Florin Callerand

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Florin Callerand
Florin CALLERAND
1917-1998
Infatigable marcheur, Florin Callerand n’eut guère le loisir de se retourner
pour voir le chemin parcouru tant l’ardeur le tendait en avant.
Ce ne fût qu’à la croisée des chemins et surtout quand la durée des étapes
s’écourtait en raison des "croissances par diminutions", qu’il fit une
relecture de quelques évènements importants de son existence. Elle donne
la sonorité de son âme.
D’ABORD UNE HISTOIRE DE FEMMES !
"Quinze jours après ma venue au monde, prématuré de 3 semaines, j‟allais
mourir. Le médecin venait de partir ne laissant aucun espoir. Ma mère m‟a
pris dans ses bras et m‟a emmené à l‟église ; elle m‟a déposé sur l‟autel de
Saint Michel, dédié à Notre-Dame-de-Lourdes, disant à la Sainte Vierge :
"Tenez, je vous le donne, il est perdu, faites-en ce que vous voulez !"
Maman est partie au fond de l‟église, du côté des femmes, près des fonds
baptismaux où, le jour de ma naissance, le 17 juillet 1917, j‟avais été
baptisé. Elle a prié... une prière de pauvre femme qui perd son gosse !
Au bout d‟un quart d‟heure, j‟ai crié. Ma mère s‟est précipitée vers l‟autel,
elle m‟a emporté à la maison, vivant !"
Et il ajoutait avec un sourire : "depuis je n‟ai pas arrêté".
"Cet événement, maman ne me l‟a raconté qu‟à l‟âge de 84 ans, dans son
fauteuil rouge, alors que je venais, quinze jours avant sa mort, de lui donner
le Sacrement des malades. Elle n‟avait pas voulu m‟influencer, me disait-elle
alors, dans le choix de ma vocation...
Mais, j‟ai toujours été frappé de constater que, tout au long de ma vie,
j‟avais un “faible” qui était un fort penchant pour la Sainte Vierge. Quelque
chose était établi entre nous qui était encore plus intense que ce que je
ressentais pour ma mère... Ainsi naissent, sans doute, les charismes
mariaux !"
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LE JARDIN DES PETITES SOURCES
"C‟est toujours à Maîche, au n° 2 de la rue de Malseigne, dans le jardin de
notre nouvelle maison, chez l‟oncle Léon, que j‟ai reçu sans comprendre,
évidemment, qu‟il s‟agissait de ma prédestination, l‟apparition de ma
vocation essentielle à la vie mystique la plus biblique et d‟en rendre
témoignage de mille façons et inventions au cours de l‟Annonce de la Parole
de Dieu, tout au long de mon existence. J‟en vis aujourd‟hui encore, en
déploiement, plus que jamais.
C‟était la fin de l‟hiver 1921. Il y avait du soleil. La neige fondait sur les
toits. Ça coulait partout. Je suis allé dans le jardin avec mon seau, ma pelle
d‟enfant. J‟ai été alors captivé par une petite résurgence d‟eau de fonte, au
pied d‟une pierre. Ça bouillonnait. Je la vois encore. Je ne savais pas ce
qu‟était une source. Un mystère devant moi, c‟est comme si cela me parlait
du dedans et me disait “Viens” !
J‟étais attiré, j‟ai regardé de près, de tout près. C‟était beau, c‟était bon.
J‟étais heureux. Je n‟avais jamais vu ça, un bouillonnement qui n‟en finissait
pas. Ça sortait. Ça sortait encore. J‟ai gratté, creusé. Ça devenait sale, puis
j‟attendais et rapidement, ça devenait propre. J‟ai recommencé. J‟en ai bu
en mettant le nez dedans. C‟était glacé, mais je n‟avais pas froid tellement
c‟était captivant. Mais pourquoi, pourquoi est-ce que ça venait sans arrêt ?
Je cherchais, ne trouvais pas. J‟étais barbouillé, mouillé, mais heureux
comme je ne saurais dire.
Levant les yeux, je vois une autre petite source au pied d‟une autre pierre,
puis encore une autre. J‟y cours. Ça faisait la même chose. Je n‟ai pas
compté, mais sur la pente du sentier du jardin, il y en avait beaucoup. Alors,
j‟en ai vu partout. Ça bouillonnait ici, là. Les groseilliers bouillonnaient, les
maisons voisines, la boulangerie, le fournil de l‟oncle Léon, les murs, les
arbres fruitiers de l‟autre côté, tout bouillonnait, mon petit seau, ma pelle et
moi aussi ; c‟était un bonheur fou, je riais, chantais : “Y en a toujours par
dessous !” Ça montait du dedans, puis ça courait plus loin. J‟avais beau
salir, en les remuant, les petites sources... en un rien de temps, ça
redevenait propre... Je n‟en revenais pas !
Cette expérience d‟enfant, sans que je le sache évidemment, me donnait le
thème unique de toutes mes prédications de prêtre, la Présence universelle,
permanente, concrète aussi de Dieu créant par-dedans et que, finalement,
aucun péché, aucun dérèglement ne peut, ni supprimer, ni abîmer
définitivement. Le sens positif de l‟Être et de sa Création naissait en moi...
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Mais j‟étais dans un état ! Rentrant à la maison, j‟ai reçu une de ces
fessées, des reproches ! Mais j‟étais si heureux que j‟y retournai ! J‟étais
heureux à l‟Infini ! J‟ai reçu quatre fessées de plus en plus vigoureuses.
Si ma mère avait pu supposer qu‟elle contribuait à faire rentrer en moi
l‟Essentiel, et à bien fonder ainsi les retraites fondamentales ! O humour de
Dieu !"
"C’EST LA TA PLACE"
"C‟est dans cette même église de Maîche que, le 9 septembre 1934, j‟ai
vécu quelque chose d‟absolument déterminant pour ma vie de futur prêtre.
Fraîchement bachelier, j‟étais sorti du petit séminaire avec une révolte
profonde vis-à-vis de l‟Église, bien décidé à ne pas rentrer au grand
séminaire, comme on disait alors “à ne pas continuer”...
Je m‟en étais ouvert à ma mère. Elle me dit simplement que je devrais aller
faire une „visite au Saint Sacrement‟. Pour lui faire plaisir, je m‟y rendis et
m‟installai dans la stalle droite du chœur, avec bien sûr l‟autel marial dans
le dos, à gauche.
Je regardais l‟autel principal surmonté de son retable doré XVIII ème siècle.
Au bout d‟un moment, c‟est curieux, le Christ en ivoire s‟est comme animé,
comme grandi. Je n‟ai pas vu de mouvement, mais la plaie du côté s‟était
élargie, beaucoup, et c‟était comme si j‟entendais une voix, disant sans
paroles articulées : “C‟est là ta place, voilà ta place, veux-tu vivre avec
Moi ?” J‟étais ébranlé, bouleversé. Je ne me souviens pas d‟avoir dit une
parole. Mais il paraît que j‟étais rayonnant de joie, de beauté, quand je suis
rentré à la maison. Maman m‟a pris dans ses bras et m‟a dit : “Je sais !”
Ces trois expériences imprègneront sa sensibilité mystique : sens poétique
de la création constante, théologie johannique et mariale.
"J’AI APPRIS LA LIBERTE DERRIERE LES FILS BARBELES"
Quand il parlait de son temps de séminaire, Florin Callerand disait :
"Le style humain et religieux ne s‟accordaient pas à mon élan profond. J‟en
ai gardé un certain malaise dans les assemblées de prêtres. Pourtant je les
aime bien !"
Ce temps de formation fut interrompu par la guerre et cinq années de
captivité où "il apprit la liberté derrière les barbelés".
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L'expérience de forte camaraderie, de partage de la parole, l'imprégnait
d'authenticité jusqu'au témoignage de la foi. Ainsi il avait séparé tous les
livrets d'un Nouveau Testament, qu'il avait dissimulés dans son manteau,
les remettant à ceux qui en avaient le désir, organisant ainsi déjà avec eux
de petites conférences. Il découvrait la simplicité de ces messes de camp
réduites à l'essentiel. La souffrance des hommes (il travaillait dans un
hôpital), les drames de la vie avaient trempé l'homme.
L’AVENTURE DE LA ROCHE D’OR
A son retour au séminaire, il retrouva les stagnations d’antan alors il
s’inscrivit en faculté de médecine. Mais l’archevêque de Besançon,
Mgr Dubourg, avait discerné la valeur de cet homme. Il l’ordonna prêtre le
21 décembre 1946. Il le prit comme secrétaire puis comme confesseur.
C’est à cette époque qu’il rassembla les réactions des évêques de la région
apostolique concernant l’intention du Pape Pie XII de proclamer le dogme
de l’Assomption. Tout un travail théologique souterrain se faisait en lui.
Le 1er novembre 1950, jour de la proclamation du dogme, dans l’aprèsmidi, priant son chapelet, il reçut la grâce de comprendre que le mystère
de l’Assomption de Marie était celui de sa visitation permanente en Christ
au cœur des consciences.
Après la guerre et l’occupation, le diocèse avait besoin d’un renouveau
dans la formation des prêtres et des chrétiens. En 1950, Mgr Dubourg
nomma l’abbé Callerand, directeur de la Villa St Charles et l’envoya à
Chateauneuf de Galaure, s’entretenir avec Marthe Robin. Devant cette
première démarche officielle d’un évêque, Marthe Robin s’écriera,
s’adressant au Père Finet : "O père, c‟est la grâce de Jésus pour l‟année
sainte !"
L’année 1951 marquera le début des retraites au sein d’une communauté
témoignante selon l’esprit des Foyers de Charité. En 1954, Mgr Dubourg
vécut ses derniers jours, assisté par lui. Avant de mourir, l’archevêque qui
avait compris sa largeur de vues, lui dit : "Va donc voir du côté de la Roche
d‟Or, là il y a du soleil !"
La Roche d’Or fut achetée en 1954, par suite d’une occasion providentielle
et dans un acte audacieux d’espérance. Dès lors Florin commença
d’édifier ; tour à tour, homme de mortier, homme de livres, et toujours
homme d’oraison. Il entraîna une famille innombrable de bénévoles
généreux, d’artisans et d’artistes. Autour de la chapelle, un village se
construisit pour les retraitants.
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Commencées en 1960, les retraites de la Roche d’Or se multiplièrent.
Florin en anima 4 en 1961, 28 en 1966. En 1998, une circulaire fut envoyée
à 30000 anciens retraitants parfois très éloignés. Retraites fondamentales,
retraites d’approfondissement, retraites en Terre Sainte, la Roche d’Or
devint ainsi un centre spirituel pour toutes couches de la société.
LE TEMPS DES EPREUVES
Florin avait assez tôt pressenti les immobilismes d’une théologie
sacralisante. Il trouvait un air plus respirable chez les expérimentateurs de
Dieu notamment St Jean de la Croix et Thérèse d’Avila. Mais il sentait qu’il
fallait inventer pour aujourd’hui et retrouver quelque chose du printemps
galiléen.
Les pèlerinages en Terre Sainte –nombreux- l’amenèrent à découvrir avec
passion le renouveau apporté par la théologie biblique.
Cet incessant renouvellement inquiétait ceux qui étaient plus
conventionnels. Florin dut prendre les risques de sa liberté. Il ne voulait
pas que l’on canalise trop tôt les sources, que l’on freine les "imprévisibles"
de l’inspiration et encore moins sacraliser les emphases.
LE DON DES RELATIONS DE GRACE
En 1979, la Providence lui amena et lui fit voir ce qu’apportait l’élan total et
limpide de Françoise Porte : son sens de la cohérence. Touchée par la
prédication, elle lui dit un jour : "Si votre parole ne s‟incarne pas dans un
peuple, vous êtes un menteur". Florin reconnut qu’en dehors de la générosité
au travail, il ne savait pas faire une communauté.
"Partage des biens matériels et spirituels", disait Marthe Robin. Partage des
biens matériels, c’est facile surtout quand il n’y en a pas… Le partage des
biens spirituels suppose qu’on se parle ! Ce fut comme un printemps.
Chacun découvrait son âme fraternelle y compris Florin : le "Père" devint
frère. La personnalisation devint le lieu de l’inspiration de la parole.
Beaucoup de changements suivirent qui amenèrent progressivement la
communauté à entrer dans l’audace de sa singularité sans renier ses
origines.
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Le 19 mars 1993, la communauté sera érigée canoniquement par
l’archevêque, Mgr Daloz, comme "association publique de fidèles, pour
l’Évangélisation". Ce geste, dans la lignée de Mgr Dubourg, sera pour Florin
Callerand un accomplissement de tout cet itinéraire de fondation.
Sa prédication s’appuya beaucoup sur la vision optimiste de Teilhard de
Chardin, tout en le complétant. Il affermissait le courage de ceux qui
ouvrent un avenir.
UN AVENIR…
Devant suivre une cure thermale dans les Pyrénées Orientales, pour
soigner sa gorge, il acquit une petite maison à Maureillas et, comme
toujours, il rêva d’y annoncer l’Évangile. Des aménagements
commençaient… "Je ne voudrais pas monter au ciel sans emmener avec moi le
Mas Quinta devenu 'Les Fontanilles' !"
Il s’agissait toujours de faire des chemins pour Marie.
En décembre 1996, apprenant qu’il avait une leucémie, sa réaction fut
simple : "O ma joie quand on m‟a dit j‟irai vers la Maison du Seigneur !".
Le temps qui précéda sa mort, fut celui de "la prédication du fauteuil".
"Faire du Ciel avec la terre.
Quel travail en ne faisant rien !
J‟ai prononcé vos noms dans mon coeur
devant Qui les a reçus !
Vous êtes bien leurs ! à jamais.
L‟avenir s‟ouvre BEAU ! "
Durant ses derniers mois, il vécut un fort approfondissement spirituel avec
Thérèse de l’Enfant-Jésus dans sa plénitude d’amour missionnaire. En
décembre 1997, la maladie s’aggravant, il choisit de ne plus prêcher. Il
mourut, dans une profonde sérénité, le 23 mars 1998.
A "La clairière", sur la colline de la Roche d’Or, il livre son message de
toujours :
"Continuez, continuez, tout est en avant !"
P. Roger ROBERT
le 23 mars 2010
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