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Page 1 Initiative publique et citoyenne ASDPRO 29-11-2014 Mme Danièle GENDRON Je me présente, je m'appelle Danièle Gendron , j'ai 54 ans dont 35 ans d'ancienneté comme postière. En 1979, je me syndique à la CGT des PTT, pour, dans le milieu des années 90, au regard de l'exigence physique demandée dans les métiers du courrier, m’intéresser à la question de santé au travail, et notamment aux TMS. Mon intérêt pour cette question conduira le syndicat à me mandater au CHS-CT local, CHS-CT départemental et DOTC par la suite , ainsi qu'au CHS-CT National Courrier ( 2004/2008 ). De 2006 à 2012, j'accepte un détachement syndical à 50% pris 1 semaine / 2. En 1982, date à laquelle je suis nommée rouleur au bureau de poste de Tours Marceau au service distribution , il y avait 325 agents dont 120 tournées de titulaire au service distribution lettres. Après 4 années comme agent rouleur, j'achète une tournée et pendant 28 ans je serai le facteur titulaire d'une tournée dans le quartier Velpeau à Tours. Ça crée des liens et j'aime profondément mon métier, ses valeurs , son identité sociale en m'attachant de rendre un service de qualité. A titre d'information , et par curiosité j'ai fait de manière approximative le calcul du nombre de kilomètres que j'ai parcouru durant toute ma carrière. J'ai parcouru entre 69 000 et 71 000 kilomètres , et j'ai effectué de 2000 à 2011 quelques 1200 heures de dépassements horaires qui sont ni plus ni moins que du travail dissimulé puisque la Poste ne reconnaît pas ce temps de travail réel , pire elle considère que c'est une preuve d'incompétence. La mise en œuvre depuis 1990 de l'application de la réforme Rocard/Quiles inscrite dans le temps se traduit par la suppression de milliers d'emplois , d'une précarisation de l'emploi et de son statut. Cette réforme « rampante », comme on la qualifiait, de démantèlement du service public de la communication écrite a connu des étapes stratégiques. Pour aboutir au rapport Kaspar initié en 2012 par La Poste suite à la médiatisation de suicides de postiers qui a accouché d'une souris, à savoir un accord Qualité de Vie au Travail que La Poste elle même ne respecte pas. Le temps de l'illusion donnée aux postiers que cette fois c'est bon les choses vont s'améliorer, que les réorganisations repartent de plus belle avec la même finalité reprendre des emplois , avec en conséquence une intensification du travail. Autant de choix politique, économique et social exacerbés par le déni délibéré du « travail réel » qui sont à l'origine de la perte du sens et du contenu du travail, de la déshumanisation dont sont victimes les postiers . Ce choix de société parce que c'en est un , où la rentabilité prime sur l'humain se joue partout dans le monde du travail. Nous n'avons pas à La Poste comme à Orange le monopole de la souffrance au et hors travail, nous en sommes le révélateur. A mon sens, la question fondamentale qui est posée par l'enjeu de santé au travail c'est la démocratie, et donc la citoyenneté au travail. Il m'a semblé important de vous dresser succinctement le contexte dans lequel s'inscrit l'histoire collective des postiers depuis 1990 à laquelle les postiers de Tours Marceau , et j'en suis , n'ont pas échappé. Aujourd'hui, à Tours Marceau, nous sommes en terme d'effectif global 160 agents où le service distribution lettres ne compte plus que 56 tournées de titulaire. 160 agents physique avec une multiplication de statuts, fonctionnaire ( 110 ), CDI, CDD, contrat pro, apprenti, ( 50 ) etc..; pour une répartition de 51% de femmes et 49% d'hommes, où le statut de contractuel est plus facilement réservé aux femmes. Intervention de Mme Danièle Gendron, Initiative publique et citoyenne ASDPRO, 29-11-2014 asdpro.fr [email protected] Page 2 Depuis mon arrivée à Tours Marceau , le service distribution lettres a connu 10 réorganisations. L'avant dernière datant de 2011 me sera fatale , et il me faudra faire le deuil de mon métier de factrice. Le lundi 26 septembre 2011, je ferai valoir mon droit de retrait en ne me rendant pas à mon travail. J'estime que ma santé est en danger, cette décision n'a pas été simple à prendre et à tenir, mais c'est la seule solution pour me protéger . Que m'arrive-t-il ? Le 5 avril 2011, après un pseudo dialogue social, le directeur d'établissement met en place une nouvelle organisation de travail au service distribution lettres très importante − suppression de positions de travail, donc d'emplois, − allongement de l'itinéraire des tournées et de la portion sécable, − modification du cycle de travail , − changement d'outil de travail par l'installation de Casiers Hybrides Modulaires, − modification de l’environnement des chantiers de tri, et des positions de travail, − modification de l'indicateur de tri général. Bref, autant de changements dans les conditions de travail qui demandent un temps d'appropriation et d'apprentissage. Quand cette réorganisation se met en place, je suis en détachement syndical. Je ne suis donc pas en situation d'appropriation ni même d'apprentissage . Comme les autres réorganisations survenues dans les services, avec mes camarades, j'en ai dénoncé les risques pour la santé physique et mentale des agents. Il ne faut pas être sorti de Saint Cyr pour comprendre que si l'on ajoute 1 km à une tournée qui en fait déjà 12, cela aggrave les risques professionnels auxquels les facteurs sont exposés, sans oublier les intempéries, l'augmentation du volume et du poids du courrier. D'autant qu' il faut faire plus en moins de temps. Le directeur d'établissement pas plus que le directeur de la Direction Opérationnel Territorial Courrier ne partagent cette évidence. Et le dialogue social à La Poste n'est pas un exercice de tout repos, pas simple . Ma tournée n'échappe pas à cette intensification du travail et les modifications dont elle fait l'objet représentent une charge de travail supplémentaire conséquente. J'y vois aussi un pas de plus vers la perte de sens et du contenu du travail dans sa finalité sociale. Comment faire vivre le lien social s'il faut courir comme des lapins, et en arriver comme certains facteurs pour respecter les horaires de services à participer soit même à la dégradation de la qualité de service . Pour moi qui suis attachée au beau travail, c'est impensable. Rien n'arrive par hasard, et la veille de reprendre mon service je serai victime d'un fracture de fatigue spontanée du pied droit. Mon corps dit stop, t'en peux plus. C'est pas faux et mes proches le voit bien. Je serai en arrêt de travail puis en congés, soit 6 mois d'absence . Avant ma reprise effective du travail, je suis en détachement syndical et sans nouvelle de la part de la direction d'établissement, je commence sérieusement à m'inquiéter de mon retour au métier dans un contexte d'une organisation de travail que je ne connais pas et qui plus est, j'ai des douleurs persistantes au pied droit. Je prends l'initiative de contacter le service RH et là stupeur, je comprends que rien n'est prévu en matière de retour au métier. En bref, Madame Gendron, débrouillez-vous. Deuxième choc, quand j'apprends que pour les réunions du Comité Technique Paritaire du 26 après-midi, la direction m'accorde qu'un demi détachement institutionnel alors qu'il est de coutume de l'accorder sur la journée. En clair, La Poste veut m'imposer pour participer au CTP, de prendre mon service à 6h30 jusqu'à 9h30, bonjour le retour au métier et au collectif de travail. Je suis littéralement abasourdie par cette maltraitance managériale, et la discrimination syndicale à mon encontre puisque je suis la seule parmi les représentants syndicaux à avoir ce régime de faveur. Intervention de Mme Danièle Gendron, Initiative publique et citoyenne ASDPRO, 29-11-2014 asdpro.fr [email protected] Page 3 A partir de ce moment, j'ai conscience que je suis en danger. L'angoisse, le stress m'envahissent, que dois-je faire ? Dans ces conditions, je ne tiendrai pas ? Tout le week-end je serai très mal, perte d'appétit de poids, douleurs physiques, troubles du sommeil, difficultés d'élocution. Voilà , comment le 26 septembre, j'en suis arrivée à faire valoir mon droit de retrait en ne me rendant pas au travail, et c'est ma fille comme nous en avions convenu me sentant dans l'incapacité de faire face qui répondra au téléphone ce matin là pour dire que je ne viendrais pas travailler. Je serai en arrêt de travail pendant 1 mois et demi pour un « état anxieux suite conflit professionnel et surmenage » . En quoi c'est un accident du travail ? Mon arrêt de travail relève bien de l'accident de travail (de service pour les fonctionnaires ) que j'attribue au management et plus précisément au directeur d'établissement . Le management n'est pas en dehors de l'organisation du travail bien au contraire, il fait partie intégrante de celle-ci . Il faut dire que depuis son arrivée avec son équipe, c'est le règne de la terreur. En 2 ans et demi sous sa responsabilité, il y a eu un licenciement, des ruptures conventionnelles, des conseils de discipline avec mise à pied , et en une année 150 demandes d'explications infligées injustement aux agents. Pour ma part, il m'en sera infligée 4 le même jour qui seront suivis d'un avertissement et un blâme, sans parler des retenues de salaire alors que j'ai travaillé. Nous travaillons la peur au ventre, et ce ne sera pas une surprise si je vous dis que l'état de santé global de l'établissement est catastrophique. Mes collègues facteurs à l'occasion de la réorganisation d'avril 2011 bénéficieront d'un temps d'adaptation et même toucheront 1 h de compensation à l'utilisation du CHM. Et moi après 6 mois d'absence , sans connaître rien de cette réorganisation , il m'est demandé de reprendre le travail comme si de rien n'était, sans temps d'adaptation, sans temps d'appropriation de l'outil. Comment et pourquoi le faire reconnaître ? Fin 2011, j'adresserai une demande en reconnaissance de maladie contractée en service à mon directeur d'établissement, en y joignant l'arrêt initial établi par mon médecin traitant ainsi que l'alerte de mise en danger grave et imminent déposée le 24 septembre 2011 par les mandatés syndicaux au CHS-CT local. Ma demande sera transmise à la DOTC au pôle médical pour préparer le dossier pour la commission de réforme qui devra se prononcer sur ma demande. A mon sens, le directeur d'établissement a fait preuve de manquements à ses obligations d'employeur en matière de prévention. Les événements qui suivront permettent de penser qu'il m'a mise dans cette situation de manière tout à fait délibérée. La Poste reconnaîtra , sans que cela soit franchement dit, que ce type de situation est pathogène puisque l'une des premières mesures qui sera prise début 2012 suite à la médiatisation des suicides c'est l'accompagnement des agents en absence de longue durée. A Tours Marceau, l'alerte et ma demande de reconnaissance d'accident de service permettront que le CHSCT s'empare de cette question qui concerne malheureusement beaucoup de collègues étant donné le nombre d'arrêts de travail et la durée de plus en plus longue pour certains. Intervention de Mme Danièle Gendron, Initiative publique et citoyenne ASDPRO, 29-11-2014 asdpro.fr [email protected] Page 4 Quelques dates repères de cette histoire individuelle et collective : 1990 – pour faire passer cette réforme , le discours officiel se veut rassurant parlant aux agents de « gagnant/gagnant », 1993 – la mise en place des entretiens individuels d'appréciation, outil de l'individualisme , de concurrence entre agents, 2000 – mise en application de l' Aménagement de la Réduction du Temps de Travail , à cette occasion La Poste modifie sans négociation nationale les normes et cadences des services , conduisant à une intensification du travail , à titre d'exemple : le temps de présentation d'un objet recommandé passe de 3 minutes à 1minute 30 , 2006 – l'industrialisation du courrier , appelée Cap Qualité Courrier qui met fin aux Centres de Tri de proximité comme le CTC rue Blaise Pascal à Tours , sans parler de l'aménagement du territoire et l'acheminement du courrier, et du J+1 , 2008 – la généralisation de l'organisation du travail en Facteur d'Avenir , avec son principe organisationnel de sécabilité , une bonne manière de remettre en cause le fondement même du métier de facteur à savoir la notion de titulaire de quartier et donc l'éthique du métier , et par là même de rendre ordinaire la dégradation de la qualité de service aux yeux des usagers, 2011 – la généralisation de l'organisation du travail au service distribution avec la pause méridienne,soit un gain pour La Poste des 20 minutes/agent de pause intégrées dans le temps de travail pour imposer 45 minutes de pause déjeuner qui n'entrent plus dans le temps de travail. L'alerte portée en 2010 par le Syndicat National des Médecins de Prévention Professionnelle de La Poste concluant en préambule « que La Poste fabrique ses propres inaptes physique et psychique » est restée lettre morte. Intervention de Mme Danièle Gendron, Initiative publique et citoyenne ASDPRO, 29-11-2014 asdpro.fr [email protected]