A l`instar de l`ellipse, la notion de parataxe est d`autant plus

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A l`instar de l`ellipse, la notion de parataxe est d`autant plus
A l’instar de l’ellipse, la notion de parataxe est d’autant plus difficile à théoriser qu’elle paraît
intuitive. Buyssens disait déjà il y a plus de trente ans : « Il suffit de comparer quelques
auteurs pour constater qu’il n’y en a pas deux qui disent la même chose à propos de la
juxtaposition, de la parataxe ou de l’asyndète (1974 :19). Plus près de nous, Rosier (1995)
parlait à son propos de « notion linguistico-littéraire » ; Le large emploi qui en est fait est dû
à l’insuffisance de sa définition, en substance : « structure phrastique couplant deux
constructions prédicatives ou plus, en l’absence de tout connecteur. » On gagnerait donc à
circonscrire l’intension de cette notion , et à en réduire ainsi l’extension. Divers travaux se
sont attelés à cette tâche, comme en témoigne le colloque de Neuchâtel en 2007. L’ensemble
des contributions témoignent du souci d’opérer la distinction , d’une part, entre parataxe et
subordination implicite, d’autre part entre corrélation et parataxe, et débouchent sur la
conclusion qu’il est nécessaire d’assouplir la relation entre marque morphologique et relation
syntaxique, quitte à bâtir une syntaxe plus simple (Simpler Syntax, Cullicover & Jackendoff,
2005).
Cependant, la parataxe, entendue au sens large, couvre aussi des modes de construction qui ne
relèvent pas de l’effacement d’une marque syntaxique, mais de l’ellipse, de la dislocation,
voire de l’adjonction, comme le fait observer Dupriez (1984 : 328) en citant H.Michaux (1).
Commençons donc par rappeler l’avertissement de Tesnière : « La plupart des exposés sur la
parataxe sont viciés à la base parce que, faute de faire la distinction entre la parataxe, fait
syntaxique, et son marquant, fait morphologique, ils confondent constamment la parataxe
avec l’hypotaxe sans marquant » (1988 : 319). Nous admettrons donc comme base de travail
que la parataxe est une structure phrastique indépendante des deux autres constructions
syntaxiques que sont la subordination implicite et le tour corrélatif, en résumant l’essentiel
des arguments avancés ; telle que nous l’envisageons, la parataxe consiste en la juxtaposition
de deux sous-phrases sans dépendance syntaxique. L’absence de joncteur n’est donc pas le
seul critère de catégorisation. Notre propos vise à montrer :
1/ que la juxtaposition entre sous-phrases dans le cadre de la phrase multiple et
la juxtaposition entre phrases dans un texte relève de procédés analogues, tout en produisant
des effets différents et que la différence est d’ordre textuel et
stylistique, plutôt que
grammatical.
2/que nous avons affaire avec la parataxe à une construction sous-déterminée,
qui est gérée non par la grammaire de phrase mais par l’organisation textuelle et discursive,
et dont l’interprétation est fonction du type séquentiel et du genre du texte dans lequel elle est
intégrée
1. parataxe et pseudo-subordination
Il est bien établi que la juxtaposition de propositions peut dissimuler une dépendance
hiérarchique de l’une à l’autre ; autrement dit que deux propositions se suivant sans marque
segmentale peuvent être l’équivalent d’un ensemble {proposition principale + proposition
subordonnée}, quelle que soit la valeur sémantique de cette subordonnée, et que la
subordonnée entretienne ou non un rapport de rection avec le verbe de la principale . La
valeur de la proposition dépendante peut être temporelle : Je suis arrivé à Toulouse, donc en
euh soixante-dix-neuf j’avais quarante-six ans (Choi-Jonin, 2005 :58), ce que
Deulofeu
(1999) appelle « greffe », conditionnelle : Aide-toi, le ciel t’aidera ( La Fontaine, Fables, VI,
XVIII), oppositive : Le gourmand dévore, le gourmet déguste (Riegel et Al. 1994 : 520),
concessive : Je l’aime, je le fuis ; Titus m’aime, il me quitte1 ou encore causale : Elle me
résistait, je l’ai assassinée (Antony, A.Dumas) ; un indice grammatical détectable dans la
première proposition vient souvent marquer la dépendance, tel que mode, modalité de phrase,
inversion du sujet. La courbe intonative de la première proposition est nettement marquée
dans ce cas comme mélodie suspensive sans conclusion. Des tests syntaxiques prouvent la
dépendance d’un des deux segments par rapport à l’autre. De la subordination implicite à la
corrélation, la différence essentielle est que dans le second cas, il n’y a plus de
hiérarchisation.
2. La corrélation
La corrélation est définie comme une structure mettant en jeu une protase et une apodose
éventuellement reliées par « et », d’où l’appellation de « co-subordination », dans laquelle la
co-présence des deux segments est obligatoire, ce qui les rend mutuellement dépendantes, et
solidaires, avec des valeurs allant du temps « tantôt il rit, tantôt il pleure » ou de la proportion
« Plus il mange, plus il grossit » à la simple comparaison « Tel père , tel fils ».
Van Valin & LaPolla ( 1997) ont introduit pour décrire ces structures la notion de
cosubordination , qui consiste en une dépendance sans enchâssement ; Culicover et
Jackendoff analysent
ces
constructions
comme « coordination
paratactique »
plus
« subordination sémantique », et Abeillé (2007) corrige en « subordination syntaxique ».
De cet ensemble d’analyses ressort néanmoins l’idée que l’on a encore affaire à un cas de
dépendance syntaxique, quoique non marquée.
1
Racine, Bérénice
3. Parataxe et coordination
On a souvent avancé que la parataxe n’était autre qu’une liaison implicite , subordination
implicite , ou coordination implicite .Tesnière assimile même coordination et parataxe : « la
structure coordonnée consiste à établir deux exprimandes sur le même étage structural. La
disposition qui en résulte est ce qu’on appelle une parataxe, le grec para signifiant que les
deux nœuds sont placés l’un à côté de l’autre. « (1988 : 313) . Sechehaye, de son côté parle
de « coordination pure » pour décrire ce que nous appellerions, pour notre part, une parataxe
descriptive. Ainsi, à propos de l’exemple suivant : « La nuit était noire, le vent soufflait, il
faisait un froid terrible », il dit : « [dans ce premier type], chaque proposition exprime un trait
caractéristique de l’ensemble, et ces traits sont aussi bien liés dans cette unité plus générale
que peuvent l’être des yeux, un nez et une bouche dans l’idée d’un visage. C’est là un rapport
de pure coordination. » (1926 : 174)
Par ailleurs, on emploie également le terme de « juxtaposition » comme synonyme de
« parataxe », du moins lorsqu’il s’agit de la juxtaposition de propositions. Ainsi Riegel & al.,
parlant de la juxtaposition/parataxe, avancent : « la juxtaposition a pu être décrite comme une
coordination à la fois asyndétique (par effacement de la marque de relation) et implicite (le
rapport sémantique entre les éléments conjoints n’est pas spécifié » (p. 519).
Or, depuis longtemps déjà , Antoine a établi la distinction entre coordination et juxtaposition ,
en rappelant que « la juxtaposition formelle représente le plus souvent, non pas une
juxtaposition authentique, mais soit une subordination soit une coordination privée de signe
conjonctionnel. « (1958 :427-8). Il établit ensuite la distinction entre plusieurs sortes de
juxtapositions
A/-juxtaposition authentique, traduisant des états émotionnels, des « représentations
psychiques s’accumulant sans aucun lien logique », s’appuyant sur un exemple de Hugo (2)
B/-juxtaposition coordinative « où les membres juxtaposés sont psychologiquement
joints en une chaîne de pure succession extérieure » ; il range dans cette catégorie l’asyndète
adversative, où l’ellipse de tout strument est délibérée, avec à l’appui un exemple de Racine
(3)
C/- juxtaposition subordinative, extrêmement fréquente en ancien français, notamment
pour une supposée complétive après un verbe sentiendi ou declarandi (ex.4 ). Il semble que
la frontière avec la subordination implicite soit chez lui mal marquée, sauf à signaler que la
seconde comprend souvent un « terme tremplin » dans la principale
D/- la juxtaposition corrélative, telle qu’examinée plus haut
E/ la juxtaposition prédicative
l’exemple canonique est fourni par la phrase de César Veni, vidi, vici. L’absence de ligature
est alors compensé, selon Antoine, par l’ordre des mots, le jeu modal ou temporel,
l’intonation, la cohérence morphologique, voire des marques annexes, telles que assonance,
effet rythmique , qui confèrent « un courant de liaison et une impression d’enchaînement et
d’unité. » (p. 436) Selon lui, dans ce cas, un membre A est posé comme thème et un membre
B fait office de prédicat par rapport à ce thème ; c’est pourquoi il l’appelle « juxtaposition
prédicative ». Or ce mécanisme, déjà pointé par Bally sous le nom de coordination, ne
convient pas, selon nous, à toutes les structures juxtaposées . Il convient bien pour les
juxtapositions que l’on trouve dans une séquence dialogale : ce type de construction est même
réputé fréquent à l’oral . Bally en donne pour exemple cette phrase de Sully Prudhomme :
« N’y touchez pas, il est brisé », ainsi que « Il est brisé ; n’y touchez pas. » . Il y voit un effet
de coordination parce que si ces deux propositions sont juxtaposées , du moins la seconde est
un prédicat qui a pour thème la première.
Voilà la juxtaposition prédicative d’Antoine. Pour notre part, nous dirions, en pareille
occurrence, que nous avons affaire à la succession de deux actes de langage dans une seule
réplique, dans le cadre d’une séquence de type conversationnel, comme dans les exemples
suivants : « La porte est ouverte : entrez ! » ou « Je n’en ai plus : voulez-vous que j’en
commande ? » ; La linguistique interactionnelle parle dans ce cas d’ « intervention
complexe » , dans laquelle l’acte principal est préparé par un acte subordonné2. . Ainsi, la
« parataxe prédicative » s’applique bien au texte dialogal, et on le trouve en abondance dans
le texte de théâtre : (ex.5)
En revanche, elle s’applique beaucoup moins bien aux parataxes narratives,
telles que veni, vidi, vici, ou descriptives telles que celle mentionnée par Sechehaye, dans
lesquelles il est abusif de dire que le second segment (ou le troisième !) serait le prédicat dont
le premier segment serait le thème ; dans les deux exemples, au contraire, on a une séquence
de prédications indépendantes, dont chacune est un élément d’une totalité.
En somme, la démonstration d’Antoine a le mérite de pointer l’existence d’une forme de
juxtaposition coordinative, spécialement adversative, et surtout d’isoler la juxtaposition dite
prédicative . En commentant l’exemple de César, il montre bien qu’on ne saurait parler ici de
juxtaposition « primaire », ni de juxtaposition coordinative ou subordinative. On a donc
affaire à une catégorie à part.
2
E. Roulet, 1987 : 33
4/ la construction paratactique, comme forme textuelle
A la différence d’Antoine, nous dirions, en ce qui concerne les constructions du type veni,
vidi, vici,; que nous n’avons plus affaire à une juxtaposition prédicative, mais plutôt à une
construction paratactique, sous-déterminée sémantiquement et non marquée syntaxiquement,
dont la production comme l’interprétation sont déterminées au niveau global de la gestion du
texte ; autrement dit, qu’on ne trouve pas ce genre de structure dans n’importe quel genre de
texte et que leur interprétation est fonction du type de séquence où elles sont insérées, ce qui
signifie qu’elles ne fonctionnent pas isolément, mais conjointement avec d’autres marques
linguistiques telles que l’intonation, l’organisation thématique du texte, les liens
anaphoriques, le jeu des valeurs aspectuelles, l’ordre des propositions, la place de la phrase
dans la séquence et la ponctuation, voire le type de mise en forme du texte et les effets
rythmiques . La ponctuation joue ici un rôle discriminant.
En effet, on a souvent remarqué que la juxtaposition de sous-phrases dans un texte écrit
donnait lieu à des marques de ponctuation très différentes, virgule, point-virgule, deux points,
et ce, depuis la stabilisation de la ponctuation. Certes, il a fallu attendre que les signes de
ponctuation ne soient plus aléatoires pour que les scripteurs exploitent cette marque comme
procédé de mise en forme3.
Mais depuis que la ponctuation est à peu près stabilisée et qu’elle est susceptible de recevoir
une interprétation syntaxique, et même avant, on trouve dans les textes littéraires des
exemples nombreux de parataxe dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler le « style
coupé ». On qualifie ainsi cette disposition qui consiste à juxtaposer sans lien des phrases, ou
éventuellement à les coordonner. Et un pas de plus est franchi lorsque les propositions sont
raccordées entre elles par une simple virgule, formant ainsi une phrase multiple.
Où est donc la frontière entre le style asyndétique qui fait se succéder les phrases sans aucun
lien et la construction paratactique ?. Notre enquête commencera par observer le phénomène
dans les textes du moyen-âge, tout en se gardant de croire que la ponctuation des éditions
modernes puisse être absolument fidèle aux intentions des scripteurs.
3
Le point représente depuis le xvième une ponctuation forte ; quant à la ponctuation moyenne, déjà pour Meigret
(1542) le comma (deux points) ou le point-virgule signifiaient une semi-pause, servant à distinguer deux
membres, tandis que le « soupir », c’est-à-dire la virgule, servait à distinguer les parties d’un membre
5. Retour historique sur les rapports entre style coupé et parataxe
Le style coupé et la juxtaposition subordinative sont attestés très tôt, comme en témoignent
les récits du Moyen-âge, chansons de gestes ou romans. Si on compare à cet égard une laisse
de la chanson de Roland, ou du Raoul de Cambrai, à une page d’un roman de Chrétien de
Troyes (Erec et enide), on constate que le style asyndétique subsiste, moyennant quelque
évolution ; la plus importante concernant le jeu des temps. La persistance du style asyndétique
s’explique en large partie par le mode de diffusion et de transmission du texte . Celui-ci
connaît une existence quasi orale, impliquant la co-présence d’une figure de narrateur et de
narrataire, et se rapproche ainsi du texte dramatique, en ce qu’il est porté par une présence
physique. C’est en partie ce qui explique l’absence de lien entre les phrases, qui laisse à
l’auditeur le soin du travail interprétatif . Car à l’instar du conteur, le narrateur incarné par le
jongleur se contente de dérouler les faits, sans anticiper sur la fin , ni se livrer à des
interprétations. Ses commentaires, quand ils existent sont à raz du sujet ; ce sont des
jugements parenthétiques. L’auditeur le suit donc pas à pas, tout en partageant l’émotion dans
l’immédiateté des événements. La domination du présent , comme le style coupé s’expliquent,
entre autres, par ce souci de convoquer les événements dans l’actualité de l’acte narratif. Il
existe bien quelques arrières-plans parenthétiques, ayant une fonction descriptive et rendus
par des passés simples, ou des passés composés à valeur de bilan pour jalonner l’action (ex. 6
.Erec et enide, .v.75) et qui représentent autant de décrochages par rapport au présent de la
scène narrative (ex.7 Raoul de Cambrai, v.1048-1050) ; mais dans l’ensemble, la narration
déroule les événements dans la linéarité de la parole, cherchant un effet d’actualisation, même
lorsqu’il s’agit de mettre en place le cadre de l’action, comme le montrent les premiers vers de
la laisse 169 de la Chanson de Roland (ex. 8). Le style asyndétique participe donc de cette
mise à plat des événements : il cherche plus à émouvoir qu’à expliquer.
Certes, comme le montre Buridant4, il est bien hasardeux d’établir une distinction définitive
entre un style asyndétique qui supprimerait délibérément la liaison entre phrases (laquelle
n’est, rappelons-le, nullement nécessaire ; la simple succession étant suffisante) et la parataxe
ou juxtaposition de propositions indépendantes au sein d’une seule phrase multiple, compte
tenu du caractère peu fiable de la ponctuation qui ne peut avoir de valeur grammaticale.
4
« On définira la phrase, non toujours repérable comme telle à travers la ponctuation des manuscrits, comme une
unité syntaxique autonome dont chaque élément contribue à constituer une chaîne d’assertion », (2000 :568)
Pourtant, dès qu’apparaissent des variations de point de vue et une planification textuelle
d’ensemble supposant des changements de plans concertés, systématiques, organisés
autrement que sur le mode de la parenthèse, ceux-ci s’accompagnent de variation rythmique,
et on commence à rencontrer de véritables passages de parataxe narrative ou descriptive, au
sens où nous l’entendons. Même si la ponctuation ne peut pas en témoigner, les effets de
rythme et la structure métrique suffisent à le démontrer : la proposition correspond soit à
l’hémistiche, soit au vers entier, soit à des pauses secondaires ; alors la disposition des
propositions fragmente le vers, crée des effets de rythme et participe à l’accélération du
tempo, comme le montrent les vers 119-122 de Erec et Enide (6). L’encadrement du passage
par deux arrière-plans descriptifs, le retour au présent de narration , la progression thématique
par thème dérivé, tout concourt à faire du passage une description d’actions, une totalité dans
laquelle chaque proposition joue le rôle de partie. En dépit de la linéarité de la narration,
l’effet créé par la parataxe descriptive est plutôt celui d’une disposition tabulaire, où les
éléments sont en co-présence ; d’où le recours à une anaphore partielle, comme celle qui est
assurée par le pronom li un…li autre.
Le procédé est donc attesté très tôt dans les textes. Cependant, dans la conscience
grammaticale, il faut attendre que la phrase existe en tant que concept , c’est à dire selon J.-P.
Seguin, après 1800, pour établir une distinction claire entre période asyndétique et phrase
multiple paratactique. Jusque là, on parlera seulement de style asyndétique, puisque la seule
réalité qu’on appréhende à cette époque entre les mots et le discours, c’est la période. Celle-ci
réalise à la fois un patron rythmique et une unité sémantique , même si elle ne recouvre pas
aussi un patron syntaxique, de l’ordre de l’hypotaxe. En effet, selon le type et le genre de
textes, la période peut être asyndétique ou hypotactique., comme le dit expressément Jaucourt,
et , en accord avec Buffier5, on pourrait aller jusqu’à parler de périodes en style coupé. La
5
Brunot F. 1966 : T.VI, p.1980 citant Buffier (n°995), « les périodes du style coupé consistent en plusieurs phrases ou expressions qui
souvent prises chacune en particulier semblent faire un sens complet ; et pourtant ce ne sont que des phrases ou des propositions particulières
subordonées à une proposition principale, dont elles marquent les diverses circonstances ou les divers regars. » voici l’exemple donné par
Buffier : « Il vient une nouvelle ; on en raporte les circonstances les plus marquées ; elle passe dans la bouche de tout le monde ; ceux qui en
doivent être les mieux instruits la croient, la dsent, la répandent ; j’agis sur cela ; je ne crois pas être blamable. » . Buffier donne un exemple
dans une narration : Mais son exemple est différent des nôtres dans la mesure où la valeur des temps et l’organisation thématique y crée une
variation de plans:
« Les ennemis avaient fait une marche forcée ; quelques cavaliers avancent pour les reconnoître ; toute notre armée fuit lentement, etc »
cf Article « style », Jaucourt, L’Encyclopédie
Le style périodique est celui où les propositions ou les phrases sont liées les unes aux autres, soit par le sens même, soit par des conjonctions.
Le style coupé est celui dont toutes les parties sont indépendantes & sans liaison réciproque. Un exemple suffira pour les deux especes.
« Si M. de Turenne n'avoit sû que combattre & vaincre, s'il ne s'étoit élevé au - dessus des vertus humaines, si sa valeur & sa prudence
n'avoient été animées d'un esprit de foi & de charité, je le mettrois au rang des Fabius & des Scipions ». Voilà une période qui a quatre
membres, dont le sens est suspendu. Si M. de Turenne n'avoit sû que combattre & vaincre, &c. ce sens n'est pas achevé, parce que la
conjonction si promet au - moins un second [p. 553] membre; ainsi le style est là périodique. Le veut - on coupé, il suffit d'ôter la
conjonction: M. de Turenne a su autre chose que combattre & vaincre, il s'est élevé au - dessus des vertus humaines; sa valeur & sa prudence
étoient animées d'un esprit de foi & de charité; il est bien au - dessus des Fabius, des Scipions. Ou si l'on veut un autre exemple: « Il passe le
Rhin, il observe les mouvemens des ennemis; il releve le courage des alliés, &c». Le style périodique a deux avantages sur le style coupé: le
premier, qu'il est plus harmonieux; le second, qu'il tient l'esprit en suspens. La période commencée, l'esprit de l'auditeur s'engage, & est
obligé de suivre l'orateur jusqu'au point, sans quoi il perdroit le fruit de l'attention qu'il a donnée aux premiers mots. Cette suspension est très
période peut même cumuler les deux procédés , hypotaxe et asyndète, comme le montre
l’exemple de Rotrou (ex.9), où des phrases complexes se juxtaposent entre elles et avec des
phrases simples pour former une période, moyennant une anaphore rhétorique. Ce style coupé
va s’épanouir dans la prose du XVIIe.
Mais déjà bien avant, les textes poétiques, le poème dramatique ou la fable privilégient le
style asyndétique, comme en témoignent l’exemple du poème dramatique ou de la fable (
ex.10), non seulement pour des raisons stylistiques, puisqu’il est réputé conférer à la période
dynamisme et énergie, mais aussi pour des raisons prosodiques, chacune des propositions
s’intégrant aisément à l’unité métrique. La juxtaposition de phrases permet de se plier en
souplesse à la concordance différée : le patron syntaxique de la période peut déborder le
cadre de l’hémistiche ou du vers , à condition de se poursuivre jusque la limite métrique
suivante, quitte à se déployer sur quelques vers. La poésie classique réalise ici un compromis
entre l’ampleur de la période et les contraintes du mètre, puisque l’unité sémantique globale
se trouve subdivisée en unités inférieures coïncidant avec des unités de mesure.
Et, comme dans la poésie de l’ancienne langue, ce style asyndétique s’accompagne souvent
de formes paratactiques. On voit alors, à l’intérieur du vers, se déployer ce que nous appelons
aujourd’hui une phrase multiple paratactique, c’est-à-dire une juxtaposition de propositions,
pourvu que le type de séquence s’y prête, en d’autres termes lorsque le texte offre un passage
descriptif ou narratif. Ainsi au v. 876 d’Athalie (ex.11), la juxtaposition de propositions peint
un état d’esprit hésitant, en exploitant les ressources de la forme paratactique : la progression
thématique à thème constant entraîne la reprise à l’identique du pronom sujet, le parallélisme
syntaxique commande la permanence du présent, la juxtaposition de propositions brèves
permet la découpe de la phrase en quatre segments trisyllabiques correspondant aux quatre
mesures du vers. La césure
comme la coupe correspondent alors
à des articulations
syntaxiques. La délimitation du groupe syntaxique formé par la proposition, avec l’accent qui
lui est propre matérialise la coupe à l’intérieur des hémistiches, lui donnant une existence
phonétique, et le silence après l’accent vient renforcer la coupe .
La forme ainsi obtenue fait coïncider le patron syntaxique et le patron rythmique, mais elle
correspond en outre à une unité sémantique et textuelle ; en effet, que ce soit dans un passage
narratif ou descriptif, ou dans un passage qui articule les deux modes, la construction
- agréable à l'auditeur, elle le tient toujours éveillé & en haleine. Le style coupé a plus de vivacité & plus d'éclat: on les emploie tous deux
tour - à - tour, suivant que la matiere l'exige. Mais cela ne suffit pas à – beaucoup près pour la perfection du style: il faut donc observer avant
toutes choses que la même remarque que nous avons faite au sujet de la poésie, s'applique également à la prose, je veux dire que chaque
genre d'ouvrage prosaïque demande le style qui lui est propre. Le style oratoire, le style historique & le style épistolaire ont chacun leurs
regles, leur ton, & leurs lois particulieres.
paratactique correspond à une configuration des parties dans un ensemble. Que cet ensemble
soit un tableau, une scène, ou seulement une idée, voire une impression, la parataxe va
permettre de restituer la concomitance des éléments. En dépit de la nécessaire linéarisation du
discours, la parataxe consiste à tout mettre à plat, sur le même plan. Et la parataxe narrative a
ceci de particulier que quand la co-présence n’abolit pas complètement la succession
temporelle des événements ; elle la transforme en immédiateté.
Ainsi l’exemple de Phèdre (ex.12) illustre parfaitement cet effet d’immédiateté secondé par
les oppositions aspectuelles des temps verbaux, le tout servant à l’organisation séquentielle
du récit. L’accélération de vitesse narrative produit par la parataxe est telle que l’ensemble
constitue un micro-récit, où se succèdent la Pn 2, l’action (v.273-4), Pn 3,la réaction (v. 275)
et la Pn 4 la résolution (v. 278-279). C’est du moins la première étape d’un récit plus
complexe. Mais si on observe la Pn2 de plus près (v. 273-4), on constate que la succession des
événements y est même battue en brèche par la simultanéité ; l’ordre des propositions n’est
plus mimétique de la succession des événements ; on pourrait y voir plutôt un chevauchement,
voire un recouvrement, et les propositions pourraient tout aussi bien figurer dans un autre
ordre ; du coup, la séquence des propositions n’exprime plus non plus une logique du récit.
Si on observe maintenant le fonctionnement de la parataxe dans un extrait du premier
chapitre de Candide. (ex. 13), on constate un effet comparable. Dans la dernière phrase, les
événements semblent se superposer plutôt que se succéder. Et si, dans le première phrase ,on
a bien une succession très rapide des événements, ceci est dû, non à la parataxe, mais à la
présupposition, qui fait succéder « ramasser » à « laisser tomber ». Qu’aucune indication
logique de ce type ne vienne à figurer, et alors la parataxe créera un effet de simultanéité des
événements.
De surcroît, ce passage de Candide est particulièrement intéressant en ce qu’on y retrouve une
configuration déjà présente dans les textes narratifs de l’ancien français, à savoir que le
passage débute sur le mode du style asyndétique, et que la forme paratactique s’y présente
comme l’aboutissement ultime de l’accélération du tempo narratif
Ce sont donc les mêmes dispositifs textuels qui se prolongent d’une forme à l’autre :
constance de l’isotopie, jeu des valeurs aspectuelles liées aux temps, progression thématique.
L’accélération du tempo va progressant et culmine dans la dernière phrase, segmentée en
quatre propositions. Paradoxalement l’ironie naît ici d’une absence apparente d’intervention
du narrateur ; les événements semblent se dérouler d’eux-mêmes de façon quasi mécanique, et
enfin se désorganiser.
Les événements relatés sont présentés soit dans leur chevauchement soit dans l’immédiateté
de leur succession, ce qui n’est jamais complètement le cas dès qu’apparaît une conjonction
de coordination ou un adverbe, induisant soit une relation logique (comme le fait souvent le
« et » à valeur consécutive ou adversative), soit l’idée d’un intervalle de temps écoulé, si
minime soit-il. Que l’on compare l’effet produit par la parataxe, et celui qui est produit par la
coordination fermante sur un exemple de La fontaine (ex.14). La conjonction « et » induit une
notion logique résultative, rompant le parallélisme introduit entre les deux premiers segments
juxtaposés. Il ne s’agit plus de présenter la quasi simultanéité des trois événements, mais de
présenter le troisième, le rire comme résultant des deux autres.
On trouve la même forme paratactique dans le texte descriptif, lorsqu’il s’agit de rendre
compte d’un tableau ou d’une idée, certes composite, mais dont les éléments sont coprésents . Dans ce cas, tout connecteur aurait immédiatement pour effet de réduire l’illusion
de co-présence en réintroduisant la dimension temporelle. Avec la parataxe, le temps semble
figé : les différents aspects de l’état d’âme décrit ou de l’événement se présentent dans leur
concurrence, ou simultanéité.
En somme, il ne s’agit pas pour la configuration paratactique d’exploiter la linéarité pour
signifier une succession d’événements, ou d’impressions mais bien de déjouer cette linéarité
au profit d’une co-présence.
L’effet est encore plus spectaculaire dans un tableau , comme on s’en convaincra en relisant
ce passage de Flaubert (ex.15), qui fait alterner les deux modes : asyndète entre phrases et
parataxe à l’intérieur de la phrase. Chaque phrase forme une unité sémantique indépendante,
la première peignant la diversité des promeneurs, la seconde rendant compte de l’état d’esprit
des femmes, puis de leurs toilettes la troisième du costume des hommes. La dernière semble
boucler le passage en annonçant la tombée de la nuit. On constate que, à l’intérieur de la
phrase paratactique, il serait tout à fait possible de changer l’ordre d’apparition des éléments,
la disposition étant tabulaire, à l’opposé de ce qui se passe dans le texte narratif. Du moins,
l’ordre n’est-il pas contraint même s’il peut être l’occasion d’un effet de sens supplémentaire .
En définitive, la parataxe ainsi entendue apparaît bien comme une forme textuelle
spécifique. Son fonctionnement est assuré au niveau phrastique par l’intonation à l’oral et la
ponctuation à l’écrit, mais sa valeur sémantique repose sur un faisceau de faits relevant de
l’organisation globale du texte : type de séquence, isotopie, anaphore, progression thématique.
De surcroît, la forme paratactique semble surdéterminée par des normes de genre. Si elle est
particulièrement bien représentée dans l’épopée, le poème dramatique, la fable, c’est aussi
parce qu’elle relève d’un réglage supplémentaire, se surimposant à l’ordre grammatical, et qui
est un réglage du signifiant, impliquant effets rythmiques et assonances.
Références bibliographiques
Abeillé A., Borsley R. « La syntaxe des comparatives corrélatives en français et en anglais »
Faits de langue, 28, 2007
Antoine G. La coordination en français, Paris, d’Artrey, 1958
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Annexe
1. Michaux, Face aux verrous, p.207
Je ne leur fais pas confiance aveuglément. Trop impulsifs. Faut s’en méfier. Joueraient leur
va-tout.
2. Hugo, L’Art d’être grand-père, I, XI
J’entends des voix. Lueurs à travers ma paupière.
Une cloche est en branle à l’église Saint-Pierre.
Cris des baigneurs…
Grincement d’une faulx qui coupe le gazon.
3. Racine Britannicus, V, 1
Néron m’aimait tantôt, il jurait votre perte :
Il me fuit il vous cherche : un si grand changement
Peut-il être, Seigneur, l’ouvrage d’un moment ?
4 Chanson de Rolland, v. 1923
E or sai ben n’avons guaires a vivre
5. Molière, Bourg. Gent. III, 12 :
Vous n’êtes point gentilhomme, vous n’aurez pas ma fille.
6 Erec et Enide ( 1170 ?) v.67- 114
Les chevaliers fet esvellier,
Les chaceors apareiller.
Ja sont tuit monté, si s’an vont,
Lor ars et lor saiete ont.[…]
Lors chevauchent a grant esploit,
An la forest vienent tot droit.
Cil qui devant ierent alé
Avoient ja le cerf levé.
Li un cornent, li autre huient ;
Li chien après le cerf s’esbruïent,
corent, angressent et abaient ;
Li archer espressemant traient.
Devant aus toz chaçoit li rois
Sor un chacor espanois.
7 .Raoul de Cambrai, première section, « Raoul », LXVIII, édition Sarah Kay, Lettres
gothiques, 1044-1050
En Vermendois d’autre part ce sont mis ;
Prennent les proies – mains hom en fu chatis ;
Ardent la terre – li maisnil sont espris :
Et B[erneçons] fu mornes et pensis :
Qant vit la terre son pere et ces amis
Einsi ardoir, por poi n’enraie vis.
9 Rotrou Le Veritable Saint Genest, III, 2, v. 683- 698
La nouveauté, Seigneur, de ce Maître des Maîtres,
Est devant tous les temps, et devant tous les êtres ;[…]
La Terre, à son pouvoir, rend un muet hommage,
Les Rois sont ses sujets, le Monde est son partage ;
Si l’onde est agitée, il la peut affermir ;
S’il querelle les vents, ils n’osent plus frémir ;
S’il commande au Soleil, il arrête sa course ;
Il est maître de tout, comme il en est la source ;
Tout subsiste par lui, sans lui rien n’eût été ;
De ce Maître, seigneur, voilà la nouveauté.
10 La Fontaine, La laitière et le pot au lait, v. 38-41
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;
Je m’écarte, je vais détrôner le Sophi ;
On m’élit roi, mon peuple m’aime ;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :
11 Racine, Athalie, Acte III, scène 3, v ; 870- 876
Ami, depuis deux jours je ne la connais plus.
[…]
Elle flotte, elle hésite ; en un mot , elle est femme.
12 Racine, Phèdre, Acte I, scène 3, v. 271- 278.
[…] Athènes me montra mon superbe ennemi :
Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables !
13
Voltaire, Candide, Chap. 1.
Le lendemain, après le dîner, comme on sortait de table, Cunégonde et Candide se trouvèrent
derrière un paravent. Cunégonde laissa tomber son mouchoir, Candide le ramassa, elle lui
prit innocemment la main, le jeune homme baisa innocemment la main de la jeune
demoiselle avec une vivacité, une sensibilité, une grâce toute particulière . Leurs bouches se
rencontrèrent, leurs yeux s’enflammèrent, leurs genoux tremblèrent, leurs mains
s’égarèrent. » Candide, Chap 1.
14 La Fontaine, Le coq et le renard, v. 25-32
Adieu, dit le Renard, ma traite est longue à faire :
Nous nous réjouirons du succès de l’affaire
Une autre fois. Le galand aussitôt
Tire ses grègues, gagne au haut,,
Mal content de son stratagème ;
Et notre vieux Coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur ;
Car c’est double plaisir de tromper le trompeur.
15 Flaubert, Education sentimentale :première partie, p. 91
Des étudiants promenaient leurs maîtresses ; des commis en nouveautés se pavanaient, une
canne entre les doigts ; des collégiens fumaient des Régalias ; de vieux célibataires
caressaient avec un peigne leur barbe teinte ; il y avait des Anglais, des russes, des gens de
l’Amérique du Sud, trois Orientaux en tarbouch. Des lorettes, des grisettes, et des filles
étaient venues là, espérant trouver un protecteur, un amoureux, une pièce d’or, ou
simplement pour le plaisir de la danse ; et leurs robes à tunique vert d’eau, bleu, cerise, ou
violette, passaient, s’agitaient, entre les ébéniers et les lilas. Presque tous les hommes
portaient des étoffes à carreaux, quelques-uns des pantalons blancs, malgré la fraîcheur du
soir. On allumait des becs de gaz.