La retraite en Allemagne
Transcription
La retraite en Allemagne
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références RETRAITES La retraite en Allemagne Par Jacques BICHOT, économiste, professeur émérite à l’université Lyon 3 En Allemagne, une baisse des cotisations retraite est à l’étude. En effet, après 2 milliards d’euros d’excédent en 2010 et 4 milliards en 2011, l’année 2012 semble s’acheminer vers un excédent de 4,4 milliards pour l’Assurance vieillesse générale (Deutsche Rentenversicherung), ce qui porterait ses réserves aux environs de 29 milliards d’euros 1. La France, dont les régimes de retraite accumulent les déficits malgré une démographie bien plus favorable, n’aurait-elle pas intérêt à regarder de près comment fait sa voisine germanique ? Un régime presque unique Le budget 2012 de la Deutsche Rentenversicherung (DR) dépasse 250 milliards d’euros ; elle verse plus de 80 % des pensions allemandes, soit environ 246 milliards sur 297. Le régime général français ne distribue que 102 milliards, soit 50 % des retraites “de base“ et 40 % du total des retraites par répartition. La DR joue à elle seule le rôle tenu en France par deux ou trois 2 régimes de retraite par répartition superposés (sécurité sociale et ARRCO/AGIRC ou IRCANTEC) et une vingtaine de régimes catégoriels. Cela modère les frais de gestion (1,4 % des prestations servies, contre 2 % environ en France 3) et facilite le pilotage. Depuis la fusion entre le régime des ouvriers et celui des employés la DR est proche d’une situation de régime universel : elle couvre 4 Allemands sur 5 ; seuls lui échappent les fonctionnaires stricto sensu, nettement minoritaires au sein des employés de l’État, des Lander et des collectivités locales (1,8 million contre 2,6 millions d’agents contractuels), et une grande partie des membres de professions libérales. Cela contraste avec, en France, l’importance des deux régimes de fonctionnaires, le nombre des régimes spéciaux (cheminots...), auxquels s’ajoutent ceux des agriculteurs, des artisans et commerçants et des professions libérales. L’Allemagne n’a pas, comme les ÉtatsUnis ou la Suède, un régime unique de retraites par répartition, mais avec environ 6 fois moins de régimes que la France et l’écrasante primauté de la DR, elle bénéficie d’une simplicité de gestion qui la rapproche de ces pays. Un régime par points… La grande réforme de 1992 a profondément modifié le calcul de la retraite en Allemagne : il est depuis lors principalement basé sur un système de points, la durée d’assurance n’étant plus guère prise en compte que 28 pour autoriser ou non de liquider la pension un peu avant l’âge légal. L’attribution des points obéit à une règle ainsi formulée dans la brochure officielle destinée aux assurés sociaux : « Vos revenus annuels soumis à cotisations sont convertis en “points de rémunération“. Ces points sont la base du calcul de votre future retraite. Si, pendant un an, vous avez gagné exactement la même somme que la moyenne de tous les cotisants salariés, vous percevez un point de rémunération. Pour un revenu supérieur ou inférieur, vous obtenez plus ou moins de points ». Pour 2012, ce revenu moyen est prévu aux environs de 32 446 €. Comme l’indique la brochure, une personne qui gagnera cette année 20 000 € aura droit à environ 0,6164 point, et une autre qui atteindra 40 000 € obtiendra le double, soit à peu près 1,2328 point. Des points sont également obtenus pour les périodes de chômage indemnisé, l’Agence pour l’emploi prenant en charge le versement des cotisations. De plus, comme en Suède, des points sont attribués pour l’éducation des 1. Les Échos du 6 août 2012. 2. Légalement, l’ARRCO et l’AGIRC constituent deux régimes distincts, mais la mise en commun de leurs moyens est très poussée : économiquement, on peut considérer que ce sont deux composantes d’une même entité. 3. Le pourcentage exact est difficile à déterminer, car les adhérents à l’assurance vieillesse de la sécurité sociale et à l’ensemble ARRCO/AGIRC ne sont que grosso modo les mêmes. Par exemple, au 1er juillet 2011, il existait 11,6 millions de bénéficiaires de pensions ARRCO contre 12,8 millions pour l’assurance vieillesse de la sécurité sociale. Cette différence tient principalement au fait que les agents contractuels de l’État et des collectivités territoriales relèvent du régime général pour leur retraite de base, comme les salariés du secteur privé, mais ont comme régime complémentaire l’IRCANTEC, et non l’ARRCO/AGIRC. // N°457 septembre 2012 // Revue Française de Comptabilité enfants par leurs parents. Les enfants nés à partir de 1992 ouvrent droit à 3 points, à raison de un point par an durant 3 ans (pour les enfants nés antérieurement, il est attribué seulement un point). Ces 3 points peuvent être dévolus à l’un des parents, ou partagés entre eux. Cette façon de reconnaître le service rendu à l’assurance vieillesse en élevant un ou des enfants est indépendant des revenus ; il diffère radicalement en cela des droits familiaux à pension français, qui aboutissent à valoriser davantage les enfants de riches que les enfants de pauvres, exception faite de l’assurance vieillesse des parents au foyer, soumise à une condition de ressources qui produit l’effet inverse. … où la durée d’assurance joue cependant un rôle L’âge légal de la retraite (65 ans et un mois en 2012) est celui auquel l’assuré social peut liquider sa pension quelle que soit sa durée d’assurance. Liquidée à cet âge, la pension mensuelle est égale au nombre de points acquis multiplié par la “valeur actuelle“ du point (l’équivalent de sa “valeur de service“ dans les régimes complémentaires français). Un départ anticipé, jusqu’à deux ans avant l’âge légal, est possible sous condition d’une durée d’assurance supérieure ou égale à 35 ans, moyennant une réduction du montant de la pension égale à 0,3 % par mois d’anticipation. Si la durée d’assurance atteint ou dépasse 45 ans, le départ anticipé peut avoir lieu sans abattement. Symétriquement, une liquidation après l’âge légal procure une majoration de 0,5 % par mois de retard. La différence entre l’abattement de 0,3 % et la majoration de 0,5 % montre que la neutralité actuarielle est appliquée moins strictement qu’en Suède. La régulation par les prélèvements Le taux de cotisation est utilisé pour adapter les recettes de la DR à ses dépenses : de 17,7 % en 1991, il est monté progressivement à 20,3 % en 1998, puis redescendu à 19,1 %, remonté à 19,6 %, et il sera probablement ramené à 19,2 % en 2013. Mais ce taux ne constitue pas la “variable de commande“ principale. Les autorités entendent le maintenir en-deçà de 20 % jusqu’à 2020 et de 22 % jusqu’à 2030 : son augmentation ne saurait constituer le principal outil d’équilibrage financier Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références RETRAITES du régime. D’autre part, l’existence de réserves dépassant 1,5 mois de prestations déclenche une baisse du taux de cotisations : à la différence du fonds de réserve des retraites français, initialement destiné à devenir suffisamment gros pour autoriser deux décennies de déficit lié à l’évolution démographique, les réserves de la DR sont conçues pour faire face uniquement à des fluctuations conjoncturelles. Jusqu’en 2005 la moitié seulement de la pension était incorporée dans le revenu imposable ; un passage progressif à 100 % doit être réalisé d’ici 2040, à raison de 2 points de pourcentage chaque année jusqu’en 2020, et d’un point les vingt années suivantes. Sachant que le budget fédéral apporte à la DR environ le cinquième de ses ressources, cette mesure constitue une sorte de régulation par le prélèvement fiscal, même si la Cour constitutionnelle de Karlsruhe ne l’a pas suscitée dans ce but. La régulation par l’âge légal Des dispositions énergiques visant à adapter les dépenses (boostées par l’augmentation de la longévité) aux recettes (freinées par la faiblesse de la natalité) ont été prises en 2001 et 2007. La loi retraites de 2007 a programmé un relèvement progressif de l’âge légal de 65 ans en 2011 à 67 ans en 2029. La mesure est beaucoup plus étalée dans le temps que la disposition analogue prise en France en 2010 ; elle ressemble à celle prise par les États-Unis sous la présidence de Ronald Reagan, augmentation très progressive de l’âge légal de 65 à 67 ans qui est aujourd’hui encore en cours de réalisation. On notera l’unicité de l’âge légal dans ces deux pays, alors que la France possède deux âges légaux encadrant un intervalle de cinq ans : cette unicité simplifie le pilotage des retraites par répartition. La régulation par la valeur du point En 2001, le pilotage du régime de retraite allemand se concentra sur la formule de calcul de la valeur du point. Jusque-là, cette valeur évoluait comme la moyenne des salaires bruts, ce qui garantissait une revalorisation des droits à pension (liquidés ou non 4). Le législateur ajouta à cette formule deux coefficients multiplicatifs : le facteur de soutenabilité et le facteur Riester. Le premier fait dépendre l’évolution de la valeur du point de celle du ratio de dépendance (pensionnés sur cotisants). R(t) désignant la valeur de ce ratio pour l’année t, le facteur de soutenabilité utilisé pour passer de la valeur du point de l’année t-1 à celle de l’année t est {1 + A[1-R(t-1)/R(t-2)]}. Dans cette formule le coefficient A reflète le poids que l’on donne au ratio de dépendance : nul si A = 0 ; modeste pour A = 0,25 (valeur fixée en 2004) ; forte si A se rapproche de la valeur 1. Si le ratio de dépendance n’a pas varié entre les années t-2 et t-1, le facteur de soutenabilité est égal à 1 : il n’affecte en rien la valeur du point. Mais si ce ratio augmente (plus de retraités par rapport aux cotisants) alors le facteur de soutenabilité est inférieur à l’unité et tire la valeur du point vers le bas. Le facteur Riester, lui, reflète la volonté des pouvoirs publics allemands de substituer partiellement la capitalisation à la répartition. La “loi Riester“ de 2001 a institué des plans d’épargne en vue de la retraite subventionnés par l’État fédéral. Libre, le dépôt de sommes sur un plan d’épargne Riester déclenche des abondements publics conséquents. Le facteur Riester est destiné à compenser cette dépense publique par une réduction de l’indexation des pensions. Sa valeur pour l’année N est d’autant plus inférieure à 1 que la contribution de l’État fédéral aux plans d’épargne subventionnés a augmenté de l’année N-2 à l’année N-1 : l’État récupère ainsi sous forme d’une diminution de ses subventions à la DR une partie de ses aides à l’épargne retraite. Niveau des pensions La valeur du point a initialement été fixée à un niveau un peu moins élevé dans l’ancienne RDA ; la formule de revalorisation annuelle maintient cette différence, de l’ordre de 10 %. Malgré cela, les pensions moyennes sont supérieures à l’Est : pour les 17,6 millions de pensions de vieillesse (hors pensions d’invalidité et de réversion) la moyenne mensuelle au 31 décembre 2010 est pour les hommes 985 € à l’Ouest et 1 060 € à l’Est ; pour les femmes 490 € à l’Ouest et 705 € à l’Est. Il s’agit probablement d’une conséquence de l’échange à parité du mark Est-allemand contre le DM lors de la réunification, et de l’activité féminine plus importante à l’Est. Pour aider à repérer le niveau des pensions qu’elle verse, la DR calcule la pension “standard“ correspondant à 45 points et à une liquidation à l’âge légal. Cette pension a représenté en 2010, dans les anciens Lander, 1 224 € brut, et 1 103 € net, soit respectivement 47,1 % du salaire brut moyen et 51,6 % du salaire net. Ce taux de remplacement est modeste pour 4. Comme dans les régimes complémentaires français, en Allemagne la valeur du point sert à faire évoluer le montant versé aux retraités aussi bien qu’à calculer le premier arrérage dû lors de la liquidation. En France, pour le régime général, la liquidation fixe une valeur en euros qui évolue ensuite selon une règle spécifique (actuellement, indexation sur les prix à la consommation). des yeux français. Il a déjà sensiblement diminué depuis le début du siècle, et selon les prévisions à l’horizon 2030 cette baisse se poursuivra : l’effet du facteur de soutenabilité et du facteur Riester est sensible. La retraite par capitalisation se développera-t-elle assez vite ? Les pouvoirs publics et la DR multiplient les avertissements dans le but de pousser les Allemands à recourir davantage à l’épargne en vue de la retraite. Par exemple, la brochure d’information retraite diffusée par la DR explique : « Alors que l’espérance de vie des personnes augmente en Allemagne, les taux de natalité restent durablement bas. De ce fait, il y aura à l’avenir plus de bénéficiaires de pensions pour moins de cotisants. Pour que le régime de retraite légal puisse malgré tout être financé, le niveau des pensions va diminuer. Il est donc plus que jamais nécessaire et important de prévoir un complément pour sa retraite. L’État vous soutient pour votre retraite complémentaire. Il s’agit de compenser la baisse du niveau des pensions en renforçant l’aide apportée à la prévoyance vieillesse individuelle et d’entreprise. C’est à vous de souscrire un contrat qui vous convienne. » Des leçons pour la France ? La réforme structurelle allemande de 1992 (passage aux points) a précédé d’un an la réforme paramétrique française, limitée au seul régime général, de 1993 ; la réforme Riester de 2001 introduisant un facteur de soutenabilité est antérieure de deux ans à la réforme française de 2003, qui a cette fois (avec son extension aux régimes spéciaux en 2007) concerné l’ensemble des régimes de base ; la loi allemande relevant l’âge légal a été votée en 2007, trois ans avant son homologue française. Consciente du handicap que représente sa faible fécondité, l’Allemagne agit un peu plus tôt et un peu plus vigoureusement que la France. Celle-ci semble bien être influencée par l’activité réformatrice germanique, mais ne gagnerait-elle pas à s’en inspirer encore davantage ? Pour en savoir plus • Sénat : Rapport d’information fait au nom de la Mecss sur l’organisation du système de retraites en Allemagne. Rapporteur général M. Alain Vasselle ; (n° 673, enregistré le 13 juillet 2010). • OCDE : Pensions at a glance (Germany). • Site de la Deutsche Rentenversicherung. • Site du CLEISS : le régime allemand de sécurité sociale. Revue Française de Comptabilité // N°457 septembre 2012 // 29