Presbytie : dix ans de progrès pour des adaptations de lentilles
Transcription
Presbytie : dix ans de progrès pour des adaptations de lentilles
42-45-PEYRE 10/05/07 11:01 Page 42 Dossier contactologie Presbytie : dix ans de progrès pour des adaptations de lentilles désormais très précises Catherine Peyre ’adaptation des lentilles de contact chez des presbytes a régulièrement évolué depuis dix ans. Outre le fait que nos patients quadra- et quinquagénaires cherchent de plus en plus à paraître jeunes, les professionnels de l’optique nous ont proposé beaucoup de nouveautés. La multiplication des formations, cours, articles et autres publications, a permis de mettre en place une stratégie indispensable pour effectuer des équipements avec succès et de manière reproductible. La mise au point d’une méthode de réfraction et de règles d’adaptation très précises, validées par un collège d’experts, a rendu ces adaptations accessibles à tous. Les substituts lacrymaux et les compléments alimentaires, sans être révolutionnaires, améliorent le confort de port chez ces presbytes, en majorité des femmes soumises à des perturbations hormonales. Les principales nouveautés ont concerné les matériaux et les géométries, tant en lentilles souples qu’en lentilles rigides, ainsi que le matériel d’examen grâce auquel la réfraction et le choix des lentilles se sont affinés. L Les matériaux récents tiennent davantage compte des problèmes de larmes Il y a dix ans le panel des lentilles multifocales (MF) disponibles sur le marché français était dominé par les lentilles souples en matériau hydrogel dont le Dk/e ne dépassait pas 35 et dont le mode de renouvellement était majoritairement traditionnel. Premières lentilles souples multifocales à renouvellement fréquent : trop sensibles à la déshydratation L’arrivée des lentilles souples multifocales à renouvellement fréquent fut la véritable révolution de la décennie. La première d’entre elles fut la lentille multizone à anneaux concentriques renouvelable tous les 15 jours. Elle possède un Dk de 28 avec une épaisseur de 0,075 mm, 58 % d’hydrophilie et un filtre UV. Son Dk/e Hôpital Max-Fourestier, Nanterre 42 Les Cahiers est meilleur grâce à son épaisseur, et elle dispose aux USA de l’accord FDA pour un port continu 6 nuits, 7 jours. Ce matériau est intéressant parce qu’il se déshydrate peu. Cependant, la finesse de la lentille complique parfois les manipulations. L’année suivante, la première lentille multifocale à renouvellement mensuel et à vision de près au centre (hydrogel à 73 % d’hydrophilie, Dk = 40, e = 0,17 mm, soit un Dk/e de 23,5) a rejoint la lentille multizone qui, bien que performante, commençait déjà à révéler certaines limites. Puis les nouvelles lentilles souples multifocales mensuelles se sont succédées. Cependant, le dénominateur commun de tous ces matériaux est un dessèchement trop rapide. De nouveaux matériaux qui limitent la déshydratation Puis sont apparues en France de nouvelles lentilles dont les matériaux prenaient davantage en compte les problèmes de larmes. n° 110 • Mai 2007 42-45-PEYRE 10/05/07 11:01 Page 43 Dossier contactologie La phosphorylcholine est très hydrophile C’est le principal composant naturel de la membrane externe de l’hématie. Biocompatible, entièrement synthétique, la phosphorylcholine est neutre. Elle possède une forte affinité pour l’eau, limite la déshydratation du matériau auquel elle est associée et oppose une relative barrière aux protéines. Le silicone-hydrogel est peu hydrophile mais se déshydrate moins Il résulte de la copolymérisation de polymères d’hydrogel et de monomères de silicone. Le matériau est peu hydrophile et se déshydrate moins. En outre, sa perméabilité à l’oxygène respecte mieux la physiologie des cornées vieillissantes. Ce matériau est plus sensible aux dépôts lipidiques que protéiniques. En lentilles rigides, l’augmentation de la perméabilité à l’oxygène peut s’accompagner d’une diminution de l’indice de réfraction Nous bénéficions également d’une amélioration des lentilles rigides perméables à l’oxygène (LRPO) avec des matériaux de plus en plus perméables comme Boston EO, XO, et le matériau Z (tableau I). Cependant, dans certains cas l’augmentation de cette perméabilité s’accompagne d’une diminution de l’indice de réfraction, moins favorable aux géométries multifocales. Tableau I. Matériau des lentilles rigides pour la presbytie [Caroline J Patrick, 2005]. Matériaux PMMA Boston ES Menicon Z Boston EO Boston XO Indice de réfraction Addition potentielle 1,490 +2,25 1,443 +1,25 1,440 +1,25 1,429 +1,25 1,415 +1,00 Les nouvelles géométries optimisent la qualité de vision La plupart de ces modèles conservent la vision de près au centre de la lentille. Cependant, une nouveauté vient révolutionner ces habitudes en associant deux géométries inversées : une vision de loin centrale pour l’œil préféré de loin et une vision de près centrale pour l’autre. Les deux lentilles alternent des zones optiques stabilisées de loin comme de près avec une zone intermédiaire asphérique. Utilisé à bon escient, ce mixage de géométries augmente significativement les performances visuelles. Il permet de gérer les anomalies pupillaires et de proposer un rééquipement après une monovision prolongée et en bout de course. Notons également l’arrivée d’une lentille MF journalière, sorte de réplique d’une lentille mensuelle préexistante, mais permettant un port plus occasionnel et l’équipement des allergiques chroniques. D’immenses progrès en lentilles rigides : confort et qualité de vision • Les lentilles concentriques bifocales, très confortables, permettent d’équiper de jeunes presbytes nouveaux porteurs, même emmétropes (figure 1). a b Figure 1. Géométrie concentrique bifocale (Menicon) : translation de la lentille lors du passage de la vision de loin (regard primaire : a) à la vision de près (regard en bas : b). • Les lentilles concentriques progressives allient le confort à une vision de près plus performante en tenant compte de la taille de la pupille (figure 2). Elles se déclinent aussi en toriques internes et même bitoriques (jusqu’à 1,50 D d’astigmatisme interne) (figure 3). De nombreuses géométries apparaissent, tant en lentilles souples que rigides, qui vont optimiser les performances visuelles. Toutes les nouvelles lentilles souples fonctionnent en vision simultanée Avec des profils différents, elles ont en commun la recherche d’une zone optique stabilisée qui procure à chaque distance une vision aussi performante qu’une zone optique sphérique. n° 110 • Mai 2007 Figure 2. Lentille concentrique progressive. Les Cahiers 43 42-45-PEYRE 10/05/07 11:01 Page 44 Dossier contactologie Figure 4. Lentille segmentée. Figure 3. Lentille progressive concentrique bitorique. • Les lentilles segmentées (figure 4), bifocales (figure 5) et trifocales (figure 6), avec ou sans troncature, procurent une qualité de vision optimale sans aucun compromis. Elles peuvent aussi être réalisées en torique externe. Des instruments d’examen de plus en plus pointus Qu’ils soient incontournables, réservés aux cas difficiles ou encore du domaine de la recherche, ces outils se sont eux aussi développés. Figure 5. Lentille bifocale. Les réfractomètres automatiques sont indispensables Ils existent depuis beaucoup plus de dix ans et procurent des mesures de haute précision, qu’il s’agisse de la formule sphéro-cylindrique, de la kératométrie centrale et des axes, du coefficient d’excentricité de la cornée, de la taille de la pupille ou du diamètre cornéen. À partir du simple « ticket » du réfractomètre, vous pouvez désormais choisir sans hésitation la première lentille à essayer chez votre patient presbyte. Topographe et Orbscan affinent les adaptations, surtout en lentilles rigides Bien qu’une topographie, voire un Orbscan, ne soient pas systématiques, les informations qu’ils apportent nous permettent d’affiner les adaptations, notamment pour équiper des patients astigmates presbytes en LRPO. Les appareils de vision des contrastes contribuent à la recherche Peu utilisés en pratique courante pour nos équipements, ils nous ont néanmoins permis de mieux comprendre les effets des surfaces multifocales sur la vision des contrastes et sur la vision en conditions mésopique et scotopique. 44 Les Cahiers Figure 6. Lentille trifocale. Le rôle des aberromètres reste encore à préciser Derniers arrivés sur le marché, ces appareils analysent et quantifient les aberrations d’un système optique. Dès les années 1990, ils ont été utilisés pour la chirurgie réfractive. Ce n’est que dix ans plus tard que les contactologues s’y sont eux aussi intéressés, pensant que les relevés aberrométriques permettraient de réaliser des lentilles « sur mesure » pour tous les porteurs. De nombreuses études aberrométriques ont été réalisées de par le monde avec des lentilles unifocales et pour les équipements de kératocônes. Moins nombreux sont les travaux qui ont porté sur des lentilles multifocales souples ou rigides (figures 7 et 8). La question est : pourra-t-on un jour choisir une lentille plutôt qu’une autre à partir de données aber- n° 110 • Mai 2007 42-45-PEYRE 10/05/07 11:01 Page 45 Dossier contactologie Proclear near 43,43 % Acuvue bifocale 42,92 % La monovision reléguée au second plan par la multifocalité 29,04 % Proclear distant 22,22 % Soflens multifocale high 12,12 % Rythmic multifocale P2 Ces dix dernières années ont été sans conteste marquées par d’immenses progrès dans la correction de la presbytie par lentilles de contact. La monovision a considérablement diminué en France (autour de 20 %) au profit des lentilles multifocales souples et rigides. Aux Etats-Unis, le taux de monovision était de 70 % il y encore quelques années. Il frôle à l’heure actuelle les 50 %. La France reste en avance dans la multifocalité puisqu’elle est leader du marché en pourcentage. On doit ces résultats aux progrès technologiques, avec des produits de plus en plus performants, des matériaux plus adaptés et mieux tolérés, des appareils d’exploration plutôt conçus pour la chirurgie réfractive mais qui ont fait avancer la contactologie moderne, enfin des méthodes de réfraction qui ce sont affinées et qui nous permettent désormais d’effectuer des adaptations plus précises. 9,1 % Rythmic multifocale P1 Soflens multifocale low 3,4 % Focus Progressives 2,20 % même dans l’obscurité. Il n’en demeure pas moins que ces nouveautés nous permettent de progresser. Œil nu Figure 7. Augmentation du RMS (Root Mean Square) selon la lentille portée, en pourcentages par rapport à la valeur Œil nu. Le RMS permet de définir le niveau d’aberration. Plus il est élevé et plus le niveau d’aberration est important. Proclear near Acuvue bifocale Proclear distant Soflens multifocale high Rythmic multifocale P2 Rythmic multifocale P1 Bibliographie Soflens multifocale low Focus Progressives - 0,178 Œil nu -0,3 -0,2 -0,1 0,0 0,1 Figure 8. Variations du coefficient de Zernike a(4;0) (aberration sphérique) en fonction de la lentille portée. rométriques, et corriger la presbytie d’un patient sans altérer sa qualité de vision ? Les lentilles étant mobiles sur la cornée, les mesures peuvent varier d’un clignement à l’autre. En outre, l’analyse fiable des aberrations optiques de haut degré suppose des pupilles de grande taille (6 mm ou plus). Or, avec l’âge, le diamètre pupillaire diminue significativement et rares sont les patients qui atteignent spontanément 6 mm, n° 110 • Mai 2007 Patel S, Fakhry M, Alio JL. Objective assessement of aberrations induced by multifocal contact lenses in vivo. CLAO J. 2002;28(4):196-201. Peyre C, Fumery L, Gatinel D. Comparison of high-order optical aberrations induced by multifocal contact lens geometries. J Fr Ophtalmol 2005;28(6):599-604. Lu F, Mao X, Qu J, Xu D, He JC. Monochromatic wavefront aberrations in the human eye with contact lenses. Optom vis Sci 2003;80:135-41. Dietze HN, Cox MJ. On and off eye spherical aberration of soft contact lenses and consequent changes of effective lens power. Optom Vis Sci 2003;80(2):126-34. Amano S, Amano Y, Yamagami S et al. Age-related changes in corneal and ocular higher-order wavefront aberrations. Am J Ophthalmol 2004;137(6): 988-92. Les Cahiers 45