Forum des syndicats / L`impact des réformes en cours, prévues et
Transcription
Forum des syndicats / L`impact des réformes en cours, prévues et
Forum des syndicats / L’impact des réformes en cours, prévues et prévisibles sur l’emploi dans la fonction publique territoriale Animateur : Henri TOULOUZE Secrétaire général de l’Union Nationale des Syndicats Autonomes (UNSA) en charge de la formation syndicale Réformes de la fonction publique territoriale : « tout se tient » Henri JACOT Personnalité qualifiée, Conseil national d’orientation, Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT) En guise d’introduction Actuellement, trois réformes participent à la transformation du service public local. Il s’agit de la réforme des collectivités territoriales, de la réforme du financement local et de la réforme de la fonction publique elle-même. Chacune d’entre elles aura des répercussions tant qualitatives (nature et qualité des postes) que quantitatives (nombre de postes) sur l’emploi dans la fonction publique territoriale. Fonction publique de carrière versus fonction publique d’emploi La fonction publique traditionnelle de carrière repose sur un statut particulier, un système statutaire de rémunération et d’avancement, un régime spécifique de pension de retraite, un principe de recrutement en début de carrière et d’emploi à vie ainsi que les valeurs du service public, mais le cadre de la fonction publique d’emploi est tout autre. En effet, les recrutements sont effectués en fonction de compétences requises pour un emploi spécifique et les agents sont engagés sur la base d’un contrat. La gestion de la rémunération et de l’avancement se fait également de façon individualisée. De plus, la fonction publique de métiers ne garantit pas l’emploi à vie et n’offre pas aux agents de bénéficier d’un régime particulier de pension de retraite. Enfin, une place centrale est accordée au principe de performance. En 2008, le rapport Silicani introduit la notion de « fonction publique de métiers » pour répondre aux exigences de modernisation du service public local. Chacun peut se demander si ce terme n’est pas utilisé pour nommer – insidieusement – la fonction publique d’emploi. S’il est indéniable que la fonction publique doit évoluer, ne serait-ce qu’en vertu du principe d’adaptabilité, il semble dangereux de supprimer la fonction publique de carrière au profit d’une fonction publique d’emploi ou même de créer un contexte hybride issu de ces deux conceptions. 1 La tendance annoncée par les réformes en cours La loi du 26 janvier 1984 avait pour objet de permettre aux collectivités de se doter d’un nombre suffisant d’agents de qualité, de manière à assumer leurs nouvelles compétences, issues de la décentralisation. Depuis son entrée en vigueur, plusieurs lois ont modifié son architecture initiale (lois Galland en 1987 et Hoeffel en 1994, par exemple), mais depuis les années 2000, les réformes qui participent à la création d’une fonction publique d’emploi se multiplient : - loi du 26 juillet 2005 sur les Contrats à Durée Indéterminée (CDI) qui pérennise, en quelque sorte, un « sous-statut » de fonctionnaire - loi du 19 février 2007 relative à la fonction publique territoriale, qui induit une réduction drastique de la formation d’intégration des catégories A et B - loi du 3 août 2009 sur la « mobilité », qui autorise l’intérim et ouvre la possibilité d’expérimenter l’évaluation à la place de la notation, etc. Par ailleurs, la réforme des collectivités territoriales accentue également cette évolution vers une fonction publique d’emploi, puisqu’elle se traduit par une volonté de spécialisation des collectivités. Cette tendance induira des réorganisations profondes du personnel territorial et la mutualisation de certaines compétences. Enfin, la réforme de la fiscalité locale fera peser de nouvelles contraintes financières sur les collectivités locales. Elles auront d’importantes répercussions (quantitatives et qualitatives) sur l’emploi. Les réformes du financement, du statut et de l’organisation de la fonction publique sont orientées dans le même sens. Tout se tient dans un ensemble cohérent. Dans ces conditions, un défi se pose : comment moderniser autrement la fonction publique en garantissant un service public local de qualité ? La fonction publique paie les conséquences de l’austérité Michel GUERLAVAIS Secrétaire national de l’UNSA en charge des affaires européennes La France prise au piège d’une crise économique européenne En raison de son appartenance à la zone euro, la France est tenue de respecter certaines obligations. Ainsi, en théorie, son déficit annuel ne doit pas dépasser 3 % du Produit Intérieur Brut (PIB) et son endettement ne doit pas aller au-delà de 60 % du PIB. Mais la crise financière a eu des conséquences catastrophiques sur les finances publiques des pays européens, qui ont tous largement dépassé les seuils maximums autorisés d’endettement et de déficit. Dans ce contexte, la Commission européenne et les États membres de l’Union Européenne (UE) ont choisi de donner la priorité à l’assainissement budgétaire, traduit par la mise en place de politiques d’austérité. En France comme dans d’autres pays européens (Grèce, Pologne, Italie…), les dépenses publiques font l’objet de coupes sévères. Elles entraînent la suppression massive d’emplois publics (100 000 d’ici 2011, en France), le gel du recrutement dans la fonction publique, la stagnation des salaires des fonctionnaires… Par ailleurs, la participation de l’État 2 français au fonctionnement des collectivités territoriales n’augmentera pas entre 2011 et 2013. Si des politiques rigoureuses sont indispensables pour parvenir à résorber le déficit public, il semble que l’effort financier doit être plus justement réparti. De plus, l’austérité imposée, si elle rassure les marchés financiers (le déficit abyssal de certains États membres risque d’entraîner une fragilisation de l’euro), risque d’anéantir les perspectives de croissance. En effet, la réduction de l’emploi public ou la stagnation des rémunérations entraîne une réduction de la demande et un ralentissement de l’activité économique. Les services publics : un investissement pour un choix de société Outre les contraintes financières, l’appartenance à l’UE nécessite également de respecter les règles du marché unique européen, règles parmi lesquelles figure le principe de libre concurrence. Cette règle se marie mal avec l’intérêt général, mais heureusement, les services publics y échappent encore. À cet égard, la communication de la Commission intitulée « Vers un Acte pour le marché unique » du 27 octobre 2010 marque une inflexion positive de la position jusqu’alors adoptée par les institutions européennes. En effet, la Commission reconnaît dans ce document que le jeu du marché n’apporte pas une réponse adaptée à tous les besoins collectifs. Pour sa part, l’UNSA considère que les services publics doivent conserver un statut spécifique et rester au cœur du projet européen afin de promouvoir la solidarité, l’égalité et la cohésion sociale. Et ce, d’autant plus que la libéralisation de certains services publics ne semble avoir conduit qu’à une baisse de leur efficacité et à une hausse des coûts pour les usagers. Dans l’UE, les services publics représentent 64 millions d’emplois et plus de 150 milliards d’investissements annuels. Il ne s’agit donc pas d’un coût mais bien d’un investissement au service d’un choix de société. Échanges avec la salle Distinguer fonction publique d’emploi et fonction publique de métiers De la salle (Agnès LERAT, Présidente de la Confédération Française de l’Encadrement – Confédération Générale des Cadres (CFE-CGC)) Selon la CFE-CGC, l’évolution vers une fonction publique de métiers n’implique pas forcément la disparition de la carrière. Le métier est une réalité que nous vivons et dont il faut accepter de parler. Henri JACOT Il ne faut pas se méfier de la fonction publique de métiers en tant que telle. Mais sous couvert de cette notion, il faut être vigilant à ce que ce ne soit pas une fonction publique d’emploi – qui n’intègre pas la notion de grade – qui s’impose. De la salle (Audrey HENOCQUE, Département du Rhône) Quel est le coût de la masse salariale de la fonction publique dans le budget de l’État ? 3 Michel GUERLAVAIS Les économies réalisées grâce aux efforts fournis sur l’emploi dans la fonction publique sont faibles au regard de l’effort global nécessaire. De la salle L’opposition entre fonction publique de carrière et fonction publique de métiers me semble caricaturale. De la salle (Michel SELITZKI, Confédération Générale du Travail (CGT)) Le mot « métier » ne doit pas être considéré comme un tabou. La 4 e édition du répertoire des métiers du CNFPT fait figurer le lien entre métier et statut. Il me semble que le statut est le garant de l’unicité de la fonction publique territoriale et qu’il permet d’éviter que l’on transforme les usagers des services publics en clients. Henri JACOT Il ne s’agit pas d’opposer la fonction publique de carrière à la fonction publique de métiers mais à la fonction publique d’emploi. Un lexique aux connotations négatives De la salle (Véronique ROBITAILLIE, Conseil général des Côtes-d’Armor) La notion de cadre d’emplois est intéressante par rapport à la logique de corps car elle permet un enrichissement des compétences. S’agissant de la situation budgétaire, il est de plus en plus fréquent de n’évoquer la fonction publique territoriale qu’en termes de coût de la masse salariale, de charges financières… Ces termes ont une connotation négative et ils masquent l’ampleur des services rendus par les collectivités aux usagers (dépenses d’action sociale, entretien des collèges ou des routes, etc.). Michel GUERLAVAIS L’usage de certains mots n’est pas neutre. Évoquer la fonction publique territoriale en termes de coûts est un choix. Ce faisant, on ne mentionne pas que les services rendus par les collectivités sont gratuits alors qu’il s’agirait de prestations payantes s’ils étaient assurés par des entreprises privées. Si certains sont favorables à l’individualisation des services publics, les syndicats défendent au contraire leur mutualisation, car elle assure la cohésion sociale. La libéralisation des services publics ne permet pas de garantir la satisfaction de l’intérêt général. Penser le marché autrement De la salle Le fonctionnement du marché semble remettre en cause celui des services publics. Mais il n’est pourtant pas question d’organiser l’économie différemment. Dans ce cas, de quelle manière les principes du marché peuvent-ils cohabiter avec les principes sur lesquels reposent les services publics ? 4 Michel GUERLAVAIS En effet, il ne s’agit pas de refuser l’existence du marché et de ses règles (libre concurrence, libre circulation des marchandises…). Bien au contraire, la Confédération Européenne des Syndicats (CES) reconnaît l’importance du marché. Néanmoins, d’après elle, il n’est pas capable de s’auto-réguler et il est donc nécessaire de préserver une sphère dans laquelle la défense de l’intérêt général serait garantie. Il est aujourd’hui nécessaire que la politique européenne change de cap et qu’elle prenne en compte les préoccupations sociales des citoyens. Dans le cas contraire, les travailleurs européens risquent d’adhérer de moins en moins à l’idée de l’UE, dont la réglementation n’est pas porteuse d’avancées. Henri JACOT Historiquement, l’économie de marché était opposée à l’économie de plan. Le second modèle a été abandonné au profit du premier. Pour autant, la sphère de l’économie de marché ne doit pas s’étendre jusqu’à transformer la société en société de marché. En effet, certaines prestations d’intérêt général nécessitent de recourir à des modes de satisfaction des besoins qui ne transitent pas par la logique de marché. Le service public entre alors en jeu car il permet de mettre en œuvre une autre forme d’attribution des ressources. Parvenir à définir le service public au niveau européen De la salle Aujourd’hui, les membres de l’UE se révèlent incapables de donner une définition unique du service public. Sera-t-il possible d’y parvenir ? Michel GUERLAVAIS L’UE a donné une définition des Services d’Intérêt Général (SIG) et des Services d’Intérêt Économique Général (SIEG), mais elles ne sont pas satisfaisantes. Mais est-ce vraiment à l’Europe de définir la notion de service public ? N’est-ce pas plutôt du ressort de l’État et surtout des collectivités locales, qui sont les plus proches des citoyens, de définir précisément les notions de service public et d’intérêt général. L’UE a pour mission de permettre à tous les agents des services publics de jouer leur rôle, mais elle ne doit pas se substituer à eux. Christine JOSSET-VILLANOVA Administrateur UNSA du CNFPT- Coordinatrice du Forum des Syndicats 2010 L’avenir de la fonction publique territoriale ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. Il est difficile de maintenir un service public de qualité et de proximité alors même que les financements sont de plus en plus restreints. 5 Sigles CDI : Contrat à Durée Indéterminée CES : Confédération Européenne des Syndicats CFDT : Confédération Française Démocratique du Travail CFE-CGC : Confédération Française de l’Encadrement – Confédération générale des Cadres CGT : Confédération Générale du Travail CNFPT : Centre National de la Fonction Publique Territoriale PIB : Produit Intérieur Brut SIEG : Service d’Intérêt Économique Général SIG : Service d’Intérêt Général UE : Union Européenne UNSA : Union Nationale des Syndicats Autonomes Compte-rendu des Entretiens territoriaux de Strasbourg 1er et 2 décembre 2010 © CNFPT INET 2010 Réalisation : 6