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Dossier I L’interculturalité à l’Ile de la Réunion I
Les Sinwa de La Réunion :
exister au milieu de plusieurs milieux
Par Live Yu-Sion,
maître de conférences en sociologie, université de La Réunion
L’anniversaire de Guan Di 2006 © Live Yu-Sion
Les Sinwa sont, dans leur grande majorité, les enfants et les petitsenfants de Chinois arrivés dans les années vingt à quarante
à La Réunion. Le contexte racialisé de la société réunionnaise
fait qu’ils sont régulièrement renvoyés à leur statut de Chinois.
Cette situation amène à des questionnements identitaires,
qui poussent certains d’entre eux à un retour
aux sources “chinoises” promue par des associations au sein de l’île.
Cependant, retourner à la culture chinoise est un chemin long
et éreintant, qui peut aboutir à un nouvel exil culturel.
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hommes & migrations n° 1275
Identité réelle et identité attribuée
Dans les phénomènes de contacts culturels, la problématique des origines ethniques est une donnée constante dans la mesure où le phénotype – que sont
les traits physiques – est fréquemment utilisé pour attribuer à un individu son
appartenance ethnique ou culturelle. Les Réunionnais ont l’habitude de s’appeler,
de s’interpeller et de s’identifier selon leur phénotype. Le langage populaire
désigne les différentes composantes anthropologiques de l’île sous des expressions
de Kreol – Métis aux origines multiples –, Malbar – d’origine tamoule –, Kaf –
origine afro-malgache –, Zarab – origine indo-musulmane –, Zoreil – Français –,
Yab – origine européenne –, Sinwa – origine chinoise –, etc. Ces dénominations
ethniques résultent du regard que portent les Réunionnais les uns sur les autres.
Le phénotype demeure un critère de différenciation ethnique et sociale.
Cependant, cette perception, émanant du sens commun, dissimule un aspect bien
problématique. Si elle caractérise les individus selon les attentes normatives définies dans la société réunionnaise, elle ne définit guère l’identité des individus, des
écarts culturels subsistent entre l’identité réelle et l’identité attribuée.
Notre propos s’inscrit dans la problématique de l’identité individuelle qui taraude
les Chinois de la Réunion, comme l’ensemble des Réunionnais. Nous tenterons
de cerner la représentation culturelle des Chinois de leur propre identité et le sens
qu’ils confèrent à cette dernière, au travers des actions qu’ils mènent pour se réapproprier une partie de la culture chinoise.
Les Sinwa
Cette étude concerne les descendants de Chinois, nés, scolarisés et socialisés
à la Réunion, appelés par facilité de langage les “deuxième et troisième générations”. Nous préférons, pour les nommer, l’expression créole Sinwa. Les mots ont
leur sens et leur poids est symbolique, dans toute démarche heuristique. La langue créole définit des réalités propres à la société réunionnaise. Nous distinguons
ainsi le Chinois du Sinwa.
Le Chinois est né et a vécu jusqu’à un certain âge en Chine, en général jusqu’au
sortir de l’adolescence. Il a acquis les éléments de base de la culture chinoise avant
d’immigrer à la Réunion.
Le Sinwa est un Réunionnais qui ne sait plus parler chinois – le cantonais ou le
hakka sont les langues des migrants chinois – et qui a perdu l’essentiel des éléments
de la culture chinoise. Pour lui, l’acquisition des langues s’est développée dans un
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bilinguisme avec le créole et le français, non avec le cantonais ou le hakka. Il est
imprégné du modèle culturel français et créole et, dans une moindre mesure, du
modèle chinois. Le témoignage suivant donne une esquisse de son profil identitaire:
“Mes parents sont tous deux originaires de Chine. Ils sont venus à La Réunion à cause de
l’invasion japonaise dans les années trente. La langue de communication, dans la famille,
entre enfants et parents, est le créole. Mon père nous parle toujours en créole, ma mère en
créole et en hakka. Notre éducation s’est faite dans le contexte réunionnais car l’endroit
où l’on habitait était situé dans les écarts. Dans ce coin, il n’y avait que nous comme
Chinois. Les relations avec les voisins créoles étaient bonnes. Comme mes parents étaient
bien acceptés, ce sont les voisins qui nous ont amenés à nous faire baptiser. Pratiquement
toute la deuxième génération est baptisée catholique.
Il y a eu des périodes où je me suis posé la question : ‘Suis-je Chinois, Français,
Réunionnais ou rien du tout ?’ Franchement, à vingt ans, je me suis posé la question…
Plus maintenant. J’ai des amis de ma génération à qui cela pose un problème : c’est un
besoin intellectuel. Souvent ces personnes se sont senties rejetées […].
Pour ce qui concerne le mariage, nos parents tenaient à ce que nous épousions des
Chinoises. Mais l’un de mes frères a épousé une Française, et ce fut un choc pour eux.
Devant le fait accompli, mon père a ensuite accepté ma belle-sœur. Dans les mariages
mixtes, il y a bien sûr des différences culturelles dans le couple. J’ai des amis français qui
n’arrivent pas à comprendre les Chinois de La Réunion. On dit qu’il n’y a pas de problèmes raciaux à La Réunion… mais quand même, ça existe, les problèmes sont latents – il
ne faut pas se cacher la face –, indépendamment des Chinois, qui sont une minorité. Dans
la famille, tous ceux qui ont eu du temps, à un moment, sont allés au moins une ou deux
fois en Chine. Là-bas, ils se sont rendu compte que la Chine de leurs parents n’a plus
grand-chose à voir avec eux, qu’il y a de trop grandes différences. Ils se sont rendu compte
que c’est le rêve de gens de culture créole et française qui s’est évanoui, et qu’ils n’ont plus
rien à voir avec la culture chinoise.”(1)
Ce profil identitaire s’inscrit dans un mouvement dynamique de l’histoire de
La Réunion et de l’histoire de l’immigration chinoise dans cette île.
Dynamiques sociales à La Réunion
Dans ses grandes lignes, la société réunionnaise s’est formée, en différentes
époques, par l’immigration de colons – au XVIIe siècle –, par l’importation de
populations d’esclaves – au XVIIIe et XIXe siècles –, le recrutement de travailleurs
contractuels – au XIXe siècle –, etc. Pendant plus de trois siècles, les contacts des
langues, des cultures, des croyances et des philosophies venues d’Afrique, d’Asie,
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d’Arabie, et d’Europe ont généré trois dynamiques sociales : une première dynamique a produit un mouvement d’uniformisation culturelle, qui se traduit par
la créolisation de l’île depuis son peuplement au XVIIe siècle ; une deuxième dynamique s’est déployée dans un mouvement de francisation, amorcé depuis le milieu
des années soixante jusqu’à nos jours, années où l’État français décida de développer l’île par l’amélioration de divers domaines – école, santé, infrastructure
routière, mass médias, etc. ; une troisième dynamique a fait naître, depuis le
milieu des années quatre-vingt, un mouvement de diversification culturelle par la
reconnaissance des langues, des cultures et des croyances non européennes.
C’est dans le contexte de ces trois dynamiques sociales – créolisation, francisation,
diversification – que s’inscrit le malaise identitaire des Sinwa. Certains, parmi
eux, éprouvent un sentiment de frustration du fait de ne pouvoir vivre leur sinité,
et un mal-être existentiel, ressenti comme un éclatement du moi. C’est pour atténuer ou soulager le sentiment de dispersion identitaire qu’ils vont chercher à se
“resiniser”, à acquérir les référents culturels chinois qui sont les ressources de leur
identité culturelle.
Ces deuxième et troisième générations de Sinwa sont, dans la grande majorité, les
enfants et petits-enfants de migrants chinois arrivés entre 1920 et 1940 à
La Réunion. Ils représentent la “communauté” chinoise actuelle de La Réunion.
Les migrants de l’entre-deux-guerres ont quitté leur pays pour trois motifs essentiels : la guerre civile, l’invasion japonaise et la pauvreté(2).
Le tableau suivant donne une idée des effectifs d’immigrants entre 1902 et 1941 :
Tableau I - Évolution des effectifs de la population chinoise entre 1902 et 1941
Année
Effectifs
1902
1 378
1907
810
1911
884
1921
1 052
1926
1 626
1931
2 242
1936
2 845
1941
3 853
Sources : ADR 6M 1296, Population et Statistiques, “Recensements de la population”,
1902, 1907, 1911, 1921, 1926, 1931, 1936, 1941.
Les motivations d’un retour “aux sources chinoises”
Depuis la fin des années soixante-dix, un certain nombre de Sinwa, de retour de
France après leurs études universitaires, estiment que leur culture d’origine s’est
appauvrie, voire perdue, car diluée dans un mouvement de francisation et de créolisation. Par réaction à la déculturation, ils expriment leur volonté de revenir aux
“racines chinoises”. Dans cette optique, ils créent des associations culturelles dont
l’objectif est de se réapproprier et de diffuser auprès de leurs congénères des élé-
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ments de la culture chinoise.
Les motivations poussant à de telles actions résident dans le questionnement des
Sinwa face à leur identité chinoise et réunionnaise ou française, du fait “qu’ils
vivent un paradoxe existentiel, se reconnaissent comme Chinois ou descendants de
Chinois, ont un phénotype chinois, mais ne possèdent ni la langue, ni la culture chinoise”(3). En outre, cette quête identitaire découle du regard que les autres
Réunionnais portent sur eux. Nommer un Sinwa pour un Chinois représente un
acte essentiel de son inscription sociale dans un groupe particulier. Cet acte est
étroitement lié à un aspect de l’identité d’un individu, celui qui détermine son
identité ethnique, mais pas forcément son appartenance culturelle. Cette représentation mentale réduite aux traits essentiels caractérise les Sinwa selon les
attentes normatives de la société réunionnaise : des stéréotypes et préjugés – qui
peuvent être positifs ou négatifs – sur les Chinois. Ce schéma de perception est
bien souvent en décalage avec leur véritable identité culturelle. C’est leur phénotype qui a servi à les identifier comme étant des Chinois, en dépit de leur personnalité plurielle. Dans les sociétés multiculturelles comme La Réunion, la perception des uns à propos des autres, en termes de types “raciaux”, est pratiquée
dans la vie de tous les jours : elle permet de différencier ce qui est des leurs et ce
qui leur est étranger. Le phénotype génère des rapports sociaux entre les individus, qui tiennent compte des différences sociales. Le regard discrimine les groupes, attribuant une identité ethnique, culturelle ou sociale – voire professionnelle – qui ne correspond pas toujours à la réalité de leur existence (4).
L’affirmation identitaire, à La Réunion, devient ainsi un facteur de différenciation sociale et d’attribution identitaire ethnique dans les relations sociales entre
différents groupes. Elle est une construction sociale de différenciation des caractéristiques sociales et culturelles des groupes qui entrent en contact.
Les facteurs de “resinisation”
Tourmentés par des questionnements identitaires, les Sinwa, par l’intermédiaire
des associations, ont pris leur courage à deux mains pour instaurer des actions, des
savoirs et organiser des événements basés sur des moyens d’expression d’origine
chinoise : cours de langue, de calligraphie et de cuisine chinoises, leçons de taï-chichuan, concerts de musique traditionnelle ou de chansons populaires, tournées de
troupes d’acrobates, de jongleurs et de danseurs, démonstrations de danses du lion
et du dragon dans les rues des grandes villes réunionnaises, etc. Ces manifestations
ne prendront pas l’ampleur espérée au départ, malgré les opportunités offertes par
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la mise en place de la politique de décentralisation à La Réunion en 1982. Cette
politique accorde des compétences aux autorités régionales pour promouvoir le
développement culturel de La Réunion et assurer la préservation de l’identité
réunionnaise. De ce fait, depuis la fin des années quatre-vingt, dans l’ensemble de
La Réunion, des actions culturelles, occultées ou interdites dans le passé, se sont
ainsi exprimées au grand jour : revendications pour la reconnaissance de la langue
et de la culture créole ; affirmations identitaires des Réunionnais d’origine africaine, malgache, chinoise, tamoule, etc., et reconnaissance du 20-Décembre, date
de l’abolition de l’esclavage ; réhabilitation de l’image du Cafre ; organisation de
fêtes traditionnelles tamoules, cafres, comoriennes…
Les associations chinoises n’ont pas réussi à jouer le rôle d’institution de transmission et de diffusion culturelle chinoise, comme c’est le cas des associations
tamoules. Leurs actions se cantonnent à des sorties en groupe, à donner des cours
de chinois mandarin, alors que la grande majorité de la communauté chinoise est
d’origine hakka ou cantonaise… ou encore à favoriser les rencontres entre jeunes
générations à travers des bals, les repas communautaires, les pique-niques, les randonnées. Le rôle effacé de la religion est, selon toute vraisemblance, l’un des facteurs d’échec de la resinisation des Sinwa. Les temples et les pagodes de l’île souffrent de l’absence de leaders religieux. Or, en dépit des apparences, les religions
chinoises comme le taoïsme ou le confucianisme ne sont-elles pas des philosophies sociales ou des pratiques rituelles codifiées plutôt qu’un ensemble de
croyances et de dogmes qui définissent le rapport des êtres humains avec le sacré ?
2003, année de frémissement
Les relations avec la Chine ne semblent pas non plus aller dans le sens d’une resinisation de la communauté chinoise. D’abord, elles n’ont jamais été intenses dans
le passé. L’influence culturelle de la Chine à La Réunion a toujours été discrète.
La Chine n’a jamais pu établir jusqu’à ce jour de consulat ou d’ambassade sur
le sol réunionnais. La raison le plus souvent évoquée : les Sinwa sont des Français
et, par conséquent, il n’y a pas lieu d’installer une délégation diplomatique dans
un département français. Ce n’est que depuis les années quatre-vingt, avec l’ouverture de la Chine, que les liens personnels se sont davantage resserrés : tourisme,
échanges entre jeunes, retour au village natal des parents ou grands-parents…
Néanmoins, il a fallu attendre l’année 2003 pour que la coopération chinoise avec
La Réunion connaisse de nouveaux frémissements. Pour la première fois, un
ambassadeur de la République populaire de Chine, accrédité à Paris, se rend en
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visite à La Réunion. Dans son discours, le diplomate déclare être venu “ouvrir une
porte sur la route maritime reliant son pays à cette région stratégique de l’hémisphère Sud,
passage notamment vers l’Afrique du Sud […], et établir les contacts pour combler un vide
non résorbé, depuis trente-neuf années que la Chine et la France sont en relation”(5). Lors
de cette visite, des démarches officielles ont été entreprises auprès du gouvernement français à Paris pour qu’un consulat de Chine puisse être établi prochainement à la Réunion. En septembre de la même année, La Réunion reçoit de nouveau la visite d’une nouvelle délégation de dix-huit experts chinois de la
municipalité de Tianjin. L’objectif de ce séjour est de resserrer les liens de coopération entre La Réunion et la Chine. Les projets qui pourraient prendre forme
concernent : l’implantation d’un centre de recherche de médecine traditionnelle
chinoise, d’un hôtel de luxe sur la côte ouest réunionnaise, d’une unité de transformation des produits de la mer, d’une usine de téléviseurs et d’un bureau de
représentation de la Chine à La Réunion.
2004, année de fébrilité
L’Année culturelle de la Chine en France en 2004 a été l’occasion d’impulser
davantage de projets de développement économique et culturel sino-réunionnais.
Tout au long de l’année, plusieurs délégations officielles du gouvernement
chinois débarquent dans l’île pour établir la coopération en matière d’énergie
solaire – photovoltaïque – et installer un bureau économique de représentation
chinois à Saint-Denis. À cette occasion, un journal local titrait : “La Chine ouvre son
‘ambassade’ à La Réunion, mercredi”(6). Ces délégations ont visé aussi, en avril, à mettre en place la formation des praticiens réunionnais à l’acupuncture au Groupe
hospitalier Sud Réunion et à inaugurer une exposition sur l’écriture chinoise ainsi
qu’à signer deux conventions, celle encadrant l’accueil d’enseignants chinois chargés d’intervenir dans les sections orientales des écoles réunionnaises, et une autre,
en juillet, permettant la retransmission à La Réunion de programmes culturels,
sportifs et éducatifs de la CCTV, la China Central Television.
Dans le domaine des festivités, la foire internationale des Mascareignes, qui se
tient tous les ans au mois de novembre dans la ville du Port, est consacrée aux
savoirs et aux traditions culturelles de la Chine. Mais l’événement marquant de
l’année 2004 est la fête de l’anniversaire de Guan Di, célébrée pour la première
fois en grande pompe à Saint-Denis. Tous les ans, vers la fin juillet ou au début
août, les Chinois de La Réunion rendent hommage à ce héros guerrier déifié au
e
XVI siècle. Les familles chinoises et créoles – et parfois des Métis – viennent dans
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l’un des deux temples de la rue Sainte-Anne à Saint-Denis pour se recueillir ou y
faire des offrandes et des vœux en brûlant des bâtonnets d’encens. Avec le Nouvel
An lunaire, l’anniversaire de Guan Di est devenu l’une des deux fêtes traditionnelles chinoises les plus populaires à La Réunion. Les Réunionnais, attirés par les
pétards, les danses du lion, les lampions, les guirlandes et la cuisine chinoise viennent déambuler dans la rue Sainte-Anne, regarder, fouiner, ou acheter des petits
souvenirs exotiques étalés sur des stands.
Les actions des associations chinoises demeurent, quant à elles, peu efficaces dans
la mise en œuvre d’une politique pérenne de resinisation de la communauté chinoise, du fait qu’elles sont organisées de façon épisodique et limitées dans des
moments très courts de l’année. Dans le reste du temps, l’existence quotidienne
des Sinwa se déroule dans un contexte réunionnais et non dans un univers chinois.
Les tentatives de resinisation représentent, en fait, l’illusion d’un retour aux racines chinoises et n’ont pas donné de résultats probants sur le plan culturel. En
conséquence, dans le contexte de métissage qui caractérise la société créole, les
entreprises de réappropriation de la culture chinoise apparaissent, à bien des
égards, problématiques.
À la croisée de différentes cultures
Dans d’autres sociétés multiculturelles comme au Brésil, “dans la démultiplication
des personnalités, […] l’individu n’est pas à la fois indien, africain, portugais ou encore
russe, français, italien, mais successivement et, pour une très grande part, selon les circonstances”, ainsi que le rappellent Laplantine et Nouss(7). Le fait d’être sinwa
à La Réunion se décline dans une appartenance à deux voire trois univers culturels – chinois, français, créole –, et cela signifie que l’on existe au milieu de plusieurs… milieux – sociaux, culturels. Le Sinwa s’identifie à des groupes, se considère comme appartenant à ces groupes donnés mais, en même temps, il se sent
différent des autres membres de ces groupes du fait qu’il peut se dire Sinwa,
Malgas, Malbar ou autre, selon la situation ou les circonstances du moment, en raison de son métissage biologique ou culturel. La formation de son identité s’exprime dans les interstices de cette liberté de mouvement. Son identité se façonne,
se modifie, et se réorganise tout au long de son existence, selon les transformations
de la vie sociale, politique, culturelle ou économique de La Réunion.
En conséquence, on peut s’interroger sur le rôle et sur la dimension politique des
mouvements de revendications identitaires, qui puisent l’essentiel de leur sens
dans les “cultures d’origine” plutôt que dans les inégalités sociales et écono-
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miques. Ces mouvements s’inscrivent-ils dans la continuité de la construction
de l’identité créole, ou dans l’éclatement de l’identité réunionnaise ? Quelle pertinence ont les individus à renouer avec leur culture d’origine ? Retourner à la
culture chinoise est en effet un chemin long et éreintant à accomplir ; il peut, en
outre, aboutir à un nouvel exil culturel…
■
Notes
1. NM. A-H, entretien réalisé par l’auteur.
2. Live Yu-Sion, “The Overseas Chinese in Reunion Island”, Encyclopeadia of Chinese Overseas, Chinese Heritage Center
Publications, Singapore, 1999.
3. Live Yu-Sion, “Illusion identitaire et métissage culturel chez les ‘Sinoi’ de La Réunion”, Perspectives chinoises,
n° 78, juillet-août 2003.
4. Live Yu-Sion, “Le multiculturalisme à La Réunion : de la racialisation à l’ethnicisation des relations sociales”,
in Ferréol, Gilles et Peralva, Angelina (dir.), Altérité et dynamiques sociales, Paris, LGDJ, “Droit et Société”, 2008.
5. Le Journal de l’Île de La Réunion, 13 janvier 2003.
6. Le Journal de l’Île de La Réunion, 9 mars 2004.
7. Laplantine, François et Nouss, Alexis, Le Métissage, Flammarion, Paris, 1998.
Références bibliographiques
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• Yu-Sion, Live, “Illusion identitaire et métissage culturel chez les ‘Sinoi’ de La Réunion”, Perspectives chinoises,
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• Yu-Sion, Live, “Phénotypes et métissage culturel à La Réunion”, Revi Kiltir Kreol, n° 5, octobre 2005.
• Yu-Sion, Live, “Resinisation of the Sinwa in Reunion Island : a new cultural exile or new suffering ?”,
Diversity in Diaspora, International Society for the Study of overseas Chinese, African Regional Conference,
University of Pretoria, South Africa, 2006.
• Yu-Sion, Live, “The Sinwa of Reunion : searching for a Chinese identity in a multicural world”, in Thuno, Mette (dir.),
Beyond Chinatown : New Chinese Migrants and China’s Global Expansion, NIAS Press, Copenhague, 2007a.
• Yu-Sion, Live, “Patronyme, idionyme et identité chez les Sinwa de La Réunion”, in Latchoumanin,
Michel et Malbert, Thierry (dir.), Familles et parentalité : rôles et fonctions entre tradition et modernité,
Karthala, université de La Réunion, Paris, 2007b.
• Yu-Sion, Live, “Le multiculturalisme à La Réunion : de la racialisation à l’ethnicisation des relations sociales”, in Ferréol,
• Gilles et Peralva, Angelina (dir.), Altérité et dynamiques sociales, LGDJ, Paris, 2008 (sous presse).