétation systématique et contextuelle à
ces principes.
1. INTRODUCTION
La Loi sur le droit d’auteur1 du Canada confère aux créateurs
des droits qui leur permettent de protéger leurs œuvres, sous réserve
de certaines exceptions, et une exclusivité limitée relativement à
l’exercice de ce droit. En pratique, un tiers titulaire de droits se substitue au créateur par le truchement d’un contrat ; le premier gère
souvent à son bénéfice les droits exclusifs du second2.
Des arrêts de principe ont fait en sorte que désormais, les utilisateurs jouissent aussi de droits en vertu de la Loi. En 2002, la Cour
suprême du Canada a statué que la protection accordée aux créateurs devait être mise en balance avec un domaine public solide
capable « d’intégrer et d’embellir l’innovation créative dans l’intérêt
à long terme de l’ensemble de la société »3. En 20044, elle a innové en
consacrant en droit un « droit des utilisateurs » à tirer profit des
exceptions en général et de l’utilisation équitable en particulier.
Jusque là, la notion d’exceptions à la contrefaçon était en grande
1. L.R.C., ch. C-42 [la Loi].
2. D’AGOSTINO (Giuseppina), Copyright, Contracts, Creators : New Media, New
Rules, (Cheltenham : Edward Elgar Publishing, 2010).
3. Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, 2002 CSC
34, par. 32.
4. CCH Canadienne ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, 236 D.L.R.
(4th) 395 [CCH].
1231
1232
Les Cahiers de propriété intellectuelle
partie tributaire d’interprétation étroite ; la Cour l’a élevée au rang
de principe général. Par conséquent, et à l’instar des autres exceptions, l’utilisation équitable reçoit donc désormais une interprétation libérale au Canada5.
Si les « exceptions » au droit d’auteur en général, et l’utilisation
équitable en particulier, ont peut-être davantage retenu l’attention à
cause de leur convivialité pour l’utilisateur, d’autres aspects fondamentaux des règles régissant le domaine méritent aussi d’être reconnus. Ainsi, plusieurs auteurs se sont prononcés pour l’accroissement
du domaine public au-delà du simple « résidu » du droit d’auteur6.
Parmi les règles et doctrines fondamentales du droit d’auteur qui
favorisent un élargissement du domaine public, mentionnons (1) la
durée du droit d’auteur7, à l’expiration duquel l’œuvre « rejoint » le
domaine public ; (2) l’exigence selon laquelle l’appropriation doit être
« importante » pour être protégée, sinon elle est permise sans permission ni compensation8 ; (3) la notion d’« expression » dans la dichotomie idée-expression9 et les objets non susceptibles de protection ;
(4) l’exigence selon laquelle une œuvre doit être originale pour être
protégée10.
Appelée à trancher dans de nombreuses instances impliquant
l’utilisation d’œuvres protégées, la Commission du droit d’auteur
agit comme pivot dans un exercice de mise en balance des intérêts
qui s’opposent trop souvent dans ce domaine au Canada, en se fai-
5.
La Loi prévoit aussi, entre autres, des exceptions limitées pour les écoles, les
bibliothèques, les services d’archives, les musées et les personnes ayant des
déficiences perceptuelles, des licences obligatoires pour la retransmission des
signaux de radiodiffusion et un régime de redevances pour la copie de musique
pour usage privé.
6. CRAIG (Carys J.), « The Canadian Public Domain : What, Where, and to What
End ? », (2010) 7 Canadian Journal of Law & Technology 221 ; voir aussi
GUIBAULT (Lucie) et al. (réd.), « The Future of the Public Domain : Identifying
the Commons in Information Law » (The Hague : Kluwer, 2006) ; LITMAN (Jessica), « The Public Domain », (1990) 39 Emory Law Journal 965 ; GASAWAY
(Laura L.), « A Defense of the Public Domain : A Scholarly Essay », (2009) 101
Law Library Journal 451 ; voir aussi un article moins récent de LANGE (David),
« Recognizing the Public Domain », (1982) 44 Law & Contemporary Problems 147.
7. Loi, supra, note 1, art. 6.
8. Ibid., par. 3(1).
9. Sur la dichotomie idée-expression, voir GOLDSTEIN (Paul), « Copyright’s Commons », (2005) 29 Columbia Journal of Law & Arts 1.
10. Loi, supra, note 1, art. 2 ; voir aussi COHEN (Julie E.), « Copyright, Commodification, and Culture : Locating the Public Domain » 121, dans GUIBAULT (Lucie) et
al. (réd.), « The Future of the Public Domain : Identifying the Commons in Information Law » (The Hague : Kluwer, 2006).
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1233
sant l’interprète de ces différentes règles et doctrines11. À cet égard,
la Commission a déployé beaucoup d’efforts et pris son rôle au
sérieux. En ce qui concerne l’utilisation équitable par exemple, elle a
été la première instance à appliquer l’arrêt CCH12. On peut soutenir
que, ce faisant, la Commission a su faire preuve de courage et affirmer son autorité, confirmant ainsi qu’elle constitue une partie intégrante du système canadien du droit d’auteur et qui, comme la Cour
d’appel fédérale l’a reconnu, « est mieux placée que notre Cour pour
trouver un juste équilibre entre les intérêts des titulaires de droit
d’auteur et les usagers »13. Cette fonction d’équilibriste est ainsi liée
aux principaux objectifs du droit d’auteur (c.-à-d. récompenser les
créateurs et faire en sorte que l’investissement dans l’innovation soit
protégé tout en assurant aux utilisateurs un accès à une variété
d’œuvres, tout ceci dans l’intérêt public) et ressort clairement des
nombreuses décisions de la Commission qu’il y a lieu d’examiner de
plus près.
En vue de cet examen, nous traiterons de l’application, par la
Commission, de l’exception relative à l’utilisation équitable et de la
doctrine de la « partie importante », à la gestion collective et aux
questions relatives aux titulaires introuvables, qu’on aborde souvent
sous l’angle des « œuvres orphelines ». Nous examinerons les dispositions législatives, la jurisprudence et la doctrine pertinentes, ainsi
que des décisions publiées et les avis informels de la Commission.
Les conclusions pourraient aussi valoir de façon plus large pour le
système canadien de gestion du droit d’auteur en ce qui concerne
l’octroi de licences et l’établissement de tarifs.
2. APPROPRIATION D’UNE PARTIE IMPORTANTE
L’importance de l’analyse relative à l’appropriation d’une partie importante (ou « appropriation substantielle ») découle en partie
du fait qu’elle précède logiquement toute analyse relative à l’utilisation équitable ou aux œuvres orphelines. La Commission est
11. Les pouvoirs qui sont conférés à la Commission se trouvent à la partie VII de la
Loi.
12. Tarif 22.A de la SOCAN (Internet – Services de musique en ligne) 1996-2006 (18
octobre 2007), décision de la Commission du droit d’auteur du Canada, en ligne :
<http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2007/20071018-m-e.pdf> [Tarif 22.A] Pour
une analyse, voir D’AGOSTINO (Giuseppina) « Healing Fair Dealing ? A Comparative Copyright Analysis of Canada’s Fair Dealing to U.K. Fair Dealing and U.S.
Fair Use », (2008) 53 McGill L.J. 309.
13. Canadian Assn. of Broadcasters v. Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada, (1994) 58 C.P.R. (3d) 190, 196 (C.A.F.).
1234
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’ailleurs de plus en plus consciente de son intérêt. Cette doctrine est
au cœur des règles du droit d’auteur. Pourtant, les experts du
domaine en général, et les milieux universitaires et judiciaires en
particulier, s’y sont assez peu intéressés. En conséquence, la notion
de partie importante semble souffrir d’une certaine incohérence –
fruit de l’imprécision d’une norme juridique14. Pour Timothy Endicott et Michael Spence, la jurisprudence de différents pays (p. ex. le
Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis) en la matière est incohérente au « sens faible » et donne lieu à diverses interprétations
contradictoires, ou inconciliables.
Dans le contexte canadien, le titulaire du droit d’auteur contrôle ce qui peut être fait ou non à l’égard de la totalité ou d’« une
partie importante » de son œuvre quant à tous les droits que la Loi lui
confère15. Le tiers qui, sans permission, se livre à une utilisation protégée d’une partie importante d’une œuvre se livre à une contrefaçon. À l’inverse et par voie de conséquence, l’utilisation d’une partie
non importante de l’œuvre échappe à la protection.
La Loi ne précise pas ce qu’il faut entendre par « partie importante ». Les tribunaux considèrent que c’est là une question de fait et
de degré ou encore d’impression16. Aux États-Unis, la notion de
partie importante se rattache à celle de « similitude importante » et
s’applique parallèlement à la défense séculaire de minimis17. Ce
moyen de défense a toutefois été rarement utilisé seul pour repousser une accusation de contrefaçon, étant reléguée à un rôle ambigu
parmi d’autres doctrines plus en vue du droit d’auteur18.
On a dit aussi qu’une partie importante n’est pas une parcelle.
Selon David Vaver, [TRADUCTION] « le titulaire du droit d’auteur ne
peut [...] contrôler chaque parcelle de son œuvre, chaque petite pièce
dont l’appropriation ne peut avoir une incidence sur la valeur de
l’œuvre vue dans son ensemble »19. L’appropriation d’une parcelle
14. ENDICOTT (Thimothy A.O.) et al., « Vagueness in the Scope of Copyright »,
(2005) 121 Law Quarterly Review 658 [ENDICOTT].
15. Loi, supra, note 1, art. 3, 15, 18, 21.
16. Barrett Property Group Pty Ltd. c. Metricon Homes Pty Ltd., [2007] FCA 1509
(C.F. Australie), par. 21, 39. De la même façon, la Cour suprême du Canada a
décrit l’appropriation d’une partie importante comme l’appropriation de « l’essence » de l’œuvre, laquelle est « surtout une question de degré » (voir Robertson c.
Thomson Corp., [2006] 2 R.C.S. 363, par. 38, 40).
17. C.-à-d. de minimis non curat lex : « la loi ne se soucie pas des bagatelles ».
18. INESI (Andrew). Inesi, « A Theory of De Minimis and a Proposal for its Application in Copyright », 21 Berkeley Technology Law Journal 945.
19. VAVER (David), Copyright Law, (Toronto : Irwin Law, 2000), p. 144 [VAVER].
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1235
n’emporte pas violation puisque la parcelle fait partie du domaine
public et que tous peuvent l’utiliser. Toutefois, la distinction théorique entre partie et parcelle s’avère souvent extrêmement difficile à
appliquer en pratique20.
2.1 Partie importante et titulaires introuvables
2.1.1 Contexte
Règle générale, la personne qui souhaite utiliser une œuvre
dont le titulaire est introuvable est confrontée à une alternative : utiliser l’œuvre (et risquer la contrefaçon) ou s’abstenir de le faire. Pour
aider à atténuer ce problème, le Canada a adopté un régime visant
les « œuvres orphelines »21. L’article 77 de la Loi prévoit les circonstances dans lesquelles la Commission peut délivrer une licence autorisant l’utilisation d’une œuvre dont le titulaire est introuvable. Aux
termes de la disposition, il incombe au demandeur de démontrer
(1) qu’il a fait son possible, dans les circonstances, pour retrouver le
titulaire et (2) que celui-ci est introuvable. Pour évaluer la suffisance
des efforts de recherche, la Commission applique un critère qui varie
en fonction des circonstances. De plus, elle compte sur les sociétés de
gestion pour l’aider à localiser les titulaires. Cela dit, la Commission
a affirmé clairement qu’un titulaire qu’on a rejoint mais qui n’a pas
répondu n’est pas introuvable22. Une fois ces exigences remplies, la
Commission peut, à son gré, délivrer une licence non exclusive autorisant l’utilisateur à accomplir un acte protégé, selon les modalités
qu’elle peut imposer23. Ces modalités peuvent concerner « les questions de la territorialité, de la durée, de la rétroactivité, du taux des
redevances et de leur paiement, des mentions relatives au droit
d’auteur, ainsi que du caractère annulable et de la cessibilité de la
licence »24. Depuis 1990, la Commission a été saisie de centaines de
demandes de licences pour utilisation d’œuvres orphelines et a élaboré une approche systématique en la matière25.
20. Ibid., p. 3.
21. DE BEER (Jeremy) et al., Le régime canadien des « œuvres orphelines » : les
titulaires de droit d’auteur introuvables et la Commission du droit d’auteur
(1er décembre 2008), Ottawa, p. 6, <http://www.cb-cda.gc.ca/about-apropos/201011-19-nouvelleetude.pdf>. [DE BEER].
22. Ibid.
23. Ces droits sont prévus aux articles 3, 15, 18 et 21 de la Loi.
24. DE BEER, supra, note 21, p. 3.
25. Ibid., p. 3, 9 et 10. Il n’existe aucune décision judiciaire canadienne portant sur
l’octroi de licences à l’égard d’œuvres orphelines. Cela dit, la Commission a ouvert
plus de 400 dossiers concernant environ 12 500 œuvres orphelines entre 1990 et
1236
Les Cahiers de propriété intellectuelle
S’agissant de l’applicabilité de l’article 77, la Commission souligne que la délivrance d’une licence est soumise à des conditions
implicites ou non prévues par la Loi. En premier lieu, aucune licence
ne peut être délivrée pour des œuvres du domaine public, étant
donné que leur utilisation n’est pas subordonnée à l’obtention d’une
licence. Il en résulte souvent de l’incertitude, étant donné la difficulté de déterminer si l’œuvre se trouve réellement dans le domaine
public. En deuxième lieu, la licence ne peut être octroyée que si elle
est nécessaire – en d’autres termes, si l’utilisation concerne une
partie importante de l’œuvre et ne bénéficie pas d’une exception (p.
ex. si elle constitue une utilisation équitable à une fin énumérée). En
troisième lieu, la licence ne sera valide que pour l’utilisation de
l’œuvre au Canada puisque les pouvoirs de la Commission sont géographiquement limités26. En quatrième lieu, la licence doit avoir une
date d’expiration puisque la Loi prévoit que les recours du titulaire
s’éteignent cinq ans après l’expiration de la licence.
La Commission dispose aussi d’un vaste pouvoir discrétionnaire pour l’application de l’article 77. Se substituant au titulaire,
elle n’accordera pas la licence si elle est convaincue que ce dernier
n’aurait pas donné son consentement. Il peut toutefois arriver que la
Commission se refuse à refléter les volontés du titulaire. Par exemple, une licence ne sera pas accordée si l’utilisation envisagée est
socialement inacceptable, même si l’on sait que l’auteur autorisait ce
type d’utilisations (p. ex. des utilisations à des fins antisémites).
C’est donc dire que l’intérêt public peut l’emporter sur les désirs supposés d’un auteur27.
Une grande partie des demandes fondées sur l’article 77 sont
réglées de manière informelle, le demandeur étant informé qu’une
licence n’est pas nécessaire ou ne peut être délivrée. Ainsi, il arrive
souvent que la Commission refuse de délivrer une licence parce que
l’utilisation envisagée ne concerne pas une partie importante de
l’œuvre28. Par exemple, la Société Alzheimer du Canada a demandé
2008. La moitié des demandes ont donné lieu à l’octroi d’une licence. En conséquence, la Commission a accumulé des décisions qui ont créé « des pratiques uniformes fondées sur sa propre interprétation du régime » et ont rempli « la fonction
de précédents non officiels dont la Commission s’inspire pour se prononcer sur les
demandes dont elle est saisie ».
26. BOUCHARD (Mario), « Le régime canadien des titulaires de droits d’auteur
introuvables », (2010) 22(3) Cahiers de Propriété Intellectuelle 483, 498.
27. Ibid.
28. Peu d’études ont été menées sur cette question. L’étude DE BEER, supra,
note 21, est la plus importante jusqu’à maintenant. Une étude précédente,
CARRIÈRE (Laurent), « Unlocatable Copyright Owners : Some Comments on the
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1237
une licence en 1991 afin d’incorporer deux citations tirées d’un
article dans un bulletin devant être expédié aux donateurs éventuels. La Société a été informée qu’une licence n’était pas nécessaire
parce que les extraits ne constituaient pas une partie importante de
l’article29. Un examen des décisions de la Commission révèle que la
nature commerciale ou non commerciale de l’utilisation peut influer
sur son appréciation de l’importance de l’emprunt.
Dès lors qu’elle décide d’accorder une licence, la Commission
suit deux approches en ce qui concerne les redevances éventuellement payables au titulaire du droit d’auteur. La première est l’approche conditionnelle, selon laquelle l’utilisateur paie seulement si
le titulaire réclame des redevances. C’est l’approche généralement
retenue dans les cas d’utilisations mineures ou lorsqu’il est fort
probable que l’œuvre appartienne au domaine public. Suivant la
deuxième approche – non conditionnelle –, l’utilisateur doit payer
des redevances directement à une société de gestion qui s’engage à
les remettre au titulaire si celui-ci se manifeste30.
2.1.2 Décisions de la Commission
La quantité et la qualité de l’appropriation sont des facteurs
prédominants dont la Commission tient compte pour déterminer
si une partie importante d’une œuvre protégée est en cause. Dans
l’affaire Pointe-à-Callière31, la Commission, examinant les aspects
quantitatif et qualitatif de l’appropriation, a déterminé que l’utilisation ne constituait pas une appropriation importante justifiant
l’octroi d’une licence. Sur le plan quantitatif, elle a conclu que
l’utilisation de 400 mots tirés de deux livres totalisant plus de
175 pages (soit un pour cent des œuvres) n’était pas importante. De
plus, les citations étaient éparses et ne formaient pas un tout cohérent. Pour apprécier l’importance de l’emprunt sur le plan qualitatif,
la Commission s’est attachée à trois facteurs : (i) la transformation
de l’œuvre devant découler de l’utilisation ; (ii) la question de savoir
Licensing Scheme of Section 77 of the Canadian Copyright Act », in « Owners
who cannot be located », in Robic-Léger, Canadian Copyright Act Annotated,
(Toronto : Carswell, 1993), mise à jour, renferme un tableau indiquant le type d’utilisation visée par chaque demande fondée sur l’article 77 qui a été présentée
depuis 1990.
29. Le 23 juillet 1991. La Commission a informé la Société par lettre et celle-ci a mis
fin à l’affaire.
30. DE BEER, supra, note 21.
31. Pointe-à-Callière (29 mars 2004), décision de la Commission du droit d’auteur, en
ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/unlocatable-introuvables/other-autre/1-b.pdf>.
1238
Les Cahiers de propriété intellectuelle
si la partie utilisée pouvait remplacer l’œuvre sur le marché ; (iii) la
nature distinctive de la partie utilisée32. Elle a indiqué qu’il s’agissait d’extraits d’entrevues qui ne constituaient pas l’élément central
de l’œuvre originale, que l’utilisation envisagée n’amènerait personne à les assimiler à l’œuvre originale et que cette utilisation ne
réduirait en rien le marché d’une éventuelle réédition33. Elle a souligné que, si aucun de ces critères n’était déterminant, ils indiquaient,
lorsque pris dans leur ensemble, une absence de substantialité sur le
plan qualitatif. En analysant la substantialité de cette façon, la
Commission a en fait écarté la notion selon laquelle la citation constitue, par définition, une partie importante, ainsi que le voulait
le critère pratique rudimentaire établi dans University of London
Press, Ltd. c. University Tutorial Press, Ltd.34, à savoir que, prima
facie, ce qui vaut la peine d’être copié vaut la peine d’être protégé. La
Commission a écarté cet aphorisme au motif qu’il est juridiquement
absurde. Une citation ne peut être « qualitativement important[e] »
du seul fait que quelqu’un veut s’en servir. Il en découlerait que toute
citation faite sans la permission du titulaire serait prima facie une
contrefaçon35. Dans cette affaire, la Commission a agi avec vigilance
en mettant en balance les différents aspects du droit d’auteur et en
clarifiant des concepts utiles et inutiles du domaine qui pourraient
mener à des résultats pervers.
Dans Breakthrough Films & Television36, la Commission donne
deux points de vue sur la question de savoir ce qui constitue une
partie importante et traite des facteurs connexes. Dans cette affaire,
une compagnie de production télévisuelle cherchait à utiliser un
extrait d’une autobiographie du sergent Charles Monroe Johnson,
mais avait été incapable de retrouver ses ayants droit. Breakthrough
s’est alors adressée à la Commission.
Les membres majoritaires ont accordé la licence, estimant
notamment que les 325 mots du livre de 342 pages incorporés dans
un film, où la narration de ces passages durait cinq minutes dans un
documentaire historique de 45 minutes sur la Deuxième Guerre
mondiale, constituaient une partie importante du livre. Une licence
était donc nécessaire. Selon le raisonnement de la majorité, l’analyse
32.
33.
34.
35.
36.
Ibid., p. 3.
Ibid.
[1916] 2 Ch. 601, p. 610 [University of London Press].
Pointe-à-Callière, supra, note 31, p. 3.
Breakthrough Films & Television (10 mai 2005), décision de la Commission
du droit d’auteur, en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/unlocatable-introuvables/
licences/156r-b.pdf> [Breakthrough].
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1239
de la quantité seule n’était pas déterminante au regard du caractère
important. S’appuyant sur l’arrêt Édutile37 de la Cour d’appel fédérale, la majorité a axé son analyse sur la qualité et la nature du
matériel reproduit. Elle a conclu que, bien que les parties extraites
de l’ouvrage aient été quantitativement faibles comparativement à
l’ensemble du livre, elles constituaient une partie importante d’un
point de vue qualitatif. Breakthrough s’était servie de la perspective
personnelle de l’auteur sur les faits et de « ses connaissances, [de
son] temps et [de son] talent »38. Les extraits étaient tirés d’un même
chapitre, étaient repris mot à mot et « conf[éraient] une vraisemblance à la bataille décrite dans le documentaire »39. La majorité a
considéré que le fait que les extraits provenaient du même chapitre
et, fait important, étaient utilisés de la même manière autobiographique que dans l’original (c.-à-d. la narration des extraits était faite
par une personne qui relatait l’histoire du sergent en le personnifiant) permettait de conclure à l’appropriation d’une partie importante de l’œuvre40.
Par contre, les membres dissidents auraient statué que Breakthrough n’avait pas besoin d’une licence puisqu’elle n’utilisait pas
une partie importante de l’œuvre. D’un point de vue quantitatif, ils
ont conclu que l’utilisation de 0,3 % de l’œuvre était négligeable.
Citant Vaver, ils ont dit qu’un titulaire du droit d’auteur « ne peut
avoir le contrôle sur toutes les parcelles de son œuvre »41. En outre,
ils ont considéré que la conclusion de la majorité selon laquelle
l’utilisation concernait une partie importante de l’œuvre était contraire à la décision rendue par la Commission dans Pointe-à-Callière42.
Après avoir appliqué aux faits une liste de facteurs qualitatifs
semblable à celle dressée par Vaver43, les membres dissidents ont
conclu que les extraits choisis ne portaient pas la marque du niveau
37. Édutile inc. c. Association pour la protection des automobilistes (APA), [2000] 4
C.F. 195 (C.A.F.), par. 22. « Pour déterminer si une « partie importante » d’une
œuvre protégée a été reproduite, ce n’est pas tant la quantité de ce qui a été reproduit qui compte, que la qualité et la nature de ce qui a été reproduit [...] Ce serait
réduire indûment la protection accordée au droit d’auteur que de s’arrêter à un
simple calcul de pourcentages ou de proportions aux fins de déterminer s’il y a eu
violation. Une partie, en matière de droit d’auteur, peut être aussi importante
que le tout [...] »
38. Breakthrough, supra, note 36, p. 6.
39. Ibid.
40. Ibid.
41. Ibid., p. 14.
42. Pointe-à-Callière, supra, note 31.
43. VAVER, supra, note 19, p. 144.
1240
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’ingéniosité ou d’inventivité requis ; ils ne faisaient que relater des
faits et des événements tragiques et ne représentaient pas une
caractéristique essentielle de l’œuvre. Pour ces membres, le fait d’accorder une licence pour une partie non importante d’une œuvre était
contraire aux principes sous-tendant la Loi et pouvait donner l’impression aux titulaires que les parties insignifiantes d’une œuvre
sont protégées par le droit d’auteur ou que des parties qui seraient
autrement insignifiantes sont importantes44.
2.2 L’appropriation substantielle et les tarifs
La Commission est de plus en plus souvent aux prises avec des
processus d’établissement de tarifs très controversés dans divers
secteurs du droit d’auteur, comme le cinéma, la musique et l’édition.
En raison des progrès technologiques et du nombre croissant de
nouvelles utilisations d’œuvres existantes, des tarifs sont souvent
demandés en guise de compensation.
2.2.1 Tarif no 24 de la SOCAN (Sonneries) 2003-200545
Les sonneries constituent l’une des innovations récentes dans
le domaine de la consommation de musique, et la Commission a été
appelée à examiner la possibilité d’établir un tarif. Les parties
n’avaient pas soulevé directement la question de savoir si une sonnerie constitue une partie importante d’une œuvre musicale ; l’une
d’elles avait même prié la Commission de ne pas en traiter. Celle-ci a
néanmoins estimé qu’il importait de trancher cette question parce
que celle-ci était essentielle pour déterminer s’il existait un droit
susceptible de protection en vertu de la Loi46 et qu’elle disposait
d’une preuve suffisante pour se prononcer sur le sujet.
Dans le cadre de son analyse de la doctrine de l’appropriation
substantielle, la Commission s’est référée à la décision Canadian
National Exhibition47 pour faire ressortir l’importance du caractère
44. Breakthrough, supra, note 36, p. 17.
45. Tarif no 24 de la SOCAN (Sonneries) 2003-2005 (18 août 2006), décision de la
Commission du droit d’auteur du Canada, en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/
decisions/2006/20060818-m-f.pdf> [Sonneries].
46. Ibid., par. 38.
47. Canadian Performing Rights Society Ltd. c. Canadian National Exhibition Association, [1934] O.R. 610 (H.C. Ont.). Dans cette affaire, la Cour s’est appuyée sur
Hawkes and Son (London) Ltd. c. Paramount Film Services Ltd., [1924] 1 Ch. D.
593 (C.A. R.-U.), une affaire qui concernait un film pendant lequel on entendait
de manière accessoire 20 secondes reconnaissables de la Colonel Bogey’s March.
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1241
distinctif48. Appliquant cette décision aux faits en l’espèce, la Commission a statué que, sur le plan quantitatif, une sonnerie qui utilise
30 secondes d’une chanson qui dure de trois à cinq minutes pourrait
constituer une partie suffisamment importante, étant donné que le
refrain ou l’élément accrocheur dure au plus une minute. D’un point
de vue qualitatif, la Commission a indiqué que, étant donné qu’une
sonnerie vise à promouvoir une chanson, « [l]es entreprises de télécommunications sans fil n’auraient [...] qu’une faible motivation
économique à proposer une sonnerie reproduisant une partie négligeable et, partant, non reconnaissable d’une œuvre musicale »49.
Par conséquent, la nature de la sonnerie suppose nécessairement
l’utilisation d’une partie importante de l’œuvre50. La Commission a
ainsi été en mesure de passer à l’étape suivante de l’analyse, où elle a
finalement conclu qu’il y avait eu communication au public par télécommunication d’une partie importante de l’œuvre. Il importe de
souligner qu’à l’occasion d’un contrôle judiciaire la Cour d’appel fédérale a fait montre de déférence à l’égard de la façon dont la Commission avait interprété ces questions51.
2.2.2 Services de radio par satellite52
Cette affaire avait trait à une demande de tarif présentée par
la SOCAN, la SCGDV et CSI pour l’utilisation de leur répertoire par
des services de radio satellitaire par abonnement, à laquelle s’opposaient Sirius et Canadian Satellite Radio (XM). S’agissant des
questions juridiques, tous avaient convenu que la SOCAN et la
SCGDV avaient droit à des redevances et qu’il n’y avait aucune question de droit à trancher à ce sujet. La demande de redevances de CSI
48.
49.
50.
51.
52.
La Cour d’appel du Royaume-Uni a statué que, même s’il s’agissait d’une petite
partie du film qui ne durait que 20 secondes, l’extrait constituait une partie
importante de l’œuvre (dont l’utilisation violait donc le droit d’auteur) parce que
n’importe qui pouvait la reconnaître. Cette décision ne fait plus autant autorité
au Canada puisque la Loi a été modifiée afin de prévoir que l’incorporation incidente, non délibérée, d’une œuvre ne constitue pas une violation du droit d’auteur
(voir l’article 30.7). Son analyse de la doctrine de la partie importante reste
toutefois pertinente.
Sonneries, supra, note 45, par. 43.
Ibid., par. 46.
Cette conclusion est étayée également à la lumière des facteurs décrits par D.
VAVER, Copyright Law, supra, note 19, p. 144.
Assoc. canadienne des télécommunications sans fil c. Société canadienne des
auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (C.A.F.), [2008] 3 R.C.F. 539 <http://
reports.fja.gc.ca/fra/2008/2008caf6.html>.
Services de radio par satellite (8 avril 2009), décision de la Commission du
droit d’auteur du Canada, en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2009/
20090408-m-b.pdf> [Services de radio par satellite].
1242
Les Cahiers de propriété intellectuelle
pour la reproduction d’œuvres musicales à laquelle les services semblaient se livrer soulevait cependant quatre questions de droit, dont
celle de savoir si le stockage d’un tampon de quatre à six secondes dans la mémoire vive incorporée au dispositif de réception de
l’utilisateur du service constituait une partie importante de l’œuvre
protégée. En gros, le dispositif de réception crée un tampon en défilement de fragments séquentiels des œuvres musicales, où chaque
octet de données entre dans la mémoire vive et en sort selon le principe du « premier entré, premier sorti »53. CSI soutenait que le cumul
du contenu séquentiel du tampon équivalait à une copie de l’œuvre
complète54. Pour leur part, les services par satellite faisaient valoir
que ce stockage transitoire séquentiel de petites portions ne constituait pas l’appropriation d’une partie importante de l’œuvre musicale55.
Dans son raisonnement, la Commission a renvoyé à U & R Tax
Services Ltd.56, l’arrêt faisant autorité sur la façon d’évaluer la substantialité de l’emprunt. Cet arrêt établit qu’une analyse de la substantialité doit donner plus d’importance à la qualité des parties
empruntées qu’à leur quantité, une question de fait qui doit être
tranchée en fonction de l’ensemble des circonstances de l’espèce57. La
Commission a indiqué qu’un tampon en défilement ne permet en
aucun temps à l’abonné d’accoler une série de clips de quatre à six
secondes qui, réunis, constituent une partie importante de l’œuvre.
En outre, l’abonné ne peut jamais choisir ce qui entre dans le tampon
ou ce qui en sort. La Commission a conclu que le tampon de quatre à
six secondes ne répondait pas à l’exigence d’importance58. Elle a
appliqué la même conclusion aux services de transmission par Internet qui comportaient un tampon semblable de dix secondes assurant
une écoute en douceur59. Par contre, toutes les parties ont convenu
qu’un « tampon prolongé », qui permet à l’abonné d’enregistrer la
programmation pour en profiter ultérieurement (c.-à-d. de suspendre et de rembobiner) constituerait une reproduction d’une partie
importante ; la seule question à trancher à cet égard était de savoir si
les services autorisaient la reproduction60.
53.
54.
55.
56.
57.
58.
59.
60.
Ibid., par. 83.
Ibid., par. 88.
Ibid., par. 86.
U & R Tax Services ltd. c. H & R Block Canada inc., (1995) 62 C.P.R. (3d) 257
(C.F.P.I.).
Services de radio par satellite, supra, note 37, par. 96.
Ibid., par. 97, 98.
Ibid., par. 108.
Ibid., par. 109. Bien que la fonction dite de tampon prolongé soit tributaire de
la décision de l’abonné de l’utiliser, la Commission a conclu que les services par
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1243
2.3 Conclusions sur la partie importante
L’examen des décisions qu’elle a rendues sur la question du
caractère important permet de constater que la Commission a
adopté une approche assez uniforme. Elle établit les faits de chaque
affaire, évaluant la quantité et la qualité de l’emprunt. Se fondant
sur les décisions de justice en la matière, elle semble mettre l’accent
sur l’évaluation qualitative. Il en découle que ses décisions varient
inévitablement selon les faits. Ainsi, lorsqu’on compare les décisions Pointe-à-Callière et Breakthrough, les conclusions sont divergentes car ces affaires comportent des faits différents, en particulier
au regard du caractère transformatif ou non de l’utilisation des
extraits en cause ; dans Pointe-à-Callière, l’utilisation envisagée
était très différente de l’originale – des extraits de deux livres étaient
exposés dans un musée – alors que, dans Breakthrough, les extraits
provenaient d’un même chapitre d’une œuvre autobiographique et
avaient été utilisés aux fins d’une narration autobiographique par
une personne qui personnifiait le sujet même du livre original. Dans
Sonneries, les extraits correspondaient à l’élément accrocheur de
l’œuvre originale et incitaient le consommateur à faire un choix et un
achat, de sorte que la partie de l’œuvre visée était importante, alors
que dans Services de radio par satellite, le stockage d’un tampon de
quatre à six secondes dans une mémoire vive incluse dans l’appareil
de réception de l’abonné du service ne permettait pas réellement à ce
dernier de choisir les parties qui l’intéressaient.
Dans l’ensemble, le cadre juridique de la Commission pour
l’analyse de la substantialité comporte trois paramètres directeurs :
(1) ce qui a été utilisé (quantité, caractère distinctif) ; (2) le contexte
(commercial, non commercial, substituabilité) ; (3) la nature de
l’utilisation (transformative ou non). Contrairement à l’approche
restrictive adoptée par les tribunaux britanniques61, l’approche
contextuelle privilégiée par la Commission permet de prendre en
compte non seulement ce qui a été utilisé, mais aussi le contexte de
l’utilisation, y compris ce qu’on a fait de l’œuvre. Elle permet aussi de
prendre en compte la notion de plus en plus importante d’œuvre
satellite encourageaient activement l’utilisation de cette fonction et exerçaient
un contrôle direct sur la programmation de ce type de fonction. Ainsi, en application de la décision SOCAN c. ACFI, [2004] 2 R.C.S. 427 [SOCAN], les services par
satellite avaient autorisé la reproduction par les utilisateurs en leur fournissant
les fonctions d’enregistrement du tampon prolongé (voir Services de radio par
satellite, supra, note 52, par. 113).
61. Voir ENDICOTT, supra, note 3, p. 10-11. Les tribunaux britanniques ont adopté
une approche plutôt restrictive dans le cadre de l’analyse de la substantialité,
s’en tenant au talent et au travail de l’auteur.
1244
Les Cahiers de propriété intellectuelle
transformative, lorsque l’utilisateur transforme ce qu’il s’approprie
au point de faire une nouvelle œuvre. Ainsi, l’appropriation directe
du plan distinctif d’une maison pourrait être considérée comme
l’utilisation d’une partie importante, tout comme celle de quelques
mesures du refrain d’une œuvre musicale. Par contre, ce ne serait
pas le cas de l’utilisation de quelques notes dans le cadre d’un
concours consistant à deviner le titre d’une chanson car les utilisateurs doivent disposer d’une certaine marge de manœuvre pour
créer. D’un point de vue de politique générale, cette approche permet
la création, évite d’encourager une culture de prudence excessive
incitant les utilisateurs à demander une licence lorsqu’ils envisagent
d’utiliser une œuvre à des fins par ailleurs autorisées par crainte de
représailles de la part du titulaire de droits et, au bout du compte,
offre à la Commission les paramètres directeurs dont elle a besoin
pour rendre ses décisions. La recherche d’équilibre privilégiée par la
Commission fait aussi en sorte que les marchés viables des œuvres
protégées ne sont pas supplantés parce que la Commission interprète trop largement ce qui n’est pas important, comme cela aurait
été le cas dans Sonneries si la Commission avait rendu une décision
différente. Il était d’ailleurs révélateur que la Commission ait décidé
de traiter du caractère important malgré certaines résistances puisque ce premier principe des règles de droit d’auteur était essentiel
pour déterminer s’il existait un droit susceptible de protection et, du
même coup, un droit monnayable sur le marché.
3. UTILISATION ÉQUITABLE
3.1 Contexte
Au Canada, la doctrine de l’utilisation équitable est expressément inscrite dans la Loi, qui énumère cinq fins pouvant en faire
l’objet : étude privée ou recherche (art. 29), critique ou compte rendu
(art. 29.1) et communication des nouvelles (art. 29.2). Selon l’arrêt
CCH, l’utilisation équitable est permise si l’utilisation envisagée
(1) vise une des fins énumérées ; (2) est « équitable » ; (3) dans le cas
des quatre dernières fins énumérées, la source est mentionnée de
manière suffisante. L’arrêt dresse aussi une liste non exhaustive de
six facteurs pouvant servir à évaluer le caractère équitable d’une utilisation. En outre, il sanctionne une interprétation libérale de l’utilisation équitable afin de conférer un droit d’utilisation d’une partie
importante ou de la totalité d’une œuvre sans permission ou compensation du titulaire de droits, à l’intérieur de certaines limites.
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1245
3.2 Décisions de la Commission
Le cadre d’analyse mis au point dans CCH a été peu utilisé par
les tribunaux depuis62. Pour la Commission, pour qui « [l]’arrêt CCH
constitue désormais le point de départ obligé de toute analyse de la
notion d’utilisation équitable »63, c’est tout le contraire. En effet,
tout juste après CCH, la Commission a examiné la doctrine de
l’utilisation équitable même si celle-ci n’était pas invoquée par les
parties.
3.2.1 Veille médiatique (29 mars 2005)64
Dans cette affaire, la Commission a homologué des tarifs déposés par l’Agence des droits des radiodiffuseurs canadiens pour l’utilisation des émissions et des signaux de communication de ses
membres par les entreprises et services non commerciaux de veille
médiatique. Ces entreprises et services surveillent systématiquement les sources d’information dans le but d’offrir à leurs clients des
informations qui les intéressent. Ils fournissent des extraits, des
transcriptions et d’autres formes d’information concernant des émis62. (1) Dans SOCAN, supra, note 60, la Cour suprême a souligné que, sous le régime
de la Loi, les droits du titulaire et les restrictions y afférentes doivent être considérés de pair et recevoir « l’interprétation juste et équilibrée que commande une
mesure législative visant à remédier à un état de fait » (tiré de CCH, supra,
note 4, par. 48 – voir SOCAN, supra, note 60, par. 88). Dans cette affaire, elle a
indiqué que l’exception relative à la violation du droit d’auteur prévue à l’alinéa
2.4(1)b) « n’est pas une échappatoire, mais un élément important de l’équilibre
établi par le régime législatif en cause » (par. 89).
(2) Dans Canwest Mediaworks Publications inc. c. Horizon Publications ltd., 2008
BCSC 1609, Canwest avait prétendu que la publication par Horizon d’un pastiche du Vancouver Sun constituait une contrefaçon. Horizon faisait valoir que la
publication était une parodie et qu’elle ne devait pas donner lieu à une violation
du droit d’auteur car il s’agissait d’une utilisation équitable aux fins de critique
au sens de l’article 29.1. Le protonotaire A. Donaldson a rejeté ce moyen de
défense en se fondant sur l’arrêt Michelin (Cie générale des établissements Michelin – Michelin & Cie c. TCA-Canada, [1997] 2 C.F. 306) au soutien de la proposition selon laquelle une parodie n’est pas une exception à la violation du droit
d’auteur et ne constitue pas un moyen de défense. Bien que cette décision ait été
rendue après CCH, il n’y avait, dans les motifs du protonotaire, aucune mention
de l’analyse relative à l’utilisation équitable effectuée par la Cour suprême du
Canada dans cet arrêt.
63. Access Copyright (Établissements d’enseignement) 2005-2009 (26 juin 2009), décision de la Commission du droit d’auteur du Canada, en ligne : <http://www.cbcda.gc.ca/decisions/2009/Access-Copyright-2005-2009-Schools.pdf> [Access
Copyright].
64. Veille médiatique 2000-2005 (29 mars 2005), décision de la Commission du
droit d’auteur du Canada, en ligne : <http://www.cb-cda.gc.ca/decisions/2005/
20050329-mv-b.pdf> [Veille médiatique].
1246
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sions de radio et de télévision. Pour ce faire, ils doivent reproduire les
émissions et fixer les signaux de communication qui les transportent. Dans les deux cas, ils doivent obtenir une licence. Souvent, des
sommaires et des survols suffisent pour tenir les clients informés.
Les entreprises de veille médiatique tirent une partie importante de
leurs revenus de ces activités, qui ne requerraient pas de licence.
Cependant, comme ces sommaires et survols ne peuvent être préparés sans qu’on ait fixé au préalable les émissions et les signaux des
radiodiffuseurs, les licences essayaient de tenir compte de cette activité en prévoyant le paiement de redevances sur l’ensemble des revenus tirés de l’utilisation des œuvres ou des signaux, même si cette
utilisation ne requiert peut-être pas en elle-même une licence 65.
Si elle n’a pas déterminé la mesure dans laquelle l’utilisation
du répertoire par les entreprises et services de veille pouvait constituer une utilisation équitable, la Commission a néanmoins abordé
l’applicabilité éventuelle de la doctrine. Elle a fait expressément
référence à deux principes énoncés dans CCH : « la recherche effectuée pour réaliser des profits peut constituer une utilisation équitable » et « la personne qui facilite l’utilisation équitable d’une autre
personne peut avoir droit à la même protection en vertu de la Loi que
cette dernière »66. De plus, elle a estimé que « certaines activités
de veille [peuvent] constituer de la recherche ou de la facilitation
de recherche pouvant constituer, à leur tour, une utilisation équitable »67. Par conséquent, « [j]usqu’à ce que des décisions éventuelles
viennent clarifier la portée de l’arrêt CCH, cela laisse entrevoir la
possibilité que certaines activités exercées par les entreprises de
veille puissent ne pas constituer des utilisations protégées à l’égard
desquelles elles devraient obtenir une licence »68. Cette décision fait
ressortir à la fois le lien direct qui existe entre l’utilisation équitable
et l’octroi de licences et à quel point la Commission est consciente de
cette dynamique. La Commission ne disposait d’aucune preuve dans
cette affaire qui lui permettait d’évaluer l’utilisation équitable, mais
elle a laissé ouverte la possibilité d’invoquer un moyen de défense
fondé sur l’utilisation équitable pour la recherche à but lucratif et n’a
pas semblé limiter son raisonnement.
65.
66.
67.
68.
Ibid., p. 5.
Ibid., p. 9.
Ibid., p. 10.
Ibid., p. 9.
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1247
3.2.2 Tarif 22.A de la SOCAN (Internet – Services
de musique en ligne)69
De manière générale, le Tarif 22 devait viser la communication
d’œuvres musicales « au moyen de transmissions Internet ou autres
moyens semblables ». Il visait expressément les services de musique
en ligne et la SOCAN avait proposé de percevoir des redevances sur
l’écoute préalable des œuvres musicales accessibles en ligne. Dans
l’affaire Tarif 22.A, la Commission a examiné l’exception d’utilisation équitable dans le contexte de son examen de l’écoute préalable.
Appliquant la norme d’interprétation énoncée dans CCH, la
Commission a conclu que l’écoute au préalable d’un extrait musical en vue de décider d’acheter ou non un téléchargement ou un
CD constituait une « recherche », soit une fin permise énumérée à
l’article 29 de la Loi70. Pour évaluer le caractère équitable, la Commission a appliqué les six facteurs décrits dans CCH. S’agissant du
but de l’utilisation, la Commission a indiqué que l’offre d’extraits en
écoute préalable pour faciliter la recherche était permise dans la
mesure où des « dispositifs de protection raisonnables » étaient en
place pour assurer que les utilisations des consommateurs étaient
équitables (p. ex. la musique était transmise en continu et était d’une
qualité moindre de sorte qu’elle ne remplaçait pas l’original sur le
marché)71. S’agissant du caractère de l’utilisation, l’écoute de l’extrait d’une piste en vue de mener à un achat éclairé (ou de faciliter
cette activité) a été considérée comme une utilisation équitable. En
ce qui concerne le troisième facteur, la Commission a conclu que
l’ampleur de l’utilisation de l’œuvre transmise était modeste et
qu’aider l’usager à prendre une décision était une utilisation dont on
pouvait présumer qu’elle était équitable. Pour ce qui est du quatrième facteur, il n’y avait pas de solution de rechange évidente à
l’écoute préalable. Celle-ci était la façon la plus pratique, la plus économique et la plus sûre de faire en sorte que les usagers achètent la
musique qu’ils veulent et, comme dans CCH, la possibilité d’obtenir
une licence n’était pas pertinente pour décider du caractère équitable d’une utilisation. Enfin, la Commission a considéré simultanément la nature de l’œuvre et l’effet de l’utilisation sur l’œuvre, les
cinquième et sixième facteurs. Elle a indiqué que l’offre d’extraits en
écoute préalable encourageait les achats, ce qui profitait aux titulaires de droits72.
69.
70.
71.
72.
Tarif 22.A, supra, note 12.
Ibid., par. 109.
Ibid., par. 111-112.
Ibid., par. 111-116.
1248
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La Commission a ajouté que, même si certains usagers pouvaient utiliser l’écoute préalable d’une manière non conforme à
l’utilisation équitable, cela n’affectait pas la position des fournisseurs de services, dans la mesure où ils pouvaient établir que
« [leurs] propres pratiques et politiques étaient axées sur la recherche et équitables »73. La Commission a ainsi adopté l’interprétation libérale privilégiée dans CCH et a systématiquement appliqué
ses six facteurs d’évaluation du caractère équitable de l’utilisation.
Comme dans CCH, la Commission a fondé sa décision sur les pratiques du fournisseur de l’information, et non sur celles des utilisateurs finaux, dès lors qu’il existait des « dispositifs de protection
raisonnables ».
La SOCAN a demandé le contrôle judiciaire de la décision.
La Cour d’appel fédérale a confirmé l’interprétation large du mot
« recherche » qu’avait donnée la Commission74. Elle a fait remarquer
que le législateur n’avait pas apposé expressément de qualificatif
restrictif au mot « recherche » dans la Loi (p. ex. recherche « scientifique », recherche « économique »). Le législateur voulait ainsi que la
définition du mot « recherche » soit souple, dépende du contexte et
assure « un juste équilibre entre les droits des titulaires du droit
d’auteur et les intérêts des utilisateurs »75. En ce qui concerne
l’écoute préalable d’extraits d’œuvres musicales, la Cour a statué
que « le consommateur est à la recherche d’un objet du droit d’auteur
qu’il désire et s’efforce de trouver et dont il veut s’assurer de son
authenticité et de sa qualité avant de se le procurer »76. La Cour a
convenu avec la Commission que l’écoute préalable aidait le consommateur à trouver ce qu’il cherchait, mentionnant également qu’« [i]l
faut examiner l’écoute préalable sous l’angle du consommateur de
l’objet du droit d’auteur à qui celle-ci est destinée pour lui permettre
de mieux rechercher et trouver l’œuvre musicale qu’il désire »77. La
Cour a donc accepté l’interprétation large faite par la Commission,
estimant que la recherche constituait une exception énumérée dans
la Loi qui, dans cette affaire, incluait l’écoute électronique d’extraits
d’œuvres musicales. La Cour a aussi évalué l’analyse faite par la
Commission des six facteurs décrits dans CCH au sujet du caractère
équitable et a confirmé cette analyse et les conclusions que la Commission en a tirées78.
73. Ibid., par. 116.
74. SOCAN c. Bell Canada, 2010 C.A.F. 123 ; autorisation de pourvoi à la Cour
suprême du Canada accordée.
75. Ibid., par. 18.
76. Ibid., par. 20.
77. Ibid., par. 22.
78. Ibid., par. 24, 31.
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1249
Selon la Cour, il était surprenant que « la Commission se soit
livrée, sans le bénéfice de discussion des parties affectées, à une
interprétation de l’exception elle-même ainsi que de son champ
d’application »79. De fait, la question de l’utilisation équitable doit
être tranchée au cas par cas, ce qui exige que les parties produisent
des éléments de preuve – ce qui assure également le respect des principes de l’application régulière de la loi. Il ne faudrait toutefois pas
perdre de vue que la Commission n’était pas liée par des règles de
preuve ou de procédure particulières (hormis quelques règles contenues dans la Loi et les principes de justice fondamentale)80 et qu’elle
jouit de divers pouvoirs d’une cour supérieure d’archives81. Cette
flexibilité aurait permis à la Commission de forcer la production
d’éléments de preuve ou la comparution de témoins et, ainsi, de tenir
compte non seulement des [TRADUCTION] « intérêts immédiats des
parties à l’instance, mais aussi plus largement des intérêts du grand
public et du fonctionnement du marché des œuvres protégées »82.
Comme le public n’est pas officiellement représenté dans les instances devant la Commission, celle-ci a le devoir de faire en sorte que
l’intérêt public soit également protégé. La Cour a confirmé la décision de la Commission, tout en soulignant que les parties auraient
dû être entendues compte tenu des intérêts socioéconomiques en jeu.
3.2.3 Services de radio par satellite83
Dans cette affaire, il fallait déterminer si les services par satellite pouvaient invoquer la doctrine de l’utilisation équitable pour
éviter d’être tenus responsables d’avoir autorisé leurs détaillants
affiliés à reproduire des échantillons de contenu d’émissions sur les
appareils de réception que les consommateurs pouvaient écouter
dans les magasins. Les services invoquaient l’utilisation équitable
aux fins d’étude privée ou de recherche, faisant valoir que les échantillons enregistrés avaient pour but de « faciliter la recherche privée
d’abonnés potentiels ». La Commission a conclu que cet argument
était « forcé et, comme nous le verrons, est aisément rejeté »84. Citant
79. Ibid., par. 11.
80. GERVAIS (Daniel J.), « A Uniquely Canadian Institution : The Copyright Board
of Canada », in An Emerging Intellectual Property Paradigm : Perspectives from
Canada, dans GENDREAU (Ysolde) réd., ed. (Cheltenham : Edward Elgar,
2008) ; Vanderbilt Public Law Research Paper No. 09-02, p. 211, 216, en ligne :
<http://ssrn.com/abstract=1335948> [GERVAIS].
81. Voir l’article 66.7 de la Loi, supra, note 1.
82. GERVAIS, supra, note 80, p. 216.
83. Services de radio par satellite, supra, note 52.
84. Ibid., par. 117.
1250
Les Cahiers de propriété intellectuelle
CCH, elle a souligné que l’utilisation équitable était peut-être devenue un droit des utilisateurs, mais que le fardeau de la preuve incombait toujours à la personne qui le revendique. Or rien dans la preuve
présentée par les services n’indiquait que les abonnés éventuels utilisant les fichiers préenregistrés le faisaient à des fins de recherche
ou d’étude privée. Bien au contraire, la preuve établissait « que les
détaillants utilisent cette fonction pour promouvoir la vente du service »85. Comme la partie à qui incombait le fardeau de la preuve ne
s’en est pas acquitté, l’exception d’utilisation équitable ne s’appliquait pas. Ce scénario pourrait sembler rappeler l’écoute préalable d’extraits d’œuvres musicales dont il était question dans la
décision Tarif 22.A86 ; cela dit, dans la mesure où les deux types
d’activités comportent une forme de magasinage, la Commission a
fait une distinction entre les deux affaires au motif que, dans le cas
de l’écoute préalable, c’est l’utilisateur qui entreprend de faire les
copies et peut choisir le contenu87. Par contre, les services par satellite ont eux-mêmes choisi et fait les copies proposées sur les appareils destinés à la vente au détail et pour les besoins d’échantillonnage sur place. Ils cherchaient ainsi explicitement à inviter les
consommateurs à acheter leurs services ; le consommateur potentiel
n’avait pas le choix de sélectionner les échantillons préenregistrés dans les différents canaux de la mémoire de son appareil. En
conséquence, la Commission a statué que les services par satellite
n’étaient pas assimilables à « une personne facilitant une recherche »
et ne pouvaient donc pas invoquer l’utilisation équitable comme justification de la reproduction des émissions faisant partie de l’échantillon88.
3.2.4 Access Copyright (Établissements d’enseignement)89
Access Copyright est une société de gestion qui représente des
auteurs et des éditeurs d’œuvres littéraires protégées pour la perception de redevances et leur distribution aux titulaires des droits
concernés. Access Copyright a négocié des redevances avec le Conseil des ministres de l’Éducation du Canada (CMÉC) depuis 1998
concernant les photocopies d’œuvres destinées aux établissements
d’enseignement primaire et secondaire. En 2004, Access Copyright a
voulu percevoir des redevances qui « refléter[aient] la valeur et
le volume de pages photocopiées », mais, à cause d’une impasse
85.
86.
87.
88.
89.
Ibid., par. 121.
Tarif no 22.A, supra, note 12.
Services de radio par satellite, supra, note 52, par. 122.
Ibid., par. 123.
Access Copyright, supra, note 63.
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1251
avec le CMÉC dans les négociations concernant le renouvellement
du régime de redevances, la société a demandé à la Commission
d’homologuer un tarif applicable au milieu scolaire90. Pour évaluer
la valeur et le volume de pages photocopiées, les parties ont mené
conjointement une enquête de volume afin de connaître les pratiques
des écoles en matière de photocopie. L’utilisation d’« étiquettes d’enregistrement » visait à tenir compte du but et de l’ampleur des
photocopies, ce qui devait aussi servir à déterminer l’ampleur de
l’utilisation équitable91.
La Commission devait déterminer dans quelle mesure l’utilisation équitable pouvait s’appliquer aux écoles primaires et secondaires relativement à la photocopie d’œuvres protégées. Access
Copyright reconnaissait que les copies uniques et les copies multiples (faites à la demande de tiers) aux seules fins d’étude privée ou de
recherche bénéficiaient de l’exception et devaient être exclues du calcul des redevances. Elle prétendait cependant que faire une copie
pour un étudiant qui est tenu de la lire ne constitue pas une utilisation équitable au motif que « la copie destinée à un étudiant dont on
exige qu’il la lise n’est pas équitable parce qu’elle est nécessairement faite à des fins éducatives plutôt que de recherche ou d’étude
privée »92. Access Copyright soutenait également que l’utilisation
équitable aux fins de critique ou de compte rendu n’était pas pertinente parce qu’une telle fin nécessitait une communication au
public, alors que la critique ou le compte rendu fait par des étudiants
dans une salle de classe n’est pas communiqué au public93. Elle soutenait aussi que, si l’utilisation vise plus d’une fin, il faut que la fin
énumérée soit l’objet principal de l’utilisation pour que l’exception
relative à l’utilisation équitable s’applique. Access soutenait qu’en
milieu scolaire, « dès qu’on identifie une fin autre que la recherche ou
l’étude privée, c’est cette autre fin qu’on doit présumer être l’objet
principal »94. « Lorsque l’utilisation d’une œuvre est dictée par l’enseignant, l’objet dominant de l’utilisation est l’enseignement, pas la
recherche ou l’étude privée »95.
Les opposants contestaient l’évaluation d’Access Copyright et
soutenaient que toutes les copies faites en milieu scolaire consti90. Ibid., par. 18, 19. Access Copyright a présenté la demande à la Commission en
vertu du par. 70.13(2) de la Loi.
91. Ibid., p. 8-10.
92. Ibid., par. 60.
93. Ibid., par. 62.
94. Ibid., par. 63.
95. Ibid., par. 64.
1252
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tuent une utilisation équitable selon « l’interprétation libérale que
préconise CCH »96. Se fondant sur l’évaluation du caractère équitable effectuée dans cet arrêt, les opposants prétendaient que la
nature de l’utilisation semblait en indiquer le caractère équitable.
Les étudiants avaient tendance à « se débarrasser des photocopies
une fois qu’ils n’en [avaient] plus besoin » ; leur poursuite non rémunérée du savoir pouvait être tout aussi équitable que la recherche à
but lucratif reconnue dans CCH97. En outre, la preuve ne démontrait
pas que les photocopies avaient directement entraîné une baisse des
ventes, mais plutôt que le secteur de l’édition se portait bien98.
La Commission a d’abord exposé de manière générale les propositions fondamentales concernant l’utilisation équitable tirées de
CCH : (1) les exceptions prévues par la Loi sont des droits des utilisateurs qu’il faut interpréter de façon libérale afin de maintenir un
équilibre entre les droits des titulaires et les intérêts des utilisateurs ; (2) l’exception relative à l’utilisation équitable s’applique seulement si elle vise une fin énumérée ; (3) une utilisation à une fin
énumérée n’est pas équitable de ce seul fait ; le caractère équitable
doit être évalué séparément à l’aide d’une liste non exhaustive de
facteurs ; (4) on ne pourra se prévaloir de l’exception relative à
l’utilisation équitable dès lors qu’une condition n’est pas remplie ;
(5) les pratiques institutionnelles de l’utilisateur devraient être compatibles avec l’utilisation équitable ; (6) l’utilisation équitable est
« un concept juridique, qui doit être interprété en fonction des balises
posées dans CCH »99.
La première étape de l’analyse effectuée dans CCH consiste à
déterminer si l’utilisation vise une fin énumérée. La Commission a
rejeté l’affirmation d’Access Copyright selon laquelle, pour que cette
étape soit franchie, il faut que la fin énumérée soit l’objet principal de
l’utilisation. Elle a statué que, dès lors qu’une fin énumérée était
indiquée sur l’étiquette d’enregistrement (les parties ayant convenu que l’étiquette faisait foi de son contenu), l’utilisation rencontrait ce critère100. La Commission a encore une fois interprété de
manière large le terme « recherche » et a rejeté la prétention d’Access
Copyright selon laquelle la recherche supposait nécessairement une
enquête, une fouille ou une étude attentive. Elle a plutôt souligné
que la recherche juridique implique rarement une telle intensité,
96.
97.
98.
99.
100.
Ibid., par. 70.
Ibid., par. 72.
Ibid., par. 74.
Ibid., par. 76-81.
Ibid., par. 87, 88.
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1253
ajoutant qu’« [i]l y a recherche dès lors qu’il y a effort pour trouver,
peu importe sa nature ou son intensité »101. La Commission a aussi
rejeté la prétention d’Access Copyright selon laquelle la critique ou
le compte rendu implique nécessairement une communication au
public dans le contexte scolaire, étant entendu qu’une telle communication pourrait implicitement être nécessaire dans le cas de nouvelles102.
Fait intéressant à noter, la Commission n’a pas hésité à se
démarquer du contenu de l’étiquette d’enregistrement lorsque ce
dernier reflétait un non-sens et ce, sans égard au fait que les parties
avaient convenu que l’étiquette faisait foi de son contenu. Citant
l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans CCH, la Commission
a statué que la distribution de copies par un enseignant à tous les
étudiants assistant à un cours ne pouvait constituer de l’étude
privée, peu importe l’inscription sur l’étiquette d’enregistrement103.
De la même façon, la Commission a statué qu’une copie est faite aux
fins de critique seulement si elle est incorporée à la critique même,
mais qu’une copie peut aussi être faite aux fins de recherche en vue
d’une critique104. L’interprétation offerte par la Commission a pour
effet d’étendre la portée de l’exception d’utilisation équitable. En
effet, si une recherche en vue d’une critique devait être assujettie
aux règles visant l’utilisation à des fins de critique, il faudrait
mentionner la source de tout ce qui a été utilisé dans la rédaction
de la critique et la portée de l’exception s’en trouverait d’autant restreinte.
Par la suite, la Commission a appliqué les six facteurs dégagés
dans CCH pour évaluer le caractère équitable de l’utilisation. Dans
l’ensemble, elle a considéré que trois types d’utilisation impliquant
des copies uniques faites par la personne pour son propre usage ou
des copies multiples faites pour des tiers à leur demande (sans que
l’enseignant demande à l’élève de lire le matériel) constituaient
une utilisation équitable. Elle a estimé que, dans ces cas, l’utilisation : (1) visait seulement des fins de recherche ou d’étude privée ;
(2) visait seulement des fins de recherche et d’étude privée ou des
fins de critique et de compte rendu lorsque la copie était considérée
comme une recherche en vue d’une critique et d’un compte rendu ;
(3) visait des fins multiples, dès lors que l’une de ces fins était une fin
101.
102.
103.
104.
Ibid., par. 89.
Ibid., par. 93 ; soit dit en passant, l’argument était voué à l’échec puisqu’une
classe constitue un public au sens de la Loi.
Ibid., par. 90.
Ibid., par. 91, 92.
1254
Les Cahiers de propriété intellectuelle
énumérée. L’utilisation d’une quatrième catégorie de copies a toutefois été jugée inéquitable : les copies multiples faites par une personne pour son propre usage et les copies uniques ou multiples faites
pour des tiers sans que ceux-ci ne le demandent (avec instruction de
l’enseignant aux élèves de lire le matériel).
La notion de pratique institutionnelle de l’utilisateur occupe
une place importante dans l’arrêt CCH. À cet égard, la Commission a
souligné que la Cour avait constaté, dans cette affaire, que la politique d’accès de la Grande bibliothèque limitait le nombre et l’ampleur des extraits qui pouvaient être photocopiés. Elle a conclu
qu’elle ne disposait pas d’une preuve d’une telle pratique dans les
écoles. Des affiches indiquaient ce qui était permis par la licence et il
existait une règle générale selon laquelle les élèves n’avaient pas le
droit d’utiliser les photocopieuses. Ces constantes ne suffisaient pas
à établir une pratique ou un système équivalent à ceux de la Grande
bibliothèque dans CCH. La Commission a établi une distinction
entre « [a]ffirmer que la recherche, l’étude privée, la critique et le
compte rendu sont des piliers de l’enseignement primaire et secondaire » et « établir que les établissements ont mis en place des mesures visant soit à circonscrire la photocopie aux seuls cas d’utilisation
équitable, soit à documenter séparément les utilisations équitables
de celles donnant lieu à rémunération »105.
Comme on l’a noté précédemment, en ce qui concerne le but
de l’utilisation des copies faites à l’initiative de l’enseignant pour
les élèves, la Commission a considéré que la fin indiquée par l’enseignant sur l’étiquette d’enregistrement devait prédominer106. Par
contre, au stade de l’évaluation du caractère équitable de l’utilisation, il faut soupeser les fins énumérées par rapport à l’ensemble
des fins poursuivies par un utilisateur107. Les copies faites par un
enseignant visent rarement une seule fin et, la plupart du temps, la
fin réelle ou principale est l’enseignement ou l’étude « non privée ».
La Commission a fait une distinction entre le rôle de l’enseignant,
qui décide ce qu’il reproduit afin d’accomplir son travail, qui est
d’enseigner, et celui du personnel de la Grande bibliothèque, qui fait
des copies seulement à la demande de sa clientèle. L’utilisation par
le professeur tend donc à être inéquitable108.
105.
106.
107.
108.
Ibid., par. 84.
Ibid., par. 98.
Ibid., par. 96.
Ibid., par. 98.
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1255
L’analyse de la nature de l’utilisation exige qu’on examine la
manière dont l’œuvre est utilisée. La Commission a déclaré que
« [f]aire plusieurs copies tend à être moins équitable que de n’en faire
qu’une » et que « [c]onserver la copie tend à être moins équitable
que de la détruire après usage »109. Dans le cas des copies faites à
l’initiative de l’enseignant pour ses élèves, des copies multiples sont
distribuées à l’ensemble de la classe à l’initiative de l’enseignant,
non à la demande de l’étudiant. La preuve démontrait également que
les étudiants conservent la plupart du temps les photocopies aussi
longtemps qu’ils conserveraient l’original, ce qui tend à être inéquitable110.
Tant l’ampleur de l’utilisation que l’importance de l’œuvre reproduite doivent aussi être prises en considération. En règle générale,
l’ampleur permise varie en fonction de la fin poursuivie. Alors que
les copies uniques ou multiples faites à la demande de tiers tendent à
être équitables, la Commission a statué que les copies faites à
l’initiative de l’enseignant tendent à être inéquitables dans leur
ensemble. Bien qu’il n’y ait aucune ligne directrice obligatoire, les
enseignants se limitent généralement à reproduire de courts extraits
comme mesure d’appoint au manuel scolaire principal. La Commission a toutefois conclu qu’il est « plus que probable que les ensembles
de classe font l’objet « de nombreuses demandes visant [...] les mêmes
recueils » »111.
L’existence de solutions de rechange à l’utilisation et la nécessité raisonnable de l’utilisation eu égard à la fin visée doivent aussi
être prises en compte lorsqu’on évalue le caractère équitable. Après
avoir statué qu’il ne serait pas raisonnable d’exiger des étudiants
qu’ils fassent toutes leurs recherches ou études privées sur place ou
qu’ils utilisent uniquement des œuvres du domaine public, la Commission a conclu qu’« il existe pour l’établissement d’enseignement
une option qui [...] n’est pas offerte à l’étudiant : acheter l’original
pour le remettre aux élèves ou l’entreposer à la bibliothèque pour
consultation ». Le fait que l’établissement dispose de moyens limités
ne change rien à l’existence de cette solution de rechange à l’utilisation112.
Fait important, la Commission a fait, au sujet de la nature de
l’œuvre, une distinction entre les faits dans l’affaire CCH, où il était
109.
110.
111.
112.
Ibid., par. 99.
Ibid., par. 100.
Ibid., par. 102-104.
Ibid., par. 105-107.
1256
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dans l’intérêt public « que l’accès aux ressources juridiques ne soit
pas limité sans justification », et l’accès au matériel scolaire, qui est
de nature privée et qui « ne présente pas le même intérêt public
que l’accès aux ressources juridiques »113. La preuve présentée à
l’audience semblait également indiquer que l’effet de l’utilisation sur
l’œuvre était « suffisamment important [...] pour faire concurrence à
l’original au point de ne pas être équitable »114. La Commission a fait
une distinction entre l’utilisation « en aval » par un étudiant qui est
axée sur la recherche et qui est équitable et l’utilisation « en amont »
par l’enseignant qui fait des copies pour toute sa classe, qui ne serait
pas équitable. L’enseignant n’est pas un simple agent de l’étudiant
car c’est lui qui dicte à ce dernier quoi faire avec le matériel copié.
Faisant écho à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans CCH, la Commission a statué qu’une telle pratique systématique ayant pour effet
de concurrencer les originaux n’est pas une utilisation équitable,
sans égard au fait que les utilisations en aval par les étudiants sont
visées par l’exception relative à l’utilisation équitable115. Un tel
résultat semble aussi conforme aux traités internationaux116.
3.3 Conclusions sur l’utilisation équitable
C’est peut-être à l’égard de l’utilisation équitable que la Commission a exercé avec le plus de force (et de courage) son rôle en
matière de mise en équilibre. Peu après l’arrêt CCH, elle a examiné
la doctrine de l’utilisation équitable dans Tarif 22.A et dans Veille
médiatique, même si cette question n’avait pas été soulevée par les
parties. Elle a reconnu que, même si personne n’avait abordé directement la question juridique, elle devait en traiter117 afin de savoir si
l’utilisation de l’écoute préalable par les services était en fait un acte
protégé par la Loi. Saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la
Cour d’appel fédérale a souscrit à la décision rendue par la Commission dans Tarif 22.A et a convenu que la « recherche », au sens large
attribué par celle-ci, constituait une exception énumérée qui devait
inclure l’écoute préalable d’extraits de musique. En fait, son analyse
113.
114.
115.
116.
117.
Ibid., par. 108.
Ibid., par. 111.
Ibid., par. 113.
Ibid., par. 114. Voir le par. 9(2) de la Convention de Berne pour la protection des
œuvres littéraires et artistiques et l’article 13 de l’Accord sur les aspects des droits
de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Selon la Commission, « il
[...] semble couler de source que les copies faites à l’initiative de l’enseignant
pour ses élèves soit portent atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, soit causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits ».
Tarif no 22.A, supra, note 12, par. 102.
Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur...
1257
a précisé qu’il n’est pas nécessaire que la recherche soit de nature
scientifique et qu’elle suppose « une enquête, une fouille ou une
étude attentive » ou même un exercice plus approfondi118. La Commission a plutôt statué qu’« [i]l y a recherche dès lors qu’il y a effort
pour trouver, peu importe sa nature ou son intensité »119. Statuer
autrement limiterait la portée de l’utilisation équitable et restreindrait indûment les droits des utilisateurs. Dans Services de radio par
satellite par contre, les services ne pouvaient pas être assimilés à une
personne facilitant une recherche et invoquer l’utilisation équitable,
au motif que le consommateur éventuel n’avait pas le choix des
échantillons préenregistrés dans les différents canaux de la mémoire
de son appareil.
On pourrait également faire valoir, compte tenu de l’exercice de
mise en équilibre auquel la Commission se livre, que son interprétation a placé la décision CCH à un autre niveau. Dans Access Copyright, la Commission a cité, dans le contexte de son analyse des
utilisations en aval, les propos formulés dans CCH sur la nécessité
de « maintenir un juste équilibre entre les droits des titulaires du
droit d’auteur et les intérêts des utilisateurs » pour conclure qu’il
faut éviter de restreindre indûment tout autant les premiers que les
seconds, « puisqu’il est tout aussi possible de restreindre indûment
les intérêts des titulaires que les droits des utilisateurs »120. Ce n’est
pas par hasard que la Commission a pris le contre-pied de CCH en
inversant de la sorte la partie qui a des intérêts et la partie qui a des
droits en matière de droit d’auteur.
4. CONCLUSION
Dans les affaires impliquant les limitations et les exceptions en
matière de droit d’auteur, la Commission a appliqué de manière
vigoureuse différentes doctrines et notions juridiques et s’est montrée réceptive aux changements technologiques. Ses décisions attestent de son agilité et de sa capacité de faire jouer à la fois le droit et
les raisons de politique justifiant les limitations et les exceptions
prévues par la Loi et les précédents judiciaires. La Commission a
tenu compte largement des positions des différentes parties intéressées (ayant des intérêts sociaux, culturels et économiques différents), du rôle des contrats et des divers modèles d’affaires et
118.
119.
120.
Tel que formulé par Access Copyright, ibid., par. 89 ; on y a aussi fait allusion
dans Veille médiatique, supra, note 64.
Ibid., par. 89.
Access Copyright, supra, note 63, par. 114.
1258
Les Cahiers de propriété intellectuelle
des nombreuses incidences internationales. Dans l’ensemble, elle a
adopté une approche plutôt uniforme, en s’efforçant de prendre tous
les intérêts en considération de manière équitable et équilibrée. En
se penchant d’abord sur la question de la substantialité de l’emprunt dans ses décisions, elle a adopté les facteurs clés définis dans
Pointe-à-Callière et dans Breakthrough, des décisions qui sont constamment appliquées depuis qu’elles ont été rendues. En ce qui
concerne l’utilisation équitable, la Commission a appliqué systématiquement, plus que tout autre organisme juridictionnel, les principes énoncés dans CCH comme point de départ de ses analyses, même
avant que d’autres décisions judiciaires aient été rendues et même si
les parties n’avaient pas soulevé la question.
Il ne fait aucun doute que de nouvelles utilisations des œuvres
et de nouvelles façons de faire de l’argent seront découvertes au fur
et à mesure que la technologie continuera d’évoluer. Les règles du
droit d’auteur seront alors confrontées à de nouvelles difficultés et
des pressions s’exerceront en faveur de la création de nouvelles
exceptions et limitations. Les intéressés continueront d’adopter des
positions divergentes, notamment sur la question de la réforme du
droit d’auteur. La Commission sera donc nécessairement appelée à
jouer un rôle central encore plus grand dans la mise en équilibre des
intérêts en matière de droit d’auteur au Canada.
Vol. 23, no 3
Marques de commerce et
référencement payant ou
comment se démarquer sur
le Web... en quelques mots-clés
Caroline Jonnaert et Julie Maronani*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1263
1. QUELQUES MOTS SUR LE RÉFÉRENCEMENT
PAYANT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1265
2. JURISPRUDENCE CANADIENNE . . . . . . . . . . . . 1268
2.1 Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur
Groupe-conseil inc. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1269
2.1.1 Bref rappel des faits . . . . . . . . . . . . . . 1269
2.1.2 Question en litige . . . . . . . . . . . . . . . . 1270
2.1.3 Analyse de la Cour . . . . . . . . . . . . . . . 1270
2.1.4 Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1271
2.2 Private Career Training Institutions Agency c.
Vancouver Career College (Burnaby) Inc. . . . . . . . 1272
© Caroline Jonnaert et Julie Maronani, 2011.
* Caroline Jonnaert et Julie Maronani, avocates chez Legault Joly Thiffault.
1259
1260
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.2.1 Bref rappel des faits . . . . . . . . . . . . . . 1272
2.2.2 Décision du tribunal de première
instance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1272
2.2.3 Question en litige devant la Cour d’appel . . . 1274
2.2.4 Analyse de la Cour d’appel . . . . . . . . . . . 1274
2.2.5 Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1275
2.3 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1276
3. RECOURS EN VERTU DE LA LOI . . . . . . . . . . . . 1277
3.1 Remarques préliminaires . . . . . . . . . . . . . . . 1277
3.2 Violation : articles 19, 20 et 22 de la Loi . . . . . . . 1278
3.2.1 Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . 1278
3.2.2 Article 19 de la Loi . . . . . . . . . . . . . . . 1278
3.2.2.1
Principes généraux . . . . . . . . . . 1278
3.2.2.2
Application aux faits sous étude . . . 1279
3.2.3 Article 20 de la Loi . . . . . . . . . . . . . . . 1279
3.2.3.1
Principes généraux . . . . . . . . . . 1279
3.2.3.2
Application aux faits sous étude . . . 1280
3.2.4 Article 22 de la Loi . . . . . . . . . . . . . . . 1280
3.2.4.1
Principes généraux . . . . . . . . . . 1280
3.2.4.2
Application aux faits sous étude . . . 1283
3.3 Commercialisation trompeuse (« passing-off ») :
paragraphe 7b) de la Loi . . . . . . . . . . . . . . . . 1283
3.3.1 Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . 1283
3.3.2 Application aux faits sous étude . . . . . . . . 1286
Marques de commerce et référencement payant...
1261
4. DÉFIS PARTICULIERS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1287
4.1 Notion d’emploi. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1287
4.1.1 Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1288
4.1.2 Emploi en liaison avec des marchandises . . . 1289
4.1.2.1
Principes généraux . . . . . . . . . . 1289
4.1.2.2
Application aux faits sous étude . . . 1291
4.1.3 Emploi en liaison avec des services . . . . . . 1292
4.1.3.1
Principes généraux . . . . . . . . . . 1292
4.3.1.2
Application aux faits sous étude . . . 1294
4.1.4 Emploi à titre de « marque de
commerce » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1296
4.1.4.1
Principes généraux . . . . . . . . . . 1296
4.1.4.2
Application aux faits sous étude . . . 1298
4.1.4 Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1299
4.2 Notion de représentation trompeuse . . . . . . . . . 1300
4.2.1 Critères appliqués . . . . . . . . . . . . . . . 1300
4.2.1.1
Principes généraux . . . . . . . . . . 1300
4.2.2.2
Application aux faits sous étude . . . 1301
4.2.3 Doctrine du « initial interest confusion » . . . 1302
4.2.3.1
Principes généraux . . . . . . . . . . 1302
4.2.3.2
Application aux faits sous étude . . . 1304
4.2.4 Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1307
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1308
INTRODUCTION
Que ce soit pour meubler leur maison, se procurer un gadget
électronique dernier cri ou organiser leurs vacances, les consommateurs se réfèrent d’emblée à l’information disponible sur le Web.
Cette plateforme est en effet devenue sans contredit une source
d’information utile pour le consommateur moderne : selon des
enquêtes rendues publiques par Statistique Canada en 2010, 80 %
des Canadiens âgés de 16 ans et plus, soit 21,7 millions de personnes,
affirment utiliser l’Internet à des fins personnelles, et plus de la moitié de ces utilisateurs affirment y faire du « lèche-vitrine », soit de
la recherche sur des biens ou services1. Pour effectuer ce type de
recherche, nul ne doute que les moteurs de recherche tels que
Google, Yahoo ! ou Bing se trouvent parmi les principaux outils
employés2.
Conscients de la présence de consommateurs sur le Web, les
opérateurs de moteurs de recherche ont rapidement vu en cette plateforme un moyen de générer des revenus grâce à la publicité.
Aujourd’hui, en utilisant des technologies de pointe, ceux-ci sont en
mesure d’offrir à leurs utilisateurs une publicité contextuelle3 et pertinente. Cette forme de publicité, désignée « référencement payant »,
s’effectue notamment en ayant recours aux mots-clés saisis par
l’utilisateur dans la barre de recherche, afin d’adapter le contenu
publicitaire qui lui est présenté avec ses résultats4.
1. Statistique Canada, Le Quotidien, 10 mai 2010 et 27 septembre 2010.
2. Les autres manières permettant de naviguer sur le Web comprennent la saisie
d’une adresse URL directement dans la barre d’adresse du navigateur, la consultation d’un annuaire Web, ou encore, la navigation en suivant des hyperliens. Voir
notamment : JACOBY (Jacob) et al., « Keyword-based Advertising : Filling in Factual Voids (GEICO c. Google) », (2007) 97(3) The Trademark Reporter 681, 682.
3. « La notion de publicité contextuelle recouvre l’ensemble des techniques publicitaires qui consiste à cibler une audience grâce à des supports spécifiques en fonction
du contexte dans lequel se trouve l’individu exposé au message. », Définitions
Marketing, disponible en ligne : <http://www.definitions-marketing.com/Definition-Publicite-contextuelle>.
4. Il convient de distinguer le référencement payant de l’optimisation des moteurs de
recherche (« search engine optimisation » ou « SEO » en anglais), laquelle technique
1263
1264
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le type de publicité ci-haut décrit confronte les tribunaux
depuis déjà quelque temps aux États-Unis et au sein de l’Union européenne5, et plus récemment au Canada6, à des problématiques juridiques au regard du droit des marques de commerce : l’utilisation de
la marque d’un tiers par un annonceur à titre de mot-clé pour effectuer du référencement payant viole-t-elle les droits détenus sur cette
marque ?
Dans le cadre du présent article, nous proposons d’examiner
certains recours qu’offre la Loi sur les marques de commerce7 (ciaprès la « Loi ») au Canada pouvant être exercés par les titulaires de
marques8, à l’encontre de ceux qui utilisent ces marques dans le
cadre du référencement payant9.
5.
6.
7.
8.
9.
vise à améliorer la visibilité d’une page Web dans les résultats de recherche naturels en favorisant la compréhension de sa thématique et de son contenu par le
moteur de recherche. À cet égard, voir le glossaire publié par le Bureau de la publicité interactive du Canada, sous « optimisation », disponible en ligne : <http://
www.iabcanada.com/fr/glossaire-2>.
Aux États-Unis, voir notamment : Rescuecom Corp. c. Google Inc., 562 F.3d 123
(2nd Cir. 2009).
Dans l’Union européenne, voir notamment : Google France SARL. c. Louis Vuitton
Malletier SA, C-236/08 ; Google France SARL c. Viaticum SA, Luteciel SARL,
C-237/08 et Google France SARL c. Centre national de recherche en relations
humaines (CNRRH) SARL, Pierre-Alexis Thonet, Bruno Raboin, Tige SARL, C238/08.
Voir Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc., 2010 QCCS 3301 et
Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby)
Inc., 2011 BCCA 69.
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13.
Dans le cadre du présent article, nous ne traiterons pas des marques de commerce
figuratives. Par conséquent, les moteurs de recherche permettant une recherche
par images ne seront pas abordés, ceux-ci demeurant relativement peu utilisés par
le grand public comparativement aux moteurs permettant une recherche textuelle.
Voir notamment : Agence France-Presse, « Microsoft inaugure un moteur de
recherche en images », Cyberpresse, 17 septembre 2009, disponible en ligne :
<http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/200909/15/01-901891-microsoft-inaugure-un-moteur-de-recherche-en-images.php>.
L’éventuelle responsabilité des opérateurs de moteurs de recherche et les recours
pouvant être entrepris contre ces derniers ne sera pas abordée. Sur ce sujet, voir
notamment : BOLDUC (Christian) et al., « Contributory Trade Mark Infringement
by Internet Search Engines for Selling Trade Marks as Key Words : The Canadian
Perspective », article rédigé dans le cadre de la « European Communities Trade
Mark Association », juin 2011 ; disponible en ligne à <http://www.ecta.org/MCG/
pdf/492_cbolduc_doc2.pdf>.
De même, nous n’examinerons pas les incidences territoriales de ce type d’utilisation (par exemple, le droit applicable, les juridictions compétentes et les répercussions potentielles sur les notions d’emploi et d’achalandage), bien que cet aspect
soit d’intérêt dans le cadre de violations survenant sur le Web. Sur ce sujet, voir
généralement : Sheldon BURSHTEIN, The Law of Domain Names & Trade-Marks
on the Internet, 3e ed., Toronto, Carswell, 2011.
Marques de commerce et référencement payant...
1265
Après une explication sommaire de ce que constitue le référencement payant (Titre 1), nous examinerons certaines décisions d’intérêt ayant été rendues par les tribunaux canadiens, bien que ceux-ci
n’aient pas spécifiquement traité de l’application de la Loi (Titre 2).
Par la suite, nous analyserons certains recours dont dispose le titulaire d’une marque de commerce enregistrée sous l’égide de la Loi,
soit les recours prévus aux articles 19, 20 et 22 de la Loi (ci-après collectivement, pour les fins de nos propos, les « recours en violation »),
ainsi que celui dont disposent les titulaires de marques enregistrées
et non enregistrées, à savoir, le recours en commercialisation trompeuse codifié au paragraphe 7b) de la Loi (Titre 3). Enfin, nous nous
pencherons sur certains défis particuliers associés à ces recours et
spécifiques au contexte du référencement payant (Titre 4).
1. QUELQUES MOTS SUR LE RÉFÉRENCEMENT
PAYANT
Pour fournir des résultats de recherche pertinents aux internautes, les moteurs de recherche procèdent à une exploration du
contenu qui se trouve sur le Web. Des outils de recherche appelés
« robots » (en anglais « bots », « spiders » ou « crawlers ») sont utilisés
afin de parcourir les sites à intervalles réguliers et de façon automatique. Ces robots permettent de recenser le contenu qui se trouve sur
le Web, lequel est par la suite analysé et indexé. Ainsi, lorsqu’une
requête de recherche est lancée, le moteur de recherche examine
l’index et fournit à l’internaute une liste des liens Web les plus pertinents, selon des critères prédéterminés de tri et de classement10 :
il s’agit des résultats dits « naturels » ou « organiques »11.
Si auparavant les pages de résultats étaient principalement
constituées de ces liens organiques, aujourd’hui, du contenu publici-
10. Les techniques d’exploration et d’indexation du contenu, ainsi que de tri et de
classement de résultats, sont en constant changement, les opérateurs de moteurs
tentant d’éviter le plus possible le référencement abusif (en anglais, « spamdexing »). Le référencement abusif vise à tromper les moteurs de recherche,
notamment par la répétition abusive de mots-clés et de balises, ou par l’emploi de
mots-clés non pertinents, afin d’obtenir, relativement à un mot donné, le meilleur
positionnement possible de son site Web dans la page des résultats du moteur,
Office Québécois de la Langue Française, Grand dictionnaire terminologique,
sous « référencement abusif », disponible en ligne : <http://www.oqlf.gouv.qc.ca/
ressources/gdt.html>.
11. Voir le glossaire publié par le Bureau de la publicité interactive du Canada, sous
« résultats naturels », disponible en ligne : <http://www.iabcanada.com/fr/glossaire-2>.
1266
Les Cahiers de propriété intellectuelle
taire les accompagne12. Ce contenu est essentiellement constitué de
« liens promotionnels » (en anglais « sponsored links ») occupant un
espace privilégié dans les résultats de recherche. Les liens promotionnels contiennent généralement une combinaison des éléments
suivants : un titre, une adresse Web et un court texte. La capture
d’écran ci-dessous illustre un exemple de résultats organiques et de
liens promotionnels (encadrés), pour une recherche effectuée pour le
mot « pneu » à l’aide du moteur Google :
Le processus par lequel les annonceurs peuvent présenter de
tels liens promotionnels est communément désigné « référencement
payant ». Essentiellement, le référencement payant permet à l’annonceur voulant obtenir plus de visibilité d’acheter des mots-clés
auxquels il souhaite voir son entreprise, sa marque et ses produits ou
services associés. Parmi les avantages de cette technique publicitaire, mentionnons le fait qu’elle offre un degré de précision pouvant
plus difficilement être atteint dans les médias traditionnels, en plus
12. Les recettes publicitaires constituent aujourd’hui une importante source de revenus pour les opérateurs de moteurs de recherche. Google indiquait par exemple
récemment que près de 96 % de ses revenus provenaient de la publicité : voir le
communiqué de presse de Google Inc. « Google Announces Fourth Quarter and
Fiscal Year 2010 Results and Management Changes », 20 janvier 2010, disponible en ligne : <http://investor.google.com/earnings/2010/Q4_google_earnings.
html>.
Marques de commerce et référencement payant...
1267
de s’avérer plus efficace et parfois moins chère que la publicité classique, grâce au paiement par clic (en anglais « pay per click »)13.
Pour effectuer du référencement payant, l’annonceur se réfère
à des guichets spécialisés mis en place par les opérateurs de moteurs
de recherche, tels que AdWords pour le moteur Google, ou encore,
Microsoft adCenter et Yahoo ! Search Marketing pour les moteurs
Bing et Yahoo !, Microsoft ayant formé en 2009 une alliance stratégique avec Yahoo ! pour concurrencer Google14. Spécifiquement,
l’annonceur offre par le biais d’enchères un prix maximum qu’il est
prêt à payer pour chaque clic réalisé sur son lien promotionnel. Le
résultat de ces enchères variera en fonction de plusieurs critères.
Chez Google, par exemple, ce résultat sera notamment tributaire du
montant offert par l’annonceur et du « niveau de qualité »15 des
mots-clés. À cet égard, il convient de noter que les processus et politiques d’attribution de mots-clés et de l’espace publicitaire sont évolutifs et peuvent différer selon les opérateurs et les pays16.
13. Le paiement par clic permet aux annonceurs de payer uniquement si l’internaute
clique sur son lien promotionnel. Voir le glossaire publié par le Bureau de la
publicité interactive du Canada, sous « coût par clic, CPC », disponible en ligne :
<http://www.iabcanada.com/fr/glossaire-2>.
Il est à noter que d’autres types de publicité existent sur le Web, par exemple : les
bandeaux publicitaires (« web banners »), les fenêtre-pub d’entrée (« pop-up ads »)
et la publicité interstitielle (« interstitials »). À cet égard, voir généralement le
glossaire publié par le Bureau de la publicité interactive du Canada, disponible
en ligne : <http://www.iabcanada.com/fr/glossaire-2>.
14. Voir notamment : LIEDTKE (Michael) et al., « Microsoft et Yahoo s’allient contre
Google », Le Soleil, 29 juillet 2009, disponible en ligne : <http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/affaires/actualite-economique/200907/29/01-888273-microsoft-et-yahoo-sallient-contre-google.php et Agence France-Presse>, « Microsoft et
Yahoo ! lancent leur partenariat sur la recherche », Cyberpresse, 21 février 2010,
disponible en ligne : <http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/201002/
19/01-953217-microsoft-et-yahoo-lancent-leur-partenariat-sur-la-recherche.
php>.
15. Tel que le mentionne Google, « [l]e système AdWords calcule le niveau de qualité
de chacun [des] mots-clés. Il étudie un certain nombre de facteurs pour mesurer
le niveau de pertinence [du] mot-clé par rapport au texte de [l’]annonce et aux
requêtes de recherche des internautes. Il varie souvent et est intimement lié aux
performances du mot-clé en question. En règle générale, un niveau de qualité
élevé signifie que [le] mot-clé déclenchera la diffusion [des]annonces aux meilleures positions et ce, pour un coût par clic plus faible. », « Qu’est-ce que le niveau de
qualité AdWords et comment est-il calculé ? », disponible en ligne : <http://
adwords.google.com/support/aw/bin/answer.py?hl=fr&hlrm=en&answer=
10215>.
16. Les variations par pays sembleraient notamment dépendre de l’état de la jurisprudence dans les juridictions concernées. Voir notamment, relativement à la
situation en Europe : Agence France-Presse, « Publicité : Google assouplit l’achat
de mots-clé », Cyberpresse, 16 septembre 2010, disponible en ligne : <http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/201009/14/01-4315304-publicitegoogle-assouplit-lachat-de-mots-cle.php>.
1268
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En ce qui a trait plus spécifiquement à l’achat de la marque
d’un tiers à titre de mot-clé, la tendance au Canada semble être à la
permissivité. Les plus grands opérateurs n’effectuent en effet qu’un
contrôle limité de la manière dont les marques sont utilisées par les
annonceurs17. Les modalités auxquelles doivent adhérer les annonceurs afin d’effectuer du référencement payant comprennent généralement un engagement à ne pas violer les droits des tiers, mais ceci
ne semblerait avoir qu’un effet limité en pratique18. Les litiges portés
devant les tribunaux étrangers au cours des dernières années en la
matière semblent d’ailleurs témoigner des lacunes de ces modalités
d’adhésion. Mais qu’en est-il au Canada ? L’utilisation de marques
de commerce d’un tiers dans le cadre du référencement payant
a-t-elle été balisée par nos cours ?
2. JURISPRUDENCE CANADIENNE
Si le référencement payant a fait l’objet de plusieurs décisions
en matière de marques de commerce aux États-Unis et au sein
de l’Union européenne19, les tribunaux canadiens, pour leur part,
demeurent quelque peu timides à ce sujet. En effet, selon l’informa17. Au Canada, en plus d’utiliser les marques de tiers à titre de mots-clés déclenchant des liens promotionnels, les annonceurs peuvent inclure depuis le 14 septembre 2010 ces marques à même le texte de tels liens sur Google, par exemple,
s’ils sont des revendeurs autorisés ou si le lien est lié à un site informatif. Les
titulaires de marques disposent néanmoins d’un service pour déposer une réclamation afin de contester l’utilisation qui serait effectuée d’une marque. À cet
égard, voir notamment sur le blog « Inside AdWords » « Update to Canadian, UK
and Ireland ad text trademark policy », 4 août 2010, disponible en ligne :
<http://adwords.blogspot.com/2010/08/update-to-canadian-uk-and-ireland-ad.
html>. Microsoft et Yahoo ! ont essentiellement aligné leurs politiques à celle de
Google en 2011, voir : <http://advertising.microsoft.com/small-business/supportcenter/search-advertising/intellectual-property-guidelines>.
18. Par exemple, les modalités de Adwords au Canada prévoient ce qui suit : « [l]e
client fait valoir et garantit que [...] les créations, les cibles et les services du
client, n’enfreindront pas les lois, les réglementations, les codes de conduite ou les
droits appartenant à des tiers applicables (y compris, sans limitation, les droits
de propriété intellectuelle), et n’encourageront pas leur infraction. Toute violation
des mentions précédentes pourrait entraîner la résiliation immédiate de cette
entente ou du compte du client, sans préavis, et pourrait entraîner des pénalités
et des conséquences juridiques pour le client. » Voir « Modalités du programme
d’annonces de Google Inc. », disponible en ligne : <https://adwords.google.fr/
select/tsandcsfinder?country=CA>.
19. Aux États-Unis, voir notamment : Rescuecom Corp. c. Google Inc., précité, note 5.
Dans l’Union européenne, voir notamment : Google France SARL. c. Louis Vuitton Malletier SA, précité, note 5 ; Google France SARL c. Viaticum SA, Luteciel
SARL, précité, note 5 et Google France SARL c. Centre national de recherche en
relations humaines (CNRRH) SARL, Pierre-Alexis Thonet, Bruno Raboin, Tige
SARL, précitée, note 5.
Marques de commerce et référencement payant...
1269
tion disponible au moment des recherches, il semble que deux20 décisions canadiennes seulement aient traité de cette problématique.
Nous présenterons succinctement chacune de ces affaires dans les
prochains développements.
2.1 Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupeconseil inc.
Le 20 juillet 2010, la Cour supérieure du Québec a eu l’occasion
de se pencher pour la première fois sur l’utilisation d’une marque de
commerce dans le cadre de référencement payant effectué sur le
moteur de recherche Google, dans l’affaire Chocolat Lamontagne inc.
c. Humeur Groupe-conseil inc.21 (ci-après « Chocolat Lamontagne »).
2.1.1 Bref rappel des faits
Les parties en cause œuvraient toutes deux dans le domaine de
la fabrication et de la vente de chocolats et exploitaient chacune un
site Web faisant la promotion de leurs marchandises respectives.
Dans le cadre de ses activités promotionnelles, la défenderesse
Humeur Groupe Conseil inc. (ci-après « Humeur ») avait acheté plusieurs mots-clés auprès de Google, dont la marque de commerce
« Chocolat Lamontagne » appartenant à la demanderesse du même
nom (ci-après « Lamontagne »). Par conséquent, lorsqu’une personne
effectuait une recherche sur Google en utilisant ces mots-clés, un
hyperlien pouvant la diriger vers le site Web d’Humeur apparaissait
sur la page des résultats de recherche à titre de lien promotionnel.
Il n’est pas inutile de préciser que les hyperliens apparaissant ainsi
se lisaient comme suit : « Alternative à Lamontagne Chocolat et
autres produits Activité de financement pour tous <www.campagnede-financement.ca> » et « Campagne de financement <www.campagne-de-financement.ca> Chocolat à vendre Activité de financement pour tous ».
20. Il est à noter que la décision Velsoft Training Materials Inc. c. Global Courseware
Inc., 2011 NSSC 274 mentionne l’utilisation de la marque d’un concurrent à titre
de mot-clé, dans le cadre d’une ordonnance Anton Piller. Cette problématique
n’est toutefois pas analysée de manière approfondie.
21. Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc., précité, note 6.
1270
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.1.2 Question en litige
Dans ces circonstances, Lamontagne soutenait qu’Humeur, en
utilisant sa marque de commerce pour des fins de référencement
payant, détournait sa clientèle ce qui constituait, selon elle, une
forme de concurrence déloyale.
2.1.3 Analyse de la Cour
La Cour, sous la plume de l’honorable juge Paul Corriveau, a
conclu que le procédé utilisé par Humeur n’était pas fautif dans les
circonstances. En effet, selon la Cour, pour conclure à de la concurrence déloyale, il faut nécessairement démontrer un état de confusion22, ce qui ne semblait pas être le cas en l’espèce.
Pour établir la confusion auprès du public, Lamontagne avait
mis en preuve le témoignage d’une consommatrice ayant été confondue quant au lien entre les parties. Celle-ci, souhaitant obtenir le
numéro de téléphone de Lamontagne, avait effectué une recherche
sur Google. Au cours de sa recherche, cette consommatrice avait
alors pris connaissance, dans la liste des résultats, d’une annonce de
la défenderesse. Après avoir cliqué sur cette annonce, la consommatrice avait ensuite contacté Humeur.
Selon la Cour toutefois, cette preuve n’était pas suffisante pour
établir une confusion, car l’information apparaissant dans les résultats de recherche indiquait clairement l’annonce d’une alternative au
genre d’entreprise exercé par Lamontagne :
Rien dans la preuve ne permet d’établir l’existence d’une confusion qui aurait été à la base d’une concurrence déloyale de la
défenderesse envers la demanderesse.
Le lien commercial qui permettait d’aller sur le site d’Humeur
et qui s’est retrouvé en première place sur la page des résultats
obtenus après l’utilisation des mots Chocolaterie Lamontagne
dans Google ne prête à aucune confusion. L’information indique
22. « Pour conclure à une concurrence déloyale, il faut que le Tribunal puisse retenir
de la preuve que par sa façon de procéder, la défenderesse a créé un état de confusion qui a entraîné une migration de clientèle de Lamontagne vers Humeur. »,
Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc., ibid., par. 114.
Marques de commerce et référencement payant...
1271
clairement l’annonce d’une alternative au genre d’entreprise
exercé par la demanderesse.23 [les italiques sont nôtres]
Ainsi, la méthode employée par Humeur permettant à celle-ci
de s’afficher comme concurrente de Lamontagne ne constituait pas
une forme de concurrence déloyale. En effet, la Cour était d’avis que
lorsque l’internaute cliquait sur le lien promotionnel de Humeur, il
effectuait un choix résultant de sa propre volonté. Or, selon la Cour,
un annonceur ne peut être fautif pour avoir créé l’occasion d’être
rejoint car « [l]es principes généraux de concurrence qui prévalent au
pays n’interdisent pas [...] d’offrir à l’internaute qui recherche de
l’information de se voir offrir l’occasion d’accéder à d’autres informations à propos d’une société concurrente à celle qu’il cherche »24.
2.1.4 Conclusion
Cette première décision est donc venue légitimer, dans ce contexte précis, l’utilisation d’une marque de commerce dans le cadre du
référencement payant, en faisant échec au recours en concurrence
déloyale. La Cour a en effet estimé qu’aucune confusion n’avait été
mise en preuve de manière suffisante pour établir une faute de la
part de la défenderesse.
Certes, il est reconnu que le fait qu’une ou que quelques personnes seulement aient été confondues n’est pas concluant en soi, en
matière de confusion25. Dans ces circonstances, la preuve présentée
par la demanderesse n’était probablement pas suffisante.
De plus, en matière de confusion dans le cadre d’une action en
concurrence déloyale, il a été établi que l’ajout d’un élément tendant
à distinguer les marchandises ou services de la défenderesse de ceux
de la demanderesse, tel que le terme « alternative » par exemple,
peut parfois suffire pour faire échec au recours. Tel que mentionné
par Fox, « [i]n the case of passing off, [as opposed to a case of infringement], the defendant may escape liability if he can show that the
added matter is sufficient to distinguish his goods from those of the
plaintiffs »26. Il est permis de se demander si les conclusions de la
23. Ibid., par. 122 à 123.
24. Ibid., par. 127.
25. Voir notamment : Oshawa Group Ltd. c. Brault & Martineau (1966) ltee, 1974
CarswellQue 252.
26. GILL (Kelly) et al., Fox on Canadian Law of Trade-Marks and Unfair Competition, 4e éd., (Toronto : Carswell, 2010), p. 4-11.
1272
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cour auraient été différentes n’eût été de l’ajout du terme « alternative », ou encore, en dépit de cet ajout si un recours en violation avait
été intenté.
2.2 Private Career Training Institutions Agency c.
Vancouver Career College (Burnaby) Inc.
Le 11 février 2011, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique
a rendu un jugement relatif à l’utilisation de dénominations sociales
dans le cadre du référencement payant dans l’affaire Private Career
Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby)
Inc.27 (ci-après « Private Career »).
2.2.1 Bref rappel des faits
Dans ce litige, Vancouver Career College (Burnaby) Inc. (ciaprès le « Collège ») utilisait les noms de ses concurrents pour
effectuer du référencement payant. Ainsi, lorsque les internautes
tapaient le nom d’une institution concurrente, des liens promotionnels affichant le nom du Collège apparaissaient dans les résultats de
recherche28.
Le Collège est une institution offrant des services d’enseignement postsecondaire en Colombie-Britannique. À titre d’établissement d’enseignement, cette institution est inscrite auprès du
« Private Career Training Institutions Agency of British Columbia »
(ci-après l’« Agence »), un organisme de contrôle. En sa qualité de
membre de l’Agence, le Collège est tenu de se conformer au règlement de l’Agence, lequel prohibe notamment toute publicité fausse
ou trompeuse29.
2.2.2 Décision du tribunal de première instance
Suite à certaines plaintes reçues de la part d’étudiants
vraisemblablement induits en erreur par la publicité du Collège,
27. Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc., précité, note 6.
28. Voir notamment les exemples cités dans ibid., par. 30 et s.
29. « An Institution must not engage in advertising or make a representation that is
false, deceptive or misleading. Deceptive advertising includes but is not limited
to an oral, written, internet, visual, descriptive or other representation that has
the capability, tendency or effect of deceiving or misleading a consumer », ibid.,
par. 10.
Marques de commerce et référencement payant...
1273
l’Agence a institué des procédures devant la Cour suprême de
Colombie-Britannique, afin d’obtenir une ordonnance interdisant au
Collège d’utiliser les dénominations sociales de ses concurrents dans
sa publicité.
Faisant référence à des décisions américaines30, la Cour
suprême de Colombie-Britannique a rejeté la demande de l’Agence,
estimant que le consommateur moyen ne serait vraisemblablement
pas confondu en l’espèce, notamment compte tenu de la valeur des
services en cause :
[...] Bylaw 29 was passed in order to protect any potential student from being deceived and potentially harmed by misleading advertising.
In the present case, the services that are being advertised
through VCC Inc.’s online advertising campaign are post-secondary education courses which can range from 3 to 18 months
in terms of study commitment and cost between $4.000 and
$24.000. Embarking upon an educational program involves a
serious decision and, in my view, the extent of the financial and
personal commitment expected of prospective students requires
that they should, and can be expected to, exercise a high degree
of care in making their decisions as to which school they should
attend.31 [les italiques sont nôtres]
La Cour a ajouté que le type de publicité effectué par le Collège
s’apparentait à certaines pratiques publicitaires traditionnelles, tel
que placer une annonce dans les Pages Jaunes32. Selon la Cour, ce
genre de pratique généralement accepté permet d’afficher de la
publicité à proximité de celle de concurrents et, ce faisant, d’offrir
aux consommateurs en toute légitimité le choix entre des services ou
marchandises similaires.
30. Voir notamment : Merck & Co. c. Mediplan Health Consulting, 425 F. Supp. 2d
402 et Government Employees Insurance Company c. Google Inc. et al., 2005 U.S.
Dist. LEXIS 18642. Ces décisions ont essentiellement légitimé l’utilisation de
marques de commerce dans le contexte du référencement payant.
31. Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc., 2010 BCSC 765, par. 66 et 67.
32. « [The] practice of using Keyword Advertising is no different than the time-honored and generally accepted marketing practice of a company locating its advertisement close to a competitor’s in traditional media (e.g., placing its Yellow Pages
advertisement next to or in close proximity to a competitor’s telephone number in
the same directory so that potential customers of that competitor discover there
is another company offering a similar product or service and that they, the consumer, have a choice). », ibid., par. 80.
1274
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.2.3 Question en litige devant la Cour d’appel
L’Agence a ensuite porté cette décision en appel, estimant que
le juge de première instance avait erré en se référant au droit des
marques de commerce pour interpréter un règlement ayant pour
objet la protection du consommateur. En effet, l’Agence estimait que,
ce faisant, la cour de première instance s’était référée à tort aux
consommateurs moyens, plutôt qu’aux personnes vulnérables visées
par la publicité en cause, à savoir les étudiants.
Malgré cette prétention, l’Agence soutenait également, en se
basant sur des décisions en matière de confusion entre des marques
de commerce, que la publicité en cause était trompeuse, car créant de
la confusion.
2.2.4 Analyse de la Cour d’appel
La Cour d’appel a d’abord précisé que l’analogie du juge de
première instance avec les annuaires Pages Jaunes n’était pas pertinente en l’espèce, ce système de recherche différant de celui disponible sur les moteurs de recherche. En effet, alors que les recherches
effectuées dans les annuaires Pages Jaunes le sont par le biais de
sujets, celles accomplies sur ces moteurs le sont par l’entremise de
sujets et de noms.
La Cour a ensuite analysé la notion de « faux ou trompeur » en
précisant qu’une publicité créant de la confusion n’est pas nécessairement fausse ou trompeuse. De ce fait, la Cour a estimé qu’il n’est
pas opportun de se référer aux décisions traitant de confusion en
matière de marques de commerce :
The genesis of the appellant equating « misleading » with « confusing » appears to be its interpretive guideline which was
based on trade-mark and confusion. [...].
I do not accept the appellant’s argument insofar as it is based
on equating misleading with confusing. In my view, advertising
that is misleading also likely is confusing, but simply because
advertising is confusing does not mean it is misleading.33
33. Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver Career College (Burnaby) Inc., précité, note 6, par. 30 à 33.
Marques de commerce et référencement payant...
1275
La Cour d’appel a par la suite précisé que le juge de première
instance n’avait pas erré dans la détermination du consommateur
cible :
[The judge] was alive to the need to consider the applicable consumer in context. He did not err in concluding the consumer
must be given credit for having normal intelligence.
The judge was well aware of the composition of the potential
student body, but he was entitled to put the issue into context.
He observed that the decision to spend thousands of dollars and
several years on a course of education was very important.
It was reasonable to expect that potential students would approach the issue with some care. He found that the only two
students whose evidence was given to him did not exercise
appropriate care. In addition, there was no evidence to suggest
that these students were particularly vulnerable. Although
there was some evidence that many potential students are
international, for whom English would not be their first language, the evidence also showed that these persons would be
familiar with the Internet.34 [les italiques sont nôtres]
Sur la base de ces principes, la Cour d’appel a estimé que le juge
de première instance avait, à bon droit, conclu que la publicité litigieuse ne contrevenait pas au règlement de l’Agence.
2.2.5 Conclusion
Il est particulièrement intéressant de noter la précision de la
Cour d’appel dans ses conclusions selon laquelle sa décision n’en est
pas une en matière de propriété intellectuelle : « [i]t is important to
understand what this case concerns. It is not a dispute over intellectual property and the result should not be considered in that
context »35. Malgré tout, la Cour n’a pas complètement écarté certains principes applicables en matière de confusion propres aux
marques de commerce.
À ce titre, il est reconnu que, dans leur analyse de la confusion entre deux marques de commerce, les tribunaux doivent, entre
autres choses, prendre en considération la nature du commerce en
cause. Ainsi, la valeur monétaire d’une marchandise ou d’un service
34. Ibid., par. 35 et 36.
35. Ibid., par. 38.
1276
Les Cahiers de propriété intellectuelle
peut vraisemblablement affecter l’analyse de la confusion. Selon ce
critère, il est raisonnable de croire que l’achat d’une marchandise ou
d’un service dispendieux nécessite une certaine réflexion de la part
du consommateur, ce qui tend à diminuer, voire dissiper, le risque de
confusion36.
Toutefois, suite à la récente décision de la Cour suprême Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.37 (ci-après « Masterpiece »), il
est permis de se demander si la conclusion de la Cour dans l’affaire
Private Career aurait été différente si rendue postérieurement à cet
arrêt. Tel que nous le verrons plus loin, l’arrêt Masterpiece a en effet
fourni des précisions importantes quant à l’incidence de la nature et
du coût des marchandises ou des services sur l’analyse relative à la
confusion.
2.3 Conclusion
Des décisions qui précèdent, force est de constater que la jurisprudence canadienne tend à légitimer l’emploi de marques de
commerce et de dénominations sociales d’un tiers dans le cadre du
référencement payant.
Il ressort également de ces deux décisions que les tribunaux
canadiens n’ont pas encore traité formellement de la question de
l’emploi de marques de commerce dans le contexte du référencement
payant au regard de la Loi. S’il est vrai que ces jugements font référence à des notions propres aux marques de commerce, aucun n’a
cependant examiné explicitement les recours dont dispose le titulaire d’une marque en vertu de la Loi.
Pourtant, il semble que tant la jurisprudence américaine qu’européenne aient appliqué la législation en matière de marques de
commerce au référencement payant. Bien qu’il ne soit pas dans notre
intention de résumer cette jurisprudence, nous croyons cependant
intéressant d’analyser la potentielle solution canadienne. Dans ce
contexte, nous examinerons dans les prochains développements certains recours disponibles au titulaire d’une marque de commerce en
vertu de la Loi.
36. Voir notamment : Bagagerie SA c. Bagagerie Willy Ltée, (1992) 45 C.P.R. (3d) 503.
37. Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 SCC 27.
Marques de commerce et référencement payant...
1277
3. RECOURS EN VERTU DE LA LOI
Avant de nous pencher sur les recours qu’offre la Loi au titulaire d’une marque de commerce enregistrée sous les articles 19, 20
et 22 de la Loi, nous croyons pertinent de rappeler brièvement
l’étendue de la protection conférée par l’enregistrement d’une marque de commerce (Section 3.1). Une fois ces principes posés, nous
examinerons ensuite les recours en violation (Section 3.2) et en commercialisation trompeuse (Section 3.3).
3.1 Remarques préliminaires
L’obtention de l’enregistrement d’une marque de commerce
confère à son titulaire un monopole d’exploitation de cette marque.
Ce principe est une des pierres angulaires de la Loi et de là découlent
les divers recours dont bénéficie le titulaire de la marque enregistrée. L’article 19 de la Loi cristallise cette notion en les termes
suivants :
19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement
d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire
le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce
qui concerne ces marchandises ou services.38 [les italiques sont
nôtres]
Cette disposition est ainsi la plaque tournante de la Loi, conférant au propriétaire d’une marque de commerce enregistrée le droit
exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne
les marchandises ou services mentionnés à l’enregistrement.
En plus de prescrire un droit exclusif à l’emploi, l’article 19 de
la Loi confère également au titulaire d’une marque enregistrée un
droit de recours en cas de violation, lequel est prévu aux articles 19,
20 et 22 de la Loi (Section 3.2). La Loi confère aussi aux titulaires
d’une marque de commerce, enregistrée ou non, un recours en commercialisation trompeuse au paragraphe 7b) de la Loi (Section 3.3).
Le titulaire d’une marque de commerce enregistrée bénéficie donc
d’une protection plus vaste de celle dont dispose le titulaire d’une
marque de commerce de droit commun.
38. Loi, précité, note 7, art. 19.
1278
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3.2 Violation : articles 19, 20 et 22 de la Loi
3.2.1 Principes généraux
L’article 19, joint aux articles 20 et 22 de la Loi, demeure pour le
propriétaire d’une marque enregistrée le fondement des recours possibles à l’encontre d’un tiers qui utilise sans autorisation une telle
marque. Tel que le souligne la Cour fédérale :
La marque enregistrée détermine la portée du droit exclusif
conféré par l’article 19. L’étendue de la protection de ce droit se
trouve accrue par l’article 20 lorsque l’acte d’une autre personne est susceptible de créer de la confusion, et par l’article 22
lorsque ce qui est fait est susceptible d’entraîner la diminution
de la valeur de la clientèle attachée à la marque de commerce.39
Il s’agit donc des dispositions auxquelles référence doit être
faite en cas de violation de marques de commerce enregistrées. Pour
les fins de nos propos, nous résumerons brièvement la portée générale de chacun de ces articles.
3.2.2 Article 19 de la Loi
3.2.2.1 Principes généraux
L’article 19 de la Loi est invoqué lorsqu’un tiers emploie une
marque identique en liaison avec les mêmes marchandises ou services que ceux décrits dans l’enregistrement du titulaire.
Relativement à la portée de cette disposition, Fox précise que
« [...] s. 19 only deals with identical marks, and does not include
impugned marks which incorporate the whole of the plaintiff’s mark
with the addition of some other elements »40 [les italiques sont
nôtres]. Dans l’affaire A & W Food Services of Canada Inc. c. McDonald’s Restaurants of Canada Ltd.41, la Cour fédérale s’est basée sur
une jurisprudence européenne42, afin de préciser qu’un signe est
39. Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91, par. 10.
40. GILL, précité, note 26, p. 7-17.
41. A & W Food Services of Canada Inc. c. McDonald’s Restaurants of Canada Ltd.,
[2005] F.C.J. 503. Dans cette décision, la Cour fédérale a refusé d’appliquer
l’article 19 de la Loi, car les marques en cause, à savoir « Chicken Grill » et « Chicken McGrill », n’étaient pas identiques.
42. Voir notamment : LTJ Diffusion SA c. Sadas Vertbaudet SA, [2003] F.S.R. 34.
Marques de commerce et référencement payant...
1279
identique à une marque de commerce lorsqu’il reproduit, sans ajout
ni suppression, l’ensemble des éléments constituant ladite marque
de commerce ou lorsque, vu dans son ensemble, il contient des différences insignifiantes ne pouvant être perçues par le consommateur
moyen.
3.2.2.2
Application aux faits sous étude
Sur la base de ces principes, un recours en vertu de l’article 19
de la Loi serait vraisemblablement disponible dans le contexte du
référencement payant, lorsqu’est utilisée :
• la marque de commerce du titulaire à l’identique (par exemple,
« Michelin ») ;
• la marque de commerce du titulaire à l’identique avec un terme
descriptif (par exemple, « Michelin pneu ») ;
• la marque de commerce du titulaire avec l’ajout ou la suppression d’éléments insignifiants ne pouvant pas être perçus par le
consommateur moyen (par exemple, « Michelins »). Nous croyons
cependant que cette situation serait susceptible de s’appliquer
davantage aux marques de commerce figuratives (par opposition
aux marques de commerce nominales) et risque donc moins de se
produire dans le cas sous étude.
Bien entendu, les marques en cause devront être « employées »
au sens de la Loi, notion abordée plus amplement dans les prochains
développements (Section 4.1).
3.2.3
3.2.3.1
Article 20 de la Loi
Principes généraux
L’article 20 de la Loi prévoit que le droit du titulaire d’une marque enregistrée est présumé être violé lorsqu’une personne « vend,
distribue ou annonce des marchandises ou des services en liaison
avec une marque de commerce créant de la confusion »43 [les italiques sont nôtres].
43. Loi, précité, note 7, par 20(1).
1280
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cette disposition prévoit donc une protection plus large en
faveur du titulaire d’une marque enregistrée que celle accordée à
l’article 19 de la Loi. En effet, selon l’article 20 de la Loi, il n’est pas
nécessaire que la marque utilisée soit identique, ni même utilisée pour des marchandises ou services identiques, cette disposition
requérant plutôt la preuve d’une confusion en vertu des critères
énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi44.
3.2.3.2
Application aux faits sous étude
Ceci étant dit, et sous réserve de nos commentaires relatifs à la
notion d’emploi (Section 4.1), l’article 20 de la Loi pourrait vraisemblablement s’appliquer dans le contexte du référencement payant
lorsqu’est notamment utilisée :
• la marque de commerce du titulaire à l’identique et que celle-ci est
employée en liaison avec des marchandises ou services similaires
(par exemple, la marque « Michelin » en liaison avec des services
de cours de conduite) ;
• la marque de commerce du titulaire avec l’ajout ou la suppression
d’éléments de manière à créer de la confusion dans l’esprit du
consommateur moyen et que celle-ci est employée en liaison avec
des marchandises ou services identiques ou différents (par exemple, la marque « Michelain » en liaison avec des pneus ou encore,
avec des services de cours de conduite).
3.2.4
3.2.4.1
Article 22 de la Loi
Principes généraux
L’article 22 de la Loi prévoit un recours spécifique en cas de
dépréciation de l’achalandage. Selon cette disposition, « [n]ul ne peut
44. « En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la
confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :
a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus ;
b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux
ont été en usage ;
c) le genre de marchandises, services ou entreprises ;
d) la nature du commerce ;
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. », ibid.,
par. 6(5).
Marques de commerce et référencement payant...
1281
employer une marque de commerce déposée par une autre personne
d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de
l’achalandage attaché à cette marque de commerce »45.
Tel qu’exposé par le plus haut tribunal du pays dans l’arrêt
Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot46, le recours prévu à
l’article 22 de la Loi a été créé afin de protéger la valeur de l’achalandage attaché à une marque de commerce ou, autrement dit, afin
d’empêcher la dilution du caractère distinctif ou unique de ladite
marque :
Si une autre personne s’approprie une marque de commerce
bien connue pour l’employer en liaison avec des marchandises
[...] au fil du temps, et à force d’usage, la marque de commerce
perd de sa valeur en même temps que son caractère distinctif
s’atténue.47
Le recours sous l’article 22 de la Loi comporte quatre éléments
constitutifs48, à savoir :
• la marque de commerce enregistrée du titulaire est employée par
un tiers en liaison avec des marchandises ou services, peu importe
que ces marchandises ou services entrent en concurrence avec
ceux de la demanderesse ;
• la marque de commerce enregistrée du titulaire est suffisamment
connue49 pour que l’achalandage qui y est attaché soit appréciable ;
• la marque du titulaire est employée par un tiers d’une manière
susceptible d’avoir une incidence sur cet achalandage ; et
• cette incidence sera probablement la diminution de la valeur de
l’achalandage.
45. Ibid., art. 22.
46. Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée, 2006 CSC 23.
47. Ibid., par. 40, citant FOX (Harold G.), The Canadian Law of Trade Marks and
Unfair Competition, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1956), vol. 1.
48. Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée, précité, note 46, par. 46.
49. L’article 22 de la Loi n’exige toutefois pas que la marque en cause soit notoire ou
célèbre, « mais une défenderesse ne peut faire diminuer la valeur d’un achalandage qui n’existe pas », Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée, précité, note 46, par. 46.
1282
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Fait important, la marque de commerce utilisée n’a pas à être
identique, pour autant qu’il existe une ressemblance suffisante de
manière à ce que la marque du titulaire soit reconnaissable par le
consommateur moyen50. De plus, « la confusion n’est pas pertinente
lorsqu’il s’agit d’examiner un recours fondé sur l’article 22 de la
Loi »51.
En ce qui a trait à l’achalandage attaché à une marque de commerce, celui-ci consiste « dans l’ensemble des avantages, quels qu’ils
soient, tirés de la réputation et des liens que l’entreprise a établis par
des années de labeur honnête ou au prix de dépenses considérables,
et qui est identifiée aux biens distribués par le propriétaire en liaison
avec la marque de commerce »52. La dépréciation de cet achalandage
peut survenir dans le cas de dénigrement et lorsque le caractère distinctif ou unique d’une marque de commerce est attaqué :
Le terme « déprécier » est employé dans son sens lexicographique ordinaire, soit « diminuer la valeur [...] de », ainsi que
« dénigrer, [...] mésestimer, rabaisser » [...].
Autrement dit, le dénigrement est une source possible de dépréciation, mais la valeur peut être diminuée autrement, comme
par l’affaiblissement du caractère distinctif résultant de l’emploi de la marque tour à tour par différents usagers.53 [les italiques sont nôtres]
Ainsi, sous l’égide de l’article 22 de la Loi, il n’est pas nécessaire
d’établir une perte de ventes s’il est par ailleurs mis en preuve la
dilution du caractère distinctif ou du caractère unique de la marque
de commerce. Tel que mentionné par Fox, « [i]n this type of action
contemplated by s. 22 there is no necessary confusion and hence no
50. « Si le simple observateur pouvait reconnaître la marque employée par les intimées comme celle de l’appelante (comme ce serait le cas si Kleenex était orthographié Klenex), l’emploi du mot Cliquot mal orthographié serait suffisant. Il faut
interpréter les exigences de l’article 22 en tenant compte de son objet réparateur. », ibid., par. 48.
51. GAMACHE (Barry), « Quand le sort s’acharne sur la veuve (Clicquot) et l’orphelin(e) (Barbie) ou la protection des marques de commerce célèbres au Canada
après les arrêts Mattel et Veuve Clicquot Ponsardin de la Cour suprême du
Canada », dans Service de la formation continue du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, vol. 256, (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2006), p. 35.
52. Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée, précité, note 46, par. 52,
citant Clairol International Corp. c. Thomas Supply & Equipment Co., [1968] 2
R.C. de l’É. 552.
53. Ibid., par. 63.
Marques de commerce et référencement payant...
1283
direct loss of sales, but a diminution in the uniqueness of the trademark that will eventually disadvantage the trademark owner »54.
Ces circonstances d’application ne sont toutefois pas exhaustives
et pourraient être vraisemblablement étendues par les tribunaux
canadiens.
3.2.4.2
Application aux faits sous étude
Compte tenu de ce qui précède et sous réserve de nos commentaires en matière d’emploi (Section 4.1), l’article 22 de la Loi pourrait
vraisemblablement s’appliquer au référencement payant dans les
cas suivants :
• la marque de commerce du titulaire est reproduite à l’identique
(par exemple, « Michelin ») ; ou
• il existe une ressemblance suffisante entre les marques en cause,
de manière à ce que la marque du titulaire soit reconnaissable par
le consommateur moyen (par exemple, « Michelain ») ; et
• un tiers dénigre la marque utilisée (par exemple, « Michelin
radin »)55 ; ou
• les agissements du tiers tendent à diminuer le caractère distinctif
ou unique de la marque utilisée (par exemple, l’utilisation de la
marque « Michelin » par le tiers de manière répétitive et en
l’absence de contrôle de son titulaire pourrait peut-être diminuer
le caractère distinctif de cette marque).
3.3 Commercialisation trompeuse (« passing-off ») :
paragraphe 7b) de la Loi
3.3.1
Principes généraux
L’article 7 de la Loi offre aux titulaires de marques de commerce enregistrées ou non des recours contre différentes formes de
concurrence déloyale. Parmi ces recours, on retrouve le recours sta-
54. GILL, précité, note 26, p. 7-27.
55. Le dénigrement d’une marque de commerce dans le cadre du référencement
payant est sans doute moins susceptible de survenir, l’annonceur souhaitant
généralement profiter de la réputation et de l’achalandage rattaché à la marque
utilisée.
1284
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tutaire en commercialisation trompeuse, ou « passing off »56, lequel
est détaillé notamment au paragraphe 7b) de la Loi :
7. Nul ne peut :
[...]
b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à
y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services
ou son entreprise et ceux d’un autre.57
Ce recours vise à interdire à quiconque de faire passer ses marchandises ou services pour ceux d’une autre personne : « [t]he law of
passing off can be summarised in one short general proposition, no
man may pass off his goods as those of another »58.
Conformément à l’interprétation généralement acceptée du paragraphe 7b) de la Loi59, le recours en commercialisation trompeuse
requiert essentiellement la preuve des trois éléments suivants :
• l’existence d’un achalandage ou la réputation ;
56. Il convient de distinguer le recours prévu à l’alinéa 7b) de la Loi du recours en
passing off que prévoit le droit commun dans les provinces de common law, ou
encore, du recours en vertu de l’article 1457 du Code civil du Québec au Québec.
À cet égard, voir notamment : Alexandra STEELE, « Tromperie commerciale et
passing-off : développements récents », dans Service de la formation permanente
du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2003).
Le recours prévu à l’alinéa 7b) de la Loi constitue essentiellement une codification du recours en passing off qui existe dans les provinces de common law. À cet
effet, voir : Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., 2005 CSC 65, par. 23 ; MacDonald c.
Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134, 147 et Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/
Nortac Industries Ltd., (1986) 8 C.I.P.R. 232, 241, infirmée en partie par [1987]
3 C.F. 544.
57. Loi, précité, note 7, par. 7b).
58. Reckitt & Colman Products Ltd. c. Borden Inc., [1990] 1 All E.R. 873, citée avec
approbation dans Ciba-Geigy c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, par. 32.
59. Tel que le mentionne Jean-Philippe Mikus, « [l]e texte du paragraphe 7b) ne
reprend pas textuellement la trilogie de conditions d’ouverture [du recours en
passing off de common law]. Il s’agit plutôt d’une interdiction d’appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière
à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada. Cette rédaction différente a porté certains juges à tailler sur mesure les conditions d’ouverture du recours aux mots employés au paragraphe 7b) de la Loi sur les marques de
commerce plutôt que de déférer aux énoncés usuels, mais ces décisions ne font pas
Marques de commerce et référencement payant...
1285
• la tromperie ; et
• un préjudice réel ou probable60.
L’existence d’un achalandage ou de la réputation est le fait pour
l’élément protégeable du titulaire d’être reconnu sur le marché et
d’être associé dans l’esprit du public aux marchandises ou services
de ce dernier61. La tromperie implique quant à elle la déception du
public due à une représentation trompeuse62. Enfin, le préjudice réel
ou probable peut être constitué de dommages de nature variée,
notamment de pertes financières, d’une diminution de la valeur de
l’achalandage, voire, d’une perte de contrôle sur l’impact de son nom
commercial63.
Il ressort de ce qui précède que le recours en commercialisation
trompeuse diffère à plusieurs égards des recours en violation. Parmi
ces différences, il importe de noter que l’action en commercialisation
trompeuse ne requiert pas qu’une marque soit employée au sens de
l’article 4 de la Loi. De plus, les marques de commerce ne constituent
qu’un seul des éléments protégeables en vertu du paragraphe 7b) de
la Loi, dont la portée s’étend notamment aux noms commerciaux.
Enfin, contrairement aux recours en violation, celui en commercialisation trompeuse ne protège pas la marque per se, mais vise plutôt à
sanctionner le fait de faire passer ses marchandises ou services pour
ceux d’un autre. Dans ces circonstances, l’ajout d’un élément tel
qu’une mention d’exonération est susceptible dans certains cas de
limiter la responsabilité du tiers. Ceci n’est toutefois pas le cas pour
60.
61.
62.
63.
ressortir clairement si une approche est plus favorable que l’autre. [...] Avec certaines hésitations, il apparaît que le recours sous l’article 7b) de la Loi sur les
marques de commerce entrepris par le titulaire de la marque notoire fera appel
aux mêmes conditions d’ouvertures que le passing off de common law. » Voir
MIKUS (Jean-Philippe), « La protection des marques de commerce notoires au
Canada », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions
Yvon Blais, 2004).
Voir Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., précité, note 56, par. 66 et s., Ciba-Geigy c.
Apotex Inc., précité, note 58, par. 33.
Reckitt & Colman Products Ltd. c. Borden Inc., [1990] 1 All E.R. 873, cité dans
Ciba-Geigy c. Apotex Inc., précité, note 58, par. 32 ; Kirkbi AG c. Gestions Ritvik
Inc., précité, note 56, par. 67.
Ibid.
Ibid. Relativement au fait que les dommages peuvent être constitués d’une perte
de contrôle sur la marque, voir notamment : 2 for 1 Subs Ltd. c. Ventresca, (2006)
48 C.P.R. (4th) 311, par. 55 et Cheung c. Target Event Production Ltd., 2010 CAF
255, par. 24 et s.
1286
Les Cahiers de propriété intellectuelle
les recours en violation, le contexte de l’emploi ayant vraisemblablement peu d’incidence sur ces recours64.
3.3.2
Application aux faits sous étude
Le recours en commercialisation trompeuse pourrait vraisemblablement trouver application dans le contexte du référencement
payant. Dans le cas sous étude, le titulaire d’une marque de commerce pourrait probablement invoquer avec succès ce recours s’il
met en preuve :
• que le tiers a utilisé sa marque de commerce de manière à tromper
le public (par exemple, l’utilisation de la marque « Michelin »
comme seul élément du lien promotionnel du tiers)65 ;
• que cette fausse représentation a créé ou risque probablement de
lui créer des dommages, incluant une diminution de la valeur de
son achalandage ou une perte de contrôle de sa marque de commerce (par exemple, si l’utilisation ci-dessus décrite entraîne une
migration de la clientèle de Michelin vers le tiers se traduisant
par une baisse de ventes).
Nous verrons toutefois ci-après que les chances de succès de ce
recours sont notamment tributaires de la preuve d’une représentation trompeuse, laquelle semble constituer un défi particulier dans le
contexte du référencement payant (Section 4.2).
64. « La protection que confère une marque de commerce enregistrée ne change pas
en raison des circonstances qui teintent le contexte d’emploi de celle-ci. Par
exemple, le monopole conféré par l’enregistrement d’une marque de commerce
grâce à l’article 19 de la Loi n’est pas modifié en raison de la présence sur
l’emballage qui montrerait la marque enregistrée d’autres marques, d’autres
dessins, d’autres couleurs ou d’autres éléments qui retiendraient également
l’attention du consommateur. [...] En d’autres mots, le monopole de l’article 19
s’applique quelles que soient les circonstances d’emploi de la marque ; ce monopole n’est pas « réduit » ou « diminué » dans certains cas en raison du contexte
d’emploi. », GAMACHE, (Barry), « L’enregistrement de marque de commerce, un
outil important d’attaque et de défense... à ne pas perdre en raison d’un revamping ou d’une mise à jour de la présentation de la marque protégée », dans Service
de la formation continue du Barreau du Québec, Développements récents en propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions Blais, 2009), p. 95.
65. Dans certains cas, il pourrait être plus difficile d’établir une telle représentation
trompeuse, tel que lorsque la marque du titulaire est simplement saisie dans la
barre de recherche. Sur ce sujet, voir notamment : TAUBNER (Reed W.), « Google
Adwords And Canadian Trademark Law », (2009) 7 Canadian Journal of Law &
Technology, 289, 305 et 306.
Marques de commerce et référencement payant...
1287
4. DÉFIS PARTICULIERS
Au vu de ce qui précède, force est de constater que le titulaire
d’une marque utilisée par un tiers pour effectuer du référencement
payant pourrait vraisemblablement bénéficier de plusieurs recours
en vertu de la Loi. Toutefois, si ces recours semblent être disponibles,
il n’en demeure pas moins que d’importants défis devront être surmontés pour avoir gain de cause.
D’abord, les articles 19, 20 et 22 de la Loi requièrent que la
marque en cause soit « employée » au sens de la Loi ; la notion
d’emploi constitue une des pierres angulaires de ces recours dont
l’application peut s’avérer difficile dans le présent contexte (Section
4.1). De plus, sous l’article 20 et le paragraphe 7b) de la Loi, le titulaire de la marque doit démontrer que l’utilisation de celle-ci par
un tiers crée de la confusion ou induit le public en erreur ; sur le
Web, l’application de ces concepts peut soulever certaines difficultés,
comme nous le verrons (Section 4.2).
4.1 Notion d’emploi
Advenant que les critères de chacun des recours prévus aux
articles 19, 20 et 22 de la Loi soient remplis, rien n’empêche à première vue que ces recours soient invoqués par le titulaire d’une
marque enregistrée dans le contexte sous étude. Toutefois, une
réserve d’envergure s’impose : chacun de ces recours présuppose que
la marque soit « employée » au sens de la Loi. Or, la conception traditionnelle de l’emploi peut soulever des défis particuliers lorsque
transposée au contexte du Web66.
Dans ces circonstances, nous croyons important de nous attarder sur cette notion centrale67, afin d’évaluer si les titulaires dont la
marque est utilisée pour effectuer du référencement payant peuvent
se conformer à cette exigence. Plus particulièrement, nous tenterons
de déterminer si (i) la saisie de la marque dans la barre de recherche
déclenchant des liens promotionnels (voir encerclé ci-dessous) et
66. SOOKMAN (Barry), Computer, Internet and Electronic Commerce Law, 2e éd.,
vol. 2, (Toronto : Carswell, 2005), p. 5-1.
67. La notion d’emploi est fondamentale en matière de marque de commerce, l’acquisition de droits sur marque reposant sur son emploi : « [c]ontrairement à d’autres
formes de propriété intellectuelle, le droit à une marque de commerce repose
essentiellement sur son emploi véritable », Mattel U.S.A. Inc. c. 3894207 Canada
inc., 2006 CarswellNat 1401, par. 5.
1288
Les Cahiers de propriété intellectuelle
(ii) son apparition dans ceux-ci (voir encadré ci-dessous) constituent
un « emploi » au sens de la Loi.
4.1.1
Définition
L’article 2 de la Loi définit la notion d’emploi en les termes suivants : « [à] l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon
l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou
services »68. Selon cette disposition, référence doit donc être faite à
l’article 4 de la Loi, lequel se lit comme suit :
4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison
avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de
la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du
commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur
les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si
elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel
point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la
propriété ou possession est transférée.
68. Loi, précité, note 7, art. 2.
Marques de commerce et référencement payant...
1289
(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison
avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services. [...]69
Une distinction doit ainsi s’imposer entre l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises, d’une part, et des
services, d’autre part.
4.1.2
Emploi en liaison avec des marchandises
4.1.2.1
Principes généraux
Une marque de commerce sera réputée employée en liaison
avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la
possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce :
• elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans
lesquels ces marchandises sont distribuées, ou
• si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel
point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la
propriété ou possession est transférée.
Dans un cas comme dans l’autre, il est essentiel que la marque
soit apposée ou autrement liée aux marchandises « dans la pratique
normale du commerce », lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises. L’expression « pratique normale du
commerce » n’a toutefois fait l’objet d’aucune définition précise de la
part de nos tribunaux. Ceux-ci ont plutôt indiqué qu’il ne leur
revient pas d’établir de critères à ce sujet :
It would be extremely difficult for this court to establish standards as to what is « the normal course of trade », particularly
when we consider the number of diverse and varied endeavors
that are being carried on. [...].
It is left open to me to find and set standards, which is not my
function. It is up to the applicant to satisfy the court.70
69. Ibid., art. 4.
70. Institut national des appellations d’origine des vins & eaux-de-vie c. Canada
(Registrar of Trade Marks), 1983 CarswellNat 658, par. 18-19.
1290
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En dépit de l’absence de définition claire de l’expression « pratique normale du commerce », il ressort des décisions en la matière
que ce concept requiert à tout le moins que le transfert de propriété
ou de possession des marchandises s’effectue dans le cadre d’une
transaction, afin d’acquérir des profits ou un achalandage71. Partant
de ce constat, il est généralement admis que les dons de marchandises pour des fins charitables, par exemple, ne constituent pas un
emploi « dans la pratique normale du commerce »72.
Une fois la « pratique normale du commerce » établie, l’emploi de la marque en liaison avec des marchandises surviendra s’il
est démontré que celle-ci était apposée sur les marchandises ellesmêmes ou était de toute autre manière liée auxdites marchandises à
tel point qu’avis de liaison était donné à la personne à qui la propriété ou possession était transférée. Fait important, pour que la
marque soit « de toute autre manière liée aux marchandises »,
celle-ci doit nécessairement être visible73 ; la liaison entre ladite
marque et les marchandises doit être tangible, et non simplement
résulter d’une association dans l’esprit du consommateur74. Ainsi,
71. Voir notamment : Cast Iron Soil Pipe Institute c. Concourse International Trading Inc. (1998), 19 C.P.R. (3d) 393 et Osler, Hoskin & Harcourt c. Rogers Foods
Ltd., (1994) 53 C.P.R. (3d) 570.
72. Voir notamment : Barrigar & Oyen c. Apache Communications International
Corp., (1994) 58 C.P.R. (3d) 123.
73. Playboy Enterprises Inc. c. Germain, (1987) 16 C.P.R. (3d) 517 : « [...] in order to be
deemed to be used in association with wares, at the time of the transfer of the property in or possession of such wares, the trade mark must be something that can
be seen, whether it is marked on the wares themselves or on the packages in
which they are distributed or whether it is in any other manner so associated
with the wares that notice of the association is then given to the person to whom
the property or possession is transferred. I do not understand the words “in any
other manner”, in section 4(1) of the Act as depriving the word “mark” of its normal and true meaning ; I consider those words simply to mean that the “mark” can
be associated with the wares (and still be visible) otherwise than by being marked
on the wares themselves or on the packages in which the wares are distributed. »
[les italiques sont nôtres].
Sur la base de ce principe, l’emploi d’une marque de commerce à titre de balise
Méta* ne saurait constituer un emploi au sens de la Loi. Sur ce sujet, voir notamment : BURSHTEIN, précité, note 9, p. 3-7, citant Reed Executive plc. c. Reed
Business Information Ltd., [2004] R.P.C. 40.
* Une balise Méta est une information sur la nature et le contenu d’une page web,
ajoutée dans l’en-tête de la page au moyen de marqueurs HTML, mais invisible
aux yeux du consommateur.
74. Philip Morris Products S.A. c. Malboro Canada Limited, 2010 FC 1099, par. 238 :
« I am therefore of the view, on the basis of that case law and of the rationale of
the Trade-Marks Act as a whole, and also as a matter of statutory interpretation
of section 4(1) of that Act, that the association of the mark with the wares cannot
exist only in the mind of the purchaser at the time of the transfer but must be ascertainable in a more tangible way. I agree with the Plaintiffs that to ascribe
Marques de commerce et référencement payant...
1291
une marque de commerce figurant sur un coupon-rabais, même si
elle n’est pas apposée sur l’emballage ou sur les marchandises ellesmêmes, peut vraisemblablement être visée par la seconde partie du
paragraphe 4(1) de la Loi75.
4.1.2.2
Application aux faits sous étude
Au vu de ce qui précède, il semble difficile d’argumenter que
(i) la saisie de la marque dans la barre de recherche déclenchant des
liens promotionnels et (ii) son apparition dans ceux-ci constituent un
emploi en liaison avec des marchandises au sens de la Loi. En effet,
dans aucun cas la marque n’est-elle apposée sur des marchandises.
Tout au plus, pourrait-il être argumenté que la marque est liée aux
marchandises, par le biais d’annonces associées auxdites marchandises.
Toutefois, en matière d’emploi en liaison avec des marchandises, il est reconnu que leur simple promotion ne constitue généralement pas un emploi au sens de la Loi. Pour constituer un tel emploi,
il est nécessaire que la promotion soit suffisamment liée à la marchandise au moment76 du transfert de propriété :
Selon la preuve, l’emploi de la marque M par BMW se limitait à
des annonces publicitaires et à des documents de promotion.
Un tel emploi d’une marque n’est pas en soi suffisant pour constituer un « emploi » suivant le paragraphe 4(1) de la Loi. Il faut,
pour que l’emploi d’une marque dans des annonces publicitaires
et dans des documents de promotion soit suffisamment lié à une
marchandise pour constituer un emploi, que les annonces publicitaires et les documents de promotion aient été donnés lors du
transfert de la propriété ou de la possession des marchandises.77
[les italiques sont nôtres]
abstract notions of trade-mark use that might arise through the mental associations that consumers might make would lead to uncertainty as to the scope of
trade-mark rights generally and both the acquisition and infringement provisions generally. » [les italiques sont nôtres].
75. Voir Yoplait Marques Internationales c. Cie Gervais Danone, 2011 TMOB 54.
76. Voir la décision BMB Compuscience Canada Ltd. c. Bramalea Ltd., (1989) 22
C.P.R. (3d) 561, dans laquelle la Cour fédérale traite du moment où le transfert
de propriété ou de possession s’effectue pour une composante d’un système informatique. Dans cette affaire, compte tenu de la nature des marchandises en cause,
la Cour a admis que l’utilisation de la marque de commerce avant et après la
vente du produit informatique est un « emploi » au sens de la Loi.
77. BMW Canada Inc. c. Nissan Canada Inc., 2007 CarswellNat 5564, par. 25. Voir
également : General Mills Canada Ltd. c. Procter & Gamble Inc. (1985), 6 C.P.R.
1292
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Dans le cas sous étude, aucun transfert de propriété ou de possession des marchandises n’est vraisemblablement opéré. Tout au
plus, pourrait-il être argumenté qu’il existe un emploi au sens de la
Loi dans les cas où une transaction en ligne est effectuée pour faire
l’achat de la marchandise en question :
[A]lthough not exactly contemporaneous, many users now shop,
contract, and exchange title online through websites that they
may have found by searching for a trademark keyword, and it is
not clear whether the point of transfer restriction would present a serious obstacle to defining keying as use.78
Pour ces raisons, il semblerait difficile pour le titulaire d’une
marque enregistrée d’argumenter que celle-ci est employée en liaison avec des marchandises dans le contexte du référencement
payant, à moins que ceci ne s’inscrive dans le contexte de transactions en ligne.
Mais qu’en est-il si la marque utilisée pour du référencement
payant l’est en liaison avec des services ? Une telle utilisation pourrait-elle répondre à la notion d’emploi au sens de la Loi ?
4.1.3
4.1.3.1
Emploi en liaison avec des services
Principes généraux
Une marque sera réputée être employée en liaison avec des services au sens de la Loi si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services. Dans le contexte du Web, rien ne
semble indiquer que ces critères en matière d’emploi soient différents79.
Bien que la notion de services ne soit pas définie dans la Loi, il
est toutefois reconnu que ce terme doit être interprété de manière
large et libérale et que chaque situation doit être évaluée selon les
faits qui lui sont propres. Tel que le mentionnait la Cour fédérale, se
référant à la décision américaine American International Reinsurance Co., Inc. c. Airco, Inc.80 :
(3d) 551, dans laquelle il a été admis qu’une marque de commerce apposée sur des
tablettes est suffisamment liée à la marchandise au moment du transfert de propriété ou de possession.
78. TAUBNER, précité, note 65, p. 309.
79. Pro-C Ltd. c. Computer City Inc., 55 OR (3d) 577.
80. American International Reinsurance Co., Inc. c. Airco, Inc., 571 F.2d 941.
Marques de commerce et référencement payant...
1293
Il apparaît évident qu’on n’a jamais tenté de définir « services »
simplement en raison du nombre incalculable des services que
l’esprit de l’homme est capable d’inventer. Il faudrait par le fait
même que ce terme soit interprété de façon libérale. Vu ce qui
précède, chaque cas doit être tranché en regard de ses faits propres, en tenant compte comme il convient des précédents.81 [les
italiques sont nôtres]
Ceci étant dit, certaines décisions suggèrent que l’emploi en
association avec des services requiert un élément commercial82. Également, pour constituer un tel emploi, il est nécessaire que les services en cause soient exécutés au Canada83.
En ce qui a trait à la notion d’annonce de services, celle-ci n’est
pas définie dans la Loi et n’a fait l’objet d’aucune précision par nos
tribunaux, ceux-ci se limitant à mentionner que ce concept doit être
évalué au cas par cas84. Malgré tout, la Cour fédérale a semblé indiquer qu’une annonce doit permettre d’établir un lien direct vers des
renseignements sur les services en cause :
À mon avis, en ce qui concerne l’emploi, les noms de domaine,
l’adresse électronique et les pages d’accueil des sites Web
emploient la marque étant donné qu’ils sont utilisés à des fins
de publicité et de promotion et qu’ils servent d’outils de liaison.
Je suis arrivée à cette conclusion étant donné qu’ils constituent un lien direct vers des renseignements importants sur les
services. Le courriel engendre l’accusé de réception. La page
d’accueil [...] mène automatiquement à des renseignements
81. Kraft Ltd. c. Canada (Registrar of Trade Marks), [1984] 2 C.F. 874, par. 8.
82. Voir notamment : Cie générale des établissements Michelin – Michelin & Cie c.
CAW – Canada, [1997] 2 FC 306.
La Loi ne contient toutefois pas cette exigence, contrairement à l’emploi en liaison avec des marchandises. Certaines instances ont suggéré que l’emploi relatif à
des services tel que défini au paragraphe 4(2) de la Loi devrait être lu indépendamment de celui afférent aux marchandises (voir notamment : Shapiro, Cohen,
Andrews and Finlayson c. Fireman’s Fund Insurance Co., (1994) 54 C.P.R. (3d)
566). Des tribunaux ont également émis l’opinion que, compte tenu du fait que le
terme « services » doit être interprété de manière large et libérale, celui-ci ne
devrait pas être limité aux services comportant un élément commercial (voir
notamment : War Amputations of Canada c. Faber-Castell Canada Inc., (1992) 44
C.P.R. (3d) 557. Ainsi, selon cette approche, l’emploi d’une marque de commerce
dans le cadre d’un évènement charitable pourrait vraisemblablement constituer
un emploi au sens de la Loi et ce, malgré l’absence d’un élément commercial.
83. Voir notamment : Marineland Inc. c. Marine Wonderland & Animal Park Ltd.,
[1974] 2 C.F. 558.
84. Société nationale des chemins de fer français c. Venice Simplon-Orient-Express
Inc., [2002] F.C.J. 1897.
1294
Les Cahiers de propriété intellectuelle
détaillés sur les services, et les noms de domaine mènent rapidement à des descriptions des services. Par ailleurs, les annonces sont expressément visées par le paragraphe 4(2).85 [les
italiques sont nôtres]
D’autre part, les tribunaux ont eu l’occasion de se pencher à
quelques reprises sur l’application de la notion d’emploi en liaison
avec des services dans le contexte du Web. Par exemple, le simple
enregistrement d’une marque à titre de nom de domaine ne constituera pas un emploi au sens de la Loi86. Par contre, l’utilisation d’une
marque sur un site Web en liaison avec un commerce consistant à
fournir notamment des renseignements en ligne relativement à des
voyages, ainsi qu’à la location et à la vente de propriétés, a été considérée par les tribunaux comme constituant un emploi au sens de la
Loi87.
4.1.3.2
Application aux faits sous étude
À la lumière de ce qui précède, il semblerait difficile pour le
titulaire d’une marque d’argumenter qu’il y a emploi en liaison avec
des services (i) lorsque la marque n’est que saisie dans la barre de
recherche pour déclencher de tels liens, mais pas nécessairement
(ii) lorsque celle-ci apparaît dans les liens promotionnels.
En ce qui a trait aux liens promotionnels où la marque apparaît, si les services dont l’annonce fait la promotion sont exécutés au
Canada, nous croyons que l’utilisation d’une marque dans ce contexte précis pourrait vraisemblablement constituer l’« annonce » de
services au sens de l’article 4 de la Loi. En effet, la présentation de la
marque de commerce dans de tels liens s’inscrit dans un contexte
commercial visant à attirer l’intérêt du consommateur vers un site
sur lequel peuvent être proposés des services. Or, ce type d’emploi
correspond selon nous aux caractéristiques propres à une annonce :
« [t]he purpose of advertising is to create name recognition for a ware
or service and to engender a desire on the part of the reader, listener
or viewer to purchase the wares or utilize the services »88. Cette position selon laquelle une telle utilisation constitue un emploi en liaison
avec des services est d’ailleurs partagée par la doctrine canadienne
85.
86.
87.
88.
Salam Toronto Publications c. Salam Toronto Inc., 2009 CF 24, par. 40.
BURSHTEIN, précité, note 9, p. 3-11.
Hayes c. Sim & McBurney, 2010 CF 924.
Pro-C Ltd. c. Computer City, Inc., [2000] O.J. No. 2823.
Marques de commerce et référencement payant...
1295
et américaine89, ainsi que par un certain mouvement jurisprudentiel
américain et européen90.
Par contre, il n’est pas clair si la saisie de la marque dans la
barre de recherche pour déclencher des liens promotionnels constitue un emploi en liaison avec des services au sens de la Loi.
D’une part, l’apparition de la marque qui résulte de la saisie
fait-elle partie de l’annonce ? Dans la mesure où la saisie est un geste
qui émane du consommateur, plutôt que de l’annonceur, et que les
mots-clés saisis peuvent varier d’une personne à l’autre, nous pouvons douter du fait que l’apparition de la marque dans la barre de
recherche soit couverte par l’annonce au sens de la Loi. Néanmoins,
la marque reste visible en tout temps dans la barre de recherche et
l’internaute effectue sans doute une association entre la marque
saisie et les liens promotionnels, lesquels constituent selon nous une
« annonce » aux fins de l’article 4 de la Loi. Sur la base de cette association, certains pourraient donc argumenter que la marque est
« employée [...] dans l’annonce [...] des services ».
D’autre part, lorsqu’un annonceur achète une marque de commerce à titre de mot-clé auprès de l’opérateur, alors que celle-ci
n’apparaîtra d’aucune façon dans les liens promotionnels, il est permis de se demander si une telle utilisation constitue un emploi.
Puisque la marque fait l’objet d’une exploitation sous-jacente par
l’annonceur, sur le plan technique, aux fins de l’exécution de ses
campagnes publicitaires, est-elle alors « employée [...] dans l’annonce [...] des services » ?
89. « [T]he definition of use with respect to services is particularly broad and would
seem to catch all sponsored links with respect to services because they are essentially advertisements [...]. », TAUBNER, « Google Adwords And Canadian Trademark Law », précité, note 65, p. 309 ou « A trademark use in commerce occurs
where a trademark is displayed directly in an advertisement or on a resulting
page, is hidden in a metatag, or is used principally for its importance as a keyword ». McSHERRY (Corynne) et al., « ABA IP Section Quietly Considering
Anti-Consumer Proposals to Regulate Keyword Advertising », Technology and
Marketing Blog, 2008, cité dans BURSHTEIN, précité, note 9, p. 4-209.
90. Aux États-Unis, voir notamment : Rescuecom Corp. c. Google Inc., précité, note 5,
relativement à des services de réparation et de support informatiques.
Dans l’Union européenne, voir notamment : Google France SARL. c. Louis Vuitton Malletier SA, précité, note 5 ; Google France SARL c. Viaticum SA, Luteciel
SARL, précité, note 5 et Google France SARL c. Centre national de recherche en
relations humaines (CNRRH) SARL, Pierre-Alexis Thonet, Bruno Raboin, Tige
SARL, précité, note 5.
1296
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Au vu de ce qui précède, il semble incertain que la saisie de la
marque dans la barre de recherche pour déclencher des liens promotionnels appelle à la qualification d’emploi au sens de la Loi. En
pareilles circonstances, les titulaires de marques seraient vraisemblablement favorisés si les tribunaux adoptaient une interprétation
large et libérale de l’expression « employée [...] dans l’annonce [...]
des services », tout comme ils l’ont fait pour l’interprétation du
concept de « services ».
Dans tous les cas, les propos qui précèdent doivent être nuancés, étant entendu qu’ils ne visent que la notion d’emploi, soit l’application de l’article 4 de la Loi. Or, les articles 19 et 20 de la Loi
requièrent au surplus que la marque de commerce soit employée
de manière à distinguer les marchandises ou services, au sens de
l’article 2 de la Loi. Par contre, depuis l’affaire Clairol International
Corp. c. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd.91 (ci-après « Clairol »),
l’article 22 de la Loi ne nécessite pas, pour sa part, la preuve de cet
élément distinctif, l’emploi devant uniquement répondre aux critères de l’article 4 de la Loi. Par conséquent, la manière dont sera
employée la marque dans le cadre du référencement payant influencera les chances de succès de chacun de ces recours.
4.1.4
Emploi à titre de « marque de commerce »
4.1.4.1
Principes généraux
L’article 2 de la Loi définit la notion de « marque de commerce »
en les termes suivants :
marque employée par une personne pour distinguer, ou de
façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle,
des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées
ou des services loués ou exécutés, par d’autres.92 [les italiques
sont nôtres]
Ainsi, selon cette définition, l’emploi tel que défini ci-avant
devrait l’être afin de distinguer les marchandises ou services de ceux
du concurrent du titulaire de ladite marque. Cette exigence est intimement liée à la fonction même des marques de commerce, celles-ci
91. Clairol International Corp. c. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd., précité,
note 52.
92. Loi, précité, note 7, art. 2.
Marques de commerce et référencement payant...
1297
visant « à indiquer, de façon distinctive, la source d’un produit,
d’un procédé ou d’un service, afin qu’idéalement les consommateurs
sachent ce qu’ils achètent et en connaissent la provenance »93.
Le type d’emploi requis pour répondre aux prescriptions de la
définition de « marque de commerce » ne doit pas être interprété restrictivement94. L’intention de l’utilisateur de ladite marque est certes une considération pertinente, mais elle n’est pas pour autant
déterminante95, le facteur essentiel étant l’emploi de la marque par
son titulaire pour « distinguer » ses marchandises de celles des
autres. Tel que mentionné par la Cour fédérale, le caractère distinctif peut être établi selon les trois critères suivants :
One can also see that distinctiveness requires that three conditions be met :
a.
that a mark and a product [and/or service] be associated ;
b.
that the owner uses this association between the mark
and his product [and/or service] and is manufacturing
and selling his product [and/or service] ; and
c.
that this association enables the owner of the mark to
distinguish his product [and/or service] from that of
others.96
Le caractère distinctif d’une marque de commerce constitue un
élément essentiel à sa validité97 et trouve directement écho dans la
notion d’emploi.
Si les recours prévus sous les articles 19 et 20 de la Loi nécessitent qu’une marque soit employée de manière à distinguer les marchandises ou services de ceux des concurrents, ceci n’est pas le cas
pour le recours prévu à l’article 22 de la Loi. En effet, la décision
Clairol, traitant de l’emploi d’une marque dans le cadre d’une publi93. Kirkby AG c. Gestions Ritvik Inc., précité, note 56, par. 39.
94. GILL, précité, note 26, p. 3-15.
95. Tommy Hilfiger Licensing Inc. c. International Clothiers Inc., 2004 CarswellNat
4005.
96. Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd., précité, note 74, par. 51.
97. « Distinctiveness is of the very essence and is the cardinal requirement of a trademark, which is used to distinguish the goods of a trader from the goods of all traders », Clock Co. c. Oris Watch Co., [1931] R.C.É. 64, 67.
1298
Les Cahiers de propriété intellectuelle
cité comparative, a établi que l’emploi requis pour les fins de l’article 22 de la Loi est limité aux exigences de l’article 4 de la Loi.
En d’autres termes, pour établir qu’une marque de commerce est
employée aux fins de l’article 22 de la Loi, nul besoin de démontrer
qu’un tel emploi l’est aux fins de distinguer les marchandises ou services en cause98.
Ainsi, depuis l’affaire Clairol, la nature de l’emploi à prouver
diffère selon les recours entrepris. Sous l’égide des articles 19 et 20
de la Loi, la marque devra nécessairement être employée afin de distinguer les marchandises ou services du titulaire de la marque de
ceux de ses concurrents. L’article 22 de la Loi, quant à lui, ne requiert
pas que l’emploi le soit à titre de « marque de commerce ». Cette
nuance aura vraisemblablement des incidences sur les recours pouvant être entrepris par les titulaires d’une marque dans le cadre du
référencement payant.
4.1.4.2
Application aux faits sous étude
Pour les raisons mentionnées plus haut, en matière de marchandises, il sera difficile pour le titulaire d’une marque d’argumenter que celle-ci est employée au sens de l’article 4 de la Loi dans le
contexte du référencement payant, certains arguments pouvant toutefois être présentés en matière de transactions électroniques. Par
conséquent, en l’absence de cet élément, tant les recours entrepris en
vertu des articles 19, 20 que 22 de la Loi seront vraisemblablement
voués à l’échec en matière de marchandises.
En matière de services, toutefois, nos conclusions diffèrent en
fonction du type d’utilisation de la marque de commerce. Nous
croyons en effet que l’apparition de la marque dans les liens promotionnels pourrait constituer un emploi au sens de l’article 4 de la Loi,
advenant que les services promus soient exécutés au Canada. Par
98. Cette position a fait couler beaucoup d’encre, celle-ci ayant pour effet de mener
à des conclusions différentes, dépendamment que la marque en cause soit
employée en liaison avec des services ou des marchandises. La Cour fédérale,
sous la plume de l’Honorable juge Reed, a d’ailleurs trouvé cette conclusion
« quelque peu bizarre », Eye Masters Ltd. c. Ross King Holdings Ltd., (1992) 44
C.P.R. (3d) 459, par. 9.
Sur ce sujet, voir notamment : GUAY (François), « Pour en finir avec l’affaire
Clairol : l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce prévient-il la publicité
comparative ? », (1999) 11 Cahiers de propriété intellectuelle 441 et LÉGER (Jacques A.), « L’article 22 de la loi sur les marques de commerce : de Clairol à It’s not :
le miroir aux alouettes », (1988) 4 Canadian Intellectual Property Review 375395.
Marques de commerce et référencement payant...
1299
contre, en ce qui a trait à la saisie de la marque dans la barre de
recherche déclenchant des liens promotionnels, il semble que la
preuve d’un tel emploi soit plus difficile à démontrer.
En tout état de cause, ce type d’emploi en liaison avec des services ne semblerait généralement pas constituer un emploi à titre de
« marque de commerce » aux fins des recours intentés en vertu des
articles 19 et 20 de la Loi. En effet, lorsque la marque du titulaire
apparaît dans la publicité, elle l’est davantage aux fins d’offrir une
alternative ou utilisée de façon descriptive99. Dans un tel contexte, la
marque n’est vraisemblablement pas utilisée aux fins de « distinguer » les marchandises ou services du titulaire. Par contre, il sera
sans doute moins difficile d’établir l’emploi de la marque en liaison
avec des services sous l’article 22 de la Loi, celui-ci ne requérant pas
que l’emploi le soit à titre de « marque de commerce ». Tel que le soulignait Reed W. Taubner, traitant des services publicitaires offerts
par Google :
AdWords may be akin to the brochure and flyer : although it
may depreciate the plaintiff’s goodwill, the trademarks it uses
are not affixed to any wares. Therefore, there is cause for hope
that a properly disclaimed sponsored link could survive a section 22 challenge, but some doubt endures, particularly with
respect to services advertised through sponsored links.100
4.1.4 Conclusion
En somme, les recours entrepris en vertu des articles 19, 20 et
22 de la Loi seront d’abord tributaires de la preuve de l’emploi de la
marque en cause au sens de l’article 4 de la Loi. À cet égard, il sera
vraisemblablement difficile pour le titulaire d’une marque d’établir
que l’utilisation de celle-ci dans le cadre du référencement payant
99.
100.
Dans certains cas, la publicité sur les moteurs de recherche pourrait s’apparenter à de la publicité comparative. « La publicité comparative est une publicité
qui compare les produits ou services de l’annonceur et les produits ou services
d’une ou de plusieurs entreprises facilement identifiables, ou les compare aux
produits ou services offerts sur le marché en général en invoquant, par exemple,
leurs caractéristiques, leur valeur, leur rendement, la préférence indiquée par le
public, la part du marché qu’ils occupent, les points de vente ou leur disponibilité. » Normes canadiennes de la publicité, Lignes directrices portant sur la
publicité comparative, (2010).
Sur les limites légales de la publicité comparative, voir : LAMOTHE-SAMSON
(Madeleine), « Les publicités comparatives et les limites légales », Insight Information – La publicité au Québec, 2e éd., (2006).
TAUBNER, précité, note 65, p. 311.
1300
Les Cahiers de propriété intellectuelle
constitue un emploi en liaison avec des marchandises. En matière de
services toutefois, le titulaire d’une marque disposerait d’arguments
selon lesquels la marque est employée en liaison avec des services si
celle-ci apparaît dans un lien promotionnel, mais pas nécessairement dans le cadre de sa saisie.
Pour un recours intenté sous l’égide des articles 19 et 20 de la
Loi, la marque de commerce devra au surplus être employée afin de
distinguer les services. Cette exigence risque vraisemblablement de
limiter les possibilités d’intenter un recours avec succès en vertu
de ces articles, dans la mesure où bon nombre de publicités sur
les moteurs de recherche présentent des alternatives à la marque
recherchée ou l’utilisent à des fins descriptives, et que, dans ce
contexte, la marque n’est pas utilisée aux fins de distinguer les services en cause. Ainsi, l’emploi d’une marque en liaison avec des services sera davantage susceptible de violer les droits de son titulaire
sous l’article 22 de la Loi, dans le contexte du référencement payant.
4.2 Notion de représentation trompeuse
Les notions de confusion et de représentation trompeuse sont
respectivement centrales aux recours intentés en vertu de l’article
20 et du paragraphe 7b) de la Loi. Toutefois, tel qu’exposé ci-avant,
l’application de l’article 20 de la Loi est vraisemblablement difficile à
établir, étant donné que bien souvent la marque n’est pas employée à
titre de « marque de commerce ». Nous nous pencherons donc brièvement sur les critères traditionnellement appliqués dans le cadre du
paragraphe 7b) de la Loi (Section 4.2.1), avant d’examiner l’applicabilité au Canada de la doctrine du « initial interest confusion »
(Section 4.2.2).
4.2.1
Critères appliqués
4.2.1.1
Principes généraux
Pour invoquer avec succès un recours en vertu du paragraphe
7b) de la Loi, le titulaire devra notamment établir que le tiers a
« appel[é] l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou
son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer
de la confusion »101. Il ne s’agit pas uniquement de la confusion entre
101.
Loi, précité, note 7, par. 7b).
Marques de commerce et référencement payant...
1301
deux marques, mais également de la confusion quant à l’association
entre deux commerçants. Tel que le souligne Fox :
Passing off occurs when a consumer requests the goods of a
trader A but is given the goods of trader B. [...] [P]assing off
[also] occurs indirectly when the goods of trader B effectively
tell a falsehood about themselves, where the manner in which
they packaged or sold causes purchasers to believe that they
are the goods of trader A or in some way connected or associated
with A.102
Il semble impossible d’énumérer ou de classifier toutes les
façons possibles pour une personne d’effectuer une représentation
trompeuse créant de la confusion auprès du public103. L’analyse qui
vise à déterminer si une telle représentation a eu lieu est intimement liée aux faits de chaque affaire et rien n’indique que ce principe
trouve exception dans le contexte du référencement payant 104.
4.2.1.2
Application aux faits sous étude
Bien qu’au Canada plusieurs décisions aient évalué s’il existe
de la confusion dans le contexte du Web105, les tribunaux ne semblent pas avoir développé de critères particuliers pour évaluer celleci106. Pourtant, il est permis de s’interroger sur la qualification
102.
103.
104.
105.
106.
GILL, précité, note 26, p. 4-82 et 4-83.
Ibid., p. 4-82 citant A.G. Spalding & Brothers c. A.W. Gamage Ltd., (1915) 32
R.P.C. 273.
Voir généralement JACOBY, précité, note 3. Ces auteurs ont dénoncé le trop peu
d’importance qui a été accordée aux faits par les tribunaux américains pour
juger d’affaires qui leur ont été soumises en matière de référencement payant.
Selon eux, la compréhension qu’ont les consommateurs des résultats de recherche ou des liens promotionnels qui leur sont présentés aurait fait l’objet de spéculations ou de suppositions de la part des tribunaux. Ils soutiennent que
plusieurs affaires auraient été jugées sans un examen suffisamment approfondi
sans recours à des études empiriques adéquates, par exemple, à des sondages
pour évaluer si les consommateurs sont véritablement induits en erreur.
Voir notamment : BURSHTEIN, précité, note 9, p. 3-36.
Aux États-Unis, les tribunaux ont suggéré d’adapter les critères traditionnellement appliqués en matière de confusion, afin de prendre en considération les
réalités propres au Web, développant ainsi ce qui est appelé la « Internet Trilogy ». Voir notamment : BURSHTEIN, précité, note 9, p. 3-34 et s. Un tribunal
américain a même suggéré des critères spécifiques à considérer dans le contexte
du référencement payant pour évaluer la confusion, soit : (i) les mécaniques
générales qui caractérisent le furetage et la navigation sur le Web, où un
consommateur peut aisément retourner en arrière ; (ii) les mécaniques qui
caractérisent la recherche spécifique effectuée par les consommateurs et qui est
1302
Les Cahiers de propriété intellectuelle
du consommateur moyen en pareilles circonstances : s’agit-il du
consommateur connaissant les rouages du Web et de ses moteurs de
recherche ou simplement de celui qui utilise peu fréquemment cette
plateforme, sans nécessairement comprendre sa mécanique ? À cet
égard, un juge anglais mentionnait ce qui suit :
The web-using member of the public knows that all sorts of banners appear when he or she does a search and they are or may
be triggered by something in the search. He or she also knows
that searches produce fuzzy results – results with much rubbish thrown in.107
Si l’opinion de ce juge est à l’effet que le consommateur moyen
est relativement averti, nous croyons qu’il demeure complexe d’évaluer avec exactitude à quel point ce dernier est cyberfuté ou cyberdébrouillard. À tout évènement, l’omniprésence du Web dans les
ménages et lieux de travail semblerait dicter que le consommateur
moyen possède à tout le moins une certaine compréhension du Web
et des résultats qui apparaissent dans les moteurs, bien qu’il soit difficile d’évaluer avec précision la portée de cette compréhension.
4.2.3
Doctrine du « initial interest confusion »
4.2.3.1
Principes généraux
Dans le contexte du référencement payant, un obstacle auquel
le titulaire d’une marque risque de se heurter lorsque celui-ci doit
démontrer qu’on a « appel[é] l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion »108 est que la confusion
initialement créée soit souvent dissipée ultérieurement.
107.
108.
en cause ; (iii) le contenu de la page Web où sont présentés les résultats de
recherche, incluant le contenu du lien promotionnel lui-même ; (iv) tout contenu
fourni à l’internaute sur le site Web lié du défendeur risquant d’accroître la
confusion ; (v) le caractère cyberfuté ou sophistiqué de la clientèle potentielle du
demandeur ; (vi) le contexte spécifique d’un consommateur ayant délibérément
effectué une recherche relative à des marchandises ou services associés à une
marque spécifique seulement pour trouver un lien promotionnel menant vers un
détaillant de marchandises ou services du même genre ; (vii) la durée de la confusion. Voir Hearts on Fire Co., LLC c. Blue Nile, Inc., 2009 WL 794482 (D. Mass.
Mar. 27, 2009).
Reed Executive plc. c. Reed Business Information Ltd., précité, note 73, par. 140.
Loi, précité, note 7, par. 7b).
Marques de commerce et référencement payant...
1303
Dans la décision américaine Brookfield Communications, Inc.
c. West Coast Entertainment Corporation109 (ci-après « Brookfield »),
cette situation a été comparée au cas où un panneau de sortie
d’autoroute fait faussement l’annonce d’un commerce, alors que c’est
le commerce d’un concurrent qui s’y trouve. Dans cette affaire, West
Coast Entertainment, qui opérait dans le domaine de la location de
films, avait eu recours à la marque de commerce d’un concurrent à
titre de nom de domaine et de balise Méta :
Suppose West Coast’s competitor (let’s call it “Blockbuster”)
puts up a billboard on a highway reading “West Coast Video : 2
miles ahead at Exit 7” where West Coast is really located at
Exit 8 but Blockbuster is located at Exit 7. Customers looking
for West Coast’s store will pull off at Exit 7 and drive around
looking for it. Unable to locate West Coast, but seeing the
Blockbuster store right by the highway entrance, they may
simply rent there. Even consumers who prefer West Coast may
find it not worth the trouble to continue searching for West
Coast since there is a Blockbuster right there. Customers are
not confused in the narrow sense : they are fully aware that they
are purchasing from Blockbuster and they have no reason to
believe that Blockbuster is related to, or in any way sponsored
by, West Coast. [...].110 [les italiques sont nôtres]
Tel que mentionné par le tribunal, dans de telles circonstances,
le public n’est nullement induit en erreur au moment de l’achat des
marchandises ou des services. De ce fait, ce qui est reproché au tiers
est de tirer profit de l’achalandage associé à une marque pour
détourner une clientèle souhaitant initialement faire affaire avec
son titulaire. Ce tiers se trouve en quelque sorte à profiter des investissements effectués par le titulaire de la marque et qui lui ont permis d’accroître sa notoriété auprès du public111.
Aux États-Unis, pour remédier à ce genre de situation, les tribunaux ont développé la doctrine du « initial interest confusion »,
laquelle est invoquée plus généralement dans le cadre de litiges en
matière de marques sur le Web112 ; ce concept n’a toutefois pas reçu
application au Canada en semblable matière à ce jour.
109.
110.
111.
112.
Brookfield Communications, Inc. c. West Coast Entertainment Corporation, 174
F.3d 1036 (9th Cir. 1999).
Ibid., par. 83.
BURSHTEIN, précité, note 9, p. 4-13.
Ibid. Cette doctrine est invoquée dans le cadre de litiges en matière de noms de
domaines et de balises Méta.
1304
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En vertu de cette doctrine mise en lumière principalement par
la décision Brookfield, lorsqu’une personne effectue une représentation trompeuse pour attirer l’attention des internautes, il y a lieu de
conclure à une violation au regard du droit des marques et ce, en
dépit du fait qu’une confusion initiale ait par la suite été dissipée. En
effet, la doctrine du « initial interest confusion » s’attarde uniquement au fait d’attirer l’attention du public par le biais de représentations trompeuses. Le fait que l’internaute qui consulte un site Web
réalise qu’il ne se trouve pas sur le site souhaité n’est vraisemblablement pas concluant. Tel que le résume Sheldon Burshtein :
Although confusion is dispelled before an actual sale occurs,
initial interest confusion capitalizes on the goodwill associated
with a mark. Where the defendant deceptively uses the plaintiff’s trademark in a manner to capture initial consumer attention, it may be liable for trademark infringement even though no
actual sale is effected as a result of the confusion. A likelihood of
confusion is found due to the misappropriation of goodwill, even
though the consumer realizes the true source of the goods or the
services before a sale is consummated. The duration of confusion is irrelevant.113 [les italiques sont nôtres]
Les raisons qui ont été invoquées à l’appui de la doctrine du
« initial interest confusion » sont multiples. Entre autres, certains
soutiennent que l’application du droit des marques de commerce au
Web doit être flexible. Il est également soutenu que le test traditionnel visant à déterminer si le public a été induit en erreur est
inadéquat ou à tout le moins insuffisant, pour remédier à certains
comportements jugés répréhensibles114. Selon cette position, seule la
première impression du consommateur face à une représentation
trompeuse serait vraisemblablement pertinente.
4.2.3.2
Application aux faits sous étude
Au Canada, la doctrine du « initial interest confusion » n’a pas à
ce jour été formellement adoptée en jurisprudence. Néanmoins, certains jugements rendus par nos tribunaux semblent être compatibles avec l’application d’une telle doctrine.
113.
114.
Ibid., p. 4-31.
Ibid., p. 4-33. Il convient toutefois de souligner que l’application de la doctrine
du « initial interest confusion » ne fait cependant pas l’unanimité et a déjà fait
l’objet de plusieurs critiques aux États-Unis.
Marques de commerce et référencement payant...
1305
En 2004, dans la décision Law Society of British Columbia
c. Canada Domain Name Exchange115, la défenderesse Canada
Domain Name Exchange Corporation avait enregistré les noms de
domaine « lawsocietyofbc.ca » et « lsbc.ca », associés à la demanderesse Law Society of British Columbia. Ces noms de domaines
étaient utilisés pour rediriger les internautes vers des sites diffusant
du contenu pour adultes. Dans cette affaire, le tribunal a conclu que
des représentations trompeuses avaient été effectuées par la défenderesse dans le cadre d’un recours en commercialisation trompeuse,
et que ceci induisait le public en erreur. Bien que le tribunal n’ait pas
fait mention de la doctrine du « initial interest confusion », celui-ci a
néanmoins conclu à la responsabilité de la défenderesse, et ce, sans
qu’aucune preuve du fait que des consommateurs aient été induits
en erreur n’ait été produite116. Il est donc probable que le tribunal se
soit attardé uniquement à la première impression laissée par les
représentations effectuées par la défenderesse.
En 2011, dans l’arrêt Masterpiece, la Cour suprême du Canada
a rendu un jugement dont les conclusions, bien que rendues dans
un contexte ne traitant pas du Web, pourraient être compatibles
avec l’application de la doctrine du « initial interest confusion » au
Canada. Dans cette affaire qui traite essentiellement de l’analyse de
la confusion sous l’article 20 de la Loi, les sociétés Masterpiece Inc. et
Alavida Lifestyles Inc. opéraient toutes deux dans le secteur des
résidences pour personnes âgées. Comme il s’agit de services généralement dispendieux, la question de l’incidence de la nature et du coût
de ceux-ci sur l’analyse relative à la confusion fut soumise à la Cour.
En première instance et en appel, les tribunaux avaient essentiellement conclu qu’en raison de la valeur des services en l’espèce,
les consommateurs étaient « moins susceptibles de confondre la
source des biens et services qu’ils recherch[aient], parce qu’il [était]
peu probable qu’ils basent leur choix sur une première impression »117. Le juge de première instance avait notamment souligné
qu’« en règle générale, [les consommateurs] consacrent un temps
appréciable à s’informer sur la source de biens et services qui coûtent cher »118. La Cour suprême, sous la plume de l’honorable juge
115.
116.
117.
118.
Law Society of British Columbia c. Canada Domain Name Exchange Corporation, 2004 BCSC 1102.
Ibid., par. 21 à 35.
Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyle Inc., 2008 CF 1412, par. 43.
Ibid.
1306
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Marshall Rothstein, a corrigé l’interprétation du juge de première
instance, affirmant ce qui suit :
Il est sans importance que, comme l’a conclu le juge de première instance, « il [soit] peu probable [que les consommateurs] basent leur choix sur une première impression » ou que,
« en règle générale, ils consacrent un temps appréciable à
s’informer sur la source de biens et services qui coûtent cher ».
En effet, tant les recherches ultérieures que l’achat qui s’ensuit
ont lieu après que le consommateur a vu une marque.
Cette distinction est importante car, malgré ce degré d’attention accru, il peut tout de même subsister la probabilité que des
marques de commerce créent de la confusion chez le consommateur à la recherche de biens et de services onéreux. Cela dit, une
telle confusion peut se dissiper après mûre réflexion au terme
de recherches approfondies. Toutefois, cela ne veut pas dire que
le consommateur de biens onéreux ne peut bénéficier de la protection du régime des marques de commerce parce qu’il fait
preuve de prudence et de méfiance. Ce qui compte, c’est la
confusion qui naît dans son esprit lorsqu’il voit les marques de
commerce. Il ne faut pas déduire de la dissipation ultérieure de
la confusion au terme de recherches approfondies qu’elle n’a
jamais existé ou qu’elle cessera de subsister dans l’esprit du
consommateur qui n’a pas fait de telles recherches. [...]119
La Cour suprême a ainsi rappelé que le critère applicable est
celui de la première impression du consommateur et qu’il n’y a pas
lieu de considérer les recherches qu’il effectue ultérieurement pour
déterminer s’il y a confusion ou non.
Certes, le plus haut tribunal du pays n’a pas formellement
incorporé la doctrine du « initial interest confusion », et sa décision
ne s’inscrivait pas dans le contexte du Web ni dans celui sous le paragraphe 7b) de la Loi. Malgré tout, les passages précités semblent
offrir aux titulaires de marques la possibilité de présenter des arguments à l’effet qu’une confusion initiale, bien que dissipée ultérieurement, puisse être suffisante. Dès lors, il est possible de s’interroger
sur l’impact qu’aura cette décision sur les litiges en matière de marques de commerce sur le Web. Dans la mesure où le critère qui doit
être retenu est celui de « la première impression du consomma119.
Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyle Inc., précité, note 37, par. 71 et 72.
Marques de commerce et référencement payant...
1307
teur »120, la preuve de la représentation trompeuse pourrait vraisemblablement désormais être facilitée sur le Web.
4.2.4 Conclusion
Des développements précédents, il appert que la preuve de
la représentation trompeuse pourrait être facilitée dans le cadre
du référencement payant, advenant l’introduction formelle de la
doctrine du « initial interest confusion » au Canada en semblable
matière. Cette doctrine est déjà appliquée par certains tribunaux
étrangers, notamment parce qu’elle semble pouvoir remédier plus
facilement aux représentations trompeuses rencontrées sur le Web
en s’attardant davantage à la première impression du consommateur. Tel qu’exposé par le plus haut tribunal du pays, bien
qu’une confusion initiale puisse être dissipée ultérieurement, il n’en
demeure pas moins que le consommateur a été induit en erreur, et
que des dommages ont potentiellement été subis par le titulaire
d’une marque de commerce :
D’ailleurs, avant qu’elle ne soit dissipée, une telle confusion
peut amener le consommateur à rechercher, considérer ou
acheter les marchandises ou les services d’une source dont il
ignorait jusque-là l’existence ou à laquelle il ne s’était pas
auparavant intéressé, et, partant, diminuer la valeur de l’achalandage rattaché à la marque de commerce et à l’entreprise à
laquelle le consommateur croyait initialement avoir affaire en
voyant la marque de commerce. Induire ainsi le consommateur
en erreur est l’un des maux que la législation sur les marques de
commerce vise à enrayer.121 [les italiques sont nôtres]
La doctrine du « initial interest confusion » pourrait donc offrir
une solution à cette problématique. Ceci étant dit, le titulaire dont
la marque de commerce est usurpée devra malgré tout fournir une
preuve convaincante à cet effet, laquelle sera vraisemblablement
analysée avec circonspection par nos tribunaux122.
120.
121.
122.
Ibid., par. 70.
Ibid., par. 73.
Ibid., par. 78 et s. À ce jour au Canada, la preuve présentée devant les tribunaux
dans les litiges concernant la publicité sur les moteurs de recherche ne semble
pas avoir été très convaincante. Cette preuve, essentiellement constituée de
témoignages rendus par des membres du public, n’a pas été retenue dans Chocolat Lamontagne, ni dans Private Career. Dans ces deux affaires, les tribunaux
ont démontré une attitude généralement sceptique à l’égard de la preuve testimoniale qui leur était présentée, jugeant les récits présentés par les témoins peu
1308
Les Cahiers de propriété intellectuelle
CONCLUSION
Les nombreux litiges portés devant les tribunaux canadiens
confirment que l’identification d’une marchandise ou d’un service
par une marque de commerce est un actif intellectuel important qu’il
convient de protéger. En effet, les marques de commerce sont souvent l’objet de convoitise et d’usurpation par des tiers.
Si la Loi constitue généralement un outil de premier choix pour
les titulaires de marques afin de réprimer de tels abus, les principes
traditionnellement appliqués peuvent néanmoins sembler inadéquats dans le contexte du Web. Ce constat trouve d’ailleurs écho
dans les propos suivants de la Cour suprême dans l’arrêt Kirkby :
Le domaine vaste et grandissant du droit de la propriété intellectuelle traverse une période de changements profonds et rapides. Les pressions [...] de l’évolution technologique mettent à
l’épreuve ses institutions, ses classifications et, parfois, des
principes ou doctrines établis [...]. La jurisprudence tente, à
l’occasion avec difficulté, de tenir compte des conséquences de
ces grandes tendances sociales et économiques.123
Ces propos sont particulièrement pertinents en matière de référencement payant, ce type de publicité présentant des défis particuliers aux titulaires de marques de commerce souhaitant protéger
leurs actifs sur le Web, par le biais de la Loi. En effet, si les recours en
violation et en commercialisation trompeuse semblent trouver application sur cette plateforme, il n’en demeure pas moins que des
notions, telles celles de l’emploi et de la représentation trompeuse,
peuvent soulever certaines difficultés.
123.
crédibles. Voir Chocolat Lamontagne inc. c. Humeur Groupe-conseil inc., précité,
note 6, par. 114 et s. et Private Career Training Institutions Agency c. Vancouver
Career College (Burnaby) Inc., précité, note 31, par. 69 et s. Suite à la décision
rendue par la Cour suprême dans l’arrêt Masterpiece, il est permis de s’interroger quant à la place que peut occuper la preuve par sondage au Canada pour
éclairer un tribunal dans l’évaluation de la confusion. Tel que mentionné par la
Cour, les sondages sont en effet « susceptibles d’apporter une preuve empirique
des réactions des consommateurs », mais ils doivent néanmoins être utilisés
avec circonspection. À cet égard, les titulaires de marques de commerce devront
impérativement s’assurer que les résultats de sondages mis en preuve pour
démontrer la lecture que fait le public des résultats présentés par un moteur de
recherche sont suffisamment fiables et valides.
Kirkbi AG c. Gestions Ritvik Inc., précité, note 56, par. 37.
Marques de commerce et référencement payant...
1309
Au terme de notre analyse, il ressort que la Loi semble offrir
des recours limités aux titulaires de marques de commerce dont les
marques sont utilisées par un tiers dans le cadre du référencement
payant. D’abord, en ce qui a trait aux recours en violation, nous
croyons que l’emploi d’une marque en liaison avec des services pourrait possiblement être démontré sous l’article 22 de la Loi. Les titulaires de marques utilisées en liaison avec des marchandises ne
sembleraient pas quant à eux pouvoir bénéficier des recours en violation, bien que certains arguments puissent être présentés dans le
cadre d’une transaction en ligne. Ensuite, en ce qui a trait au recours
en commercialisation trompeuse, advenant que nos tribunaux introduisent plus particulièrement la doctrine du « initial interest confusion », un recours sous l’égide du paragraphe 7b) de la Loi pourrait
être invoqué, sous réserve toutefois d’une preuve convaincante à
l’effet qu’il existe un préjudice réel ou probable.
Dans le contexte du référencement payant, les recours en
dépréciation de l’achalandage et en commercialisation trompeuse
constitueront ainsi les recours les plus susceptibles d’être invoqués
par les titulaires de marques. Ces recours partagent une prémisse
commune en ce sens qu’ils visent à protéger l’achalandage rattaché à
la marque de commerce, contrairement aux articles 19 et 20 de la
Loi, qui confèrent davantage une protection à la marque per se.
Aussi, l’utilisation de la marque d’un tiers dans le cadre du référencement payant ne sera vraisemblablement sanctionnée que lorsque
les agissements seront contraires aux principes de libre concurrence.
Cette position nous semble être conforme au fondement même du
droit des marques de commerce. En effet, il convient de s’assurer de
« ne pas créer une zone d’exclusivité et de protection allant au-delà
de l’objet du droit des marques de commerce »124. S’il est important
de considérer le droit qu’a le propriétaire de la marque de commerce
de protéger son investissement dans la marque, il ne faut pas pour
autant perdre de vue les « intérêts du public et des autres commerçants, [ainsi que] des avantages d’une concurrence ouverte »125.
124.
125.
Mattel, inc. c. 3894207 Canada inc., précité, note 67, par. 22.
Ibid.
Vol. 23, no 3
L’art et la propriété
intellectuelle
Jacques de Werra*
1. L’ART ET LE DROIT D’AUTEUR . . . . . . . . . . . . . 1315
1.1 L’œuvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1315
1.1.1 Création de l’esprit . . . . . . . . . . . . . . . 1316
1.1.2 L’appartenance au domaine littéraire
ou artistique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1317
1.1.3 L’individualité de l’œuvre . . . . . . . . . . . 1319
1.2 L’auteur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1323
1.2.1 La notion d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . 1323
1.2.2 L’auteur et l’artiste-interprète . . . . . . . . . 1325
1.3 Les droits d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1327
© Jacques de Werra, 2011.
* Professeur ordinaire de droit de la propriété intellectuelle et de droit des obligations à la Faculté de droit de l’Université de Genève, LL.M. Columbia Law School.
La présente contribution qui présente la thématique sous l’angle du droit suisse
avec des perspectives de droit comparé constitue une version actualisée et traduite
en français du chapitre « Kunst und Immaterialgüterrecht » parue dans l’ouvrage
collectif « Kultur Kunst Recht », MOSIMANN (Peter) et al. (éd.) (Bâle : Helbing &
Lichtenhahn, 2009), <http://www.helbing.ch/>.
1311
1312
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.3.1 Portée et limites du droit d’auteur . . . . . . . 1327
1.3.2 Les droits patrimoniaux . . . . . . . . . . . . 1331
1.3.3 Le droit moral . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1332
1.3.3.1
Droit de divulgation . . . . . . . . . 1332
1.3.3.2
Droit de paternité. . . . . . . . . . . 1333
1.3.3.3
Droit à l’intégrité de l’œuvre . . . . . 1341
1.4 Les limites de la protection . . . . . . . . . . . . . . 1346
1.4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1346
1.4.2 Conflit entre le droit d’auteur et
la liberté de l’art . . . . . . . . . . . . . . . . 1347
1.4.3 L’exception de citation . . . . . . . . . . . . . 1350
1.4.4 L’exception de parodie . . . . . . . . . . . . . 1352
1.4.5 L’exception pour les catalogues de musées,
d’expositions et de ventes aux enchères . . . . 1353
1.4.6 L’exception de la liberté de panorama . . . . . 1354
1.5 Actes de disposition du droit d’auteur . . . . . . . . 1355
1.5.1 Cession du droit d’auteur. . . . . . . . . . . . 1355
1.5.2 Gestion individuelle et gestion collective
des droits d’auteur . . . . . . . . . . . . . . . 1357
1.5.3 Création dépendante et droit d’auteur . . . . 1358
1.5.4 Transmission du droit d’auteur
par succession . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1361
1.6 Relation entre le droit d’auteur sur l’œuvre et le
droit de propriété sur l’exemplaire matériel
de l’œuvre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1362
L’art et la propriété intellectuelle
1313
1.7 Droit d’auteur et exploitation des œuvres
numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1365
2. L’ART ET LE DROIT DES MARQUES. . . . . . . . . . . 1372
2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1372
2.2 La fonction d’identification de la signature
artistique et de la marque . . . . . . . . . . . . . . . 1375
2.3 L’utilisation du droit des marques en matière
artistique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1377
2.4 La portée de la protection du droit des marques . . . 1382
2.5 Les limites de la protection . . . . . . . . . . . . . . 1387
3. L’ART ET LE DROIT DU DESIGN . . . . . . . . . . . . . 1390
4. L’ART ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE
DÉLOYALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1392
4.1 Le rôle du droit de la concurrence déloyale . . . . . . 1392
4.2 Les limites du droit de la concurrence
déloyale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1394
Bien que la relation entre l’art et le droit de la propriété intellectuelle appelle principalement une analyse du droit d’auteur dès
lors que ce domaine du droit a précisément pour but de protéger les
œuvres littéraires et artistiques (voir ci-dessous, 1), il convient d’étudier d’autres domaines du droit de la propriété intellectuelle qui sont
également susceptibles de jouer un certain rôle dans le contexte de
l’art. Ainsi est-il utile de présenter le droit des marques (voir ci-dessous, 2), le droit du design (voir ci-dessous, 3) et le droit de la concurrence déloyale (voir ci-dessous, 4)1.
1. L’ART ET LE DROIT D’AUTEUR
1.1 L’œuvre
Pour être protégée, l’œuvre doit constituer une création de
l’esprit appartenant au domaine littéraire ou artistique et avoir un
caractère individuel (art. 2, al. 1 LDA)2.
1. Il n’apparaît pas nécessaire de consacrer un chapitre au droit des brevets, même si
l’on peut constater, à titre anecdotique, que certains artistes ont recouru au droit
des brevets pour protéger leur création; ainsi, l’artiste Yves Klein a déposé un brevet pour un « procédé de décoration ou d’intégration architecturale et produits
obtenus par l’application dudit procédé » en 1960 ; sur ces questions et, plus généralement, sur l’évolution de l’art vers une approche industrielle (dans laquelle l’artiste ne crée pas mais invente), voir l’intéressant ouvrage de SEMIN (Didier), Le
peintre et son modèle déposé (Genève : Les presses du réel, 2001) et, sous l’angle
juridique, l’article de TREPPOZ (Edouard), « Quelle(s) protection(s) juridique(s) pour
l’art contemporain ? », (2004) 209 Revue internationale du droit d’auteur 51, particulièrement 57 et s. ; pour une autre utilisation récente du droit des brevets en
matière architecturale, voir le brevet européen EP 1455033 délivré le 4 janvier
2006 et le brevet américain US 7,237,361 correspondant délivré le 3 juillet 2007
dont l’architecte suisse Hans Zwimpfer est titulaire, l’invention portant sur un
concept architectural (« Wohnhaus mit gestafelten Geschosswohnungen »/ « bâtiment d’habitation avec des étages échelonnés ») désigné par le terme « Pile Up », ces
termes faisant l’objet de marques (voir la marque suisse combinée CH 502104
« ZWIMPFER PILE UP » enregistrée le 14 août 2002 et la marque verbale CH
561830 « PILE UP » enregistrée le 5 septembre 2007) ; pour une présentation, voir
le site <www.zapco.ch> ; pour une critique de ce brevet, voir MOSIMANN (Peter),
« Architektur und Patentschutz », Jusletter 23 juillet 2007.
2. Loi fédérale suisse sur le droit d’auteur et les droits voisins du 9 octobre 1992, RS
231.1 (accessible à : <http://www.admin.ch/ch/f/rs/c231_1.html>).
1315
1316
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.1.1 Création de l’esprit
En définissant l’œuvre comme une « création de l’esprit » (art. 2,
al. 1 LDA), la loi exige un acte créatif d’un être humain, ce que
confirme le principe du créateur consacré à l’art. 6 LDA (en vertu
duquel la personne physique qui a créé l’œuvre est titulaire originaire du droit d’auteur). Ainsi, les créations protégeables par le droit
d’auteur doivent avoir leur source dans l’esprit humain, peu importe
à cet égard que l’esprit dans lequel la création a germé et duquel elle
s’est exprimée était défaillant ou même inconscient au moment de
l’acte créatif3. A contrario, des créations faites par des animaux ne
pourront pas être protégées par le droit d’auteur.
La question pourrait paraître plus délicate pour ce qui concerne
les créations effectuées au moyen d’un ordinateur. Toutefois, il est
évident que l’ordinateur ne pourra fonctionner et donc créer que
sur la base d’instructions données par une ou plusieurs personnes
humaines. Dans ces circonstances, même dans le cas où la programmation serait fondée sur un processus aléatoire, on doit admettre
que les créations qui résulteraient de l’application de ce processus
sont des créations de l’esprit4. De manière similaire, des créations
artistiques dans lesquelles une part serait volontairement laissée au
hasard par l’artiste ne seraient pas exclues de la protection par ce
simple fait.
Par contre, l’existence d’une création de l’esprit sera incertaine
en cas de simple découverte d’un objet dans la nature par un artiste,
même si un tel objet devait ensuite être présenté comme de l’art5.
Dans une telle hypothèse, on peut en effet douter qu’il y ait effective-
3. Ainsi les créations des mineurs, des incapables de discernement, des interdits, des
personnes souffrant de maladies mentales sont des créations de l’esprit potentiellement protégeables par le droit d’auteur, voir VON BÜREN (Roland) et al., « Der
Werkbegriff », VON BÜREN (Roland) et al. (éd.), Schweizerisches Immaterialguter- und Wettbewerbsrecht, Bd. II/1, (Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2006), 51, 63;
sur cette question, voir plus généralement SCHWEIZER (Laurent), Le statut des
œuvres d’art créées en établissement psychiatrique, thèse Lausanne, (Zurich :
Schulthess, 1996) (volume no 7 des Études en droit de l’art).
4. VON BÜREN/MEER, 64 s. et 106 ss.
5. VON BÜREN/MEER, 64 particulièrement note 8 ; contra: KUMMER (Max), Das
urheberrechtlich schützbare Werke, (Berne : Stämpfli, 1968), 103 et DESSEMONTET (François), Le droit d’auteur, (Lausanne : CEDIDAC, 1999) (cité : DESSEMONTET, Droit d’auteur), no 167, 118 (qui envisage de reconnaître une individualité dans le processus de sélection des objets).
L’art et la propriété intellectuelle
1317
ment une création de l’esprit6. Il devrait en aller de même pour ce qui
concerne les œuvres du « ready made ». Dans un cas comme dans
l’autre en effet, le processus de présentation d’un objet naturel ou
quotidien dans un contexte artistique ne suffit pas à en faire une
création de l’esprit7. Par contre, l’utilisation de matériaux préexistants dans le but de concevoir une œuvre artistique nouvelle n’empêchera pas de reconnaître le statut de « création de l’esprit » de
l’œuvre ainsi créée8.
1.1.2 L’appartenance au domaine littéraire ou artistique
Selon la loi, une œuvre peut être protégée par le droit d’auteur,
lorsque celle-ci appartient au domaine littéraire ou artistique9. Toutefois, la condition de l’appartenance de l’œuvre au domaine artistique peut être délicate à apprécier dans un cas particulier car cette
question soulève celle de la définition de l’art comme tel. Or, la loi
interdit précisément de juger de la valeur artistique d’une œuvre
pour apprécier sa protection éventuelle par le droit d’auteur10. Ainsi,
la loi protégera autant les chefs d’œuvre que les œuvres de seconde
6.
En tout état, même à supposer qu’on puisse admettre l’existence d’une création
de l’esprit, il paraît très douteux qu’une telle création soit individuelle au sens du
droit d’auteur, sur cette question, voir ci-dessous 1.1.3.
7. Dans ce sens, voir VON BÜREN/MEER, 105; SCHACK (Haimo), Kunst und
Recht: bildende Kunst Architektur Design und Fotografie im deutschen und internationalen Recht, 2e édition (Tübingen: Mohr Siebeck, 2009) (cité : SCHACK,
Kunst), no 17, 10; moins catégorique: DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 167,
118; une telle démarche avait notamment été suivie par l’école du nouveau réalisme, voir la Déclaration constitutive du Nouveau Réalisme (proclamant « Nouveau Réalisme nouvelles approches perceptives du réel »), signée par Arman,
François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Daniel Spoerri, Jean Tinguely, Jacques Villeglé dans l’atelier d’Yves Klein le 27 octobre 1960.
8. On peut ainsi songer à certaines œuvres de l’artiste César (César Baldaccini)
ayant compressé nombre de carcasses de voitures pour en faire des œuvres
d’art (par un processus de « compression dirigée ») ; pour d’autres exemples,
voir STUDER (Peter), « Die Kunstfreiheit und ihre Grenzen – Urheberrecht, Personlichkeitsrecht, unlauterer Wettbewerb », Ehrenzeller Bernhard (éd.), Das
schwierige Geschäft mit der Kunst, (Saint-Gall : Institut für Rechtswissenschaft
und Rechtspraxis, 2003), 9 ss; pour une approche plus libérale vis-à-vis de nouvelles catégories d’œuvres, voir GLAUS (Bruno) et al., Kunstrecht: ein Ratgeber
für Künstler, Sammler, Galeristen, Kuratoren, Architekten, Designer, Medienschaffende und Juristen, (Zürich : Schulthess, 2003), 24 ss.
9. L’art. 1 al. 1 let. a LDA dispose que la loi règle « la protection des auteurs d’œuvres littéraires et artistiques » et l’art. 2, al. 1 LDA définit l’œuvre comme « toute
création de l’esprit, littéraire ou artistique, qui a un caractère individuel ».
10. Art. 2 al. 1 LDA.
1318
Les Cahiers de propriété intellectuelle
catégorie11, que celles-ci soient douteuses, vulgaires ou – même –
choquantes12.
Sur cette base, on s’accorde généralement à admettre que la
condition de l’appartenance au domaine littéraire13 ou artistique
posée par la loi ne doit pas être conçue trop restrictivement14.
En effet, on ne saurait permettre aux tribunaux de décider librement
et subjectivement si une création donnée appartient ou non au
domaine artistique15. On pourra en particulier admettre que cette
condition de l’appartenance au domaine artistique sera donnée si
l’auteur de l’œuvre considère lui-même que sa création relève du
domaine artistique16. Dans ce cadre, la présentation de l’œuvre dans
un contexte artistique (par exemple dans une exposition) pourra
constituer un indice démontrant le caractère artistique de l’œuvre
concernée17, même si l’on ne doit pas confier uniquement à l’artiste le
soin de décider ce qui constitue de l’art, et ce qui, partant, pourrait
être protégé par le droit d’auteur18. En fin de compte, la condition du
caractère littéraire ou artistique d’une création sera appliquée souplement et ne sera en pratique pas déterminante sous l’angle du
droit d’auteur, au contraire de la condition essentielle de l’individualité de l’œuvre.
11. ATF 105 II 297, 299; JdT 1980 I 261, 271; DESSEMONTET, Droit d’auteur,
no 161, 110.
12. TF, [1998] Sic! 388, 389 consid. 3c; certaines sanctions juridiques pourront toutefois résulter du caractère contraire aux mœurs des œuvres concernées, voir
DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 161, 111.
13. L’appartenance au domaine littéraire est quant à elle moins sujette à discussion
ou à interprétation, voir VON BÜREN/MEER, 74.
14. CHERPILLOD (Ivan), « art. 2 LDA », Müller (Barbara)/Oertli (Reinhard) (éd.),
Stampflis Handkommentar, Urheberrechtsgesetz (URG), (Berne: Stämpfli, 2006),
no 10-11.
15. VON BÜREN/MEER, 74; voir déjà les célèbres réflexions du juge Holmes dans
l’arrêt de la Cour suprême américaine Bleistein v. Donaldson Lithographics Co.,
188 U.S. 239, 251 (1903) « It would be a dangerous undertaking for persons trained only to the law to constitute themselves final judges of the worth of pictorial
illustrations, outside of the narrowest and most obvious limits ».
16. Certains auteurs parlent dans ce contexte de « Schutzwille » de l’auteur, voir
VON BÜREN/MEER, 75, ce qui semble aller trop loin; ce qui est déterminant en
effet, ce n’est pas tant la volonté de l’artiste de protéger juridiquement sa création, mais plutôt celle de faire acte de création dans le domaine artistique (ce qui
pourrait peut-être être exprimé par le terme « Kunstwille »).
17. Une telle présentation ne constitue toutefois pas une nouvelle condition de protection, mais bien un indice permettant le cas échéant de déduire que la création
concernée relève du domaine artistique, voir VON BÜREN/MEER, 75, note 79 ;
CHERPILLOD (Ivan), L’objet du droit d’auteur, thèse Lausanne 1985 (cité
CHERPILLOD, Objet), 123 ss.
18. La doctrine notant avec raison que des œuvres peuvent être protégeables même
en cas de créations inconscientes faites par un auteur, SCHACK, Kunst, no 5, 6 ;
voir ATF 116 II 351, JdT 1991 I 616.
L’art et la propriété intellectuelle
1319
1.1.3 L’individualité de l’œuvre
En vertu de l’art. 2, al. 1 LDA, la protection du droit d’auteur
est soumise à la condition que l’œuvre ait un caractère individuel19.
La notion de caractère individuel ou d’individualité signifie que la
protection ne pourra naître que pour des œuvres exprimant un
niveau de créativité suffisant pour justifier l’octroi des droits exclusifs consacrés par le droit d’auteur. Le niveau d’individualité requis
ne sera pas apprécié de manière uniforme, mais dépendra au contraire des circonstances du cas particulier, et tout spécifiquement de
la marge de liberté créatrice laissée à l’auteur. Ainsi, lorsque cette
marge de liberté sera réduite compte tenu des contingences liées à la
nature de la création en cause, la protection pourra être accordée
même s’il n’y a qu’un faible degré d’activité créatrice20. Tel pourra
ainsi être le cas en matière d’œuvres architecturales ou d’autres
types d’œuvres à destination fonctionnelle (comme les logiciels)21.
L’originalité (soit l’individualité) peut être conçue comme la « marque de l’arbitraire de l’auteur »22, la forme de l’œuvre ne méritant
protection « que si elle est arbitraire, c’est-à-dire si elle est séparable
de la fonction qu’elle remplit »23.
Selon la jurisprudence24, le caractère individuel doit s’exprimer
dans l’œuvre elle-même. L’originalité ne doit dès lors pas dépendre
de la mesure dans laquelle l’œuvre reflète la personnalité de son
auteur ou reproduit l’empreinte personnelle de ce dernier25. Aussi
doit-on parler d’individualité liée à l’œuvre comme telle et non d’individualité liée à l’auteur26. Pour établir cette individualité, on peut se
19. Pour une intéressante discussion de cette condition, voir SOMMER (Brigitte I.)
et al., « Individualität im Urheberrecht – einheitlicher Rechtsbegriff oder
Rechtsunsicherheit » [2001] Sic! 287.
20. ATF 130 III 168, 170, JdT 2004 I 285, 287 ; voir déjà ATF 125 III 328, 331 (« Il ne
convient pas de mesurer l’individualité ou l’originalité de chaque création à la
même aune; au contraire, la liberté de manœuvre du créateur doit entrer en ligne
de compte. Lorsque cette liberté est restreinte, une activité indépendante réduite
suffira à fonder la protection; il en va notamment ainsi pour les œuvres d’architecture en raison de leur usage pratique et des contraintes techniques qu’elles
doivent respecter »).
21. Étant précisé que la destination fonctionnelle d’une œuvre n’exclut pas sa protection par le droit d’auteur en vertu de l’art. 2, al. 1 LDA.
22. LUCAS (André) et al., Traité de la propriété littéraire et artistique, 3e éd., (Paris :
Litec, 2006), n° 97, 84 s.
23. Ibid.
24. ATF 130 III 172, JdT 2004 I 289.
25. ATF 130 III 172, JdT 2004 I 289.
26. ATF 130 III 172 (« Massgebend ist die Werk-Individualität und nicht die Urheber-Individualität ») ; pour une approche contraire sous l’angle du droit allemand,
voir SCHACK, Kunst, no 14, 11.
1320
Les Cahiers de propriété intellectuelle
fonder sur le test de l’unicité statistique (« statistische Einmaligkeit ») formulé par Kummer27 auquel la jurisprudence se rallie28.
Dans ce cadre, on doit être conscient que la nouveauté de la création
concernée ne sera pas suffisante. Encore faut-il en effet que celle-ci
soit jugée suffisamment créative pour pouvoir être qualifiée d’individuelle au sens du droit d’auteur. Pour juger de cette individualité, on
sera ainsi amené à comparer la création en cause avec d’autres
œuvres existantes ou hypothétiques (selon le concept de l’individualité relative ou comparée)29, afin de déterminer si la création
concernée est suffisamment originale compte tenu de la marge de
manœuvre créatrice dont pouvait disposer l’auteur30.
Par opposition, le processus (potentiellement artistique) ayant
conduit à la création de l’œuvre et les efforts intellectuels fournis
dans ce cadre par l’auteur ne pourront pas en soi justifier la reconnaissance d’un caractère individuel à l’œuvre concernée31. Dans
cette mesure, l’appréciation du caractère individuel de l’œuvre devra
se déterminer sur la base du seul résultat obtenu (soit de l’œuvre
elle-même)32. Sur ce fondement, une photographie d’un chanteur
prise sur le vif (live) lors d’un concert (par un instantané) pourra être
protégeable33 nonobstant l’absence d’un processus intellectuel de
préparation de la prise de vue (l’individualité pouvant résulter en
particulier du cadrage et de la sélection du moment de la prise), alors
qu’une photographie mise en scène et posée ne sera pas nécessairement protégeable si aucune individualité ne résulte de cette photographie comme telle34.
Le fait que le résultat obtenu puisse avoir été (partiellement)
déterminé par le hasard n’empêchera d’ailleurs pas d’admettre
27. KUMMER, 30 ss; voir aussi HEIM (Elmar), Die statistische Einmaligkeit im
Urheberrecht de lege lata et de lege ferenda, thèse Fribourg 1971.
28. ATF 130 III 172, JdT 2004 I 289.
29. DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 169 ss, 119.
30. ATF 125 III 331 (« Aussi, pour obtenir la protection du droit d’auteur, l’architecte
ne doit-il pas créer quelque chose d’absolument nouveau, mais il peut se contenter d’une création qui est seulement relativement et partiellement nouvelle. La
LDA n’accorde toutefois pas sa protection à l’architecte lorsqu’il procède à un
simple apport artisanal par la combinaison et la modification de formes et de
lignes connues ou lorsqu’il n’y a pas place pour une création individuelle dans les
circonstances de l’espèce »).
31. DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 54 s., 36 s., indiquant que « la démarche du
créateur est indifférente »; voir aussi CHERPILLOD, Objet, 42 ss.
32. CHERPILLOD, Objet, 42 ss. ; DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 55, 37.
33. ATF 130 III 168, JdT 2004 I 285 (photographie de Bob Marley lors d’un concert).
34. ATF 130 III 714, JdT 2004 I 281 (photographie mise en scène de Christoph Meili
présentant des documents bancaires dans le cadre de l’affaire de l’or des nazis).
L’art et la propriété intellectuelle
1321
l’individualité de l’œuvre créée, ce qui pourra être le cas dans certains courants artistiques (notamment l’Action Painting)35. La protection sera par contre parfois plus délicate à admettre pour les
œuvres créées dans le cadre de courants artistiques hyperréalistes,
dans lesquels l’objectif sera de copier la réalité de la manière la plus
fidèle possible36. Certains tribunaux ont néanmoins considéré que le
travail du copiste pouvait donner prise au droit d’auteur37, ce qui
paraît douteux, le travail du copiste – aussi admirable qu’il soit sur le
plan technique – ne semblant pas pouvoir atteindre un niveau suffisant d’individualité38.
La question pourra être plus complexe pour ce qui concerne
les travaux effectués par des restaurateurs d’objets d’art. Dans la
mesure où ces travaux se limitent à remettre les objets concernés
dans leur état originaire, il sera délicat d’admettre que le restaurateur puisse bénéficier d’un droit d’auteur39. Toutefois, il n’est pas
exclu qu’un tel droit puisse être exceptionnellement admis dans des
circonstances où le restaurateur jouirait d’une marge de liberté créatrice dans l’accomplissement de son travail40.
Face à certains courants d’art contemporain, la question pourra
parfois être de déterminer ce qui constitue l’œuvre potentiellement
protégeable, ce afin de ne pas indûment réduire la protection (et
35. VON BÜREN/MEER, 106 ; l’expression de l’Action Painting a été inventée par le
critique d’art américain Harold Rosenberg (voir par exemple son article « The
American Action Painters », publié in : (1961) 1(4) The London Magazine 45-56)
et dont le plus illustre représentant est le peintre Jackson Pollock (1912-1956).
36. VON BÜREN/MEER, 105 ; SCHACK, Kunst, no 17, 10, se référant en particulier
aux sculptures à taille réelle de l’artiste américain Duane Hanson; voir toutefois
Alfred Bell v. Catalda Fine Arts, Inc., 191 F.2d 99 (2d Cir. 1951).
37. Voir l’arrêt de la Cour de cassation française du 9 novembre 1993, (1994), 161
RIDA, 273 (pour qui « [l]es copies d’œuvres d’art plastique jouissent de la protection instituée par le Code de la propriété intellectuelle dès lors qu’exécutées de la
main même de leur auteur, elles portent l’empreinte de sa personnalité, malgré le
caractère relatif d’une telle originalité ») ; une telle protection ne libérera naturellement pas de l’obligation de respecter les droits sur l’œuvre préexistante, s’agissant alors de la création d’une œuvre dérivée, sur cette question, voir infra 1.3.3.
38. Pour une discussion, voir LUCAS/LUCAS, n° 132, 118 s.
39. Voir dans ce sens, concernant le travail de restauration d’une œuvre cinématographique, Cour d’appel de Paris, 5 octobre 1994, (1995) 166 RIDA 302.
40. Sur la question, voir en général l’ouvrage collectif « La restauration des objets
d’art », vol. 6 des Études en droit de l’art, (Zurich : Schulthess 1995) et plus spécifiquement les contributions respectives de DREIER (Thomas), COHEN (Dany) et
FRY (Robin) figurant dans cet ouvrage; voir aussi SCHACK, Kunst, no 474, 231;
pour une approche plus favorable aux restaurateurs, voir MANDEL (Reid A.),
« Copyrighting Art Restorations », (1981) 28 Bulletin of the Copyright Society of
the USA 273.
1322
Les Cahiers de propriété intellectuelle
focaliser son attention) sur le substrat matériel de l’œuvre et de prêter également attention au concept ayant précédé la création de
la version finale de l’œuvre41. Ainsi, les créations de l’art conceptuel sont susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur dans la
mesure où elles reposent sur des instructions précises données par
l’artiste sur la mise en œuvre et sur l’application du concept artistique ainsi créé42.
Par cette évolution de certains mouvements artistiques vers
l’abstraction et le conceptuel, resurgit naturellement avec une
grande acuité la question de la limite de la protection du droit d’auteur sous l’angle de la dichotomie classique en droit d’auteur entre la
liberté des idées et la protection de l’expression43. On s’accorde à
admettre que les idées et concepts artistiques ne sont pas protégeables44. Ainsi, le célèbre concept de l’artiste Christo (et de sa compagne Jeanne Claude)45 d’empaqueter des monuments construits
ou naturels n’est pas protégeable comme tel. Par contre, la réalisation concrète d’un projet d’emballer un monument (notamment le
Pont- Neuf à Paris46 ou le Reichstag à Berlin)47 est protégeable par le
droit d’auteur. Comme déjà souligné, il conviendra toutefois de gar41. Voir les réflexions de REUTTER (Mark A.), « Plädoyer für einen differenzierten
Umgang mit dem urheberrechtlichen Werkbegriff der bildenden Kunst », Liber
Amicorum Kurt Siehr, (Zurich : Schulthess, 2001), 175 ss, concernant en particulier l’œuvre conceptuelle de Richard Long (www.richardlong.org), créateur de
« sculptures by walking »; voir sur ces questions (même si cette contribution n’a
naturellement pas pu tenir compte des dernières évolutions artistiques depuis
les années 80), VISCHER (Frank), « Neue Tendenzen in der Kunst und das
Urheberrecht », Recht und Wirtschaft heute, Festgabe Max Kummer, (Berne :
Stämpfli, 1980), 277-289.
42. VON BÜREN/MEER, 104 s.
43. Ceci étant exprimé de manière limpide dans l’arrêt Rogers v. Koons à propos de la
reprise de la photographie de Richard Rogers par Jeff Koons, 960 F.2d 301, 308
(2nd Cir. 1992) (« We recognize that ideas, concepts, and the like found in the
common domain are the inheritance of everyone. What is protected is the original
or unique way that an author expresses those ideas, concepts, principles or processes. Hence, in looking at these two works of art to determine whether they are
substantially similar, focus must be on the similarity of the expression of an idea
or fact, not on the similarity of the facts, ideas or concepts themselves. [...]. It is
not therefore the idea of a couple with eight small puppies seated on a bench that
is protected, but rather Rogers expression of this idea – as caught in the placement, in the particular light, and in the expressions of the subjects – that gives
the photograph its charming and unique character, that is to say, makes it original and copyrightable »), voir à ce sujet <www.ncac.org/art-low/op-rog.cfm>.
44. SCHACK, Kunst, no 11, 9.
45. <www.christojeanneclaude.net>.
46. Cour d’appel de Paris, 13 mars 1986, Dalloz 1987 Sommaire commenté, 150,
observations COLOMBET.
47. BGH, [2002] GRUR 605, traduit à (2003), 198 RIDA, 317, note WALRAVENS.
L’art et la propriété intellectuelle
1323
der à l’esprit que l’on doit s’abstenir de systématiquement considérer
qu’en matière d’œuvres des beaux-arts, l’œuvre protégeable est seulement celle qui a été concrètement réalisée, car on doit aussi examiner si d’autres éléments sont également susceptibles de protection
(par exemple des esquisses et projets intermédiaires, ou plus fondamentalement certaines expressions plus abstraites du concept
artistique)48.
La question du caractère protégeable d’une œuvre (et tout spécialement celle de savoir si l’individualité de celle-ci est suffisante) se
posera naturellement à propos de copies contre la commercialisation
desquelles l’artiste ou ses ayants droit tenteront de faire valoir la
violation du droit d’auteur. Dans ce cadre, on peut considérer que
l’étendue de la protection pourra varier en fonction de l’individualité
(soit de la créativité respective) des œuvres concernées49. Ainsi,
même à supposer que l’existence d’un droit d’auteur puisse être
admise sur l’œuvre prétendument copiée, cela ne signifiera pas
encore que toute copie même éloignée de l’original pourra être interdite50, cette question relevant alors de la distinction (délicate) entre
œuvre dérivée et libre utilisation et de l’application éventuelle d’autres exceptions du droit d’auteur51.
1.2 L’auteur
1.2.1 La notion d’auteur
L’œuvre est la création d’une ou de plusieurs52 personne(s)
physique(s)53. L’auteur détient alors les droits d’auteur à titre originaire et peut en disposer en faveur d’un tiers (sous réserve de certains droits incessibles)54. Seule la personne qui a fait véritablement
acte de création peut revendiquer le statut d’auteur et partant jouir
48. Voir REUTTER, 183 ; étant noté que l’art. 2, al. 4 LDA réserve expressément la
protection des projets; voir aussi TREPPOZ, 93 ss; se référant à l’arrêt de la Cour
d’appel de Paris dans l’affaire du Pont-Neuf selon lequel « c’est l’idée de mettre en
relief la pureté des lignes d’un pont et de ses lampadaires au moyen d’une toile et
de cordage » qui constitue l’œuvre protégée, et soulignant cette évolution vers une
protection de l’idée allant au-delà de la protection de l’expression.
49. DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 170, 119.
50. Pour une application différenciée de la protection du droit d’auteur en matière
d’œuvres des beaux-arts, voir GLAUS/STUDER, 25 s.
51. Sur cette question, voir 1.3.1.
52. Sur cette question, voir infra texte accompagnant la note 59.
53. Comme vu plus haut, voir supra 1.1.1, ceci résulte de la notion d’œuvre comme
création de l’esprit.
54. Sur cette question, voir infra 1.5.1.
1324
Les Cahiers de propriété intellectuelle
des droits exclusifs découlant de ce statut. En matière des beauxarts, la question s’est posée par rapport à certaines créations artistiques réalisées par des artistes en collaboration avec leurs auxiliaires. La distinction devra ainsi être opérée entre le travail créatif qui
serait exécuté par un tel auxiliaire qui pourra alors revendiquer le
statut de co-auteur et les tâches d’exécution (non créatives) qui ne
conféreront aucun droit exclusif à celle-ci. Par contraste, un artiste
ne pourra revendiquer le statut d’auteur lorsque sa contribution se
limite à l’indication du sujet et de directives générales, sans que cet
artiste n’ait participé à la création de l’œuvre comme telle qui sera
réalisée par un tiers55.
De même, celui qui ne fera que donner des idées ou des directives générales à un artiste en vue de la création d’une œuvre (par
exemple la personne qui commande une œuvre) ne pourra revendiquer le statut de co-auteur dans la mesure où de telles idées ou directives ne sont pas protégeables par le droit d’auteur56.
Dans une fameuse affaire concernant des sculptures exécutées
par Richard Guino, un élève d’Auguste Renoir, les tribunaux français ont ainsi constaté que Guino pouvait revendiquer le statut de
co-auteur dès lors qu’il avait pu jouir d’une liberté créatrice dans son
travail en dépit des instructions données par Auguste Renoir57. À cet
égard, le fait que l’artiste qui donne des instructions se réserve un
droit de contrôle sur l’œuvre créée par un tiers (son élève) sur ses instructions ne paraît pas suffisant pour admettre le statut de co-auteur
d’un tel artiste58.
La loi prévoit un régime particulier en matière d’œuvres collectives (soit d’œuvres créées par plusieurs coauteurs) qui pose le
principe de l’unanimité des co-auteurs. Les co-auteurs sont toutefois
55. Voir Oberlandesgericht Düsseldorf, [2004] Zeitschrift für Urheberrecht und
Medienrecht (ZUM) 71, 73 (sculpture réalisée par une élève de Joseph Beuys).
56. SCHACK, Kunst, no 239, 116 et no 451, 221.
57. Voir Cour de cassation, Recueil Dalloz 1974, 533, relevant que la comparaison
entre les œuvres du maître et les sculptures réalisées par l’élève « révélait que
certaines attitudes, certaines expressions avaient été acceptées et non dictées
par Renoir et marquaient l’empreinte du talent créateur personnel de Guino »
(Dalloz 1974, 533).
58. Voir, dans ce sens, l’arrêt de la Cour de cassation française, Dalloz 2006 (Jurisprudence) 1116, définissant « l’auteur effectif » comme « celui qui réalise ou exécute personnellement l’œuvre ou l’objet » ; voir cependant Tribunal de Grande
Instance de Paris, concernant le peintre Vasarely, Dalloz 1984 Informations
Rapides (IR) 286, retenant comme déterminant pour admettre la création collective le fait que le peintre s’était réservé la faculté de corriger et d’approuver
l’œuvre créée par le tiers.
L’art et la propriété intellectuelle
1325
libres d’en décider autrement et restent en mesure d’exploiter individuellement leur propre contribution à l’œuvre collective (pour
autant qu’elle soit séparable) à la condition que cela ne porte pas préjudice à l’exploitation de l’œuvre collective59.
1.2.2 L’auteur et l’artiste-interprète
À la différence de l’auteur, l’artiste-interprète qui doit être une
personne physique60 ne crée pas de nouvelle œuvre, mais se limite
seulement à exécuter une œuvre préexistante, que celle-ci soit ou
non protégée par le droit d’auteur61. La protection du droit voisin de
l’artiste-interprète ne se justifie donc pas par la créativité de sa prestation, mais par l’activité de communication d’une œuvre au public
(« Werkvermittlung »)62, cette activité devant toutefois relever du
domaine artistique et ne pas être de nature purement technique63.
Dans cette perspective, l’artiste-interprète n’est par principe pas
l’auteur d’une œuvre dérivée au sens de l’art. 3 L.D.A.64. Toutefois, il
conviendra d’examiner dans le cas concret s’il s’agit de protéger
la prestation d’un artiste interprète ou celle d’un auteur d’œuvre
dérivée. La question est discutée dans le domaine du théâtre à propos de la prestation des metteurs en scène, mais peut également survenir dans le domaine musical (en matière d’interprétations libres
d’œuvres ou d’improvisations). En ce qui concerne le domaine artistique, la question du type de protection juridique pourrait ainsi
se poser en matière d’happenings pour lesquels des indications
auraient été préalablement données par l’artiste créateur du happening à l’attention des participants65. Ainsi conviendra-t-il de déterminer si les participants au happening sont des exécutants d’une
œuvre et jouissent ainsi du droit voisin des artistes-interprètes.
S’agissant de la relation entre le droit d’auteur et le droit des
artistes-interprètes, on considère généralement que la protection du
droit d’auteur doit se voir reconnaître une certaine priorité et ne doit
59.
60.
61.
62.
63.
Art. 7, al. 3 LDA.
Art. 33, al. 1 LDA.
DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 548, 402.
DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 548, 402 ; MOSIMANN, 344.
Art. 33, al. 1 LDA se référant, outre celui qui exécute une œuvre, à celui qui « participe sur le plan artistique à l’exécution d’une œuvre ».
64. MOSIMANN, 344.
65. Voir l’affaire dans laquelle la protection par le droit d’auteur a été admise en
faveur de celui qui avait défini les principes du happening consistant à représenter le tableau de Jérome Bosch « der Heuwagen », BGH, [1985] GRUR 529.
1326
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ainsi pas être affectée par la protection du droit des artistes-interprètes66. Cette approche peut se justifier par le fait que l’œuvre exécutée est préexistante et qu’elle est à ce titre – ainsi que l’auteur de
celle-ci – livrée aux artistes-interprètes. Il appartient dès lors à ces
derniers d’interpréter de manière fidèle (« Werktreue ») l’œuvre dont
l’exécution leur a été confiée, les artistes-interprètes ayant pour rôle
de communiquer les œuvres au public et non pas d’en créer de nouvelles.
À la différence du droit d’auteur, les droits des artistes-interprètes sont énumérés exhaustivement dans la loi67. Grâce à la mise
en œuvre du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et
les phonogrammes (WPPT) en droit suisse, les artistes-interprètes
bénéficient d’un droit moral ancré dans la LDA mais toujours partiellement fondé sur le droit de la personnalité (art. 28 CC)68, la protection de leurs intérêts extra-patrimoniaux découlant jusqu’alors
directement et uniquement du Code civil69.
Par l’art. 38 LDA, les chapitres IV et V du titre deuxième de la
loi (régissant le droit d’auteur) respectivement consacrés au transfert des droits et à l’exécution forcée et aux restrictions au droit d’auteur – en plus d’autres dispositions spécifiques70 – sont déclarés
applicables par analogie aux droits voisins. Pour ce qui a trait plus
particulièrement au transfert des droits, le renvoi de l’art. 38 LDA ne
peut pas signifier que l’art. 17 consacrant un droit de l’employeur sur
le droit d’auteur relatif aux programmes d’ordinateur créés par un
employé est applicable par analogie aux prestations des artistesinterprètes qui seraient employés71. Par conséquent, le principe de la
titularité originaire des artistes-interprètes sur leurs droits voisins
vaut sans exception, étant entendu que les artistes-interprètes (tout
comme les auteurs) sont libres de disposer de leurs droits en faveur
de tiers (sous réserve des droits incessibles).
66. Voir par exemple l’art. 1, al. 2 WPPT qui dispose que : « La protection prévue par
le présent traité laisse intacte et n’affecte en aucune façon la protection du droit
d’auteur sur les œuvres littéraires et artistiques. En conséquence, aucune disposition du présent traité ne pourra être interprétée comme portant atteinte à cette
protection ».
67. Il est renoncé à faire une présentation détaillée de ces dispositions; sur cette
question, voir MOSIMANN, 371 ss.
68. Certes réduit par rapport à celui existant en faveur des auteurs, voir l’art. 33a
LDA.
69. ATF 129 III 715, JdT 2004 I 271.
70. Art. 12, al. 1 et art. 13 LDA.
71. Dans ce sens MOSIMANN, 383 s.
L’art et la propriété intellectuelle
1327
1.3 Les droits d’auteur
La loi consacre deux catégories de droits d’auteur, les droits
patrimoniaux et les droits découlant du droit moral, qu’il convient
d’examiner séparément. Préalablement, il est toutefois nécessaire de
déterminer la portée et les limites du droit d’auteur sur un plan
général72.
1.3.1 Portée et limites du droit d’auteur
Le droit d’auteur confère au créateur de l’œuvre « le droit exclusif sur son œuvre »73. Dans ce cadre, sans égard au mode d’exploitation de l’œuvre en cause ni au type de droit d’auteur potentiellement
en cause, la protection du droit d’auteur ne pourra être invoquée
qu’en cas d’utilisation illicite d’une œuvre74.
Si la question de la portée de la protection du droit d’auteur (et
donc de l’utilisation potentiellement illicite d’une œuvre) est aisée à
résoudre en cas de copie à l’identique d’une œuvre protégée ou de
reprise de celle-ci sous une forme légèrement modifiée, elle deviendra plus délicate lorsque des différences plus importantes existeront
entre l’œuvre originale et la création réalisée par un tiers. Dans une
telle hypothèse, l’application du droit d’auteur dépendra de savoir si
l’œuvre en cause constitue ou non une utilisation illicite de l’œuvre.
La protection du droit d’auteur ne pourra pas être invoquée
en cas de « libre utilisation » de l’œuvre. Selon la jurisprudence, il
y a libre utilisation lorsque l’auteur de la nouvelle œuvre s’est
seulement inspiré de l’œuvre préexistante et que ses emprunts à
celle-ci sont si modestes qu’ils passent à l’arrière-plan de la nouvelle
œuvre75. La libre utilisation se distingue de la création d’une œuvre
dérivée, cette dernière constituant, à teneur de la loi, une « création
de l’esprit qui a un caractère individuel, mais qui a été conçue à
72. La question des exceptions légales au droit d’auteur sera traitée infra sous 1.4.2.
73. Art. 9 al. 1 LDA.
74. Art. 62 al. 1 LDA (« la personne qui subit ou risque de subir une violation de son
droit d’auteur [...] »).
75. ATF 125 III 328, 332 (« Si l’architecte intimé s’est contenté de s’inspirer du projet
créé par le demandeur et que ses emprunts à l’œuvre préexistante sont si modestes qu’ils s’effacent devant l’individualité de sa nouvelle œuvre, c’est-à-dire si les
éléments individuels de l’œuvre du demandeur qui ont été repris passent à l’arrière-plan de la création dudit défendeur, il y a alors libre utilisation (freie Benutzung), laquelle ne porte pas atteinte aux droits d’utilisation de l’œuvre
préexistante »).
1328
Les Cahiers de propriété intellectuelle
partir d’une ou de plusieurs œuvres préexistantes reconnaissables
dans leur caractère individuel »76. Il y aura ainsi œuvre dérivée en
cas de création d’une œuvre nouvelle « à travers laquelle transparaît » l’œuvre initiale77. La distinction entre libre utilisation et
œuvre dérivée pourra parfois être délicate dans le domaine artistique78, étant noté que la reprise et l’adaptation créatives d’œuvres
préexistantes est un phénomène habituel du processus de création
artistique79. Aussi certains cercles artistiques plaident-ils pour une
approche libérale du droit d’auteur afin de permettre aux artistes de
puiser (pratiquement) librement dans les créations d’autrui80.
Ces questions se posent naturellement avec une acuité particulière dans le contexte de l’Appropriation Art81. On doit signaler à ce
propos plusieurs affaires qui ont concerné l’artiste américain Jeff
Koons82, dont une partie de la création artistique se caractérise par
76. Art. 3 al. 1 LDA.
77. ATF 125 III 328, 332 (« Si l’architecte précité, sur la base du projet du demandeur, a créé, par des modifications sur le plan qualitatif, une œuvre nouvelle à
travers laquelle transparaît néanmoins l’œuvre première, il a alors conçu une œuvre
dérivée (dite aussi œuvre de seconde main) telle que l’entend l’art. 3 LDA »).
78. Voir par exemple l’affaire américaine Steinberg v. Columbia Pictures Industries,
663 F. Supp. 706 (S.D.N.Y. 1987) concernant la reprise du graphisme général
d’un dessin de couverture du magazine « The New Yorker » représentant la ville
de New York de façon stylisée dans une affiche du film « Moscow on the Hudson » ;
dans cette affaire, le tribunal a considéré que la reprise violait le droit d’auteur du
dessinateur Saul Steinberg.
79. Par exemple le célèbre tableau « Déjeuner sur l’herbe » d’Edouard Manet et les
autres exemples cités par SCHACK, Kunst, no 339, 164; voir aussi le catalogue de
l’exposition « David Hockney : dialogue avec Picasso » (Paris : RMN Réunion des
Musées Nationaux, 1999).
80. Voir par exemple le site <http://www.kunstfreiheit.ch> (sur lequel on peut lire:
« Kunstfreiheit.ch ist eine Initiative Schweizer KünstlerInnen und Kulturschaffender, die sich für ein Urheberrecht einsetzen, das den Interessen der aktiven
KünstlerInnen zentralen Stellenwert einräumt. Wir brauchen nicht nur Schutz
unserer Arbeit, sondern auch freien Zugang zu bestehenden Werken, um daraus
Neues schaffen zu können ») et le site canadien <http://www.appropriationart.
ca/>.
81. Voir l’analyse de SCHACK, Kunst, no 350 ss., 170 ss. et les nombreuses références doctrinales citées en no 350; voir aussi AMES (Kenly E.), « Note, Beyond
Rogers v. Koons: A Fair Use Standard for Appropriation » (2003), 93 Columbia
Law Review 1473 pour une analyse économique, voir LANDES (William M.),
« Copyright, Borrowed Images and Appropriation Art: An Economic Approach »
(2000), University of Chicago Law & Economics, Olin Working Paper No. 113,
accessible à : <http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=253332> ;
voir aussi LANDES (William M.), « The Arts and Humanities in Public Life:
Copyright Protection and Appropriation Art » (1999).
82. Rogers v. Koons, 960 F.2d 301 (2d Cir. 1992) ; United Features Syndicate, Inc. v.
Koons, 817 F. Supp. 370 (S.D.N.Y. 1993) ; Campbell v. Koons, No. 91 Civ. 6055,
1993 WL 97381 (S.D.N.Y. Apr. 1, 1993) ; Blanch v. Koons, 467 F.3d 244 (2d Cir.
2006).
L’art et la propriété intellectuelle
1329
la reprise de créations de tiers (notamment des photographies de
mode ou artistiques). Jugée à l’aune de l’exception générale du fair
use du droit américain83, ces affaires ont été tranchées tantôt en
faveur de l’auteur des œuvres appropriées (particulièrement lorsque
l’auteur de l’appropriation poursuivait un objectif commercial)84,
tantôt en faveur de l’auteur de l’appropriation (notamment lorsque
la commercialisation de la nouvelle œuvre n’affecte pas le marché
des œuvres préexistantes)85. En droit d’auteur continental, il semble
difficile d’admettre sur le plan du principe que les œuvres relevant
de l’Appropriation Art puissent constituer des cas de libre utilisation
des œuvres86. Dans ces circonstances, on doit considérer que de telles
œuvres violent le droit d’auteur des créateurs dont les œuvres ont
fait l’objet de telles appropriations, sauf à considérer qu’il puisse
s’agir d’une citation ou d’une parodie87.
Dans une autre affaire88, un artiste photographe (Thomas Forsythe)89 avait mis en scène les fameuses poupées BARBIE dans des
situations étranges90, afin de dénoncer le culte de la femme-objet
incarné par ces poupées91. Contestées en justice sur différents fondements (le droit d’auteur, le droit des marques et de la concurrence
déloyale) par la société commercialisant les poupées BARBIE, ces
œuvres ont été jugées licites.
83. Sur cette question, voir LEVAL (Pierre), « Commentary: toward a fair use standard » (1990), 103 Harvard Law Review 1105.
84. Voir Rogers v. Koons, 960 F.2d 301 (2d Cir. 1992).
85. Voir Blanch v. Koons, 467 F.3d 244 (2d Cir. 2006).
86. Voir SCHACK, Kunst, no 350 ss., 170 ss, spécialement no 353, 143, adoptant une
attitude relativement sévère face à l’Appropriation Art.
87. Sur ces questions, voir infra 1.4.3 et 1.4.4.
88. Mattel v. Walking Mountain Productions, 353 F.3d 792 (9th Cir. 2003).
89. Voir le site de l’artiste à : <http://www.creativefreedomdefense.org/index.cfm>
(présentant ses œuvres).
90. Par exemple dans une photographie intitulée « Barbie Enchiladas » représentant
quatre poupées BARBIE enroulées dans des tortillas, couvertes de sauce et placées dans un four allumé (la photographie est visible à : <http://creativefreedomdefense.org/Details.cfm?ProdID=109>).
91. 353 F.3d 792, 796 (« In his declaration in support of his motion for summary judgment, Forsythe describes the message behind his photographic series as an
attempt to ‘critique[] the objectification of women associated with [Barbie], and []
[to] lambast[] the conventional beauty myth and the societal acceptance of
women as objects because this is what Barbie embodies.’ He explains that he
chose to parody Barbie in his photographs because he believes that ‘Barbie is the
most enduring of those products that feed on the insecurities of our beauty and
perfection-obsessed consumer culture.’ Forsythe claims that, throughout his
series of photographs, he attempts to communicate, through artistic expression,
his serious message with an element of humor »).
1330
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En tout état, il n’y aura pas d’œuvre dérivée (et partant pas de
violation du droit d’auteur) en cas de reprise du seul style d’un
artiste92. Ainsi si seul le style d’un artiste a été copié, aucune protection ne pourra être fondée sur le droit d’auteur93. Par conséquent, la
commercialisation d’œuvres qui seraient seulement stylistiquement
inspirées de celles de l’auteur ne pourra pas être interdite sur le fondement du droit d’auteur.
En cas de violation du droit d’auteur, le titulaire du droit
pourra faire valoir les moyens de protection civils et pénaux
qui découlent de la loi et pourra spécifiquement requérir – sur le
plan civil94 – « la confiscation assortie de la réalisation ou de la
destruction des objets fabriqués illicitement, ou des instruments,
de l’outillage et des autres moyens destinés principalement à leur
fabrication »95. Toutefois, la destruction des objets ne pourra être
ordonnée que si aucune mesure moins incisive n’est suffisante pour
faire cesser la violation du droit en application du principe de la proportionnalité96. Ainsi, pour ce qui concerne les copies illicites d’œuvres d’un artiste (par exemple des tableaux), certains considèrent
que la destruction ne devrait pas être automatiquement ordonnée en
vertu du principe de la proportionnalité dans le cas où l’on peut
exclure tout risque par l’indication indélébile sur l’œuvre indiquant
qu’il s’agit d’un faux97. Cependant, la jurisprudence semble assez
restrictive98.
92. Voir pour tous DE WERRA (Jacques), Le droit à l’intégrité de l’oeuvre, thèse Lausanne, (Berne : Stämpfli, 1997), 35 et les références citées en note 197.
93. Ainsi, à titre d’illustration, le « genre cubiste issu de l’intuition créatrice de Pablo
Picasso et révélé matériellement par ses nombreuses œuvres ne peut être l’objet
d’un monopole quelconque de propriété artistique que pourraient revendiquer le
peintre et ses ayants droit. Il s’agit plutôt d’un style ou d’une école qui relève du
fonds commun de la création et de la connaissance humaines et reste, à ce titre,
inconciliable avec toute appropriation exclusive par quiconque. » Tribunal de
Grande Instance de Paris, Gazette du Palais 1998, 2e semestre, Jurisprudence,
Sommaires et notes, 689.
94. Une confiscation pénale – sous réserve des œuvres architecturales déjà réalisées – est également possible par application de l’art. 69 CP, par renvoi de l’art.
72 LDA, sur cette question, voir DAVID (Lucas), « art. 72 LDA », MÜLLER (Barbara) et al. (éd.), Stampflis Handkommentar, Urheberrechtsgesetz (URG), (Berne:
Stämpfli, 2006), no 1 ss.
95. Art. 63 al. 1 LDA.
96. MÜLLER (Barbara), « art. 63 LDA », dans MÜLLER (Barbara) et al. (éd.),
Stämpflis Handkommentar, Urheberrechtsgesetz (URG), (Berne: Stämpfli, 2006),
no 20.
97. SCHACK, Kunst, no 55, 32.
98. Oberlandesgericht Hambourg, [1998] Zeitschrift für Urheber- und Medienrecht
(ZUM) 938.
L’art et la propriété intellectuelle
1331
1.3.2 Les droits patrimoniaux
En vertu de l’art. 10, al. 1 LDA, l’auteur jouit du droit exclusif
sur son œuvre. Dans cette mesure, l’auteur est bien maître du destin
de son œuvre et peut librement décider si et à quelles conditions
(financières) son œuvre peut être utilisée par un tiers. La loi comporte une énumération non exhaustive des droits exclusifs représentant les modes principaux d’exploitation des œuvres, qu’il s’agisse
d’une exploitation sous forme matérielle (soit sous la forme d’exemplaires physiques) ou immatérielle99.
En matière d’œuvres des beaux-arts, le droit de reproduction
jouera un rôle très important en pratique et permettra à l’artiste (ou
à son ayant droit) d’interdire toute reproduction de son œuvre, même
sous une forme modifiée, par exemple dans des dimensions réduites100.
En vertu de l’art. 12, al. 1 LDA, l’auteur a également le droit de
décider de la première mise en circulation d’un exemplaire de son
œuvre. Une fois cette mise en circulation intervenue, l’auteur perd la
maîtrise sur cet exemplaire et ne peut en particulier pas s’opposer à
ce que cet exemplaire soit revendu en vertu du principe de l’épuisement101. Ainsi, le droit de contrôle du titulaire du droit d’auteur s’inclinera face au droit du propriétaire de l’exemplaire matériel de
l’œuvre sous réserve de certaines exceptions et limitations102.
Parmi celles-ci figure en particulier le droit de suite dont l’objectif est de permettre à l’artiste de participer au succès commercial
de la vente de ses œuvres en obtenant une participation au produit
réalisé lors des ventes publiques de celles-ci. L’introduction du droit
99.
100.
101.
102.
Une présentation complète de l’application et de la portée respectives des différents droits spécifiques consacrés à l’art. 10 al. 2 LDA dépasserait le cadre du
présent chapitre; voir à ce sujet, DESSEMONTET (François), « Inhalt des Urheberrechts », Roland VON BUREN, David LUCAS (éd.), Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, Vol. II/1, Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2006)
(cité : DESSEMONTET, Inhalt), 175 ss.
Oberlandesgericht Hambourg, [1995] Zeitschrift für Urheber- und Medienrecht
(ZUM), 430 (œuvre de Maillol).
Le principe de l’épuisement international étant applicable en droit d’auteur (en
vertu de l’arrêt Nintendo ATF 124 III 321, JdT 1999 I 423), sous réserve des
œuvres audiovisuelles pour lesquelles le principe de l’épuisement national s’applique temporairement en vertu de l’art. 12 al. 1bis LDA; selon la jurisprudence
(ATF 133 III 273), les jeux vidéo ne constituent pas des œuvres audiovisuelles et
sont donc soumis au principe de l’épuisement international.
Ainsi, le droit à l’intégrité pourra être invocable dans certaines circonstances,
voir ci-dessous 1.3.3.3.
1332
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de suite en Suisse a été discutée depuis un certain temps sans succès
à ce jour103, étant noté que le droit de suite fait l’objet d’une directive
communautaire104 qui devait être mise en œuvre par les Etats membres jusqu’au 1er janvier 2006105.
1.3.3 Le droit moral
C’est souvent davantage les prérogatives extra-patrimoniales
découlant du droit d’auteur qui seront invoquées dans le contexte de
la protection des œuvres artistiques, raison pour laquelle ces prérogatives seront présentées de manière relativement approfondie.
1.3.3.1 Droit de divulgation
Sur le plan chronologique, le droit de divulgation est le premier
droit qui doit être exercé par l’auteur. Par l’exercice de ce droit, l’auteur décide en effet de livrer sa création aux yeux (et à la critique) du
public. Le droit exclusif de divulgation a pour objectif de permettre à
l’artiste de décider librement à quel moment il souhaite présenter
son œuvre au public106.
En matière artistique, la question de l’exercice du droit de
divulgation pourra en particulier se poser dans le cas de la vente de
l’exemplaire de l’œuvre à un collectionneur sous l’angle du droit de
ce collectionneur d’exposer publiquement cette œuvre107. On peut
considérer ici qu’à défaut de stipulations contractuelles contraires
convenues entre l’artiste et l’acquéreur de l’exemplaire de l’œuvre,
on doit admettre que ce dernier a le droit de divulguer l’œuvre
103.
104.
105.
106.
107.
Voir déjà DESSEMONTET (François), « Le Droit de suite », Die Berner Uebereinkunft und die Schweiz (Berne : Stämpfli, 1986), 343-355; EHRLER (Lorenz),
Das Folgerecht, Eine rechtsvergleichende Untersuchung im Lichte des europäischen Rechts, (Zurich : Schulthess, 2001) (vol. 13 des Études en droit de l’art) et
RENOLD (Marc-André), « Le droit de suite des artistes en Suisse », Liberté de
l’art et indépendance de l’artiste, (Zurich : Schulthess, 2004), 167-176.
Directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil relative au droit de
suite au profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale.
La directive est parfois critiquée en raison du fait qu’elle n’améliore pas la
protection par rapport à celle qui existait déjà dans certains États membres
(notamment en Allemagne et en France), voir SCHACK, Kunst, no 439, 215 et
DUCHEMIN (Wladimir), « La Directive communautaire sur le droit de suite »
(2002), 191 Revue internationale du droit d’auteur 3 ss.
La divulgation de l’œuvre entraîne l’application de certaines exceptions au droit
d’auteur, notamment l’exception de citation, seules les œuvres divulguées pouvant être citées en vertu de l’art. 25, al. 1 LDA.
Pour une discussion, voir DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 213 ss., 159 ss.
L’art et la propriété intellectuelle
1333
notamment en la prêtant dans le cadre d’une exposition publique108.
La question de la divulgation pourra particulièrement se poser dans
le contexte de la liquidation de succession d’artistes pour des œuvres
des beaux-arts (parfois inachevées) qui se trouveraient encore dans
l’atelier de ces artistes. Dans un tel cas, ce seront les titulaires du
droit de divulgation (souvent les héritiers) qui l’exerceront (tacitement) en autorisant la vente ou l’exposition publique de ces œuvres
qui n’avaient pas été divulguées par l’artiste lui-même109.
1.3.3.2 Droit de paternité
Le droit de paternité de l’œuvre permet à l’auteur de « faire
reconnaître sa qualité d’auteur »110 d’une œuvre donnée. Plus généralement, l’auteur a le droit de décider « sous quel nom » son œuvre
sera divulguée111. L’auteur peut ainsi choisir que son œuvre soit
divulguée et utilisée sous son nom véritable ou sous un pseudonyme112. Il peut également décider que son nom ne soit pas du
tout associé à son œuvre en la divulguant de manière anonyme
(par exemple parce qu’il considérerait que l’œuvre n’est pas – ou
n’est plus – représentative de sa création)113. Un artiste peut ainsi
interdire que son nom figure sur une œuvre pour laquelle il aurait
souhaité garder l’anonymat. Toutefois, ce droit à « l’anonymat artistique » n’empêchera pas le marché (et particulièrement des experts)
de considérer cette œuvre comme une œuvre originale de l’artiste
concerné, ce qui démontre les limites du droit exclusif de l’auteur. En
pratique, ce droit permettra donc seulement d’interdire à un tiers
d’apposer le nom véritable de l’artiste sur l’œuvre concernée sur
108.
109.
110.
111.
112.
113.
DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 213, 161 s., admettant en fonction des circonstances du cas concret l’existence d’une « clause implicite de transfert du
droit de divulgation dans le contrat de vente de l’exemplaire de l’œuvre »; certains auteurs y voient une consécration du principe de l’épuisement ancré à l’art.
12, al. 1 LDA; cette solution est celle qui est consacrée en droit allemand au § 44
al. 2 de la loi allemande sur le droit d’auteur (« Der Eigentümer des Originals
eines Werkes der bildenden Künste oder eines Lichtbildwerkes ist berechtigt,
das Werk öffentlich auszustellen, auch wenn es noch nicht veröffentlicht ist, es
sei denn, dass der Urheber dies bei der Veräußerung des Originals ausdrücklich
ausgeschlossen hat »).
À moins que l’auteur ait par disposition testamentaire interdit une telle divulgation, voire ordonné la destruction de telles œuvres; sur ces questions, voir
DE WERRA (Jacques), « Droit d’auteur et successions » [2000] Sic! 691 (cité :
DE WERRA, Successions).
Art. 9, al. 1 LDA.
Art. 9, al. 2 LDA.
HUG (Christoph), « art. 9 LDA », dans MÜLLER et al. (éd.), Stampflis Handkommentar, Urheberrechtsgesetz (URG), (Berne: Stämpfli, 2006), no 15.
Ibid.
1334
Les Cahiers de propriété intellectuelle
laquelle ce dernier n’a pas souhaité le faire figurer114, cette solution
étant d’ailleurs consacrée dans certaines législations étrangères115.
L’artiste ne pourra pas utiliser le droit de paternité pour répudier la
paternité d’œuvres (par exemple des œuvres de jeunesse) qu’il n’apprécie plus et qui appartiendraient à des tiers116.
Le droit de paternité revêt une importance particulière dans le
domaine artistique, la signature de l’œuvre constituant la manifestation de la reconnaissance du lien existant entre l’auteur et son
œuvre117. Sur le plan pratique, l’exercice du droit de paternité par
l’auteur (ou les héritiers de ce dernier) peut prendre la forme de
l’émission d’un certificat d’authenticité. Ainsi, à titre illustratif,
Marguerite Duthuit, la fille d’Henri Matisse, a émis certains certificats d’authenticité pour les œuvres de son père ou a au contraire
refusé d’en émettre en exerçant ainsi son droit moral. Elle a d’ailleurs été attaquée en justice devant des tribunaux américains pour
avoir déclaré qu’une œuvre n’était pas authentique118.
114.
115.
116.
117.
118.
Par analogie, un écrivain qui publie des ouvrages anonymes ou sous un pseudonyme ne pourra pas empêcher que des tiers (et plus généralement le public)
associent son nom à ces ouvrages anonymes ou pseudonymes et le reconnaissent
ainsi comme auteur véritable de ces ouvrages, mais il pourra par contre s’opposer à ce que ses ouvrages soient publiés sous son nom véritable en vertu de son
droit de paternité.
C’est le cas au § 107 al. 1 de la loi allemande sur le droit d’auteur (dont le titre
est : « Unzulässiges Anbringen der Urheberbezeichnung ») :
« Wer
1. auf dem Original eines Werkes der bildenden Künste die Urheberbezeichnung (§ 10 Abs. 1) ohne Einwilligung des Urhebers anbringt oder ein derart
bezeichnetes Original verbreitet.
2. auf einem Vervielfältigungsstück, einer Bearbeitung oder Umgestaltung
eines Werkes der bildenden Künste die Urheberbezeichnung (§ 10 Abs. 1)
auf eine Art anbringt, die dem Vervielfältigungsstück, der Bearbeitung oder
Umgestaltung den Anschein eines Originals gibt, oder ein derart bezeichnetes
Vervielfältigungsstück, eine solche Bearbeitung oder Umgestaltung verbreitet,
wird mit Freiheitsstrafe bis zu drei Jahren oder mit Geldstrafe bestraft, wenn
die Tat nicht in anderen Vorschriften mit schwererer Strafe bedroht ist ».
SCHACK, Kunst, no 252, 123.
SCHACK, Kunst, no 251, 123.
Voir Findlay v. Duthuit, 86 AD 2d 789, 446 NYS 2d 951 (1982) ; pour un autre
exemple d’action en responsabilité contre le titulaire du droit moral, voir aussi le
récent arrêt de la Cour de cassation française (Cass. 2e civ., 10 nov. 2005, pourvoi
no 04-13618) non publié, rendu dans un litige dans lequel la veuve d’un peintre,
titulaire du droit moral, avait refusé d’émettre un certificat d’authenticité; la
Cour de cassation a rejeté toute responsabilité civile de la titulaire du droit
moral (dont se prévalait le collectionneur lésé sur le fondement de l’article 1382
du Code civil), faute pour la cour d’appel dont l’arrêt est ainsi cassé d’avoir établi
que celle-ci aurait agi « avec mauvaise foi ou une légèreté blâmable ».
L’art et la propriété intellectuelle
1335
La question de l’étendue de la protection découlant du droit à la
paternité de l’œuvre sera parfois délicate à déterminer par rapport
aux faux qui ne constituent pas des contrefaçons d’œuvres de l’artiste119, soit des faux qui ne constituent ni une reproduction, ni une
adaptation d’une œuvre de l’artiste (soit une œuvre dérivée). Du
point de vue terminologique, le droit concerné serait un « droit de
non-paternité », soit le droit de l’auteur d’interdire que son nom
figure sur une œuvre qu’il n’a pas créée et qui ne constitue pas une
utilisation illicite de son œuvre120. La question est ainsi de déterminer si un tel droit de non-paternité découle ou non de la protection du
droit d’auteur. On aura tendance à considérer que ce droit ne relève
pas du droit d’auteur, précisément faute d’utilisation d’une œuvre
sur laquelle l’auteur détiendrait des droits exclusifs. C’est donc sur
la base du droit de la personnalité, et singulièrement de la protection
du nom, que l’artiste ou ses héritiers pourraient tenter de s’opposer
à l’utilisation du nom de ce dernier en relation avec des œuvres
qu’il n’aurait pas créées121. Certains ordres juridiques ont clarifié
cette question et sanctionnent expressément les fausses attributions
d’œuvres dans le cadre de la législation sur le droit d’auteur122. Une
telle approche a pour avantage de permettre une protection pendant
toute la durée de protection du droit moral, soit au-delà du décès de
l’auteur, ce qui n’est souvent pas possible si la protection se fonde sur
le droit de la personnalité, ce droit de nature personnelle s’éteignant
généralement au décès de l’auteur (même si les héritiers peuvent
ensuite le cas échéant invoquer la violation de leur propre droit de la
119.
120.
121.
122.
Sur la problématique (sous l’angle du droit allemand), voir BULLINGER (Winfried), Kunstwerkfälschung und Urheberpersönlichkeitsrecht : der Schutz
des bildenden Künstlers gegenüber der Fälschung seiner Werke, (Berlin : E.
Schmidt, 1998).
Voir ci-dessus 1.3.1.
DE WERRA, Successions, 695; cette approche est également suivie en droit français depuis un arrêt de la Cour de cassation concernant un tableau faussement
attribué à Utrillo, Cass., 1re civ., (2001), 188 RIDA, 309; voir DURET-ROBERT
(François), Droit du marché de l’art, 4e édition (Paris : Dalloz, 2010), 265; la problématique reste vive en droit allemand, suite à un arrêt du Bundesgerichtshof
concernant des fausses aquarelles attribuées à E. Nolde (la protection fondée
sur le droit général de la personnalité, et pas sur le droit moral, ayant été jugée
insuffisante), voir BGHZ 107, 384; sur cette question, voir NORDEMANN (Wilhelm), « Kunstwerkfälschung und kein Rechtsschutz ? » [1996] Gewerblicher
Rechtsschutz und Urheberrecht (GRUR) 737.
Ainsi, la section 84 du Copyright, Designs and Patents Act 1988 anglais réglemente cette question comme suit : 84.–(1) A person has the right in the circumstances mentioned in this section______ :
(a) not to have a literary, dramatic, musical or artistic work falsely attributed to
him as author, and
(b) not to have a film falsely attributed to him as director.
1336
Les Cahiers de propriété intellectuelle
personnalité)123. Toutefois, sur le plan conceptuel, une telle prérogative sort du domaine du droit d’auteur, et vise en réalité la protection
du nom et pas celle de l’œuvre de l’artiste. Dans cette perspective,
elle n’a pas sa place dans une loi sur le droit d’auteur124.
Les titulaires du droit moral pourront parfois être tentés
d’exercer le droit de paternité de manière à favoriser leurs propres
intérêts (financiers)125, en contestant l’authenticité d’œuvres appartenant à des tiers. En effet, il n’est pas exclu que certains artistes ou
héritiers d’artistes essaient de profiter de la valeur commerciale de
leur nom et fassent un exercice abusif du droit de paternité126.
Dans ces circonstances, on peut se poser la question de la responsabilité d’un titulaire du droit moral (tout spécifiquement du
droit de paternité) qui refuserait d’authentifier une œuvre donnée et
refuserait ainsi que le nom de l’artiste soit apposé sur cette œuvre. A
cet égard, on doit constater sur le plan du principe que le titulaire du
droit d’auteur (respectivement du droit de paternité) est en mesure
d’exercer son droit de manière libre (et donc arbitraire), ce sous
réserve d’une violation du droit de la concurrence127. Dans ces circonstances, il paraît très délicat d’admettre une telle responsabilité128.
Comme l’expose M. Duret-Robert, « le droit de faire saisir les
faux a donné aux héritiers le pouvoir de juger de l’authenticité des
œuvres »129. Sur le plan pratique, l’avis des héritiers sera fréquem-
123.
124.
125.
126.
127.
128.
129.
DE WERRA, Successions, 695.
On note toutefois que certaines réglementations de droit étranger protègent spécifiquement le nom des auteurs; voir l’art. 121-1 du Code français de la propriété
intellectuelle.
Ainsi, dans l’affaire Findlay v. Duthuit, supra, note 118, le tribunal saisi a constaté que Duthuit n’était pas seulement titulaire du droit moral, mais était également propriétaire et vendeur de nombreuses œuvres de Matisse, ce qui créait
ainsi un conflit d’intérêts avec les œuvres de Matisse vendues par d’autres
marchands.
Voir l’article de BAILEY (Martin), « Dix ans après sa mort, Salvador Dali joue
encore le grand perturbateur », (1999) 95 Journal des Arts 61-62.
Sur la question de l’abus de position dominante, voir la contribution de RINGE
(Friederike J.), « Le pouvoir de l’expert face au droit de la concurrence », GABUS
(Pierre) et al. (éd.), L’expertise et l’authentification des œuvres d’art, volume 19
des Études en droit de l’art, (Zurich : Schulthess, 2007), 135 ss.
En droit français, la responsabilité civile d’un titulaire du droit moral qui refusait d’authentifier une œuvre semble toutefois pouvoir être engagée en cas
d’agissements « avec mauvaise foi ou une légèreté blâmable » selon un arrêt de la
Cour de cassation du 10 nov. 2005, cité supra, note 118.
DURET-ROBERT, 270.
L’art et la propriété intellectuelle
1337
ment sollicité concernant des œuvres qui n’ont pas encore été divulguées et qui sont encore en possession de la succession de l’artiste
concerné (par exemple dans l’atelier de ce dernier). Ainsi, lorsque les
héritiers mettent en vente certaines de ces œuvres130 (par exemple
dans le cadre d’une vente d’atelier), ils marqueront les œuvres d’un
cachet spécial131, ce cachet valant alors authentification des œuvres
sur le marché de l’art132.
Dans la perspective du droit d’auteur, l’apposition de ce cachet
constituera une manifestation de l’exercice du droit de paternité133,
soit du droit exclusif de décider « si, quand, de quelle manière et sous
quel nom son œuvre sera divulguée »134. Les marchands d’art n’ont
dès lors pas manqué de requérir spontanément l’avis des héritiers (un avis positif se concrétisant sous la forme d’un certificat)
pour authentifier des œuvres inconnues d’un artiste, afin d’éviter le
risque d’une saisie des œuvres concernées par les héritiers sur le
fondement d’une violation du droit d’auteur135. Aux yeux des professionnels du marché de l’art, cette pratique est souvent considérée
comme une obligation, les héritiers étant jugés incontournables pour
se prononcer sur l’authenticité des œuvres136.
C’est donc pour se protéger contre tout risque d’une action judiciaire intentée par les héritiers au titre d’une violation du droit
d’auteur que les marchands d’art tenteront d’obtenir un certificat
d’authenticité de ces derniers137, un avis négatif du titulaire de
droit moral pouvant avoir des conséquences désastreuses pour un
tableau138.
130.
131.
132.
133.
134.
135.
136.
137.
138.
Ce faisant, les héritiers exercent le droit de divulgation sur ces œuvres; voir
l’art. 9, al. 2 LDA.
Désigné comme cachets ou timbres d’atelier; voir LEQUETTE-DE KERVENOAËL (Stéphanie), L’authenticité des œuvres d’art, (Paris : LGDJ, 2006), 209.
DURET-ROBERT, 270.
Voir cependant CARON (Christophe), « L’exercice du droit moral à des fins d’authentification ne confère pas l’impunité ! », Communication commerce électronique, no 2 février 2006, comm. 20 (note sous l’arrêt de la Cour de Cass. du 10
novembre 2005), pour qui « [...] le pouvoir d’authentifier un tableau ne relève pas
de l’exercice du droit à la paternité. Si c’était le cas, seul le titulaire de cette prérogative pourrait procéder à des authentifications ».
Art. 9, al. 1 LDA.
DURET-ROBERT, 270.
DURET-ROBERT, 270 ; LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 204, parlant de
« point de passage obligé ».
LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 206.
Pour un exemple, voir l’affaire Greenwood v. Koven, 880 F. Supp. 186 (S.D.N.Y.
1995).
1338
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ce pouvoir des héritiers a ainsi été qualifié d’« autorité de
fait »139. Toutefois, il apparaît que ce pouvoir ne résulte pas d’une
situation de fait, mais plutôt de la protection juridique découlant du
droit d’auteur140. Cependant, reconnaître un tel pouvoir aux héritiers ne signifie pas que ce pouvoir soit exclusif ou absolu. Bien au
contraire, comme déjà souligné, les titulaires de droits d’auteur (et
tout spécialement du droit moral) ne disposent pas du droit exclusif
de se prononcer sur la question de l’authenticité des œuvres d’un
artiste. En réalité, comme l’a constaté un auteur, « [a]s far as the law
is concerned, the holder of the droit moral is just another legal expert
whose opinion is only as good as his qualifications and the arguments he puts forward »141. Ainsi, l’avis du titulaire du droit d’auteur
ne sera pas toujours suivi au profit de celui d’experts plus autorisés142.
Le pouvoir des héritiers résultant de l’exercice du droit d’auteur, et plus spécifiquement du droit moral ne doit toutefois pas être
négligé pour autant, ce pouvoir résultant de leur prérogative de faire
interdire ou cesser toute violation des droits dont ils sont titulaires143. Ainsi, « le fait d’avoir un certificat de l’héritier et ami du
peintre accompagnant l’œuvre permet au vendeur de ne pas être
poursuivi en contrefaçon »144. Aussi a-t-on pu concevoir l’obtention
d’un tel certificat comme un « contrat d’assurance contre le risque de
saisie »145. Pour que ce certificat remplisse cette fonction protectrice,
il pourra être nécessaire de s’assurer que tous les titulaires des droits
concernés l’aient établi ou y aient consenti. En effet, l’exercice du
droit d’auteur par les héritiers pourra requérir l’unanimité entre ces
derniers. Or, il arrive que les héritiers ne soient pas d’accord entre
139.
140.
141.
142.
143.
144.
145.
DURET-ROBERT, 270.
LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 203 s., constatant que les jugements portés
par les héritiers d’un artiste sur l’authenticité des œuvres ont « leur racine dans
les prérogatives que la loi leur attribue »; un pouvoir de fait pourra par contre
exister lorsqu’un seul expert d’art sera reconnu par le marché comme faisant
autorité pour se prononcer de manière définitive sur l’authenticité des œuvres
d’un artiste donné.
LEVY (Steven Mark), « Authentication and Appraisal of Artwork », KAUFMANN
Roy S. (éd.), Art Law Handbook, (New York : Aspen Law & Business, 2000), 829,
844.
Voir l’arrêt (inédit) de la Cour de Paris du 9 novembre 1988 exposé par
LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 194 s.
Ce pouvoir se concrétisant en France par la – puissante – sanction de la
saisie-contrefaçon; voir LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 205 s.
Arrêt inédit de la Cour de cassation française du 28 février 1991 cité par
LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 206.
DURET-ROBERT, « Le règne des héritiers » (mars 1990), 457 Connaissance des
arts 123, 123.
L’art et la propriété intellectuelle
1339
eux. Dans ces circonstances, un certificat d’authenticité obtenu d’un
seul des co-héritiers sans l’aval des autres n’offrira pas toujours la
protection souhaitée146. Toutefois, ce risque juridique dépendra du
droit national de la propriété intellectuelle qui sera applicable dans
le cas d’espèce et pourra ainsi évoluer en fonction des déplacements géographiques de l’œuvre concernée147. Ainsi, en droit d’auteur suisse, prévaut le principe de l’unanimité dans l’exercice du
droit d’auteur par les co-titulaires du droit (particulièrement par les
co-héritiers). Des co-héritiers qui deviendraient titulaires de droits
d’auteur après le décès de l’artiste ne pourront donc pas agir en justice individuellement pour faire valoir une violation de leur droit,
mais seront au contraire tenus d’agir tous ensemble au titre de la
légitimation active nécessaire148. Par conséquent, dans la perspective du droit suisse, même si un seul des cohéritiers a délivré un certificat d’authenticité pour un tableau donné et considère donc que ce
tableau ne viole pas le droit d’auteur (dont il est co-titulaire), les
autres co-héritiers ne pourront pas invoquer une violation du droit
d’auteur devant les tribunaux, faute de pouvoir agir à l’unanimité.
La situation pourra se compliquer lorsque les droits d’auteur
auront été attribués à différents titulaires (notamment dans le cadre
d’actes à cause de mort). Il pourra en effet se produire que l’auteur transmette ses droits patrimoniaux à certaines personnes (par
exemple ses héritiers) tout en confiant son droit moral (notamment
le droit de paternité) à une personne de confiance extérieure au
cercle de ses héritiers. Dans un tel cas, il sera nécessaire d’obtenir
l’aval des titulaires respectifs des deux types de droits afin d’éviter le
risque d’une action judiciaire intentée par l’un ou l’autre de ces derniers. En effet, chacun des deux groupes de titulaires pourrait tenter
de faire valoir la violation de ses propres droits. Ainsi, même à supposer que les titulaires des droits d’exploitation sur les œuvres d’un
artiste considèrent que l’œuvre est authentique (et donc ne viole pas
146.
147.
148.
LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 210, citant en exemple un avis publié dans la
Gazette de Drouot (du 13 février 1976) dans lequel la famille du peintre Renoir
exprimait que le droit moral afférent à l’œuvre de ce dernier ne pouvait s’exercer
qu’indivisément et que toute disposition prise par l’un des héritiers, sans le
concours des autres, serait taché d’irrégularité.
Il n’est malheureusement pas possible d’examiner les questions – complexes –
de droit international privé de la propriété intellectuelle dans le cadre du présent article, au-delà de la mention du principe généralement reconnu du « pays
de protection » (« Schutzland »), en vertu duquel le droit applicable sera le droit
de l’État pour lequel la protection est revendiquée, voir par exemple l’art. 110,
al. 1 LDIP.
En vertu des règles du droit successoral (art. 602 CC), voir ATF 121 III 118, JdT
1995 I 274; sur la question de la gestion du droit d’auteur après le décès de l’auteur, voir ci-dessous 1.5.4.
1340
Les Cahiers de propriété intellectuelle
les droits d’exploitation exclusifs, notamment le droit de reproduction)149, les titulaires du droit moral (particulièrement du droit de
paternité) pourront considérer que le nom de l’artiste ne doit néanmoins pas être apposé sur celle-ci en vertu du droit de paternité.
Une question se pose dans les systèmes légaux dans lesquels la
durée de protection respective des droits patrimoniaux et des droits
moraux n’est pas identique (ce qui n’est pas le cas en droit suisse), et
dans lesquels la protection des droits moraux est réputée perpétuelle, comme c’est le cas en droit d’auteur français150. Dans de tels
systèmes, on constate une certaine tendance à étendre la protection
à toute utilisation du nom de l’artiste sur une œuvre, même si cette
dernière ne constitue ni une copie, ni une œuvre dérivée de l’œuvre
originale de l’artiste151, une telle protection du nom de l’auteur, indépendamment de la protection de l’œuvre, comme tel pouvant parfois
s’appuyer sur un texte légal plus large. Ainsi, l’art. L.121-1 CPI dispose que l’auteur « jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité
et de son œuvre », ce qui peut expliquer cette approche extensive de
la protection.
Sur cette base, certains tribunaux ont admis le pouvoir du titulaire du droit moral d’interdire la commercialisation d’œuvres constituant des copies de tableaux originaux munis de la signature d’un
artiste en dépit de l’expiration des droits patrimoniaux sur l’œuvre
concernée152. Les tribunaux ont considéré qu’une atteinte au droit
moral ne pouvait toutefois être admise que lorsque l’apposition de
la signature de l’artiste sur une œuvre tombée dans le domaine
public pouvait faire craindre une confusion entre l’original et la
copie153. C’est alors l’existence d’une confusion auprès du public qui a
149.
150.
151.
152.
153.
Voir l’art. 10, al. 2 let. a LDA.
Voir l’art. L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle selon lequel le droit
moral est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible ».
Voir LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 572 ss.
« Le fait que les droits patrimoniaux soient arrivés à expiration n’autorise pas
les tiers à en disposer sans restrictions : il appartient à celui qui l’exploite de veiller au respect du nom de l’auteur et à l’intégrité de l’œuvre », « l’imitation de la
signature de l’auteur constituant une ‘atteinte à l’identité artistique de l’auteur’
dit droit moral qui persiste après l’expiration des droits patrimoniaux », Tribunal de Grande Instance de Paris, (1996), 167 R.I.D.A., 282; voir sur cette question, LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 570 s.
Arrêt de la Cour de cassation française, Recueil Dalloz II, Informations Rapides,
1997, 200; voir aussi LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 572; on peut noter dans
ce contexte la formulation de l’art. 2 let. a du Code d’Éthique du Syndicat suisse
des Antiquaires et Commerçants d’art), Site du Syndicat suisse des Antiquaires
et Commerçants d’Art [en ligne], « <http://www.vsak.org/pdf/ethique.pdf> » qui
dispose que « La description des objets vendus ne doit pas prêter à confusion ».
L’art et la propriété intellectuelle
1341
constitué le critère déterminant pour juger d’une atteinte au droit
moral154. Cette approche n’est pas sans susciter une certaine critique, dans la mesure où le droit moral, et plus spécialement le droit
de paternité, doit être protégé sans égard à l’existence d’un quelconque risque de confusion155. En tout état, ce genre de questions ne
se pose pas en droit suisse compte tenu du fait que tous les droits
d’auteur (droits patrimoniaux et droit moral) ont la même durée.
1.3.3.3 Droit à l’intégrité de l’œuvre
L’art. 11 LDA consacre le principe de la protection de l’intégrité
de l’œuvre en disposant en particulier que l’auteur a le droit exclusif
de décider « si, quand et de quelle manière l’œuvre peut être modifiée » (art. 11 al. 1 let. a LDA) et que l’auteur « peut s’opposer à toute
altération de l’œuvre portant atteinte à sa personnalité », et ce
« même si un tiers est autorisé par contrat ou par la loi à modifier
l’œuvre ou à l’utiliser pour créer une œuvre dérivée » (art. 11, al. 2
LDA)156.
La protection de l’intégrité de l’œuvre joue un rôle essentiel
dans le domaine artistique dans la mesure où la forme concrète qui a
été donnée à l’œuvre par l’artiste constitue l’expression unique et
intangible de la créativité de l’artiste. Ainsi, « le respect est dû à
l’œuvre telle que l’auteur a voulu qu’elle soit »157. Dans cette mesure,
toute atteinte portée par un tiers à une création artistique, sera susceptible de léser l’intégrité de cette œuvre et ainsi de violer le droit à
l’intégrité de l’auteur de celle-ci. En dépit du texte légal qui semble
indiquer que le droit à l’intégrité est absolu et illimité, on doit considérer que la protection qui en découle résulte d’une pondération des
intérêts en présence (« Interessenabwägung ») qui doit être effectuée
au cas par cas en fonction notamment du type d’œuvres concernées158.
Les atteintes à l’intégrité pourront être directes ou indirectes,
les atteintes directes se caractérisant par une atteinte portée à la
154.
155.
156.
157.
158.
La référence à la notion de risque de confusion est intéressante à souligner dans
le cadre du présent article, dès lors que cette notion constitue un élément central
de l’analyse en droit des marques (ci-dessous chapitre 2) et en droit de la concurrence déloyale, voir ci-dessous chapitre 4.
LUCAS/LUCAS, 370.
Sur cette question, voir en général DE WERRA, Intégrité.
Tribunal de Grande Instance de Paris, (1993), 155 RIDA, 225.
Sur cette question, voir DE WERRA, Intégrité, 87 ss.
1342
Les Cahiers de propriété intellectuelle
substance même de l’œuvre159. Ainsi, une atteinte directe pourra
résulter du fait qu’une œuvre des beaux-arts qui est composée de
divers éléments est dépecée et vendue en pièces détachées160, ou
qu’elle est restaurée de manière inadéquate. La restauration d’œuvres d’art sera ainsi parfois problématique, étant noté que l’on ne
saurait imposer par principe au propriétaire d’une œuvre qui se
dégrade de prendre des mesures en vue de préserver l’état de celleci161. Il est en effet possible que l’artiste ait souhaité inscrire sa création dans le temps en faisant en sorte que son œuvre se détruise
naturellement. Dans une telle perspective, toute intervention de
tiers visant à préserver l’œuvre dans son état initial serait contraire
à la volonté artistique de l’artiste et pourrait porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre162.
Des atteintes indirectes peuvent également être portées aux
œuvres, ce type d’atteintes résultant du contexte inapproprié dans
lequel l’œuvre est utilisée sans que l’œuvre comme telle ne soit
modifiée163. Il en va ainsi de l’utilisation d’une œuvre (des beauxarts) à des fins publicitaires164 ou de l’adjonction de cadres à des
159.
160.
161.
162.
163.
164.
DE WERRA, Intégrité, 68.
Voir la célèbre affaire du réfrigérateur et des six panneaux créés par Bernard
Buffet et revendus séparément par leur acquéreur jugée par la Cour d’appel de
Paris, Dalloz 1962, 570.
Sur ces questions, voir RENOLD (Marc-André), « Dégradation et restauration
des œuvres d’art exposées sur le domaine public: questions de droit d’auteur »
[2003] Sic! 204; voir le § 22 de la loi autrichienne sur le droit d’auteur (qui dispose : « Der Besitzer eines Werkstückes hat es dem Urheber auf verlangen
zugänglich zu machen, soweit es notwendig ist, um das Werk vervielfältigen zu
können; hiebei hat der Urheber die Interessen des Besitzers entsprechend
zuberücksichtigen. Der Besitzer ist nicht verpflichtet, dem Urheber das Werkstück zu dem angeführten Zwecke herauszugeben, auch ist er dem Urheber
gegenüber nicht verpflichtet, für die Erhaltung des Werkstückes zu sorgen ».
Pour une discussion des questions de droit moral en matière de restauration
d’œuvres, voir les contributions de DREIER (Thomas) et de COHEN (Dany)
dans l’ouvrage collectif : La restauration des objets d’arts, aspects juridiques et
éthiques, BYRNE-SUTTON (Quentin) et al. (éd.), vol. 6 des Études en droit de
l’art, (Zurich : Schulthess, 1995) ; voir aussi DREIER (Thomas), « Urheberpersönlichkeitsrecht und die Restaurierung von Werken der Architektur und
der bildenden Kunst », Aktuelle Herausforderung des geistigen Eigentums, Festgabe von Freunden und Mitarbeitern für Friedrich-Karl Beier zum 70 (Cologne:
Geburtstag,1996), 365 ss.
DE WERRA, Intégrité, 72 ; de telles atteintes sont souvent invoquées en
matière d’œuvres architecturales; sur cette question, voir MOSIMANN (Peter),
« Der Werk-und Wirkbereich im Kunstschaffen des Architekten », MOSIMANN
et al. (éd.), Kultur Kunst Recht, (Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2009) 579,
603 ss.
Voir, concernant l’utilisation non autorisée d’une copie d’une œuvre de Niki
de Saint-Phalle dans une campagne publicitaire, WALRAVENS (Nadia),
L’art et la propriété intellectuelle
1343
tableaux faisant penser que ces cadres ont été conçus par l’auteur
des œuvres encadrées165. La protection contre des atteintes indirectes ne sera toutefois pas illimitée.
En effet, on peut ainsi citer une affaire allemande (tranchée par
le Tribunal d’Erfurt) dans lequel une artiste cherchait à s’opposer à
l’exposition de plusieurs de ses toiles dans le cadre d’une exposition
collective consacrée à l’art dans l’ancienne Allemagne de l’Est. L’artiste reprochait aux organisateurs une violation de son droit moral
(droit à l’intégrité de l’œuvre) causée par la présentation désavantageuse de ses toiles sur un mur surchargé166. Tranchant en faveur des
organisateurs, le Tribunal d’Erfurt a nié toute atteinte au droit à
l’intégrité, en soulignant au passage l’importance du principe constitutionnel de la liberté de l’art invoqué avec succès par les organisateurs de l’exposition167.
De même, on peut se référer à la situation dans laquelle un
auteur tenterait de se prévaloir d’une atteinte indirecte à l’intégrité
lorsqu’une de ses œuvres est exposée conjointement avec des œuvres
appartenant à un courant artistique auquel il ne souscrit pas168.
Ainsi, le peintre De Chirico avait tenté d’interdire l’exposition de ses
œuvres dans le cadre de la Biennale de Venise qui avait organisé
une rétrospective sur ce peintre au motif que l’exposition organisée
n’était pas représentative de son œuvre dans la mesure où l’accent
était mis sur ses premières créations au détriment de ses œuvres
165.
166.
167.
168.
« La protection de l’œuvre d’art et le droit moral de l’artiste », (2003) 197 Revue
internationale du droit d’auteur 3, 51.
Voir l’affaire allemande « Unikatrahmen » concernant des tableaux encadrés
dans des cadres continuant les tableaux concernés faisant ainsi penser au public
que les cadres feraient partie et constitueraient une continuation artistique
des œuvres en cause qui a été jugée par le BGH (affaire I ZE 304/99), BGHZ 150,
32 ss.
Arrêt résumé dans l’Art-Law Centre News (du Centre du droit de l’art) no 3,
mars 2000, 3; sur cette affaire, voir aussi HEGEMANN (Jan), « Der Schutz des
bildenden Künstlers vor Entstellung und sonstigen Beeinträchtigungen seines
Werkes durch direkte und indirekte Eingriffen », SCHERTZ (Christian) et al.,
(éd.), Festschrift für Paul W. Hertin zum 60. Geburtstag am 15. November 2000,
(Munich : Beck, 2000), 87 ss.
Expressément ancré dans la Constitution allemande (Grundgesetz) à l’art. 5,
al. 3.
Exemple donné par PERRET (François), « Rapport national sur le sujet 3. Droits
des créateurs et de leurs héritiers », La Vente internationale d’œuvres d’art,
vol. 3, (Paris, New York : ICC, Deventer, Boston : Kluwer Law and Taxation,
1991), 301 ss, 306; on peut discuter de l’existence d’une atteinte au droit moral
dans un tel cas, voir les références citées par DE WERRA, Intégrité, 100,
note 189.
1344
Les Cahiers de propriété intellectuelle
plus récentes169. Bien qu’il ait gagné en première instance170, l’artiste s’est vu débouté par la Cour d’appel de Venise, l’instance de
recours considérant que le droit d’auteur ne devait pas permettre à
l’artiste de s’opposer à l’organisation d’une exposition d’exemplaires
d’œuvres qui ne lui appartenaient plus171.
La question de la portée de la protection de l’intégrité de
l’œuvre se pose pour des atteintes qui seraient portées à l’intégrité de
l’œuvre dans la sphère privée du propriétaire de celle-ci. Bien que la
question soit controversée en doctrine, on doit considérer que ce type
d’atteinte est illicite lorsqu’une telle atteinte portée à l’œuvre est
grave et irréversible (tel serait par exemple le cas de l’unique exemplaire original d’un tableau ou d’une fresque qui seraient repeints
sans autorisation)172. Dans un tel cas, le propriétaire ne devrait pas
pouvoir se prévaloir de l’exception d’usage privé pour échapper à la
protection du droit d’auteur173.
La loi prévoit une protection particulière contre la destruction
des exemplaires uniques d’œuvres174. Ainsi, l’art. 15 al. 1 LDA dispose que « si le propriétaire de l’unique exemplaire original d’une
œuvre doit admettre que l’auteur a un intérêt légitime à la conservation de cet exemplaire, il ne peut le détruire sans avoir au préalable
offert à l’auteur de le reprendre. Il ne peut en exiger plus que la
valeur de la matière première ». Lorsque l’auteur ne peut reprendre
cet exemplaire original (notamment pour des raisons financières), le
propriétaire de celui-ci devra permettre à l’auteur de reproduire
169.
170.
171.
172.
173.
174.
Voir l’analyse de ce cas par RICHARD (Dagmar) et al., « Kunstfälschung
und Persönlichkeitsrecht » [1988] Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht
(GRUR) 18 ss, 25.
Rivista Diritto Commerciale 1952 II 128 (Tribunal de Venise).
Ente Autonomo « La Biennale » di Venezia/De Chirico, Foro Italiano 1955 I 717
(Cour d’appel de Venise) ; voir également FABIANI (Mario), « La présentation de
l’œuvre au public et le droit moral de l’auteur », Propriétés intellectuelles, Mélanges en l’honneur d’André Françon, (Paris : Dalloz, 1995), 143 ss.
Voir le fameux exemple de la fresque des sirènes qui étaient nues dans leur
état original et qui ont été repeintes, voir Reichsgericht allemand, RGZ 79, 397
discuté par DESSEMONTET, Droit d’auteur, no 206, 154.
À la différence du droit allemand (§ 23 de la loi allemande sur le droit d’auteur),
le droit suisse donne à l’auteur le droit exclusif de décider de toute modification
ou adaptation de son œuvre et non pas seulement de toute divulgation et exploitation de telles œuvres modifiées ou adaptées; voir l’art. 11 al. 1 let. a et b LDA,
par conséquent, on peut en déduire un pouvoir de contrôle plus important en
droit suisse qu’en droit allemand; pour le droit allemand, voir SCHACK, Kunst,
n° 258, 126; même avis en droit français, voir LUCAS/LUCAS, no 487, 372.
Pour une présentation du droit allemand, voir SCHMELZ (Christoph), « Zum
Schutz des Urhebers vor Werkzerstörungen, eine methodenorientierte Betrachtung » [2005] Archiv für Urheber,-Film,-Funk- und Theatrrecht (UFITA), 705 ss.
L’art et la propriété intellectuelle
1345
l’exemplaire original de manière appropriée (art. 15, al. 2 LDA). La
loi prévoit encore une protection restreinte en matière d’œuvres d’architecture. Dans un tel cas en effet, l’auteur a seulement le droit de
photographier l’œuvre et d’exiger que des copies des plans lui soient
remises à ses frais (art. 15, al. 3 LDA). Cette disposition est intéressante parce qu’elle institue un mécanisme de protection de l’auteur
face à ce qui constitue la forme la plus radicale d’atteinte à l’intégrité
de son œuvre.
Elle soulève cependant certaines questions d’interprétation
pour lesquelles une clarification jurisprudentielle serait bienvenue,
notamment concernant la notion d’ « intérêt légitime » de l’artiste
à la conservation de l’exemplaire (figurant à l’art. 15, al. 1 LDA). On
pourrait souhaiter à ce propos que l’on présume que l’artiste a un
intérêt légitime à la conservation de tous les exemplaires originaux
de ses œuvres. Une autre question d’interprétation tient à la notion
d’œuvre d’architecture pour laquelle la loi prévoit un régime de
protection fortement réduit. Compte tenu du fait que de nombreux
litiges de droit d’auteur éclatent au sujet de créations artistiques
sculpturales s’intégrant dans des projets architecturaux (publics175
ou privés)176 ou plus généralement d’œuvres dont l’objectif artistique
est de s’intégrer dans un site particulier construit ou naturel177, la
question se pose de savoir si ces créations artistiques constituent des
œuvres d’architecture au sens de l’art. 15 al. 3 LDA (et de l’art. 2 al. 2
let. e LDA), auquel cas la protection contre leur destruction sera fortement réduite. Il semble que l’on ne doive pas admettre l’application
de l’art. 15, al. 3 LDA pour ce type d’œuvres, les œuvres d’architecture devant concerner les constructions à destination fonctionnelle
et pas les œuvres artistiques.
175.
176.
177.
Sur la question des œuvres d’art placées sur le domaine public, voir l’article de
RENOLD précité.
Voir par exemple la célèbre affaire concernant la création sculpturale de
Richard Serra destinée à une place publique (Federal Plaza) à New York dont la
destruction a été ordonnée par les autorités après une procédure judiciaire,
Serra v. U.S. General Services Adm., 847 F2d 1045 (2d Cir. 1988), à ce propos,
voir l’ouvrage The Destruction of Tilted Arc: Documents, Clara WEYERGRAFSERRA/ (éd.), introduction de SERRA (Richard), (Cambridge : MIT Press, 1990)
et MERRYMAN (John Henry), « The Refrigerator of Bernard Buffet » (1976), 27
Hastings Law Journal 1023.
Site-specific art ou Land Art, voir SCHACK, Kunst, n° 194, 99; voir l’ouvrage de
LAILACH (Lailach), Land Art, (Cologne : Taschen, 2007).
1346
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.4 Les limites de la protection
1.4.1 Introduction
Le droit d’auteur, comme les autres droits de propriété intellectuelle, connaît certaines limites. Ces limites ont pour objectif de préserver un équilibre entre la protection des intérêts des titulaires des
droits d’auteur (et des droits voisins) et les intérêts des tiers utilisateurs des œuvres178. La limite la plus importante de la protection
tient à la durée du droit d’auteur, qui est, sous réserve de la protection des logiciels179, de septante ans après le décès de l’auteur (art.
29, al. 2 let. b LDA), étant noté que certains Etats instituent une protection perpétuelle de certains droits d’auteur (et spécialement du
droit moral)180. Après l’échéance de cette durée, les œuvres tombent
dans le domaine public et peuvent ainsi être librement utilisées par
quiconque le souhaite sans aucune restriction.
Pour ce qui concerne les exceptions au droit d’auteur proprement dites, soit les limitations à la portée du droit exclusif pendant
la durée de protection du droit d’auteur, les législateurs sont en
mesure d’instituer des exceptions au droit dans leur réglementation
dans le respect des conventions internationales et particulièrement
du test en trois étapes (three step test)181 et des éventuels accords
régionaux182. Sur le plan du principe, deux grandes méthodes s’opposent, l’une, suivie notamment en droit américain, consistant à adopter une approche ouverte fondée sur une exception générale au droit
d’auteur (soit l’exception du « fair use »)183 laissant alors aux tribunaux la tâche de décider de la portée du droit d’auteur et de ses
exceptions dans chaque cas d’espèce, l’autre, mise en œuvre en
178.
179.
180.
181.
182.
183.
Sur ces questions, voir la thèse de PAHUD (Eric), Die Sozialbindung des Urheberrechts, thèse Berne, 2000.
Art. 29, al. 2 let. a LDA.
Tel est le cas en France (art. 121-1 CPI) ; à ce propos, voir LUCAS/LUCAS,
n° 505, 389.
Art. 9, al. 1 de la Convention de Berne (RS 0.231.15) et art. 13 de l’ADPIC (RS
0.632.20 annexe 1.C) ; voir FICSOR (Mihaly), « The three step test » (2002), 192
Revue internationale du droit d’auteur 111.
Pour l’Union européenne, voir l’art. 5 de la Directive 2001/29/CE du Parlement
européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects
du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, étant noté
que cette disposition contient un très long catalogue d’exceptions optionnelles
pouvant être mises en œuvre par les États membres et de ce fait n’harmonise pas
véritablement le droit des États membres.
Consacrée au § 107 de la loi américaine sur le droit d’auteur (1976 Copyright
Act).
L’art et la propriété intellectuelle
1347
droit européen continental, consistant au contraire à instituer différentes exceptions spécifiques au droit d’auteur dans la loi (par
exemple exception de citation, exception d’usage privé, etc.)184. C’est
cette dernière approche qui a été adoptée en droit suisse aux art. 19 à
28 LDA. Pour préserver la cohérence du système et l’équilibre du
droit d’auteur, on considère généralement que l’énumération des
exceptions légales est exhaustive. Toutefois, force est de constater
que des limites extrinsèques à la protection du droit d’auteur ne
paraissent pas pouvoir être évitées, notamment par application
du droit de la concurrence (réprimant les abus de position dominante)185.
Quoi qu’il en soit, les dispositions légales de la loi sur le droit
d’auteur, et particulièrement celles relatives aux exceptions, doivent
être interprétées de manière conforme à la Constitution186. Dans ce
contexte, le principe constitutionnel de la liberté de l’art pourra jouer
un rôle important, qui sera potentiellement susceptible d’entrer en
conflit avec la protection du droit d’auteur, raison pour laquelle il
convient d’étudier cette question.
1.4.2 Conflit entre le droit d’auteur et la liberté de l’art
Conçu comme le droit exclusif du créateur sur son œuvre, produit de son travail intellectuel, le droit d’auteur s’impose à quiconque souhaite utiliser de manière créative ou non une œuvre
préexistante187. Dans cette mesure, le droit d’auteur peut entrer en
conflit avec le principe constitutionnel de la liberté de l’article188.
L’article 21 de la Constitution fédérale dispose en effet que « la
184.
185.
186.
187.
188.
Sur ces différences d’approche, voir SCHACK, Kunst, no 272, 133; sur les divergences et convergences entre les systèmes du droit d’auteur et du copyright, voir
en général la thèse de STROWEL (Alain), Droit d’auteur et copyright, convergences et divergences, (Bruxelles : Bruylant, 1993).
Comme confirmé par les affaires Magill (CJCE RTE et al. c. Commission, affaires jointes C-241/91 P et C-242/91 [1991]) et IMS Health (CJCE, IMS Health c.
NDC Health affaire C-418/01 [2004]) jugées par la CJCE.
Pour le droit allemand, voir SCHACK, Kunst, no 272, 133.
Pour autant que cette utilisation entre dans le champ de protection du droit
d’auteur.
Voir DE WERRA (Jacques), « Liberté de l’art et droit d’auteur » (2001), Medialex
2001, 143 ss.; SCHMIEDER (Hans-Heinrich), « Freiheit der Kunst und freie
Benutzung urheberrechtlich geschützter Werke » [1982] Archiv für Urheber,Film,- Funk- und Theaterrecht (UFITA), 63 ss. ; DESSEMONTET, Droit d’auteur, 117 ss. ; PAHUD, 94.
1348
Les Cahiers de propriété intellectuelle
liberté de l’art est garantie »189, la liberté de l’art se trouvant ainsi
formellement élevée au rang de droit fondamental dans l’ordre juridique suisse190. On rappellera ici que, sur le plan international191, la
liberté de l’art trouve son fondement dans l’art. 15, § 3 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels192, et, en
tant que partie intégrante de la liberté d’expression, dans l’art. 19,
§ 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques193
ainsi que dans l’art. 10 de la Convention Européenne des Droits de
l’Homme.
Avant d’être formellement ancrée dans la Constitution fédérale, la liberté de l’art n’était pas reconnue comme un droit constitutionnel non-écrit indépendant194, mais était au contraire considérée
par le Tribunal fédéral comme une facette de la liberté d’expression195.
189.
190.
191.
192.
193.
194.
195.
La liberté de l’art a fait l’objet de plusieurs études en droit suisse; voir BÄGGI (S.),
Die Kunstfreiheit in der Schweiz, thèse Berne 1973; HEMPEL (Heinrich), Die
Freiheit der Kunst, thèse Zurich 1991; VOGT (Ursula), Die Freiheit der Kunst im
Verfassungsrecht der Bundesrepublik Deutschland und der Schweiz, thèse
Zurich 1974.
Les droits fondamentaux sont consacrés au chapitre premier du titre 2 (Droits
fondamentaux, citoyenneté et buts sociaux) de la Constitution (art. 7 à 34 Cst.).
Il convient de mentionner que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
du 10 décembre 1948, bien qu’elle n’ait aucune force obligatoire, dispose à son
art. 27, al. 1 que: « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie
culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent », alors son art. 27 al. 2 consacre la protection du droit d’auteur (« Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et
matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique
dont il est l’auteur »), préfigurant ainsi la tension existant entre la liberté de l’art
et le droit d’auteur.
RS 0.103.1; l’art. 15 ch. 3 dispose : « Les États parties au présent Pacte s’engagent à respecter la liberté indispensable à la recherche scientifique et aux activités créatrices ».
RS 0.103.2; l’art. 19 ch. 2 énonce : « Toute personne a droit à la liberté d’expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, recevoir et de répandre des
informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous
une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son
choix ».
Message du Conseil fédéral, FF 1997 I 163.
ATF 120 II 225, 227, JdT 1996 I 99, 101; ATF 117 Ia 472, 478 et la jurisprudence
citée; la liberté d’expression est protégée par l’art. 16 de la Constitution intitulé
« Libertés d’opinion et d’information » qui dispose (art. 16 al. 2) que « toute personne a le droit de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion »; la
consécration expresse de la liberté de l’art pose d’ailleurs la question délicate de
la délimitation précise devant être faite entre ces deux libertés, ce qui mériterait
de faire l’objet d’une étude distincte et dépasse le cadre de la présente contribution.
L’art et la propriété intellectuelle
1349
Ce conflit entre la liberté de l’art et la protection du droit
d’auteur met dès lors aux prises (au moins)196 deux droits fondamentaux, la liberté de l’art d’une part et la garantie de la propriété
d’autre part197, cette dernière protégeant également le droit d’auteur198. Dès lors que les droits fondamentaux trouvent leur concrétisation dans le cadre des législations mettant en œuvre la Constitution, il conviendra ainsi d’interpréter la législation sur le droit
d’auteur de manière conforme à la Constitution, en prenant en
compte le principe de la liberté de l’art. Au-delà de la liberté de l’art,
la protection constitutionnelle de la liberté d’expression sera également susceptible d’entrer en conflit avec la protection du droit d’auteur199.
La liberté de l’art peut ainsi être invoquée à propos des exceptions légales200 de la parodie, de la citation et des catalogues de
musées, d’expositions et de ventes aux enchères201.
Il appartient alors aux tribunaux de préserver l’équilibre délicat entre la promotion de la création d’œuvres futures (protégée par
la liberté de l’art) et la protection des œuvres existantes (découlant
196.
197.
198.
199.
200.
201.
La liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) protège également les éléments
extra-patrimoniaux (droit moral) du droit d’auteur, BARRELET (Denis) et al.,
Le nouveau droit d’auteur, 3e édition, (Berne : Stämpfli, 2008), no 9 ad Titre
et préambule ; pour une discussion de cette question, voir MACCIACCHINI
(Sandro), Urheberrecht und Meinungsfreiheit: untersucht am Gegenstand der
Verwendung urheberrechtlich geschützter Werke in der Berichterstattung der
Medien, (Berne : Stämpfli, 2000), 65 ss.
Consacrée à l’art. 26 Cst.
ATF 131 III 480, 490 consid. 3.1, JdT 2005 I 525; ATF 120 Ia 120, 121.
Sur cette question, voir en général MACCIACCHINI; en droit comparé,
HUGENHOLTZ (Bernt), « Copyright and Freedom of Expression in Europe »
dans Expanding the Boundaries of Intellectual Property, Innovation Policy for
the Knowledge Society, (Oxford : OUP, 2001), 343-364; COHEN (Jehoram H.),
« The Freedom of Expression in Copyright and Media Law » [1983] Gewerblichen
Rechtsschuz und Urheberrecht (GRUR International) 385 ss; cette question fait
l’objet d’un intense débat doctrinal aux États-Unis, récemment ravivé par la
crainte que la nouvelle législation américaine sur le droit d’auteur (Digital Millennium Copyright Act de 1998) étende excessivement le champ de protection du
droit d’auteur à l’ère numérique, au mépris du respect du « fair use », et protège
potentiellement des œuvres qui sont tombées dans le domaine public, voir
notamment BENKLER (Yokai), « Free as the Air to Common Use: First Amendment Constraints on Enclosure of the Public Domain » (1999), 74 New York University Law Review, 354 ss.
Sur le fondement constitutionnel des exceptions au droit d’auteur, voir PAHUD,
123 ss.
Par l’application du principe de la liberté de l’art en matière de libre utilisation
(« freie Benutzung »), voir DESSEMONTET, Droit d’auteur, 117 ss. et pour le
droit allemand SCHMIEDER, 63 ss.
1350
Les Cahiers de propriété intellectuelle
du droit d’auteur)203, en ne perdant pas de vue qu’une protection
excessive du droit d’auteur léserait les artistes dès lors que ces derniers s’inspirent (consciemment ou non)204 des œuvres créées par
autrui pour leurs propres créations.
1.4.3 L’exception de citation
L’art. 25 al. 1 LDA rend licites « les citations tirées d’œuvres
divulguées » « dans la mesure où elles servent de commentaire, de
référence ou de démonstration et pour autant que leur emploi en justifie l’étendue ». Bien que l’exception de citation semble a priori
devoir s’appliquer essentiellement dans un contexte scientifique, la
jurisprudence étrangère enseigne qu’une application de cette exception est également envisageable dans le domaine de l’art.
Ainsi, dans un arrêt fondamental205, la Cour constitutionnelle
allemande a donné une interprétation relativement large à l’exception de citation (consacrée au § 51 de la loi allemande sur le droit
d’auteur) en justifiant celle-ci par référence au respect du principe
constitutionnel de la liberté de l’art. Dans cette affaire, les ayants
droit de Bertolt Brecht s’opposaient à l’utilisation d’extraits de deux
de ses pièces de théâtre dans le cadre d’une nouvelle pièce de théâtre
écrite par Heiner Müller206. En renversant la décision de l’instance
inférieure (qui avait considéré que ces citations violaient le droit
d’auteur, car elles ne satisfaisaient pas aux conditions strictes de
l’exception légale de citation) et en renvoyant l’affaire à celle-ci pour
nouvelle décision, la Cour constitutionnelle allemande a souligné
qu’il était nécessaire de tenir particulièrement compte de la liberté
de l’art, dès lors que les citations litigieuses étaient faites dans le
203.
204.
205.
206.
À propos de cette tension, on peut se référer à un considérant de l’arrêt de la cour
constitutionnelle allemande, [2001] GRUR 150 : « Diese gesellschaftliche Einbindung der Kunst ist damit gleichzeitig Wirkungsvorrausetzungen für sie und
Ursache dafür, dass die Künstler in gewissem Mass Eingriffe in ihre Urheberrechte durch andere Künstler als Teil der sich mit dem Kunstwerk auseinander
setztenden Gesellschaft hinzunehmen haben ».
Voir l’affaire Bright Tunes Music Corp. v. Harrisongs Music, Ltd. (420 F. Supp.
177, S.D.N.Y. 1976, jugement confirmé: ABKCO Music, Inc. v. Harrisongs
Music, Ltd., 722 F. 2d 988 [2d Cir. 1983]), dans laquelle George Harrison a été
condamné pour plagiat pour avoir inconsciemment copié une œuvre d’un autre
compositeur.
Arrêt du Bundesverfassungsgericht du 29 juin 2000 (la cour examinant pour la
première fois la question de la relation entre le droit d’auteur et la liberté de
l’art), [2001] Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht (GRUR) 149 ss.
Pour une analyse de cet arrêt, voir METZGER (Axel), « ‘Germania 3 Gespenster
am toten Mann’ oder welchen Zweck darf ein Zitat gemäss § 51 Nr. 2 UrhG verfolgen ? » [2000] Zeitschrift für Urheber- und Medienrecht (ZUM), 924 ss.
L’art et la propriété intellectuelle
1351
cadre d’une création artistique. Cette décision pourrait ainsi constituer un argument favorisant l’application de la liberté de l’art en
matière de citation en droit suisse également207. D’ailleurs, en sus de
l’argument tiré de la liberté de l’art qui pourrait plaider en faveur
d’une conception élargie de l’exception de citation, on peut s’étonner
que, selon l’interprétation de l’art. 25 LDA faite par une partie de la
doctrine208, les œuvres des arts plastiques et les photographies ne
puissent pas bénéficier de l’exception de citation, au motif qu’il s’agirait d’œuvres « qui, par nature, ne peuvent être citées qu’en entier et
pour lesquelles le droit de citation équivaudrait pratiquement à une
libre utilisation [...] »209. On peut en effet s’interroger sur la valeur de
cet argument dans la mesure où rien ne s’oppose à ce qu’une utilisation d’une œuvre des arts plastiques ou d’une photographie ne porte
que sur une fraction de celles-ci, ce d’autant que la jurisprudence
récente du Tribunal fédéral ne semble pas exclure qu’une partie
d’une œuvre puisse être citée210. Si l’on pense en particulier aux collages artistiques211 ou à d’autres œuvres des beaux-arts faisant
visuellement référence à certaines créations préexistantes, on peut
imaginer que ces œuvres antérieures ne soient que partiellement reproduites, et soient simplement utilisées de manière créative
comme point de départ d’une inspiration nouvelle. Dans un tel cas,
pour autant que les autres conditions de l’exception de citation
soient remplies212, l’auteur de la nouvelle œuvre, de même que
207.
208.
209.
210.
211.
212.
On peut également noter le jugement du Tribunal de Grande Instance (TGI) de
Paris du 23 février 1999, RIDA 2000 (184), 374 (avec une note de KÉRÉVER).
Dans cette affaire, le TGI avait jugé que le droit d’auteur sur les œuvres de Maurice Utrillo ne pouvait pas interdire la diffusion d’un reportage télévisuel portant sur une exposition de tableaux du peintre (en dépit du caractère étroit de
l’exception de citation en droit d’auteur français), décidant ainsi que la violation
de l’art. 10 CEDH (liberté d’expression et droit du public à l’information) devait
prévaloir sur la protection des droits exclusifs de l’auteur; cet arrêt a été renversé en appel par la Cour d’appel de Paris, (2002), 191 RIDA, 294, cet arrêt
ayant été confirmé par la Cour de cassation, (2004), 200 RIDA, 291; pour une
analyse de ces arrêts, voir GEIGER (Christophe), Droit d’auteur et droit du
public à l’information, (Paris : LexisNexis, 2004), 391 ss.
BARRELET/EGLOFF, n° 2 ad art. 25; DESSEMONTET, Droit d’auteur, 356
ss. ; voir les autres nombreuses références citées par MACCIACCHINI, 184,
note 256.
BARRELET/EGLOFF, no 8 ad art. 25, se référant à KETTMEIR HUG (Gitti),
« Urheberrecht an der Fotografie nach schweizerischem Recht » [1998] Archiv
für Urheber,-Film,-Funk- und Theatrrecht (UFITA), 151 ss.
ATF 131 III 480, 491 consid. 3.2., JdT 2005 I 391.
Voir à titre d’exemple la réutilisation d’une fraction d’une photographie de mode
dans une œuvre de Jeff Koons dans l’affaire Blanch v. Koons, 467 F.3d 244 (2d
Cir., 2006) ; voir aussi DESSEMONTET, Droit d’auteur, 118.
Soit en particulier que la citation serve de commentaire, de référence ou de
démonstration (ce qui pourra toutefois être délicat à remplir dans le contexte
artistique), que son emploi en justifie son étendue et que la citation soit indiquée
1352
Les Cahiers de propriété intellectuelle
toutes les personnes et entités intervenant dans le processus de
distribution de cette œuvre213, devraient pouvoir se prévaloir de l’exception de citation, en invoquant une interprétation de l’art. 25 LDA
conforme à la liberté de l’art214. D’ailleurs, la doctrine récente souligne que la citation d’œuvres visuelles devrait être autorisée par
l’art. 25 LDA, compte tenu des exigences posées par la liberté d’expression tout particulièrement en regard des besoins des médias215.
1.4.4 L’exception de parodie
L’article 11, al. 3 LDA dispose que « [l]’utilisation d’œuvres
existantes pour la création de parodies ou d’imitations analogues est
licite ». Contrairement à ce qui pourrait être déduit de la place de
cette exception dans la systématique de la loi (cette exception figurant dans l’article consacré au droit à l’intégrité et pouvant ainsi être
conçue comme une exception à ce seul droit exclusif de l’auteur), il
est acquis que l’exception de parodie constitue une exception à tous
les droits d’auteur qui permet dès lors à son bénéficiaire, lorsque
ses conditions sont remplies, d’échapper complètement aux droits
exclusifs de l’auteur.
Bien que la parodie vise souvent davantage un but politique et
critique que proprement artistique216, ce qui la conduirait à être
traitée davantage comme une manifestation de la liberté d’expression plus que de la liberté de l’art, on peut admettre que la liberté de
l’art peut également s’appliquer en matière de parodies ou d’imitations analogues217. Ainsi, au même titre que l’auteur d’une satire
(qui est susceptible de porter atteinte à la personnalité de la victime
de celle-ci)218, le créateur d’une parodie devrait également être en
213.
214.
215.
216.
217.
218.
(souvent, les citations artistiques d’œuvres visuelles se rapportent à des œuvres
célèbres de sorte que la citation est automatiquement « reconnaissable comme
telle », BARRELET/EGLOFF, n° 11 ad art. 25) et que la source et l’auteur soient
mentionnés (il se produit souvent que l’auteur d’un collage/tableau intitule précisément son tableau « En hommage à ... », remplissant ainsi cette condition du
droit de citation).
Puisqu’ils sont tous titulaires de la liberté de l’art.
Voir SCHMIEDER, 65, considérant (en droit allemand) que le droit de citation
constitue une expression de la liberté de l’art et de la science.
MACCIACCHINI, 184 ss.
Voir SALVADÉ (Vincent), « L’exception de parodie ou les limites d’une liberté »
[1998] Medialex, 92 ss. ; DE WERRA, Intégrité, 156 ss.
PAHUD, 128.
Sur la satire, voir en général SENN (Mischa Charles), Satire und Persönlichkeitsschutz: zur rechtlichen Beurteilung satirischer Äusserungen auf der
Grundlage der Literatur- und Rezeptionsforschung, (Berne : Stämpfli, 1998).
L’art et la propriété intellectuelle
1353
mesure de se prévaloir de la liberté de l’art pour légitimer son activité créatrice face à l’opposition de la personne qui se prétend lésée
dans son droit d’auteur (et plus spécifiquement dans son droit à
l’intégrité de l’œuvre).
Bien que l’exception de parodie ait été – naturellement – souvent invoquée en matière d’Appropriation Art, elle a généralement
été rejetée par les tribunaux, ces derniers confirmant ainsi que cette
exception ne saurait constituer une voie de sortie facile (et gratuite) par trop défavorable aux créateurs des œuvres prétendument
parodiées219. Pour retenir une telle exception, il faudra en effet
démontrer que l’œuvre parodique constitue une critique artistique
ou sociale de l’œuvre parodiée220.
1.4.5 L’exception pour les catalogues de musées,
d’expositions et de ventes aux enchères
L’article 26 LDA consacre une exception au droit exclusif de
l’auteur en vue de favoriser l’édition de catalogues de musées, d’expositions et de ventes aux enchères en disposant que : « dans les
catalogues édités par l’administration d’une collection accessible au
public, il est licite de reproduire des œuvres se trouvant dans cette
collection ; cette règle s’applique également à l’édition de catalogues d’expositions et de ventes aux enchères ». Selon la jurisprudence (s’appuyant plus particulièrement sur une interprétation du
texte légal dans ses versions française et italienne)221, l’exception de
l’art. 26 LDA s’applique également aux catalogues d’expositions temporaires, et non seulement à ceux relatifs aux expositions permanentes. Toutefois, cette exception ne couvre pas les modes d’exploitation
des œuvres autres que l’édition et la commercialisation de catalogues sous forme d’exemplaires physiques (soit sous forme de livres).
Ainsi, ni la mise à disposition en ligne des œuvres sur Internet ni la
commercialisation de cartes postales des œuvres concernées ne sont
couvertes par l’exception de l’art. 26 LDA. Cette limitation vaut
également pour les catalogues de vente aux enchères.
219.
220.
221.
Comme exprimé par la Cour suprême des États-Unis dans la célèbre affaire
concernant la parodie rap de la chanson « Pretty Woman », « this is of course not
to say that anyone who calls himself a parodist can skim the cream and get away
scot free », Campbell v. Acuff-Rose Music, Inc., 510 U.S. 569 (1994), 589.
Ceci a été retenu à juste titre dans l’affaire des poupées Barbies, voir Mattel v.
Walking Mountain Productions, 353 F.3d 792 (9th Cir. 2003) ; voir aussi Campbell v. Acuff-Rose Music, Inc., 510 U.S. 569 (1994).
Dans cet arrêt, ATF 127 III 26, 32, le Tribunal fédéral a d’ailleurs constaté que
la loi sur le droit d’auteur « à côté de la protection des droits d’auteurs, [elle] tend
aussi à ne pas freiner exagérément la diffusion de la culture ».
1354
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Contrairement à ce qu’affirme une partie de la doctrine222, les
catalogues produits sous le régime de l’exception peuvent continuer
à être diffusés une fois l’évènement achevé, faute de quoi l’institution
concernée pourrait se voir privée de la possibilité d’écouler un stock
d’ouvrages commandés (et payés).
1.4.6 L’exception de la liberté de panorama
En vertu de l’art. 27, al. 1 LDA, il « est licite de reproduire des
œuvres se trouvant à demeure sur une voie ou une place accessible
au public ; les reproductions peuvent être proposées au public, aliénées, diffusées ou, de quelque autre manière, mises en circulation ».
Une des conditions d’application de cette exception au droit d’auteur
est que les œuvres concernées se trouvent « à demeure » sur une voie
ou une place accessible au public. L’interprétation de cette condition pourrait être délicate s’agissant d’œuvres dont l’existence (et
donc l’accessibilité au public) serait volontairement limitée par leur
auteur.
Dans ce cadre, on peut se référer à l’affaire du Reichstag
allemand qui avait été emballé en 1995 par les artistes Christo et
Jeanne-Claude pendant une période de deux semaines223. Ces artistes se sont ainsi opposés à la commercialisation de cartes postales
reproduisant des photographies de leur œuvre qui avait été effectuée
par une société qui invoquait comme moyen de défense l’exception de
liberté de panorama (« Panoramafreiheit ») consacrée au § 59 de la loi
allemande sur le droit d’auteur. À l’image de l’art. 27 LDA, cette disposition comporte également la condition que l’œuvre concernée soit
située de manière durable (« bleibend ») sur le lieu (public) concerné.
Dans son arrêt, le Bundesgerichtshof a jugé que cette exception ne
s’appliquait pas aux œuvres exposées temporairement sur un espace
public, peu importe à cet égard le sort réservé aux œuvres concernées
après leur exposition (soit que celles-ci soient détruites ou non après
l’exposition). Sur cette base, on devrait considérer par analogie que
l’exception de l’art. 27 LDA ne pourra pas être invoquée en cas d’expositions temporaires d’œuvres sur une voie ou une place accessible
au public.
222.
223.
BARRELET/EGLOFF, n° 3 ad art. 26.
BGH, [2002] GRUR 605.
L’art et la propriété intellectuelle
1355
1.5 Actes de disposition du droit d’auteur
1.5.1 Cession du droit d’auteur
En vertu de l’art. 16, al. 1 LDA, le droit d’auteur est cessible.
En vertu de ce principe, tous les droits d’exploitation découlant du
droit d’auteur peuvent être cédés à des tiers par l’auteur qui est le
titulaire originaire des droits en vertu du principe du créateur
(« Schöpferprinzip », art. 6 LDA). La cession des prérogatives de l’auteur rattachées au droit moral (particulièrement du droit de paternité et du droit à l’intégrité) est plus délicate224. La jurisprudence a
toutefois récemment consacré le principe de l’incessibilité du droit
moral. Le Tribunal fédéral a en effet expressément tranché que « le
droit moral ne peut pas être cédé ; c’est-à-dire qu’il est indissociablement lié à la personne physique qui a qualité d’auteur »225. En principe, on doit donc admettre que ces prérogatives ne sont pas cessibles
comme telles en vertu du lien indéfectible qui existe entre ces prérogatives et l’auteur, mais que ce dernier peut néanmoins renoncer à
l’avance à leur exercice par contrat pour autant qu’un tel engagement ne soit pas jugé excessif226. Ainsi, un artiste pourra accepter
que des modifications soient apportées à son œuvre par un tiers dans
la mesure où les modifications projetées seront connues ou à tout le
moins déterminables. A contrario, un artiste ne pourra pas valablement s’engager à autoriser un tiers par contrat à apporter toute
modification à son œuvre, ce que précise l’art. 11, al. 2 LDA qui
réserve à l’auteur le droit de s’opposer à « toute altération de l’œuvre
portant atteinte à sa personnalité », et ce particulièrement lorsqu’« un tiers est autorisé par contrat » à modifier l’œuvre ou à créer
une œuvre dérivée.
Les droits d’exploitation découlant du droit d’auteur, et particulièrement les droits énumérés à l’art. 10 al. 2 LDA peuvent être
cédés de manière globale ou individuelle, la cession globale de ces
droits contre un paiement forfaitaire étant valable en droit suisse227.
224.
225.
226.
227.
Pour une discussion, voir DE WERRA, « art. 16 LDA », Müller (Barbara)/ Oertli (Reinhard) (éd.), Stämpflis Handkommentar, Urheberrechtsgesetz (URG),
(Berne: Stämpfli, 2006) (cité : DE WERRA, « art. 16 LDA »), n° 16 ss.
ATF 136 III 225, [2010] Sic! 526, 528.
Voir pour tous DE WERRA, « art. 16 LDA », n° 16 ss.
CHERPILLOD (Ivan), « Titularité et transfert des droits », Marchetto Fabio
(éd.), La nouvelle loi fédérale sur le droit d’auteur, (Lausanne : CEDIDAC, 1994),
88 (cité : CHERPILLOD, Titularité), 102; STREULI-YOUSSEF (Magda),
« Grundlagen », Streuli-Youssef Magda (éd.), Urhebervertragsrecht, (Zurich :
Schulthess, 2006) (cité : STREULI-YOUSSEF, Grundlagen), 18.
1356
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En vertu du principe de la liberté contractuelle, les contrats relatifs
au droit d’auteur peuvent revêtir des formes variées. Ainsi, les droits
d’auteur peuvent être cédés notamment dans le cadre de contrats de
donation, d’échange, de vente, de travail ou encore d’entreprise228.
La cession de droits d’auteur a un effet absolu (erga omnes) et
est dès lors opposable à tous229. La cession se distingue ainsi de la
licence qui n’a qu’un effet relatif230. La cession tout comme la licence
de droits d’auteur ne requièrent en principe pas le respect de la
forme écrite231. Elles peuvent ainsi se produire de manière tacite et
concluante entre les parties. La volonté des parties doit être interprétée pour déterminer s’il s’agit d’une cession ou d’une licence dans
un cas particulier232. Bien que cela ne soit pas d’une importance pratique essentielle dans le contexte artistique (même s’il n’est pas
exclu que des droits d’auteur d’artistes soient détenus par des sociétés), il faut relever qu’une exception au principe de la liberté de la
forme résulte des nouvelles institutions de la scission (art. 29 ss
LFus) et du transfert de patrimoine (art. 69 ss LFus). Les actifs destinés à faire l’objet de la scission ou du transfert, parmi lesquels peuvent figurer des droits d’auteur, doivent en effet être expressément
mentionnés dans les contrats de scission ou de transfert de patrimoine, ces contrats étant soumis à la forme écrite (art. 36 al. 3 et art.
70 al. 2 LFus). En vertu de l’art. 37 lit. b ou respectivement de
l’art. 71 al. 1 lit. b LFus, le contrat doit comporter en annexe « un
inventaire renfermant la désignation claire, le partage et l’attribution des objets du patrimoine actif et passif ainsi que l’attribution des
fractions d’entreprise », ces dispositions précisant que « les immeubles, les papiers-valeurs et les valeurs immatérielles sont mentionnés individuellement », les « valeurs immatérielles » au sens de
l’art. 37, lit. b et de l’art. 71, al. 1 lit. b LFus comprenant ainsi les
droits d’auteur233.
228.
229.
230.
231.
232.
233.
VON BÜREN/MEER, 250 ; pour une cession fondée sur un contrat d’entreprise,
voir TF, [1999] Sic! 119, 122.
BARRELET/EGLOFF, 16 N 2 et 2a ; STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 18.
BARRELET/EGLOFF, 16, N 2 et 2a ; STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 18;
autre avis : REHBINDER (Manfred), Schweizerisches Urheberrecht, 3e édition,
(Berne : Stämpfli, 2000) (cité : REHBINDER, Urheberrecht), 164, qui considère que
la licence a des effets réels.
TF, [1997] Sic! 382; pour l’ancien droit – sous l’empire de l’art. 9 de la Loi sur le
droit d’auteur de 1922 – voir TF, [1999] Sic! 119.
Pour une illustration, voir TC Fribourg, [2003] Sic! 694.
STREULI-YOUSSEF (Magda), « Bedeutung des Fusionsgesetzes für die IPWelt? » [2004] Sic! 610, (cité : STREULI-YOUSSEF, Fusionsgesetz), 612.
L’art et la propriété intellectuelle
1357
En principe, seuls les titulaires du droit d’auteur peuvent agir
en violation des droits dont ils sont titulaires234. Toutefois, selon la
jurisprudence235, les preneurs de licence exclusive peuvent faire
valoir la violation des droits d’auteur concédés en licence face à des
violations commises par des tiers pour autant que ce pouvoir leur ait
été conféré dans le contrat de licence. De plus, selon le nouvel art. 62,
al. 3 LDA (entré en vigueur le 1er juillet 2008), « [l]a personne qui dispose d’une licence exclusive peut elle-même intenter l’action pour
autant que le contrat de licence ne l’exclue pas explicitement ». Ainsi,
le nouveau régime consacre la qualité pour agir du preneur de
licence exclusive, sauf si cela a été expressément exclu dans le contrat de licence, le nouveau régime n’étant toutefois applicable qu’aux
« contrats de licence conclus ou confirmés après l’entrée en vigueur
de la modification du 22 juin 2007 de la présente loi » (art. 81a LDA),
soit après le 1er juillet 2008.
1.5.2 Gestion individuelle et gestion collective
des droits d’auteur
Sous réserve de certaines exceptions légales (art. 13, 20, 22,
al. 1, 24b al. 1, 24c al. 4 et 35 LDA) pour lesquelles la gestion collective des droits par une société de gestion autorisée est obligatoire,
l’auteur est libre de décider s’il souhaite gérer ses droits d’auteur de
manière individuelle ou collective par le biais d’une société de gestion236. Lorsque des droits sont cédés à une société de gestion par
l’auteur, la société de gestion les acquiert de manière exclusive à
titre fiduciaire237. Les droits ainsi cédés à la société de gestion doivent alors être exercés par cette dernière, et ne peuvent plus l’être
par l’auteur lui-même238. Les tiers qui concluent un contrat avec
l’auteur portant sur l’exploitation d’une œuvre ne sont pas protégés
même s’ils sont de bonne foi239. Il est donc essentiel pour tout tiers de
vérifier la question de la titularité des droits dans le cadre de négociations conduites avec les auteurs ou les sociétés de gestion portant
sur l’utilisation des œuvres.
234.
235.
236.
237.
238.
239.
En application de l’adage « nul ne plaide par procureur ».
ATF 113 II 190, JdT 1988 I 306; voir aussi TF, [2008] Sic!, 209 ; Obergericht
Lucerne, [1997] Sic! 458.
BARRELET/EGLOFF, N 15 ad art. 40.
TF, [2002] Sic! 599; ATF 117 II 463, 465, JdT 1992 I 393.
TF, [2002] Sic! 599.
STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 22; la situation inverse peut également se
produire et aboutit à la même conséquence, soit celle dans laquelle la société
de gestion n’est pas titulaire des droits parce que l’auteur en a disposé, voir Kantonsgericht St. Gall, [1999] Sic! 630 avec une note de HILTY.
1358
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La Confédération exerce une surveillance sur la gestion de certains droits (soit des droits exclusifs d’exécution et de diffusion des
œuvres musicales non théâtrales, ainsi que de la confection de phonogrammmes et vidéogrammes de telles œuvres, au sens de l’art. 40,
al. 1 let. a LDA et sur les droits pour lesquels la gestion collective
est obligatoire (art. 40 al. 1 let. b LDA).
Pour tous les droits dont la gestion collective n’est pas obligatoire, la loi précise que l’auteur ou ses héritiers sont en droit de les
exercer librement, cet exercice des droits d’auteur n’étant pas soumis
à la surveillance de la Confédération (art. 40 al. 3 LDA). Ce privilège
de la gestion individuelle est réservé à l’auteur et à ses héritiers et ne
s’applique pas aux tiers cessionnaires des droits d’auteur240.
1.5.3 Création dépendante et droit d’auteur
Une grande partie de la création artistique résulte actuellement des efforts créatifs accomplis par des auteurs employés qui
créent collectivement des œuvres au profit de leurs employeurs
(notamment dans l’industrie cinématographique). Dans cette
mesure, l’image du poète solitaire créant dans sa mansarde241 ne
reflète pas pleinement les processus de création actuels des œuvres,
même si la création individuelle et indépendante reste la norme dans
le domaine des beaux-arts242. La question de la titularité des droits
par les employeurs est ainsi posée.
La loi consacre le principe du créateur (« Schöpferprinzip »,
art. 6 LDA). En vertu de ce principe, seule la personne physique qui a
créé l’œuvre peut être titulaire originaire des droits d’auteur sur
celle-ci. À titre d’exception, l’art. 17 LDA prévoit un régime particulier applicable aux logiciels créés par des employés dans le cadre de
leur fonction visant à permettre à l’employeur de jouir des droits
d’auteur sur le logiciel créé. En dehors de ce cas spécifique243, il
n’existe pas de cession légale des droits d’auteur en faveur de tiers
240.
241.
242.
243.
GOVONI (Carlo) et al., « Die Bundesaufsichtüber die kollektive Verwertung von
Urheberrechten », VON BÜREN (Roland) et al. (éd.), Schweizerisches Immaterialgüter- und Wettbewerbsrecht, vol. II/1, (Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 2006),
409, 436.
Telle qu’elle a été merveilleusement peinte par Carl Spitzweg (1808-1885) dans
son tableau « Der arme Poet » (1839).
Voir toutefois les œuvres collectives de certains duos d’artistes tels que Gilbert
& Georges, Christo et Jeanne Claude ou encore Pierre et Gilles.
Qui n’est pas pertinent dans le domaine artistique.
L’art et la propriété intellectuelle
1359
(particulièrement de l’employeur) de sorte qu’une cession contractuelle est nécessaire si le tiers souhaite bénéficier des droits exclusifs
sur l’œuvre, étant rappelé que la cession des droits d’auteur peut
intervenir de manière concluante.
En cas de litige sur la portée d’une cession contractuelle des
droits d’auteur notamment dans le cadre d’un contrat de travail, il
conviendra d’interpréter la volonté des parties. A cet égard, la théorie du but de la cession (« Zweckübertragungstheorie ») jouera un rôle
très important244. Il va toutefois de soi qu’en tant que règle d’interprétation, la « Zweckübertragungstheorie » ne peut pas trouver application, lorsque la volonté réelle et concordante des parties peut être
déterminée245.
La « Zweckübertragungstheorie » constitue la première règle
d’interprétation des contrats de droit d’auteur en Suisse246. Selon
cette théorie, la portée d’une cession de droit d’auteur se détermine
en cas de doute selon le but du contrat concerné. Bien que la « Zweckübertragungstheorie » qui trouve son origine en droit allemand a été
reconnue par la doctrine depuis longtemps, elle n’a été mentionnée
que très récemment dans la jurisprudence247. Elle est expressément
consacrée dans le domaine du contrat d’édition248. Ainsi, l’art. 381,
al. 1 du Code suisse des obligations dispose que « le contrat transfère
à l’éditeur les droits de l’auteur, en tant et aussi longtemps que l’exécution de la convention l’exige ». La « Zweckübertragungstheorie »
signifie ainsi qu’en cas de doute sur la portée d’une cession, l’auteur
n’est pas supposé transférer davantage de droits que ce qui est exigé
pour atteindre le but du contrat249.
L’application de la « Zweckübertragungstheorie » ne se limite
pas à la détermination de la portée d’une cession de droits d’auteur.
En effet, cette théorie a un champ d’application plus large que la
règle d’interprétation de l’art. 16, al. 2 LDA qui dispose que « [s]auf
convention contraire, le transfert d’un des droits découlant du droit
244.
245.
246.
247.
248.
249.
Voir VON BÜREN/MEER, 165 ss.
BARRELET/EGLOFF, n° 21 ad art. 16; STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 11.
DESSEMONTET, Droit d’auteur, 598.
TF, [1997] Sic! 382; comme souligné par la doctrine, voir VON BÜREN/MEER,
171, la « Zweckübertragungstheorie » a déjà été appliquée dans l’ATF 101 II 102,
JdT 1976 I 525, même si elle n’avait alors pas été expressément mentionnée.
VON BÜREN/MEER, 255.
TF, [1999] Sic! 119, 122; VON BÜREN/MEER, 169; CHERPILLOD, Titularité,
95.
1360
Les Cahiers de propriété intellectuelle
d’auteur n’implique pas le transfert d’autres droits partiels »250.
Cette théorie peut en effet aussi être appliquée pour déterminer la
nature (soit cession ou licence) et la durée du transfert (pour la
durée, voir l’art. 381, al. 1 CO)251. La « Zweckübertragungstheorie »
est également applicable à l’interprétation des contrats de licence de
droit d’auteur252, et permet aussi de déterminer si l’on a affaire à une
cession ou à une licence de droit d’auteur253. En cas de doute, on doit
admettre l’existence d’une licence et non d’une cession de droit d’auteur254.
En matière de contrats de travail, on peut admettre que les
droits d’auteur sur les œuvres qui ont été créées par l’employé en
exécution de ses obligations contractuelles peuvent être cédés tacitement à l’employeur en fonction du but du contrat de travail en application de la « Zweckübertragungstheorie »255. Selon le principe de la
bonne foi, on peut considérer que l’employé a cédé à l’employeur tous
les droits sur l’œuvre qui sont nécessaires pour atteindre le but du
contrat de travail256.
Pour ce qui concerne les œuvres qui sont créées sur commande257, le principe du créateur reste applicable (art. 6 LDA) de
sorte que le client qui a commandé une œuvre à un artiste258 doit se
faire céder le droit d’auteur par ce dernier s’il entend exploiter
l’œuvre. Dans ce cadre, la règle de l’art. 16, al. 3 LDA qui prévoit que
250.
251.
252.
253.
254.
255.
256.
257.
258.
CHERPILLOD, Titularité, 95, qui considère les art. 16 al. 2 et 3 LDA comme des
expressions particulières de la « Zweckübertragungstheorie ».
CHERPILLOD, Titularité, 96.
BARRELET/EGLOFF, 16 N 20; CHERPILLOD, Titularité, 46; voir toutefois
HILTY (Reto), « Urhebervertragsrecht: Schweiz im Zugszwang? », HILTY (Reto
M.) et al. (éd.), Urheberrecht am Scheideweg?, (Berne : Stämpfli, 2002) (cité :
HILTY, Urhebervertragsrecht), 96, note 28.
CHERPILLOD, Titularité, 95 s. ; pour des exemples pratiques, voir l’arrêt du
Tribunal cantonal de Fribourg, [2003] Sic! 694 et la sentence d’un tribunal arbitral zurichois publiée dans la RSPI 1990, 339; pour une discussion de cette sentence, voir PIAGET (Emmanuel), « La théorie de la finalité: entre théorie et
pratique », TISSOT (Nathalie) (éd.), Quelques facettes du droit de l’Internet :
droit des nouvelles technologies de l’information et de la communication, vol. 5,
(Neuchâtel : PAN Presses académiques Neuchâtel, 2004), 1, 8; avis contraire:
STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 11.
CHERPILLOD, Titularité, 97 s.
Bezirksgericht Unterrheintal, [2002] Sic! 589.
LAUX (Christian), Vertragsauslegung im Urheberrecht, thèse Zurich, (Berne :
Stämpfli, 2003), 174 avec des renvois.
Sur la question des œuvres de commande, voir SCHACK, Kunst, no 441 ss., 217
ss.
Un tel contrat est considéré comme un contrat d’entreprise au sens de l’art. 363
ss. CO ; voir ATF 115 II 50, JdT 1989 I 350 et, pour le droit allemand, voir BGHZ
19, 382.
L’art et la propriété intellectuelle
1361
le transfert de l’exemplaire de l’œuvre n’emporte pas cession des
droits d’auteur relatifs à cette œuvre trouvera application (sous
réserve de dispositions contraires intervenues par accord entre les
parties). La question du transfert des droits peut s’avérer problématique si la commande est annulée (i.e. le contrat d’entreprise est
résilié) avant l’achèvement de l’œuvre259. Dans une telle situation,
l’acquéreur doit en principe respecter le droit de première divulgation de l’auteur qui permet à ce dernier de s’opposer à la divulgation
au public de son œuvre inachevée260.
1.5.4 Transmission du droit d’auteur par succession
L’article 16, al. 1 LDA dispose que les droits d’auteur sont
transmissibles par succession. L’ensemble des droits d’auteur est
concerné, qu’il s’agisse des droits patrimoniaux ou des droits découlant du droit moral261.
Sous réserve de dispositions qui auraient été prises par l’auteur
de son vivant, les héritiers de ce dernier jouissent d’une liberté totale
dans l’exercice (ou le non-exercice) des droits d’auteur qu’ils ont hérités262. Selon les règles ordinaires du droit des successions (art. 602,
259.
260.
261.
262.
À titre d’exemple, le lecteur pourra se référer au litige opposant l’artiste suisse
Christoph Büchel au Massachusetts Museum of Contemporary Art : 565 F.
Supp. 2d 245 (2008) (D. Mass. 2008), aff’d in part and vacated in part, 593 F.3d
38 (1st Cir. 2010) ; voir également SMITH (Roberta), « Is It Art Yet? And Who
Decides? », New York Times, 16 septembre 2007 (disponible en ligne : <http://
www.nytimes.com/2007/09/16/arts/design/16robe.html>.
Voir l’Affidavit du Prof. Robert Storr, Doyen de Yale University School of Art,
soumis à la Cour (U.S.D.C. of Massachusetts) dans le cadre de la procédure de
Christoph Büchel contre le Mass MoCA (supra, note 259) : « In my view, under no
circumstance should a work of art be shown to the public until the artist has
determined that it is finished. Speaking as someone who has commissioned or
sponsored many com- parable artistic projects, I strongly maintain that public
institutions that act as sponsors for art projects should only do so with the full
knowledge that those projects may not meet their expectations, and, in the end,
may even prove unfeasible. No matter how much money may be spent on the
creating of a work by an institution on behalf of their public, such sponsorship
belongs to the category of patronage and does not buy that institution or its
public any degree of ownership of or any proprietary right over the project much
less any decision-making authority with respect its readiness for public presentation. » (Motion for summary judgment du 31 août 2007, <http://www.scribd.
com/doc/270678/Buchel-Summary-Judgment-Brief>).
BARRELET/EGLOFF, no 12 ad art. 16; VOUILLOZ (François), « La transmission du droit d’auteur aux héritiers », WERRO (Franz) et al. (éd.), La transmission du patrimoine. Questions choisies. Contributions en l’honneur de PaulHenri Steinauer à l’occasion de ses cinquante ans, (Fribourg : Éditions Universitaires Fribourg, 1998), 95, 103 ; DE WERRA, Successions, 686.
Certaines réglementations étrangères permettent de lutter contre des abus
qui seraient commis après le décès de l’auteur, voir par exemple l’art. 121-3 du
1362
Les Cahiers de propriété intellectuelle
al. 2 du Code civil suisse (CC)) les héritiers doivent agir ensemble de
manière unanime, les règles relatives aux co-auteurs (art. 7 LDA)
n’étant pas applicables à la communauté héréditaire263.
Afin de contrôler son patrimoine artistique après son décès,
l’auteur est en droit de prendre des mesures de droit successoral
dans ce but. L’auteur peut ainsi nommer un exécuteur testamentaire
(art. 517 CC) dans le but d’exercer (ou de contrôler l’exercice de)
certains droits d’auteur (par exemple les prérogatives découlant
du droit moral)264. L’auteur peut également imposer des charges
(art. 482 CC) relatives à l’exercice des droits d’auteur, notamment
dans le but d’interdire la divulgation d’œuvres inachevées par les
héritiers265. En raison de la durée de protection relativement longue
du droit d’auteur266, il serait utile qu’une personne morale soit
désignée comme exécutrice testamentaire. L’auteur pourra d’ailleurs créer une fondation de son vivant, à qui il céderait ses droits
d’auteur de son vivant ou par des dispositions à cause de mort267, en
respectant à cet égard les limites du droit des successions (soit en
particulier les dispositions relatives à la réserve, art. 471 et s. CC).
1.6 Relation entre le droit d’auteur sur l’œuvre et le droit
de propriété sur l’exemplaire matériel de l’œuvre
La loi comporte certaines dispositions qui visent à arbitrer les
relations existant entre l’artiste en tant que titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre (ou ses ayants droit) et le propriétaire d’un exemplaire de celle-ci qui jouit du droit de propriété sur cet exemplaire,
263.
264.
265.
266.
267.
Code français de la propriété intellectuelle : « En cas d’abus notoire dans l’usage
ou le non-usage du droit de divulgation de la part des représentants de l’auteur
décédé visés à l’article L. 121-2, le tribunal de grande instance peut ordonner
toute mesure appropriée. »; pour une illustration, voir l’affaire Foujita, Cour de
cassation, (1989), 141 RIDA, 257.
ATF 121 III 118, 121, JdT 1995 I 274.
SCHACK, Kunst, no 325, 157.
BAUMGARTNER (Christoph), Nachlassplanung des Urhebers : Verfügungsund Gestaltungsspielraum zu Lebzeiten und von Todes wegen, thèse Berne 2005,
103 ; l’intérêt général commanderait que ces charges soient réduites dans certains cas, comme le célèbre exemple de Max Brod et Franz Kafka le démontre ; de
la même façon, le fils de Vladimir Nabokov a fait publier – en invoquant l’intérêt
général et la culture – la dernière œuvre non divulguée de son père (The Original
of Laura) pour éviter qu’elle ne soit brûlée, voir CONNOLLY (Kate), « Nabokov’s
last work will not be burned », The Guardian, 22 avril 2008, <http://www.guardian.co.uk/books/booksblog/2008/apr/22/nabokovoriginaloflaura>.
Septante ans après le décès de l’auteur – sous réserve des logiciels – en vertu de
l’art. 29, al. 2 let. a et b LDA.
Voir BAUMGARTNER, 79 s., 115 ss. ; DE WERRA, Successions, 694 ss.
L’art et la propriété intellectuelle
1363
qui lui permet de disposer de sa chose « dans les limites de la loi »
(art. 641, al. 1 CC), une des limites légales du pouvoir du propriétaire
découlant précisément du droit d’auteur.
En vertu de l’art. 14 al. 1 LDA, l’artiste a ainsi le droit d’accéder
aux exemplaires de son œuvre « dans la mesure où cela se révèle
indispensable à l’exercice de son droit d’auteur et à condition qu’aucun intérêt légitime du propriétaire ou du possesseur ne s’y oppose ».
Cette disposition crée un droit d’accès qui permettra par exemple à
l’artiste de reproduire un exemplaire unique d’une œuvre qui est la
propriété d’un collectionneur afin d’en faire une copie (et d’exercer
ainsi son droit de reproduction de l’œuvre)268 ou de vérifier si une
atteinte a été portée à l’intégrité de l’œuvre (de sorte que l’auteur
puisse le cas échéant s’y opposer). Par contre, une demande d’accès à
une œuvre qui serait fondée sur le simple souhait de l’artiste de
répertorier ses œuvres ne pourra pas être fondée sur l’art. 14, al. 1
LDA dès lors qu’une telle requête d’accéder à son œuvre ne serait
pas « indispensable à l’exercice de son droit d’auteur ». Aussi ne
saurait-on trop recommander aux artistes de tenir un inventaire
détaillé et précis de leurs œuvres et des propriétaires de celles-ci,
faute de pouvoir contraindre les propriétaires à leur donner accès à
leurs œuvres269.
L’exercice du droit d’accès de l’art. 14 LDA supposera en outre
qu’aucun « intérêt légitime du propriétaire ou du possesseur ne s’y
oppose », de tels intérêts légitimes pouvant notamment résulter de la
fragilité de l’œuvre. La question de l’intérêt légitime du propriétaire
ou possesseur pourra en particulier se poser dans le contexte où l’artiste souhaiterait copier l’exemplaire unique de l’œuvre propriété
d’un collectionneur (par exemple par moulage). Faute de stipulation contractuelle contraire garantissant une certaine exclusivité au
collectionneur propriétaire de l’exemplaire unique de l’œuvre, ce
dernier n’aura pas d’intérêt légitime à s’opposer à ce que l’artiste
accède à son œuvre, même si les copies de l’exemplaire unique qui
seraient ultérieurement commercialisées par l’artiste seraient susceptibles d’affecter la valeur commerciale de l’exemplaire (jusqu’alors unique) qui est la propriété du collectionneur270.
268.
269.
270.
Pour une illustration (sous l’angle du droit allemand), voir l’affaire Totenmaske,
KG, [1983] GRUR 507.
Sachant que, sous réserve de ventes publiques (pour lesquelles l’artiste pourrait
éventuellement toucher une rémunération au titre du droit de suite), l’artiste ne
sera pas en mesure ni de contrôler le transfert ultérieur de ses œuvres ni d’obtenir les noms et coordonnées des propriétaires de celles-ci.
Dans ce sens SCHACK, Kunst, no 167, 89 se référant à [1983] GRUR 567.
1364
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’article 14, al. 2 LDA consacre pour sa part le droit de l’auteur
d’obtenir la remise d’un exemplaire d’une œuvre du propriétaire ou
possesseur de celle-ci afin de pouvoir l’exposer en Suisse à condition
que l’auteur puisse « établir un intérêt prépondérant ». Un tel intérêt
prépondérant pourra en particulier être admis s’agissant d’expositions rétrospectives de l’œuvre de l’artiste concerné ou d’une autre
exposition majeure (même s’il s’agit d’une exposition collective).
Dans cette perspective, l’art. 14, al. 3 LDA permet au propriétaire ou possesseur de subordonner la remise de l’œuvre à la fourniture de sûretés en garantie de la restitution de l’exemplaire intact,
de telles sûretés pouvant notamment résulter de la preuve de la conclusion d’une assurance suffisante de l’exemplaire de l’œuvre pour
l’exposition. En outre, la loi prévoit que l’artiste sera responsable
même sans faute de sa part en cas de dommage causé à l’œuvre ainsi
empruntée (art. 14, al. 3 in fine LDA) et crée ainsi une responsabilité
causale à la charge de l’artiste.
L’art. 16 al. 3 LDA consacre pour sa part la distinction essentielle qui doit être faite entre les droits d’auteur sur l’œuvre immatérielle et les droits de propriété civile sur le support matériel de cette
œuvre (par exemple un tableau ou une sculpture). En vertu de cette
disposition, « le transfert de la propriété d’une œuvre, qu’il s’agisse
de l’original ou d’une copie, n’implique pas celui du droit d’auteur »271. Cette disposition confirme ainsi le principe de l’indépendance réciproque entre le droit d’auteur sur l’œuvre immatérielle et
les droits de propriété civile sur l’exemplaire de l’œuvre (corpus
mechanicum)272. L’article 16, al. 3 LDA institue une présomption
réfragable273 en vertu de laquelle le propriétaire d’un exemplaire de
l’œuvre n’acquiert aucun droit d’auteur sur l’œuvre matérialisée
dans cet exemplaire274. Ainsi, l’acquéreur d’un tableau ne dispose,
sauf convention contraire conclue avec l’artiste, d’aucun droit d’auteur sur l’œuvre qui est matérialisée dans le tableau acheté. Toutefois, une personne qui exécute un dessin sur la commande d’un tiers
dans un but donné doit admettre de bonne foi que la remise du dessin
271.
272.
273.
274.
La terminologie en français est trompeuse dans la mesure où il est fait référence
au « transfert de la propriété de l’œuvre », et pas au transfert de la propriété d’un
exemplaire de l’œuvre (la version allemande y fait correctement référence : « Die
Übertragung des Eigentums am Werkexemplar [...] »).
Cette indépendance a été consacrée de longue date par la jurisprudence; voir
ATF 68 III 65, JdT 1943 II 11.
TF, [1999] Sic! 119 ss., 122.
Pour des illustrations – décidées en application de l’ancien droit –, voir CJ
Genève, SJ 1964, 191; Obergericht Zurich, RSPI 1971, 237.
L’art et la propriété intellectuelle
1365
contre paiement implique une cession du droit d’exploitation de
l’œuvre aux fins envisagées275. On peut ainsi parfois déduire du
transfert de propriété civile sur l’exemplaire matériel de l’œuvre une
cession tacite des droits d’auteur276. Il s’agit en définitive d’une question d’interprétation de la volonté des parties au contrat dans le cas
particulier.
1.7 Droit d’auteur et exploitation des œuvres numériques
Le développement de nouvelles technologies d’information et
de communication a constitué et constitue encore à ce jour un défi
majeur pour les titulaires de droit d’auteur et de droits voisins,
comme en témoigne le nombre de procédures judiciaires ayant éclaté
à ce propos de par le monde, notamment à propos de la mise à disposition illicite de musique sur Internet277.
L’exploitation globale et illimitée des contenus numériques, y
compris des œuvres protégées par le droit d’auteur (et des prestations protégées par les droits voisins) est désormais à la portée de
tout Internaute, les coûts de reproduction et de diffusion à l’échelle
planétaire étant désormais pratiquement nuls, ce qui n’est pas sans
risque pour la protection efficace des titulaires de droits et a suscité
certaines évolutions du droit d’auteur278.
Dans cette nouvelle ère du numérique, les solutions techniques
de protection (« technological protection measures ») ont été considérées comme un moyen approprié de protéger les œuvres. Comme telles (soit comme un moyen purement technique de protéger les contenus
numériques), les mesures techniques ne nécessitent ni réglementation,
ni protection légale. Cependant, dès lors que toutes les mesures techniques sont finalement susceptibles d’être contournées279, le besoin
de leur conférer une protection légale s’est fait sentir280.
275.
276.
277.
278.
279.
280.
TF, [1999] Sic! 122.
Voir STREULI-YOUSSEF, Grundlagen, 12 et note 32 avec renvoi à l’ATF 54 II
52, 54, JdT 1928 I 300 (la possession d’un négatif de film photo crée la présomption de la cession du droit de reproduction en faveur du possesseur du négatif).
Voir en particulier la célèbre affaire Grokster qui a été tranchée par l’arrêt de la
Cour suprême des États-Unis, MGM Studios, Inc. v. Grokster, Ltd., 545 U.S. 913
(2005).
Voir DE WERRA, « L’évolution du droit d’auteur à l’épreuve d’Internet »,
A. RAGUENAU (éd.) Internet 2003, (Lausanne : CEDIDAC, 2004), 3 ss.
SAMUELSON (Pamela), « The U.S. Digital Agenda at WIPO » (1997), 37 Va. J.
Int’l L. 369, 410: « What one technology can do, another can generally undo ».
Voir DE WERRA (Jacques), « Le régime juridique des mesures techniques de protection des œuvres selon les Traités de l’OMPI, le Digital Millennium Copyright
1366
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Une protection légale contre la neutralisation des mesures
techniques a ainsi été adoptée dans le traité de l’OMPI sur le droit
d’auteur (World Copyright Treaty, ci-après : WCT) ainsi que dans le
traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (World Performances and Phonograms Treaty, ci-après :
WPPT), tous deux signés à Genève en décembre 1996281.
Il en résulte que les titulaires du droit d’auteur bénéficient de
trois niveaux de protection cumulables : le premier est la protection
légale par le droit d’auteur. Le deuxième niveau est la protection
technique des œuvres par le moyen de mesures techniques de protection. Le troisième et nouveau niveau est la protection légale contre le
contournement des mesures techniques de protection introduite par
les Traités Internet de l’OMPI282.
L’art. 11 WCT (intitulé « obligations relatives aux mesures
techniques ») qui institue un seuil de protection juridique minimale contre le contournement des mesures techniques dispose que
« [l]es Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique
appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par
les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention de Berne et qui restreignent l’accomplissement, à l’égard de leurs œuvres, d’actes qui ne sont pas
autorisés par les auteurs concernés ou permis par la loi »283. L’article
281.
282.
283.
Act, les Directives européennes et d’autres législations (Australie, Japon)/The
Legal System of Technological Protection Measures under the WIPO Treaties,
the Digital Millennium Copyright Act, the European Union Directives and other
National Legislations (Australia, Japan) », Adjuncts and Alternatives to Copyright/Régimes complémentaires et concurrentiels au droit d’auteur: Proceeding
of the 2001 Congress/Actes du Congrès 2001 de l’Association Littéraire et Artistique Internationale, (New York : ALAI, 2002), 179-279, également publié in
(2001), 189 Revue internationale du droit dauteur, 66-213.
Le WCT et le WPPT sont appelés les « Traités Internet de l’OMPI »; ils sont
entrés en vigueur le 6 mars 2002 pour le WCT et le 20 mai 2002 pour le WPPT.
Ce nouveau niveau de protection a ainsi pour effet d’« électrifier la barrière des
mesures techniques de protection », voir DUSOLLIER (Séverine), « Electrifying
the Fence: The Legal Protection of Technological Protection Measures for Protecting Copyright » (1999), European Intellectual Property Review 285; et la
thèse de cet auteur, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers numérique – Droits et exceptions à la lumière des dispositifs de verrouillage des
œuvres, (Bruxelles : Larcier, 2005).
Disponible à : <http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/wct/trtdocs_wo033.html#
P95_12573>.
L’art et la propriété intellectuelle
1367
18 WPPT adopte une formulation similaire en matière de droits des
interprètes et des producteurs de phonogrammes284.
Ces dispositions conventionnelles ont ultérieurement été mises
en œuvre par les législateurs nationaux (ou régionaux pour ce qui
concerne l’Union européenne), ce qui a été fait de manière rapide par
les États-Unis dans le Digital Millennium Copyright Act (DMCA)
adopté en octobre 1998, et ce de manière extrêmement détaillée285,
voire « diaboliquement compliquée »286. Il n’est dès lors pas surprenant que cette réglementation ait suscité de nombreux commentaires et analyses287. Même si une présentation détaillée du DMCA
(ainsi que des critiques formulées à son encontre) dépasse le cadre de
la présente contribution, cette réglementation est importante sur le
plan international et du droit comparé, s’agissant de la première
réglementation d’envergure mettant en œuvre les Traités Internet
de l’OMPI contre laquelle un mouvement d’opposition s’est formé288.
De manière générale, on a critiqué le DMCA parce qu’il créerait
une société payant par usage (« pay-per-use society »)289. Le DMCA a
effectivement créé, de manière indirecte290, un nouveau « droit d’accès » à l’œuvre en faveur des titulaires des droits. Ainsi, selon le système du DMCA, à moins qu’un utilisateur puisse bénéficier d’une
exception spécifique qui lui permettrait de neutraliser la mesure
technique contrôlant l’accès à une œuvre numérique291, chaque accès
à l’œuvre sera soumis aux conditions imposées par les titulaires des
284.
285.
286.
287.
288.
289.
290.
291.
Vu la similarité entre l’art. 11 WCT et l’art. 18 WPPT, référence sera faite ici au
seul art. 11 WCT.
17 U.S.C. § 1201.
Voir par exemple NIMMER (David), « A Riff on Fair Use in the Digital Millennium Copyright Act » (2000), 148 University of Pennsylvania Law Review 673,
675; même si la réglementation est concentrée dans une section de la loi (§ 1201),
elle consacre deux types de mesures techniques différentes [accès et utilisation],
fonde deux procédures réglementaires [dont l’une est supposée être renouvelée
tous les trois ans] et sept exceptions spécifiques à l’interdiction de neutralisation.
Voir par exemple NIMMER (cité à la note précédente) et SAMUELSON
(Pamela), « Intellectual Property and the Digital Economy: Why the Anti- Circumvention Regulations Need to Be Revised » (1999), 14 Berkeley Technology
Law Journal 519, 563, constatant que les dispositions anti-neutralisation du
DMCA sont « imprévisibles, trop larges, inconsistantes et complexes ».
Voir par exemple le site <http://www.eff.org/issues/dmca>.
NIMMER, 710.
En rendant en principe illicite la neutralisation des mesures techniques protégeant l’accès au § 1201(a)(1).
Notamment dans le but de tester la sécurité du système informatique, voir
§ 1201 (j).
1368
Les Cahiers de propriété intellectuelle
droits (généralement le paiement d’une redevance). Si les mesures
techniques interdisent également la réalisation de copies de l’œuvre,
l’utilisateur sera contraint d’accéder à l’œuvre en ligne s’il souhaite
l’utiliser ou en profiter à nouveau. Par comparaison, dans le monde
actuel des objets tangibles, si l’utilisateur acquiert un livre dans une
librairie, il en est propriétaire et décide librement de sa future utilisation, cette utilisation privée n’étant pas soumise à un paiement
additionnel ni à des conditions imposées par les titulaires des droits.
Sur le plan de l’Union européenne, la protection légale contre le
contournement des mesures techniques résultant des Traités Internet de l’OMPI a été mise en œuvre par la Directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins
dans la société de l’information (Directive droit d’auteur et société de
l’information, DDASI), adoptée le 9 avril 2001292.
L’article 6, al. 3 DDASI définit ainsi les mesures techniques
comme « toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre
normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à limiter,
en ce qui concerne les œuvres ou autres objets protégés, les actes non
autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin du
droit d’auteur prévu par la loi, ou du droit sui generis prévu au chapitre III de la Directive 96/9/EC ». En suivant la solution de la neutralité technologique adoptée dans le WCT, les mesures techniques
sont définies par leur but, qui est d’empêcher des actes qui ne sont
pas autorisés par le titulaire du droit d’auteur ou d’un droit voisin au
droit d’auteur.
Sur la base de cette définition, une question qui se pose est de
déterminer si le titulaire du droit d’auteur a autorisé ou non l’acte
pour lequel des mesures techniques de protection ont été mises en
œuvre. Si le titulaire du droit d’auteur n’a pas autorisé cet acte, toute
mesure technique protégeant l’exercice non autorisé de cet acte
entrera dans le champ d’application de cette disposition, même si cet
acte se trouve en dehors de la sphère de protection du droit d’auteur.
En prenant l’exemple d’un titulaire de droits (par exemple une
société de presse en ligne) qui interdit spécifiquement par contrat
292.
Voir l’étude réalisée par le Centre de recherche en droit de l’information (Institute for Information Law, IViR) de l’Université d’Amsterdam à la demande de la
Commission européenne, Study on the implementation and effect in member
states’ laws of directive 2001/29/ec on the harmonisation of certain aspects of
copyright and related rights in the information society (février 2007), accessible
à : <http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/docs/studies/infosoc-study_
en.pdf>.
L’art et la propriété intellectuelle
1369
(dans un contrat en ligne [« click on agreement »])293 la citation du
contenu protégé dans le cadre de comptes rendus d’actualité, une
mesure technique protégeant ce contenu serait valable (la contourner serait illicite) au sens de l’art. 6, al. 3 DDASI, parce que l’acte en
cause (la citation du contenu) n’a pas été autorisé par le titulaire du
droit, même si la citation en matière de comptes rendus d’actualité
d’œuvres protégées ne peut pas être interdite par le droit d’auteur294.
Cet exemple démontre que cette définition extensive des mesures
techniques va au-delà des exigences posées par le WCT en penchant
en faveur des titulaires des droits295.
L’article 6, al. 4 DDASI contient pour sa part une solution originale au problème essentiel de l’interaction entre l’interdiction du
contournement des mesures techniques de protection et le respect
des exceptions au droit d’auteur. Cette disposition a pour but d’assurer que les intérêts des utilisateurs soient pris en compte lors de l’introduction d’une nouvelle protection contre le contournement des
mesures techniques introduites en faveur des titulaires des droits.
Elle invite les parties intéressées (soit les titulaires des droits, les
utilisateurs et les autres parties concernées [en particulier les producteurs de biens électroniques de consommation]) à prendre des
« mesures volontaires » afin de permettre aux utilisateurs de bénéficier des exceptions au droit d’auteur garanties par les législations
nationales. Cet article délègue ainsi la tâche de définir la portée du
droit d’auteur (et de ses exceptions) à des entités privées. Cela peut
constituer une solution acceptable pour autant que le pouvoir de
négociation des parties soit similaire.
À défaut296, l’équilibre du droit d’auteur en souffrirait. Si aucun
accord n’est conclu entre les parties intéressées, les Etats membres
sont invités à prendre les « mesures appropriées » afin d’assurer
293.
294.
295.
296.
En présumant que ce contrat est valable.
La Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques,
révisée à Paris le 24 juillet 1971 (RS 0.231.15) prévoit des exceptions tant pour la
citation que pour les comptes rendus d’actualité (art. 10 al. 1 et art. 10bis al. 1),
voir art. 28 LDA.
Il n’y a plus de convergence entre l’étendue du droit d’auteur et celle des dispositions anti-neutralisation.
Tel serait le cas si les titulaires des droits peuvent imposer des conditions contractuelles qui ne respectent pas les exceptions accordées aux utilisateurs par
les législations nationales sur le droit d’auteur. Pour éviter de tels résultats, les
clauses des accords (« les mesures volontaires ») pourraient être contrôlées par
une autorité officielle (au niveau de l’Union européenne ou au niveau national)
avant d’être effectives, par exemple par le « comité de contact » devant être créé
selon l’art. 12 DDASI.
1370
Les Cahiers de propriété intellectuelle
que les bénéficiaires des exceptions ou limitations au droit d’auteur « puissent bénéficier desdites exceptions ou limitations dans la
mesure nécessaire pour en bénéficier lorsque le bénéficiaire a un
accès licite à l’œuvre protégée ou à l’objet protégé en question »
(art. 6, al. 4, par. 1 DDASI).
Cependant, en dépit de son apparence équilibrée, tout le système de l’art. 6 est mis en danger par l’art. 6 al. 4 par. 4 qui dispose
que les mesures volontaires définissant l’étendue des exceptions à la
protection du droit d’auteur, ou, à défaut, les mesures prises par les
États membres définissant ces exceptions « ne s’appliquent pas aux
œuvres ou autres objets protégés qui sont mis à la disposition du
public à la demande selon les dispositions contractuelles convenues
entre les parties de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. ». Il en résulte que,
vu que ce mode d’utilisation des œuvres protégées par le droit d’auteur est actuellement le mode le plus répandu (si ce n’est le seul)
dans le commerce en ligne, l’application effective des exceptions au
droit d’auteur est mise en danger par la DDASI.
Pour ce qui concerne la Suisse, l’art. 39a LDA reprend les principes essentiels figurant à l’art. 6 DDASI. Toutefois, l’art. 39a LDA
prévoit que « [l]’interdiction de contourner ne peut pas frapper celui
qui contourne une mesure technique efficace exclusivement dans le
but de procéder à une utilisation licite », l’objectif étant de ne pas
entraver l’exercice d’une exception au droit d’auteur. Cette disposition a pour effet de faire échapper à toutes sanctions civiles et pénales celui qui contourne une mesure technique efficace dans le but
de bénéficier d’une exception du droit d’auteur. Son utilité concrète
reste douteuse compte tenu du fait que la personne qui souhaite
bénéficier de cette exception et veut ainsi contourner des mesures de
protection devrait pouvoir le faire par ses propres moyens. En effet,
aucun tiers ne pourra l’aider à contourner la protection technique,
dès lors que la fourniture de dispositifs ou de services visant essentiellement à permettre le contournement de mesures techniques de
protection est réprimée (art. 39a, al. 3 LDA).
Dans cette mesure, on doit constater que le nouveau régime
légal de protection contre le contournement des mesures techniques
de protection crée directement ou indirectement un « droit d’accès »
qui est un nouveau concept en droit d’auteur, qui n’est pas consacré
ni par la Convention de Berne ni par le WCT297.
297.
DUSOLLIER, 291: « This [the right to control access to the work] de facto right
goes beyond the criteria of exercise of their rights which justified the protection of
L’art et la propriété intellectuelle
1371
On a ainsi craint que le système du DMCA et des autres réglementations mettant en œuvre les obligations des Traités Internet de
l’OMPI menacent l’équilibre entre les intérêts des titulaires des
droits et ceux des utilisateurs des œuvres d’une manière préjudiciable à ces derniers298. Ainsi, la question a été posée : « Le fair use
va-t-il survivre ? »299. Plus généralement, on redoute l’apparition
d’un phénomène de privatisation de l’accès à la culture300, et la création d’une société de l’information dans laquelle tout accès à un
contenu protégé serait payant. Ces appréhensions ont conduit à une
prise de conscience de la nécessité de protéger le domaine public, qui
s’est notamment concrétisée par la création de différents centres de
recherche (parfois dans un cadre académique)301 dans ces domaines302.
Toutefois, on doit relever qu’il n’est pas exclu que les risques redoutés qui résultent de l’application des dispositions légales
relatives à l’interdiction du contournement des mesures techniques
de protection deviennent plus théoriques que pratiques. En effet,
comme l’avait prédit un spécialiste, et comme le marché semble le
laisser entrevoir303, « si les fournisseurs de contenu viennent à penser qu’un bon modèle économique constitue le meilleur moyen de
protéger la propriété intellectuelle contre les appropriations qui
détruisent leur marché, peut-être qu’à l’avenir le débat à propos de la
298.
299.
300.
301.
302.
303.
TM enacted by the WIPO Treaties »; KOELMAN (Kamiel) et al., Protection of
Technological Measures, (Amsterdam : Institute for Information Law, 1998),
10 et 23.
Voir l’article de NIMMER, passim.
Voir COHEN (Julie E.), « WIPO Copyright Treaty Implementation in the United
States, Will Fair Use Survive? » [1999] European Intellectual Property Review
236.
Contre lequel luttent certains académiciens, parmi lesquels on doit citer
Lawrence Lessig de par ses différentes publications sur ce (vaste) sujet, notamment ses ouvrages Free Culture, How Big Media Uses Technology and the Law to
Lock Down Culture and Control Creativity, (New York : Penguin Press, 2004) et
Remix : Making Art and Commerce Strive in the Hybrid Economy (Londres : Bloomsbury Academics, 2008).
Voir par exemple le Center for the Study of the Public Domain (rattaché à Duke
Law School), <http://www.law.duke.edu/cspd/>.
Voir par exemple l’Electronic Frontier Foundation, <www.eff.org>.
Voir l’exemple de Spotify (service de musique en ligne accessible gratuitement
financé par des publicités) et l’article de TITLOW J. P., Is Spotifys Business
Model Sustainable?, New York Times, 15 juillet 2011, <http://www.nytimes.
com/external/readwriteweb/2011/07/15/15readwriteweb-is-spotifys-businessmodel-sustainable-37758.html?partner=rss&emc=rss>.
1372
Les Cahiers de propriété intellectuelle
réglementation anti-neutralisation du DMCA sera perçu comme une
tempête dans un verre d’eau »304.
2. L’ART ET LE DROIT DES MARQUES
2.1 Introduction
La relation entre l’art et le droit des marques peut s’examiner
sous deux angles opposés, selon que le droit des marques intervient
pour réprimer ou au contraire pour protéger la création artistique.
Pour ce qui concerne le premier aspect, on peut relever que des
titulaires de marques ont fait valoir des violations du droit sur leur
marque afin de (tenter de) faire interdire ou cesser l’utilisation de
leurs marques dans un contexte artistique. Dans cette perspective,
on sait que certains mouvements artistiques ont utilisé et utilisent
largement des produits industriels et marques commerciales à des
fins artistiques, ce qui est susceptible de provoquer des conflits avec
les titulaires des marques concernées305. De telles utilisations ont
parfois suscité des réactions (judiciaires) des titulaires de marques.
Ainsi, la société titulaire de la marque BARBIE a tenté de s’opposer
à l’utilisation de ce terme comme titre d’œuvres photographiques
mettant en scène les poupées homonymes qui étaient placées dans
des situations étranges. Toutefois, les tribunaux américains n’ont
pas jugé que de telles utilisations violaient le droit à la marque, un
tel usage ne risquant pas de créer un risque de confusion au sein du
public et pouvant au demeurant être justifié par le principe constitutionnel de la liberté d’expression, ce pour autant que la marque
concernée ait « transcendé sa fonction d’identification » des produits
ou services d’une entreprise et soit entrée dans le vocabulaire commun, ce qui était le cas de la marque BARBIE306.
304.
305.
306.
SAMUELSON (Pamela), « Intellectual Property and the digital economy: why
the anti-circumvention regulations need to be revised » (1999), 14 Berkeley Technology Law Journal 519, 565; voir aussi SCHLACHTER (Eric), « The Intellectual Property Renaissance in Cyberspace: Why Copyright Law Could Be
Unimportant on the Internet » (1997), 12 Berkeley Technology Law Journal 15.
Qu’il suffise de penser ici aux célèbres œuvres représentant des boîtes de
conserve de « Campbell’s Soup » d’Andy Warhol.
Mattel v. Walking Mountain Productions, 353 F.3d 792 (9th Cir. 2003), 807: « As
we recently recognized in MCA, however, « when marks ‘transcend their identifying purpose’ and ‘enter public discourse and become an integral part of our
vocabulary,’ they ‘assume[ ] a role outside the bounds of trademark law.’ Where
a mark assumes such cultural significance, First Amendment protections come
into play. In these situations, ‘the trademark owner does not have the right to
control public discourse whenever the public imbues his mark with a meaning
L’art et la propriété intellectuelle
1373
Dans un sens opposé, le droit des marques peut également être
invoqué pour protéger des créations artistiques. Selon l’article 1,
al. 1 LPM, la marque est « un signe propre à distinguer les produits
ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises ». On
peut ainsi envisager qu’un artiste dépose comme marque ses œuvres
des beaux-arts comme telles (particulièrement comme marques figuratives ou comme marques tridimensionnelles)307. Toutefois, une
œuvre (d’art) ne peut pas constituer simultanément sa propre marque, car la marque doit conceptuellement se distinguer du produit
qu’elle est supposée différencier des produits d’autres entreprises308.
Ainsi, une sculpture ne peut pas constituer la marque (potentiellement tridimensionnelle) qui servirait à identifier cette même sculpture, mais pourra être utilisée pour distinguer d’autres produits ou
services309. Dans la mesure où la description des produits et services
qui est faite dans la demande d’enregistrement de marques respectera cette contrainte (ce qui ne semble pas problématique), les
autorités d’enregistrement (soit en Suisse, l’Institut fédéral de la
propriété intellectuelle) enregistreront une telle marque. Pour ce qui
concerne plus spécifiquement le dépôt de marques tridimensionnelles, le motif d’exclusion de l’art. 2 let. b LPM qui exclut de la protection les formes tridimensionnelles qui « constituent la nature même
du produit » (et les formes techniquement nécessaires) ne permettra
pas d’interdire l’enregistrement de formes purement esthétiques. En
effet, « [l]es formes de produits ne présentant que des différences minimes par rapport aux éléments purement génériques sont
exclues de l’enregistrement. Par contre, si une forme de produit comporte des éléments décoratifs allant au-delà des éléments inhérents
à la forme, elle ne constitue en principe plus la nature même du
produit »310.
307.
308.
309.
310.
beyond its source-identifying function. » ; l’affaire MCA à laquelle il est fait référence dans cet arrêt est l’affaire Mattel, Inc. v. MCA Records, Inc., 296 F.3d 894,
898 (9th Cir. 2002), cert. denied, 123 S. Ct. 993 (2003) (concernant une utilisation
du terme « Barbie » dans une chanson parodique intitulée « Barbie Girl ») ; voir
<www.ncac.org/art-law/op-mattel.cfm>.
La question de l’enregistrement du nom et de la signature de l’artiste sera examinée ci-dessous 2.2.
CHERPILLOD (Ivan), « Geltungsbereich », von BÜREN Roland/David LUCAS
(éd.), Schweizerisches Immaterialgüter-und Wettbewerbsrecht, vol. II/1, (Bâle :
Helbing & Lichtenhahn, 2006), 3 (cité : CHERPILLOD, Geltungsbereich), 12.
CHERPILLOD, Geltungsbereich, 12.
Directives en matière de marques de l’Institut fédéral de la Propriété Intellectuelle (1.1.2011), ch. 4.11.4.1, 90 s. (accessibles à: <https://www.ige.ch/fileadmin/user_upload/Juristische_Infos/f/rlma/rlma_f.pdf>) ; par comparaison, le
droit allemand prévoit, à la différence du droit suisse, un motif d’exclusion pour
les formes de produits qui donnent à ceux-ci une valeur importante (voir § 3, al. 2
ch. 3 de la loi allemande sur le droit des marques : « Dem Schutz als Marke nicht
1374
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le droit des marques pourra également être utilisé pour protéger d’autres éléments caractéristiques de la création d’un artiste, par
exemple la couleur utilisée par un peintre (par exemple le célèbre
bleu utilisé par Yves Klein)311, ce qui soulève également la question
de la validité de telles marques au regard des principes généraux du
droit des marques, tout particulièrement du caractère distinctif de
celles-ci et « du besoin absolu de disponibilité »312.
Dans la perspective de la protection contre une monopolisation
de certains signes par le droit des marques dans le domaine artistique, une question particulière qui s’est posée est celle de la protection par le droit des marques d’œuvres tombées dans le domaine
public (selon le droit d’auteur)313. Sur le plan du principe, il n’y a pas
d’obstacle à ce qu’un même bien immatériel soit potentiellement protégé par différents droits de propriété intellectuelle, en raison de l’indépendance respective des droits de propriété intellectuelle314. Dans
la mesure où la protection du droit des marques a une autre fonction
et une autre portée que la protection du droit d’auteur, la protection
par le droit des marques pour des œuvres tombées dans le domaine
public ne doit donc pas être exclue par principe, pour autant bien
entendu que les conditions de protection du droit des marques soient
remplies. À ce propos, dans un arrêt concernant la marque figurative
représentant « Mona Lisa », le Bundespatentgericht allemand a tranché que la célébrité du tableau et son utilisation intensive avaient
pour effet que ce signe ne jouissait d’aucune force distinctive et ne
pouvait dès lors pas remplir sa fonction de marque (comme moyen de
311.
312.
313.
314.
zugänglich sind Zeichen, die ausschließlich aus einer Form bestehen, [...] 3. die
der Ware einen wesentlichen Wert verleiht », ce qui semble exclure la protection
des formes esthétiques par le droit des marques; dans ce sens, SCHACK, Kunst,
no 212, 106.
Yves Klein ayant créé le « International Klein Blue » (IKB) et l’ayant utilisé pour
ses célèbres monochromes d’un bleu « ultramarin ».
Pour les marques de couleur, voir les Directives en matière de marques précitées
en note 310, ch. 4.9., 81 s.
Cette question a été passablement discutée en Allemagne suite à l’affaire
concernant le dépôt comme marque du tableau de « Mona Lisa » décidée par le
Bundespatentgericht, [1998] GRUR 1021, présentée ci-après, voir KOUKER
(Ludwig), « Markenrechtlicher Schutz gemeinfreier Werke », Festschrift für Wilhelm Nordemann zum 70. Geburtstag am 8. Januar 2004, (Munich : Beck, 2004),
381 ss. ; LIEBAU (Sören), Gemeinfreiheit und Markenrecht : Möglichkeit einer
Remonopolisierung von urheberrechtliche gemeinfreien Werke, thèse Berlin
2000; OSENBERG (Ralph), « Markenschutz für urheberrechtlich gemeinfreie
Werkteile » [1996] Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht (GRUR) 101
ss.; SCHACK (Haimo), « Kunst als Marke – Marke als Kunst », Jürgen Becker et
al. (éds), Festschrift für Manfred Rehbinder, Recht im Wandel seines sozialen
und technologischen Umfeldes, (Munich : Beck, 2002), 345 ss.
SCHACK, Kunst, no 210, 105.
L’art et la propriété intellectuelle
1375
distinction des produits ou services d’une entreprise par rapport à
ceux d’autres entreprises)315. En droit suisse, c’est le motif d’exclusion de l’art. 2 let. a LPM concernant les signes appartenant au
domaine public qui serait applicable dans une telle hypothèse, qui
laisse ouverte la possibilité de démontrer que le signe se serait
imposé dans le commerce, ce qui sera très délicat à démontrer
pour des œuvres d’art célèbres tombées dans le domaine public et
largement utilisées par différentes sociétés.
La protection du droit des marques au profit des artistes pourra
aussi reposer sur l’enregistrement comme marque du nom et/ou de la
signature. Le nom d’un artiste peut en effet être considéré comme
une marque identifiant ses œuvres316, ceci étant susceptible de jouer
un rôle dans le contexte de l’authentification des œuvres de cet
artiste317. Il convient ainsi d’examiner plus spécifiquement cette
question en s’arrêtant tout d’abord à la fonction respective d’identification de la signature artistique et de la marque (2.2), avant de se
pencher sur la question de l’utilisation du droit des marques pour
authentifier des œuvres d’art (2.3), de sa portée (2.4) et de ses limites
(2.5).
2.2 La fonction d’identification de la signature
artistique et de la marque
Dans le domaine des beaux-arts, la signature d’une œuvre
par son auteur est supposée indiquer que l’œuvre a bien été exécutée
par l’artiste concerné et que cette œuvre est considérée comme
achevée318. La signature constitue ainsi un indice de l’authenticité
de l’œuvre. Il ne s’agit toutefois pas d’une preuve absolue de l’au-
315.
316.
317.
318.
[1998] GRUR 1022.
On notera à cet égard que la présomption de la qualité d’auteur (art. 8 LDA) s’applique à la « personne désignée comme auteur par son nom, un pseudonyme ou
un signe distinctif sur les exemplaires de l’œuvre » (art. 8 al. 1 LDA) ; sur cette
approche, voir GINSBURG (Jane), « Essay – The Authors Name as a Trademark : A Perverse Perspective on the Moral Right of “Paternity”? » (10 mai
2005), Columbia Law School Pub. Law Research Paper No. 05-91, Site du Social
Science Research Network [en ligne], <http://ssrn.com/abstract=724343> ; pour
une approche d’histoire de l’art de l’utilisation du droit des marques dans le
domaine artistique, voir WON YIN WONG (Winnie), Appropriating the Real :
The Trademark in Art (Cambridge : MIT working paper, 2002).
Sur la question du rôle de la propriété intellectuelle dans l’authentification des
œuvres, voir DE WERRA (Jacques), « L’authentification des œuvres d’art et le
droit de la propriété intellectuelle », L’expertise et l’authentification des œuvres
d’art, Études en droit de l’art (vol. 19), (Zurich : Schulthess, 2007), 103 ss.
LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 186.
1376
Les Cahiers de propriété intellectuelle
thenticité, compte tenu de la relative facilité d’imitation de la signature d’un artiste et des abus potentiels qui peuvent être commis319.
Dans cette perspective, la signature a une fonction d’authentification des œuvres. Or cette fonction est très proche de la fonction
distinctive de la marque. Ainsi, « la marque est un signe propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres
entreprises »320. La marque a ainsi pour but d’identifier l’origine de
produits ou de services provenant d’une entité particulière par rapport à ceux offerts par d’autres entités. Similairement, la signature
d’un artiste a pour fonction de distinguer ses œuvres de celles d’autrui. Par conséquent, signature et marque sont très proches321, ce
qui se vérifie conceptuellement dans certains courants artistiques
récents dans lesquels la qualification comme œuvre d’art découle
essentiellement du processus d’apposition d’une signature322. Cette
proximité entre signature et marque est d’ailleurs reconnue tant du
point de vue juridique323 que dans la pratique du monde de l’art324.
Plus généralement, le droit reconnaît une certaine fonction de marque (soit d’identification de produits) au nom d’artistes325.
319.
320.
321.
322.
323.
324.
325.
L’exemple de Salvador Dali, qui a apposé sa signature sur de nombreuses feuilles blanches, est bien connu; voir LEQUETTE-DE KERVENOAËL, 188, et les
autres exemples qui y sont cités.
Art. 1, al. 1 de la loi fédérale sur la protection des marques et des indications de
provenance du 1992 (LPM), RS 232.11.
Dans ce sens également GINSBURG, 2, considérant que « the author’s name is
in fact a term that ‘identifies and distinguishes’ goods or services, that allows
consumers to choose among works of authorship on the basis of the author’s
reputation ».
EDELMAN (Bernard), « De l’urinoir comme un des beaux-arts : de la signature
de Duchamp au geste de Pinoncely » (2000), Recueil Dalloz, 98-102, 100; pour
une discussion plus générale, voir TREPPOZ, 61 ss.
On peut citer à cet égard la définition du faux dans les titres figurant à l’art. 251
ch. 1 du Code pénal suisse (RS 311), « 1. Celui qui, dans le dessein de porter
atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de
procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre,
abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer
un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait
ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d’un tel
titre, sera puni de la réclusion pour cinq ans au plus ou de l’emprisonnement. »
Voir l’art. 2 let. a du Code d’Éthique, Site du Syndicat suisse des Antiquaires et Commerçants d’art [en ligne], <http://www.vsak.org/site_it/index.html>,
« [d]ans le commerce de l’art un objet est considéré comme authentique lorsque
son style correspond à l’époque mentionnée, ou que le poinçon de maître (estampille, marque, poinçon, signature) spécifie son auteur plus précisément ».
Voir LASTOWKA (Gregory), « The Trademark Function of Authorship », 85 Boston University Law Review 1171, disponible en ligne : <http://papers.ssrn.com/
sol3/papers.cfm?abstract_id=656138>.
L’art et la propriété intellectuelle
1377
Au-delà de cette proximité d’objectif entre marque et signature
(ou nom) d’un artiste, il convient désormais d’examiner si un artiste
peut se fonder sur le droit des marques pour protéger son nom et sa
signature afin de renforcer la fonction d’identification de sa production artistique et de lutter contre les faux artistiques en complément
des moyens (incomplets)326 découlant du droit d’auteur.
2.3 L’utilisation du droit des marques
en matière artistique
Force est tout d’abord de constater sur le plan pratique que des
marques ont déjà été déposées pour protéger le nom et/ou la signature de certains artistes renommés327 et que la violation du droit à la
marque a déjà été invoquée pour lutter contre une utilisation abusive faite par des tiers de marques correspondant aux noms d’artistes célèbres, notamment en tant que noms de domaine328.
Une question préalable à résoudre à propos de l’utilisation
potentielle du droit des marques par un artiste ou par ses ayants
droit pour authentifier ses œuvres concerne la fonction même de la
marque. En effet, à teneur de l’art. 1, al. 1 LPM, « la marque est un
signe propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise
par rapport à ceux d’autres entreprises ». Ainsi, la fonction d’identification de la marque doit porter sur les produits ou services d’une
« entreprise ». Or, dans le contexte artistique, cette fonction d’identification portera sur les œuvres d’un artiste individuel (ou d’un
collectif artistique) et pas sur ceux d’une entreprise comme telle,
l’entreprise pouvant être définie comme une « organisation auto-
326.
327.
328.
Comme exposé (voir ci-dessus 1.3.3.2), le droit d’auteur ne sera d’aucun secours
dans le cas où l’œuvre dont l’authenticité est disputée ne viole pas le droit
d’auteur de l’artiste, par exemple parce que cette œuvre n’imite que le style de ce
dernier.
On peut ainsi citer la marque internationale IR 755712, propriété de l’indivision
Picasso, qui porte sur une marque combinée (verbale et figurative) reproduisant
la signature manuscrite de l’artiste et ayant été enregistrée pour de nombreux
produits et services, notamment pour du « matériel pour artistes » en classe 16;
on peut également citer la marque internationale CHAGALL IR 758063 dont la
titulaire est l’Association pour la Défense et la Promotion de l’Œuvre de Marc
Chagall dite COMITÉ MARC CHAGALL, et qui est enregistrée pour de nombreux produits et services, notamment pour du « matériel pour artistes » en
classe 16.
Voir par exemple la décision d’expert concernant le nom de domaine « www.
picasso.biz », Picasso Estate v. Yours, WIPO Case No. DBIZ2002-00032, Site du
Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI [en ligne], <http://www.wipoint/
amc/en/domains/decisions/html/2002/dbiz2002-00032.html>.
1378
Les Cahiers de propriété intellectuelle
nome de production de biens ou de services marchands »329. Toutefois, cette référence à l’identification des produits ou services d’une
entreprise figurant à l’art. 1, al. 1 LPM n’empêchera pas qu’une
ou plusieurs personne(s) active(s) dans le domaine artistique (par
exemple un artiste, les héritiers de celui-ci ou encore une institution
ayant été constituée dans le but de préserver le patrimoine artistique de ce dernier) déposent une marque en son (leur) nom. En effet,
la loi dispose expressément que « chacun peut faire enregistrer une
marque »330. Dans ces circonstances, on ne saurait considérer qu’une
marque ne puisse pas être déposée au motif que le déposant/titulaire
ne serait pas une « entreprise »331.
Dans le cadre du dépôt de telles marques, les déposants devront
naturellement veiller à ce que les produits et/ou les services dont
la protection est requise (par exemple des « tableaux [peintures]
encadrés ou non » en classe 16 et des services d’« authentification
d’œuvres d’art » en classe 42)332 soient soigneusement déterminés et
revendiqués.
Le dépôt de marques correspondant au nom de personnes physiques (soit des artistes concernés) pose en outre la question de la
validité de telles marques au regard des motifs généraux d’exclusion
de la protection du droit des marques333. Ainsi, en droit des marques
suisse, il convient d’examiner si une marque correspondant au nom
d’une personne physique est susceptible de se heurter aux motifs
absolus d’exclusion de la protection de l’art. 2 LPM. Dans ce cadre, il
faut relever que l’enregistrement d’une marque correspondant au
nom d’une personne physique sans l’autorisation de cette dernière
sera susceptible d’être contesté, toute personne jouissant d’un droit
exclusif à l’utilisation de son nom, y compris pour désigner des pro329.
330.
331.
332.
333.
Selon la définition du dictionnaire Petit Robert.
Art. 28, al. 1 LPM.
Voir dans ce sens CHERPILLOD, Geltungsbereich, 12, considérant que les
œuvres d’un artiste peuvent être traitées comme les « produits » d’une « entreprise » au sens de l’art. 1, al. 1 LPM.
Ces descriptifs étant repris de la 9e édition de la classification internationale des
produits et des services aux fins de l’enregistrement international des marques
établie en vertu de l’Arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques (RS
0.232.112.9).
Étant noté que l’enregistrement de telles marques est expressément autorisé
par l’art. 15 al. 1 ADPIC, ainsi que par le droit des marques européen en vertu de
l’article 2 de la Directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 et de l’article 4 du Règlement 207/2009 du 26 février 2009 qui énoncent que peuvent constituer des marques tous les signes de représentation graphique, notamment les mots, « y
compris les noms de personnes ».
L’art et la propriété intellectuelle
1379
duits et services334. Dans la mesure où le dépôt de la marque est fait
avec le consentement de l’artiste concerné ou des ayants droit de
celui-ci, le dépôt de la marque ne pose pas de difficultés juridiques
particulières, un tel consentement excluant alors toute violation du
droit au nom (art. 28, al. 2 CC). En effet, il est acquis que des dépôts
de marques correspondant au nom de tiers puissent être valablement effectués335.
La protection de marques correspondant au nom de personnes
physiques pourra toutefois devenir délicate dans l’hypothèse où
la marque deviendrait la propriété d’une personne (physique ou
morale) qui n’aurait plus aucun lien avec le porteur du nom concerné. Dans un tel cas en effet se pose la question du caractère trompeur de la marque336. C’est en substance cet argument qui avait été
invoqué par l’ancien mannequin vedette de la maison Chanel Inès de
la Fressange dans le contexte d’un litige l’opposant à la société portant son nom (Inès de la Fressange SA) à qui elle avait cédé ses marques et dans laquelle elle avait travaillé avant d’être licenciée, la
société étant restée titulaire des marques correspondant à son nom.
Dans le cadre de ce litige, Inès de la Fressange avait ainsi fait valoir
la déchéance des marques concernées sur le fondement de l’article
L.714-6 b du Code (français) de la propriété intellectuelle337 et avait
obtenu gain de cause devant la Cour d’appel de Paris. En effet, par
334.
335.
336.
337.
ATF 116 II 614, 617, JdT 1991 I 605.
Voir les directives en matière de marques (précité note 310), ch. 4.4.2.2.5, 71 :
« En principe, un signe constitué dun nom de personne est accepté à titre de
marque, quels que soient les produits et les services désignés et quelle que soit
lidentité du déposant. Ce principe est également valable pour les noms de personnes célèbres, réelles ou fictives »; les directives (ibid.) font toutefois une
exception pour « les signes constitués du nom d’une personne ayant exercé une
influence hors du commun dans un domaine d’activité (par exemple une personne ayant créé une œuvre de très grande renommée) et qui sont utilisés couramment pour décrire le thème de certains produits et/ou services. Exemples : Mozart pour des enregistrements sonores (cl. 9) », on notera que cette distinction
qui se fonde sur un critère quelque peu subjectif (notamment « influence hors du
commun ») pourra être délicate à effectuer dans un cas particulier.
L’art. 2 let. c LPM exclut de la protection les « signes propres à induire en
erreur »; pour une analyse plus large en droit américain concernant la question
de la convergence ou du conflit entre le droit des marques et le droit d’auteur tout
particulièrement sous l’angle du caractère potentiellement trompeur « d’accords
de nègre » [« ghostwriter agreements »] par lesquels un auteur accepte que son
œuvre soit publiée sous le nom d’un tiers, voir les articles de GINSBURG et de
LASTOWKA.
Cette disposition prévoit : « encourt la déchéance de ses droits le propriétaire
d’une marque devenue de son fait : [...] b) propre à induire en erreur, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du
service ».
1380
Les Cahiers de propriété intellectuelle
arrêt du 15 décembre 2004338, la Cour d’appel a constaté que « la
marque constituée d’un nom patronymique, d’un prénom ou de la
combinaison des deux ayant acquis une notoriété telle qu’ils deviennent un signe évocateur et indicateur pour le consommateur, ce dernier lie d’évidence dans son esprit le produit marqué à la personne
dont l’identité est déclinée à titre de marque », et que la société tentait « de maintenir artificiellement dans l’esprit des consommateurs
un lien entre l’image attachée à la personnalité de Inès de la Fressange et les produits vendus sous les signes contestés », jugeant ainsi
qu’il convenait de prononcer la déchéance de la marque qui, en raison d’une modification dans les conditions d’exploitation de celle-ci
du fait de son propriétaire, était devenue trompeuse.
Cet arrêt a toutefois été cassé par la Cour de cassation par un
arrêt du 31 janvier 2006339, au motif qu’en jugeant recevable l’action
en nullité de marque formée par Inès de la Fressange, la Cour d’appel a violé l’art. 1628 du Code civil français qui définit la garantie
contractuelle du vendeur (Inès de la Fressange ayant cédé les marques à la société défenderesse)340. Ainsi, « le cédant de droits portant
sur des marques qui déclinent son nom de famille est tenu dans les
termes de l’article 1628 du code civil, et n’est pas recevable en une
action en déchéance de ces droits pour déceptivité acquise de ces
marques, qui tend à l’éviction de l’acquéreur »341.
Cette décision française peut être mise en lien avec un arrêt de
la Cour de Justice des Communautés européennes (rendu dans des
circonstances factuelles similaires) dans lequel la Cour a constaté
qu’une « marque correspondant au nom du créateur et premier fabricant des produits portant cette marque ne peut, en raison de cette
seule particularité, être refusée à l’enregistrement au motif qu’elle
induirait le public en erreur, au sens de l’article 3, paragraphe 1,
sous g), de la Directive 2008/95/CE, rapprochant les législations des
États membres sur les marques, notamment quand la clientèle
attachée à ladite marque, précédemment enregistrée sous une forme
338.
339.
340.
341.
Dalloz 2005 Jurisprudence, 772.
Cour de Cass., chambre commerciale, pourvoi no 05-10116, Bulletin 2006 IV
N° 27, 29.
Cet article dispose : « Quoiqu’il soit dit que le vendeur ne sera soumis à aucune
garantie, il demeure cependant tenu de celle qui résulte d’un fait qui lui est personnel : toute convention contraire est nulle ».
Arrêt accessible en ligne à: <http://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?
oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000007051282&fastReqId=
2018203126&fastPos=22>.
L’art et la propriété intellectuelle
1381
graphique différente, a été cédée avec l’entreprise fabriquant les produits qui en sont revêtus »342.
Cette position adoptée par ces juridictions étrangères pourrait
permettre de considérer que l’enregistrement en Suisse de marques
correspondant au nom et/ou à la signature d’un artiste par des personnes tierces (par exemple les héritiers d’un artiste ou une fondation destinée à la protection du patrimoine artistique de l’artiste) ne
devrait pas être propre à induire en erreur au sens de l’art. 2 let. c
LPM. Dans ces conditions, de telles marques pourraient être valablement enregistrées et permettraient à leur titulaire de se protéger
contre l’utilisation abusive du nom et/ou de la signature de l’artiste,
le public étant conscient du fait que l’utilisation de ces marques par
leur titulaire ne supposera pas la participation de l’artiste à une telle
utilisation (particulièrement lorsque l’artiste sera déjà décédé !) de
sorte à exclure tout risque d’erreur. La validité de telles marques ne
préjuge toutefois en rien la question (délicate) de leur usage valable
au sens de l’art. 11 LPM.
Même si de telles marques ne sont pas trompeuses, il reste possible que leur validité soit contestée par l’artiste au motif que ces
marques ont été enregistrées sans son consentement en application
des règles applicables aux marques d’agent (art. 6septies de la Convention d’Union de Paris), ou qu’elles violent un droit au nom343. On
relèvera à cet égard que la clarté contractuelle sera indispensable
dans le contrat par lequel un tiers serait autorisé à enregistrer ou
se ferait céder une marque correspondant au nom d’un artiste afin
d’éviter toute difficulté ultérieure 344.
342.
343.
344.
Arrêt du 30 mars 2006, affaire C-259/04, Elizabeth Florence Emanuel c. Continental Shelf 128 Ltd. De même, la cour a tranché par analogie concernant la
question de la déchéance de la marque que « le titulaire d’une marque correspondant au nom du créateur et premier fabricant des produits portant cette marque
ne peut, en raison de cette seule particularité, être déchu de ses droits au motif
que ladite marque induirait le public en erreur, au sens de l’article 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2008/95/CE, notamment quand la clientèle
attachée à cette marque a été cédée avec l’entreprise fabriquant les produits qui
en sont revêtus ».
Pour une analyse sous l’angle de la disposition correspondante du droit suisse
(art. 4 LPM), voir DE WERRA (Jacques), « Des marques et des contrats : la
marque d’agent et l’action en cession de marque », in PHILIPPIN (Edgar) et al.
(éd.), Mélanges en l’honneur de François Dessemontet (Lausanne: CEDIDAC,
2009), 71 ss., accessible en ligne à : <http://archive-ouverte.unige.ch/vital/
access/manager/Repository/unige:2197>.
On peut se référer à cet égard à l’intéressante affaire concernant le designer de
mode Elio Fiorucci (s’étant prévalu avec succès de la protection de son droit au
nom) finalement tranchée en sa faveur par la CJUE dans un arrêt du 5 juillet
2011, affaire C-263/09, Edwin Co. Ltd. c. OHIM; voir aussi l’affaire américaine
1382
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En admettant le caractère protégeable de telles marques (et
tout spécialement des marques patronymiques), se pose ensuite la
question de la portée de leur protection et des limites de celle-ci 345.
2.4 La portée de la protection du droit des marques
En vertu de la loi, le titulaire d’une marque enregistrée jouit
« du droit exclusif de faire usage de la marque pour distinguer les
produits ou les services enregistrés et d’en disposer »346. Il bénéficie
également du droit d’interdire à des tiers l’utilisation d’un signe
identique ou similaire en relation avec des produits et/ou services identiques ou similaires à ceux dont la protection a été revendiquée347. À ce titre, le titulaire de la marque pourra en particulier interdire à des tiers « d’apposer le signe concerné sur des produits »348.
Dans ces circonstances, le titulaire d’une marque correspondant au nom et/ou à la signature d’un artiste qui aurait déposé cette
marque pour des produits artistiques (par exemple des tableaux en
classe 16) pourra interdire à tout tiers l’utilisation de la marque en
relation avec des produits identiques ou similaires (soit en particulier des tableaux, ou d’autres types de supports, tels que posters, affiches, cartes postales). La protection du droit des marques ne pourra
toutefois être invoquée qu’en cas d’utilisation de la marque à des fins
distinctives349. La question de la portée du droit d’interdiction du
titulaire de la marque pourra se poser en cas de reproduction de marques figuratives ou tridimensionnelles correspondant à des œuvres
d’un artiste sur d’autres supports (cartes postales ou T-shirts). La
défense de l’usage à titre décoratif ne devra pas être admise trop largement lorsque le public pourra établir un lien entre la marque (soit
l’œuvre) utilisée sans autorisation par le tiers et le titulaire de cette
marque (qui est l’auteur de l’œuvre concernée)350.
345.
346.
347.
348.
349.
350.
J.A. Apparel Corp. v. Joseph Abboud, Houndstooth Corp., 568 F.3d 390 (2d Cir.
2010).
Sur cette question, voir ci-dessous 2.5.
Art. 13, al. 1 LPM.
Art. 13, al. 2 renvoyant à l’art. 3, al. 1 LPM.
Art. 13, al. 2 let. a LPM.
Voir l’arrêt de la Cour d’appel de Berne, [1998] Sic! 59 ; WILLI (Christoph), Markenschutzgesetz: Kommentar zum Schweizerischen Markenrecht unter
Berücksichtigung des Europaïschen und Internationalen Markenrecht, (Zurich :
Schulthess, 2002), no 13 – 14 ad art. 13; pour le droit allemand, voir SCHACK,
Kunst, no 214, 107 (« zeichenmässige Verwendung »).
WILLI, no 14 ad art. 13 (indiquant que la reproduction de manière agrandie de la
marque ne suffira pas pour conclure à un usage à titre décoratif), plus large :
L’art et la propriété intellectuelle
1383
Le droit des marques permettra en particulier au titulaire de
requérir la confiscation des objets matériels qui violent ses droits
(soit par exemple des tableaux comportant la marque usurpée)351.
Ce dernier pourra demander au juge que ces objets soient détruits ou
à tout le moins que la marque soit rendue méconnaissable sur
ceux-ci352. Il sera ainsi possible de faire disparaître la signature de
l’objet concerné ou de spécifier de manière indélébile qu’il ne s’agit
pas d’une œuvre originale. La protection découlant du droit des marques ne pourra toutefois pas être invoquée dans le but d’interdire
l’utilisation de la signature ou du nom d’un artiste sur une œuvre
que ce dernier aurait effectivement créée et signée (soit d’une œuvre
originale). En effet, dans une telle hypothèse, on devra considérer
qu’il s’agit soit d’un cas d’usage antérieur de la marque au sens de
l’art. 14 LPM (la marque – correspondant au nom ou à la signature
de l’artiste – ayant alors été déposée – par exemple par les héritiers
de l’artiste – ultérieurement à l’apposition du nom ou de la signature
sur l’œuvre), soit d’un cas d’épuisement du droit à la marque. En
effet, dans ce dernier cas, si l’artiste avait déjà déposé et enregistré
la marque avant de l’apposer sur son tableau, ni lui ni les titulaires
ultérieurs de la marque (par exemple ses héritiers ou des tiers) ne
pourront prétendre à la suppression de la marque (soit la signature
ou le nom) du tableau, car il est acquis que le titulaire de la marque
perd son droit de contrôle sur les produits originaux sur lesquels
la marque a été licitement apposée. En plus de ces deux motivations
alternatives justifiant l’impuissance du titulaire de la marque vis-àvis des œuvres authentiques, il convient en outre de rappeler que,
selon la jurisprudence, le titulaire d’une marque ne peut pas exercer
celle-ci de manière déloyale au détriment de tiers353, ce qui serait
manifestement le cas d’un titulaire d’une marque correspondant à la
signature ou au nom d’un artiste qui souhaiterait faire supprimer
la signature ou le nom d’un artiste d’une œuvre originale créée par
celui-ci au prétexte d’une violation de son droit à la marque.
351.
352.
353.
SCHACK, Kunst, no 214, 107 considérant qu’un usage d’une marque représentant une œuvre sous forme de cartes postales, de posters ou de T-shirts ne peut
pas être interdit par le titulaire de celle-ci ; pour le droit américain, voir la
récente affaire (concernant la reprise des marques « Audi » et « VW » sur des
porte-clés et des plaques minéralogiques), Au-Tomotive Gold, Inc. v. Volkswagen of America, Inc., 457 F.3d 1062 (9th Cir. 2006) ; voir pour le droit européen
l’arrêt Adidas-Salomon AG c. Fitnessworld Trading Ltd. de la CJCE du 23
octobre 2003, affaire C-408/01.
Art. 57, al. 1 LPM.
Selon l’art. 57, al. 2 LPM, le juge civil « décide si la marque ou l’indication de provenance doivent être rendues méconnaissables ou si les objets doivent être mis
hors d’usage, détruits ou utilisés d’une façon particulière ».
ATF 129 III 353, JdT 2003 I 382; TF, [2005] Sic! 463.
1384
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Sur le plan territorial, il convient de noter que les ports francs
(qui sont fréquemment utilisés pour entreposer des œuvres d’art)
font partie du territoire suisse sous l’angle du droit des marques et
que, partant, l’entreposage dans un port franc d’œuvres qui porteraient indûment atteinte à la marque d’un artiste constitue une violation du droit à la marque354. Dans ce contexte, il y a également lieu
de relever que les autorités douanières seront susceptibles d’intervenir en cas de soupçon d’importation ou d’exportation de produits sur
lesquels la marque a été illicitement apposée355.
Dans ces circonstances, on peut constater que le droit des marques pourra jouer un certain rôle protecteur pour lutter contre l’utilisation sans droit du nom et/ou de la signature de l’artiste sur des
œuvres qui seraient des faux.
Au-delà de la protection du nom et/ou de la signature d’un
artiste par les moyens ordinaires du droit des marques (la protection
devant en particulier respecter le principe de la spécialité356), se pose
la question de savoir si le nom et/ou la signature d’un artiste peut, le
cas échéant, revendiquer le statut favorable de marque de haute
renommée, qui permettrait alors au titulaire de cette marque d’interdire toute utilisation de celle-ci sans égard aux produits ou services concernés357.
354.
355.
356.
357.
ATF 110 IV 108, JdT 1985 I 198.
Art. 70 LPM; l’art. 54 de l’Ordonnance sur la protection des marques (RS
232.111) dispose à cet égard que : « L’intervention de l’administration des douanes s’étend à l’importation et à l’exportation de marchandises munies d’une
marque ou d’une indication de provenance illicites ainsi qu’à l’entreposage de
telles marchandises dans un entrepôt douanier ».
En vertu duquel la protection du droit des marques ne s’étend qu’aux produits et
services identiques ou similaires à ceux revendiqués dans la marque concernée
(art. 3 al. 1 LPM).
Art. 15, al. 1 LPM : « Le titulaire d’une marque de haute renommée peut interdire à des tiers l’usage de cette marque pour tous les produits ou les services pour
autant qu’un tel usage menace le caractère distinctif de la marque, exploite sa
réputation ou lui porte atteinte »; certes, on doit constater que la protection renforcée des marques de haute renommée, pour autant qu’elle soit envisageable,
ne sera pas nécessairement très utile dans le contexte de l’utilisation du droit
des marques dans le but d’authentifier des œuvres d’art dans la mesure où la
marque sera utilisée sans droit par des contrefacteurs pour des produits ou services qui devraient – dans la majorité des cas – être à tout le moins similaires à
ceux pour lesquels la marque a été enregistrée. Dans cette mesure, la protection
renforcée découlant de la marque de haute renommée n’aurait pas grande utilité
pratique.
L’art et la propriété intellectuelle
1385
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (étant noté que la loi
ne comporte pas de définition de la marque de haute renommée), les
critères déterminants pour décider si une marque peut être qualifiée
de haute renommée au sens de l’art. 15 LPM se déduisent du but de
cette norme, « qui est de protéger les marques de haute renommée
contre l’exploitation de leur réputation, l’atteinte portée à celle-ci et
la mise en danger du caractère distinctif de la marque »358.
Selon cette même jurisprudence, « [s]emblable protection se
justifie lorsque le titulaire de la marque a réussi à susciter une
renommée telle que cette marque possède une force de pénétration
publicitaire utilisable non seulement pour commercialiser les produits et fournir les services auxquels elle était destinée à l’origine,
mais encore pour faciliter sensiblement la vente d’autres produits ou
la fourniture d’autres services. Cela suppose que la marque jouisse
d’une considération générale auprès d’un large public »359. Dans ce
contexte, l’image positive dont jouit la marque auprès du public
devra être prise en considération, même si celle-ci ne fait pas l’unanimité360.
En appliquant ces principes jurisprudentiels aux noms d’artistes célèbres, on serait tenté de considérer qu’une marque correspondant à de tels noms pourrait revendiquer le statut de marque de
haute renommée. En effet, pour reprendre les exigences exprimées
par le Tribunal fédéral, la protection étendue de telles marques peut
entrer en ligne de compte « lorsque cette marque possède une force
de pénétration publicitaire utilisable non seulement pour commercialiser les produits et fournir les services auxquels elle était destinée à l’origine, mais encore pour faciliter sensiblement la vente
d’autres produits ou la fourniture d’autres services ». Or, le nom d’artistes célèbres semble précisément avoir été (et être) utilisé pour promouvoir d’autres produits et services que ceux originellement conçus
(soit la production artistique comme telle), notamment des parfums
et des véhicules automobiles. Cette approche n’a toutefois pas été
adoptée dans une récente jurisprudence européenne qui a consacré une protection relativement restreinte de la marque PICASSO.
Dans cette affaire, les héritiers de Picasso avaient tenté de s’opposer à l’enregistrement d’une marque communautaire (CTM) par le
groupe automobile DaimlerChrysler portant sur le signe PICARO
358.
359.
360.
ATF 130 III 748, 752.
Ibid.
Ibid.
1386
Les Cahiers de propriété intellectuelle
pour des produits en classe 12 (soit des « automobiles et leurs pièces »). Les héritiers Picasso avaient fondé leur opposition sur une
marque antérieure PICASSO qui avait été enregistrée pour des produits de la même classe 12 (soit notamment des « Véhicules »).
Par arrêt du 12 janvier 2006, la Cour de Justice des communautés européennes a rejeté l’opposition des héritiers Picasso en considérant en substance que la notoriété acquise par le nom « Picasso » ne
conférait pas une force distinctive renforcée à la marque PICASSO
enregistrée pour des véhicules automobiles361. Bien au contraire,
l’association très forte faite par le public entre le nom et l’artiste
Picasso excluait tout risque de confusion entre les signes concernés
dans le domaine automobile, le public associant conceptuellement la
marque PICASSO à l’artiste de sorte à exclure toute confusion avec
la marque distincte PICASSO362.
On relèvera que, dans cette affaire, l’avocat général avait adopté
une position relativement sévère vis-à-vis des héritiers Picasso en
critiquant l’atteinte portée au patrimoine artistique du célèbre peintre et en plaidant ainsi pour une protection relativement étroite de la
marque PICASSO en relation avec des produits industriels (automobiles) qui sont sans lien avec la production artistique du maître
espagnol363. A contrario, cet arrêt ne devrait pas porter préjudice à la
361.
362.
363.
Arrêt « Picasso/Picaro », CJCE du 12 janvier 2006, affaire C-361/04 P, paragraphe 32 : « le Tribunal a bien considéré, au terme d’une appréciation de nature
factuelle dont le contrôle échappe à la Cour dans le cadre d’un pourvoi, que le
signe PICASSO est dépourvu de tout caractère distinctif intrinsèque élevé en ce
qui concerne les véhicules automobiles »; pour un commentaire critique de cet
arrêt, voir HOLZER (Simon), « Picasso/Picaro: Markenschutz von Familiennamen » [2006] Sic! 600.
Arrêt « Picasso/Picaro », supra note 361, paragraphe 27 : « confronté au signe
verbal PICASSO, le public pertinent y voit immanquablement une référence au
peintre [et] compte tenu de la célébrité de celui-ci auprès dudit public, cette référence conceptuelle particulièrement dense est de nature à atténuer dans une
large mesure la prégnance dont, en l’occurrence, ce signe est doté en tant que
marque, parmi d’autres, de véhicules automobiles ».
Conclusions de l’avocat général du 8 septembre 2005, <http://oami.europa.eu/fr/
mark/aspects/pdf/JC040361.pdf> : « 64. À l’occasion du pourvoi, le représentant
légal des héritiers de Picasso a expliqué la portée et la fréquence qu’ont acquis
les noms propres, utilisés en tant que marques, de personnes qui jouissent d’une
grande réputation ou qui sont très populaires et il a mentionné des personnages
historiques connus comme Napoléon, Churchill ou Gorbatchov, des créateurs
comme Christian Dior ou Allessi, des sportifs tels Boris Becker ou Tiger Woods,
et des musiciens comme Mozart. Il a fait référence au rôle joué, particulièrement
en ce qui concerne les signes déjà connus, par ce qu’on appelle le « merchandising », dans la promotion d’autres produits qui ne conservent aucun lien avec le
L’art et la propriété intellectuelle
1387
protection d’une marque correspondant au nom et/ou à la signature
d’un artiste en relation avec des produits pour lesquels ce nom a
acquis une certaine notoriété (par exemple des tableaux) ou en relation avec des produits (ou services) similaires à ces derniers364. Dans
un tel cas en effet, on pourrait considérer qu’il s’agit d’une marque
forte, qui jouit ainsi d’un caractère distinctif élevé et, partant, d’une
sphère de protection étendue365.
2.5 Les limites de la protection
Comme tous les autres droits de propriété intellectuelle, le
droit des marques connaît certaines limites366. Parmi celles-ci figure
en particulier le fait que la protection du droit des marques ne peut
364.
365.
366.
produit original [référence omise], comme, par exemple, Coca-Cola (boissons),
pour des vêtements et des articles de papeterie, Marlboro (cigarettes) pour des
vêtements, Davidoff (cigares) pour des produits cosmétiques de luxe. Ces idées
m’inspirent quelques réflexions.
65. D’abord, l’octroi d’une licence par les héritiers de Picasso au constructeur
d’automobiles Citroën, pour baptiser un modèle du type Xara a suscité des critiques, en particulier, de la part du directeur du Musée Picasso de Paris, qui craignait que l’image du génie soit atteinte de façon irréversible [référence omise] et
que, au troisième millénaire, Picasso ne soit devenu qu’une marque de voiture.
66. Bien que le législateur communautaire donne la possibilité d’enregistrer des
noms propres en tant que marques, utilisables pour les produits et services les
plus divers, il convient de nuancer le degré de protection qu’ils méritent ou
qu’ils ont acquis, en partant de la fonction essentielle de ce droit de propriété
industrielle.
[...]
69. Cependant, il convient d’apporter deux précisions concernant la défense légitime du nom patronymique sous lequel une personne est devenue célèbre. En
premier lieu, lorsque ce nom est cédé en vue d’être utilisé dans un domaine totalement étranger à celui dans lequel il a acquis sa notoriété, il n’y a pas lieu d’invoquer, simplement, la protection étendue qui doit être assurée aux marques
présentant un caractère distinctif élevé, parce que, fondamentalement, dans ce
cadre, il est très peu probable que le signe informe sur l’origine commerciale des
biens ou des services, tout du moins de prime abord. En deuxième lieu, il y a un
certain intérêt général, au titre du patrimoine culturel universel, à préserver les
noms de grands artistes de l’insatiable cupidité mercantile afin d’éviter de porter atteinte à leurs œuvres en les banalisant. Il est triste d’imaginer que le
consommateur moyennement informé et raisonnablement attentif et avisé, qui
ne relie déjà plus des noms comme Opel, Renault, Ford ou Porsche aux illustres
ingénieurs qui ont donné leur patronyme à leurs produits, puisse faire de même
avec le nom Picasso dans un avenir qui, malheureusement, n’est pas très
éloigné ».
Compte tenu de la sphère de protection du droit des marques s’étendant aux produits ou services similaires à ceux revendiqués dans la marque (art. 3, al. 1 let. b
et c LPM).
Sur la notion de marque forte, voir ATF 128 III 447, 453, JdT 2002 I 504, 509.
Sur la question de l’usage de la marque à des fins décoratives, voir ci-dessus chapitre 2.4.
1388
Les Cahiers de propriété intellectuelle
être invoquée que contre toute utilisation commerciale de la marque
par un tiers non autorisé. Par opposition, l’utilisation de la marque à
des fins privées ne pourra pas être interdite. L’usage privé qui est
fait d’une marque se situe en effet en dehors du droit des marques.
Ainsi le Tribunal fédéral a-t-il jugé que l’importation d’une montre
contrefaite ne peut être sanctionnée en droit des marques367. Cette
question pourrait surgir dans le cas de la création ou de la vente
d’une œuvre comportant indûment la marque correspondant au
nom et/ou à la signature de l’artiste qui serait faite par une personne privée. Toutefois, les limites de l’usage privé seront facilement
dépassées368.
Une autre limite importante du droit à la marque tient à la
déchéance de la marque pour non-usage369. En effet, même si la protection de la marque est prolongeable sans limite temporelle370, la
marque ne sera protégée que pour autant qu’elle soit utilisée en relation avec les produits ou les services enregistrés371. Ainsi, en cas de
non-usage pendant une période de cinq ans, le titulaire ne pourra
plus faire valoir son droit à la marque (à moins que le défaut d’usage
ne soit dû à un juste motif)372. Cette limitation sera susceptible d’être
problématique pour les marques correspondant au nom, à la signature ou aux œuvres d’un artiste373, particulièrement si l’artiste ne
crée plus d’œuvres sous son nom et/ou sous sa signature qui fait l’objet de la marque enregistrée. Ainsi, au plus tard cinq ans après le
décès de l’artiste, la question de l’usage valable de la marque pourrait devenir sensible.
Sur le plan du principe, l’usage de la marque doit être sérieux
pour être jugé juridiquement suffisant374. Le caractère sérieux de
l’usage ne peut se déterminer de façon schématique pour toutes les
367.
368.
369.
370.
371.
372.
373.
374.
ATF 114 IV 6, JdT 1988 I 308.
Cour de Justice, Genève, [2009] Sic! 109 (l’importation de quatre faux sacs
HERMÈS constitue une violation du droit à la marque).
Art. 11 et 12 LPM; sur cette question, voir la thèse de MEIER (Eric), L’obligation
d’usage en droit des marques, (Zürich : Schulthess, 2005).
Art. 10 al. 2 LPM.
Art. 11, al. 1 LPM.
Art. 12, al. 1 LPM.
Voir la critique fondamentale de l’utilisation du droit des marques en matière
artistique de TREPPOZ, 67 ss. (« [i]mposer à l’artiste d’exploiter son œuvre suppose, pour sa part, de rompre le lien entre l’auteur et l’œuvre au profit de la seule
collectivité »).
WILLI, no 37 ad art. 11 LPM.
L’art et la propriété intellectuelle
1389
marques, mais doit au contraire s’apprécier selon les circonstances
du cas concret375 en examinant en particulier – d’un point de vue
subjectif – si le titulaire de la marque a l’intention de satisfaire la
demande du marché376. On se fondera ainsi sur les habitudes commerciales dans le secteur économique concerné377 et sur le type de
produits ou services en cause. On exigera dès lors un usage plus
important pour des produits de consommation courante que pour des
produits de luxe378. Il n’est toutefois pas nécessaire que la marque
soit directement apposée sur le produit ou sur son emballage pour
être valablement utilisée. Il suffit en effet que le signe soit perçu par
le public comme un moyen d’identification des produits ou des services du titulaire de la marque379. Il pourra en particulier s’agir d’un
usage dans des catalogues, ce pour autant qu’un tel usage se rapporte aux produits et/ou services enregistrés380.
Concernant les marques correspondant au nom et/ou à la signature d’un artiste, on ne saurait poser des exigences excessivement
élevées concernant l’usage sérieux de telles marques, s’agissant en
effet de marques portant sur des produits que l’on doit plutôt assimiler à des produits de luxe qu’à des produits de consommation courante. Dans ce cadre, un usage de la marque devrait pouvoir être
admis par exemple dans l’hypothèse d’une utilisation de la marque
dans des catalogues de vente ou d’exposition des œuvres de l’artiste381. Il conviendra naturellement de prendre en compte le type de
produits et/ou services pour lesquels la marque a été enregistrée.
Ainsi, il n’y aura pas de problème particulier pour les produits –
revendiqués – pour lesquels la marque fait l’objet d’une véritable
exploitation commerciale (par exemple voiture « Picasso ») par opposition aux produits artistiques (tableaux, sculptures, etc). Compte
tenu des spécificités du marché de l’art, on ne devra pas se montrer
trop restrictif quant à l’usage de la marque, tant et aussi longtemps
que le signe continuera à être perçu par le public comme un moyen
d’identification des produits du titulaire de la marque. Il restera tou-
375.
376.
377.
378.
379.
380.
381.
MEIER, 50.
WILLI, no 37 ad art. 11 LPM.
Commission fédérale de recours en matière de propriété intellectuelle (CREPI),
[2006] Sic! 180.
CREPI, [2005] Sic! 881.
TF, [2006] Sic! 99; voir aussi les directives en matière de marques de l’Institut
fédéral de la propriété intellectuelle, supra note 310, chapitre 6.4.4., 161.
CREPI, [2005] Sic! 754; CREPI, [2001] Sic! 646.
La question sera plus délicate pour des marques correspondant aux œuvres
elles-mêmes d’un artiste, sauf si ce dernier ou ses héritiers commercialisent des
reproductions de celles-ci.
1390
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tefois bien entendu nécessaire d’examiner dans chaque cas concret si
l’on peut admettre ou non un usage sérieux de la marque.
3. L’ART ET LE DROIT DU DESIGN
En vertu de l’art. 1 LDes, sont protégés « en tant que designs la
création de produits ou de parties de produits caractérisés notamment par la disposition de lignes, de surfaces, de contours ou de couleurs, ou par le matériau utilisé ». Pour être protégeable, le design
pour lequel un dépôt est effectué382 doit être nouveau383, original384
et ne pas tomber sous l’un des motifs d’exclusion de la protection385.
Dans cette mesure, il est possible que des créations artistiques des
arts plastiques soient protégées par le droit du design386 et que des
créations relevant du domaine du design soient protégées par le droit
d’auteur en tant qu’œuvres des arts appliqués (art. 2, al. 2 let. f
LDA)387.
Se pose ainsi la question de la relation entre la protection
conférée par le droit du design et celle résultant du droit d’auteur.
Sur le plan du principe, le droit suisse admet le cumul de protection388. Pour qu’un tel cumul entre en ligne de compte, il faut toutefois que les conditions respectives de protection des lois concernées
soient remplies389. La relation entre la condition de l’originalité du
droit du design (art. 2, al. 1 et al. 3 LDes) et celle de l’individualité du
382.
383.
384.
385.
386.
387.
388.
389.
Art. 19 ss. LDes.
En vertu de l’art. 2, al. 2 LDes, « Un design n’est pas nouveau si un design identique, qui pouvait être connu des milieux spécialisés du secteur concerné en
Suisse, a été divulgué au public avant la date de dépôt ou de priorité ».
Selon l’art. 2, al. 3 LDes, « Un design n’est pas original si, par l’impression générale qu’il dégage, il ne se distingue d’un design qui pouvait être connu des
milieux spécialisés du secteur concerné en Suisse que par des caractéristiques
mineures ».
Art. 4 LDes, étant noté que l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle ne
rejette la demande d’enregistrement que si certains motifs d’exclusion sont
manifestes en vertu de l’art. 24 al. 3 LDes.
Pour une discussion de la protection des créations architecturales par le droit du
design, voir MOSIMANN (Peter), « Der Werk- und Wirkbereich im Theaterschaffen », MOSIMANN (éd.), Kultur Kunst Recht, (Bâle : Helbing & Lichtenhahn,
2009), 615.
Sur ces questions, voir la thèse de STUTZ (Robert Mirko), Individualität, Originalität oder Eigenart ? Schutzvoraussetzungen des Design, (Berne : Stämpfli,
2002).
ATF 134 III 547 ; JdT 2010 I 652 ; CHERPILLOD, Geltungsbereich, 15; pour le
droit allemand, voir SCHACK, Kunst, no 817 ss., 407 ss.
Pour la protection par le droit du design, il faudra ainsi que les conditions formelles (dépôt et enregistrement) soient respectées, voir l’art. 19 ss. LDes.
L’art et la propriété intellectuelle
1391
droit d’auteur (art. 2, al. 1 LDA) doit dès lors être examinée390. On
considère à ce propos, notamment en raison de la durée de protection supérieure conférée par le droit d’auteur par rapport à celle
découlant du droit des designs, que la condition de l’individualité de
l’œuvre exigée par le droit d’auteur suppose une activité créatrice
plus importante que celle de l’originalité du droit du design391.
Au-delà de cette affirmation de principe, il reste délicat de déterminer dans un cas concret le degré de créativité qui sera exigé pour
qu’une protection par le droit d’auteur puisse être admise392.
L’éventuel cumul de protection pourra avoir des conséquences
pratiques importantes, notamment pour ce qui concerne des designs
créés par des employés dans le cadre de leurs obligations contractuelles. S’agissant du droit du design, l’employeur pourra potentiellement bénéficier des droits exclusifs sur la base de la cession légale
prévue à l’art. 332 CO, alors qu’une telle cession n’est pas prévue
pour ce qui concerne les droits d’auteur. Il est ainsi souhaitable que
l’employeur obtienne la cession expresse des droits d’auteur sur les
créations de ses employés relevant du domaine du design.
L’étendue de la protection respectivement conférée par le droit
du design et le droit d’auteur diverge également, la protection du
droit du design s’étendant aux designs « qui présentent les mêmes
caractéristiques essentielles et qui, de ce fait, dégagent la même
impression générale qu’un design enregistré » (art. 8 LDes). Par
contre, la protection du droit d’auteur ne se fonde pas sur la notion
d’« impression générale laissée par les créations concernées dans
l’esprit du public », mais sur la reprise d’éléments protégés dans la
nouvelle création et sur l’existence éventuelle d’une œuvre dérivée
ou d’une modification (non créative) de la première œuvre (art. 11,
al. 1 let. a et b LDA)393.
Une affaire hollandaise récente vient démontrer que la protection du droit du design ne permet pas d’interdire de manière absolue
390.
391.
392.
393.
Pour une discussion approfondie des positions jurisprudentielles et doctrinales
relatives à la question de la relation entre la protection du droit du design et celle
du droit d’auteur, voir CHERPILLOD, Geltungsbereich, 15 ss.
Voir DAVID, no 27 Einführung.
Voir CHERPILLOD, Geltungsbereich, 21, plaidant pour une application de la
théorie de l’unicité statistique de Max Kummer (voir ci-dessus 1.1.3), de sorte
que la protection du droit d’auteur ne pourra être admise que pour des créations
pour lesquelles une création parallèle et indépendante par un tiers peut être statistiquement exclue, ce qui ne sera pas le cas de la forme de nombreux objets (par
exemple machines, outils, caractères typographiques).
Voir ci-dessus 1.1.3.
1392
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’utilisation de designs protégés dans un contexte artistique, même si
un tel usage ne fait pas apparaître le design ni le titulaire de ce dernier sous un jour favorable. Le groupe Louis Vuitton avait ainsi tenté
de faire interdire par voie de mesures superprovisionnelles devant
les tribunaux hollandais la reproduction d’un design communautaire dont il était titulaire394 dans un tableau de l’artiste Nadia Plesner395 intitulé « Darfurnica » sur lequel le design était reproduit sur
un sac Vuitton tenu par un enfant du Darfour396. Après avoir interdit
l’utilisation du design protégé dans le cadre des mesures superprovisionnelles397, les tribunaux hollandais ont tranché en faveur de l’artiste sur le fondement de la liberté d’expression jugée prévalante par
rapport aux intérêts de Louis Vuitton398. Dans ces circonstances,
force est de constater que même si la réglementation en matière de
designs ne comporte pas d’exception de parodie (au contraire de la loi
sur le droit d’auteur, art. 11 al. 3 LDA), l’utilisation d’un design dans
un contexte artistique et politique est possible sans violation du droit
sur le design.
4. L’ART ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE
DÉLOYALE
4.1 Le rôle du droit de la concurrence déloyale
En s’intéressant au rôle potentiel que peut jouer le droit de la
concurrence déloyale dans le domaine artistique, une question préliminaire à résoudre tient à la relation existant entre les droits de propriété intellectuelle et le droit de la concurrence déloyale. En effet,
selon un principe établi et appliqué par le Tribunal fédéral399, le
droit de la concurrence déloyale ne doit pas permettre de suppléer à
l’absence de protection par le droit de la propriété intellectuelle. En
d’autres termes, le droit de la concurrence déloyale ne devrait pas
pouvoir protéger ce qui ne serait pas protégeable par le droit de la
propriété intellectuelle 400.
394.
395.
396.
397.
398.
399.
400.
No. 000084223-0001.
<http://www.nadiaplesner.com/>.
Voir la présentation de l’affaire par HOOPER (Caroline), 1 - 0 for Artistic Freedom v. Louis Vuitton, accessible en ligne à : <http://ehoganlovells.com/ve/
ZZh81tz9261L9582kTt/VT=0/page=27>.
Arrêt du Tribunal de la Haye du 27 janvier 2011.
Arrêt du Tribunal de la Haye du 4 mai 2011, No. KG ZA 11-294.
ATF 116 II 471, JdT 1991 I 194.
Selon la « Umwegtheorie » qui est toutefois critiquée par une partie de la doctrine; voir BAUDNBACHER (Carl), Lauterkeitsrecht, Kommentar zum Gesetz
gegen den unlauteren Wettbewerb (UWG) : Hellbing & Lichtenhahn 2001) Bâle,
2001, no 86 ad art. 1.
L’art et la propriété intellectuelle
1393
Dans le contexte de la protection des œuvres d’art, l’application
du droit de la concurrence déloyale pourrait être envisagée afin de
protéger des œuvres qui seraient tombées dans le domaine public
(soit des œuvres pour lesquelles le délai de protection serait échu)401.
Entrera alors particulièrement en ligne de compte l’art. 3 let. b
LCD402 qui dispose qu’agit de manière déloyale celui qui « donne
des indications inexactes ou fallacieuses sur lui-même, [...], ses marchandises, ses œuvres, [...] ou qui, par de telles allégations, avantage
des tiers par rapport à leurs concurrents ». Selon la doctrine, cette
disposition pourrait être applicable lorsque des indications inexactes
seraient données sur une œuvre tombée dans le domaine public, tout
particulièrement en cas de plagiat, soit l’acte par lequel une personne se fait faussement passer comme auteur d’une œuvre effectivement créée par autrui403. Toutefois, on ne saurait envisager une
application systématique de cette disposition chaque fois qu’une
œuvre tombée dans le domaine public serait utilisée par un tiers
sans indication de l’auteur de l’œuvre. En procédant ainsi, on contournerait en effet les limites de la protection résultant du droit
d’auteur par l’application du droit de la concurrence déloyale404. On
créerait en effet une protection au-delà du droit d’auteur fondée sur
le droit de la concurrence déloyale. Par conséquent, il ne pourra
généralement pas être admis que le droit de la concurrence déloyale
puisse interdire la commercialisation d’œuvres tombées dans le
domaine public.
Le scénario dans lequel une personne ferait passer pour les
œuvres d’un artiste (connu) ce qu’il a lui-même créé en usurpant le
nom, la signature et/ou le style de l’artiste concerné, mérite également d’être examiné.
401.
402.
403.
404.
Ce délai étant de 70 ans après le décès de l’auteur; voir l’art. 29, al. 1 LDA.
Loi fédérale contre la concurrence déloyale du 19 décembre 1986 (RS 241).
BARRELET/EGLOFF, no 14 ad art. 9 ; TROLLER (Aloïs), Immaterialgüterrecht, 3e éd., Bâle, 1985, vol. 2, 691.
C’est ce qu’a décidé la Cour suprême américaine dans une récente affaire Dastar
Corp. v. Twentieth Century Fox Film Corp. et al., 540 U.S. 806 (2003). Dans cette
affaire, la Cour a refusé d’admettre la protection du droit de la concurrence
déloyale (soit l’art. 43(a) du Lanham Act qui prohibe en particulier les fausses
désignations d’origine : « false designation of origin, false or misleading description of fact, or false or misleading representation of fact, which [...] is likely to
cause confusion [...] as to the origin of [its] goods) sur une œuvre tombée dans le
domaine public, en constatant que la création d’un droit d’attribution - soit un
droit de paternité - après l’échéance de la durée de protection du droit d’auteur
entrerait en conflit avec les principes du droit d’auteur (« [...] giving the Lanham
Act special application to such products would cause it to conflict with copyright
law, which is precisely directed to that subject, and which grants the public
the right to copy without attribution once a copyright has expired ») ; pour une
analyse de cet arrêt et de ses conséquences, voir l’article de GINSBURG.
1394
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Dans cette hypothèse, c’est l’art. 3 let. d LCD qui pourrait être
applicable. Selon cette disposition en effet, agit de façon déloyale
celui qui « prend des mesures qui sont de nature à faire naître une
confusion avec les marchandises, les œuvres, les prestations ou les
affaires d’autrui ». Cette disposition pourrait ainsi venir à s’appliquer dans le cas où le nom et le style d’un artiste seraient utilisés et
imités par un tiers, sans qu’une œuvre spécifique de l’artiste ne soit
reprise405. À nouveau, on devra se garder d’appliquer trop extensivement l’art. 3 let. d LCD pour contourner les limites de la protection
résultant du droit de la propriété intellectuelle (soit du droit d’auteur), soit en d’autres termes, pour conférer une protection par le
droit de la concurrence déloyale là où le droit d’auteur n’en offre pas
(ou plus). Dans ces circonstances, l’application de l’art. 3 let. d LCD
ne pourra être admise qu’en cas de circonstances particulières qui
feront apparaître le comportement concerné comme déloyal. A titre
d’exemple, on peut envisager une application de cette disposition
dans le cas de la reprise de tableaux inspirés du style cubiste de
Picasso dans le cadre d’une campagne publicitaire. Une telle utilisation en effet a été condamnée en France (en application de droit de la
responsabilité civile), le Tribunal retenant en l’espèce qu’est répréhensible le fait d’avoir « volontairement cherché à utiliser à des
fins purement mercantiles et publicitaires, la renommée de Pablo
Picasso pour faire croire au public que l’une de ses œuvres originales
participait à la promotion de produits de peinture en bâtiment »406.
De même, on pourrait envisager l’application de l’art. 3 let d LCD
dans le cas de copies de tableaux tombés dans le domaine public et
munis de la signature de l’artiste concerné lorsqu’on peut craindre
un risque de confusion au sein du public entre les œuvres originales
et leurs copies. L’application de l’art. 3 let. d LCD devra en tout état
être examinée au cas par cas.
4.2 Les limites du droit de la concurrence déloyale
De manière générale, la loi contre la concurrence déloyale
réprime les « actes déployant des effets sur le marché, objectivement
propres à avantager ou désavantager une entreprise dans sa lutte
pour acquérir de la clientèle, ou à accroître ou diminuer ses parts de
marché »407. Ce n’est donc que lorsqu’un acte sera propre à avoir une
405.
406.
407.
Dans une telle hypothèse, on ne se trouvera pas dans le champ d’application du
droit d’auteur, pour une discussion de ces questions, voir ci-dessus 1.3.3.2 et
DE WERRA, (cité en note 82), 45 ss.
Tribunal de Grande Instance de Paris, Gazette du Palais 2e semestre, 1998 sommaires et notes, 689, commenté et analysé par TREPPOZ, 71.
TF, [2002] Sic! 694.
L’art et la propriété intellectuelle
1395
influence sur le marché que le droit de la concurrence déloyale
pourra s’appliquer. Ainsi, selon la jurisprudence408, la vente aux
enchères par un collectionneur privé d’une voiture d’occasion (une
Ferrari de collection) a été considérée comme n’étant objectivement
pas de nature à influencer le marché, de sorte que le droit de la
concurrence déloyale ne pouvait pas s’appliquer409. N’a pas été jugé
déterminant dans ce cadre le fait que le vendeur ait mandaté une
société spécialisée dans le domaine des voitures anciennes pour
organiser la vente aux enchères, pas plus que le fait que cette dernière société ait mentionné la voiture dans son catalogue 410.
La question de l’effet potentiel sur le marché pourra précisément être critique dans le domaine de l’art. En suivant cette jurisprudence, la vente aux enchères par un collectionneur privé d’un
tableau qui serait faussement attribué à un artiste ne sera pas susceptible de donner lieu à l’application du droit de la concurrence
déloyale, faute d’impact sur le marché. Il conviendra en toute hypothèse d’examiner soigneusement dans chaque cas d’espèce si l’acte
concerné (soit la commercialisation d’un tableau comportant indûment la signature d’un artiste) est susceptible ou non d’influencer le
jeu de la concurrence à la lumière de la jurisprudence (restrictive)
précitée.
408.
409.
410.
Étant toutefois noté que l’arrêt du Tribunal fédéral a été rendu sur recours de
droit public, le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral se limitant ainsi à l’examen de l’arbitraire de la décision cantonale.
Dans ce litige, la partie demanderesse tentait de faire interdire la vente de la
Ferrari pour violation du droit de la concurrence déloyale au motif que la voiture
comportait prétendument un faux numéro de châssis correspondant à un
modèle détruit par un incendie dans les années 1960, ce numéro de châssis étant
également utilisé par la partie demanderesse sur une autre voiture.
TF, [2002] Sic! 696.
Capsule
Le parasitisme sanctionné
en Cour d’appel
Mistrale Goudreau*
Dans une décision unanime rendue le 19 mai 2011, la Cour
d’appel du Québec a sanctionné un agissement parasitaire, désapprouvant le juge de première instance qui avait rejeté l’action au
motif que l’interdiction du parasitisme n’est pas intégrée au droit
québécois1.
Les faits sont simples : le Groupe Pages jaunes publie un bottin
téléphonique et vend de l’espace publicitaire sur la couverture avant
et arrière et à l’intérieur du bottin. Le prix est déterminé en fonction
de la visibilité offerte à l’annonce.
Publication Cartotek a mis à la disposition du public une
jaquette de plastique permettant d’envelopper le bottin téléphonique du Groupe Pages jaunes et elle offre sur ce support 22 espaces
pour des messages publicitaires. La jaquette masque entièrement
les annonces apposées par Groupe Pages jaunes sur la dernière page
et la couverture, avant et arrière, du bottin, ce qui a entraîné une
diminution de la valeur de ses annonces.
Dans un bref arrêt de deux pages, la Cour d’appel accueille
partiellement l’appel et, par voie de conséquence, partiellement la
© Mistrale Goudreau, 2011.
* Professeure titulaire à la Faculté de droit (section de droit civil) de l’Université
d’Ottawa.
1. Groupe Pages jaunes Cie c. 4143868 Canada inc., 2011 QCCA 960 [Note de la
rédaction : PAGES JAUNES est la marque de commerce et Groupe Pages jaunes le
nom de l’entreprise.]
1397
1398
Les Cahiers de propriété intellectuelle
requête introductive, citant comme seule autorité, un compte rendu
de livre2.
[12] La concurrence qualifiée de parasitaire constitue avant
tout de la concurrence déloyale qui est sujette à nos règles
usuelles de responsabilité civile et notamment de l’article 1457
du C.c.Q.
[13] C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en arrive le juge
Baudouin dans un article sur le parasitisme, alors qu’il s’exprime comme suit :
Il m’apparaît rassurant, pour ma part, de constater que
les bonnes vieilles règles civilistes de la responsabilité civile
sont suffisamment souples et adaptables pour régler avec
efficacité le contentieux du parasitisme, sans qu’il soit besoin
de créer marginalement un régime juridique spécial [Baudouin, Jean-Louis, « Le parasitisme », [2001] 31 R.G.D. 789,
791]
[14] En l’espèce, il ne fait aucun doute que les activités délibérées de Cartotek sont fautives et qu’elle se livre à une concurrence déloyale à l’égard de Pages jaunes.
[15] Tout comme le fait valoir l’appelante, il est manifeste que
les agissements de Cartotek sont de nature parasitaire en ce
qu’elle vit en parasite, dans le sillage de l’appelante, en profitant de ses efforts et de ses produits.
[16] La jaquette en plastique déprécie de manière considérable
la valeur des publicités placées en page couverture et sur la dernière page de l’annuaire puisque ces dernières se trouvent à
être complètement masquées par la jaquette (parag. 32 affidavit de Valérie Landreville du 29 septembre 2009).
[17] Cartotek usurpe le travail et le produit de Pages jaunes
pour en tirer profit. Ce faisant, elle abuse des droits de Pages
jaunes.
2. BAUDOUIN (Jean-Louis), commentant Le TOURNEAU (Philippe), Le parasitisme (Paris : Litec, 1998), dans « Le parasitisme », (2001), 31 Revue générale de
droit 789, 791.
Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel
1399
La conclusion quant aux faits reprochés ne soulève aucun étonnement. Le délit de concurrence déloyale est fondé sur la notion de
faute visée à l’article 1457 du Code civil du Québec, et couvre tous les
gestes qui sont contraires aux usages honnêtes de l’industrie ou
du commerce3. La faute est le « comportement contraire à celui
auquel on peut s’attendre d’une personne raisonnable placée dans
les mêmes circonstances »4, « évaluée en regard de l’activité propre
de l’agent au moment où le préjudice a été causé [note omise]. En
d’autres termes, on doit replacer l’individu dans le cadre de l’emploi,
de l’occupation, de la profession ou du travail qu’il exerçait alors. »5
Ici, il s’agissait donc de déterminer si un commerçant prudent et diligent aurait agi de la sorte, vendant de l’espace publicitaire sur une
jaquette masquant l’espace publicitaire aménagé par le concepteur
du produit. La conclusion selon laquelle une personne raisonnable
n’aurait pas agi de la sorte n’a rien de choquant. C’est certainement
un comportement fautif de masquer un espace de publicité légalement et légitimement exploité par une entreprise sur son produit.
Mais la Cour d’appel va plus loin ; elle précise la nature de la
faute qui est de « vivre en parasite, dans le sillage de l’appelante, en
profitant de ses efforts et de ses produits » ou « d’[usurper] le travail
et le produit de Pages jaunes pour en tirer profit ».
C’est la reconnaissance du parasitisme du droit civil français,
avec emprunt de la terminologie des juristes d’outre-mer. Une des
formulations approuvées par la Cour de cassation fait référence à
« l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique
s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien
dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire »6.
En droit français, la théorie est relativement récente. La notion
a été dégagée en 1956 par Y. Saint-Gal7 qui l’a défini comme le fait
« de vivre en parasite dans le sillage d’un autre en profitant des
efforts qu’il a réalisés et de la réputation de son nom et de ses produits ». La théorie sera soutenue par plusieurs autres auteurs dans
3. NADEAU (André) et al., Traité pratique de la responsabilité civile délictuelle
(Montréal : Wilson & Lafleur, 1971), p. 221.
4. BAUDOUIN (Jean-Louis) et al., La responsabilité civile, vol. I, 7e éd., (Cowansville : Éditions Yvon Blais, 2007), no 1-161.
5. Ibid., no 1-194.
6. Cass. com., 26 janv. 1999, no 96-22.457, : D. 27 janvier 2000, no 4, p. 87.
7. « Concurrence déloyale et agissements parasitaires », RIPIA 1956, no 25/26, p. 37,
tel que cité par Jérome PASSA, JurisClasseur Concurrence – Consommation, Fasc.
240 : Domaine de l’action en concurrence déloyale, Février 1998, no 59.
1400
Les Cahiers de propriété intellectuelle
nombreux écrits dont ceux de Jean-Jacques Burst8, Xavier Desjeux9
et Philippe le Tourneau10. En jurisprudence française, le concept est
aujourd’hui solidement ancré11. Mais la théorie a aussi ses détracteurs ou des supporteurs plus mitigés.
D’abord la terminologie est contestée. Comme le disait Marie
Malaury-Vignal : « L’expression vivre dans le sillage d’autrui est
nouvelle. Elle ne correspond à aucun concept juridique, elle est plus
une image qu’une réalité »12.
En second lieu, formulée en termes trop généreux, la théorie
s’intègre mal au régime de droit civil. Elle est d’un contour mal défini
et tend à s’étendre anarchiquement13. Elle dépasse le champ traditionnel de la concurrence déloyale, car pour la Cour de cassation
« les agissements parasitaires d’une société peuvent être constitutifs
d’une faute au sens de l’article 1382 du Code civil, même en l’absence
de toute situation de concurrence »14. Elle a le potentiel de rendre tout le régime de propriété intellectuelle redondant15. User de
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
Notamment dans Concurrence déloyale et parasitisme, éd. Dalloz 1993.
Par exemple dans « Quelle protection juridique pour le modèle « fonctionnel » ?
Le design ou la création d’une valeur économique personnelle à l’entreprise » :
Gaz. Pal. 1981, 1, doctr. 297 et « Le droit de la responsabilité civile comme limite
au principe de la liberté du commerce et de l’industrie » : JCP E 1985, II, 14490.
Notamment dans « Le parasitisme dans tous ses états » : D. 1993, p. 310 et
Juris-Classeur Concurrence – Consommation, Fasc. 227, Parastisme, 10 janvier
2010.
Guy Courtieu, JurisClasseur Responsabilité civile et Assurances ; Fasc. 132-30 :
Droit à réparation, mai 2006, no 44 et Jérôme Passa, supra, note 7, no 64. De janvier 2010 à août 2011, la Cour de cassation examinera pas moins de neuf fois
l’allégation de parasitisme, ce qui prouve la popularité du recours : Cass. Com.
19 janvier 2010, no 08-15.338, 08-16.459, 08-16.469, JurisData : 2010-051290 ;
Cass. Com. 18 mai 2010, no 09-10566 ; Cass. Com. 29 Juin 2010, no 09-15.692,
09-67.997, 715, numéro JurisData : 2010-010673 ; Cass. Com. 29 juin 2010,
no 09-67.222 ; Cass. Com. 13 juillet 2010, no 09-14.985 ; Cass. Com. 13 Juillet
2010, no 865, 06-15.136, numéro JurisData : 2010-011702 ; Cass. Com. 23 novembre 2010, No 09-17204, 1182 Numéro JurisData : 2010-021983 ; Cass. Com.
27 avril 2011, no 10-15.648, JurisData 2011-007263 ; Cass. Com. 12 juillet 2011 ,
no 10-22.739, Numéro JurisData : 2011-014473.
Marie MALAURIE-VIGNAL, « Parasitisme et notoriété d’autrui » : JCP G. 1995.
1, doctr. no 3888, no 2
Guy COURTIEU, supra, note 11, no 46.
Cass. com., 30 janv. 1996 : D. 1996, inf. rap. p. 63 ; Cass. com., 7 avr. 2009,
no 07-17.529 : JurisData no 2009-047897. Voir également Cass, Com. 27 avril
2011, no 10-15.648, Juris Data 2011-007263.
J. PASSA, supra, note 7, nos 65 à 69 ; Contrefaçon et concurrence déloyale, (Paris :
Litec, 1993), no 368 et s., p. 275 et s. ; « Propos dissidents sur la sanction du parasitisme économique » : D. 2000, chron. p. 297. – Pascale Tréfigny, L’imitation,
contribution à l’étude juridique des comportements référentiels, (Paris : Litec,
2000), p. 304 et s., nos 402 à 406 ; – Frédéric POLLAUD-DULIAN, « De quelques
Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel
1401
l’invention brevetée d’autrui, exploiter la création de l’esprit protégée par le droit d’auteur, n’est-ce pas s’immiscer dans le sillage
d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de
son savoir-faire ? Si on admet le principe général que nul ne doit profiter du travail d’autrui, l’intérêt des régimes spéciaux de protection
des créations intellectuelles diminue grandement. Respecter les
conditions de dépôt des demandes (pour le brevet ou le dessin industriel), satisfaire aux exigences de nouveauté, d’originalité,
d’ingéniosité, de fixation ou d’utilité fixées par les lois, deviennent de
simples options permettant d’obtenir une protection plus étendue
(par exemple pour revendiquer le remboursement des profits du contrefacteur ou des dommages exemplaires). La protection de base
serait toujours assurée par la sanction du parasitisme, sans
conditions de forme et sans durée déterminée par la loi.
Pour contrer les incohérences que l’expansionnisme de la notion
peut susciter, les auteurs et les juges français ont cherché à circonscrire la portée de la théorie par le jeu de définitions et d’exclusions.
Ainsi en 2002, le professeur le Tourneau, partisan convaincu de la
doctrine, a proposé une définition :
Quiconque, à titre lucratif et de façon injustifiée, s’inspire sensiblement ou copie sans nécessité absolue une valeur économique d’autrui, individualisée, apportant une valeur ajoutée et
procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un effort intellectuel et d’investissements, commet un acte parasitaire fautif.
Car cet acte, contraire aux usages du commerce, notamment en
ce qu’il rompt l’égalité entre les divers intervenants, même non
concurrents et sans risque de confusion, fausse le jeu normal du
marché et provoque ainsi un trouble commercial. Celui-ci est,
en soi, un préjudice certain dont la victime peut demander en
justice la cessation et/ou la réparation, lorsqu’elle ne dispose
pas d’une autre action spécifique, et qu’elle n’a pas bénéficié
d’un droit privatif ayant expiré (sauf en matière de signes).16
Décortiquons la définition et identifions les conditions posées :
• L’élément usurpé doit être 1) une valeur économique d’autrui,
2) individualisée, 3) apportant une valeur ajoutée et 4) procuavatars de l’action en responsabilité civile dans le droit des affaires » : [1997]
Revue trimestrielle de droit commercial 349.
16. Philippe LE TOURNEAU, Juris-Classeur Concurrence – Consommation, supra,
note 10, no 80. L’auteur explique notamment les raisons de ces limitations dans
son article « De la modernité du parasitisme », Gaz. Pal., 30 octobre 2001, no 303,
p. 4
1402
Les Cahiers de propriété intellectuelle
rant un avantage concurrentiel, 5) fruit d’un effort intellectuel et
6) d’investissements ;
• L’usurpateur doit, 7) à titre lucratif et 8) de façon injustifiée,
9) sans nécessité absolue, s’inspirer sensiblement ou copier cet
élément ;
• Le demandeur dans l’action en parasitisme ne doit pas 10) disposer d’une autre action spécifique, et 11) ne doit pas avoir bénéficié
d’un droit privatif ayant expiré (sauf en matière de signes).
On sent que la doctrine, déterminée à faire reconnaître ce parasitisme, multiplie les conditions d’application dans le but de colmater les brèches de la théorie. Or la Cour d’appel du Québec ne fait
référence à aucune de ces atténuations, pourtant fondamentales.
Revenons sur deux aspects. D’après la définition du professeur
le Tourneau, le demandeur qui réclame réparation suite à un parasitisme ne doit pas disposer d’une autre action spécifique. De fait, la
règle est en droit civil français que l’action en concurrence déloyale et
parasitaire sanctionne des faits distincts de l’action en contrefaçon
d’un droit de propriété intellectuelle 17.
Au contraire, en droit québécois, cette condition est inconnue ;
tous les recours sont disponibles, bien que si la protection par le
droit privatif s’avère inefficace, « l’examen des autres recours s’en
retrouve irrémédiablement coloré et l’enthousiasme juridique du
décideur peut vite s’essouffler »18. C’est donc une différence fondamentale entre les droits français et québécois, puisque en France le
titulaire d’un droit de propriété intellectuelle ne peut réclamer que
17. Cass. com., 20 févr. 2007 : No 05-13.927, 05-14.039, Juris-Data no 2007-037494 ;
Cass. com., 3 juin 2008 : No 07-15.050, JurisData no 2008-044240 ; Cass. com.,
12 juin 2007, no 05-19.446, Juris-Data no 2007-039589 ; Cass. com., 26 juin 2007,
no 06-14.020, Juris-Data no 2007-039830 ; Cass. com., 6 nov. 2007, no 06-16.189 :
JurisData no 2007-041269 ; Propr. intell. 2008, p. 263, obs. J. Passa ; Cass. com.,
1er juill. 2008 No 07-14.741, JurisData no 2008-044704 ; Cass. Com. 19 janv.
2010, no 08-15.338, 08-16.459, 08-16.469 ; Cass. Com. 19 janv. 2010, no 08-15.
216 ; Cass. Com. 23 mars 2010, no 09-14114.
Il existe cependant des lectures différentes de la jurisprudence. Voir notamment
Sylviane Durrande, JurisClasseur Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1116 :
Objet du droit d’auteur – Droit d’auteur et concurrence déloyale, 01 Septembre
2010, no. 35
18. Jean-Philippe MIKUS, « La protection des marques de commerce notoires au
Canada », dans Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Développements récents en droit de la propriété intellectuelle, (Cowansville : Éditions
Yvon Blais, 2004), p. 67.
Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel
1403
les sanctions prévues par la loi qui instaure le droit privatif. Le droit
commun ne peut compléter ou accroître la protection légale pour les
mêmes actes de contrefaçon.
Qu’en est-il du cas où le droit privatif a expiré – lorsque l’innovation est tombée dans le domaine public ? Le professeur le Tourneau refuserait alors d’y voir un parasitisme et pourtant la Cour de
Cassation n’a pas hésité à condamner celui qui avait reproduit un
dictionnaire français-provençal tombé dans le domaine public19. Les
auteurs se questionnent : « quelle règle oblige celui qui veut emprunter au domaine public à refaire le même investissement pour découvrir ce qui a déjà été divulgué, rendu public et qui, normalement, est
à sa disposition ? »20. Une partie de la jurisprudence fait écho à ce
malaise21.
Reste le cas limite : Que décider lorsque l’innovation n’a pas
satisfait à l’une des conditions posées pour l’octroi du droit privatif,
ou lorsque l’utilisateur se niche dans une des exceptions légales ?
C’est là que la controverse est le plus aiguë. Les tenants du parasitisme voient là toute l’utilité de la théorie. Le Professeur le Tourneau, la qualifie d’« amie fidèle des victimes désemparées, [de]
remède universel contre les lacunes du droit et les défaillances du
législateur »22. Certains juges ont entériné la proposition. On peut
donner en exemple, la Cour de Cassation qui reproche à des anciens
employés d’avoir repris les travaux, l’expérience et les produits de
leur ex-employeur23, ou qui condamne un architecte qui a utilisé
sans autorisation un modèle de chalet sans originalité24, ou qui sanctionne un ex-cocontractant ayant repris les fonctionnalités d’un logiciel pourtant non protégées par le droit d’auteur25. De même, la Cour
d’appel de Paris a jugé fautive la reprise d’articles de nettoyage d’un
concurrent même s’ils n’étaient pas protégés par un droit de pro19. Cass. com., 18 janv. 1982 : RIDA juill. 1982, p. 151 ; Bull. civ. 1982, IV, no 19.
20. A. LUCAS, Cah. dr. entr. 1988/1, p. 19, tel que cité par J. PASSA, supra, note 7,
no 68.
21. Voir la recension de la jurisprudence de Christophe Alleaume, JurisClasseur
Civil Annexes > Vo Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1270 : Droits des
auteurs, 29 Juin 2010, no 85.
22. Philippe LE TOURNEAU, « Variations autour de la protection du logiciel », Gaz.
Pal. 1982. 2, doctr. 370, p. 370.
23. Cass. com., 13 févr. 1990 : Gaz. Pal. 1990, 2, pan. jurispr. p. 180, JCP G. 1990
N 15, IV, p. 140 ; JCP E. 1990 N 15 I 19760.
24. Cass. 1re civ., 5 juill. 2006, no 05-12.193 : JurisData no 2006-034428 ; Bull.
civ.2006, I, no 360 ; Propr. intell. 2006, p. 501, obs. J. Passa.
25. Cass. 1re civ., 13. déc. 2005, no 03-21.154, Numéro JurisData : 2005-031257,
Bulletin civil 2005, No 499, p. 420.
1404
Les Cahiers de propriété intellectuelle
priété intellectuelle26 et la Cour d’appel de Rouen a sanctionné la
reproduction des plans d’un appareil, qui n’étaient pourtant ni originaux, ni nouveaux27.
Mais y a-t-il « défaillance » du législateur, s’il choisit par le biais
des conditions posées, ou des exceptions créées, de refuser une protection à un auteur ou un inventeur ? Où est la faute de celui qui
emprunte dans le cadre d’une exception au droit privatif, ou de celui
qui copie ce qui ne mérite pas protection aux termes de la loi28 ? Le
Code français de la consommation précisant les conditions de légalité de la publicité comparative, ne faut-il pas voir là une exception
au parasitisme29 ? La Cour de cassation, elle-même, dans certaines
affaires, a douté qu’il y ait parasitisme lorsque le droit privatif
avait été nié. En 1972, elle déclarait : « que dans la mesure où les
faits invoqués comme constitutifs de concurrence déloyale se confondent matériellement avec les divers griefs de contrefaçon de brevet,
du modèle déposé ou de création de l’esprit [notamment en raison de
la divulgation antérieure de l’invention], la cour d’appel qui constate
l’absence de droits privatifs sur ces divers fondements, a pu déclarer
qu’il n’y avait pas de faute à utiliser ce qui est dans le domaine
public »30. En 2010, elle précise qu’ « en l’absence de droit privatif,
copier le signe sous lequel un concurrent fait commerce ne constitue
pas en soi une faute, en sorte que le fait que cette reprise soit, en
elle-même, susceptible de procurer à celui qui la pratique des économies ou de le faire profiter des investissements d’un concurrent ne
peut être qualifié de fautif31. Le professeur Passa cite l’explication de
la Cour d’appel de Toulouse : « si un produit ne bénéficie pas de la
protection des lois du 14 juillet 1909 ou du 11 mars 1957, admettre
que sa seule reproduction qui ne lèse aucun droit privatif serait constitutive d’une faute, aboutirait à créer une protection subsidiaire
faisant revivre par un biais excluant la notion fondamentale d’originalité, la protection des lois susvisées »32. Bref, les tribunaux
26. CA Paris, 22 mai 1990, Numéro JurisData : 1990-023057 : D. 1990, inf. rap.
p. 175 ; Voir aussi CA Paris Ch. 4, section A, 18 Octobre 2000, no 1998/11731Numéro JurisData : 2000-129037.
27. CA Rouen, 13 janv. 1981 : D. 1983, jurisp. p. 53, note Lucas.
28. Cass. 1re Civ., 5 Mars 2009 Numéro JurisData : No 07-19.734, 07-19.735.
29. Voir la discussion de Jean-Jacques Biolay, JurisClasseur Contrats – Distribution,
Fasc. 4140 : Publicité comparative, mars 2010, no. 73.
30. Cass. com., 24 janv. 1972, No 70-11.878, Bull. civ. IV, no 27, p. 25.
31. Cass. Com. 23 mars 2010, no 09-14114, numéro JurisData : 2010-002599.
32. CA Toulouse, 19 oct. 1988, tel que cité par J. PASSA, « Propos dissidents sur la
sanction du parasitisme économique », supra, note 15, no 8.
Le parasitisme sanctionné en Cour d’appel
1405
français se contredisent33, les auteurs tergiversent et raffinent les
distinctions34.
En fait, on le voit, les tribunaux et les auteurs doivent reconstruire de toutes pièces une théorie de l’appropriation intellectuelle,
créant de nouvelles conditions de protection et aménageant les
exceptions nécessaires. En guise d’illustration et sans prétention à
l’exhaustivité, nous donnerons ici trois exemples de justifications
admises pour disculper l’emprunt du fruit du travail d’autrui : les
juges français ont refusé de réprimer la reprise de l’objet sans originalité particulière35, ou le copiage qui ne comporte pas de risque de
confusion, de banalisation ou de dévalorisation36, ou la copie servile
qui répond à une « nécessité fonctionnelle »37.
Il nous semble que la Cour d’appel du Québec a un peu bâclé le
travail en intégrant le parasitisme au droit québécois sans y apporter aucune des nuances nécessaires. Pour avoir adopté la théorie
française sans se livrer à un suffisant travail de réflexion sur ses
lacunes, ses faiblesses et les conflits possibles avec les particularités
du droit québécois, la Cour d’appel ne pourrait-elle se voir reprocher
d’avoir agi « en parasite, en se plaçant dans le sillage des auteurs
français, en profitant à moindre frais de leurs efforts » ? Ou faudra-t-il aussi créer une exception au parasitisme pour l’emprunt des
concepts juridiques ?
33. Par exemple, contrairement à la règle avancée dans les décisions citées ci-dessus,
la Cour cassera la décision de la Cour d’appel de Bourges qui, annulant un enregistrement de modèle, avait du même coup rejeté la demande en agissement
parasitaire. Cass. Com. 14 décembre 2010, no 10-10951, numéro JurisData :
2010-024029.
34. Ainsi le professeur Le Tourneau propose la nuance suivante : « L’action en parasitisme peut survivre à la disparition de l’action en contrefaçon lorsqu’elle a échoué
pour une raison de Droit (et non parce que l’élément matériel de l’infraction faisait défaut), et qu’il existe un risque de confusion » : Philippe le TOURNEAU,
JurisClasseur Concurrence – Consommation, Fasc. 228 : Parasitisme – Régime
juridique, 10 Janvier 2010, no 25. Voir en ce sens Cass. com., 6 déc. 1984, numéro
JurisData : 1984-701956 ; Cass. com., 29 mars 1994 : Bull. civ. 1994 No 3 IV, Bull.
civ. 1994 IV No 125 p. 97, JCP G 1994, IV, 187 ; D. 1995, somm. p. 209 ; Cass. Com.
19 janvier 2010, No 08-15216. Pour une opinion similaire, voir Sylviane Durrande, JurisClasseur Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1116 : Objet du droit
d’auteur – Droit d’auteur et concurrence déloyale, 01 Septembre 2010, nos 36-37.
35. Cass. Com. 18 Juin 2002, no 00-15.857.
36. Cass. com. 26 mars 2002, no 99-19.416, numéro JurisData 2002-015298.
37. Cass. com. 27 fév. 1990 , no 88-11.182, Bull. Civ. 1990 IV no 52, p. 35, JCP G 1990,
IV, 164, JCP E 1990 N 18 I 19824, Gaz. Pal. 1991 No 11-12 Panorama p. 4.
Capsule
La détermination du degré de
similitude entre les marques
Christel Lacarrière*
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1409
2. Faits et procédure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1410
3. Cadre juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1412
4. Les décisions de la Cour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1413
4.1 Sur la différence de degré de similitude au regard
des dispositions de l’article 8 (paragraphe 1 sous b)
vs. Paragraphe 5) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1413
4.2 Sur la renommée de la marque antérieure . . . . . . 1414
4.3 Sur l’existence d’une « famille de marques » . . . . . 1415
4.4 Sur le fait que la marque antérieure
est verbale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1416
5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1416
© Christel Lacarrière, 2011.
* Juriste en propriété intellectuelle au sein de la société Nestlé France.
1407
1. INTRODUCTION
La procédure d’opposition a pour but de permettre au propriétaire d’un droit antérieur de faire échec à l’enregistrement d’une
marque postérieure qu’il estimerait porter atteinte à ses droits.
Généralement fondée sur une ou plusieurs marques antérieures, l’opposition est susceptible d’être reconnue justifiée lorsque la
demande contestée est considérée comme identique ou similaire et
désigne des produits ou services identiques ou similaires à ceux couverts par la marque antérieure1.
L’opposition basée sur une marque antérieure renommée bénéficie, quant à elle, selon les dispositions du Règlement no 40/94, d’une
dérogation au principe de spécialité puisqu’il pourra être fait droit à
l’opposition quand bien même la demande contestée désignerait des
produits ou services différents de ceux couverts par la marque antérieure renommée2.
Pour autant, la marque renommée échappe-t-elle aux principes
d’appréciation de la similitude entre deux signes ?
C’est notamment de l’appréciation du degré de similitude entre
les marques que traite la décision rendue le 24 mars 2011 par la Cour
de Justice de l’Union Européenne (CJUE), dans une affaire opposant
les sociétés SpA Ferrero et Tirol Milch reg.Gen.mbH3.
Cette décision aborde, par ailleurs, d’autres aspects de procédure qui ne seront pas étudiés dans cette capsule.
1. Article 8, paragraphes 1 et 2 du Règlement no 40/94.
2. Voir LACARRIÈRE (Christel), « Marques et produits du tabac : quand la nature
des produits fait obstacle au bénéfice de la renommée », (2009) 21(1) Cahiers de la
Propriété Intellectuelle 231.
3. CJUE, 24 mars 2011 – Ferrero SpA/ OHMI – Tirol Milch reg.Gen.mbH Innsbruck –
C-552/09-P.
1409
1410
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2. FAITS ET PROCÉDURE
La présente affaire trouve son origine le 8 avril 1998, lorsque la
société autrichienne Tirol Milch reg. Gen. mbH Innsbruck (ci-après
dénommée « Tirol Milch ») dépose la demande de marque communautaire semi-figurative TIMI KINDERJOGHURT désignant en
classe 30 les produits : « yaourt, yaourt aux fruits, boissons à base de
yaourt, boissons à base de yaourt contenant des fruits, plats préparés et partiellement préparés principalement à base de yaourt ou de
produits à base de yaourt, crèmes à base de yaourts » :
Suite à la publication de cette demande, la société italienne
SpA Ferrero (ci-après dénommée « Ferrero ») forme opposition auprès
de l’Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur (OHMI) en
date du 14 janvier 1999.
Elle base son opposition sur sa marque antérieure italienne,
marque verbale, KINDER enregistrée en classe 30 pour les produits
suivants : « café, thé, sucre, riz, tapioca, sagou, préparations remplaçant le café ; pain, biscuits, gâtaux, pâte pour gâteaux et confiserie,
crèmes glacées comestibles, miel, mélasse, levure et poudre à lever ;
sel, moutarde ; poivre, vinaigre, sauces, épices ; glace comestible ;
cacao, produits de cacao, à savoir pâte de cacao pour boissons au
cacao, pâte au chocolat, couches, notamment couches de chocolat,
chocolat, pralinés, décorations en chocolat pour des sapins de noël,
produits à base de chocolat fourré à l’alcool, sucreries, confiserie,
y compris de la pâte dure et molle pour gâteaux ».
La société Ferrero invoque à l’appui de son opposition, d’une
part, la similitude existant entre la demande contestée et sa marque
antérieure (article 8 paragraphe 1 du Règlement no 40/94) et, d’autre
part, la renommée de sa marque antérieure en Italie (article 8 paragraphe 5 dudit Règlement).
Dans sa décision du 29 septembre 2000, la division d’opposition
de l’OHMI rejette l’oppostion sur le fondement de l’article 8 paragraphe 1, sous b) et 5 du Règlement no40/94 aux motifs que les mar-
La détermination du degré de similitude entre les marques
1411
ques en cause ne sont pas similaires visuellement, phonétiquement
et conceptuellement et qu’il n’existe en conséquence aucun risque de
confusion entre elles.
La société Ferrero fait alors appel de cette décision qui se voit
confirmée le 3 novembre 2003, par la quatrième chambre de recours
de l’OHMI.
La demande de marque semi-figurative TIMI KINDERJOGHURT est donc acceptée à l’enregistrement le 20 août 2004.
Le 19 août 2005, la société Ferrero, désireuse de faire reconnaître ses droits, introduit cette fois devant la division d’annulation
de l’OHMI une demande en nullité de la marque communautaire de
la société Tirol Milch.
Dans sa décision du 14 mars 2007, la division d’annulation fait
droit à la demande de la société Ferrero et prononce la nullité de la
marque semi-figurative TIMI KINDERYOGHURT.
La société Tirol Milch fait alors appel de cette décision auprès
de la chambre des recours de l’OHMI qui annule la décision de la
division d’annulation et rejette la demande en nullité de la société
Ferrero.
Dans sa décision, la chambre a considéré, d’une part, qu’en
vertu de la règle « nemo potest venire contra factum proprium » la
division d’annulation restait liée par les constatations de la décision
finale de la division d’opposition ; d’autre part, que les différences
profondes entre les marques sur les plans visuel et phonétique
avaient permis de conclure que les marques étaient globalement différentes, et enfin, que la condition d’application de l’article 8, paragraphe 1 sous b) et 5 du règlement no40/94, à savoir l’existence d’une
identité ou d’une similitude des signes n’était pas remplie.
Le 14 avril 2008, la société Ferrero saisit le Tribunal de
Première instance des Communautés Européennes (TPICE) et
demande l’annulation de la décision de la chambre de recours.
Elle invoque deux moyens à l’appui de son recours : le premier
basé sur l’application erronée du principe de l’autorité de la chose
jugée et le second basé sur la violation des articles 8 paragraphe 1,
sous b), et 5 du règlement no 40/94.
1412
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Sur le premier moyen, le Tribunal réfute l’argumentation de la
chambre de recours selon laquelle les instances de l’OHMI seraient
liées par les constatations opérées dans la décision finale rendue
dans le cadre de la procédure d’opposition.
S’agissant du second moyen, le Tribual considère que les signes
en cause ne pouvaient être perçus comme similaires du seul fait
qu’ils étaient tous deux composés du terme KINDER, la comparaison
des signes en cause ayant mis en évidence des différences importantes aux plans visuel et phonétique.
Le Tribunal rejette par conséquent la demande en nullité4.
La société Ferrero porte donc, en dernier recours, l’affaire
devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.
3. CADRE JURIDIQUE
Les dispositions ci-dessous mentionnées sont celles applicables
au moment des faits du litige5.
Le règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993,
sur la marque communautaire prévoit :
• à l’article 8, paragraphe 1 : « Sur opposition du titulaire d’une
marque antérieure, la marque demandée est refusée à l’enregistrement :
b) lorsqu’en raison de son identité ou de sa similitude avec la
marque antérieure et en raison de l’identité ou de la similitude
des produits ou des services que les deux marques désignent, il
existe un risque de confusion dans l’esprit du public du territoire dans lequel la marque antérieure est protégée ; le risque
de confusion comprend le risque d’association avec la marque
antérieure.
• à l’article 8, paragraphe 5 :
Sur opposition du titulaire d’une marque antérieure au sens
du paragraphe 2, la marque demandée est également refusée à
4. TPICE, 14 octobre 2009, Ferrero SpA-T-140/08
5. Ces dispsoitions ont depuis été abrogées par le règlement (CE) n° 207/2009 du
Conseil, du 26 février 2009.
La détermination du degré de similitude entre les marques
1413
l’enregistrement si elle est identique ou similaire à la marque
antérieure et si elle est destinée à être enregistrée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque antérieure est enregistrée, lorsque, dans le
cas d’une marque communautaire antérieure, elle jouit d’une
renommée dans la Communauté et, dans le cas d’une marque
nationale antérieure, elle jouit d’une renommée dans l’État
membre concerné et que l’usage sans juste motif de la marque
demandée tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de
la renommée de la marque antérieure ou qu’il leur porterait
préjudice.
La principale question en litige à laquelle la Cour doit répondre
est la suivante : quels sont les facteurs pertinents pour apprécier
le degré de similitude entre deux signes ?
4. DÉCISIONS DE LA COUR
Dans le cadre de son recours, la société Ferrero reproche au Tribunal la violation de l’article 8 paragraphe 1 sous b) et 5 du règlement no40/94 et soutient que le Tribunal a procédé à une « analyse
factuelle unique de la similitude » en omettant de prendre en considération « un ensemble d’autres éléments » que sont principalement :
– La différence de degré de similitude exigée par le paragraphe 1
sous b) et le paragraphe 5 ;
– La renommée de la marque antérieure ;
– L’existence d’une famille de marques ;
– Le fait que la marque antérieure est verbale.
4.1 Sur la différence de degré de similitude au regard des
dispositions de l’article 8 (paragraphe 1 sous b) vs.
Paragraphe 5)
La société Ferrero reproche au Tribunal de ne pas avoir pris en
considération, pour apprécier l’existence d’une similitude, des éléments autres qui varient selon qu’il s’agit des dispositions du paragraphe 1 sous b) ou du paragraphe 5 de l’article 8 du Règlement.
1414
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La requérante estime en effet que, selon les dispositions du
paragraphe 5, la similitude doit être appréciée en tenant compte de
la renommée ainsi que des éléments distinctifs et dominants des
signes en litige ; tandis que selon les dispositions du paragraphe 1
sous b), la renommée et le caractère distinctif de la marque antérieure permettent d’apprécier le risque de confusion existant entre
les signes en cause.
À titre préliminaire, la Cour rappelle la condition d’application
sine qua non et commune des paragraphes 1 sous b) et 5 de l’article 8
du Règlement à savoir : l’existence d’une similitude entre la marque
antérieure et la demande contestée.
La Cour rappelle également les éléments permettant d’établir
l’existence d’une similitude entre deux signes à savoir : les ressemblances visuelles, phonétiques ou intellectuelles 6.
La Cour admet ensuite que le degré de similitude requis dans
l’une ou l’autre des dispositions est différent.
En effet, les dispositions du paragraphe 1 sous b) exigent qu’en
raison d’un tel degré de similitude entre les marques en cause, il
existe, pour le public concerné, un risque de confusion ; alors que les
dispositions du paragraphe 5 n’exigent pas un tel risque.
Ainsi la mise en œuvre de la protection instaurée par les dispostions du paragraphe 5 exige un degré moindre de similitude pour
autant que celui-ci soit suffisant et que le public concerné effectue un
rapprochement entre lesdites marques, c’est-à-dire établit un lien
entre celles-ci7.
Néannmoins, la Cour conclut qu’« il ne ressort ni du libellé desdites dispositions ni de la jurisprudence que la similitude entre les
marques en conflit devrait être appréciée de manière différente selon
qu’elle est effectuée au regard de l’une ou l’autre des dispositions ».
4.2 Sur la renommée de la marque antérieure
La société Ferrero reproche ensuite au Tribunal, dans son
appréciation de la silimilitude, d’avoir écarté la renommée de la
6. CJCE, 23 octobre 2003, Adidas Salomon et Adidas Benelux – C-408/01.
7. CJCE, 27 novembre 2008, Intel Corporation – C-252/07.
La détermination du degré de similitude entre les marques
1415
marque antérieure comme élément permettant de compenser une
éventuelle faible similitude des signes.
La requérante soutient en effet que la marque antérieure, qui
bénéficie d’une renommée a nécessairement acquis un caractère distinctif très fort qui lui permet de palier à une faible similitude.
La Cour rejette cette argumentation en confirmant les conclusions du Tribunal selon lesquelles : « la renommée de la marque
antérieure et la similitude existant entre les produits des marques
litigieuses, même si elles peuvent être prises en considération pour
l’appréciation d’un risque de confusion, n’ont aucune incidence sur
l’appréciation de la simitude existant entre les signes en cause, de
sorte qu’elles ne sont pas en mesure de remettre en question l’absence de similitude ainsi constatée »8.
4.3 Sur l’existence d’une « famille de marques »
La requérante reproche également au Tribunal de ne pas avoir
pris en considération, pour appécier la similitude entre les signes,
l’existence d’une famille de marques.
Disposant d’une famille de 36 marques composées du terme
KINDER, la requérante estime, en effet, que l’existence d’une
famille de marques accroît le risque de confusion.
Après avoir rappelé la jurisprudence relative à l’incidence de
l’existence d’une « famille » ou « série » de marques sur l’appréciation
du risque de confusion entre les signes9, elle répond que l’existence
d’une telle famille n’est pas un facteur pertinent dans l’appréciation
de la similitude entre une marque antérieure et une demande contestée.
La Cour en conclut donc que l’existence d’une famille de marques ne doit pas être prise en considération dans la mesure où
celle-ci ne remet nullement en cause l’appréciation de la similitude
entre les signes.
8. TPUE, 11 décembre 2008, Gateway – C57/8P.
9. CJCE, 13 septembre 2007, Il Ponte Finanziaria – C-234/06.
1416
Les Cahiers de propriété intellectuelle
4.4 Sur le fait que la marque antérieure est verbale
La requérante reproche enfin au Tribunal de n’avoir apprécié
la similitude des signes en cause qu’au regard des ressemblances
visuelles et phonétiques sans tenir compte du fait que la marque
antérieure est une marque verbale.
La Cour rappelle que, pour apprécier le degré de similitude
entre deux signes, il convient d’analyser leur degré de similitude
visuelle, phonétique et intellectuelle.
Partant, elle considère que c’est à bon droit que le Tribunal a
procédé à l’examen des deux signes en s’intéressant à l’impression
d’ensemble produite par les deux signes tant au plan visuel que phonétique et que ce dernier a permis de mettre en évidence que les marques en cause sont globalement différentes.
5. CONCLUSION
Dans cet arrêt, la Cour rappelle que le degré de similitude entre
deux signes s’apprécie au regard des ressemblances visuelles, phonétiques et intellectuelles existantes entre ceux-ci.
Elle précise surtout qu’il convient de distinguer les facteurs
pertinents pour l’appréciation de la similitude entre deux signes de
ceux caractérisant un risque de confusion entre eux.
En l’espèce, les signes en cause n’ont pas été considérés comme
identiques ou, similaires. La Cour en conclut qu’il n’y a pas lieu de
tenir compte d’autres facteurs tels que la renommée ou encore l’existence d’une famille de marques qui ne démontrent qu’un éventuel
risque de confusion entre les signes en cause et n’ont pas d’incidence
sur l’existence d’une similitude entre les signes.
La marque renommée ne saurait déroger aux principes d’appréciation de la similitude entre les signes.
Pour la petite histoire, les recours des sociétés Ferrero et Tirol
Milch ont mobilisé pendant plus de 10 ans les différentes institutions
communautaires (les divisions d’opposition et d’annulation ainsi
que les chambres de recours de l’OHMI, puis le Tribunal et enfin la
Cour de Justice de l’Union Européenne) pour une marque communautaire qui, in fine, a fait l’objet d’une renonciation volontaire de la
part de son titulaire...
Capsule
Aucune attaque fondée
sur la bonne foi n’est permise
après la délivrance d’un brevet :
la Cour fédérale d’appel clarifie
la portée de l’alinéa 73(1)a)
de la Loi sur les brevets
A. Sasha Mandy*
Les faits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1420
Le jugement de la Cour d’appel fédérale . . . . . . . . . . . . 1421
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1425
© CIPS, 2011.
* Avocat et ingénieur junior, A. Sasha Mandy est un membre de ROBIC, S.E.N.C.R.L.,
un cabinet multidisciplinaire d’avocats, agents de brevets et marques de commerce.
1417
La Cour d’appel fédérale1 a récemment confirmé le jugement
de la Cour fédérale du Canada qui a statué que l’alinéa 73(1)a) de la
Loi sur les brevets ne peut pas être utilisé pour attaquer la validité
d’un brevet après sa délivrance. Cet alinéa se lit comme suit :
73. (1) An application for a patent in Canada shall be deemed
to be abandoned if the applicant
does not
73. (1) La demande de brevet est
considérée comme abandonnée
si le demandeur omet, selon le
cas :
(a) reply in good faith to any requisition made by an examiner in
connection with an examination,
within six months after the requisition is made or within any
shorter period established by the
Commissioner ;
[...]
a) de répondre de bonne foi,
dans le cadre d’un examen, à
toute demande de l’examinateur,
dans les six mois suivant cette
demande ou dans le délai plus
court déterminé par le commissaire ;
[...]
(3) An application deemed to be
abandoned under this section
shall be reinstated if the applicant
(3) Elle peut être rétablie si le
demandeur :
(a) makes a request for reinstatement to the Commissioner
within the prescribed period ;
a) présente au commissaire,
dans le délai réglementaire, une
requête à cet effet ;
(b) takes the action that should
have been taken in order to avoid
the abandonment ; and
b) prend les mesures qui s’imposaient pour éviter l’abandon ;
(c) pays the prescribed fee before
the expiration of the prescribed
period.
c) paie les taxes réglementaires
avant l’expiration de la période
réglementaire.
1. Corlac Inc. c. Weatherford Canada Inc., 2011 CAF 228 (C.A.F. ; 2011-07-18), les
juges Nadon, Evans et Layden-Stevenson.
1419
1420
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cette décision est extrêmement importante pour les demandeurs de brevets ainsi que les plaideurs au Canada parce qu’elle met
fin à une controverse par rapport à l’obligation de bonne foi qui est
attendue des demandeurs au Bureau des brevets canadien pendant
la poursuite de leur demande de brevet. Cependant, la décision soulève certaines questions concernant l’applicabilité de l’alinéa 73(1)a)
ainsi que sur le test pour évaluer la non-évidence d’un brevet.
LES FAITS
L’intimé Weatherford a intenté une action devant la Cour fédérale réclamant des dommages résultant d’une contrefaçon alléguée
du brevet canadien no. 2,095,937. En réponse et défense, l’appelant
Corlac a prétendu inter alia que la demande de brevet, qui est
devenue le brevet ‘937, avait été abandonnée pendant sa poursuite à
cause du fait que le demandeur n’avait pas répondu de bonne foi à
une demande. Par conséquent, le brevet ‘937 n’aurait jamais dû être
délivré. La prétention de Corlac a été rejetée par la Cour fédérale et a
été reprise devant la Cour d’appel fédérale.
Il serait utile de résumer brièvement les faits autour de la poursuite de la demande de brevet afin de comprendre les arguments de
Corlac. En mai 1993, Edward Grenke a déposé une demande de brevet qui deviendra le brevet ‘937. La pétition initiale a nommé Grenke
et une deuxième personne, Walter Torfs, comme co-inventeurs. Torfs
est décédé en novembre de la même année et en 1994, la veuve de
Torfs a cédé ses droits au brevet à Grenke. Plus tard en 1994, en
réponse à une demande du Bureau des brevets, Grenke a affirmé
dans un affidavit qu’il était le seul inventeur et que Torfs n’aurait
jamais dû être nommé comme co-inventeur dans la pétition initiale.
Grenke est le propriétaire du brevet qui s’est éventuellement vu
accorder une licence en faveur de Weatherford.
En première instance, le Juge Phelan de la Cour fédérale a statué que la croyance de Grenke à l’effet qu’il était la seule personne à
avoir contribué à l’invention n’était pas crédible et que la suppression du nom de Torfs comme co-inventeur par Grenke a été motivée
par une croyance que Torfs l’avait empêché d’être nommé à titre
d’inventeur pour d’autres brevets. Cependant, le juge n’a pas conclu
qu’une allégation importante non-conforme à la vérité a été faite
volontairement pour induire en erreur.
Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise...
1421
LE JUGEMENT DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE
La Cour d’appel a tout d’abord déterminé que le jugement de la
Cour fédérale devrait être révisé selon la norme de la décision correcte pour les questions de droit, donc que la Cour d’appel est libre de
substituer sa propre opinion à celle du juge de première instance.
Cependant, pour les questions de faits, la Cour d’appel devra exercer
son pouvoir de réserve à moins d’être en présence d’une erreur manifeste.
La Cour d’appel a ensuite traité les arguments de Corlac sur
l’interprétation des revendications, et sur l’anticipation et l’évidence
du brevet ‘937. La Cour d’appel a rejeté l’argument de Corlac selon
lequel le juge de première instance n’a pas appliqué l’examen en
quatre étapes pour déterminer l’évidence, tel qu’incorporé dans le
droit canadien par la Cour suprême du Canada dans la décision
de Sanofi2. Dans un passage qui va certainement étonner plusieurs
agents de brevets canadiens, surtout ceux qui ont réussi leur examen
de validité récemment, la Cour a dit que le test établi dans Sanofi ne
devrait pas être obligatoirement suivi :
[67] The appellants’ assertion with respect to the « Pozzoli analysis » is overstated. In Sanofi, the Supreme Court stated, « [i]t
will be useful in an obviousness inquiry to follow the four-step
approach first outlined by Oliver L.J. in Windsurfing International Inc. v. Tabur Marine (Great Britain) Ltd... [and] recently
updated by Jacob L.J. in Pozzoli SpA v. BDMO SA » : Sanofi,
para. 67 (citations omitted, my emphasis). The Court did not
establish a compulsory legal test. To the contrary, its approval
of existing jurisprudence warned against adopting an « overly
rigid rule that limits the obviousness inquiry ». Rothstein J.
explained that « in most matters in which a judge or a jury is
called upon to make a factual determination, rigid rules are
inappropriate unless mandated by statute » : Sanofi, para. 63.
Indeed, the « correctness of a decision upon an issue of obviousness does not depend upon whether or not the decider has paraphrased the words of the Act » or made use of « some particular
verbal formula » : Sanofi, para. 61. Rather, an « expansive and
flexible approach that would include ‘any secondary considerations that [will] prove instructive’ will be useful » : Sanofi,
para. 63.
2. Apotex Inc. c. Sanofi Synthelabo Canada Inc., [2008] 3 R.C.S. 265, par. 67.
1422
Les Cahiers de propriété intellectuelle
[68] Although Sanofi identifies and recommends the Pozzoli
framework as a helpful tool, failure to explicitly follow the
structure does not, in and of itself, constitute an error of law. In
oral argument the appellants indicated that the Pozzoli steps
need not be expressly addressed if they are considered « in substance. » Here, the judge should be presumed to have understood the purpose of the Pozzoli approach since he specifically
referred to Sanofi as having modified the « test » from Beloit
Canada Ltée/Ltd. v. Valmet Oy (1986), 64 N.R. 287, 8 C.P.R.
(3d) 389 (F.C.A.) (Beloit) : reasons, para. 320.
Le test de Sanofi n’est pas obligatoire mais il est un outil utile
pour toute analyse de l’évidence. Le défaut de suivre explicitement la
structure du test de Sanofi n’est pas en soi une erreur de droit qui est
sujet à une révision par la Cour d’appel selon la norme de la décision
correcte. La Cour d’appel a conclu que le juge de première instance a
suivi en substance le test de Sanofi et que par conséquent, il n’est pas
nécessaire de réviser ou revisiter son analyse. Il serait intéressant de
voir, dans des cas futurs, si une cour va se fier sur l’analyse explicite
en quatre étapes pour déterminer l’évidence, ou si elle va suivre
l’analyse « en substance » comme il semble être maintenant permis.
Après avoir traité de la crédibilité de Grenke comme témoin
ainsi que ses prétentions à l’effet qu’il était le seul inventeur, la Cour
d’appel est venue au principal sujet d’intérêt dans ce cas : les déclarations de Grenke prétendument faites pour induire en erreur pendant
la poursuite de la demande de brevet.
L’alinéa 73(1) a) de la Loi sur les brevets exige d’un demandeur
de brevet de répondre de bonne foi à toute demande faite par un Examinateur ou le Bureau des brevets. Le défaut de le faire dans les
délais applicables résulterait en l’abandon de la demande de brevet.
L’article 53 donne au tribunal le pouvoir d’invalider tout brevet qui
résulte d’une fausse allégation importante dans sa pétition qui a été
faite pour induire en erreur. Cet article se lit comme suit :
53. (1) A patent is void if any
material allegation in the petition of the applicant in respect of
the patent is untrue, or if the
specification and drawings contain more or less than is necessary for obtaining the end for
which they purport to be made,
53. (1) Le brevet est nul si la
pétition du demandeur, relative
à ce brevet, contient quelque
allégation importante qui n’est
pas conforme à la vérité, ou si le
mémoire descriptif et les dessins
contiennent plus ou moins qu’il
n’est nécessaire pour démontrer
Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise...
1423
and the omission or addition is
wilfully made for the purpose of
misleading.
ce qu’ils sont censés démontrer,
et si l’omission ou l’addition est
volontairement faite pour induire
en erreur.
2) Where it appears to a court that
the omission or addition referred
to in subsection (1) was an involuntary error and it is proved that
the patentee is entitled to the
remainder of his patent, the court
shall render a judgment in accordance with the facts, and shall
determine the costs, and the patent shall be held valid for that
part of the invention described to
which the patentee is so found to
be entitled.
(2) S’il apparaît au tribunal que
pareille omission ou addition est
le résultat d’une erreur involontaire, et s’il est prouvé que le breveté a droit au reste de son brevet,
le tribunal rend jugement selon
les faits et statue sur les frais. Le
brevet est réputé valide quant à
la partie de l’invention décrite à
laquelle le breveté est reconnu
avoir droit.
(3) Two office copies of the judgment renderedunder subsection
(1) shall be furnished to the Patent Office by the patentee, one of
which shall be registered and
remain of record in the Office and
the other attached to the patent
and made a part of it by a reference thereto.
(3) Le breveté transmet au Bureau
des brevets deux copies authentiques de ce jugement. Une copie en
est enregistrée et conservée dans
les archives du Bureau, et l’autre
est jointe au brevet et y est incorporée au moyen d’un renvoi.
Corlac a prétendu que les motifs questionnables de Grenke
pour enlever Torfs comme co-inventeur, ainsi que sa croyance noncrédible qu’il était la seule personne à avoir conçu l’invention, confirment qu’il n’était pas de bonne foi quand il a répondu à la demande
du Bureau des brevets. Par conséquent, Corlac n’aurait pas pu contrefaire le brevet ‘937 parce qu’il avait été abandonné.
Après avoir interprété l’alinéa 73(1)a) selon la Loi et la jurisprudence applicable, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument de
Corlac : « The most fundamental flaw in the appellants’ reasoning
is that it fails to differentiate an ‘application for a patent’ from a
‘patent.’ » La Cour a ensuite distingué entre le paragraphe 53(1) et
l’alinéa 73(1)a) :
[149] In my view, subsection 53(1) of the Act speaks to misrepresentations in relation to patents, that is, issued patents.
1424
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Paragraph 73(1)(a) speaks to good faith in the prosecution of
the patent application. The provisions are mutually exclusive.
This interpretation is consistent with the plain meaning of the
provision, its context within the Act and Canadian jurisprudence. There is no indication that Parliament intended to alter
the existing law that establishes a dichotomy between an application for a patent and a patent.
[150] To be clear, the concept of abandonment in paragraph
73(1)(a) operates during the prosecution of the application for a
patent. Its operation is extinguished once the patent issues.
Dès qu’un brevet est délivré, l’article 73(1)(a) ne peut pas être
utilisé pour attaquer sa validité. L’article 53(1) devrait plutôt être
utilisé pour des déclarations prétendument frauduleuses faites au
Bureau des brevets pendant la poursuite de la demande. La Cour a
ajouté que de conclure autrement aurait été illogique :
An issued patent would be subject to retroactive scrutiny by the
Courts in relation to the submissions made by an applicant to
the Patent Office during prosecution (generally many years
prior), judged against unknown criteria. It is for the Commissioner to determine whether an applicant’s response to a requisition from an Examiner is made in good faith, not for the
Courts. The Courts do not issue patents.
La Cour a aussi ajouté que les décisions Lundbeck3 et G. D.
Searle4, deux décisions qui sont souvent citées par les plaideurs pour
tenter d’invalider un brevet délivré sur la base de l’article 73(1)(a),
ne sont pas des autorités sur lesquelles on peut s’appuyer afin
d’attaquer la validité d’un brevet sur la base de l’alinéa73(1)a).
La Cour d’appel fédérale a par conséquent rejeté l’appel de Corlac, avec frais, et a retourné le dossier à la Cour fédérale pour évaluer
les allégations de contrefaçon de la revendication no. 17 (une revendication de procédé).
3. Lundbeck Canada Inc. c. Ratiopharm Inc., 2009 CF 1102.
4. G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., 2007 CF 81 ; infirmé 2007 CAF 173 ; permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada refusée [2007] S.C.C.A. 340.
Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise...
1425
CONCLUSION
Cette décision va certainement plaire aux agents de brevets et
aux détenteurs de brevets parce qu’elle élimine définitivement un
des moyens pour attaquer la validité d’un brevet après sa délivrance.
Cependant, la décision soulève de nombreuses questions par rapport
à l’applicabilité de l’alinéa 73(1)a) dans la poursuite des brevets, soit
avant et après la délivrance.
Premièrement, la Cour d’appel fédérale a imposé un lourd fardeau sur le Bureau des brevets en exigeant qu’il détermine si un
demandeur a répondu à une demande du Bureau de bonne foi.
Curieusement, la Cour n’a donné aucun guide ou suggestion sur
comment évaluer une telle réponse. En regardant le présent dossier
par exemple, l’affidavit de Grenke n’aurait peut-être pas été une
déclaration frauduleuse faite dans le but d’induire en erreur, mais
est-ce que l’affidavit aurait rencontré le fardeau moins élevé d’une
déclaration faite de mauvaise foi ? Si oui, comment serait-il possible
pour le Bureau des brevets canadien d’arriver à cette conclusion avec
ses pouvoirs très limités d’enquête qui auraient empêché le Bureau
d’évaluer les vrais motifs de Grenke.
Deuxièmement, la Cour refuse d’évaluer rétroactivement les
déclarations et soumissions faites par les demandeurs au Bureau
des brevets, mais cette évaluation est la norme lorsqu’on évalue le
fondement des arguments qui sont basés sur l’utilité d’un brevet, sa
nouveauté, son inventivité, et pour évaluer des déclarations erronées. En effet, dans le présent cas, la Cour a étudié le témoignage de
Grenke sur les événements antérieurs lorsqu’elle a évalué la prétention de Corlac que ses déclarations ont été faites pour induire en
erreur. Pourquoi la Cour ne pourrait pas faire la même chose pour
les arguments basés sur l’alinéa 73(1)a) ? La Cour n’a pas expliqué
pourquoi elle ne pourrait pas évaluer un argument basé sur l’alinéa
73(1)a) de la même manière qu’elle évalue tous les autres arguments
qui requièrent une évaluation des déclarations antérieures et actes
antérieurs faits par le demandeur.
Peut-être que l’un des motifs qui a mené la Cour à cette conclusion était le désir d’éviter d’avoir à incorporer dans le droit des
brevets canadien la doctrine américaine sur l’« inequitable conduct ».
Selon la Cour, cette doctrine exige une démonstration de l’importance de l’erreur et l’intention de tromper, un fardeau qui est assez
élevé lorsqu’on le compare à une simple exigence de bonne foi. Cette
doctrine est aussi décrite comme la bombe atomique du droit des bre-
1426
Les Cahiers de propriété intellectuelle
vets américain et qui s’étend sans cesse. La Cour a raison de craindre
une obligation de bonne foi qui est mal définie et basée sur la doctrine américaine d’« inequitable conduct ». Cependant, cette obligation de bonne foi pourrait être restreinte pour invalider uniquement
les brevets qui résultent des cas les plus sévères de déclarations faites pour induire en erreur pendant la poursuite d’un brevet, comme
c’était d’ailleurs le cas aux États-Unis.
En conclusion, même si la Cour a fermé une porte aux attaques
basées sur l’alinéa 73(1)a) sur les brevets délivrés, elle en a ouvert
plusieurs autres en soulevant plusieurs questions sur l’aspect pratique des enquêtes basées sur l’alinéa 73(1)a) pendant la poursuite
du brevet et aussi sur le test pour l’évidence qui était alors considéré
comme la loi établie. Il reste encore à voir si le Bureau des brevets
sera capable d’effectivement distinguer entre la bonne et la mauvaise foi dans les réponses données par les demandeurs au vu du
volume des demandes qu’il gère présentement et à son pouvoir limité
d’enquête.
Capsule
Analyse du règlement
Google Books et son rejet par
un tribunal de New York
James Plotkin*
1. Le projet de bibliothèque numérique Google Books
et le recours collectif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1429
2. Le projet de règlement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1430
3. Rejet du projet de règlement par la Cour de district
du sud de New York . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1432
4. Un avenir incertain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1435
© James Plotkin et Mistrale Goudreau, 2011.
* L’auteur, musicien et journaliste pigiste, est étudiant à la Faculté de droit de
l’Université d’Ottawa. Texte publié en anglais le 2011-07-31 sous le titre « Analysis
of the Google Books settlement and its judicial rejection » à The Mark <http://
jamesplotkin.blogspot.com/2011/07/analysis-of-google-books-settlement-and.
html>. Traduction en français par Mistrale Goudreau, professeure titulaire à la
Faculté de droit (section de droit civil) de l’université d’Ottawa.
1427
1. LE PROJET DE BIBLIOTHÈQUE NUMÉRIQUE
GOOGLE BOOKS ET LE RECOURS COLLECTIF
En 2004, Google a conçu le projet gigantesque de numériser un
nombre colossal de livres. En collaboration avec quatre bibliothèques universitaires et une bibliothèque publique, Google a commencé à scanner et à cataloguer des millions de livres et de volumes.
Dans la décision où il rejette le projet de règlement, le juge évalue
le nombre de livres scannés à 12 millions (quoiqu’une estimation
récente avance plutôt un chiffre de près de 15 millions).
En vertu de l’entente proposée, Google aurait donné aux bibliothèques une copie numérique de leur propre répertoire et aurait créé
un catalogue principal qui aurait constitué le premier Corpus de
Google Books. Fidèle au modèle d’affaire caractéristique de Google,
ce Corpus aurait été équipé d’un moteur de recherche accessible au
public. Pour les œuvres protégées par le droit d’auteur, les internautes n’auraient pu voir que des bribes du livre contenant le
texte recherché. Pour les œuvres du domaine public, l’œuvre entière
aurait été affichable.
Pour un observateur objectif, la situation semblait profitable à
tous. Google pouvait faire augmenter sa valeur tout en s’engageant
dans une entreprise louable ; le public profitait de la mise à sa disposition d’un patrimoine culturel et documentaire qui aurait été autrement perdu ou inaccessible ; les personnes atteintes de déficience
visuelle auraient pu soudainement consulter des millions d’œuvres
dont l’accès leur avait toujours été refusé ; les auteurs de livres
imprimés auraient bénéficié des puissants algorithmes de recherche
de Google pour atteindre des marchés inexploités et inciter les lecteurs à acheter leurs livres (une fois les lecteurs mis en appétit par la
lecture de l’extrait trouvé par le moteur de recherche) ; finalement
les auteurs de livres aux éditions épuisées auraient pu à nouveau
encaisser des gains pour un matériel qui jusqu’à présent demeurait
non disponible. En fait, il semblait que le projet Google Books allait
rapprocher l’humanité du Shangri-La et du merveilleux « savoir
libre ». Tous n’ont pas vu les choses de cette manière.
1429
1430
Les Cahiers de propriété intellectuelle
En septembre 2005, deux poursuites ont été intentées contre
Google : l’une, sous la forme d’un recours collectif, a été déclenchée
par la Authors Guild (Authors Guild v. Google) et l’autre par cinq
éditeurs importants (McGraw Hill v. Google). Les éditeurs se sont
finalement joints au recours collectif.
Les titulaires de droit alléguaient des « violations massives de
droit d’auteur » par Google. Google rétorquait que ses activités
étaient couvertes par la doctrine du « fair use »1. Alors que les œuvres
du domaine public devaient être rendues disponibles en totalité, seules des bribes des œuvres protégées par le droit d’auteur devaient
pouvoir être visionnées gratuitement. De plus, Google avait expressément garanti que le service Google Book serait exempt de toute
réclame publicitaire, de sorte que nul ne pourrait prétendre qu’il se
livrait à des activités commerciales, de telles activités compromettant normalement les chances de plaider avec succès une défense
de « fair use »2.
Jusqu’à présent, les deux antagonistes ont maintenu leurs positions sur cette question de contrefaçon/fair use, bien que le tout ait
cessé d’être pertinent (dans cette affaire en tout cas). Le 28 octobre
2009, une entente est intervenue entre les parties.
2. LE PROJET DE RÈGLEMENT
L’entente a pris la forme d’un document imposant de 166
pages3, avec annexes, détaillant les droits et obligations de Google et
1. Le « fair use » est un concept utilisé par la loi américaine de droit d’auteur, qui
réfère à une liste non exhaustive d’usages d’une œuvre qui ne constituent pas des
violations du droit d’auteur parce qu’on les considère comme des utilisations raisonnables de l’œuvre originale. Il existe en droit canadien un concept similaire
mais non identique, connu sous le nom d’ « utilisation équitable ». Ces notions ne
doivent pas être considérées comme de simples défenses, mais plutôt comme des
parties intégrantes du régime du droit d’auteur qui limitent la portée des droits
exclusifs accordés aux titulaires de droit. Voir la déclaration de la juge en chef
McLachlin dans la décision de la Cour suprême du Canada CCH Canadienne Ltée
c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 R.C.S. 339, par. 48 : « il est peut-être plus
juste de considérer cette exception [de l’utilisation équitable] comme une partie
intégrante de la Loi sur le droit d’auteur plutôt que comme un simple moyen de
défense ».
2. Le but et la nature de l’utilisation est l’un des facteurs à prendre en considération
dans l’analyse du « fair use ». Il est difficile de plaider avec succès une défense de
fair use si l’utilisation faite par le défendeur lui est très profitable. Cependant
l’utilisation commerciale d’une œuvre n’est pas automatiquement exclue du « fair
use ». La Cour suprême américaine a même indiqué que ce facteur n’est pas le plus
important des facteurs à considérer.
3. Voir la page web <http://books.google.com/googlebooks/agreement/press.html>.
Analyse du règlement Google Books et son rejet...
1431
des demandeurs4. L’entente devait originellement couvrir tous les
auteurs (incluant leurs héritiers, représentants et ayants droit) et
tous les éditeurs ayant un intérêt dans un droit d’auteur américain
au 5 janvier 2009 (la portée de l’entente a subséquemment été
modifiée – voir la section Droit international ci-dessous).
Google devait aussi tenir un « Registre des droits des livres »,
sur lequel les titulaires de droit pouvaient s’inscrire pour recevoir
des redevances pour leurs œuvres incluses dans le Corpus. Google
s’engageait à verser 34,5 millions US $ pour la mise sur pied et la
tenue du Registre.
De plus, Google devait verser 45 millions US $ dans un fonds de
règlement pour indemniser les titulaires dont les œuvres avaient, au
5 mai 2009, déjà été numérisées sans autorisation par Google. En
réalité, le règlement exigeait que chaque auteur ayant présenté une
réclamation soit payé à même le fonds, le 45 millions US $ n’étant
que la somme de départ. Toutes les réclamations étaient payables
par Google et si le montant global des réclamations demeurait inférieur au 45 millions US $, le reliquat devait être partagé entre les
titulaires au lieu d’être retourné à Google.
En plus de ces « sanctions », l’entente donnait à Google des
droits étendus. Le projet de règlement en énumérait cinq :
1. Google devait continuer à accroître le Corpus en numérisant
d’autres livres et en les intégrant.
2. Google pouvait offrir des souscriptions pour l’accès au Corpus
(par exemple des souscriptions institutionnelles comme celles
offertes aux universités).
3. Google pouvait vendre des droits d’accès à des livres déterminés
à des utilisateurs par le biais d’un magasin virtuel.
4. Google pouvait vendre des espaces publicitaires sur des pages de
livres.
5. Autres usages déterminés.
4. Google a mis la dernière version de l’entente et une Foire aux questions (FAQ) en
ligne : <http://books.google.com/googlebooks/agreement/press.html>.
1432
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le projet d’entente prévoyait expressément que ces droits étaient
non exclusifs et pouvaient faire l’objet de licences accordées par les
détenteurs de droit à toute autre personne, y compris aux concurrents directs de Google.
Google devait partager les revenus tirés de ces utilisations,
accordant jusqu’à 63 % de ceux-ci aux détenteurs de droit pour les
œuvres publiées avant le 5 janvier 2009. Pour les œuvres postérieures, Google devait restituer plus de 70 % des revenus de toutes les
ventes (souscriptions et paiements à l’utilisation) et les revenus de
publicité tirés du Corpus – moins une déduction de 10 % pour les
frais d’opération de Google.
Le projet de règlement comportait une distinction importante
entre deux classes de livres du Corpus : les livres imprimés et les
livres aux éditions épuisées. Les livres imprimés sont ceux encore
vendus dans le commerce. Par opposition, les livres aux éditions
épuisées ne sont plus produits et ne sont pas disponibles sur le marché. Une question intéressante se pose lorsqu’un éditeur offre des
versions numériques en ligne de livres dont les versions papier ne
sont plus en vente. Est-ce encore un livre sous impression ? Il est disponible mais seulement en version numérique.
Il est intéressant de noter que le projet d’entente prévoyait que
les frais payables aux avocats représentant le groupe des demandeurs s’élevaient à 45,5 millions US $. Bien que cet élément soit
étranger au nœud du litige, il est quelque peu déconcertant de constater que les avocats dont les services ont été retenus pour l’action
ont reçu plus que la somme fixée pour mettre sur pied et maintenir le
registre des auteurs qui, aux dires de certains, vise près de 15 millions de livres et augmente sans cesse.
3. REJET DU PROJET DE RÈGLEMENT PAR LA COUR
DE DISTRICT DU SUD DE NEW YORK
Le 22 mars 2011, le juge Chin de la Cour de district du sud de
New York a rejeté le projet de règlement qui avait pourtant reçu une
approbation préliminaire cinq mois plus tôt5. Le juge Chin est en
désaccord avec le juge John E. Sprizzo quant au caractère raisonnable du règlement proposé. Il faut toutefois noter que le juge Chin a
5. Le texte complet de la décision est disponible en ligne <http://www.openbookalliance.org/wp-content/uploads/2011/03/JudgeChinGBSCourtOrder.pdf>.
Analyse du règlement Google Books et son rejet...
1433
eu l’avantage de lire les centaines de mémoires d’opposition qui ont
été déposés à la cour entre la décision préliminaire et sa décision.
Avant de préciser ses motifs pour rejeter le règlement, le juge
Chin a admis deux facteurs qui pesaient en faveur de l’approbation
du projet. En premier lieu, il a souligné que la négociation entre les
parties avait eu lieu sans lien de dépendance, entre des conseillers
compétents et expérimentés, avec la collaboration du Département
de la Justice (DOJ -Department Of Justice). En second lieu, il a, avec
raison, signalé qu’un procès entier (avec l’inévitable processus d’appel) serait long et excessivement coûteux.
Cela étant dit, le juge Chin a énoncé une série de motifs
valables pour rejeter l’entente :
• Une représentation inadéquate des membres du groupe :
Le groupe des demandeurs est dans ce cas-ci extrêmement
large. Google a envoyé 1,26 millions d’avis dans 36 langues aux
détenteurs de droit d’auteur ainsi qu’aux éditeurs et aux sociétés
de gestion de droit d’auteur. Par ailleurs, tous ne publient pas
pour les mêmes raisons. Ainsi, les universitaires et les chercheurs
publient pour des considérations différentes de celles des écrivains dans le marché de l’édition. Pourtant les deux sont traités
sur le même pied dans le groupe représenté. On peut même
raisonnablement prétendre que les éditeurs ont des intérêts à
défendre différents de ceux des auteurs et des sociétés de gestion.
• Empiétement du tribunal sur les pouvoirs du Congrès : en
vertu de l’entente proposée, Google aurait obtenu les droits sur
toutes les œuvres orphelines6 sans aucune autorisation préalable
(un titulaire de droit ne peut réagir qu’après le fait et produire sa
réclamation). Le juge Chin a pris note de la décision Sony Corp. Of
America v. Universal City Studios Inc.7 dans laquelle la Cour
suprême a indiqué qu’il revient au Congrès de suivre les avancées
technologiques et de veiller à leurs effets sur le droit d’auteur. Il a
aussi cité la décision Eldred v. Ashcroft8 où la Cour suprême
6. Une œuvre orpheline est une œuvre encore protégée par le droit d’auteur dont le
titulaire est inconnu ou introuvable. Si une personne utilise une œuvre orpheline
sans libérer les droits, elle risque de voir le titulaire des droits surgir brusquement
de nulle part et lui intenter une action en contrefaçon.
7. 464 U.S. 417 (1984). Voir le texte complet de la décision en ligne : <http://supreme.
justia.com/us/464/417/case.html>.
8. 537 U.S. 186 (2003). Voir le texte complet de la décision en ligne : <http://caselaw.lp.findlaw.com/scripts/getcase.pl?court=US&vol=000&invol=01-618>.
1434
Les Cahiers de propriété intellectuelle
déclare : « It is generally for Congress, not the courts, to decide
how best to pursue the Copyright Clause’s objectives ».
• Google ne devrait pas être autorisée à prendre un « raccourci » : au lieu de s’engager dans un processus long et laborieux, aux coûts prohibitifs, pour retracer les titulaires et obtenir
des licences, Google a décidé d’adopter la politique du raccourci
« poursuis-moi ». En violant le droit d’auteur à grande échelle, il
espère s’épargner le temps et les coûts associés au scénario de la
recherche des autorisations nécessaires. Ironiquement, sept ans
plus tard, avec des millions d’heures payables en honoraires professionnels, il n’y a toujours pas de conclusion à l’action, ni de
règlement. Comme l’a expliqué avec éloquence la professeure
Pamela Samuelson de la Stanford Law School, « [we]’re giving
Google a blank check to essentially engage in activity that would
be considered clearly infringing activity but for the settlement ».
• Des préoccupations au niveau du droit de la concurrence :
l’entente proposée aurait eu l’effet de donner à Google un monopole sur toutes les œuvres orphelines. Cela aurait signifié que
toute institution ou concurrent qui aurait voulu faire une offre ou
utiliser n’importe laquelle des millions d’œuvres orphelines du
Corpus n’aurait pu le faire sans payer des redevances à Google.
Pis, Google aurait pu à sa guise refuser d’octroyer une licence à
quiconque. C’est précisément le type de comportement que le droit
de la concurrence est censé prévenir – les agissements anticoncurrentiels et monopolistiques. C’est porter l’insulte à son
comble que d’approuver un règlement hors cour aux effets encore
plus anticoncurrentiels que la pratique qui a été à la source de
l’action en justice. En plus, il n’y a pas, en droit de la concurrence,
de défense de « fair use » derrière laquelle Google aurait pu se
cacher.
• Des préoccupations quant à la vie privée : personne n’est
passé plus maître de la collecte de données que Google. Sa collecte
des données personnelles allait-elle s’étendre aux livres que les
gens lisent ? Non seulement Google aurait su ce que vous lisez et
quand, mais il aurait su combien de pages, quelles pages et combien de temps vous avez lu. Ce ne sont pas les genres de données
que les gens veulent voir compiler et leur collecte aurait été clairement une violation de la vie privée. Il est aussi à craindre que cette
information soit requisitionnée par les autorités gouvernementales en vertu du vieil Electronic Communications Privacy Act
(ECPA). Si le projet Google Books est mis sur pied, ne soyez pas
Analyse du règlement Google Books et son rejet...
1435
surpris que le F.B.I ou le Department of Homeland Security forcent Google à transmettre les données sur les habitudes de lecture
de certains souscripteurs9. Les forces de l’ordre sont équipées
comme jamais auparavant de techniques facilement accessibles
pour envahir la vie privée des citoyens (surveillance des courriels,
profilage des internautes et même collecte des données de géolocalisation des appels téléphoniques). Les données sur les habitudes
de lecture des souscripteurs n’auraient été qu’un outil de surveillance de plus. Le juge Chin dit avoir conscience des aspects inquiétants de l’entente à cet égard, mais il indique qu’il ne croit pas
qu’ils soient suffisants pour rejeter l’entente.
• Les aspects de droit international : au départ, l’entente était
libellée de façon à couvrir tous les livres visés par un intérêt de
droit d’auteur américain. Cela aurait compris quasiment tous les
livres publiés dans le monde. Les États-Unis sont membres de la
Convention de Berne, ce qui signifie que les États-Unis doivent,
pour tous les auteurs étrangers dont le pays d’origine est membre
de la Convention de Berne, offrir une protection égale à la protection nationale. Suite aux oppositions exprimées à cet égard, la
portée de l’entente a été restreinte de manière à exclure toutes les
œuvres non américaines qui ne seraient pas nommément enregistrées auprès du Bureau américain du droit d’auteur. Cependant, les œuvres canadiennes, britanniques et australiennes
demeuraient couvertes par le Règlement, indépendamment de
leur enregistrement auprès du Bureau américain. En dépit de
cette modification, le juge Chin a estimé que les préoccupations
exprimées par les opposants étrangers fournissaient un motif
supplémentaire pour préférer référer la question au Congrès.
4. UN AVENIR INCERTAIN
Avec le rejet de l’entente, c’est le retour à la case départ pour les
parties. Bien que l’opposition au règlement projeté ait été impressionnante, il n’est pas certain que le projet sera abandonné entièrement.
Le juge a émis l’opinion que ce type de règlement relevait du
Congrès et non des tribunaux. La question se pose : est-ce que le Congrès pourra faire mieux ? Il existe plusieurs opinions nuancées à ce
9. Pour plus d’informations sur la Electronic Communications Privacy Act et ses
répercussions sur la vie privée des internautes, voir <http://jamesplotkin.blogspot.com/2011/07/digital-due-process-bid-to-modify-ecpa.html>.
1436
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sujet. Mais que l’on croie ou non que le Congrès pourra faire mieux,
on peut avancer qu’en fait, c’est son devoir d’agir.
L’Article 1, Section 8, Clause 8, de la Constitution américaine
donne au Congrès le pouvoir de promouvoir « the Progress of Science
and useful Arts, by securing for limited Times to Authors and Inventors the exclusive Right to their respective Writings and Discoveries »10.
Le projet de règlement avait des conséquences majeures pour
une catégorie entière d’œuvres soumises au Copyright Act, soit les
œuvres orphelines. Ce fait en soi devrait inciter le Congrès à agir,
plutôt que d’attendre une solution judiciaire.
À première vue, le règlement ne semble pas cadrer avec le
mécanisme du recours collectif. En général, un recours collectif est
intenté pour compenser les victimes ayant subi des dommages causés par les défendeurs. Bien que le règlement proposé ici comportait
des aspects de réparation des dommages, il mettait en place un
régime permanent de licences et de paiement de redevances, affectant des millions de personnes qui, selon certains, n’étaient pas adéquatement représentées par ceux qui avaient été désignés pour agir
au nom du groupe.
Lors d’un débat à la Faculté de droit de l’University of Richmond11, le professeur James Grimmelmann de la New York Law
School a fait une analogie particulièrement éclairante. Imaginez,
dit-il, qu’il y a cinq ans, BP commence ses opérations de forage dans
le Golfe du Mexique et un accident provoque une fuite de quelques
centaines de gallons de pétrole. Un recours collectif est intenté
contre BP au nom de tous les résidents des États du Golfe pour obtenir une compensation. Après avoir négocié, les parties arrivent à un
arrangement. Au lieu de procéder de façon fragmentaire par une
série de recours, on va régler le tout d’une manière globale en créant
un régime d’indemnisation. BP va constituer un fonds garanti pour
payer tous les dommages découlant à l’avenir de leurs fuites de
pétrole dans le Golfe. On va créer une procédure de paiement accéléré, facile, avec peu d’éléments à prouver. Au lieu de poursuivre BP,
les gens pourront réclamer de ce fonds et BP, afin de s’assurer de cou-
10. Le texte est disponible en ligne <http://www.house.gov/house/Constitution/Constitution.html>.
11. Le vidéo du débat est disponible en ligne <:http://www.youtube.com/watch?v=
uWd2O6jNJZY>.
Analyse du règlement Google Books et son rejet...
1437
vrir toutes les réclamations futures, accepte de verser 500 millions
de dollars. Cela sera sûrement suffisant pour couvrir tous les dommages possibles. Le règlement est signé, approuvé et le régime
d’indemnisation est mis en place. Maintenant avançons dans le
temps jusqu’aux évènements de l’an dernier, pensons au déversement de pétrole sans précédent qui a eu lieu, et on voit tout de suite
comment le fonds d’indemnisation était clairement une solution inadéquate12. Ce scénario illustre exactement les défauts de ce type de
règlement qui se projette dans le temps.
La professeure Pamela Samuelson du Berkeley Law School &
School of Information soulève aussi un point intéressant quant aux
conséquences futures de l’entente sur le Corpus lui-même. Que se
passera-t-il si, dans 10, 15 ou 20 ans, Google ferme, ou fait faillite, ou
autrement disparaît ? Nous serons tous devenus si dépendants de
Google Books que sa disparition sera tout à fait inacceptable. Ce service, qui constitue en réalité un bien public, doit être protégé. C’est
une situation du genre « too big to fail » devant laquelle le gouvernement n’aura peut-être pas d’autre choix que d’intervenir.
Google a aussi le droit de vendre le Corpus à n’importe qui. Certains craignent que Google, étant la seule source pour une large part
du Corpus, n’ait carte blanche pour s’embarquer dans une « flambée
des prix ». Même si nous présumons que Google n’abusera pas de ses
droits, qui peut dire qu’un successeur ne le fera pas ? Comme le suggère la professeure Samuelson, ceux qui n’ont pas peur aujourd’hui
d’une augmentation drastique des prix par Google réévalueront
peut-être leur position si la banque de données est vendue plus tard.
Cette saga a débuté lorsque Google a tenté de faire ce que
Google fait de mieux : cataloguer et indexer des données en y
jumelant un moteur de recherche. Elle a donné naissance à une des
causes les plus significatives et importantes de l’histoire du droit
d’auteur. Pendant que les experts poursuivent leurs débats sur les
issues possibles ou souhaitables du litige, les personnes concernées
par la propriété littéraire partout dans le monde continuent de
surveiller attentivement la lente évolution de la situation.
12. Ibid.
Capsule
Il existe maintenant un
domaine .xxx pour les sites
pornographiques, mais on ne sait
trop qui le voulait et pourquoi
James Plotkin*
Le suffixe .xxx, tant attendu, est arrivé. Casting.xxx est devenu
le premier site pornographique à utiliser un nom de domaine avec le
polémique suffixe .xxx1.
.xxx est un domaine de premier niveau parrainé, ce qui signifie
que, contrairement aux noms de domaine générique, comme les
.com, .net ou .org, il requiert un parrainage par une organisation
représentant une communauté ou une industrie déterminée. On
peut citer comme exemples d’extensions parrainées existantes le
« .museum » (parrainé par la Museum Domain Management Association) ou le « .travel » (parrainé par la Tralliance Corporation). .xxx
est, lui, sous le parrainage de l’International Foundation for Online
Responsibility.
© James Plotkin et Mistrale Goudreau.
* L’auteur, musicien et journaliste pigiste, est étudiant à la Faculté de droit de
l’Université d’Ottawa. Texte publié en anglais le 2011-06-01 sous le titre « Master
of My XXX Domain – There will soon be a .xxx domain for porn, but it’s not clear
who wants it, or why » à The Mark <http://www.themarknews.com/articles/5383master-of-my-xxx-domain?page=1>. Traduction en français par Mistrale Goudreau, professeure titulaire à la Faculté de droit (section de droit civil) de l’université d’Ottawa.
1. Voir <http://domainincite.com/the-first-xxx-porn-site-has-gone-live/>. Sur l’approbation par l’ICANN, consulter l’article de Jacqui Cheng, ICANN Approves .XXX
Red-Light District For The Internet, March 19, 2011, <http://www.wired.com/epicenter/2011/03/icann-approves-xxx/>.
1439
1440
Les Cahiers de propriété intellectuelle
L’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers – en
français, la Société pour l’attribution des noms de domaine et des
numéros sur Internet – (ICANN) avait donné son approbation provisoire au nom de domaine controversé dès 2005. Mais, même avant
cela, l’extension pornographique avait rencontré de vives oppositions, tant des groupes religieux et des milieux de droite, que – de
façon surprenante – de l’industrie pornographique. Celle-ci estimait
que l’extension pourrait mener à un exercice plus facile de la censure
par les moteurs de recherche. Elle craignait aussi que tout le battage
entourant la création du domaine .xxx n’attire une attention législative indésirable du congrès américain ou d’autres parlements.
Le Governmental Advisory Committee – en français le comité
consultatif des gouvernements – de l’ICANN (GAC), qui a reçu les
rapports des gouvernements sur les noms de domaine, a aussi manifesté son opposition. Dans l’un des mémoires soumis à l’ICANN
concernant le processus d’approbation, le comité a fait allusion au
fait que cette décision pourrait amener des gouvernements à prendre
des mesures pour interdire l’accès à ce domaine. Cela n’a toutefois
pas empêché l’ICANN de finalement approuver la demande présentée par le ICM Registry LLC (le registraire qui gère le domaine
.xxx).
Le tout offre un panorama intrigant. Les opposants du .xxx ne
sont pas seulement les suspects habituels, soit les groupes religieux et conservateurs. L’industrie pornographique elle-même est,
en large partie, contre l’extension. Alors pourquoi l’ICANN est-elle
allée de l’avant, malgré le désaccord de la communauté pour laquelle
le suffixe était conçu ?
Il semble que l’ICANN avait l’impression que la demande de
ICM Registry LLC répondait à chacune des préoccupations exprimées dans le communiqué du comité consultatif des gouvernements,
notamment en incluant un engagement à prendre les mesures
appropriées pour restreindre l’accès aux contenus illégaux ou offensants, et en garantissant la protection de la propriété intellectuelle,
des marques de commerce, des noms personnels et des noms de pays.
Le conseil de l’ICANN a fourni par écrit les motifs de sa décision2.
L’ICANN n’a pas non plus hésité à invoquer le vaste pouvoir
discrétionnaire que lui a conféré le California Corporations Code.
2. <http://www.icann.org/en/minutes/draft-icm-rationale-18mar11-en.pdf>.
Il existe maintenant un domaine .xxx
1441
Selon l’article 309 du code, le directeur d’une corporation a l’obligation d’agir
[I]n good faith, in a manner such director believes to be in the
best interests of the corporation and its shareholders and with
such care, including reasonable inquiry, as an ordinarily prudent person in a like position would use under similar circumstances.
Le conseil de l’ICANN estime que sa décision est conforme à la
norme législative et que, jusqu’à contestation, elle doit être présumée légitime. D’ailleurs le code a imposé un fardeau plutôt lourd à
celui qui conteste une décision, car ce dernier doit prouver mauvaise foi de la part du Conseil, ce qui n’est pas une mince affaire.
C’est une preuve plus difficile à faire que de simplement démontrer
que la décision du conseil n’est pas celle qu’une personne raisonnable
aurait prise dans les mêmes circonstances.
Des arguments se font fortement entendre pour et contre la
création de l’extension .xxx et la question de ce qui est le « meilleur
intérêt » dans la circonstance est passionnément débattue. En soi, ce
fait rend la décision de l’ICANN (hormis un cas de mauvaise foi)
incontestable au regard de la loi.
En ce qui concerne la divergence d’opinion exprimée par l’industrie du divertissement adulte, l’ICANN a choisi d’en référer à la
décision de 2005 de son Independent Review Panel, – panel indépendant de révision – (IRP), indiquant qu’il n’entendait pas revenir sur
une décision déjà rendue. On peut peut-être voir là un exercice du
« pouvoir discrétionnaire » de l’ICANN, mais la réponse demeure peu
convaincante, compte tenu des circonstances.
En dernier lieu, qu’advient-il des entreprises et titulaires de
marques de commerce, qui opèrent en dehors de l’industrie du divertissement adulte et qui veulent empêcher l’enregistrement de leur
marque avec un suffixe .xxx ? On comprendra, par exemple, qu’une
compagnie comme Disney, pour des raisons évidentes, veuille bloquer tout enregistrement du nom de domaine www.disney.xxx.
Pour régler ce problème, le ICM Registry a mis en place une
procédure de protection pré-lancement appelée « Sunrise B »3. En
3. Voir les informations sur le site du ICM <http://www.icmregistry.com/launch.
php>.
1442
Les Cahiers de propriété intellectuelle
septembre 2011, les propriétaires de marques ont eu la possibilité de
retirer de façon préventive leur marque (moyennant des droits de
200 $US à 300 $US), se protégeant ainsi d’un enregistrement avec le
suffixe .xxx .
ICANN admet qu’une telle décision comporte des avantages et
des inconvénients. Selon elle, dans ce cas-ci, il est clair que les avantages l’emporteront sur les inconvénients et que les aspects négatifs
préoccuperont surtout ceux qui, de toute façon, ont toujours été
opposés à l’extension pornographique. La position de l’ICANN est
qu’attendre l’unanimité dans la communauté est irréaliste et constituerait une entrave au progrès, un argument qui, somme toute, n’est
pas particulièrement convaincant.
Il sera intéressant de voir comment la situation évoluera. Les
prochaines années nous diront si le programme « Sunrise B » a réussi
à endiguer le flot de litiges prédit par les propriétaires de marques de
commerce. Les États iront-ils jusqu’à proscrire ou restreindre législativement l’accès au domaine .xxx ?
Une chose est certaine : Internet vient de changer d’apparence
en perdant officiellement beaucoup de sa belle image, mais il est vrai
que, .xxx ou pas, le contenu « adulte » y était déjà de toute façon envahissant.
Compte rendu
La résolution des litiges en droit
de la propriété intellectuelle*
Camille Rideau**
1. LE RÈGLEMENT DES LITIGES À L’ÉCHELLE
INTERNATIONALE. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1446
1.1 Les modes judiciaires de règlement
des différends. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1446
1.2 La mise en place de solutions extrajudiciaires . . . . 1448
2. VERS UNE SPÉCIALISATION DES TRIBUNAUX
EN EUROPE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1451
2.1 L’Europe de la propriété industrielle . . . . . . . . . 1451
2.2 L’exemple d’un État confédéral : la Suisse . . . . . . 1452
© CIPS, 2011.
* WERRA (Jacques de) éd., La résolution des litiges de propriété intellectuelle / Resolution of Intellectual Property Disputes, collection p®opriété intelle©tuelle – intellec©tual p®operty, (Genève: Schulthess Médias Juridiques, 2010), 194 pages.
ISBN 978-3-7255-6154-4.
** En stage de formation professionnelle chez ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce.
1443
Cet ouvrage est le second volume de la série d’ouvrages Propriété intelectuelle-Intellectual Property de la Faculté de droit de
l’Université de Genève. Ce livre rassemble la contribution de différents auteurs venus d’horizons et de pays différents rassemblés lors
de la journée de droit de la propriété intellectuelle qui a eu lieu le
8 février 2010 sur le thème « La résolution des litiges de propriété
intellectuelle/The resolution of Intellectual Property disputes ».
Une fois n’est pas coutume, ce recueil d’articles est entièrement
consacré aux modes de résolution des litiges en droit de la propriété
intellectuelle et n’aborde aucunement le droit matériel de la propriété intellectuelle. Ce qui compte et intéressera le lecteur c’est
avant tout le point de vue de praticiens reconnus du droit sur les différents modes de résolution des différends et leur évolution.
Si l’on ne peut espérer à la fin de la lecture obtenir le remède
miracle quant au mode de règlement le plus adéquat, les différents
articles offrent un panorama précis et détaillé des solutions ouvertes
pour le titulaire du droit désirant le faire respecter.
La propriété intellectuelle a cependant cette particularité
qu’elle regroupe en son sein un ensemble de droits qui, s’ils ont en
commun une origine similaire c’est-à-dire la protection du travail de
l’esprit, sont mis en œuvre de façon totalement différente.
Brevets, marques, dessins et modèles, obtentions végétales,
droits d’auteur ou encore noms de domaine sont autant de droits que
de protections à adapter.
Ces droits dits immatériels ont, ainsi que le soutient l’auteur
Treppoz, un caractère international intrinsèque dû à leur don d’ubiquité inhérent. Ce caractère est d’autant plus fort aujourd’hui avec
Internet qui permet de dépasser les frontières.
L’internationalité des droits de propriété intellectuelle est un
aspect prédominant dans cet ouvrage. Dès le 19e siècle, il avait été
compris que la protection industrielle dans un premier temps (Con1445
1446
Les Cahiers de propriété intellectuelle
vention de Paris pour la protection de la propriété industrielle en
1883) puis intellectuelle dans un second temps (Convention de Berne
pour la protection des œuvres littéraires et artistiques en 1886)
devait recevoir une protection plus étendue que la protection nationale. Cependant les réponses apportées par ces deux conventions
majeures ont eu un impact tout au plus très limité quant au sujet qui
a préoccupé les auteurs de cet ouvrage et qui était de présenter un
éventail des réponses apportées à différents niveaux (International,
régional et national) en fonction des différents droits que la propriété
intellectuelle recouvre.
1. LE RÈGLEMENT DES LITIGES À L’ÉCHELLE
INTERNATIONALE
1.1 Les modes judiciaires de règlement des différends
Les droits de propriété intellectuelle ont vocation à être mis
en œuvre sur un territoire le plus vaste possible. Dans le début des
années 90, afin de pallier aux insuffisances du mécanisme mis en
place par l’OMPI, les ADPICs furent adoptés avec notamment pour
objectif de faciliter le règlement des différends en utilisant le système déjà connu de l’OMC (l’ORD : Organisme de règlement des différents). Environ 15 ans plus tard, Joost Pauwelyn dans son
article « The dog that barked but didn’t bite : 15 years of intellectual
property disputes at the WTO » nous offre une vue d’ensemble des
années d’existence des ADPICs et de son système de règlement des
différends. L’objectif de cet article est, après une analyse minutieuse
des cas présentés devant les panels, de savoir si cet objectif a été
atteint. A première vue son opinion semble être plutôt négative (très
peu de cas présentés, principalement dans les premières années et
dont la plupart se sont conclus par un accord mutuel) cependant son
analyse le conduit à dresser un bilan final plutôt positif du traité.
En effet, lors de leur adoption les accords avaient soulevé un
vent de critiques aiguisées mais quinze ans plus tard on peut constater qu’il n’y a pas eu de raz de marée pro propriété intellectuelle, que
la grande majorité des litiges n’a pas opposé les pays du Nord aux
pays du Sud et que les « enfants terribles » de la propriété intellectuelle (la Chine et l’Inde) n’ont pas posé de difficulté puisque ce sont
finalement les seuls États-Unis qui n’ont pas mis en œuvre les décisions. Finalement, les ADPICs se révèlent être l’instrument adéquat
au service des États car ce sont les seuls à engager les poursuites et
seules les lois sont en cause non pas les comportements des pouvoirs.
La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle
1447
On se retrouve dans une situation complexe d’un système utile
pour les États mais devant assurer le respect de droit privé. Ainsi,
aucune réparation n’est accordée à la victime de la nuisance qui
pourra tout au mieux espérer un changement de législation l’affectant de façon relativement éloignée. Les États limitent donc au
maximum les litiges dont l’issue peut les obliger à adopter des mesures contraignantes (mise en place d’institutions, de procédures...) ce
qui est chronophage et coûteux. L’auteur fait état également du rôle
joué par les ADPICs et notamment des critiques élevées lors de leur
adoption par nombre de ces États du Sud et également par des ONGs
reprochant aux accords d’empêcher l’accès aux industries pharmaceutiques du fait de son manque de flexibilité. Ainsi il estime que les
États dits développés n’ont pas voulu prendre la décision « risquée
et contreproductive » d’agir contre ces États ce qui expliquerait le
peu d’action à leur encontre. Notons enfin, que le dernier cas présenté devant le panel est une action de l’Inde et du Brésil contre
l’Union Européenne portant sur les médicaments génériques de quoi
mettre un terme à toutes critiques élevées il y a de cela quinze ans...
Il existe d’autres chemins pour régler des litiges ayant une
envergure internationale comme c’est bien souvent le cas en la
matière. Si l’on s’éloigne un instant du cadre des traités et accords
internationaux, la méthode la plus « usitée » est l’application par
les différents juges des règles du droit international privé. C’est
Edouard Treppoz qui le souligne dans son article portant sur « Les
litiges internationaux de propriété intellectuelle et le droit international privé ». Il revient sur les critiques faites au recours à ce mécanisme (une partie de la doctrine déniant en effet tout caractère
international aux litiges de propriété intellectuelle et ainsi l’efficacité même du principe de territorialité considérant que un acte
de contrefaçon est toujours limité dans les frontières d’un État et
qu’ainsi toute référence à un quelconque caractère international
n’est pas pertinente). L’auteur quant à lui ne sonne pas le glas du
principe de territorialité et considère que celui-ci a seulement une
« légitimité déclinante » car ce n’est pas toujours le juge du titre qui
est compétent ni sa loi de protection applicable. Tout au long de
son article Edouard Treppoz expose les différentes théories et nous
démontre combien il est aujourd’hui complexe de déterminer le juge
et la loi applicable dans le cadre d’un litige ayant des facteurs
d’extranéité et notamment quand on se retrouve face à cyber délit
(quel est le critère choisi par le juge celui de l’activité ou de l’accessibilité ? La loi applicable est-elle celle du dommage ou celle du fait
générateur ?). Cette étude met en évidence le besoin réel d’une
réponse unie sur le sujet.
1448
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.2 La mise en place de solutions extrajudiciaires
Le phénomène actuel est sans aucun doute aujourd’hui le
recours aux modes alternatifs de règlement des conflits (les MARCS),
recours qui est de plus en plus important.
Parmi l’ensemble des droits de propriété intellectuelle, les noms
de domaine sont l’exemple parfait de ce mode original de règlement
des différends. Ces droits, plus récents car liés au développement de
l’Internet, portent en eux-mêmes un caractère international. En
effet, ils n’existent que par Internet et sont dès lors conçus pour avoir
un rayonnement mondial. Ils sont d’ailleurs gérés de façon « centralisée » par une organisation internationale de droit privé l’Internet
Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN). Dans son
article « ICANN’s New gTLD Programm : Applicant Guidebook and
Dispute Resolution » Torston Bettinger revient sur les récents
développements qui ont agité, et agitent encore la communauté des
internautes suite à la publication en 2010 suivie de l’approbation le
20 juin dernier1 de la nouvelle charte (Draft Applicant Guidebook
dite DAG 4) adoptée par l’ICANN concernant les nouvelles extensions de domaines « top-level » (new gTLDs). L’auteur nous propose
dans son article une analyse exhaustive de ce que propose cette
charte dont l’originalité est d’avoir été mise à la discussion des usagers des noms de domaine avant son approbation finale.
Si toute la procédure d’enregistrement du nom de domaine se
fait auprès de l’ICANN en vertu des nouvelles règles de procédure
réunies dans un document spécial (« new gTLD dispute resolution
procedure »), l’ICANN a la particularité de déléguer à des organismes qu’elle accrédite les résolutions des problèmes afférents à
l’enregistrement de ces noms de domaines, notamment le Centre
International de Résolution des Différends aux États-unis ou encore
le Centre d’Expertise de la Chambre Internationale de Commerce de
Paris qui est compétent. Mais ce qui concerne le plus notre sujet est
sans aucun doute la proposition apportée par la nouvelle charte
concernant la procédure URS (Uniform Rapid Suspension System)
qui a pour but d’être un complément à la procédure déjà existante
de l’UDRP (Uniform Domain-Name Dispute-Resolution Policy). En
effet, tant l’OMPI que l’INTA avaient présenté des critiques face à la
procédure existante lui reprochant notamment de ne pas être complètement adaptée. Si les conditions de mise en œuvre de la procédure sont identiques à celles déjà déployées pour la procédure
1. <http://www.icann.org/>.
La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle
1449
UDRP, ce nouveau système a un champ d’application plus limité car
il ne concerne que les cas où un abus net est porté au nom de domaine
ou pour le cas d’une contrefaçon. Cette procédure est ouverte à tous
les titulaires de droit de marque ayant déposé leur marque au nouveau centre d’information (clearing house) mis en place également
par le DAG 4 (établissement indépendant recensant toutes les marques enregistrées dans le monde dont le but est de lutter contre les
risques de confusion avec les noms de domaines). Ce système a pour
avantage d’être un bon supplément à celui existant tout en étant
effectif et moins coûteux.
Pour finir tant l’OMPI que l’IRT (Implementation Recommendation Team) ont recommandé l’adoption d’une procédure de résolution des litiges mis en œuvre par un titulaire de marque en cas
d’abus par un nom de domaine (c’est en anglais le « Trademark Post
Delegation Dispute Mechanism). L’originalité de ce système, et très
certainement un des facteurs de son succès, est que le titulaire du
droit en enregistrant son nom de domaine adhère automatiquement
par le biais d’une clause par laquelle il reconnaît et se soumet à ces
procédures de règlement des litiges2.
De façon plus générale les litiges relatifs au droit de propriété
intellectuelle sont en général susceptibles d’être résolus par voie
d’arbitrage même si cela ne va pas sans questionnement et sans
réserve de la part des États ainsi que l’explique Bernard Hanotiau
dans sa contribution à l’ouvrage ici commenté « L’arbitrabilité des
litiges de propriété intellectuelle ».
Partant du constat que les litiges concernant les droits de propriété intellectuelle ont pris depuis ces vingt dernières années une
place considérable dans le domaine du commerce international et
couvrent des domaines nombreux et variés et bien souvent très techniques (notamment concernant la propriété industrielle), l’auteur
expose les deux problèmes qui se sont posés face à la possibilité de
régler ces litiges par la voie de l’arbitrage. Il s’agit de la question de
savoir si la législation applicable permet un recours à une telle pratique et si oui quelles en sont les limites. En effet, et notamment pour
les questions relatives au brevet, des obstacles relatifs à l’ordre
public et au pouvoir d’un arbitre de statuer sur un acte émanant de
la puissance publique se dressent. C’est alors qu’il faut bien distinguer les notions de validité erga omnes et d’opposabilité du titre.
L’auteur dresse une liste des différentes catégories des États qui
2. <http://www.icann.org/en/udrp/udrp-policy-24oct99.htm>.
1450
Les Cahiers de propriété intellectuelle
acceptent ou pas les droits en expliquant de façon relativement
détaillé comment ils en sont arrivés là. Seules une minorité d’États
refuse encore la soumission de ces litiges à l’arbitrage, la plupart la
reconnaissant plus ou moins largement et leur nombre allant en
augmentant.
La plupart des législations considèrent que les droits de propriété intellectuelle sont disponibles et qu’un arbitre peut donc se
prononcer sur eux. Seule l’arbitrabilité erga omnes de la validité du
titre présente encore des points de résistance dans les différentes
législations.
Enfin l’étude concernant ces modes dits alternatifs de règlement des litiges n’aurait pas été complète si l’on ne s’était pas penché
sur les outils offerts par l’OMPI. C’est à Sarah Theurich qu’est
revenue cette tâche et qui a abordé les mécanismes offerts par le
Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI dans son article « Designing Tailored Alternative Dispute Resolution in Intellectual Property ».
La propriété intellectuelle engendre des litiges très différents
les uns des autres. Leur caractéristique commune est qu’ils nécessitent en général une réponse adaptée du fait de leur spécificité. En
effet, pour certains la solution devra faire preuve d’une expertise
technique et juridique poussée (notamment pour les litiges mettant
en jeu des brevets) et une solution globale au niveau international
est en général demandée. Enfin, du fait de l’évolution rapide du marché et de la nécessité de protéger les ressources intellectuelles, rapidité et bas prix sont les qualités demandées unanimement par
l’ensemble des titulaires de droit.
Pour toutes ces raisons, dès le début des années 90, la mise en
place d’un système offrant des solutions adaptées et géré par l’OMPI
est apparue comme une des solutions idéales. Toutes ces raisons ont
donc été à l’origine de la création au sein de l’OMPI du Centre
d’arbitrage et de médiation qui offrent aux titulaires de droit en conflit tout un arsenal de procédures adaptées et adaptables à leur
situation.
La principale caractéristique du Centre est d’offrir aux parties
une procédure que l’on pourrait qualifier de procédure « à la carte ».
En effet, les parties acceptent de se soumettre à une clause qu’elles
ont elles-mêmes dessinée. Cette clause permet aux parties d’avoir
recours à l’une des différentes options offertes par le Centre c’est-à-
La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle
1451
dire une procédure de médiation, d’arbitrage (standard ou plus poussée) ou encore depuis 2007 au recours aux services d’un expert. Il est
également possible aux parties de cumuler les différentes procédures afin d’en retirer les avantages et d’augmenter les chances de
parvenir à un règlement.
Preuve du succès de l’institution (220 cas dont la plupart les 5
dernières années ont été réglés soit via la procédure d’arbitrage ou
de médiation), le Centre se développe également pour englober
d’autres matières, toujours liées à la PI (art et héritage culturel, biodiversité, savoir-faire traditionnel)
2. VERS UNE SPÉCIALISATION DES TRIBUNAUX
EN EUROPE
Il est parfois plus facile d’adopter des mesures d’harmonisation
positive à une échelle plus réduite que l’échelle mondiale. C’est également le cas au niveau des procédures.
2.1 L’Europe de la propriété industrielle
D’autres mécanismes ont été pensés au niveau régional, cependant là où il y a le plus de mesures c’est en matière de brevet.
Pierre Véron s’est penché sur l’Europe dans un article intitulé
« Le contentieux de la propriété industrielle en Europe : état des
lieux, stratégies et perspectives ».
Si pour les marques et les obtentions végétales le système est
relativement simple, ces deux droits faisant l’objet au niveau communautaire d’une législation spéciale et dont le respect est assuré
par la Cour de Justice (TPIUE et CJUE), les choses sont moins évidentes pour les brevets. En effet, ici il faut distinguer l’Europe de
Bruxelles ou plus précisément l’Union européenne de l’Europe de
Munich qui regroupe plus d’États et qui abrite l’Office Européen des
Brevets (OEB) délivrant de façon unifiée des titres de brevet dont le
contentieux est réglé au niveau national. Ce système certes efficace
au niveau des procédures de délivrance (une demande pour x brevets) s’avère pernicieux au niveau de sa mise en œuvre par les juridictions nationales. En effet, l’utilisateur averti, ou bien conseillé, va
choisir en cas de litige d’engager des poursuites devant le juge qui lui
sera le plus favorable : c’est le forum shopping. L’auteur ici nous offre
une palette des différents avantages et inconvénients des tribunaux
européens.
1452
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le forum shopping n’est cependant pas le seul effet négatif du
système des brevets européen puisque qui dit plusieurs juges dit que
le risque d’obtenir des décisions contradictoires est élevé (de nombreuses affaires ont en effet eu pour résultat la déclaration d’un brevet contrefait dans un pays et pas dans un autre, ou un brevet
reconnu valable par un juge, nul pour insuffisance de description par
un autre ou encore nul pour défaut de nouveauté par un troisième
juge). Face à cette incohérence jurisprudentielle, de nombreuses voix
s’élèvent en faveur d’une unité de jurisprudence ainsi que d’une justice de qualité. C’est le projet d’accord (7928/09) présenté en détail
par Mr Véron qui prévoit la mise en place d’une juridiction à différents niveaux unifiée et spécialisée centralisant les litiges autour
des brevets émis par l’OEB. Les travaux autour de cette juridiction
spécialisée ont commencé en 2007 et se poursuivent encore3, affaire
à suivre...
2.2 L’exemple d’un État confédéral : la Suisse
C’est à Julie Bertholet et à Pierre-Alain Killias que l’on doit
l’article « La création de juridictions spécialisées : l’exemple du Tribunal fédéral des brevets ». Cet article très détaillé présente le nouveau système Suisse relatif aux règlements des litiges portant sur
les brevets en vigueur depuis le 1er janvier 2011 seulement.
Les brevets ont pour particularité, on l’a vu, de se tenir entre
la technique et le droit. La tendance européenne est donc de réunir
au sein d’une juridiction ayant compétence exclusive en matière de
validité et de contentieux l’ensemble des litiges. La Confédération
Suisse a semblé suivre le mouvement avec la création du Tribunal
fédéral des Brevets regroupant en son sein l’ensemble du contentieux. L’instauration de ce nouveau Tribunal a pour but d’obtenir un
règlement des différends relatifs aux brevets plus rapide, une mise
en œuvre uniforme du droit grâce à l’harmonisation de la jurisprudence ayant trait à ces questions ainsi que des réponses adaptées
rendues par des juges qualifiés tant sur le plan juridique que technique.
3. Au moment de l’article de Mr Véron l’accord était soumis à l’approbation de la
CJUE ; or celle-ci a rendu son avis 1/09 le 8 mars 2011. L’accord a été jugé incompatible dans sa forme actuelle avec le droit primaire de l’UE. (<http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/11/st10/st10630.fr11.pdf>).
La résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle
1453
En Suisse on a préféré à la possibilité d’un tribunal fédéral
arbitral un tribunal fédéral des brevets (non pour des raisons constitutionnelles mais car une étude avait démontré que cela aurait été
source de plus de frais pour les PMEs)
Cette nouvelle disposition ne réserve cependant pas la compétence exclusive des tribunaux étatiques car pour les matières où le
droit litigieux est disponible et pour lesquelles la cause ne relève pas
de la compétence exclusive d’une autorité étatique le recours à
l’arbitrage est toujours possible (les conditions pour un arbitrage
interne étant en Suisse plus restrictives que les conditions requises
pour un arbitrage international). Les auteurs restent cependant critiques notamment du fait de l’existence de compétences concurrentes avec les tribunaux cantonaux (action ayant un lien de connexité
avec les brevets, question de nullité soulevée par voie reconventionnelle ou d’exception ou par voie préjudicielle) qui a pour résultat une
fois de plus de disperser le contentieux.
Il est encore trop tôt, seulement six mois, pour parvenir à une
conclusion quant au succès ou pas de cette nouvelle juridiction.
Voici donc un ouvrage offrant un panorama complet de l’ensemble des solutions offertes à ce jour pour résoudre les litiges en
matière de propriété intellectuelle. La Faculté de droit de l’Université de Genève a su une fois de plus faire preuve d’originalité en abordant exclusivement ce sujet ô combien important dans le domaine de
la protection des biens immatériels.
ANNEXE 1
Liste des articles publiés par
ordre alphabétique d’auteurs –
Volumes 1-1 à 23-3
(octobre 2008 – octobre 2011)
Marie
Alexandre
France
Iana
Iana
Núria
ABDELNOUR
ABECASSIS
ABRAN
ALEXOVA
ALEXOVA
ALTARRIBA
Législation du droit de dépôt légal et de la propriété
intellectuelle : une perspective de l’Espagne
Marquage des produits visant la protection de
l’environnement et de la santé du public [Le]
La célébrité d’un individu et l’enregistrement de son nom
comme marque de commerce : survol de Matol Biotech
Laboratories Ltd. c. Jurak Holdings Ltd.
Interrelations entre le CRTC et la Commission du droit
d’auteur [Les]
Critère d’évidence : la Cour suprême des États-Unis met
la pédale douce
Technologies de l’information au service des droits :
opportunités, défis, limites (compte-rendu) [Les]
Titre
23
21
21
08
19
23
Vol.
1
3
1
3
3
2
no
121
603
209
381
1129
1057
Page
© CIPS, 2011.
* Avocat et agent de marques de commerce, Laurent Carrière est l’un des associés principaux de ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et d’agents de brevets et de marques de commerce ; il est également rédacteur en chef des Cahiers de propriété intellectuelle.
Cet index couvre les volumes 1 à 23 inclusivement, incluant le Hors série « Mélanges Victor Nabhan » (« HS »). Prendre note que le volume 21,
numéro 3, comporte en partie une double pagination avec le numéro 21-2, et ce, de la page 553 à la page 583.
Prénom
Nom de famille
Laurent Carrière*
Auteurs
Volumes 1-1 à 23-3
(octobre 1988 – octobre 2011)
Index des auteurs
1457
Prénom
Janne
Jean-Marie R.
James
James
Benjamin
Johanne
Camille
Bassem
Georges
Georges
Georges
Lise
Sergio
Nom de famille
ANDRESOO
ANDRIANIAINA
ANGLEHART
ANGLEHART
AUGAIS
AUGER
AUVRET
AWAD
AZZARIA
AZZARIA
AZZARIA
BACON
BALANA
Ère du numérique : deuxième chance pour la marque
olfactive ? – Analyse de la capacité du signe olfactif à
fonctionner comme marque de commerce ou de service [L’]
Évolution de la législation sur le droit d’auteur et la situation
de l’artiste au Canada [L’]
Compositeurs kleptomanes face au droit d’auteur [Les]
Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour
Logiciels libres à l’assaut du droit d’auteur [Les]
Dépôt légal et le droit d’auteur en Égypte [Le]
Usage sérieux au sens de l’article 15 du Règlement sur la
marque communautaire [L’]
Lignes directrices de Santé Canada concernant les noms de
produits de santé à présentation et à consonance semblables :
une pilule difficile à avaler ? [Les]
L’exploitation commerciale de l’image des personnes
physiques
Établissement de la date de dépôt d’une première demande
de brevet et demandes de brevets provisoires
Introduction au PCT et comment en tirer profit
Dépôt légal et le droit d’auteur à Madagascar [Le]
Régime de dépôt légal estonien à l’ère numérique [Le]
Titre
20
20
21
20
16
23
23
21
21
09
07
23
23
Vol.
1
3
2
2
2
1
2
2
1
2
3
1
1
no
015
337
525
405
105
659
299
277
301
429
211
151
Page
1458
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Marc
Marc
Denis
Bruno
Gaëlle
Gaëlle
Jeremy de
Philippe Henri
Cindy
Yohan
Alberto
Catherine
Catherine
Nom de famille
BARIBEAU
BARIBEAU
BARRELET
BARRETTE
BEAUREGARD
BEAUREGARD
BEER
BÉLANGER
BÉLANGER
BENEZRI
BERCOVITZ
BERGERON
BERGERON
Arbitrage et le droit d’auteur... chouette ! [L’]
Fair Dealing canadien et Fair Use américain : une analyse
de l’exception d’utilisation équitable en matière de droit
d’auteur
An Important Case of Database Protection in Spain Arandazi
v. El Derecho
Mécanismes de la licence légale – De la technique au droit
et du droit à la technique : la licence légale comme solution
[Les]
Pour en finir avec la marque de service
Incidences de la faillite sur la propriété intellectuelle
Commission du droit d’auteur du Canada : vingt années
à « faire » l’histoire juridique [La]
Indications géographiques au service de la communauté :
les produits alimentaires [Les]
Éthique et le régime des brevets, une question d’actualité [L’]
« What’s Cooking Good Looking ? » Concurrence déloyale
dans les restaurants et bars
Suisse : le droit d’auteur du journaliste à l’épreuve
de la numérisation
Complications des compilations [Les]
Normes de gestion en matière de droits d’auteurs au
gouvernement du Québec
Titre
15
13
16
17
22
15
22
20
18
19
12
14
13
Vol.
3
2
HS
3
2
2
3
1
1
2
2
2
3
no
987
267
001
463
165
475
593
053
013
379
547
653
521
Page
Index des auteurs
1459
Prénom
Catherine
Catherine
Catherine
Geneviève
Geneviève
Catherine
Carine
Louise G.
Yvan
Alain
Élizabeth
Claire
Lise
Nom de famille
BERGERON
BERGERON
BERGERON
BERGERON
BERGERON
BERGERON
BERNAULT
BERNIER
BERNIER
BERTHET
BERTHET
BERTHEUX-SCOTTE
BERTRAND
Droit de l’informatique – Rétrospective canadienne
Responsabilité des moteurs de recherche en droit français :
droit des marques applicable ?
Génériques en Europe [Les]
Adhésion de la Communauté européenne au Protocole de
Madrid : vers une simplification complexe... [L’]
Dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain
relatives à la propriété intellectuelle et la clause d’exemption
culturelle [Les]
Protection pour le monde des vivants [Une]
Droit d’auteur à l’épreuve de la restauration des œuvres [Le]
Droit d’auteur vu par les tribunaux en 2010 : un survol
de cinq décisions d’intérêt [Le]
Quelques décisions-clés rendues en 2008 en matière
de règlement des différends de noms de domaine .CA
Protection des marques notoires et théorie de la dilution :
une analyse comparative du droit américain et canadien à la
lumière de décisions récentes de la Cour suprême du Canada
Marques olympiques et paralympiques : une protection
en or [Les]
Marque fantôme au Canada et aux États-Unis [La]
Développement récent en matière de marque officielle :
le statut d’autorité publique au Canada
Titre
1
19
10
21
13
17
06
03
19
23
1
1
1
2
2
1
3
2
2
1
20
21
3
2
no
19
18
Vol.
237
217
013
373
139
055
755
679
371
015
173
727
357
Page
1460
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Luc
Laurence
Grégoire
Grégoire
Jean-Pierre
Jean-Pierre
Jean-Pierre
Marc-André
Christian
Christian
Valérie
Nom de famille
BÉRUBÉ
BICH-CARRIÈRE
BISSON
BISSON
BLAIS
BLAIS
BLAIS
BLANCHARD
BOLDUC
BOLDUC
BOUCHARD
Statut de l’artiste : la loi interdite de séjour
Reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur :
un interdit ? [La]
Article 6(1) de la Loi sur les dessins industriels :
une stratégie pour réduire les risques de contrefaçon [L’]
Statut de l’entrevue et le journaliste [Le]
Droit des radiodiffuseurs sur leurs signaux de
communication et la mise en application de la Convention
de Rome : un biscotto rassis pour le Canada [Le]
Droit d’auteur et les licences obligatoires au service de la
Couronne : un modèle australien pour la réforme du droit
d’auteur au Canada ? [Le]
Droits des artistes interprètes en Australie et l’exécution des
obligations internationales : un modèle constitutionnel pour
la réforme du droit d’auteur au Canada ? [Les]
Protection de la création vestimentaire : étude d’une
application problématique des droits intellectuels [La]
Protection de la réputation internationale d’une maison de
prêt-à-porter prétexte à une étude sur les marques notoires
[La]
Communication spirituelle et droit d’auteur : à qui les droits
d’une œuvre littéraire dictée depuis l’au-delà ?
Politiques des bureaux des brevets et jugements récents
portant sur les séquences d’ADN
Titre
20
20
10
12
11
06
05
05
01
19
12
Vol.
2
2
1
2
1
3
1
3
2
3
3
no
525
257
101
397
107
283
047
301
135
775
757
Page
Index des auteurs
1461
Prénom
Mario
Alain D.
Mélanie
Marie
Serge
Marcel
Jean-Christophe
Jean-Christophe
Générosa
Josiane
Jean-Sébastien
Jean-Sébastien
Nom de famille
BOUCHARD
BOURASSA
BOURASSAFORCIER
BOURGEOIS
BOURQUE
BOYER
BOZE
BOZE
BRAS MIRANDA
BRAULT
BRIÈRE
BRIÈRE
Encadrement international du droit de la propriété
industrielle – Deuxième partie
Encadrement international du droit de la propriété
industrielle – Première partie [L’]
Arbitrage des différends en matière de propriété
intellectuelle : nécessité de clarifier le débat [L’]
Protection posthume des droits de la personnalité [La]
Pourquoi Médoc n’est plus une appellation générique au
Canada ?
American Viticultural Area, appellation d’origine
imparfaite ? [L’]
Concepts et principes économiques invoqués devant la
Commission du droit d’auteur du Canada et appliqués
dans ses décisions
Droit de la concurrence et propriété intellectuelle
Protection juridique de l’information confidentielle
économique : étude de droit québécois et français [La]
Contrats : véritables vecteurs d’innovation dans le secteur
pharmaceutique [Les]
Nouvelle vague biotechnologique [Une]
Régime canadien des titulaires de droits d’auteur
introuvables [Le]
Titre
16
15
23
19
17
16
23
12
01
23
06
22
Vol.
1
3
2
3
1
3
3
3
1
2
1
3
no
015
735
727
795
157
645
1083
909
001
697
093
483
Page
1462
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Claude
Claude
Claude
Claude
Yvan
Isabelle
Étienne
Sylviu
Gisela
Damien
Aldine
Nom de famille
BRUNET
BRUNET
BRUNET
BRUNET
BRUTSAERT
BUREAU
BURGY
BURSANESCU
CABARROCA
CALVET
CALVEYRAC
Droit d’auteur en Afrique (compte-rendu) [Le]
Analyse de l’arrêt de la Cour suprême Apotex Inc. c.
Sanofi-Synthelabo Canada Inc. ou De la validité d’un brevet
de sélection et de l’affinement des critères d’évaluation de la
nouveauté et de la non-évidence
Législation du droit de dépôt légal et de la propriété
intellectuelle : une perspective de l’Espagne [La]
Image de marque : comment utiliser efficacement les lois de
propriété intellectuelle pour protéger le nom et l’image des
célébrités [L’]
Dépôt légal dans le Canton de Genève [Le]
Intrigue : le passage de l’idée à son expression [L’]
Cuisine en quête d’agents conservateurs : la protection
des créations culinaires [La]
Droit d’auteur au Canada de 1987 à 1997 – Petit article
en forme de prise d’inventaire [Le]
Amendements de 1990 à la Loi américaine sur le droit
d’auteur [Les]
Difficile protection des œuvres d’architecture : les affaires
Du Boisé et Nouvelle Dimension [De la]
Projet de loi C-130 : vers un nouveau droit de retransmission
[Le]
Titre
22
21
23
22
23
07
19
10
03
02
01
Vol.
3
2
1
3
1
1
2
1
3
1
2
no
821
533
121
513
187
054
499
079
359
123
241
Page
Index des auteurs
1463
Prénom
Anton
Christophe
Stéphane
Hubert
Jean
Jean
Laurent
Laurent
Laurent
Laurent
Laurent
Nom de famille
CARNIAUX
CARON
CARON
CARRIER
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
Nouveaux recours en contrefaçon suite aux modifications
de 1997 à la Loi sur le droit d’auteur [Les]
Droit des marques au Canada 1987-1996 : une décade
en rétrospective par la lunette des cours d’appel
Hypertextes et hyperliens au regard du droit d’auteur :
quelques éléments de réflexion
Protection des noms, marques et signes de la Gendarmerie
royale du Canada : réflexions sur les fondements et
orientations d’un programme de concession de licences [La]
OMC – Propriété intellectuelle – Canada – L’adhésion du
Canada à l’Accord instituant l’Organisation mondiale du
commerce et les modifications conséquentes aux lois
canadiennes de propriété intellectuelle
Synthèse de l’arrêt Directeur des enquêtes et recherches c.
Télé-Direct (Publications) Inc.
Dernière décennie en matière du droit statutaire de la
concurrence [La]
siècle [La]
11
10
09
08
07
10
10
13
Propriété littéraire en France au
14
XVIIe
16
09
Vol.
Fonctionnalité et marques de commerce
Échange d’œuvres sur l’Internet ou le P2P [L’]
Rapports difficiles du droit de la propriété intellectuelle avec
le droit de la concurrence : Étude de la clause field of use
dans les contrats de transfert de technologie aux États-Unis,
et subsidiairement dans le cadre européen [Les]
Titre
1
1
3
2
3
3
1
2
1
HS
1
no
219
156
467
281
439
545
275
311
017
023
077
Page
1464
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Laurent
Laurent
Laurent
Laurent
Laurent
Laurent
Laurent
Paul
Robert
Guilhem
Olivier
Roger
Nom de famille
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CARRIÈRE
CASSIUS de LINVAL
CHABAUD
CHARBONNEAU
CHARLAND
Société canadienne de perception de la copie privée c.
Canadian Storage Media Alliance
Accès libre [L’]
Exercice des droits du titulaire de la marque et le mécanisme
de transit externe en droit douanier communautaire [L’]
Commerce électronique : pourquoi Industrie Canada n’y
comprend pas grand-chose [Le]
Fonctionnalité et marques de commerce
Voies et recours civils non pécuniaires en matière de
violation de droit d’auteur au Canada
Revue de décisions canadiennes de PI rendues en 2009-2010
Leçons tirées de la jurisprudence pour le développement de
pratiques exemplaires
Fraude comme motif d’invalidation d’un enregistrement
de marque de commerce – bref commentaire sur l’affaire
Parfums de cœur [La]
Brevets, marques et autres propriétés intellectuelles :
réflexion volontairement incomplète sur l’évolution de la
pratique canadienne en statistiques et notes de bas de page
Brand Management in Canadian Law
Statut de petite ou de grande entité d’un breveté/
demandeur au Canada [Le]
Revue de la jurisprudence des cours d’appel du Canada
en matière de marques de commerce 1997-2000
Titre
17
22
19
09
14
23
22
2
3
1
3
1
3
3
2
3
20
21
3
2
3
no
17
14
13
Vol.
387
549
315
335
017
1129
793
543
633
735
709
539
Page
Index des auteurs
1465
Prénom
Frédérick
David-Alexandre
David-Alexandre
Armelle
Joan
Benoît
Benoît
Benoît
Benoît
Nom de famille
CHARRETTE
CHETRIT
CHETRIT
CHRÉTIEN
CLARK
CLERMONT
CLERMONT
CLERMONT
CLERMONT
Diffamation dans un contexte médiatique : les enseignements
de la jurisprudence du nouveau millénaire [La]
Compilations et la Loi sur le droit d’auteur : leur protection
et leur création [Les]
Parties II et VIII de la Loi sur le droit d’auteur : le Canada
respecte-t-il ses obligations internationales ?
Prospective du droit canadien de la concurrence déloyale :
contradictions et tolérance ? [Sur une]
Rétrospective des événements marquants au Canada dans
le domaine des brevets d’invention
De l’intérêt de conserver ses marques nationales
parallèlement à une marque communautaire ou l’incroyable
décision Matrazen
Protection relative aux marques de commerce étendue aux
services fournis dans le cadre du commerce de détail –
Commentaire sur l’arrêt de la CJCE dans l’affaire Praktiker
Bau-und Heimwerkermärkte c. Deutsches Patent-und
Markenamt [La]
Caractère distinctif exigé pour l’enregistrement d’une marque
peut être acquis par l’usage de celle-ci en tant que partie
d’une marque déjà enregistrée – Commentaire sur l’arrêt de
la C.J.C.E. dans l’affaire Société des produtis Nestlé SA c.
Mars UK Ltd. [Le]
Illusion du droit moral telle que révélée par l’introduction du
logiciel dans le domaine du droit d’auteur [L’]
Titre
19
18
11
10
10
1
2
1
1
1
2
3
17
16
3
2
no
17
04
Vol.
043
219
287
295
119
563
673
667
163
Page
1466
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Albert
Jess M.
David R.
Robert
Mathieu
Émilie
Marie-Josée
Grégoire
Grégoire
Annie
Monika
W.R.
Carlos
Nom de famille
CLOUTIER
COLLEN
COLLIER
COLLIN
COMEAU
CONWAY
CORBEIL
CORMAN
CORMAN
CORMIER
CORNELL
CORNISH
CORREA
Refusal to Deal and Access to an Essential Facility :
Balancing Private and Public Interests in Intellectual
Property Law
Copyright History of What Must-have-been [The]
Bibliothèque nationale de la Pologne – Le dépôt légal et
la protection par le droit d’auteur à l’ère numérique [La]
Nouveaux critères de révision en appel d’une décision rendue
par le registraire des marques de commerce [Les]
Protection du titulaire de la marque contre la parodie :
évolutions récentes [La]
Contrat de commande d’œuvre d’esprit en droit français
Titularité du droit d’auteur relatif aux œuvres audiovisuelles
au Québec [La]
Arrimage entre les droits privés provinciaux et la Loi sur
le droit d’auteur : une dissonance harmonieuse ? [L’]
Sites Web contrefacteurs : les dangers de l’application
rigoriste de la Loi sur le droit d’auteur
Droit des marques et la réalisation du marché intérieur
de la communauté européenne [Le]
Revue de la jurisprudence canadienne 2009 en matière
de droits d’auteur
Marque privée [La]
Loi sur le droit d’auteur : qu’en est-il de sa réforme ? [La]
Titre
16
16
23
14
17
16
08
23
15
11
22
09
14
Vol.
HS
HS
1
2
1
3
1
3
2
2
2
1
2
no
075
061
243
605
203
897
049
1185
653
367
201
115
715
Page
Index des auteurs
1467
Prénom
Karina
Martine
France
France
Marie-Ève
Marie-Hélène
Michel
Christophe
Monique M.
Giuseppina
Nom de famille
CORREA PEREIRA
CORRIVEAU
CÔTÉ
CÔTÉ
CÔTÉ
CÔTÉ
COTNOIR
COTTETBRETONNIER
COUTURE
D’AGOSTINO
Exceptions et limitations en matière de droit d’auteur
et la Commission du droit d’auteur du Canada [Les]
Critères d’émission d’une injonction provisoire en matière de
marque de commerce : l’affaire Agropur Cooperative c. Saputo
Inc.
Contrôle de l’exploitation commerciale de l’image du sportif
en tant que personnalité publique : étude comparée
France/Québec [Le]
Homologation administrative d’un nouveau médicament
commercialisé au Canada et l’octroi d’un avis de conformité
[L’]
Responsabilité des intermédiaires à l’égard des violations de
droit d’auteur commises par des tiers sur l’Internet [La]
Responsabilité du concédant de licence de marques
de commerce à l’égard de produits défectueux [La]
Brevets et biotechnologie : animaux et végétaux
transgéniques
Établissement de la date de dépôt d’une première
demande de brevet et demandes de brevets provisoires
Durée générale de protection du droit d’auteur : une histoire
de développement et de mutation des fondements de
principes [La]
L’application des théories philosophiques justifiant la
propriété intellectuelle dans les situations d’urgence
Titre
23
16
13
13
10
19
12
09
19
18
Vol.
3
2
3
1
2
1
3
2
3
3
no
1229
599
619
061
359
145
735
301
823
455
Page
1468
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Giuseppina
Catherine
Johanne
Johanne
Johanne
Christian
François
Vivianne
Vivianne
Vivianne
Vivianne
Nom de famille
D’AGOSTINO
DAIGLE
DANIEL
DANIEL
DANIEL
DANIS
DAVID
DE KINDER
DE KINDER
DE KINDER
DE KINDER
Licence implicite et promesse sans cession : problèmes de
droit d’auteur en matière de commande d’œuvres protégées,
d’option et d’engagement à céder
Légendes et des images – À propos de l’affaire Lambert
c. Wardair Canada Inc. [Des]
Enregistrement éphémère : Bishop c. Télé-Métropole Inc.
[À propos de l’]
École de conduite Tecnic Aubé Inc. et al. c. École de conduite
Lauzon Canada Ltée et al.
Gestion du droit d’auteur sur les archives privées à
Bibliothèque et Archives nationales du Québec : pratiques
archivistiques et étude de cas
Prise de garanties en matière de propriété intellectuelle [La]
Cadre juridique de la gestion des droits au Canada [Le]
Survol du projet de loi C-57 sur les topographies de circuits
intégrés
Propriété intellectuelle – Concurrence – Multimédia :
voyage au cœur d’un kaléidoscope virtuel
Regard sur les exigences de l’alinéa 30a) de la Loi sur les
marques de commerce en matière de description de boissons
alcoolisées (ou comment éviter que le vin ne tourne au
vinaigre)
En attendant Robertson : définir la possession du droit
d’auteur sur les œuvres des pigistes dans les nouveaux
médias
Titre
06
03
01
01
19
14
11
02
09
19
18
Vol.
1
3
3
1
3
2
1
3
3
2
1
no
067
365
389
087
863
581
257
343
347
413
163
Page
Index des auteurs
1469
Prénom
Vivianne
Vivianne
Vivianne
Thomas
Jean-Nicolas
Jean-Nicolas
Jean-Nicolas
François
Estelle
Estelle
Estelle
Emmanuel
Nom de famille
DE KINDER
DE KINDER
DE KINDER
DEBIESSE
DELAGE
DELAGE
DELAGE
DEMERS
DERCLAYE
DERCLAYE
DERCLAYE
DERIEUX
Universitaires et le droit moral d’auteur en droit français
[Les]
Réponses graduées française et britannique : des coups
d’épée dans l’eau ou des modèles pour le Canada ? [Les]
Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers
numérique, Droits et exceptions à la lumière des dispositifs
de verrouillage des œuvres
Abus de position dominante et droits de propriété
intellectuelle dans la jurisprudence de la Communauté
européenne : IMS survivra-t-elle au monstre du Dr
Frankenstein ?
Décisions d’intérêt rendues en 2009 en droit de la diffamation
– La liberté d’expression a un prix
Pools de brevets dans l’industrie biopharmaceutique :
la pertinence d’une utilisation ciblée [Les]
Marques de commerce contre noms commerciaux :
qui sera le gagnant ?
Buvons un dernier verre de champagne canadien
Droit d’auteur, copie privée et responsabilité pénale
Des photos de la rue et l’exception artistique en matière
de droit à la vie privée
De la preuve d’emploi en matière de violation d’une marque
de commerce déposée
Droit d’auteur 1997
Titre
12
22
18
15
22
22
17
17
19
18
17
10
Vol.
1
3
3
1
2
2
3
1
1
3
3
3
no
031
571
661
021
245
219
497
119
349
585
681
713
Page
1470
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Emmanuel
Marie-Hélène
Nathalie
Chantal
Chantal
Xavier
Xavier
Claire
François
Bibliothèque
nationale de la
Adolf
Maria
Ronald E.
Nom de famille
DERIEUX
DESCHAMPSMARQUIS
DESHARNAIS
DESJARDINS
DESJARDINS
DESJEUX
DESJEUX
DESPREZ
DESSEMONTET
DIÈTE DU JAPON
DIETZ
DIKEAKOS
DIMOCK
Notion de privilège et la pratique de l’agent de brevets
au Canada [La]
Stratégie de protection intérimaire : le caveat, la provisoire
et l’« informelle » ou la divulgation prohibée
Cultural Diversity and Copyright
Régime de dépôt légal au Japon – Historique et grandes
lignes du régime
Droit international privé de la propriété intellectuelle à
l’épreuve du dialogue intercontinental [Le]
Public pertinent depuis l’arrêt de la CJCE dans l’affaire
Travatan [Le]
Character Merchandising et le droit français [Le]
Peut-on copier une forme utile ? Plaidoyer pour la protection
de l’esthétique industrielle
Échantillonnage du son en digitales et le droit d’auteur au
Canada [L’]
Contrôle en droit canadien des marques de commerce
et un second regard sur l’article 50 [Le]
Piratage des signaux dans le secteur de la câblodistribution
[Le]
Noms de domaine : au-delà du mystère [Les]
Droit d’auteur des journalistes en France [Le]
Titre
12
20
16
23
16
19
03
03
03
14
03
11
12
Vol.
3
2
HS
1
HS
3
2
1
2
1
3
3
2
no
867
293
109
199
093
1137
193
097
205
045
311
591
561
Page
Index des auteurs
1471
Prénom
Hélène
Hélène
Hélène
Françoise
Jacques de
Marie-Louise
André
André
André
André
André
Nom de famille
D’IORIO
D’IORIO
D’IORIO
DIXMUDE
DONALD
DORION
DORION
DORION
DORION
DORION
Propriété intellectuelle – Concurrence- Multimédia :
voyage au cœur d’un kaléidoscope virtuel
Directeur des enquêtes et recherches c. Télé-Direct –
Tribunal de la concurrence, CT 94-3 du 26 février 1997
Déclin de l’emprise américaine ? Première partie ou
Les divergences du droit de la concurrence avec celui de
la propriété intellectuelle dans un domaine qui incarne
cette dichotomie : le cinéma [Le]
À cheval donné, on ne retient pas la bride : l’abandon
du brevet au bénéfice du public
Ne tirez pas sur la juge brésilienne ou La protection
des chorégraphies sportives en droit d’auteur
Titularité du droit d’auteur relatif aux œuvres audiovisuelles
au Québec [La]
Saisie description en Belgique : une mesure probatoire
et parfois conservatoire [La]
Cour d’appel fédérale se prononce sur l’article 8 du Règlement
sur les médicaments brevetés dans Merck Frosst Canada Ltd
et Merck Frosst Canada & Co. c. Apotex Inc. (2009 CAF 187)
[La]
Droit des brevets – cinq décisions de 2007 ou
Ce qu’il ne faut pas faire
Politiques des bureaux des brevets et jugements récents
portant sur les séquences d’ADN
Titre
09
09
09
08
07
08
13
21
20
12
Vol.
3
3
2
3
1
1
2
3
2
3
no
347
505
233
449
101
049
465
729
541
757
Page
1472
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
André
Sophie
J.-Michel
Daniel S.
Daniel S.
Daniel S.
Daniel S.
Daniel S.
Thomas
Thomas
Christian
Marcel
Marcel
Nom de famille
DORION
DORMEAU
DOYON
DRAPEAU
DRAPEAU
DRAPEAU
DRAPEAU
DRAPEAU
DREIER
DREIER
DROLET
DUBÉ
DUBÉ
Réglementation québécoise du contrat d’édition : un projet
[La]
Pouvoir du Québec de légiférer en matière de contrat
d’édition [Le]
Gestion du droit d’auteur sur les archives privées à
Bibliothèque et Archives nationales du Québec : pratiques
archivistiques et étude de cas
Reconciling National Copyright Traditions : Conflict of Laws
Rules – the German Example
Droit d’auteur contre la colorisation, la modification de durée
et l’adaptation du format des films [Le]
Marchandises d’importation parallèle : une
Cour suprême divisée
Ordonnances Anton Piller : développements récents
des cours suprême, d’appel fédérale et fédérale
Marques célèbres au Canada : veuve et poupée éplorées
Enregistrements de dessins industriels : un survol
Employeur et employé : à qui l’invention ?
Accessibilité aux jugements et droit d’auteur
Statut de l’entrevue et le journaliste [Le]
Convention sur la diversité des expressions culturelles
et la propriété intellectuelle : panacée ou placebo ? [La]
Titre
02
01
19
16
03
20
19
18
16
09
20
12
19
Vol.
3
3
3
HS
2
1
1
3
1
3
3
2
1
no
281
317
863
121
133
183
069
591
253
393
663
397
321
Page
Index des auteurs
1473
Prénom
Marcel
Marcel
Paul-André
Lucie
Victor
Hilal
Hilal
David
Jean-Jo
Mario
Jean
Jean
Nom de famille
DUBÉ
DUBÉ
DUBOIS
DUFOUR
DZOMO-SILMOU
EL AYOUBI
EL AYOUBI
ENCISO
ÉVRARD
FABIANI
FAULLEM
FAULLEM
Cyber-piquetage et la propriété intellectuelle [Le]
Protection de l’anonymat sur Internet [La]
Solitude de l’auteur dans la société de la communication [La]
Épuisement du droit de marque dans l’Union européenne –
Jurisprudence récente [L’]
Incidences de la redélivrance d’un brevet sur une instance
judiciaire et interprétation du terme « identique »
Brevets : cinq décisions d’intérêt en 2010
Affaire Kraft Canada Inc. c. Euro Excellence Inc. : le droit
d’auteur au secours des marques de commerce en mal
de recours [L’]
Phénomène du téléchargement illégal sur Internet
et la question de la rémunération de la création [Le]
Pools de brevets dans l’industrie biopharmaceutique :
la pertinence d’une utilisation ciblée [Les]
Prospective du droit canadien de la concurrence déloyale :
contradictions et tolérance ? [Sur une]
Modifications aux exceptions ou limitations qui existaient
avant la réforme de la Loi sur le droit d’auteur de 1997 :
cosmétique législative ou nouveau parti pris en faveur des
utilisateurs ?
Originalité de l’œuvre en droit d’auteur canadien [L’]
Titre
13
13
16
10
14
23
18
23
22
10
11
03
Vol.
3
2
HS
1
3
2
2
2
2
1
1
3
no
793
491
141
067
881
803
367
773
219
295
157
337
Page
1474
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Claudette
Ambre
Adélaïde
Jean-Arpad
Jean-Arpad
Jean-Arpad
Jean-Arpad
Éric
André
Sylvain
Sophie
Jean-H.
Marc
Nom de famille
FORTIER
FORTUNE
FOURMAGE
FRANÇAIS
FRANÇAIS
FRANÇAIS
FRANÇAIS
FRANCHI
FRANÇON
GADOURY
GAGNÉ
GAGNON
GAGNON
Alinéa 37(1) c) de la Loi sur les marques de commerce
et l’arrêt Unitel [L’]
Projections financières remises par un franchiseur à un futur
franchisé : quand sont-elles considérées comme constituant
de « fausses représentations » de la part du franchiseur ?
[Les]
Protection juridique de la réalité virtuelle... ou l’imbroglio
juridique dans l’univers de l’électro-bohème [La]
Complications des compilations [Les]
Défense et illustration du droit d’auteur
Propriété incorporelle et les œuvres multimédias au
Canada [La]
Réforme législative, droits acquis et éviction en droit
d’auteur canadien
Droit d’auteur et droit du public à l’information
De l’adaptabilité des droits des organismes de radiodiffusion
à l’adaptation du droit d’auteur
Droit moral comparé : entre problématique classique
et moderne [Le]
Pratiques du droit électronique [Les]
Guide anti-contrefaçon (compte rendu)
SODRAC et la gestion des droits de reproduction :
historique [La]
Titre
13
11
07
14
03
08
19
17
16
12
20
21
02
Vol.
3
3
2
2
3
2
3
2
3
2
1
2
2
no
803
658
183
653
349
237
883
427
659
315
237
565
269
Page
Index des auteurs
1475
Prénom
Marc
Marc
Marc
Marjolaine
Jean-Christophe
Barry
Barry
Barry
Barry
Barry
Barry
Barry
Nom de famille
GAGNON
GAGNON
GAGNON
GAGNON
GALLOUX
GAMACHE
GAMACHE
GAMACHE
GAMACHE
GAMACHE
GAMACHE
GAMACHE
Changement de cap après plus de 50 ans : un emploi allégué
n’est plus un facteur pertinent lors de l’examen par le
registraire d’une demande d’enregistrement de marque
de commerce en vertu de l’alinéa 37(1)c) de la Loi sur les
marques de commerce [Un]
Peut-il ou ne peut-il pas ? Regard sur les limites
juridictionnelles des compétences attribuées au registraire
des marques de commerce en matière d’opposition
Marques de commerce au petit et au grand écran [Les]
Statut de petite ou de grande entité d’un breveté/demandeur
au Canada [Le]
Revamping d’une marque de commerce : conséquences
d’une variation dans l’emploi [Le]
Marques géographiques : un survol du territoire [Les]
Demande à l’enregistrement : les méandres du Bureau
du registraire des marques de commerce [De la]
Brevetabilité des innovations génétiques sous la Convention
sur le brevet européen : réalités et perspectives [La]
Encadrement de la publicité de boissons alcooliques au
Canada [L’]
Protection par dessin au Canada et aux États-Unis [La]
Cour suprême du Canada détermine que l’oncosouris
n’est pas brevetable [La]
Marque de commerce descriptive [La]
Titre
17
17
16
14
14
08
06
03
19
17
15
14
Vol.
3
1
2
2
1
3
1
1
2
2
3
1
no
525
017
429
709
157
495
107
009
551
235
995
075
Page
1476
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Barry
Barry
Barry
Barry
Barry
Barry
Richard S.
Emmanuelle
Yves
Yves
Nom de famille
GAMACHE
GAMACHE
GAMACHE
GAMACHE
GAMACHE
GAMACHE
GAREAU
GARNIER
GAUBIAC
GAUBIAC
Échange d’œuvres sur l’Internet ou le P2P [L’]
Commentaire de l’arrêt de la Première Chambre civile de la
Cour de Cassation du 28 mai 1991 dans l’affaire Huston
Protection juridique des créations du « design » [La]
Grande première au Canada : la marque « sonore » [Une]
Est-ce toujours la même marque ? Comment le registraire
a traité la question du revamping des marques de commerce
en 2010 : cinq décisions à retenir
Quelques réflexions sur le paragraphe 16(4) de la Loi sur les
marques de commerce
Un outil d’attaque et de défense : les derniers
développements relatifs à l’article 19 de la Loi sur les
marques de commerce
Entre sacré et profane ou comment s’articule le rapport entre
convictions religieuses et droit des marques de commerce
Alcool et confusion : comment est traitée la catégorie générale
des boissons alcoolisées lorsqu’il s’agit de déterminer la
probabilité de confusion entre marques de commerce ?
Peut-il ou ne peut-il pas (encore) ? Regard sur les limites
juridictionnelles des compétences attribuées au registraire
des marques de commerce en matière de procédures en vertu
de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce
Titre
16
04
03
23
22
21
20
19
18
Vol.
HS
2
1
2
3
1
2
2
1
no
023
257
103
821
629
011
317
437
045
Page
Index des auteurs
1477
Prénom
Jean-François
Lucie
Vincent
Vincent
Vincent
Vincent
Vincent
Michel
Catherine
Catherine
Catherine
Paul Edward
Nom de famille
GAUDREAULTDESBIENS
GAUTHIER
GAUTRAIS
GAUTRAIS
GAUTRAIS
GAUTRAIS
GAUTRAIS
GAY
GECI
GECI
GECI
GELLER
Dynamiques nouvelles en droit d’auteur international
Analyse de l’arrêt de la Cour suprême Apotex Inc. c.
Sanofi-Synthelabo Canada Inc. ou De la validité d’un brevet
de sélection et de l’affinement des critères d’évaluation de la
nouveauté et de la non-évidence
Trolls hantent-ils le domaine des brevets ? [Les]
Portrait législatif de l’exception de recherche en matière
de brevets au Canada, aux États-Unis et en Europe
Première convention concernant la reprographie dans
les écoles primaires et secondaires du Québec
Preuve des documents technologiques [La]
« Give me Five ? » – Traitement jurisprudentiel
du commerce électronique
Dell Computer c. Union des consommateurs, Histoire
d’un « Oops » !
Couleur du consentement électronique [La]
Droit des auteurs et droit de la consommation dans
le cyberespace : la relation auteur/utilisateur
Quelques observations sur le pool de brevets et le droit
de la concurrence
Critique autochtone de l’appropriation culturelle comme défi
à la conception occidentale de la propriété intellectuelle :
le cas de l’appropriation artistique [La]
Titre
05
21
19
18
01
22
21
17
16
09
19
11
Vol.
3
2
3
3
1
2
2
3
1
1
1
2
no
391
533
923
481
115
267
389
687
061
011
103
401
Page
1478
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Stephan P.
Daniel
Daniel
Daniel
Daniel
Daniel
GERVAIS
GERVAIS
GERVAIS
GERVAIS
GERVAIS
Ysolde
GENDREAU
GEORGHIEV
Ysolde
GENDREAU
Ysolde
Ysolde
GENDREAU
Stephan P.
Paul Edward
GELLER
GEORGHIEV
Paul Edward
GELLER
GENDREAU
Prénom
Nom de famille
Essai sur le fractionnement du droit d’auteur – Deuxième
partie : originalité, créativité et réalignement du droit
d’auteur
Être au parfum : protéger la marque de commerce olfactive
au Canada ?
Essai sur le fractionnement du droit d’auteur
Affaire Théberge [L’]
Protection des artistes interprètes ou exécutants et des
producteurs de phonogrammes : un nouvel instrument
international de l’OMPI [La]
Protection des technologies du Web [La]
Article 6(1) de la Loi sur les dessins industriels :
une stratégie pour réduire les risques de contrefaçon [L’]
À la recherche d’une propriété perdue
Flash sur la photo
Durée de protection des photographies : une donnée
révélatrice [La]
Loi française du 3 juillet 1985 : un modèle pour les droits
des artistes-interprètes canadiens ? [La]
La crise du droit d’auteur : dix principes directeurs
Droit de la propriété intellectuelle, droit international
privé et sanctions Internet
Titre
16
15
15
15
06
12
10
17
11
05
01
21
12
Vol.
2
3
2
1
1
3
1
3
1
3
3
1
1
no
363
865
501
217
037
695
101
551
689
375
371
047
227
Page
Index des auteurs
1479
Prénom
Daniel
Stéphane
Stéphane
Stéphane
Stéphane
Stéphane
Stéphane
Michael
Patrick
Jane C.
Jane C.
Jane C.
Jane C.
Nom de famille
GERVAIS
GILKER
GILKER
GILKER
GILKER
GILKER
GILKER
GILL
GINGRAS
GINSBURG
GINSBURG
GINSBURG
GINSBURG
Nom de l’auteur en tant que signe distinctif : une perspective
perverse sur le droit à la « paternité » de l’œuvre ? [Le]
Droit d’auteur sans frontières ? Compétence judiciaire et
législative en matière de contrefaçon internationale
Affaire américaine Feist et la notion d’originalité : à propos
des banques de données et des compilations [L’]
Cent deux ans plus tard : les États-Unis adhèrent
à la Convention de Berne
Preuve des documents technologiques [La]
Journalisme virtuel et le droit d’auteur en Allemagne [Le]
Artistes exécutants et interprètes et le nouveau
Code civil du Québec [Les]
Protection des œuvres architecturales par le droit d’auteur
au Canada (2e partie) [La]
Protection des œuvres architecturales par le droit d’auteur
au Canada (1ère partie) [La]
Locus standi du titulaire d’une licence de droit d’auteur :
une question... d’intérêt ! (Partie II) [Le]
Locus standi du titulaire d’une licence de droit d’auteur :
une question... d’intérêt ! (Partie I) [Le]
Nouvelle loi sur les droits d’auteur : 19,504 jours et 19 études
plus tard [Une]
Trente ans de droit d’auteur à la Cour suprême du Canada
Titre
16
09
04
02
22
12
08
04
03
02
01
01
21
Vol.
HS
3
2
2
2
2
1
1
3
1
3
1
2
no
147
381
233
209
267
533
093
011
241
001
275
031
419
Page
1480
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Jane C.
Frank
Mistrale
Mistrale
Mistrale
Mistrale
Mistrale
Mistrale
Jean
Estelle
Louis
Éloïse
Nom de famille
GINSBURG
GOTZEN
GOUDREAU
GOUDREAU
GOUDREAU
GOUDREAU
GOUDREAU
GOUDREAU
GOULET
GRAFF
GRATTON
GRATTON
Web 2.0 et l’obligation de loyauté de l’employé au Québec
Montant maximal de dommages-intérêts préétablis en droit
d’auteur canadien accordé dans une affaire d’anti-contrefaçon
[Le]
Dépôt légal en France [Le]
Du logiciel traditionnel à la robotique fine – L’adaptation
des règles du droit à la technologie de pointe
Parasitisme sanctionné en Cour d’appel [Le]
Quelques développements récents en droit de la concurrence
[De]
Oeuvres « immorales ou licencieuses, séditieuses ou
entachées de trahison » et le droit d’auteur canadien
Mort de l’auteur et interprétations de l’histoire
Et si nous discutions de rédaction législative – Commentaires
sur la Loi de 1997 modifiant la Loi sur le droit d’auteur
Protection extra-contractuelle de l’idée et de l’information
confidentielle au Canada et au Québec [La]
Droit moral des auteurs (théorie générale/attributs/l’avenir)
Quelques réflexions en mémoire de Georges Koumantos [Le]
Nouvelles des États-Unis : responsabilité pour complicité de
contrefaçon – La décision de la Cour suprême du 27 juin 2005
dans l’affaire MGM c. Grokster
Titre
22
19
23
20
23
22
20
16
11
06
22
17
Vol.
3
3
1
3
3
2
2
HS
1
2
3
3
no
695
1145
169
677
1397
317
459
159
007
221
687
705
Page
Index des auteurs
1481
Prénom
Louis-Pierre
Louis-Pierre
Louis-Pierre
Louis-Pierre
Louis-Pierre
François M.
François M.
François M.
Teresa
Teresa
François
Lucie
Nom de famille
GRAVELLE
GRAVELLE
GRAVELLE
GRAVELLE
GRAVELLE
GRENIER
GRENIER
GRENIER
GRZESZAK
GRZESZAK
GUAY
GUIBAULT
Propriété intellectuelle et la technologie numérique :
à la recherche d’un compromis satisfaisant [La]
Pour en finir avec l’affaire Clairol : l’article 22 de la
Loi sur les marques de commerce prévient-il la publicité
comparative ?
Responsabilité civile du journaliste pour la diffusion des
informations diffamantes : quelques remarques à propos de
l’arrêt de la Cour suprême de la Pologne du 14 mai 2003 [La]
Évolution du droit à l’image en Pologne [L’]
Preuve en matière de marques de commerce :
un aide-mémoire [La]
Derniers mots du millénaire de la Cour d’appel fédérale
en matière de brevets [Les]
Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité)
[Le]
Critère d’utilité et la règle de la prédiction valable [Le]
Petite entité peut rester petite ; la grande demeurera
toujours grande [La]
Incidences de la redélivrance d’un brevet sur une instance
judiciaire et interprétation du terme « identique »
Souris est brevetable [La]
Interprétation des revendications et l’évaluation de la
contrefaçon : respecter les limites de l’élasticité [L’]
Titre
08
11
16
13
17
12
10
15
15
14
13
12
Vol.
2
2
HS
2
3
3
2
3
3
3
3
3
no
203
441
175
333
577
845
405
1023
1007
881
815
779
Page
1482
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Lucie
Lucie
Lucie
Lucie
Andreas
Sacha
Serge
Judith
Réa
Pierre
Friedrich
Nicolaus
Nom de famille
GUIBAULT
GUIBAULT
GUIBAULT
GUIBAULT
HADERLEIN
HAQUE
HARPIN
HARVIE
HAWI
HÉBERT
HEISE
Journalisme virtuel et le droit d’auteur en Allemagne [Le]
De la soutane étouffante à la toge libératrice ? – Le rôle du
pouvoir judiciaire dans l’autonomisation de la littérature
québécoise (1892-1962)
Régulation de l’Internet – L’élaboration des règles
de conduite par le dialogue internormatif
Noms de domaine et nom de personne : de quel droit relève
le nom ?
Portrait législatif de l’exception de recherche en matière
de brevets au Canada, aux États-Unis et en Europe
Protection des créations de mode à la lumière de l’arrêt de
la Cour d’appel du Québec dans Import Export René Derhy
(Canada) inc. c. Magasins Greenberg ltée [La]
Brevetabilité de la matière vivante : les plantes
transgéniques [La]
La « fabrication fictive » et la lutte contre la piraterie
aux Pays-Bas
À quand l’octroi de licences transfrontières pour l’utilisation
de droits d’auteur et de droits voisins en Europe ?
Tir manqué de la directive européenne sur le droit d’auteur
dans la société d’information [Le]
Programmes d’ordinateur et le droit d’innovation
technologique [Les]
Titre
12
21
17
14
18
17
12
21
16
15
09
Vol.
2
1
2
2
3
2
3
1
HS
2
2
no
533
093
443
519
481
263
713
225
189
537
171
Page
Index des auteurs
1483
Prénom
Wilhelm
Jacques
Anthony
Anthony
Dominique
Heine
Marie
Michel
Alexandra
Harald von
Sylvain
Dr. J. Thomas
Janine
Nom de famille
HELLEMANS
HELLEMANS
HÉMOND
HÉMOND
HENRIE
HENTSCHEL
HÉTU
HÉTU
HEUMBER
HIELMCRONE
HIRSCH
HOEREN
HOLLESEN
17
23
01
Loi allemande du 1er novembre 1987 sur la protection des
semi-conducteurs : origine, contenu et problèmes posés [La]
Dépôt légal en Afrique du Sud [Le]
21
23
1
2
3
1
2
3
3
21
05
1
1
04
22
2
3
22
18
1
no
04
Vol.
PREDEC française au miroir des litiges marques – noms de
domaine [La]
Dépôt légal au Danemark – Récents développements :
le moissonnage des sites Internet [Le]
Importations parallèles de produits brevetés [Les]
Commission du droit d’auteur : fonctions et pratiques [La]
Vancouver 2010 : Analyse de la protection renforcée accordée
aux marques olympiques/paralympiques au Canada et
comparaison avec la France
Évolution de la protection juridique en matière industrielle
dans l’Allemagne unifiée [L’]
Adoption du Traité de Singapour sur le droit des marques
Vers une nouvelle Loi sur le droit d’auteur
Marques non traditionnelles dans une perspective de droit
comparé américain, canadien et européen [Les]
Réimpression : une hydre tentaculaire dans le monde de
l’édition internationale au XIXe siècle – Les contrefaçons
belges [La]
Communication internationale en matière de brevets
Titre
021
219
695
071
445
410
553
123
001
245
717
135
Page
1484
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Robert G.
Roger T.
Roger T.
Marc-André
Marc-André
Ibrahim Ahmed
Kamil
Maria J.
H.G.
Sylvia
Maja Bogata
Nathalie
Nathalie
Nom de famille
HOWELL
HUGHES
HUGHES
HUOT
HUOT
IBRAHIM
IDRIS
IGLESIAS PORTELA
INTVEN
ISRAËL
JANÈIÈ,
JODOIN
JODOIN
Cour suprême se penche sur l’interprétation et l’analyse en
contrefaçon des brevets [La]
Nouveauté, activité inventive et utilité en matière de brevet
Héritage culturel imprimé de la Slovénie [L’]
Diversité culturelle en question(s) [La]
Révision judiciaire de la première décision de la Commission
du droit d’auteur en matière de droits de retransmission
Bibliothèques numériques et le droit d’auteur en Europe :
qu’en est-il ? [Les]
Intellectual Property as a Tool for Economic Growth
Évolution de la condition des auteurs étrangers en Égypte
[L’]
Responsabilité des actionnaires, administrateurs et
dirigeants lorsque la compagnie viole des droits de propriété
intellectuelle [La]
Article 6(1) de la Loi sur les dessins industriels : une stratégie
pour réduire les risques de contrefaçon [L’]
Perspective – Après vingt ans [Une]
Libre-échange et la propriété industrielle [Le]
Récents développements dans la commercialisation des
personnages et les droits de la personnalité dans les
juridictions de common law : Crocodile Dundee ; Ninja
Turtles et Ewoks
Titre
13
12
23
18
04
19
16
16
17
10
20
01
07
Vol.
3
3
1
3
2
3
HS
HS
1
1
3
3
2
no
821
659
363
665
245
937
227
209
067
101
709
347
231
Page
Index des auteurs
1485
Prénom
Nathalie
Nathalie
Nathalie
Yann
Isabelle
Dylan
Caroline
Caroline
Caroline
Caroline
Nom de famille
JODOIN
JODOIN
JODOIN
JOLY
JOMPHE
JONES
JONNAERT
JOANNERT
JONNAERT
JONNAERT
Marques de commerce et référencement payant ou
Comment se démarquer sur le web... en quelques mots clés
Régimes de gestion collective sous la loupe : les cinq
meilleures décisions de la Commission du droit d’auteur
du Canada en 2010 [Les]
La décision Robinson c. Cinar : quelle protection pour les
personnages fictifs
Affaire John Stagliano ou les difficultés pouvant être
rencontrées lors de l’exécution d’une ordonnance
Anton Piller [L’]
Droit des radiodiffuseurs sur leurs signaux de
communication et la mise en application de la Convention
de Rome : un biscotto rassis pour le Canada [Le]
Article 5 de la Loi sur les marques de commerce : une espèce
en voie de disparition [L’]
Accès aux médicaments : le système international des brevets
empêchera-t-il les pays du tiers monde de bénéficier des
avantages de la pharmacogénomique
Deux certitudes au Canada : la mort et l’obligation de bien
payer ses taxes de maintien de brevet
Procès séparé sur l’interprétation des revendications d’un
brevet au Canada : la procédure américaine Markman
est-elle la bienvenue ? [Un]
Antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure :
des principes « taillés sur mesure » [L’]
Titre
23
23
22
18
11
14
16
16
16
15
Vol.
3
2
2
3
1
1
1
3
1
1
no
1259
893
335
605
107
257
131
853
279
241
Page
1486
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ian
Ian
Rémy
Rémy
KERR
KERR
KHOUZAM
KHOUZAM
Howard P.
John M.
KERNOCHAN
KNOPF
André
KÉRÉVER
Peter
Gunnar W. G.
KARNELL
Janko
Jean-François
JUTRAS
KLASINC
Jean-François
JOURNAULT
KITE
Prénom
Nom de famille
Gestion collective des droits d’auteur dans la communauté
universitaire canadienne : une alternative au statu quo ? [La]
Héritage culturel imprimé de la Slovénie [L’]
Droit d’auteur des journalistes en Australie [Le]
Portrait de 2009 en quelques décisions intéressantes
sinon « divertissantes » [Un]
Évolution des droits voisins et le réalisateur de son :
(re)définition d’un statut juridique [L’]
Mesures de protection technique : Partie II – Protection
juridique des MPT
Mesures de protection technique : Partie I – Tendances
en matière de mesures de protection technique et de
technologies de contournement
Cent deux ans plus tard : les États-Unis adhèrent à la
Convention de Berne
Droit d’auteur et mondialisation
Moral Rights and Modern Times – The Gradual Obsolescence
of Section 51 of the Swedish Copyright Act
Quelques décisions-clés rendues en 2008 en matière de
règlement des différends de noms de domaine .CA
Mise au secret d’invention suite au dépôt d’une demande
de brevet en vertu du Invention Secrecy Act [La]
Titre
12
23
12
22
13
15
15
02
10
16
21
22
Vol.
1
1
2
2
1
3
2
2
1
HS
2
3
no
095
363
599
369
095
805
575
209
019
255
371
745
Page
Index des auteurs
1487
Prénom
Howard P.
Tarja
Panagiota
Panagiota
Éric
Jacques
Jacques
Christel
Christel
Christel
Nom de famille
KNOPF
KOSKINEN-OLSSON
KOUTSOGIANNIS
KOUTSOGIANNIS
LABBÉ
LABRÈCHE
LABRÈCHE
LACARRIÈRE
LACARRIÈRE
LACARRIÈRE
Conditions, selon le droit communautaire, de l’usage par un
tiers d’une marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la
destination d’un produit ou d’un service [Les]
Public de référence aux fins de l’appréciation de la
dégénérescence d’une marque selon le droit
communautaire [Le]
Conditions de la protection d’une couleur en tant que telle
à titre de marque au regard de la jurisprudence
communautaire [Les]
Nouvelle directive de la Direction des brevets sur la
brevetabilité des logiciels : commentaires ou You’ve come
a long way baby but there’s still a way to go !
Droit pénal en marques de commerce et droit d’auteur :
survol
Accès aux dispositifs de neutralisation des œuvres
verrouillées : une condition nécessaire à l’exercice
d’exceptions au droit d’auteur [L’]
Responsabilité du concédant de licence de marques
de commerce à l’égard de produits défectueux [La]
Copropriété des brevets : une analyse [La]
Extended Collective License – A Practical Example from
Finland
Why Canada Needs Parody Parity and Comedy Comity –
Copyright Control of Canadian Humour
Titre
17
17
16
08
07
14
19
12
16
20
Vol.
3
1
1
2
3
3
1
3
HS
3
no
713
149
299
337
341
741
145
949
263
717
Page
1488
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Christel
Christel
Christel
Christel
Christel
Christel
Patrick
France
France
Mireille
Cedric G.
Diane
Daniel
Nom de famille
LACARRIÈRE
LACARRIÈRE
LACARRIÈRE
LACARRIÈRE
LACARRIÈRE
LACARRIÈRE
LACASSE
LAFLEUR
LAFLEUR
LAFORCE
LAM
LAMARRE
LAMETTI
Auteurs sont-ils des employés ? Certaines réflexions sur la
propriété des droits d’auteur dans le contexte scolaire [Les]
Vis-art droit d’auteur Inc.
Notion de privilège et la pratique de l’agent de brevets
au Canada [La]
Dépôt légal au Québec et les problématiques soulevées au
regard du droit d’auteur à l’ère de l’édition numérique [Le]
SOCAN
CAPAC
Injonction et les ordonnances Anton Piller, Mareva et
Norwich [L’] (compte rendu)
Détermination du degré de similitude entre les marques [La]
Tableaux de concordance et droit communautaire : une mise
au parfum attendue
Marques et produits du tabac : quand la nature des produits
fait obstacle au bénéfice de la renommée
Critères d’appréciation de la publicité comparative en droit
communautaire [Les]
Recevabilité des preuves d’usage produites pour la première
fois devant une Chambre de Recours de l’O.H.M.I. dans le
cadre d’une procédure d’opposition
Nécessaire distinctivité des demandes de marques
communautaires tridimensionnelles [La]
Titre
12
03
12
23
03
01
21
23
22
21
20
19
18
Vol.
1
3
3
1
1
3
2
3
1
1
1
1
2
no
011
373
867
261
125
415
569
1407
125
231
193
331
379
Page
Index des auteurs
1489
Prénom
Madeleine
Louis-Charles
J. Nelson
J. Nelson
Joanie
Marie-Josée
Marie-Josée
Marie-Josée
Marie-Josée
Marie-Josée
Marie-Josée
Nom de famille
LAMOTHE-SAMSON
LANDREVILLE
LANDRY
LANDRY
LAPALME
LAPOINTE
LAPOINTE
LAPOINTE
LAPOINTE
LAPOINTE
LAPOINTE
Lignes directrices de Santé Canada concernant les noms de
produits de santé à présentation et à consonance semblables :
une pilule difficile à avaler ? [Les]
Impact des mesures canadiennes et américaines de contrôle
des exportations sur la recherche et le développement [L’]
Affaire John Stagliano ou les difficultés pouvant être
rencontrées lors de l’exécution d’une ordonnance Anton Piller
[L’]
Vers une reconnaissance de nos produits du terroir
Marques de commerce contre noms commerciaux :
qui sera le gagnant ?
Buvons un dernier verre de champagne canadien
Pools de brevets dans l’industrie biopharmaceutique :
la pertinence d’une utilisation ciblée [Les]
Importations parallèles et la protection d’un réseau de
distribution [Les]
Résumé de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Wayne
John Stewart c. La Reine
De la cassette au point-à-point (peer to peer) – Chronologie
d’une dyspepsie
Conditions d’existence du droit d’auteur ; n’oublions pas
l’auteur et sa créativité ! [Les]
Titre
21
20
18
18
17
17
22
05
01
20
15
Vol.
2
1
3
2
3
1
2
2
1
3
2
no
299
091
605
277
497
119
219
227
111
747
619
Page
1490
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Sébastien
Serge
Philippe
Lorraine
Serge
Jules
François
François
Julie
Julie
Pamela
Annie
Annie
Nom de famille
LAPOINTE
LAPOINTE
LAPORTE
LAQUERRE
LARIVÉE
LARIVIÈRE
LAROSE
LAROSE
LAROUCHE
LAROUCHE
LARREA
LASALLE
LASALLE
Affaire LEGO en Cour suprême : constitutionnalité et
fonctionnalité [L’]
Instruction distincte des questions en litige en Cour fédérale
Protection des producteurs de phonogrammes en droit
international et en droit canadien [La]
Marquage des produits visant la protection de
l’environnement et de la santé du public [Le]
Marque de certification au Canada [La]
Décision Cité Amérique et la titularité du droit d’auteur sur
l’œuvre cinématographique [La]
Auteur des œuvres musicales composées pour un film :
auteur d’une œuvre dramatique ? [L’]
Bibliothèques et la nouvelle loi canadienne sur le droit
d’auteur : un commentaire [Les]
Notion de plagiat scientifique [La]
Impact des mesures canadiennes et américaines de contrôle
des exportations sur la recherche et le développement [L’]
Petite entité peut rester petite ; la grande demeurera
toujours grande [La]
Histoire des brevets [L’]
Plus que prévu ! Évolution des pratiques du Bureau des
marques de commerce en matière de logiciel et de
technologies de l’information
Titre
18
17
06
21
14
15
15
10
08
20
15
12
14
Vol.
2
2
2
3
2
2
1
2
1
1
3
3
1
no
389
395
173
603
625
705
057
351
159
091
1007
633
363
Page
Index des auteurs
1491
Prénom
Sylvie
Chloé
Pascal
Pascal
Jeremy
Marshall
Jean
Caroline
Diane
Diane
Jeannette
Éric
Nom de famille
LATOUR
LATULIPE
LAUZON
LAUZON
LAWSON
LEAFFER
LECLAIR
LECLERC
LEDUC CAMPBELL
LEDUC CAMPBELL
LEE
LEFEBVRE
Idée et de son expression : un concept dépassé ? [De l’]
Mutation numérique : les œuvres produites au moyen du
MIDI et le régime canadien du droit d’auteur [La]
Droit des marques de commerce au Canada : perspectives et
prospectives [Le]
Protocole de Madrid [Le]
Être au parfum : protéger la marque de commerce olfactive
au Canada ?
Constitutionnalité des dispositions de la Loi sur le droit
d’auteur relatives aux droits des distributeurs exclusifs de
livres [La]
Journalistes pigistes à l’ère numérique : réflexions sur
l’affaire Tasini c. New York Times [Les]
Abandon, la mort et la résurrection de brevets et de
demandes de brevet au Canada [L’]
Le partage des profits entre copropriétaires de brevets : Un
survol international – Une réponse pour le Québec ?
Protection des technologies du Web [La]
Contrefaçon et validité d’un brevet – Concurrence déloyale :
commentaire sur l’affaire M.K. Plastics Corporation c.
Plasticair Inc.
Cadre juridique de la gestion collective des droits d’auteur au
Canada [Le]
Titre
07
11
10
09
15
11
12
19
21
12
20
06
Vol.
3
1
1
1
3
1
2
3
1
3
1
3
no
387
623
221
133
865
141
449
989
123
695
205
343
Page
1492
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Jacques A.
Jacques A.
LÉGER
LÉGER
Pierre Paul
Jacques A.
LÉGER
LEMYRE
Jacques A.
LÉGER
Simon
Jacques A.
LÉGER
LEMAY
Éric
LEFEBVRE
Jacques A.
Éric
LEFEBVRE
Catherine
Éric
LEFEBVRE
LEMAY
Éric
LEFEBVRE
LÉGER
Prénom
Nom de famille
Logiciels libres et ouverts : impacts juridiques sur les
utilisateurs québécois
Confusion [La]
Cession d’un brevet au domaine public
Métamorphose de la PI [La]
Lois sur le statut de l’artiste : une approche constitutionnelle
ou l’art de l’ubiquité
Protection des artistes – Droit d’auteur – Droit voisin –
Une autre approche constitutionnelle
Affaire Bishop [L’]
Analyse et évolution des ordonnances Anton Piller et
Mareva au Canada
Amendements à la Loi sur les brevets : une nouvelle
philosophie ? [Les]
Gestion collective du droit d’exécution publique : historique
du tarif de la radio de 1935 à 1977 [La]
Première décision de la Commission du droit d’auteur sur les
droits voisins : un rendez-vous manqué et une stabilisation
législative qui s’impose [La]
Droits des artistes-interprètes sur leur prestation : de la
Convention de Rome au projet de loi C-32 [Les]
Décisions du Tribunal canadien des relations professionnelles
artistes-producteurs visant le droit d’auteur [Les]
Titre
17
14
15
20
05
05
03
02
01
15
13
11
10
Vol.
3
1
3
3
2
1
2
3
1
1
2
1
2
no
597
291
1017
767
267
009
185
377
079
095
363
033
461
Page
Index des auteurs
1493
Prénom
France
France
France
Martin
Danielle
Danielle
Silke v.
Romain
Muriel
André
André
André
Florence
Nom de famille
LESSARD
LESSARD
LESSARD
LETENDRE
LÉTOURNEAU
LÉTOURNEAU
LEWINSKI
LEYMONERIE
LIGHTBOURNE
LUCAS
LUCAS
LUCAS
LUCAS
Vie après la mort : l’œuvre posthume et sa divulgation [La]
Droit international privé et droit d’auteur
Loi applicable aux contrats d’exploitation des droits d’auteur
et des droits voisins [La]
Propriété de l’information après l’arrêt Stewart [La]
Sécurité alimentaire et propriété intellectuelle
Cryptage et droit d’auteur
Legal Presumptions of Transfer of Rights of Audiovisual
Performers in Selected European Countries
Affaire Cohen [L’]
Qui est l’auteur de l’œuvre cinématographique au Canada ?
Brevetabilité et génétique humaine : perspective
internationale du dialogue entre l’Europe et la France
à l’égard de la directive 98/44/CE
« Sélection » de brevets, cuvée 2008
Achalandage résiduel des marques abandonnées :
l’âme d’une marque survit-elle à la mort ? [L’]
Envers et contre tous : l’article 19 de la Loi sur les marques
de commerce est-il vraiment la défense ultime contre toute
action en passing off ?
Titre
19
22
16
02
18
10
16
08
08
13
21
19
18
Vol.
3
3
HS
1
3
2
HS
2
1
3
2
3
2
no
1049
761
289
115
501
407
275
349
011
655
449
1019
291
Page
1494
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Marie
Roy
Ejan
Ejan
Ejan
Ejan
Dennis M.
Delphine
Robert
Anne
Stéphanie
Julian
Nom de famille
LUSSIER
MACHAALANY
MACKAAY
MACKAAY
MACKAAY
MACKAAY
MAGNUSSON
MAILLET
MAINVILLE
MALÉPART
MALO
MALONE
Échantillonnage numérique d’enregistrements sonores
et le droit d’auteur au Canada [L’]
Preuve par sondage en matière de marques de commerce [La]
Dispositions de l’Accord de libre-échange nord-américain
relatives à la propriété intellectuelle et la clause d’exemption
culturelle [Les]
Survol de l’état du droit autochtone en matière de protection
du patrimoine culturel
Numérisation des œuvres de l’esprit [La]
Protection du droit d’auteur pour les œuvres produites par
ordinateur : y a-t-il du neuf depuis qu’Arthur Miller nous a
dit qu’il n’y avait rien de nouveau depuis le rapport final
de la CONTU ? [La]
Édition électronique par et pour la communauté scientifique
[L’]
Économie des droits de propriété émergents sur l’Internet [L’]
Marché du progiciel : licence ou vente ? [Le]
Contrat d’édition de progiciel en Amérique du Nord [Le]
Abandon, la mort et la résurrection de brevets et de
demandes de brevet au Canada [L’]
Loi modifiant la Loi sur le droit d’auteur et les
enregistrements sonores : le Canada dans un contexte
international [La]
Titre
16
13
06
19
10
13
12
09
06
01
19
11
Vol.
2
2
2
1
3
3
1
2
3
3
3
1
no
343
403
139
183
555
695
159
281
402
395
989
075
Page
Index des auteurs
1495
Prénom
A. Sasha
Alessandro
Emmanuel
Ismay
Ismay
Guillaume
Julie
Stefan
Stefan
Stefan
Stefan
Stefan
Stefan
Nom de famille
MANDY
MANNINI
MANOLAKIS
MARÇAIS
MARÇAIS
MARCHAIS
MARONANI
MARTIN
MARTIN
MARTIN
MARTIN
MARTIN
MARTIN
Concurrence déloyale et confiscation des profits en droit
civil québécois : bien mal acquis ne profite pas
Rémunération pour copie privée [La]
Nouveaux recours en contrefaçon suite aux modifications
de 1997 à la Loi sur le droit d’auteur [Les]
Exceptions au droit de reproduction en faveur des milieux
éducatifs [Les]
Couleur ou noir et blanc : une simple question de goût ?
Copie privée [La]
Marques de commerce et référencement payant ou Comment
se démarquer sur le web... en quelques mots clés
Réalités et perspectives européennes et internationalisation
du droit des dessins et modèles industriels
Tirailleur sénégalais de BANANIA : un symbole historique
détaché de la marque [Le]
Logiciels libres face au droit [Les]
Protection des bouteilles par l’entremise de brevets et de
dessins industriels [La]
Protection de marques non enregistrées et autres signes
commerciaux en Italie
Aucune attaque fondée sur la bonne foi n’est permise après la
délivrance d’un brevet : la Cour fédérale d’appel clarifie la
portée de l’alinéa 73(1)a) de la Loi sur les brevets
Titre
14
11
11
04
02
02
23
11
21
17
19
21
23
Vol.
3
1
1
3
3
1
3
2
3
3
2
2
3
no
775
327
219
281
357
027
1259
525
749
737
477
555
1417
Page
1496
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Stefan
Stefan
Stefan
Stefan
Stefan
Stefan
Stefan
Cédric
Randy W.
Christophe
Paul-André
Nom de famille
MARTIN
MARTIN
MARTIN
MARTIN
MARTIN
MARTIN
MARTIN
MARTINEZ
MARUSYK
MASSE
MATHIEU
Franchise et marques de commerce
Limites qu’impose le droit de la concurrence aux contrats de
licence de droits de propriété intellectuelle : étude
comparative du droit canadien, américain et européen [Les]
Biotechnologie, tissu humain et nouveau Code civil du
Québec
Intérêt général et l’accès à l’information en propriété
intellectuelle [L’]
Utilisation d’une marque de commerce « étrangère » sous
l’égide de la Charte de la langue française [L’]
Droit d’auteur en mouvement : chronique de l’année 2008
[Le]
Droit d’auteur en mouvement : chronique de l’année 2007 –
L’interdit d’interdire [Le]
Cuisine en quête d’agents conservateurs : la protection des
créations culinaires [La]
Protection des créations de mode à la lumière de l’arrêt de la
Cour d’appel du Québec dans Import Export René Derhy
(Canada) inc. c. Magasins Greenberg ltée [La]
Rira bien qui rira le dernier : la caricature confrontée au
droit à l’image
Dessin et modèle communautaires : analyse du Règlement no
6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 [Les]
Titre
10
15
06
21
22
21
20
19
17
16
15
Vol.
3
2
1
2
1
3
2
2
2
2
1
no
643
395
099
571
135
629
547
499
263
611
135
Page
Index des auteurs
1497
Prénom
Paul-André
Brigide
Colette
Lionel
Alana
Alana
Anne-Marie
Anne-Marie
Hélène
Hélène
Hélène
Nébila
Jean-Philippe
Nom de famille
MATHIEU
MATTAR
MATTEAU
MAUREL
MAURUSHAT
MAURUSHAT
McSWEEN
McSWEEN
MESSIER
MESSIER
MESSIER
MEZGHANI
MIKUS
Propriété intellectuelle et droit de passage sur Internet :
le droit confronté aux noms de domaine
Protection des logiciels par le droit d’auteur dans certains
pays arabes [La]
Projet de loi C-60 et les exceptions pour le milieu de
l’éducation [Le]
Jean-Paul, Rémi, Bella, Blanche... et une, une souris verte
UNEQ [L’]
Arrêt Lampe Berger c. Pot pourri Accent de la Cour d’appel
et sa portée devant les tribunaux québécois [L’]
Affaire Fortier c. Gestion B. Brisson et associés : l’artiste,
le galeriste et la loi [L’]
Mesures de protection technique : Partie II – Protection
juridique des MPT
Mesures de protection technique : Partie I – Tendances
en matière de mesures de protection technique et de
technologies de contournement
Panorama des systèmes de métadonnées juridiques
et de leurs applications en bibliothèque numérique
Décisions du Tribunal canadien des relations professionnelles
artistes-producteurs visant le droit d’auteur [Les]
Protection des technologies du Web [La]
Clauses de non-concurrence dans les contrats de franchise
ou Qui trop embrasse mal étreint [Les]
Titre
10
10
18
07
02
20
18
15
15
19
10
12
11
Vol.
3
3
1
2
3
1
3
3
2
1
2
3
3
no
623
689
185
219
405
213
619
805
575
241
461
695
701
Page
1498
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Jean-Philippe
Jean-Philippe
Jean-Philippe
Jean-Philippe
Jean-Philippe
Robert
Adam
Adam
Adam
Adam
Nom de famille
MIKUS
MIKUS
MIKUS
MIKUS
MIKUS
MITCHELL
MIZERA
MIZERA
MIZERA
MIZERA
Être agent de brevets et avocat a ses privilèges ? Le secret
professionnel pour un avocat agissant comme agent de
brevets
Cour d’appel fédérale bloque l’importation de la procédure
Markman au Canada, pour l’instant [La]
Deux certitudes au Canada : la mort et l’obligation
de bien payer ses taxes de maintien de brevet
Procès séparé sur l’interprétation des revendications d’un
brevet au Canada : la procédure américaine Markman
est-elle la bienvenue ? [Un]
Réflexion canadienne sur vingt ans de changements
dans les systèmes de brevets
Cinq décisions importantes de l’année 2009 en droit
des marques de commerce
Marques de commerce – Cinq décisions importantes
de l’année 2008
« Emploi » et marques de commerce non enregistrées :
l’affaire BMW devant la Cour d’appel fédérale
Chevauchements de droits en propriété intellectuelle –
Deuxième partie : la cavalcade du droit d’auteur et
du droit des marques de commerce
Chevauchements de droits en propriété intellectuelle –
Première partie : le rodéo du droit des brevets et des
marques de commerce
Titre
17
16
16
16
20
22
21
20
15
14
Vol.
2
3
3
1
3
2
2
1
1
1
no
399
865
853
279
779
403
471
221
167
311
Page
Index des auteurs
1499
Prénom
Adam
Adam
Adam
Adam
Gabrielle
Gabrielle
Charles
Charles
Jean-Frédéric
Philippe
Nom de famille
MIZERA
MIZERA
MIZERA
MIZERA
MOISAN
MOISAN
MORGAN
MORGAN
MORIN
MORIN
Mesures techniques de protection du droit d’auteur – Aperçus
des conséquences possibles en droit canadien : copie pour
usage privé et exceptions au droit d’auteur – Partie I [Les]
Divulgation de l’origine des ressources génétiques :
une contribution du droit des brevets à la protection
de l’environnement [La]
Jumping to iCrave’s Conclusion ? : les amendements proposés
à la disposition sur la retransmission de la Loi sur le droit
d’auteur
Noms de domaine et marques de commerce utilisés sur
Internet : un survol des enjeux actuels d’une perspective
canadienne
Gouvernement doit-il rester propriétaire des brevets
d’invention découlant de ses subventions ? [Le]
Détermination des inventeurs d’une invention [La]
Obtenir un brevet sur une méthode d’affaires au Canada
ne se fait pas simplement en « un clic »
Les propriétaires de dessins industriels se rongeront
moins les ongles suite à une décision sur des limes
Définir un critère d’inventivité pour les brevets :
ce n’est pas évident
À la poursuite du dossier de poursuite : les figures
supprimées d’un dossier de poursuite de brevet canadien
utilisées comme « publications » pour invalider un brevet
américain
Titre
17
17
15
14
23
22
21
21
19
18
Vol.
2
1
1
3
2
3
3
1
3
3
no
277
131
257
793
1027
813
645
241
1155
631
Page
1500
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Sylviane
A. David
A. David
Jason
Jean-Marc
Pierre-Emmanuel Droit des auteurs et droit de la consommation dans le
cyberespace : la relation auteur/utilisateur
Pierre-Emmanuel Noms de domaine : un pavé dans la marque [Les]
Pierre-Emmanuel Parodie [La]
Pierre-Emmanuel Créatures subjuridiques – Les banques de données [Les]
Pierre-Emmanuel Droit d’auteur des journalistes dans l’exercice de leur emploi
[Le]
Pierre-Emmanuel Loi canadienne sur le droit d’auteur doit-elle être repansée ?
[La]
Pierre-Emmanuel Club des cinq et les mystères du droit de la concurrence [Le]
MORRIER
MORROW
MORROW
MOSCOVICI
MOUSSERON
MOYSE
MOYSE
MOYSE
MOYSE
MOYSE
MOYSE
MOYSE
Droit des brevets, demain – Point de vue français [Le]
Revue de décisions canadiennes de PI rendues en 2009-2010
Leçons tirées de la jurisprudence pour le développement de
pratiques exemplaires
Loi canadienne sur les brevets – une prospective [La]
Protection des indications géographiques et des appellations
d’origine : un aperçu des cadres législatifs national et
international [La]
Protection de l’auteur-compositeur dans le cadre du contrat
d’édition musicale [La]
Mesures techniques de protection du droit d’auteur : aperçus
des conséquences possibles en droit canadien : atteinte à la
liberté d’expression – Partie II [Les]
Philippe
MORIN
Titre
Prénom
Nom de famille
21
14
12
12
10
09
09
10
22
10
07
01
18
Vol.
2
2
2
1
3
3
1
1
3
1
3
2
1
no
487
695
359
131
669
425
011
057
793
143
313
173
097
Page
Index des auteurs
1501
Alain
Victor
Victor
Victor
Patrick
Jean-François
Jean-François
Jean-François
Garabed
Garabed
Marcel
MURAD
NABHAN
NABHAN
NABHAN
NACCACHE
NADON
NADON
NADON
NAHABEDIAN
NAHABEDIAN
NAUD
Palmarès jurisprudentiel 2007 en droit du divertissement :
la détermination d’interdits élevée au rang d’art
Statut de petite ou de grande entité d’un breveté/demandeur
au Canada [Le]
OMC se penche sur la Loi sur les brevets du Canada :
deux décisions d’importance [L’]
Pourquoi Médoc n’est plus une appellation générique
au Canada ?
Interaction de la Loi 101 et du droit des marques [L’]
Premiers pas de la jurisprudence relative aux noms
de domaine.ca [Les]
Protection des bouteilles par l’entremise de brevets
et de dessins industriels [La]
Coup d’œil furtif : 20 ans de droit d’auteur sur la scène
internationale : bilan et perspectives
Accord de libre-échange nord-américain et sa mise
en œuvre en matière de droit d’auteur [L’]
Droit d’exposition des œuvres artistiques [Le]
Protection des marques notoires et théorie de la dilution :
une analyse comparative du droit américain et canadien à la
lumière de décisions récentes de la Cour suprême du Canada
Pierre-Emmanuel Coupables par Defoe : Un commentaire de l’affaire
Robinson c. Films Cinar
MOYSE
Titre
Prénom
Nom de famille
20
14
13
17
16
16
19
20
06
03
19
22
Vol.
2
2
2
1
3
2
2
3
1
3
1
1
no
579
709
487
157
723
577
477
795
009
305
015
043
Page
1502
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Marcel
Cate
Laurier Yvon
Laurier Yvon
Laurier Yvon
Laurier Yvon
Laurier Yvon
Tomek
Wilhelm
Clémence
Clémence
Nom de famille
NAUD
NEWTON
NGOMBÉ
NGOMBÉ
NGOMBÉ
NGOMBÉ
NGOMBÉ
NISHIJIMA
NORDEMANN
NORMAND
NORMAND
Réguler le commerce électronique par la résolution des
litiges en ligne : une approche critique
Revendication d’ancienneté dans la marque communautaire :
une question stratégique qui révèle de grands enjeux [La]
New Imperative Contract Rules Implemented Into the
German Copyright Law
Reproduction de l’objet utilitaire vis-à-vis le droit d’auteur :
un interdit ? [La]
Protection du folklore dans le Protocole de Swakopmund
adopté par l’ARIPO (African Regional Intellectual Property
Organization) [La]
Loi dite « Création et Internet » ou Le législateur français
et le casse-tête technologique [La]
Nouvelle séquence jurisprudentielle dans la confrontation
MTP vs copie privée : l’affaire Mulholland Drive devant la
Cour d’appel de Paris statuant sur renvoi
Mesures techniques de protection versus copie à usage privé :
fin du feuilleton en France ?
Oeuvre audiovisuelle dans les États de l’Organisation
africaine de la propriété intellectuelle (OAPI) [L’]
Bibliothèque nationale d’Écosse : le dépôt légal dans une
administration décentralisée [La]
Survol de cinq décisions d’intérêt en matière de noms de
domaine en 2010
Titre
18
18
16
20
23
2
2
HS
2
2
3
3
19
21
3
2
1
2
no
18
17
23
23
Vol.
437
319
309
257
941
657
1167
531
337
083
923
Page
Index des auteurs
1503
Caroline G.
Caroline G.
Caroline G.
François
François
François
Maxime
OUELLET
OUELLET
OUELLET
PAINCHAUD
PAINCHAUD
PAINCHAUD
PANACCIO
Incidences de la faillite sur la propriété intellectuelle
Gouvernement doit-il rester propriétaire des brevets
d’invention découlant de ses subventions ? [Le]
Cour supérieure de l’Ontario se prononce sur l’obligation
d’une partie contractante à verser des royautés [La]
Survivance des obligations des licenciés à l’expiration ou
l’invalidation d’un brevet et la divulgation des secrets de
commerce [La]
Œuvre créée ou non créée en collaboration ?
Là est la question... L’arrêt Drapeau c. Girard
Où en est la protection des droits connexes au droit
d’auteur ? Partie II – Textes nationaux
Où en est la protection des droits connexes au droit
d’auteur ? Partie I – Les textes internationaux
Animaux sont-ils brevetables ? L’opinion d’un agent
de brevets [Les]
Fansubbing et droit d’auteur : le sous-titrage par les fans
d’œuvres protégées est-il légal ?
Thierry
Sulliman
OMARJEE
De la copie à l’anticopie, réflexions sur un droit d’auteur
en pleine mutation...
ORLHAC
Sulliman
OMARJEE
Appellations d’origine en France [Les]
Sommaire de l’enquête menée auprès de tous les États
membres qui ont ratifié les deux traités WCT et WPTT
de l’OMPI
Norbert
OLSZAK
Titre
OMPI
Prénom
Nom de famille
15
23
20
19
16
16
15
09
16
17
17
19
Vol.
2
2
1
3
3
1
3
3
2
1
1
2
no
475
1027
231
1069
875
185
905
413
605
177
165
519
Page
1504
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Nicolas
Nicolas
Nicolas
Nicolas
Nicolas
PELÈSE
PELÈSE
PELÈSE
PELÈSE
PELÈSE
Serge
PARISIEN
Louis
Serge
PARISIEN
Nicolas
Jean-Philippe
PARÉ
PELÈSE
Jean-Philippe
PARÉ
PAYETTE
Prénom
Nom de famille
Marque communautaire et mauvaise foi : quand la CJCE
nous pose un lapin – Commentaire sur l’affaire
Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG c. Franz
Hauswirth GmbH (CJCE Aff. C-529/07, 11 juin 2009)
Analyse des conditions de refus des marques constituées de
termes géographiquement descriptifs – L’arrêt du TPICE
dans l’affaire Port Louis
De l’autonomie des motifs absolus de refus des marques non
distinctives
Modèles réduits et marques automobiles : réduction des
droits des constructeurs ?
Diversité linguistique et acquisition du caractère distinctif
par l’usage au Benelux
Nécessaire protection des entreprises cessionnaires de
marques constituées de noms patronymiques [La]
Hypothèque grevant une invention non brevetée
Secrets commerciaux face aux impératifs de transparence
de l’État (la communication des renseignements à valeur
économique sous la Loi sur l’accès à l’information du
Québec) [Les]
Secrets commerciaux face aux impératifs de transparence de
l’État (la protection des renseignements à valeur économique
sous la Loi sur l’accès à l’information du Québec) [Les]
Dépôt légal au Québec et les problématiques soulevées au
regard du droit d’auteur à l’ère de l’édition numérique [Le]
International Copyright Law and Policy (compte rendu)
Titre
21
21
21
19
19
18
3
2
1
3
1
3
3
3
10
14
2
1
2
no
10
23
21
Vol.
749
547
253
1175
341
643
889
601
485
261
577
Page
Index des auteurs
1505
Prénom
Nicolas
Nicolas
Nicolas
René
René
René
René
René
René
René
René
René
René
Nom de famille
PELÈSE
PELÈSE
PELLEMANS
PEPIN
PEPIN
PEPIN
PEPIN
PEPIN
PEPIN
PEPIN
PEPIN
PEPIN
PEPIN
Loi sur le droit d’auteur et les appareils de reproduction
mécanique [La]
Autre gadget ! Encore ? Cette fois, c’est la « slingbox » [Un]
La notion d’autorisation en droit d’auteur : un concept
insaisissable ?
Interdiction de plus d’un siècle : les droits des artistes,
interprètes et compagnies de disques, du néant aux « droits
voisins », jusqu’aux « droits d’auteur » [Une]
Fonction « Search Inside this Book » du logiciel de la librairie
Amazon est-elle légale ? [La]
Conversations et entrevues sont-elles protégées par le droit
d’auteur [Les] ?
Téléréalité et droit d’auteur
Échange de fichiers musicaux par Internet :
où en sommes-nous à la fin de l’année 2002 ? [L’]
Affaire CCH devant la Cour fédérale d’appel : le droit de
reproduire la documentation juridique est limité [L’]
Et si Napster était une compagnie canadienne ?
Où faut-il obtenir une protection par brevet ?
Marques et noms de famille : assouplissement des critères
d’évaluation du risque de confusion [Les]
Exception de miniature ou quand les principes généraux du
droit des marques limitent la protection conférée par celles-ci
[L’]
Titre
23
22
21
20
19
18
16
15
15
14
12
23
22
Vol.
2
1
1
2
1
1
3
3
1
2
3
2
2
no
955
075
163
475
277
141
741
947
269
671
887
1035
447
Page
1506
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Nadia
Nadia
Nadia
Nadia
Élodie
Chloé
Mark
Serge
Serge
Serge
Isabelle
Marie
Marie
Nom de famille
PERRI
PERRI
PERRI
PERRI
PETIT
PHAM VAN HOA
PHILLIPS
PICHETTE
PICHETTE
PICHETTE
PILLET
PINSONNEAULT
PINSONNEAULT
Protection pour le monde des vivants [Une]
Votre numéro de téléphone est-il enregistré à titre de marque
de commerce ? L’affaire Pizza Pizza Limited
Enregistrement de la marque notoire : réflexions pratiques et
théoriques [L’]
Évolution de la notion d’activité inventive comme condition
de brevetabilité d’une invention et de validité d’un brevet [L’]
Licence et exploitation : concession et licence
Contrats de transferts de technologie [Les]
Électronique juridique et juridisme électronique
Têtu et « Les Jeux olympiques du sexe »
Peut-on breveter les séquences EST sans gêne
Cour supérieure de l’Ontario se prononce sur l’obligation
d’une partie contractante à verser des royautés [La]
Survivance des obligations des licenciés à l’expiration
ou l’invalidation d’un brevet et la divulgation des secrets
de commerce [La]
Droit des brevets et droit de la concurrence : une cession
de brevets peut-elle être considérée comme un acte
anticoncurrentiel au sens de l’article 45 de la Loi sur
la concurrence ?
Pensez avant, prétendez après : les conséquences
de la décision Elomari c. Agence spatiale canadienne
Titre
03
02
14
20
12
10
20
22
13
20
19
18
17
Vol.
1
2
1
3
3
1
1
2
2
1
3
2
2
no
055
263
335
809
975
261
155
457
435
231
1069
399
411
Page
Index des auteurs
1507
Prénom
Marie
Marie
Frédérick
Florence-Marie
Sylvi
Sylvi
James
James
Gianluca
Gianluca
Frédéric
Ariane
Nom de famille
PINSONNEAULT
PINSONNEAULT
PINTO
PIRIOU
PLANTE
PLANTE
PLOTKIN
PLOTKIN
POJAGHI
POJAGHI
POLLAUD-DULIAN
PORCIN
Droit botté ! [Le]
Pour le droit moral
Nouvelle mesure législative concernant la titularisation et la
commercialisation en Italie des droits audiovisuels sportifs et
la distribution des ressources de ces droits
Journaliste auteur et travailleur [Le]
Il existe maintenant un domaine .XXX pour les sites
pornographiques, mais on ne sait trop qui le voulait et
pourquoi
Analyse du règlement Google Books et son rejet par un
tribunal de New York
Nouvelles exceptions en droit d’auteur canadien : un faux
débat [Les]
Sort du droit d’auteur dans le cadre des nouvelles
technologies de diffusion [Le]
Auteur, futur actionnaire de la société de l’information [L’]
Quotidiens ont-ils le droit d’inclure leurs articles sur des
bases de données ? Les conséquences de l’arrêt Robertson
[Les]
Problématique nouvelle : les marques de commerce et
l’Internet
Noms commerciaux vs marques de commerce...
Un monde de confusion
Titre
22
07
21
12
23
23
11
08
14
17
09
07
Vol.
1
1
1
2
3
3
1
1
3
1
1
2
no
099
008
263
507
1439
1427
175
079
829
185
125
259
Page
1508
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Annick
Geneviève M.
Richard
Vincent-Joël
Marianne
Serge
Alain
Antoon A.
Antoon A.
Jennifer
Michel
Nom de famille
POULIN
PRÉVOST
PRICE
PROULX
PROULX
PROVENÇAL
PRUJINER
QUAEDVLIEG
QUAEDVLIEG
QUAID
RACICOT
Réforme du droit d’auteur au Canada – Projet de loi C-60 –
Les programmes d’ordinateurs – Comparaison avec le droit
américain [La]
Quelques développements récents en droit de la concurrence
[De]
Salaire, profit, propriété intellectuelle : observations
générales sur le droit du travail, le droit de la propriété
intellectuelle et le droit des sociétés
Théâtre-laboratoire au laboratoire du droit : la liberté du
metteur en scène [Le]
Propriété intellectuelle et arbitrage : quelques réflexions
après l’arrêt Caillou
Affaire CTV Television Network Ltd. c. Commission du droit
d’auteur ou Le droit d’exposer ses œuvres musicales [L’]
Notion d’emploi en association avec des services : la décision
dans Express File Inc. c. HRB Royalty Inc. [La]
Droit qui laisse sa marque (de commerce), même dans le
cyberespace : peut-on transposer au web les règles terrestres
de propriété intellectuelle ? [Un]
Dépôt légal au Royaume-Uni
Loi canadienne sur les brevets – une prospective [La]
Plus que prévu ! Évolution des pratiques du Bureau des
marques de commerce en matière de logiciel et de
technologies de l’information
Titre
01
22
11
21
16
03
18
16
23
10
14
Vol.
1
2
3
3
HS
1
1
3
1
1
1
no
049
317
729
673
321
107
195
767
313
143
363
Page
Index des auteurs
1509
Prénom
Michel
Michel
Bodoarimanana
Christian
Martine
Hugues G.
Hugues G.
Hugues G.
Gabriel Ernesto
Larrea
Camille
André
Georges T.
Annie
Nom de famille
RACICOT
RACICOT
RAMBAHASINA
RECHT
RENAUD
RICHARD
RICHARD
RICHARD
RICHERAND
RIDEAU
RIVEST
ROBIC
ROBITAILLE
Protection des indications géographiques et des appellations
d’origine : un aperçu des cadres législatifs national et
international [La]
Usage de la marque d’autrui qui n’entraîne pas de confusion
Vendre par le sexe : examen sommaire des limites légales
à la représentation du sexe dans la publicité
Résolution des litiges en droit de la propriété intellectuelle
(Compte rendu)
Reflections on Cultural Diversity, Issues in Mexico and the
International Agreement on Cultural Diversity
Droit d’auteur des journalistes dans l’exercice de leur emploi
[Le]
Demande à l’enregistrement : les méandres du Bureau du
registraire des marques de commerce [De la]
Constitutionnalité de l’alinéa 7 b) de la Loi sur les marques
de commerce [De la]
Dépôt légal et les questions de droit d’auteur –
Bibliographie générale [Le]
Dépôt légal en Autriche [Le]
Dépôt légal et le droit d’auteur à Madagascar [Le]
Agaguk : un nouveau conflit fédéral-provincial ?
Protection des logiciels en droit canadien [La]
Titre
07
04
20
23
16
12
06
01
23
23
23
04
02
Vol.
3
3
2
3
HS
2
1
2
1
1
1
3
2
no
313
383
499
1443
349
359
107
229
641
041
211
401
147
Page
1510
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Annie
Philippe
Philippe
Philippe
Philippe
Philippe
Marshall
Nicolas
Nicolas
Nicolas
Marion
Virginie
Ghislain
Nom de famille
ROBITAILLE
RODHAIN
RODHAIN
RODHAIN
RODHAIN
RODHAIN
ROTHSTEIN
ROUART
ROUART
ROUART
ROUCOU
ROUSSEAU
ROUSSEL
Loi pour les créateurs... sur les contrats de diffusion [Une]
Justifications philosophiques de la protection du logiciel
par le copyright [Les]
Protection des marques sur Internet [La]
Gestion collective et les règles européennes de concurrence
[La]
Déclin ou renouveau de la Convention de Berne
Harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur
et de certains droits voisins : présentation et critique de
la directive du Conseil des Communautés européennes
Memories
Marques vinicoles : « La Vie de Château ? »
Procédures alternatives de résolution des litiges en .fr
Émergence d’une nouvelle tendance [Les]
Libéralisation du « .fr » : suppression du droit au nom
Marque internationale : l’espagnol au sein du système
de Madrid
Judicieux équilibre entre harmonisation et intérêts
culturels – Nouvelle législation néo-zélandaise relative
aux marques
Perspective sur les marques de commerce tridimensionnelles
[Une]
Titre
01
16
19
09
07
06
20
22
17
16
16
16
13
Vol.
2
1
2
2
2
3
3
1
1
3
3
2
1
no
259
233
709
309
277
417
145
197
891
885
567
227
Page
Index des auteurs
1511
Prénom
Ghislain
Ghislain
Ghislain
Ghislain
Ghislain
Ghislain
Sébastien
Gilles de
Bertrand
Trina K.
Pierre
Élisabeth
Gérard
Henri
Sophie
Nom de famille
ROUSSEL
ROUSSEL
ROUSSEL
ROUSSEL
ROUSSEL
ROUSSEL
ROY
SAINT-EXUPÉRY
SALVAS
SARIN
SAVOIE
SCHLITTLER
SCHUIJT
SÈNE
SEPETJAN
Dépôt légal en France [Le]
Dépôt légal et la législation sur le droit d’auteur au Sénégal :
Évolution historique et situation actuelle [Le]
Droit d’auteur des journalistes aux Pays-Bas [Le]
Société des auteurs et compositeurs dramatiques, S.A.C.D.
Encadrement de la publicité de boissons alcooliques au
Canada [L’]
Protection des technologies du Web [La]
Gestion collective à l’heure de l’Internet [La]
Droit des utilisateurs en droit d’auteur canadien
Sites Web contrefacteurs : les dangers de l’application
rigoriste de la Loi sur le droit d’auteur
Nouveaux services et la protection de radiodiffuseurs
en droit d’auteur [Les]
Dépôt légal et le droit d’auteur – État de situation et étude
comparative [Le]
Sport et propriété intellectuelle (compte-rendu)
Cahiers, une jeune adulte pétante de santé [Les]
Environnement numérique et les traités de l’OMPI sur
le droit d’auteur et sur les prestations, exécutions et
phonogrammes [L’]
Droit d’auteur... c’est aussi chinois [Le]
Titre
23
23
12
02
19
12
13
22
15
23
23
22
20
09
03
Vol.
1
1
2
1
2
3
1
3
2
2
1
3
3
3
3
no
169
331
495
135
551
695
139
777
653
1061
383
827
831
491
367
Page
1512
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Prénom
Irena
Todd H.
Asim
Asim
Asim
Asim
Asim
Asim
Pierre
Michel
Michel
Barry B.
Barry B.
Nom de famille
SEŠEK
SHUSTER
SINGH
SINGH
SINGH
SINGH
SINGH
SINGH
SIRINELLI
SOFIA
SOLIS
SOOKMAN
SOOKMAN
Opinion d’un étranger sur le droit américain régissant
la protection des logiciels par le droit d’auteur
Création assistée par ordinateur d’œuvres protégées
par le droit d’auteur
Plus que prévu ! Évolution des pratiques du Bureau
des marques de commerce en matière de logiciel et de
technologies de l’information
Introduction au PCT et comment en tirer profit
Droit d’auteur : un facteur clé pour le développement
de la société de l’information ? [Le]
Droit d’auteur, copie privée et responsabilité pénale
Protection du titulaire de la marque contre la parodie :
évolutions récentes [La]
Contrat de commande d’œuvre d’esprit en droit français
Observations relatives aux arrêts ESSO c. Greenpeace et
SPCEA c. Greenpeace
Protection par le droit d’auteur d’un titre d’une œuvre
étrangère dans le cadre de la Convention de Berne
Oeuvres de l’esprit créées par plusieurs personnes en droit
français [Les]
Affaire Campbell c. Acuff-Rose Music, Inc. et la défense
du fair use [L’]
Héritage culturel imprimé de la Slovénie [L’]
Titre
09
02
14
07
17
19
17
16
16
15
10
07
23
Vol.
2
2
1
3
2
1
1
3
1
2
3
2
1
no
203
187
363
429
357
349
203
897
309
711
581
287
363
Page
Index des auteurs
1513
Prénom
Bob H.
Bob H.
Bob H.
Bob H.
Paolo
Giovanna
Katherine
Alexandra
Alexandra
Alexandra
Alexandra
Andy
Alain
Nom de famille
SOTIRIADIS
SOTIRIADIS
SOTIRIADIS
SOTIRIADIS
SPADA
SPATARO
STACHROWSKI
STEELE
STEELE
STEELE
STEELE
STEPHENS
STROWEL
Licences non volontaires et socialisation du droit d’auteur :
un danger ou une nécessité ?
Dépôt légal au Royaume-Uni
Protection de l’arrangement visuel de livres, disques, revues
et films en vertu de la concurrence déloyale [La]
Téléchargement non autorisé d’œuvres musicales : tel pourra
être pris qui croyait prendre...
Péripéties d’un manuscrit... [Les]
Critère d’originalité en matière de dessins industriels
au Canada [Le]
Autre jugement sommaire en matière de brevet : Calgon
Carbon Corporation c. La Corporation de la Ville de North
Bay et Trojan Technologies [Un]
BOJANGLES : Quand être connu ne suffit plus
Performance d’antan et voyage dans le temps du droit
exclusif des artistes-interprètes
Prise de garanties en matière de propriété intellectuelle [La]
Calcul des profits pour violation de brevet [Le]
Droit pénal en marques de commerce et droit d’auteur :
survol
Esthétisme et utilité : une relation non protégée
Titre
03
23
18
17
16
14
18
18
13
14
12
07
04
Vol.
2
1
2
3
1
3
1
3
1
2
3
3
2
no
161
313
329
725
291
855
203
653
191
581
825
341
211
Page
1514
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Droits d’auteur et accès à l’information : de quelques
malentendus et vrais problèmes à travers l’histoire et les
développements récents
Alain
Alain
Alain
Benoît
Monique
Monique
Stella
Stella
Stella
Christian S.
Christian S.
George
STROWEL
STROWEL
STROWEL
ST-SAUVEUR
SULLIVAN
SULLIVAN
SYRIANOS
SYRIANOS
SYRIANOS
TACIT
TACIT
TAKACH
Agaguk : un nouveau conflit fédéral-provincial ?
Mesures de protection technique : Partie II – Protection
juridique des MPT
Mesures de protection technique : Partie I – Tendances en
matière de mesures de protection technique et de
technologies de contournement
Enregistrabilité de la couleur et de la forme des comprimés
[L’]
Protection de la bouteille et les marques de commerce au
Canada : est-ce qu’on marche sur du verre cassé ? [La]
Marques officielles en vertu de l’alinéa 9(1)n)(iii) de la
Loi sur les marques de commerce : marques invincibles
ou invulnérables ? [Les]
Critère d’utilité et la règle de la prédiction valable [Le]
Antériorité découlant d’une vente ou utilisation antérieure :
des principes « taillés sur mesure » [L’]
Emploi de la marque : un concept à réexaminer
Œuvre du juriste, un travail de qualification – L’exemple
des jeux de télé-réalité [L’]
Loi du 31 août 1998 concernant la protection des bases
de données [La]
Titre
Prénom
Nom de famille
04
15
15
16
19
14
15
15
16
16
13
12
Vol.
3
3
2
2
2
1
3
1
2
HS
1
1
no
401
805
575
589
603
397
1023
241
489
357
197
185
Page
Index des auteurs
1515
Prénom
Ûlle
Normand
Normand
Normand
Normand
Alexandre
Mélisa
Lionel
Elena
Pierre
Paul L.C.
Paul L.C.
Nom de famille
TALIHÄRM
TAMARO
TAMARO
TAMARO
TAMARO
TESSONNEAU
THIBAULT
THOUMYRE
TIRZIMAN
TISSEYRE
TORREMANS
TORREMANS
Oeuvres retrouvées ou restaurées en droit d’auteur :
l’affaire H