Presbytie : dix ans de progrès pour des adaptations de lentilles

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Presbytie : dix ans de progrès pour des adaptations de lentilles
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Dossier contactologie
Presbytie : dix ans de progrès
pour des adaptations de lentilles
désormais très précises
Catherine Peyre
’adaptation des lentilles de contact chez des presbytes a régulièrement évolué depuis
dix ans. Outre le fait que nos patients quadra- et quinquagénaires cherchent de plus
en plus à paraître jeunes, les professionnels de l’optique nous ont proposé beaucoup
de nouveautés. La multiplication des formations, cours, articles et autres publications,
a permis de mettre en place une stratégie indispensable pour effectuer des équipements
avec succès et de manière reproductible. La mise au point d’une méthode de réfraction
et de règles d’adaptation très précises, validées par un collège d’experts, a rendu ces
adaptations accessibles à tous.
Les substituts lacrymaux et les compléments alimentaires, sans être révolutionnaires,
améliorent le confort de port chez ces presbytes, en majorité des femmes soumises
à des perturbations hormonales. Les principales nouveautés ont concerné les matériaux et les géométries, tant en lentilles souples qu’en lentilles rigides, ainsi que le
matériel d’examen grâce auquel la réfraction et le choix des lentilles se sont affinés.
L
Les matériaux récents tiennent
davantage compte des problèmes
de larmes
Il y a dix ans le panel des lentilles multifocales (MF)
disponibles sur le marché français était dominé par les
lentilles souples en matériau hydrogel dont le Dk/e ne
dépassait pas 35 et dont le mode de renouvellement
était majoritairement traditionnel.
Premières lentilles souples multifocales à renouvellement fréquent : trop sensibles à la déshydratation
L’arrivée des lentilles souples multifocales à renouvellement fréquent fut la véritable révolution de la décennie.
La première d’entre elles fut la lentille multizone à
anneaux concentriques renouvelable tous les 15 jours.
Elle possède un Dk de 28 avec une épaisseur de
0,075 mm, 58 % d’hydrophilie et un filtre UV. Son Dk/e
Hôpital Max-Fourestier, Nanterre
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est meilleur grâce à son épaisseur, et elle dispose
aux USA de l’accord FDA pour un port continu 6 nuits,
7 jours. Ce matériau est intéressant parce qu’il se
déshydrate peu. Cependant, la finesse de la lentille
complique parfois les manipulations.
L’année suivante, la première lentille multifocale à
renouvellement mensuel et à vision de près au centre
(hydrogel à 73 % d’hydrophilie, Dk = 40, e = 0,17 mm,
soit un Dk/e de 23,5) a rejoint la lentille multizone
qui, bien que performante, commençait déjà à révéler
certaines limites.
Puis les nouvelles lentilles souples multifocales mensuelles se sont succédées.
Cependant, le dénominateur commun de tous ces
matériaux est un dessèchement trop rapide.
De nouveaux matériaux qui limitent
la déshydratation
Puis sont apparues en France de nouvelles lentilles
dont les matériaux prenaient davantage en compte les
problèmes de larmes.
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La phosphorylcholine est très hydrophile
C’est le principal composant naturel de la membrane
externe de l’hématie. Biocompatible, entièrement
synthétique, la phosphorylcholine est neutre. Elle possède une forte affinité pour l’eau, limite la déshydratation du matériau auquel elle est associée et oppose
une relative barrière aux protéines.
Le silicone-hydrogel est peu hydrophile
mais se déshydrate moins
Il résulte de la copolymérisation de polymères d’hydrogel et de monomères de silicone. Le matériau est
peu hydrophile et se déshydrate moins. En outre, sa
perméabilité à l’oxygène respecte mieux la physiologie
des cornées vieillissantes. Ce matériau est plus sensible aux dépôts lipidiques que protéiniques.
En lentilles rigides, l’augmentation de la perméabilité
à l’oxygène peut s’accompagner d’une diminution
de l’indice de réfraction
Nous bénéficions également d’une amélioration des
lentilles rigides perméables à l’oxygène (LRPO) avec
des matériaux de plus en plus perméables comme
Boston EO, XO, et le matériau Z (tableau I). Cependant,
dans certains cas l’augmentation de cette perméabilité
s’accompagne d’une diminution de l’indice de réfraction, moins favorable aux géométries multifocales.
Tableau I. Matériau des lentilles rigides pour la presbytie
[Caroline J Patrick, 2005].
Matériaux
PMMA
Boston ES
Menicon Z
Boston EO
Boston XO
Indice de réfraction Addition potentielle
1,490
+2,25
1,443
+1,25
1,440
+1,25
1,429
+1,25
1,415
+1,00
Les nouvelles géométries
optimisent la qualité de vision
La plupart de ces modèles conservent la vision de près
au centre de la lentille.
Cependant, une nouveauté vient révolutionner ces
habitudes en associant deux géométries inversées :
une vision de loin centrale pour l’œil préféré de loin et
une vision de près centrale pour l’autre. Les deux lentilles alternent des zones optiques stabilisées de loin
comme de près avec une zone intermédiaire asphérique. Utilisé à bon escient, ce mixage de géométries
augmente significativement les performances visuelles. Il permet de gérer les anomalies pupillaires et de
proposer un rééquipement après une monovision prolongée et en bout de course.
Notons également l’arrivée d’une lentille MF journalière, sorte de réplique d’une lentille mensuelle préexistante, mais permettant un port plus occasionnel et
l’équipement des allergiques chroniques.
D’immenses progrès en lentilles rigides :
confort et qualité de vision
• Les lentilles concentriques bifocales, très confortables, permettent d’équiper de jeunes presbytes
nouveaux porteurs, même emmétropes (figure 1).
a
b
Figure 1. Géométrie concentrique bifocale (Menicon) : translation
de la lentille lors du passage de la vision de loin (regard primaire :
a) à la vision de près (regard en bas : b).
• Les lentilles concentriques progressives allient le
confort à une vision de près plus performante en
tenant compte de la taille de la pupille (figure 2).
Elles se déclinent aussi en toriques internes et
même bitoriques (jusqu’à 1,50 D d’astigmatisme
interne) (figure 3).
De nombreuses géométries apparaissent, tant en lentilles souples que rigides, qui vont optimiser les performances visuelles.
Toutes les nouvelles lentilles souples fonctionnent
en vision simultanée
Avec des profils différents, elles ont en commun la
recherche d’une zone optique stabilisée qui procure à
chaque distance une vision aussi performante qu’une
zone optique sphérique.
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Figure 2. Lentille concentrique progressive.
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Figure 4. Lentille segmentée.
Figure 3. Lentille progressive concentrique
bitorique.
• Les lentilles segmentées (figure 4), bifocales (figure
5) et trifocales (figure 6), avec ou sans troncature,
procurent une qualité de vision optimale sans aucun
compromis. Elles peuvent aussi être réalisées en
torique externe.
Des instruments d’examen
de plus en plus pointus
Qu’ils soient incontournables, réservés aux cas
difficiles ou encore du domaine de la recherche,
ces outils se sont eux aussi développés.
Figure 5.
Lentille bifocale.
Les réfractomètres automatiques
sont indispensables
Ils existent depuis beaucoup plus de dix ans et procurent des mesures de haute précision, qu’il s’agisse de
la formule sphéro-cylindrique, de la kératométrie
centrale et des axes, du coefficient d’excentricité de
la cornée, de la taille de la pupille ou du diamètre cornéen. À partir du simple « ticket » du réfractomètre,
vous pouvez désormais choisir sans hésitation la première lentille à essayer chez votre patient presbyte.
Topographe et Orbscan affinent les adaptations,
surtout en lentilles rigides
Bien qu’une topographie, voire un Orbscan, ne soient pas
systématiques, les informations qu’ils apportent nous
permettent d’affiner les adaptations, notamment pour
équiper des patients astigmates presbytes en LRPO.
Les appareils de vision des contrastes contribuent
à la recherche
Peu utilisés en pratique courante pour nos équipements, ils nous ont néanmoins permis de mieux
comprendre les effets des surfaces multifocales sur la
vision des contrastes et sur la vision en conditions
mésopique et scotopique.
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Figure 6.
Lentille trifocale.
Le rôle des aberromètres reste encore à préciser
Derniers arrivés sur le marché, ces appareils analysent et quantifient les aberrations d’un système
optique. Dès les années 1990, ils ont été utilisés pour
la chirurgie réfractive. Ce n’est que dix ans plus tard
que les contactologues s’y sont eux aussi intéressés,
pensant que les relevés aberrométriques permettraient de réaliser des lentilles « sur mesure » pour
tous les porteurs.
De nombreuses études aberrométriques ont été réalisées de par le monde avec des lentilles unifocales et
pour les équipements de kératocônes. Moins nombreux
sont les travaux qui ont porté sur des lentilles multifocales souples ou rigides (figures 7 et 8).
La question est : pourra-t-on un jour choisir une lentille plutôt qu’une autre à partir de données aber-
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Proclear near
43,43 %
Acuvue bifocale
42,92 %
La monovision reléguée au second
plan par la multifocalité
29,04 %
Proclear distant
22,22 %
Soflens multifocale high
12,12 %
Rythmic multifocale P2
Ces dix dernières années ont été sans conteste marquées par d’immenses progrès dans la correction de
la presbytie par lentilles de contact. La monovision a
considérablement diminué en France (autour de 20 %)
au profit des lentilles multifocales souples et rigides.
Aux Etats-Unis, le taux de monovision était de 70 % il
y encore quelques années. Il frôle à l’heure actuelle
les 50 %. La France reste en avance dans la multifocalité puisqu’elle est leader du marché en pourcentage.
On doit ces résultats aux progrès technologiques, avec
des produits de plus en plus performants, des matériaux plus adaptés et mieux tolérés, des appareils
d’exploration plutôt conçus pour la chirurgie réfractive
mais qui ont fait avancer la contactologie moderne,
enfin des méthodes de réfraction qui ce sont affinées
et qui nous permettent désormais d’effectuer des
adaptations plus précises.
9,1 %
Rythmic multifocale P1
Soflens multifocale low
3,4 %
Focus Progressives
2,20 %
même dans l’obscurité. Il n’en demeure pas moins
que ces nouveautés nous permettent de progresser.
Œil nu
Figure 7. Augmentation du RMS (Root Mean Square) selon
la lentille portée, en pourcentages par rapport à la valeur Œil nu.
Le RMS permet de définir le niveau d’aberration.
Plus il est élevé et plus le niveau d’aberration est important.
Proclear near
Acuvue bifocale
Proclear distant
Soflens multifocale high
Rythmic multifocale P2
Rythmic multifocale P1
Bibliographie
Soflens multifocale low
Focus Progressives
- 0,178
Œil nu
-0,3
-0,2
-0,1
0,0
0,1
Figure 8. Variations du coefficient de Zernike a(4;0)
(aberration sphérique) en fonction de la lentille portée.
rométriques, et corriger la presbytie d’un patient sans
altérer sa qualité de vision ? Les lentilles étant mobiles sur la cornée, les mesures peuvent varier d’un clignement à l’autre. En outre, l’analyse fiable des aberrations optiques de haut degré suppose des pupilles
de grande taille (6 mm ou plus). Or, avec l’âge, le diamètre pupillaire diminue significativement et rares
sont les patients qui atteignent spontanément 6 mm,
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