LE PERE ET L`ADOLESCENT
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LE PERE ET L`ADOLESCENT
LE PERE ET L’ADOLESCENT © L’Ecole des parents Juin-septembre 2002 www.ecoledesparents.org La parole paternelle joue un rôle déterminant pour l’adolescent, en lui posant des limites et en favorisant l’affirmation de son identité sexuelle. La montée de la violence de la part des adolescents, voire des préadolescents nous interroge sur le rapport avec la dégradation d’une certaine paternité. Nous ne détenons pas la réponse et doutons qu’elle soit connue. Les connaissances sur les rapports entre père et adolescent sont éparses et incomplètes. Il n’est donc pas possible de faire un état des savoirs, seulement de faire quelques réflexions et de se poser quelques questions. Quel père pour un adolescent ? Un adolescent est un être humain qui n’est plus tout à fait un enfant, mais pas encore un adulte. Entre deux âges, il a besoin, pour vivre ce passage et se préparer à entrer pleinement dans l’âge adulte, du soutien d’autres adultes, parmi lesquels ses parents. Quel rôle peut jouer son père, si celui-ci est présent ? En fait, cette présence n’est pas indispensable (pas plus que celle de la mère) ; les personnes qui n’ont pas eu leur père près d’eux, ou qui ne l’ont pas connu, qu’il soit décédé, parti, ou exclu, n’ont pas forcément plus de problèmes que les autres et ne présentent pas de pathologie profonde, en dehors de certaines difficultés typiques. Le père manquant n’engendre pas forcément un fils (ou une fille) manqué(e). En revanche, dans le cas où le père n’est pas là, il est dangereux pour l’équilibre psychologique de l’enfant (et pas seulement l’adolescent) qu’on lui laisse croire que ce père n’existe pas. Il est essentiel de savoir que l’on a eu un père, mais non qu’il se manifeste explicitement. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il est légitime de séparer un adolescent de son père. Mais dans le cas où le père est bien présent, en chair et en os et surtout en parole, qu’il soit le géniteur, ou qu’il ait adopté l’enfant, se reconnaissant comme père et étant reconnu comme tel, il aura un rôle à jouer. Traditionnellement, on attribue au père l’application de la loi sociale, c’est-à-dire la répression du non-respect des interdits. Il met des limites comme autant de repères et, en indiquant ce qui est interdit, montre aussi ce qui permis. Ces limites changent à l’adolescence puisqu’il va falloir progressivement amener l’enfant à les mettre luimême, jusqu’au moment où l’on pourra lui signifier que l’on n’a plus rien à lui interdire, ni à lui permettre. Pour cela, le père utilise divers moyens. La parole en est un privilégié ; on dit même qu’elle est particulièrement paternelle. La parole est un médiateur de la violence, car elle permet de mettre en mots les pulsions légitimes qui s’épanouissent à l’adolescence, au lieu de les mettre en actes. Il ne serait donc pas étonnant que l’absence ou la disqualification de la parole paternelle puisse avoir un rapport avec l’expression non contrôlée de la violence. Les changements de rapports entre hommes et femmes dans la société invitent à penser qu’une répartition plus égale entre père et mère de ce rôle de cadrage va s’établir. Mais éduquer un adolescent, c’est l’aider à entrer dans la société et pour cela, un peu de conformisme est nécessaire. Pour l’instant donc, le père fouettard reste plus répandu que la mère fouettarde. Mais la tendresse est aussi masculine et il n’y a pas contre-indication à ce que la mère fasse respecter les interdits ou partage l’autorité. 1 Garçons et filles Il est en revanche un domaine où père et mère ne sont pas interchangeables, c’est ce qui concerne la sexualité ou, plus précisément, l’affirmation de l’identité sexuelle adulte. La masculinité du père est un élément essentiel de la manière dont il va pouvoir éduquer son garçon différemment de sa fille. Pour le garçon, les leviers psychologiques seront surtout l’identification, la complicité, l’acceptation de l’opposition. Il pourra ainsi devenir un homme « comme papa » et aussi un homme différent de papa. Bien sûr, le père n’est pas le seul adulte masculin avec lequel il est possible de former sa personnalité, mais il est le plus désigné. Pour la fille, le père est cet homme adulte que l’on peut aimer, admirer (ou rejeter) mais qui est un homme impossible en tant que compagnon amoureux, ce qui est commode puisqu’il peut être un référent masculin avec qui on peut tester sa féminité sans risque. Il va sans dire que les dérapages en ce domaine peuvent avoir des conséquences catastrophiques. Parent du même sexe pour l’adolescent, du sexe opposé pour l’adolescent, le père participe à l’élaboration de cet élément essentiel de la personnalité : la sexualité adulte. Le point de vue des mères Il est possible d’élever son enfant sans la présence de son père, de sa mère ou des deux parents. C’est ce que font certaines femmes, par nécessité, et parfois par choix. Ce n’est pas toujours facile. En effet, outre la difficulté d’être seule pour tout assumer, on peut ressentir le manque d’une présence masculine. Que peut-on demander à ce père ? Aider à assumer les tâches, prendre sa place ? Partager les difficultés éducatives et en assumer seule certaines ? Cadrer un garçon trop turbulent ou apporter à une jeune fille une affection masculine rassurante ? Sans doute est-ce cela et plus encore. Mais, cette place de père, c’est lui qui décidera comment il doit la prendre. Il ne pourra être père que selon sa propre conception de la paternité. Il ne faut pas exiger qu’il soit le père idéal et le laisser être un père bien réel. Sinon, on peut être tenté de l’exclure, après l’avoir déclaré incompétent, ou alors de le mettre devant une alternative insoutenable : se soumettre ou partir. Le père est un autre parent, différent et égal. Il ne peut être père sur commande. Quel adolescent pour un père ? Il serait dommage de ne voir le père qu’en tant que rôle à jouer pour son fils ou sa fille, omettant qu’il est une personne, avec des sentiments, des désirs, des projets pour cet adolescent. La relation d’amour paternel (et parental en général) est forte et n’est pas simple. Etre père, ce n’est pas être seulement éducateur, ce n’est pas un métier. Etre père, c’est vivre quelque chose qui participe à l’évolution de sa propre personne. Partager avec son enfant ce passage si important qu’est l’adolescence, c’est connaître une expérience intense, différente selon qu’il s’agit d’un jeune homme ou d’une jeune femme. Un fils qui devient homme Ce petit garçon avec qui l’on a joué, que l’on a cajolé et grondé, que l’on a protégé et encadré, pour qui l’on a travaillé, devient un homme, un adulte qui appartiendra à cette même moitié de l’humanité que soi-même. Son corps se modifie, sa musculature s’affirme, sa voix devient grave et son visage s’orne des attributs virils. Il devient cet homme si semblable et si différent qui, un jour, nous survivra et prolongera notre propre vie. Il est un complice possible, qui a besoin aussi de s’opposer à nous pour pouvoir mieux être lui-même. Il suscite chez nous un désir d’accompagnement affectueux et aussi le besoin d’être à la hauteur, de ne pas se laisser dépasser. Voir son fils devenir homme, c’est se sentir plus homme encore, et accepter aussi le temps qui passe, et l’ordre des générations qui s’affirme. Avec nul autre homme sans doute, il n’y aura avec une telle intensité cette ambivalence entre affection et concurrence. De paternel, le sentiment deviendra fraternel. 2 Une fille qui devient femme Cette petite fille que l’on a fait sauter sur ses genoux, dont on a peigné les cheveux, devient une femme, un être humain de l’autre sexe. En elle, nous sentons la féminité que nous n’avons pas, que l’on peut approcher de près, voir évoluer, éprouver presque, mais qui reste lointaine, puisqu’elle est une femme interdite. Elle va permettre d’être un petit peu ce que l’on n’est pas. Pour elle, on a envie d’être un homme complet, de lui faire honneur, sans la gêner dans la recherche de son complément masculin. Elle sera la femme d’un autre homme ou d’autres hommes et pourtant, si l’amour du père est sincère, ses amours de femme ne susciteront pas de jalousie. Car on restera, pour elle, un homme unique. Elle deviendra comme une petite sœur. Père présent, père absent, père exclu Le père dont nous venons de parler est celui qui s’implique dans sa paternité, en particulier par sa présence. Etre proche physiquement de l’adolescent aide à être proche psychologiquement. Etre présent au quotidien permet de mieux assumer son rôle. Ce n’est toutefois pas indispensable. Les raisons professionnelles peuvent amener à être éloigné, sans qu’il y ait de manque grave. Cela suppose qu’il puisse y avoir collaboration étroite avec la mère, si celle-ci vit avec l’adolescent. C’est là que le bât blesse souvent lorsque les parents sont séparés. Dans la plupart des cas, les enfants sont avec leur mère. Le père est alors dans une situation difficile –qu’il n’a pas choisie- puisqu’il doit passer par son excompagne pour exercer sa paternité. Si la mère souhaite continuer le partage de l’éducation, laisser sa place au père, et si ce dernier accepte de l’assumer, la séparation parentale n’aura que peu d’effet. Dans le cas contraire, il y a risque que des adolescents se trouvent privés de repère et de soutien masculin, et on peut légitimement s’inquiéter, car un père privé de son autorité est lourdement handicapé. Père, mère, parents Dans le monde actuel, qui tend vers une parité entre hommes et femmes dans la vie publique et privée, on peut se poser la question de la nécessité d’une différence parentale. La réponse n’est pas évidente. D’une part, il est clair que le glissement vers la parité sociale et professionnelle ne peut se faire qu’accompagné d’une plus grande parité dans les tâches familiales. D’autre part, comme nous l’avons vu, le sexe du parent est important, en particulier au moment de l’adolescence. Une absence de différenciation pourrait entraîner un risque de difficultés dans l’affirmation de la sexualité adulte. Dans les nouvelles configurations familiales, où les adultes vivant au quotidien avec les enfants ne sont pas toujours leurs deux parents, on se demande parfois qui est le père. Est-il simplement le compagnon masculin de la mère ? Ou est-il un adulte de sexe masculin en relation proche avec l’adolescent et ayant autorité morale sur lui ? Nous ne le croyons pas. Au contraire nous pensons –les lignes qui précèdent l’ont développé- que la paternité ne se définit pas qu’en termes de fonction à exercer, mais aussi en termes de relation, avec une forte implication, une pérennité des sentiments, une constance dans le temps. A la période charnière de l’adolescence, on a particulièrement besoin de la solidité de cette relation, même si on la critique et qu’on la trouve étouffante. Un homme qui n’est lié que par la relation qu’il entretient avec la mère, ou par le fait qu’il se trouve là, ne peut jouer ce rôle. Un homme adulte qui aime et qui s’affirme Au terme de ces réflexions, nous aurions envie de suggérer aux pères d’être eux-mêmes, d’apporter à leur enfant en devenir d’adulte, solidité et référence masculine, tout en profitant pleinement de l’extraordinaire expérience de voir son propre enfant devenir un homme ou une femme. Disons aux adolescents d’user sans abuser ce cette relation unique que l’on a avec son père ; on peut s’opposer, critiquer sans manquer de respect, et malgré tout demander aide et affection. Les mères peuvent formuler des exigences, en particulier sur le 3 partage des tâches et des responsabilités, sans oublier que cela implique aussi le partage des décisions. Le père est un allié très utile –même s’il n’est plus le compagnon amoureux- à condition de ne pas le considérer comme un subalterne, qui doit exercer son rôle comme on le lui a demandé. A l’ensemble de la société, affirmons que la dégradation de la paternité n’est certainement pas une bonne chose et a peut-être un rapport direct avec certains troublants phénomènes actuels. Mais si l’on veut que les pères jouent pleinement leur rôle auprès des adolescents ou futurs adultes, encore faudra-t-il leur en laisser les moyens, ne pas les disqualifier ou les accuser de tous les maux. Bruno DECORET Psychologue, chercheur à l’université Paris X Nanterre, éducation familiale et interventions sociales Père et grand-père 4