les espagnols a montpellier

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les espagnols a montpellier
UNIVERSITE PAUL VALERY – MONTPELLIER 3
LES ESPAGNOLS A MONTPELLIER
13 œuvres du Musée Fabre :
description, acquisition, attribution
Flore DELATOUCHE
sous la direction de M. Michel BOEGLIN
Master 1 Etudes Culturelles,
spécialité Espagnol
Juin 2006
2
REMERCIEMENTS
Je désire témoigner ma reconnaissance au Conservateur du Musée Fabre, M. Olivier
Zeder, pour m’avoir permis de consulter les dossiers d’œuvres et catalogues du musée, ainsi
que pour m’avoir accordé le privilège d’observer les œuvres qui m’ont intéressée, dans les
réserves du musée.
Je souhaite lui exprimer ma gratitude, ainsi qu’à M. Guillaume Assié, pour le don des
reproductions des treize tableaux étudiés dans mon mémoire, le bon accueil dont chaque
membre du Musé Fabre a fait preuve et le temps qu’ils m’ont octroyé.
Merci également à M. Claude Basty et à Mme Haas, du centre de documentation, de
m’avoir accompagnée dans mes recherches au sein du musée.
Je tiens à remercier le service Patrimoine de la Médiathèque Centrale Emile Zola, les
Archives municipales de Montpellier et ses archivistes, pour avoir pu accéder aux documents
anciens en relations avec le Musée Fabre.
De la même manière, je remercie le Service d'étude et de documentation du département
de peintures espagnoles du Musée du Louvre, grâce auquel j’ai pu approfondir mes
recherches.
Enfin, j’émets un remerciement particulier à mon directeur de mémoire, M. Michel
Boeglin, qui m’a suivie et conseillée tout au long de mes recherches et de la rédaction de ce
mémoire de Master 1 Etudes Culturelles.
3
INTRODUCTION
Le Musée Fabre de Montpellier rouvrira ses portes début 2007 ; la restauration des
édifices, un réagencement interne de l’espace, au sein d’une superficie triplée, vont donner
lieu à l’exposition d’un nombre plus important de tableaux. Malgré la part relative d’œuvres
espagnoles du Musée Fabre par rapport à leurs équivalents italiens ou flamands, cette
collection compte quelques oeuvres notables, représentatives de l’art de cette époque, comme
les Zurbarán, ou la Sainte Marie l’Egyptienne de Ribera, prêtées à de nombreuses reprises
pour des expositions en France, en Espagne et dans le monde.
Ces tableaux furent marqués par les thématiques religieuses du Concile de Trente (15451563) et se situent à l’époque du Siècle d’Or espagnol. Cette période correspond au XVIIe
siècle, moment faste de l’Espagne, tant sur le plan politique et économique que culturel,
durant lequel la littérature, la musique, la peinture, connurent un épanouissement majeur. Les
thèmes de prédilection de cet art furent des peintures religieuses qui exaltaient les préceptes
dévots du Concile de Trente en lutte contre les hétérodoxies religieuses, ainsi que des portraits
qui menaient à la pérennité de l’image personnelle et des bodegones, ou natures mortes,
reflets des nourritures, coutumes culinaires et animaux de l’époque et du pays. Soutenus par le
mécénat des Habsbourg, les artistes ne peignaient presque que pour les églises et les couvents,
en dehors des personnages royaux.
L’esprit défini par le Concile de Trente effaça de l’art toute divergence indécente et non
orthodoxe. Le nu, les irrespects envers la noblesse, la grandeur ou l’exactitude de la
représentation des scènes religieuses – en règle générale, toute liberté renaissante – furent
abandonnés, en opposition à la Réforme et à l’iconoclasme hétérodoxes. L’Eglise « affirmait
ce que l’hérésie niait », elle s’employa à trouver une réponse systématique aux attaques et
inconvenances protestantes contre les dogmes et les images pieuses catholiques1. Aidée par la
docilité dévote des artistes qui diffusèrent sa doctrine, l’Eglise imposa aux peintres les sujets à
représenter, optimisant ainsi l’émission conventionnelle de ses messages. Entre Renaissance,
naturalisme, baroque, rococo et néo-classicisme, la période post-tridentine traversa les XVIe,
XVIIe et XVIIIe siècles en développant ce qui serait considéré par la suite comme le zénith de
l’art espagnol, l’époque picturale incontournable de l’Espagne.
Le XVIe siècle consacra le style renaissant en Espagne (fin du XVe siècle jusqu’à la
deuxième moitié du XVIe siècle) et ouvrit la période d’apogée artistique espagnole. Ce
courant, mu par l’humanisme qui mit en avant la réflexion philosophique sur l’homme,
1
Emile MÂLE, L’art religieux au XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1984, p. 23, 33-34, 42.
4
favorisa la représentation du nu et de la mythologie antique. La recherche de la perspective,
les effets de couleur devinrent primordiaux. Le courant renaissant se nourrit de la
participation d’artistes étrangers et du retour de peintres espagnols d’Italie, notamment grâce
au roi Philippe II (1556-1598), à l’éducation artistique et humaniste développée, qui les invita
sur le territoire ibérique2. En parallèle de ce style, le maniérisme fut un courant
anticonformiste de la Renaissance ; ce mouvement de rupture avec l’ordre conventionnel de la
Haute Renaissance débuta en Italie en 1520, jusqu’en 1580, avant de se diffuser à travers
l’Europe. Le maniérisme signifie la touche de pinceau que le peintre appose à son style, sa
manière personnelle de peindre, brisant l’exactitude des proportions et de la perspective,
déformant et allongeant les figures (Greco, Morales) dans une recherche plus sensible du
mouvement, afin de déclencher une émotion nouvelle chez les représentés et chez les
spectateurs, au moyen de cette façon novatrice de représenter la réalité, le corps et l’espace.
Le XVIIe siècle, considéré globalement comme le Siècle d’Or espagnol avec des peintres
tels que Zurbarán, Murillo, Ribera et Velázquez, fut également celui du début de la
théorisation de l’art par des amateurs d’art ou par les artistes eux-mêmes (Pacheco,
Carducho). Impulsé par l’Italien Caravage, le naturalisme rassembla les caractéristiques du
réalisme, du clair-obscur, des perspectives et de l’équilibre des proportions. Les scènes
religieuses et les portraits furent les plus abondants, servant en priorité les commandes de
l’Eglise et de la famille royale de Philippe IV (1621-1665) et produisant des reflets de la vie
quotidienne et de la réalité humaine, sous tous ses aspects, même peu valorisants (défauts
physiques, détails négatifs de la personne)3. C’est au cours de ce courant artistique, épuré,
strict, que le cadre de haute piété du Concile de Trente s’ancra solidement. Le baroque, tout
au long du XVIIe siècle, connut l’influence très présente de l’art étranger, italien, flamand,
hollandais. Du portugais barroco, ou perle de forme irrégulière, le baroque marqua un
passage vers un style plus exubérant, dynamique et coloré, aux formes généreusement
accentuées4, empreint toujours de ténébrisme et de spiritualité religieuse, de jeux entre les
touches lumineuses et obscures. Epanoui sous le règne de Charles II (1665-1700), le baroque
coïncida avec une époque artistique très brillante5.
L’art élégant, léger, raffiné et sensuel du rococo aux scènes galantes – né en France au
milieu du XVIIIe siècle et qui se poursuivra en Europe pendant la seconde partie de ce
siècle –, succéda au baroque. Les Bourbon montèrent sur le trône d’Espagne, avec Philippe V
2
Véronique GÉRARD-POWELL, L’art espagnol, Paris, Flammarion, 2001, p. 152-153.
Ibid., p. 165.
4
Dictionnaire de la peinture espagnole et portugaise du Moyen Age à nos jours, Larousse, Paris, 1989, préface
d’A. E. Pérez Sánchez, p. 5 à 10.
5
Véronique GÉRARD-POWELL, L’art espagnol, Paris, Flammarion, 2001, p. 183.
3
5
(1700-1746) qui étendit l’action du mécénat royal, bien que ce fût surtout au profit de peintres
étrangers venus de France ou d’Italie principalement, à la demande du roi, exercer leur art en
Espagne. Ce fut également un moment durant lequel toute une génération d’artistes s’éteignit,
décédés prématurément ; il fallut attendre quelques années avant que réapparaissent de
nouveau noms de la peinture espagnole, notamment grâce à la création d’une académie d’art.
Le XVIIIe siècle vit s’ouvrir l’Académie San Fernando de Madrid, en 1752, développant
l’apprentissage des bases artistiques de la représentation du corps, de la perspective, des
animaux, des fleurs, des paysages, ainsi que la gravure, la sculpture6. La période du néoclassicisme (seconde moitié du XVIIIe siècle – début du XIXe siècle) exalta la beauté et la
vertu, une moralité sobre, en usant de scènes de l’Antiquité à ces fins didactiques.
En dehors de leurs premiers propriétaires espagnols, les œuvres de ces courants picturaux
furent découverts par le reste de l’Europe au XIXe siècle. La Guerre d’Espagne
napoléonienne puis les sécularisations et ventes publiques des possessions cléricales finirent
par faire connaître hors d’Espagne ces tableaux espagnols, qui changèrent plusieurs fois de
propriétaires avant de rencontrer leur ultime lieu de conservation dans des musées ou des
collections particulières. Jamais aucun ouvrage synthétique n’a été effectué sur ces Espagnols
présents au musée de Montpellier, c’est pourquoi il me paraît instructif de rassembler au sein
d’une synthèse ces treize œuvres, à la veille de la mise en place des expositions et de la
réouverture des bâtiments au public. A travers l’exemple de la collection du Musée Fabre de
Montpellier, il sera démontré comment la diffusion, restreinte jusqu’au XIXe siècle, des
œuvres espagnoles s’est étendue au reste de l’Europe. De plus, à cause de leurs historiques
d’acquisition complexes, il est intéressant d’expliquer la présence de ces tableaux espagnols
au Musée Fabre : dans quelles circonstances ils ont traversé la frontière espagnole et de quelle
manière ces toiles, sans liens physiques premiers, sont arrivées au musée de Montpellier.
Aussi convient-il de retracer le parcours général de ces œuvres qui quittèrent l’Espagne au
XIXe siècle pour pénétrer en France, achevant leur périple à Montpellier puis au Musée
Fabre, avant d’en dresser l’inventaire. Il n’est cependant pas possible de délimiter de périodes
précises d’acquisitions des Espagnols de ce musée, car chaque tableau possède sa propre
histoire et aucune logique d’achats par provenance géographique ne fut définie lors des
acquisitions du XIXe siècle. En conséquence, au vu de la difficulté de catégorisation des
tableaux par moments précis d’acquisition – comme la Guerre d’Espagne ou les périodes de
desamortizaciones libérales, ou par acquéreurs, nombreux et dispersés –, les treize œuvres de
ce mémoire ont été classées par périodes globales d’acquisition.
6
http://rabasf.insde.es, consulté le 29 mai 2006.
6
I-
D’ESPAGNE
A
MONTPELLIER :
PARCOURS
DES
ŒUVRES JUSQU’AU MUSEE FABRE
Sous l’Ancien Régime, les œuvres espagnoles, notamment les représentations religieuses,
avaient demeuré dans les mains des nobles fortunés et du clergé, enfermées dans leurs riches
demeures, églises et monastères. L’engouement pour la peinture espagnole du Siècle d’Or fut
initié en Europe par la découverte de cet art à partir de la Guerre d’Espagne napoléonienne
(1808-1813). L’Espagne n’était pas préparée à subir ce contexte martial, ni les
transformations politiques espagnoles de libéralisation à outrance du XIXe siècle, en même
temps que la perte de sa puissance ibérique et des dernières colonies américaines7 – et les
conséquences économiques de ces bouleversements. Ce fut dans une atmosphère de désordre
politique que les œuvres espagnoles purent être présentées plus largement aux étrangers. Les
militaires, surtout les généraux de France, pillèrent les édifices religieux durant les guerres
napoléoniennes (1808-1813) et les sécularisations des biens monastiques – en 1836 et 1855 –
comprirent des ventes aux enchères d’un nombre important d’œuvres d’art. Ces événements
bousculèrent l’ordre établi en Espagne, mais permirent cependant l’extension de la
connaissance des peintures espagnoles du Siècle d’Or au regard du monde.
1. Les guerres napoléoniennes en Espagne : les pillages et le Maréchal Soult
Les guerres napoléoniennes ouvrirent ce XIXe siècle qui allait connaître encore d’autres
bouleversements. L’Espagne ne s’occupait alors que des préoccupations de guerre qui
affectaient le pays, reléguant à un second plan les questions d’ordre culturel et artistique. De
nombreux pillards profitèrent rapidement du chaos martial qui prit place pour tirer avantage
de la situation en s’appropriant des œuvres d’art tirées d’édifices religieux.
a. La Guerre d’Espagne (1808-1813)
Entre 1808 et 1813, dans le but d’édifier un nouvel Empire européen, Napoléon
Bonaparte mena une invasion militaire de l’Espagne. La réaction de l’armée espagnole,
soutenue par les forces expéditionnaires anglaises, contre les forces armées napoléoniennes,
donna naissance à un conflit militaire. Comme l’affirme René Girault, la volonté de Napoléon
était « d’apporter la liberté et l’égalité à d’autres peuples », néanmoins « imposées avec des
7
TÉMIME (E.), BRODER (G.) et CHASTAGNARET (A.), Historia de la España contemporánea. Desde 1808
hasta nuestros días, Ariel Historia, Barcelona, 1982, p. 43-50
7
troupes affamées et pillardes, (…) ou en confisquant des biens ecclésiastiques »8. Ainsi
l’empereur français voulut-il, tout en ajoutant un nouveau pays européen à ses possessions
impériales, moderniser l’Espagne au début du XIXe siècle, remplacer le système d’un Ancien
Régime espagnol dépassé par sa propre dégénérescence. Dans ce contexte troublé, naquit
l’idée d’une libéralisation nationale. Une lutte s’engagea entre les libéraux progressistes et les
modérés espagnols, oscillant entre gouvernements radicaux et libéraux plus mesurés, plus
conservateurs, faisant subir à la nation espagnole un jeu d’avancées politiques et économiques
souvent effacées par les régressions traditionalistes du gouvernement suivant. La crise de
l’Etat espagnol du XIXe siècle, fragilisé par sa propre instabilité, fut profitable aux invasions
napoléoniennes. Napoléon I profita du trouble politique pour mettre sur le trône espagnol son
propre frère, Joseph Bonaparte, en 1808.
L’intrusion française en Espagne, à cette époque, donna lieu à des pillages de tableaux et
objets d’art du patrimoine ibérique ; par le biais de ces actes, des centaines d’œuvres d’art
furent trouvées et sorties au grand jour. En outre, en 1809, les guerres napoléoniennes
permirent également le projet qui consista en ce que l’Espagne confiât à la France pour le
Musée Napoléon – ainsi que pour un Musée Joséphin, jamais réalisé, à Madrid – « plus de
1500 tableaux provenant des monastères de Madrid et de sa région, qui avaient été déposés
dans les couvents de San Francisco et du Rosario »9, d’après un décret royal du 20 décembre
1809 pour la fondation du Musée de Madrid, qui prévoyait l’export d’œuvres d’art espagnoles
jusqu’en France. A une date où le Musée espagnol du Prado n’avait pas été encore fondé,
cette décision avait pour but de conserver et de présenter au public espagnol et étranger les
centaines de tableaux retirés de leurs demeures ecclésiastiques, afin de promouvoir largement
l’art de l’Ecole espagnole. En un seul sac, celui de l’Escorial, on emmena des centaines de
tableaux ; seulement une vingtaine d’entre eux arriva au Louvre.
b. Les pillages
Plus absorbée par la priorité de résolution de son désordre économique et politique,
l’Espagne ne se préoccupa guère de la situation de ses œuvres picturales. De nombreux
membres des troupes françaises procédèrent à ces pillages durant la Guerre d’Espagne, qui
permirent l’ouverture des œuvres espagnoles au regard européen. Cependant, certains de ces
Généraux d’Empire pilleurs n’appréciaient pas la peinture espagnole, jugée toujours trop
lugubre. Ils durent donc emporter ces oeuvres dans un simple objectif de commerce, à l’instar
8
René GIRAULT, Peuples et nations d’Europe au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1996, p. 63.
Cristina MARINAS, « Le Musée du Prado et la création d’une école nationale de peinture », colloque Terre,
Mère, Patrie, Pays d’Accueil, Centre de Recherche Européen d'Etudes Romanes, Université de Paris XII, 24 et
25 mai 2002, http://www.univ-paris12.fr/creer/TMPPA/textes/03t.htm, consulté en février 2006.
9
8
de marchands d’art tels que Lebrun – aidé de Frédéric Quilliet qui fut en charge à Séville ou à
Madrid de l’administration du patrimoine artistique espagnol pendant l’invasion et de la
composition de la future Galerie Espagnole du Louvre –, ainsi que Maignain, Wallis, Nathan ou
le Hollandais Coesvelt. Ceux-ci profitèrent de cette période troublée de guerre pour entrer sur le
marché de l’art espagnol encore jamais exploré et peu cher. Lebrun constitua d’ailleurs lui aussi
une galerie espagnole, chez lui, qu’il ouvrait au public deux jours par semaine. Le goût affirmé
pour l’art de généraux de Bonaparte, tels que Soult, Dupont à Cordoue, de Faviers, Sebastiani,
Murat, Coulaincourt, Eblé, Desolle, Crochart (payeur général de l’armée française),
D´Armagnac, Lapereyre, Belliard, Lejeune, ou Solignac – en opposition à Suchet, strictement
opposé aux pillages et plus tolérant envers les Espagnols, les laissant prendre part à
l’organisation politique –, poussa ceux-ci à explorer et à s’accaparer des œuvres venant des
réserves artistiques espagnoles qu’étaient les églises, les monastères ou les nobles habitations.
Ainsi, le général anglais qui aida à la défense espagnole était également un grand amateur
d’art : Arthur Wellesley, Duc de Wellington, général en chef anglais à la tête des troupes
espagnoles contre l’armée napoléonienne, arrêta la caravane abandonnée par Joseph
Bonaparte alors qu’il s’enfuyait vers la France après la défaite de la bataille de Vitoria,
caravane remplie de peintures espagnoles réunies durant les pillages français, emportées du
Palais Royal madrilène. Wellington ramena ces trésors artistiques en Angleterre, dans le but
de les rendre aux Espagnols par l’intermédiaire du nouveau roi, Ferdinand VII. En 1816,
après de vaines tentatives de retourner ce butin en Espagne, Wellington se vit offrir par
Ferdinand VII ces biens, en remerciement de ses actions militaires sur le territoire espagnol
durant la Guerre d’Indépendance10. Il put ainsi constituer une collection d’art espagnol, tandis
que « la plus célèbre de ces galeries privées, celle du Maréchal Soult, allait modifier plus
qu’aucune autre l’image que les Français se faisaient de l’art ibérique »11. En effet, le plus
connu des pillards napoléoniens reste le Maréchal Soult.
c. Le Maréchal Soult
Jean de Dieu de Soult (1769-1851), grand collectionneur de peinture, connut une illustre
carrière militaire. Après avoir participé à de nombreuses batailles napoléoniennes, il reçut en
1804 la nomination au grade de Maréchal d’Empire, ainsi que le titre d’officier de la Légion
10
Barbara ANDERSON, « L’aventure d’une Chronique du Nouveau Monde : Historia general del Perú de
Martín de Murúa du J. Paul Getty Museum » (traduction Normand Trudel), 70th IFLA General Conference and
Council, 22-27 août 2004, World Library and Information Congress, Buenos Aires,
http://digital.library.mcgill.ca/napoleon/francais/collection.htm, consulté le 28 mars 2006.
11
Cristina MARINAS, « Le Musée du Prado et la création d’une école nationale de peinture », colloque Terre,
Mère, Patrie, Pays d’Accueil, Centre de Recherche Européen d'Etudes Romanes, Université de Paris XII, 24 et
25 mai 2002, http://www.univ-paris12.fr/creer/TMPPA/textes/03t.htm, consulté en février 2006
9
d’Honneur. Nommé Duc de Dalmatie, en 1808, il se joignit à la Guerre d’Espagne jusqu’en
1812. Alors qu’il était gouverneur d’Andalousie de 1808 à 1810, il « effectua le transfert du
patrimoine portable entier de Séville jusqu’à un dépôt central, l’Alcazar » ; on y compta 999
œuvres en date du 2 juin 181012. Des sélections de tableaux furent alors effectuées pour
diverses destinations : pour le projeté Musée Joséphin de Madrid, pour le Musée Napoléon de
Paris, ou même pour les collections privées comme celle de Soult qui s’en appropria, environ
200. De plus, à l’instar des généraux comme Sébastiani, de Faviers et Dessolle, il avait reçu
en récompense pour ses succès militaires quelques tableaux de la part de Joseph Bonaparte.
Pourtant, cela ne l’empêcha pas de prendre pour lui-même des dizaines de tableaux mis en
réserve à l’Alcazar et d’ailleurs non inventoriés, dans l’objectif de redécorer sa demeure de
Séville, le palais de l’ancien évêque, œuvres de peinture qu’il emmena avec lui lorsqu’il quitta
l’Espagne en 1812. La collection qu’il composa alors, accrue encore lors de sa visite à la
cathédrale sévillane, fut la plus grande collection privée non espagnole, de 180 peintures au
total. Malgré plusieurs décrets interdisant l’exportation d’œuvres d’art d’Espagne, le
représentant du Maréchal Soult, M. Barrillon, en obtint l’autorisation le 22 août 181013.
Le Maréchal Soult connut la défaite dans le Midi français, en 1814, repoussé par
Wellington. Il se retira alors dans son château de Soulberg, où il exposa les tableaux
espagnols amassés lors de ses pillages de la Guerre d’Espagne. Au Congrès de Vienne, en
1814, l’ambassadeur espagnol, Pedro Gómez Labrador, eut pour mission de rassembler les
biens artistiques dérobés par les troupes françaises, les marchands d’art, ou à la demande du
gouvernement de l’Empire. Malheureusement, son interférence peu intéressée dans cette
action ne permit pas à l’Espagne de récupérer tous les biens et œuvres perdus durant la
guerre ; se montrant peu investi dans cette démarche, il omit le recouvrement de certains vols
ou accepta de ne pas retrouver certains tableaux mais seulement de percevoir la valeur de
ceux-ci. Après sa mort, la vente de ces tableaux de la collection Soult eut lieu à Paris entre les
19 et 22 mai 1852, vente publique dirigée par M. George, comme le révèlent les Archives
Municipales de la ville de Montpellier ; le Musée Fabre put acquérir quelques tableaux grâce
aux fonds de la rente Collot. Ce même Collot, le 26 avril 1852, envoya une lettre au maire de
Montpellier pour lui signifier qu’« en raison de leurs grandes dimensions, les tableaux en
vente ne peuvent convenir qu’à des musées ou à des galeries princières. Ils seront vendus à la
12
Gary TINTEROW, « Raphael Replaced : The Triumph of Spanish Paintings in France » (trad. personnelle), in
TINTEROW (G.), LACAMBRE (G.) et al., Manet-Velázquez : The French Taste for Spanish Painting, New
York, Metropolitan Museum of Art, 2003, p. 3-65.
13
Ignacio CANO RIVERO, « Seville’s Artistic Heritage during the French Occupation » (trad. personnelle), in
in TINTEROW (G.), LACAMBRE (G.) et al., Manet-Velázquez : The French Taste for Spanish Painting, New
York, The Metropolitan Museum of Art, 2003, p. 93-113.
10
moitié, au tiers, peut-être au quart de leur valeur ». Malheureusement, ce fut une braderie
d’œuvres – ce qui permit pourtant leur acquisition par des collectionneurs et musées sans
doute plus humbles –, de peintres reconnus plus tard comme de grands maîtres de la peinture
espagnole des XVIe et XVIIe siècles. Certains des tableaux du Musée Fabre de Montpellier,
dont de très notables, proviennent de cette grande vente publique14.
Les pillards, tout en détruisant l’unicité de collections espagnoles, dévoilèrent plusieurs
dizaines de tableaux espagnols restés jusqu’alors dans leurs lieux de conservation religieux.
Ils créèrent ou enrichirent leurs galeries et un public plus large découvrit dès lors cet art. Ces
actions seraient encore élargies plus tard par le biais des ventes du patrimoine artistique qui
eurent lieu sous les différents gouvernements libéraux espagnols.
2. Les desamortizaciones économiques espagnoles
L’Espagne connut durant ce XIXe siècle de nombreux bouleversements qui favorisèrent
la transformation libérale de son paysage politique, social et économique. Le pays, pendant
ces moments perturbés, avait besoin d’argent, ce qui explique la vente d’œuvres d’art qui
arrivèrent sur le marché espagnol, puis européen, intéressant des collectionneurs venus de
tous horizons.
a. Les desamortizaciones libérales : sortie des œuvres des églises et monastères et
redistribution du patrimoine artistique en Europe
Le coût des guerres que connut l’Espagne, les siècles précédents, avait épuisé les finances
espagnoles. Durant la Guerre d’Indépendance espagnole, Napoléon conseillait déjà à
l’Espagne, pour renflouer ses caisses, « de disposer des trop nombreux biens de l’Eglise
catholique »15, explique René Girault. L’Espagne avait, en effet, besoin d’argent : elle se mit à
brader ses archives, ses terres et ses biens artistiques. Par la suite, un autre phénomène donna
lieu à des sorties d’œuvres espagnoles du territoire ibérique : les desamortizaciones libérales
de 1836 et de 1855, des mesures politico-économiques prises pour équilibrer et procéder à
une redistribution plus étendue des richesses patrimoniales, au travers de la suppression des
ordres religieux et de la sécularisation par leur vente publique des biens ecclésiastiques qui se
trouvaient dans les églises ainsi que dans les monastères maintenant inoccupés.
14
Archives municipales de Montpellier, fonds Instruction publique - Sciences, lettres et art, dossier 2R3-4,
Musée Fabre : dons et legs 1825-1874.
15
René GIRAULT, Peuples et nations d’Europe au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1996, p. 64.
11
b. La loi de desamortización économique de Mendizábal, 1836
La loi de desamortización économique de 1836 de Mendizábal, Ministre des Finances
puis Premier Ministre espagnol, visait l’assainissement de la situation économique espagnole,
la conversion de la terre en propriété individuelle et libre, la création d’une nouvelle classe
possédante. Cette première desamortización eut alors pour objectif de démembrer l’Eglise de
l’Ancien Régime, de diminuer son pouvoir social et économique : la propriété monastique fut
convertie en biens nationaux en mars 1836, les biens de l’Eglise séculière furent mis en vente
(juillet 1837) pour augmenter le niveau de vie des classes moyennes : « venta de bienes raíces
que hubieran pertenecido a corporaciones y comunidades religiosas ; (…) supresión de
institutos monásticos (…) declarando extinguidos los conventos, colegios, congregaciones,
etc., adjudicándose sus bienes al Estado y ordenándose su venta para pagar la Deuda
pública »16.
En outre, on détruisit les couvents pour les convertir en de nouveaux édifices, agrandir les
rues et moderniser la ville17. La vente du patrimoine artistique pris dans ces anciens édifices
religieux favorisa leur achat par des étrangers. Néanmoins, comme l’affirme Raymond Carr,
la loi de Mendizábal ne fut pas une mesure pour amorcer une distanciation de l’Espagne visà-vis de ses religieux ; en effet, ce processus avait déjà été enclenché depuis les années 1820,
« le Vatican avait déjà rompu les relations diplomatiques avec l’Espagne avant que
Mendizábal n’arrive au pouvoir »18 et le nombre de religieux avait déjà commencé à baisser.
Ce processus de la première desamortización connut des conséquences modérées, car
l’oligarchie qui possédait également des terres resta favorisée. Ces mesures furent finalement
interrompues par les modérés en 1837 lorsqu’ils revinrent au pouvoir.
c. La seconde loi de desamortización générale de Madoz, 1855
Ensuite, les radicaux et les modérés se succédèrent au pouvoir pendant quatorze ans. Puis,
entre 1854 et 1856, durant le Bienio progressiste, ses révoltes, son inflation et son mal-être
social, apparut, le 1er mai 1855, la seconde loi de desamortización générale de Madoz, ayant
pour fonction de compléter celle de Mendizábal. Furent mises en vente les propriétés urbaines
et rurales de l’Etat, du clergé, des confréries, des ordres militaires comme ceux de Santiago,
Alcántara ou Calatrava, ainsi que des biens communaux19. Ces propriétés foncières vendues,
les nombreux biens mobiliers et artistiques qui s’y trouvaient passèrent à leur tour dans des
ventes aux enchères publiques. Outre amortir les titres de dettes de l’Etat et assainir les
16
Manuel TUÑÓN DE LARA, La España del siglo XIX, Editorial Laia, Madrid, 1975, t. I, p. 117.
Raymond CARR, España, 1808-1975 (trad. personnelle), Ariel, Barcelona, [1969, 1982] 1992, p. 177.
18
Ibid., p. 176, note de bas de page n° 38.
19
Ibid. (trad. personnelle), p. 199-200.
17
12
Finances publiques, cette deuxième loi de desamortización visait à donner une nouvelle
impulsion à la vente de biens nationaux et ecclésiastiques. Néanmoins, comme l’affirme
Tuñon de Lara, les résultats de cette nouvelle réforme allèrent une fois de plus aux personnes
les plus aisées, à l’instar de la situation sous Mendizábal ; Témime, Broder et Chastagnaret
ajoutent que l’erreur politique aura été de ne pas se rendre compte que la classe moyenne et
plus paysanne vers laquelle se dirigeait théoriquement ces ventes n’avaient pas la possibilité
financière d’effectuer ces achats20.
En plus des pillages napoléoniens, les desamortizaciones permirent de faire sortir des
nombreux édifices religieux où elles étaient conservées d’autres centaines d’œuvres,
revendues par la suite à des marchands d’art et à des collectionneurs, notamment à de
nombreux étrangers qui commencèrent à s’intéresser au style pictural du Siècle d’Or.
3. Le Musée Fabre, sa création et ses donateurs
L’arrivée dans le reste de l’Europe de nombreuses oeuvres espagnoles du Siècle d’Or
attira l’intérêt des marchands d’art et des collectionneurs anglais, russes ou français, qui
profitèrent des ventes de tableaux d’autres grandes collections privées, formées notamment
pendant la Guerre d’Espagne.
a. Ventes de collections privées : ouverture du Musée Fabre, F.-X. Fabre et ses donations
La Galerie Espagnole du Musée du Louvre fut créée lorsque, entre 1838 et 1848, le baron
Isidore-Justin-Séverin Taylor réunit plus de 400 peintures à la demande de Louis-Philippe21.
De grandes ventes publiques de collections privées furent mises en place et firent réapparaître
certaines de ces œuvres d’art ; tel est le cas du banquier et ancien aide-de-camp de Soult,
Alejandro María Aguado, en 1843, ou du Comte Alexandre de Pourtalès-Gorgier en 1865.
Ces ventes publiques permirent, en plus de l’accroissement de collections ou de musées déjà
existants, l’ouverture de nouveaux musées, comme le Musée Fabre de Montpellier. C’est à
François-Xavier Fabre (1er avril 1766 - 16 mars 1837), Héraultais de naissance, collectionneur
passionné de peinture et peintre lui-même, élève de David, que le musée doit sa création,
grâce à des dons de tableaux de sa collection privée et à un legs de 30 000 francs pour
l’accroissement du musée, en 183822. Fabre effectua plusieurs voyages au cours de sa vie : à
20
TÉMIME (E.), BRODER (G.) et CHASTAGNARET (A.), Historia de la España contemporánea. Desde 1808
hasta nuestros días, Ariel Historia, Barcelona, 1982, p. 79-81.
21
Jonathan BROWN, Images et idées dans la peinture espagnole du XVIIe siècle, Introduction, [Princeton
University Press, 1978 ; Madrid, Alianza, 1980] 1993, p. 15-16.
22
Théodore GUÉDY, Musées de France et collections particulières, Paris, 1889.
13
Paris entre mars 1783 et l’hiver 1787, à Rome ensuite, jusqu’en 1793, puis il découvrit
Florence à deux reprises, jusqu’en 1800 puis entre 1801 et 1824. En 1818, il acheta au
marquis Gerini deux tableaux « de grande importance qui figurèrent dans les chefs-d’oeuvre
de sa collection, Le Mariage mystique de Sainte Catherine de Véronèse et Sainte Marie
l’Egyptienne de Ribera »23. Il revint ensuite à Montpellier pour un séjour de treize ans, durant
lequel il fit sa première donation à la ville en 1825, offrant un certain nombre de ses propres
acquisitions picturales des XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles ; il obtint l’approbation du Conseil
Municipal pour prendre la direction à vie du musée et de la bibliothèque de la ville, ce après
quoi le Musée Fabre fut créé. Après qu’il eut reçu en 1827 la Légion d’Honneur, ainsi que le
titre de baron l’année suivante, le musée ouvrit ses portes au public en 1828. Fabre s’occupa
également de constituer une nouvelle Ecole des Beaux-Arts, à Montpellier, la même année24.
Il désirait fortement que les tableaux qu’il donnait au musée de Montpellier « appartiennent à
perpétuité à la commune de Montpellier, réunie dans un seul et même local, et qu’on ne
puisse jamais en rien soustraire, sous aucun prétexte » ; il ajouta, dans une lettre au Conseil
Municipal de Montpellier : « J’ai pensé que le meilleur moyen d’assurer son intégrité [de la
collection], serait de la consacrer à l’utilité publique »25.
b. D’autres donateurs
D’autres dons suivirent ce mouvement initié en 1825 par Fabre, qu’il augmenta par un
legs testamentaire l’année de sa mort, en 1837 : le legs d’œuvres de l’Ecole du Nord, en 1836,
par Valedau (1777-1836), banquier à Paris, ou encore les dons, en 1868 et 1876, du
collectionneur et mécène Alfred Bruyas (1821-1877), avec des œuvres françaises du XIXe
siècle, dont certaines de ses amis Delacroix et Courbet. De la même façon, Bonnet-Mel en
1864, Jules Canonges en 1870, la famille montpelliéraine du médecin Bouisson-Bertrand en
1895, les familles des artistes Cabanel et Bazille, sont autant de donateurs qui participèrent à
l’élargissement des collections du Musée Fabre. Ainsi, de nombreuses personnalités
montpelliéraines ont souhaité, depuis la création du musée, se joindre à l’acte fondateur de
Fabre.
Alfred Bruyas (1821-1877), également montpelliérain de naissance, voyagea en Italie en
1846 et 1848, où il commença dès lors à réunir une collection de peintures, puis à Paris en
1849 et 1856 – ses parents et proches ne comprenaient pas qu’il dépensât son argent dans des
23
Thierry BAJOU, « Fabre collezionista d’arte antica », in François-Xavier Fabre, Roma, De Luca Edizioni
d’Arte, 1988, p. 29.
24
François-Xavier Fabre, Roma, De Luca Edizioni d’Arte, 1988, p. 9-12.
25
Thierry BAJOU, « Fabre collezionista d’arte antica », in François-Xavier Fabre, Roma, De Luca Edizioni
d’Arte, 1988, p. 34.
14
achats d’œuvres d’art. Au cours des années 1850, il fit la connaissance des peintres français
Courbet et Delacroix, dont il dota le Musée Fabre d’œuvres au sein d’un don en 1868 de 91
tableaux, trois lithographies, une esquisse, un dessin et de nombreuses gravures, ainsi que lors
de son legs de 1877 comprenant 60 tableaux, 78 dessins et 18 bronzes, par lesquels il offrit au
musée de Montpellier la totalité de sa collection artistique. Il fut fait Chevalier de la Légion
d’Honneur en 1876, une année avant son décès26.
En 1829, Jean-Pierre Collot (1764-1852), ancien directeur de la Monnaie à Paris, offrit
une rente annuelle de 1 000 francs au Musée Fabre, visant à impulser l’embellissement et
l’enrichissement des galeries du musée27, ainsi que vingt-cinq tableaux de sa collection28.
Lors de la grande vente des trophées de guerre et objets d’art du Maréchal Soult en 1852, il
était présent en tant qu’intermédiaire pour le Musée Fabre pour lequel il avait pour mission
d’acheter quelques tableaux pour en agrandir la collection espagnole. Il offrit une seconde
rente, la même année, de 50 francs, que le musée reçut par legs testamentaire. Dans l’article
douze de son testament olographe, Collot déclara : « Je lègue à la Ville de Montpellier, où je
suis né, une rente de cinquante francs en une inscription de trois pour cent sur le grand livre.
Cette petite rente accroîtra celle que j’ai donnée à son musée, et je désire qu’elle excite les
habitants riches de cette ville à faire par leurs testaments des legs de cette nature »29. De nos
jours, c’est l’association des Amis du Musée Fabre qui poursuit le mouvement initié au XIXe
siècle, par les acquisitions d’objets d’art, les conférences et animations qu’ils assurent.
c. La collection espagnole du Musée Fabre
Au début du XIXe siècle, alors que le Musée Fabre possédait déjà des collections de
tableaux français, italiens et nordiques donnés par Fabre et Valedau, les Espagnols étaient peu
présents dans les galeries du musée. Les ventes de collections espagnoles, notamment la vente
Soult de 1852, se firent à point nommé ; elles permirent l’enrichissement du musée en œuvres
espagnoles qui lui manquaient.
A la différence des tableaux hollandais du Musée Fabre et en contrepartie de la dominante
donatrice de ce musée, les Espagnols ne constituent pas une collection acquise par un seul
don. En 1836, Antoine Valedau légua les Flamands et les Hollandais qu’il possédait dans sa
collection privée. Les Espagnols, en revanche, connurent, outre de nombreux legs, des
provenances d’acquisition diverses, de la ville de Montpellier ou de l’Etat français : « le
26
Le Musée Fabre et son pavillon, Ville de Montpellier, brochure de présentation
Ordonnance du Roi Charles X, faite à Saint Cloud le 2 Septembre 1829, Archives municipales de Montpellier,
dossier 2R3-4 ; Musée Fabre : dons et legs 1825-1874.
28
Théodore GUÉDY, Musées de France et collections particulières, Paris, 1889.
29
Testament de M. Jean-Pierre Collot, 1852, Archives municipales de Montpellier, dossier 2R3-4 ; Musée
Fabre : dons et legs 1825-1874.
27
15
Ribera, acheté en Italie, vient de Fabre. Les deux Zurbarán [ainsi que le Sarabia] sont achetés
par la ville à la vente Soult (trophées de guerre rapportés d’Espagne par les Maréchaux
d’Empire lors des campagnes napoléoniennes) [par l’intermédiaire de Collot]. Le Petit Prince
de Sánchez Coello est un dépôt du Second Empire au Musée de Montpellier (collection
Campana rachetée par Napoléon III et dispersée dans tous les musées français – Campana
était un italien, directeur du Mont de Piété à Rome, accusé de prévarication, destitué, ses
biens saisis et vendus). Enfin, les deux merveilleuses peintures : Antolínez (Autoportrait
provenant de la vente Soult) et Espinós, Guirlande de Fleurs, seront données par Alfred
Bruyas, soucieux aussi de compléter les collections déjà en place au Musée de sa ville »30. Le
Menéndez a été donné au musée par Bouisson-Bertrand en 1895 ; le Murillo provient du legs
Puech-Cazelles de 1899 ; enfin, le second Ribera a été acquis également de Fabre en 1837.
Quant aux tableaux anonymes, l’Assomption de la Vierge a été donnée par Valedau en 1836 et
Apollon écorchant Marsyas légué par Bouisson-Bertrand en 1895. Enfin, le dernier anonyme,
une Mise au Tombeau, n’a jamais été catalogué avant sa découverte dans les réserves du
musée en 1943, par son conservateur Jean Claparède. Nous ne pouvons pas déterminer de fil
directeur entre ces treize tableaux dans le domaine de leurs acquisitions, toutes différentes,
hormis le point commun historique d’avoir été acquis au XIXe siècle à la suite des guerres
napoléoniennes et des dispersions des collections composées alors, des ventes publiques des
biens ecclésiastiques et des nouvelles acquisitions effectuées ensuite.
Après plusieurs années de guerres napoléoniennes qui donnèrent lieu à des pillages
artistiques et à la suite des deux desamortizaciones libérales qui dégagèrent également de
nombreuses peintures et objets d’art de leurs anciens édifices de conservation, les
collectionneurs de différents pays rassemblèrent lors de ventes aux enchères publiques
certains de ces tableaux dispersés à travers l’Europe, puis vers d’autres continents comme en
Russie – comme avec le prince Nicolaï Youssoupof qui constitua une des plus importantes
galeries privées de Saint Pétersbourg, après des séjours à Séville et à Madrid, vers 17771778 –, ce qui contribua dès lors à diffuser plus amplement la connaissance du style pictural
espagnol des environs du Siècle d’Or.
Les œuvres espagnoles des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles furent redécouvertes au XIXe
siècle, après quelques années de troubles dus à la guerre. La nation comme l’Eglise catholique
espagnoles se trouvèrent mêlées à un conflit généralisé entre traditionalisme et libéralisme.
Au sein de cette scission entre les anciennes et les nouvelles valeurs, l’Eglise perdit de son
30
Dossiers d’œuvres du Musée Fabre, Montpellier, Xavier DEJEAN, Les Espagnols au Musée, exposition du
Musée Fabre, février-mars 1986.
16
pouvoir et le clergé vit ses biens confisqués en même temps que furent interdits les différents
ordres religieux. Ces changements politico-culturels et les pillages effectués par les
maréchaux français donnèrent lieu à une exportation et, ainsi, à une diffusion plus large des
peintures espagnoles, étendue ensuite grâce aux nombreux dons de collectionneurs
particuliers. Ainsi, au XIXe siècle, également, en France comme à Montpellier, les importants
legs et dons au Musée Fabre de personnages tels que Fabre ou Bruyas, rendirent possible une
extension de la connaissance artistique espagnole, l’agrandissement et l’enrichissement de ce
musée montpelliérain, permettant alors la diffusion plus large de ces œuvres vers un plus
grand objectif : l’Europe, puis le Monde.
Le fonds d’œuvres espagnoles du Musée Fabre, constitué sur plusieurs décennies, a su
regrouper des œuvres aux provenances disparates, à la liste de donateurs ample et aux
périodes de conception et origines géographiques diverses, selon, en général, le schéma
d’Ecoles triaire Séville-Madrid-Valence de l’époque. Il est impossible de trouver dans ce
musée plus de trois tableaux qui aient le même donateur, oeuvres qui possèdent des origines
variées car ils n’appartenaient déjà pas à la même galerie de base, d’où la variété d’histoires
d’acquisitions et la difficulté de parler d’unicité de collection acquise dans ce musée. Il s’agit
plutôt d’une collection du Musée Fabre constituée d’après les dons de dizaines de
collectionneurs, comprenant des tableaux aux parcours très différents et aux histoires
d’acquisitions diverses.
17
II- NOTICES PAR PERIODES D’ACQUISITION : PREMIERE
PARTIE ET MILEU DU XIXe SIECLE
Il apparaît difficile de trouver un fil commun aux œuvres de la collection espagnole du
Musée Fabre, car les provenances géographiques et parcours d’acquisition sont tels que peu
d’entre elles possède un lien direct une autre. Ainsi, ne seront traitées que les acquisitions
effectuées par le Musée de Montpellier, d’après les dons et legs des personnages et des
familles que nous avons énumérés, car il serait très complexe d’y ajouter des considérations
sur leurs acquisitions premières ; outre les difficultés de traçabilité des œuvres dues aux
pillages des guerres napoléoniennes, il s’agit souvent de tableaux acquis de seconde main,
voire plus. Pour ces raisons, il ne sera mis en relief que la dernière phase d’acquisition en
date, celle qui intéresse directement le Musée Fabre de Montpellier.
De plus, ces œuvres espagnoles seront classées par périodes, selon leur moment
d’acquisition par le Musée Fabre au long du XIXe siècle. Dans un souci d’équilibre, ce
catalogue sera divisé en deux périodes, définies arbitrairement – début et milieu, puis fin du
XIXe siècle –, permettant une répartition plus harmonieuse du nombre d’œuvres par partie du
mémoire. Ce siècle sera découpé en quatre sous-unités : la première concerne le début du
XIXe siècle (aux environs de la première desamortización espagnole), la deuxième vise le
milieu de ce siècle (entre 1852 et 1863) et la troisième en parcourt la seconde moitié (entre
1876 et 1899). Le dernier tableau, anonyme, non daté et, de surcroît, jamais catalogué avant le
milieu du XXe siècle, ne renseigne pas sa provenance d’acquisition ; il compose, seul, la
dernière sous-partie.
1- Première partie du XIXe siècle : 1836 et 1837
Les acquisitions de ces tableaux espagnols par les donateurs du Musée Fabre eurent lieu à
l’époque de la première desamortización, mais n’ont rien à voir avec cet événement
économique. Les achats premiers de ces œuvres furent sans doute effectués avant cette date.
Legs Valedau, 1836 : Anonyme, Assomption de la Vierge
La Vierge Marie, soutenue par plusieurs anges, s’élève en présence des apôtres et des
saintes femmes, témoins de son Assomption. Certains des personnages assistant à cette scène
lèvent les mains au ciel, en direction de la Mère de Dieu, est transportée vers sa demeure
divine par des petits anges dénudés. Il faut faire une distinction entre l’Ascension du Christ,
18
monté aux cieux par lui-même, de ses propres forces, et l’Assomption de la Vierge, aidée par
la force divine, ici symbolisée par les anges qui l’emportent au ciel.
Anonyme, Assomption de la Vierge31
Ecole de Séville (ou Flamand : genre de Rubens
(1577-1640), ou Allemand)
Ni signé ni daté
Huile sur cuivre, 195 x 95 cm
Montpellier, Musée Fabre
Malheureusement, le mauvais état de la peinture
empêche la bonne observation de ce tableau (cette
huile sur cuivre est d’ailleurs depuis cet hiver en
restauration). Il est de noter dans la composition la
limite entre le terrestre et le divin : les humains,
apôtres et saintes femmes, restent séparés du ciel par
la division horizontale, au milieu du tableau, qui
démarque
frontière
spirituelle
de
la
frontière
matérielle du monde. La Vierge s’élève donc seule
pour rejoindre la Sainte Trinité au ciel. Marie est le
centre du tableau de par le travail d’attirance optique de la composition et des couleurs, car
elle se trouve seule dans la partie supérieure de l’œuvre, son ample manteau à la couleur
soutenue précisant le lieu et le personnage de l’intérêt du tableau : la Vierge qui monte au
ciel après sa vie terrestre. Si ce n’était l’accompagnement des anges, Marie se serait trouvée
totalement isolée dans cet espace nuageux que forme le ciel vers lequel elle se dirige. En
revanche, les apôtres et les femmes qui observent son Assomption sont nombreux, serrés au
sein de l’espace inférieur du tableau et contemplant la Mère de Dieu montant au ciel. Seule et
dominant la composition, elle est symbolisée comme la Reine des mondes divin et terrestre.
Tous les apôtres et les femmes portent leurs regards vers la Vierge arrivée à l’apogée de
sa vie de sainte femme, dont la dimension divine les atteint tous profondément en ce moment
d’intense dévotion. D’après la Tradition vivante de l’Eglise, non retranscrite dans les
Evangiles, Marie aurait connu son Assomption au ciel à Ephèse, chez l’apôtre Jean, qui fut
chargé par le Christ de prendre soin de la Mère de Dieu lorsqu’il était sur la croix. Le Livre de
Jean sur la mort de Marie, texte apocryphe, relate cette Assomption. Une tradition secondaire
31
Exp. : Tableaux flamands et hollandais du Musée Fabre de Montpellier, Paris, Institut Néerlandais ;
Montpellier, Musée Fabre, 1998.
19
place cet événement à Jérusalem. L’exaltation de Marie commença au Ve siècle, lorsque le
terme de Mère de Dieu lui fut appliqué au Concile d’Ephèse. Mais le dogme catholique ne
précisa qu’en 1950 l’Assomption de Marie comme son couronnement en tant que Mère du
Christ et par là même de Dieu, et comme l’élévation de son corps et de son âme au ciel, une
fois sa vie terrestre achevée32. En 1964, durant le deuxième concile du Vatican, Marie fut
déclarée Mère de l’Eglise, « immaculée, préservée par Dieu de toute atteinte de la faute
originelle, (…) élevée corps et âme à la gloire du ciel, et exaltée par le Seigneur comme la
Reine de l'univers »33. Les protestants ne croient pas en ce dogme de sacralisation de la
Vierge immaculée ; les orthodoxes y souscrivent sous le nom de Dormition de la Vierge.
Ce tableau fit partie du legs de 1836 du banquier Antoine-Louis-Joseph-Pascal Valedau
(1777-1836), spécialisé dans les écoles du Nord (flamands et hollandais du XVIIe siècle). Il
donna au Musée Fabre cette Assomption, dont l’auteur reste inconnu et dont nous nous
demandons s’il ne serait pas flamand ou allemand (ce serait la raison pour laquelle il faisait
partie de sa collection). L’origine d’Ecole de ce tableau est incertaine. Pas forcément
espagnol, ce tableau peut être également une « compilation, peut-être tardive et pas
nécessairement d’origine flamande, de motifs empruntés à des compositions de Rubens sur le
sujet »34. Nous avons aussi peu de certitude concernant son attribution. Comme pour un grand
nombre d’œuvres réalisées à cette époque, non signées et non datées, il peut être très difficile
de se prononcer parfois sur l’auteur qui a peint la toile. Parfois oscillant entre plusieurs
possibilités, modifiant leur opinion à la lumière d’une nouvelle étude, les historiens d’art
peuvent changer l’attribution officielle du tableau en quelques années. En ce qui concerne
cette toile, aucune suggestion finale n’a été émise à ce propos, l’œuvre gardant sa
caractéristique d’anonyme. Dernièrement, on a même avancé la possibilité que ce tableau ne
soit pas espagnol, mais flamand ou hollandais, du style de Rubens35. Quoiqu’il en soit, cette
tête représente sans aucun doute le visage d’un personnage saint, dont les multiples copies
prouvent la prépondérance de ce genre de reproduction à l’époque de la Contre-Réforme.
Les œuvres de dévotion furent produites en nombre du XVIe au XVIIIe siècles, à la
demande du clergé, pour figurer les saints, personnages divins, anges et autres représentations
religieuses qui pussent exalter la foi catholique, en réponse aux attaques du protestantisme
contre les dogmes chrétiens et leurs images.
32
Constitution apostolique du Pape Pie XII, Munificentissimus Deus, 1er novembre 1950,
http://366jours.free.fr/articles.php?lng=fr&pg=991, consulté le 18 mai 2006.
33
Constitution dogmatique du deuxième concile du Vatican, Lumen gentium, 21 novembre 1964, même
référence sitographique.
34
BUVELOT (Q.), HILAIRE (M.) et ZEDER (O.), Tableaux flamands et hollandais du Musée Fabre de
Montpellier, Paris, Institut Néerlandais– Montpellier, Musée Fabre, 1998.
35
Ibid.
20
Don Fabre, 1837 : Ribera, Tête d’Apôtre et Sainte Marie l’Egyptienne
Le musée de Montpellier possède deux toiles de Ribera. Cependant, ce premier tableau de
la Tête d’Apôtre ne certifie aucune attribution au peintre hispano-italien, qui signa dès 1625
« Español », mais fut surnommé Spagonetto (petit Espagnol) en raison de sa taille.
José de Ribera (atelier mineur de) (prov.
Valence, 1591 - Naples, 1652), Tête d’Apôtre36
Ni signé ni daté
Huile sur toile, 40,5 x 32,5 cm
Montpellier, Musée Fabre
Toujours dans l’optique d’élever la foi
chrétienne à son apogée et d’illustrer les vertus
catholiques exemplaires, afin de mouvoir les
foules dans une vague dévote, des peintures de
saints, apôtres, mystiques furent produites.
F. X. Fabre acheta la Tête d’Apôtre pour
220 francs, le 9 août 1826, à un certain
M. Alcouf. Il en fit don au musée de Montpellier au sein de son legs de 1837. Après son décès
le 16 mars, le tableau entra au musée le 24 avril 183737. Une inscription au dos du tableau, au
crayon sur le châssis, « Michel-Ange de Caravage “Archimède” », sans doute écrite pendant
ses différents transferts, fit d’abord croire à une Tête d’Archimède du maître italien Caravage
(1573-1609), avant que Fabre ne l’attribue plus tard à Ribera38. L’attribution de cette toile est
donc incertaine. Martin Soria la considéra comme une copie d’une tête de saint Paul, opinion
corroborée par Pérez Sánchez en 1981, au colloque de Fuensalida, près de Tolède, bien que
Xavier Dejean (conservateur du Musée Fabre fin XXe siècle) pense qu’il s’agit d’une copie
du XIXe siècle.
Il existe plusieurs représentations de saint Paul de Ribera qui permettent l’analogie avec
notre Tête d’Apôtre : Saint Paul (The Hispanic Society of America, New York), Saint Paul
(Vitoria, Museo Provincial de Alava), Saint Roch (Musée du Prado, Madrid)39, San Pablo
(75 x 63 cm, Prado ; réplique d’atelier, 63 x 50 cm, collection privée anglaise40 ; copie, huile
36
Exp. : Ribera, 1591-1652, 1992, Madrid, Prado ; Naples, Pinacothèque de Capodimonte.
Archives municipales de Montpellier, fonds Instruction publique - Sciences, lettres et arts, relevé des tableaux
légués par F.X. Fabre se trouvant dans les galeries du musée le 3 mai 1837.
38
Dossier d’œuvre Ribera, Tête d’Apôtre, Montpellier, Archives Musée Fabre, note inventaire Desmazes, 1938.
39
Elizabeth du GUÉ TRAPIER, Ribera, New York, 1952, fig. 59, p. 93; fig. 90, p. 141; fig. 142, p. 209.
40
Nicola SPINOSA, L’Opera Completa del Ribera, [Milan, Rizzoli Editore, 1978] Naples, Electa, 2003, p. 277.
37
21
sur toile, 76 x 100 cm, Pinacothèque de Brera)41. Chacun de ces tableaux représente le saint
de trois-quarts, sur fond neutre foncé, son visage paré d’une longue barbe brune. Ces
répliques reproduirent le saint en buste, en plan rapproché comme ici, ou peint jusqu’aux
genoux. Cette toile pourrait également être une tête de saint Paul, peinte en plan serré sur fond
neutre, penchée vers la droite et délimitée par une barbe brune dense. Saül persécutait les
disciples du christianisme mais fut convertit par une vision lumineuse du Christ, sur le chemin
de Damas. Il devint apôtre, à la suite de cet événement, en plus des douze apôtres de Jésus,
qu’il ne connut pas car déjà mort, et il effectua des voyages pour prêcher l’Evangile42. Cette
représentation ténébriste du saint se rapproche du type de Saint Paul de l’époque (Nicolas
Tournier, Toulouse ; Table des illustrations, 1). Le saint paraît contempler le spectateur
directement dans les yeux, comme pour transmettre le message de la foi, comme il le fit sur le
pourtour nord-est de la Méditerranée. Il tient souvent une épée et un parchemin ou un livre,
parce qu’il fut décapité et qu’il rédigea un évangile, base de la religion chrétienne ; un autre
de ses attributs est un navire, symbole de ses voyages. Néanmoins, notre version restreinte du
corps du saint ne permet pas d’observer ces attributs.
Jusepe de Ribera utilisa sa virtuosité picturale avec une faculté de reproduction de la
réalité qui sut dévoiler jusqu’aux détails (reliefs de la chair, peau burinée, mains laborieuses)
et défauts physiques des personnages (rides, verrues, poils). Il étudia aussi les difformités
humaines (le Pied-bot, 1642, Louvre)43. En 1611, il partit pour l’Italie, à Parme, à Bologne et
à Rome, peignant la série allégorique, naturaliste et ténébriste des Cinq Sens (Le Goût, 161316, Hartford, Wadsworth Atheneum). Il passa le reste de sa vie à Naples, dans l’atelier du
peintre caravagiste Azzolino qui lui offrit sa fille Caterina en mariage, puis dans son propre
atelier. Son style évolua, à partir de 1635, d’un ténébrisme caravagesque débordant, aux
lumières dramatiques et fonds sombres, à une touche plus légère et calme, une palette plus
claire et lumineuse. Portraitiste, peintre de saints, de figures pénitentes, de philosophes
antiques et de sujets de mythologie, il peignit peu de paysages. Les dernières années de vie se
révélèrent ensuite tumultueuses. Il décéda le 3 septembre 1652.
Parmi les meilleurs représentants du courant ténébriste du baroque, Ribera sut figurer la
dimension pieuse propre à l’époque post-Concile de Trente. Le tableau suivant démontre,
quant à lui, la ferveur pénitente d’une autre figure sanctifiée.
41
Nicola SPINOSA, L’Opera Completa del Ribera, [Milan, Rizzoli Editore, 1978] Naples, Electa, 2003, n° 54a.
Jacques de VORAGINE, La légende dorée, [1261-1266] (trad. T. Wyzewa) Paris, Diane de Selliers, 2000, t. I,
« Saint Paul apôtre », p. 308-316 ; M. VERNES, La grande encyclopédie : inventaire raisonné des sciences, des
lettres et des arts, Paris, Société anonyme La Grande Encyclopédie, t. XXV, p. 113-115, « Saint Paul ».
43
Dictionnaire de la peinture espagnole et portugaise…, Larousse, Paris, 1989, p. 237-241.
42
22
José de Ribera, (prov. Valence, 1591 Naples, 1652), Sainte Marie l’Egyptienne44,
1641
Huile sur toile, 131 x 104 cm
Montpellier, Musée Fabre
La toile est d’attribution certaine, signée
et datée : « Jusepe de Ribera español
1641 »45. Elle provient de la collection
florentine du XVIIIe siècle du Marquis
Gerini. Fabre acquit cette œuvre en 1825,
puis la légua au musée avec tous ses autres
tableaux en 1837.
Marie l’Egyptienne, prostituée d’Alexandrie née en 34546, rejoignit la ville de Jérusalem
en payant de son corps son voyage maritime ; arrivée en Terre Sainte, elle vécut également de
prostitution. Un jour de Pâques, elle suivit des pèlerins jusqu’à l’église du Saint Sépulcre,
mais elle fut empêchée d’y entrer par une force surnaturelle qui la repoussa. Elle se rendit
alors compte de ses fautes et voulut s’en faire pardonner ; c’est la vision de la Vierge qui la
convertit47. Elle se retira au désert de Transjordanie et y passa le restant de sa vie en prières et
méditations, plongeant sa chevelure dans le Jourdain. Elle survécut durant soixante années
grâce à trois pains que lui offrira un inconnu de passage. Elle vécut de spiritualité ; son corps
se décharna petit à petit, s’asséchant, lui collant aux os, elle perdit sa beauté de courtisane. Ses
vêtements devinrent des loques, le tissu en tomba peu à peu, et elle finit par n’avoir pour
habits que ses cheveux. L’ermite Zosime découvrit quelques temps plus tard ce corps torturé,
qu’il couvrit de son propre manteau. Il retourna la voir un an après, mais ne trouva plus qu’un
corps sans vie, qu’il mit en terre, aidé d’un lion. L’âme de Marie l’Egyptienne fut finalement
emmenée au Paradis par une escorte angélique. La sainte est souvent représentée presque nue,
44
Exp. : Les chefs d’oeuvre du Musée de Montpellier, Paris, Musée de l’Orangerie, 1939, n° 100 ; Kunsthalle,
Bern, n° 79 ; Trésors de la peinture espagnole. Eglises et musées de France, Paris, Musées des Arts Décoratifs,
1963, n° 71 ; Le Nu, Montpellier, Musée Fabre, 1978 ; Vélasquez et la peinture espagnole, Musée National de
Tokyo, 1980 ; Osaka Daimaru Art Museum, 1981 ; Pintura española del siglo XVII de los museos provinciales
de Francia, Madrid, Prado, 1981, n° 1 ; Ribera, Napoli, Museo di Capodimonte, 1992, n° 1.85°; Madrid, Prado,
1992, n° 108°; New-York, Metropolitan Museum of Art, 1992, n° 59 ; L’ascèse et la gourmandise, Vienne,
Musée des Arts Décoratifs, 1996 ; Bologne, Pinacoteca Nazionale, 1998.
45
Dossier d’œuvre Ribera, Sainte Marie l’Egyptienne, Montpellier, Archives du Musée Fabre.
46
Jean-Jacques LUTHI, « Une sainte égyptienne à Paris », Al Ahram [hebdomadaire égyptien en français, en
ligne chaque mercredi], http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2005/5/11/patri3.htm, consulté le 20/05/2006.
47
DUCHET-SUCHAUX (G.) et PASTOUREAU (M.), La Bible et les Saints, Guide iconographique, Paris,
Flammarion, [1990] 1994, p. 237-238.
23
décharnée, famélique, ses cheveux jouant le rôle de ses vêtements. Marie l’Egyptienne, Agnès
et Marie Madeleine sont confondues fréquemment. L’attribut qui distingue Marie
l’Egyptienne consiste en les trois pains qu’elle tient à la main ou qui sont posés sur un rocher.
Entourée d’un paysage âpre de roches, avec une unique percée de ciel en haut à gauche du
tableau, vers là où le regard de Marie l’Egyptienne est tourné, « la sainte est représentée
debout, décharnée, dans l’extase de la prière, les cheveux épars, le bras et l’épaule droits nus,
le reste du corps couvert d’une étoffe de bure, les mains jointes »48. Le décor de la grotte où
s’est retirée la sainte est seulement composé d’un rocher sur lequel sont posés un crâne et un
morceau de pain. On note une nette différence entre la féminité de la jeune femme qui vécut
de son corps et de plaisirs et le parchemin désertique qu’est devenu son corps d’ancienne
courtisane afin d’expier ses fautes. Sa peau dure et sèche, flétrie, ses mains abîmées, son
visage cadavérique, répétition du crâne posé sur le rocher, symbolisent sa dégénérescence
charnelle lente, avant de trouver le repos éternel au sein du Paradis des repentants, après des
dizaines d’années de martyre pénitent et de privation physique pour laisser la priorité à la
réflexion spirituelle, à la prépondérance de l’activité de l’esprit. Les rides de tout son corps
traduisent l’intensité passionnelle de la dévotion dans cette chair suppliciée, sacrifiée. Cette
entreprise d’autodestruction démontre la tension spirituelle de la sainte égyptienne, au-delà du
désarroi physique et moral qu’elle tente de dépasser par la prière. Ce travail de mortification
doit la mener dans les cieux les plus cléments de la repentance. Elle se fait ombre parmi les
ombres du décor aride et des démons qu’elle souhaite faire fuir de son corps de pécheresse.
Dans cette version de Ribera de Marie l’Egyptienne, la sainte est vêtue du manteau que
Zosime lui offrit. La flamme de son regard est intense, tourné dans son intégrité vers le Christ.
Ce tableau est caractéristique des représentations extatiques du XVIIe siècle. La tête de mort
sur le rocher à la gauche de la sainte symbolise la piété. Mais le crâne est également le reflet
d’une certaine angoisse que les générations du Concile de Trente ressentirent, des méditations
et des interrogations sur la mort49. Ces pensées furent une réflexion sur la vie et la mort,
surtout un travail à l’œuvre du salut humain, toujours dans une vision religieuse tridentine.
Les pénitents furent beaucoup représentés (la Madeleine, le repentir de saint Pierre), l’extase
fut promue comme une démonstration vertueuse d’amour. Les mystiques réalisaient le désir
de l’époque de l’union avec Dieu, du rapprochement de la terre et du ciel.
48
49
André JOUBIN, Catalogue des peintures… du Musée Fabre de Montpellier, Paris, Blondel La Rougery, 1926.
Emile MÂLE, L’art religieux au XVIe, XVIIe, XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1984, p. 144, 184, 187.
24
2- Milieu du XIXe siècle : vente Soult, 1852, et envoi de l’Etat, 1863
Vente Soult, 1852 : Sarabia, La Vierge et l’Enfant Jésus ; Zurbarán, L’Ange
Gabriel et Sainte Agathe
Le premier tableau religieux de cette sous-partie, une Vierge à l’Enfant, représente un
autre thème pictural type, celui de la dévotion mariale, l’exaltation de la Vierge Marie.
Lorsqu’en 1852 les collections issues des pillages du Maréchal Soult, ancien général
d’Empire de Napoléon Ier, furent mises aux enchères, M. Collot, donateur et intermédiaire du
Musée Fabre, acheta trois toiles, dont cette Vierge à l’Enfant et deux Zurbarán très connus,
représentatifs eux aussi de la piété espagnole, L’Ange Gabriel et Sainte Agathe.
José de Sarabia (Séville, 1605 - Cordoue,
1669), La Vierge et l’Enfant Jésus
Ni signé ni daté
Huile sur toile, 148 x 106 cm
Montpellier, Musée Fabre
La Vierge à l’Enfant de Sarabia, Sainte
Agathe et L’Ange Gabriel de Zurbarán furent
mis en réserve à l’instar de centaines d’autres
tableaux espagnols à l’Alcazar de Séville, en
1810. Ils furent vendus aux enchères lors de la
vente de la collection privée du Maréchal
Soult des 19-22 mai 1852 (L’Ange Gabriel,
n° 29 du catalogue de la vente ; La Vierge à
l’Enfant, n° 43 ; Sainte Agathe, n° 34 – elle
devait faire partie d’une série de sept tableaux de saintes aujourd’hui dispersée)50. Pour se
rendre compte de la taille de l’ancienne galerie, Cano Rivero précise que furent mis en vente
« 109 peintures espagnoles. Une majorité (78 tableaux) sont de l’Ecole de Séville (dont 15
Murillo, 15 Zurbarán, 7 Alonso Cano, Herrera et autres) »51. Les trois tableaux furent ensuite
acquis par le Musée Fabre – avec 12 000 francs autorisés par le Conseil municipal de
Montpellier -, grâce à la rente Collot de 1852. Jean-Pierre Collot fut un des donateurs de
rentes et de tableaux destinés à l’accroissement du Musée Fabre. En outre, il offrit ses
50
Dossier d’œuvre Sarabia, Vierge à l’Enfant, Montpellier, Archives du Musée Fabre.
Ignacio CANO RIVERO, « Seville’s Artistic Heritage during the French Occupation » (trad. personnelle), in
TINTEROW (G.), LACAMBRE (G.) et al., Manet-Velázquez : The French Taste for Spanish Painting, New
York, Metropolitan Museum of Art, 2003, p. 93-113.
51
25
services en tant que représentant du musée lors de la vente Soult. Dans une lettre du 22 mai
1852, Collot donna les détails des achats qu’il effectua pour le musée de Montpellier : La
Vierge à l’Enfant de Sarabia, 2 605 francs ; L’Ange Gabriel de Zurbarán, 2 555 francs ; Sainte
Agathe de Zurbarán, 1 540 francs. Dans une lettre du 9 juillet 1852 du Préfet de l’Hérault au
maire de Montpellier, il est stipulé que l’acquisition d’un tableau d’Herrera le Vieux que le
musée désirait acheter échoua, au profit du Sarabia52.
Cette Vierge est attribuée à José de Sarabia (Séville, 1605 - Cordoue, 1669), peintre
sévillan connu pour l’habileté de ses pastiches ; on possède néanmoins très peu
d’informations sur le peintre53. Assise contre une balustrade, la tête couronnée d’étoiles, la
Vierge tient sur ses genoux l’Enfant qui regarde le ciel où s’agitent des chérubins dans la
lumière54. Le regard tendre de Marie vers son fils rappelle une dimension plus humaine de la
représentation de la Vierge à l’Enfant, moins statique et hermétique que durant le Moyen Âge.
La lumière vient du ciel, là où sont postés les chérubins observant la scène, et inonde les deux
personnages et cette divinité qu’ils possèdent en eux. Cependant, leur humanité n’est pas
effacée pour autant, rappelée dans cette toile par la présence d’éléments comme la balustrade
ou le berceau – symbole tendre de la condition de bébé de l’Enfant Jésus et rappel de la jeune
maternité de la Vierge –, aux draps défaits, comme pour figurer que la mère du Christ vient de
lever ce dernier pour le prendre sur les genoux.
Il existe plusieurs types de dévotions mariales occidentales : la Vierge protectrice, la
Vierge à l’Enfant, la Vierge de douleur, ainsi que les types symbolisant les différentes
périodes et événements de sa vie, de son Immaculée Conception à son Assomption au ciel :
Visitation, Nativité, Annonciation, Purification. Dans le thème de la Vierge à l’Enfant, même
type que la Maestà italienne, on rencontre plusieurs déclinaisons : la Vierge au lait, ou Vierge
nourrice, est répandue, mais très diffusée, la Vierge entrônée portant l’Enfant Jésus (depuis le
IVe siècle) est la plus représentée. Vierge Reine, elle symbolise sans doute l’Eglise. A partir
du XIIIe siècle, se multiplient les versions plus tendres de la Vierge à l’Enfant, d’où irradie
une plus grande douceur maternelle que dans des représentations antérieures55.
Durant la Contre-Réforme, les images mariales ou encore des martyrs furent un sujet de
prédilection de l’Eglise catholique pour contrecarrer l’impiété du rejet du dogme de la Mère
de Dieu immaculée et les remises en questions protestantes de la pureté virginale de Marie.
52
Archives municipales de Montpellier, fonds Instruction publique - Sciences, lettres et arts, dossier 2R3-4 Musée Fabre : dons et legs 1825-1874 ; lettre du Préfet de l’Hérault au Maire, 9 juillet 1852.
53
Service d'étude et de documentation du département des peintures espagnoles, Paris, Louvre, dossier Sarabia.
54
Dossier d’œuvre Sarabia, Vierge à l’Enfant, Montpellier , Archives du Musée Fabre.
55
DUCHET-SUCHAUX (G.) et PASTOUREAU (M.), La Bible et les Saints, Guide iconographique, Paris,
Flammarion, [1990] 1994, p. 234-237.
26
Les toiles de Zurbarán présentent deux nouvelles représentations religieuses de sujets
picturaux de la chrétienté : un ange et une martyre, peints seuls au centre de la composition.
Francisco de Zurbarán (prov. Badajoz, 1598 Madrid, 1664), L’Ange Gabriel56, vers 1635-38
Huile sur toile, 145 x 60 cm
Montpellier, Musée Fabre
Né en 1598 à Fuentes de Cantos, en Estrémadure,
Francisco de Zurbarán fut un des maîtres du réalisme
ténébriste du Siècle d’Or contre-réformiste. Il entra en
apprentissage à Séville, dans l’atelier de Pedro Diaz de
Villanueva et y connut Alonso Cano et Velázquez. Il
vécut à Llerena, en Estrémadure, pendant une dizaine
d’années, puis revint à Séville. La sévérité mystique et
austère de son œuvre, révéla un naturalisme caravagiste
paisible57. Zurbarán caractérisa son œuvre d’une
simplicité rigoureuse, mais tendre, dans une approche
de la figuration cléricale et spirituelle, affirmée par son
art du détail et l’humilité avec laquelle il représenta des
aspects du quotidien. Il sut dépeindre le réel et
démontrer son savoir des conceptions théologiques de
l’époque. Adepte de l’exaltation de la théologie mariale,
il peignit avec une certaine ardeur religieuse pour des
couvents (Notre-Dame de la Merci, franciscains de Saint-Bonaventure et dominicains de
Séville ; Chartreuse de Jerez ; Hiéronymites de Guadalupe, en Estrémadure), ainsi que pour la
famille royale et des particuliers nobles. Il démontra ses qualités artistiques dans des tableaux
religieux très pieux, des natures mortes et des portraits. La décennie de 1630 fut la plus
glorieuse de sa vie picturale ; il dut y peindre les deux toiles qui se trouvent au Musée Fabre.
En 1634, Zurbarán se rendit à Madrid où il s’installa et où il étudia les œuvres de son ami
Velázquez et des tableaux italiens. Le peintre abandonna ensuite ses influences ténébristes
56
Exp. : Les Chefs-d’œuvre du Musée de Montpellier, Paris, Orangerie, 1939, n° 104, p. 77 ; Kunsthalle Bern,
1939, n° 83 ; Trésors de la peinture espagnole, églises et musées de France, Paris, Louvre, Musée des Arts
Décoratifs, 1963, n° 94 ; Zurbarán, Casón del Buen Retiro, 1964-1965, n° 85 ;Velázquez et la peinture
espagnole, Musée National de Tokyo, 1980, n° 4 ; Madrid, Prado, 1981 ; Zurbarán, New-York, Metropolitan
Museum of Art, 1987 ; Paris, Grand Palais, 1988, n° 15, p. 150-151, repr. p. 149 ; Madrid, Prado, 1987-1988 ;
Séville, 1998, n° 30, p. 128, repr. coul. p. 129 ; Madrid-Bilbao, 2005, n° 9, p. 70, repr. coul. p. 71, p. 198.
57
Paul GUINARD, Cat. exp. Trésors de la peinture espagnole, Paris, Musée des Arts Décoratifs, 1963.
27
pour une touche légère sans clair-obscur, alliant dorénavant des couleurs moins contrastées et
des ciels moins sombres. Le peintre décéda le 27 août 1664, à Madrid.
Sainte Agathe et L’Ange Gabriel pourraient provenir du couvent carmélite de San
Alberto, selon Paul Guinard. L’inventaire des tableaux réunis à l’Alcazar sous l’occupation
française, vers 1810, contient des informations sur Saint Gabriel, Sainte Agathe, Saint André
et un Saint Ferdinand perdu, mis en relation logique par leurs numéros d’inventaire (les
peintures de même provenance étaient souvent regroupées) et leurs dimensions équivalentes ;
ces quatre tableaux pourraient faire partie d’un même retable d’une chapelle d’un couvent
sévillan (San Alberto ?). Néanmoins, cette hypothèse fut abandonnée, car les auteurs anciens
qui citèrent ce couvent n’indiquèrent pas la nature exacte du retable58 et car Sainte Agathe et
L’Ange Gabriel n’ont pas la même d’intensité picturale59. Jeannine Baticle pencha pour une
localisation au couvent de la Merced Descalzada ou de la Merced Calzada, considérant que
« le retable peint par Zurbarán pour l’église de San Alberto comportait des œuvres d’un
format plus petit »60. Ludmila Kagané proposa pour Sainte Agathe un autre couvent sévillan
de la Merced, fondé en 1623, San José ou la Merced Descalza, où Sainte Agathe et Saint
Ferdinand se trouveraient dans la partie centrale du retable majeur61. Les différentes opinions
au sujet de l’origine de ces toiles varièrent de cette manière. Le dernier avis émis considère
que les deux tableaux viendraient du collège dominicain sévillan de Santo Tomás62.
Parée de ses attributs de messager divin de l’Annonciation, cette représentation ne laisse
pas d’interroger le monde de l’art sur sa symbolique première : se pourrait-il que ce tableau
soit un morceau d’une Annonciation en diptyque disséminé ou un simple portrait de l’ange ?
Dans le premier cas, le second panneau serait une Vierge recevant le message de
l’Annonciation, comme l’a avancé André Joubin63, hypothèse réfutée par Paul Guinard64,
l’attitude de l’ange ne correspondant pas, selon lui, à l’iconographie de l’Annonciation. Celuici pense que ce tableau proviendrait d’un ensemble de peintures réparties entre la National
Gallery, la collection du roi de Roumanie et divers musées d’Amérique et qu’il ne serait pas
une partie d’Annonciation, mais bien une figure à part entière, focalisée sur l’Ange seul. Nous
pouvons considérer, par exemple, l’Archange Saint Gabriel de José Camarón Bononat, lui
aussi un portrait simple de l’ange (Table des illustrations, 2).
58
Paul GUINARD, Los conjuntos dispersos o desaparecidos de Zurbarán, Archivo español de Arte, n° 76, 1947
Armelle BARON, expert CNES, L’objet d’art, nov. 1996.
60
Jeannine BATICLE, Cat. exp. Zurbarán du Grand Palais, 1987-1988, New York - Paris, RMN.
61
Ludmila KAGANÉ, in Revue du Louvre, 1989, p. 23-26.
62
Michel HILAIRE, « L’Ange Gabriel », in Chefs d’œuvres du Musée Fabre de Montpellier, Lausanne,
Fondation de l’Hermitage, 2006, p. 28.
63
André JOUBIN, Memorandum, Paris, 1929, p. 26.
64
Dossier d’œuvre Zurbarán, L’Ange Gabriel, Montpellier, Archives du Musée Fabre, lettre de P. Guinard, 28
mars 1950.
59
28
L’Ange Gabriel, jeune homme blond imberbe dont la grâce reflète la pureté divine dont il
est le messager, est représenté de trois-quarts, dans une attitude de marche (vers la Vierge
pour lui apprendre la naissance future de Jésus, ou vers le spectateur pour lui annoncer la
Bonne Nouvelle). De sa main gauche s’élève l’insigne des hérauts, surmonté d’une croix
nimbée avec les lettres AVM (Ave Maria). Les lettres AV de la salutation de Gabriel à Marie
lors de l’Annonciation symbolisent Ave et le M est le monogramme de Marie65. Ce tableau
serait-il une Annonciation ? Les yeux levés vers le ciel et la main droite tendue, « vêtu d’une
robe rose, recouverte d’un surplis blanc, agrafé par des rosaces d’or »66, l’ange s’avance sur
un ciel gris nuageux, au devant d’un paysage sombre, rocheux, peu verdoyant, si ce n’est le
feuillage doré. Ces caractéristiques forment une rupture avec la douceur et la lumière qui se
dégagent du personnage angélique et des draperies qui le vêtent. L’aspect juvénile de l’ange
pourrait être inspiré des enfants de chœur présents lors du Corpus Christi de Séville, habillés
de longues tuniques ceinturées ; les saintes, telle Sainte Agathe, furent sans doute peintes elles
aussi, selon María Luisa Caturla, d’après les modèles des cortèges de ces processions67.
Messager de Dieu dont le nom signifie « Force de Dieu », « Homme de Dieu » ou
« Homme à qui Dieu fait confiance », cet ange d’un ordre supérieur est chargé de transmettre
les messages liés à l’Incarnation ; il annonce à Zacharie la naissance de Jean-Baptiste et à
Marie, à Nazareth, qu’elle va donner le jour à Jésus. Il est paré d’un lys ou d’un sceptre autour
duquel s’enroule un phylactère portant l’inscription Ave Maria. Depuis le Ve siècle,
l’archange est peint ailé, comme dans ce tableau de Zurbarán, et dès le XIVe siècle, il arbore
des traits féminins, qui font de son androgynie une de ses caractéristiques principales jusqu’au
XVIIe siècle. On lui attribue un bâton de messager, un lis (symbole de la pureté de la Vierge,
en réponse aux protestants), ou un sceptre, et un phylactère à la phrase de salutation mariale
Ave maria gratia plena68. Gabriel est un symbole d’annonciation de la délivrance de
l’humanité qui sera sauvée de ses péchés grâce à l’arrivée prochaine du Messie rédempteur et
miséricordieux. La dévotion aux anges fit partie des cultes nouveaux qui pussent exalter la foi
des fidèles de la période post-tridentine. Michel, Gabriel, Raphaël, Barachiel, Jehudiel, Uriel
et Sealtiel sont les sept archanges. Les trois premiers restèrent un objet de culte, tandis que les
quatre autres, apocryphes, ne furent pas reconnus par l’Eglise69. De même que ces anges, les
peintures de saints, figures de l’abnégation de sa vie au profit de la religion, connurent la
valorisation tridentine.
65
M. HILAIRE, « L’Ange Gabriel », in Chefs d’œuvres du Musée Fabre…, Lausanne, l’Hermitage, 2006, p. 28.
Dossier d’œuvre Zurbarán, L’Ange Gabriel, Montpellier, Archives du Musée Fabre.
67
Ibid.
68
DUCHET-SUCHAUX (G.) et PASTOUREAU (M.) La Bible et les Saints, Paris, Flammarion, 1994, p. 167.
69
Emile MÂLE, L’art religieux au XVIe, XVIIe, XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1924, p. 259-263.
66
29
Les peintures religieuses de martyrs constituaient des représentations didactiques et
exemplaires des préceptes et des vertus chrétiennes.
Francisco de Zurbarán (prov. Badajoz, 1598 Madrid, 1664), Sainte Agathe70, v. 1634
Huile sur toile, 129 x 61 cm
Montpellier, Musée Fabre
Agathe vécut dans une noble famille de Catane,
en Sicile, au pied de l’Etna, sous le règne du
troisième consulat de l’empereur Dèce et ses
persécutions contre les chrétiens. Le gouverneur
romain de Sicile, Quintien, qui avait remarqué sa
beauté et son rang, désira la prendre pour femme. Il
ne supporta pas d’être éconduit par la jeune femme
qui souhaitait préserver sa virginité et consacrer
son existence à honorer Dieu. Non autorisé par la
loi romaine à exécuter une vierge, il l’envoya dans
la maison close d’Aphrodisie, qui eut pour mission
de lui faire accepter ce mariage, mais dont elle
sortit sans séquelle physique, sexuellement intacte.
Le consul Quintien entreprit de lui faire endurer
quelques tortures, pour mener à bien sa vengeance, décida de la jeter au cachot et de lui faire
écraser puis arracher les seins à la tenaille, tourments qu’elle vit avec joie comme un combat
pour l’accession au Paradis et à la palme du martyre. De retour dans sa prison, la jeune
sicilienne fut visitée par saint Pierre qui guérit ses plaies miraculeusement. Elle est ensuite
roulée nue sur des tessons de pots cassés et des charbons ardents, calvaire interrompu par un
important tremblement de terre. Ramenée dans son cachot, elle y mourut dans un grand cri71.
Un an plus tard, une éruption de l’Etna menaça Catane ; les habitants déposèrent sur le
chemin du flot de lave le voile qui recouvrait la tombe de la sainte et permirent ainsi de dévier
la coulée magmatique et de sauver leur ville.
70
Exp. : Paris, 1939, n° 105, p. 78 ; Trésors de la peinture espagnole, églises et musées de France, Paris, Palais
du Louvre, Musée des Arts Décoratifs, 1963 ; Madrid, Buen Retiro, 1964-65 ; rétrospective Zurbarán, New
York, Metropolitan Museum of Art - Paris, Grand Palais, 1987-1988, n° 11, p. 135-136, repr. coul. p. 137°;
Madrid, 1988, n° 15, p. 164-166, repr. coul. ; Séville, 1991-1992, n° 29, p. 88, repr. coul. p. 89 ; Séville, 1998,
n° 30, p. 128, repr. coul. p. 129 ; Madrid-Bilbao 2005, n° 10, p. 72, repr. coul. p. 73, p. 198.
71
Jacques de VORAGINE, La Légende Dorée, [1261-1266] (trad. Téodor de Wyzeva) Paris, Diane de Selliers,
2000, t. I, « Sainte Agathe, vierge et martyre », p. 148-150.
30
Fêtée le 5 février, Agathe est la protectrice de la Sicile, de Catane, de Palerme et de l'île
de Malte ; elle est la patronne des femmes atteintes d’un cancer de la poitrine et amputées
d’un sein, des fondeurs de cloches, des bijoutiers, des nourrices (symbole de celle qui peut
apporter la subsistance aux plus faibles et démunis). On la prie contre des catastrophes
naturelles : les éruptions volcaniques, la foudre, les incendies et tremblements de terre. Elle
est en général représentée avec ses seins arrachés posés sur un plateau et des tenailles,
quelquefois un bâtiment en flammes ; elle peut également porter la palme des martyres (elle
est alors la figure de la vierge victorieuse), ou encore une torche, un bâton enflammé, ou son
voile avec lequel elle essaie d’éteindre un feu, dans le thème de la sainte protectrice ignifuge.
Ses reliques reposent dans une chapelle qui lui est dédiée dans la cathédrale de sa ville natale.
Sur un fond neutre noir, le jeu de clair-obscur détache, avec une diagonale lumineuse
partant du haut à droite vers le centre, sainte Agathe qui se tient debout, légèrement penchée
vers l’avant, et regarde le spectateur. Seuls les mains, le cou et le visage ressortent des amas
de tissus dont elle est vêtue. Sa douceur est mise en contraste avec les étoffes imposantes et
largement plissées qui inondent la toile et absorbent l’espace, revêtant sa sérénité sanctifiée.
La qualité chromatique, très variée, va de la blancheur de la peau à la robe couleur mûre, au
corsage bleu-vert canard, aux « manches citrines »72 et au manteau vermillon éclatant,
jusqu’aux joues rosées de la sainte. La chevelure n’avait pas été peinte ainsi dans une
première version, tel que l’a révélé le passage aux rayons X73. Un collier de fines perles orne
le cou d’Agathe, symbole sans doute d’une féminité bafouée – rappelée durement par le
plateau qu’offre à notre regard la jeune femme avec le malheureux trophée de ses deux seins
mutilés, l’offrande modeste et digne de sa féminité sanctifiée pour avoir été sacrifiée. On
pourrait penser qu’elle nous présente sa poitrine déchiquetée sur ce plateau tout en la
protégeant timidement et humblement de la main droite, comme pour rappeler assez
pudiquement le caractère généralement tabou de ces deux morceaux charnels estropiés. Outre
sa grande tranquillité, la jeune femme semble exprimer un message de haute sainteté. Les
yeux de la sainte directement tournés vers l’observateur du tableau, il s’agit d’un inter-regard
qui permet la discussion de la figure peinte avec l’observateur de la toile. Cette représentation
propose une intertextualité au message de cette œuvre : au-delà de la démonstration de
sainteté martyrisée, se dégage la sérénité tout à fait exemplaire de la sainte, le moment éternel
après le supplice des martyres, celui où ne reste que le calme. Le regard de sainte Agathe
n’exprime ni peur ni souffrance ; son martyre l’a délivrée et fait passer au-delà des
préoccupations charnelles, dans une attitude emplie de grâce et de délicatesse. Peut-être peut72
73
Paul VALÉRY, Sainte Alexandrine, in Œuvres, Paris, Gallimard, [1957] 1960.
Service d'étude et de documentation du département des peintures espagnoles, Paris, Louvre, dossier Zurbarán.
31
on y distinguer une fine touche de mélancolie pour avoir vu sa vie écourtée ou son amour
pour sa foi malmené ; mais la richesse sage et dévote prime.
Le poète Paul Valéry fut admiratif de cette œuvre, qu’il vit à ses vingt ans. Il écrivit
Sainte Alexandrine en 1891 et prénomma sa fille Agathe. Le poème a beau porter une autre
dénomination, Mme Valéry confirma que le poète n’avait eu aucun doute et qu’il pensait bien
à la Sainte Agathe exposée au Musée Fabre, lorsqu’il créa cette prose poétique74.
Sainte Alexandrine
Quel sommeil n'accorde à nos ténèbres intimes de telles apparitions ?
Une rose ! c'est la première lueur parue sur l'ombre adorable.
Elle se figure doucement en cette martyre silencieuse, penchée.
Puis un vif manteau fuit par derrière - l'étoffe baigne dans l'obscurité pour laisser très beau
le geste idéal
Car, issues des folles manches citrines, les mains pieuses conservent le plat d'argent où
palissent les seins coupés par le bourreau - les seins inutiles qui se fanent.
Et regarde la courbe de ce corps que les robes allongent, des minces cheveux noirs à la
pointe délicieuse du pied, il désigne mollement l'absence de tous fruits à la poitrine.
Mais la joie du supplice est dans ce commencement de la pureté : perdre les plus dangereux
ornements de l'incarnation, les seins, les doux seins, faits à l'image de la terre.
Paul Valéry, Sur quelques peintures, 1891.
En 1582, le cardinal Gabriel Paleotti recommanda vivement le culte de sept saintes
martyres75. A cause de la grande pudeur de l’époque, Agathe fut peu représentée au Siècle
d’Or. Les Mercédaires et les Hospitaliers en demandèrent toutefois quelques reproductions,
car Agathe symbolise les vertus indéniables du don de sa vie pour la défense de sa foi et de
l’offrande de la subsistance aux plus faibles, en tant que patronne des nourrices. Pour les
protestants, le culte aux saints était une superstition païenne, en réponse de quoi l’Eglise
chercha à renouveler les images pieuses. Les Catacombes resurgirent tout à fait à propos à
cette époque, dévoilant les dévots morts pour leur religion, regroupés dans ces cimetières
d’anciens chrétiens persécutés. Les portraits de martyrs, « luttant sous nos yeux ; que nous
voyions couler leur sang », illustrèrent l’abnégation de la vie des fidèles pour leur foi,
« transfigurant la souffrance et la métamorphosant en allégresse »76 , comme sainte Agathe.
74
Dossier d’œuvre Zurbarán, Sainte Agathe, Montpellier, Archives du Musée Fabre, lettre de Mme Paul Valéry
au conservateur du musée, Jean Claparède, juillet 1946.
75
Michel HILAIRE, « Sainte Agathe », in Chefs d’œuvres du Musée Fabre de Montpellier, Lausanne, Fondation
de l’Hermitage, 2006, p. 181-182 ; cardinal Gabriel Paleotti, Discorso intorno alle imagini sacre e profane,
1582.
76
Emile MÂLE, L’art religieux au XVIe, XVIIe, XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1924, p. 121 et 140.
32
Campana, envoi de l’Etat, 1863 : Sánchez Coello, Portrait de jeune Prince
Ce portrait, ainsi que celui qui le suit, forment un autre type de peinture répandu. Sans lien
avec les représentations religieuses – bien que certains portraits illustrassent la religiosité de
leurs sujets –, ces compositions eurent pour motif la représentation pérenne des individus qui
y furent dépeints. Décrite leur apparence et mises en relief leurs qualités, les sujets de ces
oeuvres visaient la démonstration de leurs caractères personnels innés et statut social.
Alonso
Sánchez
Coello
(atelier
de)
(Benifayo, prov. Valence, 1531 - Madrid,
1590), Portrait d’un jeune prince77
Ni signé ni daté
Huile sur toile, 53 x 41 cm
Montpellier, Musée Fabre
Après une adolescence au Portugal, Alonso
Sánchez Coello étudia en Flandres vers la
moitié du XVIe siècle, sous la direction du
peintre hollandais Antonio Moro, dont il acquit
les
influences
froides
et
distantes,
une
application dans les détails des traits des
visages et des costumes, sur un fond peu
accessoirisé. Mêlant à cette influence celle de
Titien (Venise, v. 1488-1576) (il en copia des œuvres : Noli me tangere, Escorial)78, il devint
portraitiste royal de Philippe II, lorsque son maître Antoine Moor quitta l’Espagne, menacé
par les repressions inquisitoriales, suspecté d’avoir établi des sympathies hétérodoxes
protestantes. Sánchez Coello suivit la Cour à Valladolid, Tolède puis Madrid, où il décora le
salon des Portraits royaux du Palais du Pardo. Egalement peintre religieux, il fut chargé de
décorer des autels du Palais de l’Escorial, avec des peintures de couples de saints (Martyre de
saint Sébastien ; Mariage mystique de sainte Catherine, Prado). Il fonda un art du portrait de
Cour, qui se développerait dans l’Europe, conventionnel, mais sachant fixer l’humanité
cachée sous les apparences de Cour. Il révolutionna également le portrait simple par l’ajout de
personnages ou de détails des fonds (ornements, accessoires). Il mourut à Madrid en 1590.
77
Le Portrait d’un jeune prince fut prêté à la Préfecture en 1941. Il fut installé dans l’appartement du Préfet
Régional, puis retourna au musée en 1946.
78
Dictionnaire de la peinture espagnole et portugaise du Moyen Age à nos jours, Larousse, Paris, 1989, p. 249.
33
Jeune garçon assumant les fonctions de chevalier d’un ordre religieux et militaire, le
personnage posté de trois-quarts est vêtu d’un costume de soie brochée rouge, bleu et or, avec
sur le coeur brodée la décoration espagnole en croix fleurdelisée rouge de l’Ordre de
Calatrava79. Une fraise entoure son cou. Qui peut être ce jeune prince aux cheveux courts ? Le
petit chevalier est enserré dans ces vêtements élaborés, au seuil d’une adolescence qu’il vit
déjà dans la sévérité, paré d’une lourde et conséquente mission de milice monastique, à
l’instar des chevaliers des Ordres d’Alcantara, de Santiago, des Templiers ou des Hospitaliers.
On le sent légèrement intimidé, pas tout à fait à l’aise dans ce costume dans lequel il n’a pas
eu encore le temps d’arriver à maturité. On remarque des sortes de branches s’insérant dans le
côté gauche du tableau : « c’est peut-être pour ne pas l’incarcérer davantage dans un cadre
trop lourd et fermé, qu’explose autour de lui cette ramification d’entrelacs sauvages »80. Or
l’allègement des vernis effectué cet hiver a dévoilé, sur les limites du tableau, le bord d’une
manche à droite et un drapé sur la gauche (et non pas des branchages). Ce tableau pourrait
ainsi être un morceau d’une toile plus grande, d’une composition de groupe.
Au dos de la toile apparaît l’inscription : « Portrait d’un enfant par Pantoja rapporté
d’Espagne en novembre 1819 ». Auparavant attribuée à un anonyme de l’Ecole romane du
XVIe siècle, puis à l’Ecole italienne avec Christofano Allori (Florence, 1577-1621), cette
œuvre reçut ensuite l’attribution au peintre de Philippe II, Juan « Pantoja » de la Cruz
(Valladolid, 1551 - Madrid, 1610). Durant le colloque de Fuensalida de 1981, Pérez Sánchez
attribua ce portrait à Sánchez Coello. Il s’agit sans doute d’un travail de l’atelier du peintre, si
l’on en considère la touche sèche et mécanique. Ce tableau fit partie de la collection
Campana, directeur destitué du Mont de Piété de Rome accordant des prêts sur gage.
Giovanni Pietro Campana di Cavelli (1808-1880) fut un collectionneur de tableaux, d’objets
d’art et de bijoux antiques, dès 1829. Accusé d’enrichissement personnel après avoir mis en
gages ces bijoux antiques et gelé tous les avoir du Mont-de-Piété, il fut condamné en 1857 à
vingt ans de prison, qu’il réalisa en exil. On mit ses collections en vente, rachetées par la
France par les émissaires de Napoléon III, Léon Renier et Sébastien Cornu, puis redistribuées
en France par l’Etat entre différents musées81. La toile arriva à Montpellier, mise en dépôt
parmi d’autres objets (n° 604 du catalogue Cornu : Ecole Espagnole, Portrait de jeune
inconnu de temps de Philippe II)82. Après ce don de tableau de l’Etat, suivirent plusieurs legs,
dans la deuxième partie et la fin du XIXe siècle : 1876, 1895 et 1899.
79
Dossier d’œuvre Sánchez Coello, Portrait d’un jeune prince, Montpellier, Archives du Musée Fabre.
Ibid., Xavier DEJEAN.
81
Archives municipales de Montpellier, fonds Instruction publique - Sciences, lettres et arts, dossier 2R3-2 –
Musée Fabre : dons, dépôts, envois de l’Etat, lettre du préfet de l’Hérault au maire, 17 février 1863.
82
Ibid., lettre du préfet de l’Hérault au maire, 17 février 1863, lettre du Ministère d’Etat aux Beaux-Arts.
80
34
III- NOTICES PAR PERIODES D’ACQUISITION : DEUXIEME
MOITIE ET FIN DU XIXe SIECLE - ŒUVRE INCLASSEE
1- Deuxième partie et fin du XIXe siècle : de 1876 à 1899
Legs Bruyas, 1876 : Antolínez, Portrait d’homme ; Espinós, Guirlande de fleurs
Les portraits et les natures mortes furent, ainsi que les thème de mythologie, les peintures
non religieuses qui eurent cours de tous temps, ainsi qu’au Siècle d’Or.
José Antolínez y Sarabia (Madrid
1635-1675), Portrait d’homme83
Ni signé ni daté
Huile sur toile, 59 x 48 cm
Montpellier, Musée Fabre
À la vente de la collection Soult de
1852, le Portrait d’homme (n° 81 du
catalogue) fut acheté par un certain Paul
Perrier. Bruyas le lui racheta, ainsi que
le tableau d’Espinós, en 1860, puis le
légua au musée en 187684.
Le montpelliérain Alfred Bruyas
(1821-1877) fut un amateur de peinture
à partir des années 1840, lorsqu’il suivit
une
formation
dans
l’atelier
du
conservateur du Musée Fabre et professeur des Beaux-Arts de Montpellier, Charles Matet. Il
commença, dès ses séjours italiens de 1846 et 1848 et parisiens en 1849 et 1856 – malgré
l’incompréhension de ses proches quant à ses dépenses d’argent dans des achats d’œuvres
d’art –, la composition de sa collection artistique. Il fit la connaissance des peintres Delacroix
et Courbet à partir de 1853. Il offrit une partie de sa collection au musée de Montpellier en
1868 ; « le 27 octobre, le conseil municipal acceptait la donation et le nommait Conservateur
83
Exp. : Trésors de la peinture espagnole. Eglises et musées de France, Paris, Musée des Arts Décoratifs, 1963
(2ème éd.) ; Pintura española del siglo XVII de los museos provinciales de Francia, Madrid, Prado, 1981 ; Obras
Maestras de los pintores de los museos de Francia, Mexico, Museo de San Carlos, 1994 ; Luci del Secolo d’Oro
Spagnolo, Bologne, Pinacoteca Nazionale, 1998, n° 62, p. 237°; Paris, Union Latine, 1998.
84
Martin SORIA, José Antolinez. Retrato y otras obras, Archivo español de Arte, t. XXIX, n° 113, 1956, note
n° 2, p. 1.
35
de la galerie qui allait porter son nom »85. Après avoir été nommé Chevalier de la Légion
d’Honneur en 1876, il étendit et acheva son don par le legs testamentaire, le 20 novembre de
la même année, de la totalité de ce qui restait de sa collection à sa mort, le 1er janvier 1877.
Baptisé le 7 novembre 1635, José Antolínez y Sarabia grandit au sein d’une famille noble
madrilène. Il devint le disciple de Francisco Rizzi (Bolonia, 1614-Madrid, 1685), puis un
peintre très prisé de la peinture baroque madrilène sous le règne de Charles II. Il fut influencé
par l’Ecole d’Anvers avec Rubens et par les maîtres vénitiens comme Titien et Véronèse, dont
il eut l’occasion d’étudier les oeuvres dans les collections royales, ainsi que dans celles de son
protecteur, l’Amiral de Castille. Il choisit généralement pour ses compositions des tons pâles
qui procurèrent à ses toiles une note de finesse et de légèreté. Antolínez est reconnu pour être
un peintre religieux dont le thème de prédilection est l’Immaculée Conception, distinguant les
unes des autres par leurs bijoux et parures vestimentaires riches (1658, Madrid, Prado ; 1666,
Madrid, Musée Lázaro Galdiano ; 1668, Munich, Alte Pinacothek), dont le pinceau souple fait
ressortir une gamme de coloris froids, dorés ou argentés, concurrençant sur ce sujet Murillo à
Séville86. Il peignit également, dans le domaine religieux, le Ravissement de la Madeleine
(Prado) ou le Martyre de Saint Sébastien (1673, Museo Cerralbo de Madrid). Il fut l’auteur de
tableaux de thème mythologique, de scènes de genre et de thème populaire, social, telles le
Marchand de tableaux (Munich, Alte Pinacothek), qui démontrent l’influence de Velázquez
dans la représentation atmosphérique, l’étude de la perspective aérienne et le réalisme qui
remplit la toile. De plus, excellent portraitiste, il représenta les deux Fillettes qui se trouvent
au Prado ou La Famille de l’Ambassadeur Lerche (1662, Copenhague, Statens Museum for
Kunst). Personnage au caractère fort, arrogant, et dont l’honneur était une valeur essentielle, il
mourut lors d’un duel, le 30 mai 1675, à quarante ans. Est-ce cette personne qui est réellement
représentée sur le Portrait d’homme du Musée Fabre ?
Sur fond neutre vert-marron, de trois-quarts, se détache le buste aux vêtements foncés
d’un homme à la mine sérieuse, typé espagnol, à la peau bronzée, aux cheveux et yeux bruns.
Un anneau est accroché à son oreille droite. Sa longue chevelure noire coule sur le manteau
foncé qui recouvre ses épaules, surmonté d’une collerette blanche. Le bas de son visage est
recouvert d’une moustache et d’une petite barbe sur le menton. Nous constatons, comme l’a
montré Martin Soria, une évidente ressemblance entre ce Portrait d’homme et celui du
portrait de groupe de l’Ambassadeur Lerche. Il réside tout de même une adéquation dans les
différences dans la manière de peindre entre les tableaux d’Antolínez, comme les Immaculées,
et le Portrait d’homme. Sa touche de pinceau se rapproche généralement plus de celle du
85
86
Brochure de présentation Le Musée Fabre et son pavillon, Ville de Montpellier.
Diego ÁNGULO IÑÍGUEZ, José Antolínez, Madrid, 1957, p. 29, planche 36.
36
Titien, mais diffère ici de celle retrouvée dans ce Portrait d’homme, plus lourde en général, si
l’on considère l’oeuvre globale du peintre madrilène. Selon le dossier d’œuvre du Musée
Fabre, la touche de pinceau est un peu molle, « plus près de l’onctuosité sensuelle et un peu
lourde des suiveurs de Murillo que d’Antolínez, qui peint plutôt dense et sobre »87.
Ce tableau a connu plusieurs attributions et retours d’interprétation : après l’avoir placé
sous l’étiquette Ecole Espagnole du XVIIe siècle et parfois à Murillo, il a d’abord été attribué
à Velázquez, puis à Sebastián Gómez, le Mulâtre de Murillo, tel qu’il a été annoncé dans la
vente Soult de 1852 (en général, les attributions faites pour la vente Soult sont apparues
argumentées, voire justes)88. La dernière attribution en date est de Martin Soria, ayant
constaté la troublante similitude entre cet homme, que l’on pourrait en effet également
identifier à un mulâtre à cause de son hâle, et l’un des personnages d’un portrait collectif de la
famille de l’Ambassadeur danois Cornelius Lerche (présent à Madrid entre 1650 et 1653 et de
nouveau de 1658 à 1662), conservé au Musée de Copenhague, peint par José Antolínez, où le
même homme brun, à l’anneau d’or qui orne son oreille droite, se détache du groupe, avec un
mouvement de la main droite tendue vers le spectateur et le regard et la posture traditionnelle
des autoportraits89. Diego Angulo Iñiguez nous fit part de ses doutes concernant cette ultime
attribution de Martin Soria90. Edouard Pommier renchérit, profitant de l’exposition de Mexico
de 1994 : « Le personnage ressemble beaucoup à l’autoportrait de José Antolinez qui figure
dans le groupe de la famille Lerche. Martin Soria acceptait l’attribution et l’identification.
Malgré les doutes de Diego Angulo Iñiguez, c’est une peinture notable, très typique du
portrait espagnol aux alentours de 1660 »91. Ainsi, cette ressemblance ne laisse pas
d’interloquer le monde de l’art : pourrait-il s’agir, dans les deux œuvres, du même peintre
s’étant lui-même représenté en autoportrait et au sein de la composition du portrait de groupe,
comme l’a fait Velázquez dans ses Ménines, ou se pourrait-il que le tableau du Musée Fabre
soit un portrait d’Antolínez exécuté par un autre peintre ?
Après les deux portraits du Jeune Prince et d’Antolínez que le Musée Fabre possède, un
autre genre de peinture ressort de la collection montpelliéraine. Ces représentations sont deux
natures mortes, un florero et un bodegón, néanmoins la première ne se sépare pas de la
dimension religieuse classique, inhérente à cette époque, à laquelle elle continue d’appartenir.
87
Dossier d’œuvre Antolínez, Portrait d’homme, Montpellier, Archives du Musée Fabre.
Exp. Trésors de la peinture espagnole. Eglises et musées de France, Paris, Musée des Arts Décoratifs, 1963
(2ème éd.).
89
Martin SORIA, José Antolinez. Retrato y otras obras, Archivo español de Arte, t. XXIX, n° 113, 1956, p. 1.
90
Exp. Pintura española del siglo XVII de los museos provinciales de Francia, Madrid, Prado, 1981.
91
Edouard POMMIER, Cat. exp. Obras Maestras de los pintores de los museos de Francia, Mexico, Museo San
Carlos, 1994.
88
37
Benito
Espinós
(Valence,
1748 -
v. 1818), Guirlande de fleurs
Ni signé ni daté
Huile sur toile, 104 x 83 cm
Montpellier, Musée Fabre
Le XVIIe siècle est la période de
développement européen du style de
bodegón y floreros (Flandres, Hollande,
Italie, Espagne, France, Allemagne)92. Le
bodegón correspond de nos jours à la
nature
morte.
Néanmoins,
dans
les
premiers temps, il ne désignait que,
comme
le
définit
Sebastián
de
Covarrubias Orozco, « el sótano o portal
baxo, dentro del qual está la bodega, a donde el que no tiene quien le guise la comida la
halla allí adereçada y juntamente la bevida, de manera que se dixo de bodega°»93, c’est-àdire le sous-sol ou le vestibule inférieur, dans lequel est la cave (la bodega), où celui qui n'a
personne pour cuire son repas l’y trouve prêt, près de la boisson, de sorte qu’on l’appelle
cave, ou bodega. En peinture, il s’agissait de tableaux représentant de la nourriture et des
boissons, des outils de cuisine, des plats et couverts, les éléments que l’on conservait dans les
caves, les bodegas. Francisco Pacheco utilisait des termes précis pour distinguer les genres
particuliers et descriptifs des « pintura de flores, pintura de frutas, pescaderías, aves muertas
y cosas de caza », identifiant le bodegón aux portraits d’après nature, comme ceux que réalisa
son élève et gendre Velázquez d’après ses propres préceptes94. Par la suite, on employa le
terme bodegón pour toute peinture de nourriture, d’animaux morts et d’ustensiles culinaires,
incluant les représentations florales et fruitières.
Cette guirlande de fleurs ovale possède en son centre sombre l’ouverture d’une porte de la
ville de Valence vers laquelle se dirigent un cavalier, des bergers et leurs troupeaux. Cette
fente lumineuse n’accueillerait que les élus, ce en quoi cette toile est également une peinture à
message religieux. Valence en devient la figuration terrestre du Paradis, que ces élus
valenciens, les troupeaux chrétiens confiants, dociles et fidèles, s’empressent de rejoindre,
92
Ingvar BERGSTRÖM, Maestros españoles de bodegones y floreros del siglo XVII, Madrid, Insula, 1970, p. 13
Sebastián COVARRUBIAS OROZCO, Tesoro de la lengua castellana o española, Madrid, 1611.
94
Francisco PACHECO, El Arte de la Pintura, livre 3, [1649] Madrid, Cátedra, édition critique de Bassegoda i
Hugas, 1990.
93
38
pour se lover en son sein divin et maternel. Ce mélange de divinité et de maternité peut alors
être interprétée comme une représentation mariale. Thème courant dans la peinture nordique,
cette guirlande de roses, clématites, lys, boules de neige, volubilis à calice bleu, compose une
ronde dont les limites seraient celle des vertus à suivre pour accéder à l’éternité, les contours
d’un univers, d’une galaxie, le Paradis atteint dès lors que l’on a suivi les préceptes religieux
au long de sa vie. C’est aussi un cocon maternel et spirituel, le ventre du monde qui donne la
vie et l’accueille à nouveau lorsque celle-ci faiblit. Ou bien est-ce simplement le pourtour de
l’endroit où l’on peut s’épanouir physiquement et spirituellement, dans cette rue espagnole,
au-delà de ce porche, au sein des fortifications de Valence.
Pérez Sánchez confirma Espinós comme l’auteur de cette toile, écartant une attribution à
Catharina Yquens dont il avait vu des œuvres assez proches dans les réserves du Prado95.
Benito Espinós dirigea l’Académie Royale de San Carlos à Valence. Il reçut sa formation
artistique de son propre père peintre et graveur, José Espinós (1721-1784), et se spécialisa
dans la décoration florale et ornementale de soie tissée. Après avoir travaillé dans la Sala de
Flores y Ornatos, annexe de la fabrique de soie, il fut directeur de l’Escuela de Flores y
Ornatos des Beaux-Arts de Valence, de 1784 à 1815. Le peintre travailla beaucoup pour
Charles IV. Neuf de ses tableaux floraux sont conservés au Prado, les autres à Valence et à
l’Escorial, tous avec un schéma de composition presque identique96.
Le style du florero a pour trait commun avec celui du frutero qu’ils ne connurent pas
immédiatement une appartenance officielle aux bodegones. Les compositions florales et
fruitières décrivent également des récipients, ustensiles de cuisine, des aliments ou des fleurs,
tout élément de la nature, comme il est coutume de représenter dans les natures mortes. Les
tableaux fruitiers de Luis Menéndez, voulant représenter avec réalisme un échantillonnage de
tous les comestibles espagnols, font partie du genre du bodegón ; Fruits d’Espagne en est un
exemple.
95
Dossier d’œuvre Espinós, Guirlande de fleurs, Montpellier, Archives du Musée Fabre ; colloque de
Fuensalida, 1981.
96
Dictionnaire de la peinture espagnole et portugaise…, Paris, Larousse, 1989, p. 96-97.
39
Legs Bouisson-Bertrand, 1895 : Menéndez, Fruits d’Espagne ; Anonyme,
Apollon écorchant Marsyas
Luis Meléndez (attribué à) (Naples,
1716 - Madrid, 1780), Fruits d’Espagne97
Ni signé ni daté
Huile sur toile, 75 x 61 cm
Montpellier, Musée Fabre
Luis Meléndez, dit aussi Menéndez, fut
le fils d’une italienne et d’un peintre
miniaturiste
d’Asturies
à
l’orientation
picturale française, Francisco Antonio
Meléndez (1682-1752), installé en Italie à
partir de 1699, où naquit Luis. Peu après sa
naissance, la famille revint en Espagne ;
Luis Meléndez entreprit sa formation
artistique à Madrid, auprès de son père, en
tant que peintre de miniatures pour des bijoux, en même temps qu’il fut disciple du peintre
Louis-Michel Van Loo, entre 1738 et 1744, ce qui lui permit de se former à la pratique du
portrait. Il suivit l’Assemblée préparatoire pour l’Académie de San Fernando dont il fut
renvoyé en 1748, à la suite des critiques que son père formula sur l’institution98. Il retourna en
Italie, à Rome et à Naples, avant de revenir en Espagne, où il réalisa ses natures mortes.
Meléndez tenta en 1760 et 1772, en vain, d’obtenir la place de Peintre du Roi99. Enfin, après
les diverses contrariétés que connut sa vie, il mourut dans la pauvreté en 1780.
Le peintre d’origine italienne se spécialisa dans le genre de la nature morte après son
retour en Espagne en 1753, dont la qualité atteignit le statut de ce qu’il décrivit en 1772
comme « un divertissant cabinet avec toutes les espèces de comestibles produits par le climat
espagnol »100. Meléndez représenta dans ses bodegones une collection de plats et cruches, de
nourritures, fruits et légumes, poissons et gibiers, posés sur une table, adossés à des fonds
neutres. Englobés dans sa perfection du détail, le peintre se plut à arranger de façon compacte
97
Exp. : Brillat-Savarin, 1755-1826, Art et Gastronomie, Brou, Musée de l’Ain, Salle Capitulaire, 1955,
n° XXVII 2 (Cat. p. 29) ; L’art et la table, Macon, Musée de l’Hôtel de Ville, 1956, n° 17.
98
Pascal TORRES GUARDIOLA, La peinture en Espagne du XVe au XXe siècle, Paris, PUF, 1999, p. 98.
99
Dictionnaire de la peinture espagnole et portugaise du Moyen Age à nos jours, Paris, Larousse, 1989, p. 190.
100
Ibid.
40
ces objets volumineux et très réalistement figurés, de manière à en remplir l’espace, dans des
tableaux aux dimensions relativement petites. Une lumière baigne les objets dont la matière
picturale fut peinte si finement que l’artiste réussit à produire un effet de clarté
resplendissante, lisse, sans aspérité101. Ces Fruits d’Espagne de Meléndez sont posés sur une
table de pierre, ainsi que, derrière, dans un compotier sur pied. Des raisins blancs « doigts de
filles », des pastèques, des grenades, des figues, des arbouses et des pêches se détachent sur
un fond composé d’un ciel sombre et nuageux, nocturne ou de tombée de la nuit. On peut
apercevoir des montagnes en bas à droite du tableau, comme seul paysage sur le ciel obscur,
qui devient légèrement plus clair (ocre crépusculaire) derrière les montagnes, tel un coucher
de soleil.
Le général Jean-Baptiste Solignac (1773-1850), un des généraux de Napoléon qui
combattit en Italie et dans le centre de la France, ramena ce tableau d’Espagne, sous le
Premier Empire. Pour avoir volé dans les caisses de la Grande Armée, tel qu’il est exprimé
dans les correspondances de Napoléon Bonaparte – « j'espère qu'il restituera tout ce qu'il a
pris à la caisse de la Grande Armée ; (…) sept ou huit millions »102 –, le général Solignac fut
destitué en mars 1806. Le médecin Bouisson-Bertrand effectua l’acquisition seconde de cette
œuvre en 1895, lui faisant subir, parmi d’autres tableaux qu’il acquit, une restauration à
Montpellier, par le restaurateur M. Causse.
Ce tableau, peut-être espagnol ou encore italien, possède l’attribution incertaine à
Meléndez. Ses tableaux possèdent quelques 50 centimètres de dimensions moyennes
maximum, voire dix de plus103, tandis que notre toile est un peu plus grande – 75 x 61 cm –,
ce qui amène un doute quant à son attribution. Au colloque de Fuensalida de 1981, Pérez
Sánchez avoua ne pas penser à Meléndez, mais à un peintre napolitain. En effet, durant la
seconde moitié du XVIIIe siècle, beaucoup de natures mortes étaient réalisées par des
Napolitains qui les envoyaient en Espagne depuis le vice-royaume104. Il se pourrait donc que
cette toile fût italienne, ou encore peut-être le peintre, de mère italienne et ayant vécu
quelques temps entre Naples et Rome, fut-il influencé par le style italien dans cette oeuvre ?
Le seul tableau de thème mythologique que possède le Musée Fabre de Montpellier est
une représentation de la légende qui regroupe les personnages du dieu grec Apollon et du
satyre Marsyas, dont le duel musical mena à la mort par écorchement.
101
Ingvar BERGSTRÖM, Maestros españoles de bodegones y floreros del siglo XVII, Madrid, Insula, 1970,
p. 82.
102
Lettres de Napoléon Bonaparte à son beau-fils le prince Eugène, vice-roi d’Italie, faites à Paris les 2 et 20
mars 1806, http://www.histoire-empire.org/correspondance_de_napoleon/1806, consulté le 24 mars 2006.
103
Ingvar BERGSTRÖM, Maestros españoles de bodegones y floreros del siglo XVII (trad. personnelle),
Madrid, Insula, 1970, p. 82.
104
Véronique GÉRARD-POWELL, L’art espagnol, Paris, Flammarion, 2001, p. 202.
41
Anonyme, Apollon écorchant Marsyas, Ecole de Séville, XVIe siècle, ni signé ni daté,
huile sur cuivre, 11 x 28 cm, Montpellier, Musée Fabre
Acheté à Cordoue en 1862, cet Apollon écorchant Marsyas anonyme fit partie du don
testamentaire de Bouisson-Bertrand de 1836.
Au sein d’un paysage champêtre, composé de rochers et d’arbres, Apollon défait Marsyas
de sa peau à partir du bras ; son bras gauche est rougi, tandis que bras droit est lié à une
branche. La lyre qui repose aux pieds d’Apollon est le symbole du défi musical qui amena le
satyre Marsyas à son châtiment ici représenté dans cette scène dramatique où le divin punie le
terrestre de son arrogance. Marsyas, apeuré, jette un regard vers le lien de corde qui l’entrave
dans ses mouvements, dans sa volonté de s’échapper et dans sa liberté réduite par
l’écorchement d’Apollon. Sa peau de bête arrachée pend de son corps, au pied duquel se
trouve la flûte du satyre. Les couleurs vives et tourmentées du paysage mettent au premier
plan les deux adversaires, ressortant de l’obscurité des bois et mis en relief par la lumière et
les tons colorés de leurs peaux et vêtements. Dans la toile de Ribera d’Apollon écorchant
Marsyas (1637, Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts, Table des illustrations, 3), le
gagnant du duel musical est en train d’enlever la peau du perdant à partir de la jambe. Le
paysage est composé d’un décor naturel où les dieux, satyres et créatures mythologiques
vivent, d’un ciel tourmenté, de quelques observateurs de cette confrontation entre le divin et
le terrestre, situés au second plan et de l’arbre inéluctable auquel le supplicié se voit accroché
pour subir la sentence d’Apollon de l’écorchement pour avoir perdu un duel musical. L’auteur
latin Ovide traita ce sujet tragique dans ses Métamorphoses : « "Pourquoi m'arraches-tu à
moi-même ? dit-il. Ah ! quels sont mes remords! Ah ! criait-il, une flûte ne vaut pas d'être
payée ce prix !" Pendant qu'il criait, on lui arrachait la peau sur tous les membres »105.
La déesse Athéna fabriqua une flûte double dont elle se servit pour jouer une ravissante
mélodie à un banquet devant les dieux, tous charmés, sauf Aphrodite et Héra qui se
105
OVIDE, Les Métamorphoses, (trad. Georges Lafaye) Paris, Les Belles Lettres, [1928] 1985, t. 2, livre VI,
vers 382-400.
42
moquaient d’elle. Athéna, vexée et ne comprenant pas la cause de ces moqueries, partit
s’isoler dans un bois en Phrygie, au bord d’une rivière dans laquelle elle tenta de saisir la
cause des rires des deux autres déesses. Elle se rendit compte que de souffler dans cette flûte
lui faisait gonfler les joues au point de l’enlaidir et de la ridiculiser tant que, furieuse, elle jeta
la flûte et adressa une malédiction à celui qui découvrirait l’instrument. Le silène Marsyas
trouva la double flûte et se mit à en jouer, complimenté de tous de surpasser en la matière la
dextérité d’Apollon, protecteur des Muses et dieu de la lumière, de la divination, de la
musique et de la poésie. Fâché, ce dernier lança un défi au satyre : le concours fut de jouer le
mieux de cet instrument, le perdant devant se laisser châtier au gré du gagnant. Aucun des
deux concurrents ne réussit à surpasser l’autre. Apollon défia alors le satyre de jouer la même
mélodie, la flûte à l’envers et en chantant en même temps. Marsyas, bien sûr, ne réussit pas
cette prouesse. Le vainqueur fut Apollon qui décida de suspendre Marsyas à un pin pour lui
faire subir la sentence de l’écorchement106. Apollon, repentant, transforma ensuite Marsyas en
fleuve107. Ou encore ce furent les larmes versées sur le sort de Marsyas par des faunes, satyres
et nymphes qui constituèrent la rivière du nom du silène supplicié.
Marsyas est un satyre – divinité champêtre à corps humain, à cornes et parfois à pieds de
bouc, dans la mythologie grecque –, ou silène. Le dieu Silène, souvent confondu avec
Marsyas et fréquemment représenté assis sur un âne buvant tant de vin qu’il a du mal à tenir
dessus, possédait une grande sagesse cachée, qu’il ne révélait que sous la contrainte. Par
antonomase, un silène est le nom du dieu étendu aux satyres, lâches et peu scrupuleux, ils
affectionnent le vin, l’amour, malgré une apparence laide et peu docte. Selon Robert Graves,
le nom Marsyas provient du grec et signifie « combattre, lutter ». D’après lui, le châtiment de
Marsyas serait une métaphore soit du processus de confection des flûtes de bergers, en
détachant l’écorce des aulnes, soit des conquêtes helléniques (figurées par Apollon) sur la
Phrygie et l’Arcadie (symbolisées par le satyre) qui auraient fait disparaître les instruments à
vent (la flûte de Marsyas) au profit des instruments à cordes (la lyre d’Apollon)108.
Les œuvres de thème mythologique et les corps humains dénudés furent souvent
représentés à la Renaissance, où la volonté de peindre le beau l’emportait sur celle de
symboliser le raisonnable et où la réflexion philosophique contemplait l’homme au sein de
l’univers. Cependant, lorsque les préceptes tridentins furent diffusés, le retour à des thèmes
religieux, pudiques et stricts, fut plus approprié.
106
http://www.culture.gouv.fr/documentation/ccmf/fr/decouvrir/expositions/ovide/ovide_index.htm#marsyas,
consulté le 25 avril 2006.
107
Christine TASIN, activités en lettres et langues anciennes de l’Académie de Dijon, http://webpublic.acdijon.fr/pedago/lettres/espapro/pedago/langanc/col/marsyas/marsyas.htm, consulté le 25 avril 2006.
108
Ibid., Robert GRAVES, Les mythes grecs, Paris, [Fayard, 1988], Hachette, 1999.
43
Legs Puech-Cazelles, 1899 : Murillo, La Madeleine
La Madeleine est un thème récurrent de dévotion chrétienne, à l’instar de l’extatique
Marie l’Egyptienne ou des Assomptions, exaltations mariales et autres sanctifications.
Bartolomé Estebán Murillo (genre de) (Séville,
1618 - 1682), La Madeleine109, 1670
Ni signé ni daté
Huile sur toile, 114 x 84 cm
Montpellier, Musée Fabre
Cette Madeleine fut acquise grâce au legs, en
1899, du médecin-major de première classe retraité et
officier de la Légion d’Honneur, Félix-Fortuné-Jean
Puech, dit Puech-Cazelles. Le 1er décembre 1898, il
légua dans son testament olographe « une grande
toile, la Magdalena de Murillo »110.
Cette toile fut attribuée à ce peintre sévillan. Néanmoins, le tableau n’est pas forcément de
Murillo, il pourrait avoir été peint par un artiste dont le style se rapprocherait du sien.
Bartolomé Esteban Murillo naquit à Séville dans une famille assez modeste. Il fut formé
durant cinq ans dans l’atelier de Juan del Castillo (Séville, v. 1590 - Cadix, v. 1658), peintre
aux influences italiennes. A travers une importante production religieuse, séries monastiques,
portraits, scènes de genre avec des enfants, décrivant avec tendresse mais réalisme l’existence
des jeunes pícaros, Murillo s’imposa comme un peintre indispensable du Siècle d’Or. Dans
ses portraits, l’influence flamande de Van Dyck, dont l’élève Pedro de Moya lui enseigna la
technique, fit ressortir, plus d’austère et avec un coloris plus sévèrement contrasté, l’élégance
raffinée du maître anversois111. Sont également visibles dans l’œuvre de Murillo les influences
de Zurbarán et des vénitiens étudiés dans les collections royales de Madrid, en 1658. Il
manipula les effets lumineux de transparence, de contre-jour et de graduation lumineuse. Son
travail attira l’attention de Charles II, auquel le peintre doux et humble déclina l’invitation à la
Cour. De retour à Séville, il reçut de nombreuses commandes et vécut dans une situation
économique confortable, gérant son atelier et l’Académie de Dessin qu’il créa en 1660 avec
Francisco Herrera le Jeune (Séville, 1627 - Madrid, 1685). Trois ans plus tard, il en
109
Exp. : Murillo, Madrid, Musée du Prado; Londres, Royal Academy, 1981.
Archives municipales de Montpellier, fonds Instruction publique – Sciences, lettres et arts, dossier 2R3-5 –
Musée Fabre – Dons et legs : 1875-1900.
111
Dictionnaire de la peinture espagnole et portugaise…, Paris, Larousse, 1989, p. 202-205.
110
44
abandonna la présidence au profit du peintre sévillan Juan de Valdés Leal (1622-1690).
Débuta alors la période la plus prospère de la vie de Murillo, en 1665. Cependant, il décéda le
3 avril 1682 des suites d’une chute alors qu’il peignait un retable pour les Capucins de Cádiz.
Recouvrant l’histoire de trois femmes (la pécheresse anonyme qui oignit les pieds de
Jésus chez Simon le Pharisien ; Marie de Béthanie, sœur de Marthe, dont le Christ ressuscita
le frère, Lazare ; Marie de Magdala que Jésus guérit de ses démons)112, Marie Madeleine
suivit Jésus jusqu’à sa mise au tombeau. C’est à elle qu’il reparut en premier après sa
Résurrection, dans un jardin (Noli me tangere : elle veut le toucher, mais il le lui interdit). On
rajouta parfois à ce trio la figure de Marie l’Egyptienne. A la suite de l’Ascension du Christ,
Marie Madeleine, Marthe et leur frère Lazare seraient partis en mission de conversion en
Provence, avant que Madeleine se retire trente années dans la grotte de la Sainte Baume.
Ramenée à Aix-en-Provence portée par des anges, elle y serait morte, selon la tradition
provençale, après avoir reçu la dernière communion. Ses reliques reposeraient en Bourgogne.
Patronne des prostituées (pour avoir péché dans son corps), des jardiniers (première
réapparition dans un jardin du Christ ressuscité), des parfumeurs et des coiffeurs (pour le vase
à parfums utilisé chez Simon le Pharisien), les attributs de la Madeleine sont le vase à
parfums, un miroir de courtisane, une tête de mort et la couronne d’épines. Ses sept
ravissements par jour au ciel (des anges l’emmènent entendre les chœurs célestes au Paradis)
et sa dernière communion furent souvent représentés. Elle est l’exemple du repentir. Avant sa
période de pénitence dans la grotte de la Sainte Baume, on la représente sous les traits d’une
courtisane séduisante, alors qu’ensuite on figure sa beauté qui s’évanouit peu à peu, elle
pleure dans le lieu où elle s’est retirée pour méditer, vivant misérablement. Elle se rapproche
de Marie l’Egyptienne, du modèle de réflexion pénitente élaboré pour chaque chrétien.
De trois-quarts, la Madeleine regarde en haut à gauche de la composition, en extase, avec
des yeux desquels transparaît une foi implorante. Elle semble en contemplation devant le ciel.
En bas à droite, un crâne et un crucifix reposent sur une pierre. La tête de mort est un symbole
de prière et de réflexion sur la mort et la nécessité d’œuvrer sur terre pour le salut au ciel113. A
l’instar de Marie l’Egyptienne, la Madeleine porte ses longs cheveux dénoués. De vieux
vêtements rabattus sur sa poitrine par ses mains croisées, elle est l’image extatique de la
pénitente qui se retire du monde pour prier Dieu. La Contre-Réforme encouragea la diffusion
des personnifications de vertus catholiques, comme Marie l’Egyptienne ou sainte Agathe.
112
DUCHET-SUCHAUX (G.) et PASTOUREAU (M.), La Bible et les Saints, Guide iconographique, Paris,
Flammarion, [1990] 1994, p. 238-239.
113
Emile MÂLE, L’art religieux au XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1984, p. 187.
45
2- Anonyme jamais catalogué – acquisition inconnue
La dimension christique forma une grande partie de l’œuvre tridentine. Des Adorations de
Mages, Cènes ou Voiles de Véronique, aux Crucifixions, Mises au tombeau ou Noli me
tangere, les représentations de la vie, de la Passion et de la mort du Christ furent nombreuses.
Anonyme, Mise au tombeau114
Ecole française ou Ecole espagnole, fin
du XVIe siècle
Ni signé ni daté
Huile sur bois, 54 x 43,3 cm
Montpellier, Musée Fabre
Nous ne possédons aucune information
concernant l’acquisition de ce tableau, jamais
catalogué avant sa découverte en 1943, par le
conservateur
Jean
Claparède,
dans
les
réserves du musée, et n’apparaissant pas non
plus sur les catalogues comme celui d’André
Joubin115.
Autant que son acquisition, l’attribution de cette Mise au Tombeau reste incertaine, ce qui
lui vaut d’être placée dans la catégorie « anonyme ». Différents historiens de l’art se sont
penchés au long du XXe siècle sur la question des problèmes d’attribution de tableaux.
Cependant, pour ce tableau, oscillant entre l’Ecole de Fontainebleau, l’entourage de Luis de
Morales (selon l’avis réservé d’un spécialiste barcelonais, 1949), ou encore d’une œuvre de la
Renaissance languedocienne (Jean Claparède, 1950), une attribution à un auteur précis n’a pu
être déterminée. Paul Guinard avait également pensé à l’œuvre d’un peintre tolédan, élève du
Greco, Luis Tristán (1586-1640). L’hésitation résida surtout en une classification entre Ecole
française de la fin du XVIe siècle (comme arrêté en 1950) et Ecole espagnole fin XVIe siècle.
Après la Crucifixion, le Christ mort fut retiré de la croix et placé dans les bras maternels
de la Vierge douloureuse, entourée de Marie Madeleine, saint Jean, puis Joseph d’Arimathie,
(ancien membre du Conseil délibératif pour juger Jésus), Nicodème (disciple de Jésus qu'il
plaça dans le tombeau avec l’aide de Joseph d'Arimathie) et des soldats romains. Embaumé et
inhumé dans une grotte fermée par une pierre ronde, le Christ fut enroulé dans un linceul ou
114
Catalogué Christ au Tombeau, en 1947, dans le dossier d’œuvre Anonyme, Mise au Tombeau, Montpellier,
Archives du Musée Fabre.
115
André JOUBIN, Catalogues des peintures…, Paris, Blondel La Rougery, 1926.
46
des bandelettes. On ne trouve des représentations occidentales de ces scènes qu’à partir du Xe
siècle116. Dans cette Mise au tombeau, le Christ mort, d’un blanc cadavérique, est entouré de
la Vierge, à droite, et d’un ange aux ailes rouges qui le soutient, à gauche du tableau. Les
personnages ne sont pas représentés en pied, mais coupés au niveau du bassin. L’ange est vêtu
de tissus verts et rouges, resserrés à la taille par une ceinture jaune. Il tient dans sa main le
linceul blanc qui recouvrira le cadavre de Jésus une fois inhumé. La Vierge douloureuse est
voilée de blanc et d’ocre, habillée du blanc immaculé, du bleu royal marial et du rouge
symbole du sang du Christ versé pour la rédemption des hommes117. Des rochers sont
visibles, au loin, derrière Marie, symbolisant la grotte où le corps du Christ fut enterré. Retenu
sous les bras par l’ange, le Christ d’un blanc livide est glissé dans sa tombe de pierre. C’est
l’ange qui exécute le mouvement de porter le Christ dans son sarcophage, action accomplie
normalement par Joseph d’Arimathie et Nicodème. Il s’agit d’une mise au tombeau à la fois
matérielle et spirituelle, aux couleurs vives superbes, avec l’unique présence terrestre de
Marie, mère pleurante qui suivit son fils jusqu’au bout de sa Passion, jusque dans ce qui aurait
dû être son ultime demeure.
Les couleurs éclatantes et les formes des trois protagonistes de cette scène silencieuse et
méditative de la Mise au tombeau ne cessent de rappeler les corps allongés du peintre
maniériste Luis de Morales (Badajoz, v. 1520 - 1586). Le maniérisme, aussi nommé
Renaissance tardive, est un courant pictural développé au XVIe siècle en parallèle de la
Renaissance. Il définit la touche caractéristique d’un peintre, sa manière particulière de
peindre, en réaction au mouvement de la Renaissance empreint de perfection dans la
représentation du corps et de la perspective. Les maniéristes voulurent rompre avec ces
proportions normatisées afin de découvrir une émotion nouvelle, au sein de représentations
sombres, à la luminosité presque lunaire, aux corps déformés et aux visages exprimant des
sentiments profonds118. Morales usa de contrastes surprenants entre l’obscurité et la lumière.
Elève du flamand Kampeneer à Séville, Morales voyagea au Portugal et en Italie, où il reçut
les influences de Vinci, Bellini et Raphaël. Ses tableaux dévoilent une émotion dramatique.
Ses figures aux formes étendues s’allongent, sur des fonds sombres avec peu de paysages,
comme des flammes qui tendent vers le ciel, à la manière également du Greco. Il fut
surnommé « El Divino » pour son intensité de dévotion dans sa foi religieuse et sa
démonstration dans ses œuvres picturales. Ses Vierges de Pitié très douloureuses (Table des
illustrations, 4), en sont la représentation parfaite ; la Vierge tient dans ses bras son fils sans
116
DUCHET-SUCHAUX (G.) et PASTOUREAU (M.), La Bible et les Saints, Guide iconographique, Paris,
Flammarion, [1990] 1994, p. 248-249.
117
Dossier d’œuvre Anonyme, Mise au tombeau, Montpellier, Archives du Musée Fabre.
118
Dictionnaire de la peinture espagnole et portugaise du Moyen Age à nos jours, Paris, Larousse, 1989, p. 200.
47
vie, sur le sol, et le contemple119. La scène est tragique par l’expression figée du visage de
Jésus, celle de la Vierge déplorante et ses larmes en écho aux gouttes de sang perlant
réalistement sur le front christique. Ses mains qui portent le corps meurtri se font fortes et l’on
peut voir sous ses doigts la légère plissure de la peau du torse nu de Jésus. On peut presque
ressentir la tristesse, le toucher, le sang et les blessures de ces scènes de Morales120.
L’étape de mise au tombeau du corps de Jésus, après celle de la descente de croix, est
suivie par plusieurs personnages (les saintes femmes, saint Jean, les disciples Nicodème et
Joseph d’Arimathie, ainsi que des soldats romains) ; or, dans ce tableau, seule Marie est
figurée. Ici est mis en relief un aspect tragique, mais adouci par la présence de Marie, divine
et terrestre à la fois. Représentés sur un même niveau de transcendance, ces trois personnages
sont seuls, sans autre décor ni présence qu’eux-mêmes. Seuls les rochers et le sarcophage
rappellent la matérialité de la scène, presque transcendantale, paraissant plus divine que
terrestre. Ce pourrait être une mise au tombeau spirituelle, immatérielle, seulement animée par
Marie, l’ange venu apporter un message à la mère et à son fils (celui d’une résurrection
prochaine ?). Il s’agit, en réalité, d’une tradition chrétienne, bien que non écrite dans les
Evangiles, d’accorder à Marie la première réapparition du Christ après sa mort, avant qu’il
ressuscite, dans une pensée charitable envers celle qui souffrit sans doute le plus de la mort
violente du Fils de Dieu, son propre fils121. Quant à justifier la présence de l’ange dans cette
scène qui se voudrait un tête-à-tête mère-fils, l’explication réside dans d’autres exemples de
tableaux de ce genre qui intègrent des figures d’anges autour du cadavre de Jésus-Christ.
Ainsi, un tableau de Simon Vouet (1590-1649), conservé au Louvre, représente le Christ porté
par deux anges, accompagnés des saintes femmes. Ces anges sont « les esprits du ciel qui
forment le cortège du Fils de Dieu »122, ils montrent le moment où le ciel pleure lui-même la
mort de son fils, en le contemplant au bord de sa tombe ou étendu à même le sol.
Avec cette œuvre de piété christique, se clôt l’inventaire des tableaux espagnols des
XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles du Musée Fabre de Montpellier. Ce catalogue regroupe des
exemples des thèmes picturaux développés durant ces trois siècles et qui se devaient de
refléter les conceptions promues par le Concile de Trente (1545-1563) : une austérité décente,
l’exaltation de préceptes religieux précis et vertueux et la mise en relief de notions dévotes.
119
Dictionnaire de la peinture espagnole et portugaise du Moyen Age à nos jours, Paris, Larousse, 1989, p. 237.
Exp. Baroque, vision jésuite. Du Tintoret à Rubens, Caen, Musée des Beaux-Arts, 2003.
121
Emile MÂLE, L’art religieux du XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1984, p. 249.
122
Ibid., p. 216.
120
48
CONCLUSION
Après plusieurs décennies de représentation de nus et de thèmes mythologiques dans la
peinture de la Renaissance, le souffle contre-réformiste, propagé par le Concile de Trente
vertueux et conservateur, ramena l’art à des images de piété exacerbée, reflet de la lutte antihétérodoxe chrétienne. L’époque post-tridentine voulut rassembler ses fidèles religieux dans
un cadre qui exalta le culte des figures mariales, christiques, de sainteté et de martyre, la
charité, ainsi que les vertus du catholicisme qui combattait une fragilité que le protestantisme
provoquait par son réformisme iconoclaste parmi les dogmes chrétiens. Ainsi fut mis en
marche un système de représentations très dévot devant contrecarrer les impiétés protestantes.
Par des images diverses de Vierges, de Christ durant sa vie et sa Passion, de symboles
religieux, de saints et de personnages pieux, « l’art fut de nouveau l’interprète de la
doctrine », comme l’exprime Emile Mâle123. Le catholicisme eut pour but de montrer aux
yeux de ses fidèles, de façon exemplative, la souffrance, le courage et l’abnégation des
personnes mortes pour leur religion, de renouveler l’enseignement des dogmes et d’en
introduire de nouveaux qui pussent prêter main-forte aux anciennes figures de foi et
d’insuffler aux croyants la force de se battre tout au long de leur vie pour obtenir une place au
sein du Paradis.
Ainsi, le Musée Fabre possède une collection d’Espagnols des XVIe, XVIIe et XVIIIe
siècles qui permet de découvrir un échantillonnage représentatif de l’art de l’époque posttridentine, au travers de thèmes religieux et mythologiques, de natures mortes et de portraits,
parmi lesquels restent prépondérantes les œuvres pieuses de dévotion au Christ, à la Vierge et
aux saints. On remarque que, même dans certains tableaux a priori sans dimension religieuse,
on retrouve la marque de la pensée catholique de l’époque, comme dans la Guirlande de
fleurs prometteuse de Paradis d’Espinós. Durant la période contre-réformiste, l’absence de
signature et de datation des tableaux étaient répandue ; survient alors pour nous le souci
d’attribution de ces œuvres, ainsi que les questionnements et les recherches qui s’ensuivent
sur leur auteur. Un seul des treize tableaux regroupés en cette collection montpelliéraine est
signé et daté de la main de l’auteur et certifie avec exactitude l’identité du peintre et le
moment où celui-ci exécuta son œuvre ; il s’agit de la Sainte Marie l’Egyptienne de Ribera. Il
est parfois aisé de déterminer l’auteur des toiles par la seule touche très reconnaissable de
l’artiste (comme pour les deux Zurbarán), cependant, lorsque le coup de pinceau paraît moins
représentatif du style d’un peintre en particulier, démarre le processus d’identification de
123
Emile MÂLE, L’art religieux au XVIe, XVIIe et, XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, p. 435-346.
49
l’auteur de l’œuvre, parfois difficile, voire impossible, à préciser. C’est ainsi que beaucoup de
tableaux restent attribués à l’« entourage », à l’« atelier » ou au « genre » d’un peintre.
Ce fut au sein du contexte chaotique de l’Espagne du XIXe siècle, en proie à un conflit
international et à des difficultés économiques, associées à une tentative politique de forte
libéralisation, qu’émergea la culture picturale espagnole post-tridentine au regard extérieur. A
la lumière des œuvres espagnoles de cette période et de leurs provenances diverses, il est de
constater les multiples transferts et la manière de diffusion des tableaux espagnols depuis leur
lieu de conservation premier jusqu’à leur point d’arrivée définitif. D’abord demeurées dans
les monastères, les palais royaux et quelques nobles maisons, les œuvres espagnoles quittèrent
ces lieux premiers de conservation, durant les guerres napoléoniennes, à cause des pillages de
généraux d’Empire, puis furent également distribuées sous l’effet des sécularisations des
biens ecclésiastiques. Par la suite, les tableaux furent revendus à plusieurs reprises, de galeries
marchandes en galeries privées, de collections particulières en musées. Certaines toiles furent
également léguées par leur propriétaire à une institution culturelle, comme ce fut le cas
souvent pour le Musée Fabre de Montpellier. Avec ces différents changements de
propriétaires, ces œuvres, aujourd’hui conservées au Musée Fabre, connurent des parcours
indirects, complexes et très différents les uns des autres, avant d’achever leur voyage à
Montpellier, ce qui nous empêche de les associer clairement par acquéreur-donateur ou par
trajet d’acquisition.
Les séries et collections espagnoles privées ou monastiques initiales furent disséminées à
travers l’Espagne, la France, puis l’Europe entière, ce qui permit à un large public d’en
prendre connaissance et de développer un goût pour leur style très religieux, réaliste,
ténébriste et revêtu d’un incontestable intérêt artistique. Pour atteindre la connaissance que
nous avons développée depuis le XIXe siècle de l’art espagnol renaissant, baroque, ou rococo,
il fallut traverser des pillages et des desamortizaciones qui éparpillèrent les collections
espagnoles, mais impulsèrent cependant la diffusion de ces œuvres qui devinrent très prisées,
jusque de nos jours. Les Zurbarán, Murillo, Ribera et autres grands artistes qui représentèrent
l’habileté picturale de leur époque, la foi chrétienne, ses croyances, ses cultes et ses rites,
furent, plus que de simples peintres, des acteurs de l’échange des savoirs et des coutumes
d’une nation entre le XVIe et le XVIIIe siècles. De fait, après avoir franchi les frontières et
vécut, depuis, sans barrière douanière, l’art espagnol continua de se propager à travers le
monde, par l’intermédiaire, notamment, des institutions de culture que sont les musées, qui
donnent la possibilité à l’art d’être partagé et favorisent ainsi la communication
interculturelle.
50
Après plusieurs années de rénovation et d’agrandissement, le Musée Fabre de Montpellier
va être en mesure d’enrichir la qualité de ses expositions et de la mise en connaissance directe
des tableaux et objets d’art qu’il conserve entre ses murs. Néanmoins, malgré la situation
géographique montpelliéraine proche de l’Espagne, favorable ainsi à des contacts intermusées, des relations de partenariat avec des villes ibériques à l’activité culturelle réputée
n’ont jamais été mises en place. Ce mémoire constitue une première étape dans l’approche de
la connaissance historique et picturale des Espagnols du musée de Montpellier et s’inscrit
ensuite dans un projet qui me tient à cœur, une fois la découverte de ces œuvres développée,
d’établir des relations entre le musée de Montpellier et des musées espagnols. Je souhaiterais
ainsi mettre en place une collaboration entre les musées de Montpellier et de Barcelone, de
Séville ou de Madrid, afin de permettre l’échange des cultures artistiques française et
espagnole, par le biais d’expositions et d’animations autour de ces différentes collections, en
même que d’étudier le fonctionnement des institutions européennes et leurs politiques de
diffusion culturelle.
51
BIBLIOGRAPHIE
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general del Perú de Martín de Murúa du J. Paul Getty Museum » (traduction Normand
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11. Service d'étude et de documentation du département des peintures espagnoles, Paris,
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52
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23. COVARRUBIAS OROZCO, Sebastián, Tesoro de la lengua castellana o española,
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24. Dictionnaire de la peinture espagnole et portugaise du Moyen Age à nos jours (sous la
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25. FALLAY D’ESTE, Laurianne, L’art de la peinture. Peinture et théorie au temps de
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26. François-Xavier Fabre, Roma, De Luca Edizioni d’Arte, 1988.
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53
28. GÉRARD-POWELL, Véronique, L’art espagnol, Paris, Flammarion, 2001.
29. GIRAULT, René, Peuples et nations d’Europe au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1996.
30. GUÉ TRAPIER, Elizabeth, Ribera, New York, 1952.
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34. HILAIRE, Michel, in Chefs d’œuvres du Musée Fabre de Montpellier, Lausanne,
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35. JOUBIN, André, Catalogue des peintures et sculptures exposées dans les galeries du
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36. JOUBIN, André, Memorandum, Paris, 1929.
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39. MÂLE, Emile, L’art religieux au XVIe, XVIIe, XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin,
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40. OVIDE, Les Métamorphoses, (trad. Georges Lafaye) Paris, Les Belles Lettres, [1928]
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critique de B. Bassegoda i Hugas, 1990.
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t. XXIX, n° 113, 1956.
44. SPINOSA, Nicola, L’Opera Completa del Ribera, [Milan, Rizzoli Editore, 1978]
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contemporánea. Desde 1808 hasta nuestros días, [Paris, Aubier Montaigne, 1979]
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54
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48. TUÑÓN DE LARA, Manuel, La España del siglo XIX, Laia, Madrid, 1975, t. I.
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et des arts, Paris, Société anonyme La Grande Encyclopédie, t. XXV, « Saint Paul ».
51. VORAGINE, Jacques, La légende dorée, [1261-1266] (trad. de Teodor de Wyzewa)
Paris, [Perrin et Cie, 1910] Diane de Selliers, 2000.
55
ANNEXES
LISTE DES ŒUVRES
1- ANONYME, Assomption de la Vierge, Ecole de Séville ou flamand (genre de Rubens)
ou allemand, ni signé ni daté, huile sur cuivre, 19,5 x 9,5 cm, Montpellier, Musée Fabre.
2- RIBERA, José, dit l’Espagnolet (atelier mineur de) (Jativa, près de Valence,
1588-Naples, 1662), Tête d’Apôtre, ni signé ni daté, huile sur toile, 40,5 x 32,5 cm,
Montpellier, Musée Fabre.
3- RIBERA, José, dit l’Espagnolet (Játiva, prov. de Valence, 1591-Naples, 1652), Sainte
Marie l’Egyptienne, 1641, huile sur toile, 131 x 104 cm, Montpellier, Musée Fabre.
4- SARABIA, José (Séville, 1605-Cordoue, 1669), La Vierge et l’Enfant Jésus, ni signé ni
daté, huile sur toile, 148 x 106 cm, Montpellier, Musée Fabre.
5- ZURBARÁN, Francisco (Fuente de Cantos, prov. de Badajoz, Estrémadure,
1598-Madrid, 1664), L’Ange Gabriel, v. 1635-38, ni signé ni daté, huile sur toile,
145 x 60 cm, Montpellier, Musée Fabre.
6- ZURBARÁN, Francisco (prov. de Badajoz, 1598-Madrid, 1664), Sainte Agathe,
v. 1634, ni signé ni daté, huile sur toile, 129 x 61 cm, Montpellier, Musée Fabre.
7- SÁNCHEZ COELLO, Alonso (atelier de) (Benifayo Alqueria Blanca, 1531-Madrid,
1590), Portrait d’un jeune prince, ni signé ni daté, huile sur toile, 53 x 41 cm, Montpellier,
Musée Fabre.
8- ANTOLÍNEZ Y SARABIA, José (Madrid 1635-1675), Portrait d’homme, ni signé ni
daté, huile sur toile, 59 x 48 cm, Montpellier, Musée Fabre.
9- ESPINÓS, Benito (Valence, 1748-v. 1818), Guirlande de fleurs, ni signé ni daté, huile
sur toile, 104 x 83 cm, Montpellier, Musée Fabre.
10- MELÉNDEZ, Luis, dit Menéndez (attribué à) (Naples, 1716-Madrid, 1780), Fruits
d’Espagne, ni signé ni daté, huile sur toile, 75 x 61 cm, Montpellier, Musée Fabre.
11- ANONYME, Apollon écorchant Marsyas, Ecole de Séville, XVIe siècle, ni signé ni
daté, huile sur cuivre, 11 x 28 cm, Montpellier, Musée Fabre.
12- MURILLO, Bartolomé Estebán (genre de) (Séville, 1618-1682), La Madeleine, 1670,
ni signé ni daté, huile sur toile, 114 x 84 cm, Montpellier, Musée Fabre.
13- ANONYME, Mise au tombeau, Ecole française ou Ecole espagnole, fin du XVIe
siècle, ni signé ni daté, huile sur bois, 54 x 43,3 cm, Montpellier, Musée Fabre.
56
TABLE DES ILLUSTRATIONS
1- Nicolas Tournier, Saint Paul, huile sur toile, 96 x 71 cm, Toulouse, Musée des
Augustins.
2- José Camarón Bononat (1731-1803), Archange saint Gabriel, fin XVIIIe siècle, huile
sur toile, 54 x 43 cm, Valence (Espagne), Musée des Beaux Arts
57
3- José de Ribera, Apollon écorchant Marsyas, 1637, huile sur toile, 202 x 255 cm,
Musées Royaux des Beaux-Arts, Bruxelles
4- Luis de Morales, Pietà, v. 1560, huile sur bois, 126 x 98 cm, Madrid, Real Academia
de Bellas Artes
58
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS ............................................................................................................... 1
INTRODUCTION ................................................................................................................... 4
I- D’ESPAGNE A MONTPELLIER : PARCOURS DES ŒUVRES JUSQU’AU
MUSEE FABRE....................................................................................................................... 7
1. Les guerres napoléoniennes en Espagne : les pillages et le Maréchal Soult ................ 7
2. Les desamortizaciones économiques espagnoles ........................................................ 11
3. Le Musée Fabre, sa création et ses donateurs............................................................. 13
II- NOTICES PAR PERIODES D’ACQUISITION : PREMIERE PARTIE ET MILEU
DU XIXE SIECLE................................................................................................................. 18
1- PREMIERE PARTIE DU XIXE SIECLE : 1836 ET 1837 .......................................................... 18
Legs Valedau, 1836 : Anonyme, Assomption de la Vierge .............................................. 18
Don Fabre, 1837 : Ribera, Tête d’Apôtre et Sainte Marie l’Egyptienne .................. 21, 21
2- MILIEU DU XIXE SIECLE : VENTE SOULT, 1852, ET ENVOI DE L’ETAT, 1863..................... 25
Vente Soult, 1852 : Sarabia, La Vierge et l’Enfant Jésus ; Zurbarán, L’Ange Gabriel et
Sainte Agathe ....................................................................................................... 25, 25, 28
Campana, envoi de l’Etat, 1863 : Sánchez Coello, Portrait de jeune Prince ................. 33
III- NOTICES PAR PERIODES D’ACQUISITION : DEUXIEME MOITIE ET FIN DU
XIXE SIECLE - ŒUVRE INCLASSEE ............................................................................. 35
1- DEUXIEME PARTIE ET FIN DU XIXE SIECLE : DE 1876 A 1899 ........................................... 35
Legs Bruyas, 1876 : Antolínez, Portrait d’homme ; Espinós, Guirlande de fleurs ... 35, 36
Legs Bouisson-Bertrand, 1895 : Menéndez, Fruits d’Espagne ; Anonyme, Apollon
écorchant Marsyas..................................................................................................... 40, 40
Legs Puech-Cazelles, 1899 : Murillo, La Madeleine ...................................................... 44
2- ANONYME JAMAIS CATALOGUE – ACQUISITION INCONNUE ............................................... 46
Anonyme, Mise au tombeau ............................................................................................. 46
CONCLUSION ...................................................................................................................... 49
BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................ 52
ANNEXES .............................................................................................................................. 56
LISTE DES ŒUVRES......................................................................................................... 56
TABLE DES ILLUSTRATIONS ......................................................................................... 57
TABLE DES MATIERES..................................................................................................... 59
59