saint-ogan et les bourragué : 1922 (?)-1974
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saint-ogan et les bourragué : 1922 (?)-1974
neuviemeart2.0 > auteurs > alain saint-ogan > saint-ogan et les bourragué : 1922 (?)-1974 saint-ogan et les bourragué : 1922 (?)-1974 par Christophe Bourragué [Janvier 2015] Le nom des Bourragué semble s’inscrire en filigrane de la vie d’Alain Saint-Ogan dès 1922, avec le commencement d’une amitié indéfectible entre le dessinateur et Marcelle Bourragué, née Autié [1], ainsi qu’avec sa sœur, Renée Autié [2]. Nées avec le siècle en 1901 et 1902 à Toulon (Var), ces deux jeunes femmes, descendaient par leur père d’une haute lignée de militaires dont le premier, le baron Autié, se distingua à Austerlitz sous le Premier Empire avant d’être tué en Espagne à la tête de son régiment en 1808. Marcelle Autié, qui allait devenir ma grand-mère, se maria en 1918 avec un sous-marinier plein d’avenir se nommant Jean Célestin Bourragué [3]. En 1920, ce dernier fut nommé officier d’ordonnance du ministre de la Marine et il vint habiter avec sa femme et son jeune fils à Paris, dans le 16ème arrondissement, où la famille possédait un appartement dans le quartier d’Auteuil. Marcelle Bourragué fit vraisemblablement la connaissance d’Alain Saint-Ogan au début de l’année 1922 par l’entremise d’amis communs, les Theunissen, qui habitaient la villa Montmorency à Paris. Les noms de Marcelle Bourragué et Renée Autié apparaissent en effet pour la première fois en janvier 1922 dans l’agenda manuscrit de Saint-Ogan. Une relation forte se noua ainsi entre Marcelle, Renée et le dessinateur, à en juger par la fréquence de leurs rendez-vous à Paris et la présence d’Alain Saint-Ogan à Toulon dès l’été 1922. Il est rapidement présenté à la famille de ma grand-mère, qui possède alors deux grandes propriétés donnant sur la mer, construites l’une à côté de l’autre dans le quartier du « Mourillon ». Saint-Ogan devint très vite un familier de l’une d’entre-elles, la villa "Les Pervenches". Ces premiers séjours à Toulon lui permettent de découvrir le port de guerre et ses vieilles ruelles, le monde interlope des bars à matelots mais aussi d’autres quartiers pittoresques de la ville, comme le Mourillon ainsi que le Cap Brun et ses criques. Durant ces premières périodes de villégiature à Toulon, Saint-Ogan est invité à bord de bâtiments de guerre, notamment ceux que commande Bourragué. Il fréquente de nombreux officiers de marine, comme Claude Farrère ou Yves Le Prieur − qui sera l’inventeur génial du premier scaphandre autonome − mais aussi des peintres officiels de la Marine (Hervé Baille, André Theunissen, MarinMarie…). Il développera ainsi un véritable attachement pour Toulon et ce quartier du Mourillon, n’hésitant pas à intégrer cette ville dans certains de ses dessins. Ainsi, dans Zig et Puce et la petite Princesse (1934), il dessine une carte géographique du royaume imaginaire de Marcalance sur laquelle figure le port du Mourillon ! Saint-Ogan y occupait depuis les années 50 une grande chambre au rez-de-chaussée qui donnait sur la véranda. Elle était meublée d’un étonnant mobilier de style Boulle incrusté de porcelaines, provenant d’une des cabines princières du yacht impérial de Napoléon III, désarmé dans l’arsenal de Toulon à la fin du XIXème siècle ! Quelques maquettes de bateaux réalisées par Alain Saint-Ogan s’y trouvaient, aussi avec de très nombreux livres empilés les uns sur les autres. Ma grande tante, Renée Autié, la sœur de ma grand-mère, occupait, elle, une partie du deuxième étage. Divorcée d’Henry Méguin, l’ancien directeur de l’Excelsior (journal dans lequel Saint-Ogan avait créé Zig et Puce en 1925), elle vivait à la charge de la famille, donnant parfois des cours de danse à de jeunes enseignes frais émoulus de l’Ecole Navale dans un studio aménagé dans une dépendance de la propriété. C’est elle, à 70 ans, qui me transmit le goût du rythme musical en me faisant écouter un jour dans le grand salon le hit de Mungo Jerry, In the summertime, devant un Alain Saint-Ogan impavide ! Ma grand-mère, quant à elle, se réservait la jouissance du second étage, qui bénéficiait d’une vue magnifique sur la rade. Lorsque l’on me barrait définitivement la route du petit écran, il me restait la lecture. Si la maison était pourvue d’une grande bibliothèque remplie de livres anciens, ce genre de littérature ne m’intéressait guère. Je préférais roder non loin de la chambre de Saint-Ogan pour trouver dans un grand placard des albums de bande dessinée. Les albums de Saint-Ogan se mélangeaient pêlemêle avec Bicot, Babar mais aussi des œuvres d’auteurs plus anciens comme Rabier et Caran d’Ache. Je pratiquais bien sur autant que possible une politique d’acquisition de BD, tannant sans relâche mon père par tous les moyens pour tenter de revenir triomphant avec des albums de Morris (Lucky Luke), Dupa (Cubitus), Charlier et Hubinon (Buck Danny) ou Hergé. Saint-Ogan, qui finançait de temps à autre mes achats, prenait parfois ces BD modernes entre ses mains et y allait de son petit commentaire, surtout s’il avait rencontré et apprécié l’auteur. Bref, chez les Bourragué, on pouvait lire de la bande dessinée, ce qui n’était pas toujours le cas dans les familles de bon nombre de mes amis ! J’habitais le reste de l’année, durant la période scolaire, avec mon père, veuf, au 6e étage d’un immeuble art déco, rue La Fontaine, à Paris, que connaissait bien Saint-Ogan pour y avoir lui-même vécu en attendant de pouvoir récupérer sa demeure de Passy en 1945. À la fin des années 60, mon père avait pris l’habitude, chaque samedi, d’aller chercher avec moi Alain Saint-Ogan dans son petit appartement au rez-de-chaussée du 48, rue de Passy, pour repartir déjeuner avec lui au restaurant La Rotonde de la Muette, qu’il appréciait particulièrement. Durant les quelques instants que je passais chaque fois dans son bureau, je regardais les maquettes que "Sainto" réalisait avec toutes sorte de matériaux (carton, bouts de métaux, papier maché…) ; il s’agissait de bateaux, d’animaux ou encore de boîtes prenant les formes les plus diverses. Alain Saint-Ogan était très attaché à ce quartier de la Muette, dont il avait sillonné toutes les rues au cours de son adolescence, et il aimait s’y restaurer. C’est lors de l’un de ces déjeuners à la Rotonde que Saint-Ogan fit signe à un homme en costume sombre qui passait dans la rue et qu’il semblait connaître. Le visage de l’inconnu s’éclaira lorsqu’il le vit et il nous fit signe de la main à son tour pour nous faire savoir qu’il allait nous rejoindre. L’homme s’assit et "Sainto" nous le présenta. Il s’agissait de René Goscinny ! Prié de rester avec nous, Goscinny parla longuement avec "Sainto" et mon père. J’ai redemandé un jour à mon père ce qui avait suscité l’intérêt de Goscinny dans sa conversation avec lui. Mon père, qui connaissait bien l’État hébreu pour y avoir travaillé comme ingénieur dans les années 60 à l’élaboration d’une base d’essais dans le Sinaï, après avoir quitté la Marine, m’expliqua qu’il lui avait aussi parlé de la campagne de Suez en 1956 faite avec les Israéliens, alors qu’il était le « patron » de l’aviation embarquée du porte-avions « La Fayette ». Je n’avais retenu pour ma part de ce déjeuner que le fait, essentiel à mes yeux, que Goscinny était le « papa » d’Astérix (avec Uderzo). Je reçus d’ailleurs quelque temps après plusieurs albums d’Astérix que Goscinny avait eu la gentillesse d’envoyer à mon père avec une petite lettre. Alain Saint-Ogan nous quitta en 1974. Il avait donné à mon père, peu de temps avant sa disparition, son briquet en or Dupont, avec lequel il jouait souvent machinalement. C’est moi aujourd’hui qui possède ce vieux briquet et, lorsque je le manipule, je ne peux m’empêcher de penser avec émotion à "Sainto" tranquillement assis dans la véranda de la "Charmerette" m’interpellant quand je revenais de la plage et me disant : « Ahh… mais c’est mon petit Christophe » ! Christophe Bourragué Notes [1] Marcelle Bourragué, née Autié (1901-1981). [2] Renée Autié (1902-1979). [3] Jean-Célestin Bourragué, Vice-amiral (1886-1955). [4] Jules Davet, Général de division (1884-1978).